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L'IMPLICATION DU QATAR DANS LES RÉVOLUTIONS ARABES :

STRATÉGIE D'INFLUENCE OU OPA ?

Hala Kodmani

L'Harmattan | « Confluences Méditerranée »

2013/1 N° 84 | pages 77 à 85
ISSN 1148-2664
ISBN 9782343003054
DOI 10.3917/come.084.0077
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-1-page-77.htm
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Dossier Variations

Hala Kodmani
Journaliste.

L’implication du Qatar
dans les révolutions
arabes : stratégie
d’influence ou OPA ?
Comme dans les autres domaines où il investit, le Qatar a
trouvé dans les révolutions arabes une formidable occasion
de déborder ses étroites frontières pour se projeter sur la
scène internationale. Si le maximum de visibilité était
l’objectif principal de l’implication de l’Emirat, on peut
estimer qu’il est largement réalisé. Mais son soutien
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privilégié aux mouvements islamistes aiguise les critiques
tandis que l’effectivité de son influence reste discutable
dans des dynamiques très mouvantes.

L
e cas des révolutions arabes est-il le révélateur des limites
de la stratégie d’influence du Qatar ? Après avoir épousé
la grande cause du changement dans la région, l’émirat se
retrouve dans la position du riche mari polygame, mais impuissant.
Trompé ou exploité, il semble en tout cas débordé et s’accroche
pour garder une place dans des post-révolutions impétueuses et
capricieuses, parfois ingrates.
L’OPA, perçue comme amicale au départ, lancée par l’émirat
sur le printemps arabe a suivi la courbe des enthousiasmes et des
déceptions sur les différents terrains. Son empressement à investir
tant dans les transformations politiques et sociales en Tunisie ou

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Qatar : jusqu’où ?

en Egypte que dans les conflits armés en Libye et en Syrie souffre


de précipitation et de dispersion. N’ayant pas les moyens humains
et politiques de suivre les cours agités des indicateurs sur les diffé-
rents tableaux, la rentabilité de ses prises de participation apparaît
modeste.
Le ressentiment grandissant à l’égard de son rôle apparait
comme le contrecoup de son hyper activisme médiatique, politique,
diplomatique et économique tous azimuts. Il est crédité ou accusé
d’une influence qui correspond peut-être davantage à sa visibilité
qu’à la réalité.

Une stratégie de visibilité


Si le maximum de visibilité internationale était l’objectif princi-
pal de l’implication du Qatar dans les révolutions arabes, on peut
affirmer qu’il est largement réalisé. De Tunis au Caire et de Tripoli
à Manama, sans parler de Damas et Alep, dans les rues comme
dans les médias, la main du Qatar est partout signalée, dans les
coulisses de toutes les agitations. Et tout d’abord, sur le premier
théâtre de jeu international qui se déroule aujourd’hui autour du
conflit syrien. L’engagement de l’émirat aux côtés des opposants
au régime de Damas lui vaut d’être assimilé à une grande puis-
sance, à l’égal de l’Iran, de la Russie, voire même de la Chine. De
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Bachar El-Assad qui présente son pays en victime d’un complot
planétaire, aux responsables russes qui tiennent à montrer qu’il
s’agit d’un conflit symétrique en passant par les adversaires d’une
intervention « impérialiste » ou ceux qui observent la progression
d’extrémistes islamistes, tous citent l’implication du Qatar. Sur les
autres scènes arabes, des doigts convoiteurs ou accusateurs pointent
le rôle de l’émirat, son soutien ou ses ingérences dans les rapports
de force entre les formations politiques dans les pays en transition.
En Tunisie et en Egypte, le Qatar est courtisé par certains des nou-
veaux responsables politiques pour investir dans leurs économies
souffrantes tandis qu’il est accusé par les opposants libéraux de com-
ploter contre les nouvelles démocraties, de favoriser le chaos pour
en profiter politiquement et/ou économiquement, de financer les
partis islamistes et d’acheter des hommes, des terres, des affaires,
des institutions et des constitutions. On ne prête qu’aux riches et le
Qatar, on le sait, l’est immensément.

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L’implication du Qatar dans les révolutions arabes : stratégie d’influence ou OPA ?

Mais si d’autres objectifs que l’hyper-présence étaient visés par


Doha, à travers son interventionnisme, assidu et multiforme, depuis
le début du printemps arabe, leur nature comme leurs résultats
ne sont pas évidents à cerner dans des environnements encore
très mouvants. En revanche, les moyens mis à disposition de ces
bouleversements sont clairement identifiables : le cash, l’ambition
et Al-Jazeera. Les trois armes de l’arsenal connu du Qatar ont été
largement actionnées pour servir sa stratégie traditionnelle d’achat
d’influence sur le nouveau marché des révolutions.
« Voyant qu’un nouvel ordre était en train de prendre forme dans
la région, les Qataris ont décidé d’être partie prenante de ce chan-
gement », confirme Salman Cheikh, Directeur du Brookings Doha
Center, l’un des centres d’études internationales créés ces dernières
années par le Qatar 1. Instruments de la stratégie de rayonnement de
l’émirat, ces « Think Tanks » établis souvent en partenariat avec de
prestigieuses institutions américaines ou européennes recrutent de
grandes pointures universitaires du monde entier, à coups de salaires
persuasifs. Les nombreux forums et colloques thématiques qu’ils
organisent régulièrement à Doha réunissent tout ce qui compte de
personnalités intellectuelles et politiques arabes et internationales 2.
De nombreux acteurs du printemps arabe étaient depuis des années
des familiers de ces conférences, qui se prolongeaient souvent par
des débats dans les studios d’Al-Jazeera. Les dirigeants islamistes en
exil, proscrits par les dictatures dans leur pays, le Tunisien Rached
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Ghannouchi en tête, comme certains opposants laïcs par ailleurs,
avaient leurs entrées au Qatar. L’émir qui avait épousé la cause de
la réforme et de la modernisation du monde arabe au début des
années 2000 a investi dans ces « réseaux humains », qui se sont révé-
lés de précieux relais à l’heure des changements.
Comme sur les autres domaines où il investit profitant des crises
pour emporter des mises, le Qatar a trouvé dans les révolutions
arabes une formidable occasion de déborder ses étroites frontières
pour se projeter sur la scène internationale. L’intérêt de ces boule-
versements dans la région c’est d’avoir ouvert des portes d’interven-
tion que les dictatures tenaient bien verrouillées. La prétention de
la « grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf », comme
disent nombre de commentateurs de la presse arabe, irrite autant
qu’elle impressionne. L’affaire libyenne a marqué l’entrée du Qatar
dans la cour des grands. Jouant les premiers rôles à la Ligue arabe,
à l’ONU et sur le terrain où ses drapeaux flottaient sur Benghazi en

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pleine rébellion, il a joué l’agent facilitateur de l’intervention mili-


taire occidentale. A partir de l’automne 2011, la Syrie est devenue la
priorité diplomatique du Qatar : « Un chantier d’intervention rêvé
pour un maximum de visibilité internationale et d’achat d’influence
régionale » souligne Hasni Abidi, directeur du Centre d’Etudes
et de recherche du monde arabe et méditerranéen (CERMAM)
à Genève 3. L’implication du petit émirat s’est renforcée à mesure
que la question syrienne évoluait en crise internationale majeure.
Détenant la présidence tournante de la Ligue arabe, le Qatar a
réussi à pousser le « machin » arabe à l’initiative de façon spectacu-
laire avec l’envoi d’observateurs sur le terrain. L’échec de cette ten-
tative a abouti à l’exclusion de la Syrie d’une organisation dont elle
est membre fondateur. Aujourd’hui en pointe sur les appels à une
intervention militaire en Syrie, sur l’armement des rebelles et dans
le soutien à l’opposition, le Qatar déploie un hyper-activisme sur
une crise qui lui apporte la visibilité surdimensionnée recherchée.

De préférence favoriser les islamistes


« Adieu Ben Laden, Bonjour le printemps arabe ». (Out with Ben
Laden, In with the Arab Spring”), comme l’écrivait Salman Shaikh
en titre d’un article en mai dernier 4. Jouer l’islam politique contre le
jihadisme est certainement une orientation essentielle pour le Qatar
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auprès des nouvelles démocraties de la région. Dans une interview au
Financial Times, en avril 2012, le Prince Hamad Al-Thani affirmait
que « Les islamistes modérés peuvent aider à combattre les idéologies
extrémistes. (…) Il ne faut pas en avoir peur, mieux vaut coopérer
avec eux.» Ce soutien politique revendiqué aux mouvements isla-
mistes se serait surtout traduit par un appui financier conséquent au
parti Ennahda en Tunisie et aux Frères musulmans en Egypte, grands
vainqueurs des premières élections démocratiques. Laïcs et libéraux
déçus des urnes dans les deux pays n’en finissent pas de dénoncer les
moyens incroyables mis à la disposition des campagnes des islamistes,
l’aide médicale, les cours de rattrapage scolaire et les moutons du
Eid offerts à la population par les réseaux d’Ennahda en pleine cam-
pagne. En Egypte, les plus pauvres ont été conduits aux urnes dans
des bus spécialement affrétés depuis les quartiers populaires, mais
aussi à coup de paniers repas ou de confiseries pour leurs enfants,
comme l’ont rapporté les journaux libéraux du Caire.

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L’implication du Qatar dans les révolutions arabes : stratégie d’influence ou OPA ?

Difficile de tracer la provenance de toute cette aide qui passe


souvent par des organisations caritatives et essentiellement par des
relais locaux. L’opacité est de rigueur et les relais des Frères musul-
mans ne manquent pas parmi les avocats d’affaires ou dirigeants de
sociétés de transferts de fonds des émigrés égyptiens dans les pays
du Golfe. Là encore ce sont les « réseaux humains », les nombreux
cadres expatriés, hommes d’affaires et professions libérales liés au
Qatar, comme à d’autres pays du Golfe qui jouent souvent les inter-
médiaires. Le cas du ministre tunisien des Affaires étrangères Rafiq
Abdessalam, gendre de Ghannouchi qui a été pendant des années
salarié et membre du comité d’orientation politique d’Al-Jazeera est
souvent cité comme agent d’influence exemplaire.
La préférence pour les islamistes est également manifeste dans
le soutien du Qatar aux acteurs des révolutions hier en Libye et
aujourd’hui en Syrie. « La solidarité sélective » avec la rébellion
libyenne et le financement de « certaines factions » avaient été
dénoncés en novembre 2011, par Mohamad Jibril, alors sur le
départ. Sur le terrain syrien, la discrimination dans l’aide huma-
nitaire et surtout militaire, du Qatar comme des autres pays du
Golfe, au bénéfice des tendances islamistes extrémistes suscite
indignations et inquiétudes, bien au-delà des composantes de
l’opposition laïque. Largement et parfois exagérément mise en
avant, par les médias internationaux, les diplomates occidentaux
et surtout par les détracteurs de l’insurrection syrienne, la dérive
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salafiste des combattants de l’Armée syrienne libre (ASL) et la pré-
sence d’éléments djihadistes, contribuent à dégrader l’image du
Qatar. Le soutien de celui-ci à la révolution syrienne est loin d’être
limité aux groupes armés islamistes. Doha est en effet devenue
une capitale incontournable pour les formations, les groupes, les
activités et les projets les plus divers de l’opposition syrienne. Ses
grands hôtels abritent depuis des mois toutes sortes de réunions
du Conseil national syrien (CNS), de la Commission générale
de la Révolution qui organise les Conseils militaires de l’Armée
syrienne libre (ASL), du Forum des Hommes d’affaires, d’anciens
fonctionnaires et diplomates du régime qui ont fait défection ainsi
que des conférences d’intellectuels et d’artistes. Tous ces acteurs
séjournent aux frais du gouvernement qatari ou de ses différents
services et fondations qui financent tout à la fois les projets poli-
tiques, militaires, humanitaires, sociaux et culturels destinés à
soutenir la révolution.

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Qatar : jusqu’où ?

Comme hier avec la révolution tunisienne, le Qatar se présente


aujourd’hui comme le parrain de l’opposition syrienne. Mais est-ce
uniquement « pour bloquer les laïcs et la gauche démocratique » ?,
comme l’accuse Sophie Bessis, chercheur et journaliste, rappelant
que son émir était le seul chef d’Etat présent à la célébration de
l’anniversaire de la révolution le 14 janvier dernier et qu’il voulait
même assister à l’inauguration de l’Assemblée constituante 5. Le sou-
tien aux mouvements islamistes partout serait autant idéologique
qu’opportuniste de la part du Qatar, selon la chercheuse britan-
nique Jane Kinninmont à Chatham House. « En fait, il s’agit d’un
ralliement à ceux qui ont le vent en poupe. Un pari sur les gagnants
qui tombe bien il est vrai pour l’émirat wahhabite. » 6
L’hyper-activisme diplomatique et médiatique du deuxième
Hamad, Bin Jassim Al-Thani dit « HBJ », Premier ministre et cou-
sin de l’émir Hamad Ben Khalifa Al-Thani qui se prend pour « le
nouveau Kissinger arabe » selon un éditorialiste égyptien, cristallise
le ressentiment. Le Qatar a été accusé de profiter du vide laissé
par les autres pays arabes, l’Egypte accaparée par les suites de sa
révolution mais aussi l’Arabie saoudite par ses soucis de succession,
pour déployer un hyper-activisme diplomatique et médiatique. Si
les ingérences du Qatar énervent, sa prétention à jouer la grande
puissance exaspère, surtout en Egypte. L’opportunisme de l’émi-
rat qui « cherche à compenser son complexe d’infériorité » selon
une éditorialiste du site satirique Al-Ankabout en occupant le vide
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diplomatique laissé par le Caire est pointé 7. « Le Qatar a soutenu
la révolution du 25 janvier avec l’argent, les médias et les discours
religieux non par amour des Egyptiens mais pour servir les objectifs
de la famille régnante opposée à la puissance de l’Egypte », souligne
l’article.
L’appétit diplomatique du Qatar serait-il plus gros que son
ventre ? Toujours prompt à l’initiative pour décrocher le marché
d’une médiation ou d’une révolution, « il n’a pas les moyens du
service après-vente de son interventionnisme, » souligne Hasni Abidi
en rappelant que l’émirat a quasiment disparu de la scène libyenne
par exemple. De même sur le dossier syrien où l’impuissance touche
même les plus grands, le Qatar a repris une place bien modeste. Il
s’est retrouvé exclu dans le groupe de travail, proposé par le prési-
dent Frère musulman d’Egypte, Mohammad Morsi, composé des
« véritables » puissances régionales : Arabie saoudite, Egypte, Iran
et Turquie.

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L’implication du Qatar dans les révolutions arabes : stratégie d’influence ou OPA ?

Les contrecoups d’une visibilité sans réelle


influence
Les déconvenues des révolutions ont relancé les théories du
complot dans le monde arabe et le Qatar se retrouve au centre de
toutes les accusations de connivence avec les USA et Israël contre
la vraie démocratisation. La rue arabe anti-impérialiste retrouve
ses démons jusqu’à considérer parfois que tout le printemps arabe
n’était qu’une grande conspiration organisée depuis des années par
les Etats-Unis, via le Qatar.
L’incident a fait les bruits de couloirs de l’Unesco pendant
quelques jours en mars 2012 et défoulé les journalistes algériens ou
tunisiens qui l’ont abondamment commenté sur leurs sites. Refusant
de saluer l’ambassadeur du Qatar auprès de l’organisation interna-
tionale, Mezri Haddad, ancien ambassadeur de Tunisie, lui aurait
dit devant témoins : « Votre pays a détruit la Tunisie et l’Egypte,
anéanti la Libye, semé la discorde en Syrie, et vous continuez à
comploter contre l’Algérie. Je ne serre pas la main aux mercenaires
de l’impérialisme et aux ennemis de la nation arabe » 8. Choquants
dans une enceinte diplomatique, ces propos reprennent la nouvelle
rengaine des rues arabes.
Il est loin le temps où les manifestants de la Place Tahrir au Caire
à l’Avenue Bourguiba à Tunis en passant par Benghazi ou Sanaa
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souriaient aux caméras d’Al-Jazeera et célébraient sa couverture
de leur mouvement. Les mêmes dénoncent aujourd’hui les mani-
pulations de la chaîne et scandent « Non au Qatar ! Non à l’Amé-
rique ! » comme l’ont fait les Tunisiens ou les Libyens. Devenu
la bête noire de l’ère post-révolutionnaire, le Qatar est accusé de
toutes parts de comploter contre les nouvelles démocraties. « Les
pays du Golfe ne veulent probablement pas que les transitions
arabes réussissent. Ils préfèrent maintenir un désordre maitrisé
pour ne pas être atteints par de bons exemples» confirme Hasni
Abidi. Même le soutien financier du Qatar est contesté. « L’aide
économique est une totale imposture » dénonce encore Sophie
Bessis, « il s’agit de prêts à des taux d’intérêt supérieurs au marché,
mais garantis, ou de projets mégalomaniaques, notamment immo-
biliers avec demande que les terrains soient mis à disposition au
préalable par l’Etat tunisien. Pour le moment on ne voit aucune
réalisation ».

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Qatar : jusqu’où ?

Les opposants syriens seront-ils plus reconnaissants à l’avenir au


Qatar qui les couve et les entretient aujourd’hui ? « Rien de moins
sûr », affirme depuis Doha l’un d’entre eux, sous couvert d’anony-
mat. D’autant que les méthodes de l’émirat de financement direct
des diverses composantes politiques ou militaires de cette opposi-
tion énervent les uns comme les autres. Diviser les aides pour mieux
influer serait la règle de cette fameuse « diplomatie du chéquier »
dans le cas syrien. « Une enveloppe pour les Frères musulmans,
une autre pour leurs rivaux laïcs, des plus petites pour telle ou telle
personnalité politique et de plus grosses mais séparées pour les dif-
férentes brigades de l’ASL… » décrit l’opposant cité. En épousant
la cause de la révolution syrienne, le riche mari qatarien risque fort
de se retrouver encore une fois trompé par sa fiancée syrienne si elle
finit par gagner.
Ces retournements de l’opinion ne vexent pas le Qatar ni freinent
son appétit. Car sa stratégie offensive est menée essentiellement
pour des raisons défensives, reconnaissent la plupart des experts.
C’est par souci de survie, pour se protéger de ses puissants voisins
saoudien et iranien que le Qatar cherche à gagner de l’influence
dans les pays de la région. Doha évite toute confrontation directe
avec l’Iran, y compris dans la couverture d’Al-Jazeera tandis que la
diplomatie saoudienne a laissé les Al-Thani jouer aux avant-postes
leur partie commune au Bahreïn, au Yémen et en Syrie. L’incapacité
du Qatar à entretenir son influence propre et la convergence de
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ses options wahhabites avec l’Arabie saoudite fait apparaitre le petit
émirat comme un exécutant de la politique de son puissant grand
frère notamment dans le cadre de la grande confrontation avec
l’Iran chiite. ■

Sources complémentaires
Forum de la BBC sur rôle de Qatar dans les révolutions : http://newsforums.
bbc.co.uk/ws/ar/thread.jspa?sortBy=1&forumID=15173&start=75&tstart=0
Article du Chrisitan Science Monitor, mars 2012,
http://www.csmonitor.com/World/Middle-East/2012/0328/Tiny-Qatar-
played-outsized-role-as-Arab-League-president.-Will-it-last

Notes

1. http://www.brookings.edu/experts/shaikhs
2. Voir notamment Future Forum de Doha, organisé tous les ans.

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3. Entretien avec l’auteur.


4. Article pour CNN, mai 2011 http://edition.cnn.com/2011/OPINION/05/04/
shaikh.bin.laden.arab.spring/index.html
5. Interview avec l’auteur.
6. Cité par the Guardian, juillet 2012 http://www.guardian.co.uk/world/2012/
jul/07/qatar-takes-on-the-world
7. Article du 27/3/2012- Al-Ankabout de Awaad Al-Dassouqi (journaliste
femme)
http://www.alankabout.com/free_opinion/2012/03/27/62283.html
8. Rapportée notamment dans blog tunisien http://tunisie-secret.over-
blog.com/article-exclusif-mezri-haddad-humilie-l-ambassadeur-du-
qatar-101655889.html
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