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ÉTHIQUE ET DÉCISIONS D'AUDIT

Christian Prat dit Hauret

Association Francophone de Comptabilité | « Comptabilité Contrôle Audit »

2007/1 Tome 13 | pages 69 à 85


ISSN 1262-2788
DOI 10.3917/cca.131.0069
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-comptabilite-controle-audit-2007-1-page-69.htm
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Christian PRAT dit HAURET


ÉTHIQUE ET DÉCISIONS D’AUDIT
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reçu : octobre 2004 / accepté : janvier 2007

Éthique
et décisions d’audit
Ethics
and audit decisions
Christian PRAT dit HAURET*

Résumé Abstract
L’objet de la recherche est d’analyser diffé- The topic of the research is analyizing French
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rents dilemmes éthiques vécus par des audi- auditors ethics dilemmas by using the conceptual
teurs français à travers le cadre conceptuel des framework of ethical ideologies developed by
idéologies éthiques de Forsyth (1980) qui sont Forsyth (1980) : situationism, absolutism, sub-
au nombre de quatre : le situationnisme, l’ab- jectivism and exceptionism.
solutisme, le subjectivisme et l’exception-
nisme.

MOTS CLÉS. – ÉTHIQUE – DÉCISIONS D’AUDIT – KEYWORDS. – ETHICS – AUDIT DECISIONS – ETHICAL
RAISONNEMENT ÉTHIQUE – FAITS DÉLICTUEUX. REASONING– FRAUD.

Correspondance : Christian PRAT dit HAURET Tél : 05 56 00 45 67 –


Université Montesquieu E-Mail : prat@u-bordeaux4.fr
Bordeaux IV
Centre de Recherche en Contrôle
et Comptabilité Internationale
(CRECCI)
Pôle Universitaire de Sciences
de Gestion
35, avenue Abadie
33000 Bordeaux

* Maître de conférences IAE de Bordeaux.

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Les scandales financiers et comptables (Enron, Worldcom, Ahold, Parmalat) intervenus aussi bien aux
Etats-Unis qu’en Europe amènent à s’interroger sur l’efficacité des organes de contrôle et notamment
sur celle de l’auditeur légal, tiers-arbitral au sein de la gouvernance des entreprises, chargé de donner
une assurance sur la qualité des états financiers. La qualité de l’audit des états financiers nécessite que
deux conditions soient remplies : la compétence et l’indépendance. La compétence des auditeurs
légaux est positivement corrélée au développement d’une meilleure expertise (Lee et Stone, 1995) et
à l’expérience accumulée au cours du temps (Dreyfus et Dreyfus, 1986). Lee et Stone (1995) définis-
sent la compétence comme le niveau d’expertise suffisant pour atteindre les objectifs d’audit expli-
cites. Quant à Dreyfus et Dreyfus (1986), ils analysent l’expertise d’un auditeur comme un conti-
nuum qui évolue, à travers un processus d’apprentissage, du point intitulé « savoir que » vers un autre
point « savoir comment ». L’indépendance ne peut exister que si l’auditeur légal est capable d’expri-
mer son opinion en âme et conscience et de manière libre. L’indépendance est la capacité de l’auditeur
à porter des jugements objectifs, libres et affranchis de toute influence que les autres parties ou faits
pourraient exercer (Bazerman, Morgan, Loewenstein, 1997). Quant au code de déontologie de la
profession de commissaire aux comptes publié au décret N 2005-1412 du 16 novembre 2005, il
stipule dans son article 5 que l’indépendance du commissaire aux comptes se caractérise notamment
par l’exercice en toute liberté, en réalité et en apparence, des pouvoirs et des compétences qui lui sont
conférés par la loi. Zeff (1987) estimait déjà que la concurrence au sein de la profession des auditeurs
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était de plus en plus vive et que leur intérêt personnel risque de primer sur l’intérêt général. Il souligne
que les auditeurs risquent d’avoir de plus en plus de difficultés pour rester indépendants et qu’il est
nécessaire de restaurer les valeurs de la profession.
Comme le soulignent Fortin et Martel (1997), il est généralement admis que l’auditeur, dans sa
fonction d’attestation des états financiers, doit agir en fonction des intérêts, souvent contradictoires,
de divers groupes d’utilisateurs tels que les créanciers, les actionnaires ou les agences de réglementa-
tion si bien qu’en rédigeant son rapport sur la fiabilité des résultats publiés dans le rapport annuel
d’une entreprise, l’auditeur assume une triple responsabilité. Il doit veiller à ce que les investisseurs
disposent d’une information suffisante pour apprécier les risques et les perspectives de gain, porter un
jugement sur la pertinence de l’information à divulguer et tenir compte de l’intérêt du public. Si la
connaissance technique s’acquiert au cours d’une formation accréditée, l’éthique repose sur la capacité
et les aptitudes à rendre des jugements moraux. La nécessité de tenir compte de l’intérêt du public et
de celui du client fait partie de la réalité quotidienne de l’auditeur et le place au cœur d’importants
conflits d’intérêt pour lesquels les codes de déontologie n’offrent pas de solutions simples.
Les auditeurs sont confrontés en mission à différentes questions du type : que dois-je faire ? qu’au-
rais-je dû faire ? quelles sont les limites de mes actions ? n’aurais-je pas mieux fait de ? Et lorsque les
finalités des actions ainsi que les moyens pour les réaliser deviennent les objets de ce questionnement,
lorsque la délibération suppose la capacité psychologique de prendre une certaine distance par rapport
à une situation donnée, d’adopter un recul critique à l’égard des besoins et désirs les plus immédiats,
le questionnement devient moral ou éthique. Ce qui meut la démarche éthique est le souci de formu-
ler de la manière la plus simple possible des principes qui confèrent une unité à l’ensemble des juge-
ments face aux circonstances les plus diverses.
Or la liberté de jugement repose sur un niveau élevé de sensibilité éthique, complété par un véri-
tablement comportement éthique. Rest (1986) met en exergue qu’un individu doit franchir quatre
étapes psychologiques pour adopter un comportement éthique. Tout d’abord, il doit interpréter une

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situation donnée comme un problème éthique (sensibilité éthique). Cette étape inclut notamment le
fait d’interpréter les options possibles et leurs conséquences. En second, l’individu doit décider quelle
option est correcte du point de vue moral. Ensuite, il doit avoir la volonté de se comporter de manière
éthique, même si son propre intérêt lui dicte une attitude contraire. Enfin, l’individu doit avoir une
force de caractère suffisante pour se comporter de manière conforme à son intention éthique
(comportement éthique).
L’objet de la recherche est d’analyser la prise de décision éthique des auditeurs légaux français à
travers le cadre conceptuel des idéologies éthiques de Forsyth (1980). Ce cadre conceptuel a été choisi
car il permet d’étudier les prises de décisions d’individus confrontés à des dilemmes éthiques sans qu’il
y ait nécessairement un consensus sur la nature éthique d’une situation donnée. Il a été construit dans
le prolongement des travaux du psychologue Sharp (1898) qui fit le constat que des personnes
proches pouvaient avoir des avis complètement différents sur des situations présentant une problé-
matique éthique. Il conclut que toute personne confrontée à un problème éthique fondait sa décision
sur son propre système de valeurs éthiques. Le cadre d’analyse de Forsyth est adapté au contexte déci-
sionnel de l’audit. En effet, les professionnels comptables libéraux ne semblent pas appliquer de
manière stricte et absolue les règles et normes professionnelles mais au contraire apprécient les situa-
tions professionnelles dans leur contexte.
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La recherche a pour objectif de mieux comprendre la prise de décision. Le développement d’un tel
type de connaissances passe notamment par la compréhension des intentions et des situations des
individus sachant que ces derniers participent à la création de leur réalité sociale et du contexte de
cette construction.
Tout d’abord, le cadre conceptuel des idéologies éthiques de Forsyth (1980) sera présenté. Ensuite,
six situations d’audit posant un dilemme éthique et vécues par des auditeurs français seront analysées
à travers le cadre conceptuel présenté ci-dessus.

1. Le cadre conceptuel des idéologies éthiques


À la suite du désaccord des psychologues sur les situations de moralité, Forsyth (1980) a élaboré un
cadre conceptuel où les différences d’appréciation des situations de jugement moral sont étudiées
selon deux facteurs : le relativisme et l’idéalisme.
Le premier facteur est le relativisme. Utilisé par un individu pour apprécier une situation du point
de vue éthique, il a pour conséquence le rejet des règles morales universelles. Les individus « relati-
vistes » rejettent la possibilité de formuler ou de faire confiance à des règles morales universelles quand
ils s’expriment sur des questions morales. Ils s’opposent à ceux qui croient et utilisent des principes
moraux lorsqu’ils apprécient une situation. Un « relativiste » ne croit pas à des règles morales univer-
selles mais considère qu’il existe plusieurs façons de regarder les problèmes moraux.
Le second facteur qui permet de distinguer les décisions individuelles est l’idéalisme des attitudes
morales. Les personnes ayant un idéalisme élevé considèrent que les conséquences souhaitables
peuvent, en choisissant la bonne action, toujours être obtenues. A contrario, ceux qui ont tendance à
être moins idéalistes admettent que des conséquences indésirables peuvent être obtenues en même
temps que des conséquences désirées et souhaitées. Un idéaliste fait sienne l’idée que de bonnes consé-

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quences peuvent toujours être atteintes et n’admet pas que de bonnes et de mauvaises conséquences
découlent de presque toutes les actions.
Forsyth (1980) a construit et présenté sous forme de tableau une taxinomie des idéologies
éthiques en croisant les deux dimensions que sont le relativisme et l’idéalisme.
Tableau 1 : Taxinomie des idéologies éthiques (Forsyth, 1980)
Relativisme

Relativisme élevé Relativisme faible

Situationnisme Absolutisme
L’individu analyse les spécificités d’une L’individu considère que suivre les règles
situation donnée dont il pense qu’elle aura morales universelles permet d’aboutir au
Idéalisme
des conséquences favorables pour tout le meilleur résultat possible. Il y a des règles
élevé
monde. Il rejette les règles morales univer- morales qui doivent toujours être suivies et
selles et adopte une analyse personnelle de qui ont des conséquences favorables pour
chaque situation. tout le monde.
Idéalisme
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Subjectivisme Exceptionnisme

L’individu utilise son propre point de vue Des principes moraux universels doivent
moral pour prendre une décision guider les jugements mais l’individu
dont il juge qu’elle a de bonnes consé- n’ignore pas que certaines conséquences
Idéalisme quences pour presque tout le monde. Il négatives sont possibles, ce qui peut justi-
faible tolère que les décisions aient de mauvaises fier des exceptions.
conséquences pour certaines personnes. Les actions qui induisent de mauvaises
conséquences pour certains sont accep-
tables.

Selon cette taxinomie, les individus sont susceptibles d’adopter une des quatre configurations du
cadre d’analyse pour porter des jugements éthiques (situationnisme, absolutisme, subjectivisme et
exceptionnisme). L’analyse de la décision des individus permet de savoir si une personne adopte des
valeurs morales idéalistes ou non et s’il croit que les valeurs morales adoptées sont universelles ou rela-
tives.
Les individus qui font partie des groupes ayant un niveau de relativisme élevé, à savoir les situa-
tionnistes et les subjectivistes, adoptent une idéologie que l’on peut dénommer « scepticisme
éthique ». En premier lieu, l’idéologie éthique « subjectiviste » se rattache au courant téléologique de
la pensée éthique dans la mesure où chaque acte est évalué en fonction de ses conséquences pour l’ac-
teur (égoïsme éthique). L’« égoïsme éthique » est une philosophie éthique sceptique qui adopte une
approche pragmatique pour évaluer une action. Selon la philosophie de l’égoïsme éthique, les évalua-
tions morales dépendent finalement des perspectives personnelles. Selon Fletcher (1966), la moralité
doit être pensée comme une « appréciation contextuelle, non sur le bien ou le mal, mais sur ce qui est
adapté ». Les « subjectivistes » utilisent leur propre point de vue moral pour prendre des décisions qui
ont de bonnes conséquences pour presque tout le monde. En second lieu, les « situationnistes » adop-
tent une philosophie morale fondée sur le scepticisme. Ils rejettent les principes moraux absolus et

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défendent la thèse que chaque situation doit être examinée individuellement. Idéalistes, ils sont à la
recherche d’une décision qui a des conséquences favorables pour tout le monde. Ce sont des « scep-
tiques éthiques ». En philosophie morale, les « sceptiques » considèrent qu’il y a différentes façons de
parler de moralité et critiquent ceux qui essaient d’imposer des principes éthiques universels et invio-
lables.
À l’opposé, les individus peuvent adopter une idéologie éthique où prime un relativisme faible. Ce
sont les « absolutistes » et les « exceptionnistes ». Dans les deux cas, c’est l’adoption de règles morales
universelles qui prime.
D’un côté, les « absolutistes » adhèrent à une vision « déontologique » de la philosophie morale. Ils
rejettent l’analyse des conséquences d’une action comme base de l’évolution morale et font appel à la
loi naturelle ou à la rationalité pour définir les jugements éthiques. Dans l’approche déontologique,
les actes sont jugés comme moraux ou immoraux par référence à des règles morales universelles. On
se positionne dans une vision déontologique ou « Kantienne » de l’éthique. Pour le philosophe déon-
tologue Emmanuel Kant, un principe moral ne peut souffrir d’aucune exception, notamment au
regard des conséquences de la décision prise. Comme le soulignent Canto-Sperber et Ogien (2004),
« la déontologie prescrit de toujours respecter personnellement certaines règles d’action…quelles que
soient les conséquences, et cela d’un point de vue impartial ou impersonnel. Ce sentiment est une
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sorte d’obligation impérieuse qui impose des contraintes absolues à ce que nous sommes en droit de
faire ». Selon les mêmes auteurs, l’éthique déontologique affirme que, dans tous les cas, les règles de
devoirs ou d’obligations doivent être respectées…autrement dit, certaines actions sont à faire ou à ne
pas faire, quelles que soient les conséquences.
D’un autre côté, les « exceptionnistes » se démarquent des « absolutistes ». Ils adhèrent à une vision
dite téléologique de la philosophie morale dans la mesure où chaque acte doit être évalué en fonction
de ses conséquences pour autrui. Selon l’approche téléologique, la moralité d’une action dépend des
conséquences produites par l’action. Un individu se conduit de manière éthique si les conséquences
de sa décision sont bonnes. L’approche téléologique peut être illustrée par le concept utilitariste « de
la meilleure situation pour le plus grand nombre ». Si l’on prend l’exemple d’un médecin qui se pose
la question de savoir s’il doit mentir à un patient, les utilitaristes considèrent que les avantages tirés du
choix du mensonge sont supérieurs aux coûts possibles dudit mensonge. Dans une vision utilitariste,
les « exceptionnistes » croient que les principes moraux absolus sont importants, mais que tout indi-
vidu doit appliquer ces règles de manière pragmatique. Selon le courant éthique de l’utilitarisme,
aucune autorité suprême ne peut décréter ce qui juste ou bon pour l’humanité. Seuls comptent les
états de plaisir ou de souffrance vécus par les êtres humains. Quelles que soient les décisions à prendre,
il faut faire abstraction de nos intérêts, penchants, préjugés moraux, conceptions métaphysiques et
croyances religieuses, et nous soucier de poursuivre « le plus grand bonheur du plus grand nombre ».
L’utilitarisme est une théorie éthique conséquentialiste : actions, politiques et institutions n’ont pas à
être jugées en fonction de leur nature intrinsèque. Elles doivent l’être en fonction de leurs consé-
quences pour autrui. L’utilitarisme est un conséquentialisme individualiste. Le bien des individus est
la seule chose qui intervient dans l’évaluation des conséquences.
Afin d’illustrer les quatre types d’idéologie éthique possible, on peut prendre l’exemple du
dilemme éthique dit « le fugitif » développé et testé par Rest (1986) lors de la construction du
Defining Issues Test (DIT) destiné à mesurer le niveau de développement moral cognitif. La situation
est la suivante :

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« Un homme a été condamné à dix ans de prison. Au bout d’un an, il s’échappe de prison, s’ins-
talle dans une autre région et prend le nom de DUPONT. Il travaille dur pendant huit ans et écono-
mise suffisamment d’argent pour créer son entreprise. Il s’est montré correct avec ses clients, a versé
des salaires élevés à ses employés et consacré la plus grande part de ses bénéfices à des œuvres de
charité. Mais un jour, madame DURAND, qui était sa voisine, le reconnaît. Elle sait qu’il s’agit de
l’homme qui s’est échappé de prison il y a huit ans et qui est recherché par la police. Madame
DURAND doit-elle dénoncer Monsieur DUPONT à la police ? ».
Selon le cadre de Forsyth, les réponses peuvent être les suivantes :
1) Situationnisme : Je ne dénonce pas car je considère que l’absence de dénonciation est bonne
pour tout le monde. La prison n’est pas une solution. La preuve : le fugitif s’est réinséré et a largement
payé sa dette en redistribuant aux salariés et aux organisations caritatives. Je n’accepte pas la théorie
kantienne du devoir : je suis un sceptique éthique.
2) Subjectivisme : Je ne dénonce pas car je considère que l’absence de dénonciation est bonne pour
presque tout le monde, à savoir les salariés, les clients et les œuvres de charité. On peut faire l’hypo-
thèse que ceux qui ont subi un préjudice au moment de la crise ou du délit ne seraient pas satisfaits
de cette situation, mais cela est secondaire.
3) Absolutisme : Je dénonce sans hésiter le fugitif. C’est la théorie du devoir moral qui s’impose. Je
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considère que suivre les règles morales universelles permet d’aboutir au meilleur résultat possible.
Mon acte répond à un devoir de justice.
4) Exceptionnisme : Je devrais dénoncer mais je ne dénonce pas. Je fais une entorse aux règles
morales car cela évite des conséquences négatives (fermeture de l’entreprise, licenciement des salariés,
perte de ressources des associations caritatives). Je ne dénonce pas le fugitif car je considère que la
somme des avantages et utilités générés par la liberté du fugitif dépasse l’utilité sociale d’une déten-
tion. J’ai une vision utilitariste.

2. Une analyse de dilemmes éthiques vécus


par des auditeurs légaux français

2.1. Le mode de collecte des données


Des situations vécues par des commissaires aux comptes en exercice et délicates en terme d’opinion
ont été collectées en trois temps.
Lors de la recherche doctorale de l’auteur menée en 2000, il a été demandé à dix auditeurs légaux
en exercice de tenir un carnet de bord, afin d’y décrire des situations vécues qui semblaient leur poser
un dilemme éthique au moment de l’expression d’une opinion d’audit légal (mission générale de certi-
fication des comptes, rédaction du rapport spécial sur les conventions réglementées, interventions en
cas d’événements ou d’opérations particulières). Parmi les informations recueillies, deux situations
nous ont semblé correspondre véritablement à un dilemme éthique. Comme on le présentera ci-après,
les situations vécues correspondaient à un dilemme éthique dans la mesure où, délicates en terme
d’opinion, elles pouvaient donner lieu à une opposition entre une application stricte des règles profes-

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sionnelles et de la loi sur les sociétés commerciales, et d’autres facteurs de décision tels que le degré de
gravité de l’erreur comptable, la qualification du fait constaté de fraude ou d’erreur, la motivation du
dirigeant ou l’existence d’un système de valeurs propre au commissaire aux comptes en opposition
avec la loi ou la doctrine professionnelle. En outre, la pertinence des deux décisions décrites ci-dessous
a été testée en effectuant une comparaison avec des situations d’audit utilisées dans deux recherches
menées par Tsui et Gul (1996) et Sweeney et Roberts (1997) sur l’indépendance de l’auditeur. Dans
la première recherche, des auditeurs ont été interrogés sur une décision d’audit qui portait sur l’ap-
préciation du caractère significatif ou non de dettes non comptabilisées au passif du bilan. Quant à
Sweeney et Roberts (1997), ils ont interrogé des auditeurs sur la décision à prendre en cas de décou-
verte d’un prélèvement non autorisé, mais rapidement régularisé, effectué par le contrôleur financier
de l’entreprise.
La première décision d’audit concernait l’anticipation de la récupération de la TVA sur des achats
de sous-traitance (services) et la deuxième une situation d’abus de biens sociaux (avance financière
faite par une société de capitaux à l’un de ses dirigeants). Le contexte des situations était tel que la
décision de l’auditeur d’accepter le non respect des règles comptables était envisageable (existence
d’arguments « pour » et « contre ») en fonction du cadre de référence choisi.
Lors de la deuxième recherche menée en 2004, dix commissaires aux comptes, différents de ceux
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ayant participé à la recherche précédente, se sont exprimés sur des situations vécues d’abus de biens de
sociaux. Les entretiens menés sont partiellement un approfondissement en quête de sens des situa-
tions collectées en 2000.
La recherche a mis en évidence deux types d’auditeurs : les « légalistes » et les « pragmatiques ». Si
les premiers décident en respectant strictement la loi, les deuxièmes tiennent compte des consé-
quences sociétales de son application. Par ailleurs, une typologie des faits délictueux a mis en évidence
trois types de délits : les délits « mineurs », les délits « majeurs » et les délits « contraints ».
Enfin, en 2005, un commissaire aux comptes qui venait de prendre sa retraite a accepté de nous
accorder un entretien. Cette personne a été choisie pour deux raisons. La première est la richesse de
l’expérience acquise pendant quarante années dans l’audit externe des états financiers de sociétés
cotées ou non, et de toute taille en termes de chiffre d’affaires et d’effectif. La deuxième est la liberté
d’expression née du recul pris par rapport à un exercice quotidien. La confidentialité du nom des
sociétés auditées a été conservée car la connaissance du nom desdites sociétés n’aurait rien apporté à
l’analyse et le secret professionnel fait partie des normes de comportement imposées par le code de
déontologie professionnelle des auditeurs légaux. En outre, du point de vue légal, la violation du
secret professionnel est une des quatre situations où la responsabilité pénale de l’auditeur peut être
engagée. De cet entretien, ont émergé deux situations délicates en termes d’opinions exprimées et
vécues par le commissaire aux comptes :
• que faut-il faire en cas de versement de sommes significatives à une entité ad hoc pour l’obten-
tion de marché et de contrats ?
• faut-il refuser de certifier les comptes d’une société confrontée à un important et significatif litige
sachant que les perspectives d’activité et les prévisions de chiffre d’affaires et de résultat sont très
bonnes pour les années à venir (existence d’un passif environnemental).

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Le tableau ci-après présente une synthèse des décisions d’audit et de la date de collecte de la situa-
tion d’audit :
Numéro Nature du problème Date de collecte
1 Absence de provisions 2005
2 Prêt au dirigeant d’une SA via une SCI 2004
3 Compte courant d’associé débiteur 2000
4 Convention interdite 2004
5 Tva déductible sur prestations de services 2000
6 Commissions illicites versées à un tiers 2005

2.2. L’analyse des données recueillies


L’analyse des six dilemmes éthiques vécus par les commissaires aux comptes en exercice est présentée
ci-dessous.

2.2.1.
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LES DÉCISIONS D’AUDIT « ABSOLUTISTES »
a. Cas n° 1 : Présentation du cas, dilemme éthique et interprétation
a. 1) Présentation du cas :
Le commissaire aux comptes interrogé en 2005 avait identifié au cours d’une mission un important
litige, quinze jours avant la clôture de l’exercice, auquel l’entreprise auditée était confrontée. Le litige
concernait l’absence de mise aux normes environnementales d’un ancien site industriel. Le montant
financier réclamé par les parties prenantes était significatif. Le passif latent répond aux conditions de
comptabilisation imposées par l’avis N° 00-01 du Conseil National de la Comptabilité sur les passifs.
1 Compte tenu de la situation, nul doute qu’un passif devait être comptabilisé. L’entreprise avait en

effet une obligation à l’égard d’un tiers et il était probable que cette obligation provoquât une sortie
de ressources au bénéficie de ce tiers sans contrepartie au moins équivalente attendue de celui-ci.
Une provision pour risques et charges, correspondant à un passif dont l’échéance et le montant ne
sont pas fixés de manière précise, devait être comptabilisée. Dans la situation vécue par le commissaire
aux comptes, la société refusa de comptabiliser cette provision. D’une part, elle était fortement endet-
tée et ne souhaitait pas détériorer son ratio d’endettement financier. D’autre part, elle présentait des
prévisions d’exploitation très favorables pour les cinq années à venir ce qui devait permettre à l’entre-
prise de dégager un cash flow très largement positif permettant d’absorber les coûts de remise aux
normes environnementales de l’ancien site industriel.
L’entreprise ne souhaitait donc pas présenter une situation financière dégradée. De plus, le direc-
teur général laissa sous-entendre au commissaire aux comptes qu’en cas de refus de certifier, son
mandat pouvait ne pas être renouvelé dans les deux ans. Pour finir, le montant des honoraires perçus
était significatif pour la rentabilité et l’équilibre financier du cabinet d’audit. En ce qui concerne la
nature de la mission de certification des comptes (loi sur les sociétés commerciales) et le respect des
normes professionnelles (guide des normes de la compagnie des commissaires aux comptes), il ne fait
donc aucun doute que l’opinion exprimée devait être celle du refus de certification.

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Lors de l’entretien, le commissaire aux comptes interrogé nous indiqua qu’il refusa de céder, ne
certifia pas les comptes et perdit son mandat deux ans plus tard. Il souligna qu’il s’était refusé à certi-
fier les comptes car cela aurait été la négation même de sa mission et que, par ailleurs, l’intégrité est
une des valeurs essentielles du commissariat aux comptes. Ce dernier souligna l’importance de valeurs
telles que l’intégrité et l’indépendance qui, selon lui, priment sur tout. Il nous indiqua avoir fait son
devoir.
a.2) Dilemme éthique :
Le commissaire aux comptes est partagé entre l’expression d’un refus de certifier qui peut avoir pour
conséquence la perte de la mission et une certification sans réserves qui pourrait s’avérer sans consé-
quence en cas de stabilité de l’actionnariat puisque, sur le plan financier, les coûts environnementaux
seront absorbés par les cash-flows futurs de l’entreprise. Cette situation présente un dilemme éthique
dans la mesure où le commissaire aux comptes doit choisir entre protéger l’ensemble des parties
prenantes en les alertant, par son rapport négatif, sur le rattachement du coût environnemental à
l’exercice comptable concerné (principe de spécialisation des exercices) et son intérêt personnel.
a.3) Interprétation de la décision :
Cette décision correspond à une idéologie absolutiste (idéalisme élevé et relativisme faible). En effet,
dans l’absolutisme, il y a des règles morales qui doivent toujours être suivies et qui ont des consé-
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quences favorables pour l’ensemble des parties prenantes.
À un premier niveau, les conséquences sont favorables au commissaire aux comptes car son inté-
grité permet au niveau macro-économique de renforcer la légitimité d’un auditeur « payé » par l’en-
treprise (puisqu’il est capable de résister à ses représentants légaux) et au niveau micro-économique de
construire la réputation du cabinet sur l’intégrité. La perte du client est finalement secondaire dans
une perspective temporelle longue.
À un deuxième niveau, les conséquences sont favorables pour l’entreprise car cette dernière
complète l’information comptable et financière obligatoire de l’année concernée (bilan, compte de
résultat et annexe) par une information extra-comptable de qualité (financière et prévisionnelle telle
qu’un business plan) et, en la présentant à ses banquiers, elle peut améliorer la qualité de la relation
banque-entreprise en accumulant et en capitalisant de la confiance. On dépasse alors une vision
« court-termiste » des états financiers et de la relation banque-entreprise.
À un troisième niveau, les parties prenantes à la vie de l’entreprise (actionnaires, clients, fournis-
seurs, salariés, Etat, organismes sociaux) bénéficient d’une information comptable transparente ce qui
leur permet de prendre des décisions sur des états financiers fiables.
b. Cas n° 2 : Présentation du cas, dilemme éthique et interprétation
b.1) Présentation du cas :
Un commissaire aux comptes interrogé a relaté une situation où une société anonyme a accordé un
prêt à une société civile immobilière. Le gérant de la société civile était également le président du
conseil d’administration de la société anonyme. Ce dirigeant a utilisé l’avance financière reçue par la
société civile immobilière pour financer des dépenses personnelles (frais personnels de déplacement et
cadeaux non justifiés). En ce qui concerne l’application de la loi sur les sociétés commerciales, le
commissaire aux comptes a l’obligation de révéler le fait délictueux. Le commissaire aux comptes
interrogé a indiqué avoir révélé le délit sans état d’âme et sans hésitation.

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b.2) Dilemme éthique :
Le commissaire aux comptes a le choix entre dénoncer cette convention interdite et accepter le prélè-
vement d’une partie des ressources par le dirigeant de l’entreprise, qui considère que cette dernière lui
appartient et qu’il y a peu de différence entre la personne physique (le dirigeant) et la personne morale
(la société).
b.3) Interprétation de la décision :
Le commissaire aux comptes a adopté une application stricte de la loi et fait son devoir. Il y a sans
aucun doute enrichissement du dirigeant au détriment des intérêts des autres parties prenantes. La
décision d’audit s’inscrit dans le cadre d’une idéologie éthique « absolutiste » (idéalisme élevé et rela-
tivisme faible).

2.2.2. LES DÉCISIONS D’AUDIT « SITUATIONNISTES »


a. Cas n° 3 : Présentation du cas, dilemme éthique et interprétation
a.1) Présentation du cas :
Après avoir fait la connaissance du dirigeant de la société en participant à un tournoi de golf, un
professionnel comptable a été nommé commissaire aux comptes de la société. Après leur première
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rencontre, le dirigeant et l’auditeur ont continué à jouer ensemble au golf de temps en temps. En
milieu de mandat, soit après trois ans de certification sans réserves des comptes annuels, le dirigeant
de la société auditée a révélé au commissaire aux comptes avoir prélevé 76 000 Euros sur les comptes
de la société pour aider financièrement son frère dont l’entreprise, prospère dans le passé, était au bord
du dépôt du bilan. Le dirigeant de l’entreprise auditée a expliqué au commissaire aux comptes que
l’avance financière lui avait permis d’attendre la vente définitive d’un bien immobilier personnel faite
trois mois plus tard (temps nécessaire à la mise en vente, à la signature de la promesse de vente et de
l’acte définitif ). Le dirigeant a souligné qu’il avait remboursé l’avance financière faite par « sa » société
immédiatement après la vente du bien immobilier. Le commissaire aux comptes a décidé de ne pas
révéler l’abus de biens sociaux commis par le dirigeant de l’entreprise. Il a jugé que l’abus de biens
sociaux commis a permis de sauver une société en grande difficulté financière appartenant au frère du
dirigeant. Les délits de ce type peuvent être qualifiés de « contraints ». Le commissaire aux comptes a
considéré que son silence, loin d’exister dans un contexte de corruption, est un service rendu à la
société au sens large et révèle une conception de la notion de fait délictueux plus économique que juri-
dique.
a.2) Dilemme éthique :
La situation décrite ci-dessous présente un véritable dilemme éthique dans la mesure où le commis-
saire aux comptes doit choisir entre une application stricte de la loi (en révélant le fait délictueux qui
ne fait aucun doute du point de vue du droit pénal) et la non révélation du fait délictueux qui pour-
rait être motivée à la fois par l’absence de conséquences sociétales négatives du délit (il a été régularisé
et aucun préjudice n’a été subi par un tiers) et le fait d’éviter de trahir le dirigeant. Ce dernier n’a pas
commis le délit pour s’enrichir mais pour « sauver » l’entreprise de son frère. Le délit serait en quelque
sorte justifié par une volonté de « justice sociétale ».

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a.3) Interprétation de la décision :
Le commissaire aux comptes a fait preuve de « scepticisme éthique » par rapport à une application
stricte de la loi. La décision prise par l’auditeur correspond à une idéologie éthique de type « situa-
tionniste » (idéalisme élevé et relativisme élevé). En effet, en cas d’application d’une idéologie de type
situationniste, la personne confrontée au dilemme éthique regarde les différentes spécificités d’une
situation donnée pour décider d’une action qui a de bonnes conséquences pour tout le monde. Elle
rejette les règles morales et fait une analyse personnelle de la situation à laquelle elle est confrontée.
Selon les informations communiquées, le commissaire aux comptes a décidé de ne pas révéler le
fait délictueux car il a jugé que personne n’a subi de dommage et que la loi ne devait pas être appli-
quée de manière brutale. La société n’a pas subi de préjudice financier puisque l’avance consentie au
dirigeant a été remboursée par ce dernier. Aucun des « stakeholders » n’a été lésé puisque toutes leurs
créances ont été honorées. Bien que n’ayant pas respecté le droit des sociétés, le dirigeant a fait preuve
de solidarité familiale en permettant à son frère de sauver son entreprise. Quant au commissaire aux
comptes, il a renforcé sa relation avec le dirigeant même s’il a augmenté temporairement le risque de
mise en cause de sa responsabilité pénale en ne révélant pas le fait délictueux au procureur de la
République.
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Cette position est d’autant plus personnelle que la régularisation de tout fait délictueux n’est pas
retenue dans les décisions de jurisprudence comme un facteur de non révélation. Dans la situation
présentée, la révélation des faits délictueux est une obligation. Selon Barbiéri (2004), « a peu de
chance de prospérer, tout au moins devant la chambre criminelle de la cour de Cassation, l’argument
tiré d’une régularisation ultérieure des prélèvements illégaux ». D’une part, la cour de Cassation
considère que la restitution – même spontanée – du bien détourné n’enlève pas à l’acte son caractère
délictueux. D’autre part, s’agissant de la réparation du dommage qu’un abus de biens a occasionné à
une société, la cour de Cassation paraît très attentive aux modalités de la réparation et ne se contente
pas d’une simple affirmation d’équivalence formulée par les juges du fond. De son côté, la Compagnie
Nationale des Commissaires aux Comptes a adopté une norme professionnelle qui précise « qu’en
prenant en compte les conséquences d’une infraction et le but poursuivi, le commissaire aux comptes
révèle les faits qui sont à la fois significatifs et délibérés ». Un fait significatif est celui qui, ayant pour
effet de soustraire l’entité ou les dirigeants à des dispositions légales spécifiques, modifie sensiblement
la présentation de la situation financière, du patrimoine ou du résultat, ou est de nature à porter préju-
dice à l’entité ou à un tiers. Le caractère délibéré s’apprécie par rapport à des éléments objectifs
démontrant la conscience que peut avoir l’auteur de l’infraction de ne pas respecter la réglementation
en vigueur. Et, dans le cas présent, le délit est véritablement délibéré et significatif.
b. Cas n° 4 : Présentation du cas, dilemme éthique et interprétation
b.1) Présentation du cas :
Un commissaire aux comptes interrogé a révélé la situation où le président du conseil d’administra-
tion d’une PME familiale non cotée était tombé gravement malade. Son gendre, dirigeant d’une
société à responsabilité limitée indépendante, mais également administrateur de la société anonyme,
avait reçu une rémunération pour assurer l’intérim pendant les quelques mois d’absence, sans que la
rémunération n’ait été préalablement autorisée par le conseil d’administration. Le commissaire aux
comptes s’est rendu compte a posteriori de cette convention interdite et non autorisée. L’absence d’au-

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torisation n’ayant causé aucun préjudice à la société, bien au contraire, il n’a pas jugé bon de révéler le
fait délictueux.
b.2) Dilemme éthique :
Face à cette situation, le commissaire aux comptes est confronté à un véritable cas de conscience : soit
il respecte le droit des sociétés de manière stricte, soit il analyse l’esprit de la règle en considérant que
l’esprit de la loi n’a pas été violé, la société ou l’ensemble des parties prenantes n’ayant pas subi de
préjudice. Au contraire, la présence du gendre a permis le remplacement du dirigeant et donc indi-
rectement de sauver l’entreprise confrontée à une « fragilité managériale » à la suite de la maladie de
son dirigeant.
b.3) Interprétation de la décision :
La décision prise est de type « situationniste » (idéalisme élevé et relativisme élevé). Lors d’une situa-
tion de type situationniste, la personne concernée regarde les spécificités d’une situation donnée pour
trouver une action qui a de bonnes conséquences pour tout le monde. Il fait preuve de « scepticisme »
éthique. Il est clair que, du point de vue juridique, l’absence d’approbation de la rémunération du
président d’une société par le conseil d’administration de la société qu’il dirige est une infraction au
droit des sociétés. En revanche, du point de vue économique, les parties prenantes à la vie de la société
n’ont subi aucun dommage. Selon ses dires, la révélation du délit est apparue disproportionnée au
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commissaire aux comptes par rapport aux conséquences de l’acte qui résultait a priori d’une négli-
gence. En outre, la rémunération du président n’était en aucun cas exagérée. Dans cette situation, le
contexte prime par rapport à une application stricte de la règle.

2.2.3. LES DÉCISIONS D’AUDIT « EXCEPTIONNISTES »

a. Cas n° 5 : Présentation du cas, dilemme éthique et interprétation


a.1) Présentation du cas :
Un commissaire aux comptes interrogé a indiqué avoir accepté le non respect par une entreprise de
bâtiment et de travaux publics de la règle fiscale de récupération de la taxe sur la valeur ajoutée sur les
achats de sous-traitance selon le régime de la TVA sur les encaissements. L’entreprise auditée était
financièrement dans une période difficile (marge faible dégagée sur les affaires, important besoin en
fonds de roulement à financer compte tenu du montant important des travaux en-cours et montant
très élevé des créances clients non encaissées sur les collectivités locales).
Sous-traitant une partie importante des travaux réalisés, l’entreprise devait, selon le Code Général
des Impôts, récupérer la taxe sur la valeur ajoutée au moment du paiement de la facture car il s’agis-
sait du moment où le prestataire de services devait de son côté la reverser à l’Etat. La récupération anti-
cipée de la TVA est une infraction au Code Général des Impôts et peut être qualifiée de fraude fiscale
(tout délinquant étant dans ce cadre-là condamnable à une amende maximale de 38 112 Euros et un
emprisonnement maximal de 5 ans).
Dans le cadre de sa mission, le commissaire aux comptes a accepté que l’entreprise s’octroie indi-
rectement un décalage de TVA favorable pour sa situation de trésorerie. La société a donc récupéré la
TVA sur les débits (date de la facture du sous-traitant) et non au moment du décaissement. Le
commissaire interrogé indiqua qu’il pouvait dans certaines circonstances accepter de manière excep-
tionnelle un non respect absolu de la règle en général et en particulier de la règle fiscale. Il était

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conscient que la décision prise pouvait avoir des conséquences négatives pour l’Etat mais l’avait consi-
dérée comme acceptable s’agissant d’un simple décalage dans le temps qui pouvait varier entre 30
jours et 90 jours selon le délai de règlement des fournisseurs.
a.2) Dilemme éthique :
Le cas précédemment évoqué présente un dilemme éthique dans la mesure où le commissaire aux
comptes est confronté à un choix délicat en terme d’opinion : soit il dénonce le fait délictueux de
fraude fiscale et refuse de cautionner le crédit de trésorerie que l’entreprise s’est indirectement
octroyée, ce qui précipite le dépôt de bilan pour cessation de paiement (cette solution traduit une
application stricte de la loi et de sa mission de commissaire aux comptes), soit il relativise l’importance
du fait délictueux par rapport à la survie de l’entreprise qui peut éventuellement se redresser ultérieu-
rement. Le choix de la deuxième solution peut engager sa responsabilité du point de vue civil
(condamnation à des dommages et intérêts) ou pénal (non révélation des faits délictueux).
a.3) Interprétation de la décision :
Si on utilise le cadre théorique de Forsyth, on peut considérer qu’une idéologie éthique « exception-
niste » a été retenue par le commissaire aux comptes. L’exceptionnisme se caractérise par un relati-
visme faible et un idéalisme faible. Bien que chargé de veiller au respect de la loi, le commissaire aux
comptes fait une exception au respect de la règle fiscale afin d’éviter certaines conséquences négatives,
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à savoir les difficultés de trésorerie de l’entreprise auditée, une suppression des concours bancaires et
découverts accordés par la banque et un dépôt de bilan. Les « exceptionnistes » adoptent une vision
utilitariste du dilemme éthique. Les utilitaristes prônent l’abandon de toute idée de droit naturel et de
toute métaphysique englobante.

2.2.4. LES DÉCISIONS D’AUDIT « SUBJECTIVISTES »


a. Cas n° 6 : Présentation du cas, dilemme éthique et interprétation
a.1) Présentation du cas :
Un commissaire interrogé a présenté la situation suivante. Auditant les comptes annuels d’une société
anonyme, un auditeur junior a été intrigué par le paiement effectué par une société anonyme à une
société à responsabilité limitée, extérieure au groupe de la société anonyme, d’une commission égale à
3 % du chiffre d’affaires. Interrogé, le directeur financier indiqua que « la SARL devait assurer le déve-
loppement commercial de la SA et à ce titre, méritait une commission de 3 % pour faire face à ses
charges ». Discrètement, le manager, responsable de la mission d’audit, demanda un extrait K bis au
greffe du tribunal de commerce dont dépendait la SARL et a constaté que le gérant de la SARL était
le président du conseil d’administration de la SA auditée.
Interrogé par la suite sur la légitimité de cette relation économique entre la SA et la SARL, le diri-
geant de la SA a répondu sur un plan juridique et formel en indiquant que « s’agissant d’une conven-
tion conclue entre deux sociétés ayant un dirigeant commun, la phase initiale de la procédure des
conventions réglementées (à savoir autorisation préalable de la convention réglementée par le conseil
d’administration) avait bien été respectée ». Le président du conseil d’administration indiqua au
commissaire aux comptes qu’il aurait donc à rédiger le rapport spécial sur les conventions réglemen-
tées avant approbation desdites conventions par l’assemblée générale des actionnaires. Le président
répondit sur la forme mais en aucun cas sur la substance économique du mouvement financier.

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Si, du point de vue juridique, la procédure a été respectée, le commissaire aux comptes avait les
plus grands doutes sur le bien-fondé économique de cette opération financière. En effet, pour gérer
une société autonome dans toutes ses composantes, ses dirigeants avaient-ils besoin de faire appel à
une autre société pour assurer le développement commercial sachant que l’entreprise auditée avait son
propre service commercial ? Après de nombreuses discussions avec le président de la société, le direc-
teur général et le directeur financier de la société anonyme, le commissaire aux comptes finit par
apprendre que l’argent versé à la SARL avait servi à obtenir des marchés en corrompant les donneurs
d’ordre. L’artifice de la SARL avait été choisi pour éviter que les sommes versées à des tiers n’appa-
raissent directement dans les comptes.
Après avoir pris connaissance de la réalité de la situation et de la « substance » de l’opération finan-
cière, le commissaire aux comptes s’interrogea sur la décision à prendre. Il décida de certifier les
comptes sans réserves et considéra qu’il s’agissait d’une convention réglementée, à charge, selon lui,
aux actionnaires de poser des questions sur la destination des sommes versées. Il considéra que la lutte
contre la corruption dépassait ses propres prérogatives. Il s’agissait d’une opération financière non
justifiée (du point de vue juridique, les obligations légales actuelles du commissaire aux comptes sont
aujourd’hui différentes en raison des nouvelles obligations qui leur ont été imposées en matière de
blanchiment d’argent).
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a.2) Dilemme éthique :
Cette situation présente un dilemme éthique au commissaire aux comptes dans la mesure où il doit
choisir entre la forme de l’opération (convention réglementée autorisée) et le fond (détournements de
fonds de la société à des fins de corruption de donneurs d’ordre). Lors de l’expression de son opinion,
doit-il accepter cette situation qui permet à l’entreprise de continuer à exister (positionnement micro-
économique) ou plutôt se positionner sur un plan plus macro-économique (participation à la dimi-
nution des phénomènes de corruption) ? La continuité de l’activité de l’entreprise doit-il être choisie
par rapport à des valeurs universelles telles que la suppression de la corruption ?
a.3) Interprétation de la situation :
Selon le cadre théorique de Forsyth (1980), cette décision d’audit peut être interprétée par une idéo-
logie éthique de type « subjectiviste » (idéalisme faible et relativisme élevé). En effet, le commissaire
aux comptes a utilisé son propre point de vue moral pour trouver une action qui a de bonnes consé-
quences pour presque tout le monde. Il a considéré que même si la décision prise a de mauvaises
conséquences pour certaines personnes, elle reste acceptable. La personne qui a subi un préjudice est
le client final, à savoir le donneur d’ordre.
La décision prise par le commissaire aux comptes a eu des conséquences favorables pour les diri-
geants qui n’ont pas été inquiétés, pour les salariés et l’ensemble des parties prenantes qui ont conti-
nué à bénéficier de la répartition de la valeur créée par l’entreprise. En revanche, la décision prise a eu
des conséquences défavorables pour le système macro-économique et financier et le client final. On
peut considérer que l’on est dans une situation d’égoïsme éthique dans la mesure où le commissaire
aux comptes, en n’intervenant pas, a préservé son propre intérêt (la poursuite de sa mission) et celui
de l’entreprise (sa pérennité) en passant sous silence le versement de sommes « occultes » dont la
« substance » est contestable.

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2.3. Discussion
Après l’analyse des décisions d’audit à travers le cadre conceptuel de Forsyth, une discussion s’impose.
Les deux décisions d’audit « absolutistes » (passifs environnementaux à provisionner, refus d’un enri-
chissement indu du dirigeant) ont pour point commun la volonté pour le commissaire aux comptes
de remplir sa mission en protégeant les parties prenantes. Elles traduisent un sens aigu de la responsa-
bilité du commissaire aux comptes qui remplit pleinement son rôle de contrôle et de garant de la
qualité des états financiers. Elles illustrent une véritable conscience du devoir de la part de l’auditeur
dans l’accomplissement de sa mission. Ce dernier ne privilégie pas son intérêt et n’est pas en collusion
avec le dirigeant. Ainsi, une application stricte de la loi est en phase avec le caractère « juste » de la
mission de l’auditeur. A contrario, dans les deux décisions « situationnistes » (non révélation de faits
délictueux à savoir une avance financière au dirigeant et non approbation de la rémunération du diri-
geant), le commissaire aux comptes n’applique pas la loi de manière stricte. Il tient compte du
contexte et s’interroge sur l’intérêt de l’application de la loi qui lui pose un problème éthique. La déci-
sion prise par l’auditeur est au profit de l’ensemble des parties prenantes de manière indirecte dans le
premier cas (l’entreprise du frère est sauvée) et de manière directe dans le second (la pérennité de l’en-
treprise). Une certaine « justice sociétale » guide la décision de l’auditeur plutôt qu’une application
stricte du texte sans tenir compte du contexte. Quant à la décision « exceptionniste » de l’auditeur
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(acceptation d’une récupération trop rapide de la TVA), elle dénote une idéologie utilitariste de l’au-
dit qui s’éloigne de l’application de loi.

Conclusion
Le cadre conceptuel de Forsyth permet d’analyser des décisions d’audit souvent complexes compte
tenu de l’interaction des intérêts de l’auditeur, de ceux de l’entreprise auditée, des obligations juri-
diques et légales qui ont du mal à englober toutes les situations, et des conséquences sociales et socié-
tales des décisions prises. Poursuivant ses travaux à partir du cadre conceptuel, Forsyth a développé un
questionnaire intitulé EPQ (Ethics Position Questionnaire) qui permet de classer les individus dans
les 4 catégories en fonction de leur sensibilité éthique.
En fin de compte, il ressort des situations étudiées que les relations croisées de l’audit et de
l’éthique sont au cœur de la légitimité de la mission de contrôle des comptes. Un comportement
éthique est une condition nécessaire à l’expression d’une opinion de qualité. Nul doute que les phéno-
mènes organisationnels tels que la culture du cabinet ou de l’équipe d’audit puissent influencer et
interagir sur l’opinion exprimée. Toutefois, la certification des comptes est une décision individuelle
qui reviendra au final à l’associé, signataire et responsable du dossier. Mettre les jeunes auditeurs en
situation de jugement professionnel peut sûrement les aider à apprécier des situations délicates au
niveau de l’opinion exprimée. Radtke (2004) a développé une méthode expérimentale sur le plan
pédagogique destinée à faire réfléchir les étudiants en comptabilité sur différents dilemmes éthiques.
Comme l’écrivait au XVIe siècle Michel de Montaigne à son amie Diane de Gurson : « Instruire, c’est
former le jugement ».

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84
Notes FLETCHER J. (1966), Situation ethics, Philadelphia,
Pa : Westminster Press.
1. En effet, selon l’avis, un passif est : « un élément
FORSYTH D.R. (1980), « A Taxonomy of ethical ideo-
du patrimoine ayant une valeur économique
logies », Journal of Personality and Social
négative pour l’entité, c’est-à-dire qu’il existe une
Psychology, Vol 39, n°1, pp. 175-184.
obligation de l’entité à l’égard d’un tiers dont il est
probable ou certain qu’elle provoquera une sortie FORSYTH D.R. (1981), « Moral judgment : The
de ressource au bénéfice de ce tiers, sans contre- influence of ethical ideologies », Journal of
partie au moins équivalente attendue de celui-ci Personality and Social Psychology, Vol 39,
(…). Cette obligation peut être d’ordre légal, pp. 175-184.
réglementaire ou contractuel. Elle peut également FORTIN J. et MARTEL L. (1997), « Enjeux éthiques de
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