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Revue d'Archéométrie

Dendrochronologie et construction navale antique


Frédéric Guibal, Patrice Pomey

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Guibal Frédéric, Pomey Patrice. Dendrochronologie et construction navale antique. In: Revue d'Archéométrie, n°28, 2004. pp.
35-42;

doi : 10.3406/arsci.2004.1060

http://www.persee.fr/doc/arsci_0399-1237_2004_num_28_1_1060

Document généré le 22/03/2017


Abstract
The study of hull timber from 27 ancient shipwrecks located along the French Mediterranean seashore
has been carried out in order to build up a pool of master chronologies for dendrochronology analysis
of Mediterranean timber and to solve dating problems encountered by archaeologists. All shipwrecks
are dated according to cargo and board material between the 2nd century BC and the 4th century AD.
The current state of art of ring-width chronologies from 6 conifer species (Abies alba, Larix decidua,
Picea abies, Pinus nigra, Pinus type silvestris, Pinus leucodermis) and 2 broad-leaved species is
reported. Chronologies span from 5th century BC until first half of 4th century AD. In all, 3 tree species
out of 8 and 7 shipwrecks out of 27 are involved in cross-correlations between wrecks. Arguments
advanced to explain such difficulties in crossdating shipwrecks are (i) the insufficient length of the
overlap between two chronologies, (ii) differences in geographical origin of trees used in shipbuilding,
(iii) the poor representativeness of some mean chronologies in terms of regional climate environment.

Résumé
L'étude des coques de 27 épaves antiques localisées sur le littoral méditerranéen français a été
entreprise afin de constituer un échantillonnage de référence pour l'analyse dendrochronologique des
bois méditerranéens et répondre aux besoins de datation des recherches archéologiques. D'après la
cargaison et le matériel de bord, ces épaves sont datées entre le IIème s. av. J.-C. et le IVème s. ap.
J.-C. L'état des chronologies représentatives de 6 essences résineuses (Abies alba, Larix decidua,
Picea abies, Pinus nigra, Pinus type silvestris, Pinus leucodermis) et 2 essences feuillues (Quercus
sp., Ulmus campestris) est exposé : elles couvrent, en théorie, la période allant de la fin du Vème s. av.
J.-C. à la 1ère moitié du IVème s. ap. J.-C. Au total, 3 essences sur 8 et 7 épaves sur 27 sont
impliquées dans des synchronisations. Les raisons avancées pour expliquer les difficultés à
synchroniser les chronologies d'épaves de navires sont : 1) la longueur insuffisante du chevauchement
entre les chronologies, 2) les différences d'origine géographique des arbres utilisés pour la
construction des navires, 3) la représentativité insuffisante de certaines chronologies moyennes en
termes d'environnement climatique régional.
Dendrochronologie et construction navale antique

Frédéric GUIBAL* et Patrice POMEY**

Résumé : L'étude des coques de 27 épaves antiques localisées sur le littoral méditerranéen français a été entreprise afin de constituer
un échantillonnage de référence pour l'analyse dendrochronologique des bois méditerranéens et répondre aux besoins de datation des
recherches archéologiques. D'après la cargaison et le matériel de bord, ces épaves sont datées entre le Ilème s. av. J.-C. et le IVème s. ap.
J.-C. L'état des chronologies représentatives de 6 essences résineuses (Abies alba, Larix decidua, Picea abies, Pinus nigra, Pinus type
silvestris, Pinus leucodermis) et 2 essences feuillues (Quercus sp., Ulmus campestris) est exposé : elles couvrent, en théorie, la période
allant de la fin du Vème s. av. J.-C. à la 1ère moitié du IVème s. ap. J.-C. Au total, 3 essences sur 8 et 7 épaves sur 27 sont impliquées
dans des synchronisations. Les raisons avancées pour expliquer les difficultés à synchroniser les chronologies d'épaves de navires sont :
1) la longueur insuffisante du chevauchement entre les chronologies, 2) les différences d'origine géographique des arbres utilisés pour
la construction des navires, 3) la représentativité insuffisante de certaines chronologies moyennes en termes d'environnement climatique
régional.
Abstract : The study of hull timber from 27 ancient shipwrecks located along the French Mediterranean seashore has been carried out
in order to build up a pool of master chronologies for dendrochronology analysis of Mediterranean timber and to solve dating problems
encountered by archaeologists. All shipwrecks are dated according to cargo and board material between the 2nd century BC and the 4th
century AD. The current state of art of ring-width chronologies from 6 conifer species (Abies alba, Larix decidua, Picea abies, Pinus
nigra, Pinus type silvestris, Pinus leucodermis) and 2 broad-leaved species is reported. Chronologies span from 5th century BC until
first half of 4th century AD. In all, 3 tree species out of 8 and 7 shipwrecks out of 27 are involved in cross-correlations between wrecks.
Arguments advanced to explain such difficulties in crossdating shipwrecks are (i) the insufficient length of the overlap between two
(ii) differences in geographical origin of trees used in shipbuilding, (iii) the poor representativeness of some mean chronologies
in terms of regional climate environment.
Mots-clés : Dendrochronologie, bois, architecture navale, Antiquité, Méditerranée.
Key-words : Dendrochronology, timber, naval architecture, Ancient times, Mediterranean.

Introduction dendrochronologiques de premier choix. Le nombre élevé


de pièces de bois présentes sur la plupart des gisements,
La richesse du patrimoine archéologique constituée les caractéristiques dimensionnelles des plus importantes
par les nombreuses épaves antiques localisées sur la côte pièces de charpente (quille, étrave, étambot, varangues,
méditerranéenne française revêt un intérêt exceptionnel préceintes...), les modes de débitage des pièces permettent
pour l'histoire maritime, économique et navale au cours d'offrir des échantillons satisfaisant les exigences de
de la période antique (Pomey, 1998 ; Rival, 1991). la dendrochronologie (Baillie, 1995 ; Lambert, 1998).
Document fondamental dans l'étude des techniques de Apte à répondre aux questions chronologiques posées
construction des navires, le bois mérite d'être étudié par les épaves, l'analyse dendrochronologique peut
sous tous ses aspects, que ce soit du point de vue aussi bénéficier des données livrées par les charpentes
archéologique (fonction, débitage, marques d'outils), de nombreux gisements sous-marins dont beaucoup
dendromorphologique (nombre de cernes, croissance constituent des ensembles chronologiquement homogènes
moyenne, forme, anomalies, nœuds) ou xylologique (1er s. av. J.-C, Bas-Empire) pour contribuer à la mise en
(essence employée), l'ensemble de ces informations étant place des chronologies de référence et combler leur retard
replacé sur l'échelle chronologique en cours d'élaboration par rapport à celles de l'Europe médiotempérée où les
dans le cadre des études dendrochronologiques (Guibal études ont commencé plus de trente années auparavant
et Pomey, 1999). (Corona, 1983 ; Serre-Bachet, 1985).
A ce titre, les épaves de navires antiques du littoral Mais, malgré l'avantage représenté par l'abondance
méditerranéen français constituent une source de données des épaves sur les côtes méditerranéennes françaises,

* Institut Méditerranéen d'Ecologie et de Paléoécologie, UMR 6116 CNRS, Europôle Méditerranéen de l'Arbois, Pavillon Villemin, BP 80, 13545 AIX-
EN-PROVENCE Cedex 04. frederic.guibal@univ.u-3mrs.fr
** Centre Camille Jullian, UMR 6573 CNRS, Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme, 5, rue du Château de l'Horloge, BP 647, 13094 AIX-
EN-PROVENCE Cedex 2. pomey@mmsh.univ-aix.fr
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l'ignorance du lieu de construction des navires et de homogènes et individualisés ayant permis d'effectuer des
l'origine géographique des arbres utilisés pour leur prélèvements représentatifs pour les analyses
réalisation et leurs réparations ne va pas sans compliquer dendrochronologique et dendromorphologique. Soit
la démarche et freiner l'avancement des synchronisations au total vingt et une épaves, réparties du point de vue
d'un gisement à l'autre. Car, si la cargaison et le matériel chronologique comme suit :
de bord permettent de préciser le lieu d'embarquement - Ilème s. - première moitié du 1er s. ap. J.-C. : Baie
de la cargaison de l'ultime voyage et donc la date du de Briande, Chrétienne C, Pointe du Brouil, Cavalière,
naufrage, ils ne renseignent ni sur le lieu ni sur la date de Chrétienne A, Dr amont C, Caveaux I, Jeaume-Garde B,
construction du navire (Gianfrotta et Pomey, 1980). Seul Dramont A, Madrague de Giens, Pointe de Pomègues,
un réseau de chronologies de référence suffisamment Cap de l'Estérel, Planter III, Plane I, Roche-Fouras,
dense à l'échelle du bassin méditerranéen permettra de Tradelière.
dater, de localiser la provenance des arbres utilisés et - Ilème s. ap. J.-C. : Pointe de la Luque A, Saint-Ger-
de définir une région dans laquelle le bateau a pu être vais III.
construit. - fin Illème s. - IVème s. ap. J.-C. : Laurons 2, Pointe
Pour répondre à ces questions le programme de de la Luque B, Laurons 1.
Dendrochronologie et dendromorphologie des épaves Les épaves Chrétienne A et Chrétienne C ont été
antiques de Méditerranée a été engagé depuis 1991 par le par S. Wicha (1997) dans le cadre de son travail de
Centre Camille Jullian (CNRS - Université de Provence) D.E.A. ; les épaves Dramont A et Dramont C l'ont été par
et le Laboratoire de Chrono-Ecologie (CNRS - Université Ch. Dagneau {non publié).
de Franche-Comté) et, depuis 1994, Y Institut Afin d'avoir une vision détaillée et la plus
d'Ecologie et de Paléoécologie (CNRS - Université représentative possible de la diversité et de la fréquence
d'Aix-Marseille 3) avec le concours du Ministère de la des essences employées pour la construction d'un navire,
Culture et du Département des Recherches et à l'exception des pièces d'assemblage pour lesquelles
Sub-Aquatiques et Sous-Marines. Ce programme un échantillonnage a été réalisé, la quasi-totalité des
vise à établir un échantillonnage de référence pour pièces de la coque ont été examinées pour l'analyse
dendrochronologique des bois utilisés pour la dendromorphologique et prélevées pour l'identification
en région méditerranéenne afin de répondre aux anatomique des essences : un volume de matériau égal
problèmes chronologiques liés aux recherches à 1 cm3 suffit largement pour cela. Les observations
et développer, à partir des mêmes échantillons, les ont été effectuées au microscope photonique sur des
analyses dendromorphologiques des bois utilisés dans coupes minces réalisées manuellement selon les plans
la construction navale antique (Guibal et Pomey, 1998a, transversal, radial et tangentiel.
1999). La suite du texte rend compte des résultats den- Pour l'analyse dendrochronologique, une douzaine
drochronologiques majeurs obtenus dans le cadre de ce d'échantillons a été prioritairement recueillie par essence
programme à la date du 01.04.2001. sur les pièces qui offraient le plus grand nombre de
cernes afin d'acquérir l'assise chronologique la plus
Matériel et méthodes solide possible. Pour cela, un examen attentif de toutes
les sections transversales visibles a été préalablement
Le programme repose sur des séries de prélèvements nécessaire afin d'évaluer le nombre de cernes disponibles
systématiques d'échantillons de bois sur les vestiges de sur les pièces. Les prélèvements ont ensuite été réalisés
coques d'épaves connues et sélectionnées selon des en fonction de problématiques variées dans lesquelles
: entrent en compte réparations et remplois, destinées à
- géographiques (zones à forte densité d'épaves) ; mieux connaître l'histoire du navire, en veillant à limiter
- archéologiques (qualité et représentativité des les atteintes à l'intérêt muséographique de la coque.
; Après avoir sélectionné sur chaque pièce maintenue
- chronologiques (possibilité de corrélation entre les gorgée d'eau, un à trois rayons dépourvus de toute
chronologies moyennes stationnelles d'épaisseurs de déformation susceptible d'altérer la concentricité des
cernes). cernes, les rayons ont été rafraîchis à la lame de rasoir
A l'issue de huit campagnes de prélèvements, vingt- sur l'une de leurs faces transversales pour rendre les
sept épaves antiques localisées dans six secteurs cernes plus lisibles et les séries d'épaisseurs de cernes
géographiques du littoral méditerranéen français (rade de correspondantes ont été mesurées au 1/100 mm à l'aide
Marseille, golfe de Fos, îles d'Hyères, côte occidentale de la machine d'Eklund. Toutes les séries élémentaires
des Maures, côte de PEstérel, baie de Cannes) ont été d'une même essence ont ensuite été comparées selon deux
échantillonnées ; leur datation basée sur la cargaison et le approches afin de rechercher d'éventuels synchronismes
matériel de bord est estimée entre le Ilème s. av. J.-C. et inter-sériels :
le IVème s. ap. J.-C. (fig. 1). - à l'aide du test de Student t appliqué au coefficient de
Du fait de la quasi-disparition des épaves Laurons 5 corrélation inter-sériel calculé entre deux séries de données
et 6, alors que quatre autres, Grand Congloué IA et IB, standardisées en indices E (Lambert et Lavier, 1992) ;
Laurons 3 et 4, en voie de disparition, n'étaient plus - sur la base de l'identification de cernes ou de
représentées que par des fragments épars dont de cernes similaires sur plusieurs courbes
était impossible, seuls ont été pris en compte de la variation de l'épaisseur des cernes au cours du
les résultats propres aux épaves qui ont livré des vestiges temps, examinées deux à deux.
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Laurons I
Laurons I
Laurons III
fDD lin Laurons IV
Laurons V Baie de Briande
Laurons VI Pointe du Brouil
Saint- Gervais Cavalière Tradelière
Roche- Fpuras x*
Chrétienne A
Chrétienne C
Grand- Congioué IBIA JTj DramontA
Caveaux I ' Oramont C
Pointe de Pcmègues Esterai
Planier III Itafedrague de Giens
Plane Jeaume- Garde B
Luque A
I

Luque B

Figure 1 Localisation géographique des épaves.


Figure 1 : Map of the shipwrecks.
:

Une fois les synchronismes inter-sériels établis, la


chronologie moyenne individuelle propre à chaque pièce
a été construite puis, de la même façon qu'au cours de
l'étape précédente, les synchronismes entre pièces ont été
recherchés afin de bâtir une chronologie moyenne propre
à l'épave. Cette moyenne locale a ensuite été confrontée
à d'autres, représentatives de la même essence. Grand-Congloué 19 0 1 25
Baie de Briande 0 0 24 0
Chrétienne C 0 0 35 0
Résultats Pointe du Brouil 0 0 19 0
Cavalière 0 0 0 0 20 2
Chrétienne A 26 0 1 0 0 6 18
Avant d'exposer les résultats de l'analyse Dramont C 25 0 0 0 0 0
dendrochronologique, un aperçu de la diversité des Caveaux I 0 0 0 10 0 0
Jeaume-Garde B 3 0 0 0 10
essences identifiées par pièce architecturale et par navire Dramont A 0 17 0 0 33
sera donné. Seuls seront présentés les résultats relatifs Madrague de Giens 0 0 0 0 0
Pointe de Pomègues 0 4 0 0 10
aux pièces constitutives du bordé des navires, les résultats Cap de l'Esterel 0 0 0 0 15
détaillés des identifications menées sur la totalité des Planier III 0 0 0 0 0
Plane 0 0 0 0 5
types de pièces architecturales et sur toutes les épaves Roche-Fouras 0 16 0 0 0
I

ayant fait l'objet d'autres publications (Guibal et Pomey, Tradelière 0 0 0 0 23


Luque A 0 0 14 0 0
1998a, 1998b, 1999). Saint-Gervais III 18 0 0 0 6
Laurons 2 14 2 6 0 0
Luque B 0 0 3 0 0
Bordé (Tab. 1) Laurons 1 14 0 10 0 0
L'emploi d'essences résineuses est très fréquent ;
l'élasticité élevée de leur bois, offrant la souplesse Tableau I : Nombre de virures de bordé identifiées par essence et par
à la mise en forme des coques selon les procédés épave.
Table I : Number of strokes identified by species and shipwreck.
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de construction bordé premier en usage dans l'Antiquité Analyse dendrochronologique
méditerranéenne (Pomey, 1998), en est probablement la
raison. A côté d'essences de montagne tel le mélèze ou La figure 2 synthétise l'état au 01.04.2001 des
le pin type sylvestre1, tous deux dotés d'une bonne stationnelles construites dans le cadre de notre
et durabilité ainsi que d'une résistance aux chocs programme. Sur l'axe des abscisses sont reportés des
et à la compression élevée (Venet, 1986), une large dont la longueur correspond à la période couverte
du pin d'Alep prévaut, essence facile par la chronologie moyenne pour une essence et pour une
pour un chantier naval localisé sur les côtes épave donnée ; la hauteur des rectangles est
méditerranéennes . au nombre de séries individuelles (pièces) prises en
Neuf épaves {Baie deBriande, Chrétienne C, Caveaux compte dans le calcul de la moyenne. Du fait qu'aucune
I, Cap de l'Estérel, Planier III, Plane I, Roche-Fouras, chronologie n'a pour l'instant été corrélée à un référen-
Pointe de la Luque A et B) offrent une forte tiel, toutes demeurent flottantes, c'est-à-dire qu'elles ne
en ne faisant intervenir qu'une seule essence sont pas datées de façon absolue, à l'année près. Le
(sapin, mélèze, pin type sylvestre, pin de Bosnie, pin des chronologies sur l'axe des abscisses n'est
noir) pour la réalisation du bordé. L'épave des Laurons qu'approximatif ; il a été établi en fonction des
2 avec quatre essences différentes (sapin, pin d'Alep, procurées par la cargaison, et, lorsque le gisement le
pin pignon, mélèze) pour le bordé se singularise par son permettait, le matériel de bord et/ou les monnaies.
hétérogénéité. Seules sont figurées les chronologies représentatives
A côté de cet ensemble, la Madrague de Giens avec des essences dont l'épaisseur des cernes est exploitable
son bordé principal en orme, dans lequel le pin noir et par la dendrochronologie. Les séries issues de pièces
le sapin n'apparaissent que lors de réparations, témoigne débitées dans du peuplier, du saule, du noyer ou de l'aulne
d'un souci de qualité, attesté aussi par la présence d'un n'ont pas fait l'objet de mesures car les arbres présentent
bordé de doublage. Comme celui des épaves Pointe du l'inconvénient d'offrir une faible variation interanuelle
Brouil, Dramont A et Pointe de Pomègues, il est réalisé de l'épaisseur des cernes et de dépendre davantage des
en sapin, bois dont l'élasticité et la souplesse (Venet, conditions stationnelles (édaphisme) que des conditions
1986) répondent bien à la fonction recherchée. climatiques qui prévalent à l'échelle régionale (Trenard,

-300 -200 -100 100 200 300 400


i
i

I
L-.s-.s-.s-j TRADELIERE

DRAMONTA
h i'il Larix ctecidua

CHRETIENNEA »♦♦! FVcea abies


CHRETIENNE C Pinus nigra
Pinus type sHvestris
BAIE DE BRIANDE
_■ - ■ - ■ _. -_. -_. -cw^a POINTE DU BROUIL Abies aiba
i

Ubitus campestris
MADRAGUE DE GIENS Quetvus sp.
m-m-m-m-m-m-m-m-
l.-...-.:.:.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-. ESTEREL
lilaliij JEAUME-GARDE B [ 12 saies
■•;■•:■■!■* caveaux
PLANER III
I

PLANE
I

1-vvvvvvvvvvvvvvT.aaa PomTE DE LAURONS 2


POMEGUES 33J LAURONS 1

-300 -200 -100 100 200 300 400

Figure 2 : Bloc-diagramme des chronologies moyennes d'épaisseurs de cernes représentatives d'épaves antiques sur la côte méditerranéenne
Figure 2 : Bar-diagram showing the mean ring-width chronologies obtained from ancient shipwrecks located along the French Mediterranean

1 L'impossibilité de différencier ranatomie du bois du pin sylvestre {Pinus sylvestris L.) de celle du bois du pin à crochets {Pinus uncinata Ramond.)
nous amène à regrouper les deux taxons sous l'appellation pin type sylvestre.
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Dendrochronologie et construction navale antique 39
1992). L'examen de la figure 2 révèle des L'ignorance du lieu de construction des navires et
représentatives de huit essences différentes. Seules de l'origine géographique des arbres utilisés pour leur
figurent six essences résineuses montagnardes et confection ralentit l'avancement des synchronisations
(mélèze, épicéa, pin noir, pin type sylvestre, pin de d'un gisement à l'autre comme en témoigne le très
Bosnie, sapin) et deux essences feuillues (chêne, orme). faible nombre de corrélations inter-épaves dégagées.
Les chronologies sont distribuées entre la fin du Au terme de huit campagnes de prélèvements qui ont
Vème s. av. J.-C. et la 1ère moitié du IVème s. ap. J.-C. conduit à l'analyse des épaisseurs de cernes de vingt
Les Illème, Ilème et 1er s. av. J.-C. sont particulièrement et une épaves parmi vingt-sept échantillonnées, seules
bien représentés. Lorsque deux chronologies sept épaves sont impliquées dans des synchronismes.
représentatives de la même essence offraient des chances Si toutes les chronologies moyennes qui entrent en jeu
de contemporanéité, les synchronismes ont été recherchés dans ces corrélations avoisinent ou dépassent la centaine
avec la plus grande attention. Au total, trois essences font de cernes, reflétant ainsi la relation entre la longueur des
intervenir des synchronismes inter-épaves : séries et la probabilité de leur synchronisation (Pilcher et
- le pin type sylvestre des épaves Jeaume-Garde B et Cap Baillie, 1987), notons cependant que pas moins de seize
de l'Estérel ; Dramont A et Madrague de Giens (fig. 3) ; chronologies supérieures à 100 cernes ne corrèlent avec
- le sapin des épaves Chrétienne C, Baie de Briande et aucune autre.
Pointe du Brouil (fig. 4) ; Une première cause de la rareté des corrélations
- le chêne des épaves Baie de Briande et Dramont A significatives peut être la longueur insuffisante du
(ng. 5). chevauchement entre les chronologies moyennes
comparées deux à deux. Si cette hypothèse vaut pour les
Discussion couples Pointe du Brouil-Chrétienne A ou Madrague de
Giens-Pointe de Pomègues, elle ne tient plus pour les
Les chronologies moyennes obtenues dans le cadre de couples Dramont A-Chrétienne A ou Dramont A-Pointe
ce programme ont été confrontées, sans succès, à d'autres de Pomègues, pour ne citer que deux exemples. Une
chronologies acquises sur d'autres épaves antiques du deuxième cause n'est probablement pas sans rapport avec
littoral méditerranéen français (Guibal, 1998) et à des le fait que les sujets d'où proviennent les chronologies
chronologies moyennes construites à partir de sites de cernes, bien que contemporains, ont pu avoir poussé
terrestres en région méditerranéenne française (Guibal soit dans des conditions stationnelles, soit sous des
et Tessier, 1998). En l'absence d'autres chronologies conditions climatiques trop différentes pour offrir des
représentatives d'épaves antiques, la confrontation avec séquences de cernes caractéristiques communes ; d'un
des épaves localisées sur les côtes de pays voisins n'a pu site à l'autre, les arbres ayant été exposés à des conditions
être menée. interannuelles différentes traduisent ces conditions par des
600 T-

500 -

400

300

200

=H 100

2!iO
-100 -

-200

-300

-400
Years
Figure 3 : Synchronisation des chronologies moyennes indicées (Pinus type sylvestris) des épaves Jeaume-Garde B - Cap de l'Estérel ; Dramont A -
Madrague de Giens.
Figure 3 : Cross-dating of the indexed mean chronologies (Pinus type sylvestris) from Jeaume-Garde B - Cap de l 'Estérel ; Dramont A - Madrague de
Giens shipwrecks.
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40 F. Guibal et P. Pomey
400

300

KiO
8 -100 -

-200

-300

-400 -

-500
Années relatives
Figure 4 Synchronisation des chronologies moyennes indicées (Abies alba) des épaves Chrétienne C, Baie de Briande et Pointe du Brouil.
Figure 4 : Cross-dating of the indexed mean chronologies (Abies alba) from Chrétienne C, Baie de Briande and Pointe du Brouil shipwrecks.
:

-300
Années relatives
Figure 5 : Synchronisation des chronologies moyennes indicées (Quercus sp.) des épaves Baie de Briande et Dramont A.
Figure 5 : Cross-dating of the indexed mean chronologies (Quercus sp.)from Baie de Briande and Dramont A shipwrecks.

accroissements annuels différents. Enfin, une troisième l'épave Caveaux I dont la forte corrélation et la bonne
cause tient vraisemblablement à la représentativité concordance visuelle atteste que les pièces proviennent
insuffisante de certaines chronologies moyennes, surtout, de la même bille (fig. 6) n'est pas un exemple isolé dans
lorsque la majorité sinon la totalité des chronologies la mesure où, dans un souci d'optimiser l'utilisation
élémentaires composant les moyennes proviennent du du matériau-bois, les charpentiers navals antiques ont
même arbre. A cet égard, le cas des virures du bordé de fréquemment scié le plus grand nombre possible de
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1000

100

40 60 80 100 120 140 160 180 200 220 240


Années relatives
Figure 6 : Synchronisation des chronologies (données brutes) de sept virures de bordé (Pinus leucodermis) de l'épave Caveaux I.
Figure 6 : Cross-dating of chronologies (raw data) from seven strokes (Pinus leucodermis) from Caveaux I shipwreck.

1000

10
50 100 150 200
Années relatives

Figure 7 Synchronisation des chronologies moyennes (données brutes) des épaves Dramont A et Madrague de Giens (Pinus type sylvestris).
Figure 7 : Cross-dating of chronologies (raw data) from Dramont A and Madrague de Giens shipwrecks (Pinus type sylvestris).
:

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42 F. Guibal et P. Pomey
virures dans la même bille (Guibal et Pomey, 1998b). Il Bibliographie
en résulte que, dans le cas de l'épave Caveaux I, malgré
une chronologie moyenne très longue (259 années), celle- BAILLIE,
andprecision
M. G.dating.
L., 1995
B.T.- Batsford
A slice through
Ltd, London,
time. Dendrochronology
176 p.
ci ne reflète la croissance que d'un seul individu et n'est CORONA, E., 1983 - Dendrocronologia in Italia. Dendrochronologia,
donc pas représentative de l'environnement climatique 1,21-35.
régional. GIANFROTTA, P. et POMEY, P., 1980 - Archeologia Subacquea :
Le faible nombre de synchronismes inter-épaves est storia, techniche, scoperte e relitti, Milan, Arnoldo Mondadori ed.
malgré tout encourageant et ne peut qu'inciter les GUIBAL, F., 1998 - Dendrochronologie des épaves de navires
sous-marins, les spécialistes d'architecture navale de Méditerranée. Archaeonautica, 14, 303-308.
de la Méditerranée antique et les dendrochronologues à GUIBAL, F. et POMEY, P., 1998a - Nouvelles recherches sur les
épaves antiques de Méditerranée : dendrochronologie et dendromor-
travailler ensemble. L'exemple de la corrélation entre les phologie. Actes du Colloque Navigation, Echanges et
chronologies de pin type sylvestre des épaves Dramont en Méditerranée, 11-14/04/1996, Montpellier, 41-54.
A et Madrague de Giens (fig. 7) est révélateur des GUIBAL, F. et POMEY, p., 1998b - L'utilisation du matériau-bois
qui peuvent être tirés d'une synchronisation, dans la construction navale antique : analyse anatomique et den-
drochronologique. Congrès nat. Soc. Hist. Scient., 120e, Aix-en-
bien au-delà des seuls aspects chronologiques. En effet, Provence 1995, Nice, 1996, Archéologie Méditerranée, Editions du
la corrélation entre les variations interannuelles (haute- C.T.H.S., 159-175.
fréquence) bien reproduites sur les deux courbes atteste GUIBAL, F. et POMEY, P., 1999 - Essences et qualité des billes
employées dans la construction
Actes navale
que les arbres inclus dans les deux moyennes ont été antique" :Forêt
étudeetanatomique
et dendrochronologique. du Colloque Marine ".
soumis aux mêmes conditions climatiques (Schweingru- Groupe d'Histoire des Forêts Françaises, 10-13/09/1997,
ber, 1988). A côté de cela, les variations de moyenne et Paris, 15-32.
basse fréquence qui affectent chaque chronologie sur des GUIBAL, F. et TESSIER, L., 1998 - L'apport de l'analyse
dendrochronologique et dendroclimatologique à la connaissance du
séquences supérieures à une demi-douzaine de cernes et climat de la vallée du Rhône du Ier s. avant J.-C au IIe s. après J.-C.
contribuent à altérer, par des oscillations plus ou moins Méditerranée, 90, 4, 5-10.
longues, l'allure générale des courbes, sont, elles aussi, LAMBERT, G.-N., 1998 - La dendrochronologie, mémoire de l'arbre.
In La datation en laboratoire, Collection «Archéologiques» (A.
bien reproduites sur les deux moyennes. Compte tenu de Ferdière éd.), Errance, Paris, 13-69.
la part des facteurs locaux dans cette gamme de variance LAMBERT, G.-N. et LAVIER, C, 1992 - L'étalon de datation
(Schweingruber, 1996), la probabilité que les pins dendrochronologique Bourgogne 29. In Les veines du temps.
pour la confection du bordé des épaves Dramont A Lectures de bois en Bourgogne, Autun, Musée Rolin, ISBN 901.288,
Catalogue d'exposition, 123-156.
et Madrague de Giens aient poussé dans les mêmes PILCHER, J. R. et BAILLIE, M. G. L., 1987 - The Belfast CROS
environnementales, et vraisemblablement dans le Program. Some Observations. In Applications of tree-ring studies.
même massif forestier, paraît ici élevée. Les épaves Current research in dendrochronology and related subjects (R. G. W.
Ward éd.), B. A. R., International Series 333, 157-163.
A et Madrague de Giens présentent aussi des pièces POMEY, P., 1998 - Conception et réalisation des navires dans
débitées dans du chêne dont les chronologies moyennes méditerranéenne, dans E. Rieth (dir.) Concevoir et construire
ne synchronisent pas. Les conséquences ne sont pas sans les navires. TIP, 13, 1, Ed. ERES, Ramonville Saint-Agne, 49-72.
intérêt en termes d'approvisionnement en bois dans la RIVAL, M., 1991 - La charpenterie navale romaine. Matériaux,
construction navale antique car, si un même massif de pin méthodes, moyens, Travaux du Centre Camille Jullian, n°4, Paris,
Ed. CNRS, 324 p.
type sylvestre, vraisemblablement localisé à une altitude SCHWEINGRUBER, F.H., 1988 - Tree Rings. Basics and
supérieure à 800 m, semble avoir été exploité, par un seul of Dendrochronology, Kluwer Acad. Publ., Dordrecht, 276 p.
ou par deux chantiers de construction, pour SCHWEINGRUBER, F.H., 1996 - Tree Rings and Environment :
deux navires de commerce, l'absence de corrélation Dendroecology, Paul Haupt Publ., Berne, 609 p., ISBN: 3-258-
entre les deux chronologies de chêne laisse penser qu'à 05458-4
une altitude inférieure, des chênaies différentes ont été SERRE-BACHET, F., 1985 - La dendrochronologie dans le bassin
méditerranéen. Dendrochronologia, 3, 77-92.
exploitées pour les deux mêmes embarcations.
TRENARD, Y., 1992 - Dendrochronologie : le compte à rebours du
bois. In Les veines du temps. Lectures de bois en Bourgogne, Autun,
Remerciements Musée Rolin, ISBN 901.288, 43-73.
VENET, J., 1986 - Identification et classement des bois français. 2ème
Les auteurs adressent leurs remerciements à l'ensemble des éd., Nancy, ENGREF éd., 311p.
et plongeurs qui ont participé aux différentes opérations de WICHA, S., 1997 - Analyse dendrochronologique de deux épaves
terrain et à un relecteur anonyme qui a permis d'améliorer la version Chrétienne A et C. Mémoire de D.E.A. Préhistoire,
initiale du manuscrit. Histoire et Civilisations de l'Antiquité et du Moyen-Age,
de Provence, 45 p., 17 fig., 4 tabl.

Revue d'Archéométrie, 28, 2004, 35-42

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