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UNIVERSITE DE YAOUNDE II

Faculté des Sciences Juridiques et Politiques


Année académique 2020/2021
1er Semestre-L2
Campus d’Ebolowa

COURS
DE
DROIT ADMINISTRATIF GENERAL I

I - ARGUMENTAIRE

II - PLAN DETAILLE

III - BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

IV- TRAVAIL A FAIRE

V- COURS REDIGE

Par

Bernard-Raymond GUIMDO DONGMO


Agrégé des Facultés de Droit
Professeur
Novembre 2020
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I- ARGUMENTAIRE

Le droit administratif est, pour reprendre le doyen Maurice HAURIOU, un droit


vivant. Alors que certains auteurs se demandent s’il ne s’agit pas d’un droit des privilèges…
administratifs, d’autres, par contre, se demandent s’il ne s’agit pas d’un rempart contre
l’arbitraire administratif.

Ce que l’on peut dire est que le droit administratif met en rapport l’administration,
notamment publique, et les administrés et que dans ce cadre, il peut être, selon les cas, soit un
privilège pour l’administration, soit un rempart contre l’arbitraire administratif.

A la différence du droit civil, le droit administratif s’est construit sur la base de


considérations a-juridiques. En effet, à l’origine, il est essentiellement composé de standards
de comportements et non d’un ensemble de règles juridiques.

Le droit administratif a pour objet l’administration, plus précisément l’administration


publique, c’est-à-dire l’ensemble des organes par lesquels sont conduites et exécutées les
taches publiques.

Le droit administratif a un caractère dual en ce qu’il est essentiellement inégalitaire et


fondamentalement jurisprudentiel. Le premier trait de caractère se traduit par la prééminence
de l’administration sur l’administré. En effet, c’est l’administration qui dispose du pouvoir
d’organisation générale, du pouvoir de réglementation ; c’est elle qui détient le pouvoir
d’ordre, le pouvoir de régulation en matière de police administrative ainsi que le pouvoir de
contrôle et de sanction. Quant au second trait de caractère, il est dû au fait que les grands
principes et règles qui régissent le droit administratif ont été formulés, pour l’essentiel, par le
juge, notamment administratif. Il sied alors de préciser que le juge en général et le juge
administratif en particulier, a une double fonction : une fonction (principiellement)
juridictionnelle et une fonction (exceptionnellement) jurisprudentielle. La première consiste à
trancher les litiges en appliquant on en disant le droit. Quant à la seconde, elle consiste, à
l’occasion du règlement d’un litige, à « créer » le droit à travers la formulation des principes
et des règles.

Au Cameroun, du fait du contexte historique, politique, économique, culturel et social,


voire sociologique, de l’importance de l’arsenal textuel, un peu de sa formation,
essentiellement de droit privé, et de sa hardiesse contingente, le juge administratif se confine
davantage dans la fonction juridictionnelle au détriment de la fonction jurisprudentielle ; ce
faisant, il est moins « jurislateur » (créateur de normes jurisprudentielles) que son homologue
français.

Le présent cours s’efforce de présenter cette matière, réputée complexe et difficile, de


la manière la plus simple et claire possible. Il va donc porter, pour ce semestre, d’une part, sur
la conception du droit administratif (1ère partie) et, d’autre part, sur l’organisation de
l’administration (2nde partie).

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II. PLAN DETAILLE

INTRODUCTION GENERALE

I- L’objet et la place du droit administratif


A- L’objet
B- La place
II- Les origines du droit administratif
A- Des origines principalement a-juridiques
B- Des origines complémentaires juridiques
III- Les caractères du droit administratif
A- Un droit fondamentalement jurisprudentiel
B- Un droit essentiellement inégalitaire

Ière PARTIE

LA CONCEPTION DU DROIT ADMINISTRATIF

TITRE I : LES CRITERES

CHAPITRE 1 : LES CRITERES THEORIQUES

Section 1 : Le service public


Paragraphe 1 : La consistance du critère
Paragraphe 2 : Les limites du critère
Section 2 : La puissance publique
Paragraphe 1 : La substance du critère
Paragraphe 2 : Les limites du critère
Section 3 : L’’utilité publique
Paragraphe 1 : La justification
Paragraphe 2 : Les limites

CHAPITRE 2 : LES CRITERES JURIDIQUES

Section 1 : L’autonomie
Paragraphe 1 : L’articulation
A- L’autonomie des sources
B- L’autonomie de fond
Paragraphe 2 : Les limites
A- Les limites liées aux sources
B- Les limites liées aux règles de fond
Section 2 : Les bases constitutionnelles
Paragraphe 1 : La formulation
A- La genèse du critère
B- La consistance du critère
Paragraphe 2 : La réception
A- Une réception doctrinale critique
B- Une réception normative duale

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TITRE II : LES SOURCES

CHAPITRE 1 : LES SOURCES NATIONALES

Section 1 : Les sources externes à l’administration


Paragraphe 1 : La Constitution
A- La structure de la Constitution
B- La soumission de l’administration à la Constitution
C- La jurisprudence constitutionnelle
Paragraphe 2 : La loi
A- La loi proprement dite
B- Les textes assimilés à la loi
Paragraphe 3 : La jurisprudence administrative
A- Les règles générales
B- Les principes généraux du droit
Section 2 : Les sources internes à l’administration
Paragraphe1 : Les sources entièrement internes
A- L’appréhension stricto sensu : les règlements administratifs
B- L’appréhension lato sensu : les actes administratifs unilatéraux
Paragraphe 2 : Les sources partiellement internes
A- L’identification des actes administratifs plurilatéraux
B- La qualification des actes administratifs plurilatéraux

CHAPITRE 2: LES SOURCES INTERNATIONALES

Section1 : La classification
Paragraphe1 : Le critère formel
A- Les sources bilatérales
B- Les sources multilatérales
C- Les sources unilatérales
Paragraphe 2 : Le critère spatial
A- Les sources à caractère universel
B- Les sources à caractère non universel
Section 2 : Le régime juridique
Paragraphe1 : Les conditions d’applicabilité des traités dans l’ordre juridique étatique
A- La ratification ou l’approbation
B- La publication
C- La réciprocité
Paragraphe 2 : L’interprétation des traités internationaux
A- L’interprétation des traités avant l’arrêt G.I.S.T.I
B- L’interprétation des traités depuis l’arrêt G.I.S.T.I
Paragraphe 3 : L’autorité des traités internationaux dans l’ordre juridique étatique
A- Le traité et la Constitution
B- Le traité et la loi
C- Le traité et la norme administrative

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IInde PARTIE

L’ORGANISATION DE L’ADMINISTRATION

TITRE I : LA CONCEPTION

CHAPITRE 1 : LA PERSONNALITE MORALE

Section 1 : La notion de personnalité morale


Paragraphe 1 : Les caractéristiques de la personne morale
Paragraphe 2 : Les effets de la personnalité morale
Section 2 : La typologie des personnes morales
Paragraphe 1 : La distinction entre personne morale de droit privé et personne morale de
droit public
A- Les traits distinctifs
B- Les limites distinctives
Paragraphe 2 : La distinction entre les personnes morales de droit public
A- Les personnes publiques territoriales
B- Les personnes publiques techniques

CHAPITRE 2 : LES PRINCIPES DIRECTEURS

Section 1 : La centralisation administrative


Paragraphe 1 : Les modalités
A- La concentration administrative
B- La déconcentration administrative
Paragraphe 2 : Le pouvoir hiérarchique
A- Les caractéristiques
B- Les procédés
Section 2 : La décentralisation administrative
Paragraphe 1 : Les critères
A- La distinction entre affaires locales et affaires nationales
B- L’autonomie juridique et financière des entités décentralisées
C- L’élection des organes décentralisés
Paragraphe 2 : Les types
A- La décentralisation formelle
B- La décentralisation matérielle
Paragraphe 3 : Le contrôle étatique
A- Les types de contrôle
B- Les limites du contrôle

TITRE II : LA CONCRETISATION

CHAPITRE 1 : L’ADMINISTRATION D’ETAT

Section 1 : L’administration centrale


Paragraphe 1 : La présidence de la République
A- Le Président de la République
B- L’organisation de la présidence de la République
Paragraphe 2- Les services du premier ministre

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A- Le premier ministre
B- L’organisation des services du premier ministre
Paragraphe 3- Les ministères
A- Le ministre
B- Le nombre et la classification des ministères
C- L’organisation interne des ministères
Section 2 : L’administration déconcentrée
Paragraphe 1 : Les circonscriptions administratives
A- La région
B- Les autres circonscriptions administratives
Paragraphe 2 : Les services extérieurs des ministères
A- Les services régionaux
B- Les services départementaux
C- Les services d’arrondissement
Paragraphe 3 : Le type particulier : les chefferies traditionnelles
A- La catégorisation des chefferies traditionnelles
B- Le statut des chefs traditionnels
C- Les attributions des chefs traditionnels

CHAPITRE 2 : L’ADMINISTRATION DECENTRALISEE

Section 1 : Les collectivités territoriales décentralisées


Paragraphe 1 : La genèse
A- Les CTD avant l’indépendance
B- Les CTD après l’indépendance
Paragraphe 2 : L’articulation
A- Les types de CTD
B- Les compétences des CTD
Paragraphe 3 : Le contrôle étatique
A- Le contrôle administratif
B- Le contrôle juridictionnel
Paragraphe 4 : Les organes de suivi et d’appui
A- Les organes de suivi
B- Les organes d’appui
Section 2 : Les administrations spécialisées
Paragraphe 1 : L’établissement public
A- L’être juridique
B- La vie juridique
Paragraphe 2 : le groupement d’intérêt public
A- L’être juridique
B- La vie juridique

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III - BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

A- Ouvrages :

- AUTIN (Jean-Louis) et RIBOT (Catherine), Droit administratif général, 5ème éd., Litec,
Paris, 2007.
- BONNARD (Roger), Précis de droit administratif, 4ème éd., L.G.D.J, Paris, 1943.
- BURDEAU (François), Histoire du droit administratif (de la Révolution au début des
années 1970), P.U.F, Paris, 1995.
- CHAPUS (René), Droit administratif général, t.1, 15ème éd., Montchrestien, Paris, 2001.
- DEBBASCH (Collin), Droit administratif, 10ème éd., Paris, Economica, 2011.
- DELVOLVE (Pierre), Droit administratif, 6ème éd., Dalloz, Connaissance du droit, Paris,
2014.
- DUGUIT (Léon), Traité de droit constitutionnel, 3ème éd., t.1, Fontemoing et compagnies,
Ed. E. Boccard, Paris, 1927.
- FRIER (Pierre-Laurent) et PETIT (Jacques), Droit administratif, 11ème éd., Montchrestien,
Paris, 2017.
- GAUDEMET (Yves), Droit administratif, 20e édition, L.G.D.J, Paris, 2012.
- GUETTIER (Christophe), Droit administratif, 3ème éd., Montchrestien, Paris, 2009.
- HAURIOU (Maurice), Précis de droit administratif et de droit public, 12ème éd., Sirey,
Paris, 1933.
- KAMTO (Maurice), Droit administratif processuel du Cameroun, P.U.C, Yaoundé, 1990.
- KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), Précis de contentieux administratif au Cameroun.
Aspects de l’évolution récente, 1ère éd., Paris, L’Hamattan, 2013.
- NGOLE NGWESSE (Philippe) et BINYOUM (Joseph), Eléments de contentieux
administratif camerounais, Paris, L’Harmattan, 2010.
- LOMBARD (Martine), DUMONT (Gilles) et SIRINELLI (Jean), Droit administratif, 10ème
éd., Dalloz, Paris, 2013.
- LOUVARIS (Antoine), Droit administratif, Paris, PUF, 2011.
- MAURIN (André), Droit administratif, 8ème éd., Sirey, Paris, 2011.
- MELLERAY (Fabrice), YOLKA (Philippe) et GONOD (Pascal), Traité de droit
administratif, tome I, Dalloz, Paris, 2011.
- MELLERAY (Fabrice), YOLKA (Philippe) et GONOD (Pascal), Traité de droit
administratif, tome II, Dalloz, Paris, 2011.
- MESCHERIAKOFF (Alain-Serges), Le droit administratif ivoirien, Économica, Paris, 1982.
- MORAND-DEVILLER (Jacqueline), Cours de droit administratif, 12ème éd., Montchrestien,
Paris, 2011
- MORAND-DEVILLER (Jacqueline), BOURDON (Pierre) et POULET(Florian), Droit
administratif, LGDJ, Paris, 2017.
- MOUDOUDOU (Placide), Droit administratif congolais, L'Harmattan, Paris, 2003.
- OWONA (Joseph), Doit administratif spécial de la République du Cameroun, Edicef, Paris,
1985.
- OWONA (Joseph), Le contentieux administratif de la République du Cameroun,
L’Harmattan, Paris, 2011.
- PEISER (Gustave), Droit administratif général, 26ème éd., Dalloz, Mémentos, Paris, 2014.
- TRUCHET (Didier), Droit administratif, 5ème éd., Thémis, Paris, 2013.
- VEDEL (Georges) et DELVOLVE (Pierre), Droit administratif, T.1, 13ème éd., P.U.F, Paris,
1997.
- WALINE (Jean), Droit administratif, 25ème éd., Paris, Dalloz-Sirey, 2014.

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B- Revues, périodiques, recueils d’arrêts commentés et lexique :

1- Revues et périodiques :

- Actualité Juridique. Droit Administratif (A.J.D.A)


- Juridis Périodique
- Lex Lata
- Revue Française de Droit Administratif (RFDA)
- Revue de Droit Administratif (RDA)
- Revue du Droit Public et de la Science Politique en France et à l’étranger (RDP)
- Revue Africaine de Sciences Juridiques (R.A.S.J).

2- Recueils d’arrêts commentés :

- KEUTCHA TCHAPNGA (Célestin), Les grandes décisions annotées de la juridiction


administrative du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2017.
- LACHAUME (Jean-François), PAULIAT (Hélène), BRACONNIER (Stéphane) et
DEFFIGIER (Clotilde), Droit administratif. Les grandes décisions de la jurisprudence,
17ème éd., PUF, Paris, 2017.
- LONG (Marceau), WEIL (Prosper), BRAIBANT (Guy), DELVOLVE (Pierre) et
GENEVOIS (Bruno), Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 21ème éd.,
Dalloz, Paris, 2017.
- PAMBOU TCHIVOUNDA (Guillaume), Les grandes décisions de la jurisprudence
administrative du Gabon, A. Pedone, Paris, 1994.

3- Lexique :

- GUILLIEN (Raymond) et VINCENT (Jean), Sous la direction de GUINCHARD


(Serges) et MONTAGNIER (Gabriel), Lexique des termes juridiques, 25ème éd., Dalloz,
Paris, 2017.

C-Thèse :

- SANDIO KAMGA (Armel Habib), L’établissement public en droit administratif


camerounais, Thèse de doctorat/Ph. D. de droit public, Université de Yaoundé II, 2014.

D- Mémoire :

- LITET (Gabriel François), La circonscription administrative en droit public camerounais,


Mémoire de Master II en droit public interne, Université de Yaoundé II, FSJP, 2014-
2015, 121p

IV- TRAVAIL A FAIRE

I-NOTE DE LECTURE (SYNTHESE ET LECONS) :

Faire la note lecture de l’introduction générale et des 17 sections du cours ; soit 18


notes de lecture à faire par chaque étudiant.

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II-EXERCICES D’ENTRAINEMENT :

1- Les critères du droit administratif : conflit ou complémentarité ?


2- Existe-t-il une hiérarchie entre les sources du droit administratif ?
3- Personne morale et personne physique : des personnes juridiques antagonistes ?
4- Centralisation et décentralisation administratives : duo ou duel ?
5- L’administration centrale peut-elle se passer de l’administration déconcentrée ?
6- L’administration décentralisée est-elle nécessaire dans un Etat ?

Yaoundé, le 28 novembre 2020

Bernard-Raymond GUIMDO DONGMO


Agrégé des facultés de droit
Professeur

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V-COURS REDIGE

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Comme le disait, à juste titre, le doyen Maurice HAURIOU, le droit administratif est
un « droit vivant ». L'éminent professeur voulait ainsi montrer que ce qui caractérise le droit
administratif c'est le fait qu'il soit en constante mutation.

Mais, une question demeure : le droit administratif est-il le droit de l'administration ou


le droit de l’administré? Autrement dit, est-il le droit des privilèges ou un rempart contre
l'arbitraire administratif ?

Pour répondre à cette interrogation duale, on peut dire qu'à certains égards, le droit
administratif est un droit des privilèges et donc de l’administration mais, qu’à d’autres égards,
il est un rempart contre l’arbitraire administratif et donc le droit des administrés.

In fine, le droit administratif oscille entre la préservation des prérogatives de


l'administration et la protection des droits des administrés. Pour l’appréhender dans ses
aspects fondamentaux, il convient, dans une perspective trilogique, de s’intéresser à son objet
et à sa place dans le droit en général et dans le droit public en particulier (I), à ses origines
(II), puis à ses caractères (III).

I. L’OBJET ET LA PLACE DU DROIT ADMINISTRATIF

Il sied de déterminer dans un premier temps l'objet du droit administratif(A), et, dans
un second temps, sa place (B).

A. L’objet

Il est généralement admis que l'administration constitue l'objet par excellence du droit
administratif. Mais de quelle administration s'agit-il ?

Dans la langue courante, le mot administration désigne tantôt l'activité, c'est-à-dire le


fait d'administrer, tantôt un organe ou des organes qui exercent cette activité. Perçu de la
sorte, le mot administration s'applique aussi bien aux affaires privées qu'aux affaires
publiques.

Il est évident qu’une approche aussi générique et globalisante ne peut satisfaire le


juriste notamment le juriste publiciste « administrativiste ». En réalité, l'administration dont il
s'agit c'est l'administration publique, c'est-à-dire, pour reprendre, Jean RIVERO, « un
ensemble d'organes par lesquels sont conduites et exercées les tâches publiques ».

Au regard de cette précision définitionnelle, l'administration, objet du droit


administratif, peut être appréhendée, du point de vue organique, comme l'ensemble des
organes qui représentent le pouvoir exécutif, les autres personnes morales du droit public
(collectivités territoriales décentralisées, institutions publiques spécialisées tels les
établissements publics et les groupements d’intérêt public) ainsi que les autorités et les agents
publics qui dirigent ou assurent le fonctionnement des services relevant de ces personnes
publiques ; et, du point de vue matérielle, comme l'activité administrative qui se différencie de

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l'activité des particuliers et des autres activités publiques (exemple : l'activité législative,
diplomatique et juridictionnelle).

Il convient cependant de noter qu’il existe entre ces deux définitions (organique et
matérielle) une absence de coïncidence. En effet, au sens organique, l'administration peut ne
pas assurer d'activité administrative, mais plutôt une activité privée, recourir aux procédés de
gestion privée du service public ; de fait, au regard du distinguo gestion publique (application
du droit public) et gestion privée, le droit administratif n'intervient pas. A l’inverse, au sens
matériel, l’administration peut être assurée par des personnes non administratives à l'instar des
personnes privées par exemple.

Cette absence de coïncidence démontre à suffisance la dualité de l’administration


(administration organique/administration matérielle) et, par ricochet, la dualité du droit (droit
public/droit privé) qui la régit ou lui est applicable.

Le droit administratif apparaît, en définitive, non pas exactement comme le droit de


l’administration, mais plutôt comme cette branche du droit public qui régit l'administration
dans l'exercice de ses activités administratives publiques.

B. La place

Au regard de ce qui a été précédemment dit, le droit administratif est non pas une
branche du droit privé, mais une branche du droit public que le doyen Léon DUGUIT définit
comme « l'ensemble des règles de droit qui s'appliquent à l'État, aux gouvernants et à leurs
agents dans leurs rapports entre eux et avec les particuliers »

A côté du droit administratif, entant que branche du droit public, on a le droit


constitutionnel, le droit des finances publiques et le droit international public.

Le droit administratif ne peut appartenir au droit privé pour la raison que ce dernier
est, pour reprendre le doyen Léon DUGUIT, « l'ensemble des règles coutumières ou écrites
s'appliquant aux rapports des particuliers» et, exceptionnellement, aux rapports des
particuliers avec l'administration.

En tant que branche du droit public, le droit administratif constitue un ensemble


organique, une globalité dont les éléments se tiennent et s'emboîtent. Les règles qu'il
comporte sont liées entre elles, connectées et solidaires. Les notions fondamentales sur
lesquelles il repose forment un tissu conceptuel homogène dont les parties sont indissociables.
Il y a à sa base, comme de tout droit d’ailleurs, un principe d'ordre, une logique qui, d'après
Jacques CHEVALLIER, lui donne ses caractéristiques propres et garantit sa cohésion. Mais,
comme le droit administratif est né et s’est développé ?

II. LES ORIGINES DU DROIT ADMINISTRATIF

Le droit administratif n'a pas une histoire similaire ou identique à celle du droit privé.
C'est un droit dont les origines sont hétérogènes. En France où il né, il a des origines
principalement a-juridiques (A) et complémentairement juridiques (B). Au Cameroun, le droit
administratif en vigueur s’inspire, dans une large mesure, de ce droit (C).

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A. Les origines a-juridiques

Le droit administratif s'est construit historiquement dans le contexte français pour des
raisons a-juridiques, c’est-à-dire en dehors ou en marge du droit. En effet, sans la vision
métaphysique de l'État et de l'autorité qui a marqué les centralismes monarchique,
révolutionnaire et napoléonien, le droit administratif n'aurait pas émergé sous la forme que
l'on lui connaît aujourd’hui.

A l'origine, il est essentiellement composé de standards de comportements, alors qu’à


la même époque, le droit civil est un ensemble de règles de droit. D'où la suprématie de la
jurisprudence, notamment administrative qualifiée de souple et d'adaptable.

Au total, te droit administratif trouve ses origines, embryonnaires sans doute, mais
déjà conceptualisées, à une époque très ancienne où l'État n'est même pas encore conçu
comme tel ; et sa pétition d'autonomie est, à en croire Jean BOULOUIS, bien antérieure au
célèbre arrêt Blanco rendu par le tribunal des conflits le 08 février 1873, qui a constitué l’un
des composantes de ses origines juridiques.

B. Les origines juridiques

Le droit administratif est né en France d'un principe textuel et l'arrêt Blanco lui a
donné sa consistance normative.

1- Le principe textuel

Le principe dont il est question a été posé, selon la doctrine française, au début de la
révolution de 1789. Il dérivait, d'après elle, d'une interprétation de la séparation des pouvoirs.
Le principe dont s’agit est celui de la séparation des autorités administratives et judiciaires
institué par la loi des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire.

D'après cette loi, «les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours
séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture,
troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, ni citer
devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions».

Ce principe fut solennellement rappelé, cinq ans plus tard, par le décret (v. George
Vedel et Pierre Delvolvé ainsi que Gilles Lebreton) ou loi (v. René Chapus) du 16 fructidor
an III, en ces termes (article unique) : «Défenses itératives sont faites aux tribunaux de
connaître des actes d'administration de quelque espèce qu'ils soient, aux peines de droit ».

Par ces prescriptions prohibitives, les révolutionnaires voulaient éviter que les
tribunaux judiciaires ne renouent avec les pratiques de leurs prédécesseurs. Aussi paradoxal
que cela puisse paraitre, les textes de 1790 et de l’an III ne faisaient d’ailleurs que réitérer une
interdiction que le Roi avait déjà posée, sans succès durable, dans l’Edit de Saint-Germain de
février 1641, puis dans son arrêt du conseil du 8 juillet 1661.

Pour René CHAPUS, ce principe ainsi posé «signifie que l'action de l'administration,
lorsqu'elle se manifeste comme puissance publique, ne doit pas être jugée par les tribunaux
judiciaires ».

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En somme, les textes interdisaient aux juges judiciaires, non seulement d’administrer,
mais également de connaître des litiges administratifs. Ainsi, à partir de 1790, les difficultés
contentieuses nées de l'activité administrative ne pouvaient plus être examinées par les
juridictions appartenant à l'ordre judiciaire. Furent alors instituées des juridictions distinctes et
spécialisées dans le traitement du contentieux de l'administration agissant comme puissance
publique, à savoir les conseils de préfecture (remplacés en 1954 par les tribunaux
administratifs) et le Conseil d'État.

Ces juridictions avaient pour mission d'assurer le règlement des litiges administratifs
sur la base de règles distinctes de celles du droit privé et adaptées à la spécialité et à la
spécificité des activités de l'administration, puissance publique.

Il restait à ce que cet état de droit soit consacré officiellement. Ceci fut l’œuvre, non
pas du conseil d'État, mais du tribunal des conflits (il est chargé, en France, de régler
souverainement les difficultés que peut soulever la répartition des compétences entre les
juridictions administratives et les juridictions judiciaires) dans l’arrêt Blanco rendu le 8
février 1873.

2- La consécration jurisprudentielle

En rendant l’arrêt Blanco, le tribunal des conflits parachevait la construction d'un


édifice commencé au cours des décennies précédentes. Dans un premier temps, il pose le
principe de la responsabilité de l'État et, dans un second temps, il consacre le principe selon
lequel l'État, en tant qu'administration, ne peut se voir appliquer les règles du code civil. A ce
sujet, il affirme en substance : « (...) la responsabilité qui peut incomber à l'État pour les
dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service
public ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le code civil pour les
rapports de particuliers à particuliers ; (...) elle a ses règles spéciales qui varient suivant les
besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'État avec les droits privés ».

Depuis lors, et contrairement à la tradition juridique anglo-saxonne, l'administration en


France relève, lorsqu'elle agit selon la gestion publique, du contrôle des juridictions
spécifiques que sont les juridictions administratives et d'un régime juridique particulier qui est
le droit administratif.

Il est à noter que c'est sur la base de cette consécration jurisprudentielle que le conseil
d'État a eu à connaître de l'action en dommages intérêts exercée contre l’Etat dans l'affaire
Blanco et qu'il a appliqué les règles du droit administratif (CE, 8 mai 1874, Blanco).

Ce qu'il faut retenir, en définitive, c'est que l'arrêt Blanco du tribunal des conflits a,
d'une certaine façon, consacré l'autonomie du droit administratif, notamment celui du droit de
la responsabilité administrative par rapport aux règles énoncées dans le code civil. Malgré les
rapprochements des jurisprudences administrative et judiciaire, le principe consacré demeure
valable.
Comment et pourquoi le droit administratif a été introduit au Cameroun ?

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C- L’introduction au Cameroun

Le droit administratif introduit au Cameroun n'a pas dérogé, pour l'essentiel, aux
principes consacrés en France, que ce soit avant ou après l'indépendance, mais davantage
avant qu’après. Il est donc, pour une bonne part, tributaire du droit administratif français.

Tout laisse croire que cette influence s'est étendue à la situation juridique de
l'administration ainsi qu'au statut des rapports de celle-ci avec les particuliers. D'une part, le
Cameroun, comme la plupart des pays africains d'expression française, a constitué un ordre
juridictionnel qui prend en compte l'ordre administratif, notamment au plan fonctionnel,
exclusivement appelé à connaître des litiges mettant en cause l'administration du fait de son
activité administrative. Ce faisant, il a, comme l'écrit Joseph Marie BIPOUM WOUM,
« consacré l’un des principes de base du droit administratif français» à savoir la séparation
des autorités administratives et judiciaires.

Les raisons d'une telle consécration sont de plusieurs ordres ; on peut relever, entre
autres, la situation juridique du Cameroun avant l'indépendance, laquelle a permis l'influence
du droit français sur son organisation, ainsi que les conditions juridiques de son accession à
l'indépendance caractérisées pour l'essentiel par la reprise des normes juridiques.

Il faut cependant relever que le constituant, le législateur, l'exécutif ainsi que le juge
administratif ont depuis lors élaboré des règles complétives ou distinctes qui tendent à
infléchir la dépendance du droit administratif au Cameroun à l’égard de celui en vigueur en
France, de telle sorte qu'on ne peut plus dire aujourd’hui que le droit administratif au
Cameroun est un « droit mimétique », c'est-à-dire la reprise intégrale et sans bénéfice
d’inventaire des règles élaborées ou en vigueur en France. En effet, on assiste au niveau de
l’ordre juridique camerounais d'une part, à une réception sélective ou appropriée de la
jurisprudence administrative française et, d'autre part, à d'heureuses et importantes adaptations
voire à des innovations tant au plan normatif qu'au plan institutionnel.

Au demeurant, au France et au Cameroun, les caractères du droit administratif ne sont


pas exactement les mêmes.

III. LES CARACTÈRES DU DROIT ADMINISTRATIF

Le droit administratif, tel qu’il est né et s’est développé en France, peut être
doublement caractérisé. En effet, il est d'une part, fondamentalement jurisprudentiel ou
prétorien et, d'autre part, essentiellement inégalitaire.

A- Un droit fondamentalement jurisprudentiel

Il s'avère que les grands principes et règles qui régissent le droit administratif ont été
consacrés par le juge. C'est pour cette raison que l'on dit qu’il est fondamentalement
jurisprudentiel. Mais, il faut préciser que le juge administratif, comme tout juge, a pour
fonction première la fonction juridictionnelle et que, la fonction jurisprudentielle n'intervient
qu'à titre exceptionnel.

La fonction juridictionnelle consiste à trancher les litiges en application ou en disant le


droit en vigueur. Quant à la fonction jurisprudentielle, elle consiste à «créer» le droit en

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formulant des principes et des règles qui feront partie de l’ordonnancement juridique au même
titre que l’acte administratif, la loi, le traité et la constitution.

Si, en France, du fait de l’absence ou du caractère épars des textes, le juge


administratif a exercé davantage la fonction jurisprudentielle, au Cameroun, à contrario, du
fait du contexte historique, politique, économique, culturel et social, voire sociologique, de
l’importance de l’arsenal textuel, un peu de sa formation, essentiellement de droit privé, et de
sa hardiesse contingente, le juge administratif s’est globalement confiné dans la fonction
juridictionnelle; aussi est-il moins « jurislateur » (créateur de normes… jurisprudentielles)
que son homologue français. Que dire du caractère essentiellement inégalitaire du droit
administratif ?

B- Un droit essentiellement inégalitaire

Le droit administratif se caractérise globalement par la prééminence de


l'administration sur l’administré. En effet, c'est l'administration qui dispose du pouvoir
d'organisation et de réglementation générale. C'est elle qui possède également le pouvoir
d'ordre et le pouvoir de régulation en matière de police administrative. Enfin, c'est elle qui
dispose du pouvoir de contrôle et de sanction de ses agents et des administrés.

Dans le cadre du présent cours, l’on s’intéressera d'une part, à la conception du droit
administratif (1èrepartie), et, d'autre part, à l'organisation de l'administration (2ndepartie).

Ière PARTIE

LA CONCEPTION DU DROIT ADMINISTRATIF

La conception du droit administratif renvoie à deux aspects essentiels. Le premier est


relatif à ses critères (titre 1); autrement dit, aux éléments permettant de l’identifier ou de
l’expliquer. Quant au second, il concerne ses sources (titre 2), c’est-à-dire ses techniques ou
modalités d’élaboration.
TITRE I

LES CRITÈRES

Une importante controverse a animé voire divisé la doctrine sur l’existence ou non
d’un critère du droit administratif. A l’analyse, on se rend compte que le débat tourne autour
des critères théoriques (chapitre 1) et des critères juridiques (chapitre 2) du droit
administratif.

Il convient de faire ressortir cette controverse à travers ses lignes de force en analysant
tour à tour ces différents groupes de critères.

CHAPITRE I

LES CRITERES THÉORIQUES

Vers la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, deux courants de pensée se sont
affronté sur l’existence d’un critère ou non du droit administratif : l’un est qualifié d' « école
du service public », tandis que l'autre est dénommé l’« école de la puissance publique ».

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Ces deux courants de pensée étaient animés par deux grands maîtres du droit public
français à savoir, d'un côté, le doyen Léon DUGUIT, et, de l'autre, le doyen Maurice
HAURIOU.

Du fait de la persistance des désaccords entre ces deux tendances doctrinales, de leurs
insuffisances respectives, et surtout à cause du déclin de la notion de service public, une thèse
médiane a été conçue au milieu du 20 ème siècle par Marcel WALINE et reposait sur le critère
de l'utilité publique.

Section 1 : Le service public

Le critère du service public a été défendu par l'école de Bordeaux, fondée par Léon
DUGUIT (1859-1928), doyen de la faculté de bordeaux de 1919 à 1928. Ce dernier a été suivi
par une génération d’auteurs de haute valeur, notamment, Gaston JEZE, Roger BONNARD,
Louis ROLLAND.

La thèse fondamentale soutenue par ces auteurs est que tout le droit administratif
s’explique par la notion de « service public ». Ce dernier est donc le critère fondamental voire
unique de définition du droit administratif.

La consistance et les limites de ce critère sont connues.

Paragraphe 1 : La consistance du critère

L'école de Bordeaux soutient mordicus que c'est à travers la finalité de l’administration


que le droit administratif doit être saisi. Elle développe ainsi ce que l'on a appelé une doctrine
des buts.

Le service public tel que le conçoit Léon DUGUIT est cette finalité du droit
administratif. Pour cet auteur, ce qui importe dans l'activité de l'administration c'est l'objectif
que celle-ci veut atteindre, en l'occurrence, le «meilleur service de l'intérêt général». Par
conséquent, les moyens mis en œuvre pour atteindre cette finalité importent peu. Ainsi, dès
lors qu'il est établi qu'il y a service public, il doit y avoir application des règles du droit
administratif et, par conséquent, compétence de la juridiction administrative.

A la suite du Doyen L. DUGUIT, L. ROLLAND affirme que le service public est


« une entreprise ou institution d’intérêt général qui, sous la haute direction des
gouvernants, est destinée à donner satisfaction à des besoins collectifs du public », ou
encore « toute activité d’une collectivité publique visant à satisfaire un besoin d’intérêt
général ».

Il se dégage de ce qui précède que le service public se caractérise par trois éléments : il
est une activité ou entreprise ; il est exercé par une collectivité publique (Etat, collectivité
territoriales décentralisée et établissement public administratif) ; il vise à satisfaire un besoin
d’intérêt général.

L'école de Bordeaux soutient, par ailleurs, que c'est par la notion de service public que
sont et doivent être définies les autres notions du droit administratif.

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On peut dire que les défenseurs de cette école ont une conception dogmatique et
autoritaire du droit administratif, en ce que le service public est finalement « la clé de voûte et
la clé de tout » du droit administratif. Ainsi, ce dernier est considéré comme le « droit des
services publics » et toutes ses règles trouvent leur justification dans cette idée (ex. : les règles
spéciales concernant les biens du domaine public qui s’’expliquent par leur affectation au
service public ; le régime exorbitant du droit commun qui régit les contrats administratifs
s’explique aussi par le lien tenu qu’ont lesdits contrats avec le service public ; il en est de
même des conditions de mise en œuvre de la responsabilité des personnes publiques, tantôt
sévères, tantôt moins sévères que celles régissant la responsabilité des particuliers eu égard
aux particularités de fonctionnement des services publics).

Sur le plan juridique, il est arrivé justement que le juge recourt au critérium du service
public pour faire application du droit administratif. Ce faisant, il est devenu un critère de
détermination de la compétence du juge administratif. Relève ainsi de ce dernier les activités
de service public et celles qui n’en sont pas ressortissent à la compétence du juge judiciaire.

Trois arrêts sont, à ce égard, généralement invoqués : CE, 06 février 1903, Terrier ;
TC, 29 février 1908, Feutry ; CE, 4 mars 1910, Thérond.

Depuis lors, et jusqu’à nos jours, la référence au critère du service public est constante
dans bon nombre d’arrêts de Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits (ex. : TC ,15 janvier
1968, Epoux Barbier c/ Air France). Mais le critère du service public a des limites.

Paragraphe 2 : Les limites du critère

Dans son acception classique, le service public est une activité d'intérêt général. Ce
faisant, il subodore l’intervention d’une personne publique à laquelle est confiée cette activité.
Or, aujourd’hui, le lien entre ces deux aspects du service public (activité d'intérêt général et
personne publique) est en déclin et même, dans des cas assez importants, rompu. En effet, il
existe des personnes publiques qui ne mènent pas toujours des activités de service public
(exemple la gestion du domaine, privé par des personnes publiques).

Par ailleurs, on a des personnes privées auxquelles est confiée l’exercice ou


l’exécution d'une mission de service public. Le premier arrêt en la matière est, sans doute, un
arrêt du CE du 20 décembre 1935(CE, 20 décembre 1935, Société des Etablissements Vézia).

De même, il s’est développé des services publics à caractère industriel et commercial


exerçant des activités dans des conditions proches de celles des personnes privées, ayant des
objets analogues, sans l’emploi de prérogatives de puissance publique. La jurisprudence en a
déduit que les litiges nés de leur fonctionnement et notamment de leurs rapports avec les
usagers ressortissent normalement à la compétence du juge judiciaire. Elle l’a fait dans un
arrêt de principe rendu par le TC (TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest
africain ou aff. Bac d’Eloka), lequel a été suivi de nombreuses décisions tant du TC lui-
même que du CE.

Il se dégage de ce qui précède que le service public, dans des cas assez importants, ne
peut pas être utilement invoqué pour déterminer le champ d’application du droit administratif,
entendu comme un ensemble de constructions juridiques distinctes de celles applicables
aux personnes privées.

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Plusieurs raisons peuvent être avancées à cet effet :

- le service public est une notion imprécise,

- le service public est un critérium d'ordre politique voire idéologique et non juridique.

D’un côté, la notion de service public est imprécise au regard de deux facteurs :
organique et matériel.

Organiquement, cette notion ne colle pas avec la réalité. Ainsi, la gestion du domaine
privé des personnes publiques ne connaît pas l'application du droit public. On observe aussi
une multiplication des services publics à gestion privée.

Matériellement, le service public a un contenu imprécis, à titre d'exemple, on observe


que la liste des activités d'intérêt général est par nature contraignante. Elle évolue dans le
temps et l'espace en fonction des changements de mentalités et des transformations des
sociétés.

D'un autre côté, le service public est un critérium politique et non juridique.

Il est un critère non juridique d’une part, parce que les références de la jurisprudence à
la notion de service public n'ont pas valeur d'utilisation d'un critérium du droit applicable, et,
d’autre part, parce qu'il n'existe pas une systématisation doctrinale et convaincante sur cette
notion ; c’est dire qu’elle ne peut être érigé au rang de critère de droit public.

Il est par contre un critérium politique d'une part, parce qu'il est l'expression d'une
option voire d'un choix politique, et, d'autre part, parce qu'il exprime une pratique politique ;
il fait présumer l'intervention sous une forme ou une autre des personnes publiques. Que dire
du critère concurrent à savoir la puissance publique ?

Section 2 : La puissance publique

Pendant longtemps, le terme puissance publique a été utilisé en droit public dans un
sens quasi métaphysique qui l’a bien discrédité, notamment du fait des conséquences qui en
découlaient : irresponsabilité de l’Etat dans certains secteurs de l’activité administrative
(police) et existence d’ « actes discrétionnaires » pour lesquels l’administration ne pouvait
être soumise à aucun juge.

Or, c’est une notion exacte qui doit seulement épurer de ses aspects inacceptables.
C’est dans cette optique qu’il faut le comprendre comme critère du droit administratif.

La puissance publique comme critère du droit administratif a été défendue et soutenue


par l'école de Toulouse dont le chef de file est Maurice HAURIOU (1856 - 1929). Celui-ci fut
doyen de la faculté de Toulouse de 1906 à 1918.

L'école de Toulouse considère, en effet, que le critère essentiel du droit administratif


est la puissance publique. Ce critère a un contenu certes, mais, il a aussi des limites.

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Paragraphe 1 : La substance du critère

Au cœur du critère de puissance publique il y a l’idée de souveraineté nationale. C’est


en vertu de celle-ci, en effet, que le parlement fait des lois qui ont pour effet d’imposer aux
particuliers certaines charges, et ceci en dehors de leur consentement, ce que nul particulier ne
peut, en principe, faire. C’est également au nom de cette souveraineté que, dans le cadre des
lois, le pouvoir exécutif remplit sa fonction administrative. Il s’en suit que l’administration,
qui en est le bras séculier, détient des prérogatives exorbitantes du droit commun :
notamment, le pouvoir d’expropriation, de réquisition et de règlementation de police

L'école de Toulouse estime que c'est à partir de ces procédés et moyens que
l’administration applique que l'on peut expliquer le droit administratif car, ce sont eux qui
font de l'administration une puissance publique, laquelle puissance qui lui permet de remplir
ses missions de service public.

Le critère de la puissance publique s'inscrit donc dans l'ordre des moyens. C'est
seulement si le service public est assuré par ces procédés de la gestion publique qu’il y a
application du droit administratif et, par voie de conséquence, compétence de la juridiction
administrative.

D’ailleurs, une bonne frange de la doctrine s’accorde aujourd’hui à voir dans la


gestion publique le critère principal de la compétence du juge administratif. Cela s’est dessiné
dès 1912 dans un arrêt rendu par le Conseil d’Etat : CE, 331 juillet 1912, Société des granits
porphyroïdes des Vosges.

Il convient de relever que cette conception du droit administratif est, à la différence de


la première, moins dogmatique, moins autoritaire mais plus tolérante car elle admet la
possibilité de la prise en compte du service public.

Au plan jurisprudentielle, il est arrivé que le juge administratif prenne en compte la


notion de prérogative de puissance publique pour déterminer le droit applicable lorsque
l'administration est en cause (TC, 10 juillet 1956, Société BOURGOGNE BOIS et CE 3
Juillet 1987, CASSIGNARD).

Il convient de préciser que Maurice HAURIOU était, au départ, l’un des défenseurs du
service public (lire M. HAURIOU, La gestion administrative, 1889). Il a été amené, aux
termes d'une longue réflexion sur les problèmes fondamentaux du droit, à reconnaître que le
but (service public), élément essentiellement subjectif, difficile à cerner, s'il joue dans l'acte
juridique un rôle qu'on a trop surestimé, n'en est pas cependant, en raison même de ses
caractères, l'élément déterminant. Aussi pense-t-il que pour dégager le critérium du droit
administratif, c'est au cœur même de la matière que l'analyse doit porter à savoir la notion de
puissance publique.

Mais, comme le critère de service public, la puissance publique connaît, elle aussi, des
limites.

Paragraphe 2 : Les limites du critère

Comme l’a écrit fort pertinemment Jean RIVERO, la puissance publique ne se


caractérise pas seulement par des dérogations « en plus » au régime juridique des simples

19
particuliers, mais également par des dérogations « en moins ». Ainsi, à côté des prérogatives
que détient l’administration, il y a aussi des sujétions auxquelles elle est soumise et que ne
connaissent pas les simples particuliers.

Certes, l'idée de puissance publique rend compte de la plupart des règles


administratives, mais non de toutes. Elle connaît donc des limites. On peut en citer quelques
unes.

Premièrement, certaines personnes privées détiennent ou exercent des prérogatives de


puissance publique. Il en est ainsi des ordres professionnels.

Deuxièmement, avec toute une série de règles, l'administration (qui apparaît souvent
dotée d’un pouvoir supérieur à celui des particuliers) apparaît infiniment moins libre dans
l’exercice de sa volonté que les particuliers. Comme l’a écrit Jean RIVERO, « ce n’est plus
l’administration impérieuse, c’est l’administration ligotée, c’est à côté de la puissance
publique, la servitude publique »

Troisièmement, pour l'agent public, la compétence définit une obligation, alors que
pour le particulier, la capacité que le droit privé lui reconnaît est pour lui une faculté pure. Il
peut l'exercer ou ne pas l'exercer ou alors charger quelqu'un d'autre de l’exercer pour lui.

Quatrièmement, l’Administration peut, sous certaines conditions, agir dans le cadre du


droit commun, c’est-à-dire du droit privé. C’est ce que l’on veut dire quand on parle de la
gestion privé, par opposition à la gestion publique. Ainsi, elle peut acquérir un bien meuble
ou immeuble aux moyens des règles de droit privé.

On pourrait multiplier des exemples, mais ceux cités ci-dessus suffisent sans doute à
fonder l'idée selon laquelle le critère de la puissance publique ne suffit pas à définir le droit
administratif.

Que dire alors in fine ? À la vérité, le service public et la puissance publique, bien
qu’ils soient critères concurrents ou opposés du droit administratif, se complètent dans
certains cas et peuvent se compléter dans d'autres ; il suffit de les prendre en considération
simultanément. En effet, comme l'a écrit le professeur René CHAPUS, « si le droit
administratif a ses règles propres, il ne le doit pas exclusivement à la gestion publique. Il le
doit aussi à la notion de service public ». C'est ainsi que le juge recourt souvent et
simultanément à ces deux notions pour faire application du droit administratif : CE, 13
janvier 1961, Magnier ; CE, 30 novembre 1977, Association des Chasseurs de Noyant de
Touraine). Que dire alors du critère de l’utilité publique proposé par Marcel WALINE?

Section 3 : L'utilité publique

Le critère de l'utilité publique permet de concevoir le droit administratif à travers l'idée


d'intérêt général. Il a été justifié et son contenu esquissé par son auteur. Mais, il est passé
comme un météore.

Paragraphe 1 : La justification

C'est pour assurer la relève du service public décadent que Marcel WALINE propose
comme critérium du droit administratif la notion d'utilité publique. Il l’a fait au cours d’un

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colloque consacré à la détermination du droit public et du droit privé, organisé sous les
auspices du Centre National de la Recherche Scientifique en juin 1952 à la faculté de droit de
Paris.

L'éminent juriste soutenait que l'utilité publique est le moteur de toute l'action
administrative. Autrement dit, c'est l'utilité publique qui donne vie et sa consistance au droit
administratif à travers l'activité de l'administration. En effet, elle assure la dynamique, la
permanence et le continuum du droit administratif. Les idées de l'auteur sur la question ont été
substantiellement développées dans son importante préface du jurisclasseur administratif en
1952 aux pages 9 et suivantes. Quid des limites du critère de l’utilité publique ?

Paragraphe 2 : Les limites (du critère)

Le critère de l’utilité publique a d’importantes limites dont il convient de déterminer


les plus significatives.

Premièrement, bien que l'action administrative soit guidée par l'utilité publique, elle
ne s'exerce pas toujours selon les procédés du droit administratif. A titre d’exemple : la
location d'un immeuble peut être faite, certes dans l'intérêt général, mais selon les règles de
droit commun.

Secondement, si l'administration est toujours guidée par l'intérêt public, elle n'est pas
la seule à le servir. Le particulier peut aussi le servir soit inconsciemment, soit
volontairement. C'est ainsi qu'il existe des établissements d'utilité publique de création privée
auxquelles l'Etat accorde ses faveurs sans pour autant les soumettre au droit administratif.

En somme, le critère de l'utilité publique a fait long feu d'une part, à cause de ses
limites intrinsèques, et, d'autre part, parce que le service public, qui était en déclin, a repris sa
place de critère essentiel du droit administratif.

Que dire au total sur les critères théoriques du droit administratif ? On peut affirmer
qu’aucun de ces critères ne donne totalement satisfaction car il ne suffit pas à le définir ou
l’expliquer. On peut donc dire avec Jean RIVERO que « c'est du rapprochement de ces
vérités partielles et complémentaires que peut se dégager l'image d'un droit administratif,
non point unifié, mais pourtant harmonieux ». Quid alors des critères juridiques de ce
droit ?

CHAPITRE II

LES CRITERES JURIDIQUES

Les critères juridiques du droit administratif sont pour l'essentiel au nombre de deux :
le critère de l'autonomie et le critère des bases constitutionnelles.

Section 1 : L'autonomie

Le critère de l’autonomie du droit administratif a pour finalité de caractériser la


situation des relations entre personnes privées par rapport au droit privé.

21
Ainsi, l'autonomie dont il s'agit s'appréhende par opposition au droit privé. Ce critère a
une consistance, mais aussi des limites.

Paragraphe 1 : L’articulation (du critère)

L'autonomie du droit administratif peut se définir par deux traits essentiels :


l'autonomie des sources et l'autonomie matérielle ou de fond.

A. L'autonomie des sources

L'idée centrale est que toutes les règles du droit administratif procèdent des sources
qui, considérées « in concreto », apparaissent distinctes et indépendantes de celles dont
procèdent les règles du droit privé.

Les sources propres du droit administratif seraient principalement d'une part, la


législation administrative (ensemble d'actes et réglementations écrits, constitués de lois et
d’actes administratifs), et, d'autre part, la jurisprudence, notamment celle du juge
administratif. En effet, il est admis depuis plus d’un siècle que le Conseil d'État français a, en
réalité, le droit de poser lui-même et en toute liberté, les règles qu'il applique ou va appliquer
à toutes les matières sur lesquelles le législateur des lois, spécialement administratives, n'en a
pas posées. C’est la raison pour laquelle il est considéré comme un jurislateur.

Dans le contexte français particulièrement, le champ de ces matières, qu'on qualifierait


de non légiférées, est assez étendu. Il concerne notamment les règles et principaux initiaux et
fondamentaux, bien de théories et grands problèmes du droit administratif.

En dehors de cette autonomie des sources, le droit administratif jouirait également


d'une autonomie de fond ou matérielle.

B. L'autonomie de fond

Les règles du droit administratif, prises intrinsèquement dans leur contenu normatif ou
dans leurs dispositions substantielles, sont autonomes, c'est-à-dire spéciales, voire
« originales » et distinctes de celles de droit privé.

Cette autonomie de fond du droit administratif a reçu sa première consécration claire


dans le célèbre arrêt Blanco rendu par le Tribunal des conflits le 08 février 1873. Alors que
cet arrêt visait uniquement les règles relatives à la responsabilité de l’administration, ses
énoncés ont été étendus à l’ensemble du droit administratif.

Cette conception du droit administratif a été opposée à la conception anglo-saxonne


selon laquelle l’administration et ses agents sont soumis aux mêmes règles de droit commun
comme les particuliers.

En Grande-Bretagne, la thèse classique dans ce domaine est celle de DICEY (Lectures


introductory to the study of the law of the Constitution, 1ère éd., 1885, régulièrement
rééditée) ; thèse reprise par LAWSON ( « Le droit administratif anglais », Rev. Int. Dr.
Comp., 1951, p.413).

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Mais il convient de préciser que d’autres auteurs ont contesté l’effectivité de cette
opposition (v. GARNER, « La conception anglo-américaine du droit administratif »,
Mélanges Hauriou, 1929.337), alors d’autres encore ont eu des positions nuancées sur la
question (v. C.J. HAMSON, Executive discretion and judicial control, 1954-trad.
COCATRE-ZILGIEN, 1958).

J. RIVERO a fait une remarquable synthèse sur l’ensemble de ce problème dans son
cours de droit administratif comparé (polycopie Cours de droit, 1954-1955.

Des deux autonomies du droit administratif, c'est celle qui porte sur le fond qui est
essentielle. En effet, dans l'analyse du droit, le fond des règles importe finalement plus que
leurs sources. Le fond du droit est capital car il assure au mieux son autonomie. Il reste que
l'autonomie du droit administratif n'est pas absolue.

Paragraphe 2 : Les limites (du critère)

Les limites de l’autonomie du droit administratif sont relatives aussi bien aux sources
qu'aux règles de fond.

1-En ce qui concerne les limites liées aux sources, il est admis que les sources du
droit administratif ne se limitent pas à la loi et aux actes administratifs. Elles vont au-delà et
comprennent aussi bien la Constitution que les textes tels les conventions internationales. Ce
qui veut dire que le droit administratif, a les mêmes sources que les autres droits, en
l’occurrence le droit privé.

2-Pour ce qui est des limites liées au fond, il faut dire que les règles du droit public,
notamment du droit administratif, ne sont pas à l'abri de l'intrusion des règles de droit privé,
lesquelles sont souvent appliquées soit par l'administration, soit par le juge administratif.

Jean WALINE, dans sa thèse portant sur L’application du droit privé par le juge
administratif (Paris, 1962, dactylographiée), a remis en cause, sinon la notion d’autonomie du
droit administratif, du moins sa portée. Il montre, en effet, que les cas dans lesquels le juge
administratif applique aux litiges mettant en cause l’administration les règles empruntées au
droit privé sont plus importants quantitativement qu’on ne le pense souvent de telle sorte que
la conception classique qui y voit des « exceptions » à l’autonomie du droit administratif
rejetant « en bloc » le droit privé devient dans bon nombre de situation critiquable.

Déjà en 1949, Charles EISENMANN montrait, à propos de la responsabilité, que


l’autonomie du droit administratif tel que la concevait la doctrine n’était pas exacte (v. « Sur
le degré d’originalité du régime de la responsabilité extracontractuelle des personnes
publiques », JCP, 1949.I.742 et 751).

Aujourd'hui, chacun convient que la spécificité des règles du droit administratif est
moins importante que ce que l'on pouvait imaginer à première vue.

Comme le note, à juste titre, Charles DEBBASCH, «le droit administratif est
progressivement intégré dans l'ordre juridique unitaire, il est de plus en plus soumis aux
règles communes à l'ensemble de notre système juridique. Mais la tendance à la spécificité
du droit administratif demeure ».

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Le critère de l'autonomie du droit administratif, in fine, ne permet d'appréhender que
partiellement le droit administratif. Quid alors du critère des bases constitutionnelles.

Section 2 : Les bases constitutionnelles

C’est le doyen Georges VEDEL qui a déterminé, voire « découvert » les bases
constitutionnelles du droit administratif. Pour lui, ces bases ne fondent peut être pas la totalité
du droit administratif, mais elles constituent aujourd'hui l'un des critères essentiels du droit
administratif.
Cette conception du droit administratif peut être saisie doublement : d’une part du
point de vue son énonciation, et, d'autre part, du point de vue de sa réception.

Paragraphe 1 : L’énonciation (du critère)

Examiner le critère des bases constitutionnelles du droit administratif du point de vue


de son énonciation consiste à analyser d’abord sa genèse avant de déterminer sa consistance.

A. La genèse (du critère)

C'est en 1954 que Georges VEDEL, dans un article intitulé « Les bases
constitutionnelles du droit administratif », paru dans Etudes et Documents du Conseil d'État
(pp. 21-53), formule le critère des bases constitutionnelles du droit administratif.

L’idée fut réactualisée en 1961 pour tenir compte des innovations contenues dans la
constitution française du 4 octobre 1958.

L'éminent auteur était parti de l'idée que si, comme on semblait unanimement
l'admettre, le droit constitutionnel fournit toutes les têtes de chapitre du droit public et,
particulièrement, du droit administratif, on devrait retrouver le reflet de cette constatation
dans la définition même de l'administration et du droit administratif. Or, constate Georges
VEDEL, c'est sur la notion de service public, étrangère aux constitutions françaises et sans
recours à des notions constitutionnelles, que la majorité de la doctrine et, au moins en
apparence, la jurisprudence, avaient construit le droit administratif, tant en ce qui concerne le
critère général de compétence juridictionnel que les règles de fond.

De cet illogisme allait découler, d'après l'auteur, certaines inconséquences qui


pourraient se résumer dans ce qu'on a appelé « la crise du service public ».

Pour Georges VEDEL, il y avait là une lacune qu'il fallait combler. Aussi lui est-il
apparu nécessaire de rechercher quelle est l'investiture constitutionnelle dont peuvent se
réclamer les organes de l'administration et la fonction administrative. Quelle est donc la
consistance du critère ainsi envisagé ?

B. La consistance (du critère)

Le critère des bases constitutionnelles peut être résumé ainsi : la Constitution distingue
les organes (le gouvernement, le parlement, l'autorité judiciaire) ; c'est des considérations
organiques et non matérielles (service public et puissance publique) qu'il faut partir en vue de
définir tout à la fois l'administration et le droit administratif. Pour ce faire, trois opérations
successives de délimitation sont nécessaires.

24
La première délimitation est de caractère organique. Elle permet d’exclure de
l'administration ce qui relève du parlement et de la juridiction et à le rattacher au
gouvernement.

La deuxième délimitation est d'ordre matériel. Elle permet d’écarter ce qui dans
l'activité gouvernementale n'a pas de caractère administratif. Se trouvent ainsi excluent de
l'administration l'activité diplomatique du gouvernement (relations avec les autres Etats et les
organisations internationales) et l'action du gouvernement dans ses rapports avec les autres
pouvoirs publics internes (exemple le parlement).

La troisième délimitation permet d’établir un lien entre les bases constitutionnelles


du droit administratif et le critère de puissance publique défendu par le doyen M.
HAURIOU. Cette délimitation fait apparaître ce qui caractérise spécifiquement
l'administration et le droit administratif à travers l'exclusion des procédés de droit privé.

Cette triple délimitation faite, l'administration est donc définie comme « l'ensemble
des activités du gouvernement et des autorités décentralisées étrangères à la conduite des
relations internationales et aux rapports entre les pouvoirs publics et s'exerçant sous un
régime de puissance publique ».

Cette conception du droit administratif a eu une réception ambivalente.

Paragraphe 2 : La réception ambivalente (du critère)

Le critère des bases constitutionnelles a été réceptionné de façon ambivalente en ce


qu’il a eu une réception doctrinale critique et une réception normative duale.

A. Une réception doctrinale critique

La critique doctrinale la plus vigoureuse a été formulée en 1972 par Charles


EISENMANN dans un article paru à la Revue de Droit Public (RDP) intitulé « La théorie des
bases constitutionnelles du droit administratif » (RDP, pp. 1345-1451).

Cette critique a été faite au lendemain d'une réédition de l'ouvrage de Georges


VEDEL, ouvrage dans lequel l'auteur avait réactualisé sa théorie. Elle peut être résumée en
trois points :

-d’abord, EISENMANN rejette l'idée selon laquelle on déduirait des bases


constitutionnelles, c'est-à-dire de la Constitution, « le régime administratif », entendu comme
ensemble des règles essentielles gouvernant l'activité administrative, c’est-à-dire le droit
administratif ;
- ensuite, il souligne que les constitutions françaises de 1875 et 1946 ignorent le mot
administration et que la constitution de 1958 (art. 20) ne l'emploie qu’au sens fonctionnel (en
termes d'activité administrative).

- enfin, il estime que les notions de prérogatives et de sujétions par lesquelles Georges
VEDEL caractérise le régime administratif n'ont aucun fondement constitutionnel.

25
Cette controverse doctrinale sur l'existence des bases constitutionnelles du droit
administratif a été tranchée par le droit positif qui a procédé à une consécration normative
duale dudit critère.

B. Une réception normative duale

La réception normative du critère des bases constitutionnelles du droit administratif


peut être doublement appréciée.

1-En France, c’est le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision n°86/224 du 23


janvier 1987, Conseil de la concurrence, a constitutionnalisé le droit administratif en lui
donnant des bases constitutionnelles dites dérivées.

Comme le note Jacques CHEVALLIER, « la décision du conseil constitutionnel du


23 janvier 1987 modifie complètement les perspectives en considérant que le principe de la
compétence de la juridiction administrative pour connaître des litiges liées à l'exercice de la
puissance publique, qui résulte du principe de la séparation des autorités administratives et
judiciaires posé par la loi du 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III, figure
au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et s'impose
donc en principe au législateur ».(…)Le conseil constitutionnel complète le processus de
constitutionnalisation de l'existence de la juridiction administrative engagée par la décision
du 22 juillet 1980(…) sur le comité technique central paritaire des enseignants de statut
universitaire ».

Il se dégage de ce qui précède que non seulement l'indépendance de la juridiction


administrative, mais encore son aptitude à connaître les litiges administratifs, font désormais
l'objet d'une garantie constitutionnelle. Ainsi, l’existence de la juridiction administrative et du
droit administratif est devenue une composante essentielle de la tradition juridique française
de telle sorte que seule une révision constitutionnelle peut la remettre en cause.

Au demeurant, la décision du conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 a contribué à


élargir « le bloc de constitutionnalité » dans un domaine qui était jusque-là mal balisé du
contentieux administratif en confortant les garanties tirées par les justiciables de l'existence
d'une juridiction administrative.

Se référant à cette jurisprudence, Georges VEDEL écrit en 1990 dans la Revue


française de Droit constitutionnel, à propos des bases constitutionnelles du droit administratif
et des échanges auxquels elles ont donné lieu que, «30 ans après, ni Eisenmann, ni moi ne
pourrions réécrire nos propos, sinon sur le terrain historique bien entendu» car, dit-il, la
discussion est devenue « obsolète ». On ajouter, à sa suite, qu'il suffit de se référer à la
décision du conseil constitutionnel du 23 janvier 1987.

2-Au Cameroun, le débat n'a pas eu lieu pour deux raisons : la première est que la
doctrine n'a, à aucun moment donné, remis en cause les fondements constitutionnels du droit
administratif. La seconde raison est que, depuis 1960, le droit administratif au Cameroun a
des bases constitutionnelles originaires. En effet, depuis cette date, toutes les constitutions
formelles du Cameroun ont consacré des dispositions relatives à l'administration et à la
juridiction administrative (v. l'article 32 de la constitution du 2 juin 1972 et les articles 38,
40 et 42 de la constitution du 18 janvier 1996).

26
En définitive, on ne peut pas dire qu'il existe un critère mais plutôt des critères du droit
administratif. De même, il existe non pas une, mais des sources du droit administratif.

TITRE II

LES SOURCES

En règle générale, lorsqu'on fait allusion au concept de sources du droit, on pense non
pas à la technique juridique envisagée « in globo » mais plutôt aux différentes normes
juridiques qui constituent ce droit. Sur ce point, il sied de procéder à la distinction d'autres
significations, notamment en opposant les sources matérielles ou sources réelles aux sources
formelles ou sources idéales.

Les sources matérielles renvoient à deux réalités ou significations qui sont cependant
très mêlées. En pratique, tantôt elles désignent les facteurs qui influencent sur le contenu de la
réglementation juridique, le substratum du droit, les données où le législateur puise son
inspiration juridique (notamment les divisions des forces sociales, l'environnement national et
l'histoire) ; tantôt elles désignent les fondements ou les bases d’une norme juridique ; c’est-à-
dire ceux ou celles qui l’expliquent en lui conférant une validité et non ceux ou celles qui la
justifie.

Les sources formelles, quant à elles, renvoient soit aux différents procédés d’édiction,
soit aux différents modes de formulation des normes juridiques (ex. : les actes juridiques
unilatéraux ou contractuels et la jurisprudence) ; soit, enfin, aux documents dans lesquels sont
contenues ces normes juridiques. C'est dans ce sens que les sources du droit seront comprises
dans le présent cours. Mais, comme l'a écrit Michel VIRALLY, « les sources ne sont pas
seulement les moyens d'élaboration des normes juridiques, il s'agit avant tout des moyens
permettant de leur conférer une force juridique, de leur octroyer une validité».

Au regard de ce qui précède, on peut classer les sources du droit administratif selon
deux critères.

Le premier critère est celui du contenant. On distingue ainsi les sources écrites et les
sources non écrites. C’est un critérium critiquable pour la raison qu'on ne peut pas considérer
qu'il existe des sources exclusivement non écrites et des sources absolument écrites. Il ne sera
donc pas adopté dans le cadre du présent cours.

Le second critérium est celui du lieu d'édiction ou d'émergence de la source. Il permet


de distinguer les sources d’origine nationale et les sources d’origine internationale.

C’est ce second critère qui sera pris en compte dans les lignes qui suivent. L’on
étudiera donc d’une part les sources nationales (chapitre1), et, d’autre part, les sources
internationales (chapitre2) du droit administratif.

27
CHAPITRE 1

LES SOURCES NATIONALES

Les sources nationales du droit administratif, autrement dit, les techniques


d'élaboration dudit droit dans l'ordre étatique, sont variées. Elles sont le fait soit d’organes
extérieurs à l'administration, soit celui des organes de l'administration.

Au regard de ce qui précède, on peut distinguer « in globo » deux catégories de


sources du droit administratif. On a d'une part, les sources externes à l'administration
(section 1), et, d'autre part, les sources internes à l'administration (section 2).

Section 1 : Les sources externes à l'administration

On peut distinguer, grosso modo, trois sources du droit administratif qui sont externes
à l'administration. Il s’agit, dans l’ordre hiérarchique, de la constitution (paragraphe 1), de la
loi (paragraphe 2) et de la jurisprudence administrative (paragraphe 3).

Paragraphe 1 : La constitution

La Constitution, source du droit administratif, peut être analysée à un triple niveau : sa


structure (A), sa relation avec l'administration (B) et la jurisprudence constitutionnelle (C).

A. La structure de la constitution

En règle générale, la constitution a deux parties : le préambule (1) et le corps (2).

1. Le préambule

Le préambule peut être considéré comme la partie introductionnelle de la constitution.


Il pose, sur le plan juridique, deux problèmes : l'un concerne sa substance, tandis que l'autre
est relatif à sa valeur juridique.

Relativement à sa substance, le préambule contient un certain nombre de principes et


règles qui permettent d'apprécier l’Etat de droit, l'Etat du droit et le niveau de réception de la
démocratie dans l’Etat considéré. On y retrouve ainsi des principes et droits proclamés ou
contenus dans les textes internationaux notamment ceux relatifs aux droits de l'homme.

Le problème est de savoir si ces principes et droits ont une force obligatoire et
contraignante ou si le préambule du point de vue de son contenu a la même valeur que les
autres dispositions de la constitution.

En France, le problème a été réglé par le Conseil constitutionnel dans une décision
rendue le 16 juillet 1971 sur la liberté d'association. En effet, à travers une acception « lato
sensu » de la constitution, le juge constitutionnel français a considéré que le préambule faisait
partie intégrante de la constitution et avait ainsi la même valeur que les autres dispositions de
la constitution.

Au Cameroun, jusqu'à la constitution du 02 juin 1972, il était difficile voire hasardeux


d'établir une égalité ou inégalité juridique entre le préambule et les autres dispositions de la

28
constitution, pour deux raisons au moins : la première est que lorsque le constituant a donné
un préambule à la constitution, il n'a pas établi expressément sa valeur juridique ; la seconde
raison est que le juge constitutionnel n'a pas eu l’occasion d’apporter des précisions sur cette
question.

Pour toutes ces raisons, la doctrine se devait d'adopter une attitude prudentielle quant à
la détermination de la valeur juridique du préambule.

Au regard de ce qui précède, on peut dire que le préambule, notamment celui de la


constitution du 02 juin 1972, avait une valeur juridique et constitutionnelle de « lege
feranda » et non de « lege lata ». On ne peut en dire autant de celui de la constitution du 18
janvier 1996 pour la raison que celle-ci dispose, de manière explicite, en son article 65, que
« le préambule fait partie intégrante de la Constitution ». Ainsi, depuis 1996, le préambule a
une valeur juridique et constitutionnelle de « lege lata » et a la même force juridique que le
corps de la constitution.

2. Le corps

Le corpus de la constitution est la partie de la constitution composée d'articles. La


constitution camerounaise du 18 janvier 1996 comprend ainsi 69 articles contenus dans 13
titres. Certes, ces articles ne concernent pas dans leur entièreté le droit administratif, mais
ceux des articles qui se rapportent à ce droit sont en nombre non négligeables et contiennent
des mesures importantes. Ces dernières sont relatives aussi bien aux règles compétentielles
qu’aux règles de fond ou substantielles.

En ce qui concerne les règles de compétence, certaines sont relatives à la répartition


des compétences entre le Président de la République et le Premier ministre en tant que
autorités administratives. Il est ainsi du pouvoir réglementaire et du pouvoir de nomination.
D'autres portent sur la répartition des compétences entre le gouvernement (pouvoir exécutif)
et le parlement (législatif) en fonction de la nature des matières. C'est ainsi que les matières
législatives relèvent de la compétence du parlement alors que les matières réglementaires
ressortissent à la compétence de l’exécutif.

En ce qui concerne les règles et principes de fond ou substantiels, ils sont contenus
dans un certain nombre de dispositions de la constitution. On peut citer : les principes relatifs
à l'Etat et à la souveraineté que l'on retrouve dans le titre I de la constitution (il s’agit, entre
autres, du caractère unitaire et décentralisé de l’Etat, du caractère social, démocratique laïc et
indivisible de la République) ; du principe relatif à la reconnaissance et à la protection des
valeurs traditionnelles conformes aux principes démocratiques, aux droits de l'homme et à la
loi ; du principe relatif à l'existence de deux langues officielles (français, anglais) ; enfin, du
principe énoncé dans le titre 6 qui consacre la supériorité des traités internationaux
régulièrement ratifiés et publiés ou approuvés sur le droit interne, en particulier, sur la loi,
sous réserve de réciprocité.

Principiellement, la méconnaissance ou la violation de ces principes par


l'administration et de bien d'autres règles constitutionnelles, constituerait un non-respect par
elle de la constitution; or, elle est tenue de se soumettre à cette dernière.

29
B. La soumission de l'administration à la constitution

C'est l'éminent juriste Hans Kelsen qui, dans son ouvrage intitulé Théorie pure du
droit, a posé les jalons d'un ordonnancement juridique comme système dans lequel les normes
juridiques sont reliées entre elles par un rapport hiérarchique.

Ainsi, les normes juridiques doivent constituer entre elles un ordre cohérent de façon à
ce que la validité de chaque norme soit établie en raison de sa conformité avec la norme
supérieure qui, elle-même, est valide parce qu’elle est conforme aux exigences et au contenu
d'une autre norme supérieure.

Ce principe fondamental de hiérarchisation des normes juridiques consacre dans l'État


la supériorité de la constitution sur les autres normes juridiques. C’est en vertu de cette
supériorité que l'administration est tenue de se soumettre à la constitution. Mais, cette
soumission n'est pas toujours automatique encore mois régulière. C'est dire qu'au-delà de la
formulation principielle de la soumission de l'administration à la constitution, la portée de
cette soumission est relative et même relativisée.

1. La formulation principielle de la soumission

En tant qu'une source du droit administratif, la constitution détermine non seulement


les règles de compétence et les principes de fond de l'administration, mais également les
règles de son organisation et de son fonctionnement. Pour ces raisons, l'administration est
tenue de se soumettre au bloc de constitutionnalité.

Ainsi, du fait de l’exigence du respect de la hiérarchie des normes, le juge


administratif a le devoir d'écarter un acte administratif lorsqu'il est contraire à la constitution.

Il est un truisme que la constitution s'impose directement au législateur. Cette


conception n'est pas opérationnelle telle quelle dans le rapport entre la constitution et
l’administration ; mais, comme le législateur, les autorités administratives ont l'obligation,
dans le cadre de leurs activités de se conformer à la constitution.

C'est dire qu'il n'existe pas d'obstacle principiel, ni d'anomalie à ce qu'un acte
administratif soit censuré par le juge administratif s'il est établi, au regard des circonstances et
des modalités de son édiction, qu’il a méconnu une disposition constitutionnelle ou un
principe consacré par le juge constitutionnel.

A ce stade de l'analyse, il sied d'apporter une précision, qui vaut son pesant juridique,
afin d'éviter toute confusion. Comme le juge judiciaire, le juge administratif n'est pas
compétent pour vérifier la conformité d'une loi à la constitution. En effet, il n'est pas le juge
des lois, mais plutôt le juge de la légalité administrative, ou alors le juge de la conformité des
actes administratifs au droit en vigueur, y compris la constitution. C'est d’ailleurs à ce titre
qu'il peut censurer les actes administratifs inconstitutionnels et assurer ainsi la soumission de
l'administration à la constitution.

Ce principe peut cependant être édulcoré pour la raison que le juge administratif ne
peut dans toutes les circonstances déclarer un acte administratif inconstitutionnel. C’est dire
que la soumission de l’administration à la constitution a une portée relative ou limitée.

30
2. La relativité de la portée de la soumission

Il existe une inflexion à la possibilité qu’a le juge administratif de censurer des actes
administratifs contraires à la constitution. Cette inflexion consiste en l’application par le juge
de (ce que l'on appelle) la théorie de l'écran législatif. Mais, cette théorie peut être contournée
par le juge administratif s’il applique (ce qu'on appelle) la théorie de l'écran transparent.

a. La limitation de la soumission : l'application de la théorie de « l'écran législatif »

La théorie de la loi écran est le résultat d'une pratique jurisprudentielle. Elle a été
invoquée pour la première fois par le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 10 novembre
1950, Fédération nationale de l'éclairage et des forces motrices.

Selon cette théorie, un juge ordinaire, notamment administratif, ne peut s'opposer à


l'édiction d'un acte administratif qui aurait un caractère inconstitutionnel car, en application
du principe de la hiérarchie des normes, son rôle est d'apprécier la conformité des actes
administratifs à la loi.

Or, si un acte administratif est inconstitutionnel, c'est manifestement parce que la


norme supérieure (la loi) l'est également. Par conséquent, l'édiction de l'acte administratif
contraire à la constitution n'est possible que parce qu'une loi en a voulu ainsi. Puisse que le
juge administratif n'est pas compétent pour apprécier la constitutionnalité d'une telle loi, son
action est, pour ainsi dire, paralysée, la loi faisant écran entre lui et la Constitution.

Pour Michel De Villiers, la théorie de la loi-écran résulte d'«une jurisprudence selon


laquelle le juge ordinaire ne peut refuser l'application d'une loi au motif de son
inconstitutionnalité, la loi fait écran entre la Constitution et les actes administratifs ».

Le président Raymond ODENT résume cette théorie en ces termes : «Quand la


légalité d'un acte administratif est contestée pour des motifs tirés de la violation de la
Constitution, la position du juge administratif est totalement différente selon qu'une loi
s'interpose entre la Constitution et cet acte, auquel cas, la loi constitue pour le juge un
écran infranchissable ; et c'est donc en fonction de la loi seule qu'il apprécie la légalité de
l'acte litigieux. Si au contraire aucune loi n'est intervenue en la matière, le juge
administratif apprécie directement par rapport à la loi constitutionnelle la légalité discutée
devant lui de l'acte administratif».

Il résulte de ce qui précède que la théorie de l'écran législatif intervient lorsque l'acte
administratif discuté a été pris conformément à une loi dont il tient le vice
d'inconstitutionnalité qui l'entache. Toute inconstitutionnelle qu'elle est, la loi fait écran entre
le juge administratif et la norme constitutionnelle. En conséquence, censurer l'acte
administratif contesté serait implicitement mais, certainement, censurer la loi dont il procède,
ou au moins, en dénoncer l'inconstitutionnalité.

Cette théorie a connu de nombreuses applications dans le contexte français. On peut


citer, entre autres : CE, 10 juillet 1954, Fédération des conseils des parents d'élèves ; CE, 26
novembre 1976, Soldani et autres ; CE, Ass. , 5 mars 1999, Rouquette.

A l’observation, la théorie de la loi écran est manifestement liée d'une part à la


limitation du pouvoir de contrôle du juge ordinaire, qui n'a pas la compétence pour opérer un

31
contrôle de constitutionnalité, et, d'autre part, à la survie d'une loi certainement
inconstitutionnelle.

Pour la Cour de Cassation (française), « le refus des tribunaux judiciaires de


contrôler la constitutionnalité des lois est un fondement traditionnel de leur jurisprudence
». Pour le Conseil d'État (français), « en l'état actuel du droit public, le moyen tiré de ce que
la loi sur le fondement de laquelle ont été pris les décrets dont il a été fait application (dans
l'affaire qu'il est appelé à trancher) serait contraire à la loi constitutionnelle du 25 février
1875 n'est pas de nature à être discuté devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux »

Des possibilités de lois écran ont existé au Cameroun jusqu’à l’avènement du Code
électoral en 2012 (loi n°2012/001 du 19 avril 2012 modifiée et complétée par la loi
n°2012/017 du 21 décembre 2012).

Il en était ainsi de la loi n°91/20 du 16 décembre 1991 fixant les conditions d'élection
des députés à l'Assemblée nationale, modifiée et complétée par la loi n°97/13 du 19 mars
1997, et de la loi n°92/02 du 14 aout 1992 fixant les conditions d'élection des conseillers
municipaux, modifiée par la loi n°95/24 du 11 décembre 1995 et par celle n°2006/010 du 26
décembre 2006.

La première loi, en particulier, disposait que tout député qui démissionne ou est exclu
de son parti politique est déchu de son mandat. Or, la Constitution dispose, en son article 15
al. 3, que « tout mandat impératif est nul ». Quoiqu'il en soit, il existe des possibilités de
contournement de la loi écran, c’est le cas lorsque le juge applique la théorie de l'écran
transparent.

b. Le contournement de la limitation: l'application de la théorie de l'écran transparent

La théorie de l'écran transparent, dont l’application permet de contourner la limitation


de la soumission de l’administration à la constitution, s'applique dans deux cas de figure au
moins :

- lorsque la loi principiellement écran est vide dans le fond ;

- lorsque le règlement viole un principe général du droit.

Dans ces deux cas, le juge administratif peut procéder à un contrôle de


constitutionnalité du règlement litigieux.

b-1) Relativement à la loi principiellement écran mais vide dans le fond, il s’agit
d’une loi qui investit simplement le gouvernement de la mission de prendre certaines mesures
sans aucune vocation à mettre en œuvre des principes.

La loi ne permet pas au gouvernement de méconnaître la constitution à l'occasion de


l'édiction des mesures qui, au surplus, ne peuvent pas être d'application. Ainsi, l'écran
législatif ne joue que pour les dispositions de fond. Il en résulte que le juge administratif va
s'affranchir de l'écran législatif qui ne contient aucune règle de fond et contrôler directement
les dispositions du règlement par rapport à la constitution (Cf. CE, 19 novembre 1986, aff.
Société SMANOR). Autrement dit, la loi sur le fondement duquel l'acte administratif est
intervenu est une loi qui s'est bornée à renvoyer à l'autorité réglementaire le soin de poser

32
certaines règles sans contenir elles-mêmes des normes de fond. Il en découle que les éventuels
vices d'inconstitutionnalité ne peuvent être imputés qu'à l'autorité réglementaire (v. CE, 17
mai 1991, QUINTIN).

b-2) Relativement à la violation d’un principe général du droit par un règlement, le


juge administratif applique la théorie de l’écran transparent en interprétant dans le sens de la
compatibilité aux principes généraux du droit les lois présentes dans certaines matières pour
statuer sur la légalité du règlement querellé.

Ainsi, la référence aux principes du droit permet au juge administratif de procéder au


contrôle du règlement dans le cas où ce dernier serait écarté par une loi manifestement
contraire à un principe général du droit. Cette loi devient donc transparente. Autrement dit, le
juge administratif peut s'en passer.

Le juge administratif camerounais a eu à adopter cette démarche dans deux cas


d'espèce à savoir : le jugement ESSOMBA Marc-Antoine rendu le 29 novembre 1979 par la
chambre administrative de la cour suprême (CS/CA, jugement n°7 du 29 novembre 1979) et,
surtout, le jugement MONKAM TIENTCHEU du 29 mai 1980 rendu par la même juridiction
(CS/CA, jugement n°40 du 29 mai 1980).

Dans cette dernière espèce, il dit en substance : « (...) Il a été jugé que même dans
l'hypothèse où une loi dispose qu'un acte donné ne peut faire l'objet d'un recours
administratif ou judiciaire, cette disposition ne saurait être interprétée comme excluant le
recours pour excès de pourvoir qui est ouvert, même sans texte, contre tout acte
administratif faisant grief et qui a pour effet d'assurer conformément aux principes
généraux le respect de la légalité ». Quid de la jurisprudence constitutionnelle entant que
source de droit administratif ?

C. La jurisprudence constitutionnelle

On entend par jurisprudence constitutionnelle l'ensemble des principes et règles que le


juge constitutionnel énonce lors du règlement des litiges. De jure, ces principes et règles font
partie de ce qu'on appelle le « bloc de constitutionnalité ».

Le juge constitutionnel français a eu à formuler à plusieurs reprises de telles règles et


principes. A titre d’exemple, il a transformé en l’élargissant la notion de constitution, en
intégrant dans ce bloc la constitution proprement dite mais également la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen du 26 aout 1789 ainsi que le préambule de la Constitution de 1946,
ce qui l’a amené a constitutionnalisé le principe de la liberté d’association (cf. CC, 16 juillet
1971, Liberté d’association).

Que dire du juge constitutionnel camerounais ? Ce dernier, à la différence de son


homologue français, s’est pour l'instant activé dans la régulation du fonctionnement des
institutions politiques. Ceci se dégage de deux décisions qu'il a rendues à l'occasion de
l'examen de requêtes introduites par un groupe de députés et relatives à la recevabilité d'une
proposition de loi déposée par le parti politique UNDP sur le bureau de l'Assemblée Nationale
et tendant à la création d'une Commission électorale nationale autonome(CENA). Il a rendu à
ce sujet deux décisions distinctes : l'une, le 5 décembre 1996 et, l'autre, le 20 février 1997.

33
Dans la première décision, il a déclaré la requête irrecevable pour la raison que la
Conférence des présidents ne s'était pas prononcée sur la recevabilité de la proposition de loi.

Dans la seconde décision, il a traité la requête au fond mais n’y a pas fait droit au
motif que la proposition de loi était de nature à accroître les dépenses de l'Etat et que le parti
politique qui l'a introduite n'avait pas indiqué comment les moyens financiers seront générés
pour faire fonctionner la structure qu'il proposait la création ( V. A.D. OLINGA, « La
naissance du juge constitutionnel camerounais : la commission nationale électorale autonome
devant la cour suprême », Juridis périodique n°36, p.72).

La constitution est certes la source suprême du droit administratif, mais elle n’est pas
la seule source dudit droit ; la loi en est une autre et non des moindre.

Paragraphe 2 : La loi

La loi dont il s'agit n'est pas exclusivement l'acte juridique édicté par le parlement.
C'est la loi appréhendée « in globo », c'est-à-dire la loi proprement dite et les actes juridiques
assimilés à la loi.

A. La loi proprement dite

La loi proprement dite comprend la loi parlementaire et la loi référendaire. Si la


souveraineté de la première est questionnée, celle de la seconde ne l’est.

1. La loi parlementaire

Au Cameroun, la constitution détermine, en son article 26 alinéa 2, le domaine de la


loi. Ainsi, en font partie les droits, garanties et obligations fondamentaux des citoyens, à
savoir :

- la sauvegarde de la liberté et de la sécurité individuelle ;


- le régime des libertés publiques ;
- le droit du travail ;
- le droit syndical ;
- le régime de la protection sociale ;
- le statut des personnes et le régime des biens (la nationalité, l'état et la capacité des
personnes, les régimes matrimoniaux, le régime des obligations civiles et commerciales, le
régime de la propriété mobilière et immobilière) ;
- l'organisation politique, administrative et judiciaire ;
- le régime de l'élection à la présidence de la République ;
- le régime de l'élection à l'Assemblée nationale et au sénat ;
- le régime des élections aux assemblées régionales et locales ;
- le régime des associations et partis politiques ;
- les questions financières et patrimoniales ;
- la programmation des objectifs de l'action économique et sociale ;
- le régime de l'éducation.

La loi parlementaire est adoptée selon une procédure particulière fixée dans la
Constitution et précisée dans les règlements intérieurs de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Que dire de la loi référendaire ?

34
2. La loi référendaire

La loi dite référendaire est celle qui émane du peuple à l'issue d'une consultation
populaire que l'on nomme référendum. Ainsi, d'après l'article 36 de la Constitution, « le
Président de la République, après consultation du président du conseil constitutionnel, du
président de l'Assemblée nationale et du président du Sénat, peut soumettre au référendum
tout projet de réforme qui, bien que relevant du domaine de la loi, serait susceptible d'avoir
des répercussions sur l'avenir de la Nation et des institutions nationales. Il en sera ainsi des
projets de loi portant sur l'organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics et sur la
révision de la Constitution. Le projet de lois est adoptée à la majorité de suffrages
exprimés ».

Au regard de l'organe qui l'adapte, la loi référendaire prime, en principe, sur la loi
parlementaire et ne peut faire l'objet de contrôle de constitutionnalité. Toutefois, elle peut être
modifiée par une loi parlementaire dont les auteurs sont bien les représentants du peuple.

Que dire de la souveraineté de la loi, notamment parlementaire, puisque la loi


référendaire ne peut être sanctionnée par aucune juridiction, même pas constitutionnel pour la
raison qu’elle émane du peuple ?

3. La souveraineté de la loi

La loi peut-elle faire l'objet de contestation ? Plus précisément, peut-elle faire l'objet
d'un contrôle juridictionnel ? Le principe de départ est celui de l'incontestabilité de la loi.
Mais ce principe a connu depuis lors des bémols. Ainsi, la loi parlementaire peut faire l'objet
de contrôle de constitutionnalité à l'initiative des instances ou des organes habilités à saisir le
juge constitutionnel.

Dans les contextes camerounais et français, ce contrôle ne concerne, en principe, que


les lois non encore promulguées par le Président de la République ; en principe, parce que la
jurisprudence française a connu en la matière une certaine évolution notamment quant à la
possibilité d'un contrôle de constitutionnalité d'une loi déjà promulguée. En effet, dans sa
décision n°99-410-D.C du 15 mars 1999, le Conseil constitutionnel a considéré que deux
articles d'une loi en vigueur et contraires au principe de la nécessité des peines devraient être
déclarés contraires à la Constitution. Ainsi, la régularité d'une loi promulguée au regard de la
Constitution peut être utilement contestée à l'occasion de l'examen par le juge constitutionnel
des dispositions législatives qui la modifie ou la complète.

Le juge administratif peut-il, à l'instar du juge constitutionnel, contrôler une loi ? En


principe non. En effet, il n'est pas de sa compétence de vérifier la conformité d'une loi à la
constitution.

Toutefois, il peut être amené, au moyen du contrôle de conventionalité, à écarter une


loi contraire à une convention internationale et invalider l’acte administratif pris en
application ou conformément à ladite loi. Par ailleurs, il peut soit vérifier l'existence d’une loi,
soit l’interpréter lorsqu'elle est silencieuse ou obscure sur le point objet du litige et ainsi
procéder à la réécriture de ladite loi.

35
Il convient d'indiquer que le principe de l'inattaquabilité de la loi devant le juge
administratif n'est cependant pas totalement remis. D'ailleurs, il connaît des prolongements à
travers les validations législatives.

Les validations législatives constituent des opérations juridiques qui consistent pour
l'exécutif à demander au parlement de reprendre les dispositions d'un acte administratif
unilatéral inégal ou annulé dans une loi. Lorsque le législateur y agrée, on dit qu'il valide
l'acte administratif en cause.

Il existe trois formes de validation législative :

- les validations expresses, qui résultent d'un choix délibéré du législateur ;

- les validations indirectes ou par référence, qui consistent soit à mentionner sous une forme
ou une autre le texte d'un acte administratif dans une loi postérieure, soit à modifier par une
loi certaines dispositions de l'acte administratif pour le valider ;

- les validations implicites, qui sont déduites d'éléments divers mais sans même que les
dispositions réglementaires validées soient mentionnées par la loi dite de validation. Au
demeurant, il existe des actes juridiques unilatéraux assimilés à la loi.

B. Les actes juridiques assimilés à la loi

Les actes juridiques assimilés à la loi sont essentiellement de deux catégories: les
ordonnances prises par le président de la République et ratifiées par le parlement, et les
actes pris en période de crise grave par l'exécutif, en l'occurrence le Président, dans le
domaine législatif.

On entend par ordonnances des actes juridiques à caractère unilatéral pris par
l'exécutif, notamment le président de la République, dans des matières législatives sur
habilitation du parlement dans un domaine déterminé et une période précise.

Tant que ces actes n'ont pas été ratifiés par le parlement, ils ont une valeur
réglementaire. Toutefois, dès qu'ils sont ratifiés, ils acquièrent une valeur législative. Ces
actes sont prévus par l'article 28 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996.

En ce qui concerne les actes pris par l'exécutif dans le domaine législatif en période
de crise grave, ils sont prévus par l'article 9 alinéa 2 de la constitution camerounaise et par
l’article 16 de la constitution française du 04 octobre 1958.

Ces actes sont édictés dans le cadre de l'Etat d'exception. Pendant cette période,
l'exécutif, en l'occurrence le président de la République, édicte des actes qui ressortissent au
domaine législatif et ne peuvent donc être contestés devant le juge administratif (CE, Ass., 19
octobre 1962, CANAL, ROBIN et GODOT).

Il en résulte une limitation certaine de l'activité du juge administratif, en l’occurrence


la limitation de sa fonction de contrôle, et, par ricochet, l’édulcoration de son activité
jurisprudentielle.

36
Paragraphe 3 : La jurisprudence administrative

La jurisprudence administrative peut être définie comme la production normative de la


justice administrative. C’est elle qui, historiquement a été au cœur de l'élaboration du droit
administratif français dans la mesure où les grands principes et règles qui jalonnent et
structurent ce droit sont une fabrication de la justice administrative, en l'occurrence le Conseil
d'État. La jurisprudence administrative a deux composantes essentielles : les règles générales
(A) et les principes généraux du droit (B).

A. Les règles générales

Les règles générales sont considérées comme des principes secondaires. Quelles sont-
elles et quelle est leur place dans l'ordonnancement juridique ?

1-La consistance des règles générales

Certaines règles générales concernent le régime de l'activité administrative, les plus


importantes étant relatives à la procédure juridictionnelle. Il en est ainsi du caractère
obligatoire de la motivation des jugements et arrêts.

Il en existe dans les domaines les plus variés. On peut citer :

- la procédure administrative non contentieuse, tel le fonctionnement des organismes


collégiaux tel le conseil de discipline, le régime général de l'action administrative (à titre
d'exemple, les conditions de la légalité de cette action en l'absence desquelles l'annulation des
décisions pourra être obtenue du juge administratif par le biais du recours pour excès de
pouvoir) ;

- le régime de la responsabilité de la puissance publique ;

- le régime général de l'exécution des contrats administratifs.

Le juge a dégagé dans ces différentes matières des règles de bonne administration qu'il
est indiqué d'appliquer en l'absence d'un texte contraire.

D'autres règles générales sont constituées de notions dégagées ou définies par le


juge. En la matière, la production jurisprudentielle est très riche. A titre d'exemple, c'est le
juge administratif qui a précisé les notions d'acte administratif, de service public, de puissance
publique, de validation législative, d'agent public, de travail public, d'acte de gouvernement et
de bien d'autres notions. Il l'a fait, évidemment, avec l'aide de la doctrine, bien que celle-ci
n'ait jamais été reconnue formellement comme une source de droit administratif. Quelle est la
place ou alors la valeur juridique de ces règles générales ?

2- La place des règles générales

De jure ou « de lege lata », les règles générales ont une valeur juridique égale à celle
des règlements édictés par l'organe exécutif. Il en résulte qu'un règlement peut modifier voire
abroger une règle générale, mais à la condition de ne pas porter atteinte aux droits et libertés
des citoyens. Que dire des principes généraux du droit ?

37
B. Les principes généraux du droit

Il existe des principes contenus dans le préambule de la Constitution : ce sont des


principes constitutionnels. Il en existe d'autres, non écrits, mais qui font aussi partie du droit
public : ce sont des principes d'ordre coutumier. La plupart de ces principes résultent des
décisions des juridictions judiciaires ou administratives voire des conclusions des rapporteurs
devant les juridictions administratives ou alors des conclusions des procureurs auprès des
juridictions judiciaires.

In fine, les principes généraux du droit peuvent être appréhendés comme des règles de
droit objectif, et non pas de droit naturel ou de droit idéal, qui sont exprimés ou non dans des
textes appliqués par la jurisprudence et dotés d'un caractère suffisant de généralité.

Quels sont ces principes et où peut-on les situer dans l'ordonnancement juridique ?

1- La consistance des PGD

Lorsqu'on analyse la jurisprudence administrative, il s’en dégage que le juge


administratif a formulé de nombreux principes généraux du droit.

On en peut citer, entre autres :

- le principe des droits de la défense (CE, 05 mai 1944, Dame veuve Trompier
Gravier ; CE, 26 octobre 1945, Aramu et autres) ;

- le principe de l'égalité de tous devant le service public (CE, 19 mars 1951, Société
des concerts du conservatoire) ;

- le principe de l'égalité de tous devant les charges publiques (CFJ/CAY, 30 avril


1968, Dame NGUE André c/ Commune de plein exercice de Mbalmayo) ;

- le principe de l'égalité de tous devant la justice (CE, 02 novembre 1956, Biberon) ;

- le principe selon lequel toutes les décisions administratives sont susceptibles de


faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (CE, 17 février 1950, Dame Lamotte) ;

- le principe de la non rétroactivité des normes administratives (CFJ/CAY, 29 mars


1969, Sieur Emini TINA Étienne c/ Etat du Cameroun). Quid de l’autorité desdits PGD ?

2- L’autorité des PGD

L’autorité juridique des principes généraux est double. D'une part, elles ont une
« valeur supra décrétale » ; autrement dit, ils sont supérieurs aux normes administratives
qu'elles soient réglementaires ou non. D'ailleurs, le juge administratif a admis que, même non
écrits, les principes généraux s'imposaient au pouvoir réglementaire autonome.

D'autre part, ils ont une « valeur infra législative », c'est-à-dire qu'ils sont inférieurs à
la loi. Il en résulte que le législateur peut toujours les contredire. Toutefois, il arrive que le
juge administratif se réfère aux principes généraux pour faire échec à une loi. Il en est ainsi

38
lorsqu’il fait application de la « théorie de l'écran transparent ». Ce faisant, il donne
certainement une force supra légale ou supra législative audit principe.

Il reste que, comme l'a si bien démontré René CHAPUS, et sauf exception, les
principes généraux du droit dans l'ordonnancement juridique ont une « valeur supra décrétale
et infra législative ».

A côté de ces principes généraux, qui font partie des sources externes à
l'administration, il en existe d'autres, mais qui sont plutôt internes à l'administration.

Section 2 : Les sources internes à l'administration

L’on peut distinguer deux catégories de sources du droit administratif internes à


l'administration : on a d'une part, les sources entièrement internes à l'administration
(paragraphe 1), et, d'autre part, les sources partiellement internes à l'administration
(paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les sources entièrement internes à l'administration

Les sources entièrement internes à l'administration sont, stricto sensu, les règlements
administratifs (A) et, lato sensu, les actes administratifs unilatéraux (B).

A. Les sources entièrement internes stricto sensu: les règlements administratifs

Les règlements administratifs sont de deux ordres : les règlements autonomes et les
règlements d'application des lois.

Les règlements autonomes sont des actes administratifs unilatéraux pris par l'exécutif
sans une quelconque référence à la loi. Principiellement, ils ne sont pas tenus de se conformer
à la loi. Au Cameroun, ils sont édictés en application de l'article 27 de la Constitution qui
dispose que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ressortissent au
pouvoir réglementaire ».

In fine, les règlements autonomes pris en application des dispositions


constitutionnelles ne dépendent pas de la loi, mais directement de la constitution.
Quant aux règlements d'application des lois, ce sont des règlements dont l'édiction
dépend de la loi. Ainsi, prévus par la loi, ils doivent être pris conformément à elle et selon ses
prescriptions.

B. Les sources entièrement internes lato sensu : les actes administratifs unilatéraux

Si l’on prend en compte le critérium matériel, on distingue deux catégories d’actes


administratifs unilatéraux : les actes réglementaires et les actes non réglementaires.

Les actes réglementaires sont des actes juridiques édictés par l’administration et ayant
un caractère général et personnel. Il en est ainsi des règlements autonomes et des règlements
d’application des lois.

39
Quant aux actes non règlementaires, ils sont de nature variée. La distinction entre ces
différents actes est qualitative et non quantitative. Ce sont des actes qui n’ont pas un caractère
général et personnel ; ils concernent soit un individu, soit un groupe d’individus.

Il existe trois catégories d’actes non règlementaires :


- les actes individuels, qui concernent, soit un individu, soit un groupe d’individus qui
ne sont pas liés. C’est le cas des délibérations des jurys d’examen ;

- les actes collectifs, qui concernent un groupe d’individus liés par une relation de
solidarité. Il en est ainsi de l’acte portant inscription des fonctionnaires au tableau
d’avancement ;

- les actes particuliers ou «sui generis», qui ne sont ni individuels ni collectifs ;


autrement dit ce sont des actes mixtes. On peut citer l’acte portant déclaration d’utilité
publique des travaux publics dans un site déterminé.

Tous ces actes constituent autant de procédés d’élaboration du droit administratif par
l’administration. Il en existe d’autres, mais qui ne sont pas édictés par la seule administration :
ce sont des sources du droit administratif partiellement internes à l’administration.

Paragraphe 2 : Les sources partiellement internes à l’administration

Les sources partiellement intrinsèques à l’administration sont des techniques


d’élaboration du droit administratif mises en œuvre par l’administration et une autre personne
juridique, notamment physique ou morale privée. On les qualifie juridiquement d’actes
administratifs plurilatéraux ou contrats administratifs.

Il existe deux critères d’identification de ces techniques contractuelles que sont les
contrats administratifs.

On a :

- d’une part, le critérium quantitatif, qui prend en compte le nombre des parties au
contrat ; ainsi, si ces parties sont au nombre de deux, l’acte est dit bilatéral et si elles sont plus
de deux, l’acte est qualifié de pluri ou multilatéral ;

- d’autre part, le critérium qualitatif, le plus important et le plus décisif, qui s’intéresse
au contenu et à la portée de l'acte contractuel. Il s'attache à la détermination des clauses et des
implications juridiques du contrat administratif.

Il existe « in globo », deux types de qualification du contrat administratif : la


qualification textuelle et la qualification jurisprudentielle.

La qualification textuelle constitue le principe. Elle est le fait soit du législateur, soit
de l'exécutif. Au Cameroun, par exemple, les contrats de partenariat, une catégorie de contrats
administratifs, sont régis par la loi ; tandis que les marchés publics le sont par un règlement.

La qualification jurisprudentielle constitue l'exception. Ainsi, le juge peut être amené


à procéder à la qualification d'un contrat soit en cas d'absence ou de silence du texte, soit en

40
cas d'imprécision ou d'ambiguïté du texte existant. Il applique, selon les cas, soit le critère
organique, soit le critère alternatif.

Le critère organique considère les parties au contrat. C'est ainsi que si le juge se rend
compte que les deux parties sont des personnes publiques, alors le contrat est administratif.
Mêmement, s'il est établi que l'une des parties est une personne publique, alors le contrat est
administratif, sauf disposition textuelle contraire. Par contre, s'il est établi que les deux parties
sont des personnes privées, le contrat est privé ; mais si l'une des parties agit au nom et pour le
compte d'une personne publique, dans ce cas, le juge considère que le contrat est
administratif.

Pour ce qui est du critère alternatif, il a deux variantes : l'une est matérielle et l'autre
est finaliste. En principe, ces deux variantes ne s'appliquent pas en même temps ou
simultanément.

Le critère matériel considère le contenu ou les clauses du contrat. Si celles-ci sont


différentes de celles d'un contrat de droit commun, alors le contrat est administratif : on parle
de clauses exorbitantes.

Quant au critère finaliste, il considère l'objet ou la finalité du contrat. Lorsque le


contrat a pour objet l'exécution par un tiers d'un service public ou alors sa participation à une
mission de service public, le contrat est administratif.

En règle générale, le contrat est considéré comme la loi des parties ; il en est ainsi en
droit privé.

En droit public, cette considération doit être relativisée pour la raison qu'il est régi,
pour l'essentiel, soit par une loi, soit par un règlement. Quand est-il des sources
internationales du droit administratif ?

CHAPITRE 2

LES SOURCES INTERNATIONALES

Entant que sources du droit administratif, les actes juridiques internationaux


(conventionnels et unilatéraux) peuvent être analysés à un double point de vue : du point de
vue de leur classification (section 1) et du point de vue leur régime juridique (section 2).

Section 1 : La classification

Les actes juridiques internationales peuvent être classifiées selon deux critères : le
critère formel ou organique (paragraphe 1) et le critère spatial ou géographique (paragraphe
2).

Paragraphe 1 : Le critère formel ou organique

Le critère formel prend en compte aussi bien les parties ou les auteurs de l’acte que la
forme voire la nature de ce dernier.

41
En ce qui concerne les parties ou les auteurs, il peut s'agir soit des États, soit des
organisations internationales. Lorsque les parties ou auteurs sont au nombre de deux, l’acte
est dit bilatéral. S’ils sont plus de deux, l’acte est qualifié de multilatéral. Enfin, si l’organe
ou l’auteur est seule ou unique, l’acte est dit unilatéral.

On peut donc distinguer d’une part, les actes conventionnels, actes primaires ou
initiaux (actes bilatéraux et multilatéraux), et, d’autre part, les actes dérivés (actes
unilatéraux) telles les décisions, les résolutions et recommandations prises par les
organisations internationales classiques à l’instar de l’ONU et de l’UA( cf. cours de DIP en
L2 et cours de Droit des OI en Master1) ainsi que les décisions, règlements et directives prises
par les organisations internationales communautaires à l’instar de la CEEAC, de la CEMAC,
de la CEDEAO, de l’UEMOA et de l’UE( cf. Cours de Droit communautaire, Master 1). Que
dire du critère spatial ou géographique ?

Paragraphe 2 : Le critère spatial ou géographique

Le critère spatial ou géographique prend en compte l'espace ou le lieu, l'aire ou


l'espace physique d’application de la convention. Ce critère permet de distinguer les
conventions à caractère universel et les conventions à caractère régional.

Les conventions à caractère universel couvrent plusieurs continents du globe (ex. : la


Charte des Nations Unies ; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; la Convention des nations
unies contre la torture).

Quant aux conventions à caractère régional, elles couvrent en principe un continent


ou quelques Etats sur une base politique ou stratégique (ex. : l’Acte constitutif de l'Union
africaine ; la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; la Convention
interaméricaine des droits de l’homme ; la Convention européenne des droits de l’homme ; le
Traité de l’OTAN ; le Traité instituant l’OPEP).

Mais, quel que soit le critérium pris en compte, les actes juridiques internationaux,
notamment conventionnels sont juridiquement encadrés.

Section 2 : Le régime juridique

Les sources extranationales, notamment conventionnelles du droit administratif sont


encadrées par un certain nombre de règles juridiques. Celles-ci sont relatives à leurs
conditions d’applicabilité ou d’introduction dans l’ordre juridique étatique, leur
interprétation et leur autorité dans l’ordre juridique étatique.

Paragraphe 1 : Les conditions d'introduction dans l’ordre interne

Les conditions d'introduction des traités internationaux dans l’ordre interne sont au
nombre de trois : la ratification et l'approbation (A), la publication (B) et la règle de la
réciprocité (C).

Lorsque le juge administratif est saisi pour le règlement d'un litige dont l’application
d’un traité est sollicitée ou invoquée, il est amené à s'assurer que ledit traité remplit ces trois
conditions.

42
A. La ratification et l'approbation

La ratification est une opération juridique qui permet de faire entrer une convention
internationale dans l'ordre étatique pour qu'elle devienne un acte juridique applicable à
l'intérieur de cet ordre et qu'au final, elle s'impose aux personnes publiques voire aux
personnes privées.

Pour faire simple, la ratification fait de la convention internationale une composante


du droit en vigueur dans l’Etat.

Au Cameroun, la ratification des traités internationaux ressortit à la compétence du


Président de la République, alors que son approbation, lorsque la matière concernée est du
domaine de la loi, relève de la compétence de l'Assemblée nationale. Ainsi, les traités et
accords internationaux qui concernent le domaine de la loi défini à l'article 26 de la
constitution sont soumis avant leur ratification à l'approbation en forme législative du
parlement (cf. article 43 de la Constitution).

Un traité n'est applicable dans l'ordre interne que s'il a été ratifié ou approuvé par les
autorités étatiques compétentes. Toutefois, il est admis que les accords en forme simplifiée
dont l'entrée en vigueur n'est soumise à aucune procédure formelle de ratification sont revêtus
en droit interne de la même autorité que les autres traités internationaux. En effet, la signature
du Président de la République, qui ordonne la publication de ces accords au Journal officiel, a
valeur d’approbation. Le conseil d’Etat français l’admis dans un arrêt en date du 13 juillet
1965, Société Navigator. Quid de la publication des traités?

B. La publication

La publication du traité international, qui conditionne également son introduction dans


l'ordre interne, se fait normalement au Journal officiel. Mais il n'en va pas toujours ainsi
notamment pour ce qui est des actes émanant d'organisations internationales dotées d'une
publication propre. C'est le cas de l’OHADA.

Un traité peut cependant produire des effets juridiques antérieurs à la date de sa


publication ; dans ce cas, on parle de rétroactivité. Celle-ci est possible si le traité a fixé lui-
même sa date d'entrée en vigueur. C’est ce qu’a affirmé le Conseil d'Etat français dans un
arrêt rendu le 8 avril 1987, PROCOPIO. Et la règle de la réciprocité alors ?

C. La règle de la réciprocité

La règle de la réciprocité constitue la troisième condition d'applicabilité du traité dans


l'ordre interne. En effet, pour qu'un traité soit introduit dans l'ordre étatique, il faut qu'il soit
correctement ou effectivement appliqué par l'autre partie ou par les autres États parties.

La condition de la réciprocité repose sur trois données essentielles :

- premièrement, il ne s'agit pas d'une condition d'ordre public. C'est dire que le juge ne
s'interroge à son sujet que si l'une des parties soutient qu'elle n'est pas remplie par l'autre
partie (Dans ce sens : CE, 25 janvier 1963, COSTA) ;

43
- deuxièmement, le juge administratif ne décide pas de lui-même si la condition est ou
non remplie à propos d'un traité donné. Ainsi, à moins que la réponse à la question ne suscite
aucun doute, il va la soumettre au ministre des affaires étrangères dont la réponse s'imposera à
lui (V. CE, 29 mai 1981, REKHOU).

- troisièmement, il est admis que la condition de réciprocité ne s'applique pas à toutes


les conventions internationales. C'est le cas des traités internationaux relatifs aux droits de
l'homme, en application du principe du droit international dont s'inspire l'article 60 de la
convention du 23 mai 1969 sur le droit des traités, lequel dispose, en son paragraphe 5 que
«les paragraphes 1 à 3 ne s'appliquent pas aux dispositions relatives à la personne humaine
contenues dans des traités de caractère humanitaire notamment aux dispositions excluant
toute forme de représailles à l'égard des personnes protégées par lesdits traités».

Au demeurant, même lorsque les trois conditions d'applicabilité du traité sont


remplies, le juge administratif ne peut faire produire d'effets juridiques à un traité que si, par
son contenu, il présente un caractère auto exécutoire, ce qui suppose la réunion de deux
conditions :

- premièrement, l'intention des auteurs du traité doit avoir été de créer directement des
droits ou obligations pour des particuliers ;

- secondement, les clauses du traité doivent être suffisamment précises pour se suffire
à elles-mêmes.

Il est à préciser que le juge administratif n'est pas compétent pour statuer sur la
conformité des traités internationaux à la constitution. Par contre et depuis 1998, le Conseil
d'Etat français statue sur la régularité de la ratification et de la publication des traités eu égard
aux conséquences qui leur sont attachées dans l'ordre interne. Ceci ressort notamment de deux
arrêts rendus par cette juridiction, l'un, le 18 décembre 1998, SARL du Parc d'activités de
Blotheim, et l’autre, le 23 février 2000, Bemba Dieng et autres.

Dans ces deux décisions, le Conseil d'Etat a procédé à l'annulation de décrets portant
publication des traités internationaux. Il faut préciser qu’il s’agit, à la vérité, d'un revirement
jurisprudentiel car avant ces décisions, le juge administratif considérait que les actes de
ratification ou de publication étaient des actes de gouvernement, c’est-à-dire des actes à
caractère politique jouissant d'une immunité de juridiction (v. CE, 16 novembre 1956, Villa).

Le problème de l'interprétation des traités par le juge administratif a connu une


évolution similaire.

Paragraphe 2 : L'interprétation

L’interprétation est une opération qui repose sur des procédures appropriées. L’on
subodore, en effet, qu'en présence d'un traité international directement applicable dans l'ordre
interne, le juge peut se trouver confronté à des situations difficultueuses d'interprétation.

Il faut dire que sur cette question, la jurisprudence administrative, française en


l'occurrence, a connu depuis 1990 une évolution significative. En effet, depuis l'arrêt GISTI
rendu par le Conseil d’Etat le 29 juin 1990, le juge administratif jouit d'une plénitude de
compétence en matière d'interprétation des traités internationaux.

44
A. L'interprétation des traités avant l'arrêt GISTI

Avant l’arrêt GISTI, le Conseil d'Etat adoptait une position ambivalente en matière
d'interprétation des traités. C'est ainsi qu'en présence d'un traité dont la signification ne prêtait
pas sérieusement à la discussion, il estimait qu'il était habilité à en déterminer l'interprétation.

A contrario, en présence d'un traité dont la signification prêtait à équivoque, il était


amené à surseoir à statuer et faire intervenir, par le biais d'une question préjudicielle,
l’autorité compétente, notamment le ministre des affaires étrangères, afin qu’elle procède à
l'interprétation dudit traité.

L’interprétation de cette autorité s’imposait au juge administratif de céans qui en


faisait application dans l'espèce traitée ainsi que dans toutes les autres espèces dans lesquelles
le même traité devait être appliqué. Tel n'est plus le cas depuis l'arrêt G.I.S.T.I.

B. L'interprétation des traités depuis l'arrêt GISTI

L'arrêt G.I.S.T.I a consacré un changement de cap ou d'orientation de la jurisprudence


en matière d'interprétation des traités. En effet, il a remis en cause les conditions
d'interprétation des traités telles que consacrées avant 1990. Il faut préciser, et cela vaut son
pesant juridique, qu'il s'agit ici des conditions d'interprétation des traités ordinaires ou
classiques, à l'exclusion de ceux conclus dans le cadre du droit communautaire.

Le juge s'est donc, de façon prétorienne, attribué la compétence d'interprétation des


traités. S’il peut consulter, pour avis, les services compétents du ministère des affaires
étrangères afin d’obtenir le sens du traité à interpréter ou recueillir l'opinion du gouvernement
sur une interprétation donnée, il soumet tous ces éléments à un débat contradictoire entre les
parties et c'est lui qui, en fin de compte, décide en toute liberté. Quid de l'autorité des traités
internationaux dans l'ordre juridique interne étatique ?

Paragraphe 3 : L'autorité des traités dans l'ordre juridique interne

En tant source du droit administratif, le traité international pose dans l'ordre juridique
étatique le problème de son autorité ou de sa place par rapport aux autres sources, notamment
la constitution, la loi et la norme administrative.

Il convient d’indiquer, avant la détermination de cette autorité ou place du traité dans


l’ordre juridique interne, que la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités
stipule, en son article 26, que « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par
elles de bonne foi », posant ainsi le respect de la règle « pacta sunt servanda ».

Le même traité précise, en son article 27, qu’« une partie ne peut invoquer les
dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité. Cette règle
est sans préjudice de l’art. 46 »( NB : cet article 46 dispose que : « 1. Le fait que le
consentement d’un Etat à être lié par un traité a été exprimé en violation d’une disposition de
son droit interne concernant la compétence pour conclure des traités ne peut être invoqué par
cet Etat comme viciant son consentement, à moins que cette violation n’ait été manifeste et ne
concerne une règle de son droit interne d’importance fondamentale.
2. Une violation est manifeste si elle est objectivement évidente pour tout Etat se
comportant en la matière conformément à la pratique habituelle et de bonne foi.»).

45
Il faut pourtant relever que, du fait des lacunes que le droit international, notamment
conventionnel, présente sur le fond et quant aux procédures de son élaboration et du contrôle
de son respect, la principale sanction de sa violation reste la responsabilité internationale de
l’Etat, lorsque ce dernier adopte des actes ou règles contraires à ses engagements
internationaux. Il en résulte que l’effet « direct » de ce droit ne conduit que de façon
exceptionnelle à une reconnaissance de l’illégalité de la norme interne et à son annulation.

A. Le traité et la constitution

Le rapport hiérarchique entre le traité et la constitution n'est pas facile à établir.

Dans l'ordre international, c’est le primat voire le règne incontestable des traités. En
effet, l'ordre juridique international minore, voire ignore la constitution des Etats. A contrario,
l'ordre constitutionnel prend en considération l'ordre juridique international et notamment les
traités.

Le problème ici est donc de savoir si le traité est supérieur ou inférieur à la


constitution. Pour répondre à cette question, il convient de considérer le traité d’abord comme
source matérielle, puis entant que source formelle.

Entant que source matérielle, le traité prend le pas sur la constitution. En effet, lors
ou à l’issue de la conclusion d’un traité, s'il est établi par les instances compétentes saisies à
cet effet (notamment les juridictions constitutionnelles) que ledit traité a des clauses
incompatibles ou contraires à des dispositions de la constitution, celle-ci doit d'abord être
révisée sur ces points d'incompatibilité ou de contrariété avant la ratification dudit traité.
C’est ainsi qu’au Cameroun, l'article 44 de la constitution dispose que « si le conseil
constitutionnel a déclaré qu'un traité ou un accord international comporte une clause
contraire à la Constitution, l'approbation en forme législative ou la ratification de ce traité
ou accord ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution ».

Certes, l’on peut également déduire de cette disposition constitutionnelle que l’Etat
peut ne pas approuver ou ratifier le traité déclaré contraire à la constitution, et ce d’autant plus
que rien ne l’oblige à réviser sa constitution ; et même si l’exécutif le souhaitait ou le
voudrait, le parlement saisi ou le peuple consulté à cet effet peut toujours rejeter le projet de
révision qu’il lui a soumis.

Entant que source formelle, lorsqu’il remplit toutes les conditions d'introduction dans
l'ordre interne déterminées par la constitution, le traité prend sa place après cette dernière.
D'ailleurs, les juges judiciaire et administratif français ont clairement affirmé que la
suprématie conférée aux engagements internationaux ne s'appliquent pas en droit français aux
dispositions de nature ou de valeur constitutionnelle (CE, 3 octobre 1998, Sarran, Levacher
et autres ; C.Cass., 2 juin 2000, Mlle Pauline FREISSE). Que dire alors du rapport entre le
traité et la loi ?

B. Le traité et la loi

S'il est incontestable aujourd'hui que la loi dans l'ordre interne est inférieure au traité,
que ce traité intervienne après ou avant la loi, il n'en était pas toujours ainsi au regard,
notamment de la jurisprudence français en la matière, et ce, malgré les dispositions de la

46
constitution du 4 octobre 1958, qui ont d'ailleurs été reprises par les différentes constitutions
camerounaises.

L'article 45 de la constitution du 18 janvier1996 dispose, en effet, que « les traités ou


accords régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité
supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord de son application par l'autre
partie ».

II faut dire que la suprématie alléguée ou affirmée du traité sur la loi a connu un
changement intéressant avec l'arrêt NICOLO rendu par le Conseil d’Etat français le 20
octobre 1989. En effet, avant cet arrêt, le juge administratif appréciait le rapport entre la loi le
traité en fonction de son antériorité ou de sa postériorité par rapport audit traité.

C'est ainsi que lorsque la loi était antérieure au traité, le juge considérait qu'elle était
implicitement abrogée et devenue inapplicable à partir du moment où le traité était entré en
vigueur.

A contrario, lorsque la loi était postérieure au traité, le juge administratif refusait


d'apprécier sa conformité au droit et en faisait par conséquent application (cf. CE, Sect., 1er
mars 1968, Synd. Gén. Des fabricants de semoules-en droit communautaire-, et CE, 19 avril
1968, Heid, en droit inter. général). La loi postérieure au traité bénéficiait ainsi d'une
présomption irréfragable de conformité audit traité.

Alors que le Conseil d’Etat était constant sur ce point, la Cour de cassation, quant à
elle, faisait prévaloir le droit international, notamment communautaire, sur la loi postérieure,
en invoquant tant le principe de l’article 55 de la constitution du 4 octobre 1958 (son
équivalent c’est l’article 45 de la constitution camerounaise) que la spécificité de l’ordre
juridique communautaire (cf. C. cass., Ch. mixte, 24 mai 1975, cafés Jacques Vabre).

C’est cette infirmité juridique qui a été corrigée par le Conseil d'Etat en 1989 dans
l'arrêt NICOLO. On a donc assisté, avec cet arrêt, à une harmonisation des jurisprudences
administrative et judiciaire quant à la supériorité du traité sur la loi, que celle-ci soit antérieure
ou postérieure au traité. Que dire du rapport entre le traité et la norme administrative ?

C. Le traité et la norme administrative

La norme administrative émane de l'administration. S’il est établi que cette norme
administrative est inférieure à la loi, il va de soi qu’elle soit aussi inférieure au traité.

Il se dégage de cette considération deux conséquences majeures :

- premièrement, si un recours est formé contre un acte réglementaire pour non-respect


ou méconnaissance d'un traité international, cet acte sera annulé par le juge administratif ;

- secondement, si un recours est dirigé contre un acte individuel ou collectif pris en


application d'un acte réglementaire, le requérant pourra contester, par voie de l'exception
d'illégalité, la validité du règlement, bien que ce dernier n'ait pas été attaqué directement dans
les délais légaux de recours. Il obtiendra par ce biais l'annulation de la décision individuelle
d'application.

47
Le juge administratif français s’est prononcé plus d’une fois sur la subordination des
actes administratifs aux traités internationaux. Il l’a fait dans l'arrêt Dame KIRKWOOD
rendu par le Conseil d’Etat français le 30 mai 1952. Dans cette espèce, le Conseil d’Etat a
eu à apprécier la légalité d'un acte d'extradition par rapport à une convention internationale.
Ce faisant, il a admis l’invocation de la violation d’un traité comme moyen d’annulation d’un
acte administratif.

Il s’est également prononcé sur cette question dans l’arrêt Moussa Koné rendu par le
CE le 03 juillet 1996 (M. Koné demandait que le Conseil d'Etat annule le décret du 17 mars
1995 accordant son extradition aux autorités maliennes, mais la haute juridiction
administrative n’y a pas fait droit au motif que le décret querellé était conforme l'article 48 de
l'accord de coopération en matière de justice entre la France et le Mali du 9 mars 1962).

Le juge administratif camerounais n'a pas été en reste sur cette question. Il a
effectivement pris position en la matière dans une espèce en date du 8 juin 1971(CFJ/CAY,
arrêt n°163/A du 8 juin 1971, affaire Compagnie commerciale et immobilière africaine des
chargeurs réunis c/ Etat du Cameroun oriental).

Dans cette espèce, en effet, il dit en substance : « Considérant que l'État du


Cameroun, sans contester le bien-fondé de la réclamation de la société des chargeurs réunis,
prétend que le juge administratif est incompétent à connaître de l'application des conventions
internationales lorsque le problème de cette application l'amène à intervenir dans les
rapports internationaux (…) ; Considérant que les conventions internationales constituent
des sources du droit interne, que leur violation peut être invoquée à l'appui d'un recours
devant le juge administratif ».

Il se dégage de cette espèce trois idées essentielles qu’il convient d’examiner :

- la première est que les questions liées à l’application des conventions internationales
sont des questions administratives et que les actes y relatifs sont des actes administratifs et
non des actes de gouvernement ;

- la deuxième idée est que les traités internationaux sont des sources du droit interne et
donc du droit administratif ;

- la troisième idée est que le juge administratif, saisi d’un recours, peut apprécier la
conformité d’un acte administratif par rapport un traité et l’annuler s’il est contraire aux
clauses dudit traité.

Au demeurant, l’acte administratif dont il s’agit est l’œuvre de l’administration, qui


est, évidemment, organisée (2nde partie).

48
2nde PARTIE

L'ORGANISATION DE L’ADMINISTRATION

L'administration est conçue sur la base d’un certain nombre de règles essentielles,
lesquelles conditionnent sa concrétisation.

TITRE I

LA CONCEPTION DE l’ADMINISTRATION

L'administration est une entité organique. Autrement dit, elle est un ensemble
d’organes dont la conception repose sur deux piliers : la personnalité morale et les principes
directeurs que sont la centralisation et la décentralisation administratives.

CHAPITRE I

LA PERSONNALITÉ MORALE

Gaston JEZE, dans une boutade restée célèbre disait : «Je n'ai jamais déjeuné avec
l'État ». L'éminent auteur réfutait, à travers cette formule, l'idée d'État détenant d’une
personnalité juridique. Il suivait en cela son maître Léon DUGUIT, qui n’avait jamais admis
que l'Etat était une personne morale en s'opposant ainsi aux défenseurs de la thèse de la
personnalité morale de l'Etat, en l'occurrence, MICHOUD, estimant que l’Etat est plutôt une
entité composée de gouvernants et de gouvernés.

Au regard de ce qui précède, c'est toute la problématique de la notion de personnalité


morale qui est soulevée. En effet, cette notion renvoie à une fiction juridique nécessaire qui
permet de faire de l'Etat, de l'administration ou de toute autre entité qui n'est pas une personne
physique, un centre d'intérêt juridiquement ou légitimement protégé, détenteur de droits et
soumis à des obligations.

Au demeurant, comment reconnaître la personnalité morale (section 1) ? Et quelles


sont les différentes catégories de personnes morales (section 2) ?

Section 1 : La notion de personnalité morale

La personnalité morale peut être appréhendée comme l'aptitude à vivre la vie


juridique, celle-ci étant constituée d’actes juridiques contractuels ou unilatéraux. A, par
conséquent, une personnalité morale, l'être pour le compte duquel peuvent être faits des actes
juridiques soit par lui-même, soit par ses représentants.

La personnalité morale permet à l'être à qui elle est reconnue, non seulement d'être
titulaire des droits et d'assumer des obligations, mais aussi d'exercer des prérogatives, d'agir
en justice et de disposer d'un patrimoine ; tel est le cas de l'administration.

La notion de personnalité morale est essentielle ; elle constitue la base fondamentale


de la technique juridique et commande la compréhension de l'ensemble des problèmes
juridiques. Mais, elle est en même temps complexe.

49
Cette double nature est observable à deux niveaux au moins : au niveau des
caractéristiques de la personne morale (paragraphe 1) et au niveau des effets inhérents à la
personnalité morale (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les caractéristiques de la personne morale

Les caractéristiques de la personne morale sont essentiellement au nombre de deux :


d'une part la réalité de base à protéger et, d'autre part, le procédé juridique utilisé pour
protéger ladite réalité.

1-En ce qui concerne la réalité de base à protéger, il s'agit d'une somme d’intérêts
qui ne sauraient se réduire à des intérêts individuels.

Les intérêts à protéger sont des intérêts collectifs correspondant à l'existence d'un
groupe humain possédant une certaine homogénéité. Parfois, ces intérêts ont bien une réalité
objective mais sans qu'aucune communauté ne soit formée autour.

2-En ce qui concerne le procédé juridique utilisé pour protéger lesdits intérêts, il
n'est autre que l'octroi ou la reconnaissance de la personnalité morale.

Cet octroi ou cette reconnaissance de la personnalité morale a un triple effet :

 les actes relatifs aux intérêts en question sont rattachés à un seul et même centre érigé
en sujet de droit, à savoir la personne morale ;
 ce sujet de droit se voit reconnaître la permanence ;
 des organes sont créés pour agir au nom de ce sujet de droit.

Quels sont alors les effets attachés à cet octroi de la personnalité morale ?

Paragraphe 2 : Les effets de la personnalité morale

Quatre effets, au moins, liés à la reconnaissance de la personnalité morale permettent


de distinguer la personne morale de la personne physique.

- La personne morale est appelée à durer, à s'inscrire dans le temps, indépendamment


des personnes physiques qui agissent en son sein ou en dehors. Il en résulte que la personne
morale échappe à la précarité des personnes physiques.

- La personne morale ne peut agir qu'en fonction des intérêts pour le service
desquels elle a été créée. A titre d’exemple, l’université de Yaoundé II a été créée pour
l’enseignement, la recherche et l’appui au développement, alors que la personne physique
peut intervenir dans tous les domaines sans limitation a priori.

- La personnalité juridique est attachée à la personne physique en ce qu'elle est


acquise de plein droit. A contrario, il faut un acte de reconnaissance ou un acte fondateur qui
reconnaisse la personnalité juridique à la personne morale pour qu'elle puisse agir dans la vie
juridique.

50
- Enfin, à la différence des personnes morales, les personnes physiques jouissent des
mêmes capacités, même si elles sont morphologiquement et moralement différentes Au
demeurant, il existe plusieurs types ou catégories de personnes morales.

Section 2 : Les différentes catégories de personnes morales

Il existe de jure et de facto une pluralité de personnes morales. Mais, on peut les
appréhender à travers deux grandes catégories. On peut ainsi faire une distinction (externe)
entre personne morale de droit privé et personne morale de droit public (paragraphe 1), et
une distinction (interne) entre les différentes personnes morales de droit public (paragraphe
2).

Paragraphe 1 : Distinction externe : personne morale de droit privé et personne


morale de droit public

Pour appréhender la distinction ci-dessus énoncée, il convient de considérer d'une part


ses traits (A) et d'autre part, ses limites (B).

A. Les traits distinctifs

Il existe des traits spécifiques aux personnes morales de droit privé et des traits propres
aux personnes morales de droit public.

1-En ce qui concerne les traits spécifiques aux personnes morales de droit privé, on
peut en déterminer principalement trois :

- leur création résulte principiellement de l'initiative privée et non d'une loi, celle-ci se
bornant seulement à en déterminer les conditions ;
- la liberté préside à la création et au maintien des personnes morales de droit privé ;
ainsi, nul n'est tenu d'y adhérer, de les créer et ne peut être contraint d'y rester ou de les
conserver ;
- la capacité des personnes morales de droit privé varie selon leur nature car, elle est
toujours limitée, sauf exception, à des actes de droit privé.

Il existe deux catégories de personnes morales de droit privé : d'une part, les personnes
privées a un but lucratif (ex : les sociétés commerciales) et, d'autre part, les personnes privées
à but non lucratif (exemple : les associations et les partis politiques).

On observe, en pratique, une multiplication, souvent désordonnée, de ces personnes


privées à but non lucratif dont certaines, sous couvert des missions sociales et culturelles
recherchent, en réalité, le profit.

2- Pour ce qui est des traits spécifiques aux personnes morales de droit public, on
peut en citer essentiellement quatre :

 elles sont créées par une autorité publique (notamment le parlement, l'exécutif et
l'organe délibérant d’une collectivité territoriale décentralisée) ;

 les particuliers n'ont, en principe, aucune liberté d'adhésion à une personne morale de
droit public ;

51
 les intérêts des personnes morales de droit public sont des intérêts publics ;

 la capacité des personnes morales de droit public s'étend au-delà des moyens d'action
de droit privé.

Les personnes morales concernées ici sont, notamment, l'Etat, les collectivités
territoriales décentralisées et les établissements publics.

A la vérité, la distinction ainsi opérée connaît des limites.

B. Les limites de la distinction

Les limites de la distinction peuvent être recherchées aussi bien du côté des personnes
morales de droit privé que des personnes morales de droit public.

1-Du côté des personnes morales de droit privé, on a l'application dans certains cas du
régime de la concession de service public qui permet à une personne privée de gérer un
service public.

On a également la création des personnes morales de droit privé par l'autorité


publique; c'est le cas, en droit camerounais, des sociétés à capitaux publics instituées par la loi
du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements et entreprises du secteur public
et parapublic.

Enfin, l'Etat peut participer à la création des sociétés d'économie mixte en y prenant
des actions et en y désignant ses membres au sein du conseil d'administration.

2-Du côté des personnes morales de droit public, on a la création des établissements
publics à caractère industriel et commercial. C'est le cas en France. Ce fut également le cas au
Cameroun jusqu'à l'ordonnance de 1995 dont les dispositions ont été reprises par la loi du 22
décembre 1999.

Il y a, au regard de ce qui précède d’une part une tendance à la privatisation de


certaines personnes morales de droit public et, d’autre part, une tendance à la publicisation de
certaines personnes privées, à travers leurs règles et modes de gestion. Tout ceci démontre
qu'une personne morale de droit public peut être plus proche d'une personne morale de droit
privé et vice versa qu'elle ne l'est d'une autre personne morale de droit public.

Paragraphe 2 : La distinction interne : la catégorisation des personnes morales


de droit public

Il existe plusieurs types de personnes morales de droit public. Ces dernières peuvent
être classées en deux catégories distinctes : d’une part les personnes publiques territoriales, et,
d’autre part, les personnes publiques fonctionnelles ou techniques.

A- Les personnes publiques territoriales sont qualifiées de personnes morales à


compétence générale. Il s'agit de l'Etat et des collectivités territoriales décentralisées. L'Etat
exerce ses compétences sur l'ensemble du territoire national. Quant aux collectivités
territoriales décentralisées, elles exercent leurs compétences sur le plan local.

52
B- En ce qui concerne les personnes publiques techniques, ce sont des personnes
morales à compétence spéciale. Il en est ainsi des établissements publics tels l'ENAM et
l'université de Yaoundé II. Elles ont des compétences spéciales parce que spécialisées dans
des domaines bien déterminés et assumant des missions bien précises qui rentrent dans leur
spécialité (exemple : universités d’Etat).

Au demeurant, l'une ou l'autre catégorie des personnes morales de droit public repose,
quant à sa conception et son organisation, sur l'un ou l'autre des principes directeurs qui
régissent l'organisation administrative et qu'il sied d’examiner.

CHAPITRE II

LES PRINCIPES DIRECTEURS

Les principes directeurs qui régissent l’organisation de l’administration sont au


nombre de deux : la centralisation (section 1) et la décentralisation (section 2)
administratives.

Ces deux principes directeurs sont des techniques d'organisation administrative de


l'Etat, notamment unitaire.

La centralisation exprime l'autoritarisme ; tandis que la décentralisation est, pour


reprendre Maurice HAURIOU, « une force libérale ».

Section 1 : La centralisation administrative

Il existe deux types de centralisation : la centralisation politique, qui « conduit à


l'unité du droit ou de la loi dans le pays », et la centralisation administrative, qui « conduit à
l'unité dans l'exécution des lois et aussi dans la gestion des services publics » (Maurice
HAURIOU, Précis de Droit administratif et droit public, 12ème éd., Paris, Sirey, 1933, p.71).

La centralisation administrative peut être envisagée à deux points de vue : celui de la


centralisation des affaires, c'est-à-dire celui de la mainmise de l’administration sur un nombre
plus ou moins grand d’affaires nationales ou de services nationaux, et celui de la
centralisation dans l’organisation des services. On a donc d'une part, une centralisation
fonctionnelle ou matérielle et, d'autre part, une centralisation organique.

La centralisation crée un centre unique d'administration selon certaines modalités


(paragraphe 1) et connait l'existence du pouvoir hiérarchique (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les modalités

Les modalités par lesquelles se réalise la centralisation administrative sont au nombre


de deux : la concentration (A) et la déconcentration (B) administratives.

A. La concentration administrative

La concentration administrative s’opère de trois manières :

- la concentration de la puissance publique;

53
- la concentration du choix des agents ;
- la concentration du pouvoir de décision et de la compétence technique.

1-La concentration de la puissance publique aux mains de l'administration centrale


de l'Etat est un fait saisissant. Elle consiste dans la concentration du droit de rendre les
décisions exécutoires et de les faire exécuter par la procédure d'action d'office.

2-La concentration du choix des agents est liée au fait que ce choix n'est pas laissé à
des corps ou organismes spéciaux ou spécialisés et ne repose pas non plus sur l'élection. C'est
le pouvoir central qui procède au choix des agents au moyen soit du concours, soit du
recrutement sur titre. Ainsi, les agents sont des commis de l'administration qui peuvent être
déplacés ou révoqués soit pour des besoins de service, soit pour cause de fautes
professionnelles. Ce faisant, ils sont tenus de prendre le mot d'ordre de l'administration
centrale.

3-Enfin, pour ce qui est de la concentration du pouvoir de décision et de la


compétence technique, elle subodore, au préalable, une différenciation et une séparation à
opérer entre la décision d’une part, et la préparation ou l’exécution de la décision, d’autre
part. Elle signifie qu’on concentre entre les mains d’une autorité centrale les pouvoirs de
décision pour une quantité d’affaires, et comme les affaires ne peuvent pas marcher sans que
les décisions soient prises, on concentre aux mains de la même autorité toutes les affaires.
Mais, si une telle concentration est permanent et continue, elle serait suicidaire pour
l'administration ; c'est pourquoi il existe en son sein une autre modalité de la centralisation qui
est un peu comme son correctif, à savoir la déconcentration administrative.

B. La déconcentration administrative

La déconcentration administrative constitue ce que le doyen Maurice HAURIOU


appelle « la participation à la puissance publique » ou encore la « délégation de la
puissance publique ».

Elle consiste, selon l’éminent auteur, «à imaginer que les pouvoirs de chaque agent
lui ont été transmis par le chef de l'État ou par les ministres et ont été puisés par ceux-ci
dans une sorte de réservoir commun de pouvoirs qui serait le réservoir de la puissance
publique ou puissance de l'État» (M. Hauriou, p.74).

De façon précise, la déconcentration consiste à créer au sein d'une même


administration des structures soit au plan technique (déconcentration par service), soit au plan
territorial (déconcentration géographique), chargées de répercuter les décisions du pouvoir
central et de s'assurer de leur bonne exécution et rendre compte à l’administration centrale.
Comme l'a écrit Odilon BARROT, (publiciste français du 18 ème siècle), « c'est le même
marteau qui frappe, mais on n'a fait que raccourcir le manche ».

Bien qu’elle soit un correctif de la concentration et partant de la centralisation, la


déconcentration aboutit simplement à la création des structures administratives non
autonomes ; c'est-à-dire de simples organes de représentation du pouvoir central, notamment
au niveau de la périphérie. C'est pourquoi il existe un pouvoir hiérarchique qui permet de
maintenir cette dépendance des organes et structures déconcentrés.

54
Paragraphe 2: Le pouvoir hiérarchique

La centralisation administrative entraîne dans l'organisation du personnel et des


services administratifs l'institution de la hiérarchie. Celle-ci signifie une sorte de superposition
de degrés dans une organisation autoritaire des agents et des services inférieurs de façon à ce
que les agents et services assument leur fonction non pas sous l'obligation directe et unique de
respecter la loi, mais aussi sous l'obligation d'obéir aux autorités administratives qui
s'interposent entre eux et la loi.

Le pouvoir hiérarchique peut être appréhendé à travers ses caractéristiques (A) et ses
procédés (B). Il s'agit d'une institution qui permet d'avoir dans l'administration une forte
discipline liée à l'obligation d'obéissance.

A. Les caractéristiques

Les caractéristiques dont il est question sont essentiellement au nombre de trois :

- le pouvoir hiérarchique existe de plein droit et est exercé comme tel par l'autorité
hiérarchique. Pour le juge administratif, il s’agit d’un principe général du droit (voir CE, 30
juin 1950, QUERALT).

- il peut être exercé soit spontanément par l'autorité supérieure, soit à la demande
des administrés par voie de recours administratif, notamment le recours hiérarchique (CE 23
avril 1965, veuve DUCROUX ; CE, 29 mars 1968, Société du lotissement de la plage de
Pampelone).

- enfin, une autorité subordonnée ou inférieure ne peut intenter un recours contre


un acte pris par l'autorité supérieure dans le cadre du pouvoir hiérarchique alors même
qu'elle estime que ses prérogatives ont été violées. Ainsi, un gouverneur ou un préfet ne peut
former de recours pour excès de pouvoir, notamment contre la décision d'un ministre qui
serait intervenue dans une matière où il aurait un pouvoir propre. La décision du ministre est
certainement entachée d'incompétence rationae materiae, mais l'autorité déconcentrée ne
serait pas recevable à l'attaquer. Il en sera de même d'un maire dans le cas où, agissant comme
agent de l'Etat, il est sous l'autorité hiérarchique du préfet. Il ne saurait attaquer l'acte de ce
dernier qui aurait annulé une de ses décisions (CE, 27 mai 1921, Tieulon).

Pour le doyen Maurice HAURIOU, il s'agit là d'un véritable devoir d'office. Cette idée
est d’ailleurs consacrée dans un arrêt du CE rendu le 9 novembre 1917, De Tinan. Qu'en est-
il des procédés du pouvoir hiérarchique ?

B. Les procédés

Le pouvoir hiérarchique s'analyse en une autorité du chef sur le subordonné au point


de vue de ce qui intéresse l'exécution de la fonction et, par suite, en une responsabilité entière
du chef pour toutes les fautes commises par ses subordonnés.

Le supérieur donne des instructions à ses subordonnés. Ces derniers doivent les suivre
à la lettre. Il fait ainsi exécuter par ses subordonnés des actes qu'il n'accomplirait pas lui-
même.

55
D'un point de vue juridique, le pouvoir hiérarchique se décompose en plusieurs
modalités. Ainsi, on a:

- le pouvoir de nomination qui est dû à ce que dans la hiérarchie administrative, les


agents sont nommés par l'autorité supérieure qui en est habilitée. Pour ce qui est du
Cameroun, on peut citer le Président de la République, le Premier Ministre et les ministres ;

- le pouvoir d'instruction, que l'on qualifie de procuration d'actions, c'est-à-dire le fait


pour un supérieur d'actionner ses subordonnés en leur détaillant des instructions à suivre ;

- le contrôle hiérarchique sur les actes accomplis par les subordonnés, qui se traduit
par un pouvoir de suspension, de réformation, d'approbation ou d'annulation. Ce contrôle
s'exerce sur les actes des agents et non sur la personne de ces derniers. Il peut être exercé non
seulement pour illégalité de l'acte de l'autorité inférieure, mais également pour inopportunité
dudit acte. Ainsi, le supérieur hiérarchique peut censurer l'exercice par le subordonné non
seulement de sa compétence liée mais aussi de son pouvoir discrétionnaire. Toutefois,
lorsqu'il s'agit d'un acte subjectif (acte individuel) ou d'un acte condition, le contrôle
hiérarchique ne peut plus s'exercer que pour illégalité (voir CE, 14 juin 1912, WULLUET) ;

- le pouvoir disciplinaire qu'a l'autorité supérieure sur la personne de ses subordonnés,


qui se traduit par la prise des sanctions à leur encontre.

- l’avancement hiérarchique, qui permet aux agents subalternes de s'élever dans les
degrés de la hiérarchie administrative.

Que dire de l’autre principe directeur qu'est la décentralisation administrative ?

Section 2 : La décentralisation administrative

La décentralisation administrative se situe aux antipodes de la centralisation. Il


s'agit d'une technique ou d' « un mouvement » (M. Hauriou) qui tend à la création d'un centre
d'administration autonome jouissant de la personnalité juridique, où le choix des organes
provient, en principe, du corps électoral, et où ces organes forment, pour reprendre le doyen
Maurice HAURIOU, des « agences collectives ou des assemblées participant au pouvoir
exécutif ».

La décentralisation administrative peut être appréhendée selon un certains critères et


connait plusieurs types. Par ailleurs, elle est soumise au contrôle de l’Etat.

Paragraphe 1 : Les critères

Les théories relatives à la décentralisation sont fondées sur quatre critères utilisés
séparément ou simultanément par la doctrine. Il s’agit de:

 la distinction entre affaires locales et affaires nationales ;


 l'autonomie juridique et financière des entités décentralisées ;
 l'élection des organes décentralisés ;
 la tentative originale esquissée par Charles Eisenmann.

56
A. La distinction entre affaires nationales et affaires locales

Il est des affaires qui relèvent du champ compétentiel des autorités locales
décentralisées et il en est d'autres qui ressortissent à la compétence des autorités centrales.
A ce sujet, Alexis de Tocqueville écrit : « Certains intérêts sont communs à toutes les
parties de la nation tels que la formation des lois générales et les rapports du peuple avec
les étrangers et d'autres intérêts sont spéciaux à certaines parties de la nation tels que par
exemple des entreprises communales ». L'auteur précise : « Concentrer le pouvoir de diriger
les seconds, c'est fonder ce que j'appellerais la centralisation administrative » (Alexis de
Tocqueville, De la démocratie en Amérique, livre 1, chapitre 5).

Ce critère a été introduit dans la théorie juridique par le législateur qui indique que
« le conseil municipal règle par ses délibérations, les affaires de la commune ».

Seulement, cette précision législative ne doit pas faire illusion, car il n’existe pas
d’affaires « locales » ou « nationales » par nature. Tout est fonction des circonstances de
temps et de lieu et du système de valeur en vigueur.

L'autre critère d'appréhension de la décentralisation est l'autonomie juridique et


financière des entités décentralisées.

B. L'autonomie juridique et financière des entités décentralisées

Le critère de l’autonomie est essentiel parce qu'il permet aux organes décentralisés de
s'affirmer juridiquement et financièrement par rapport au pouvoir central.

La généralisation de ce critère a conduit la doctrine au début du 20ème siècle à affirmer


que la décentralisation territoriale n'était pas, comme elle l’avait admis jusque-là, le seul type
de décentralisation, qu'à côté d'elle, il fallait ajouter un second type : la décentralisation par
service ou fonctionnelle ou technique ou spéciale. Le troisième critère est l'élection des
organes décentralisés.

C. L'élection des organes décentralisés

Le critère de l’élection est d'ordre politique. Il permet de bâtir la définition de la


décentralisation sur le choix électif des agents ou des organes décentralisés par leurs
administrés ou ceux qu’ils sont appelés à administrer.

Ainsi, pour le doyen Georges VEDEL (à la suite de Maurice HAURIOU), « la


décentralisation a une valeur démocratique puisqu'elle se ramène à faire gérer le
maximum d'affaires par les intéressés eux-mêmes ou par leurs représentants ». (Georges
Vedel, Droit administratif, PUF, 1961, p. 460).

Il en résulte que l'attribution de compétences à des organes non centraux et autonomes


ne suffit pas à caractériser la décentralisation. Il faut également que ces organes décentralisés
soient élus, « l'élection constituant à la fois l'expression et la garantie de leur autonomie ».
(Charles Roig, « Théories et réalités de la décentralisation », RFSP, 1966, p.449).

A côté de ce critère, il y a eu une tentative originale de caractérisation de la


décentralisation élaborée par Eisenmann.

57
D. La tentative originale de distinction élaborée par Charles Eisenmann

Cette tentative est dite originale parce qu'elle se démarque des approches classiques
d'appréhension de la centralisation et de la décentralisation (lire Charles Eisenmann,
« Centralisation et décentralisation, principes d’une théorie juridique », RDP, 1947).

La définition que propose l'auteur est structurelle et normative. Pour Charles


EISENMANN, le problème de la centralisation ou de la décentralisation est celui de l'unité ou
de la division corrélative de l'appareil étatique et de la collectivité étatique.

Ce problème est celui « des formes d'État et autres collectivités politiques, de leur
structure unitaire (simple ou composée (divisée); centralisation et décentralisation sont des
formes de l'État - l’unitaire, la composée ».

Cette définition exclut « la décentralisation par service » que Charles Eisenmann


qualifie de « pseudo décentralisation », et considère qu’il s’agit d’une conception qu’il
vaudrait mieux abandonner. Partant, de ces prémices, Charles Eisenmann distingue la
décentralisation, qui implique que la maîtrise d'une activité revienne à une multiplicité
d'organes non centraux, et la « semi-décentralisation », qui consiste à faire dépendre l'entrée
en vigueur des normes d'une double décision libre, l'une par le pouvoir central, et, l'autre par
l'organe décentralisé de la provoquer ou de ne pas l'empêcher.

Au-delà de cette appréhension critériologique de la décentralisation, il y a


l’appréhension typologique de celle-ci.

Paragraphe 2 : Les types

On peut distinguer deux types de décentralisation administrative : la décentralisation


formelle et la décentralisation matérielle.

A. La décentralisation formelle

Formellement, il est usuel de distinguer deux types de décentralisation : d'une part


celle qui intéresse les collectivités territoriales locales à savoir la décentralisation territoriale
ou géographique et, d'autre part, celle qui concerne les institutions administratives étatiques
spécialisées à savoir la décentralisation par service ou fonctionnelle.

Le premier type donne naissance à des entités autonomes ayant une compétence
générale locale (Exemple : les communes) ; tandis que le second type donne naissance à des
entités autonomes ayant une compétence spécialisée (exemple : l’université d’Etat). Qu'en est-
il de la décentralisation matérielle?

B. La décentralisation matérielle

La décentralisation matérielle est un type de décentralisation qui prend en compte le


mode de constitution des organes décentralisés. C'est ainsi qu'on peut distinguer d'une part, la
décentralisation « démocratique » et, d'autre part, la décentralisation «autoritaire», mais qui
peuvent cohabiter au sein d’une même entité décentralisée.

58
On doit cette distinction à Roger BONNARD (Roger Bonnard, Précis de droit
administratif, 4ème éd., Paris, LGDJ, 1943, pp. 316- 318).

1-Dans la décentralisation démocratique, le recrutement des autorités décentralisées


est assuré par l'élection. En effet, ces autorités sont élues par les électeurs de la circonscription
administrative considérée. C'est ce recrutement électif qui fait que cette décentralisation soit
qualifiée de démocratique. Parce qu’élues, les autorités locales subissent une certaine action
de la part des administrés. On peut donc dire que, dans une certaine mesure, ces derniers
s'administrent eux-mêmes. Comme l'écrit, fort à propos, le Doyen Roger BONNARD, « cela
est proprement le fait démocratique puisque la démocratie consiste essentiellement en ce
que les individus se gouvernent directement ou par l'intermédiaire de leurs représentants
élus ». (Roger Bonnard, p.317).

2-Dans la décentralisation autoritaire, par contre, le recrutement des autorités est


assuré par la nomination du pouvoir central (exemple : les délégués du gouvernement auprès
des communautés urbaines). Ici, la décentralisation n’est plus démocratique puisque, avec
l’absence ou la suppression de l’élection, le fait démocratique de l'action des administrés
n’existe pas ou plus. Ce faisant, les autorités nommées ne sont comptables que devant celui ou
ceux qui les ont nommées (autorités du pouvoir central) et non devant leurs administrés.

Au demeurant, que la décentralisation soit démocratique ou autoritaire, elle ne peut


exister ou être appliquée sans le contrôle de l'Etat, dans la mesure où l'entité décentralisée
n'est pas un Etat dans l'Etat mais plutôt une entité infra étatique.

Paragraphe 3 : Le contrôle étatique

La décentralisation administrative se traduit par le transfert de certaines attributions


dévolues à l’administration d'Etat aux entités territoriales ou techniques autonomes. Mais,
ces dernières ne jouissent pas d'une autonomie absolue. Ainsi, cette autonomie ne doit pas
tendre à remettre en cause l'intégrité territoriale de l'Etat. C’est pour cette raison qu’il existe
des mécanismes juridiques qui permettent à l'Etat de s'assurer que cette autonomie est utilisée
en vue d’assurer le bien-être des populations concernées et que son usage n'est pas de nature à
édulcorer ou à porter atteinte à la cohésion nationale. Toutefois, dans l’exercice de son
contrôle, l'Etat doit se conformer au droit en vigueur.

A. Les types de contrôle

La décentralisation administrative connait deux types de contrôle : un contrôle


administratif et un contrôle juridictionnel.

1. Le contrôle administratif

Le contrôle administratif ou contrôle de tutelle administrative ou encore tutelle


administrative est un contrôle que l'administration d'Etat exerce sur les entités décentralisées
sur la base des prescriptions textuelles.

Contrairement au pouvoir hiérarchique, la tutelle administrative n'existe pas de plein


droit, et ne peut donc s'exercer ex nihilo ; d'où l'adage : « Pas de tutelle sans texte ». De
même, cette tutelle ne peut être exercée « ultra petita », c’est-à-dire au-delà des textes ; d'où
l'adage : « Pas de tutelle au-delà des textes ».

59
Cette tutelle administrative a un certain nombre de caractères et s'exerce selon certains
procédés.

a. Les caractères

Premièrement, il s’agit bien d’un contrôle d'ordre administratif. En effet, il n'est exercé
que par des organes et agents administratifs de l'Etat et non par les tribunaux.

Deuxièmement, il est établi dans l'intérêt général de la collectivité afin de maintenir


les administrations décentralisées dans les limites de leurs attributions. Vu sous cet angle, il
n’est qu’une modalité de la décentralisation.

Troisièmement, il est établi dans l'intérêt des administrés afin d'éviter les abus et
surtout la tyrannie des autorités locales décentralisées.

Quatrièmement, il est principiellement confié au pouvoir central. Mais, pour des


raisons pratiques, et par souci d'efficacité et de célérité, il est exercé par les organes
déconcentrés (Préfets, Gouverneurs). Quels sont les procédés de ce contrôle ?

b. Les procédés

Le contrôle administratif ou contrôle de tutelle s'exerce aussi bien sur la personne des
organes décentralisés que sur leurs actes.

-Le contrôle sur les personnes peut se traduire par la nomination, la substitution, en
cas de défaillance ou de refus de l'autorité décentralisée de se conformer au droit en vigueur
(l'autorité de tutelle peut se substituer à l’autorité sous tutelle et agir en ses lieu et place) ;
enfin, par la sanction lorsque l'autorité sous tutelle a commis une faute grave ou une
défaillance inadmissible. Cette sanction peut se traduire par la suspension, la destitution (pour
ce qui est de l'organe exécutif) ou par la dissolution (pour ce qui est de l'organe délibérant).

2-Le contrôle sur les actes des organes décentralisés est, en principe, un contrôle de
légalité, mais peut aussi être, exceptionnellement, un contrôle d'opportunité.

Ce contrôle peut être exercé a priori et/ou a posteriori. Lorsqu'il est exercé a priori, on
parle de contrôle d'approbation. Celui-ci concerne les décisions prises par les autorités
administratives décentralisées et dont le caractère exécutoire est subordonné à un acte
d'approbation de l'autorité de tutelle.

Il existe deux modalités de contrôle d'approbation : l'approbation explicite, lorsque


l’autorité a approuvé par un acte textuel qui existe, et l'approbation tacite, lorsque l’autorité de
tutelle n’a pas agi dans les délais prescrits par la loi.

Pour ce qui est du contrôle a posteriori, il prend la forme de contrôle d'annulation,


lequel permet à l'autorité de tutelle de faire disparaître rétroactivement, par un autre acte, la
décision de l'autorité décentralisée.

Le contrôle de l'Etat sur les entités décentralisées est également juridictionnel.

60
2. Le contrôle juridictionnel

Historiquement et jusqu'à une date récente, la tutelle en droit administratif français et


camerounais se distinguait de celle en vigueur en droit anglais qui est judiciaire en ce sens que
l'autorité de tutelle ne peut s'adresser qu'au juge pour faire annuler des décisions illégales de
l'autorité sous tutelle.

La loi française du 02 mars 1982 ainsi que la loi camerounaise n°2004/017 du 22


juillet 2004 d’orientation de la décentralisation, puis celle n°2019/024 du 24 décembre 2019
portant Code général des Collectivités territoriales décentralisées, qui abroge la
précédente, ont institué un contrôle de ce genre confié, notamment, aux juges administratifs.

Les actes des autorités des collectivités territoriales décentralisées qui sont exécutoires
de plein droit peuvent être soumis au contrôle du juge administratif à l'initiative de l'autorité
administrative déconcentrée si elle estime qu’ils portent atteinte à certains droits et libertés ou
qu'ils sont illégaux. Cette autorité peut donc saisir le juge administratif pour solliciter la
suspension de l'exécution de l'acte querellé (on parle de recours aux fins de sursis à
exécution) et simultanément ou après, lui demander d'annuler ledit acte (on parle de déféré
administratif).

Le contrôle de l'Etat, notamment le contrôle administratif, connaît des limites.

B. Les limites du contrôle

La première limite est que le contrôle de l'État sur les entités décentralisées ne peut pas
se faire en méconnaissance ou en violation des textes en vigueur. L'objectif visé est de
prévenir ou alors de sanctionner des cas d'abus ou d'excès de pouvoir de la part des autorités
administratives étatiques. C'est ainsi que la possibilité est donnée ou ouverte aux autorités
décentralisées pour contester la légalité des actes des autorités administratives étatiques
devant le juge administratif. Mais, il ne s'agit pas pour ces autorités de faire apprécier
l'opportunité des actes des autorités de tutelle.

Le mécanisme prévu est à double détente. Dans un premier temps, l'autorité


décentralisée saisit l’autorité de tutelle compétente ou auteur de l’acte aux moyens d'un
recours administratif pour l'inviter à revenir sur sa décision. Si elle n’y agrée, c'est le second
temps de ce mécanisme, alors l'autorité décentralisée peut saisir le juge administratif
compétent pour en solliciter l’annulation.

En somme, si l'autorité décentralisée n'a pas obtenu satisfaction auprès de l'autorité


administrative de tutelle, elle peut, dans le respect des règles régissant le contentieux
administratif, saisir, au moyen d'un recours contentieux ou juridictionnel, le juge administratif
compétent ( le tribunal administratif territorialement compétent) pour lui demander d'annuler,
pour illégalité, l'acte contesté ou litigieux de l'autorité administrative étatique pris dans le
cadre de la tutelle administrative.

Il se dégage de ce qui précède que l'administration est une entité complexe dans son
organisation. Cette complexité s’observe aussi dans sa concrétisation (Titre 2).

61
TITRE II

LA CONCRETISATION

Les règles régissant l'organisation de l'administration permettent de saisir sa


concrétisation. On a ainsi l'administration d'Etat, les autorités administratives
indépendantes (AAI), qui ne seront ne pas abordées ici, et l'administration décentralisée.

CHAPITRE I

L'ADMINISTRATION D'ETAT

L'administration d'Etat est le déploiement administratif de l’Etat sur le territorial


national. Certaines de ses structures sont situées au niveau de la capitale politique; elles
constituent ce qu'on appelle l'administration centrale (section 1). D'autres existent au niveau
local ou de la périphérie et constituent ce qu'on appelle l’administration déconcentrée
(section 2). Mais il s'agit d'une division administrative territoriale qu'il faut considérer de
façon relative parce qu'on est toujours dans la même administration.

Section 1: L'administration centrale

L’administration centrale est généralement considérée comme le bras séculier du


pouvoir exécutif. C'est en son sein que les principales décisions administratives sont prises.

Elle est composée de trois organes : la présidence de la République (paragraphe 1),


les services du Premier ministre (paragraphe 2) et les ministères (paragraphe 3).

Paragraphe 1: La présidence de la République

La présidence de la République est le siège du pouvoir exécutif, le lieu où se conçoit la


politique gouvernementale et le lieu par excellence d’expression du pouvoir réglementaire,
c'est-à-dire le pouvoir général d'organisation et de détermination des règles de fonctionnement
de 1’Etat.

En somme, la présidence de la République est «la pompe aspirante et refoulante» ou


l’épicentre de l'administration tant en ce qui concerne son organisation que son
fonctionnement. Pour l'appréhender entant qu’organe administratif, il sied dans un premier
temps, d'étudier l'autorité qui l'incarne à savoir le Président de la République (A) et, dans un
second temps, d'examiner son organisation (B).

A. Le Président de la République

D'après la constitution, le Président de la République est le Chef de l'Etat. Il est élu au


suffrage universel direct, égal et secret à la majorité des suffrages exprimés pour un mandat
de 7 ans renouvelable.

Au-delà de ces considérations statutaires, il y a les considérations compétencielles,


notamment au plan administratif. Il se dégage, en effet, des textes en vigueur que le Président
de la République a des pouvoirs administratifs importants et variés qui peuvent être
appréhendés dans leur étendue et leur portée.

62
1-En ce qui concerne leur étendue, ces pouvoirs sont contenus dans les articles 8, 9 et
27 de la constitution du 18 janvier 1996. Il s'agit du pouvoir réglementaire (article 8 alinéa 8) ;
du pouvoir d'organisation et de création des services publics de l'État ; des pouvoirs qu'il
exerce dans le cadre de l'État d'urgence et de l’Etat d'exception (art. 9) ; du pouvoir de prendre
les actes individuels, notamment les actes de nomination aux emplois civils et militaires
(article 8 alinéa 10) ; du champ considérable des règlements autonomes (article 27).

2- Pour ce qui est de leur portée, elle est triple :

- premièrement, les actes du Président de la République ne sont pas soumis au


contreseing, autrement dit, aucune autre autorité de l’Etat n’endosse la responsabilité de ses
actes avant qu’ils n’entrent en vigueur;

- deuxièmement, le Président de la République peut déléguer certains de ses pouvoirs


au Premier ministre, aux autres membres du gouvernement et à certains hauts responsables de
l'administration d'Etat dans le cadre de leurs attributions (article 10 alinéa 2 de la
constitution) ;

- troisièmement, l'importance des pouvoirs du Président de la République est telle que


le gouvernement a plutôt un rôle «subalterne». Ce qui profite bien évidemment au secrétariat
général de la présidence de la République, maillon essentiel de l'ensemble organisationnel de
la présidence de la République.

B. L'organisation de la présidence de la République

Quelques observations préliminaires peuvent être faites par rapport à l’organisation de


la présidence de la République. La plupart des structures administratives étatiques, notamment
les ministères, ont leur correspondant au sein de la présidence de la République. Ceci permet,
par exemple, au Président de la République d'avoir à se passer desdites structures en cas
d'urgence ou de nécessité et/ou d'avoir plus ou mieux d'informations et une vue générale sur
les matières qu'il peut ou doit traiter en urgence et en toute célérité et efficacité.

Il existe au sein de la présidence de la République une administration interne (1) et


des administrations rattachées (2).

1. L'administration interne

L’administration interne de la présidence de la République est régie par le décret


n°2011/412 du 09 décembre 2011 portant réorganisation de la présidence de la République.

Cette administration comprend : le secrétariat général ; le cabinet civil ; les services


chargés des relations avec le parlement, placés sous l'administration d'un ministre délégué à la
présidence ; le ministère de la défense, placé sous l'autorité d'un ministre délégué; le ministre
délégué chargé des marchés publics ; les ministres chargés de mission ; les ministres sans
portefeuille ; les conseillers spéciaux ; les ambassadeurs itinérants ; l'état-major particulier du
Président de la République ; la cellule de communication; le secrétariat particulier du
Président de la République ; la direction de la sécurité présidentielle et de la garde
présidentielle.

63
De toutes ces structures, celle qui attire le plus l'attention au plan administratif et dont
l’examen mérite d’être fait est le secrétariat général. L’on s’intéressera aussi, mais de façon
moindre, au cabinet civil.

a)- Le Secrétariat général

Le Secrétariat général de la présidence de la République, au-delà des considérations


d'ordre juridique, fait l'objet de convoitise et de controverse. L’on voit généralement en celui
qui le dirige un « vice-président », voire un « président de fait », et l'on s'interroge alors sur sa
place réelle dans la hiérarchie organique de l’administration d'État.

a.1-L’organique

Le Secrétariat général de la présidence de la République est placé sous l'autorité d'un


secrétaire général ayant rang de ministre, assisté de deux secrétaires généraux adjoints ayant
rang de ministre. Il comprend : des conseillers techniques ; des chargées de missions ; des
attachées ; les secrétaires particuliers du secrétaire général et des secrétaires généraux
adjoints ; des services internes.

a.2- Le fonctionnel

Au niveau des fonctions, le secrétariat général est chargé des relations entre la
présidence de la République et le gouvernement. Il assure la liaison entre l'exécutif et les
différentes institutions républicaines, à l'instar du parlement, du conseil économique et social,
du conseil constitutionnel, de la cour suprême et du contrôle supérieur de l'État.

Le Secrétariat général a un organe central qui est le secrétaire général, principal


collaborateur du Président de la République. Il assiste ce dernier dans l'accomplissement de sa
mission.

A ce titre, il reçoit de lui toute directive relative à la définition de la politique de la


nation; il suit l'exécution des décisions prises par lui. Il coordonne l'action des administrations
rattachées à la présidence de la République. Il instruit les dossiers qu’il lui confie et suit
l'exécution des instructions données par lui. Il soumet à sa signature les projets d'actes de
toute nature émanant soit des services du Premier ministre, soit des administrations rattachées
à la présidence de la République.

Il assure la préparation des correspondances présidentielles relatives au dépôt des


projets des lois sur le bureau de l'assemblée nationale, du sénat et du conseil économique et
social, en ce qui concerne les demandes d'avis ou d'étude sur des projets de textes à caractère
économique et social, ainsi que du contrôle supérieur de l'État.

Il veille à la réalisation des programmes d'action approuvés par le Président de la


République et impartis aux chefs de départements ministériels et aux services relevant de la
présidence de la République. Il exerce le rôle du conseil juridique de la présidence de la
République et des administrations rattachées.

Au total, à travers le secrétaire général, le secrétariat général de la présidence de la


République assure une triple fonction :

64
- la coordination,

- le conseil juridique,

- la collaboration.

Dans l'exercice de ses attributions, le secrétaire général reçoit une délégation de


signature du président de la République.

b)- Le Cabinet civil

Le Cabinet civil est chargé des affaires réservées, du protocole d'État, de l'intendance
du palais, des résidences et pavillons présidentiels. Il est placé sous l'autorité d'un directeur
(éventuellement) assisté d'un directeur adjoint.

Il comprend : des conseillers techniques ; des chargés de missions ; des attachés ; le


secrétariat particulier du directeur, celui du directeur adjoint ; enfin, des services internes.

2. Les administrations rattachées

Les administrations rattachées à la présidence de la République sont, entre autres, les


services du contrôle supérieur de l'État ; la grande chancellerie des ordres nationaux ; la
délégation générale à la sûreté nationale en ce qui concerne son administration, la direction
générale de la recherche extérieure en ce concerne son administration ; le programme de
formation bilingue.

Toutes ces administrations rattachées concourent à l'exercice des prérogatives


administratives confiées au secrétaire général, sous l’autorité du Président de la République.

Il existe, en dehors de cette administration de la présidence de la République, d'autres


structures et organes ayant aussi des missions administratives. C'est le cas des services du
Premier ministre.

Paragraphe 2 : Les services du Premier ministre

Les services du Premier ministre constituent une sorte de reproduction de


l'organisation administrative de la présidence de la République. Ils exercent au plan
administratif des fonctions non négligeables.

Ces fonctions administratives sont exercées au premier chef par le Premier ministre
(A) qui est secondé dans sa tâche par un ensemble de structures hiérarchisées (B).

A. Le Premier ministre

D'après la constitution, le Premier ministre est le chef du gouvernement. Il dispose


d'attributions déterminées par la constitution (v. article 12), et précisées par un décret
présidentiel. Il est nommé et révoqué par le Président de la République, qui fixe ses
attributions (cf. décret n°092/089 du 4 mai 1992), lesquelles ont une certaine portée.

65
1- La consistance des attributions du PM

In globo, le Premier Ministre détient, au regard de la constitution, le pouvoir


réglementaire, le pouvoir de prendre des actes individuels, le pouvoir d’exécuter les lois
(article 12).

Ces différentes attributions sont précisées par voie décrétale. Le premier texte
réglementaire fixant ou précisant les attributions du Premier ministre est intervenu après la
révision constitutionnelle du 23 avril 1991 : c'est le décret n°91/282 du 14 juin 1991. Il a été
abrogé et remplacé par le décret n°92/089 du 4 mai 1992, lequel a été modifié et complété par
le décret n°95/145-bis du 14 août 1995.

Le décret n° 92/089 est marqué du sceau de l'emprise du Président de la République


sur le Premier ministre. On est même tenté de s'interroger sur sa conformité à la constitution,
même si celle-ci dispose, en son article 10, que les attributions du Premier ministre sont fixées
par le Président de la République.

D'après ce décret, le Premier ministre est chargé, suivant l'orientation donnée par le
Président de la République, de l’impulsion, de l'animation, de la coordination et de la
supervision des services placés sous son autorité. Il veille à la réalisation des programmes
d'action des ministères approuvés par le président de la République. Il coordonne la
préparation des actes administratifs réglementaires à soumettre à la sanction du Président de la
République. Il anime et coordonne les politiques de communication des départements
ministériels.

Le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire par voie de décret, d'arrêté, de


circulaire, d'instruction générale ou de directive. Il peut, d’après le décret n°92/089, « entant
que de besoin » (formule non prévue par l’article 12 alinéa 2 de la constitution) signer les
décrets d’application des lois votées par l'Assemblée nationale. Il prend également des actes
individuels sous forme de décret ou d’arrêté concernant, notamment l'intégration,
l’abaissement d'échelon, de classe ou de grade, la révocation des fonctionnaires de la
catégorie A de la fonction publique, l’expulsion du territoire national, l'agrément à la
profession d'exploitant forestier, l’octroi des licences d'exploitation forestière, les
changements de nom, les dispenses d'âge, les expropriations et incorporations au domaine
privé de l'État, l’indemnisation des victimes pour cause d'utilité publique, l’approbation des
plans de lotissement et d'urbanisme, l'affectation des terrains domaniaux (après approbation
du Président de la République), l'approbation du transfert à l’Etat des établissements privés
d'enseignement, l'admission au stage d'huissier de justice, la nomination des chefs de premier
degré (après approbation du Président de la République).

Par ailleurs, le Premier ministre nomme aux emplois civils de directeurs et assimilés
des administrations centrales placées sous son autorité (après approbation du Président de la
République). Quid de la portée de ses attributions ?

2- La portée des attributions du PM

La portée des attributions du Premier ministre est triple :

66
 d'abord, le premier ministre reçoit du Président de la République des instructions en
tant qu’autorité subordonnée, en vertu des règles et principes qui sous-tendent l'exercice
du pouvoir hiérarchique ;

 ensuite, la plupart de ses actes sont soumis à l’approbation du Président de la


République. On trouve là également la manifestation du contrôle hiérarchique que le
Président de la République exerce sur ses actes ; en effet, d’après l’article 5 du décret
n°92/089, l’approbation du Président de la République est expresse et revêt un visa ;

 enfin, il peut déléguer certaines de ses attributions, en application de l’article 12 alinéa


5 de la constitution et de l’article 8 du décret n°92/089, à d’autres organes ou autorités
de l’Etat, notamment aux membres du gouvernement et à des hauts responsables de
l'administration de l'État.

Que dire de l'organisation des services du Premier ministre ?

B. L’organisation des services du Premier ministre

Les services du Premier ministre comprennent, entre autres : le Secrétariat général ; le


Cabinet et le secrétariat particulier du PM.

1- Le Secrétariat général

Le secrétariat général assiste le premier ministre dans l'accomplissement de ses


missions. A ce titre, il reçoit de lui les directives relatives à l’organisation du travail du
gouvernement et à la mise en œuvre des grands objectifs du gouvernement dans les secteurs
relevant de sa compétence. Il veille, sous l'autorité du Premier ministre, à la réalisation des
programmes d'action du gouvernement approuvés par lui et impartis aux chefs des
départements ministériels, à l'exception de ceux relevant de la présidence de la République. Il
suit l'exécution des décisions prises par le Premier ministre. Il instruit les dossiers que celui-ci
lui confie. Il assure la liaison avec le secrétariat général de la présidence de la République en
ce qui concerne la préparation des conseils ministériels. Il exerce le rôle de conseil juridique
du gouvernement dans les secteurs relevant de la compétence du Premier ministre.

Le Secrétariat général est dirigé par un secrétaire général ayant rang et prérogative de
ministre, assisté (éventuellement) d’un secrétaire général adjoint, ayant rang et prérogative de
ministre.

Le Secrétaire général assure la supervision et la coordination des services rattachés, la


préparation des arbitrages du Premier ministre, l'efficacité de l’action gouvernementale. Pour
l'accomplissement de cette mission, il reçoit du premier ministre une délégation de signature.

Les services internes du secrétariat général sont constitués, entre autres, du secrétariat
particulier du secrétaire général, (éventuellement) du secrétariat particulier du secrétaire
général adjoint, du service des ressources humaines, du secrétariat des conseils de cabinet, de
la direction des affaires législatives et règlementaires, de la direction des affaires
administratives et des requêtes, de la direction du courrier gouvernemental et des archives, de
la direction des affaires générales, de la direction de la traduction et de l'interprétation.

67
Quid des autres structures des services du premier ministre que sont le cabinet et le
secrétariat particulier du premier ministre ?

2- Le Cabinet et le secrétariat particulier du Premier ministre

a)- Pour ce qui est du cabinet du Premier ministre, il est placé sous l'autorité d'un
directeur de cabinet ayant un rang et prérogative de ministre. Il est chargé des affaires
réservées, des audiences du Premier ministre, des travaux d'équipement des services et de la
résidence du Premier ministre, du protocole et des voyages officiels du PM.

b)- Pour ce qui est du secrétariat particulier du Premier ministre, il est placé sous
l'autorité d'un secrétaire particulier ayant rang et prérogative de directeur de l'administration
centrale. Il relève administrativement du cabinet du Premier ministre.

En dehors de ces structures, il est prévu des services rattachés comme la Haute autorité
de la fonction publique de l’Etat et le Conseil National de la Communication et Commission
nationale des Droits de l’Homme et des Libertés.

Les services du Premier ministre, tout comme ceux de la présidence de la République,


ne peuvent pas assumer toutes les charges dévolues à l'administration centrale. C'est la raison
pour laquelle il existe des ministères qui interviennent dans le cadre des compétences
administratives déterminées par le Président de la République.

Paragraphe 3 : Les ministères

Les ministères constituent le bras séculier du gouvernement. Il s'agit de structures qui


sont à la fois politiques et administratives ; mais c'est sur le plan administratif qu'ils sont
étudiés en droit administratif.

Les ministères jouent un rôle très important dans la conception et la réalisation de la


politique gouvernementale ainsi que dans l'application des lois et règlements de la
République.

Il convient de s’intéresser d’abord à leur nombre et leur classification, ensuite à ceux


qui sont à leur tête, à savoir les ministres, enfin à leur organisation interne.

A- Le nombre et la classification

1- Le nombre des ministères n'est pas déterminé à l'avance par un texte. Sa


détermination est fonction de plusieurs paramètres convergents ou divergents, conjoncturels
ou structurels, politiques ou économiques et sociaux. Ainsi, des facteurs politiques peuvent
favoriser la prolifération des ministères ; a contrario, des facteurs socioéconomiques peuvent
favoriser ou imposer plutôt leur réduction.

2- Par ailleurs, il n'y a pas, sur le plan juridique, une hiérarchie entre les ministères.
Tous se valent car ils sont formellement égaux. Mais, il existe ou peut exister une hiérarchie
entre les ministres.

Quoiqu'il en soit, seul le détenteur du pouvoir de création et d’organisation des


ministères, à savoir le président de la République, a compétence pour apprécier le nombre des

68
ministères que doit avoir le gouvernement de son pays. En revanche, il est possible de
procéder à une classification des ministères.

3- La classification des ministères peut être opérée à partir du décret n°2011/408 du


09 décembre 2011 portant organisation du gouvernement, complété par le décret n°2018/190
du 02 mars 2018 (qui institue le Ministère de l’Administration territoriale et crée le Ministère
de la Décentralisation et du Développement local). Ainsi, on peut repartir les ministères en
trois grandes catégories :

 dans la première catégorie, on a les ministères de souveraineté (ex. : le ministère des


relations extérieures, ministère de la Justice, le ministère de la défense, le ministère de
l'administration territoriale et de la décentralisation) ;

 dans la deuxième catégorie, on a est les ministères à vocation économique (ex. : le


ministère des finances, le ministère de l'économie, le ministère du commerce, etc.) ;

 dans la troisième catégorie, enfin, on a les ministères techniques (ex. : le ministère de


l’habitat et du développement urbain, le ministère de l'enseignement supérieur, le
ministère de la communication, le ministère des arts et de la culture, le ministère des
transports, etc.). Quid du ministre alors ?

B- Le ministre

On a à la tête du ministère le ministre, autorité politique et administrative nommée par


le président de la République (sur proposition du Premier ministre). En tant qu'autorité
administrative, il relève hiérarchiquement du premier ministre.

Le ministre est chargé d'exécuter ou de suivre les décisions prises par le Président de
la République et le premier ministre. Par ailleurs, il détient un pouvoir règlementaire délégué
et un pouvoir de nomination qu'il exerce sous le contrôle du premier ministre (par le biais du
visa). Il peut, selon les cas, être assisté d’un ou deux ministres délégués, d’un Secrétaire
d’Etat. Que dire de l’organisation interne des ministères ?

C- L’organisation interne

L’organisation interne des ministères est fixée par décret présidentiel. Elle est fonction
des particularités intrinsèques et/ou extrinsèques et des missions de chaque ministère.

Le ministre a des collaborateurs directs. Il en est ainsi de son chef de secrétariat


particulier, des conseillers techniques et des inspecteurs généraux.

En dehors de ces collaborateurs directs du ministre, chaque ministère est doté d’une
administration centrale qui comprend, entre autres, le secrétariat général dirigé par un
secrétaire général, principal collaborateur du ministre, nommé par décret du Président de la
République et chargé de diriger l'administration du ministère ; des directions générales (créées
dans certains ministères à l’instar du ministère des finances et du ministère de
l'économie), placées sous l’autorité de directeurs généraux nommés par décret présidentiel;
des directions et des divisions ayant respectivement à leurs têtes des directeurs et des chefs de
division, nommés par décret du premier ministre, après visa expresse du président de la
République; des sous-directions, dirigées par des sous-directeurs ; des services ayant à leur

69
tête des chefs de service, tous nommés par arrêtés du ministre, après visa expresse du premier
ministre.

Au total, l'administration centrale de l’Etat est une organisation complexe et


composite. Elle assume des tâches administratives qui couvrent l’ensemble du territoire
national ; seulement son action ne peut être effective et efficace que si elle a des relais,
notamment au plan local. C'est ce qui justifie l'existence de l'administration déconcentrée.

Section 2 : L'administration déconcentrée

L’administration déconcentrée assure au niveau local les missions dévolues à


l’administration d’Etat. Elle a deux caractéristiques essentielles :

 la 1ère est qu’elle n’a pas de personnalité juridique propre ;

 la 2nde, qui découle de la 1 ère, est qu’elle agit au niveau local au nom et pour le compte
de l’administration centrale ; autrement dit, pour reprendre Odilon Barrot, « c’est le
même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche ».

Au regard la règlementation en vigueur, l’administration déconcentrée a trois


composantes que sont : les circonscriptions administratives, les services extérieurs de
ministères et, dans une certaine mesure, les chefferies traditionnelles, une sorte
d’administration déconcentrée sui generis.

Paragraphe 1 : Les circonscriptions administratives1

Le décret n°2008/376 du 12 novembre 2008 (qui a abrogé le décret n°72/349 du 24


juillet 1972) portant organisation administrative de la République du Cameroun, divise celle-
ci en région, département et arrondissement. Il prescrit, par ailleurs, que les districts existant
vont continuer de fonctionner jusqu’à leur érection en arrondissement (ce qui a été fait).

Les circonscriptions administratives (région, département et arrondissement) sont


créées par décret du Président de la République, qui en fixe les limites territoriales. Il convient
d’analyser d’une part, la région (A) et, d’autre part, les autres circonscriptions administratives
(B).

A- La région

La région, créée par le décret n°2008/376 du 12 novembre 2008, a remplacé la


province, qui avait été instituée par le décret n°72/349 du juillet 1972. Il existe dix régions au
Cameroun. Le décret n°2008/376 prévoit que d’autres régions peuvent être crées par décret
présidentiel.

Afin d’éviter toute confusion, il convient de préciser que la région est, par ailleurs,
d’après le titre 10 de la constitution du 18 janvier 1996, une collectivité territoriale
décentralisée. C’est dire qu’elle a un double statut.

1
Sur l’ensemble de la question, lire Gabriel François LITET, La circonscription administrative en droit public
camerounais, Mémoire de master II en droit public interne, Université de Yaoundé II, FSJP, 2014-2015, 121p.

70
1- Entant que circonscription administrative, la région est placée sous l’autorité
d’un gouverneur. Celui-ci est nommé par décret présidentiel et est sous l’autorité
hiérarchique du ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation.

Les attributions du gouverneur et autres autorités qui l’assistent sont déterminées par
le décret n°2008/377 du 12 novembre 2008 (qui a abrogé le décret n°78/485 du 09 novembre
1978).

Au regard de ce décret, le gouverneur est le dépositaire de l’autorité de l’Etat dans la


région. Il est à la fois le représentant du Président de la République, du chef du gouvernement
et de chacun des ministres. Il assure, sous l’autorité des ministres compétents, la supervision
générale, la coordination et le contrôle de l’activité des services déconcentrés de l’Etat dans la
région, à l’exclusion de ceux relevant de la justice. Il est chargé de la gestion des
fonctionnaires et agents de l’Etat en poste dans les services déconcentrés de l’Etat dans la
région (tous les agents de la région sont gérés par le gouverneur à l’exclusion de ceux relevant
de la justice, des forces armées, de la défense et de la sureté nationale). Il peut demander à
tous les services publics installés dans la région des informations nécessaires à
l’accomplissement de sa mission. Ainsi, les chefs de services déconcentrés de l’Etat ainsi que
les responsables des établissements et organismes publics et parapublics installés dans la
région doivent le tenir informé de toutes les affaires ayant une importance particulière.

Le gouverneur rend périodiquement compte, par voie hiérarchique, de son action de


coordination dans la région au Président de la République. Il dispose des forces de police, de
la gendarmerie et de l’armée dans le cadre des lois et règlements fixant les modalités d’emploi
desdites forces. Il dispose également de tous les pouvoirs qui lui sont attribués par les lois et
règlements. Il peut, en cas d’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat ou à l’ordre
public, accomplir personnellement ou requérir tout agent ou autorité compétente d’accomplir
tous actes nécessaires à l’effet de constater les crimes et les délites et d’en livrer les auteurs
aux tribunaux dans les formes et délais prescrits par les textes en vigueur.

Le gouverneur exerce sur la région, en tant que collectivité territoriale décentralisée, et


sur les établissements publics régionaux les pouvoirs de tutelle de l’Etat, conformément à la
législation en vigueur.

2- Il existe des services placés sous l’autorité du gouverneur qui l’assistent dans
l’accomplissement de ses missions. Ces services sont : un secrétariat particulier, un cabinet,
une inspection générale des services régionaux, un secrétariat général des services du
gouverneur.

Le secrétariat général comprend, entre autres, un secrétaire général, une division des
affaires administratives et juridiques, une division de la police et de l’organisation
administrative, une division des affaires économiques, sociales et culturelles, une division du
développement régional.

Quant à l’inspection générale des services régionaux, placée sous l’autorité d’un
inspecteur général, elle est chargée, entre autres, du contrôle interne et de l’évaluation du
fonctionnement des services du gouverneur, des préfectures et sous-préfectures. L’inspecteur
général est assisté de deux inspecteurs.

Que prévoit la règlementation pour les autres circonscriptions administratives ?

71
B- Les autres circonscriptions administratives

Les autres circonscriptions administratives existant au Cameroun sont : le département


et l’arrondissement.

1. Le département

Il existe actuellement au Cameroun 58 départements. Le département est placé sous


l’autorité du préfet, nommé par décret du Président de la République. Il est le dépositaire de
l’autorité de l’Etat dans le département. Il est à la fois le représentant du Président de la
République, du gouvernement et de chacun des ministres dans le département.

Le préfet est placé sous l’autorité directe du gouverneur. Assisté d’adjoints


préfectoraux, le préfet est investi dans le département, pour le compte du gouvernement,
d’une mission permanente et générale d’information et de coordination, en matière sécuritaire,
économique, sociale et culturelle. Il veille au maintien de l’ordre, à l’exécution du plan et des
programmes de développement économique et social dans le département, sous l’autorité des
ministres compétents et du gouverneur. Il assure la supervision générale, l’animation, la
coordination et le contrôle des services de l’Etat installés dans le département, à l’exception
de ceux relevant de la justice. Il gère l’ensemble du personnel de l’Etat installé dans le
département, à l’exception de ceux de la justice, des forces armées et de sureté nationale.

Le préfet dispose des forces de police, de la gendarmerie et de l’armée dans les


conditions fixées par les textes en vigueur. Il dispose également des pouvoirs à lui délégués
par le gouvernement et le gouverneur et des pouvoirs de tutelle sur les communes et
établissements publics communaux, conformément aux textes en vigueur. En outre, il peut
prendre des actes nécessaires, en cas d’atteinte à la sureté intérieure ou extérieure de l’Etat ou
à l’ordre public, et livrer les auteurs aux tribunaux dans les formes et délais prescrits par les
textes en vigueur.

Les services chargés d’assister le préfet dans ses fonctions sont, entre autres : le
secrétariat particulier, le service des affaires générales, le service des affaires administratives,
juridiques et politiques, le service des affaires économiques et financières et le service des
affaires sociales et culturelles. Qu’en est-il de l’arrondissement ?

2- L’arrondissement

Il existe actuellement 358 arrondissements au Cameroun. L’arrondissement est placé


sous l’autorité du sous-préfet, nommé par décret du Président de la République.

Le sous-préfet est un haut fonctionnaire de l’Etat. Il est le dépositaire de l’autorité de


l’Etat dans l’arrondissement. Placé sous l’autorité directe du préfet, il est chargé, entre autres,
du maintien de l’ordre, de l’exécution des lois, règlements et décisions du gouvernement ainsi
que de la coordination et du contrôle de l’activité des services publics installés dans
l’arrondissement, à l’exclusion de ceux de la justice, de la gestion des personnels des services
de l’Etat installés dans l’arrondissement.

Pour l’accomplissement de sa mission, le sous-préfet dispose de la force publique dans


le cadre des textes fixant les modalités d’exercice de cette force. Il exerce son pouvoir
règlementaire par voie de décision.

72
Le sous-préfet est assisté d’un adjoint dont il détermine les attributions et qui assure
l’intérim en cas d’empêchement du sous-préfet.

Les services de la sous-préfecture sont : le secrétariat particulier, le bureau du courrier,


le bureau des affaires générales, le bureau des affaires administratives, juridiques et politiques
et le bureau d’appui au développement local.

Il existe au sein des circonscriptions administratives des services extérieurs des


ministères qui participent aussi de la déconcentration de l’administration d’Etat.

Paragraphe 2 : Les services extérieurs des ministères

Les services extérieurs des ministères constituent l’administration déconcentrée


desdits ministères. On en trouve au niveau régional, départemental et de l’arrondissement.

Les responsables desdits services sont placés sous l’autorité hiérarchique de leurs
ministres et sous l’autorité des chefs des circonscriptions administratives, en fonction du
niveau territorial auquel ils appartiennent. Ce sont, pourrait-on dire, les relais locaux des
ministères et des ministres. Leurs attributions sont fixées par des textes qui organisent leurs
ministères respectifs. C’est dire qu’il faut se référer à ces textes pour appréhender à suffisance
l’importance et les limites de leurs attributions.

Il existe d’autres entités qui, primitivement, ne font pas partie de l’administration,


mais qui y ont été intégrées depuis la « colonisation » et constituent un type particulier ou
« sui generis » d’administration déconcentrée. Il s’agit des chefferies traditionnelles.

Paragraphe 3 : Le type particulier ou « sui generis » : les chefferies traditionnelles

Les chefferies traditionnelles sont régies par le décret n°77/245 du 15 juillet 1977. Sur
le plan historique, elles constituent des formes initiales d’organisation sociale et politique des
sociétés africaines. Celles-ci, dont les règles d’organisation et de fonctionnement n’étaient pas
écrites, avaient une organisation fortement hiérarchisée.

Leur encadrement par des règles écrites est intervenu avec l’arrivée et l’installation des
« colons » occidentaux en Afrique. Après l’indépendance, cet encadrement a été maintenu et
renforcé. Aussi, peut-on dire aujourd’hui que ce que l’on appelle « chefferie traditionnelle »
est en réalité une collectivité au statut hybride, car elle repose sur le droit moderne, qui est
écrit, et le droit coutumier, qui est non écrit.

Cet « hybridisme juridique » se caractérise par une forte emprise de l’Etat sur ces
entités traditionnelles. C’est la raison pour laquelle on les classe parmi les structures
administratives déconcentrées.

Les chefferies traditionnelles sont organisées en plusieurs catégories (A), avec des
chefs qui ont un statut(B) et des attributions (C).

73
A- La typologie des chefferies traditionnelles

Les chefferies traditionnelles sont organisées sur une base territoriale. Elles
comprennent trois degrés hiérarchisés, à savoir : la chefferie de premier degré, la chefferie de
deuxième degré et la chefferie de troisième degré.

La chefferie de premier degré est celle dont le territoire de compétence recouvre en


principe celui d’au moins deux chefferies de deuxième degré et dont les limites territoriales
n’excèdent pas celles d’un département.

La chefferie de deuxième degré est celle dont le territoire de commandement englobe


au moins deux chefferies de troisième degré et dont les limites n’excèdent pas celles d’un
arrondissement.

Enfin, la chefferie de troisième degré correspond au village en milieu rural et au


quartier en milieu urbain.

Ce classement constitue le principe général, lequel est susceptible d’être édulcoré.


C’est ainsi que l’autorité compétente peut classer une chefferie traditionnelle au premier et
deuxième degré en raison notamment de son importance démographique et économique.

Les chefferies de premier degré sont créées par arrêté du premier ministre ; celles du
deuxième degré sont créées par arrêté du ministre de l’administration territoriale et de la
décentralisation et celles de troisième degré sont créées par arrêté du préfet.

Chaque chefferie porte la dénomination consacrée par la tradition. Toutefois, le décret


n°77/245 précise que l’autorité compétente peut conférer à une chefferie, le cas échéant, une
nouvelle dénomination. La chefferie traditionnelle est placée sous l’autorité d’un chef qui a un
statut. Il est assisté d’un conseil de notables constitués selon la tradition locale.

B- Le statut des chefs traditionnels

Le statut des chefs traditionnels concerne leur désignation, leurs droits et leur régime
disciplinaire.

1. La désignation

D’après le décret n°77/245, les chefs traditionnels sont en principe choisis au sein des
familles appelées à exercer coutumièrement le commandement traditionnel. Les candidats
doivent remplir les conditions d’aptitude physique et morale requises et savoir autant que
possible lire et écrire, notamment l’anglais ou le français.

La vacance d’une chefferie est dument constatée par un médecin public requis à cet
effet. Cette vacance intervient par suite de décès, de destitution, de démission ou
d’empêchement physique ou moral permanent du titulaire. Lorsqu’elle est établie, l’autorité
administrative procède sans délai aux consultations nécessaires en vue de la désignation d’un
nouveau chef. A ce titre, les notabilités coutumières compétentes sont obligatoirement
consultées. Toutes les consultations sont consignées sur un procès-verbal signé de président
de la réunion, selon les cas, le préfet ou le sous-préfet.

74
Les chefs de premier degré sont désignés par le premier ministre, après approbation du
président de la République ; ceux de deuxième degré désignés par le ministre de
l’administration territoriale et de la décentralisation et ceux du troisième degré par le préfet.

Les contestations soulevées à l’occasion de la désignation des chefs traditionnels sont


portées devant l’autorité investie du pouvoir de désignation, qui se prononce en premier et
dernier ressort (en principe, l’on ne peut pas saisir le juge administratif pour contester la
désignation d’un chef traditionnel. Sur cette question, voir cours de droit administratif II sur
les actes insusceptibles de recours juridictionnels). La décision prise peut toutefois être
rapportée s’il est établi que l’autorité compétente a été induite en erreur.

Les fonctions de chef traditionnel sont incompatibles avec toute autre fonction
publique. Toutefois, l’autorité investie du pouvoir de désignation peut autoriser le cumul de
fonctions, notamment lorsque la personne intéressée réside sur le territoire de la chefferie.

Le chef traditionnel a des droits déterminés par le décret n°77/245.

2. Les droits

Les droits reconnus aux chefs traditionnels sont de deux ordres. On a d’une part, les
avantages matériels, et, d’autre part, la protection juridique.

a)- En ce qui concerne les avantages matériels, deux moments doivent être évoquées
ici. D’après les dispositions anciennes des articles 22 et 23 du décret n°77/247, les chefs de
premier et deuxième degré percevaient mensuellement une allocation fixe, calculée sur la base
numérique de leur population ainsi qu’une indemnité pour charge spéciale. Ces avantages
étaient fixés par arrêté conjoint du ministre de l’administration territoriale et de la
décentralisation et du ministre des finances.

Ces dispositions ont été modifiées et complétées par celles du décret n°2013/332 du 13
septembre 2013. Ainsi, désormais, les chefs traditionnels, sans exception, perçoivent
mensuellement des allocations.

Le chef de 1er degré perçoit une allocation mensuelle de 200 000F CFA ; le chef de
2 degré a une allocation mensuelle de 100 000F CFA et le chef de 3ème degré a droit à une
ème

allocation mensuelle de 50 000F CFA. Ces allocations sont affranchies de l’impôt


conformément au Code Général des Impôts.

L’article 24(nouveau) du décret n°2013/332 précise que ces allocations ne peuvent se


cumuler avec les indemnités de parlementaire, le traitement de fonctionnaire ou d’agent des
administrations publiques, pour ce qui concerne le chef traditionnel qui est dans l’une de ces
situations. En cas de cumul de fonctions dument autorisé, le chef traditionnel présumé doit
opter, avant sa désignation par l’autorité compétente, soit pour le maintien de son traitement
ou salaire mensuel, soit pour le bénéfice de l’allocation de chef traditionnel.

Les chefs traditionnels peuvent prétendre à d’autres avantages tels les primes
d’efficacité octroyées par le ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation.

75
Tout chef traditionnel victime d’une incapacité permanente imputable au service peut
prétendre à une rente viagère lorsque cette incapacité entraine son dégagement de ses
fonctions, et à une indemnité dans les autres cas.

b)- Il existe d’autres droits qui sont relatifs à la protection juridique du chef
traditionnel. D’après la règlementation, l’Etat est tenu d’assurer au chef traditionnel la
protection contre les menaces, outrages, violences, voies de fait, injures ou diffamations dont
il peut être l’objet en raison ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Il est tenu, le cas
échéant de réparer le préjudice subi par le chef traditionnel du fait de tels actes.

La contrepartie de tous ces droits est que le chef traditionnel est soumis à un régime
disciplinaire fixé par le décret n°77/245.

3. Le régime disciplinaire

Les autorités administratives portent chaque année des appréciations sur l’activité des
chefs traditionnels. C’est la contrepartie des avantages et autres protections qui leur sont
accordés.

Ainsi, en cas de faute dans l’exercice de leur fonction, en cas d’inefficacité, d’inertie
ou d’exaction à l’égard des populations, les chefs traditionnels encourent les sanctions ci-
après : rappel à l’ordre ; avertissement ; blâme simple ; blâme avec suspension pendant 3 mois
au plus de la totalité des allocations ; destitution.

Il faut préciser que pour préserver ses droits de la défense, une sanction disciplinaire
ne peut être prise à l’encontre d’un chef traditionnel que s’il a été préalablement appelé à
donner des explications sur ce qui lui est reproché.

Le chef traditionnel a, par ailleurs, des attributions qui démontrent à suffisance son
incorporation dans l’administration.

C- Les attributions

Les attributions du chef traditionnel peuvent être résumées de façon tétralogique.

Premièrement, le chef traditionnel seconde les autorités administratives dans leurs


missions d’encadrement des populations, sous l’autorité du ministère de l’administration
territoriale et de la décentralisation.

Deuxièmement, en tant qu’auxiliaires d’administration, les chefs traditionnels sont


chargés de transmettre à la population les directives des autorités et en assurer l’exécution ; de
concourir, sous la direction desdites autorités administratives, au maintien de l’ordre et au
développement économique, social et culturel de leurs unités de commandement.

Troisièmement, ils sont chargés de remplir toutes autres missions à eux confiées par
l’autorité administrative locale.

Quatrièmement, enfin, ils peuvent, conformément, à la coutume et lorsque les lois et


règlements n’en disposent autrement, procéder à des conciliations et aux arbitrages entre leurs
administrés.

76
In fine, les chefferies traditionnelles en général et leurs chefs en particulier,
constituent, sur le plan local, un maillon essentiel de l’administration d’Etat. Elles
permettent, en effet, à cette dernier de se rapprocher des administrés. Toutefois, elles sont
juridiquement différentes des collectivités territoriales décentralisées qui font partie de
l’administration décentralisée.

CHAPITRE II

L’ADMINISTRATION DECENTRALISEE

L’administration décentralisée peut être appréhendée sur deux plans. Au plan


horizontal, on a les collectivités territoriales décentralisées (CTD), tandis qu’au plan vertical,
on a les administrations spécialisées, notamment les établissements publics et les
groupements d’intérêt public.

Chacune des composantes de cette administration a une personnalité juridique et


participe de la décentralisation administrative de l’Etat.

Section 1 : Les collectivités territoriales décentralisées

D'après l'article 55 (2) de la constitution du 18 janvier 1996, les collectivités


territoriales décentralisées sont des personnes morales de droit public jouissant de l'autonomie
administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux et locaux. Elles sont
administrées librement par les conseils élus et dans les conditions fixées par la loi.

Pour cerner cette disposition constitutionnelle, qui pose le problème de la


décentralisation territoriale au Cameroun, il sied d'analyser, successivement, la genèse des
CTD au Cameroun (§1), leur articulation (§2), le contrôle que l’Etat exerce sur elles (§3), et,
enfin les organes qui en assurent le suivi et l’appui (§4).

§ 1. La genèse des CTD

La genèse des CTD peut être saisie en deux temps : avant et après l'indépendance.

A- Les CTD avant l'indépendance

Il convient de distinguer, avant l’indépendance du Cameroun, l'évolution des


collectivités territoriales décentralisées, d’une part, dans le Cameroun britannique, et, d’autre
part, dans le Cameroun français.

1- Les CTD dans le Cameroun britannique

C’est en 1922 que l'autorité « coloniale » britannique, fidèle à sa politique de


« l'indirect rule », crée les premières collectivités territoriales au Cameroun sous mandat. Il
s'agit des « native courts » dont le fondement juridique était les «native authorities ».

Par ce biais, l'administration britannique va exercer ses pouvoirs sur la partie


occidentale du Cameroun en s'appuyant sur les autorités traditionnelles qu'elle nomme en
s'efforçant de ne pas détruire les structures politiques traditionnelles.

77
En 1938, un découpage du territoire en « native authorities » est effectué. Ces
« native authorities » ont le droit de légiférer, d’établir les impôts, sous le contrôle des
« districts officiers » (Préfets).

En 1958, les « natives authorities » sont remplacées par les « area councils », qui
représentent mieux l'ensemble de la population.

Quid de la situation des CTD dans le Cameroun français ?

2- Les CTD dans le Cameroun français

C’est en 1941, soit près de 19 ans après l’institution des collectivités territoriales dans
la partie britannique, que « l’autorité coloniale » française organise, par un décret du 23 avril
1941, le régime des communes dans le Cameroun français.

Ce texte reconnaît au gouverneur du territoire la faculté de créer des communes mixtes


par arrêté pris au conseil d'administration. C’est ainsi que par arrêté du 25 juin 1941 sont
créées à Douala et à Yaoundé les premières communes mixtes urbaines dirigées par des
administrateurs-maires nommés, assistés d’une commission municipale, composée de
l'administrateur-maire comme président et de 4 membres désignés par le gouverneur du
Cameroun français, sur une liste de notables français à lui remise par le chef de région, et de
deux membres, notables indigènes, sujets français, désignés par le gouverneur, sur proposition
du chef de région. Les membres de la commission municipale avaient simplement voix
délibérative.

A partir de 1950, on assiste à la création progressive dans les villes du territoire


français des communes mixtes urbaines. Un arrêté du 12 novembre 1955 remplace la
commission municipale par un conseil municipal élu au collège unique et complété par deux
conseillers nommés par le Haut-commissaire.

En 1955, intervient la loi du 18 novembre portant réorganisation municipale en


Afrique noire et à Madagascar. Cette loi institue deux catégories de communes: les communes
de plein exercice et les communes de moyen exercice.

Douala, Yaoundé, Nkongsamba, puis Mbalmayo, Sangmelima, Ebolowa et Edéa


seront les premières communes à être érigées en commune de plein exercice. Elles sont
dirigées par un maire élu et un conseil municipal élu également. Quant aux communes de
moyen exercice, elles ont un maire, qui est un fonctionnaire nommé, assisté d’un conseil
municipal élu.

Jusqu'en 1960, le Cameroun français connaît quatre catégories de communes : les


communes mixtes urbaines, les communes mixtes rurales et les communes de plein exercice,
ainsi que les communes de moyen exercice.

Quelle est la situation des collectivités territoriales décentralisées après l'indépendance


du Cameroun?

78
B- Les CTD après l’indépendance

Au Cameroun occidental comme au Cameroun oriental, on assiste à la continuation de


la tradition coloniale en matière d’administration locale. Il faut attendre 1974 pour voir
s’amorcer une tentative de codification à l’effet d’harmoniser les textes et les pratiques
antérieures à 1’unification du Cameroun intervenue en 1972.

1- La situation des CTD avant 1974 : le maintien de la diversité

a)-Au Cameroun occidental, jusqu’en 1974, l’administration locale est régie par la
« local authorities ordinance» (cap. 140 editions of Law of the federation of Nigeria). La
direction des collectivités locales, qui étaient aux mains du chef traditionnel, qui présidait les
« native courts », passent au « chairman » des « native authorities ».

En 1969, les « native authorities » deviennent des « local authorities ». Plus tard,
celles-ci deviennent des « local councils ».

b)-Au Cameroun oriental, on assiste au maintien et à l’accentuation de la diversité


dans l’organisation municipale d’une part, et à la progression dans l'autoritarisme des
structures municipales, d’autre part. C'est ainsi, par exemple, que, le 31 décembre 1960, le
législateur adopte une loi instituant des communes rurales de moyen exercice dans les
arrondissements du Nord-Cameroun. Les maires sont nommés par le ministre de l'Intérieur et
le conseil municipal est élu pour deux tiers de ses membres.

En 1967, le législateur modifie le statut des communes de plein exercice et des


communes de moyen exercice. C’est ainsi que les communes de plein exercice de Douala,
Yaoundé et Nkongsamba n’ont plus de maires élus mais plutôt des délégués du gouvernement
nommés par décret pris en conseil de cabinet. Le conseil municipal désigne en son sein son
président et un ou plusieurs vice-présidents.

Pour les autres communes de plein exercice, leurs maires sont désormais nommés par
décret pris en conseil de cabinet. Ils sont assistés d’un ou plusieurs adjoints nommés par le
secrétaire d’Etat à l’intérieur parmi les membres du conseil municipal.

Cet autoritarisme dans la désignation de l’exécutif communal va être confirmé par la


loi du 4 décembre 1968. Celle-ci dispose que « les maires des communes urbaines de moyen
exercice sont nommés par décret pris en conseil de cabinet et ceux des communes rurales de
moyen exercice sont nommés par arrêté de l'autorité ministérielle chargée de la tutelle ».

Au total, il n'existe plus au Cameroun oriental de maires élus. C'est dire que la
décentralisation territoriale y est plus autoritaire que démocratique. Au pire, elle constitue
davantage un leurre qu'une lueur. Qu’en est-il à partir de 1974 ?

2- La situation des CTD à partir 1974 : la tentative de codification

En 1974, le législateur tente une codification consistant à synthétiser les règles et


pratiques en vigueur aussi bien au Cameroun oriental qu'au Cameroun occidental.

79
Cette codification aboutit à la dualisation du système communal camerounais avec
quelques nuances. C'est ainsi qu'on a d'une part les communes rurales, et, d’autre part, les
communes urbaines.

a)- En ce qui concerne les communes rurales, elles ont un exécutif nommé et dirigé
par un administrateur-municipal et un conseil municipal élu.

b)- Pour ce qui est des communes urbaines, il y en a de deux types. Le premier, qui
comprend le plus grand nombre de communes, est constitué de communes ayant un exécutif
et un conseil municipal élus ; le second, comprenant des communes numériquement peu
nombreuses mais démographiquement et surtout économiquement importantes, ont un
exécutif nommé et ayant à sa tête un délégué du gouvernement et un conseil municipal élu,
dirigé par un président élu en son sein. C'est le cas des communes de Yaoundé, Douala et
Nkongsamba.

La loi n°114/23 du 05 décembre 1974 portant organisation communale, qui a procédé


à cette codification, va connaître au fil des ans de nombreuses et importantes modifications
(sur cette question, lire Bernard-Raymond GUIMDO, « Observations sur le décret n°93/322
du 25 novembre1993 », in Lex Lata n°004 du 30 novembre 1994, pp. 12-14).

La situation va évoluer à partir de 1987.

3- La situation des CTD à partir de 1987 : la rupture du dualisme

En 1987, le législateur camerounais rompt avec le dualisme du système municipal en


créant, en plus des communes existantes, des communautés urbaines (Douala et Yaoundé) et,
en leur sein, des communes urbaines d'arrondissement.

Cette rupture est consacrée par la loi n°04/015 du 15 juillet 1987 portant création des
communautés urbaines (Lire Bernard-Raymond Guimdo Dongmo, La problématique de la
décentralisation communale au Cameroun, Mémoire de maîtrise en droit public, Université
de Yaoundé, 1987).

L’année 1996 marque un tournant décisif dans l’évolution des CTD au Cameroun.

4- La situation des CTD depuis 1996 : la constitutionnalisation et la synthétisation

En 1996, une réforme fondamentale est intervenue avec la consécration, par la


constitution, de la commune et de la région comme des collectivités territoriales
décentralisées (lire titre 10 de la Constitution).

Cette consécration a été précisée et organisée en 2004 par les lois dites de la
décentralisation (lire Bernard-Raymond Guimdo D., « Constitution et décentralisation au
Cameroun depuis la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, in Revue Juridique et
Politique des Etats francophones, n°2, 2005, pp.205-228), puis systématisée dans la loi
n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code des Collectivités territoriales
décentralisées.

C'est au regard de ces considérations qu'il faut à présent s'intéresser aux collectivités
territoriales décentralisées telles qu’elles sont articulées actuellement au Cameroun.

80
§ 2. L’articulation des CTD

La Constitution du 18 janvier 1996 institue deux types de collectivités territoriales


décentralisées : la commune et la région. Mais, elle précise que « tout autre type de
collectivité territoriale décentralisée » peut être créé par la loi (ce devrait être, en principe, le
cas des communautés urbaines). Ces CTD ont des compétences fixées par les textes.

A- Les types de CTD

Il existe en gros deux types de CTD : La commune et la région.

1. La commune

L'organisation et le fonctionnement des communes sont régis par la loi n°2004/017 du


22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation et la loi n°2004/018 du 22 juillet 2004
fixant les règles applicables aux communes. Elles le sont depuis lors par la loi n°2019/024 du
24 décembre 2019 portant Code général des Collectivités territoriales décentralisées.

Il existe, en droit camerounais, deux types de commune : la commune de droit


commun et le type dérogatoire, qui est la communauté urbaine.

a)- La commune de droit commun

La commune est considérée comme la collectivité territoriale de base. Elle est créée
par décret du Président de la République, qui fixe son ressort territorial, sa dénomination et
son chef-lieu.

La commune a deux organes: le conseil municipal et l'exécutif municipal.

- Le conseil municipal est constitué de conseillers municipaux dont les conditions


d'élection sont déterminées par la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral.

Selon cette loi, les conseillers municipaux sont élus au suffrage universel direct et
secret, au scrutin mixte à un tour comportant un système majoritaire et un système de la
représentation proportionnelle.

Le conseil municipal siège en session ordinaire une fois par trimestre pendant une
durée maximale de sept jours. Il peut aussi se réunir en session extraordinaire sur convocation
du maire chaque fois qu'il le juge utile ou lorsqu'une demande motivée lui est adressée par les
deux tiers des membres dudit conseil ou lorsque le représentant de l’Etat en fait la demande.

Les décisions (délibérations) du conseil sont prises à la majorité simple des votants, et
le vote est public.

- L’exécutif municipal est composé du maire et de ses adjoints. Ils sont tous élus par
le conseil lors de sa première session.

Le maire est élu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Quant à ses adjoints,
ils sont élus au scrutin de liste. Tous les scrutins sont secrets.

81
L'exécutif est élu pour la même durée que les conseillers municipaux.

Le maire représente la commune dans tous les actes de la vie civile et en justice. Il
gère le personnel placé sous sa responsabilité et est chargé de la police municipale.

Comme le conseil municipal, le maire et ses adjoints ont droit à une indemnité de
session. Par ailleurs, le maire et ses adjoints bénéficient d'une rémunération et des indemnités
de fonction mensuelles.

Quid du type dérogatoire qu’est la communauté urbaine ?

b)- Le type dérogatoire : la communauté urbaine

La communauté urbaine est créée par décret du Président de la République, qui en fixe
le siège ainsi que le ressort territorial. Elle est constituée d'au moins deux communes
d'arrondissement. Elle prend l'appellation de « ville de… » suivie du nom de l'agglomération.

La communauté urbaine a deux organes : le conseil de la communauté, qui est l’organe


délibérant, et l'exécutif de la communauté.

- Le conseil de la communauté est composé des maires des communes


d'arrondissement et de leurs représentants (cinq par commune), désignés en son sein par le
conseil municipal.

Le conseil délibère sur toutes les affaires relevant de sa compétence. Son mandat
expire avec celui des conseillers municipaux. En cas de vacance d'un membre du conseil, la
commune concernée est appelée à le remplacer dans un délai de deux mois.

- L'exécutif de la communauté est composé du « Maire de la Ville » et de ses


adjoints, élus par le Conseil de la Communauté en son sein (V. loi n°2019/024 du 24
décembre 2019, qui remplace le délégué du gouvernement, qui était nommé par décret du
Président de la République et de ses adjoints, nommés par arrêté du Président de la
République).
Le Maire de la ville exerce la plénitude des fonctions du maire de la commune. Il
convoque et préside les sessions du conseil de la communauté. Il convoque et préside les
sessions du conseil de la communauté. Il est chargé, entre autres, de l'exécution des
délibérations du conseil ; de la préparation et l'exécution du budget ; de l'organisation et de la
gestion des services de la communauté, ainsi que des ressources et du patrimoine de la
communauté. Il dirige les travaux de la communauté ; il représente la communauté dans la vie
civile et en justice.

L'exécutif' de la communauté bénéficie d'une rémunération et des indemnités de


fonction mensuelles et de représentation dont le montant est fixé par le Président de la
République. Que dire de la région ?

2. La région

La région, en tant que collectivité territoriale décentralisée, est instituée par la


constitution et organisée par voie législative. Mais, elle n'existe pas encore « in concreto ».

82
En tant que collectivité territoriale décentralisée, la région est juridiquement
administrée par des autorités élues, qui disposent du pouvoir réglementaire pour
l'accomplissement de leur mission.

La région a pour base juridique, d'abord la constitution du 18 janvier 1996,


notamment son titre 10, et jusqu’au 24 décembre 2019, la loi 2004/017 du 22 juillet 2004
portant orientation de la décentralisation ainsi que la loi de 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant
les règles applicables aux régions ; et depuis cette date, la loi n°2019/024 portant Code
général des CTD.

Juridiquement, la région peut être analysée de manière duale : d'une part, sur le plan
organisationnel, et, d'autre part, sur le plan de sa protection.

a)- L’organisation de la région

Il convient de distinguer l’organisation de la région à statut ordinaire de celle à statut


spécial.

a-1)- L’organisation de la région à statut ordinaire

La région a deux organes : le conseil régional, qui est l'organe délibérant, et le


Président du conseil régional, qui est l'organe exécutif.

- D'après les textes en vigueur, le conseil régional doit refléter les différentes
composantes sociologiques de la région (article 57 alinéa 2 de la Constitution et article
276.1 de la loi 2019/024).

Le conseil régional est composé de délégués des départements, élus au suffrage


universel indirect, et des représentants du commandement traditionnel choisis par leurs paires
(sur la question, lire Bernard-Raymond Guimdo D., « Constitution et décentralisation au
Cameroun… », op. cit.).

Le vote du conseil régional se déroule au chef-lieu de chaque département. Pour être


éligible, il faut, entre autres, résider de manière effective dans le ressort de la région
concernée ou justifier d'un domicile réel sur le territoire de la région choisie ; remplir les
conditions d'éligibilité telles qu’être camerounais, être inscrit sur une liste électorale, être âgé
de 23 ans à la date du scrutin, savoir lire et écrire l'une des langues officielles et ne pas être
sous la dépendance ou en intelligence avec une puissance étrangère.

Sont incompatibles avec la fonction de conseiller régional les fonctions de représentant


de l'Etat dans la région (préfet, sous-préfet, fonctionnaire de police, de gendarmerie, de
l’administration pénitentiaire, magistrat, etc.).

Les conseillers régionaux sont élus pour un mandat de 5 ans renouvelable. Leur
effectif est proportionnel à la population de chaque région, de chaque département, selon le
cas.
Comme tout organe délibérant, le conseil régional exerce ses fonctions dans le cadre
des sessions ordinaires et extraordinaires.

83
La session ordinaire se tient une fois par trimestre sur convocation du Président du
conseil régional, pour une durée de 8 jours, et de 15 jours, pour ce qui est de la session
budgétaire (Article 280.1 de la loi n°2019/024).

La session extraordinaire a lieu, sur un ordre du jour déterminé, à la demande du


Président du conseil régional ou de 2/3 de ses membres ou du représentant de l'Etat, pour une
durée maximum de 3 jours.

Il existe, par ailleurs, une session dite de plein droit, qui se tient le deuxième mardi de
la proclamation des résultats lors du renouvellement du mandat des conseillers régionaux.

Le conseil régional dispose d'organes ayant des fonctions déterminées : il s'agit,


notamment, de quatre commissions présidées chacune par un commissaire.

Le conseil régional peut élire en son sein un président pour un mandat identique au
sien. Le président est assisté d'un bureau comprenant un vice-président, 2 questeurs et 2
secrétaires. Ce bureau doit refléter la composition sociologique de la région (article 57 alinéa
3 de la constitution).

- Le Président du conseil régional doit être, d'après la constitution, «une


personnalité autochtone» élue au scrutin secret à la majorité absolue des membres du conseil
régional présents et votants. Il est l'interlocuteur du représentant de l'Etat dans la région. Il est
chargé de représenter la région dans les actes de la vie civile et en justice; de préparer et
d'exécuter les délibérations du conseil régional ; d’ordonner les recettes et les dépenses de la
région, sous réserve des dispositions particulières prévues par la législation en vigueur; de
gérer le domaine de la région. Il exerce les pouvoirs de police, notamment en ce qui concerne
la circulation, sous réserve des attributions dévolues au représentant de l'Etat et au maire.

Les fonctions de Président du conseil régional sont incompatibles avec celles prévues
à l'article 311 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019.

a-2)- L’organisation de la région à un statut spécial

D’après l’article 327 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code


général des CTD, « un statut spécial est reconnu aux Régions du Nord-Ouest et du Sud-
Ouest conformément aux dispositions de l’article 62 de la Constitution » (alinéa 1). Le même
article précise que ce « statut spécial(…) se traduit, au plan de la décentralisation, par des
spécificités dans l’organisation et le fonctionnement de ces deux régions » (alinéa 2).

Les organes de ces régions sont : l’Assemblée régionale et le Conseil Exécutif


Régional.

L’Assemblée régionale est l’organe délibérant dans les deux régions concernées. Elle
a les mêmes attributions que celles dévolues à toutes les régions ainsi que le même nombre de
conseillers et a aussi un mandat de 05 ans. Elle comprend deux chambres que sont : la House
of Divisional Representatives (pour plus détails, v. articles 332 à 335 de la loi n°2019/024)
et la House of Chiefs (Pour plus de détails, v. article 332 et articles 336 à 339 de la loi
n°2019/024).

84
Le Conseil Exécutif Régional est l’organe exécutif des régions à statut spécial. Il est
composé de (article 352 de la loi n°2019/024) :
 un Président (issu de la catégorie des délégués départementaux et dont les missions
sont précisées à l’article 359 de la loi n°2019/024);

 un Vice-président (issu de la catégorie des représentants du commandement


traditionnel dont le rôle est précisé à l’article 360 de la loi n°2019/024) ;

 un Commissaire chargé du développement économique (v. article 362 de la loi


n°2019/024);

 un Commissaire chargé du développement sanitaire et social (v. article 363 de la loi


n°2019/024);

 un Commissaire chargé du développement éducatif, sportif et culturel (v. article


364 de la loi n°2019/024) ;

 deux secrétaires (v. article 365 de la loi n°2019/024) ;

 un Questeur (v. article 365.2 de la loi n°2019/024).

Les membres du Conseil exécutif régional sont élus lors de la première session dudit
conseil, parmi les Conseillers régionaux de la Région concernée, et pour toute la durée du
mandat de ces derniers (article 353.1 de la loi n°2019/024). Le Président et le Vice-président
du Conseil sont des personnalités autochtones (article 353.2 de la loi n°2019/024).

En plus de ces organes, les régions à statut spécial ont une « Administration
régionale » (v. article 366 de la loi n°2019/024) dont les règles qui la régissent sont celles
applicables à l’administration régionale de la région à statut ordinaire (v. articles 323 et 324
de la loi n02019/024) ; un « Public independent Conciliator » (Pour plus précision sur son
statut, ses attributions et sa saisine, v. articles 367 à 371 de la loi n°2019/024).

La protection de la région, quelle qu’elle soit est consacrée, notamment par la


constitution.

b)- La protection de la région

Chaque région est, d'après l'article 20 alinéa 2 de la constitution, représentée au sénat


par 10 sénateurs dont sept sont élus au suffrage universel indirect sur la base régionale et 3
nommés par le Président de la République.

L'article 47 de la constitution détermine les modalités de protection de la région. Trois


hypothèses sont envisagées à cet effet.

Premièrement, le Conseil constitutionnel statue souverainement en cas de conflits de


compétences entre l'Etat et la région.

Deuxièmement, les présidents des exécutifs régionaux peuvent saisir le Conseil


constitutionnel lorsque les intérêts de leur région sont en cause.

85
Troisièmement, les lois, les traités et accords internationaux peuvent, s'ils menacent les
intérêts de la région, être déférés au conseil constitutionnel par les présidents des exécutifs
régionaux.

Il se dégage de ce qui précède que la constitution a prévu un mécanisme permettant de


protéger la région contre les débordements et ou excès éventuels de l'Etat (lire B-R Guimdo
D. « Constitution et décentralisation au Cameroun… », op. cit.).

Les régions, comme les communes, ont des compétences qui sont déterminées et
aménagées par les textes en vigueur.

B- Les compétences des CTD

Les collectivités territoriales décentralisées n'ont pas de compétences du seul fait de


leur création ou de leur existence. C'est l'État, en effet, qui, usant de ses prérogatives
régaliennes, leur transfère certaines de ses compétences (A) et les répartit entre elles (B).

1. Le transfert de compétences

L'Etat transfère aux collectivités territoriales décentralisées des compétences


nécessaires à leur développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif.

Ces compétences ne sont cependant pas exclusives. Elles sont exercées


concurremment par l'État et les collectivités territoriales décentralisées.

L’effectivité du transfert nécessite la mise à la disposition des collectivités territoriales


décentralisées des ressources humaines, matérielles et financières idoines.

En ce qui concerne les ressources humaines, il est reconnu aux collectivités


territoriales décentralisées la possibilité de recruter et gérer librement le personnel dont elles
ont besoin pour l'accomplissement de leurs missions. En outre, il peut leur être affecté des
agents de l'Etat ou être détaché auprès d'elles des fonctionnaires de l’Etat.

S'agissant des ressources matérielles, elles sont constituées de l'ensemble des biens
meubles et immeubles nécessaires à l'exercice des compétences transférées aux collectivités
territoriales décentralisées.

Quant aux ressources financières, elles sont dévolues aux collectivités territoriales
décentralisées soit par transfert de fiscalité, soit par dotation, soit par les deux mécanismes à
la fois.

Au-delà de ce transfert de compétences de l'Etat aux collectivités territoriales


décentralisées, il y a leur répartition entre elles.

2. La répartition des compétences entre les CTD

Les collectivités territoriales décentralisées, que sont la région et la commune, ont des
compétences que leur reconnaît le droit en vigueur.

86
Ce droit a, dans le cadre de la répartition desdites compétences, déterminé celles qui sont
propres à chacune d’elles ainsi celles qui leur sont communes.

a). Les compétences propres ou spécifiques

Il faut distinguer d'une part, les compétences propres aux communes, et, d'autre part,
les compétences spécifiques aux régions.

a)-1- Les compétences spécifiques aux communes

Les compétences propres aux communes sont de deux ordres : intra et extra-
communales.
- Les compétences intra-communales sont réparties autour de la stimulation du
développement communal, la création, la réalisation de certaines infrastructures, les
prestations, notamment, la création et le reboisement, l’entretien des espaces verts, la création
et la gestion des voiries municipales.

- Les compétences extra-communales permettent aux communes d’effectuer, au plan


économique, des réalisations, notamment, en créant et en aménageant certaines
infrastructures. Elles leur permettent également d’intervenir dans le cadre de la création et de
l’aménagement de certaines infrastructures sanitaires, sociales éducatives…

b)-2- Les compétences spécifiques aux régions

Les compétences spécifiques aux régions sont aussi de deux ordres : intra-régionales et
extrarégionales.
- Les compétences intra régionales semblent se limiter au cadre de la région ; c'est ce
qui est visible au niveau du développement économique et des autres compétences. On
distingue ainsi les compétences intra régionales en matière de développement et les
compétences intra régionales en matière de développement sanitaire et social.

Pour ce qui est du développement économique, il regroupe les questions relatives à


l’urbanisme, à l’aménagement du territoire, à l’habitat, à la construction des routes, à leur
réhabilitation et entretien.

Les compétences de la région concernent aussi la création et l’aménagement de


certaines infrastructures ainsi que la mise en œuvre de certaines politiques relatives à
l’alphabétisation et la formation professionnelle.

- Les compétences extrarégionales sont celles qui ne se limitent pas au seul cadre de
la région. Elles concernent aussi bien le développement économique que le développement
social, sanitaire, éducatif, sportif et culturel. A titre d’exemple, les régions sont chargées
d’appuyer et de renforcer certaines formations sanitaires et établissements sociaux, de prendre
des mesures d’hygiène et de procéder à l’approvisionnement en médicaments.

Outre ces compétences, dévolues à toutes les régions, celles du Nord-ouest et du Sud-
ouest exercent d’autres compétences que sont, « la participation à l’élaboration des politiques
publiques nationales relatives au sous-système éducatif anglophone ; la création et la gestion
des missions régionales de développement ; la participation à l’élaboration du statut de la
chefferie traditionnelle » (article 328.1 de la loi n°2019/024). Par ailleurs, ces régions

87
« peuvent être consultées sur les questions liées à l’élaboration de politiques publiques de la
justice dans le sous-système de la common law » (article 328.2 de la loi n°2019/024); de
même qu’ « elles peuvent être associées à la gestion des services publics implantés dans leurs
territoires respectifs » (article 328.3 de la loi n°2019/024).

Certes, les régions ont des compétences distinctes de celles des communes, mais elles
ont aussi des compétences qu’elles partagent avec elles.

b. Les compétences communes ou partagées

Il existe des domaines dans lesquels les communes et les régions sont toutes
compétentes. Il s'agit, pour l’essentiel, de la planification, de l'aménagement du territoire, de
l'urbanisme et de l’habitat, de la santé, de l'action sociale et de l'éducation.

Ces compétences transférées et reparties aux collectivités territoriales décentralisées


par l’Etat sont exercées sous le contrôle de l’Etat à savoir l’administration d’Etat et le juge,
notamment administratif.

§ 3- Le contrôle étatique

Pour le Pr René Chapus, « la collectivité étatique a la charge de pourvoir aux besoins


généraux de l’ensemble de la population se trouvant dans la limite de son territoire ».

Quant aux collectivités territoriales décentralisées, elles administrent dans la limite de


certaines parties du territoire en essayant autant que faire se peut de pourvoir aux besoins de
la population qui se trouve dans leur aire géographique. Ces collectivités territoriales agissent,
cependant, sous le contrôle de l’Etat.

Ce contrôle se justifie à plusieurs titres. Il permet d’assurer l’unité de l’Etat et le


respect de la loi. Bien évidemment, il ne doit pas porter atteinte à l’idée même de la
décentralisation. Au regard du droit en vigueur au Cameroun, ledit contrôle est d’une part
administratif (A), et, d’autre part, juridictionnel (B).

A. Le contrôle administratif

Aux termes de l’article 72.1 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019


portant Code général des CTD, « A travers ses représentants, l’Etat assure la tutelle sur les
collectivités territoriales décentralisées par le biais du contrôle de légalité » (…).

L’article 73.1 de la même loi précise que « les pouvoirs de tutelle de l’Etat sur les
CTD et leurs établissements sont exercés, sous l’autorité du Président de la République, par
le Ministre chargé des collectivités territoriales et par le représentant de l’Etat dans la
collectivité territoriale ».

La tutelle sur les régions est assurée par le gouverneur, qui est le délégué de l’Etat
dans la région. Quant à la tutelle sur la commune, elle est exercée par le préfet. Ce contrôle
est exercé aussi bien sur les organes des collectivités territoriales décentralisées que sur leurs
actes.

88
1. Le contrôle sur les organes

Les organes de l’exécutif étatique, notamment le Président de la République et le


Ministre chargé des collectivités territoriales décentralisées, disposent ou détiennent le
pouvoir de suspension, de dissolution, de substitution sur les organes des collectivités
territoriales décentralisées en cas de violation des lois et règlements en vigueur ou de faute
lourde.

2. Le contrôle sur les actes

Les actes accomplis par les autorités des collectivités territoriales décentralisées sont
soumis au contrôle de l’exécutif étatique. Ainsi, certains de ces actes sont transmis au
représentant de l’Etat compétent pour visa ou pour approbation préalable. D’autres,
notamment les actes réglementaires, sont, certes exécutoires de plein droit une fois qu’ils sont
publiés ou notifiés aux intéressés, mais sont tout de même transmis aux représentants de
l’Etat.

Les décisions prises par les organes décentralisés et qui concernent les finances, les
conventions de coopération internationale, les affaires domaniales, les délégations de service
public, les recrutements de certains personnels, sont soumises à l'approbation du représentant
de l'État.

Ce dernier peut annuler les actes manifestement illégaux, notamment en cas d'emprise
irrégulière et de voie de fait, à charge pour la collectivité territoriale décentralisée concernée
de saisir la juridiction administrative compétente. Cette dernière intervient aussi sur saisine de
l’autorité de tutelle ou d’un particulier pour contrôler la légalité des actes des CTD.

B. Le contrôle juridictionnel

L'Etat peut, au moyen du déféré administratif, saisir le juge administratif pour qu'il
statue sur la légalité des actes pris par les autorités des collectivités territoriales décentralisées
(V. article 77.2 de la loi n°2019/024).

Par ailleurs, le juge administratif peut, à la demande de l’Etat, prendre des mesures
conservatoires tel que le sursis à exécution, notamment lorsque l’acte attaqué est de nature à
compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle. Lorsqu’il en est ainsi, «le
président de la juridiction saisie (...) prononce le sursis dans un délai maximal de 48 heures»
(article 78 alinéa 2 de la loi n°2019/024).

Au total, le juge administratif est amené, dans le cadre de ce contrôle à édicter, selon
les cas, deux types de mesures : les mesures provisoires (le prononcé du sursis à exécution) et
les mesures définitives (l’annulation)2.

Il existe, par ailleurs, des organes spécialisés créés par l'Etat pour suivre ou appuyer
les CTD.

2
De même, le juge administratif intervient pour vérifier la légalité de ces actes dans le cadre des recours contentieux
introduits par toutes les personnes qui estiment qu’ils ne sont pas conformes au droit en vigueur. Bien évidemment, ces
personnes doivent avoir la qualité pour agir et/ou justifier d'un intérêt pour pouvoir contester lesdits actes.

89
§ 4- Les organes de suivi et d'appui des CTD

L'État a créé des organes spécialisés en vue d'aider les collectivités territoriales
décentralisées tant sur le plan financier que sur le plan de la réalisation des projets, de la
formation et du perfectionnement de leur personnel. Certains de ces organes sont des organes
de suivi, tandis que d'autres sont des organes d’appui.

A- Les organes de suivi

L’Etat a créé un Conseil National de la Décentralisation et un Comité interministériel


des Services locaux.

Les décrets n° 2008/013 et 2008/014 du 14 janvier 2008 portent respectivement


organisation et fonctionnement du Conseil National de la Décentralisation et du Comité
Interministériel des Services Locaux. Il s’agit d’organes de suivi de la décentralisation créés
par la loi d’orientation de la décentralisation.

- Le Conseil National de la Décentralisation est chargé du suivi et de l’évaluation de la


mise en œuvre de la décentralisation.

- Le Comité Interministériel des Services Locaux est chargé de l’élaboration du


programme des transferts de compétences et des ressources, de l’évaluation des moyens
humains et matériels nécessaires à l’exercice des compétences transférées, de l’évaluation du
coût des charges transférées et de la formulation des propositions, des modalités de
financement desdits transferts par l’Etat.

Que dire des organes d’appui des CTD ?

B- Les organes d’appui

Les organes d’appui des CTD sont, entre autres, le FEICOM (Fonds spécial
d'Equipement et d'Intervention intercommunal) et le CEFAM (Centre de Formation pour
l'Administration Municipale).

1- Le FEICOM

Le FEICOM est un organisme autonome doté de la personnalité juridique et de


l'autonomie financière (établissement public administratif).

Il est destiné, entre autres, à l'entraide entre les communes (avances de trésorerie) ou
financement des travaux d'investissements communaux ou inter communaux ; à la couverture
des frais d'assiette et de charges de recouvrement des recettes fiscales ; à la couverture des
frais relatifs à la formation du personnel communal et de celui de l’Etat civil.

Pour parvenir à ses fins, le FEICOM est alimenté par les ristournes en totalité ou en
partie ; les subventions de l'Etat ; toutes autres ressources qui lui sont affectées ; une fraction
du produit des contributions des patentes et licences et de la taxe sur le bétail.

90
2- DU CEFAM A LA NASLA

a)- DU CEFAM…

Le CEFAM (V. décret n°77/494 du 07 décembre 1977 portant création et


organisation du Centre de Formation pour l’Administration Municipale-CEFAM) est un
établissement public doté de la personnalité juridique et de l'autonomie financière. Il est
chargé d'assurer la formation, le perfectionnement et le recyclage des personnels
administratifs et techniques des communes, des syndicats de communes et des personnels
chargés de la tutelle sur les communes.

L’offre de formation du CEFAM se répartit dans 3 cycles. Le 1er cycle et le 2ème cycle
sont des cycles de formation proprement dite, tandis le 3 ème cycle s’occupe du
perfectionnement et du recyclage.

La mission assignée au CEFAM est d'accroître l'efficacité de ces personnels,


notamment ceux des communes. Mais, l'absence d'une fonction publique communale fait que
les agents qui y sont formés n'ont pas la qualité de fonctionnaires. Ils sont formés selon les
besoins exprimés par les communes, lesquelles interviennent financièrement dans leur
formation.

b)…A LA NASLA

La NASLA (National School of Local administration), qui remplace le CEFAM,


nait du décret n°2020/111 du 02 mars 2020 qui en porte création, organisation et
fonctionnement.

Elle est un établissement public à caractère administratif et professionnel, doté de la


personnalité juridique et de l’autonomie financière. Elle peut organiser ses activités sur
l’ensemble du territoire national, bien que son siège soit fixé à Buea (article 3 du décret
n°2020/111). Elle a pour mission d’assurer la formation professionnelle dans les domaines de
compétence et spécialités de l’administration locale, conformément aux orientations générales
définies par le Gouvernement.

C’est ainsi qu’elle assure :- la formation initiale diplômante ; - la formation continue ;


- la formation spécifique ; - la recherche appliquée à la gestion des collectivités territoriales
décentralisées. Par ailleurs, elle exécute toute autre mission qui lui est confiée par le
Gouvernement (Article 5 du décret n°2020/111). Elle est également chargée d’évaluer, « en
liaison avec les collectivités territoriales décentralisées, leurs établissements, syndicats ou
regroupements, les besoins en formation dans l’administration locale et » d’élaborer « les
plans de formation subséquents » (article 6 du décret n°2020/111).

Pour assure sa mission, la NASLA est dotée de deux organes de gestion que sont le
Conseil d’Administration (v. articles 9 à 19 du décret n°2020/111) et la Direction générale
(v. articles 20 à 25 du décret n°2020/111) ; des ressources humaines (V. articles 26 à 35) ;
des organes consultatifs (V. articles 46 à 53 du décret n°2020/111 du décret n°2020/111) ;
et des ressources financières (V articles 55 à 57 du décret n°2020/111).

Au total, la décentralisation a connu au Cameroun une évolution significative. Mais, si


beaucoup a été fait, beaucoup reste encore à faire. Les collectivités territoriales

91
décentralisées doivent recevoir de l’Etat aujourd’hui plus qu’hier un appui multiforme, mais,
dans le même temps, elles doivent savoir s’assumer pour que la décentralisation, qui est une
nécessité, se justifie et soit pleinement vécue. Que dire « hic et nunc » des administrations
spécialisées ?

Section 2 : Les administrations spécialisées

Les administrations spécialisées ou personnes administratives spécialisées se


distinguent des collectivités territoriales que sont l’Etat et les CTD. Elles ont un objectif
particulier à savoir la gestion de services publics spécialisés.

Au Cameroun, les administrations spécialisées sont de plusieurs ordres :


l’établissement public, le groupement d’intérêt public et les autorités administratives
indépendantes (ce sont des organismes administratifs ou publics indépendants : ELECAM,
CONAC et CNDHL, par exemple). Mais ne seront abordés dans le présent cours que
l’établissement public et le groupement d’intérêt public.

Paragraphe 1 : L’établissement public3

Le procédé de l’établissement public, qui est le plus répandu en droit public, implique
la création d’une nouvelle personne morale de droit public (création de l’université de
Yaoundé II) qui relève de la décentralisation par service, verticale ou fonctionnelle.

C’est le législateur qui est compétent, au regard de la constitution, pour créer les
catégories d’établissements publics. Ainsi, un établissement public de type nouveau ne peut
être crée que par lui. A contrario, c’est l’autorité administrative centrale (le Président de la
République) ou décentralisée (l’organe délibérant) qui est compétent pour créer un
établissement public dans une catégorie existante et selon les règles de compétence que la loi
a fixée et y met fin.

Cette fin peut résulter soit de la suppression de l’activité dont la gestion lui est confiée
(exemple : suppression de la formation universitaire), soit du retrait de la personne morale
(exemple : la liquidation ou le retour à la gestion en régie), soit enfin de la privatisation.

Il convient, au regard de ce qui précède, de déterminer d’abord l’être juridique de


l’établissement public avant d’examiner sa vie juridique.

A- L’être juridique

L’être juridique de l’établissement public concerne à la fois ses caractères généraux et


sa typologie.

L’Etablissement public est une personne morale de droit public qui assure la gestion
d’un service public spécialisé. L’absence d’homogénéité de la catégorie amène à penser que
l’on peut multiplier la typologie des établissements publics.

On distingue, en principe, l’établissement public à caractère corporatif ou de


corporation et l’établissement public fondatif ou de fondation ; l’établissement public national

3
Sur l’ensemble de la question, lire SANDIO KAMGA (Armel Habib), L’établissement public en droit
administratif camerounais, Thèse de doctorat/Ph. D. en droit public, Université de Yaoundé II, 2014.

92
et l’établissement public local ; l’établissement public administratif et l’établissement public à
caractère industriel et commercial.

La loi n°2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements


publics (qui abroge la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des
établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic), définit (article 4§4)
l’établissement public comme une « personne morale de droit public dotée de la personnalité
juridique et de l’autonomie financière, chargée de la gestion d’un service public ou de la
réalisation d’une mission spéciale d’intérêt général pour le compte de l’Etat ou d’une
collectivité territoriale décentralisée » (L’article 2 et 3 de la loi n°99/016 le définissait
comme une « personne morale de droit public dotée de l’autonomie financière et de la
personnalité juridique, ayant reçu de l’Etat ou d’une personne collectivité territoriale
décentralisée un patrimoine d’affectation en vue de réaliser une mission d’intérêt général ou
d’assurer une obligation de service public »).

Les établissements publics appartenant à l’Etat sont créés par décret du Président de la
République. Ceux appartenant à une collectivité territoriale décentralisée sont créés par
décision de son organe délibérant.

L’acte de création d’un établissement public appartenant à l’Etat précise notamment


ses missions, le patrimoine d’affectation ainsi que le ministère qui assure la tutelle technique,
les organes chargés de la gestion, leur domaine de compétence, les modalités de désignation
des personnes qui en ont la charge, de même que les règles de fonctionnement desdits
organes. Il est à préciser que les établissements publics administratifs n’ont pas la qualité de
commerçant. On peut citer, à titre d’exemple, l’Ecole Nationale d’Administration et de
Magistrature (ENAM), l’Agence de Régulation du Secteur de l’électricité (ARSEL), le
Conseil National des Chargeurs (CNC), l’Agence d’Electrification rurale (AER), l’Autorité
Portuaire Nationale (APN), etc.

Avant la loi n°99/016, les établissements à caractère industriel et commercial étaient


des personnes morales de droit public certes, mais leur activité ainsi que la gestion de leurs
rapports avec les usagers, la clientèle et le personnel étaient régies par le droit privé.

Cette loi a supprimé cette catégorie d’établissement en instituant en ses lieux et place
la société à capital public, aujourd’hui régie par la loi n°2017/011 du 12 juillet 2017 portant
statut général des entreprises publiques, qui a abrogé la précédente.

D’après l’article 3 §10 de cette loi, la société à capital public est une « personne
morale de droit privé dotée de l’autonomie financière et d’un capital action intégralement
détenu par l’Etat, une ou plusieurs collectivités territoriales décentralisées, créée en vue de
l’exécution dans l’intérêt général, d’activités présentant un caractère industriel, commercial
et financier » (D’après l’article 2 (5) de la loi n°99/016 abrogée, la société à capital public
était « une personne morale de droit privé dotée de l’autonomie financière et d’un capital
action intégralement détenu par l’Etat, une ou plusieurs collectivités territoriales
décentralisées, une ou plusieurs autres sociétés à capital public, créée en vue de l’exécution
dans l’intérêt général, d’activités présentant un caractère industriel, commercial et
financier »).

En instituant ce type de société, la loi n°99/016 se conformait ainsi aux règles et


principes édictés par l’Acte uniforme n°2 de l’OHADA relatif au droit des sociétés

93
commerciales et du groupement d’intérêt économique et le traité de la CEMAC. Un tel
changement a des implications tant au niveau de la création ladite société qu’au niveau de sa
gestion, sa dissolution ou sa liquidation. Il s’agit là d’une mutation juridique profonde qui a
affecté la distinction des établissements publics.

Quoiqu’il en soit, il existe à côté de l’établissement public à caractère administratif


d’autres formes d’établissements publics (à caractère social, hospitalier, culturel, scientifique,
technique, professionnel, économique et financier, spécial).

Un établissement public peut revêtir une ou plusieurs formes (article 2.2 de la loi
n°2017/010) et des lois particulières peuvent, en tant que de besoin, créer d’autres formes
d’établissements publics (article 1.3 de la loi n°2017/010) de par leur nature intrinsèque et les
missions qui sont les leurs.

Les Chambres consulaires (organismes consultatifs telles la Chambre de commerce, de


l’industrie, des mines et de l’artisanat et la Chambre d’Agriculture, de l’Elevage et des
pêches) sont exclues des dispositions de la loi n°2017/010. Que dire de la vie juridique des
établissements publics ? Que dire de la vie juridique des établissements publics ?

B- La vie juridique

La vie juridique des établissements publics concerne aussi bien leur organisation (A),
leur fonctionnement (B) que le contrôle auquel ils sont soumis (C). Elle est régie par des
règles contenues dans la loi n°2017/010 et les textes qui créent lesdits établissements publics.

1- L’organisation

L’organisation des EP n’est pas uniforme. On peut cependant en dégager des traits
essentiels qui les rapprochent. Ces traits sont relatifs aux organes et ressources.

a)- Les organes

En ce qui concerne les organes, ils constituent l’expression de l’autonomie des


établissements publics en ce qu’ils leur sont propres. On distingue d’une part, l’organe
délibérant, qui est le conseil d’administration ou ce qui en tient lieu, et, d’autre part, l’organe
exécutif, qui est représenté par la direction générale ou par toute autre instance, c’est le cas
du Recteur pour l’Université d’Etat, du Président de la Chambre d’Agriculture ou celui de la
Chambre de Commerce.

Le conseil d’administration a les pouvoirs les plus étendus. Il délibère sur l’ensemble
des affaires qui ressortissent du champ compétenciel de l’établissement public. Sa
composition est déterminée par le texte qui crée et organise l’établissement public concerné.

Quant à l’organe exécutif, il est chargé d’exécuter les décisions prises par l’organe
délibérant et de l’administration générale de l’établissement public.

Les membres de l’organe délibérant (Conseil d’administration) ainsi que ceux de


l’organe exécutif sont nommés par l’autorité ayant compétence pour créer l’établissement
public.

94
b)- Les ressources

L’établissement public possède un patrimoine et des biens matériels propres. Dans le


domaine financier, son autonomie se traduit essentiellement par l’existence d’un budget
autonome, c’est-à-dire un budget distinct de celui de la collectivité territoriale dont il dépend
et adopté par ses organes compétents. Ce budget est alimenté par les ressources propres et les
subventions de l’Etat.

L’Etablissement public a aussi un personnel. Celui-ci se décompose en trois


catégories : les fonctionnaires, les agents de l’Etat et les agents recrutés directement par
l’établissement public lui-même. Quid du fonctionnement des établissements publics ?

2- Le fonctionnement

De même que la loi s’attache à définir les règles qui encadrent la création et
l’organisation des établissements publics, elle détermine aussi leur mode de financement,
lequel est précisé par les différents textes créant lesdits établissements publics.

Ainsi, l’établissement public jouit des prérogatives de puissance publique et assure des
missions de service public. Ses organes de gestion prennent des décisions exécutoires et
passent des contrats, notamment administratifs.

Par ailleurs, l’établissement public, parce qu’il jouit d’une autonomie financière, a
vocation à « administrer (…), gérer librement les biens meubles, immeubles, corporels,
incorporels, et en numéraire constituant son patrimoine propre en vue de réaliser son objet
social » (Article 4 §2, loi n°2017/010).

A travers son autonomie financière, l’établissement public peut pourvoir à toutes les
dépenses en fonction des recettes liées à son activité ou alors au soutien de la collectivité
territoriale dont il dépend (Etat ou CTD). Sa comptabilité relève de la comptabilité publique.

Au demeurant, l’autonomie de l’établissement public n’est pas absolue. En effet, crée


et organisé par la collectivité territoriale (Etat ou CTD), l’établissement public est soumis à
son contrôle.

3- Le contrôle de l’Etat

Le contrôle administratif ou tutelle administrative est la contrepartie de l’autonomie de


l’établissement public. Ce contrôle s’exerce par la collectivité publique territoriale qui l’a créé
tant sur la personne des organes que sur les leurs actes, leur gestion et son patrimoine : c’est le
contrôle technique.

Le contrôle organique ou sur la personne des organes des établissements publics se


traduit par la nomination des dirigeants et leur relèvement de fonctions.

Quant au contrôle matériel ou sur les actes, il intervient en matière patrimoniale. C’est
ainsi que l’acceptation des libéralités par les établissements publics est soumise à
l’autorisation préalable de l’autorité de tutelle.

95
Il intervient également en matière financière. En effet, l’exécution du budget est
soumise au contrôle étroit de l’autorité de tutelle. Il intervient, enfin en matière administrative
car, les actes d’administration des organes des établissements publics sont soumis avant et
après leur édiction à l’autorité de tutelle. Mais, comme Janus Biface, la tutelle administrative
est aussi lâche.

Depuis 2010, il existe un autre type d’administration spécialisée au Cameroun, à


savoir le groupement d’intérêt public (GIP).

Paragraphe 2 : Le groupement d’intérêt public

Le procédé du groupement d’intérêt public implique la création d’une nouvelle


personne morale de droit public qui relève de la décentralisation par service, verticale ou
fonctionnelle.

Le groupement d’intérêt public (GIP) a pour base juridique la loi n°2010/023 du 21


décembre 2010 fixant le statut du groupement d’intérêt public4. Il convient de déterminer
d’une part son être juridique et, d’autre part sa vie juridique.

A- L’être juridique

D’après la loi n°2010/023, le groupement d’intérêt public est une personne morale de
droit public. Il dispose ainsi de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Il est
constitué entre l’Etat ou une collectivité territoriale décentralisée et d’autres personnes
morales de droit public ou de droit privé.

Il a pour but de permettre à ses créateurs « d’exercer ensemble des activités ayant un
caractère de mission de service public, dans un domaine bien déterminé » (article 2 al. 1). Il
s’agit d’une institution à but non lucratif.

Les domaines dans lesquels peut être créé le GIP sont : la recherche, l’action sanitaire
et sociale, le développement scientifique et technologique, l’éducation et les activités
culturelles et sportives (V. article 2 al. 2).

Les personnes physiques ne peuvent pas faire partie du GIP. Elles doivent
préalablement s’associer dans un regroupement conformément à la loi.

Le GIP est créé par une convention signée entre les parties au cours d’une assemblée
générale constitutive. Cette convention doit comporter la dénomination précédée ou survie de
la mention « GIP » ; l’objet et la durée ; la date et le lieu de la signature ; l’organisation ; le
siège social ; l’identité des parties, leurs responsabilités ou rôles particuliers.

La convention doit déterminer la nature et la valeur en argent des apports de chaque


partie, de même que les modalités de leur mise à disposition au GIP. Ces apports deviennent
le patrimoine du GIP qui détermine les conditions de leur affectation et de leur utilisation. La
convention instituant le GIP est approuvée par arrêté du premier ministre à la diligence du
ministre responsable du secteur d’activités concerné par ledit GIP.

4
Pour plus d’information sur cette loi, notamment l’intégralité du texte, voir Cameroun Tribune n°9749/5950 du
jeudi 23 décembre 2010.

96
C’est à compter de la signature de l’arrêté d’approbation que le GIP acquiert la
personnalité juridique. Cet arrêté ainsi que la convention de création du GIP sont publiés au
journal officiel. Toute modification des stipulations de la convention sont transmises au
premier ministre pour approbation et insertion au journal officiel.

La durée de vie d’un GIP peut être prorogée sur délibération de son assemblée
générale, copie de la résolution est transmise au premier ministre pour approbation et
publication au journal officiel.

B- La vie juridique

La vie juridique du GIP concerne aussi bien son organisation (1) que son
fonctionnement (2).

1- L’organisation

L’organisation du GIP concerne ses organes et ses ressources.

a)- Les organes

Les organes du GIP sont : l’Assemblée générale, le Comité de gestion et


l’Administrateur.

-L’Assemblée générale est l’organe délibérant et de pilotage stratégique du GIP. Elle


est composée des représentants des parties à la convention dument mandatés.

Elle est compétente, entre autres, pour réaliser l’objet du GIP ; déterminer la stratégie
d’intervention du GIP ; approuver ses comptes ; admettre ou exclure une partie ; désigner les
membres du comité de gestion ; examiner et approuver les rapports du comité de gestion ;
recruter et nommer l’administrateur, et recruter ou nommer le commissaire aux comptes.

L’A.G. se réunit une fois par an en session ordinaire. En tant que de besoin, elle peut
se réunir en session extraordinaire. Quid du comité de gestion ?

Le Comité de gestion assure la direction générale et le bon fonctionnement du GIP. A


ce titre, il prépare les sessions de l’AG, suit l’exécution de ses décisions ; supervise la gestion
du GIP ; dialogue avec les acteurs clés du système dans lequel le GIP opère.

La convention de création du GIP détermine l’étendue du mandat, les responsabilités


et la composition du comité de gestion. Qu’en est-il de l’administrateur ?

L’Administrateur : c’est la convention de création du GIP qui fixe les modalités de


son recrutement et ses missions.

Sous l’autorité du comité de gestion, il assure l’administration et la gestion


opérationnelle et quotidienne du GIP. Que dire des ressources de celui-ci ?

97
b)- Les ressources

Les ressources du GIP sont humaines et financières.

Les ressources humaines du GIP sont constituées des personnels propres recrutés
directement suivant les modalités prévues dans la convention de création.

Ces personnels doivent justifier des qualifications spécifiques et permettre de satisfaire


un besoin précis pour une durée déterminée.

Le GIP peut également employer des agents publics (par la mise à disposition ou par
détachement) ou des personnels qui lui sont affectés par des personnes morales de droit public
ou de droit privé qui sont parties à la convention. Qu’en est-il des ressources financières du
GIP.

Les ressources financières du GIP sont composées des apports des parties, des
produits de son activité, des dons et legs et des subventions.

Ces ressources sont des deniers publics. A ce titre, leur gestion est soumise au
contrôle des institutions publiques chargées du contrôle et de la vérification de la régularité et
de la sincérité des opérations de gestion des finances publiques.

On peut alors s’étonner que la loi affirme aussi que « les ressources du groupement
d’intérêt public sont gérées suivant les règles de la comptabilité privé (sic !) ».

Erreur de rédaction à la base ou reproduction erronée du texte par le journal


Cameroon Tribune5 ou alors formule consacrée à dessein par le législateur pour bien montrer
que le GIP a un régime juridique dual ou hybride, c’est-à-dire mi-public mi-privé, afin de se
conformer ainsi dans une certaine mesure au droit OHADA ? D’ailleurs, le fonctionnement du
GIP ne repose-t-il pas sur des règles mixtes ?

2- Le fonctionnement

Alors que la loi s’attache à définir les règles qui encadrent la création de l’organisation
du GIP, elle se contente d’indiquer que les modalités de son fonctionnement sont fixées par la
convention qui le crée (V. article 13).

Le GIP n’est pas assujetti aux dispositions du Code des marchés publics. Par
ailleurs, les litiges nés de l’interaction entre les parties à la convention de création du GIP
d’une part, et des rapports entre le GIP et les tiers, d’autre part, relèvent, suivant leur nature,
du juge compétent.

5
Voir l’intégralité du texte in Cameroon Tribune n°9749/5950 du jeudi 23 décembre 2010.

98
Il devrait s’agir, dans le premier cas du juge administratif (les parties à la convention
étant l’Etat ou une collectivité territoriale décentralisée et d’autres personnes morales de droit
public ou de droit privée) ou du juge judiciaire (si le tiers est une personne privée).

Le GIP peut être dissout soit par l’arrivée à son terme, soit par la réalisation ou
l’extinction de son objet social, soit enfin par décision de l’assemblée des membres, suivant
les modalités fixées par la convention qui le crée.

Cette dissolution entraine sa liquidation, laquelle s’effectue conformément aux clauses


de la convention de création. En cas de silence de cette dernière, c’est à l’AG qu’il revient de
prononcer ou de constater la dissolution du GIP, de nommer un liquidateur et fixer sa
rémunération.

Si dans un délai de 30 jours l’AG n’a pas nommé de liquidateur, ce dernier est nommé,
à la demande d’un membre ou d’un créancier du GIP, par décision de justice qui fixe
également les conditions de sa rémunération (article 27).
Il convient d’indiquer que les modalités de contrôle administratif ou de tutelle du GIP
par l’Etat ou toute autre personne publique ne sont pas déterminées par la loi fixant le statut
du GIP.

In fine, l’étude de l’organisation de l’administration du point de vue conceptuel et du


point opérationnel montre et démontre, à suffisance, la complexité de l’administration
publique. Cette dernière mène une activité multiforme dont l’étude approfondie se fera au
second semestre (Voir cours de Droit administratif 2).

Fin du cours du DAG1.

Pour le DA2, rendez-vous est pris au second semestre (2020/2021).

Yaoundé, le 30 novembre 2020

Bernard-Raymond Guimdo Dongmo


Agrégé des Facultés de Droit
Professeur

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