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Charlotte Halpern
Métropolis | « Flux »
2011/2 n° 84 | pages 73 à 89
ISSN 1154-2721
DOI 10.3917/flux.084.0073
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-flux1-2011-2-page-73.htm
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Les choix de Fraport AG ont été réseaux autour d’un hub central, ainsi plus long et le plus violent en Europe
structurés par les contraintes découlant que le rôle stratégique de l’aggloméra- (Rucht, 1984).
de l’organisation décentralisée du trans- tion francfortoise dans l’économie alle- Ces deux contraintes ont pesé sur le
port aérien dans un État fédéral. À ceci mande, ont ensuite confirmé la centrali- développement de la FAG et expliquent
s’ajoutent des contraintes liées à la loca- té de cette infrastructure, dans des pro- la forte territorialisation des choix de
lisation de l’aéroport de Francfort : une portions qui restent largement en des- l’opérateur, en particulier les liens avec
faible maîtrise foncière, une localisation sous de celles observées en France et les collectivités environnantes et la prise
au cœur d’une zone très urbanisée et en Grande-Bretagne (voir Figure 1a en en compte des enjeux environnemen-
une capacité d’extension limitée. Pour fin d’article). L’évolution de la structure taux. Ceci ne signifie pas pour autant
maintenir sa compétitivité, l’opérateur a du capital de la FAG reflète l’engage- que ces relations sont exemptes de
exploré, en véritable pionnier, des options ment constant de l’État fédéral et conflits.
aujourd’hui reprises par nombre de ses Lufthansa, ainsi que des collectivités
concurrents en Europe : spécialisation territoriales (Land de Hesse, Ville de Un modèle d’affaires fondé sur le
dans le fret et les activités logistiques, Francfort) et des acteurs économiques fret et les activités de logistique
internationalisation dès la fin des années implantés à Francfort : leur soutien s’est
1980 et partenariats stratégiques. avéré décisif à chaque menace de Dans ce contexte, l’opérateur réalise
retrait de l’État fédéral, et a structuré les la majeure partie de ses profits grâce au
La FAG : un opérateur à l’étroit choix de développement de l’opérateur. développement de sa fonction de hub,
(1952-2001) La faible maîtrise du foncier a consti- étendue au fret et aux activités de logis-
tué un second élément de contrainte tique, puis à l’exportation du savoir-faire
Dans le contexte du fédéralisme pesant sur le développement de l’opé- acquis à Francfort. L’analyse des actifs
allemand, la centralité du système aéro- rateur, en raison de la présence de la de Fraport rend compte de l’émergence
portuaire ne va pas de soi : elle a été principale base aérienne de l’armée d’un modèle d’affaires fondé sur le trip-
acquise de haute lutte, elle a fait l’objet américaine au sein de l’emprise aéro- tyque suivant : l’acquisition d’un savoir-
de mises en cause récurrentes depuis portuaire et sur les zones alentours jus- faire au sein de la plate-forme francfor-
1952 et elle n’a jamais été formalisée en qu’en 2005. Tous les projets d’exten- toise grâce à des investissements conti-
droit. La position nodale de l’aéroport sion envisagés entre 1952 et 2001 ont nus, l’exportation de ce « modèle de
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Portrait d’entreprise
ce aux personnes à mobilité réduite, (FPS Frankfurt Passenger Services pour la construction d’un nouvel aéro-
services de nettoyage et dégivrage des GmbH, 51% des parts), qui remporte port à Berlin (1996). Au terme d’un long
avions, restauration des personnels, les appels d’offres des compagnies feuilleton politico-médiatique, émaillé de
etc. Le découpage de ces activités en aériennes implantées dans l’aéroport de scandales financiers, l’opération se
filiales autonomes facilite l’exportation Francfort, comme par exemple la com- solde par l’éviction du consortium au
de ce savoir-faire dès la fin des années pagnie charter Condor ; puis, exporta- profit d’une solution de financement
1980, par le biais d’acquisitions, de tion au-delà des frontières nationales à public (2004) et un dédommagement de
joint-ventures ou de contrats. Le domai- Vienne Schwechat (Fraport Ground 4,8 M€ pour Fraport qui s’était investi à
ne des systèmes de communication et Services Austria, 2000, contrat BOT), hauteur de 7,5% (Halpern, 2006). Par la
d’information aéroportuaires est parti- en Grèce (Goldair Aviation Handling SA, suite, l’opérateur développe des parte-
culièrement représentatif de ce systè- 19,5% des parts) et au Portugal nariats avec des investisseurs et/ou
me : à partir de l’expérience acquise à (Portway, 40%). opérateurs locaux, que ce soit pour
Francfort, la filiale AirIT Services AG En parallèle, la FAG valorise son mener des activités de conseil sur le
(100% des parts) est créée en 2000 savoir-faire dans le développement et développement aéroportuaire ou d’acti-
pour exploiter cette activité dans les l’exploitation d’un hub international. vités de fret en Inde et en Chine
plates-formes situées en Allemagne et L’opérateur s’inscrit dès le départ dans (Shanghai Frankfurt Airport Consulting
dans lesquelles l’opérateur possède une démarche collective avec de Service Ltd, 50%), ou pour s’engager
des parts (Francfort-Hahn puis grands groupes allemands des secteurs dans la réalisation de ces projets dans le
Hanovre-Langenhagen). Enfin, une filia- bancaire, financier et d’ingénierie qui lui cadre de contrats BOT.
le spécifiquement dédiée à l’exploration permettent de financer ses ambitions à Enfin, l’opérateur investit dans la
du marché américain est créée l’international, comme à Moscou (1990, constitution d’un vaste pôle intermodal,
quelques mois plus tard (Air-Transport contrat achevé) devant BAA. Cette stra- qui combine l’intégration par les trans-
IT Services, Inc, 100% des parts, tégie est également développée au ports et les activités de logistique. La
Orlando, FL). En prévision de la libérali- niveau national, parmi les différentes FAG n’agit pas en autonomie, mais
sation des services au sol dans les solutions de substitution explorées au dans le cadre de partenariats de longue
aéroports européens (7), la valorisation cours des « décennies perdues » qui durée avec d’autres grandes entre-
de cette activité s’organise sur un sché- suivent le conflit “Startbahn West”. La prises publiques, comme Lufthansa qui
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zone de chalandise de l’aéroport, de fret/an à partir du Terminal tion d’une 4e piste, des espaces d’ac-
aujourd’hui estimée à 43% de la popu- CargoCitySüd et développe des joint- cueil passagers associés et installations
lation allemande (radius de 200 km, ventures sur certains segments haute- dédiées à l’Airbus A380 (4G€). À ce
étendu jusqu’à Bruxelles et Ams- ment spécialisés de ce marché, comme coût global s’ajoute l’acquisition de ter-
terdam). Des investissements publics les produits dangereux et périssables. rains en vue de la réalisation du projet
majeurs portent sur les infrastructures : Les bénéfices dégagés avec les (61 ha) et d’une zone tampon (450 ha)
transports routier (principal échangeur activités de fret conduisent la FAG à visant à protéger les populations rive-
autoroutier de l’Allemagne de l’Ouest), s’engager dans les aéroports de raines conformément aux engagements
ferroviaire (régional, urbain) avec une Saarbrücken, Hanovre et surtout, à pris par les actionnaires publics de
gare souterraine (1972) et la grande Frankfurt-Hahn, pour limiter les effets de l’opérateur. Le financement de ces opé-
vitesse (1999). L’effort porte aussi sur concurrence et pallier l’absence de rations nécessite une levée de fonds
les services aux voyageurs, en coopéra- réserve foncière disponible dans l’aéro- considérable, ainsi qu’une réflexion à
tion avec Lufthansa et Deutsche Bahn : port de Francfort. Reconverti au trafic plus long terme sur la rentabilité de
Lufthansa Airport Express (1982), puis aérien civil en 1993, l’aéroport Frank - l’opérateur. En janvier 2001, la société
le service AIRail (1999) qui comptabilise furt-Hahn connaît une croissance rapide anonyme Fraport AG-Frankfurt Airport
aujourd’hui 4,2 millions de passagers/ suite aux investissements réalisés par la Services Worldwide remplace la FAG.
an pour des trajets en code-sharing FAG en 1998 (79% des parts) pour L’ouverture partielle de capital, en juin
avec 27 compagnies partenaires. rationaliser l’offre aéroportuaire (fret, de la même année, rapporte 903,9 M€
Les perspectives d’extension compagnies à bas coût) dans la métro- à l’opérateur.
ouvertes par le retrait partiel de l’armée pole francfortoise. La FAG ne se limite Largement fondés sur les services
américaine (1995) conduisent l’opéra- pas au marché national, et participe à la aéroportuaires et les activités liées au
teur à investir massivement dans le création de la Tradeport Hong Kong Ltd fret, les revenus de l’opérateur dépen-
développement d’installations intégrées (18,5%) pour développer les activités de dent étroitement des fluctuations du tra-
pour le fret à CargoCitySüd (1997). fret dans cet aéroport. fic aérien, particulièrement importantes
Cette zone de 149 ha comporte en 2002-2003 (attentats du 11 sep-
58 000 m2 entièrement dédiés, ainsi Fraport AG entre levée des tembre, guerre en Irak, épidémie du
qu’un Terminal AirMail, conçu conjointe- contraintes et value management SRAS) : en 2003, Fraport est devancé
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Portrait d’entreprise
Aéroport Nombre
Date Contrats
et type de trafic de parts
Antalya (Turquie) : charter 51% Exploitation (25 ans, renouvellement d’un contrat BOT).
adopté en 2002, amorce la refonte des d’attente passagers suite à une joint- Development GmbH (80%) pour le pro-
structures et des modes opératoires de venture avec ECE (Airport Retail jet AirRail ou « The Squaire » (2007-
Fraport AG dans une perspective de Solutions GmbH) ; et l’opérateur place 2010) qui prévoit la construction de
rentabilité économique : trois divisions « l’homo aeroportis globalis » (Fraport 200 000 m2 (espace de conférence,
sur cinq sont consacrées aux activités AG, 2005, p. 31) au cœur du futur bureaux, hôtellerie de luxe et com-
non aéroportuaires, développées dans Terminal 3 qui disposera de 15 000 m2. merces) ; un partenariat public-privé
le cadre d’un projet d’Airport City. Cette Dans le cadre de la refonte des struc- (Ville de Francfort – 50%, ING Real
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Services aux États-Unis (8,2 M€) : la pour 110 M€. Malgré ces quelques ports évolue (OECD/ITF, 2010). Depuis
signature d’un contrat avec United opérations, l’opérateur préfère nouer 2000, Hambourg, Hanovre, Düsseldorf
Airlines en 2004 en fait l’un des trois des partenariats stratégiques ou « hub- et Francfort peuvent faire l’objet d’un
premiers groupes présents sur ce mar- alliance » avec ses principaux concur- modèle de régulation unique (single-till
ché hautement spécialisé. À l’internatio- rents (Munich, Zurich) et en soutien au price cap) par les prix. En pratique et
nal, tout en procédant à la cession des développement de Lufthansa, qui a contrairement à l’application stricte pra-
actifs déficitaires, comme à Manille, racheté la compagnie Swiss (2005), et tiquée par le CAA en Grande-Bretagne,
Fraport AG renouvelle ses partenariats de Star alliance. Ce partenariat straté- le régulateur, en l’occurrence les autori-
stratégiques : avec l’opérateur néerlan- gique entre opérateurs constitue l’abou- tés régionales, adopte une lecture diffé-
dais Schipol Group pour explorer le tissement d’une longue tradition d’inté- renciée entre les activités aéronautiques
marché chinois ; avec Lufthansa dont rêts partagés avec Lufthansa, rapide- et les autres (dual-till price cap) (Müller
l’entrée au capital en 2005 permet à ment imitée par ADP et BAA, respecti- et al., 2008, p. 12). Plus précisément, le
l’opérateur de bénéficier des opportuni- vement avec Schipol Group (SkyTeam) système repose sur des accords-
tés offertes par le réseau des compa- et Madrid-Bajaras (One World). cadres pluriannuels de droit privé négo-
gnies membres de Star Alliance. Le por- Contrairement à la situation obser- ciés entre chaque aéroport et ses utili-
tefeuille des principaux contrats en vée en Grande-Bretagne, ce marché sateurs (compagnies aériennes), leur
cours montre que l’opérateur dispose reste dominé par les acteurs publics, en validation par l’autorité régionale pou-
d’importantes parts sur différents seg- particulier les Länder et les municipalités vant donner lieu à une nouvelle négocia-
ments du marché aéroportuaire interna- (Dumman, 2005). Ce mode de finance- tion avec l’aéroport sur tout ou partie du
tional. Les acquisitions réalisées à ment, ainsi que l’absence de régulateur document. Ce système à deux niveaux
Antalya et au Pérou ont constitué, sur la unique, expliquent le maintien de statuts permet d’associer les compagnies
période, une source de revenus particu- juridiques et de modes de régulation aériennes très en amont de la négocia-
lièrement dynamique. diversifiés. Hormis le cas berlinois, les tion, et diffère de la situation observée à
Enfin, l’évolution du capital de l’opé- rares cas d’ouverture de capital s’expli- Londres et Paris où les négociations
rateur permet la redéfinition des rela- quent soit par la volonté de retrait de entre opérateur et régulateur priment
tions avec Lufthansa et les actionnaires l’État fédéral (Fraport AG), soit par la (Gerber, 2002). Introduite à Hambourg
publics, dans un contexte d’ouverture volonté politique des municipalités de (2000) puis étendue à Hanovre (2003) et
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Portrait d’entreprise
une nouvelle zone de turbulence et auxquels s’ajoutent 900 M€ de prêts transfert de la participation de Fraport
concentre sa capacité d’investissement (11)), tout en renforçant le poids des dans l’aéroport Frankfurt-Hahn vers le
sur le projet d’extension. Ses principaux relations avec ses principaux action- Land de Rhénanie-Palatinat (12).
revenus proviennent des services aéro- naires. Depuis 2008, les résultats du L’opérateur-logisticien paye le retard
portuaires et du fret, ce qui accroît sa groupe sont tirés par la croissance enre- pris au cours des « décennies perdues »
dépendance aux fluctuations du trafic gistrée à Lima et Antalya, mais l’opéra- sur ses principaux concurrents, ainsi
aérien, particulièrement défavorables teur a dû céder ses actifs en Grèce, au que les choix d’investissements réalisés
(crise économique, intempéries, érup- Portugal, ainsi que ICTS Europe (10 000 depuis le début des années 1990. Son
tion volcanique, etc.). Ceci contraint les employés, 81 sites dans 24 pays), développement sur la longue durée
possibilités de recours aux marchés vendu à 100 M€ aux 2/3 de sa valeur montre aussi sa capacité à s’inscrire
financiers pour financer le projet d’ex- (pertes estimées : 67,3 M€). À ceci dans une dynamique collective au servi-
tension (800 M€ d’obligations en 2008, s’ajoutent 3,3 M€ de pertes lors du ce de Deutschland AG.
Aéroports de Paris
Aéroports de Paris Paris
Créé en 1945 sous forme d’établissement public à caractère administratif. Transformation en 2005 en société anonyme à
conseil d’administration ; Ouverture du capital (33%) et introduction en bourse en 2006.
Répartition du capital (2009) : État 52,8%, public 29,8%, Fonds stratégique d’investissement 8%, Schipol Group 8% et
salariés 2%.
Chiffre d’affaires : 2,29 G€ (2007) et 2,73 G€ (2010)
Gestionnaire de 13 aérodromes franciliens ouverts au trafic aérien civil, dont Paris-Charles de Gaulle (7e rang mondial), -
Orly et -Le Bourget (1er aéroport d’affaires en Europe).
Nombre de passagers (en millions) : 82,8 (2010)
Dette (incluant les prêts internes) : 2,29 G€ (2004) et 2,33 G€ (2010)
Le groupe Aéroports de Paris (ADP) opérations d’aménagement de la années 1970, ADP est un organisme
fait son entrée en bourse en 2006, suite Région Île-de-France. structurellement déficitaire et sous-capi-
à une ouverture partielle de capital. talisé, dont la capacité de financement
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établies conjointement avec les services social pour financer ses projets d’inves- participation dans les aéroports de
de l’aviation civile. À compter de 1966, tissements. Conakry (1994, 29%), Beijing (2000,
cet aéroport, conçu dans une période Bien qu’Orly demeure officiellement 9,9%), et Liège (1999, 25,6%) pour les
de croissance économique et servant le principal aéroport francilien jusqu’à activités de fret. La seconde, créée en
une volonté de prestige national, l’adoption du Schéma Directeur de la 2000, valorise les compétences du
concentre la majeure partie des investis- Région (1994) et la mise en service du bureau d’architecture et ingénierie
sements. Hub d’Air France (1996), l’aéroport d’ADP à travers des activités de
La récession économique contraint CDG fait l’objet de programmes d’in- conception, maîtrise d’œuvre et assis-
l’opérateur à développer sa capacité vestissements réguliers dans les instal- tance à maîtrise d’ouvrage en France
d’autofinancement. L’aménagement du lations aéronautiques, les infrastructures (Gare TGV Aéroport CDG, terminaux
nouvel aéroport permet à l’opérateur de de desserte (RER, TGV) et les zones Eurotunnel à Calais, aéroport Bordeaux-
jeter les bases de son autonomie future d’accueil passagers et commerciales. Mérignac) et à l’étranger.
en développant les activités non aéro- L’installation du hub européen de FedEx Cette forte autonomie rend compte
portuaires (commerces, restaurants, (1994) accélère le développement du du statut exceptionnel dont bénéficie
hôtels, entrepôts) au sein de la plate- transport fret et postal. L’adoption d’une ADP au cours de la période, l’opérateur
forme. L’évolution de la structure de structure modulaire combinée avec des étant parfois qualifié « d’État dans l’É-
revenus d’ADP rend compte de ce pro- réserves foncières disponibles à l’inté- tat ». Le gigantesque work-in-progress
cessus. En 1973, un an avant la mise en rieur de l’enceinte aéroportuaire facili- que constitue Paris-CDG justifie l’inter-
service de Paris-CDG, ADP affiche un tent l’étalement des travaux et leur réa- nalisation des compétences néces-
déficit de 15 MF et ses ressources pro- lisation en autonomie. L’opérateur saires, tandis que les relations avec les
viennent d’emprunts (74%), d’autofi- bénéficie des compétences en architec- compagnies aériennes, les entreprises
nancement (15%) et de dotations en ture et ingénierie constituées en interne, publiques en charge de la desserte fer-
capital (11%) (13). En 1985, les sources avec la mise en place de son propre roviaire et les acteurs du territoire franci-
de revenus de l’opérateur se sont diver- bureau d’études (fin des années 1970) : lien sont réduites au minimum, ceci
sifiées, avec des recettes commerciales ceci lui permet de conserver la maîtrise expliquant le caractère inabouti de l’in-
(13,2%) et domaniales (10%) ; l’opéra- de ses projets d’aménagement sertion territoriale de l’opérateur au
teur est le 12e investisseur français (conception et réalisation) tout en déve- regard de Fraport notamment. Plusieurs
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en service du hub (1996) et de la répar- nyme (2005), dont 33% des parts sont Comme pour Fraport, ce régime favori-
tition des créneaux entre Orly et Roissy. mises sur le marché (2006) à destination se le maintien d’un programme d’inves-
Enfin, l’effondrement d’une partie du des particuliers, acteurs institutionnels tissements ambitieux dans les installa-
Terminal 2E en mai 2004, et les résultats (45€/action) et salariés du groupe. À tions aéroportuaires (env. 2 B€ pour
des différentes enquêtes administratives l’issue de la procédure, l’opérateur aug- 2006-2010 ; 1,5 B€ pour 2011-2015),
et judiciaires, montrent les limites d’un mente son capital de 600 M€. de diversification (600 M€ pour 2006-
modèle fondé sur un opérateur à la fois L’ouverture de capital et les modifica- 2010 ; 300 M€ en 2011-2015). Le gel
maître d’œuvre et maître d’ouvrage. tions apportées à la structure initiale cla- des redevances en 2010 et le maintien
rifient en partie les relations avec l’État de taux bas sur la période 2011-2015
Vers une clarification des règles actionnaire. Un cahier des charges défi- montrent la volonté d’ADP de rassurer
encadrant l’activité nit le cadre général de l’exploitation et les compagnies tout en limitant son
aéroportuaire ? les obligations de service public qui endettement et le recours à l’emprunt
Contractualisation, incombent à l’opérateur (16) ; le régime (330 M€ en 2005, 500 M€ en 2008), ce
régionalisation, privatisation de régulation économique passe par la qui confirme le rôle crucial de cet outil
contractualisation. Les « contrats de pour promouvoir la compétitivité des
L’ouverture du capital (2006) et les régulation économiques » (CRE) pré- aéroports (voir Tableau 3 en fin d’article).
transformations survenues depuis voient une augmentation des rede- L’adoption de ce cadre de régulation
répondent en partie seulement à ces vances aéroportuaires conditionnée par économique contribue aussi à clarifier
demandes d’ouverture. La réforme la qualité des services fournis et le mon- les relations avec les compagnies
aéroportuaire initiée en 2005 (15) définit tant des investissements (modernisa- aériennes. En ce qui concerne les rela-
les modalités de privatisation et de tion, développement). Sur la première tions avec Air France-KLM (25,6% du
régionalisation des aéroports français : période ou CRE1 (2006-2010), les chiffre d’affaires en 2005), la tendance
abandon du statut d’établissement investissements prévus par ADP justi- est également à la contractualisation, ce
public, adoption par le Parlement d’une fient l’augmentation des tarifs (+5% en qui permet à la compagnie d’être asso-
loi de privatisation et, en fonction de la 2006-2007, puis +3,25% maxi- ciée plus en amont de la conception
taille de l’aéroport, contrôle du respect mum/an), tandis que la seconde pério- des projets d’extension (Satellites 3 et
des règles de la concurrence par la de ou CRE2 (2011-2015) prévoit un gel 4).
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fonction de leurs capacités respectives trafic intérieur (55% dans les aéroports Schipol AG, qui exporte son savoir-faire
d’autofinancement et des niveaux d’en- franciliens), voire même européen, à en matière d’airport city. Initié à Orly, où
gagement de leurs actionnaires, les l’image de la situation observée en les perspectives de croissance du trafic
opérateurs régionaux ont lancé d’im- Grande-Bretagne depuis 1986 (voir aérien sont limitées, le projet Cœur
portants projets d’extension des instal- Figure 5 en fin d’article). d’Orly porte sur un quartier d’affaires de
lations aéroportuaires et/ou de diversifi- 13,5 ha, développé en partenariat avec
cation de leurs activités (voir Tableau 4 Une spécialisation dans les Altaréa Cogedim et Foncière des
en fin d’article). opérations foncières régions (450 M€ hors hôtellerie). Au
L’ouverture de capital, confirmée Bourget, aérodrome spécialisé dans
pour Lyon-St Exupéry, Toulouse-Bla- À partir de 2006, ADP renforce sa l’aviation d’affaire et point nodal d’un
gnac et Bordeaux-Mérignac (17), présence dans les différents métiers liés pôle d’activités spécialisé dans l’aéro-
concerne une partie seulement des à l’immobilier (aménagement, dévelop- nautique, il s’agit d’intensifier les rela-
parts de l’État actionnaire, le législateur pement, gestion et maintenance). Cette tions avec les collectivités environnantes
ayant prévu que celles-ci restent supé- évolution permet au groupe de se pour poursuivre le développement de la
rieures à 51% jusqu’en 2015. Cette constituer un profil de spécialisation zone (550 ha, 8 M€ d’ici 2023).
perspective suscite l’intérêt de candi- dans un domaine faiblement lié aux fluc- Beaucoup plus flou dans le cas de
dats français et étrangers : pour ADP, il tuations du trafic aérien : 140 M€ d’in- Paris-CDG et centré sur des « chaînons
s’agit d’une opportunité de développer vestissements sur fonds propres en manquants » et quelques innovations, le
une stratégie de Hub-alliance avec 2006-2010 et 560 M€ en 2011-2015. projet comporte plusieurs dimensions.
Lyon-St Exupéry ; la banque australien- ADP bénéficie d’importants avantages Tout d’abord, « Airport City de Paris
ne Macquarie y voit une opportunité liés à son patrimoine foncier (6686 ha, CGD » permet d’intégrer Roissypôle,
d’entrer sur le marché aéroportuaire répartis sur la totalité de la région), dont zone d’activités existante, et le quartier
français ; quelques groupes d’ingénierie une partie seulement a été aménagée d’affaires en cours d’aménagement
et spécialisés dans les transports (Vinci, en vue d’activités non aéroportuaires suite à l’acquisition de Continental
VeoliaTransdev (18), CDC Infrastruc- (1310 ha dont 446 ha de réserves fon- Square (2009, 60%). Cet espace de
tures, SNC Lavalin (19)) souhaitent ren- cières). L’opérateur limite les risques 50 000 m2 de bureaux rapportant 11
forcer leurs activités dans ce domaine associés à cette activité en privilégiant M€/an a été acheté en partenariat avec
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début des années 2000 et aujourd’hui (compagnies aériennes, voyageurs, mécanismes qui caractérisent ce pro-
au point mort suite à l’arrêt des discus- etc.), encadrée par des cahiers des cessus de changement, ou des effets
sions entre l’État (maître d’ouvrage) et le charges définis par le régulateur (indé- observés sur le modèle d’affaires privilé-
groupe Vinci. Inspiré du Heathrow pendant / administration) et sanctionnée gié. L’analyse ne peut se limiter à l’iden-
Express, la méthode contraste avec par l’octroi de labels internationaux. Ce tification de tendances similaires : ouver-
celle déployée par BAA, qui était parve- double processus entraîne aussi l’évolu- ture de capital, diversification des
nu à obtenir l’accord du législateur pour tion des structures de capital et l’émer- sources de revenus, projets d’airport
financer (fonds propres, emprunts obli- gence de marchés nationaux de l’activi- cities, etc. Ces différences résultent de
gataires) et réaliser le projet dans le té aéroportuaire plus ou moins ouverts contraintes techniques, politiques,
cadre d’un accord avec British Rail. La en fonction des types d’acteurs et de organisationnelles et financières qui
réalisation des différents projets d’air- segments. Les trois opérateurs ont été structurent la capacité des opérateurs à
port cities d’ADP pose de manière plus pionniers en la matière, du 100% privé saisir les opportunités offertes par les
aiguë que jamais la question de l’inser- pour BAA plc – qui reste rare et confiné politiques nationale et européenne du
tion territoriale d’un opérateur qui a au cas britannique – à des structures transport aérien, le calcul de la rentabili-
longtemps pensé son développement hybrides dans lesquelles les acteurs té de l’activité aéroportuaire, la libérali-
en autonomie. publics conservent la majorité des sation des différents segments du mar-
parts, et ce, malgré la tendance au ché des activités aéroportuaires, et
Conclusion. Que nous apprend retrait des États. Ce type de structures l’évolution des stratégies d’autres
l’analyse comparée sur la longue se multiplie aujourd’hui et permet l’en- acteurs de l’aérien. Les opérateurs dis-
durée des principales entreprises trée d’acteurs privés qui contribuent à posent ainsi d’une marge d’autonomie
qui gèrent des aéroports en l’internationalisation des marchés natio- dans la constitution d’un profil de spé-
Europe ? naux. Parmi ceux-ci, les filiales spéciali- cialisation sur un marché de plus en
sées de grands groupes de construc- plus concurrentiel, qu’il s’agisse d’un
Première constatation : l’activité tion diversifiés (Hochtief, Ferrovial, profil d’aménageur (ADP), de logisticien
aéroportuaire a considérablement évo- Abertis, Peel Group, Vinci) ainsi que les (Fraport) et de retailer (BAA). Ces choix
lué, sous le coup d’un double proces- banques et fonds de private equity peuvent aussi renforcer leur dépendan-
sus de libéralisation des différents seg- (Macquarie, Crédit suisse) ont acquis un ce aux marchés financiers, au trafic
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Portrait d’entreprise
logiques de plus en plus différenciées. À privés autour de ces infrastructures. tis globalis » ne constitue pas le moindre
terme, les effets politiques, écono- Après l’ère des bâtisseurs (aérodromes) des paradoxes d’un modèle d’urbanité
miques et sociaux de ces stratégies et des gestionnaires (hub), les opéra- pensé par les opérateurs.
sont potentiellement majeurs en termes teurs se transforment en aménageurs Charlotte Halpern
de réorganisation des politiques (airport city) et sortent de leurs emprises chargée de recherche FNSP
urbaines dans les différents espaces aéroportuaires. Le fait que ces villes (Pacte / IEP de Grenoble)
métropolitains et de concentration aéroportuaires soient privées d’habi- charlotte.halpern@sciencespo-
accrue des investissements publics et tants et centrées sur « l’Homo aeropor- grenoble.fr
NOTES
(1) Halpern, Lorrain, 2010 ; Halpern cès au marché de l’assistance en esca- (12) Depuis 2009, cet aéroport est la
2011. le. propriété des Länder de Hesse (17,5%)
(2) Voir aussi Lorrain (2010). (8) Jusqu’en 2002, les investisse- et Rhénanie-Palatinat (82,5%).
(3) Sur la distinction opérée entre ments du groupe dans ce projet sont les L’opérateur maintient des liens étroits
activités aéroportuaires et non aéropor- plus importants hors d’Allemagne. Les par l’entremise du Land de Hesse et les
tuaires, voir Halpern (2011, p. 68 et pertes accumulées et les suspicions de activités de services aéroportuaires
notes 2 et 4). malversations conduisent Fraport à effectuées par ses filiales.
(4) Ville aéroportuaire ou aéroville en négocier son retrait avec le soutien de (13) Le Monde, 08/03/1974.
français. l’État fédéral, qui assure l’opérateur (14) Le Figaro, 22/10/1985.
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Flux n° 84 Avril - Juin 2011
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Source : Données compilées par l’auteur à partir de ADV / Statistiken. Source : Données compilées par l’auteur à partir de ADV / Statistiken.
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Portrait d’entreprise
Rang Ville (aéroport) Total Rang Ville (aéroport) Total Rang Ville (aéroport) Total
1 Memphis Int. 2,49 1 Memphis Int. 3,69 1 Hong Kong Int. 4.17
2 Hong Kong Int. 2,27 2 Hong Kong Int. 3,66 2 Memphis Int. 3,92
6 New York JFK 1,81 6 Paris CDG 2,28 6 Paris CDG 2,4
Source : Données compilées par l’auteur à partir des rapports annuels de Fraport AG (2002-2010).
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Flux n° 84 Avril - Juin 2011
Source : Données compilées par l’auteur à partir des rapports annuels ADP
Source : Fraport AG, Rapports annuels 2000-2010. (2004-2010) et APE (2005-2010).
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Portrait d’entreprise
Actionnariat État : 60% ; Public hors État (CCI et/ou collectivités territoriales) : 40%
Trafic passagers
7,7 6,3 3,3 9,8
(en millions)
Ratio dette nette/capa-
3,3 — 1,8 2,96
cité d’autofinancement
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