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1Les politiques publiques en général sont associées dans l’imaginaire collectif à des solutions prêtes à

l’emploi, comme s’il suffisait qu’elles existent pour résoudre les problèmes des populations. Elles
seraient censées apporter une solution précise et efficace à toute situation quotidienne source
d’inquiétudes, d’inégalités, de manque flagrant de biens et services publics, ou même enclencher un
processus de développement économique et social. L’attente est telle que la probabilité que les
politiques publiques soient satisfaisantes est très faible, dans les pays en développement (PED) et, en
particulier, en Afrique subsaharienne (ASS). La complexité des réalités des terrain en ASS fait que les
incompréhensions et les critiques dominent largement dans la population, tandis que les
gouvernants ont parfois des difficultés à cibler les populations prioritaires (on peut penser qu’elles le
sont presque toutes en Afrique) et à hiérarchiser leurs actions. Si, en plus, les États sont fragiles et
associés à des comportements rentiers dont le pouvoir est entaché d’illégitimité, tout est réuni pour
que les politiques publiques soient une source de découragements, et même de désillusions sans
limite. Ces politiques n’en sont pas moins nécessaires. Dès lors qu’on accepte que le marché ne peut
satisfaire tous les besoins, ni apporter de solution à tous les déséquilibres ; dès lors qu’on accepte
que la somme des comportements individuels ne permette pas, de facto, d’atteindre un équilibre
global, les politiques publiques ont leur place dans la Cité. Mais, tant du côté des responsables
politiques que des fonctionnaires (ou des groupes d’intérêt auxquels ils sont liés) et des usagers, les
politiques publiques apportent difficilement une solution collective à la hauteur des investissements
consentis. En ASS, les contraintes budgétaires sont telles que toute somme allouée à la dépense
publique devrait être aussi efficace que possible, sans accroître les iniquités. Cela signifie que les
populations ciblées doivent ressentir réellement les bienfaits de la politique publique, notamment les
plus pauvres et les plus éloignés sur le territoire. Une politique publique qui n’améliore pas le
quotidien de la population ciblée est un échec.

2Des secteurs tels que ceux de l’éducation ou de la santé permettent de bien comprendre les enjeux.
Il ne suffit pas que les élèves aillent à l’école, même régulièrement tout au long de l’année, pour
qu’ils en sortent alphabétisés. L’accès à un dispensaire de santé en zone rurale, destiné à accueillir
les futures mamans, ne permet pas toujours pour diminuer la mortalité maternelle. Les exemples
concrets, issus des réalités quotidiennes, sont nombreux. Les réflexions, analyses et propositions des
articles qui suivent s’inscrivent dans cette perspective. Cinq thèmes ont été retenus dans ce dossier
thématique : l’agriculture, la nutrition, la santé, l’éducation et la fiscalité. Les quatre premiers thèmes
sont fortement présents dans les Objectifs de développement durable (ODD). Concernant la fiscalité,
faut-il rappeler que toute dépense publique exige d’être financée et, eu égard en ASS au poids de
l’économie informelle, des trafics clandestins et de la corruption, mobiliser des recettes est un défi
majeur, sans occulter le niveau de pauvreté (ou d’extrême pauvreté) de la grande majorité des
populations pour lesquelles il est difficile de payer une taxe ou un impôt. L’indicateur de ressources
fiscales par rapport au PIB se situe aux alentours de 15 % en ASS pour une moyenne mondiale
de 27 %, et de 40 % pour les pays de l’Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE). Pour compenser la baisse des recettes douanières, des réformes fiscales visant
la consolidation des systèmes de TVA et la modernisation de la fiscalité directe ont été engagées. Se
posent aussi des questions sur la taxation de l’informel, des ressources extractives et d’autres
sources inexploitées. Une fois les ressources fiscales acquises, leur utilisation dans la transparence et
avec efficacité constitue un autre défi, qui a des conséquences également sur la mobilisation des
ressources. In fine, se pose la question cruciale de la capacité des politiques publiques à atteindre les
buts visés, ce qui permettrait de justifier des moyens humains et budgétaires mobilisés pour y
parvenir. Cette question est d’autant plus cruciale que de nombreux besoins actuels ne sont pas
satisfaits tandis que la population africaine va doubler d’ici 2050 pour atteindre 2,5 milliards
d’habitants, avant de se situer entre 4,5 et 5 milliards en 2100, soit 40 % de la population mondiale
(tout comme l’Asie). Cette dynamique démographique peut se transformer en croissance durable et
en développement humain si la jeunesse africaine accède aux biens et services fondamentaux, de
manière pérenne. Généraliser l’accès à l’école primaire, multiplier les dispensaires de santé,
désenclaver les villages les plus reculés, développer les infrastructures de communication,
commencer à établir une protection sociale, renforcer la mobilisation des ressources internes… Tels
sont les enjeux des politiques publiques des États africains.

3Ce dossier thématique n’a pas la prétention d’apporter des réponses exhaustives à tous ces enjeux.
Il rassemble cinq contributions empiriques fondées, pour la plupart, sur une analyse de données
individuelles.

4Boureima SAWADOGO et Hélène MAISONNAVE entreprennent d’évaluer l’impact de la mise en


place d’une politique de subventions aux engrais sur la productivité agricole et sur pauvreté au
Burkina Faso en étudiant trois sources de financement différentes (diminution des dépenses
publiques, augmentation des taxes directes des entreprises et augmentation des taxes indirectes),
dans un contexte d’espace fiscal contraint. Leur modèle d’équilibre général calculable (MEGC) prend
en compte les effets intersectoriels de cette politique de subvention et permet d’évaluer la mise en
place de cette politique avec différents modes de financement. Un modèle de micro-simulation vise
ensuite à déterminer les impacts sur la pauvreté de chacun des mécanismes de financement. Le
financement de la politique de subvention par l’impôt sur le revenu des entreprises apparaît
supérieur en termes de productivité et de réduction de la pauvreté.

5Valérie BÉRENGER et Jean-Claude VÉREZ cherchent à analyser les déterminants individuels et


contextuels de la sous-nutrition des enfants de moins de 5 ans au Sénégal. Sur la base des données
de l'Enquête démographique et de santé de 2005 et de 2015, ils recourent aux modèles de
régressions logistiques multi-niveaux et montrent qu’au niveau national, près de 1 enfant
sur 5 souffre de retard de croissance, tandis qu’au niveau régional de fortes disparités subsistent.
Leur analyse montre qu’au-delà des facteurs individuels, il est nécessaire de tenir compte de
l’influence des facteurs contextuels. Bien que les facteurs tel que l’âge des enfants puissent justifier
des actions ciblées sur les enfants, il apparaît que d’autres facteurs, notamment l’éducation de la
mère, la pauvreté du ménage, nécessitent des actions spécifiques. En outre, si la présence de
services de base réduit le risque de sous-nutrition des enfants, elle contribue malgré tout à accroître
les disparités nutritionnelles des enfants entre les mères instruites et non instruites. Cela suggère
que les investissements réalisés dans certains districts contribuent à renforcer les inégalités. Les
résultats obtenus fournissent des informations utiles pour le ciblage des politiques publiques de lutte
contre la sous-nutrition.

6L’article de Désiré AVOM, Flora Yselle MALAH KUETE et Romuald NGUEMKAP KOUAMO cherche à
mesurer l’effet de la décentralisation éducative sur l’efficience technique des écoles primaires en
ASS. Les auteurs mobilisent une méthodologie non paramétrique en deux étapes : 1/ Ils recourent à
la méthode Data envelopment analysis (DEA) sur un échantillon de 1 429 écoles primaires publiques
et communautaires, afin de déterminer le score moyen d’efficience de celles-ci. 2/ Ils analysent des
facteurs exogènes ayant un impact sur cette efficience à l’aide d’un modèle Tobit, tout en portant
une attention particulière au rôle de la décentralisation éducative. Globalement, les résultats
suggèrent que le fonctionnement des écoles se caractérise par des inefficiences techniques
relativement importantes. Les établissements pourraient économiser plus de 30 % des ressources
utilisées. Le niveau d’efficience varie en fonction du type d’écoles (communautaire ou publique) et
de la localisation de l’école (ville, banlieue de ville, village et petit village). Les auteurs préconisent
quelques recommandations dont l’amélioration des compétences managériales des responsables
d’écoles, une révision de l’allocation des ressources destinées aux infrastructures et une participation
financière des acteurs locaux.

7Dans le contexte d’une transition fiscale, provoquée par la baisse des recettes douanières, il est
crucial pour les pays d’ASS de renforcer d’autres instruments de mobilisation de ressources fiscales.
L’article de Luisito BERTINELLI, Arnaud BOURGAIN et Abdoul Karim DIAMOUTÉNÉ analyse la
contribution fiscale d’un grand nombre d’entreprises maliennes qui représentent la totalité du
secteur formel ou partiellement formel de ce pays. En utilisant les informations individuelles
collectées à partir des bilans et des comptes de résultat, un taux d’imposition implicite est calculé ex-
post et correspond à l’impôt payé divisé par un indicateur de profit avant impôt. Les principaux
déterminants de ce taux d’imposition implicite tels que la taille de l’entreprise, sa rentabilité, sa
localisation… peuvent être ainsi estimés. Les résultats font apparaître une dégressivité de la pression
fiscale selon la taille et la rentabilité, signe de l’importance, peu transparente, des diverses dépenses
fiscales, exemptions et allègements.

8Enfin, dans la rubrique Notes et documents, Koffi Christian N’DA, Konan Abogni Augustin KOUADO
et François Bédia AKA se demandent à qui profitent les dépenses d’éducation en Côte d’Ivoire ? En
utilisant la méthode du Bénéfice-Incidence sur la base des données de l’enquête ménages de 2015 et
des statistiques de l’éducation nationale, ils montrent qu’excepté le niveau d’éducation primaire, au
niveau secondaire, secondaire technique et supérieur, ce sont les classes les plus aisées de la
population qui profitent de la part la plus importante des dépenses publiques d’éducation. De fait,
les dépenses publiques d’éducation sont inégalement réparties entre les différentes classes sociales,
ce qui crée une asymétrie en faveur des classes sociales les plus aisées en Côte d’Ivoire.

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