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Éthique
et décisions d’audit
Ethics
and audit decisions
Christian PRAT dit HAURET*
Résumé Abstract
L’objet de la recherche est d’analyser diffé- The topic of the research is analyizing French
© Association Francophone de Comptabilité | Téléchargé le 08/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.207.164.214)
MOTS CLÉS. – ÉTHIQUE – DÉCISIONS D’AUDIT – KEYWORDS. – ETHICS – AUDIT DECISIONS – ETHICAL
RAISONNEMENT ÉTHIQUE – FAITS DÉLICTUEUX. REASONING– FRAUD.
Situationnisme Absolutisme
L’individu analyse les spécificités d’une L’individu considère que suivre les règles
situation donnée dont il pense qu’elle aura morales universelles permet d’aboutir au
Idéalisme
des conséquences favorables pour tout le meilleur résultat possible. Il y a des règles
élevé
monde. Il rejette les règles morales univer- morales qui doivent toujours être suivies et
selles et adopte une analyse personnelle de qui ont des conséquences favorables pour
chaque situation. tout le monde.
Idéalisme
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L’individu utilise son propre point de vue Des principes moraux universels doivent
moral pour prendre une décision guider les jugements mais l’individu
dont il juge qu’elle a de bonnes consé- n’ignore pas que certaines conséquences
Idéalisme quences pour presque tout le monde. Il négatives sont possibles, ce qui peut justi-
faible tolère que les décisions aient de mauvaises fier des exceptions.
conséquences pour certaines personnes. Les actions qui induisent de mauvaises
conséquences pour certains sont accep-
tables.
Selon cette taxinomie, les individus sont susceptibles d’adopter une des quatre configurations du
cadre d’analyse pour porter des jugements éthiques (situationnisme, absolutisme, subjectivisme et
exceptionnisme). L’analyse de la décision des individus permet de savoir si une personne adopte des
valeurs morales idéalistes ou non et s’il croit que les valeurs morales adoptées sont universelles ou rela-
tives.
Les individus qui font partie des groupes ayant un niveau de relativisme élevé, à savoir les situa-
tionnistes et les subjectivistes, adoptent une idéologie que l’on peut dénommer « scepticisme
éthique ». En premier lieu, l’idéologie éthique « subjectiviste » se rattache au courant téléologique de
la pensée éthique dans la mesure où chaque acte est évalué en fonction de ses conséquences pour l’ac-
teur (égoïsme éthique). L’« égoïsme éthique » est une philosophie éthique sceptique qui adopte une
approche pragmatique pour évaluer une action. Selon la philosophie de l’égoïsme éthique, les évalua-
tions morales dépendent finalement des perspectives personnelles. Selon Fletcher (1966), la moralité
doit être pensée comme une « appréciation contextuelle, non sur le bien ou le mal, mais sur ce qui est
adapté ». Les « subjectivistes » utilisent leur propre point de vue moral pour prendre des décisions qui
ont de bonnes conséquences pour presque tout le monde. En second lieu, les « situationnistes » adop-
tent une philosophie morale fondée sur le scepticisme. Ils rejettent les principes moraux absolus et
2.2.1.
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effet une obligation à l’égard d’un tiers et il était probable que cette obligation provoquât une sortie
de ressources au bénéficie de ce tiers sans contrepartie au moins équivalente attendue de celui-ci.
Une provision pour risques et charges, correspondant à un passif dont l’échéance et le montant ne
sont pas fixés de manière précise, devait être comptabilisée. Dans la situation vécue par le commissaire
aux comptes, la société refusa de comptabiliser cette provision. D’une part, elle était fortement endet-
tée et ne souhaitait pas détériorer son ratio d’endettement financier. D’autre part, elle présentait des
prévisions d’exploitation très favorables pour les cinq années à venir ce qui devait permettre à l’entre-
prise de dégager un cash flow très largement positif permettant d’absorber les coûts de remise aux
normes environnementales de l’ancien site industriel.
L’entreprise ne souhaitait donc pas présenter une situation financière dégradée. De plus, le direc-
teur général laissa sous-entendre au commissaire aux comptes qu’en cas de refus de certifier, son
mandat pouvait ne pas être renouvelé dans les deux ans. Pour finir, le montant des honoraires perçus
était significatif pour la rentabilité et l’équilibre financier du cabinet d’audit. En ce qui concerne la
nature de la mission de certification des comptes (loi sur les sociétés commerciales) et le respect des
normes professionnelles (guide des normes de la compagnie des commissaires aux comptes), il ne fait
donc aucun doute que l’opinion exprimée devait être celle du refus de certification.
2.3. Discussion
Après l’analyse des décisions d’audit à travers le cadre conceptuel de Forsyth, une discussion s’impose.
Les deux décisions d’audit « absolutistes » (passifs environnementaux à provisionner, refus d’un enri-
chissement indu du dirigeant) ont pour point commun la volonté pour le commissaire aux comptes
de remplir sa mission en protégeant les parties prenantes. Elles traduisent un sens aigu de la responsa-
bilité du commissaire aux comptes qui remplit pleinement son rôle de contrôle et de garant de la
qualité des états financiers. Elles illustrent une véritable conscience du devoir de la part de l’auditeur
dans l’accomplissement de sa mission. Ce dernier ne privilégie pas son intérêt et n’est pas en collusion
avec le dirigeant. Ainsi, une application stricte de la loi est en phase avec le caractère « juste » de la
mission de l’auditeur. A contrario, dans les deux décisions « situationnistes » (non révélation de faits
délictueux à savoir une avance financière au dirigeant et non approbation de la rémunération du diri-
geant), le commissaire aux comptes n’applique pas la loi de manière stricte. Il tient compte du
contexte et s’interroge sur l’intérêt de l’application de la loi qui lui pose un problème éthique. La déci-
sion prise par l’auditeur est au profit de l’ensemble des parties prenantes de manière indirecte dans le
premier cas (l’entreprise du frère est sauvée) et de manière directe dans le second (la pérennité de l’en-
treprise). Une certaine « justice sociétale » guide la décision de l’auditeur plutôt qu’une application
stricte du texte sans tenir compte du contexte. Quant à la décision « exceptionniste » de l’auditeur
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Conclusion
Le cadre conceptuel de Forsyth permet d’analyser des décisions d’audit souvent complexes compte
tenu de l’interaction des intérêts de l’auditeur, de ceux de l’entreprise auditée, des obligations juri-
diques et légales qui ont du mal à englober toutes les situations, et des conséquences sociales et socié-
tales des décisions prises. Poursuivant ses travaux à partir du cadre conceptuel, Forsyth a développé un
questionnaire intitulé EPQ (Ethics Position Questionnaire) qui permet de classer les individus dans
les 4 catégories en fonction de leur sensibilité éthique.
En fin de compte, il ressort des situations étudiées que les relations croisées de l’audit et de
l’éthique sont au cœur de la légitimité de la mission de contrôle des comptes. Un comportement
éthique est une condition nécessaire à l’expression d’une opinion de qualité. Nul doute que les phéno-
mènes organisationnels tels que la culture du cabinet ou de l’équipe d’audit puissent influencer et
interagir sur l’opinion exprimée. Toutefois, la certification des comptes est une décision individuelle
qui reviendra au final à l’associé, signataire et responsable du dossier. Mettre les jeunes auditeurs en
situation de jugement professionnel peut sûrement les aider à apprécier des situations délicates au
niveau de l’opinion exprimée. Radtke (2004) a développé une méthode expérimentale sur le plan
pédagogique destinée à faire réfléchir les étudiants en comptabilité sur différents dilemmes éthiques.
Comme l’écrivait au XVIe siècle Michel de Montaigne à son amie Diane de Gurson : « Instruire, c’est
former le jugement ».