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Guibal Frédéric, Pomey Patrice. Dendrochronologie et construction navale antique. In: Revue d'Archéométrie, n°28, 2004. pp.
35-42;
doi : 10.3406/arsci.2004.1060
http://www.persee.fr/doc/arsci_0399-1237_2004_num_28_1_1060
Résumé
L'étude des coques de 27 épaves antiques localisées sur le littoral méditerranéen français a été
entreprise afin de constituer un échantillonnage de référence pour l'analyse dendrochronologique des
bois méditerranéens et répondre aux besoins de datation des recherches archéologiques. D'après la
cargaison et le matériel de bord, ces épaves sont datées entre le IIème s. av. J.-C. et le IVème s. ap.
J.-C. L'état des chronologies représentatives de 6 essences résineuses (Abies alba, Larix decidua,
Picea abies, Pinus nigra, Pinus type silvestris, Pinus leucodermis) et 2 essences feuillues (Quercus
sp., Ulmus campestris) est exposé : elles couvrent, en théorie, la période allant de la fin du Vème s. av.
J.-C. à la 1ère moitié du IVème s. ap. J.-C. Au total, 3 essences sur 8 et 7 épaves sur 27 sont
impliquées dans des synchronisations. Les raisons avancées pour expliquer les difficultés à
synchroniser les chronologies d'épaves de navires sont : 1) la longueur insuffisante du chevauchement
entre les chronologies, 2) les différences d'origine géographique des arbres utilisés pour la
construction des navires, 3) la représentativité insuffisante de certaines chronologies moyennes en
termes d'environnement climatique régional.
Dendrochronologie et construction navale antique
Résumé : L'étude des coques de 27 épaves antiques localisées sur le littoral méditerranéen français a été entreprise afin de constituer
un échantillonnage de référence pour l'analyse dendrochronologique des bois méditerranéens et répondre aux besoins de datation des
recherches archéologiques. D'après la cargaison et le matériel de bord, ces épaves sont datées entre le Ilème s. av. J.-C. et le IVème s. ap.
J.-C. L'état des chronologies représentatives de 6 essences résineuses (Abies alba, Larix decidua, Picea abies, Pinus nigra, Pinus type
silvestris, Pinus leucodermis) et 2 essences feuillues (Quercus sp., Ulmus campestris) est exposé : elles couvrent, en théorie, la période
allant de la fin du Vème s. av. J.-C. à la 1ère moitié du IVème s. ap. J.-C. Au total, 3 essences sur 8 et 7 épaves sur 27 sont impliquées
dans des synchronisations. Les raisons avancées pour expliquer les difficultés à synchroniser les chronologies d'épaves de navires sont :
1) la longueur insuffisante du chevauchement entre les chronologies, 2) les différences d'origine géographique des arbres utilisés pour
la construction des navires, 3) la représentativité insuffisante de certaines chronologies moyennes en termes d'environnement climatique
régional.
Abstract : The study of hull timber from 27 ancient shipwrecks located along the French Mediterranean seashore has been carried out
in order to build up a pool of master chronologies for dendrochronology analysis of Mediterranean timber and to solve dating problems
encountered by archaeologists. All shipwrecks are dated according to cargo and board material between the 2nd century BC and the 4th
century AD. The current state of art of ring-width chronologies from 6 conifer species (Abies alba, Larix decidua, Picea abies, Pinus
nigra, Pinus type silvestris, Pinus leucodermis) and 2 broad-leaved species is reported. Chronologies span from 5th century BC until
first half of 4th century AD. In all, 3 tree species out of 8 and 7 shipwrecks out of 27 are involved in cross-correlations between wrecks.
Arguments advanced to explain such difficulties in crossdating shipwrecks are (i) the insufficient length of the overlap between two
(ii) differences in geographical origin of trees used in shipbuilding, (iii) the poor representativeness of some mean chronologies
in terms of regional climate environment.
Mots-clés : Dendrochronologie, bois, architecture navale, Antiquité, Méditerranée.
Key-words : Dendrochronology, timber, naval architecture, Ancient times, Mediterranean.
* Institut Méditerranéen d'Ecologie et de Paléoécologie, UMR 6116 CNRS, Europôle Méditerranéen de l'Arbois, Pavillon Villemin, BP 80, 13545 AIX-
EN-PROVENCE Cedex 04. frederic.guibal@univ.u-3mrs.fr
** Centre Camille Jullian, UMR 6573 CNRS, Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme, 5, rue du Château de l'Horloge, BP 647, 13094 AIX-
EN-PROVENCE Cedex 2. pomey@mmsh.univ-aix.fr
Revue d'Archéométrie, 28, 2004, 35-42
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l'ignorance du lieu de construction des navires et de homogènes et individualisés ayant permis d'effectuer des
l'origine géographique des arbres utilisés pour leur prélèvements représentatifs pour les analyses
réalisation et leurs réparations ne va pas sans compliquer dendrochronologique et dendromorphologique. Soit
la démarche et freiner l'avancement des synchronisations au total vingt et une épaves, réparties du point de vue
d'un gisement à l'autre. Car, si la cargaison et le matériel chronologique comme suit :
de bord permettent de préciser le lieu d'embarquement - Ilème s. - première moitié du 1er s. ap. J.-C. : Baie
de la cargaison de l'ultime voyage et donc la date du de Briande, Chrétienne C, Pointe du Brouil, Cavalière,
naufrage, ils ne renseignent ni sur le lieu ni sur la date de Chrétienne A, Dr amont C, Caveaux I, Jeaume-Garde B,
construction du navire (Gianfrotta et Pomey, 1980). Seul Dramont A, Madrague de Giens, Pointe de Pomègues,
un réseau de chronologies de référence suffisamment Cap de l'Estérel, Planter III, Plane I, Roche-Fouras,
dense à l'échelle du bassin méditerranéen permettra de Tradelière.
dater, de localiser la provenance des arbres utilisés et - Ilème s. ap. J.-C. : Pointe de la Luque A, Saint-Ger-
de définir une région dans laquelle le bateau a pu être vais III.
construit. - fin Illème s. - IVème s. ap. J.-C. : Laurons 2, Pointe
Pour répondre à ces questions le programme de de la Luque B, Laurons 1.
Dendrochronologie et dendromorphologie des épaves Les épaves Chrétienne A et Chrétienne C ont été
antiques de Méditerranée a été engagé depuis 1991 par le par S. Wicha (1997) dans le cadre de son travail de
Centre Camille Jullian (CNRS - Université de Provence) D.E.A. ; les épaves Dramont A et Dramont C l'ont été par
et le Laboratoire de Chrono-Ecologie (CNRS - Université Ch. Dagneau {non publié).
de Franche-Comté) et, depuis 1994, Y Institut Afin d'avoir une vision détaillée et la plus
d'Ecologie et de Paléoécologie (CNRS - Université représentative possible de la diversité et de la fréquence
d'Aix-Marseille 3) avec le concours du Ministère de la des essences employées pour la construction d'un navire,
Culture et du Département des Recherches et à l'exception des pièces d'assemblage pour lesquelles
Sub-Aquatiques et Sous-Marines. Ce programme un échantillonnage a été réalisé, la quasi-totalité des
vise à établir un échantillonnage de référence pour pièces de la coque ont été examinées pour l'analyse
dendrochronologique des bois utilisés pour la dendromorphologique et prélevées pour l'identification
en région méditerranéenne afin de répondre aux anatomique des essences : un volume de matériau égal
problèmes chronologiques liés aux recherches à 1 cm3 suffit largement pour cela. Les observations
et développer, à partir des mêmes échantillons, les ont été effectuées au microscope photonique sur des
analyses dendromorphologiques des bois utilisés dans coupes minces réalisées manuellement selon les plans
la construction navale antique (Guibal et Pomey, 1998a, transversal, radial et tangentiel.
1999). La suite du texte rend compte des résultats den- Pour l'analyse dendrochronologique, une douzaine
drochronologiques majeurs obtenus dans le cadre de ce d'échantillons a été prioritairement recueillie par essence
programme à la date du 01.04.2001. sur les pièces qui offraient le plus grand nombre de
cernes afin d'acquérir l'assise chronologique la plus
Matériel et méthodes solide possible. Pour cela, un examen attentif de toutes
les sections transversales visibles a été préalablement
Le programme repose sur des séries de prélèvements nécessaire afin d'évaluer le nombre de cernes disponibles
systématiques d'échantillons de bois sur les vestiges de sur les pièces. Les prélèvements ont ensuite été réalisés
coques d'épaves connues et sélectionnées selon des en fonction de problématiques variées dans lesquelles
: entrent en compte réparations et remplois, destinées à
- géographiques (zones à forte densité d'épaves) ; mieux connaître l'histoire du navire, en veillant à limiter
- archéologiques (qualité et représentativité des les atteintes à l'intérêt muséographique de la coque.
; Après avoir sélectionné sur chaque pièce maintenue
- chronologiques (possibilité de corrélation entre les gorgée d'eau, un à trois rayons dépourvus de toute
chronologies moyennes stationnelles d'épaisseurs de déformation susceptible d'altérer la concentricité des
cernes). cernes, les rayons ont été rafraîchis à la lame de rasoir
A l'issue de huit campagnes de prélèvements, vingt- sur l'une de leurs faces transversales pour rendre les
sept épaves antiques localisées dans six secteurs cernes plus lisibles et les séries d'épaisseurs de cernes
géographiques du littoral méditerranéen français (rade de correspondantes ont été mesurées au 1/100 mm à l'aide
Marseille, golfe de Fos, îles d'Hyères, côte occidentale de la machine d'Eklund. Toutes les séries élémentaires
des Maures, côte de PEstérel, baie de Cannes) ont été d'une même essence ont ensuite été comparées selon deux
échantillonnées ; leur datation basée sur la cargaison et le approches afin de rechercher d'éventuels synchronismes
matériel de bord est estimée entre le Ilème s. av. J.-C. et inter-sériels :
le IVème s. ap. J.-C. (fig. 1). - à l'aide du test de Student t appliqué au coefficient de
Du fait de la quasi-disparition des épaves Laurons 5 corrélation inter-sériel calculé entre deux séries de données
et 6, alors que quatre autres, Grand Congloué IA et IB, standardisées en indices E (Lambert et Lavier, 1992) ;
Laurons 3 et 4, en voie de disparition, n'étaient plus - sur la base de l'identification de cernes ou de
représentées que par des fragments épars dont de cernes similaires sur plusieurs courbes
était impossible, seuls ont été pris en compte de la variation de l'épaisseur des cernes au cours du
les résultats propres aux épaves qui ont livré des vestiges temps, examinées deux à deux.
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Laurons I
Laurons I
Laurons III
fDD lin Laurons IV
Laurons V Baie de Briande
Laurons VI Pointe du Brouil
Saint- Gervais Cavalière Tradelière
Roche- Fpuras x*
Chrétienne A
Chrétienne C
Grand- Congioué IBIA JTj DramontA
Caveaux I ' Oramont C
Pointe de Pcmègues Esterai
Planier III Itafedrague de Giens
Plane Jeaume- Garde B
Luque A
I
Luque B
I
L-.s-.s-.s-j TRADELIERE
DRAMONTA
h i'il Larix ctecidua
■
Ubitus campestris
MADRAGUE DE GIENS Quetvus sp.
m-m-m-m-m-m-m-m-
l.-...-.:.:.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-.:-. ESTEREL
lilaliij JEAUME-GARDE B [ 12 saies
■•;■•:■■!■* caveaux
PLANER III
I
PLANE
I
Figure 2 : Bloc-diagramme des chronologies moyennes d'épaisseurs de cernes représentatives d'épaves antiques sur la côte méditerranéenne
Figure 2 : Bar-diagram showing the mean ring-width chronologies obtained from ancient shipwrecks located along the French Mediterranean
1 L'impossibilité de différencier ranatomie du bois du pin sylvestre {Pinus sylvestris L.) de celle du bois du pin à crochets {Pinus uncinata Ramond.)
nous amène à regrouper les deux taxons sous l'appellation pin type sylvestre.
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1992). L'examen de la figure 2 révèle des L'ignorance du lieu de construction des navires et
représentatives de huit essences différentes. Seules de l'origine géographique des arbres utilisés pour leur
figurent six essences résineuses montagnardes et confection ralentit l'avancement des synchronisations
(mélèze, épicéa, pin noir, pin type sylvestre, pin de d'un gisement à l'autre comme en témoigne le très
Bosnie, sapin) et deux essences feuillues (chêne, orme). faible nombre de corrélations inter-épaves dégagées.
Les chronologies sont distribuées entre la fin du Au terme de huit campagnes de prélèvements qui ont
Vème s. av. J.-C. et la 1ère moitié du IVème s. ap. J.-C. conduit à l'analyse des épaisseurs de cernes de vingt
Les Illème, Ilème et 1er s. av. J.-C. sont particulièrement et une épaves parmi vingt-sept échantillonnées, seules
bien représentés. Lorsque deux chronologies sept épaves sont impliquées dans des synchronismes.
représentatives de la même essence offraient des chances Si toutes les chronologies moyennes qui entrent en jeu
de contemporanéité, les synchronismes ont été recherchés dans ces corrélations avoisinent ou dépassent la centaine
avec la plus grande attention. Au total, trois essences font de cernes, reflétant ainsi la relation entre la longueur des
intervenir des synchronismes inter-épaves : séries et la probabilité de leur synchronisation (Pilcher et
- le pin type sylvestre des épaves Jeaume-Garde B et Cap Baillie, 1987), notons cependant que pas moins de seize
de l'Estérel ; Dramont A et Madrague de Giens (fig. 3) ; chronologies supérieures à 100 cernes ne corrèlent avec
- le sapin des épaves Chrétienne C, Baie de Briande et aucune autre.
Pointe du Brouil (fig. 4) ; Une première cause de la rareté des corrélations
- le chêne des épaves Baie de Briande et Dramont A significatives peut être la longueur insuffisante du
(ng. 5). chevauchement entre les chronologies moyennes
comparées deux à deux. Si cette hypothèse vaut pour les
Discussion couples Pointe du Brouil-Chrétienne A ou Madrague de
Giens-Pointe de Pomègues, elle ne tient plus pour les
Les chronologies moyennes obtenues dans le cadre de couples Dramont A-Chrétienne A ou Dramont A-Pointe
ce programme ont été confrontées, sans succès, à d'autres de Pomègues, pour ne citer que deux exemples. Une
chronologies acquises sur d'autres épaves antiques du deuxième cause n'est probablement pas sans rapport avec
littoral méditerranéen français (Guibal, 1998) et à des le fait que les sujets d'où proviennent les chronologies
chronologies moyennes construites à partir de sites de cernes, bien que contemporains, ont pu avoir poussé
terrestres en région méditerranéenne française (Guibal soit dans des conditions stationnelles, soit sous des
et Tessier, 1998). En l'absence d'autres chronologies conditions climatiques trop différentes pour offrir des
représentatives d'épaves antiques, la confrontation avec séquences de cernes caractéristiques communes ; d'un
des épaves localisées sur les côtes de pays voisins n'a pu site à l'autre, les arbres ayant été exposés à des conditions
être menée. interannuelles différentes traduisent ces conditions par des
600 T-
500 -
400
300
200
=H 100
2!iO
-100 -
-200
-300
-400
Years
Figure 3 : Synchronisation des chronologies moyennes indicées (Pinus type sylvestris) des épaves Jeaume-Garde B - Cap de l'Estérel ; Dramont A -
Madrague de Giens.
Figure 3 : Cross-dating of the indexed mean chronologies (Pinus type sylvestris) from Jeaume-Garde B - Cap de l 'Estérel ; Dramont A - Madrague de
Giens shipwrecks.
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40 F. Guibal et P. Pomey
400
300
KiO
8 -100 -
-200
-300
-400 -
-500
Années relatives
Figure 4 Synchronisation des chronologies moyennes indicées (Abies alba) des épaves Chrétienne C, Baie de Briande et Pointe du Brouil.
Figure 4 : Cross-dating of the indexed mean chronologies (Abies alba) from Chrétienne C, Baie de Briande and Pointe du Brouil shipwrecks.
:
-300
Années relatives
Figure 5 : Synchronisation des chronologies moyennes indicées (Quercus sp.) des épaves Baie de Briande et Dramont A.
Figure 5 : Cross-dating of the indexed mean chronologies (Quercus sp.)from Baie de Briande and Dramont A shipwrecks.
accroissements annuels différents. Enfin, une troisième l'épave Caveaux I dont la forte corrélation et la bonne
cause tient vraisemblablement à la représentativité concordance visuelle atteste que les pièces proviennent
insuffisante de certaines chronologies moyennes, surtout, de la même bille (fig. 6) n'est pas un exemple isolé dans
lorsque la majorité sinon la totalité des chronologies la mesure où, dans un souci d'optimiser l'utilisation
élémentaires composant les moyennes proviennent du du matériau-bois, les charpentiers navals antiques ont
même arbre. A cet égard, le cas des virures du bordé de fréquemment scié le plus grand nombre possible de
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1000
100
1000
10
50 100 150 200
Années relatives
Figure 7 Synchronisation des chronologies moyennes (données brutes) des épaves Dramont A et Madrague de Giens (Pinus type sylvestris).
Figure 7 : Cross-dating of chronologies (raw data) from Dramont A and Madrague de Giens shipwrecks (Pinus type sylvestris).
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