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HAUTE ÉCOLE GALILÉE

IHECS
Institut des Hautes Études
des Communications Sociales
de Bruxelles

Sémiologie et herméneutique

Analyse et interprétation de quelques récits médiatiques

Joël SAUCIN
Avec deux textes additionnels de

Jean-Pierre MEUNIER
Syllabus de 3e bachelier
Première édition

Bruxelles

2016
4 Sémiologie et herméneutique

 Jean-Pierre MEUNIER et Joël SAUCIN

Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit,
réservés pour tous pays sans l’autorisation des auteurs ou de leurs ayants droit.

Imprimé en Belgique D/2016/CEICS, éditeur

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Le dispositif cognitif 5

Introduction
Si le cours de Sémiologie et herméneutique figure au programme de
troisième bachelier de l’Institut des Hautes Études des Communications
Sociales de Bruxelles, c’est que l’analyse et l’interprétation constituent deux
démarches importantes pour le communicateur. Celui-ci doit être capable de
comprendre et de confronter les divers points de vue qui sont présents dans
toutes communications. Il doit pouvoir relever les divers éléments manifestes
et latents qui participent à chacune de ces communications. Enfin, en tant
qu’observateur ou acteur, il doit être conscient de la relativité de son propre
point de vue et connaître les différents aspects qui agissent en lui
inconsciemment. C’est pourquoi le cours de sémiologie et herméneutique vise
un triple objectif :

d'abord, fournir les éléments d’une réflexion globale sur la production de


sens des objets culturels dans la communication ;
ensuite, permettre d'analyser et d'interpréter les divers symboles qui se
trouvent au sein de ces productions ;
enfin, fournir des outils théoriques et des ouvertures méthodologiques en
vue de permettre une meilleure compréhension de la spécificité de la
communication.

Nous avons subdivisé le cours en deux grandes parties. Après cette brève
introduction, nous présentons, dans la première partie, divers modèles de la
communication et la place attribuée à l’homme en chacun de ces modèles.
Nous abordons ensuite la sémiologie et la sémiotique, la théorie cognitive de
la communication de Jean-Pierre Meunier, puis l’approche narratologique de
Philippe Marion et enfin la grille sémiopragmatique de Jean-Pierre Meunier et
Daniel Peraya. Nous présentons en même temps diverses méthodes d’analyse,
dont l’analyse sémiologique de Ferdinand de Saussure, l’analyse sémiotique
de Charles Sanders Peirce, l’analyse morphologique de Vladimir Propp,
l’analyse mythologique de Joseph Campbell, l’analyse structurale d’Algirdas
Julien Greimas, l’analyse sémiopragmatique de Jean-Pierre Meunier et Daniel

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6 Sémiologie et herméneutique

Peraya, pour terminer par les ratissages de Jules Gritti. La deuxième partie est
consacrée à l’herméneutique et l’interprétation. Nous confrontons dans le
premier chapitre de cette partie diverses théories qui ont vu le jour depuis un
siècle concernant le développement psychique de l’individu. Les deux
chapitres suivants s’intéressent davantage à la perspective jungienne et au
concept d’archétype, ainsi qu’aux travaux de Gilbert Durand et Umberto Eco.
Nous présentons également la méthode d’amplification de Carl Gustav Jung et
nous l’appliquons à divers mythes, contes et légendes que nous illustrons par
un certain nombre d’œuvres contemporaines. Les conclusions s’attachent aux
différents aspects liés à la double pensée (mythos — logos) et aux doubles
jeux de la connaissance.
Ce cours porte sur une matière foisonnante, née à l'aube de l'humanité. Il
serait présomptueux, voire prétentieux de croire que ces quelques pages
épuisent le sujet. Il ne s’agit que d’une synthèse partielle qui n'est nullement
exhaustive. Afin d'alimenter votre réflexion, il vous est également proposé en
bibliographie une série d'ouvrages et d'articles. Lisez-les ! N'acceptez pas de
limiter votre savoir au nôtre. Ayez en cette matière de l'ambition. En abordant
ce cours, ne vous enfermez pas dans une seule perspective. Évitez ce piège !
Ayez, comme le héros, le courage de conquérir votre liberté...
Ainsi, nous espérons vous faire partager notre plaisir et notre goût à
piétiner d'autres sentiers et souhaitons que ces pérégrinations ne s'arrêtent pas
au moment d’un quelconque examen, mais que celui-ci soit simplement
l'épreuve rituelle qui vous permettra d'accéder, en ce domaine, à une nouvelle
vie... La quête du Graal est également la quête de soi.

Le 6 janvier 2016,

Joël Saucin

6
Le dispositif cognitif 7

Modèles et théories de la
communication (rappel)

La communication introuvable

Il convient en tout premier lieu de s’interroger sur ce vocable de


« communication ». Dans le « Que sais-je ? » consacré à la communication,
Lucien Sfez (1991 : 4) écrivait : « On ne parle jamais autant de
communication que dans une société qui ne sait plus communiquer avec elle-
même. » Il est vrai que le mot de communication fait figure de concept passe-
partout, de terme polysémique pour désigner des réalités multiples. On
évoquera les voies de communication pour désigner les autoroutes ou chemins
de fer, les techniques de communication pour parler de téléphonie ou
d’informatique et plus globalement de communication pour faire référence
aux relations interpersonnelles. Ainsi, pour Thierry Libaert (s.d.), la
communication souffre de quatre difficultés :

1. L’approche mécaniste ;
2. L’approche quantitative
3. L’approche balistique et
4. L’approche technique (LIBAERT, S.D.).

L’approche mécaniste ou le modèle


« télégraphique » de la communication et l'absence
du sujet

Au début, la communication repose sur les travaux de Norbert Wiener,


Mathématicien d’origine et auteur de Cybernétique et société, paru en 1949
aux États-Unis. Wiener définissait la cybernétique comme étant la science du

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8 Sémiologie et herméneutique

contrôle et des communications. Les travaux de l’époque sont influencés par


une vision de la communication comme un flux d’informations entre un
émetteur et un récepteur.

Développée par Claude Shannon et Warren Weaver dans un ouvrage paru


également en 1949, The Mathematical Theory of Communication, une vision
très mécaniste fut présentée autour de cinq éléments :

1. la source de l’information ;
2. le transmetteur ;
3. le canal de transmission de l’information ;
4. le récepteur ;
5. le destinataire de l’information.
Ils ajoutèrent ensuite la notion de bruit parasite pouvant perturber la
qualité du message. Ce qui donna le schéma suivant :

Origine de Canal de
l’information transmission
(Bruit)
Destinateur Émetteur Message Récepteur Destinataire
Encodeur (Code) Décodeur

Feed-back

Ce schéma mécaniste avait le grand mérite d’amener la réflexion sur la


dégradation du message lors de sa transmission. Ce que résume l’approche
psycholinguistique :

 ce que je pense
 ce que je veux dire
 ce que je dis
 ce que le récepteur entend
 ce que le récepteur comprend
 ce que le récepteur retient.

Basé sur la théorie de l'information de Shannon et Weaver, ainsi que sur la


linguistique de De Saussure, ce premier modèle s’inspire de la manière dont
l’homme communique à travers le télégraphe. C'est pourquoi ce modèle a été
baptisé métaphoriquement « télégraphique » par Yves Winkin. Au niveau de
ce modèle, communiquer suppose que les deux protagonistes disposent d'une
réserve de signes. La notion de code y est capitale. Elle présuppose une série
d'opérations réductrices :

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Le dispositif cognitif 9

1. La notion de code est basée sur la distinction saussurienne entre la


langue (sociale et essentielle) et la parole (individuelle et accessoire)
(SAUSSURE, 1969 : 30 et 166).
La langue = le code (Sa+Sé) + les règles = système de signes
2. La notion de code ignore presque les individus qui communiquent.
L'émetteur a le choix du code et le récepteur a la liberté de s'y
soumettre ou de s'abstenir. L'un et l'autre se déterminent isolément dans
leur rapport au message et au code. Ils demeurent à distance l'un de
l'autre. Seule la valeur d'échange du message vient combler cette
distance. D'où la réciprocité est exclue et les sujets ne sont pas pris en
compte. La coparticipation du récepteur est ignorée.

L’héritage majeur de ce modèle est le schéma des 5 W proposé par Harold


Lasswell. Ce modèle sert de grille d’analyse et d’embryon de tout plan de
communication : Who, What, Whom, What channel, When. Cette formule
« qui dit quoi, à qui, quand et comment » laisse peu de place à l’écoute et à
l’interactivité. L’émetteur est actif et le récepteur passif. Nous sommes dans
un unilatéralisme de communication, une approche purement linéaire.

Pour Jean Baudrillard, ce modèle influence le devenir de la communication


dans nos médias de masse. Seule importe la valeur d’usage ! Ni la valeur
d’échange, ni la valeur symbolique ne sont prises en compte
(BAUDRILLARD, 1972 : 220-222). Il n'y a pas de relation réciproque. Le
contexte n'est pas du tout pris en compte. Ce qui circule, c'est de l'information
lisible, univoque et digitale (BARTHES, 1964 : 40).

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10 Sémiologie et herméneutique

L’approche quantitative de la communication

La vision quantitative de la communication repose sur une définition de


celle-ci en matière de flux. Elle est à la base de nombreuses stratégies de
communication où l’objectif principal est conçu sur la base de la notoriété, il
faut être vu, il faut être présent, il faut diffuser ses messages. Cela fut
longtemps le credo de publicités basées sur les effets de répétition : « Du bo,
du bon, Dubonnet ».

Dans cette approche, « communiquez plus » signifie réduire au maximum


les bruits parasites pouvant gêner la quantité et la qualité de l’information
diffusée. Les deux maîtres mots sont « transparence » et « réactivité ». Pour
que la communication de votre organisation soit de qualité, vous devez être
réactif et votre organisation transparente.

Nous sommes ici dans une vision utopique de la communication1. Selon


cette théorie, la communication est la solution. Communiquons plus, soyons
transparents et nous serons plus heureux. « Heureux qui communique ! », tel
est le nouveau slogan. Cette vision est pourtant largement réductrice et
amplement répandue. Comme le rappelle Dominique Wolton (1997 : 53) :
« La transparence ne dispense pas plus des conflits, et l’information ne suffit
pas à créer de la connaissance »2 (LIBAERT, s.d.).

L’approche balistique et l’absence de l’objet

Fortement corrélée à la précédente, l’approche holistique considère la


communication selon une vision globale qui s’imposerait en dehors de tout
contexte. Le terme de « communication » nécessite toujours un objet. Le
verbe est soit transitif « On communique quelque chose à quelqu’un » soit
intransitif « On communique avec quelqu’un ». Or, le terme s’est imposé sans
adjonction d’objet, comme si le fait même de communiquer pouvait exister en
soi. Le manque de communication est toujours l’accusé idéal de tous les
dysfonctionnements structurels de l’entreprise. Comme il est plus facile
d’actionner la communication que de s’attaquer à un problème structurel, la
solution apparaît rapidement : « Il faut communiquer ! » Quel que soit le type
de problème, vous devez communiquer !

1
: L’expression est de Philippe Breton, L’utopie de la communication, La Découverte, 1992

10
Le dispositif cognitif 11

Anne Bartoli (1990 : 97) exprime clairement le problème posé : « On ne


saurait améliorer dans l’absolu cette insaisissable communication », pas plus
que ne s’obtient ex nihilo la fameuse « motivation du personnel. Pour l’une
comme pour l’autre, c’est un raisonnement relatif et temporel qui s’impose :
on communique pour ou sur... on est motivé pour ou sur... Toute autre
ambition globale n'est-elle pas une gageure pure et simple ? »

« Toute communication ne peut se comprendre qu’en fonction d’un


contexte, d’un enjeu particulier, d’un objectif, d’une relation avec le
destinataire du message. Toute croyance en une communication globale
risque au mieux l’inefficacité, au pire de sérieuses difficultés »
(LIBAERT, s.d.)

L’approche technique de la communication et la


dérive instrumentale

Il s’agit de la dérive la plus fréquente en communication d’organisation.


Elle constitue une sorte de point d’aboutissement des dérives précédentes.
Appelée également « dérive instrumentale », elle consiste à utiliser un outil
de communication avec la croyance que celui-ci réussira à résoudre le
problème de communication. Le schéma est alors simple :

Détection d’un problème

Croyance en la communication comme solution

Création d’une action de communication

« Le dirigeant d’une entreprise sentira la démotivation de ses salariés, il demandera au


responsable de communication de créer un nouveau journal interne, il sentira la défiance
de ses actionnaires alors il repensera le site web de l’entreprise, il voudra marquer son
territoire face à la concurrence alors il élaborera une nouvelle plaquette de présentation »
(LIBAERT, s.d.).

Le jeu des pouvoirs en entreprise oblige parfois à accepter certains


compromis et il est parfois difficile au chargé de communication de s’opposer
à un dirigeant qui souhaiterait voir le nom de son entreprise sur les affiches de
sa ville et son stand à la foire commerciale. C’est pourtant en s’interrogeant
d’abord sur les objectifs, les cibles et les messages que la communication
prend toute son efficacité. La réflexion sur les outils n’intervient qu’en

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12 Sémiologie et herméneutique

aboutissement d’un processus de réflexion stratégique, elle ne saurait en


aucun cas s’y substituer.

La linguistique de l'énonciation et le retour du sujet

Benveniste distingue Histoire et Discours :

1° L’histoire est le récit pauvre en indication sur les interlocuteurs.


Le narrateur disparaît et les événements semblent se raconter
eux-mêmes ;
2° Le discours est le récit riche en indications sur les interlocuteurs.
Le narrateur apparaît clairement et il raconte les événements
(BENVENISTE, 1966 : 254).

Comme toute énonciation suppose un locuteur et un auditeur, il y a une


intention de la part du premier d'influencer l'autre. Ainsi, les messages, au
niveau de l'histoire, fonctionnent essentiellement à l'adhésion, à la
participation, et à l'identification. Il n'y a pas de rupture diégétique3. Il y a
simplement une absence de recul par rapport au message et il n'y a aucune
adresse.
Or, dans la langue, il existe des indicateurs (symboles-index) de
personne, comme les pronoms personnels ou les démonstratifs, qui servent à
ancrer un énoncé dans une situation de discours. Ces symboles-index
transforment la langue en discours. Ils entretiennent une relation existentielle
avec ce qu'ils désignent (relation existentielle entre l'objet « je » et le sujet
énonciateur). Pour Benveniste, ces symboles-index sont des signes vides qui
deviennent « pleins » dès qu'un locuteur les assume. La linguistique retient
l'empreinte du procès d'énonciation dans l'énoncé. Leur fonction est
d'exprimer dans l'énoncé le procès de l'énonciation (BENVENISTE, 1966 :
254). L'usage des pronoms personnels indique la manière dont les sujets
communicants s'impliquent dans la relation, la façon dont ils structurent leur
relation en se positionnant réciproquement, se considérant mutuellement
comme personne et non-personne, se réunissant ou se disjoignant en
s'opposant.

3
Diègésis = sphère générale du récit. Il n'y a pas de rupture diégétique = il n'y a pas de rupture
au niveau du récit, puisque le narrateur demeure caché.

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Le dispositif cognitif 13

1. « je » désigne celui qui parle et implique un énoncé sur le compte du je. Il


représente la personne subjective ;
2. « tu » est une personne spécifique désignée par « je » qui énonce quelque chose
comme prédicat de « tu ». Il représente la personne non subjective, extérieure à
laquelle « je » s'adresse ;
3. « il » (ou elle) représente la non-personne, la troisième personne exceptée de la
relation « je-tu ». Il faut distinguer le « il » de référence qui est soustrait à la sphère
personnelle du « tu » (respect, politesse, majesté) en élevant l'interlocuteur au-
dessus de la condition de la personne et le « il » de mépris qui ravale, néantise en
tant que personne ;
4. « nous » est soit un gonflement, une amplification du « je ». Dans ce cas, il faut
distinguer le « nous » inclusif (moi + vous) du « nous » exclusif (moi + eux), soit
une affirmation non tranchée qui estompe le « je » (auteur, orateur) ;
5. « vous » est une personne amplifiée, une généralisation du « tu », soit métaphorique
(politesse), soit réelle (vous collectif) ;
6. « ils » (ou « elles ») est la non-personne étendue et illimitée qui exprime l'ensemble
indéfini des êtres non personnels ;
7. « on » est une généralité indécise qui peut se substituer à tous les pronoms. C'est un
syncrétisme, une suppression de la personne dans l'indéterminé.

Les psychanalystes Luce Irigaray et Jacques Lacan, se fondant sur les


découvertes de la linguistique (JAKOBSON, 1963) et de l'anthropologie
structurale (LÉVI-STRAUSS, 1958), isolent le registre de l'imaginaire et du
symbolique. Ils montrent que l'inconscient doit être interprété comme un
langage et instituent les linéaments d'une théorie du sujet. Pour eux, l'usage
des pronoms personnels participe à la fois à la prise de conscience du sujet et
à son assujettissement social.

1. Les parents utilisent le « il » impersonnel (il est temps de le mettre coucher) et le


« on » indéterminé (on devrait peut être appeler le médecin). Ces deux pronoms
reflètent le stade fusionnel (le syncrétisme) du bébé avec son entourage et son
environnement.
2. Les parents utilisent entre eux le « il » personnel (il a faim). Ce pronom reflète une
mise à distance du bébé par rapport à son entourage.
3. Les parents s'adressent directement au bébé à l'aide du pronom « tu » (tu vas prendre
ton lolo, tu as encore fait la sale fille). Le bébé représente la personne extérieure à
laquelle le parent s'adresse. La rupture est cette fois manifeste. L'enfant prend
conscience de la séparation et symbolise cette séparation à l'aide d'un objet qu'il lance
et reprend.
4. L'enfant se mire dans un miroir. Ce stade est formateur de la fonction du « Je ».

Dans son article « Communications linguistique et spéculaire », Luce


Irigaray explique que le sujet « infants » ne dispose pas encore du langage.
Dans le circuit de l'échange de ses parents, le sujet est désigné par un « il ».

13
14 Sémiologie et herméneutique

Ce « il0 » est un vide qui permet à la structure d'exister : il est la simple


condition des permutations du « je » et du « tu ». Le sujet ne sera inséré dans
le circuit langagier de l'échange qu'en étant nommé dans le dialogue de ses
parents et en recevant un prénom. Le sujet devient ainsi un « il1 », désigné
comme « fils » par une parole du père. Nommé par son prénom, le sujet entre
dans le circuit de l'échange. Il fait son apparition dans l'ordre du signifiant. Le
sujet naît dans sa singularité. Mais la constitution du « il1 » permet aussi la
disjonction du « je », sujet de l'énoncé, et du (je), sujet de l'énonciation. Le
(je) peut s'absenter du « je » ou se déguiser en « tu », en « il » ou même en
« on ». La voie se trouve ouverte aux leurres et tromperies du discours,
qu'engendre l'impossible coïncidence du (je) au « je ». C'est là précisément ce
qui définit la Spaltung4 entre le soi (le psychisme le plus intime) et le sujet du
discours conscient. Finalement, l'accès symbolique se solde par ce que
Jacques Lacan nomme la division du sujet, c'est-à-dire la division entre le
« je » de l'énoncé et la réalité psychique qu'il représente selon l'alternative
d'une présence-absente. Dans le symbolique, le sujet ne peut être que
représenté, traduit. Le symbole est différent de ce qu'il représente. Le sujet se
traduisant « je » dans le discours, s'il s'inscrit dans le circuit de l'échange, se
perd d'autre part à lui-même. Le jeune enfant subit la société, sa culture, son
organisation et son langage et ne dispose que d'une alternative : s'y
contraindre ou sombrer dans la maladie. Ce qui restera de plus véridique et de
plus essentiel dans la personnalité, c'est le dessous du masque, le refoulé. Du
côté du masque, c'est-à-dire du discours, du moi et du comportement social, le
sujet prolifère sous les formes multiples qu'il se donne ou qui lui sont
imposées.

« Le signifiant représente ce qui de la présence de l'autre est retrouvé, mais en tant que
représentation seulement. » (LEMAIRE, 1977 : 126)

Il résulte de cette division du sujet, que la conscience et la réflexion sont à


situer au niveau du discours alors que l'inconscient est mis du côté du sujet
vrai. Il y a aliénation du sujet dans son discours. Ainsi, l'énoncé ne sera jamais
à prendre comme tel, mais comme énigme, rébus où le sujet s'occulte.

« Le signifiant se produisant au lieu de l'Autre (le symbolique), y fait surgir le sujet, mais
c'est aussi au prix de le figer. Ce qu'il y avait là de prêt à parler, disparaît de n'être plus
qu'un signifiant. » (LACAN cité par LEMAIRE, 1977 : 126)

4
Spaltung vient de Spalte qui signifie fente en allemand.

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Le dispositif cognitif 15

La pragmatique linguistique et le sujet agissant

Pour Austin, parler c'est accomplir un acte (AUSTIN, 1970). Partant de ce


constat, Searle propose une classification fondée sur le but (le locuteur
cherche à informer, à décrire, à faire faire ou à s'engager à faire), la direction
d'ajustement (la parole s'adapte au monde ou l'inverse), et l'état psychologique
exprimé (croyance, volonté...) (SEARLE, 1982). Selon le but, on a :

 les actes assertifs = assertions constatives ;


 les actes directifs = les actes de prescription et d'interrogation comme
demande ;
 les actes promissifs = engagements à faire quelque chose ;
 les actes expressifs = remerciements, condoléances... ;
 les actes déclaratifs = déclarations du genre « vous êtes congédiés ».

Récanati propose deux classifications complémentaires à celle de Searle


(RÉCANATI, 1982 : 19). L'une basée sur la direction d'ajustement :

Actes illocutionnaires

essentiellement représentatifs non essentiellement représentatifs


(expressifs)

performatifs constatatifs

déclaratifs progressifs prescriptifs

L'autre basée sur l'imaginaire (M) par rapport au monde réel (R) :

 affirmation : le locuteur se porte garant que M coïncide avec R ;


 ordre : le locuteur prétend contraindre son destinataire à faire coïncider
M et R ;
 supposition : M et R sont distincts et M peut même être irréel ;
 interrogation : le locuteur ignore si M coïncide avec R et se déclare
intéressé par cette éventualité.

L'acte illocutoire ou illocutionnaire désigne le fait qu'en disant quelque


chose, le locuteur effectue un acte (exemple : un ordre, une promesse, une
affirmation...). L'acte illocutoire implique donc un « faire ».
Le perlocutoire désigne les effets engendrés par le « faire ».
Parmi ces actes illocutionnaires, on peut mentionner : ordonner,
interroger, conseiller, exprimer un souhait, avertir, remercier, critiquer,

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16 Sémiologie et herméneutique

excuser, affirmer, féliciter, suppléer, menacer, promettre, insulter, s'excuser,


avancer une hypothèse, défier, jurer, autoriser, déclarer.
En accomplissant un acte illocutionnaire, le locuteur s'assigne un certain
rôle et assigne à l'auditeur un rôle complémentaire.
Pour Ducrot, nos énoncés se présentent comme des actions devant
transformer la situation des interlocuteurs (DUCROT, 1979).
Pour Lyotard, parler c'est combattre, au sens de jouer. C'est le jeu d'un
énoncé à l'autre, lancé pêle-mêle dans la bataille (LYOTARD, 1979).
Dans tout message, il existe, d'une part, un aspect relatif au contenu
(contenu informatif), un sens descriptif et, d'autre part, un aspect relatif à
l'acte, à la relation, un sens pragmatique.
Le sens descriptif concerne le fait qu'un énoncé verbal présente un état de
choses auquel il fait référence.
Le sens pragmatique désigne le fait que le discours assume une fonction
illocutoire.
Les éléments de la signification qui interviennent dans le sens pragmatique
sont :

le mode verbal ; (éléments


l'ordre des mots ; linguistiques,
les performatifs explicites ; digitaux)

l'intonation ; (éléments
les éléments non verbaux. analogiques)

Les aspects verbaux de la communication sont appelés digitaux en raison


du caractère discret des signes les composant. Les aspects non verbaux de la
communication sont appelés analogiques en raison du caractère
« chosiforme » des signes les composant (posture, mimique, geste, inflexion
de la voix, intonation, rythme). Ces aspects non verbaux constituent la
manière de dire, détermine le rapport entre les interlocuteurs et concerne les
images d'eux-mêmes qu'ils jouent dans ce rapport (RÉCANATI, 1982 : 19).
Ainsi, le concept d'énonciation se réfère à différents aspects du discours :

 les aspects physiologiques, les traces (articulation, prononciation) ;


 les aspects psychologiques (la manière dont les sujets jouent leur sort
dans la communication).

Pour Ducrot, l'énonciation est l'événement que constitue l'apparition d'un


énoncé. L'énoncé contient une image, une représentation de son énonciation.
Le sens d'un énoncé, c'est une représentation qu'il apporte de son

16
Le dispositif cognitif 17

énonciation (DUCROT, 1979 : 33-34). Cette représentation porte sur trois


aspects :

 produit par un locuteur ;


 adressé à un allocutaire ;
 l'acte de parole accompli (la force illocutionnaire de l'énoncé).

Au niveau des deux interlocuteurs, il faut donc distinguer


locuteur/allocutaire, histoire/discours, les pronoms personnels et les
marques de personne, la polyphonie (énonciateur/locuteur,
destinataire/allocutaire).
Au niveau de l'acte de parole accompli, il faut tenir compte des actes
illocutionnaires (assertifs, directifs, promissifs, expressifs, déclaratifs), des
actes spécifiques (contexte et inférence), des actes indirects (implicites et
maximes de Grice), et de l'inférence du sens descriptif d'un énoncé
(coénonciation) (GHIGLIONE, 1986 : 92).
D'une part, l’énoncé indique le locuteur de son énonciation. Il se présente
tout d'abord comme produit par un locuteur désigné par le pronom et par les
différentes marques de la première personne. D'autre part, l'énoncé présente
son énonciation comme adressée à un allocutaire désigné par les pronoms et
les marques de la seconde personne.
La notion de polyphonie concerne le fait que les sujets communicants
fassent quelquefois résonner dans leurs voix, la voix des autres. La pensée
d'autrui est constitutive de la mienne. Il y a donc polyphonie quand on peut
distinguer le locuteur de l'énonciateur et l'allocutaire du destinataire.
Ainsi, il ne faut pas confondre locuteur et énonciateur(s). Dans la phrase
« j'ai cessé de fumer. », il y a :

 un locuteur unique : je ;
 deux énonciateurs : on (sous-entendu) = la communauté qui constate la
mauvaise conduite antérieure et je = qui affirme sa présente sagesse.

De même, il ne faut pas confondre allocutaire, destinataire(s) et


auditeur(s). Dans la phrase « le ministre déclare, l'ordre sera maintenu, coûte
que coûte », le ministre prend pour allocutaire l'ensemble des citoyens et il se
donne deux catégories de destinataires : les bons citoyens, soucieux d'ordre,
et les mauvais citoyens, objets de la menace. Dans la phrase « Parle plus bas,
Pierre, il y a Paul qui nous entend », Pierre est l'allocutaire et Paul, l'auditeur
(DUCROT, 1979 : 36).
En conclusion, parler c'est accomplir un acte. Cet acte implique une
transformation. Il est donc nécessaire de tenir compte du rôle et de la place
des partenaires (SEARLE, 1982).

17
18 Sémiologie et herméneutique

Le modèle inférentiel et le contexte de l'énonciation

Les actes génériques peuvent être classés selon l'arbre de Récanati.


Cependant, il existe une multiplicité d'actes spécifiques qui sont seulement
regroupés selon « des airs de famille ». Ces actes spécifiques se déterminent
en fonction du contexte de l'énonciation ou d'une activité inférentielle de la
part de l'allocutaire.
Un acte de parole peut être indiqué par l'usage d'un verbe performatif et
par l'usage d'autres indications comme le mode verbal (l'impératif, par
exemple), le temps verbal (le futur qui convient à la promesse), la forme de
l'énoncé (par exemple, la forme interrogative).
Ces indications ne suffisent pas toujours et elles ne sont pas univoques.
Ainsi, confronté à un énoncé émis au mode impératif, l'auditeur ne peut savoir
si la prescription dont il infère l'accomplissement par le locuteur est une
injonction, une requête, une supplication, une imitation, une permission.
Ce qui guidera la bonne interprétation, c'est la connaissance du contexte
d'énonciation et ce que la connaissance permet d'inférer. Nous avons une
double inférence : d'une part, une inférence attribuant au locuteur l'intention
d'accomplir un acte (basé sur le principe de littéralité, de certains traits du
contexte), d'autre part, une inférence qui permet de spécifier cet acte.
Le principe de littéralité permet d'inférer que le locuteur à l'intention
d'accomplir un acte. Selon ce principe, le locuteur ne doit pas énoncer une
phrase ayant un certain acte illocutionnaire s'il n'a pas l'intention d'accomplir
cet acte.
Le contexte d'énonciation permet de déterminer quel acte illocutionnaire
spécifique le locuteur a effectivement l'intention d'accomplir par son
énonciation. Divers indicateurs (gestes, mimiques, traits, accentuation,
débit...) fonctionnent dans la conversation comme opérateurs de
« désambiguïsation » (RÉCANATI, 1982 : 154-155) (GHIGLIONE, 1986 :
60)
Parmi les actes du langage, il existe une série d'actes indirects qui sont
formulés pour en signifier d'autres. Par exemple, la phrase « pouvez-vous me
passer le sel ? » n'est pas une interrogation sur la capacité de l'allocutaire,
mais une demande. Il y a un contenu implicite qui nécessite d'inférer les sous-
entendus. Direction et indirection sont ainsi des choix dans des stratégies de
discours motivés par la politesse ou par le respect de la « face », mais aussi
par les positions que l'on veut s'attribuer respectivement dans l'échange
communicationnel. Par exemple, le slogan « Ta santé est aussi celle des
autres » est à la fois une affirmation portant sur la solidarité et une
prescription indiquant de faire attention à ta santé pour ne pas nuire à celle des
autres. L'usage de l'indirection évite une certaine moralisation qui nuirait à la
responsabilité personnelle. En inférant, le destinataire s'implique. Par contre,
au niveau du slogan « Ouvrez les yeux pour que le SIDA ne vous les ferme
pas », l'usage du mode direct table sur le pouvoir d'une autorité morale

18
Le dispositif cognitif 19

supérieure. Enfin, la phrase « Ici, il y a trois ans, on ne récoltait que du


sable » impose un calcul inférentiel assez long engendrant un sentiment de
coénonciation du message de la part du destinataire. Coénonciation qui est à
la fois impliquante et responsabilisante.
Par ces divers exemples, nous constatons qu'il existe différents degrés dans
la coénonciation. Il y a des cas où le modèle du code intervient et d'autres cas,
où il n'intervient pas. Ainsi, l'inférence intervient dans la partie explicite et/ou
implicite du message.
Ces diverses considérations conduisent H.P. Grice à formuler un principe
général de tout discours appelé Principe de coopération : « Que votre
contribution à la conversation, au moment où elle intervient, soit conforme au
but ou à la direction acceptée de l'échange verbal auquel vous participez »
(SPERBER & WILSON, 1986 : 57).
Grice développe ensuite ce principe en neuf maximes, classées en quatre
catégories :

Maximes de quantité.
1° Que votre contribution soit aussi informative que nécessaire.
2° Que votre contribution ne soit pas plus informative que nécessaire.
Maximes de qualité.
1° Ne dites pas ce que vous croyez faux.
2° Ne dites pas ce que vous n'avez pas de raisons suffisantes de
considérer comme vrai.
Maximes de relation.
1° Soyez pertinent.
Maxime de manière.
1° Évitez de vous exprimer de manière obscure.
2° Évitez l'ambiguïté.
3° Soyez bref.
4° Soyez ordonné (SPERBER & WILSON, 1986 : 58).

Quiconque s'engage dans une conversation est présumé respecter ces


règles. Un sous-entendu peut être fait sans qu'aucune maxime ne soit
enfreinte. Ainsi, si une personne dit « je n'ai plus d'essence » et qu'une autre
personne lui répond « il y a un garage plus loin », celle-ci sous-entend que le
garage est ouvert. Lorsqu'il y a infractions, celles-ci peuvent être de deux
sortes :
soit, une maxime est enfreinte parce que pour lui obéir, il faudrait en
enfreindre une autre (exemple : une réponse peu précise par manque
d'information) ;
soit, une maxime est enfreinte volontairement pour produire un effet de
sous-entendu (exemple : un politicien, interrogé sur les mérites de tel chef
d'État, répond « C'est un homme ponctuel »).

L'inférence sert donc à la détermination des actes du langage et à la


fixation du contenu descriptif d'un énoncé.

19
20 Sémiologie et herméneutique

Dan Sperber et Deirdre Wilson proposent une conception de la


communication fondée sur une conception générale de la cognition.

« [...] les processus cognitifs humains sont organisés de façon à produire les effets cognitifs
les plus grands possible au prix d'un effort mental le plus réduit possible [...], l'individu doit
porter son attention sur les informations les plus pertinentes parmi toutes celles dont il
dispose. Communiquer, c'est requérir l'attention d'autrui ; par conséquent, communiquer,
c'est laisser entendre que l'information que l'on cherche à transmettre est pertinente. »
(SPERBER & WILSON, 1986 : 7)

Ils appellent principe de pertinence « l'idée fondamentale [...] selon


laquelle une information communiquée est assortie d'une garantie de
pertinence » (SPERBER & WILSON, 1986 : 7), et soutiennent que le
principe de pertinence a un rôle essentiel à jouer dans l'explication de la
communication humaine. Le modèle de la communication, selon Sperber et
Wilson, devient le suivant :

Émetteur Indice Récepteur


dispositif déductif message dispositif déductif
(il suppose que l’émetteur
est pertinent et grâce à sa
connaissance de la langue et
du contexte, il déduit ce
il faut inférer qu’il a voulu dire).

Une conversation réussie dépend de la convergence des calculs


d'inférences. Il y a nécessité d'une coénonciation. Celle-ci est indissociable
des deux protagonistes de l'échange verbal, des représentations, images et
visées de l'un par rapport à l'autre. Comme pour l'interprétation, l'inférence
nécessite de tenir compte des relations et du contexte. Dès lors, nous pouvons
dire que les actes illocutionnaires sont des actes psychosociaux impliquant
des relations. Ainsi, pour Austin, un locuteur, en énonçant, accomplit un
certain type d'acte social, défini par la relation qui s'établit, au moyen de
l'énonciation, entre le locuteur et l'auditeur. Le langage est une vaste
institution comportant une panoplie de rôles conventionnels.
Pour Ducrot, la relation se définit en termes de modification de situation
« juridique » des interlocuteurs. L'acte illocutoire crée des droits et des
obligations pour les interlocuteurs. Ainsi, une question confère au destinataire
l'obligation de répondre, tandis que l'affirmation rend le locuteur responsable
de la vérité de ce qu'il affirme. L'assertion, enfin, est caractérisée par
l'intention de susciter au moyen de l'énonciation une certaine croyance chez
l'auditeur.
Flahault propose une interprétation en termes de place fondée sur l'idée
d'une position intersubjective sur laquelle agirait l'énonciation illocutoire.

20
Le dispositif cognitif 21

Pour lui, il existe des énonciations avancées à un autre titre que celui de l'acte
illocutoire qu'elles effectuent pourtant (FLAHAULT, 1978 : 44). Flahault
recourt à l'analyse de l'implicite :

Implicite

linguistique (= présupposition) discursif

fondé sur l’énoncé fondé sur l’énonciation

La psychosociologie et l'école de Palo Alto

La psychosociologie se préoccupe des sujets, de leurs relations et de leurs


conflits. Elle s'intéresse aux aspects analogiques (non verbaux) du message.
Pour les psychosociologues de l'École de Palo Alto, les sujets jouent dans une
énonciation leur propre image.
Pour Watzlawick, un message, sous son aspect indice, transmet un
contenu (digital), une information. Par contre, un message, sous son aspect
ordre, désigne, d'une part, la manière dont le récepteur doit entendre le
message et, d'autre part, la relation (analogique) entre les partenaires (« c'est
ainsi que je vous vois, c'est ainsi que je me vois, c'est ainsi que je vous vois
me voir... ») (WATZLAWICK, JACKSON & BEAVIN, 1979).
L'émetteur et le récepteur ne sont pas de purs êtres conscients. Les deux
instances psychiques (consciente et inconsciente) interfèrent dans leurs
relations, aussi bien du point de vue analogique (les attitudes et les
expressions du visage), que du point de vue digital (dont les lapsus et les mots
d'esprit). Comme nous le verrons dans la seconde partie, certains contenus
inconscients parasitent le message par le biais des projections et des
identifications (CAHEN, 1984 : 506). Ainsi, dans le cadre de toute
communication, l’objet peut être physique, social, imaginaire ou réel.

Objet
(Physique, social, imaginaire ou réel)

Ego Alter

21
22 Sémiologie et herméneutique

Conclusion

En tenant compte des divers éléments vus durant ce chapitre, on peut


élaborer le modèle de communication suivant :

Contexte manifeste Cotexte (s) manifeste(s)


latent latent(s)
Message

Dispositif d’énonciation Cs + Incs Contenu manifeste et latent

Relations Attitudes

Spectateur

Le contexte est constitué de tout ce qui entoure la communication


(civilisation, culture, histoire, environnement, rapports, représentations
sociales, etc.). Il renferme des contenus manifestes et latents.
Le cotexte représente l’ensemble des textes, œuvres et messages traitant
des mêmes contenus ou de contenus parallèles. Ces textes, œuvres et
messages peuvent être évoqués de manière manifeste ou latente.
Le dispositif d’énonciation est constitué à la fois de l’émetteur et du
récepteur. Chacune de ces deux instances est à la fois consciente et
inconsciente.
Le contenu est à la fois manifeste et latent. L’analyse permet de dégager
la partie manifeste du contenu. Cette analyse étudie les signes selon la logique
aristotélicienne, les maximes de Grice et le principe de causalité. Par le biais
de l’inférence, l’analyse permet également de dégager une partie latente du
contenu. La partie latente du contenu fait également l’objet de
l’interprétation. Celle-ci s’intéresse aux symboles et repose davantage sur la
logique non aristotélicienne, les analogies et le principe de synchronicité.
Les relations entre le dispositif d’énonciation et le spectateur, de même
que l’attitude entre le spectateur et le contenu, sont également manifestes et
latentes. Comme nous le verrons par la suite, les relations et attitudes
manifestes sont de l’ordre de la perception, tandis que les relations et
attitudes latentes sont de l’ordre de la projection, de l’identification et de
l’introjection.

22
Le dispositif cognitif 23

Partie 1

Sémiologie et sémiotique5
Définitions
La sémiologie est la science des signes. Le terme sémiologie (du grec
séméion, le signe, et logos, discours, raison, étude) a été créé par Émile Littré
et pour lui, il se rapportait à la médecine6. Il a ensuite été repris et élargi par
Ferdinand de Saussure, pour qui la sémiologie est « la science qui étudie la
vie des signes au sein de la vie sociale » (SAUSSURE, 1975 : 33). En
linguistique, la théorie générale des signes n'est pas nouvelle puisque nous la
rencontrons chez des auteurs comme Court de Gébelin ou Joseph-Marie de
Gérando.
Le terme sémiotique, inventé par Charles Sanders Peirce quelques années
auparavant, recouvre la même idée et est utilisé le plus fréquemment en
dehors de la France et du monde francophone.
La Sémiologie et la sémiotique sont utilisées indifféremment. Lorsqu’elles
sont différenciées, leur acception varie selon les auteurs :
1. Certains considèrent que la « sémiologie » est la théorie générale de la
signification et que la « sémiotique » en est une application à un
domaine particulier : sémiotique de la publicité, sémiotique de l’espace,
etc.
2. D’autres auteurs désignent comme de la « sémiologie » le courant
saussurien (qui a son origine dans la linguistique, sémio-logos = le
langage) et comme de la « sémiotique » le courant peircien (en anglais :
semiotics).
3. L’École de Paris réserve la désignation de « sémiologie » aux
recherches qui se limitent à l’étude des unités-signes (sémiologie de la
communication ou de la signification) tandis que la « sémiotique »
étudie des ensembles signifiants plus larges (ÉVERAERT-DESMEDT,
2003 : 1).

5
Ce chapitre est fortement inspiré de diverses pages de Wikipédia, dont
http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9miologie
6
Terme de médecine. Partie de la médecine qui traite des signes des maladies. In Dictionnaire
de Médecine, 1855

23
24 Sémiologie et herméneutique

« La sémiologie — ou la sémiotique — se donne comme objectif


d’expliciter les mécanismes par lesquels de la signification se produit, se
manifeste et se communique à travers les divers objets culturels. Une théorie
sémiotique est un ensemble organisé de concepts permettant de décrire le
fonctionnement de la signification. » (ÉVERAERT-DESMEDT, 2003 : 1)

Toute science étudiant des signes est une sémiologie. Le terme est donc
utilisé dans plusieurs disciplines.

Histoire des deux disciplines

Les origines de la sémiotique — ou sémiologie — remontent à la plus


haute antiquité, et se confondent avec la naissance de la philosophie du
langage.
En 1690, le philosophe John Locke dans An essay concerning human
understanding, fut le premier à utiliser le terme semeiotike à partir du mot
grec ancien σῆμα / sẽma qui signifie signe.
Ferdinand de Saussure (1857-1913), le père de la linguistique moderne,
donna le nom de sémiologie à « la science qui étudie la vie des signes au sein
de la vie sociale ». Selon Saussure, les signes établissent la relation entre un
signifiant et un signifié. Après lui, toute une ligne de sémioticiens européens
se détache, parmi lesquels Louis Hjelmslev et Algirdas Julien Greimas,
sémioticiens qui insistent beaucoup sur le principe de l'immanence dans la
description des systèmes de signes. Pendant longtemps, la linguistique offrit
ses patrons méthodologiques à la jeune discipline (comme en témoignent les
travaux de Roland Barthes).
En Amérique, un courant ouvert par Peirce dès 1896 oriente la discipline
dans une direction pragmatique. Charles W. Morris (1901-1979) fut reconnu
pour ses Foundations of the Theory of Signs. Charles Morris (1938) distingue
dans la sémiotique trois aspects ou dimensions. 1) L'aspect syntaxique porte
sur les propriétés formelles des symboles, les relations des symboles entre
eux. 2) L'aspect sémantique porte sur les relations entre les symboles et les
objets auxquels ils s'appliquent, sur la désignation. 3) L'aspect pragmatique
porte sur l'utilisation et la fonction effective des symboles, sur les relations
entre les symboles et leurs utilisateurs ou interprètes : règles de l'utilisation
par le sujet, motivations de l'interprète, réactions du public, efficacité de la
communication, contexte factuel, usages des signes (information, évaluation,
stimulation, systématisation), etc. (MORRIS, 1946)
Comme discipline, la sémiotique s'institutionnalise dans les années 60 du
XXe siècle, et une Association internationale de sémiotique (International
Association for Semiotic Studies), avec sa revue Semiotica, voit le jour. Cette
association tient son premier congrès mondial à Milan en 1974. La discipline

24
Le dispositif cognitif 25

sémiotique se diversifie en sous-champs — sémiotique du droit, sémiotique


visuelle, sémiotique de la littérature (voir les rubriques poétique et
rhétorique), sémiotique de l'espace, etc., certains de ces champs disciplinaires
ayant également leur association (comme l'Association internationale de
sémiotique visuelle, International Association for Visual Semiotics.).
Umberto Eco fit mieux connaître la sémiotique à l'aide de plusieurs
publications, notamment Le Signe (1973 ; 1988 pour la version française,
remaniement important de Segno par Jean-Marie Klinkenberg) et Trattato di
semiotica generale (Traité de sémiotique générale), 1975. Eco reconnaît
explicitement l'importance des travaux de Peirce.
Depuis ces auteurs qui ont fait date, la sémiotique, nébuleuse en
bouillonnement depuis le début du XXe siècle, a donné naissance à de
nombreux chercheurs dans des traditions diverses.
Robert Marty a prolongé les études de Peirce en produisant au début des
années 1990 une modélisation mathématique de la sémiotique triadique dans
son essai de sémiotique scientifique intitulé "l'algèbre des signes", texte
fondateur du courant sémiotique moderne (R. Marty, 1990, « L'algèbre des
signes, Essai de sémiotique scientifique d'après C.S. Peirce », Amsterdam
John Benjamins) qui définit plus particulièrement l'architectonique du signe
de laquelle le treillis des classes de signes est tiré. Dans son sillage, les
chercheurs du groupe Semiocom de l'Université de Perpignan (France) ont
produit plusieurs thèses jusqu’en 2005. Ce courant moderne de la sémiotique
s'est fondé sur la phénoménologie ordonnée allant jusqu'à proposer les modes
opératoires de l'analyse sémiocognitive (Patrick Benazet , Approche
sémiotique des processus cognitifs du multimédia éducatif : évaluation et
préconisations, Thèse en Sciences de l'Information et Communication,
Université de Perpignan, sept. 2004).

La sémiologie, le courant saussurien


Datant de 1916, le Cours de linguistique générale de Ferdinand de
Saussure propose d'en renouveler la définition, ou plutôt d'en circonscrire le
champ d’études : « On peut donc concevoir une science qui étudie la vie des
signes au sein de la vie sociale ; elle formerait une partie de la psychologie
sociale, et par conséquent de la psychologie générale ; nous la nommerons
sémiologie. Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les
régissent. Puisqu’elle n’existe pas encore, on ne peut dire ce qu’elle sera ;
mais elle a droit à l’existence, sa place est déterminée d’avance. La
linguistique n’est qu’une partie de cette science générale… » (SAUSSURE,
1975 [1916] : 33).
On assiste alors à un regain d'intérêt pour l'étude des signes, et la
sémiologie devient une nouvelle discipline dans les Sciences sociales avec des
auteurs comme Greimas, Barthes, Jean Baudrillard, Mounin ou Umberto Eco.

25
26 Sémiologie et herméneutique

Cette définition sera progressivement étendue à d'autres champs que la


philologie pour devenir une science générale de la communication. Ainsi,
Buyssens s’est proposé de définir la sémiologie comme « la science qui étudie
les procédés auxquels nous recourons en vue de communiquer nos états de
conscience et ceux par lesquels nous interprétons la communication qui nous
est faite » (Buyssens, 1943 : 5). Cette définition, très emprunte
d'individualisme méthodologique, sera vite dépassée par la conception de
Greimas qui envisage la sémiologie dans toute sa dimension culturelle et
comme un fait social total.
Aujourd'hui, la seconde « sémiotique » prédomine. Il fallait donc que la
première se cantonne dans un sens plus spécialisé ; ce fut celui de la
description spécifique de systèmes de signes particuliers. Pour Hjelmslev, la
sémiologie est une sémiotique dont le plan du contenu est lui-même une
sémiotique. Cette distinction est d'une certaine manière reflétée ici. D'une
démarche plus consciente, nous avons voulu, dans l'expression « système
sémiologique » par exemple, introduire entre sémiotique et sémiologique la
même nuance que celle qui existe entre phonétique et phonologique : une
nuance entre la science de la substance et celle de la forme.

Trois écoles en sémiologie

Sémiologie de la communication, Sémiologie de la signification et


sémiotique narrative :
1) La sémiologie de la communication étudie uniquement le monde des
signes, par exemple l'étude des systèmes de vêtements de deuil ou de la
canne blanche de l'aveugle (système à un seul signe ou signe isolé).
Représentants éminents : Georges Mounin, Éric Buyssens, Louis Prieto.
La sémiologie de la communication a étudié : le Code de la route, les
signaux ferroviaires maritimes et aériens, le morse, les sonneries
militaires, les insignes, les langages machine, la notation musicale, le
langage de la chimie, des ordinateurs, les langues parlées, sifflées, le
tam-tam...
2) La sémiologie de la signification n'a pas d'a priori, elle étudie signes et
indices, sans se préoccuper de la distinction. Représentant : Roland
Barthes créateur du courant. Elle s'intéresse à tout ce qui signifie
quelque chose sans se préoccuper si cela est volontaire ou pas.
Interprétation de phénomènes de société, elle cherche si les choses n'ont
pas un sens caché, des valeurs symboliques par exemple le combat
bien/mal chez les catcheurs. Le combat à un rôle de catharsis. Elle s'est
occupée d'analyse de publicités, des notions impliquées dans le
langage. - Conscient, conventionnel, précis : sémiologie de la
communication. Univers du sens caché, sans rigueur, non

26
Le dispositif cognitif 27

conventionnel : sémiologie de la signification. - D'après le cours de C.


Maury-Rouan, Langage et Communication."
3) La sémiotique narrative ou École de Paris est un courant de
recherches sémiolinguistiques qui s’est développé sous l’impulsion de
A.J. Greimas et trouve son origine dans la linguistique structurale (L.
Hjelmslev), ainsi que dans l’anthropologie structurale (Claude Lévi-
Strauss) et dans l’analyse des contes folkloriques (Vladimir Propp). Ce
cadre théorique présente une véritable boîte à outils permettant de
mener l’analyse à différents niveaux de profondeur (ÉVERAERT-
DESMEDT, 2003 : 3)

Par ailleurs, il existe plusieurs champs d’investigation dont :

La sémiologie visuelle

La sémiologie visuelle ou sémiotique visuelle a été particulièrement


développée dans les travaux du Groupe µ, et spécialement dans l'ouvrage
fondamental qu'est Traité du signe visuel (1992). Cet ouvrage part des
fondements physiologiques de la vision, pour observer comment le sens
investit peu à peu les objets visuels. Il distingue d'une part les signes
iconiques (ou icônes), qui renvoient aux objets du monde, et les signes
plastiques, qui produisent des significations dans ses trois types de
manifestation que sont la couleur, la texture et la forme. Il montre comment le
langage visuel organise ses unités en une véritable grammaire. Une telle
grammaire permet de voir comment fonctionne une rhétorique visuelle, au
sein d'une rhétorique générale.

La sémiologie de la photographie

Pol Corvez (sémiologue à l'université d'Angers) travaille sur la sémiologie


de la photographie. Au lieu de se fonder sur les référents, comme le font les
typologies traditionnelles, il se fonde sur le repérage et l'analyse des
signifiants propres à la photographie et aux arts graphiques et propose une
typologie des œuvres photographiques. Il appelle cette nouvelle discipline la
«photologie ». Cette typologie comprend quatre classes : le Clinique, le
Mythique, le Déixique et le Morphique. Sa thèse La Photologie : pour une
sémiologie de la photographie, est consultable dans les bibliothèques
universitaires.

27
28 Sémiologie et herméneutique

La sémiologie du cinéma

La sémiologie du cinéma a notamment été développée par Christian Metz.


(1931- 1993), théoricien français de la sémiologie du cinéma de notoriété
internationale. Ses travaux constituent à la fois une contribution à la théorie
française du cinéma et à la sémiotique visuelle. Christian Metz a enseigné à
l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
En 1964, il publie l'article Le Cinéma, langue ou langage ? Dans la revue
Communications et poursuit ses essais durant 25 ans avec : Essais sur la
signification au cinéma (1968 et 1973), Langage et Cinéma (1971), les Essais
sémiotiques (1977), le Signifiant imaginaire (1977).
Christian Metz a fondé son projet sémiologique du cinéma sur le
structuralisme linguistique puis sur la psychanalyse de Lacan. Il est reconnu
entre autres pour sa grande syntagmatique.
Ses travaux ont été critiqués par Jean Mitry en 1987 dans son ouvrage La
Sémiologie en question, et avec virulence par Jean-François Tarnowski (1974
et 1976) dans la revue Positif.

La sémiologie graphique

La sémiologie graphique est un champ particulier de la sémiologie ou de


la sémiotique, et plus particulièrement de la sémiotique visuelle, et a été
étudiée notamment par Jacques Bertin.
C'est un système de signes, rigoureux et simple, que chacun peut apprendre
à utiliser et qui permet de mieux comprendre des cartes. Ainsi la sémiologie
graphique utilise les propriétés du plan pour faire apparaître les relations de
ressemblance, d'ordre ou de proportionnalité entre des ensembles donnés.
La sémiologie graphique est une discipline qui s'occupe :
 de la transcription, dans le système graphique d'un signe, d'un ensemble
de données ;
 du traitement de ces données afin de faire apparaître l'information
d'ensemble recherchée;
 de la construction d'images les mieux adaptées à communiquer cette
information.
Au sein de la géographie, la sémiologie graphique a trouvé un champ
d’application privilégié dans les processus d’élaboration d’un des outils
fondamentaux de la géographie : la carte et, par extension, à l’ensemble des
techniques qui permettent sa production (SIG et télédétection) et le Design de
l'information.

28
Le dispositif cognitif 29

La sémiologie de la musique

Dans les années 1970, Jean-Jacques Nattiez et Jean Molino publient les
textes de base de la sémiologie de la musique « Fondements d´une sémiologie
de la musique » et « Fait musical et sémiologie de la musique ».
La sémiologie de Molino et Nattiez se base sur deux triades :
 la notion de tripartition des formes symboliques et
 la conception triadique du signe développée par Charles Sanders Peirce.
La tripartition de Molino et Nattiez soutient que toute œuvre musicale peut
être abordée de trois points de vue :
 le niveau poïétique (point de vue de la production),
 le niveau esthésique (point de vue de celui qui reçoit le message
musical) et
 le niveau immanent de l´œuvre (niveau neutre, l´ensemble des
configurations du texte musical).
L´originalité de la tripartition de Molino et Nattiez est l´affirmation de la
non-convergence de ces trois niveaux.

La sémiotique, le courant peircien

La sémiotique est l'étude des signes et de leur signification.


En français, le terme sémiologie est souvent utilisé, avec la même
signification. Néanmoins, le principe sémiotique se différencie de la
sémiologie à partir de Charles Sanders Peirce. En effet, celui-ci développe un
principe sémiotique fonctionnant sur un système triadique, quand la
sémiologie fonctionne, elle, selon un système binaire.
La sémiotique étudie le processus de signification c'est-à-dire la
production, la codification et la communication de signes.
Elle concerne tous les types de signes ou de symboles, et non seulement
les mots, contrairement à la sémantique. Même un geste ou un son sont
considérés comme des signes. Même des images, des concepts, des idées ou
des pensées peuvent être des symboles. La sémiotique fournit les outils
nécessaires à l'examen critique des symboles et des informations, dans des
domaines divers.
La faculté de manipuler des symboles est une caractéristique de l'être
humain et permet à celui-ci d'utiliser bien mieux les relations entre idées,
choses, concepts et qualités que les autres espèces vivantes.
Actuellement, depuis Charles W. Morris (1938), on distingue trois
« dimensions » de la sémiotique :

29
30 Sémiologie et herméneutique

 La sémantique : la relation entre les signes et ce qu'ils signifient


(relations internes entre signifiant et signifié ou relation externe entre le
signe global et le référent). Travaux du logicien Alfred Tarski, de
Roland Barthes.
 La syntaxe : les relations entre signes. Travaux des philosophes Gottlob
Frege, Bertrand Russell, Rudolf Carnap, Richard Montague.
 La pragmatique : la relation entre les signes et leurs utilisateurs.
Travaux de Charles Peirce, William James, George Herbert Mead, John
Dewey, Charles W. Morris.
La sémiotique, qui plonge ses racines dans l'épistémologie, la philosophie
des sciences, la logique formelle, et, pour Saussure, dans la psychologie,
prend de plus en plus d'importance au regard des sciences et de la technologie.

Principes

La sémiotique se fonde sur le concept de signe, qui se distingue selon


différents niveaux de perception du plus vague au plus distingué, Priméité,
Secondéité, Tercéité respectivement nommés Représentamen, Objet, et
Interprétant. Chacun de ses niveaux de perceptions du signe sont eux-mêmes
divisés en trois modes, nommés : - Représentamen : qualisigne, sinsigne,
legisigne - Objet : icône, indice, symbole - Interprétant : rhème, dicisigne,
Argument (ce dernier est l'aboutissement d'un déroulement inférentiel, défini
par le treillis des classes de signes, qui peut emprunter cinq chemins d'accès à
la signification : hypothético-déductif, hypothético-inductif, empirico-déductif,
empirico-inductif ou abductif)).
La différence entre les concepts de signe et d'indice. Aussi la fumée est-
elle l'indice du feu, et non un signe. Elle n'est que la conséquence naturelle du
feu, et ne répondant à aucune volonté établie de signifier, elle ne s'inscrit dans
aucun code. (Sauf chez les Indiens d'Amérique!)

Mis à part l'indice (ou "index"), Charles Sanders Peirce définissait deux
types de signe :

 l’icône renvoie à l'objet signifié au moyen d'une ressemblance avec


celui-ci. Ainsi, en photographie ou en peinture, le portrait (icône)
renvoie au sujet (objet). Évoquer une couleur au moyen d'un objet
(rubis, émeraude, saphir) est également un processus iconique;
 le symbole renvoie à l'objet au moyen d'une convention d'ordre culturel
qui repose sur une association d'idées ou de valeurs. La balance et le
glaive sont ainsi deux symboles différents de la justice reliés l'un et
l'autre à des valeurs culturelles très fortes: l'équité pour la balance, et la
rigueur pour le glaive.

30
Le dispositif cognitif 31

Il est très problématique de distinguer dans chaque observation ce qui


reviendrait, de la part d'un sujet agissant, à l'index, à l’icône ou au symbole.
Ces trois catégories imprègnent dans des proportions assez peu quantifiables,
tout phénomène humain. On a pu prétendre que toute forme d'action comporte
une tentative de se mettre en scène comme individu, de se présenter de
manière inchoative. Il s'agirait d'une forme d'autoportrait non nécessairement
inconscient au sens freudien, plutôt infraconscient, subconscient, tout
simplement non conscient.

La sémiotique a acquis un renom certain avec Roland Barthes, qui fut en


quête du langage des signes dans la publicité, la mode, et l'écriture
romanesque et poétique. Toutefois, peut-être faut-il considérer que tout ne soit
pas nécessairement signe. Si tel élément architectural peut être
indubitablement considéré comme un signe, on pourrait cependant être tenté
de penser avec le linguiste Frédéric François que « la construction des
maisons n'est pas d'abord une pratique signifiante ». Si cela peut paraître à
l'homme d'aujourd'hui incontestable, néanmoins, chaque pas franchi depuis
les cavernes a certainement participé en son temps d'une pratique signifiante
essentielle.

La psychanalyse et la sémiotique ont parfois réussi à se rencontrer, voire à


se féconder mutuellement : la métasémiotique est un essai de sémiotique
psychanalytique...

31
32 Sémiologie et herméneutique

Branches

La sémiotique est divisée en plusieurs branches, étudiant chacune un


aspect ou domaine particulier des signes, parmi lesquels ont peut citer :

 la biosémiotique, aussi appelée la sémiotique du vivant, qui étudie tous


les aspects des signes biologiques, dont il existe deux branches dédiées
à l'étude des animaux :
 la zoosémiotique, qui étudie les signes des animaux (à l'exception de
l'Homme) et notamment la communication animale ;
 l'anthroposémiotique est quant à elle la branche qui étudie la
communication humaine ;
 la sémiotique visuelle.

Sémiologie / Sémiotique : deux réseaux, deux origines

Linguistique structurale Philosophie logique

F. de Saussure (1857-1913) Ch. S. Peirce (1839-1914)


V . Propp Cl. Lévi-Strauss L. Hjelmslev École d’Oxford
(J.L. Austin
(Morphologie du (Anthropologie (1953, tr fr. 1968)
1962, tr fr. 1970)
conte, 1928) structurale, 1958)

Sémiotique Sémiologie de la Sémiologie de la Sémiotique Théorie des actes


narrative signification communication peircienne de langage

A.J. Greimas R. Barthes (1964, L. Prieto (1972) Tr fr. de Peirce J. R. Searle (1969,
(1970) et l’École 1967) par G. Deledalle tr fr. 1972)
G. Mounin (1975)
de Paris (1978) et J. Chenu
J. Bertin (1967)
(1984)

(ÉVERAERT-DESMEDT, 2003-2004)

32
Le dispositif cognitif 33

Quelques sémiologues et sémioticiens importants

Précurseurs : Charles W. Morris (1901–1979).


Platon (428-347 av. J.-C.) Boris Ouspensky (1937-2005)
Diogène de Babylone (240-150 av. J.- Raphaël Lellouche
C.)
Guillaume d’Ockham (1285-1347) Umberto Eco (1932 - 2016)
Giordano Bruno (1548-1600) Pierre Sadoulet.
John Locke (1632-1704) Eliseo Verón
Les fondateurs : Denis Bertrand
Charles Sanders Peirce (1839–1914), Robert Marty, fondateur du treillis des
fondateur de l'école philosophique du classes de signes.
pragmatisme et logicien notoire.
Ferdinand de Saussure (1857–1913), Thomas A. Sebeok (1920-2001)
le "père" de la linguistique moderne.
Vladimir Propp (1895-1970) Nicole Everaert-Desmedt (1947,-)
Louis Trolle Hjelmslev (1899 - 1965). Jakob J. von Uexküll (1864-1944)
Claude Lévi-Strauss (1908-2009) Eric Landowski
Les praticiens : Gianfranco Bettetini
Roland Barthes (1915-1980) Jacques Fontanille (1948,-)
Jean Baudrillard (1929-2007) Paolo Fabbri
Algirdas Julien Greimas (1917-1992) Pim M.
Julia Kristeva (1941,-) Anne-Marie Houdebine
Jean-Marie Floch (1947-2001), Luis Jorge Prieto (1926-1996)
premier praticien de la sémiotique
Greimassienne appliquée au
marketing.
Christian Metz (1931-1993) Eric Buyssens (1900-2000)
Groupe µ (Centre d'Études poétiques, Johannes Heinrichs (1942,-)
Université de Liège) poursuit depuis
1967 des travaux interdisciplinaires
en rhétorique, en poétique, en
sémiologie et en théorie de la
communication linguistique ou
visuelle Outre les membres titulaires
actuels — Francis Édeline, Jean-
Marie Klinkenberg –, le Groupe a
compté Jacques Dubois, Francis Pire,
Hadelin Trinon et Philippe Minguet.
Jean-Marie Klinkenberg (1944,-) Mikhaïl Bakhtine (1895-1975)
E. Carontini (1937, -) Gérard Genette (1930, -)
Lotman, Juri (1922 - 1993) Pierre Fresnault-Deruelle (1943, -)

33
34 Sémiologie et herméneutique

La sémiologie

Introduction

Le courant fonctionnaliste de Ferdinand de Saussure pense à la langue, non


plus au niveau de son histoire, mais au niveau de son fonctionnement. Il s’agit
d’une approche synchronique qui observe la langue au moment où le discours
est prononcé. La linguistique sert de modèle pour les autres systèmes de
signes. Le problème est que ce modèle n’est pas toujours adapté aux autres
types de langages tels que l’image ou la gestuelle. Dans son Cours de
Linguistique générale, de Saussure postulait l'existence d'une science générale
des signes, ou Sémiologie, dont la linguistique ne serait qu'une partie. La
sémiologie a donc pour objet tout système de signes : les images, les gestes,
les sons, les codes, les rites, les protocoles, bref, n'importe quel système de
signification. Comme le remarque Roland Barthes,

« [...] il est certain que le développement des communications de masse donne aujourd'hui
une très grande actualité à ce champ immense de la signification, au moment même où le
succès de disciplines comme la linguistique, la théorie de l'information, la logique formelle
et l'anthropologie structurale fournissent à l'analyse sémantique des moyens nouveaux. »
(BARTHES, 1964 : 79)

Roland Barthes note également que

« [...] tout système sémiologique se mêle de langage [...] percevoir ce qu'une substance
signifie, c'est fatalement recourir au découpage de la langue. » (BARTHES, 1964 : 80)

Il regroupe dès lors les divers éléments de sémiologie sous quatre grandes
rubriques, issues de la linguistique structurale :

I. Langue et Parole ;
II. Signifié et Signifiant ;
III. Syntagme et Système ;
IV. Dénotation et Connotation.

34
Le dispositif cognitif 35

Définitions de ces concepts en linguistique

Langue et Parole

La langue est le langage moins la parole : c'est à la fois une institution


sociale et un système de valeurs. Elle est un contrat collectif auquel il faut se
soumettre pour communiquer. On ne peut la manier qu'à la suite d'un
apprentissage.
La parole est essentiellement un acte individuel de sélection et
d'actualisation ; elle est constituée par les diverses combinaisons utilisées par
l'individu pour exprimer sa pensée et par les mécanismes psychologiques qui
lui permettent d'extérioriser ces combinaisons. C'est parce que la parole est
essentiellement une combinatoire qu'elle correspond à un acte individuel.

Signifiant et Signifié

Le signifiant et le signifié sont les composants du signe. Or, comme le


note Roland Barthes, le signe s'insère, au gré des auteurs, « dans une série de
termes affinatoires et dissemblables : signal, indice, icône, symbole,
allégorie. » (BARTHES, 1964 : 107) En fait, tous ces termes renvoient à une
relation entre deux éléments. Certains traits permettent malgré tout de
distinguer ces différentes notions :

1. selon que la relation implique ou n'implique pas la représentation


psychique de l'un des éléments, H. Wallon distingue le symbole et le
signe du signal et de l'indice ;
2. selon que la relation implique ou n'implique pas une analogie entre les
éléments, Hegel et Wallon distinguent le symbole du signe, tandis que
Peirce pose cette même distinction au niveau de l'icône par rapport au
symbole ;
3. suivant que la liaison entre les deux éléments est immédiate ou ne l'est
pas, H. Wallon distingue le signal de l'indice ;
4. selon que les éléments coïncident exactement ou non, Hegel, Jung et
Wallon distinguent le signe du symbole ;
5. suivant que la relation implique ou n'implique pas un rapport existentiel
avec celui qui en use, Jung distingue le symbole de l'allégorie, Peirce
différencie l'indice du symbole, et Wallon sépare le signal de l'indice.

Comme le remarque Roland Barthes,

« On voit que la contradiction terminologique porte essentiellement sur indice (pour


Peirce, l'indice est existentiel, pour Wallon il ne l'est pas) et sur symbole (pour Hegel et

35
36 Sémiologie et herméneutique

Wallon, il y a un rapport d'analogie — ou de “motivation” — entre les deux relata du


symbole, mais non pour Peirce) ; de plus, pour Peirce, le symbole n'est pas existentiel, il
l'est pour Jung. » (BARTHES, 1964 : 109)

L'on peut malgré tout constater que chez chacun des auteurs, les mots du
champ ne prennent leur sens que par opposition les uns aux autres et que si
ces oppositions sont sauvegardées, le sens est sans ambiguïté. Bref, on dira
que le signal et l'indice forment un groupe d'éléments dépourvus de
représentation psychique, tandis que dans le groupe adverse, symbole et signe,
cette représentation existe. En outre, le signal est immédiat et existentiel, par
rapport à l'indice qui n'est qu'une trace. Par ailleurs, dans le symbole, la
représentation est analogique et inadéquate (« le christianisme “déborde” la
croix »), par rapport au signe, dans lequel la relation est immotivée et exacte
(pas d'analogie entre le mot chat et l'image du chat).

« Le signe est donc composé d'un signifiant et d'un signifié. Le plan des signifiants
constitue le plan d'expression et celui des signifiés le plan de contenu. » (BARTHES,
1964 : 111)

Le signifié (Sé) désigne la représentation mentale du concept associé au


signe. C’est la représentation psychique de la « chose », son concept. Ainsi, le
signifié du mot « chat » n'est pas l'animal « chat », mais son image psychique.
Le signifiant (Sa), quant à lui, est un médiateur : il désigne la
représentation mentale de sa forme et de son aspect matériels. La matière lui
est nécessaire. La substance du signifiant est toujours matérielle (sons, objets,
images...).
La signification est l'acte qui unit le signifiant et le signifié pour produire
le signe. Elle participe de la substance du contenu, tandis que la valeur
participe de sa forme (exemple : la distinction entre mutton et sheep).

Sa = représentation concrète
Signification signe objet
Sé = représentation mentale, concept

Syntagme et système

Les rapports qui unissent les termes linguistiques peuvent se développer


sur deux plans. Le premier est celui des syntagmes et le second, celui des
associations, du paradigme ou du système.

« Le syntagme est une combinaison de signes, qui a pour support l'étendue ; dans le
langage articulé, cette étendue est linéaire et irréversible (c'est la “chaîne parlée”). »
(BARTHES, 1964 : 131)

36
Le dispositif cognitif 37

Deux éléments ne peuvent être prononcés en même temps et chaque terme


tire sa valeur de son opposition à ce qui précède et à ce qui suit. L'activité
analytique qui s'applique au syntagme est le découpage.

« En dehors du discours (plan syntagmatique), les unités qui ont entre elles quelque chose
en commun s'associent dans la mémoire et forment ainsi des groupes où règnent des
rapports divers. »(SAUSSURE, 1969 : 170)

Chaque groupe forme une série mnémonique virtuelle. Les termes sont
unis in absentia ; l'activité analytique qui s'applique aux associations est le
classement.

« Les rapports syntagmatiques sont des relations chez Hjelmslev, des contiguïtés chez
Jakobson, des contrastes chez Martinet ; les rapports systématiques sont des corrélations
chez Hjelmslev, des similarités chez Jakobson, des oppositions chez Martinet. »
(BARTHES, 1964 : 132)

Dénotation et connotation

En Sémiologie, comme en linguistique,

1. La dénotation désigne ce à quoi le signe fait référence et que l'on peut


trouver dans le dictionnaire.
2. La connotation désigne tous les éléments de sens qui peuvent s'ajouter
à cette référence.

En fait, tout système de signification comporte un plan d'expression et un


plan de contenu. La signification coïncide avec la relation des deux plans. Un
tel système peut devenir à son tour le simple élément d'un second système.
Soit, il devient le plan d'expression ou signifiant du second système et
constitue dans ce cas le plan de dénotation, tandis que le système extensible
au premier constitue le plan de connotation. Soit, il devient le plan de
contenu ou signifié du second système. C'est le cas de tous les métalangages
qui sont des systèmes dont le plan du contenu est constitué par un système de
signification.
Connotation : Sa/Sé = Sa Métalangage : Sa
Sé Sa/Sé = Sé

Exemple de plan de dénotation : Frédéric Mitterrand utilise dans Étoiles :


Jean Gabin une séquence du film de Jean Renoir La bête humaine pour
dénoter certaines qualités morales de l’acteur Jean Gabin (MITTERRAND,
16/10/1989). L’image de deux colombes connote tout à la fois une idée de
l’amour et de la paix. Exemples de métalangage : les mots croisés relèvent du

37
38 Sémiologie et herméneutique

métalangage. Les dictionnaires et les grammaires sont des ouvrages


métalinguistiques.

Le champ de la connotation est difficile à définir, car il recouvre tous les


sens indirects, subjectifs, culturels, implicites et autres qui font que le sens
d'un signe se réduit rarement à ce à quoi il fait référence. Définir la
connotation est si difficile qu'on en arrive parfois à la définir par défaut
comme tout ce qui, dans le sens d'un mot, ne relève pas de la dénotation7. Par
exemple, si on s'intéresse au mot flic, le sens dénotatif est le même que celui
de policier. Mais à ce sens s'ajoutent des connotations péjoratives et
familières. Un même mot pourra donc avoir des connotations différentes en
fonction du contexte dans lequel il est utilisé. Ainsi la couleur blanche
connote la pureté et le mariage pour un Européen, le deuil pour un Extrême-
Oriental. Attention à ne pas confondre l'opposition entre dénotation et
connotation avec l'opposition entre sens propre et sens figuré qui relève d'un
phénomène de polysémie et non d'une complexification du sens d'un même
mot dans un même emploi (Wikipédia, «
http://fr.wikipedia.org/wiki/Dénotation_et_connotation », consulté le
25/1/2010).

Modèle de communication et analyse de contenu

L'analyse de contenu et l'interprétation d'un message sont liées à divers


points de vue relatifs : ceux de l'émetteur, du récepteur, de l'observateur, des
différents groupes et cultures auxquels appartiennent ces trois acteurs, des
fonctions et des règles auxquelles ils sont soumis, du message lui-même, de
son code, des autres messages dans lesquels celui-ci vient s'imbriquer, des
paradigmes, du lieu, du temps, des divers contextes, etc. Ces points de vue
sont liés aux diverses instances de la psyché humaine et aux diverses parties
de la communication (MEUNIER, 1991). La relativité, établie par Einstein,
est également de mise dans le domaine de l'interprétation et de
l'herméneutique.

7
Voir article « Connotation » de l'Encyclopædia Universalis.

38
Le dispositif cognitif 39

Le pragmatisme et la sémiotique8

Le pragmatisme
« Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par
l'objet de notre conception. La conception de tous ces effets est la conception complète de
l'objet ». (Charles Sanders Peirce, Comment rendre nos idées claires)

Le pragmatisme est une philosophie de la signification.


Pour Peirce, une conception découle d'une croyance. Une croyance est une
habitude mentale qui guide l'action (Charles Sanders Peirce, Comment se fixe
la croyance). Une conception quelconque se définit par l'ensemble de ses
effets pratiques. Si deux conceptions aux noms différents comportent les
mêmes effets pratiques, alors elles ne forment qu'une seule et même
conception. Par contre, si deux conceptions partagent un même nom, mais
impliquent des effets différents, nous avons deux conceptions différentes.
Une conception est donc une croyance qui indique à propos d'un certain
objet, quel sera son comportement dans toutes les circonstances possibles. Si
je crois qu'une chose est dure, je crois que dans un certain arrangement de
faits, cette chose se comportera de telle et telle manière. C'est la même règle
qui s'applique pour définir des termes abstraits ou métaphysiques. Toutes les
significations se ramènent à des effets pratiques dans telles ou telles
circonstances. Peirce considère cette maxime comme une part essentielle de
sa méthodologie philosophique.
Peirce refuse les distinctions de la métaphysique traditionnelle et croit
pouvoir montrer que de nombreux problèmes philosophiques sont en fait de
faux problèmes, en les analysant en termes de conséquences pratiques. Pour
Peirce, la vérité est une affaire de convergence à long terme des recherches
scientifiques. L'opinion qui survit aux tests et qui rejoint l'accord de la
communauté des chercheurs après avoir été discutée largement et passée au
crible de la critique, cette opinion peut être considérée comme vraie et réelle.

8
Ce chapitre est en grande partie inspiré des pages de Wikipédia, dont
http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Sanders_Peirce, consulté le 16/2/2010.

39
40 Sémiologie et herméneutique

La sémiotique ou théorie du sens

Toute pensée s'effectue à l'aide de signes. Un signe est une triade :

 un représentamen (signe matériel) ;


 dénote un objet (un objet de pensée) ;
 grâce à un interprétant (une représentation mentale de la relation entre
le représentamen et l'objet).

Ainsi, la sémiotique se fonde sur le concept de signe, qui se distingue


selon différents niveaux de perception du plus vague au plus distingué,
priméité, secondéité, tercéité respectivement nommés représentamen, objet, et
interprétant.
Le représentamen est premier (une pure possibilité de signifier), l'objet est
second (ce qui existe et dont on parle), mais ce processus s'effectue en vertu
d'un interprétant (un troisième qui dynamise la relation de signification).
L'interprétant est aussi un signe susceptible d'être à nouveau interprété, ainsi
indéfiniment.

Exemple : je vous parle d'un chat. Le mot « chat » est le représentamen,


l'objet est ce qui est désigné par ce mot, et le premier interprétant est la
définition que nous partageons de ce mot : le concept de chat.

Ce premier rapport, Peirce le nomme le fondement (ground) du signe.


Mais le processus sémiotique continue, car à partir de ce signe il est possible
que je me représente mentalement un certain chat, dont je vous parle ensuite,
faisant naître en votre esprit d'autres interprétants, et ce jusqu’à l'épuisement
réel du processus d'échange (ou de la pensée, qui est un dialogue avec soi-
même). Penser et signifier sont donc le même processus vu sous deux angles
différents. Ce processus se nomme la sémiosis.

Les signes se distinguent :

 en qualisigne (la pure possibilité du signe),


 sinsigne (ce signe-là) et
 légisigne (la loi qui régit la grammaire du signe).

Puis, sur le plan de la signification, on aura :

40
Le dispositif cognitif 41

• L’indice qui est une conséquence et non un signe. Il n’y a ni code ni


volonté de signifier. Exemple : la fumée est l'indice du feu.
• L’icône qui renvoie à l'objet signifié au moyen d'une ressemblance avec
celui-ci. Exemple : le portrait en peinture ressemble au sujet (objet).
• Le symbole qui renvoie à l'objet au moyen d'une convention d'ordre
culturel qui repose sur une association d'idées ou de valeurs. Exemple :
la balance et le glaive sont deux symboles de la justice, reliés à l'équité
pour la balance, et à la rigueur pour le glaive.

Enfin, au plan pratique, on aura :

 le rhème (un nom, un verbe, un adjectif),


 le dicisigne (une proposition verbale ou visuelle, par exemple)
 et l'argument (une règle d'inférence).

En résumé, nous obtenons le tableau suivant :

Representamen Objet Interprétant


Signe matériel Objet de pensée Représentation mentale
Priméité Qualisigne Icône Rhème
Secondéité Sinsigne Indice Dicisigne
Tiercéité Légisigne Symbole Argument

Toute pensée ou signification aboutit donc à une inférence, à un


raisonnement élémentaire. Revenant à la théorie logique, Peirce distingue :

 l’abduction : inférence qui mène à la découverte d'une hypothèse


plausible,
 l’induction : raisonnement statistique et
 la déduction : raisonnement parfaitement logique où de prémisses
vraies on tire une conclusion certaine.

Les trois formes de l'inférence jouent un rôle important dans la découverte


et la justification scientifique. C'est par l'inférence que le symbole acquiert sa
pleine force en menant à un jugement.

 Les énoncés du premier type n'établissent que l'existence d'un sujet de


relation : « x » existe (priméité).
 Les énoncés du deuxième type établissent une relation à deux termes :
« Lionel aime Nadia » (« x » entretient la relation « aimer » avec « y » ;
secondéité).

41
42 Sémiologie et herméneutique

 Mais il faut aussi considérer les relations à trois termes, comme dans
« Brigitte donne un verre de vin à Nadine » (« x » entretient la relation
« donner... » « z » « à... » « y » ; tiercéité).

Ainsi, Peirce reproche-t-il à Kant de s'être arrêté aux seules catégories et


d'avoir négligé l'élément le plus important de la pensée : l'établissement du
jugement à travers les inférences.
Ce formalisme permet de penser une multitude de phénomènes de pensée
et de signification, de l'expression artistique à la démonstration d'un théorème,
de l'analyse d'un circuit informatique à la communication quotidienne, de
l'établissement d'un diagnostic médical à l'expérience esthétique ou éthique.
Son formalisme logique est le garant de sa généralité.
La position de médiateur de l'interprétant permet de dépasser les
conceptions statiques et dualistes de l'empirisme, mais la place de l'objet ancre
fermement son concept dans l'expérience pratique, dans l'habitude de pensée
et surtout dans le processus de changement des croyances, qui ne sont rien
d'autre que des habitudes de pensée.
La philosophie de Peirce trouve son plus grand achèvement dans sa
sémiotique, car « l'homme est un signe » écrit-il à la fin de sa vie. Dans la
mesure où il n'y a pas de pensée sans signe, dans la mesure où « l'intelligence
est une action finalisée », la théorie sémiotique permet de répondre à la grande
question kantienne, ou du moins d'indiquer une direction pour la réponse à
cette question : « qu'est-ce que l'homme ? »
Pour Peirce, avant beaucoup d'autres, l'être humain est un animal
symbolique. Sa caractéristique propre est l'intelligence, c'est-à-dire l'action
réfléchie, où il fait œuvre de lui-même en signifiant. En donnant un sens à sa
vie à travers différents univers symboliques, l'être humain accomplit et
dépasse sa forme de sujet en devenant créateur et interprète de ses signes et
des signes qu'il découvre dans le monde. Il ne peut faire cela que dans la
mesure où il est congénitalement un être social et historique. Car la pensée
comme la signification sont des processus communautaires et non des
processus que le prétendu penseur accomplirait seul « dans sa tête ».
En sémiotique, l’influence de Charles Sanders Peirce est énorme,
notamment sur des penseurs comme Umberto Eco et John Deely.

42
Le dispositif cognitif 43

Théorie cognitive de la communication


JEAN-PIERRE MEUNIER
Université Catholique de Louvain
jean-pierre.meunier@uclouvain.be

Introduction

La sémiologie générale et en particulier la sémiologie des images ont pris


pour base la notion de signe (signifiant-signifié) et la notion de code comme
ensemble de rapports entre des signifiants et des signifiés. Barthes, dans son
célèbre article sur la rhétorique de l’image a proposé une méthode permettant
de découvrir dans l’image deux niveaux de signification correspondant à deux
types de signe : 1) les signes de dénotation (l’image d’une chose a
naturellement pour signifié cette chose ; par exemple, l’image de la tomate et
du poivron sur la publicité Panzani est un signifiant ayant pour signifié tomate
et poivron) ; 2) les signes de connotation associant aux signes de dénotation
des signifiés relevant d’un code culturel (par exemple, le signe tomate-
poivron a pour signifié l’italianité).

Dans cette perspective, la lecture d’une image revient à un simple


décodage des significations encodées dans le message (en possession du code,
le spectateur de la pub Panzani peut immédiatement associer l’italianité au
signe tomate-poivron).

Le point de vue relationnel était ignoré, de même que le point de vue


cognitif.

Par la suite, la pragmatique (théorie de l’énonciation, théorie des actes


illocutionnaires) a mis l’accent sur les relations impliquées par la
communication.
Ces dernières années, le point de vue relationnel sur la communication
s’est vu complété par une perspective cognitive mettant l’accent sur le travail
cognitif effectué dans la compréhension des messages.

43
44 Sémiologie et herméneutique

À l’origine des théories cognitives, il y a les observations suivantes :

 la communication n’est jamais accomplie au moyen d’un simple


décodage ;
 pour être compris, un énoncé doit être interprété.

Mais comprendre le processus d’interprétation suppose que l’on


s’interroge sur la nature des représentations mentales et sur les opérations
mentales dont est capable l’esprit. Or, sur ce point, dans le champ des sciences
cognitives, les approches divergent et donc aussi les théories de la
communication qui tentent de rendre compte des processus d’interprétation
qui interviennent dans la communication.

Parmi ces théories, citons :

 la théorie des schémas, scénarios, cadres ;


 la pragmatique inférentielle de Sperber et Wilson ;
 les différentes approches relevant de la sémantique cognitive :

 la théorie de la métaphore de Lakoff et Johnson ;


 la théorie de l’intégration conceptuelle de Fauconnier et Turner

La théorie de Sperber et Wilson, sans doute la plus connue des approches


cognitives de la communication, s’inspire directement du cognitivisme
classique. Cela signifie qu’elle admet que les représentations mentales sont
essentiellement propositionnelles et que donc les opérations mentales relèvent
du calcul logique. Il s’ensuit que, dans la communication, l’interprétation d’un
énoncé consiste en un calcul propositionnel : essentiellement une déduction de
nouvelles propositions à partir de la proposition énoncée et d’autres
propositions connues rappelées en mémoire de travail.

À l’opposé, les approches relevant de la sémantique cognitive sont


d’inspiration phénoménologique et conçoivent les représentations mentales
comme essentiellement iconiques, ce qui implique des opérations mentales
d’une autre nature que simplement logique : complémentation au moyen de
schémas, projection métaphorique, blending…
Ces dernières approches semblent particulièrement bien adaptées à la
lecture des images.

44
Le dispositif cognitif 45

Représentations mentales et opérations cognitives


de base

Schémas et schématisation

Les schémas

De même que les notions de « cadre » (« frame ») ou de « scénario », la


notion de schéma s’est imposée dans la psychologie cognitive contemporaine
pour rendre compte de l’existence d’entités mentales plus large — c’est-à-dire
comportant de nombreuses associations — que celles, plus élémentaires, dont
peut éventuellement rendre compte le mot ou la structure propositionnelle9.

Les schémas, selon l’expression très parlante de Rumelhart et Norman,


sont des « paquets d’informations ».

La différence entre « dictionnaire » et « encyclopédie » peut rendre compte


de la différence entre le niveau des représentations élémentaires et celui que
vise la notion de schéma :

« Quand nous pensons aux représentations du sens des mots, nous pouvons
imaginer que nous pourrions vouloir représenter l’un de deux types
d’information. D’un côté, les théoriciens de la représentation tiennent
couramment pour acquis que la signification des mots ressemble plutôt à ce que
l’on peut trouver dans un dictionnaire : les aspects essentiels du sens des mots.
D’un autre côté, on pourrait supposer que le sens d’un mot est plutôt représenté
par quelque chose qui ressemble à un article encyclopédique sur le sujet. Dans ce
cas, on s’attendrait à trouver, dans un schéma pour le concept “oiseau”, non
seulement les informations du dictionnaire, mais aussi un certain nombre de faits
et de relations en rapport avec les oiseaux (…). » (RUMELHART et NORMAN
in LE NY et GINESTE, 2006 : 312-313)

Alors que le sens du mot « oiseau » tel qu’il est consigné dans un
dictionnaire, ne contient que quelques caractéristiques élémentaires et

9
Parmi les chercheurs ayant contribué à l’approche de telles entités, on peut citer BARTLETT
(considéré comme précurseur), MINSKY (pour la notion de cadre), SCHANK et ABELSON (pour
la théorie des scénarios et plans), RUMELHART, ORTONY et NORMAN (pour les schémas). Dans
ce texte, on considérera le terme « schéma » comme le plus général.

45
46 Sémiologie et herméneutique

différentielles du concept oiseau, le sens encyclopédique contient toutes sortes


d’informations sur les oiseaux, sur leurs formes, leurs couleurs, leurs chants,
leur vie, leurs mœurs, etc.

Pour les mêmes auteurs, la notion de schéma couvre l’ensemble de nos


connaissances :

« Il existe des schémas pour les concepts généraux qui sont sous-jacents aux
objets, aux situations, aux événements, aux séquences d’événements, aux actions
et aux séquences d’actions : un ensemble de relations dont on pense qu’il fait
partie des constituants du concept qu’il représente. Les schémas, en quelque sorte,
représentent les stéréotypes de ces concepts. Pour simplifier, ils sont comme des
modèles du monde extérieur. » (RUMELHART et NORMAN in LE NY et
GINESTE, 2006 : 310)

Rumelhart et Norman précisent encore que les schémas représentent nos


connaissances à n’importe quel niveau d’abstraction (par exemple, pour le
niveau des idéologies comme pour le niveau du sens des mots) et pour
n’importe quel type (sémantique, épisodique). Une importante propriété des
schémas consiste en ce qu’ils s’enchâssent les uns dans les autres, constituant
ainsi une hiérarchie de niveaux :

« Une (…) caractéristique importante des schémas est qu’ils peuvent s’enchâsser
les uns dans les autres. C’est ainsi qu’un schéma consiste généralement en une
configuration de sous-schémas. Chaque sous-schéma, à son tour, consiste en une
configuration de sous-sous-schémas, etc. Certains schémas, toutefois, sont
supposés primitifs et indécomposables. » (RUMELHART et NORMAN in LE NY
et GINESTE, 2006 : 312)

Par exemple, notre schéma du corps humain comporte des sous-schémas et


sous-sous-schémas qui peuvent se spécifier en cascade (corps global, visage,
œil, iris…).

Les schémas comportent des parties constantes et des parties variables :

« Par exemple, le schéma pour le concept “CHIEN” comporte-t-il des parties


constantes, telles que “un chien a quatre pattes” et des parties variables telles que
“la couleur d’un chien peut être noir, fauve, blanc…” (…). De façon similaire,
dans le schéma du verbe “DONNER”, les aspects qui impliquent un changement
de possesseur sont des constantes, et les aspects concernant l’identité de celui qui
donne ou de celui qui reçoit sont des variables. » (RUMELHART et NORMAN in
LE NY et GINESTE, 2006 : 312)

Pour Rumelhart et Norman, c’est peut-être cet aspect des schémas qui
constitue leur principale caractéristique. C’est en tout cas celui qui permet de

46
Le dispositif cognitif 47

comprendre une fonction importante remplie par les schémas dans la


communication : celle consistant à inférer le contenu informatif d’un message
sous-spécifié.

Un schéma, en effet, comporte pour ses variables des valeurs par défaut :
des valeurs qu’on peut leur supposer lorsqu’elles ne sont pas spécifiées. Les
scénarios — schémas consistant en suites d’événements — illustrent bien
cette fonction de suppléance. Il suffit de dire ou d’écrire qu’une personne va
au restaurant ou chez le médecin pour que soit activée dans notre mémoire
une séquence stéréotypée d’événements probables (pour le restaurant :
examen de la carte, choix du plat, service, règlement de l’addition…). Dès
lors :

« Lorsque nous communiquons, nous n’avons besoin de fournir à notre


interlocuteur que les seules informations qui nous assurent qu’il trouvera le
scénario correct, et nous tenons pour acquis que le reste en découle
automatiquement. » (RUMELHART et NORMAN in LE NY et GINESTE, 2006 :
314)

La réussite de la communication, cependant, suppose que la capacité des


schémas à rendre compte de la situation soit constamment évaluée.

Soit l’exemple suivant emprunté à Wilkes :

« John had got up late and as he hurried to school he worried about the first lesson,
which was Maths. Last week, he had been unable to control the class. It was unfair
of the Maths teacher to leave him in charge. It was not part of the Janitor’s
duties. » (WILKES, 1997 : 47)

Dès la première phrase, un schéma correspondant au cadre de l’école est


évoqué et John y prend la place d’un élève. Mais à l’audition des phrases
suivantes, cette interprétation est automatiquement modifiée et John se voit
successivement assigner le rôle de professeur puis finalement celui de
concierge. Ces modifications, de plus, entraînent à chaque fois un changement
de l’âge approximatif qui, par défaut, est attribué à John (plus ou moins 12
ans, 35 ans, 50 ans). Cet exemple montre bien, à la fois, le caractère
dynamique de l’interprétation et l’adaptabilité des schémas. Ceux-ci ne sont
pas encodés dans la mémoire sous forme de représentations fixes. Ils sont
plutôt en interaction continue avec le contexte.

La flexibilité des schémas permet d’expliquer comment, dans le processus


d’interprétation, plusieurs schémas peuvent être activés avec des degrés
différents d’intensités. Par exemple, dans le cas des schémas correspondant
aux pièces d’un appartement, un élément comme « poste de télévision » peut

47
48 Sémiologie et herméneutique

déclencher à la fois le schéma « salon » et, sans doute avec moins d’intensité,
le schéma « chambre ». Ce sont les autres éléments activés qui permettront au
système de se stabiliser sur l’un ou l’autre schéma.

Les lignes suivantes, dues à Laks, expliquent bien la compositionnalité des


schémas :

« Comme on l’observe pour le raisonnement humain, une combinatoire


inattendue, par exemple conjonction des descripteurs d’une cuisine et d’une salle
de séjour, ne bloquera pas le système, mais fera émerger un patron global
complexe composé de deux schémas induits. On obtiendra ainsi ce qui se laisse
interpréter comme un “studio”. Un tel résultat, inaccessible dans les systèmes
symboliques de l’intelligence artificielle classique, est rendu possible par le fait
que les schémas ne sont plus des représentations rigides explicitement codées,
mais émergent d’une dynamique continue qui les recrée à chaque occasion en
fonction du contexte qui les sollicite. Au mécanisme binaire (tout ou rien) de la
théorie classique qui suppose que le schéma approprié est physiquement présent
pour interpréter une situation, s’oppose ainsi un modèle où l’ensemble des
schémas compatibles avec un ensemble d’informations émerge, mais où chaque
schéma possède une saillance particulière. À la limite, tous les schémas sont actifs
(toutes les pièces ont des murs) et se différencient en fonction des informations
complémentaires. Le modèle ne fournit pas la bonne réponse, sauf après sélection
du schéma dominant. Il approxime la, ou les meilleures réponses possibles compte
tenu des données fournies par l’environnement. On a donc une conception
holistique de la connaissance qui est pliable et adaptable à tous les cas
particuliers. » (LAKS, 1996 : 106)

.
La schématisation

La manière dont les schémas se forment dans notre esprit explique en


grande partie les propriétés que l’on vient d’examiner, notamment leur
enchâssement les uns dans les autres et le fait que chacun d’eux comporte une
partie constante et une partie variable.

Qu’un schéma ait une partie constante et une partie variable provient de ce
qu’il découle d’un certain nombre d’expériences comparées les unes aux
autres. Bartlett, le précurseur de la notion, concevait un schéma comme une
structure retenant les régularités perçues à travers une série d’expériences.
C’est évidemment cette structure qui constitue la partie constante. Mais que
les schémas soient enchâssés les uns dans les autres provient du fait que les
expériences dont ont été abstraits les schémas subsistent en mémoire en tant
que spécifications possibles. « Un schéma, écrit Langacker, est un patron
(template) représentant les caractéristiques communes des structures qu’il
catégorise, des structures qui ÉLABORENT donc, ou EXEMPLIFIENT le

48
Le dispositif cognitif 49

schéma ; ainsi le concept (OUTIL) constitue-t-il un schéma pour des notions


telles que (MARTEAU) et (SCIE). » (LANGACKER, 1991 : 104) En retour,
celles-ci constituent des spécifications de celui-là.

Autrement dit, la formation d’un schéma suppose un processus


d’abstraction rendant saillants les aspects récurrents des phénomènes observés
et effaçant les aspects variables, mais conservant néanmoins ces derniers en
mémoire à titre de concrétisations possibles des premiers.
En termes très généraux — c’est-à-dire très schématiques —, la
schématicité peut donc être définie en termes de degrés de spécificité — ou, à
l’inverse, de disparition progressive des détails. C’est de cette manière que
Langacker définit la schématicité :

« The notion of schematicity pertains to level of specificity, i. e. the fineness of


details with which something is characterized ; the notion always pertains,
premarily if not solely, to precision of specification along one or more
parameters, hence to the degree of restriction imposed on possible values along
these parameters. » (LANGACKER, 1987 : 132)

Dans la manière dont cet auteur explique le processus de formation des


catégories lexicales, on voit clairement l’enchaînement des opérations
cognitives de schématisation aboutissant à un enchâssement en cascade de
schémas, sous-schémas et sous sous schémas.

Soit l’apprentissage, chez un enfant, de la catégorie lexicale ARBRE.


(LANGACKER, 1987 : 373) Le point de départ réside dans la constitution
d’un prototype (PT), c’est-à-dire un schéma de bas niveau correspondant aux
aspects communs de spécimens ordinaires tels les chênes et les ormes. Lors de
la rencontre avec un arbre aussi différent du prototype que l’est le pin, il se
produit une extension (ARBRE —> PIN) par un jugement de catégorisation
reposant sur la perception d’une similitude et induisant un concept
(« ARBRE ») plus schématique que le précédent. L’expérience se poursuivant
par la rencontre d’autres arbres (comme le palmier) entraînant de nouvelles
extensions, il s’ensuivra une complexification de la catégorie lexicale, qui
prendra la forme d’un réseau dont l’expansion dans le sens horizontal
correspond à l’extension à partir d’un prototype et dont l’expansion dans le
sens vertical correspond à l’extraction de schémas successifs.

C’est ce qu’illustre le schéma suivant :

49
50 Sémiologie et herméneutique

ARBRE ”

ARBRE ’ — — — > PALMIER

ARBRE — — > PIN


(LANGACKER, 1987 : 374)

Dans la perspective de Langacker, des réseaux lexicaux de cette sorte


peuvent devenir extrêmement complexes, comporter des nœuds et des
relations plus saillants que d’autres, comporter des prototypes ou des schémas
locaux, dans des sous-configurations à divers niveaux d’abstraction. Ils sont
aussi dynamiques et changeants parce que soumis aux pressions constantes de
l’expérience et de la communication.
Mais ce qu’il importe avant tout de noter, ici, c’est l’interdépendance entre
les opérations cognitives impliquées par chaque extension. La comparaison,
lorsqu’elle aboutit à la perception d’une similarité entre deux entités — par
exemple entre Pt et X au niveau de base — implique la formation d’une
troisième entité cognitive, le schéma, dont l’extraction suppose que certaines
spécifications de Pt soient suspendues tandis que d’autres deviennent plus
saillantes.
Langacker synthétise l’opération par le schéma suivant :

SCH

Pt — — —> X
(LANGACKER, 1987 : 373)

Cela étant, il faut préciser que la formation des schémas ne se réduit pas au
seul jeu des projections et extractions d’aspects similaires non spécifiques,
comme si le processus n’avait jamais affaire qu’à des rapports de similarité. Il
doit également tenir compte des rapports de contiguïté qui lient entre elles les
parties d’un même modèle. Par exemple, la formation d’un scénario, comme
celui du restaurant, exige l’assimilation progressive d’événements
apparaissant successivement et s’intégrant en tant que parties d’un même
ensemble (regarder le menu, commander, manger, régler l’addition, etc.).

Les schémas semblent ainsi s’agencer selon deux axes : un axe de la


contiguïté et un axe de la similarité. En tant qu’ils sont constitués d’un
assemblage de parties hétérogènes — la séquence d’événements d’un
scénario, les différentes parties d’un objet, d’une situation ou d’un processus,
les éléments d’une phrase ou d’un discours typique, etc. — ils s’élargissent, se

50
Le dispositif cognitif 51

complexifient et se combinent selon l’axe de la contiguïté. L’expression


« paquet de relations » semble bien adaptée à cet aspect des schémas. En tant
qu’ils sont abstraits — extraits d’entités récurrentes ou d’expériences
similaires —, ils s’emboîtent, en se recouvrant partiellement, sur l’axe de la
similarité. Cette seconde forme d’agencement, qu’illustre le concept lexical
« arbre » examiné plus haut, correspond à la dimension schématicité-
spécificité mise en évidence par Langacker. Elle justifie aussi pleinement la
relation d’enchâssement soulignée par Rumelhart et Norman.

La pyramide de schèmes et sous schèmes enchâssés du corps humain —


bras, visage… ; avant-bras, poignet, main… ; nez, œil, oreille… ; etc. —
constitue une bonne illustration du jeu conjugué des deux formes
d’agencement. Tandis que, sur l’axe de la contiguïté, l’expérience répétée de
la perception du corps humain constitue ce dernier — et parallèlement
chacune de ses parties — comme ensemble toujours plus détaillé de parties
hétérogènes reliées entre elles, sur l’axe de la similarité, la répétition du
semblable entraîne l’extraction, au niveau du corps global comme à celui de
chacune de ses parties, de formes schématiques servant de cadre pour chaque
spécification, approfondissement ou intégration de nouveaux détails ; toute
modification importante à un quelconque niveau entraînant une
transformation de l’ensemble systémique des schèmes et sous-schèmes
emboîtés.

À cela s’ajoute le fait que, loin de constituer un ensemble isolé, le corps


humain et ses éléments se trouvent reliés, dans notre expérience, à d’autres
ensembles ou éléments d’autres domaines. La main renvoie par contiguïté aux
différentes activités humaines, lesquelles peuvent être subsumées sous un
schéma général qui peut lui-même se spécifier en sous-ensembles
(l’expression courante « il met la main à tout » semble joindre les deux bouts
de la schématisation et de la spécification). Le cœur présente une analogie
fonctionnelle avec toutes sortes de pompes, leur ensemble autorisant
l’extraction d’un schéma général ; mais la représentation du cœur peut
également activer les relations que cet organe entretient avec les
comportements sociaux impliquant des sentiments.

C’est ainsi que l’on peut concevoir la connaissance comme un vaste réseau
de schémas enchâssés les uns dans les autres et capables de s’activer les uns
les autres. Dans cette perspective, la communication d’une signification peut
être considérée comme activation d’une certaine configuration de schémas
dans le vaste réseau que constitue notre mémoire.

Les schémas expliquent certaines activités inférentielles : notamment


celles qu’a repérées la théorie des schémas exposée plus haut : le choix d’un

51
52 Sémiologie et herméneutique

schéma à partir des indices dont on dispose et la projection des valeurs par
défaut que l’on suppose aux éléments variables.

Analogie, métaphore
La métaphore, comme l’ont montré Lakoff et Johnson, n’est pas qu’une
simple manière de jouer avec le sens établi des mots. Elle intervient au
contraire dans la construction même du sens, car elle est un mode primordial
de compréhension et de conceptualisation. « L’essence d’une métaphore,
écrivent Lakoff et Johnson, est qu’elle permet de comprendre quelque chose
(et d’en faire l’expérience) en termes de quelque chose d’autre. » (LAKOFF
& JOHNSON, 1985 : 15)

Une corrélation entre deux expériences entraîne la projection de l’une sur


l’autre et la compréhension de celle-ci à travers celle-là. ,
Lakoff et Johnson distinguent plusieurs formes de métaphore : les
métaphores d’orientation, les métaphores ontologiques et les métaphores
structurales.

Un exemple des premières peut être donné par des expressions telles que
« je suis aux anges » ou « ça m’a remonté le moral ». Elles impliquent un
processus de projection métaphorique d’une image schématique, l’image
haut-bas — qui s’enracine dans la position debout du corps humain — sur le
domaine des émotions. Une métaphore générale en découle, « le bonheur est
en haut », dont dérivent les expressions du genre de celles mentionnées plus
haut.

Les métaphores ontologiques sont celles qui nous permettent de percevoir


des événements, des émotions ou des idées comme des choses ou des
substances. Elles nous font voir comme des objets possédant des formes
distinctes, des choses qui sont sans limites précises : des clairières, des
professions, des domaines de connaissance… L’image schématique du
contenant, qui s’enracine dans l’expérience vécue du corps, est bien sûr ici en
cause. Cette image nous permet de concevoir que l’on puisse entrer et sortir
d’une profession, d’un champ de vision, etc. Une phrase courante comme « Il
faut combattre l’inflation » montre que nous percevons métaphoriquement
celle-ci à la fois comme une chose et comme un adversaire.

Les métaphores structurales consistent en l’utilisation d’un concept bien


structuré pour en structurer un autre. Par exemple, le concept de
« discussion », dans notre culture, est souvent conçu à l’aide de quelque chose
que nous comprenons plus aisément : le conflit physique. C’est en tout cas ce
que montrent des expressions comme : « vos affirmations sont
indéfendables », « il a attaqué chaque point faible de son argumentation »,
« j’ai démoli son argumentation », etc. Un autre exemple : dans notre culture
industrielle, le temps est souvent perçu comme une ressource ; des

52
Le dispositif cognitif 53

expressions comme « je n’ai pas assez de temps » ou « le temps, c’est de


l’argent » en témoignent.

Avant d’être décrite en termes de syntaxe logique, la raison, pour Lakoff et


Johnson, doit être comprise, plus fondamentalement, comme appréhension de
corrélation et projection métaphorique.

La projection métaphorique, notons-le, est une sorte de mise en profil : elle


met au premier plan certains aspects de l’entité conçue tandis qu’elle en efface
d’autres. Lakoff et Johnson soulignent du reste le caractère partiel d’une
structuration métaphorique.

« En nous permettant de fixer notre attention sur un aspect d’un concept (par
exemple les aspects d’une discussion qui rappellent une bataille), un concept
métaphorique peut nous empêcher de percevoir d’autres aspects qui sont
incompatibles avec la métaphore (…) nous pouvons perdre de vue les aspects
coopératifs de toute discussion. » (LAKOFF & JOHNSON, 1985 : 22)

Il s’ensuit, dans la même logique, qu’une métaphore nouvelle peut révéler


d’un objet ou d’une quelconque entité, des aspects jusque-là méconnus. Ce
qui se passe en fait dans la projection métaphorique d’une structure source sur
une structure cible est en réalité très complexe, comme en témoignent ces
belles lignes dans lesquelles Lakoff et Johnson tentent de décrire ce qui se
passerait dans notre conception de l’amour si l’on substituait aux métaphores
habituelles une nouvelle qui se fonderait sur une corrélation perçue entre l’art
et l’amour :

« La métaphore L’AMOUR EST UNE ŒUVRE D’ART RÉALISÉE EN


COMMUN offre un exemple subtil de similitudes créées par une métaphore
nouvelle. Elle met en valeur certains aspects des expériences amoureuses, atténue
le rôle d’autres aspects et en masque d’autres encore. En particulier, elle atténue le
rôle des expériences qui correspondent à la métaphore L’AMOUR EST UNE
FORCE PHYSIQUE. Par “atténuer le rôle”, nous voulons dire qu’elle est
logiquement compatible avec certaines expériences de l’amour qui pourraient très
bien être exprimées par “Il existe entre nous un flux magnétique”, “le courant
passe”, etc. ; elle n’attire cependant pas l’attention sur celles-ci. D’un autre côté,
elle masque les expériences de l’amour qui correspondent à la métaphore
L’AMOUR C’EST LA GUERRE, car il n’y a pas de chevauchement possible
entre les deux métaphores. Les aspects de collaboration et de coopération de la
métaphore L’AMOUR EST UNE ŒUVRE D’ART RÉALISÉE EN COMMUN
sont incompatibles avec les aspects agressifs et dominateurs de nos expériences
amoureuses qui peuvent être exprimées par : “c’est ma dernière conquête”, “il
s’est livré à elle”, “elle m’a accablé de ses assauts”, etc. Par ce moyen (…) la
métaphore met entre parenthèses certaines de nos expériences amoureuses et en
désigne d’autres à l’attention comme si elles étaient seules pertinentes. Ce faisant,
elle induit un ensemble de similitudes entre nos expériences amoureuses et les

53
54 Sémiologie et herméneutique

expressions réelles et imaginaires de collaboration à une œuvre d’art. » (LAKOFF


& JOHNSON, 1985 : 159)

Telle que décrite par Lakoff, la projection métaphorique, notons-le,


implique une certaine forme d’inférence procédant de l’interférence entre
deux gestalts. Ainsi, la métaphorisation de l’amour comme œuvre d’art
provoque des résonances entre deux gestalts — deux modèles mentaux —
entraînant certaines implications, par exemple, que l’amour est une espèce de
travail, mais pas un travail quelconque : « Il s’agit d’un travail qui exige cet
équilibre particulier entre contrôle et passivité qui convient à la création
artistique, puisque le but poursuivi n’est pas n’importe lequel, mais un but
artistique commun. » (LAKOFF & JOHNSON, 1985 : 151).

Intégration conceptuelle

Les projections métaphoriques et extractions de schémas comptent


certainement parmi les opérations de base effectuées par l’esprit humain. Mais
au-delà, nous savons celui-ci capable de rapprochements conceptuels et
d’élaborations beaucoup plus complexes dont émergent parfois de véritables
découvertes. La notion d’intégration conceptuelle (blending), proposée par
Fauconnier et Turner, offre une voie intéressante pour comprendre et décrire
de telles opérations.
Ces auteurs ont forgé la notion d’intégration conceptuelle pour désigner
l’opération mentale à la base de notre aptitude à inventer du sens. Il est
difficile d’établir les similitudes et différences entre cette notion et les
précédentes. Sans aucun doute, l’intégration conceptuelle suppose l’aptitude à
la comparaison et à la schématisation. Comme la métaphore, elle implique
également des processus de projection. Mais elle prend peut-être en compte
un plus grand éventail de relations entre représentations conceptuelles et
surtout, elle met mieux en évidence certains aspects relatifs à l’élaboration
mentale et à l’émergence du sens qui en découle.

L’intégration conceptuelle suppose une interaction entre au moins quatre


« espaces mentaux ». La notion d’espace mental désigne une petite
représentation conceptuelle construite à des fins de compréhension dans le
courant de notre discours et de notre pensée.

L’exemple suivant, proposé par Turner, explicite le rôle des quatre espaces
constitutifs de l’opération.

« La phrase “Ce chirurgien est un boucher”, nous incite à utiliser deux


espaces mentaux comme espaces d’entrée. Dans l’un, il y a le rôle de
chirurgien typique et il y a quelqu’un qui est chirurgien. Dans l’autre, il y a le
rôle de boucher typique.

54
Le dispositif cognitif 55

Avant que l’intégration conceptuelle ne puisse commencer, une projection


partielle et provisoire doit être construite entre les espaces d’entrée. Dans cette
projection, qui est provoquée par l’expression “Ce chirurgien est un
boucher”, le chirurgien correspond au boucher. Mais l’essence de
l’intégration conceptuelle est sa création d’un autre assemblage mental, d’un
nouvel espace mental, à savoir l’espace intégrant ou le “blend”. L’intégration
conceptuelle projette quelques éléments et relations à partir des espaces
d’entrée sur l’espace intégrant. Cette projection est sélective. Dans ce cas, le
chirurgien et le boucher sont projetés sur l’espace intégrant et y sont intégrés.
Par conséquent, un nouveau sens émerge dans l’espace intégrant, ce nouveau
sens est l’incompétence. » (Turner)

Outre les espaces d’entrée et l’espace intégrant, le réseau contient


également un espace générique, qui contient ce qu’il y a de commun entre les
espaces d’entrée. Mais c’est évidemment dans l’espace intégrant qu’émerge
une nouvelle structure à la suite de l’intervention de trois processus :

o la composition des éléments pris aux espaces d’entrée ;


o la complémentation ou achèvement au moyen de connaissances
(schémas, cadres…) issues de la mémoire à long terme ;

55
56 Sémiologie et herméneutique

o l’élaboration : « Nous élaborons le “blend” quand nous le développons


selon ces principes. Nous élaborons le blend en le traitant comme une
simulation dynamique qui se développe. » (Turner)

Indépendamment des problèmes de fond qui peuvent se poser, notamment


concernant la variété des relations qui peuvent exister entre les espaces
d’entrée ou la nature exacte des processus d’élaboration et de simulation à
l’œuvre dans l’espace intégrant, la formalisation de Fauconnier et Turner
présente un intérêt méthodologique incontestable dans la mesure où elle
permet de décomposer et spécifier les différents aspects d’une opération
mentale suscitée par un rapprochement conceptuel.

En interprétant quelque peu librement la pensée de Fauconnier et Turner,


on considérera ici que le blending combine et complète les notions de
métaphore et schématisation en y ajoutant un niveau d’élaboration et
d’émergence de structures nouvelles.
Les espaces d’entrée et la projection de l’un sur l’autre correspondent à la
métaphorisation. L’espace générique correspond à la schématisation. Il se
constitue par activation d’un schéma existant ou par extraction d’un nouveau
schéma qui restera ou non en mémoire. L’espace d’intégration conceptuelle
s’ajoute aux précédents en les prenant pour base. Cette façon de voir permet
de caractériser et hiérarchiser les différentes opérations mentales concrètes
selon les espaces qu’elles impliquent et où elles s’exercent principalement.

Parfois, l’opération se limite à la métaphorisation et l’attention se centre


dans ce cas sur l’espace métaphorisé (la cible) qui est alors perçu, comme
l’indique Lakoff, à travers l’espace métaphorisant (la source). Dans d’autres
cas, l’extraction d’un schéma commun aux deux espaces d’entrée — c’est-à-
dire la constitution d’un espace générique — constitue le but et le terme de
l’opération. Dans d’autres cas enfin, l’espace générique – construit pour
l’occasion ou existant au préalable – ne fait qu’établir un lien entre les espaces
d’entrée, lien introduisant à une élaboration plus complexe dans un espace
d’intégration conceptuelle conçu expressément pour la cause.

Dans cette perspective, les différents cas envisagés correspondent à une


gradation par degrés de complexité et, sans doute, d’attention consciente. La
métaphore à son niveau le plus élémentaire – celui des métaphores étudiées
par Lakoff et Johnson – est une projection unilatérale qui écrase la spécificité
de l’espace métaphorisé (espace cible) et affecte la perception immédiate de
ce dernier. La schématisation ou extraction d’une structure commune à deux
ou plusieurs espaces mentaux est une sorte de projection à double sens
impliquant donc une certaine réversibilité de l’attention qui suppose un plus
grand détachement de celle-ci à l’égard des perceptions immédiates et laisse
intacts en même temps que disponibles pour l’esprit les espaces mentaux
comparés. Dans la mesure où il repose sur une certaine sélection et
combinaison particulière d’éléments pris aux espaces d’entrée, on conçoit que

56
Le dispositif cognitif 57

le niveau de l’intégration conceptuelle implique une distance encore accrue


par rapport à ces derniers et devienne le lieu d’opérations plus complexes
réclamant plus d’attention que la simple perception d’une chose à travers une
autre ou l’extraction d’une structure commune. Dans l’exemple du chirurgien-
boucher, la projection n’a pas pour fin la perception, à des fins de
compréhension, d’un métier à travers un autre ; les deux métiers sont bien
connus et bien distincts. Il ne s’agit pas non plus, en tout cas pas seulement,
d’extraire une structure commune. Cette dernière opération est bien effectuée,
mais elle ne sert qu’à guider l’attention vers les aspects particuliers des
comportements considérés qui, comparés explicitement, conduisent à la
conclusion que le chirurgien fait mal son métier.

57
58 Sémiologie et herméneutique

58
Le dispositif cognitif 59

Le Signe iconique, du Mimétisme à


l’Intégration conceptuelle
JEAN-PIERRE MEUNIER
Université Catholique de Louvain
jean-pierre.meunier@uclouvain.be

Je voudrais proposer quelques hypothèses à propos de la cognition par


l’image, plus précisément à propos de la manière dont l’image peut aider
l’imagination à construire du sens.
Mais je crois utile, dans un premier temps, de présenter rapidement la
perspective générale dans laquelle mon approche se situe ainsi que mes
principales sources d’inspiration.
Mon approche de l’image est avant tout d’ordre phénoménologique. Je
crois en effet indispensable, après des années de recherche sur l’image
marquées par le formalisme de modèles importés de la linguistique ou de la
sémiotique, de faire retour sur l’expérience vécue du spectateur d’images. Je
vais m’expliquer tout de suite à ce sujet.
Dans le cadre de cette perspective fondée sur l’expérience mentale du
spectateur d’image, je crois utile de citer, parmi les principales théories des
sciences cognitives auxquelles je me réfère, la théorie des schémas, et surtout
les recherches regroupées sous le terme de sémantique cognitive, parmi
lesquelles on trouve notamment les travaux de Lakoff et Johnson sur les
catégories mentales et la métaphore, ceux de Langacker sur la grammaire
cognitive, et ceux de Fauconnier et Turner sur l’intégration conceptuelle.
Ce qui est remarquable chez tous ces auteurs, linguistes pour la plupart,
c’est qu’en s’attaquant au problème des relations entre la langue et les
structures conceptuelles intervenant dans la connaissance du monde, ils ont
redécouvert en même temps l’importance de l’imagination et mis en exergue
quelques-unes des opérations fondamentales propres à cette dernière :
notamment la métonymie, la métaphore, la schématisation, et l’intégration
conceptuelle. On va voir l’importance de ces notions pour la compréhension
des opérations de pensée induites par l’image.
Un autre courant de pensée qui a alimenté ma réflexion sur l’image est
constitué par les recherches de psychologie du développement, entre autres
celles de l’incontournable Piaget, bien sûr, mais aussi celles de Vygotsky et de
ceux qui l’ont suivi sur la voie de la psychologie culturelle. La référence à la
psychologie du développement me semble essentielle à propos d’au moins

59
60 Sémiologie et herméneutique

deux questions, d’ailleurs intimement liées et relativement négligées par


l’approche sémiologique : la question des différences de nature psychologique
entre le signe verbal et le signe iconique et la question de la conscience liée
aux opérations de la pensée.
La conscience, cette faculté qu’a le psychisme humain de faire retour sur
lui-même, d’accéder à sa propre pensée et d’agir sur elle, n’a guère été prise
en compte par les recherches sémiologiques. Or la question de savoir si les
opérations de pensée liées à l’image comportent une dimension réflexive me
semble fondamentale, surtout lorsqu’on s’interroge sur la portée culturelle et
éducative des images. Pour des raisons d’objectivité scientifique, les
chercheurs en science humaine se méfient du problème de la conscience et
récusent généralement l’introspection comme méthode. Je crois pour ma part
que ceux qui s’intéressent à « la vie des signes au sein de la vie sociale », but
qu’avait assigné Saussure à la sémiologie, devraient mettre au premier plan de
leurs préoccupations ce problème, car il est essentiel à la compréhension de la
vie sociale et culturelle de savoir si les messages médiatiques iconiques qui y
circulent en masse, au-delà du fait évident qu’ils séduisent et captent
l’attention, sont aussi capables d’induire des prises de conscience et
d’alimenter des réflexions.
Je vais commencer par comparer et mettre en perspective certains aspects
psychologiques des signes linguistiques et iconiques, en mettant surtout en
exergue leur différence. Ce qui permettra, dans un deuxième temps, de mieux
cerner les opérations de pensée liées spécifiquement à l’image. Je conclurai en
ouvrant une réflexion sur la portée socioculturelle des images.
J’illustrerai mon propos avec des exemples empruntés à la publicité. Ce
n’est pas que j’aie un goût particulier pour les images publicitaires. Mais je
crois que la publicité a exploité autant qu’il est possible de le faire les
potentialités de l’image et qu’elle nous offre de ce fait un matériau
particulièrement riche et instructif.

Signe linguistique et signe iconique


J’en viens donc, pour commencer, à la psychologie des signes et à la
différence entre signe linguistique et signe iconique.
Partons de l’expérience mentale correspondant au signe iconique. Sur ce
plan, on peut se demander si l’image est vraiment un signe au sens que l’on
donne habituellement à cette notion. Depuis Saussure, il semble être de la
nature du signe, quel qu’il soit, de comporter un signifiant et un signifié ou,
dans une autre terminologie, une expression et un contenu. Je crois pour ma
part que ce couple théorique signifiant-signifié (schème resté dominant en
sémiologie), a considérablement voilé ou déformé l’expérience subjective de
l’image. Ce qui fait problème, c’est la séparation entre les aspects du signe
ainsi distingués.
Pour le langage verbal, cette séparation est cohérente avec l’expérience du
sujet parlant. Pour celui-ci, le signifiant – arbitraire et discret – est clairement

60
Le dispositif cognitif 61

distinct du signifié, il est une sorte de médiation, un instrument conduisant au


signifié. Le signifié, quant à lui, et comme l’a dit Saussure, est un concept,
disons une pensée – pour moi, une image ou plus précisément une unité
iconique discrète –, que le sujet considère à distance, dont il est conscient, et
qu’il peut combiner avec d’autres concepts dans le raisonnement verbal.
C’est sans doute, comme l’indiquent de nombreux travaux de psychologie
culturelle du développement, la médiation du signifiant arbitraire et discret
qui introduit distanciation et réflexivité dans l’expérience mentale. Comme
l’exprime très bien Bronckart, dans un commentaire de Vygotsky : « Ce n’est
que lorsque les formes représentatives sont dédoublées et organisées en unités
discrètes, sous l’effet de l’intériorisation des signes, que peut se déployer le
mouvement autoréflexif caractéristique du fonctionnement psychique
conscient. » (Bronckart 2002 : 52) Je ne peux m’étendre longtemps sur ce
point. Je crois néanmoins qu’on m’accordera facilement que, en ce qui
concerne le signe verbal, l’écart théorique entre le signifiant et le signifié
paraît parfaitement en accord avec la réalité psychologique.
Il n’en va pas du tout de même, me semble-t-il, pour le signe iconique. Ce
qu’on appelle le signifiant iconique n’est séparable du signifié qu’au regard
du théoricien de l’image qui distingue (et construit) deux aspects là où le
spectateur n’en voit qu’un : l’objet présenté par l’image ou plus généralement
les formes iconiques.
Si l’on fait abstraction des différences de genres d’images (notamment des
différences entre fiction et documentaire) et des différences d’attitudes
(notamment des différences entre regard naïf et regard expert) et si l’on s’en
tient à la perception immédiate (naïve) des images, on ne peut déceler, dans
l’expérience vécue du spectateur d’image, ni distanciation, ni réflexivité.
Au contraire, dans les études qui ont tenté d’expliciter le rapport
psychologique à l’image, on a souvent remarqué l’absence de distanciation
qui caractérise la conscience du spectateur d’images. Les notions de
participation affective, empathie, cohésion, projection, identification,
mimétisme, mise en phase, etc., ont été fréquemment invoquées pour marquer
cette absence de distanciation. Il est vrai qu’il s’agissait surtout d’études
portant sur les images cinématographiques, mais la différence entre celles-ci
et les autres catégories d’images n’est à mon avis qu’une affaire de degré.
Dans tous les cas, le signifié iconique n’est pas un objet pour la pensée
consciente, comme l’est le signifié linguistique, ou concept. Il est plutôt une
forme avec laquelle le corps percevant entre en résonance mimétique 10

L’image mimétique
Je voudrais développer quelque peu ce point.

10
J’ai développé cette hypothèse dans plusieurs ouvrages dont : J.-P. Meunier et D. Peraya
(2004).

61
62 Sémiologie et herméneutique

Le mimétisme, c’est cette capacité primordiale qu’ont les êtres humains à


entrer en résonance avec ce qui les entoure, à s’identifier aux autres et même
aux objets, à imiter par leurs gestes et leurs mimiques les gestes et les
mimiques de ceux qu’ils regardent. Les psychologues du développement
(Wallon, Piaget) ont observé depuis longtemps ces phénomènes d’imitation et
de nombreuses recherches expérimentales récentes en ont montré la précocité
et souligné l’importance sur le plan mental autant que social.11 Dans le cadre
de la psychologie culturelle, l’imitation est devenue une forme essentielle de
transmission culturelle. 12
Je ne puis m’attarder sur les développements auxquels à donner lieu la
notion. Je voudrais toutefois rappeler ici, parce que cela concerne directement
notre objet, que dans son étude sur le développement du symbolisme chez
l’enfant, Piaget a mis l’imitation à la base de la formation des images
mentales et par la suite du dessin et des jeux symboliques. Pour cet auteur, on
peut observer plusieurs étapes dans les phénomènes d’imitation : après
l’imitation en acte (c’est-à-dire en présence de l’être imité) qui marque les
débuts de la relation à l’entourage vient l’imitation différée, c’est-à-dire en
dehors de la présence du modèle (par exemple lorsque l’enfant rejoue les actes
d’un enfant qu’il a vu les jours précédents). Enfin, lorsqu’elle s’intériorise, en
se réduisant à des esquisses motrices, l’imitation génère l’image mentale, seuil
de la pensée : « Avec l’image mentale, écrit Piaget, l’imitation n’est plus
seulement différée, mais intériorisée et la représentation qu’elle rend possible,
dissociée ainsi de tout acte extérieur au profit de ces ébauches ou esquisses
internes d’action qui la supporteront dorénavant, est alors prête à devenir
pensée » (Piaget & Inhelder 1984 : 45). Le dessin et le jeu symbolique
marquent et renforcent, selon le même auteur, ce passage à la
« représentation-pensée ».
Ainsi peut-on dire que si l’image mime le réel, c’est avant tout parce que
l’homme est capable de mimer le réel avec son corps. C’est une observation
qui n’a pas été souvent prise en compte par les sémiologues. Elle me semble
cependant capitale pour la compréhension de la réception des images.
L’image est sans conteste le médium de la participation mimétique. Issue
du mimétisme lors de sa production, comme je viens de le voir en évoquant
les travaux de Piaget, elle y reconduit nécessairement pour sa réception.
L’image mobilise le corps et sa capacité mimétique à entrer en résonance avec
les formes et personnages perçus. Tout le monde a pu observer – sur soi ou
sur autrui – ces mimiques et ébauches de mouvement qu’effectuent souvent
les spectateurs de scènes imagées. Il semble que la contemplation de telles
scènes efface la distinction entre soi et les protagonistes de l’action. On dira
peut-être qu’il s’agit là de cas exceptionnels, que la réception des images
n’exige pas toujours un tel état mimétique fusionnel, et que par ailleurs un état
semblable peut s’observer à la lecture de certains textes narratifs. C’est vrai, il

11
J. Nadel et J. Decenty (2002), ont proposé une intéressante mise au point concernant les
recherches sur l’imitation chez l’enfant.
12
On peut consulter à ce sujet : M. Tomasello (2004).

62
Le dispositif cognitif 63

faut admettre qu’il y a sans doute des degrés de participation mimétique dans
la réception des images et des limites relativement floues entre image et texte.
On mesurera peut-être mieux le fondement mimétique de la signification
iconique et sa différence avec la signification linguistique si, plutôt que de
prendre pour exemple (facile) des images présentant des scènes d’action
comportant des personnages, on se réfère plutôt à des significations
relativement abstraites.
Comparons par exemple la signification du mot « cube » à celle portée par
le dessin d’un cube. La figure dessinée engage le regard à effectuer des
mouvements de délimitation d’une portion d’espace et entraîne le corps
propre – qui s’éprouve lui-même comme une masse compacte limitée dans
l’espace – à donner du volume à cette région par une sorte de projection de
soi. Sans une telle activité mimétique, aucune figure significative
n’apparaîtrait.
Le signifiant verbal « cube » opère à un autre niveau de pensée. Il est
vraisemblable qu’il déclenche une activité imaginaire mimétique, semblable à
celle qu’on vient de décrire, et constitutive du signifié « cube », mais en
même temps, par sa qualité de signifiant discret, il engage à situer la figure
construite parmi d’autres, dans un certain domaine, celui des formes
géométriques, parmi lesquelles elle se différencie par certaines
caractéristiques. De simplement vécue qu’elle était à travers le dessin, la
figure est devenue un objet de pensée considéré à distance, en relation avec
d’autres objets de pensée, et susceptible d’entrer dans des définitions et des
raisonnements conscients explicitant ces relations (un cube n’est pas un
cylindre, un cube comporte six faces égales, etc., etc.).
En caricaturant quelque peu et en faisant abstraction de nuances sur
lesquelles on ne saurait s’étendre ici, on peut résumer l’opposition entre
l’image et le mot en disant que la première sollicite avant tout la participation
mimétique et l’indifférenciation, tandis que le second, avec sa distinction
signifiant-signifié, implique davantage distanciation et réflexivité.
On peut alors situer l’image en un point de jonction – ou
d’indifférenciation – entre l’affectif et le cognitif. Par son caractère
mimétique, l’image induit divers phénomènes – à forte coloration affective –
de projection, d’identification et d’imitation, qui ne sont pas sans effets sur
l’image de soi et le lien social. D’un autre point de vue, en raison du même
caractère mimétique, le rapport à l’image renoue avec la manière la plus
primitive que nous avons de connaître : par empathie ou compréhension au
sens fondamental du terme. En effet, se laisser imprégner par un être, une
chose, ou une situation perçue, constitue sans doute l’acte primordial et la
base de la connaissance. Mais, par sa nature participative, cet acte irréfléchi
ne peut se connaître lui-même au moment de son accomplissement, et la
connaissance acquise de cette manière reste implicite tant que n’est pas
effectuée une prise de distance – et de conscience – à l’égard de ce qui a été
intuitivement perçu et vécu. Le moyen par excellence de cette prise de
distance, avons-nous vu, c’est évidemment la verbalisation.

63
64 Sémiologie et herméneutique

L’image en tant que telle n’est cependant pas entièrement dépourvue de


moyens de faire prendre distance et de réfléchir, du moins jusqu’à un certain
point.
Il faut se référer ici aux différentes opérations mentales dont est capable
l’imagination. Nous la savons susceptible d’effectuer toutes sortes
d’associations ou de rapprochements d’images, qui se font souvent
spontanément, sans volonté explicite de notre part, mais qui peuvent atteindre
un certain degré de complexité et nécessiter un minimum de recul et
d’attention. Les images médiatiques, comme les images métaphoriques que
nous offre à profusion la publicité, par exemple, portent les traces de telles
opérations imaginaires et sont susceptibles de les induire à leur tour.
Je vais donc examiner maintenant certaines des opérations mentales
portées par les images et tenter de préciser leurs effets cognitifs du point de
vue de leur réception. Ce projet n’est que relativement original, car les
approches sémiologiques en terme de rhétorique de l’image ont depuis déjà
longtemps – en fait depuis les premiers travaux de Barthes des années
soixante – repéré les principaux procédés de signification par l’image, comme
la métaphore et la métonymie. Mais parce qu’elles sont restées dans le cadre
étroit du modèle du code et du schème signifiant-signifié, ces approches ont
négligé l’expérience cognitive sous-jacente à ces procédés. C’est cette
expérience que je vais tenter d’expliciter quelque peu. Ce faisant, je tenterai
surtout de montrer que les opérations mentales impliquées peuvent s’ordonner
selon leur degré de complexité et de réflexivité. Je commencerai donc par ce
qui me semble l’opération la plus simple et la moins réfléchie : l’association
par contiguïté.

Les associations par contiguïté


Comme je l’ai dit, la perception d’une image est fondamentalement
mimétique et en tant que telle, elle n’engage guère la réflexivité. Cependant,
elle ne se limite évidemment jamais à ce qui est visible au sens strict du terme.
Le spectateur d’une image situe toujours celle-ci dans un contexte plus large.
En se glissant dans la scène représentée, il la complète, en quelque sorte, en
donnant corps aux objets qui y sont figurés (parfois seulement par quelques
traits), en la prolongeant d’un environnement non visible, mais probable (ce
qu’on appelle le hors cadre), en situant cet environnement lui-même dans un
contexte spatio-temporel plus large (une région, une suite d’événements). En
s’identifiant aux comportements visibles des personnages (ou personnes s’il
s’agit d’images documentaires), il projette des intentions et se glisse, en
l’imaginant, dans une action plus large, voire, au-delà, dans une vie.

64
Le dispositif cognitif 65

Figure 1

Soit par exemple cette photo de Paul Almasy (Figure 1) découvrant


partiellement deux personnages attablés. C’est ici encore grâce à l’activité
mimétique du sujet percevant que se constituent sous son regard des
personnages et des meubles. Mais la compréhension de la scène va
certainement au-delà de ce complètement minimal. Si l’on demande à un
ensemble d’individus de fournir une légende à cette photographie, on obtient
des réponses aussi diverses que : « partie de cartes », « un ouvrier se fait
molester par son patron », « dessous de table », etc.13 On voit bien que ces
différentes réponses reposent sur diverses saisies des personnages et
impliquent divers cadres possibles. La réponse « partie de carte » suppose que
l’on ressente les gestes des personnages comme décontractés et que l’on situe
13
J’ai réalisé plusieurs fois cette expérience avec des étudiants en communication.

65
66 Sémiologie et herméneutique

la scène dans un lieu de détente : une salle de jeux, un café… L’interprétation


« un ouvrier se fait molester… » suppose que l’on ressente une certaine
tension dans les corps et que l’on regarde la scène comme partie d’un lieu
cohérent avec le type de relation envisagé : un bureau de direction par
exemple. Dans ce dernier cas, il est également vraisemblable que le bureau
soit lui-même situé dans un cadre plus large, très vaguement figuré – une
manufacture quelconque –. et que ce cadre lui-même paraisse enchâssé dans
une cadre plus vaste encore : un pays, une région du monde ; par exemple,
dans le cas qui nous occupe, compte tenu de l’habillement des personnages, la
scène pourrait paraître se situer en Amérique latine. D’autre part, la scène
semble également impliquer une certaine séquence d’évènements. La réponse
« partie de carte » suppose par exemple que la scène soit perçue comme un
moment de délassement dans une journée de travail.
Aux yeux de celui qui l’investit de son regard, donc, le contenu visible de
l’image se structure comme une partie ou un aspect d’un certain cadre spatial
qui lui-même paraît être en continuité avec un horizon spatial plus large.
Conjointement, du point de vue temporel, il peut prendre l’allure d’un
instantané pris sur une histoire, c’est-à-dire une suite d’événements. Dans les
deux cas, la relation entre la partie visible et le tout qu’elle implique est une
relation de contiguïté.
C’est ce type de relation qui explique l’usage, en sémiologie classique, de
la notion rhétorique de métonymie qui désigne un rapport partie–>tout. Dans
ce cadre, la partie est considérée comme un signifiant renvoyant à un tout,
considéré comme signifié. Le signe de connotation ainsi construit est
considéré, lui, comme faisant partie d’un code culturel dont l’apprentissage
par les membres d’une même culture permet à ceux-ci de lire, en quelque
sorte, autrement dit de décoder un certain nombre de significations portées par
les images.
Il me semble que l’expérience mentale de la relation métonymique partie–
>tout se laisse mieux comprendre si on se réfère à la théorie cognitive des
schémas.
La notion de schéma, de même que celles de « cadre » et de « scénario »,
est apparue dans la psychologie cognitive contemporaine pour rendre compte
de l’existence d’entités mentales plus larges que celles, plus élémentaires,
dont rendent compte normalement les unités verbales que sont les mots14.
Pour rendre compte de cette notion de schéma, il est commode de se
référer à l’opposition entre dictionnaire et encyclopédie. Par exemple, alors
que le sens du mot « arbre », tel qu’il est consigné dans un dictionnaire, ne
contient que quelques caractéristiques élémentaires et différentielles du
concept « arbre » (le dictionnaire Larousse propose pour le mot « arbre » :
« grande plante ligneuse, dont la tige, fixée au sol par des racines, n’est

14
Parmi les chercheurs ayant contribué à la définition de telles entités, on peut citer Bartlett
(considéré comme précurseur), Minsky (pour la notion de cadre), Schank et Abelson (pour la
notion de scénario), Rumelhart, Ortony et Norman (pour la notion de schéma). Dans cet
article, on considérera la notion de schéma comme la plus générale.

66
Le dispositif cognitif 67

chargée de branches et de feuilles qu’à partir d’une certaine hauteur »), le sens
encyclopédique contient toutes sortes d’informations sur leur forme, leur
couleur, les sortes d’arbres, leurs différentes parties, leur mode de
reproduction, les fruits qu’ils portent, les usages qu’on peut en faire,
l’industrie du bois, etc., etc. Il s’agit en fait d’un ensemble de représentations
imagées plus ou moins abstraites et générales, associées les unes aux autres
selon des rapports de similitude ou d’opposition ou encore de contiguïté. Ces
représentations concernent des objets, des situations, des événements ou des
séquences d’actions (appelées scénarios). Du point de vue de la théorie des
schémas, toutes nos connaissances sont comprises dans de tels schémas ou
modèles généraux enchâssés les uns dans les autres.
Point important, les entités mentales reliées dans notre mémoire
encyclopédique peuvent s’activer réciproquement selon des degrés variables.
De fait, pour peu que l’on prête attention à notre expérience mentale
subjective, on s’apercevra que le signifiant « arbre » ne fait pas qu’activer le
concept restreint qu’il cadre (le signifié dont rend compte le dictionnaire) ; il
active également le réseau des connaissances générales reliées au concept,
connaissances qui deviennent ainsi plus ou moins disponibles pour l’esprit.
Il en est naturellement de même pour les éléments iconiques. Plus
facilement encore, sans doute, que les signifiés cadrés par les signifiants
discrets de la langue, ces éléments iconiques activent des schémas, cadres ou
scénarios compris dans la mémoire encyclopédique des spectateurs. Plus
précisément, les éléments perçus sur une image sont pris dans un processus
implicite et spontané de comparaison avec du déjà vu emmagasiné dans notre
mémoire encyclopédique sous forme de schémas, cadre, ou scénarios
généraux plus ou moins stéréotypés. Une fois activés, ceux-ci offrent des
contextes possibles pour ces éléments qui font alors l’objet d’une
accommodation perceptive spécifique en rapport avec ces contextes. C’est
ainsi que les éléments de la photo d’Almasy activent par analogie des scènes
de café ou des scénarios de rencontres tendues entre chef et subordonné, et
que la compréhension mimétique des personnages se module en fonction de
ces contextes en projetant dans les corps perçus des attitudes de décontraction
ou au contraire de tension.
Mais, comme on peut le voir avec cet exemple, une seule image peut
convoquer à l’esprit plusieurs contextes possibles. La question se pose alors
de savoir pourquoi et comment le spectateur se fixe généralement sur un de
ces contextes qui devient plus saillant que d’autres. On peut faire l’hypothèse
que ce sont les interactions, dans l’esprit du spectateur, entre les contextes
évoqués par l’ensemble des éléments iconiques perçus qui déterminent cette
fixation. Lorsque les contextes activés se recoupent, ils se renforcent
réciproquement et deviennent plus proéminents que d’autres.

67
68 Sémiologie et herméneutique

Figure 2

On peut exemplifier cela au moyen de la publicité pour les pâtes Panzani


(Figure 2) utilisée par Barthes pour illustrer la notion de connotation dans son
célèbre article sur la rhétorique de l’image (1964). La réunion de la tomate, du
poivron et de la teinte tricolore, explique Barthes, constitue un signifiant de
connotation qui renvoie au signifié « italianité » et cette liaison serait l’effet
de l’application d’un code. En réalité, le processus mental aboutissant à la
mise en saillance, dans l’esprit du spectateur, du domaine général de
l’italianité est plus complexe que ne le laisse supposer la notion de code
comme système de correspondances entre des signifiants et des signifiés.
Chacun des éléments perçus sur l’image peut activer dans notre esprit de
multiples schémas et scénarios. La tomate peut se présenter comme partie
visible de plusieurs contextes ; elle peut être « cadrée » comme élément d’un
potager, elle peut aussi apparaître comme un des ingrédients manipulés dans
cette espèce de scénario que constitue la réalisation d’une recette culinaire ; à
un niveau plus abstrait, elle peut renvoyer au domaine général des plantes
potagères, à celui un peu plus délimité des plantes potagères
méditerranéennes, lequel se trouve relié au domaine de la cuisine
méditerranéenne dont la cuisine italienne est un sous-ensemble. On peut dire à
peu près la même chose du poivron. Dès lors, il va de soi que le fait que ces
deux éléments renvoient tous deux à des légumes et des préparations
méditerranéens renforce ces contextes possibles, d’autant que la présence des
pâtes accroît encore leur probabilité et leur visibilité. Dans ces conditions, il
est normal que les couleurs s’assemblent sous notre regard pour évoquer le
drapeau italien et donc l’Italie, ce qui confirme les contextes préalablement

68
Le dispositif cognitif 69

activés. C’est ainsi que la tomate, le poivron et la teinte tricolore signifient


l’italianité, par renforcement mutuel des contextes évoqués.
Le jeu des interactions entre contextes peut être très complexe. De plus, il
n’est vraisemblablement pas le même pour tout le monde. D’autre part,
l’ordre séquentiel que j’ai imposé à ce jeu en tentant de le reconstituer
explicitement est certainement factice, car, selon toute vraisemblance, toutes
les opérations décrites s’effectuent en un coup. Du reste, nous n’avons aucune
conscience d’une succession d’opérations mentales. On peut même dire que
nous n’avons pas conscience du tout du processus. Il n’est pas complètement
inconscient puisqu’on peut le réfléchir et tenter de le reconstituer
verbalement, mais nous avons aussi conscience que cette reconstruction
rétrospective n’aboutit qu’à une sorte d’aperçu schématique et déformant
d’une activité en très grande partie automatique et non réfléchie. Ce qui reste
dans l’expérience vécue au terme du processus, c’est son aboutissement : une
certaine accommodation perceptive, c’est-à-dire une manière de regarder, une
certaine participation à la scène accompagnée d’impressions et d’émotions
particulières.

Les associations métaphoriques


L’association par contiguïté que je viens d’examiner repose bien sûr sur
une certaine analogie entre le(s) élément(s) iconique(s) perçus et des éléments
semblables, mémorisés dans l’encyclopédie mentale, et apportant avec eux les
schémas et scénarios dont ils font partie.
Mais l’analogie peut encore intervenir à un autre niveau, lorsqu’un
rapprochement par analogie est suggéré ou effectué par l’image elle-même.
On parle dans ce cas de métaphore, procédé qui, à mon avis, réclame souvent
un peu plus d’attention consciente que le précédent. On sait que les images
publicitaires et de propagande utilisent abondamment la métaphore, à tel point
que le procédé nous est devenu familier. Je ne crois donc pas innover
beaucoup sur le sujet, mais j’aimerais insister sur quelques aspects de
l’expérience cognitive correspondant à la métaphore.
Les linguistes et philosophes Lakoff et Johnson nous ont ouvert une voie
royale pour comprendre le fondement cognitif de la métaphore. Ces deux
auteurs américains – qui commencent à être bien connus de ce côté de
l’Atlantique si j’en juge par le nombre de recherches qu’ils ont inspiré – ont
montré que la métaphore n’est pas qu’une simple manière de jouer avec le
sens établi des mots. Elle correspond au contraire à un mode primordial de
conceptualisation. « L’essence d’une métaphore, écrivent Lakoff et Johnson,
est qu’elle permet de comprendre quelque chose (et d’en faire l’expérience)
en termes de quelque chose d’autre. » (1985 : 15)
Il s’agit bien de compréhension. Une corrélation entre deux expériences
entraîne la projection de l’une sur l’autre et la compréhension de celle-ci à
travers celle-là. Souvent, la projection part d’un concept bien structuré et
maîtrisé – le concept source – et s’effectue sur une expérience plus floue ou

69
70 Sémiologie et herméneutique

plus abstraite qu’il s’agit de préciser – le concept cible. Par exemple, pour
reprendre une des illustrations favorites de Lakoff et Johnson, le concept de
« discussion », dans notre culture, est souvent conçu par projection d’un
concept que nous comprenons plus aisément, comme le concept de
« combat », parce que nous en avons fait l’expérience très tôt. C’est en tout
cas ce que montrent des expressions courantes comme : « vos affirmations
sont indéfendables », « il a attaqué chaque point faible de son
argumentation », « j’ai démoli son argumentation », etc.
Notons que Lakoff et Johnson ont souligné le caractère partiel de la
projection métaphorique qui met en saillance certains aspects de la chose
conceptualisée tandis qu’elle en efface d’autres. Par exemple, concevoir
métaphoriquement la discussion en termes de conflit implique un effacement
de ses caractères coopératifs.
La langue porte de multiples traces de telles projections métaphoriques. De
nombreux mots transitent d’un domaine à un autre. Tout se passe en fait
comme si la logique digitale imposée par les signifiants discrets de la langue
était continuellement mise en cause par la tendance fondamentale de l’esprit à
établir des analogies et à percevoir des choses à travers d’autres. Mais je laisse
tomber cette question qui nous conduirait trop loin et j’en viens aux images
proprement dites.
De même que pour les images portées par le langage, il s’agit avec les
images (matérielles) métaphoriques de faire comprendre ou plus simplement
percevoir un domaine d’expérience (cible de la projection) dans les termes
d’un autre plus ou moins éloigné (source de la projection). Il existe pour cela
divers procédés graphiques qui consistent tous à créer des analogies entre
domaines.
On peut, sans trop approfondir la question, passer rapidement en revue
certains de ces procédés.
Parmi eux, il y a la simple juxtaposition d’éléments iconiques qui entrent
alors en résonance par certains aspects. Dans la publicité présentant un
hippopotame suivi d’une jeep 4x4 (Figure 3), la ressemblance entre l’animal
et le véhicule – ressemblance accentuée par la composition – induit une
résonance entre ces deux éléments appartenant pourtant à des domaines
étrangers l’un à l’autre, ce qui conduit à les relier et à percevoir le véhicule
comme l’animal, c’est-à-dire à accommoder sur lui de sorte à éprouver un
sentiment de puissance et d’invulnérabilité.

70
Le dispositif cognitif 71

Figure 3

D’autres procédés graphiques de création d’analogies jouent davantage sur


la superposition que sur la juxtaposition. Mettre un élément iconique à la
place d’un autre, et l’inscrire ainsi dans un domaine dont il ne fait pas partie,
constitue un procédé métaphorique très fréquemment utilisé. Dans la publicité
pour la marque de cigarette Kent (Figure 4), par exemple, un paquet de
cigarettes a été placé sur un socle du genre de ceux que l’on peut voir dans les
musées et salles d’exposition, ce qui conduit le spectateur à percevoir le
paquet de cigarettes comme un objet d’art ou un spécimen rare de quelque
chose de remarquable.

Figure 4

71
72 Sémiologie et herméneutique

Figure 5

Une autre forme de superposition induisant une similitude consiste à


combiner les traits d’éléments appartenant à des domaines différents comme
sur la publicité pour l’huile Shell (Figure 5). Le personnage féminin
apparaissant sur cette image présente des traits dont la combinaison relie dans
notre esprit plusieurs domaines normalement séparés : celui des vacances
modernes, celui de la mythologie et des arts sensibles à travers l’attitude de la
femme et certains éléments (le coquillage, l’amphore) qui évoquent
immanquablement La Naissance d’Aphrodite de Boticelli et La Source de
Ingres, celui, enfin, de la technique et de l’automobile, sensible à travers le
bidon d’huile.
Tous ces procédés et d’autres ont été combinés et déclinés de multiples
façons par la publicité. Je ne m’y attarderai pas.
Je voudrais plutôt insister sur le type d’expérience mentale qu’ils
induisent.
Sur le plan psychologique, le travail métaphorique se distingue quelque
peu des associations par contiguïté envisagées précédemment. Dans celles-ci,
un élément iconique fait partie du ou des contextes qu’il évoque. Il n’y a pas
véritablement de séparation entre eux et percevoir l’un entraîne presque
automatiquement la saisie de l’autre. La partie implique le tout qui contient la
partie.
Au contraire, dans une projection métaphorique, les éléments rapprochés
ne font généralement pas partie d’un même domaine et l’on ne peut passer
immédiatement de l’un à l’autre. On peut s’en apercevoir en analysant la
publicité Kent qui conjugue, comme c’est très souvent le cas, association par
contiguïté et projection métaphorique. Par contiguïté, le socle de musée active

72
Le dispositif cognitif 73

naturellement tous les schémas et scénarios en rapport avec ce type de lieu : la


disposition spatiale caractéristique d’oeuvres offertes à l’attention des
visiteurs, les déambulations et attitudes de délectation des visiteurs, leur
silence respectueux, etc. toutes choses qui ne demandent pas plus d’efforts
cognitifs que le simple glissement de la pensée de l’élément visible vers ceux
qui lui sont contextuellement et habituellement liés. Mais le fait que le paquet
de cigarettes Kent soit placé dans ce contexte, qui lui est normalement
étranger, à une place habituellement dévolue à un objet digne de l’occuper –
un objet d’art ou un spécimen rare de quelque chose de remarquable – oblige
l’esprit à ce petit effort supplémentaire consistant à remarquer et à accepter la
superposition des domaines et à accommoder sur le paquet de marque Kent
comme sur un objet d’une dignité bien supérieure à celle qui lui revient
normalement.
Le rapprochement métaphorique de domaines éloignés suppose donc un
effort minimum d’attention consciente. C’est ce qu’avait déjà bien vu le
théoricien du cinéma Christian Metz qui, bien que structuraliste, accordait une
certaine attention aux aspects psychologiques : la métaphore écrivait-il
« mobilise des ressemblances ou des contrastes qui sont beaucoup moins
inscrits dans les glissements “naturels” d’objet à objet, dans les voisinages
préexistants offerts par l’expérience perceptive, des ressemblances ou des
contrastes qu’il faut davantage remarquer, qui font davantage appel à un acte
mental de superposition, de mise en face (confrontement), de recouvrement »
(1977 : 45).
Disons que la métaphore réclame la distanciation nécessaire à la mise en
perspective de la source. Tout se passe comme si, spontanément, l’esprit
cherchait toujours à retrouver l’identique au cours des phases de l’expérience.
Dans la publicité pour la Jeep 4x4, la saisie mimétique de la force de l’animal
est simplement transférée sur le véhicule sans que cela engendre une
connaissance explicite. On peut dire que cette projection met en saillance
certaines qualités techniques de celle-ci, mais il s’agit de qualités davantage
vécues que connues.
Et naturellement, en accord avec cette opération de projection, les schémas
et scénarios possibles évoqués par les deux éléments et présents à l’esprit se
restreignent à ce qui est compatible avec la ressemblance induite. Difficile en
effet de faire rentrer la jeep dans un scénario de construction d’automobile,
par exemple. Seuls sont activés des scénarios de traversées en puissance
d’obstacles naturels : des rivières, des terres accidentées. Les autres contextes
possibles sont considérablement marginalisés.
La ressemblance remarquée et la projection induite ne produisent
finalement des effets que sur le plan mimétique et émotionnel caractéristique
de la perception des images.
Du reste, dans la plupart des cas, la projection est unilatérale. Elle
s’effectue de la source vers la cible et ne revient pas de la cible à la source. Il
n’est pas demandé au spectateur de la publicité pour le véhicule tout-terrain de
percevoir l’hippopotame comme un véhicule de ce type. De même, le

73
74 Sémiologie et herméneutique

spectateur de la publicité Kent n’est pas conduit à percevoir les objets d’art
présentés dans les musées sur le modèle du paquet de cigarettes.
C’est précisément lorsque la projection se fait moins unilatérale, comme
on va le voir, que l’effort cognitif devient plus complexe.

Comparaison, schématisation et intégration


conceptuelle
Au-delà de la métaphore, il est en effet des arrangements iconiques qui
nécessitent un travail cognitif d’un niveau supérieur. C’est le cas lorsque la
projection ne se résout pas en une simple centration sur un élément iconique
cible, lorsque, autrement dit, un va-et-vient d’un élément à l’autre s’impose à
l’attention. Il y a alors comparaison. Ce qui caractérise la comparaison, c’est
la réversibilité de l’opération projective : la projection d’un élément (disons
A) sur un autre (disons B) alterne avec la projection inverse (de B sur A).
Autrement dit, dans la comparaison, les éléments iconiques rapprochés
maintiennent chacun leur existence séparée. L’attention ne peut se fixer sur
l’un deux. Considérant l’un de ces éléments, l’esprit doit rester disponible
pour l’autre. Autrement dit, la participation mimétique sollicitée par chaque
élément doit se combiner avec le détachement et la décentration nécessaires à
la prise en considération de l’autre. Cette distanciation implique un niveau
supérieur de prise de conscience corrélatif d’une mise en perspective
temporelle. Une triade se constitue entre les deux éléments considérés et le
sujet percevant qui reste en contact avec lui-même en ce sens que, à chaque
moment de perception, il doit garder à l’esprit et prendre en considération le
moment précédent de son expérience perceptive. Ce processus mental de
comparaison active peut alors servir de base à certaines opérations mentales
relativement complexes comme l’extraction de schémas ou l’intégration
conceptuelle.
L’extraction de schémas est une opération d’abstraction. Le va-et-vient
entre les éléments iconiques comparés induit l’élaboration d’un schéma
détaché de ces éléments, mais mettant en exergue ce qu’ils ont en commun.

74
Le dispositif cognitif 75

Figure 6

C’est le cas lorsque, à travers les diverses photographies d’un événement


ou d’un objet, on cherche à s’en faire une représentation générale
nécessairement abstraite. Pour ne prendre qu’un exemple simple, les
photographies de familles faisant partie d’une exposition intitulée Mille
familles et offrant au regard de nombreuses photos similaires de familles
prises à travers le monde (Figure 6) engagent l’esprit du spectateur à de
multiples va-et-vient à travers les images et au bout du compte à la formation
(ou modification) d’un schéma général du concept de famille comportant un
noyau très abstrait et de nombreuses spécifications.
Au-delà de la schématisation, il existe des opérations mentales encore un
peu plus complexe, qui conduisent l’image au seuil de la réflexivité propre à
la pensée verbale et que la notion d’intégration conceptuelle, élaborée par
Fauconnier et Turner (1998), permet de formaliser quelque peu. Plutôt que de
faire un exposé abstrait de cette notion compliquée, je vais partir d’un
exemple concret qui, je l’espère, permettra d’en saisir l’intérêt.
Mon exemple est emprunté à la publicité sociale, un genre particulier qui
se démarque sensiblement de la publicité commerciale. Il s’agit d’une affiche
destinée à récolter de l’argent pour l’aide aux pays en développement
(Figure 7).

75
76 Sémiologie et herméneutique

Figure 7

L’image présente deux femmes africaines portant chacune sur la tête un


récipient rempli d’eau. Mais le visage de l’une d’elles est masqué par la
photographie d’une femme européenne qui semble ainsi avoir été mise à sa
place. Le texte surmontant les personnages dit : « Que feriez-vous si on vous
coupait l’eau? »
Il ne s’agit évidemment pas ici d’une simple projection métaphorique. Le
fait qu’un personnage soit mis à la place de l’autre n’a pas pour but de les
fusionner et de nous faire percevoir l’un à travers l’autre. Il s’agit plutôt de
nous faire ressentir un fort contraste entre deux conditions de vie, contraste
mis en évidence sur un fond d’activités partagées. C’est le jeu des schémas
activés dans notre esprit qui induit l’accentuation des différences.
On peut décomposer de la manière suivante les opérations mentales
suscitées par ce montage iconique. On va le voir, ces opérations trouvent
naturellement leur place dans le modèle à quatre espaces mentaux proposé par
Fauconnier et Turner.
Premièrement, la comparaison des deux femmes fait surgir dans notre
esprit un point commun : dans toutes les parties du monde, les ménagères
doivent utiliser de l’eau pour toutes sortes d’activités domestiques. Mais on
voit bien ici que cette abstraction n’est pas le but de la communication. Il
s’agit d’un schéma bien connu qui concerne les activités domestiques, qui fait
partie de notre encyclopédie mentale, et qui est simplement réactivé pour
servir de cadre et d’amorce à une activité imaginative plus complexe. Dans la
terminologie de fauconnier et Turner, on dira qu’il s’agit d’un « espace

76
Le dispositif cognitif 77

générique », c’est-à-dire une représentation mentale contenant ce qu’il y a de


commun entre les deux « espaces initiaux » que constituent les représentations
mentales des deux femmes : la blanche et la noire.
La suite de l’opération se passe dans ce qu’on peut appeler, toujours en
suivant la terminologie de fauconnier et Turner, un « espace d’intégration »,
soit un espace mental où se composent certains éléments pertinents des deux
représentations rapprochées ainsi que des connaissances préalables réactivées
pour la circonstance, et où s’élabore un sens nouveau.
Dans notre exemple, le rapprochement des deux femmes conduit à
accentuer le contraste entre la situation de la femme africaine et celle de la
femme occidentale. Sur fond de l’activité commune qui les relie, une
différence évidente saute aux yeux : une femme occidentale n’a pas à
transporter son eau sur la tête. Cette première différence appelle une
comparaison plus approfondie dans une représentation mentale intégrant
d’autres schémas et scénarios généralement connus et réactivés pour
l’occasion : les Africaines doivent quelquefois parcourir des kilomètres pour
arriver à un point d’eau, les femmes occidentales, au contraire, ont l’eau, et
tout le reste à portée de main dans des cuisines bien équipées, les unes vivent
quelquefois dans des conditions d’extrêmes pauvretés, les autres sont
généralement beaucoup plus riches, etc. Il suit de ce complètement, au
minimum, une accentuation du sentiment de déséquilibre entre le confort des
unes et l’inconfort des autres. Bien d’autres schémas peuvent intervenir dans
l’espace d’intégration, par exemple des schémas relatifs à la problématique
générale du développement, du retard économique, de l’exploitation du tiers-
monde, de l’action des O.N.G., etc., schémas qui peuvent alimenter une
élaboration mentale plus ou moins complexe. Mais cet élargissement possible
des pensées prises en compte dépend de la sensibilisation du spectateur au
problème du développement, de l’importance de ses connaissances préalables,
de sa disponibilité du moment. Autrement dit, dans le cas de cet exemple, la
perception du contraste entre les conditions générales de vie est certainement
voulue et orientée par le concepteur du message – qui sait sur quel fond de
connaissances largement partagées il peut compter –, mais l’étendue du
contexte activé et la profondeur de l’élaboration mentale à laquelle il donne
lieu sont largement à la charge du récepteur.
On voit également que, au-delà de ce minimum en quoi consiste la
perception du contraste, l’intention du concepteur est aussi de nous mettre sur
la voie de solutions susceptibles de réduire le déséquilibre. Faisant suite au
sentiment d’inconfort ressenti à partir de la perception de l’image (et de
l’identification aux personnages), l’énoncé situé sous l’image (« nous
récoltons pour qu’ils sèment ») oriente en effet implicitement la pensée vers
un raisonnement qui, s’il fallait l’expliciter, pourrait se formuler ainsi : « le
contraste rendu manifeste par l’image est insupportable, une aide au tiers-
monde est nécessaire, l’opération 11.11.11 a précisément pour but de fournir
aux habitants du tiers-monde des moyens de se développer eux-mêmes, il est
donc opportun de participer à la “récolte” organisée par cette opération ».

77
78 Sémiologie et herméneutique

Sans doute, peu de spectateurs iront jusqu’à cette forme d’expression


explicite, mais tous (ou presque) pourraient le faire, car dans le contexte du
message global, la phrase énoncée (« nous récoltons pour qu’ils sèment ») la
contient potentiellement. Cette phrase se présente en quelque sorte comme
faisant partie d’un raisonnement que chacun peut poursuivre ou au moins
ébaucher intérieurement.
On peut faire ici quelques remarques à propos du rôle du langage dans un
tel message composite.
Au plan pragmatique, on peut observer que l’énoncé verbal fait surgir un
axe d’énonciation en ce sens qu’il rend manifestes les places d’énonciateur et
de destinataire du message. Les pronoms personnels (vous, nous) et la forme
interrogative rendent sensibles, explicites, les positions et rôles respectifs des
interlocuteurs.
Sur le plan du contenu, l’énoncé verbal a pour fonction d’orienter
l’imagination vers les schémas appropriés (ceux que l’énonciateur souhaite
qu’ils soient activés). Par exemple, le seul mot « eau », dans le contexte de la
scène illustrée par l’image, a manifestement pour effet de mettre au premier
plan cette image bien connue de l’Africaine obligée à de longs déplacements
pour se fournir en eau potable et d’éloigner ou estomper d’autres schémas
possibles.
Enfin, et surtout, du point de vue que j’ai adopté ici, sur le plan cognitif,
l’énoncé verbal a pour effet de porter l’esprit à un niveau de distanciation et
de réflexion consciente où sont possibles des représentations complexes et des
formes logiques de raisonnement comportant des prémisses et des
conclusions. À elle seule, l’image peut difficilement induire ce niveau de prise
de conscience. On voit néanmoins sur l’exemple de ce montage iconique, qui
maintient un écart entre les éléments représentés (la femme noire et la femme
blanche) et oblige à effectuer un travail mental de comparaison, qu’elle peut
engager l’esprit sur la voie de la distanciation et de la réflexivité.

78
Le dispositif cognitif 79

Figure 8

Le schéma représentant l’opération d’intégration conceptuelle (Figure 8),


avec ses quatre espaces mentaux, rend bien compte, comme j’ai tenté de le
montrer, du type d’élaboration mentale suscité par cette sorte de montage
iconique.
Pour Fauconnier et Turner, ce schéma correspond au fonctionnement le
plus général de l’imagination humaine. Pour ma part, je crois qu’il vaut
surtout pour la pensée verbalisée. Du reste, les exemples travaillés par ces
auteurs concernent surtout des rapprochements conceptuels effectués dans le
discours. Mais le fait qu’il soit applicable à certains montages iconiques
montre que l’image peut induire distanciation et élaboration mentale réflexive.
Je ne puis généraliser mon propos, car il est de nombreuses sortes
d’images et de montages iconiques et je me garderai bien d’affirmer que les
opérations mentales que j’ai envisagées à partir d’exemples simples couvrent
l’ensemble des cas que l’on peut rencontrer dans l’univers médiatique.
Je voulais surtout défendre une approche de l’image qui ne se limite pas à
la seule question de la signification, une approche qui tienne compte des
aspects psychologiques de la réception des images, du travail cognitif
effectué, bien sûr, mais aussi du degré de distanciation et de réflexivité
impliqué par ce travail. Dans cette perspective, les différents types
d’élaboration mentale que j’ai envisagés correspondent à autant de degré de
complexité et surtout de réflexivité. Sur fond de mimétisme corporel, l’image,
à travers les différents types de rapprochements qu’elle propose – associations
métonymiques, projections métaphoriques, comparaisons –, peut induire des

79
80 Sémiologie et herméneutique

décrochages ou des mises à distance autorisant des opérations mentales de


complexité croissante.
La question de la réflexivité, j’y reviens encore, me paraît essentielle
lorsqu’il s’agit d’aborder les questions complexes du rôle des images dans la
culture et l’éducation.
J’aimerais d’ailleurs terminer en évoquant quelque peu ces questions.
Il existe actuellement, dans la culture médiatique moderne, une tendance
lourde au « tout image ». Nous sommes continuellement immergés dans un
flot d’images où ce qui prévaut, c’est le vécu, le direct, l’émotion, le gros plan
sur l’événement, les images de la vie intime, etc.
Les technologies modernes de communication ne sont évidemment pas
étrangères à cette déferlante d’images : la photographie, puis le cinéma, la
télévision et maintenant les nouveaux médias, nous ont sensiblement éloignés
de l’ordre logicolangagier porté par la culture du livre. Comme l’écrit Daniel
Bougnoux dans un beau livre intitulé « La crise de la représentation » : « Les
propositions des toujours nouvelles technologies, qui culminent aujourd’hui
dans le multimédia, constituent autant de tentatives pour immerger – maître
mot des nouveaux spectacles – le message textuel et la culture typographique
dans un flot d’images, de musique, de paroles et de relations » (2006 : 74).
Il s’ensuit un affaiblissement de nos capacités de distanciation et de
réflexion. Mais ce n’est pas tant l’image elle-même qui est en cause que
l’usage qui en est fait dans certains genres médiatiques majeurs.
La publicité, qui envahit nos vies et dont le but est de stimuler les désirs
des consommateurs n’a de cesse de nourrir des identifications aveugles à des
personnages et à infiltrer les corps, à les mouler sur des matrices
comportementales stéréotypées, érotiques ou féminines ou machistes. La
publicité utilise abondamment la métaphore, mais seulement à des fins de
séduction.
C’est à peu près de la même façon que la propagande politique veut agir
sur nos corps. À travers les images des hommes et femmes politiques, elle
s’adresse moins à l’homme de raison qu’à la foule sentimentale, à l’homme
primaire enclin aux contagions mimétiques et aux grandes identifications
collectives de la psychologie des masses.
Pressée par la concurrence, l’information elle-même procède de plus en
plus par immersion dans le vécu des documents authentiques. Or, se limiter à
vivre les choses et les événements, c’est d’une certaine façon renoncer à les
connaître.
Je ne voudrais pas tomber dans la tarte à la crème des critiques faciles du
spectacle médiatique, qui nous apporte par ailleurs de nombreuses ouvertures
sur le réel. Je ne fais que souligner un penchant à favoriser l’immersion
aveugle plutôt que la distanciation réfléchissante.
La question se pose alors de savoir comment inverser ce penchant.
Cette question concerne à la production médiatique et l’éducation aux
médias.
Sur le plan de l’éducation aux médias, il me semble nécessaire
d’abandonner les métaphores qui assimilent un peu trop vite l’image au

80
Le dispositif cognitif 81

langage et négligent sa spécificité mimétique. L’image n’est pas un langage


au sens linguistique du terme, elle n’a pas de grammaire et se tient très
éloignée de l’ordre logicolangagier, même si elle le nourrit à la base. Il faut
faire prendre conscience aux enfants des effets mimétiques de l’image. Ce
serait déjà leur permettre de se dégager de leur emprise.
Sur le plan de la production médiatique, il me semble urgent de rompre
avec le dogme de l’émotion et le modèle publicitaire participatif et de
favoriser – dans les documentaires, reportages, expositions… – les dispositifs
iconiques capables, au-delà de la participation empathique et émotive au
spectacle, d’induire des opérations mentales de comparaison, schématisation,
intégration qui sont le ressort de l’imagination et de la réflexion

81
82 Sémiologie et herméneutique

82
Le dispositif cognitif 83

Analyse des éléments de narratologie

Les différents types de message

Récit et narration

Toute œuvre d'imagination relève à la fois du récit et de la narration. Un


récit est la représentation d'un événement. Deux aspects apparaissent au
niveau de cette définition :

 D'une part, pour qu'il y ait récit, il faut que l'événement soit représenté,
rapporté, raconté par quelqu'un. C'est la dimension dialogique du récit,
celle de la persuasion, de la séduction.
 D'autre part, il faut qu'il y ait un événement. C'est-à-dire une
transformation : le passage d'un état S à un état S'.

Un récit évoque ainsi la transformation d'une situation initiale associée au


phénomène de succession et de mise en intrigue. Il est donc toujours une mise
en narration.

La narration est un mode de communication. Il y a une mise en récit


engendrant une confrontation de la communication (message) et de la fiction
(mise en forme du message). Il y a une interaction entre le code narratif et
l'information. À ce titre, les bandes dessinées sont des narrations. En chacune
se développe de manière particulière une interaction entre le code narratif et
l'information. Notons, par ailleurs, que toute représentation est fictive. On
distinguera cependant :

 les récits factuels, basés sur des événements réels,


 des récits fictionnels, basés sur des événements non réels, imaginaires.

83
84 Sémiologie et herméneutique

Toute fiction, même basée sur des événements réels, n'est jamais qu'une
adaptation, qu'une transformation des événements. Nous établirons une
distinction entre :

 la réalité fictionnalisante : une réalité si belle qu'elle semble être une


fiction,
 et la fiction réaliste : une fiction qui se veut crédible.

Les petits mondes narratifs (ECO, 1992b : 212-234)

Plusieurs théories de la narrativité évoquent la notion de monde possible


comme un espace de situation où les actions réelles sont déterminées selon les
espérances et croyances issues de l'imaginaire. Selon la théorie des modèles,
nous devons considérer des interactions entre différents mondes possibles,
mondes que nous devons voir comme des ensembles vides d'individus. Ces
mondes vides seront opposés aux mondes traités par les théories de la
narrativité dits mondes meublés, qui contiennent alors des acteurs. Pour mieux
distinguer la notion de mondes possibles évoquée par ces deux théories, nous
dirons que la théorie de la narrativité qui nous intéresse ici définit un monde
possible comme étant d'une part meublé d'individus dotés de propriétés, régis
par des lois et pouvant apparaître, disparaître et entrer en relation au fil du
temps ; et d'autre part comme étant défini par une série d'expressions
linguistiques à interpréter par le lecteur théorique, que nous appellerons
lecteur modèle.

« Le lecteur Modèle n'a pas à se représenter tous les lieux et les individus mentionnés par
le roman. Il suffit qu'il fasse semblant de croire les connaître. Au Lecteur Modèle, on ne
demande pas seulement de faire preuve d'une flexibilité et d'une superficialité énormes, on
requiert aussi de lui une immense bonne volonté. » (ECO, 1992b : 234)

Il faut considérer un monde possible comme une construction culturelle


issue de l'interprétation du lecteur. Par contre, toute construction culturelle
n'est pas d'office un monde possible. De même, la métaphore ne peut être
rattachée au monde possible. Pour que des mondes possibles communiquent,
il est nécessaire qu'ils partagent des propriétés compatibles. Un personnage se
situe dans un monde possible grâce aux propriétés qu'il possède en ce monde
et à ces relations impossibles avec le monde réel qui le situent au mieux dans
un imaginaire précis. Vis-à-vis du monde réel, les mondes narratifs sont plus
petits et apparaissent comme un état des choses où les relations d'implication
sont limitées. De plus, toute propriété du monde narratif non clairement
précisée sera remplacée dans notre interprétation par la propriété que nous
connaissons dans notre monde réel. On peut également distinguer des mondes
vraisemblables, invraisemblables (un monde où les animaux parlent) ou

84
Le dispositif cognitif 85

encore inconcevables (un monde où les cercles sont carrés). Ces derniers sont
définis comme des mondes possibles impossibles, car ils en demandent trop à
notre imagination par rapport à nos références. Ceci peut être contré grâce à
des artifices linguistiques qui rendent des mondes impossibles
« concevables » à travers la coopération de l'imaginaire du lecteur. La
coopération du lecteur est demandée de manière vague, mais suffisante. On
lui demande de ne pas trop se poser de questions pour qu'il puisse profiter du
récit. On lui demande donc juste de construire dans son interprétation des
petits mondes narratifs.

Modèle aristotélicien, catharsis et fabula

Aristote parle de l'imitation d'une action, c'est-à-dire d'une séquence


d'événements, réalisée en construisant une fabula, c'est-à-dire une histoire,
une séquence d'actions. Par rapport à cette séquence, la définition des
caractères (la psychologie) et le discours (le style, l'écriture, la surface
signifiante) sont accessoires. La recette aristotélicienne est simple : prenez un
personnage auquel le lecteur puisse s'identifier et faites-lui vivre des aventures
qui l'amènent à passer du bonheur au malheur ou vice versa, à travers diverses
péripéties. Tendez au maximum l'arc narratif, afin que lecteurs ou spectateurs
éprouvent pitié et terreur à la fois. Quand la tension atteint son maximum,
faites enter un élément qui vienne démêler le nœud inextricable des faits et
des passions en résultant. Il faudra que cela donne lieu à une catharsis dont on
ne sait clairement si, chez Aristote, il s'agit d'une purification de l'histoire elle-
même ou d'une purification de l'auditoire (ECO, 1993 : 14). Il existe dès lors
deux interprétations possibles du modèle aristotélicien. Pour la première, la
catharsis démêle le nœud de l'histoire, mais ne réconcilie pas le spectateur
avec lui-même : au contraire, c'est précisément le dénouement de l'histoire qui
le trouble. Cela se produit, car la séquence factuelle s'est enchevêtrée aux
dimensions psychologique et idéologique à travers la fonction du discours,
qui, au lieu de démêler les nœuds, les complique et les rend lourds
d'interprétations contradictoires. Pour la seconde incarnation du modèle
aristotélicien, l'histoire, en résolvant ses propres nœuds, se console et nous
console. La fin est point pour point celle que l'on attendait. Le choix entre ces
deux interprétations marque la différence entre narrativité « problématique »
et roman « populaire ».

85
86 Sémiologie et herméneutique

Roman problématique et roman populaire

Il existe une constante permettant de distinguer le roman populaire du


roman problématique : dans le premier, il y aura toujours une lutte du bien
contre le mal qui se déroulera souvent en faveur du bien, le mal continuant à
être défini en termes de moralité de valeurs, d'idéologie courante. Le roman
problématique propose au contraire des fins ambiguës qui mettent en question
la notion acquise du bien (ECO, 1993 : 19)
En choisissant la première solution, le roman populaire met en œuvre de
nombreux artifices. Il construit une combinatoire de lieux topiques articulés
entre eux selon une tradition tenant de l’ancestral (Propp) et du spécifique
(Gramsci). Il jouera sur des caractères préfabriqués, d’autant plus acceptables
et appréciés qu’ils sont connus, et en tout cas vierges de toute pénétration
psychologique, à l’instar des personnages des fables. Quant au style, il usera
de solutions préconstituées, offrant au lecteur les joies de la reconnaissance du
déjà vu. Puis il jouera d’itérations continuelles, afin de procurer au public le
plaisir régressif du retour à l’attendu. Ce faisant, il libérera un tel bonheur,
sinon inventif du moins combinatoire, qu’il proposera une jouissance non
négligeable. La bande dessinée représente à cet égard la fabula à l’état pur et
libre de tensions problématiques. Il faut reconnaître que la joie de la
consolation répond à des exigences profondes, sinon de notre esprit du moins
de notre système nerveux (ECO, 1993 : 16-18).

Diègèsis et mimèsis (GAUDREAULT, 1988 : 70)

Concernant les œuvres d’imagination, il y a lieu de distinguer la mimèsis


de la diègèsis :

* La mimèsis est une représentation générale poétique (tout est


représentation).
* La diègèsis représente la sphère générale du récit (narration).

L'adjectif « mimétique » suppose, dans ce contexte, que l'imitation s'opère


de manière immédiate, sans intervention apparente du narrateur.

La diègèsis peut se subdiviser en trois catégories :

1. la diègèsis non mimétique (c'est le cas des romans, dans la mesure où


la médiation s'opère de manière quasi constante par le biais du
narrateur) ;

86
Le dispositif cognitif 87

2. la diègèsis mixte (c'est le cas souvent de la bande dessinée, où


l'intervention du narrateur s'opère sous forme de « récitatifs ») ;
3. la diègèsis mimétique (c'est le cas de la plupart des films, car l'imitation
s'opère sans médiation, sans narrateur manifeste, à l'exception de
quelques phrases prononcées en voix off).

Cela nous donne finalement le tableau suivant :

Mimèsis
Représentation poétique

Diègèsis
Récit

1. diègèsis non mimétique 1. diègèsis mimétique


2. haplè diègèsis 2. mimèsis
3. diègèsis aneu mimèseôs 3. diègèsis dia mimèseôs
4. récit sans imitation-personnification 4. récit au moyen de l'imitation-
personnification
5. le poète demeure toujours le NARRATEUR 5. le poète s'exprime par le truchement des
personnages
6. dithyrambe 6. tragédie et comédie

1. combinaison de diègèsis non mimétique et de diègèsis mimétique


2. haplè diègèsis + mimèsis
3. diègèsis di amphoterôn
4. récit ayant recours aux deux formes
5. alternance : le poète a recours tantôt à un narrateur, tantôt à des personnages
6. épopée

Légende :
En 1, nouvelle appellation française proposée des catégories platoniciennes ;
En 2 et en 3, appellation platonicienne textuelle de ces catégories ;
En 4, traduction presque littérale de 3 ;
En 5, définition du mode tel que le présente Aristote ;
En 6, genre concerné dans la pratique artistique.

87
88 Sémiologie et herméneutique

Histoire et Discours

Benveniste distingue Histoire et Discours :

1° L’histoire est le récit pauvre en indication sur les interlocuteurs. Le


narrateur disparaît et les événements semblent se raconter eux-mêmes ;
2° Le discours est le récit riche en indications sur les interlocuteurs. Le
narrateur apparaît clairement et il raconte les événements
(BENVENISTE, 1966 : 254).

Comme toute énonciation suppose un locuteur et un auditeur, il y a une


intention de la part du premier d'influencer l'autre. Ainsi, les messages, au
niveau de l'histoire, fonctionnent essentiellement à l'adhésion, à la
participation, et à l'identification. Il n'y a pas de rupture diégétique15. Il y a
simplement une absence de recul par rapport au message et il n'y a aucune
adresse.
Or, dans la langue, il existe des indicateurs (symboles-index) de personne,
comme les pronoms personnels ou les démonstratifs, qui servent à ancrer un
énoncé dans une situation de discours. Ces symboles-index transforment la
langue en discours. Ils entretiennent une relation existentielle avec ce qu'ils
désignent (relation existentielle entre l'objet « je » et le sujet énonciateur).
Pour Benveniste, ces symboles-index sont des signes vides qui deviennent
« pleins » dès qu'un locuteur les assume. La linguistique retient l'empreinte du
procès d'énonciation dans l'énoncé. Leur fonction est d'exprimer dans
l'énoncé le procès de l'énonciation (BENVENISTE, 1966 : 254). L'usage des
pronoms personnels indique la manière dont les sujets communicants
s'impliquent dans la relation, la façon dont ils structurent leur relation en se
positionnant réciproquement, se considérant mutuellement comme personne et
non-personne, se réunissant ou se disjoignant en s'opposant.

Récit scriptural et récit scénique

Le récit scriptural est lié au digital. On n'imite rien, on crée autre chose. Il
est possible de réaliser un effet d'imitation (par exemple, en utilisant l'un ou
l'autre signe pour rendre compte d'une conversation : " : “... "), mais il s'agit
alors d'un simulacre et non d'un acte mimétique. Il existe deux types de
simulacre :

15
Diègèsis = sphère générale du récit. Il n'y a pas de rupture diégétique = il n'y a pas de
rupture au niveau du récit, puisque le narrateur demeure caché.

88
Le dispositif cognitif 89

1. Le « telling » : L'auteur reste omniprésent comme narrateur.


2. Le « showing » : L’auteur disparaît derrière les mots et les images afin
de renforcer l'effet mimétique.

La bande dessinée est un mélange d'images et de textes. Elle tient à la fois


du récit scriptural et du récit scénique. Dans le domaine scriptural, à
l'exception des récitatifs, une bande dessinée tient davantage du « showing ».

narration scripturale monstration scénique


telling diègèsis non mimétique
showing diègèsis mimétique
(GAUDREAULT, 1988 : 93)

Le récit scénique est lié à l’analogique. Il s'agit d'un acte mimétique. Nulle
trace du narrateur et nul simulacre analogique.

Les différents types de message

Si nous prenons une œuvre telle que La Lettre écarlate d’Hawthorne et ses
adaptations cinématographiques (La lettre écarlate de Wim Wenders) et en
bande dessinée (Un Été indien de Pratt et Manara), nous obtenons au niveau
des différents types de message le tableau suivant :

Le roman d’Hawthorne La BD de Pratt et Manara Le film de Wenders


Diègèsis non mimétique Diègèsis mixte Diègèsis mimétique
Monde raconté Monde raconté et dessiné Instance racontante
Roman problématique BD problématique Film problématique
Discours (prologue) Histoire Histoire
Histoire Discours (épilogue)
Narration Narration et monstration Monstration
Récit scriptural Récit scriptovisuel Récit scénique

89
90 Sémiologie et herméneutique

Temps et récit

Les trois rapports mimétiques au temps

Pour Paul Ricœur, l'innovation sémantique du récit consiste dans


l'invention d'une intrigue : des buts, des causes, des hasards sont rassemblés
dans l'unité temporelle d'une action totale et complète. La question posée par
ce travail de composition narrative est celui des rapports entre le temps du
récit et celui de la vie et de l'action affective (RICOEUR, 1983 : 9-14). Pour le
philosophe français, le récit comporte trois rapports « mimétiques » au temps
agi et vécu, au temps propre de la mise en intrigue et au temps de la lecture ou
de la vision (RICOEUR, 1983 : 105-169) :

1. La préfiguration (mimèsis I) : on part de la vie, du vécu, du réel, dont


on prélève un morceau, afin de le configurer ;
2. La configuration (mimèsis II) : il y a un travail de médiation de la part
de celui qui raconte. C'est la mise en récit ;
3. La refiguration (mimèsis III) : c'est la réception et l'impact dans le
vécu du spectateur.

Paul Ricœur tient pour acquis que mimèsis II constitue le pivot de


l'analyse ; par sa fonction de coupure, elle ouvre le monde de la composition
poétique et institue la littérarité de l'œuvre.

« Le sens même de l'opération de configuration constitutive de la mise en intrigue résulte


de sa position intermédiaire entre les deux opérations que j'appelle mimèsis I et mimèsis III
et qui constitue l'amont et l'aval de mimèsis II. » (RICOEUR, 1983 : 106)

Mimèsis II tire son intelligibilité de sa faculté de médiation, qui est de


conduire de l'amont à l'aval du texte, de transfigurer l'amont en aval par son
pouvoir de configuration. Pour Ricœur, une science du texte peut s'établir sur
la seule abstraction de mimèsis II et peut ne considérer que les lois internes de
l'œuvre, sans égard pour l'amont et l'aval du texte. C'est, en revanche, la tâche
de l'herméneutique de reconstruire l'ensemble des opérations par lesquelles
une œuvre s'enlève sur le fond opaque du vivre, de l'agir et du souffrir, pour
être donnée par un auteur à un lecteur qui la reçoit et ainsi change son agir.

« Pour une sémiotique, le seul concept opératoire reste celui du texte littéraire. Une
herméneutique, en revanche, est soucieuse de reconstruire l'arc entier des opérations par
lesquelles l'expérience pratique se donne des œuvres, des auteurs et des lecteurs. Elle ne se

90
Le dispositif cognitif 91

borne pas à placer mimèsis II entre mimèsis I et mimèsis III. Elle veut caractériser
mimèsis II par sa fonction de médiation. » (RICOEUR, 1983 : 107)

Corrélativement, le lecteur (ou le spectateur) est l'opérateur qui assume par


l'action de lire (ou de visualiser) l'unité du parcours de mimèsis I à mimèsis III
à travers mimèsis II.

La double temporalité au niveau du récit


(GAUDREAULT & JOST, 1990 : 101-126)

Pour nous faire connaître un événement diégétique16, le narrateur n'est pas


obligé de respecter la temporalité diégétique. Son récit a donc une temporalité
distincte de celle de l'histoire. Pour Gérard Genette, tout récit met en place
deux temporalités :

1. Celle de l'acte de raconter ;


2. Celle de la diégèse (celle des événements racontés, celle de la fiction)17.

Ces deux axes s'articulent en fonction de trois niveaux :

1. L’ordre : étudier l'ordre temporel, c'est comparer l'ordre que les


événements sont censés avoir dans le monde postulé par la diégèse à
celui dans lequel ils apparaissent au sein même du récit ;
2. La durée : étudier la durée, c'est comparer la durée de la narration
(temps nécessaire pour raconter l'histoire) et la durée de l'histoire
racontée (temps au niveau de la diégèse) ;
3. La fréquence : étudier la fréquence, c'est comparer le nombre de fois
qu'un événement est évoqué par le récit au nombre de fois qu'il est
supposé survenir dans le récit (dans la diégèse).

16
Un événement diégétique = un événement qui relève de l'univers construit par la fiction.
17
Le temps diégétique = le temps de l'action montrée, le temps du signifié, le temps de
l'histoire ou du raconté. Ce temps s'oppose à celui de la lecture ou de la projection qui est le
temps du signifiant. L'histoire racontée peut se dérouler sur trente ans (temps diégétique) et
être projetée en un film de deux heures (temps de l'acte de raconter).

91
92 Sémiologie et herméneutique

L'ordre

Dans une œuvre, il existe un écoulement du temps que nous figurons par
un déplacement, de gauche à droite :

(1) Souvenir
« Quelquefois
“les jours de pluie” il se rappelait »

A O B
Origine du récit premier
« devoir un jour »
(2) Retour au point de départ
« Mais il se
les rappelait »
« La mélancolie
qu’il pensait alors
Deuxième évocation
du souvenir (3)
(4) vers un avenir hypothétique
(GAUDREAULT & JOST, 1990 : 105)

Ainsi, une simple phrase de Proust18 est susceptible de nous faire bouger
sur l'axe du temps. Les propositions (1) et (3) sont des retours en arrière. Elles
évoquent un événement ou un sentiment intervenu auparavant dans la diégèse.
La proposition (4) est un saut en avant. Elle nous transporte au-delà et fait
allusion à un état situé dans un futur indéterminé.

Le récit premier est l'écoulement du temps au niveau de l'œuvre. Diverses


anachronies (changements de temps) surviennent :

1° Les retours en arrière ou ANALEPSES : ce sont des évocations a


posteriori d'un événement antérieur. Il existe trois types d'analepse :

1. L'analepse externe qui se situe en deçà du point de départ de


l'histoire ;
2. L'analepse interne qui se situe dans une portion de temps déjà
parcourue par le récit premier ;

18
"Quelquefois, passant devant l’hôtel [0], il se rappelait [1] les jours de pluie où il emmenait
jusque-là sa bonne en pèlerinage. [2] Mais il se les rappelait sans [3] la mélancolie qu'il
pensait alors [4] devoir goûter un jour dans le sentiment de ne plus l'aimer." (PROUST cité
par GAUDREAULT & JOST, 1990, 105)

92
Le dispositif cognitif 93

3. L'analepse mixte dont le début se situe en deçà du point de départ


de l'histoire et dont la fin se situe dans le récit premier (d'où
l'analepse mixte est externe par son début et interne par sa fin).

Les analepses peuvent s'opérer :

1. Par le biais des mots qui nous permettent de comprendre le retour en


arrière, sa portée et son amplitude ;
2. Par le biais d'un regard dans le vide combiné à un fondu au noir ou une
surimpression ;
3. Par la voix off qui permet de dater et de mesurer les analepses ;
4. Par le flash-back qui combine généralement un retour en arrière de
manière verbale à une représentation visuelle des événements qui nous
sont racontés par un narrateur. La forme la plus courante du flash-back
se présente comme suit :

4.1. Passage du passé linguistique au présent de l'image ;


4.2. Différence d'aspect entre le personnage narrateur et sa
représentation visuelle ;
4.3. Modification de l'ambiance sonore ;
4.4. Transposition du style indirect (récit verbal) en style direct
(dialogues).

Le récit peut mélanger les deux temporalités diégétiques au niveau du


cinéma et non au niveau du roman. C'est entre autres le cas pour
l'adaptation cinématographique du roman de Marguerite Duras
Hiroshima, mon amour par Alain Resnais. Le son est lié au présent et
les images évoquent le passé. Notons également qu'au cinéma, les
analepses internes visualisées sont moins répandues que les analepses
externes ou mixtes et servent à réintégrer ou à compléter une scène déjà
vue. La bande dessinée, comme le cinéma, peut jouer sur les deux
plans. En général, les analepses permettent :

1. de compléter un manque ou une omission ;


2. de suspendre ou de retarder l'accomplissement des événements.

2° Les sauts en avant ou PROLEPSES : ce sont des évocations a priori


d'événements postérieurs. Il existe deux types de prolepse :

1. la prolepse externe nous projette en dehors de l'axe temporel qui


sera celui parcouru par le récit premier ;
2. la prolepse interne nous parle par avance de ce qui sera raconté plus
tard.

La prolepse peut s'opérer :

93
94 Sémiologie et herméneutique

1. par les mots (temps futurs et dates) qui permettent de comprendre le


saut en avant, sa portée et son amplitude ;
2. par les flashs-forwards qui sont toujours des prolepses internes.

Les prolepses ont pour fonction d'annoncer un événement de façon plus ou


moins explicite et servent à accrocher la curiosité du lecteur ou du
spectateur (en soulevant une interrogation sur le comment ou sur le
pourquoi). Elles gardent très souvent une dimension « médiatique » liée au
sixième sens d'un personnage. Au contraire du roman, le cinéma articule
plusieurs « langages de manifestation » qui sont décuplés par la pluralité
des matières de l'expression. De sorte que la simultanéité d'actions
diégétiques est intimement liée à la successivité.
Diachronie (succession) et synchronie (simultanéité) sont liées en bande
dessinée, soit par :

1. La coprésence des actions simultanées dans une même vignette, qui est
relativement fréquente dans l'œuvre de Franc ou de F'Mur. Autre
exemple : PRATT & MANARA, 1987 : 132, v. 1 ;
2. La coprésence des actions simultanées dans une vignette subdivisée en
deux (par exemple, lorsque deux personnages se téléphonent) ;
3. La succession des actions simultanées (PRATT & MANARA, 1987 :
52-54) ;
4. Le montage alterné. Par exemple, Phillis court, Eliath râle et le
capitaine regarde et tire. Les scènes sont présentées de manière alternée
(PRATT & MANARA, 1987 : 136-137). Chevauchement temporel,
montage répétitif, raccord de continuité et ellipse sont permis.

La durée

Si les temps de lecture d'un roman ou d'une bande dessinée sont aléatoires,
celui de la vision d'un film en salle est fixe et quantifiable. Le temps de
projection peut être comparé au temps diégétique. Il existe, pour Gérard
Genette, quatre principaux rythmes narratifs :

1. La pause : aucune durée diégétique ne correspond à une durée déterminée


du récit. C'est le cas pour la description ou le mouvement de caméra
purement descriptif (sans action).

TR = n, TH = 0 => TR > TH
TR = temps du récit
TH = Temps de l'histoire
Par exemple, le film Orphée de Jean Cocteau : l'horloge sonne six heures
et l'on voit un facteur glisser une enveloppe dans la boîte aux lettres au
moment où le poète franchit le miroir. À son retour, on entend les six
coups et le facteur termine son geste.

94
Le dispositif cognitif 95

2. La scène : la durée diégétique est identique à la durée narrative. Par


exemple, la scène dialoguée d'un roman ou le plan au cinéma.

TR = TH

Par exemple, dans Le Train sifflera trois fois de Fred Zinneman, l'heure
pendant laquelle le shérif attend le train nous est racontée en une heure.

3. Le sommaire : sert à résumer un temps diégétique supposé plus long. Par


exemple, séquence par épisodes ou montage syncopé.

TR < TH

Au cinéma, c'est le cas le plus courant. On raconte toute une vie en deux
heures.

4. L'ellipse : correspond à un silence narratif sur certains événements de la


diégèse. Il y a suppression entre deux séquences.

TR = 0, TH = n => TR<TH

En bande dessinée, c'est le cas du dessin unique ; au cinéma, ce cas n'existe


pas. Si la durée d'un film était nulle, il n'y aurait pas de film, mais une
simple photographie.

5. La dilatation : parties de récit où l'œuvre présente chacune des


composantes de l'action dans son déroulement vectoriel, mais en émaillant
son texte narratif de segments descriptifs ou commentatifs ayant pour effet
d'allonger indéfiniment le temps du récit.

TR>TH

Par exemple, La Paloma ou le temps d'un regard de Daniel Schmid, dont


le film raconte ce qui passe dans la tête d'un homme le temps d'un regard
échangé avec une femme.

La fréquence

La fréquence est le rapport entre le nombre de fois que tel ou tel


événement se trouve évoqué par le récit et le nombre de fois qu'il est supposé
survenir dans la diégèse (GAUDREAULT & JOST, 1990 : 121). Genette relève
quatre configurations :

95
96 Sémiologie et herméneutique

1. Le récit singulatif : un récit pour une histoire. La singularité de l'énoncé


narratif répond à la singularité de l'événement narré. Le récit raconte une
fois ce qui s'est passé une fois dans la diégèse (GENETTE, 1972 : 146)
(METZ, 1968 : 53) ;

2. Le récit répétitif : n récits pour une histoire (GENETTE, 1972 : 147). Le


récit raconte plusieurs fois ce qui s'est passé une fois dans la diégèse afin
d'exprimer :

2.1. Un souvenir qui se précise (la scène de la pendaison dans Il était une
fois dans l'Ouest de Sergio Leone) ;
2.2. Une obsession (la scène de la sortie de l'eau dans Je t'aime, je t'aime
d'Alain Resnais) ;
2.3. Une différence de point de vue (La Comtesse aux pieds nus de Joseph
Mankiewicz ou Rashomon d'Akira Kurosawa) ;
2.4. Une logique purement musicale (L'Immortelle d'Alain Robbe-Grillet).

3. Le récit itératif : un récit pour n histoires (GENETTE, 1972 : 148). Il s'agit


de montrer en une seule action plusieurs actions similaires. Ce type de récit
sert à exprimer la routine, grâce :

3.1. À l'imparfait ;
3.2. Au jeu mécanique, automatique de l'acteur ;
3.3. Au dialogue banal (par exemple, le dialogue de François (Jean Gabin)
et de sa concierge dans Le Jour se lève de Marcel Carné : « Alors,
Monsieur François, ça va-t-y comme vous voulez ? » « Ça va ! Et
puis quand ça va pas, on fait aller ! ») ;
3.4. Au montage (les plans alignent, dans un ordre plus logique que
chronologique, diverses saynètes de la vie) ;
3.5. Les raccords à l'aide des mots ou sur les mouvements effectués par
des personnes différentes.

La fréquence au cinéma ou en bande dessinée est plus complexe et plus


libre que dans le roman. Un événement peut être raconté plusieurs fois tantôt
par des mots, tantôt par des images.

Le genre attribué à l'œuvre

Les écoles

Il est possible de classer les différentes œuvres dans des styles, des écoles
et des courants de pensée, en fonction de critères temporels (liés à l'histoire et
aux modes), spatiaux (liés à la zone géographique), formels et
psychologiques. Ainsi, dans le cinéma, les films peuvent être classés par

96
Le dispositif cognitif 97

écoles, mouvements, styles, traitements cinématographiques, ou plus


généralement par courants cinématographiques. Si on tient compte de
l’origine géographique, on peut ainsi classer les films selon les courants
suivants :

Amérique Europe & Asie


 Thriller  L'expressionnisme allemand
 Comédie musicale  Dogme95
 Film noir  Téléphones blancs
 Cinéma direct  Free cinema
 Cinéma underground  Néoréalisme
 Nouvelle vague
 autres

Si on prend des critères non géographiques, il est possible de parler de


courants tels que la non-narration ou l’Oucipo (Ouvroir de cinéma potentiel).

Il est également possible d’évoquer des écoles en fonction des lignes de


fuite ou flux générés. Ainsi, Gilles Deleuze distingue le cinéma-temps et le
cinéma-mouvement. Il s’agit d’un essai de classification des images et des
signes tels qu’ils apparaissent au cinéma. Deleuze considère un premier type
d’image, l’image-mouvement, avec ses variétés principales, image-
perception, image-affection, image-action, et les signes (non linguistiques)
qui les caractérisent. Tantôt la lumière entre en lutte avec les ténèbres, tantôt
elle développe son rapport avec le blanc. Les qualités et les puissances tantôt
s’expriment sur des visages, tantôt s’exposent dans des « espaces
quelconques », tantôt révèlent des mondes originaires, tantôt s’actualisent
dans des milieux supposés réels. Les grands auteurs de cinéma inventent et
composent des images et des signes, chacun à sa manière. Ils ne sont pas
seulement comparables à des peintres, des architectes, des musiciens, mais à
des penseurs. Il ne suffit pas de se plaindre ou de se féliciter de l’invasion de
la pensée par l’audiovisuel ; il faut montrer comment la pensée opère avec les
signes optiques et sonores de l’image-mouvement, et aussi d’une image-temps
plus profonde, pour produire parfois de grandes œuvres.
Comment l’image-temps surgit-elle ? Sans doute avec la mutation du
cinéma, après la guerre, quand les situations sensori-motrices font place à des
situations optiques et sonores pures (néo-réalisme). Mais la mutation était
préparée depuis longtemps, sous des modes très divers (Ozu, mais aussi
Mankiewicz ou, même la comédie musicale).
L’image-temps ne supprime pas l’image-mouvement, elle renverse le
rapport de subordination. Au lieu que le temps soit le nombre ou la mesure du
mouvement, c’est-à-dire une représentation indirecte, le mouvement n’est plus
que la conséquence d’une présentation directe du temps : par là même un faux
mouvement, un faux raccord. Le faux raccord est un exemple de « coupure

97
98 Sémiologie et herméneutique

irrationnelle ». Et, tandis que le cinéma du mouvement opère des


enchaînements d’images par coupures rationnelles, le cinéma du temps
procède à des réenchaînements sur coupure irrationnelle (notamment entre
l’image sonore et l’image visuelle).
C’est une erreur de dire que l’image cinématographique est forcément au
présent. L’image-temps directe n’est pas au présent, pas plus qu’elle n’est
souvenir. Elle rompt avec la succession empirique, et avec la mémoire
psychologique, pour s’élever à un ordre ou à une série du temps (Welles,
Resnais, Godard ...). Ces signes de temps sont inséparables de signes de
pensée, et de signes de paroles. Deleuze se pose ainsi la question du
« comment ? » Comment la pensée se présente-t-elle au cinéma, et quels sont
les actes de parole spécifiquement cinématographiques ? (DELEUZE, 1983 et
1985)

De multiples genres existent également en bande dessinée. D’un point de


vue géographique, le 9e art englobe essentiellement la BD franco-belge, le
comics (terme utilisé aux États-Unis où les premières bandes dessinées étaient
pour l’essentiel comiques, à l’instar de Calvin et Hobbes). Les fumetti (les
bandes dessinées italiennes, de « fumetti » qui signifie « petites fumées », en
référence à l'aspect des bulles servant à faire parler les personnages), le
manga (les bandes dessinées japonaises, de « man » qui signifie
« divertissant » et « ga » qui veut dire « image ») et les Manhwa (만화/漫畵,
prononcer man-hwa) nom donné à la bande dessinée coréenne. Cette dernière
est une part importante de la culture coréenne.
Lorsqu’on utilise le terme « bande dessinée », on fait référence à la bande
dessinée telle qu’on la connait en Europe, c’est-à-dire les fumetti et la BD
franco-belge. Cette dernière se caractérise jusqu’en 1980 par une intrigue (un
début, un milieu et une fin) proche de la morphologie des contes (SAUCIN,
1985). Dans cette BD franco-belge classique, il existe trois grandes écoles
belges liées à des critères éditoriaux et géographiques :

 L’école de Bruxelles est liée à l'histoire du journal Tintin. Cette école


regroupe les auteurs qui ont collaboré avec Hergé, ainsi que ceux qui
furent d'abord publiés par l'hebdomadaire bruxellois. Les principaux
auteurs sont Hergé, Jacobs, Paul Cuvelier, Jacques Martin, Bob de
Moor, Jacques Laudy, Graton, Tibet, Willy Vandersteen, Greg et la
plupart des dessinateurs du journal Pilote, dont Uderzo... ;
 L'école de Marcinelle est liée à l'histoire du journal Spirou. Cette école
regroupe les auteurs formés par Jijé, ainsi que ceux qui furent publiés
par l'hebdomadaire carolorégien. Les principaux auteurs sont Jijé,
Franquin, Morris, Will (ces quatre auteurs constituant la bande des
quatre auteurs initiaux), Peyo, Tillieux, Roba, Lambil, Sirius, Hubinon,
Eddy Paape, Francis, Walthery, Wasterlain... ;
 L'atelier R (ou Institut Saint-Luc de Bruxelles) est une véritable école
de la bande dessinée qui fut fondée par Eddy Paape et ensuite dirigée
par Claude Renard. Ce dernier a créé l'Atelier R proprement dit dont

98
Le dispositif cognitif 99

sont sortis des auteurs tels qu'Andreas, Berthet, Cossu, Goffin, François
Schuiten, Benoît Sokal, Yves Swolf...

Cependant, de nouveaux genres sont apparus au fil du temps : la BD


d’investigation, le polar ou la BD de reportage par exemple. Cette dernière
traite un sujet d’actualité, de société ou historique. Le Maltais Joe Sacco
(Palestine, une nation occupée) ou encore l’Américain Art Spiegelman
(« Maus ») comptent parmi les grandes figures de la BD de reportage qui s’est
développée ces quinze dernières années. La France n’est pas en reste avec des
auteurs comme Guy Delisle ou Riad Sattouf.

D’un point de vue graphique, on retrouve en bande dessinée les mêmes


styles que pour le dessin classique (académique, réaliste, hyperréaliste,
caricatural, comique, etc.). L'on peut préciser davantage ces divers styles en
tenant compte de la technique utilisée (DUC, 1982 : 162-175) (SAUCIN,
1997 : 19-20) :

* Le trait pur est un graphisme pur, sans modelé ni à-plat noir important.
Il n'y a pas de jeux d'ombre ou de lumière subtils. Ce dessin
volontairement simplifié, allant jusqu'à l'extrême dépouillement,
suggère par quelques signes l'action. Le décor lui-même est réduit à sa
plus simple expression, à moins qu'il ne soit totalement gommé. C'est le
style de dessin qu'on rencontre dans la bande dessinée comique. Cette
technique laisse une très large place à la couleur. Lorsque le coloriste
utilise des à-plats, nous avons affaire à un style fort répandu en BD : la
ligne claire (auteurs : Hergé, Jijé, Franquin, Tillieux, etc.) ;
* Le dessin au trait avec à-plats noirs est un graphisme dont le trait est
prédominant. Celui-ci s'accompagne d'à-plats noirs plus importants,
sans demi-teintes intermédiaires. Le dessinateur joue essentiellement
sur des compositions de noirs et de blancs pour mettre le sujet en
valeur. Cette technique donne quelquefois l'allure d'un reportage
graphique dont les à-plats noirs dramatisent l'image. Le dessinateur
peut ainsi jouer à loisir, tantôt dans le sens de l'apaisement (le trait pur),
tantôt dans celui de la dramatisation du récit (les à-plats noirs)
(auteurs : Milton Caniff, Dieter Comès, Hugo Pratt) ;
* Le dessin réaliste utilise une technique qui s'apparente plus ou moins à
la technique picturale : le trait pur à tendance à se fondre au milieu d'à-
plats noirs, traités parfois en petites touches « peintes ». Par les
éclairages contrastés, cette technique convient à des scènes où le
dessinateur cherche à recréer une forte ambiance dramatique (auteurs :
Gillon, Giraud, de la Fuente, Mora, etc.) ;
* Le dessin modelé au trait est un style tout en nuances, qui s'apparente
plus à la gravure qu'à la technique picturale. Ici, les grandes surfaces en
à-plats noirs disparaissent à peu près complètement au profit d'une large
gamme de demi-teintes, allant du noir profond au gris le plus subtil.
Ces demi-teintes sont obtenues par un jeu de tailles parallèles ou

99
100 Sémiologie et herméneutique

croisées plus ou moins rapprochées, ou plus subtilement encore, par un


jeu de pointillés. Cette technique est particulièrement adaptée à tous les
sujets réalistes pour lesquels le dessinateur cherche à recréer une
atmosphère douce, plus ou moins irréelle ou impressionniste (auteurs :
Auclair, Bilal, Caza, Moebius, Servais, Schuiten, etc.) ;
* Le trait tramé est utilisé lorsque le dessin est destiné à être reproduit en
noir et blanc. Ce procédé combine une trame pointillée à un dessin au
trait. Le dessinateur obtient ainsi une nuance intermédiaire (grisé) entre
le noir et le blanc, qui donnera un peu de relief à l'image. Certains
dessinateurs utilisent même des trames à reporter qui offrent plusieurs
nuances. Les dessins ainsi tramés ne se marient guère avec la couleur
(auteurs : Bonvi, Ceppi, Hugues, Prentice, Raymond, etc.) ;
* Le lavis consiste à délayer de l'encre de Chine dans de l'eau, en quantité
variable selon la teinte souhaitée. L'encre délayée est étendue sur le
dessin original, soit en touches de différente intensité, soit étalée en
dégradé. C'est un moyen de présenter le dessin en demi-teintes, lorsque
celui-ci est destiné à être reproduit en noir et blanc (auteurs : Garcia) ;
* L’hyperréalisme consiste en un rendu quasi photographique de la
réalité. Le trait pur disparaît au profit d'un modelé qui se veut aussi
réaliste que possible, l'artiste travaillant très souvent à partir de
photographies. Ce procédé permet de recréer une forte ambiance
dramatique. Le modelé sera obtenu par la technique du lavis ou par la
projection d'encre de chine, voire par l'utilisation d'un aérographe
(appareil permettant de vaporiser de l'encre et de la couleur en
gouttelettes plus ou moins fines) (auteurs : Claeys).

D’un point de vue littéraire, il existe également diverses écoles dont :

 L'Humanisme
 La Pléiade
 Le Classicisme
 Les Lumières
 Le Romantisme
 Le Parnasse
 Le Naturalisme
 Le Symbolisme
 Le Surréalisme
 Le Nouveau Roman.

Les styles et figures de style

Une figure de style (du latin figura : « dessin d’un objet », par extension
sa « forme ») est un procédé d'expression qui s’écarte de l’usage minimal de
la langue et donne une expressivité particulière au propos. On parle également

100
Le dispositif cognitif 101

de figure de rhétorique ; certains auteurs établissent des distinctions dans la


portée des deux expressions, mais l'usage courant en fait des synonymes.
Si les figures de style sont l'une des caractéristiques des textes qualifiés de
« littéraires », elles sont cependant d'un emploi commun dans la langue
quotidienne écrite ou orale, du moins pour certaines d'entre elles, comme
l'illustrent les métaphores injurieuses bien connues du Capitaine Haddock.
Elles mettent en jeu le sens des mots (figures de substitution comme la
métaphore ou la litote, figures d'opposition comme l'antithèse ou
l'oxymore…), leur sonorité (allitération, paronomase…) ou leur ordre dans la
phrase (Anaphore (rhétorique), gradation…).
Les figures de style constituent un vaste ensemble complexe de procédés
variés et à l'étude délicate : les spécialistes ont identifié, depuis l'Antiquité
gréco-romaine, des centaines de figures de style et leur ont attribué des noms
savants, et la linguistique moderne a renouvelé l'étude de ces procédés
d'écriture en introduisant des critères nouveaux. Les mécanismes des figures
de style peuvent aussi s'appliquer à des fonctionnements divers de l'esprit
humain comme le montrent par exemple les représentations imagées en
psychanalyse ou certaines créations artistiques.
Roman Jakobson, créateur des fonctions du langage et du schéma
communicationnel, voit dans les figures de style la fonction poétique et
référentielle de la langue. Il distingue également deux pôles : le pôle
métaphorique et le pôle métonymique, dominant toute la structure du langage
et permettant respectivement d'opérer des sélections et des combinaisons.
Cette double notion lui a permis d'aboutir aux axes du syntagme et du
paradigme.
Paul Ricœur dans La Métaphore vive (1975) analyse le processus de
création cognitive aboutissant à la métaphore, qui représente le prototype de
toutes les autres figures, la transformation originelle. Ricœur est à l'origine
d'une nouvelle conception, plus universelle, de la métaphore, davantage
transdisciplinaire, comme processus cognitif n'aboutissant pas qu'à un simple
phénomène linguistique de transport de sens, mais lié notamment à
l'imagination ou à la mémoire.
Le Groupe µ a fourni, dans les années 1970, une typologie raisonnée de
toutes les figures rhétoriques, rassemblées dans l'ouvrage Rhétorique
générale. Le groupe — appelé également « l'école de Liège » et composé des
linguistes Jacques Dubois, Francis Édeline, Jean-Marie Klinkenberg, Philippe
Minguet, F. Pire, Hadelin Trinon — vise une approche transdisciplinaire ; ils
sont ainsi les premiers à théoriser les figures de style comme des procédés
traduisibles dans tous les Arts avec la notion de sémiotique visuelle.
Pour ces auteurs, les figures de style sont des métaboles, notions
génériques permettant de regrouper sous une même nature toutes les figures
existantes ; le terme de métabole désignant « toute espèce de changement soit
dans les mots, soit dans les phrases ».
Leur typologie est fondée :
 (a) sur les types d'opération logique à l’œuvre dans la transformation
rhétorique (adjonction, suppression, substitution, permutation) ;

101
102 Sémiologie et herméneutique

 (b) sur les objets langagiers relevant des quatre domaines auxquels ces
opérations s'appliquent et qui viennent d'être décrits.
Ces auteurs ont forgé de nouveaux concepts pour regrouper les figures,
déterminant les quatre types d'opérations linguistiques possibles :
 Métaplasme : modification phonétique ou morphologique d'un mot qui
altère son intégrité par addition, suppression, substitution ou
permutation ;
 Métataxe : modification syntaxique d'un énoncé qui altère son intégrité
par addition, suppression, substitution ou permutation ;
 Métalogisme : modification sémantique d'un énoncé qui altère sa
cohérence interne ou sa valeur référentielle par addition, suppression,
ou substitution.
Le structuralisme, avec Roland Barthes, conduit à formaliser une
poétique (réflexion construite sur la création littéraire) centrée sur le contexte.
Des figures de style créées par néologisme apparaissent, perçues comme des
articulations du discours mettant en œuvre, dans un cadre énonciatif, la
subjectivité de l’auteur. Gérard Genette travaille dans ses Figures (3 volumes)
à étudier l’assemblage de figures en grands ensembles textuels aboutissant à
isoler de grandes tendances de genres. L'apport de Barthes réside
principalement dans une classification retenant comme critère unique une
double transformation. Il distingue deux grandes familles de figures : les
métaboles (substitution d'un signifiant à un autre comme les jeux de mots,
métaphores et métonymies) et les parataxes (modifications des rapports
existant entre les signes comme les anaphores, ellipses et anacoluthes). Ce
classement aboutit à la constitution de deux axes : paradigmatique et
syntagmatique qui sont dorénavant reconnus comme d'autorité en la matière.
Plus globalement, Barthes réalise une définition linguistique de la figure de
style : « La figure de rhétorique étant définie comme une opération qui,
partant d'une proposition simple, modifie certains éléments de cette
proposition »19. Cette vision de la figure de style est donc largement mécaniste
et structuraliste, la transformation se faisant selon deux dimensions : la nature
de la relation (jouant sur le contenu, le signifié) et la nature de l'opération
(jouant sur la forme, sur le signifiant). De là, Barthes décrit deux plans
nécessaires à l'effet de style :
 les opérations rhétoriques englobant les figures de diction et les
figures de construction provenant de l'ancienne rhétorique, mais
mettant en œuvre quatre transformations fondamentales qui sont :
l’adjonction, la suppression, la substitution et l’échange.
 Les relations : d’identité, de différence, de similarité et d’opposition.
Ce plan se fonde, au niveau le plus élémentaire, sur la notion de sème
(voir les apports d’Algirdas Julien Greimas).
La portée de l'apport de Barthes et des structuralistes en général réside
dans leur volonté de réduire les faits de langue à des mécanismes
primordiaux, en lien avec les théories sexuelles de Sigmund Freud. La nature
19
In Jacques Durand, « Rhétorique et image publicitaire », Communications, n°15, p. 70-95.

102
Le dispositif cognitif 103

des relations notamment (identité/différence) s'entend par exemple pour


Barthes au niveau du complexe d'Œdipe et explique l'effet sur le récepteur.
Néanmoins, on peut reprocher en ce sens le relativisme de Barthes, le
psychologisme de sa vision d'un phénomène qui appartient au final au
domaine esthétique et à l'acte créatif.
Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, dans Traité d'argumentation,
rappellent la valeur argumentative de la figure, conformément à la théorie
d'Aristote (Rhétorique) ; la figure devient une composante fondamentale (et
non plus un « ornement » facultatif) de l'acte d'énonciation, intégrant même
une portée transphrastique (au-delà de la phrase). Ils posent par ailleurs que
toute figure de rhétorique est un condensé d'argument : par exemple, la
métaphore condense l'analogie (WIKIPÉDIA, «
http://fr.wikipedia.org/wiki/Figure_de_style », consulté le 2 février 2010).

Le genre en fonction de l'intention

Pour Marthe Robert (1972 et 1977), ce n'est pas le motif, ni le genre, mais
l'intention de l'auteur qui compte. Cette intention de l’auteur, on peut la
découvrir à travers les entretiens et interviews donnés par l’auteur. L’intention
d’un auteur de BD est souvent de divertir son lecteur et de lui faire passer un
agréable moment de détente. Certains auteurs ont cependant d’autres
exigences.

« Il y a plus de politique dans une page d'Hugo Pratt que dans cent mille tribunes
politiques, parce que la sienne est la politique du vécu, des choix quotidiens, des rapports
avec le prochain [...] » (MANARA, 1984 : 46-47)

L'horizon d'attente du lecteur

Quand on lit un texte, ce texte est situé d'emblée par rapport à une série de
références, de traits. Ces références sont souvent liées au genre attribué. De
prime abord, la bande dessinée, tout comme le cinéma, semble être un passe-
temps. Un loisir frivole qui ne se pose guère de questions. Ainsi, aux yeux des
bédéphiles, Hugo Pratt incarne l'aventure avec un grand A, tandis qu'André
Franquin représente le comique burlesque par excellence. Dès lors, pour
Borges, le genre est moins un genre en soi en fonction de l'écriture qu'en
fonction de son lectorat. Les lecteurs du journal Le Monde ne sont pas
nécessairement les mêmes que ceux qui lisent Métro ou La Dernière Heure.

103
104 Sémiologie et herméneutique

Les aspects liés à l'œuvre

Pour déterminer le genre, on peut également tenir compte des aspects


historiques, sociologiques et du contexte. Prenons, par exemple, Un Été
indien de Pratt et Manara. Pratt en est le scénariste. C’est aussi un dessinateur
italien. Il est né durant la période fasciste. C’est dans l’Aventure qu’il a trouvé
son identité propre. Il y mélange des souvenirs d’enfance et les évocations de
ses nombreux voyages. Il y mêle également une quantité impressionnante de
références culturelles — littéraires, cinématographiques et bédéistes —
quelques zestes de magie, un soupçon de cabale et une série de
préoccupations touchant à la politique, à la mélancolie, à la nostalgie, à
l’ambiguïté et à la mort. Manara ajoute à ce mélange détonant une forte dose
d’érotisme lié aux préoccupations libertaires des années soixante-dix. Durant
les années quatre-vingt, les deux hommes ont été sensibilisés par la montée de
l’extrême droite et des courants intégristes en Europe et dans le monde. Ils
décident d’écrire ce manifeste, un peu à la manière d’Arthur Miller qui
s’inspira également de cette époque puritaine pour s’insurger contre la chasse
aux sorcières menée par Mc Carthy.

104
Le dispositif cognitif 105

Conclusions

Ce chapitre nous a permis de voir les différents types de message, ainsi


que les écoles, les styles et les genres. Nous pouvons récapituler l’ensemble
des notions vues sous la forme du tableau suivant :

Analyse des éléments de narratologie


Questions posées Concepts utilisés Réponses possibles
Quel est le type de Récit (ou histoire) Bien qu'il existe quelques récits
message ? Discours factuels (Don Bosco ou Christophe
(BENVENISTE, 1966 : Colomb de Jijé), la bande dessinée
254) est essentiellement formée de récits
factuel/fictionnel (ou histoires) fictionnels.
réalité fictionnalisante L’audiovisuel se divise en reportages
fiction réaliste documentaires (factuel) et en fictions
Rupture diégétique (fictionnel).
(MARION, 1992) Certaines de ces fictions sont
(GAUDREAULT, 1988 : réalistes, d'autres sont
70) humoristiques.
(GAUDREAULT, 1988 :
93) Ces fictions connaissent
d'éventuelles ruptures diégétiques
(par exemple les récitatifs en BD).
Les films sont le plus souvent des
œuvres d’imagination de type
« diégétique mimétique » ;
Les bandes dessinées sont
essentiellement des œuvres
d'imagination de type « diégétique
mixte » ;
Les romans sont des œuvres non
mimétiques qui peuvent recourir à
deux formes de simulacres :
le telling ;
le showing.
Quel est le rapport Rapports entre le temps Préfiguration
mimétique au temps ? du récit et celui de la vie Configuration
(RICOEUR, 1983 : 9- Refiguration
14 +105-169)

105
106 Sémiologie et herméneutique

Analyse des éléments de narratologie (suite)


Questions posées Concepts utilisés Réponses possibles
Quelle est la double Ordre Analepse (retour en arrière)
temporalité au niveau (GENETTE, 1972) externe
du récit ? (GAUDREAULT & interne
JOST, 1990) mixte
(SAUCIN, 1997 : 31-34) Prolepse (saut en avant)
externe
interne
Diachronie (succession)
prographique (même champ)
graphique (même cadre)
diégétique
tabulaire (montage)
Durée Pause
(GENETTE, 1972) Scène
(GAUDREAULT & Sommaire
JOST, 1990) Ellipse
Dilatation
Fréquence Récit singulatif
(GENETTE, 1972) Récit répétitif
(GAUDREAULT & Récit itératif
JOST, 1990)
À quel style et à quelle Style et figures de style Le trait pur, la ligne claire, le dessin
école appartient (Groupe µ, 1992) au trait avec à-plats noirs, le dessin
l'œuvre ? (DUC, 1982 : 162-175) réaliste, le dessin modelé au trait, le
(GAUMER & trait tramé, le lavis, l’hyperréalisme,
MOLITERNI, 1994 : autres
394)
École Les courants cinématographiques
(GAUMER & (Thriller, Expressionnisme allemand,
MOLITERNI, 1994 : Néoréalisme, nouvelle vague)
p.m.) Image-temps vs Image-mouvement
Écoles de Bruxelles, de Marcinelle
Pléiade, Parnasse, nouveau roman
Quelle est l'intention (cf. les interviews)
manifeste de l'auteur ?
Quel est l'horizon (cf. les enquêtes et les
d'attente du lecteur ? sondages)
Quels sont les aspects Contexte et Cotexte Au niveau de l'auteur
liés à l'œuvre ? (aspects culturels, Au niveau du lecteur
linguistiques, familiaux, Au niveau de l’œuvre
géographiques,
économiques, sociaux,
politiques et d’actualité)

106
Le dispositif cognitif 107

Le dispositif cognitif

Univocité et ambivalence

Le déjà-vu et le nouveau

Si pour les avant-gardes, la valeur d'un texte peut s'établir en fonction du


« déjà-vu » et du « nouveau », pour Barthes, le plaisir du texte peut tout aussi
bien se trouver dans le plaisir de reconnaître des structures connues
(BARTHES, 1973).

Les œuvres ouvertes et fermées

Pour Umberto Eco, il faut tenir compte de la possibilité pour le lecteur ou


le spectateur d’intervenir dans la création de l'œuvre. Pour lui, l'ambivalence
de l'œuvre et la multiplicité des points de vue génèrent l'œuvre ouverte (ECO,
1965). Par contre, si le récepteur ne participe pas à l’élaboration de l’œuvre,
celle-ci demeure une œuvre fermée.

Rhizome et livre-racine

Pour Deleuze et Guattari, « nous ne devons plus croire aux arbres, aux
racines ni aux radicelles, nous en avons trop souffert. » (DELEUZE &
GUATTARI, 1976, 46) Toute la culture arborescente, hiérarchique a suscité
une triste image de la pensée qui ne cesse d'imiter le multiple à partir d'une
unité supérieure, de centre ou de segment. Étudiant l'histoire de la littérature,
ils relèvent trois types de livre :

Un premier type est le livre-racine. C'est le livre classique. « La loi du


livre, c'est celle de la réflexion, le Un qui devient deux. » (DELEUZE &
GUATTARI, 1976 : 12-13) La logique binaire est la réalité spirituelle de ce

107
108 Sémiologie et herméneutique

premier type. L'œuvre s'articule autour d'une idée maîtresse, d'un tronc
commun auquel se subordonne une série d'idées secondaires.
Un second type de livre est le système-radicelle. « Cette fois, la racine
principale a avorté, ou se détruit vers son extrémité ; vient se greffer sur elle
une multiplicité immédiate et quelconque de racines secondaires qui prennent
un grand développement [...]. Soit la méthode du cut-up de Burroughs : le
pliage d'un texte sur l'autre, constitutif de racines multiples et même
adventices (on dirait une bouture), implique une dimension supplémentaire à
celle des textes considérés. C'est dans cette dimension supplémentaire du
pliage que l'unité continue son travail spirituel. »(DELEUZE & GUATTARI,
1976 : 14-15)
Le troisième type est le livre-rhizome. Il a des formes diverses, depuis son
extension superficielle ramifiée en tous sens jusqu'à ses concrétions en bulbes
et tubercules. N'importe quel point du rhizome peut être connecté avec
n'importe quel autre. C'est très différent de l'arbre ou de la racine qui fixent un
point, un ordre. Il n'y a pas de locuteur-auditeur idéal, ni d'idée principale. Les
points de vue sont multiples. Il n'y a plus d'unité de mesure qui fonde un
ensemble de relations biunivoques entre éléments ou points objectifs, mais
une multiplicité de dimensions et de grilles de lecture. Un livre-rhizome peut
être rompu, brisé en un endroit quelconque, il reprend suivant telle ou telle de
ses lignes et suivant d'autres lignes. Il n'est justiciable d'aucun modèle
structural ou génératif. Kleist ou Kafka nous offrent de magnifiques exemples
de livres rhizomatiques.

Folklore et morphologie de l’œuvre

Selon Luis de Hoyos Sainz, le folklore présente trois caractéristiques


fondamentales et une caractéristique secondaire :

1.1. Il est traditionnel,


1.2. Il est populaire,
1.3. Il est anonyme ;
2. La prédominance de l'enfantin (HOYOS SAINZ, 1947).

Les folklores se distinguent

« de la culture savante (celle des intellectuels), dont le support est l'écrit, mais ils se
différencient entre eux à la fois par leur zone de diffusion et par le moyen technique de
cette diffusion. À côté des folklores de “milieux” (régionaux ; ruraux, ouvriers et même
bourgeois ou aristocratiques ; milieux lycéens, médicaux, etc.), dont le support est oral,
s'est développé un folklore des sociétés industrielles avec pour support les mass media, et
principalement les media verbo-iconiques (selon le terme de René La Borderie) : films à
grand spectacle, feuilletons télévisés, presse à sensation, bandes dessinées, romans-
photos. » (RENARD, 1980 : 117)

108
Le dispositif cognitif 109

Les trente et une fonctions narratives de V. Propp, les méthodes


structurales de classement des mythes bororo inventées par C. Lévi-Strauss,
les schémas actantiels de A.J. Greimas, la logique des possibles narratifs de
C. Bremond, les perspectives fonctionnelles de P. Larivaille ont mis en
exergue une série d'invariants narratifs.
Nous abordons ici la morphologie des contes et celles des mythes, ainsi
que les diverses structures du récit.

Le conte

Le conte a fait l'objet de multiples études. Les folkloristes ont ainsi centré
leurs recherches sur l'origine et la diffusion des contes. De nombreuses études
morphologiques et structurales ont suivi, elles-mêmes furent prolongées par
des interprétations ethnologiques, mythiques et psychanalytiques.

Il existe ainsi différentes approches concernant le genre, la genèse, la


morphologie, la structure et l'interprétation des contes.

Définitions du conte

Le conte est issu de la tradition orale. Il est fait pour être dit, raconté, ou lu
à haute voix. Deux notions sont présentes dans le conte : celle du conteur et
celle du public (COLLARD, 1990 : 1).

« Le conte est un récit d'aventures merveilleuses ou autres, fait en vue d'amuser. Par
extension, discours ou récit mensonger, peu vraisemblable et auquel on ne croit pas »
(LITTRÉ)

Le conte est à la fois :

 une création anonyme issue de la mémoire collective qui possède une


même structure narrative,

 la création d'un artiste qui actualise le récit, et, sans en bouleverser le


schéma narratif, le fait sien. Le conteur est l'intercesseur entre le monde
réel et l'univers imaginaire qu'il vient de faire naître.

Le conte se définit par son caractère de fiction avouée. L'inscription « Il


était une fois. » atteste de la rupture spatio-temporelle avec le monde ordinaire

109
110 Sémiologie et herméneutique

(le conte se passe bien loin, il y a bien longtemps). Mais l'affirmation de vérité
est utilisée pour capter l'attention du public (COLLARD, 1990 : 4)

« Le conte relève de la tradition orale, il est fait pour être dit. » (COLLARD, 1990 : 5)

Lévi-Strauss reconnaît que, dans le conte, les oppositions et la


transposition du thème, la possibilité du choix et la liberté de substitution sont
affaiblies par rapport au mythe. Pour lui, il s'agit du résultat de l'évolution de
l'imaginaire : le merveilleux dans le conte se trouve coupé d'une ethnographie
concrète, de croyances et de prescriptions rituelles qui sont nettement
délimitées par chaque culture, aussi bien sur un plan ethnique que sur un plan
historique. Non seulement les personnages du conte, mais aussi leurs règles
de conduite sont, beaucoup plus souvent que dans le mythe, très
conventionnelles, et prennent le caractère de règles du jeu. Quant aux
nouveaux critères moraux et esthétiques du conte, ils sont déjà
qualitativement différents des modèles ethnographiques monosémiques qui
rendent compte du comportement ou de l'interprétation du monde environnant
(MÉLÉTINSKI, 1970 : 219-220)

Les différents genres de conte

On peut étudier les contes :

 du point de vue de leur composition et de leur structure,


 du point de vue de leur origine,
 du point de vue des processus et des transformations auxquels ils sont
soumis.

On ne peut parler de l'origine d'un conte avant de l'avoir décrit.


Le conte est un récit qui relève de la tradition populaire dans laquelle il
côtoie d'autres manifestations folkloriques comme les superstitions, les rites,
les proverbes, les jurons, les comptines, les mythes et les légendes. Entre ces
différents genres de récit populaire, les limites ne sont pas toujours clairement
marquées (DE CRUYENAERE & DEZUTTER, 1990 : 6)
Pour établir une classification exacte, celle-ci doit être le résultat d'un
examen préliminaire approfondi. La division la plus habituelle des contes est
celle qui les partage en :

* contes merveilleux,
* contes de mœurs,
* contes sur les animaux.

Cette division des contes se base sur la division des mythes élaborée par
V.F. Miller (PROPP, 1970a : 12) :

110
Le dispositif cognitif 111

* contes mythiques,
* mythes de mœurs,
* mythes sur les animaux.

Il existe d'autres typologies des contes. Celles de Wundt, de Volkov, et


d'Antti Aarne sont également analysées et réfutées par Propp, car elles ne
permettent pas de distinguer clairement les diverses catégories. On peut
cependant essayer de distinguer différents genres de conte :

Le conte merveilleux est « un récit dans lequel l'intrigue avance, les


situations se compliquent ou se dénouent, grâce à des interventions magiques
ou surnaturelles. » (JEAN, 1983 : 24)
Pour Mélétinski, le rythme des pertes et des gains unit le conte
merveilleux au mythe et aux autres formes de folklore narratif. En effet :

Dans les mythes, ce sont les « actions culturelles » et cosmogoniques des


démiurges qui jouent un rôle clé analogue aux épreuves ;
Dans les contes animaliers, ce sont les astuces des bouffons zoomorphes
(tricksters) ;
Dans les contes-nouvelles, ce sont des catégories d'épreuves particulières,
menant à la solution d'une collision individuelle dramatisée ;
Dans les contes merveilleux de type classique, nous trouvons de manière
spécifique une double opposition, entre épreuve préliminaire et fondamentale.
Cette opposition s'exprime premièrement d'après le résultat (dans le premier
cas, il y a atteinte du but principal), deuxièmement, d'après le caractère de
l'épreuve elle-même (conduite correcte — exploit héroïque). Cette opposition
est incluse en la structure sémantique même et ne peut en être détachée. Le
conte merveilleux se présente comme une structure hiérarchisée de blocs
binaires, dans laquelle le dernier bloc (membre couplé) porte obligatoirement
le signe positif ;
Dans le folklore syncrétique archaïque, cette opposition est soit absente,
soit non pertinente (MÉLÉTINSKI, 1970 : 242-243).

Le conte fantastique rural est tout ce qui s'éloigne de la reproduction


photographique du réel, c'est-à-dire toute fantaisie, toute stylisation et
l'imaginaire dans son ensemble (CAILLOIS, 1989, VII : 770).
Le conte traditionnel est inséparable de la communauté dans laquelle il
s'inscrit. Sa nature et sa forme dépendent en partie de la culture locale. V.
Propp montre cependant que les contes sont construits autour d'ossatures
simples, constituées d'un certain nombre de fonctions analogues dans presque
toutes les cultures (COLLARD, 1990 : 4-5).

111
112 Sémiologie et herméneutique

Genèse des contes

Distinguer les genres amène à s'interroger sur l'éventuelle filiation de l'un


par rapport à l'autre. Deux théories se confrontent : la monogenèse et la
polygenèse.

« Soit les contes seraient des reflets dégradés, désacralisés de mythes indo-européens,
évocations de rituels primitifs, soit ils auraient coexisté partout dans le monde avec des
récits sacrés sous la forme de purs divertissements » (DE CRUYENAERE & DEZUTTER,
1990 : 6)

Le mythe est un récit sacré et fondateur, les dieux et les héros y jouent un
rôle central. Ils évoluent dans l'intemporalité et la généralité.
Le conte est un récit profane, les hommes et les animaux y sont
omniprésents. Ils évoluent aussi dans l'intemporalité et la généralité.
La légende est plus soucieuse du détail que le conte ou le mythe. Elle
suppose une part de réalité. Elle nous apprend qu'un lieu-dit fut le théâtre
d'une série d'actions surnaturelles.
Nous verrons plus loin que les divers mouvements psychanalytiques
pensent que ces différents genres sont en fait les fruits de l'inconscient et
trouvent leur origine dans les rêves.

Morphologie des contes et lectures structurales

Les trente et une fonctions narratives de V. Propp, les méthodes


structurales de classement des mythes bororo inventées par C. Lévi-Strauss,
les schémas actantiels de A.J. Greimas, la logique des possibles narratifs de C.
Bremond, les perspectives fonctionnelles de P. Larivaille ont mis en exergue
une série d'invariants narratifs.
Nous abordons ici la morphologie des contes. Les autres méthodes
structurales seront vues en même temps que les mythes.

112
Le dispositif cognitif 113

Morphologie du conte chez Propp

Résumé

« On peut comparer les contes du point de vue de leur composition, de leur structure [...]
les personnages des contes merveilleux, tout en restant très différents dans leur apparence,
âge, sexe, genre de préoccupation, état civil et autres traits statistiques et attributifs,
accomplissent, tout au cours de l'action, les mêmes actes. Ceci détermine le rapport des
constantes avec les variables. Les fonctions des personnages représentent des constantes,
tout le reste peut varier [...] On peut isoler les fonctions des personnages. Les contes
merveilleux connaissent trente et une fonctions [...] Leur ensemble constitue un système.
[...] Le système ne se limite pas à trente et une fonctions [...] Le nombre total d'éléments, de
parties constitutives du conte, est environ cent cinquante. [...] Si on relève les appellations
des cent cinquante éléments du conte merveilleux dans l'ordre réclamé par le conte lui-
même, on pourrait inscrire dans cette table tous les contes merveilleux ; inversement, tout
conte que l'on peut inscrire dans une telle fable est un conte merveilleux, tous ceux que l'on
ne peut pas y inscrire relèvent d'une autre classe de contes. [...] on peut étudier les parties
constituantes sans tenir compte du sujet qu'elles constituent. » (PROPP, 1970 : 173-175)

Définitions

Morphologie signifie l'étude des formes (PROPP, 1970a : 6).


Morphologie du conte signifie l'étude des formes et l'établissement des
lois qui régissent la structure du conte (PROPP, 1970a : 6).

Par fonction, Vladimir Propp entend « l'action d'un personnage, définie du


point de vue de sa signification dans le déroulement de l'intrigue. » (PROPP,
1970a : 31)

Pour Propp, l'étude du conte doit être menée suivant une méthode
rigoureusement déductive, c'est-à-dire en allant du corpus aux conclusions :

1. Il isole d'abord les parties constitutives de ces contes merveilleux en


tenant compte des observations formulées de la manière suivante :
a. les éléments constants, permanents, du conte sont les fonctions des
personnages, quels que soient ces personnages et quelle que soit la
manière dont ces fonctions sont remplies ;
b. le nombre des fonctions que comprend le conte merveilleux est
limité ;
c. la succession des fonctions est toujours identique ;
d. tous les contes merveilleux appartiennent au même type en ce qui
concerne leur structure. (PROPP, 1970a : 31-34)
2. Puis il compare les contes selon leurs parties constitutives.

113
114 Sémiologie et herméneutique

3. Le résultat de ce travail est une morphologie, c'est-à-dire une


description des contes selon leurs parties constitutives et des rapports
de ces parties entre elles et avec l'ensemble.

Fonctions des personnages

Pour chaque fonction, Propp donne :

1. une brève description de l'action qu'elle représente ;


2. une définition aussi résumée que possible ;
3. le signe conventionnel qu'il lui attribue afin de permettre des
comparaisons schématiques sur la structure des contes.

Les contes « se subdivisent en plusieurs groupes. Entre ces groupes et la définition, il existe
le même rapport qu'entre les espèces et le genre. Le travail fondamental consiste à isoler
les genres. L'étude des espèces ne peut faire partie des tâches de la morphologie générale.
Les espèces peuvent se subdiviser en variétés : c'est le point de départ d'une systématique. »
(PROPP, 1970a : 35)

La liste des fonctions représente la base morphologique des contes


merveilleux. On trouve les sphères et les fonctions suivantes :

Les sphères les fonctions entrée en scène Exemples


d'action d’archétypes
1. La sphère le méfait (A), L'agresseur se L'ombre ou les
d'action de le combat et les montre deux fois pôles négatifs des
l'agresseur (ou autres formes de dans le courant de archétypes :
méchant) lutte contre le l'action : mauvaise mère ou
comprend : héros (H), 1. il apparaît mauvais père, la
la poursuite (Pr). soudain, femme fatale ou le
latéralement, puis brigand, etc.
disparaît
2. il se présente
comme un
personnage que
l'on cherchait.
Il peut aussi figurer
dans la situation
initiale.

114
Le dispositif cognitif 117

Les sphères les fonctions entrée en scène Exemples


d'action d’archétypes
2. La sphère la préparation de la Le donateur est L'archétype du Soi
d'action du transmission de rencontré par sous forme d'êtres
donateur (ou l'objet magique hasard, la plupart humains ou
pourvoyeur) (D), du temps dans la d’animaux :
comprend : la mise de l'objet forêt (dans la le Vieux Sage
magique à la maisonnette), ou (magicien), la
disposition du bien dans un Grande Mère (fée
héros (F). champ, sur une marraine), ou
route, dans la rue. l’oiseau lyre.
Il peut aussi figurer
dans la situation
initiale.
3. Il existe quatre le déplacement du L'auxiliaire le pôle positif de
catégories héros dans l'espace magique est l'archétype de
d'auxiliaires : (G), introduit en tant l'Autre. Ou
a) les auxiliaires la réparation du que don. Ce l'archétype du Soi
universels, méfait ou du moment est sous forme d’êtres
capables de remplir manque (K), désigné par F. humains,
les cinq fonctions ; le secours pendant S'il n'y a pas de d'animaux ou
b) les auxiliaires la poursuite (Rs), donateur, ses d'objets
partiels, aptes à l'accomplissement manières d'entrer (oiseaux...).
remplir certaines des tâches difficiles en scène sont Les imagos
fonctions, mais qui (N), adoptées par parentales, etc.
n'accomplissent la transfiguration l'auxiliaire. L'objet magique
pas toutes les du héros (T). L'auxiliaire peut n'est rien d'autre
fonctions de aussi figurer dans qu'une forme
l'auxiliaire ; la situation initiale. partielle de
c) les auxiliaires l'auxiliaire
spécifiques qui ne magique.
remplissent qu'une
seule fonction.
Cette catégorie ne
comprend que des
objets ;
d) le héros peut
être son propre
auxiliaire et reçoit
les fonctions et les
attributs de
l'auxiliaire, dont la
sagesse
prophétique.
L'auxiliaire remplit

117
118 Sémiologie et herméneutique

quelquefois les
fonctions
spécifiques du
héros.
La sphère d'action
de l'auxiliaire
comprend :

4. La sphère la demande La princesse (ou le L'anima ou


d'action de la d'accomplir des personnage l'animus (ou
princesse (du tâches difficiles recherché) fait encore le Soi),
personnage (M), partie de la l'archétype du
recherché) et de l'imposition d'une situation initiale. conscient collectif
son père marque (J), Elle se montre (le Roi), ou le
comprend : la découverte du deux fois. La Père.
faux héros (Ex), seconde fois, elle
la reconnaissance apparaît comme le
du héros véritable personnage
(Q), recherché.
la punition du
second agresseur
(U),
le mariage (W).
5. La sphère du l'envoi du héros Le mandateur fait le Roi ou
mandateur (B). partie de la l'archétype du
comprend : situation initiale. père.
L'auxiliaire remplit le départ en vue de Le héros fait partie Le héros :
quelquefois les la quête de la situation trickster,
fonctions (uniquement pour initiale. hare,
spécifiques du le héros-quêteur) Certaines situations red horn,
héros. (C), reçoivent un twins.
6. La sphère la réaction aux développement
d'action du héros exigences du épique. Au début,
comprend : donateur (E), le quêteur est
le mariage (W). absent. Il naît dans
des circonstances
merveilleuses. La
naissance
merveilleuse du
héros
s'accompagne en
général d'une
prophétie sur son
destin. Ses attributs
sont ainsi révélés.

118
Le dispositif cognitif 119

7. La sphère le départ en vue de Le faux héros fait le pôle négatif de


d'action du faux la quête (C), partie de la l'archétype de
héros comprend : la réaction aux situation initiale. Il l’autre (le double)
exigences du arrive que l'on ne ou de l'ombre.
donateur (Enég), dise rien de lui
les prétentions dans la situation
mensongères (L). initiale ; on
apprend par la suite
qu'il habite à la
cour ou dans la
maison.

« Les fonctions de la partie réparatoire (, , , , , , , ) sont également distribuées


entre ces personnages, mais elles ne le sont pas de manière régulière, et ne peuvent
donc servir à définir les personnages. » (PROPP, 1970a : 97)

« Il existe des personnages spéciaux pour les liaisons (plaignants, dénonciateurs,


calomniateurs), ainsi que des informateurs particuliers pour la fonction 
(renseignement obtenu) : le miroir, le ciseau, le balai montrent où se trouve la victime
que l'agresseur cherche. » (PROPP, 1970a : 97)

Pour Propp, « chaque type de personnage possède sa manière d'entrer en scène, à


chaque type correspondent des procédés particuliers que les personnages utilisent pour
entrer dans l'intrigue. » (PROPP, 1970a : 102)

Deux exceptions :

« Si le personnage couvre deux sphères de fonctions, il est introduit dans les formes qui
correspondent à sa première entrée dans l'action. La femme sage qui apparaît d'abord
en donatrice, puis en auxiliaire et en princesse entre en scène comme une donatrice,
non comme une auxiliaire ou une princesse. » (PROPP, 1970a : 103) ;
« Tous les personnages peuvent être introduits par la situation initiale. » (PROPP,
1970a : 103)

Il existe deux formes fondamentales de la situation initiale :

 la situation initiale qui comprend le quêteur et sa famille ;


 la situation initiale qui présente la victime de l'agresseur et sa
famille.

Certains contes réunissent les deux situations : le quêteur et la victime


de l'agresseur. Certaines situations de cette espèce reçoivent un
développement épique. Au début, le quêteur est absent et naît dans des
circonstances merveilleuses. Sa naissance merveilleuse s'accompagne en
général d'une prophétie sur son destin et les attributs du futur héros sont
révélés. Parfois, au contraire, le héros est un sot ou un innocent. La

119
120 Sémiologie et herméneutique

situation initiale donne souvent l'image d'un bonheur particulier qui


contraste avec le malheur qui suit. Les situations des séquences redoublées
ou répétées s'ouvrent également sur une situation précise où se retrouvent
l'agresseur, le quêteur et le futur objet de la quête. L'agresseur peut dans ce
cas jouer un double rôle d'auxiliaire (dans la première séquence) et
d'agresseur (dans la seconde). Les situations qui mettent en scène une
marâtre introduisent directement celle-ci ou l'introduisent après la mort de
la première femme du père et le remariage de celui-ci. Les filles nées de ce
second mariage sont les fausses héroïnes ou les personnages méchants.

Les attributs des personnages (PROPP, 1970a : 106-111)

Par attributs, Propp entend l'ensemble des qualités externes des


personnages : leur âge, sexe, situation, leur apparence extérieure avec ses
particularités, etc. Ces attributs donnent au conte ses couleurs, sa beauté et
son charme (PROPP, 1970a : 106). Jean-Bruno Renard (1982) a montré
que ces divers attributs pouvaient également donner un sens. Notons, par
ailleurs, qu'un personnage peut en remplacer un autre.

La vie réelle « crée des figures nouvelles et colorées qui supplantent les personnages
imaginaires ; le conte subit l'influence de la réalité historique contemporaine, de la
poésie épique des peuples voisins, de la littérature aussi, et de la religion » (PROPP,
1970a : 106)

« Le conte conserve les traces du paganisme le plus ancien, des coutumes et des rites de
l'antiquité. Il se transforme peu à peu, et ces métamorphoses sont également soumises à
des lois. » (PROPP, 1970a : 107)

L'étude des attributs des personnages ne comprend que les trois


rubriques fondamentales suivantes :

1. aspect et nomenclature ;
2. particularités de l'entrée en scène ;
3. habitat.

« Si un personnage est défini, du point de vue des fonctions, comme un donateur, par
exemple, ou un auxiliaire, etc., et qu'on inscrit dans les différentes rubriques tout ce
qu'il est dit de lui, on peut faire des observations extrêmement intéressantes. Toutes les
données d'une rubrique peuvent être étudiées indépendamment du reste à travers tous
les contes. » (PROPP, 1970a : 107)

À partir des attributs des personnages, diverses démarches sont


possibles :

Une classification précise des personnages d'après leurs attributs :

120
Le dispositif cognitif 121

« L'analyse des attributs permet une interprétation scientifique du conte


[...] Le conte merveilleux, dans sa base morphologique, est un mythe. »
« Les recherches morphologiques doivent s'adjoindre dans ce domaine
une étude historique » ;
« Le conte devrait ensuite être étudié dans ses rapports avec les
représentations religieuses ».

Le conte comme totalité (PROPP, 1970 : 112-117)

On peut appeler conte merveilleux tout développement partant d'un


méfait (A) ou d'un manque (a), et passant par les fonctions intermédiaires
pour aboutir au mariage (W) ou d'autres fonctions utilisées comme
dénouement. La fonction terminale peut être la récompense (F), la prise de
l'objet des recherches, la réparation du méfait (K), ou le secours et le salut
pendant la poursuite (Rs), etc. Les cinq catégories d'éléments qui
déterminent la structure d'un conte dans son ensemble sont :

les fonctions des personnages (parties constitutives fondamentales) ;


les éléments de liaison ;
les motivations ;
les formes de l'entrée en scène des personnages ;
les éléments ou les accessoires attributifs.

Maintenant que nous connaissons les éléments essentiels du conte, nous


pouvons aborder le découpage d'un texte selon ses parties constitutives.
Nous appelons ce développement une séquence. Chaque nouveau méfait
ou préjudice, chaque nouveau manque, donne lieu à une nouvelle
séquence. Un conte peut comprendre plusieurs séquences. Lorsqu'on
analyse un texte, il faut d'abord déterminer de combien de séquences il se
compose. Les séquences peuvent se succéder ou s'entrelacer, le
développement commencé s'arrêtant pour laisser une autre séquence
s'intercaler. Les séquences peuvent être reliées de la façon suivante :

1. Une séquence succède immédiatement à une autre ;

I A |--------------| W°
II A |---------------| w2

2. Une nouvelle séquence commence avant que la précédente ne soit


terminée. L'action est interrompue par une séquence épisodique. Après
la fin de cet épisode, la première séquence reprend et s'achève :

I A |--------------| G ........... K |--------------| W°


II a |--------------| K

121
122 Sémiologie et herméneutique

3. L'épisode peut être interrompu à son tour, et l'on obtient alors un


schéma relativement complexe :

I |--------------| ..................................... .................|--------------|


II |-----------| ................... |-----------|
III |-------------|

4. Le conte peut commencer par deux méfaits commis en même temps,


dont l'un peut être totalement réparé d'abord, la réparation de l'autre
n'intervenant qu'ensuite :
9
I |-------------| K
A142 { II .....................|-----------------K 1

5. Deux séquences peuvent avoir une fin commune :

I |-----------------|.....................
} |-------------|
II |--------------|

6. Il y a parfois deux quêteurs dans le conte. Au milieu de la séquence, ils


se séparent. Ils se quittent en général devant un poteau indicateur qui
sert de disjoncteur (<). En se séparant, les héros se transmettent souvent
un objet signalisateur (s) :

II |--------------| .....................
I |----------------| s < } |--------------
-|
III ......................|-------------- |

Classification des contes (PROPP, 1970 : 121-141)

Nous pouvons établir une première classification des contes selon leurs
propriétés structurelles. Une bonne classification peut s'effectuer selon trois
principes :

1. d'après les différentes espèces d'une même propriété ;


2. d'après l'absence ou la présence d'une même propriété ;
3. d'après des propriétés s'excluant mutuellement.

122
Le dispositif cognitif 123

À l'intérieur d'une classification, les définitions ne peuvent se modifier


que selon les genres, les espèces et les variétés, ou selon d'autres degrés de
gradation, mais à chaque degré, les définitions doivent être constantes et
uniformes. Une classification suit les propriétés structurelles et internes, et
non les propriétés extérieures et variables (PROPP, 1970 : 121-127). Le
schéma général de tous les contes est le suivant :

H J
ABCDEFG { I } K  Pr-Rs O L Q Ex T U W°
M N

le méfait (A) ou le manque (a),


l'envoi du héros (B),
le départ en vue de la quête (C),
la préparation de la transmission de l'objet magique (D),
la réaction aux exigences du donateur (E),
la mise de l'objet magique à la disposition du héros (F),
le déplacement du héros dans l'espace (G),
le combat et les autres formes de lutte contre le héros (H),
l'imposition d'une marque (J),
le héros reçoit une marque (I)
la demande d'accomplir des tâches difficiles (M),
l'accomplissement des tâches difficiles (N),
la réparation du méfait ou du manque (K),
le héros revient ()
le héros est poursuivi (Pr),
le secours pendant la poursuite (Rs),
le héros arrive incognito (O)
les prétentions mensongères (L).
la reconnaissance du héros véritable (Q),
la découverte du faux héros (Ex),
la transfiguration du héros (T),
la punition du second agresseur (U),
le mariage (W).

Un examen attentif des schémas fait apparaître quelques exceptions.


Certaines fonctions peuvent changer de place.

« Le combat contre l'agresseur n'a lieu qu'après la poursuite. La reconnaissance du


vrai héros et la découverte du faux, le mariage et le châtiment, peuvent être déplacés.
La transmission de l'objet magique peut parfois se produire avant le départ du héros de
chez lui. » (PROPP, 1970 : 133)

123
124 Sémiologie et herméneutique

Dans la plupart des contes, il manque l'une ou l'autre fonction. Malgré


ces quelques exceptions, l'uniformité de tous les contes signifie qu'ils
proviennent de la même source. Cette source unique n'est pas forcément
géographique (certains chercheurs pensent à l'Inde), elle peut être
psychologique (les psychanalystes pensent aux rêves). En tous les cas,
l'étude morphologique du conte montre que la réalité s'y reflète très peu. En
fait, la réalité se reflète indirectement dans les contes. Un de ces points de
passage est constitué par les croyances qui se sont développées à un certain
niveau de l'évolution culturelle ; il existe probablement un lien entre les
formes archaïques de la culture et la religion d'une part, entre la religion et
les contes d'autres part. Une culture meurt, une religion meurt, et leur
contenu se transforme en conte. Les contes conservent des traces des
représentations religieuses archaïques qui peuvent être isolées avant toute
étude historique. Malheureusement, on n'a guère pratiqué jusqu'à présent la
mise en parallèle du conte et des croyances religieuses. Pour finir, notons
qu'il est nécessaire de comparer non pas suivant une ressemblance
extérieure, mais suivant des parties constitutives identiques. En fait, les cas
considérés réalisent un élément de construction qui reste le même dans son
rapport avec la composition entière. Ils provoquent des actions identiques,
représentées par des formes différentes.
Pour Propp, la morphologie ne constitue pas un but en soi. Elle sert à
découvrir la spécificité du conte merveilleux en tant que genre, afin de
trouver par la suite une explication historique à son uniformité. Propp
donna ensuite cette explication historique dans les Racines historiques du
conte merveilleux. Il partait du principe suivant lequel l'étude diachronique
(historico-génétique) devait être précédée d'une description synchronique
rigoureuse. Au niveau des personnages, les rôles sont au nombre de sept et
demeurent toujours les mêmes. Ce sont :

l'antagoniste (l'agresseur),
le donateur,
l'auxiliaire,
la princesse ou son père,
le mandateur,
le héros,
le faux héros.

Propp a élaboré deux modèles structuraux :

le premier, en détail, la succession temporelle des actions ;


le deuxième, plus succinctement, les personnages.

De ces deux modèles, Propp dégage aussi deux définitions distinctes du


conte merveilleux :

124
Le dispositif cognitif 125

un récit construit selon la succession régulière des fonctions citées dans


leurs différentes formes ;
des contes qui suivent un schéma à sept personnages.

La distribution des fonctions suivant les rôles place le second modèle


dans la dépendance du premier. Propp travaille avant tout sur les contes,
Lévi-Strauss sur des mythes.

Le mythe

Définitions du mythe

Chez Joseph Campbell

Dans son livre Les Héros sont éternels (ou Le Héros aux mille visages),
Joseph Campbell propose deux grandes structures mythologiques :

 l’aventure composite
 et le cycle cosmologique (CAMPBELL, 1978).

L'aventure composite

Il s’agit des légendes de plusieurs porteurs symboliques universels du


destin de chacun. Leurs thèmes suscitent en nous une réaction émotive ou
affective immédiate, une impression de se reconnaître dans les personnages
qui permettent d'appliquer le mythe héroïque à notre cas personnel (DIEL,
1966) (von FRANZ, 1982 : 16). Pour Joseph Campbell, leur morphologie
se présente comme suit :

1. Première étape : la séparation ou le départ :

1.1. L'appel de l'aventure ou les signes de la vocation du héros () ;


1.2. Le refus de l'appel ou la fuite de l'insensé devant le dieu () ;
1.3. L'aide surnaturelle ou le secours inattendu reçu par le héros () ;
1.4. Le passage du Premier Seuil () ;
1.5. Le Ventre de la Baleine ou la plongée dans l'obscur royaume ().

2. Le seconde étape : l'initiation avec ses épreuves et ses victoires :

2.1. Le Chemin des épreuves ou l'aspect dangereux des dieux () ;

125
126 Sémiologie et herméneutique

2.2. La Rencontre avec la Déesse (Magna Mater) ou la félicité de


l'enfance retrouvée () ;
2.3. La Femme tentatrice ou la réalisation du désir d'Oedipe et l'angoisse
qui l'accompagne () ;
2.4. La Réunion au Père () ;
2.5. L'Apothéose () ;
2.6. Le Don suprême ().

3. La troisième étape : le retour du héros et sa réintégration dans la


société (cette étape est indispensable à la circulation continue de
l'énergie spirituelle dans le monde. Ou bien, comme le Bouddha, le
héros a atteint l'illumination totale et risque d'effacer toute envie de
soulager les maux de l'humanité souvenir ; ou encore, comme
Prométhée, le héros ne s'est pas soumis à toutes les épreuves
initiatiques quand il a dérobé le bienfait destiné au monde et il en
sera foudroyé ou crucifié ; ou enfin, le héros effectue le retour de son
propre gré et rencontre incompréhension ou indifférence de la part
de ceux qu'il veut aider) :

3.1. Le Refus du retour ou la négation du monde () ;


3.2. La Fuite magique ou l'évasion de Prométhée () ;
3.3. La Délivrance venue de l'Extérieur () ;
3.4. Le Passage du Seuil au Retour ou le retour au monde de tous les
jours
() ;
3.5. Le Maître des Deux Mondes () ;
3.6. Libre devant la vie ou nature et fonction du don suprême ().

Soit :

 +  + 

Le Cycle cosmogonique

Le Cycle cosmogonique retrace la grande vision de la création et de la


destruction du monde telle qu'il est accordé au héros victorieux d'en avoir
la révélation. Pour Marie-Louise von Franz (1982 : 7-23), les mythes de
création traitent de problèmes fondamentaux de l'existence, et leur objet est
le sens ultime, non seulement de la vie humaine, mais du cosmos tout
entier. En fait, ils sont la représentation de processus inconscients et
préconscients qui retracent l'origine, non du cosmos, mais de la prise de
conscience par l'homme de celui-ci. Cela signifie que, bien avant que nous
prenions conscience du monde dans son ensemble, ou même d'une simple
partie de notre environnement, une quantité d'événements se déroulent dans

126
Le dispositif cognitif 127

notre inconscient. Les motifs des mythes de création apparaissent dans les
rêves toutes les fois que dans l'inconscient se prépare un progrès
fondamentalement important de la conscience. Les mythes de création sont
donc régénérateurs et ils opèrent la mise en ordre du chaos originel : en
cela, ils se rapprochent du mandala qui est une figure symétrique et
centrée, image de l'ordre intérieur. Les différentes formes que peut prendre
ce cycle cosmogonique sont :

 la création par un acte accidentel ;


 la création comme mouvement de haut en bas où des Êtres spirituels
siégeant dans l'au-delà créent en descendant en ce monde ou en
projetant les éléments en bas ;
 la création comme mouvement de bas en haut où tout jaillit, par
exemple, d'un trou dans la terre ;
 la création par deux créateurs, opposés ou jumeaux ;
 la création par deux animaux ;
 la création par un Deus Faber, à savoir une divinité qui fabrique le
monde, comme dans La Genèse (von FRANZ, 1982 : 22).

Au sein de ces différentes formes, Marie-Louise von Franz épingle


divers thèmes fondamentaux :

 le thème de la première victime ;


 le thème des états d'âme de la divinité créatrice (la création par la
peur, les pleurs, le désir, la profusion, le rire et l'amour) ;
 le thème de l'oeuf cosmique ;
 le thème de l'homme primordial dont la mort permet la naissance du
cosmos tout entier ;
 le thème de l'énergie créatrice comme le feu, le mana, l'énergie
cosmique qui est à l'origine de toutes choses ;
 le thème des chaînons de générations innombrables qui se
succèdent, précédant et préparant la création de la réalité concrète ;
 le thème des particules, des semences du monde (von FRANZ,
1982 : 22).

Pour Joseph Campbell, la morphologie de ces différents mythes de


création se présente comme suit :

1. Les Émanations ou surgissements hors du vide des formes de


l'univers (a).

2. La Naissance virginale ou les fonctions créatrice et rédemptrice de


la forme féminine :

2.1. À l'échelle cosmique, comme Mère de l'Univers (b) ;


2.2. À l'échelle humaine, comme Mère du Héros (c).

127
128 Sémiologie et herméneutique

3. Les Transformations du Héros esquissent le déroulement de


l'histoire légendaire de la race humaine en suivant ses étapes
caractéristiques, le héros s'y montrant sous des formes diverses selon
les nécessités changeantes de l'homme (d).

4. Les Dissolutions traitent de la fin annoncée :

4.1. Celle du héros tout d'abord (e) ;


4.2. Puis celle du monde manifesté (f).

« Le cycle cosmogonique se présente, dans les récits sacrés de tous les continents, avec
une cohésion étonnante qui donne à l'aventure du héros un tour intéressant et nouveau
[...] Il est “le fils du roi” qui est parvenu à savoir qui il est et qui, de ce fait, est entré en
possession de sa propre puissance. Il est “fils de Dieu” et il a appris à connaître tout ce
que ce titre signifie. De ce point de vue, le héros est le symbole de l'image divine,
créatrice et rédemptrice, qui est cachée en chacun de nous, n'attendant pour revenir à
la vie que d'être reconnue. » (CAMPBELL, 1978 : 42)

Soit :

abcdef

Le héros du monomythe décrit par Joseph Campbell est un personnage


exceptionnellement doué. Sa société l'honore tout aussi souvent qu'elle le
méconnaît ou le dédaigne. Lui et/ou le monde dans lequel il se trouve
souffrent de déficience symbolique. Dans l'optique apocalyptique, cela peut
se traduire par la vie physique et spirituelle disparue à jamais de la terre, ou
sur le point de l'être. Le héros du mythe remporte un triomphe à l'échelle
de l'histoire universelle, un triomphe macrocosmique. Il rapporte de son
aventure les moyens de régénérer la société qui l'entoure dans sa totalité.
Les héros tribaux ou locaux, tels que l'empereur Hang Ti, Moïse ou le
Tezcatlipoca des Aztèques, n'accordent leurs bienfaits qu'à un seul peuple ;
les héros universels — Mahomet, Jésus, Gautama le Bouddha — apportent
un message qui s'adresse au monde entier. Les mythes et les religions
situent l'exploit héroïque sur le plan moral.
Le héros du conte de fées est également un personnage
exceptionnellement doué. Sa société l'honore tout aussi souvent qu'elle le
méconnaît ou le dédaigne. Lui et/ou le monde dans lequel il se trouve
souffrent aussi de déficience symbolique. Dans les contes de fées, cela se
traduit par un détail aussi mince que la perte d'un certain anneau d'or. Le
héros du conte de fées remporte une victoire familière, microscopique.
Premier dernier-né ou enfant négligé, il se rend maître d'extraordinaires
pouvoirs et l'emporte sur ses oppresseurs personnels. Les contes de fées
présentent l'exploit héroïque comme un acte physique.

128
Le dispositif cognitif 129

« Quoi qu'il en soit, on ne trouvera qu'étonnamment peu de différence dans la


morphologie de l'aventure, entre les rôles dévolus aux personnages ou les victoires
emportées. S'il arrive que, dans un conte, un mythe, une légende ou un rituel donnés,
l'un des éléments de base du modèle archétype soit omis, il est obligatoirement impliqué
sous une forme ou sous une autre. » (CAMPBELL, 1978 : 41)

Chez Lévi-Strauss

Lévi-Strauss ne fait pas de différence entre le mythe et le conte. Il est


enclin à faire des héros du conte des médiateurs. Pour lui, la médiation est
liée à une certaine dualité des personnages mythiques ou des personnages
de contes, et plus spécialement des personnages mythologiques de voyous-
tricksters. Lévi-Strauss considère le mythe comme un phénomène de
langage, apparaissant à un niveau plus élevé que les phonèmes, les
morphèmes et les sémantèmes. Pour Lévi-Strauss, les mythèmes sont de
grandes unités constitutives, qu'il faut chercher au niveau de la phrase. Si
l'on découpe le mythe en courtes propositions et si on les reporte une à une
sur des fiches, des fonctions déterminées apparaissent. En même temps, on
s'aperçoit que les mythèmes ont un caractère de relation. Chaque fonction
est attribuée à un sujet déterminé. (MELETINSKI, 1970 : 211) Pour Lévi-
Strauss, le mythe appartient aux deux catégories saussuriennes, langue et
parole. En tant que narration historique du passé, le mythe est
diachronique et irréversible dans le temps. En tant qu'instrument
d'explication du présent ou du futur, le mythe est synchronique et
réversible. Ainsi, pour Lévi-Strauss, les unités constituantes originales du
mythe révèlent leur nature signifiante comme des paquets, c'est-à-dire
comme des combinaisons de relations, à deux dimensions, diachronique et
synchronique. Sur le plan méthodologique, ces paquets de relations
apparaissent lorsque les différentes variantes du mythe s'écrivent les unes
au-dessous des autres. Sur l'horizontale, on obtient la succession temporelle
des événements, ce sont les épisodes mythiques. Cette dimension
horizontale est nécessaire pour une lecture du mythe. Sur la verticale, les
rapports se groupent en paquets de sorte que chaque colonne représente un
paquet de relations dont le sens est indépendant de la succession des
événements, à l'intérieur de chaque variante. Cette dimension verticale est
nécessaire pour la compréhension du mythe. La comparaison des variantes
d'un mythe aux variantes des autres mythes conduit à un système à
plusieurs dimensions. Lévi-Strauss relève les variantes du mythe d'Oedipe
et les classe en quatre colonnes :

129
130 Sémiologie et herméneutique

La surestimation La sous-estimation La négation de La relation positive


(l’hypertrophie des (l’hypotrophie des l'autochtonie à l'égard de
rapports de parenté) rapports de parenté) (victoire sur les
l'autochtonie
monstres chthoniens,(les hommes qui
qui empêchent les sortent de la terre
hommes de naître de n'arrivent pas
la terre et de vivre)
toujours à marcher
pendant les premiers
temps)
Cadmos cherche Les Spartes s'entre- Cadmos tue le dragon les noms des
Europe tuent ancêtres d'Oedipe
indiquent un défaut
physique qui
empêche de marcher
droit.
Œdipe épouse Œdipe tue Laïos Œdipe immole le
Jocaste Sphinx
Antigone enterre Etéocle tue Polynice
Polynice

La corrélation entre les quatre colonnes est un moyen original de


surmonter l'antinomie entre la naissance humaine et l'autochtonie, sans
l'avoir résolue, en éludant les problèmes par substitution. Pour Lévi-
Strauss, le mythe d'Oedipe signifie l'impossibilité pour l'humanité, qui croit
en l'autochtonie de l'homme (la naissance par la terre, comme les plantes),
de reconnaître le fait que l'homme naît de l'homme et de la femme, qu'un
naît de deux. Lévi-Strauss s'est ensuite orienté vers les mythes plus
archaïques des Pueblos de la tribu Zuñi. Il tente de montrer que le mythe
tranche le dilemme vie-mort et que ce choix détermine sa structure.
Finalement, Lévi-Strauss considère le mythe comme un instrument logique
pour surmonter les antinomies. La pensée mythique,

« [...] va de la détermination de deux termes contradictoires à une médiation


progressive. Le problème n'est pas vraiment résolu, mais il est levé dans la mesure où
un couple de pôles extrêmes est remplacé par une opposition moins lointaine.
L'opposition vie-mort est transformée en une opposition règne végétal — règne animal,
qui elle-même se transforme en opposition nourriture végétale — nourriture animale.
Cette dernière opposition est levée lorsque le médiateur lui-même — le héros culturel
mythique — est pensé sous l'aspect d'un animal, se nourrissant de charognes (coyote,
corbeau des Indiens du Nord-Ouest), et se tient par la même au milieu, entre les
rapaces et les herbivores. » (MELETINSKI, 1970 : 211-212)

D'après Lévi-Strauss, la hiérarchie des éléments fondamentaux du


mythe correspond au mouvement de la vie vers la mort, et inversement. À
ce mouvement est lié le processus mythique qui consiste à surmonter les
antinomies entre la représentation de la continuité autochtone du genre

130
Le dispositif cognitif 131

humain (semblable à la croissance des plantes) et le changement de fait des


générations, en tant que cycle des morts et des naissances. Lévi-Strauss
exprime la structure du mythe par un modèle de processus médiateur à
l'aide de la formule suivante :

Fx (a) : Fy (b)  Fx (b) : Fa-1 (y)

a et b sont deux personnages ;


a est lié à une fonction négative (x) ;
b est lié à une fonction positive (y), mais
susceptible de prendre aussi la fonction
négative (x) en devenant à ce moment-là le
médiateur de (x) et de (y) ;
Fa-1 (y) indique qu'il ne s'agit pas
uniquement de l'annulation de l'état initial,
mais d'une acquisition supplémentaire, d'un
nouvel état qui est le résultat d'un
développement en spirale.

Les deux parties de la formule représentent chacune une moitié du


processus mythique. Elles illustrent deux situations qui possèdent une
certaine équivalence. Dans la seconde partie de la formule, un terme est
remplacé par son opposé et on obtient une inversion entre la valeur des
fonctions et les termes des deux éléments. Lévi-Strauss a démontré que les
appellations totémiques des sociétés primitives sont employées dans une
construction de classifications complexes, comparables au matériau utilisé
dans un système de signes. Il donne une analyse intéressante de quelques
oppositions sémantiques (le cru et le cuit, etc.) qui sont essentielles pour
comprendre les représentations mythologiques et le comportement rituel.
Bref, il met en exergue le caractère oppositionnel des symboles qui figurent
au sein des mythes, et rejoint en cela le point de vue de Jung pour qui les
archétypes se développent entre deux pôles. Comme pour Jung, les
oppositions finissent par se conjuguer, après un parcourt en spirale. Lévi-
Strauss considère le mythe comme un instrument de la « logique »
primitive et c'est pourquoi ses études représentent une analyse de la
structure de la pensée mythique et non pas du récit mythique.

Lévi-Strauss « concentre son attention sur les “faisceaux de relations” et leur


signification symbolique et logique. Propp, dans sa recherche de la spécificité
générique du conte merveilleux, examine avant tout le récit, analyse le développement
chronologique et, par conséquent, la syntagmatique, afin d'éclairer la signification de
chaque syntagme à l'intérieur d'un sujet donné. C'est pourquoi son modèle structural
est linéaire. » (MELETINSKI, 1970 : 216-217)

Lévi-Stauss s'intéresse avant tout à la « logique » mythique. Il part du


mythe, relie les fonctions verticalement, et s'efforce ainsi de tirer un

131
132 Sémiologie et herméneutique

paradigme d'une confrontation des variantes. Le modèle structural de Lévi-


Strauss n'est pas linéaire. Pour Propp, le héros répare le manque en agissant
négativement par rapport à l'agresseur (dualité du terme b de Lévi-Strauss)
et construit une nouvelle situation en s'appropriant des valeurs magiques
supplémentaires. Ces deux savants cherchent les solutions d'un problème
selon deux démarches inverses :
Propp coupe la forme de son contenu, sépare le conte du mythe, néglige
le contexte ethnographique, et construit une grammaire sans lexique. Ce
qui explique la tendance de Propp à réduire tous les contes à un seul.
Lévi-Strauss découvre derrière la diversité des fonctions une plus
grande constance, présente certaines fonctions comme le résultat de la
transformation des autres, remplace la séquence des fonctions par un
schéma algébrique, et propose de voir dans les personnages du conte des
médiateurs reliant des oppositions.

Lévi-Strauss déclare qu'il est possible d'interpréter les diverses


fonctions comme résultant de la transformation d'une même essence. Cet
examen ne peut être réalisé qu'après une analyse morphologique sommaire,
car on ne peut établir toute la variété des liens entre fonctions sans avoir
dégagé au préalable les fonctions elles-mêmes.

Chez Greimas

A.J. Greimas tente d'éclairer les recherches de Georges Dumézil en


mythologie comparée, en se servant de la méthode de Lévi-Strauss. A.J.
Greimas considère que les mythèmes sont liés par des noeuds
paradigmatiques et que la formule exemplaire du mythe est la suivante :

A  B (deux oppositions liées par


non A non B une corrélation globale).

Structure générale du récit

Pour A. J. Greimas, le récit est la représentation d’un événement. Cet


événement est une transformation. La structure générale du récit
s’inscrit sur un axe sémantique : S  S’. Cet axe sémantique s’inscrit
dans une succession temporelle :

S ----------------> S’
Situation transformation situation
initiale finale

132
Le dispositif cognitif 133

Un récit peut présenter plusieurs transformations. Celles-ci sont de


divers types :

 Les transformations hiérarchisées : TG>T1>T2>T3 ;


◦ Un épisode est un récit qui s’intègre comme élément d’un récit
global. Les épisodes sont des unités narratives.
 Les transformations successives : TG = T1+T2+T3…
 les transformations indépendantes : texte = récit 1 + récit 2.
=> Texte = (S -> S’) + (S’’ -> S’’’)

Les séquences sont des unités spatio-temporelles liées à diverses


disjonctions typographiques, temporelles, spatiales, énonciatrices et/ou
actorielles. Elles organisent la façon de raconter, la représentation des
évènements. Greimas va ensuite analyser le récit selon trois niveaux :

 Le niveau figuratif,
 le niveau narratif,
 le niveau thématique.

Le figuratif est le contenu d’un texte tel qu’il est accessible à nos sens.
Au niveau figuratif, on prend en considération les « personnages » et leurs
« actions » dans des lieux et des temps déterminés. Il faut distinguer :

 une approche paradigmatique : classement des figures en fonction


des différences et des oppositions ;
 et une approche syntagmatique : déroulement des parcours en
fonction des agencements, des configurations ou des motifs.

Aussi bien les oppositions de figures que les configurations


acquièrent du sens en fonction des thèmes qu’elles expriment dans un
contexte donné.
Le niveau narratif est intermédiaire entre :

 Le figuratif (plus concret)


 et le thématique (plus abstrait).

Ce niveau narratif met en évidence l’organisation signifiante d’un


texte.
Il concerne :

 les actants (perspective paradigmatique)


 et leurs divers parcours (perspective syntagmatique)

En fait, A. J. Greimas dégage quelques oppositions sémantiques qui


jouent le rôle de traits distinctifs (bienfaisant-nuisible, esprit-matière,
paix-guerre, intégral-universel) et présente certaines conceptions

133
134 Sémiologie et herméneutique

mythologiques comme la transformation d'autres conceptions (GREIMAS,


1966a). Greimas synthétise l'étude syntagmatique de Propp et l'étude
paradigmatique de Lévi-Strauss, au profit d'un traitement des schémas de
Propp à l'aide des moyens que lui apportent la logique et la sémantique
contemporaines. Dans son analyse du mythe, Greimas part de Lévi-
Strauss, en le complétant par la théorie de Propp. Greimas transforme de la
manière suivante le schéma de Propp (MELETINSKI, 1970 : 223) :

p A C1 C2 C3 p A1 p1 (A2 + F2 + non c2) d non p1 (F1 + c1 + non c3)


non p1 d F1 p1 (A3 + F3 + non c1) C2 C3 A (non c3)
A = contrat (mandement-acceptation)
F = lutte (affrontement-victoire)
C= communication (émission-réception)
p = présence
d= déplacement rapide
A = rupture du contrat = fonction binaire (interdiction-transgression, a vs non a) qui est
en corrélation avec l'établissement du contrat A (mandement-acceptation, a vs non a)
A1 = médiation — début de la réaction
A2 = la première fonction du donateur — réaction du héros
A3 = la remise de la tâche au héros dans la dernière épreuve
C1 = fonctions interrogation-information : axe de la communication, c'est-à-dire question-
réponse
C2 = fonctions tromperie-complicité : axe de la force : perte de l'énergie du héros
C3 = fonctions méfait-réparation du manque : axe de l'objet du désir : la réparation du
manque est l'obtention de la princesse
C1 = marque-reconnaissance est en corrélation (C1 vs C1) avec interrogation-
information comme moyen de communication
C2 = découverte-transfiguration s'oppose à tromperie-complicité (C2 vs C2 ) comme
révélation de la force du héros. En outre, la réception de l'objet magique s'oppose à la perte
de l'énergie du héros exprimée par la fonction de complicité (non c2 vs non c2)
C3 = au méfait correspond, dans la série positive, le châtiment de l'agresseur. (C3 vs C3 ) =
le manque est surmonté par sa réparation et par le mariage, qui compense le manque du
héros.

Il considère que le principal résultat de cette réduction des fonctions est


la distinction des structures paradigmatiques.

134
Le dispositif cognitif 135

Relation destinateur/sujet
Relation sujet/objet
Contrat Compétence Performance Sanction
Épreuve qualifiante Épreuve Épreuve
principale glorifiante
(Acquisition par l’objet modal l’objet de valeur la reconnaissance
le sujet de:
Faire persuasif Faire interprétatif
du destinateur du destinateur
Faire savoir Vouloir faire Devoir faire faire Savoir (sur le
 Faire faire Pouvoir faire Savoir-faire faire et le sujet)
Sujet virtuel Sujet actualisé Sujet réalisé Sujet glorifié
Plan pragmatique
Plan cognitif

(ÉVERAERT-DESMEDT, 1981 : 61)

Et au plan syntagmatique, nous avons le modèle actantiel suivant :

Axe de communication
Destinateur objet Destinataire

Axe de la quête

Adjuvant sujet Opposant


Axe du pouvoir
(GREIMAS, 1981)
Greimas établit ainsi une correspondance entre la structure de l’épreuve
et le modèle structural des actants : à la dimension de la communication
(destinateur-destinataire) correspond le contrat, à l’axe adjuvant-
opposant correspond le combat, et enfin à l’obtention de l’objet désiré
correspond la conséquence (le résultat) de l’épreuve. Dans la première
épreuve (la qualification du héros pour les épreuves décisives), le
destinateur joue le rôle de l’opposant ; dans la seconde épreuve (la
principale) et la troisième (glorifiante), on observe une correspondance
exacte entre les fonctions et les actants. Les autres fonctions se groupent
sur les mêmes axes (transmission du message, de la force, de l’objet
désiré).

Le niveau thématique est le niveau le plus abstrait. Il reprend la


structure proprement dite du récit. Pour saisir la signification d’un récit
dans son organisation fondamentale, il existe deux perspectives :

135
136 Sémiologie et herméneutique

 la perspective paradigmatique (les relations) selon un axe


sémantique qui articule des contenus contraires ;
 la perspective syntagmatique (les opérations) selon le parcours qui
correspond aux transformations opérées par la grammaire narrative.

Greimas, dans son livre Sémantique structurale (1966), pose que la


structure élémentaire de la sémantique repose sur le couple conjonction +
disjonction. Par exemple, si on prend l’opposition entre blanc et noir, on
se trouve à la fois devant une disjonction (opposition des significations) et
une conjonction (ces deux qualités sont comparables). L’existence de la
conjonction définit un axe sémantique (dans ce cas-ci, celui de la couleur)
qui joint les éléments de signification contenus dans les termes envisagés.
Greimas leur donne le nom de sèmes : ici, la noirceur et la blancheur.
(CHRISTOPHE, 2008-2009 : 6)

En prenant l’exemple des valeurs, bien vs mal, on voit que le bien


s’oppose au mal comme le blanc s’oppose au noir. C’est une disjonction.
En même temps, blanc et noir sont sur le même axe sémantique, celui des
valeurs. En explorant les relations qui sont associées à ces termes par
contradiction ou par complémentarité, Greimas construit un carré
sémiotique qui va lui servir d’outil dans la recherche du sens d’un concept.
Il le définit comme la représentation logique d’une catégorie sémantique
quelconque où il va pouvoir définir quatre positions à partir de trois
relations :

 Une relation de contrariété, constituée sur l’axe de la conjonction :


bien vs mal ;
 Une relation verticale de complémentarité : bien/pas mal, mal/pas
bien ;
 Une relation oblique de contradiction : mal/pas mal, bien/pas bien.

Bien vs Mal

Pas mal Pas bien

Ce modèle permet de dégager du sens produit par n’importe quel objet


culturel constitué de signes (CHRISTOPHE, 2008-2009 : 6). Il permet
également de dégager le sens du récit en prenant la situation initiale et la
situation finale comme axe de conjonction.

136
Le dispositif cognitif 137

Au niveau des relations, nous reprenons les oppositions fondamentales


du récit pour ainsi obtenir le carré sémiotique suivant :

Blanc Noir

Non noir Non blanc

Au niveau des opérations, nous reprenons la situation initiale et la


situation finale pour obtenir le parcours suivi par le récit :

Situation initiale Situation finale


Célibataire Marié

Non marié Non célibataire


Non-situation finale Non-situation initiale

En résumé, l’analyse greimassienne s’opère comme suit:


énonciation
Niveau Perspective paradigmatique Perspective syntagmatique
contenu

Profond Thématique Articulations thématiques Parcours thématiques


énoncé

Narratif Relations actantielles Parcours narratifs


Superficiel Figuratif Oppositions figuratives Parcours figuratifs
Expression

Chez Claude Bremond

Claude Bremond s'efforce de tirer de l'analyse de Propp des règles


générales sur le déroulement de tout sujet narratif. Il se concentre sur la
logique narrative et sur la syntaxe des conduites humaines. Ainsi, il insiste
sur l’importance des rôles narratifs et des personnages. Il pense que la
fonction est effectivement « un atome narratif », et que le récit est formé
par le groupement de ces atomes.

137
138 Sémiologie et herméneutique

« (…) c’est seulement par rapport à un projet humain que les évènements prennent sens
et s’organisent en une série temporelle structurée (BREMOND, 1966 : 68).

Le narrateur conserve la liberté de faire passer l’action à l’acte ou de la


maintenir à l’état de virtualité. Le réseau des possibles suit le modèle
suivant :

But atteint
(ex. succès de la conduite)
Actualisation
(ex. conduite pour atteindre le but)
Virtualité But manqué
(ex. but à atteindre) (ex. échec de la conduite)
Absence d’actualisation
(ex. inertie, empêchement d’agir)
(LITS, 2008 : 65)

Les séquences alternent en phases d’amélioration et de dégradation,


d’équilibre et de déséquilibre qui s’enchaînent par « accolement ». Pour
aboutir à une amélioration, il faut surmonter un certain nombre d'obstacles
nécessitant un certain nombre de moyens. Ainsi, surgit une tâche
déterminée, confiée à un allié (auxiliaire, donateur), lequel s'oppose à
l'adversaire (agresseur). Les relations du héros et de son allié portent un
caractère de contrat. La mise hors d'état de nuire de l'adversaire peut être
ou pacifique (négociation) ou hostile (agression). La négociation peut
avoir un caractère de séduction ou d'intimidation ; l'agression se
transforme souvent en tromperie et renferme une dissimulation
indispensable pour que l'adversaire tombe dans le piège, etc. Les séries
améliorations et dégradations se trouvent être en rapport de distribution
complémentaire :

Amélioration Dégradation
Service d'un allié-créancier Sacrifice consenti au profit d'un allié-
débiteur
Service d'un allié-débiteur Acquittement d'obligation envers un
allié-créancier
Agression infligée Agression subie
Succès d'un piège Erreur fautive
Vengeance Châtiment

Un examen bilatéral de chaque action et une analyse des alternatives


permettant le déroulement du récit s'avèrent très productifs. Mais l'analyse
de Bremond demeure trop abstraite, car sa démarche est générale et non
issue de l'analyse d'un genre précis.

138
Le dispositif cognitif 139

Les diverses instances du dispositif


d'énonciation

Dans les diègèsis non mimétique et mixte, il existe un ou plusieurs


types de narrateurs. Jost en retient essentiellement deux :

Le narrateur premier : c'est le narrateur extra et hétérodiégétique. Jost


l'appelle également « le narrateur implicite » ou, pour les films et les BD,
le « grand imagier » (ex.: la voix off au début de La lettre écarlate de
Wenders (de la 31e à la 44e seconde) ; les « récitatifs » d’Un Été indien de
Pratt et Manara (en dehors des pages 84 à 92) ;
Le narrateur second : c'est le narrateur intradiégétique ou « narrateur
explicite ». Pour le cinéma, le « narrateur profilmique » (ex.: les divers
énonciateurs du film La Comtesse aux pieds nus ; la mère Lewis, dans Un
Été indien, pp. 84 à 92) (JOST, 1987).

Gaudreault pousse plus loin les nuances. En fonction du champ


d'intervention (profilmique ou filmographique) et du mode de
communication narrative (monstration ou narration), il établit un tableau du
dispositif énonciatif du récit filmique :

Le méganarrateur ou grand imagier qui s'occupe de la mise en film se


subdivise en deux instances :

1. Le mégamonstrateur filmique : qui s'occupe de la mise sur film


(monstration). Cette instance se subdivise également en deux
parties :

1.1. Le monstrateur profilmique, c'est-à-dire manipulation du


dispositif profilmique (mise en scène) ;
1.2. Le monstrateur filmographique, c'est-à-dire manipulation du
dispositif de prise de vues (mise en cadre) ;

2. Le narrateur filmographique, c'est-à-dire la manipulation du


dispositif de traitement des images déjà tournées (mise en chaîne)
(GAUDREAULT, 1988 : 120-122).

139
140 Sémiologie et herméneutique

départ MANIPULATION arrivée

champ d’intervention mode de communication


narrative

profilmique { dispositif profilmique

monstration
dispositif de prise de vues

filmographique

dispositif de traitement des images } narration

SYSTÈME DU RÉCIT FILMIQUE

MISE EN SCÈNE

MISE EN FILM monstrateur


profilmique
mégamonstrateur
filmique
méganarrateur monstrateur
filmique (grand filmographique

MISE EN FILM narrateur MISE EN CADRE


filmographique

MISE EN CHAÎNE

TABLEAU DU DISPOSITIF ÉNONCIATIF


DU RÉCIT FILMIQUE

Ces diverses instances peuvent être adaptées à la bande dessinée, en


tenant compte que les personnages sont cette fois « dessinés dans un rôle
ou pour un rôle (une fonction figuro-narrative). » (MARION, 1991 : 33)
S'il y a monstration, c'est donc avant tout « une monstration graphique »
(MARION, 1991 : 33). Philippe Marion propose de transposer le concept
de monstrateur graphique au plan de la « trace signifiante » et de lui
donner le nom d'instance de graphiation. Il s'agirait donc de « cette

140
Le dispositif cognitif 141

instance particulière qui “traite” ce matériau graphique constitutif de la


bande dessinée et lui insuffle, de manière réflexive, l'empreinte de sa
subjectivité singulière, la marque de son style propre. »(MARION, 1991,
33-34) Si nous distinguons la graphiation de la monstration, celle-ci serait
assimilée « à la “présentation” des différents motifs figuratifs
(personnages, décors...) participants de ce que Platon appelle la “diègèsis
mimétique”. »(MARION, 1991 : 34)
Il y a lieu de tenir compte également du fait que le « grand imagier »
peut jouer sur divers autres registres propres à la bande dessinée : « la case,
le strip, la planche, les relations entre le texte et le dessin, entre le scénario
et sa mise en images » (PEETERS, 1991 : 7), les relations interplanches
(les chutes en bas de page, mais aussi certains autres rapports20). Le tableau
du dispositif énonciatif du récit iconique se présente comme suit :

Le « grand imagier » devient un méganarrateur graphique. Il s'occupe


de la mise en bande dessinée et se subdivise en plusieurs instances :

1. le mégamonstrateur graphique s'occupe de la mise sur papier et se


subdivise également en plusieurs instances ;

i. le monstrateur prographique réalise la mise en case (c'est-à-dire


la « présentation » des différents motifs figuratifs dont les
personnages, les décors, mais aussi la « présentation » des
narratifs et des phylactères, la « symbolique » des couleurs...) ;
ii. le monstrateur graphique manipule la variation des angles,
l'échelle des plans, les cadres [dans une bande dessinée, « le
cadre est un élément fondamentalement variable et pour ainsi
dire élastique [...] Les possibilités d'intervention sur la taille de
l'image, assez rares au cinéma, sont ici presque
infinies. »(PEETERS, 1991 : 14)] ; la mise en page est très
importante, surtout lorsqu'il y a une dominance du tableau par
rapport au récit qui entraîne une utilisation décorative ou
productrice ;
iii. l'instance de graphiation joue sur la teneur en trace (nature de la
trace et degré de trace au niveau du graphisme, du récitatif et du
phylactère), mais aussi sur la mise en couleur ;

2. le narrateur graphique agit sur l'interaction narrative entre le


dessin, les onomatopées, le narratif et les dialogues contenus dans
les phylactères. Il dispose les cases en bandes, planches et albums
(voire même séries d'albums) et manipule également les planches
entre elles. Il s'occupe de la mise en chaîne, des liaisons
proprement narratives. Il est l'expression de l'étroite collaboration

20
(MATHIEU, 1991 : 40-43) Le trou au milieu des planches 37 et 38 permet aux dessins
centraux des planches 36 et 39 d'interférer dans le déroulement de l'histoire.

141
142 Sémiologie et herméneutique

entre le dessinateur et le scénariste, même si ceux-ci sont une seule


et même personne (PEETERS, 1991 : 103-119)21.

Les rapports entre le texte et l'image

Au-delà d'une classification narratologique des combinaisons


audiovisuelles (JOST, 1987 : 65), il est également utile de réfléchir au
niveau du fond sur l'interaction entre le texte et l’image.
Le texte et la parole impliquent en matière de perçu une certaine
distanciation, une différenciation, voire une référenciation. Sur le plan
cognitif, ils génèrent des opérations mentales analytiques. Parole et texte
sont liés au digital. Ils analysent, découpent la réalité. Ils établissent des
relations d'abstraction, des relations logiques et des jugements de valeur.
Texte et parole relèvent des fonctions conscientes de la pensée et du
sentiment22. Ils fixent le sens et tendent à l'univocité. Au plan du discours, il
est cependant possible d'atténuer ce dernier aspect. Un discours
métaphorique laisse l'interprétation plus ouverte. La théorie inférentielle
nous montre d'ailleurs que pour être compris, un message verbal ou écrit
doit être déduit. Tout énoncé demande un minimum d'inférence de la part
du destinataire (SPERBER & WILSON, 1989). Il suscite la réflexion et
l'analyse. Son sens peut apparaître de prime abord plus univoque, moins
ambigu. Le degré de liberté d'interprétation est relativement faible, sauf
justement dans le cas où l'auteur utilise des métaphores ou des symboles.
En matière de perçu, l'image est le média de la participation, de
l'identification. Sur le plan cognitif, elle est liée à l'analogique. Elle est le
support des associations métaphoriques ou métonymiques. Elle engendre
des opérations mentales syncrétiques. L'image relève des deux fonctions
inconscientes de la psyché, l'intuition et la sensation. Sur le plan du
discours, la mise en séquence d'une série de plans différents peut créer des
comparaisons qui nous obligent à abstraire des traits communs. L'image
sert alors la pensée analytique. La succession d'images permet d'inférer des
opérations d'abstraction. Plus l'image se vide, plus elle tend vers le schéma
mental. En cela, le dessin fait davantage appel à l'imagination que le
document photographique. La ligne claire est un ensemble de vides
encerclés où l'imagination peut facilement se projeter. Ces vides sont
ouverts à toutes les potentialités. Nous rejoignons en ce sens le concept
fondamental du Tao. L'important dans un récipient, c'est le vide qu'il
contient. Rien d'étonnant à ce que les estampes chinoises ou japonaises
aient inspiré le style et l'œuvre d'Hergé.

21
L'auteur y analyse l'épineux problème de la collaboration.
22
Pour les fonctions de la psyché, voir le chapitre I de la première partie.

142
Le dispositif cognitif 143

L'interaction du texte, de la parole et de l'image peut engendrer des


produits différents. Selon les combinaisons, nous aurons différentes sortes
de message :

 Soit un message persuasif (discours et images sont travaillés par des


figures de style) qui engendre un mode de pensée syncrétique ;
 Soit un message didactique (les images ne font qu'illustrer le sens
univoque du verbe) qui engendre un dispositif d'énonciation
autoritaire ;
 Soit un message ouvert (mélange de discours logique et de
séquences d'images offrant des points de vue différents ; les images
n'illustrent pas obligatoirement le discours) dont le sens est
coconstruit par le destinataire. Les œuvres de Wenders, de Pratt et de
Manara relèvent davantage de ce type de message.

Relais et ancrage

Par rapport à l’image, les fonctions remplies par le message linguistique


peuvent être d’ancrage ou de relais :

« La fonction de relais se réalise lorsqu’image et parole sont dans un rapport de


complémentarité, apportant chacune leur part au sens global du message. »
(MEUNIER & PERAYA, 1993 : 155)

La fonction d'ancrage se trouve mise en rapport avec le caractère


polysémique de l'image. Ce caractère polysémique de l'image peut sembler
contradictoire avec le caractère codé du message linguistique. Or, le texte
est là pour combattre cette polysémie de l'image et ancrer le sens. La
fonction d'ancrage touche les deux niveaux de sens :

 Au niveau de la dénotation, le texte guide l'identification. Il sert


effectivement à identifier les éléments de la scène représentée. Il
aide le lecteur à choisir le bon niveau de perception et lui permet
d’accommoder son regard et son intellection.
 Au niveau de la connotation, le texte guide l'interprétation. Il
empêche les sens connotés de proliférer. Il limite le pouvoir projectif
de l'image. À ce niveau, le texte a une valeur répressive. Il exerce
une fonction de contrôle face à la puissance projective des figures
(MEUNIER & PERAYA, 1993 : 155-156).

143
144 Sémiologie et herméneutique

Conclusions

Ce chapitre nous a permis de voir les différentes caractéristiques du


dispositif cognitif proposé par le message. Nous pouvons récapituler
l’ensemble des notions vues sous la forme du tableau suivant :

Quelles sont les caractéristiques du dispositif cognitif proposé par le message ?


Questions posées Concepts utilisés Réponses possibles
S'agit-il d'énoncés relativement Le déjà-vu et le nouveau Déjà-vu
fermés (explicites) ou (BARTHES, 1973) Nouveau
relativement ouverts, c'est-à-
dire réclamant l'intervention de Ouverture et fermeture Oeuvre ouverte
processus inférentiels et (ECO, 1965) Oeuvre fermée
laissant donc aux spectateurs-
énonciataires une part Degré d'arborescence Oeuvre rhizomatique
importante dans l'élaboration (DELEUZE & GUATTARI, Livre-radicelle
du sens ? 1976) Livre-racine
Quelles sont la morphologie et Analyse morphologique Morphologie du conte
la structure de l'œuvre ? (PROPP, 1970) Morphologie du Mythe 1
(CAMPBELL, 1978) Morphologie du Mythe 2
Autre

Analyse structurale Situations initiale et finale


(GREIMAS, 1981) Épisodes et séquences
(EVERAERT-DESMEDT, Modèle actantiel
1981) Syntaxe actantielle et récit
(BREMOND, 1966) canonique :
 Axe de communication
 Axe du désir
 Axe du pouvoir
Le carré sémiotique
Quelles sont les diverses Dispositifs d'énonciation Le mégamonstrateur
instances relevées au niveau du (GAUDREAULT & JOST,  le monstrateur
dispositif d'énonciation ? 1990) profilmique ou
(JOST, 1987) prographique
(GAUDREAULT, 1988 :  le monstrateur
120-122) (MARION, 1991 : filmographique ou
33-34) (SAUCIN, 1997 : 53- graphique
56)  l'instance de
graphiation
Le narrateur
Quels sont le type de message Message Persuasif
et l'interaction entre l'image et (MEUNIER & PERAYA, Didactique
le texte ? 1993) Ouvert

144
Le réseau relationnel
entre les personnages

Les rapports de communication

Au sein du récit, les rapports de communication sont multiples. Dans un


premier temps, nous nous intéresserons aux rapports entre les différents
personnages. Ainsi, nous essayerons de voir s’ils sont confinés ou non dans un
même registre et quelles sont les variations relatives au son et aux différents
points de vue. Dans un second temps, nous nous intéresserons davantage au
réseau relationnel qui s’établit entre les divers acteurs de la communication :
traces du destinateur, traces du destinataire, traces communes à l’un et à
l’autre.

Le registre des personnages

Les personnages d'une œuvre d'imagination ne sont pas toujours ce qu'ils


laissent paraître. Comme nous l’avons vu en sémiotique narrative, afin de
clarifier leur(s) rôle(s), A.J. Greimas propose de les classer en six grandes
catégories d’actant :
146 Du signe au symbole

Axe de communication

Destinateur objet destinataire

Axe de la quête

Adjuvant sujet opposant

Axe du pouvoir
(GREIMAS, 1981 : 51)
Par exemple, dans le destinateur, on peut retrouver le mandateur et le
père de la princesse, de Propp ; dans l'adjuvant, l'auxiliaire magique et le
donateur ; dans l'opposant, le traître. Le destinataire du conte est confondu
avec le héros, qui, en même temps, s'avère être aussi le sujet. L'objet est la
princesse. Greimas considère, en outre, l'adjuvant et l'opposant comme des
personnages secondaires, simples projections de la volonté d'action du sujet
lui-même. À l'opposition destinateur-destinataire correspond la modalité du
savoir ; à l'opposition adjuvant-opposant, celle du pouvoir, et enfin, au
sujet-objet correspond la modalité du vouloir. Le désir du héros d'atteindre
l'objet se réalise au niveau des fonctions dans la catégorie de la quête. En
fonction des diverses relations entre actants, les unités syntagmatiques du récit
se présentent dès lors comme suit :

Relation destinateur/sujet
Relation sujet/objet
Contrat Compétence Performance Sanction
épreuve qualifiante épreuve principale épreuve glorifiante
acquisition par le acquisition par le acquisition par le
sujet de l’objet modal sujet de l’objet de sujet de la
valeur reconnaissance
faire persuasif du faire interprétatif du
destinateur destinateur
faire savoir vouloir devoir faire savoir (sur le faire et
---> faire faire faire faire le sujet)
pouvoir savoir-
faire faire
sujet sujet sujet réalisé sujet glorifié
virtuel actualisé
Plan pragmatique

Plan cognitif (ÉVERAERT-DESMEDT, 1981 : 61)

146
Sémiologie et herméneutique 147

Les variations sonores

Les sons, les bruits et l'auricularisation


(MEUNIER, 1991) (GAUDREAULT & JOST, 1990) (JOST, 1987)

Les sons peuvent être présentés de diverses manières :

1. Les sons non affectés : ce sont des sons pour lesquels il n'existe aucune
trace du rapport avec l'image. Ce sont des sons à simple présence
sonore. Par exemple, une voix off délocalisée.
2. Les sons affectés : ce sont des sons pour lesquels il existe au moins une
trace qui rappelle la présence du son dans l'image.
2.1. Les sons affectés à double présence concordante : ce sont des sons
qu'on lit ou entend et dont on voit en même temps la source
émettrice.
2.2. Les sons affectés à double présence discordante : ce sont des sons
qu'on lit ou entend de manière décalée par rapport à l'image de la
source émettrice.
2.3. Les sons affectés à simple présence concordante : ce sont des sons
qu'on lit ou entend et pour lesquels il existe une trace dans l'image
qui indique en même temps que le son est produit tout près, sans
qu'on ne voie l'élément qui produit le son.
2.4. Les sons affectés à simple présence discordance : ce sont des sons
qu'on lit ou entend et pour lesquels une trace dans l'image indique
de manière décalée que le son est produit tout près, sans qu'on ne
voie l'élément qui produit le son.
2.5. Les sons affectés à double absence : lorsque certains éléments de
l'image indiquent qu'un son est produit, sans qu'on puisse le lire ou
l'entendre et sans qu'on puisse voir la source émettrice. Par
exemple, une conversation téléphonique dont on n'entend ni ne
voit l'interlocuteur à l'autre bout du fil.
3. La simple présence sonore silencieuse : il s'agit d'un moment de silence
sur un plan.
4. La double présence sonore et visuelle silencieuse : on aperçoit une
source émettrice qui demeure silencieuse.
5. La simple présence illustrée champ : on présente la personne qui parle
ou la source émettrice sans tenir compte des propos tenus.
6. La simple présence illustrée hors champ : on illustre les propos tenus
par des images en rapport avec ces propos. Par exemple, le texte traite
d'amour et l'image montre un coucher de soleil.
7. La simple présence visuelle : un élément produit un son sans qu'on
entende le son lui-même. Par exemple, on voit un avion voler, mais on
ne l'entend pas.

147
148 Du signe au symbole

La présence (simple ou double) peut être à :

1. auricularisation interne (primaire = par la nature même du son ou


secondaire = grâce au montage sonore) : un personnage de la diégèse
écoute le son que le spectateur entend ou que le lecteur lit.
2. auricularisation zéro déformée : le lecteur lit ou le spectateur entend un
son qu'aucun personnage de la diégèse ne peut entendre.
3. auricularisation spectatorielle : le montage distingue l'émission des
sons. Par exemple, le réalisateur diminue ou amplifie le bruit de l'avion
pour que le spectateur puisse mieux entendre ou moins bien entendre la
conversation tenue par les acteurs.

Les voix peuvent être :

1. Des voix on : on voit la personne qui parle.


1.1. Des voix personnalisées : c'est une personnalité connue qui
s'exprime.
1.2. Des voix corporalisées : c'est un inconnu qui s'exprime.
2. Des voix off impersonnelles : on ne voit pas la personne qui parle. Ces
voix sont alors délocalisées. Elles proviennent d'un endroit indéterminé.
Le réalisateur ou l'imagier peuvent jouer sur un effet de transcendance
et interpeller directement le spectateur ou le lecteur comme si c'était son
Surmoi ou sa conscience qui parlait. Par exemple, un texte sur une
affiche publicitaire.
3. Des voix off personnalisées : le lecteur ou le spectateur ne voit pas la
personne qui s'exprime, mais sait de qui il s'agit. Par exemple, les
images commentées par un journaliste au J.T.

Les voix peuvent être de l'ordre du dialogue, du commentaire, du


témoignage, ou du métacommentaire. Ces éléments sont étroitement liés à la
fonction exercée. Celle-ci peut être, par exemple, informative, didactique ou
narrative, mais aussi de l'ordre du relais ou de l'ancrage.

Les bruits, les onomatopées et la musique peuvent avoir diverses


fonctions :

1. Une fonction narrative ou une valeur diégétique : ils interviennent dans


l'histoire et jouent un rôle non négligeable au niveau de la trame.
2. Une fonction hypnotique : ils servent à endormir la vigilance du
spectateur ou à l'induire en erreur.
3. Une valeur informative : ils fournissent une information supplémentaire
au contenu.
4. Une valeur expressive : ils expriment un certain nombre de sentiments
(angoisse, quiétude...)
5. Une valeur structurelle : ils structurent le récit.

148
Sémiologie et herméneutique 149

6. Une valeur conative : ils sont destinés à produire un certain effet sur le
récepteur.

Les variations oculaire et cognitive

L'ocularisation
(JOST, 1987) (GAUDREAULT & JOST, 1990) (JOST, 1987)

L'application du concept d'ocularisation permet de cerner qui voit. Cette


ocularisation peut être de différents types :

1. L’ocularisation interne : quand la caméra est « à la place » de l'œil du


personnage ;

1.1. L’ocularisation interne primaire : le point de vue est


centré sur un personnage. L'image contient un indice qui
permet d'inférer un regard. C'est le cas lorsque se marque
dans le signifiant la matérialité d'un corps ou la présence
d'un œil qui permet immédiatement, sans le secours du
contexte, d'identifier un personnage absent de l'image ;
1.2. L’ocularisation interne secondaire : ce que l'on voit est
à rapporter au regard de l'autre. La subjectivité de l'image
est construite par le montage, les raccords (comme le
champ-contrechamp) ou par le verbal (cas d'un
accrochage dialogué). Bref, par une contextualisation ;
1.3. L’ocularisation interne hallucinée : quand les opérateurs
de modalisation disparaissent. Tout se passe comme si le
personnage confondait son souvenir, son rêve, son
imagination avec une perception ;

2. L’ocularisation zéro : il s'agit d'un point de vue extradiégétique. La


caméra ne vaut pas pour une instance diégétique interne. Elle n'est pas
« à la place » de l'œil d'un personnage. L'image ne permet pas de
rapporter ce qui est vu à un regard interne ;

2.1. L’ocularisation indifférenciée : dans le cas de la


photographie, il n'existe pas de point de vue d'un
personnage, ni de succession de photos ;
2.2. L’ocularisation spectatorielle : une mise en cadre par le
« grand imagier » qui fournit un savoir supplémentaire au
spectateur par rapport à une instance du monde
diégétique ;

149
150 Du signe au symbole

2.3. L’ocularisation modalisée : l'évaluation du degré de


réalité du vu est moins le fait du personnage que celui d'un
« grand imagier » qui signale au spectateur, par une
marque d'énonciation, un opérateur de modalisation (flou
ou absence de mise au point), un changement de niveau
dans le monde diégétique ;
2.4. L’ocularisation personnalisée : lorsque le spectateur peut
soupçonner la présence d'une instance narrative plus
personnalisée de la part du « grand imagier » ;
2.5. L’ocularisation utilitaire : lorsque le spectateur ne peut
pas soupçonner la présence d'une instance narrative.

La focalisation

Le concept de focalisation permet de savoir ce que sait ou pense un


personnage qui perçoit. La focalisation interne suppose que le personnage ne
soit jamais décrit de l'extérieur, ni même désigné de l'extérieur. En littérature,
dit Genette, on reconnaît une focalisation interne au fait que l'on peut
« réécrire un segment narratif sans que cette opération entraîne aucune autre
altération du discours que le changement des pronoms
grammaticaux. »(GENETTE, 1972 : 210) Dans les récits non focalisés, le
narrateur est omniscient. Il est possible d'associer la focalisation aux concepts
de centration et de décentration. Ainsi, lorsque le média nous fait connaître
les événements tels qu'ils sont perçus par un même personnage, il s'agit d'un
récit focalisé interne fixe. Ce type de récit tend à la centration du spectateur
et à l'identification au personnage. Lorsque le média nous fait connaître des
événements différents tels qu'ils sont perçus par des personnages différents,
nous avons alors un récit focalisé interne variable. Ce type de récit tend déjà
à la décentration du spectateur qui doit s'identifier à différents personnages.
Lorsque le média nous fait connaître des événements identiques tels qu'ils
sont perçus par différents personnages, nous sommes en face d'un récit
focalisé interne multiple. Le spectateur se retrouve à la place des différents
protagonistes. Il y a décentration.

150
Sémiologie et herméneutique 151

Conclusions

Ce chapitre nous a permis de voir la structure du réseau interrelationnel


liant les différents personnages du récit. Nous pouvons récapituler l’ensemble
des notions vues sous la forme du tableau suivant :

Quelle est la structure du réseau interrelationnel liant les différents personnages du


récit?
Questions posées Concepts utilisés Réponses possibles
Les personnages sont-ils Analyse actantielle Sujet/héros
confinés ou non dans leur (GREIMAS, 1981) Objet
registre ? Destinateur
Destinataire
Adjuvant
Opposant
Quelles sont les variations Sons Non affectés
relatives au son à travers le (JOST, 1987 : 45-67) Affectés
récit ? (MEUNIER, 1991)  à double présence
concordante/discordante
 à simple présence
concordante/discordante
 à double absence
Simple présence silencieuse
Double présence silencieuse
Simple présence illustrée
champ/hors champ
Simple présence visuelle
Auricularisations Interne
(JOST, 1987 : 45-67) primaire/secondaire
(MEUNIER, 1991) Zéro déformée
Spectatorielle
Voix Voix on
(MEUNIER, 1991) personnalisées/corporalisées
Voix off
personnalisées/impersonnell
es
Bruits Fonction narrative
(MEUNIER, 1991) Fonction hypnotique
Valeur informative
Valeur expressive
Valeur structurelle
Valeur conative

151
152 Du signe au symbole

Quelle est la structure du réseau interrelationnel liant les différents personnages du


récit ? (suite)
Questions posées Concepts utilisés Réponses possibles
Quelles sont les variations Ocularisation Ocularisation interne
de point de vue (oculaire et (JOST, 1987 : 15-43 + 135-  primaire
cognitif) à travers le récit ? 150)  secondaire
 hallucinée
Ocularisation zéro
 indifférenciée
 spectatorielle
 modalisée
 personnalisée
 utilitaire
Focalisation Focalisation interne
(JOST, 1987 : 69-102 + 135-  fixe
150)  variable
 multiple
Non focalisé

152
Sémiologie et herméneutique 153

Le lien social impliqué par le message

Les rapports de communication

Dans ce chapitre, nous nous intéresserons davantage au réseau relationnel


qui s’établit entre les divers acteurs de la communication : traces de
destinateur, traces du destinataire, traces communes à l’un et à l’autre.
Ensuite, pour évoquer ces relations entre les différents acteurs de la
communication, nous aborderons la grille de Jules Gritti. Celle-ci servira
également de lien entre la première et la seconde partie du cours.

Le degré de présence (visuelle ou écrite) du (des)


énonciateur(s)

Les spécificités premières de l'écriture et de l'image

L'écriture est liée au digital (système codé, basé sur des conventions
arbitraires). Elle découpe le monde avec les mots.
Le digital offre une extrême précision (toutes les nuances verbales), mais il
est faible en terme de représentation (difficile de se faire une image claire
après une longue description : il demeure une incertitude). Le digital appelle
un comblement des aspects qui ne sont pas écrits (d'où le problème de
trahison lors du passage à l'image).
L'écriture essaie de compenser par des simulations analogiques qui se
marquent dans la typographie (majuscule, minuscule, gras, roman, italique...).
Ainsi, l'italique simule la cursivité de l'écriture manuscrite. On injecte une
personnification (au niveau de l'imprimerie comme de la BD). En BD, les
caractères peuvent être traités comme des images (onomatopées). Il y a alors
contagion de l'analogique dans le digital (MARION, 1991 : 74). Il est facile
de nier avec des mots. La pensée abstraite peut être plus facilement rapportée.
Il y a aussi possibilité de réappropriation ludique, à la suite de la
contamination linéaire et à la collision involontaire de deux effets de sens. Du
point de vue de la psychanalyse, l'écriture est de l'ordre du discours, de

153
154 Du signe au symbole

l'intellect, de l'abstraction, du Surmoi, de la maîtrise et du masculin. Au


niveau de la psychologie analytique, dans le cadre des types psychologiques
de Jung (JUNG, 1986)23, c'est probablement le média le plus apte à
communiquer la fonction rationnelle du type « pensée ». Il est lié aux « sens »
collectifs : la vue et surtout l'ouïe. Cependant, les images peuvent s'emparer
du discours par l'éclatement (éclatement des mots, des structures), la
métaphore ou la métonymie. L'écriture se fait poésie et devient dès lors le
média qui permet d'exprimer au mieux cette autre fonction rationnelle qu'est
le type « sentiment ».
L'image est liée à l'analogique (référence à la réalité, imitant la réalité).
Elle permet de percevoir le monde globalement. Elle est forte en matière de
représentation. Il est cependant difficile de nier avec des images. Il est
également difficile de faire passer une pensée abstraite (sauf peut-être sous
forme de graphes, de schémas). Il y a collision de deux effets de sens à la suite
de la succession d'images. Du point de vue de la psychanalyse, l'image est liée
au corps, aux affects, à l'intuition. Elle est de l'ordre du « ça ». Elle est liée
aux décharges pulsionnelles et au féminin. L'image est un média plus apte à
communiquer la fonction irrationnelle du type « intuition ». L'image est liée
essentiellement à la vue.
L'image photographique n'est pas signée. Elle s'immerge dans l'indistinct.
Elle adhère pleinement au référent, comme le bébé à sa mère. On est toujours
tout de suite dans la monstration du référent, du contenu. Elle est parcourue
par une multitude de détails inutiles pour la progression narrative. La photo
est liée à l'instant et à la mort. Elle est le reflet de la nostalgie. Le discours
peut s'emparer de l'image par le récit (narrations iconiques telles que le film
ou la bande dessinée).
L'image filmique peut réintroduire la vie par le mouvement. Elle aborde
les rivages de la temporalité. À la fois très réaliste, et pourtant fantasmatique,
évanescente, projection de lumière liée à l'imaginaire. Elle permet une
construction de l'imaginaire très grande. Elle tient du rêve, de l'onirique et
place souvent son spectateur dans un état passif de semi-conscience.
Monstration factice, sans interaction avec le spectateur, le cinéma peut
montrer des indices de très grandes proximités ou intimités (gros plans,
détails). La pluriponctualité est possible au cinéma. Les images
cinématographiques sont liées au temps et se développent dans le temps et sur
l'espace en reprenant plusieurs objets-images en même temps. Le cinéma
permet de projeter, et non d'exprimer, des « sentiments » (regard-
contreregard). L'image peut être encadrée, délimitée par le contour du dessin
qui délimite, objective, dissocie, dénombre, vide l'image de tout contenu afin
que l'on puisse s'y projeter entièrement (miroir métonymique) tout en
permettant au tactile, à la main, de donner le meilleur de son expression
(MARION, 1991, 87-90).

23
Il s'agit des types fondés sur les fonctions fondamentales, subdivisés en types rationnels
(pensée et sentiment) et irrationnels (intuition et sensation), cf. chapitre consacré à l’homme et
ses symboles.

154
Sémiologie et herméneutique 155

Le dessin devient ainsi le média apte à communiquer la fonction


irrationnelle, pulsionnelle du type « sensation ». L'image graphique est une
image signée, interprétée par un sujet, un « je ». Liée à un geste, elle est à la
fois immanente et éphémère. À l'inverse de l'image photographique, il y a
une forte opacité par rapport au référent. Dans la ligne claire, tous les traits
concernent la narration. La ligne claire se fait schématique, graphique,
délimitatoire, proche du digital et de l'écriture. Elle manipule, domine et
analyse plus qu'elle ne reproduit la réalité.
L'image picturale est, à cet égard, beaucoup plus immanente. Pour
Philippe Marion, l'utilisation de différentes catégories de lettrage contribue à
modeler le rapport que le lecteur peut établir avec les différents lieux textuels
d'une bande dessinée. L'effet de proximité avec une identité graphique
augmente proportionnellement avec la teneur en trace manuscrite. La
distribution de celle-ci dans les récitatifs ou les phylactères oriente la
participation (MARION, 1991 : 75).

LOCALISATION RÉCITATIF PHYLACTÈRE


TEXTUELLE
teneur en trace
degré en trace + effet de proximité avec le effet de proximité avec le
narrateur personnage
degré en trace - objectivation de la « parole objectivation de la « parole
off » du narrateur in » du personnage
(MARION, 1991 : 76)

Les degrés de typographie et de traces pour les œuvres


scriptovisuelles (bandes dessinées et romans-photos)

Sur la base de ces divers points, Philippe Marion établit une double
typologie. L'une a trait au type de lettrage dans la bande dessinée, l'autre est
relative au degré de teneur en trace dans la bande dessinée et à ses effets
pragmatiques (MARION, 1991 : 74 et 167).
Cette typologie de la trace dessinée se base en partie sur les concepts
d'optique et d'haptique énoncés par Riegl. L'œil optique suit les lignes et
décrit des contours. Il effleure de façon linéaire. La ligne claire met l'accent
sur les péripéties vécues par les personnages et peut entraîner le spectateur
dans une dynamique de l'identification. Ce type de dessin s'accompagne de
transparence et de transitivité.
L'œil haptique24 (tactile) pénètre en profondeur et s'englue dans les
volumes et les textures. Le dessin pictural met l'accent sur la forme et peut
entraîner le spectateur dans une dynamique du dévoilement. Ce type de dessin
s'accompagne de résistance réflexible et d'opacité.
24
Du grec haptikos : capable de saisir

155
156 Du signe au symbole

TYPE DE LETTRAGE ET TENEUR EN TRACE

Type de Teneur en Caractéristiques principales/effets potentiels


lettrage trace
Typographie degré 0 caractère d’imprimerie standardisé, régularisé,
normalisation, lisibilité
Zanon, Jacobs et Martin (1re période)
simulation degré 1 caractère d’imprimerie manuscrit décalqué, minimalisation
typographique 1 du manuscrit, transparence, lisibilité
Hergé, Jacobs et Martin (2e période)
simulation degré 2 caractère d’imprimerie manuscrit plus graphique
typographique 2 vivification manuscrite, transparence et effet de trace,
lisibilité « filtrée »
en capitales : Giraud, Jannin, De Spiegeleer
en bas de casse : Tardi, Cosey, Peyo, Bourgeon
cursivité degré 3 manuscrit personnalisé, geste scriptural perceptible,
manuscrite proximité avec un sujet
Hergé (les récitatifs), Brétécher, Loustal, Cabanès
calligraphie degré 4 style autonome marqué, opacité expressive
autographie Guitton, Willem, Bertrand, Lete-Salma, Masse
(MARION, 1991 : 74)

DEGRÉ DE TENEUR EN TRACE ET RELATION AU LECTEUR

Nature de la trace Teneur en Quelques Effets pragmatiques et


graphique trace caractères filmologiques
(Citation (degré 0) citation distanciation, effet de rupture
photographique) hyperréalisme Teulé, Claeys, Duveaux
Transparence (ligne degré 1 contour et disponibilité ludique, miroir,
claire « idéalité » identification
« caricaturale ») optique Hergé, Franquin, Peyo, Uderzo
Transparence degré 2 contour et idéalité effet de réel
dominante optique Jijé, Jacobs, Graton, Martin, Tibet

Performance degré 3 contour contesté et manifestation réflexive d'un


opacité travail/effet de réel
tendance haptique par complexité graphique
Bourgeon, Auclair, Servais,
Haussman, Rosinski
Informance degré 4 trace brute effet d'inachèvement/
contour et appel au comblement ludique
expression Reiser, Brétécher, Wolinsky
Picturalisme degré 5 opacité haptique effet de texture
matière Corben, Loustal, Liberatore
(MARION, 1991 : 167)

156
Sémiologie et herméneutique 157

Distance subjective des différents personnages par


rapport au spectateur

Échelle des plans et distances sociales


(CARONTINI, 1988 : 37) (HALL, 1971)

Pour Enrico Carontini, on peut faire un rapprochement entre l'échelle du


plan et la distance sociale. Il existe un rapport entre cet effet du message et
l'ensemble des rapports sociaux.

Plans Personnages Distances Rapports


le plan grands espaces longues distances la masse
d'ensemble
le plan de personnages dans un grandes distances la foule
demi-ensemble espace intérieur
le plan moyen personnage en pied distance publique rapports très formels
(>3m)
le plan américain personnage à mi- distance sociale rapports formels
cuisses 1 m 20 - 3 m
le plan rapproché le buste distance personnelle conversation
interpersonnelle
45 cm - 120 cm
le gros plan le visage distance intime intimité (< 45 cm)
l'insert le détail distance très intime forte intimité

Les regards et les marques visuelles d'énonciation régissant les


rapports des personnages aux lecteurs-énonciataires
(BENVENISTE, 1966) (CARONTINI, 1988 : 37) (MEUNIER, 1991)

Enrico Carontini et Jean-Pierre Meunier établissent une équivalence entre


les pronoms personnels étudiés par Benveniste et la direction du regard.

157
158 Du signe au symbole

Pronoms Leur Les regards Leur signification


significatio
n
« je » personne le regard « je » Dirigé vers le champ extradiégétique (vers le
subjective ou le regard spectateur ou le lecteur), il s'adresse à nous
qui parle interactif comme « tu ». Ce regard est équivalent au
« je » dans le discours. Souvent, ce regard est
centré dans l'axe de l'objectif.
le contreregard Il s'agit d'un regard qui fixe le spectateur ou le
lecteur et semble pourtant fuir celui-ci. C'est
comme un reflet du regard du spectateur qui
dit « regarde comme tu me vois. » C'est un
regard narcissique qui interpelle le spectateur
ou le lecteur. Souvent, ce regard est
légèrement décentré par rapport à l'axe de
l'objectif (le cadrage et l'angle de prise de vue
jouent). Ce regard est absent, complètement
indifférent à l'interaction qui joue. Il est fort
utilisé en publicité pour les parfums ou la
mode.
« tu » la personne Dans le domaine visuel, le « tu » est le
subjective spectateur.
à qui l'on
parle
« il » la non- le regard « il » Ce regard est dans le hors-champ diégétique
personne ou dans le champ diégétique. Il se situe dans
l'espace imaginaire et ne raccroche pas à
l'espace réel.
le regard « il » Le « il » oppositionnel s'adresse à un « tu » ou
oppositionnel un « je » s'adresse à un « tu » à propos de « il »
(par exemple, le présentateur du J.T. s'adresse
au spectateur à propos de Mitterrand en nous
le montrant)
le regard « il » Il n'y a pas de marque d'adresse d'un « je » à
non un « tu ». Ce sont des images de personnes
oppositionnel de auxquelles on doit s'identifier. L'image est
révérence axée sur le personnage qui est souvent pris en
contre-plongée ou de trois quarts profil, ce qui
lui confère un statut supérieur. Les affiches
d'hommes politiques utilisent très souvent ce
procédé.
le regard « il » Il n'y a pas de marque d'adresse d'un « je » à
non un « tu ». L'image est axée sur le personnage
oppositionnel de qui est souvent pris en plongée (statut
mépris inférieur).

158
Sémiologie et herméneutique 159

Centration et décentration

Pour Piaget, le développement cognitif de l'enfant passe par diverses


phases. Le premier âge est une phase d'indifférenciation, d'identification
mutuelle, de narcissisme primitif, d'égocentrisme et de syncrétisme. Le sujet
est centré sur lui-même. Par la suite, il se rend compte qu'il existe d'autres
points de vue. Il y a décentration (PIAGET & INHELDER, 1979). Jean-
Pierre Meunier suggère que les différents médias fonctionnent à la centration
ou à la décentration (MEUNIER, 1991). Ainsi, pour le cinéma,
l'identification éventuelle du spectateur au personnage central engendre une
imitation, une centration et une régression. Il n'y a plus présence réelle
d'autrui et les mécanismes de défense habituels sont laissés de côté. À
l'inverse, la décentration peut jouer si l'auteur nous présente des
comportements différents ou des points de vue différents. Dans le premier cas,
l'identification à des comportements différents nous décentralise par rapport à
notre point de vue habituel. Dans le second cas, l'œuvre nous permet de
comprendre une multitude de points de vue différents. Elle nous oblige à
réfléchir, à nous poser des questions. Les diverses interrogations et
introspections au sein de l'œuvre ne proposent guère de solutions. C'est au
lecteur à se faire une idée. Le lecteur devient un regard parmi tant d'autres. Il
est confronté à diverses visions d'une réalité ambivalente. Notons cependant
que le narrateur, comme le grand imagier (GAUDREAULT, 1988 : 122),
offre l'espace d'un foyer cognitif. Le lecteur peut s'identifier à l'un comme à
l'autre. Le ton des récitatifs utilisés dans les bandes dessinées ne crée pas
souvent un effet d'autorité transcendante. Au contraire, cette « voix » se veut
la plus discrète possible et disparaît très rapidement.

Centration Décentration Coopération


Fusion avec la mère, bébé, Stade du miroir, 2e enfance Adulte.
1re enfance, indifférenciation, et adolescence. Coopération, collaboration,
identification, narcissisme Distinction, opposition, prise acceptation et
primitif, égocentrisme, de conscience qu'il existe complémentarité des
sociocentrisme, d'autres points de vue. différences, raisonnement
ethnocentrisme, syncrétisme. logique.
A=B A #B A+B
Régression du spectateur. Réflexion par rapport à Acceptation des différents
Le sujet détermine le contenu différents points de vue, à la points de vue. Par-delà les
de l'image par ses projections, suite des dissonances. oppositions, la recherche
la perspective du spectateur d'une complémentarité.
est totalisante.
Identification du spectateur Identification tournante du Distanciation
au personnage principal, d'où spectateur par rapport aux
imitation. différents points de vue.

159
160 Du signe au symbole

Films classiques, cinéma- Films d'auteurs, cinéma- Réalisation de films.


mouvement, publicité, temps, certains films
propagande. éducatifs.
Plans rapprochés, gros plans. Plans éloignés, plans
d'ensemble.
Association son-image. Décalage son-image.

Cadrage axé sur un point de Cadrage axé sur différents


vue. points de vue.
Stratégie du modèle. Stratégie de la prise de Stratégie de la participation,
conscience. de l'action.
Haine et jalousie. Méfiance. Amour.

Identification et distanciation

L'écriture est le média de la dissociation. À la lecture de l'œuvre de


Hawthorne, le lecteur peut certes épouser le point de vue du narrateur. Il n'en
demeure pas moins confronté à une série d'interrogations liées aux
préoccupations introspectives de l'auteur. La Lettre écarlate est un roman qui
pose davantage de questions qu'il n'apporte de réponses. Le cinéma et la
bande dessinée sont plutôt des médias jouant sur le registre de
l'identification.

Le dispositif d’énonciation et le lien social

Finalement, tout message engendre un certain type de lien entre le


destinateur et le destinataire. Les éléments de narratologie, le dispositif
cognitif et le réseau relationnel permettent de dévoiler la forme de ce lien
social impliquée par le message.

Pour cela, nous devons tenir compte de certains éléments dont :

 Les caractéristiques de l’instance d’énonciation mise en scène par


l’auteur,
 la place attribuée au lecteur,
 le type de rapport entre l’auteur et son lecteur,
 la participation du lecteur au processus d’énonciation,
 la circulation des savoirs impliqués par le message.

160
Sémiologie et herméneutique 161

Les six ratissages de Jules Gritti

Jules Gritti (1972-1973) a élaboré une grille d’analyse des articles de


journaux et des contenus médiatiques développée en fonction de six
ratissages :

1. la culture présupposée ;
2. les rapports entre le destinateur et le destinataire ;
3. les termes confrontés ;
4. les figures de déploiement ;
5. le paysage qualitatif ;
6. les lieux idéologiquement marqués.

Le premier ratissage (GRITTI, novembre 1972 : 46-47) est utile pour


décrire le public auquel le message est destiné. Ce ratissage comporte quatre
questions :

1. Quels sont les motifs et les termes qui sont définis ou expliqués ?
2. Quels sont les motifs et les termes qui ne sont ni définis ni expliqués ?
3. Quels sont les motifs ou termes courants chargés d’une intonation
particulière ?
4. Quels sont les motifs ou les termes traducteurs ?

Ce ratissage vise à repérer les connotations possibles des termes utilisés.


Premièrement, il faut repérer les mots définis. Ceux-ci échappent à la langue
commune, mais font l’objet par le locuteur d’une définition. Cette définition
permet de se rendre compte :
 De l’idée que le locuteur se fait de ses interlocuteurs. Ainsi le journal
« France-Dimanche » parlant de la Bible définit les mots : « Adam »,
« Ève », « Abraham », « hagiographie », mais pas « David et Goliath »
ou « Samson et Dalida » que le lecteur du journal est censé connaître
comme héros de la romance antique.
 Des champs d’intérêt du locuteur, ceux sur lesquels il ne veut pas
d’erreur de communication. Ces définitions sont souvent idéologiques.
Ainsi, l’encyclopédie « Aujourd’hui la Bible » définit l’Église comme
« lieu fraternel où se réunissent les croyants ». Le but de cet ouvrage est
de ramener les élites intellectuelles détachées de la foi sinon dans
l’institution religieuse, du moins dans des espaces qui lui sont proches.
Deuxièmement, il faut repérer les mots non définis. À cet effet, nous
repérons les termes qui échappent à la langue commune et ne sont pas définis.
Ces mots non définis peuvent avoir une triple fonction :
1. La reconnaissance de l’excellence du locuteur : « il sait de quoi il
parle ».
2. Affirmer une autorité de compétence pour rassurer le destinataire :
emploi d’un vocabulaire spécialisé.

161
162 Du signe au symbole

3. Faire impression sur l’auditoire : utilisation volontaire d’un mot


inconnu (exemple : le Général de Gaulle lors du putsch d’Alger parle
d’un « quarteron »)

Troisièmement, repérer les termes connotés. Ce sont les termes qui ont
l’air d’appartenir à la langue commune, mais dont le sens a été dévié par
certaines connotations qu’il faut connaître pour comprendre le terme. Ainsi le
mot « engagement » n’a pas le même sens pour le militant, le banquier, le
sportif et l’officier d’état-major.

Quatrièmement, il faut repérer les mots traducteurs. Il s’agit des


métaphores à fonction traductrice qui visent à faire passer une communication
à propos d’un événement dans un registre de vocabulaire connu du lecteur.
Par exemple, à propos d’un texte réagissant à la publication de l’encyclique
« Humanae Vitae » :

Termes utilisés Registres


« Pas de feu vert, coup de frein » Automobiliste
« verdict, sentence » Judiciaire
« décision » Gouvernemental
« droite conservatrice vs gauche progressiste » politique

Finalement, il faut regrouper les termes par registres. Ce regroupement


des termes en registre sportif, politique, médical… permet de repérer le
niveau de culture privilégié ou imposé par l’émetteur à son public.

Le second ratissage (GRITTI, janvier 1973 : 34-35) relève les indices liés
au destinateur et au destinataire. Il met ainsi en exergue les rapports existant
au sein du dispositif d’énonciation.

Les indices liés au destinateur sont :

1. Les pronoms : il est révélateur que le destinateur parle de lui à la


première personne du singulier ou du pluriel (« je » ou « nous »), à la
troisième personne (« il »), au neutre (« on ») ou qu’il saute d’un indice
à l’autre. Exemple, le candidat François Hollande lors de la campagne
présidentielle : « Nous, Président, nous… » L’usage de la deuxième ou
de la troisième personne, le tutoiement ou le vouvoiement révèlent la
façon dont le locuteur considère le(s) destinataire(s).
2. Les allusions à soi (à sa compétence, à son caractère, etc.)
3. Les déclarations sur soi.

Les indices liés au destinataire sont :

1. Les pronoms à la seconde ou la troisième personne du singulier ou du


pluriel.

162
Sémiologie et herméneutique 163

2. Les allusions et déclarations concernant le destinataire (lecteur,


auditeur, spectateur). Exemple, le Guide bleu s’adressant aux
automobilistes : « circuit très facile de 120 km ».

Les indices communs au destinateur et au destinataire :

1. Les pronoms, signes de relation directe. Par exemple, la portée du


« nous » restreint, large ou universel (« Nous qui sommes ici
ensemble… »).
2. Les allusions qui créent un espace commun par rejet d’un tiers
(« Ensemble, contre les grands monopoles »).
3. Les allusions qui créent une mise à distance (l’abus des formes passives
dans un article afin de se distancier du commun des mortels).
4. Les allusions créant un espace commun par inclusion (« La jeunesse, il
faut la comprendre ! »)

Le troisième ratissage touche au mécanisme le plus fondamental du


contenu médiatique ou du texte. Le langage procède par couples :

1. Quels sont les termes destinés à exclure les termes opposés ? Par
exemple, « liberté » exclut « licence » dans la phrase « il ne faut pas
confondre liberté et licence ». »
2. Quels sont les termes destinés à dire une préférence ? Par exemple,
« agir » est préféré à « parler » dans « Mieux vaut agir que parler ».
3. Quels sont les termes donnés à égalité dans un jeu d’alternance ? Par
exemple : « il faut à la fois de la vie et des structures ».
4. Quel est le terme moyen entre deux extrêmes ?
5. Quel est le terme synthétique entre deux partiels ?

Ainsi, les figures repérées dans le texte peuvent être binaires ou ternaires :

 Figures binaires
La disjonction a différent de b (« Justice n’est pas charité », « la
logique capitaliste n’est pas la logique prolétarienne) ;
La préférence a > b (« Dans l’Église, la communion prime
l’institution »)
L’équivalence « a et b », « ni a ni b », « ou a ou b » (a et b : « Le
changement dans la continuité » ; ni a ni b : « Ni Marx, ni Jésus » ;
ou a ou b : « Soyez tantôt fort, tantôt tendre »)
 Figures ternaires
Le juste milieu a-m-b (« La vérité est entre deux extrêmes »)
La synthèse (« Le gouvernement de l’unité nationale »)
Le dépassement (« Passé ou présent ? L’histoire est un éternel
recommencement »)

163
164 Du signe au symbole

Le quatrième ratissage s’intéresse aux figures de déploiement. Il


s’occupe de la manière dont le locuteur fait fonctionner le texte, des rapports
qu’il établit à l’intérieur de celui-ci, des « figures de style » qui en garnissent
l’argumentation. On y relève deux grands types de synecdoques, ces figures
de rhétorique qui consistent à prendre le plus pour le moins, la matière pour
l’objet, l’espèce pour le genre, la partie pour le tout, le singulier pour le pluriel
ou inversement :
1. Une synecdoque généralisante. Elle va du général au particulier, de la
règle aux applications, de la cause aux effets, du but aux moyens, du
tout à la partie. Cette figure est la marque d’un esprit plutôt normatif et
se retrouve, par exemple, dans le discours de la presse américaine
lorsqu’elle pose « la Liberté » en norme, puis en déduit les applications.
2. Une synecdoque particularisante. Elle part de la base vers les
principes, des effets vers les causes, des moyens vers le but. Elle est la
trace d’une démarche empirique, éventuellement pragmatique ou
encore antidogmatique.
Le cinquième ratissage (GRITTI, septembre-octobre 1973 : 33-34) repère
tous les termes destinés à apprécier ou déprécier, qu’ils soient adjectifs (un
homme « courageux »), verbes (« affaiblir ») ou noms (« la peste ou le
choléra »). Il repère également diverses catégories telles que celles de la vérité
et du mensonge (« sincère », « véridique » versus « déloyal » et « hypocrite »,
celles de la santé et du malaise (« tonifiant » versus « malsain »). Il est
important lors de ratissage de prendre les termes appréciateurs ou
dépréciateurs en eux-mêmes, sans se préoccuper de l’objet sur lequel ils
portent.
Ainsi, Jules Gritti propose de repérer dans un premier temps tous les
termes destinés à apprécier ou déprécier, qu’il s’agisse d’adjectifs ou de
compléments, de noms ou d’adverbes. Il laisse de côté les adjectifs purement
descriptifs ou fonctionnels. Après avoir fait l’inventaire des termes
appréciateurs ou dépréciateurs, il les regroupe dans un second temps par
catégories d’opposition dans divers registres liés aux fonctions psychiques :

1. Le registre du combatif (lié à la volonté) regroupe des termes tels que


« décidé », « compétitif », « courageux », « tenace », « volontaire »,
« accrocheur », « percutant », « héroïque », « tortionnaire »,
« déchaîné », etc.
2. Le registre du merveilleux (lié à l’intuition) regroupe des termes tels
que « rayonnant », « éblouissant », « brillant », « flamboyant »,
« merveilleux », « fabuleux », « formidable », « fantastique »,
« impérial », « miraculeux », « irrésistible », « magicien », etc.
3. Le registre passionnel (lié au sentiment) est nourri de contrastes
extrêmes : « dramatique », « déchaîné », « passionnant »,

164
Sémiologie et herméneutique 165

« enthousiasme », « désespérant », « crispé », « sinistre »,


« exaspérant », « perplexe », « vulnérable », etc.
4. Le registre rationnel (lié à la pensée) exprime le calcul, la maîtrise et la
logique. À l‘inverse du passionnel, il interdit les contrastes extrêmes et
se tient à un régime ordinaire : « correct », « sobre », « clairvoyant »,
« efficace », « solide », « réaliste », « opportuniste », « mesure »,
« pondération, « prudence », « sérénité », etc.
5. Le registre biologique (lié à la sensation) est l’expression du corps et
des cinq sens : « solide », « alerte », « vivant », « en forme »,
« vivacité », etc.

Dans un troisième temps, il établit le cadre dans lequel s’inscrivent ces


différents registres :

Merveilleux
(Intuition)

Passionnel Combatif Rationnel


(Sentiment) (Volonté) (Pensée)

Biologique
(Sens)

Le sixième ratissage (GRITTI, novembre 1972 : 36-37) s’avère être une


précaution contre les impressions trop subjectives. Il s’inspire des topoï
d’Aristote, c’est-à-dire les endroits du discours où l’idéologie s’investit de
manière explicite. Nous pouvons flairer de l’idéologie à tout moment, derrière
chaque phrase. Mais il est préférable de la scruter dans les lieux mêmes où
elle s’investit plus particulièrement :
1. Les commencements et fins de l’œuvre ou de l’article (dans ce dernier
cas, nous pouvons lier le titre et la phrase d’attaque).
2. Les superlatifs et tout ce qui porte la marque de l’exceptionnel
(exemple, l’emploi du mot « idolâtrie » pour qualifier les tentations du
pouvoir moderne).
3. Le terme marqué d’une progression. Par exemple en crescendo :
« l’équité, la justice, la solidarité » ; en decrescendo : « père, mère,
enfants » ; mixte : « l’homme supporte, encaisse, résiste, réagit,
rebondit ».
4. Les chiffres et l’utilisation qui en est faite.
5. Les citations directes ou indirectes.
6. Les dictons, proverbes, maximes ou principes sous forme de vérités
simplifiées ou d’évidences partagées.

165
166 Du signe au symbole

Il est préférable de conduire chaque ratissage séparément de manière à


« ratiboiser » plusieurs fois l’œuvre. L’interprétation et la synthèse suivront
les analyses séparément et rigoureusement opérées. Les objectifs de ces
opérations sont multiples. Ainsi, la culture présupposée et les termes
confrontés révèlent le contenu et ont pour objet la structure fondamentale du
texte. La relation de communication entre le destinateur et le destinataire
permet de connaître la manière dont le destinateur parle, le type de
vocabulaire utilisé pour se qualifier lui-même et pour qualifier le destinataire.
Les deux derniers ratissages portent sur l’énonciation et sont destinés à étudier
le profil idéologique du destinateur. À cette fin, nous relevons les figures de
déploiement et le paysage qualitatif qui s’intéressent aux types de
raisonnement utilisés par ce destinateur et les lieux idéologiques où ce même
destinateur peut le plus s’exprimer.

Ce dernier repérage envisagé par Jules Gritti (novembre 1972 : 36-37) est
en même temps une précaution contre les impressions trop subjectives. On
peut flairer de l’idéologie à tout moment, derrière chaque phrase. Mais il est
préférable de la scruter dans les lieux mêmes où elle s’investit plus
particulièrement :

L’affiche d’un film ou le coffret d’un DVD.


La couverture et le dos de couverture d’un livre ou d’un album de BD.
Le commencement et la fin d’une œuvre.
Le titre, la phase d’attaque et la conclusion d’un article de presse.
Les superlatifs.
Le terme marqué d’une progression, en crescendo ou en decrescendo.
Les citations directes ou indirectes.
Les dictons, proverbes, maximes, principes.

Il est préférable de conduire chaque repérage séparément de manière à


« ratiboiser » plusieurs fois l’œuvre. L’interprétation et la synthèse suivront
les analyses séparément et rigoureusement opérées.

166
Sémiologie et herméneutique 167

Conclusions

Nous pouvons finalement synthétiser les diverses réponses obtenues


précédemment afin de répondre aux questions figurant dans le tableau
suivant :

Quelle est la forme du lien social impliquée par le message ?


Questions posées Concepts utilisés Réponses possibles
Y a-t-il dans le message Énonciateur (GRITTI,
quelque indice marquant janvier 1973 : 34-35)
l'existence du destinateur et Dispositif d'énonciation
de son propre point de vue La relation/tableau
et/ou rendant sensible au (PEETERS, 1991)
spectateur son propre point Récitatif
de vue ? Typographie
Graphisme et traces
(MARION, 1991)
Énonciation on ou off
Direction du regard
(MEUNIER, 1991)
Quels sont le type et le Énonciation (MEUNIER, Énonciation on
degré de présence écrite du 1991) Énonciation off
(des) énonciateur(s) : off ou
on ou alternativement l'un
et l'autre avec une certaine
dominante ?
Quels sont le type et le Présence dans le récit Présence photographique
degré de présence visuelle ? (MEUNIER, 1991) Présence picturale
Dans le cadre d’une œuvre Typographie Typographie 0
scriptovisuelle, à quel degré (MARION, 1991 : 74) Simulation typographique 1
de typographie recourt le Simulation typographique 2
graphiste ? Cursivité manuscrite
Calligraphie
Dans le cadre d’une bande Traces Citation photographique
dessinée, à quel degré de (MARION, 1991 : 167) Transparence 1
traces recourt le dessinateur ? Transparence 2
Performance
Informante
Picturalisme

167
168 Du signe au symbole

Quelle est la forme du lien social impliquée par le message ?


Questions posées Concepts utilisés Réponses possibles
À quelle distance subjective Échelle des plans et distance Plan d'ensemble/masse
se situent les différents sociale (CARONTINI, Plan de demi-ensemble/foule
personnages relativement 1988) Plan moyen/rapports très
au spectateur ? (HALL, 1971) formels
Plan américain/rapports
formels
Plan
rapproché/conversation
Interpersonnelle
Gros plan/intimité
Insert/forte intimité
Quelles sont les marques Direction du regard (regard- Regard je
visuelles d'énonciation je, contreregard, regard-il) Contreregard
régissant les rapports des Orientation du corps et du Regard il
personnages aux lecteurs- visage  oppositionnel
énonciataires ? (BENVENISTE, 1966)  non oppositionnel
(CARONTINI, 1988)  de révérence
(MEUNIER, 1991)  de mépris
Le réseau interrelationnel Relation Centration
apparaît-il plutôt centré ou (PIAGET & INHELDER, Centration tournante
plutôt décentré ? 1979) Décentration
(MEUNIER, 1991)
(SAUCIN, 1997 : 73-74)
Dans le premier cas, s'agit-il Sociocentrisme Héros classique
d'un personnage socialement Égocentrisme Antihéros
consacré (facteur de (MEUNIER & PERAYA, (cf. l'analyse actantielle)
sociocentrisme) ou plutôt 1992 : 131 et 237)
d'un modèle pour le moi
spectatoriel (facteur
d'égocentrisme) ?
Dans le second cas, quelles (GREIMAS, 1981) (cf. l'analyse actantielle)
sont les différences ou
oppositions de points de vue
(au sens large, impliquant :
affects, opinions,
représentations...) entre
personnages ?
Compte tenu des éléments Participation Participation
de réponse aux questions Identification Identification
précédentes, de quelle façon (MEUNIER & PERAYA,
se structure l'identification 1992 : 137 et sv. + 234 et
spectatorielle ? sv.)

168
Sémiologie et herméneutique 169

Quelle est la forme du lien social impliquée par le message ?


Questions posées Concepts utilisés Réponses possibles
Quels sont dès lors les effets Centration Fusion
possibles de cette Décentration opposition
identification du point de Métaniveau coopération
vue psychosociologique (ego (PIAGET & INHELDER,  interindividuelle
ou sociocentrisme, 1979)  interculturelle
décentration sociale...) et du (MEUNIER, 1991)
point de vue cognitif (cf. plus haut)
(décentration de point de
vue, nécessité de passage au
métaniveau) ?
Quelles sont les Instance réelle ou
caractéristiques de imaginaire
l'instance d'énonciation Instance abstraite et
mise en scène par le transcendante ou instance
dispositif d'énonciation ? concrète et immanente aux
rapports sociaux réels
Instance individuelle ou
collective
Quelle est la place attribuée Centration Centration
au destinataire relativement Décentration Décentration
à l'instance d'énonciation (MEUNIER & PERAYA,
mise en scène ? 1993 : 204-208 + 252, 276)
Dans quels types de rôle et place subordination
rapports est-il virtuellement (MEUNIER & PERAYA, échange discursif
pris (rapports de 1993 : 41-43 + 110-111) coopération
subordination, d'échange
discursif, de
coopération...) ?
Le destinataire est-il Coénonciation Non-participation
(virtuellement) partie (MEUNIER & PERAYA, Coénonciation
prenante de l'énonciation ? 1993 : 106 et 276)
Le destinataire est-il Coconstruction Non-participation
(virtuellement) partie (MEUNIER & PERAYA, Coconstruction
prenante dans le processus 1993 : 276)
cognitif d'élaboration du
sens ?
Finalement, quelles sont les Centration Centration impérative
formes de rapports sociaux Décentration Centration optionnelle
et, corrélativement, de (MEUNIER & PERAYA Décentration impérative
formation et de circulation 1993 : 107-116 + 203 et sv.) Décentration optionnelle
des savoirs impliqués par le Impérative
message ? Optionnelle

169
170 Du signe au symbole

La grille d’analyse de Jules Gritti


Questions posées Concepts utilisés Réponses possibles
Quels sont la culture 1er ratissage de la culture Les mots définis
présupposée et le public présupposée Les mots non définis
auquel le message est En fonction des Les termes connotés
destiné ? encyclopédies et des Les termes traducteurs
Quels sont les motifs et les dictionnaires
termes qui sont définis ou Regroupement des termes
expliqués ? par registres.
Quels sont les motifs et les
termes qui ne sont ni définis
ni expliqués ?
Quels sont les motifs ou
termes courants chargés
d’une intonation
particulière ?
Quels sont les motifs ou les
termes traducteurs ?
e
Quels sont les indices liés au 2 ratissage des rapports au Le jeu des pronoms : « je »
destinateur et au sein du dispositif du témoin ; « nous »
destinataire qui mettent en d’énonciation majestatif ; « il » de
Quels sont les indices distance ; « on » neutre…
exergue les rapports linguistiques de celui qui Les allusions à soi (à sa
existant au sein du dispositif parle ? (GRITTI, janvier compétence, son caractère,
d’énonciation ? 1973 : 34-35) etc.)
Le destinateur du message Les déclarations sur soi.
marque-t-il son existence
dans le dispositif ?
Quelles sont les traces du Quels sont les indices Comme pour l’auteur, on
destinataire ? linguistiques du lecteur reprendra les mêmes
visé ? opérations : pronoms à la 2e
(GRITTI, janvier 1973 : 34- ou 3e personne, les allusions
35) et déclarations concernant le
lecteur.
Quelles sont les traces Quels sont les indices La portée du « nous » :
communes au destinateur et linguistiques communs au restreint, large, universel...
destinateur et au La connivence entre l’auteur
au destinataire ?
destinataire et ses lecteurs vis-à-vis d’un
(GRITTI, janvier 1973 : 34- destinataire indirect. Celui-ci
35) devient ainsi la cible
commune à l’auteur et aux
lecteurs. 1er ratissage

170
Sémiologie et herméneutique 171

Quel est le mécanisme 3e ratissage des termes


fondamental du contenu confrontés
médiatique ou du texte ? Quels sont les termes Adjectifs, adverbes,
Quels sont les termes destinés destinés à exclure les termes compléments et noms
à apprécier ou à déprécier ? opposés ? (GRITTI, appréciateurs ou
septembre-octobre 1973 : dépréciateurs
33-34)
Figures binaires
Quels sont les termes La disjonction a différent b ;
destinés à dire une La préférence a > b
préférence ?
L’équivalence « a et b », « ni
Quels sont les termes donnés a ni b », « ou a ou b »
à égalité dans un jeu
d’alternance ? Figures ternaires
Quel est le terme moyen Le juste milieu a-m-b
entre deux extrêmes ? La synthèse
Quel est le terme synthétique Le dépassement
entre deux partiels ?
Comment le locuteur fait-il 4e ratissage des figures de
fonctionner le texte ? déploiement
Synecdoque généralisante Figures de rhétorique
Synecdoque particularisante Figures de style
Quels sont les termes 5e ratissage du paysage Noms, verbes, adjectifs ou
destinés à apprécier ou qualitatif adverbes.
déprécier ? (GRITTI, septembre-octobre
1973 : 33-34)
Quelles sont les catégories Les divers registres de la  Le combatif
d’opposition ? qualification (GRITTI,  Le merveilleux
septembre-octobre 1973 :  Le passionnel
33-34)  Le rationnel
 Le biologique
Quel est le système ou le Les cinq registres, la volonté Merveilleux
cadre (le code) dans lequel et les quatre fonctions (intuition)
inscrire ces différents psychiques Passionnel Combatif Rationnel
registres ? (GRITTI, septembre-octobre (sentiment) (volonté) (pensée)
1993 : 34) (JUNG, 1986) Biologique
(sensation)

171
172 Du signe au symbole

Quelle est l’idéologie 6e ratissage des lieux La couverture et le dos de


véhiculée ? idéologiquement marqués couverture.
(GRITTI, novembre 1972 : Le commencement et la fin
36-37) de l’album, les superlatifs,
les termes marqués d’une
progression, en crescendo ou
en decrescendo, les citations
directes ou indirectes, les
dictons, proverbes, maximes,
principes.
Les affiches de cinéma, les
bandes-annonces.
Le générique du film et la
fin de celui-ci.
Les titres, titrailles, chapeau
et légendes d’un article.

172
Sémiologie et herméneutique 173

Partie II
Herméneutique et interprétation

Symboles et mode symbolique

Le symbole est originairement le moyen de reconnaissance formé par les


deux moitiés d'une monnaie ou d'une médaille brisée. Il évoque l'idée de
mettre ensemble, de faire coïncider. Il y a également l'idée d'un renvoi qui
trouve son propre terme : une jonction avec l'origine. À l'origine, le mode de
pensée des peuples dits primitifs tendait à procéder par analogie. Des
millénaires de lente évolution ont façonné notre esprit et l'ont dirigé vers une
vision matérialiste, tellement concrète que ce mode de pensée symbolique est
devenu archaïque. Si les légendes et contes utilisent, comme les rêves, un
langage symbolique, nous constatons que les symboles sont également
présents dans la vie de tous les jours, non seulement dans le folklore, mais
aussi dans la religion, l'écriture, les gestes, les coutumes. Le symbole demeure
cette porte donnant à la fois accès à un univers insoupçonné, celui de
l'inconscient, et ouvrant sur un champ de réflexion et de méditation presque
illimité, touchant aux sources de l'humanité, aux millénaires de culture et
d'évolution. Étudiant le mode symbolique, Umberto Eco estime que « la seule
définition claire semble être celle des archétypes », dérivée de la théorie de
Jung (ECO, 1988 : 195).
Pour Jung25, le symbole n'est pas un dogme. Il est plus que le signe et n'a
pas un sens donné une fois pour toutes. La lecture sémiotique, dans le
domaine psychologique, est réductrice. Le symbole prend sens à l'intersection
de deux événements qu'il éclaire : l'inconscient et le sujet. Il n'est pas un
simple signifiant de substitution. Il est une relation avec l'inconnu. Il laisse
pressentir un sens réellement nouveau pour l'observateur. Quelque chose de

25
Vu l'importance du symbole dans l'œuvre de Jung, je renvoie aux divers livres de
vulgarisation dont (BAUDOUIN, 1963), (BENNET, 1973), (NATAF, 1985), et aux
ouvrages suivants (JUNG, 1971 et 1973), (JACOBI, 1950 et 1961).

173
174 Du signe au symbole

déjà connu ne devient pas un symbole. En ce sens, l'allégorie ou le signe ne


sont pas des symboles. L'activité symbolique va de pair avec une
transformation énergétique, elle signe une métamorphose de la libido qui
traverse aussi bien le sujet que le monde. Le symbole est une expérience qui
vient du tréfonds de nous-mêmes. Jung dira qu'il monte de la « profondeur du
corps ». Il est ambivalent. La surdétermination entraîne une polyphonie du
sens. Le symbole naît d'un état de conflit, mais il arrête la régression de la
libido vers l'inconscient. Il tente de transformer le refoulement en flux. Il
mobilise ainsi l'énergie psychique (JUNG, 1956). Il est la « machine
psychologique transformatrice d'énergie » dont l'interprétation vise à rétablir
les équilibres énergétiques. Son action est celle d'une représentation, voire
d'un ordre, et d'un sens. Il reflète une mise en ordre en faisant miroiter un
sens. Il échappe à la raison, mais propose à la conscience une orientation
nouvelle. Il ne signifie pas plus qu'une possibilité. Cette notion est étroitement
liée à celle des archétypes. On pourrait même dire qu'à la base de tout
symbole se trouve un archétype qui en est l'éventuelle préfiguration. Ou, plus
clairement, tout symbole est l'expression d'un archétype dans une situation
concrète, collective ou individuelle. Jung insiste sur le fait qu'il n'est pas
possible d'expliquer un archétype du fait qu'il appartient à cette couche très
profonde de l'inconscient collectif qui finit par s'universaliser et par s'éteindre
dans la matérialité du corps, c'est-à-dire, dans les corps chimiques. Il est une
notion structurelle, une notion énergétique, et un foisonnement d'images. En
tant que structure, il transcende le complexe. Il est le principe unificateur de
l'inconscient collectif.

« L'Inconscient collectif, en tant que totalité de tous les archétypes, est le sédiment de toute
l'expérience vécue par l'humanité depuis ses débuts les plus reculés. »(JACOBI, 1961)

Si l'inconscient est le champ de la psychologie, les archétypes balisent et


structurent ce champ. Ils sont porteurs d'images primordiales. Il ne faut
cependant pas confondre les représentations archétypales avec l'archétype
lui-même. L'Archétype en soi n'est pas représentable. Son essence échappe à
la conscience. Mais ses effets concrets se manifestent au travers d'images, de
symboles. Ces images sont les représentations archétypales. Elles dérivent de
l'archétype qui, pourtant, ne se réduit pas à l'une d'entre elles. L'archétype
serait la structure qui tend à faire de nous un être universel, les images qu'il
véhicule recèlent notre singularité.

« Il est impossible de donner une interprétation universelle à un archétype. Il faut


l'expliquer conformément à la situation psychologique de l'individu concerné. »(NATAF,
1985 : 29)

Jolande Jacobi (JACOBI, 1961) rappelle que l'archétype se dirige à la fois


vers le bas (la fixation du complexe) et vers le haut (vers le monde des images
et des idées). L'analyse a pour fonction de faire prendre conscience de cette
dialectique. Précisons enfin qu'il se manifeste sous diverses représentations

174
Sémiologie et herméneutique 175

dont celles de l'anima, l'animus, le soi, etc. (notions qui seront précisées dans
le cadre de ce cours). Umberto Eco note également :

« [...] qu'il y a indubitablement des expériences sémiotiques intraduisibles, où l'expression


est corrélée (soit par l'émetteur, soit par une décision du destinataire) à une nébuleuse de
contenu, c'est-à-dire à une série de propriétés qui se réfèrent à des champs différents et
difficilement structurables d'une encyclopédie culturelle donnée : si bien que chacun peut
réagir face à l'expression en la remplissant des propriétés qui lui agréent le plus, sans
qu'aucune règle sémantique puisse prescrire les modalités de la bonne interprétation. C'est
ce type d'emploi de signes que nous avons décidé d'appeler mode symbolique. » (ECO,
1988 : 213)

Il ajoute :

« Pour définir une notion de symbolisme au sens strict, nous avions résolu de reconnaître
comme importantes les propriétés suivantes : non seulement une présomption d'analogie
entre symbolisant et symbolisé (bien que les propriétés "semblables" puissent être
reconnues et définies de diverses façons), mais aussi un flou fondamental de signification.
Une expression, si dotée soit-elle de propriétés précises qui se veulent semblables aux
propriétés du contenu véhiculé, renvoie à ce contenu comme à une nébuleuse de propriétés
possibles. On retrouve une symbolique de ce genre dans la théorie jungienne des
archétypes. » (ECO, 1988 : 213-214)

Ces symboles ne peuvent être interprétés de manière exhaustive ni comme


signes ni comme allégories. Ils sont plurivoques et inépuisables. Aucune
formulation univoque n'est possible : ils sont contradictoires et paradoxaux.

« La position jungienne est très claire. Pour qu'il y ait symbole, il doit y avoir analogie,
mais surtout nébulosité de contenu. Une sémiotique qui implique une ontologie et une
métaphysique, certes. Mais sans ontologie et sans métaphysique du Sacré, du Divin, il n'est
point de symbolisme ni d'infinité d'interprétations. »(ECO, 1988 : 214)

Dans ce cadre, le symbole est à la fois absolu et relatif : relatif à ses


propres composantes, aux autres symboles, au plan sur lequel il se délimite,
aux problèmes qu'il est censé évoquer, mais absolu par la condensation qu'il
opère, par le lieu qu'il occupe sur le plan, par les conditions qu'il assigne aux
problèmes.

« Pour parler en termes crûment sémiotiques, une expression à laquelle correspond une
nébuleuse non codée de contenus peut apparaître comme la définition d'un signe imparfait
et socialement inutile. Mais pour celui qui vit l'expérience symbolique, qui est toujours
d'une certaine façon l'expérience du contact avec une vérité (qu'elle soit transcendante ou
immanente), ce qui est imparfait et inutile c'est le signe non symbolique qui renvoie
toujours à quelque chose d'autre dans la fuite illimitée de la sémiosis. En revanche,
l'expérience du symbole semble différente à celui qui la vit : c'est la sensation que ce qui est

175
176 Du signe au symbole

véhiculé par l'expression, pour nébuleux et riche que ce soit, vit à ce moment-là dans
l'expression.
Telle est sans doute l'expérience de qui interprète esthétiquement une œuvre d'art, de qui vit
un rapport mystique (de quelque façon que lui apparaissent les symboles) et de qui
interroge un texte sur le mode symbolique. » (ECO, 1988 : 217-218)

Assumer le texte comme symbole relève d'une expérience mystique. Toute


lecture d'un symbole participe de ce mécanisme projectif. C'est pourquoi en
dernière analyse, elle se révèle elle-même Figure et Ombre, source infinie
d'interprétations. Vu que le symbole reste ouvert et ambigu, j'y trouve ce que
j'y projette. Il devient miroir de ma propre aliénation. C'est ainsi que le mode
symbolique participe à la création.

« Le symbole est reconnu comme une façon particulière de disposer stratégiquement les
signes afin qu'ils se dissocient de leurs signifiés codés et deviennent capables de véhiculer
de nouvelles nébuleuses de contenu. Le symbole, dans cette optique, n'est pas coextensif à
l'esthétique : c'est une des diverses stratégies poétiques possibles. »(ECO, 1988 : 227)

C'est dans cette seule perspective que les symboles peuvent être
sécularisés. D'abord, parce qu'ils sont ainsi dépourvus de la capacité
d'instaurer un contrôle social et de permettre des manipulations du pouvoir ;
ensuite parce qu'ils restent vraiment ouverts ; enfin parce qu'ils n'autorisent
pas les mystifications, c'est-à-dire qu'ils ne permettent pas de séquences
interprétatives incontrôlables, puisqu'ils sont contrôlés par le texte et
« l'intertextualité »26. Il ne s'agit donc pas d'une fixation allégorique : il n'y a
pas élaboration de code, tout au plus y a-t-il une orientation aux codes
possibles. Le symbole reste ouvert, sans cesse réinterprétable. En faisant ainsi
abstraction de toute métaphysique ou théologie sous-jacente qui confère une
vérité particulière aux symboles, on peut dire que le mode symbolique
caractérise une modalité de production ou d'interprétation textuelle. Selon la
typologie des modes de production du signe décrite par Umberto Eco (ECO,
1988 : 52-59), le mode symbolique présuppose un processus d'invention
appliqué à une reconnaissance. Je trouve un élément qui a déjà assumé une
fonction sémiotique et je décide de la voir comme la projection d'une portion
suffisamment imprécise de contenu.

« Le mode symbolique n'est donc pas nécessairement un procédé de production, mais c'est
toujours et de toute façon un procédé d'utilisation du texte qui peut être appliqué à tout
texte et à tout type de signe grâce à une décision pragmatique (“je veux interpréter
symboliquement”) qui produit au niveau sémantique une nouvelle fonction sémiotique, en
associant à des expressions déjà dotées de contenu codé de nouvelles portions de contenu,
le plus indéterminées possible et établies par le destinataire. La caractéristique du mode
symbolique, c'est que, si l'on s'abstient de l'appliquer, le texte conserve un sens indépendant
au niveau littéral et figuratif (rhétorique). » (ECO, 1988 : 237)

26
Voir la définition de ce concept chez Umberto ECO (1988 & 1992b).

176
Sémiologie et herméneutique 177

En conclusion, on obtient le tableau suivant :

Symbolisant = représentation concrète

interprétations symboles objets

Symbolisés = représentations mentales, archétypales

De la sémiologie à l’herméneutique

Le but de la recherche sémiologique est de reconstituer le fonctionnement


des systèmes de signification autres que la langue. Pour entreprendre cette
démarche, il est nécessaire d'accepter le principe de pertinence. C'est-à-dire
décrire les faits rassemblés que d'un seul point de vue et par conséquent ne
retenir que les traits qui intéressent ce point de vue, à l'exclusion de tout autre.
La pertinence choisie par la recherche sémiologique concerne la signification
des objets analysés. On analyse des œuvres uniquement sous le rapport du
sens qu'elles détiennent sans faire intervenir d'autres déterminants, sinon en
les traitant eux-mêmes en termes sémiologiques. C'est-à-dire en situant leur
place et leur fonction dans le système du sens.
L'herméneutique est à l’origine la méthode de l'interprétation des textes
anciens. Son but est de faire une théorie générale de l'interprétation des textes.
L'herméneutique existait déjà avec Aristote qui disait : « dire quelque chose
de quelque chose, c'est déjà dire autre chose, interpréter ». L'herméneutique
moderne souligne la pluralité des sens, « le sens apparaît multiple et
changeant comme la vie même » et donc « il n'y a pas d'herméneutique
générale [...], mais des théories séparées » (DUPUY, 1972 : 365-367).

177
178 Du signe au symbole

Herméneutique et interprétation

Définition de l'herméneutique

L'herméneutique est la théorie de l'interprétation des symboles. Elle


expose des règles à suivre au niveau de l'interprétation. Pour entreprendre
cette démarche, il est nécessaire d'accepter le principe d'ambivalence. C'est-à-
dire décrire les faits rassemblés de plusieurs points de vue différents en
retenant les traits qui intéressent ces différents points de vue en fonction du
contexte et des relations entre les éléments mis en présence. L'ambivalence
choisie par la recherche symbolique concerne l'interprétation des objets
présentés. On interprète des œuvres sous le rapport des sens symboliques
qu'elles détiennent en tenant compte du contexte et des relations entre les
différents éléments participant à ces œuvres. L’herméneutique souligne le fait
qu'il y a toujours un rapport essentiel entre ce qui est exprimé directement et
indirectement dans un texte. Pour pouvoir interpréter convenablement un
texte, il faut être du même monde historique, avoir un intérêt commun entre
l'homme et le texte. Le problème essentiel de l'herméneutique est qu'il y a des
interprétations différentes de mêmes textes.

De l'interprétation
(ECO, 1992b : 7-18)

Actuellement, l'écriture est prise comme l'exemple suprême de sémiosis27.


Tout texte écrit ou parlé est vu comme une machine à produire une dérive
infinie de sens. Les théories contemporaines prétendent qu'un texte, une fois
séparé de son émetteur et des circonstances concrètes de son émission, peut
être interprété selon mille et une façons. De ce fait, il n'existe pas un sens
d'interprétation unique et bien défini qui serait inhérent à chaque texte. Même
séparé de son émetteur, de son référent discutable et des circonstances de
production, un texte pourra être interprété selon une variété de référents et de
significations. Néanmoins, l'interprète n'a pas le droit de dire que le message
peut signifier n'importe quoi, car il est des sens qu'il serait hasardeux de
suggérer. Affirmer cela, c'est admettre qu'il existe un sens littéral des items
lexicaux, celui que les dictionnaires enregistrent en premier, celui que
l'homme de la rue citerait en premier si on lui demandait le sens d'un mot
donné (cf. à la RTBF, le dico trottoir).

27
« La sémiotique s'occupe de la sémiosis, laquelle est " une action ou influence qui est ou
implique une coopération de trois sujets, comme par exemple un signe, son objet et son
interprétant, cette influence tri-relative ne pouvant en aucun cas se résoudre en une influence
entre couples" (PEIRCE, CP : 5.484). » (ECO, 1992b : 15)

178
Sémiologie et herméneutique 179

« Intentio Lectoris » : la sémiotique de la réception


(ECO, 1992b : 19-47)

L'opposition entre le Moyen Âge et la Renaissance

Un texte peut susciter des interprétations infinies ou indéfinies. Par rapport


à ces multiples possibilités d'interprétation, le Moyen Âge a recherché la
pluralité des sens, tout en s'en tenant à une notion rigide du texte comme
quelque chose ne pouvant être contradictoire. La Renaissance, inspirée par
l'hermétisme néoplatonicien, a tenté de définir le texte idéal, sous forme de
texte poétique, comme celui qui autorisait toutes les interprétations possibles,
jusqu'aux plus contradictoires (ECO, 1992b : 30). La lecture hermético-
symbolique génère une seconde opposition. En effet, elle peut s'effectuer de
deux façons :

1. En recherchant l'infinité des sens que l'auteur y a introduits ;


2. En recherchant l'infinité des sens que l'auteur ignorait (et qui y sont
probablement introduits par le destinataire, mais sans qu'on sache
encore si c'est en conséquence ou en dépit de l’intentio operis).

Le débat classique

« Même si l'on affirme qu'un texte stimule une infinité d'interprétations et qu'il n'y a pas de
vrai sens d'un texte (Valéry), on ne dit pas si l'infinité de ces interprétations dépend de
l'intentio auctoris, de l'intentio operis ou de l'intentio lectoris. » (ECO, 1992b : 30-31)

Le débat classique s'articule autour de l'opposition entre les deux


programmes suivants :

1. On doit chercher dans le texte ce que l'auteur voulait dire ;


2. On doit chercher dans le texte ce qu'il dit, indépendamment des
intentions de son auteur. Si l'on accepte ce second terme, on peut alors
articuler l'opposition entre :

2.1. Il faut chercher dans le texte ce qu'il dit en référence à sa propre


cohérence contextuelle et à la situation des systèmes de
signification auxquels il se réfère ;
2.2. Il faut chercher dans le texte ce que le destinataire y trouve en
référence à ses propres systèmes de signification et/ou en
référence à ses propres désirs, pulsions, volontés.

179
180 Du signe au symbole

La problématique au XXe siècle

Dans les années cinquante à septante, les structuralistes ont privilégié


l'analyse du texte en tant qu'objet doté de caractères structuraux propres,
descriptibles grâce à un formalisme plus ou moins rigoureux. À partir des
années soixante, un changement de paradigme s'est opéré par rapport aux
débats critiques précédents. C'est ainsi que des orientations aussi différentes
que l'esthétique de la réception, l'herméneutique, les théories sémiotiques ont
élu comme objet d'enquête la fonction de construction (déconstruction) du
texte joué par l'acte de la lecture. L'assertion que sous-tend chacune de ces
tendances est la suivante : le fonctionnement d'un texte (même non verbal)
s'explique en tenant compte du rôle joué par le destinataire. Les théories sur
le couple Auteur-Lecteur se sont ainsi multipliées,

« [...] si bien qu'aujourd'hui, outre le narrateur et le narratoire, nous avons des narrateurs
sémiotiques, des narrateurs extra-fictifs, des sujets de l'énonciation énoncée, des
focalisateurs, des voix, des métanarrateurs, des lecteurs virtuels, des lecteurs idéaux, des
lecteurs modèles, des superlecteurs, des lecteurs projetés, des lecteurs informés, des
archilecteurs, des lecteurs implicites, des métalecteurs, etc. Évidemment, ces Auteurs et ces
Lecteurs n'ont pas tous le même statut théorique : pour une carte complète de ce paysage
d'identités et de différences, voir Pugliatti 1985 (ainsi que Ferraresi et Pugliatti 1989). »
(ECO, 1992b : 21)

En privilégiant l'intention du lecteur, il faut également prévoir un lecteur


susceptible de lire un texte de façon univoque et qui recherchera - à l'infini
peut-être - cette univocité (ECO, 1992b : 31).

« Il peut donc exister une esthétique de l'interprétabilité infinie des textes poétiques
concordant avec une sémiotique d'une interprétation, dépendante de l'intention de l'auteur,
et il peut y avoir une sémiotique de l'interprétation univoque des textes qui nie toutefois la
fidélité à l'intention de l'auteur en se référant plutôt à un droit de l'intention de l'œuvre. »
(ECO, 1992b : 31)

Par delà le couple Auteur-Lecteur, ces diverses approches considèrent


que :

« Le fonctionnement d'un texte s'explique, en prenant en considération, en sus ou au lieu du


moment génératif, le rôle joué par le destinataire dans sa compréhension, son
actualisation, son interprétation, ainsi que la façon dont le texte lui-même prévoit sa
participation. » (ECO, 1992b : 22)

180
Sémiologie et herméneutique 181

L'approche générative et l'approche interprétative (ECO, 1992b : 23-28)

D'un point de vue sémiotique, la situation actuelle correspond à deux


approches distinctes :
1. L’approche générative, qui prévoit les règles de production d'un objet
textuel analysable indépendamment des effets qu'il provoque ;
2. L’approche interprétative, qui a pour but de chercher ce que l'auteur
veut réellement dire (VIOLI, 1982).

Les études herméneutiques et les trois types d'intention


(ECO, 1992b : 29-32)

Dans le milieu des études herméneutiques, l'opposition se présente sous


forme de trichotomie entre interprétations comme :

1. Recherche de l'intentio auctoris (intention de l'auteur),


2. Recherche de l'intentio operis (intention de l'œuvre),
3. Prescription de l'intentio lectoris (intention du lecteur).

« Ce débat sur le sens du texte est capital, mais il ne recouvre absolument pas le débat
précédent entre approche générative et approche interprétative. En effet, on peut décrire
générativement un texte, en le voyant dans ses caractéristiques présumées objectives, et
décider pourtant que le schéma génératif qui l'explique ne reproduit pas les intentions de
l'auteur, mais la dynamique abstraite par laquelle le langage se coordonne en texte à partir
des lois propres et crée du sens indépendamment de la volonté de l'énonciateur.
De la même façon, on peut adopter un point de vue herméneutique et accepter que
l'interprétation a pour but de chercher ce que l'auteur veut réellement dire, ou ce que l'Être
dit par le langage, sans pour autant admettre que la parole de l'Être est définissable à
partir des pulsions des destinataires. » (ECO, 1992b : 29-30)

Défense du sens littéral (ECO, 1992b : 33-35)

Toute discussion sur la liberté de l'interprétation s'ouvre obligatoirement


sur une défense du sens littéral qui empêche la confusion entre les différentes
intentions. Avant d'extrapoler tous les sens possibles, il faut comprendre avant
tout le sens littéral de la phrase. Par exemple, le ton de la plaisanterie empêche
de se méprendre sur l'intentio auctoris par rapport à l'intentio operis quand
Ronald Reagan, pour tester les micros avant une conférence de presse,
annonce qu'il va donner l'ordre de bombarder la Russie. Cependant, avant
même d'extrapoler les diverses significations de cette menace, il faut
comprendre -grammaticalement parlant - que le président des USA entendait
bombarder l'URSS.

181
182 Du signe au symbole

Lecteur sémantique et lecteur critique (ECO, 1992b : 36-38)

Umberto Eco fait également une distinction entre :

1. L'interprétation sémantique ou sémiosique, qui est le résultat du


processus par lequel le destinataire, face à la manifestation linéaire du
texte, le remplit de sens ;
2. L'interprétation critique ou sémiotique qui essaie d'expliquer pour
quelles raisons structurales le texte peut produire ces interprétations
sémantiques.

Un texte peut être interprété des deux façons, mais seuls quelques-uns
prévoient les deux types d'interprétation. Par exemple, Agatha Christie, dans
le Meurtre de Roger Ackroyd, s'adresse aux deux types d'interprétation : à la
fin, le narrateur invite le lecteur critique à relire le texte pour découvrir qu'il
ne lui avait rien caché de son crime.

Interprétation et utilisation des textes (ECO, 1985) (ECO, 1992b : 39-40)

Dans le facteur de la vérité, Derrida interprète la Lettre volée de Poe. Pour


mener sa lecture psychanalytique en opposition polémique à celle de Lacan, il
observe qu'il entend analyser l'inconscient du texte et non celui de l'auteur
(DERRIDA, 1975). Marie Bonaparte se sert de la Lettre volée pour en tirer
des inférences sur la vie privée de Poe et introduit dans le discours des
preuves tirées d'informations biographiques extratextuelles (BONAPARTE,
1952). Derrida fait de l'interprétation de texte tandis que Marie Bonaparte
utilise le texte. Cette distinction permet de discuter de la différence entre la
recherche de l'intentio operis (Derrida) et la superposition de l'intentio lectoris
(Marie Bonaparte).

Conclusions (ECO, 1992b : 46-47)

Par l'intentio operis, Umberto Eco reprend l'affirmation de Saint Augustin


dans le De doctrina christiana :

« [...] une interprétation paraissant plausible à un moment donné du texte ne sera acceptée
que si elle est confirmée - ou du moins si elle n'est pas remise en question - par un autre
point du texte. » (ECO, 1992b : 40)

Défendre un tel principe ne signifie pas éliminer pour autant la


collaboration du destinataire. Défendre l'interprétation contre l'utilisation du
texte ne veut pas dire que les textes ne puissent être utilisés. Utilisation et
interprétation sont deux modèles abstraits et toute lecture résulte d'un mélange

182
Sémiologie et herméneutique 183

des deux : un jeu commencé comme utilisation finit parfois par produire une
interprétation lucide et créative - ou vice versa.
Mésinterpréter un texte (toute interprétation est mésinterprétation) c'est
révéler de nouveaux aspects pour que le texte soit interprété de manière plus
productive. Enfin, il existe une lecture prétextuelle qui utilise le texte comme
terrain de jeu, pour prouver à quel point le langage peut produire de la
sémiosis illimitée ou dérive. C'est le cas des déconstructions fournies par
Derrida (DERRIDA, 1972 : 393).

Le travail de l'interprétation et les critères d'économie


(ECO, 1992b : 125-151)

L'économie isotopique

Un lecteur sensible est autorisé à trouver des associations parce que le


texte les contient ou les suscite, et parce qu'il est possible que le poète ait créé
(inconsciemment peut-être) des harmoniques au thème principal. Même si les
indices sont légers, ils peuvent faire système. On peut juger cette lecture
excédentaire, mais on ne peut démontrer qu'elle est illégitime (ECO, 1992b :
127). Donc, en théorie, il est toujours possible de supposer un système qui
rende plausibles des indices décousus. Mais dans le cas de textes, il existe une
preuve conjecturale, qui consiste à définir l'isotropie sémantique pertinente :

« [...] l'interprétation acceptable est autorisée par un recours au topic discursif » (ECO,
1992b : 123).

Grâce aux contextes, ce pari interprétatif devient moins aléatoire qu'un


enjeu sur le rouge ou le noir (ECO, 1985). L'isotopie est un critère
interprétatif économique si celle-ci n'est pas trop superficielle (ECO, 1992b :
123).

Économiser sur Joyce (ECO, 1992b : 128-133)

Pour les œuvres ouvertes28, il n'y a pas d'interprétation critique possible,


mais bien une infinité de lectures. Dès lors, face à ce type d'œuvre, il est très
28
Depuis le début du siècle sont apparues des œuvres qui s'offrent à une pluralité
d'organisations : composition musicales dont les parties sont à enchaîner selon le
choix de l'interprète (Berio, Pousseur), sculptures mobiles (Calder), tableaux
informels, œuvres littéraires, dont Finnegans Wake de Joyce. Pour Umberto Eco,
l'ambivalence de telles œuvres et la multiplicité des points de vue génèrent ainsi
l'œuvre ouverte et offre la possibilité au lecteur ou au spectateur d'intervenir dans la
création de celle-ci (ECO, 1965).

183
184 Du signe au symbole

difficile de définir les limites entre utilisation et interprétation. Cependant, un


texte en tant que tel doit supporter une lecture critique, d'autant plus que
l'auteur cherche à donner des parcours de lecture au lecteur. Le texte exige
que, après s'être servi de lui, on dise quand on l'a utilisé et quand on l'a
interprété. En d'autres termes, il y a des lectures que le texte ne permet pas.
Rien n'empêche de les tenter, mais il faut savoir que l'on utilise le texte, selon
la technique de la divination archaïque, qui interrogeait le vol des oiseaux ou
les viscères des animaux. Les textes disent souvent plus que ce que leurs
auteurs voulaient dire, mais moins que ce que certains lecteurs voudraient
qu’ils disent.

« Un texte “ouvert” reste un texte, et un texte suscite d'infinies lectures sans pour autant
autoriser n'importe quelle lecture possible. Si l'on ne peut dire quelle est la meilleure
interprétation d'un texte, on peut dire lesquelles sont erronées. Dans le processus de
sémiosis illimitée, il est possible d'aller de n'importe quel nœud à n'importe quel autre
nœud, mais les passages sont contrôlés par des règles de connexion que notre histoire
culturelle a en quelque sorte légitimées. Tout court-circuit cache un réseau culturel dans
lequel chaque association, chaque métonymie, chaque lien inférentiel peut être
potentiellement exhibé et mis à l'épreuve. » (ECO, 1992b : 130)

Ainsi, dans le processus de sémiosis illimitée, des règles de connexion, que


notre histoire culturelle a légitimées, contrôlent les passages d'un point à un
autre du texte. De sorte qu'il est possible de lui faire dire beaucoup de choses,
mais il est impossible de lui faire dire ce qu'il ne dit pas.

"Intentio operis vs intentio auctoris" (ECO, 1992b : 133-137)

Quand un texte est produit pour une communauté de lecteurs, l'auteur sait
que son texte sera interprété selon une stratégie complexe d'interactions
impliquant les lecteurs et leur compétence de la langue comme patrimoine
social. Par patrimoine social, Umberto Eco n'entend pas seulement l'ensemble
des règles grammaticales, mais aussi toute l'encyclopédie qui s'est constituée à
travers l'exercice de cette langue (les conventions culturelles, l'histoire des
interprétations précédentes...) (ECO, 1992b : 133). L'acte de lecture doit tenir
compte de l'ensemble de ces éléments. Ainsi, tout acte de lecture est une
transaction entre la compétence du lecteur et le type de compétence qu'un
texte postule pour être lu de manière économique (ECO, 1992b : 134).
Durant ces interactions complexes entre la connaissance de l'auteur et celle
du lecteur, celui-ci ne spécule pas sur les intentions de l'auteur, mais sur
l'intention du texte. Ainsi, tout acte de lecture consiste en un échange entre le
lecteur et le texte. Pour bien l'interpréter, il faut cependant respecter le fond
culturel et linguistique de l'auteur. On spécule sur l'intention du texte et on
parle d'un auteur Modèle reconnaissable en matière de stratégie textuelle.

184
Sémiologie et herméneutique 185

L'auteur et ses interprètes (ECO, 1992b : 137-147)

Lorsque l'auteur est encore vivant, il est intéressant de lui demander


jusqu'à quel point il était conscient des multiples interprétations que son texte
permet. Sa réponse ne doit pas être utilisée pour confirmer les interprétations
du texte, mais pour montrer les discordances entre intention de l'auteur et
intention du texte. Ainsi, le lecteur permet à l'auteur de se rendre compte de ce
que le texte dit, sans qu'il en ait eu l'intention. L'auteur peut également mettre
en garde le lecteur contre certains types d'interprétation, qui paraissent peu
économiques, et ne sont pas soutenus par le texte.

« Entre l'inaccessible intention de l'auteur et la discutable intention du lecteur, il y a


l'intention transparente du texte qui réfute une interprétation inacceptable. » (ECO,
1992b : 142)

Les associations de sens qui sont créées par le lecteur ne l'aident pas à
comprendre la narration, mais elles l'aident à localiser l'action dans une
certaine culture.

« Il existe aussi une psychologie et une psychanalyse de la production textuelle qui, à


l'intérieur de leurs limites et de leurs intentions, nous aident à comprendre comment
fonctionne l'animal homme. Mais, en principe du moins, elles n'ont aucune importance
pour comprendre comment fonctionne l'animal texte. » (ECO, 1992b : 151)

Modèle de communication et interprétation

Actuellement, l'interprétation s'est adaptée à des objectifs variés suivant


les besoins ou buts. Elle demande beaucoup d'imagination de la part de
l'interprète. Afin d'utiliser correctement les grilles d'interprétation, il
conviendra, pour un texte analysé, de se poser et de répondre à une série de
questions. Prenons le texte de Jean-Paul II sur La Splendeur de la Vérité :

1. Concernant la relation entre émetteur/récepteur :


Qui parle ? (Étude de l'émetteur) (Le Pape)
Pour dire quoi ? (Contenu du message) (La Splendeur de la Vérité)
À qui ? (Étude du récepteur) (aux évêques)
Qui d'autres ? (Les autres personnes interpellées, les observateurs)
(les catholiques, les libres-penseurs, les intégristes, les protestants, les musulmans,
les athées, les indifférents, les hommes, les femmes, les enfants, etc.)
Comment ? (Moyens utilisés) (un texte écrit diffusé sous forme de livre et
commenté sur les ondes et dans la presse)
Quel résultat ? (Effets du message) (plusieurs réactions d'approbation et de
désapprobation)
2. Du point de vue du ou des contextes :

185
186 Du signe au symbole

Où ? (Espace) (les évêques ne s'expriment pas de la même manière au Vatican


ou à Londres)
Quand ? (temps) (le message est vécu différemment lors de sa publication et
quelque temps après, les passions s'estompent)
3. Concernant l'émetteur, le récepteur et les éventuels observateurs :
Conscient ? (Quelle est la fonction dominante : la pensée, la sensation,
l'intuition, le sentiment ?)
Inconscient ? (Inconscient personnel [FREUD], inconscient familial [SZONDI]
et inconscient collectif [JUNG])
4. Concernant les groupes auxquels appartiennent ces différents
protagonistes :
Quelle culture ? (La perception et les catégories varient d'une culture
à l'autre) (le pape Jean-Paul II est Polonais, Slave, de culture judéo-chrétienne ;
l'observateur est peut-être Japonais et bouddhiste zen)
Quel groupe ? (Un individu réagira de manière différente à la Splendeur de la
Vérité, selon qu'il est catholique ou libre-penseur)
Quel rôle ? (Un individu lira la Splendeur de la Vérité de manière différente
selon qu'il est membre du clergé, journaliste ou simple lecteur)
Quelles règles ? (Celles-ci changent d'un groupe à l'autre) (droit canon,
libre pensée...)
5. Concernant le message et le code :
Analyse formaliste, structurale, syntagmatique, paradigmatique,
sémiopragmatique, sémiologique ? (Une analyse morphologique n'est pas
une analyse structurale...)
Interprétation symbolique, herméneutique ? (On interprète le message de
manière différente selon qu'on adopte l'exégèse classique, la psychologie
analytique, la grille de Gritti ou celle de Greimas)
Association libre ou association contrôlée ? (Méthode freudienne,
lacanienne, adlérienne, jungienne...)
Perspective (catholique, chrétienne, libre exaministe, islamiste, bouddhiste,
taoïste...)
Les autres messages constituant le corpus auquel le premier message
appartient (L'Ancien et le Nouveau Testament, les écrits des Pères de l’Église et
des autres saints, les bulles papales, les autres communications papales, etc.)

L'analyse de contenu et l'interprétation d'un message sont liées à divers


points de vue relatifs : ceux de l'émetteur, du récepteur, de l'observateur, des
différents groupes et cultures auxquels appartiennent ces trois acteurs, des
fonctions et des règles auxquelles ils sont soumis, du message lui-même, de
son code, des autres messages dans lesquels celui-ci vient s'imbriquer, des
paradigmes, du lieu, du temps, des divers contextes, etc. Ces points de vue
sont liés aux diverses instances de la psyché humaine et aux diverses parties
de la communication (MEUNIER, 1991). La relativité, établie par Einstein,
est également de mise dans le domaine de l'interprétation et de
l'herméneutique.

186
Sémiologie et herméneutique 187

De la psyché à la psychanalyse

Le rêve

« […] trois sources : les recherches modernes, récentes, puisqu’elles ont commencé dans
les années 1960, sur la psychophysiologie et la neurophysiologie du rêve, les données
anthropologiques sur le traitement traditionnel du rêve dans différentes cultures et enfin les
propositions psychanalytiques qui, répandues dans la culture ambiante, ont profondément
marqué notre époque. Je croiserai ces données provenant de champs différents, de
l’anthropologie, des neurosciences et de la psychanalyse, les confrontant, les opposant,
parfois, les poussant autant que possible jusqu’à leurs conséquences ultimes. » (NATHAN,
2011 : 15-16)

Introduction

Le rêve désigne un ensemble de phénomènes psychiques éprouvés au


cours du sommeil. Au réveil, le souvenir du rêve est souvent lacunaire, parfois
inexistant. Il est cependant possible d’entraîner la remémoration onirique. Les
rêves sont les plus élaborés pendant les phases de sommeil paradoxal. Le nom
scientifique de l’étude des rêves est l’onirologie.
Depuis la nuit des temps, l’homme est intrigué par ses rêves et tente
d'expliquer leur existence. Ses explications vont de « sans importance » à « un
message divin » en passant par la perception des images des rêves comme
symboles qui prédiraient l’avenir si on savait les interpréter. La partie
historique de l’article montre que toutes ces approches se retrouvent
régulièrement au cours de l’histoire de l’humanité.
À partir du XIXe siècle, de nouvelles idées voient le jour qui aboutissent
depuis une centaine d’années à deux approches différentes :

 Des explications psychologiques qui partent du principe que le rêve est


intimement lié à la vie du rêveur et que l’interprétation de ses rêves
pourra l’aider à mieux se comprendre ;

187
188 Du signe au symbole

 Une approche par les neurosciences, qui cherchent la réponse à la


question « pourquoi rêvons-nous? » par l’étude de l'activité du cerveau
pendant le sommeil.

Comme l’étude du cerveau a montré que beaucoup de personnes se


souviennent de leurs rêves si on les réveille pendant le sommeil paradoxal et
que le sommeil paradoxal existe chez les mammifères placentaires, les
marsupiaux et les oiseaux (WILKERSON, 2003), on en a conclu qu’ils
doivent manifester une activité onirique.

Perception du rêve au cours de l'histoire de l'humanité


Aux origines : croyances et rêve

La croyance à l'origine divine des songes est universelle. Des découvertes


archéologiques prouvent :

1. Qu’on s'intéressait déjà aux rêves à Sumer vers -3000 ;


2. Qu’on s’intéressait aussi aux rêves dans l'Égypte ancienne en -2500 ;
3. Que les Égyptiens de la Xe dynastie croyaient déjà qu'un rêve pouvait
révéler l'avenir et avaient recours à des clés des songes (JAMA, 1997 :
12) ;
4. Que le songe prophétique est bien connu chez les Sémites, ce dont
témoigne l'Ancien Testament (GUILLAUME, 1941) ;
5. Que le songe comme message divin existe également dans la
mythologie grecque, à travers les rêves que Zeus envoie à Agamemnon
ou les visions qu'accorde Apollon à Delphes, notamment à Oreste
(OVIDE, 1992, livre XIII : 1-381). Dans l'orphisme et l'école de
Pythagore, on enseigne que la communication avec le Ciel s'effectue
uniquement pendant le sommeil, moment où l'âme s'éveille ;
6. Qu’on retrouve une doctrine identique chez les écrivains juifs et arabes
du Moyen Âge. Ibn Khaldoun évoque la pratique ritualisée des rêves
mantiques chez les musulmans.
7. Que le rêve est également d'importance au sein des chamanismes. Chez
tous les peuples sibériens, la vie du corps dépend de l'âme. Celle-ci peut
s'évader pendant la phase du sommeil, et le rêve témoigne de cette
évasion. Chez les Xant-Mansi, on dessine un tétras sur les berceaux des
nourrissons afin que l'âme de celui-ci ne s'en aille pas trop loin. Si elle
se fait prendre par les esprits, la mort est inéluctable, à moins que le
chaman n'intervienne. Dans les sociétés chamaniques, certains types de
rêves vont apporter de la chance au chasseur. S'il rêve de la fille de
l'esprit de la Forêt (et des Eaux aussi pour les Selkup), sa chasse sera
couronnée de succès (JAMA, 1997). Certains types de rêves
s'inscrivent dans le cadre de l'initiation également. Ils se produisent

188
Sémiologie et herméneutique 189

d'ailleurs souvent pendant une maladie. Dans ces rêves, il existe des
thèmes récurrents : rencontres avec des figures divines (Dame des
Eaux, Seigneur des Enfers, Dame des animaux), esprits-guides,
révélations sur les maladies et leur traitement, dépeçage et découpage
du corps du chaman (ÉLIADE, 1968) ;
8. Qu’on connaît de nombreuses sociétés « à rêves », c'est-à-dire des
peuples pour lesquels le rêve revêt une importance particulière ! C’est
le cas des Mohave d'Arizona (largement décrits par Devereux) ou
encore des Zapara (voir les articles ou ouvrages de Bilhaut) d'Amazonie
équatorienne.

La Grèce antique

Dans la mythologie grecque, les songes ont leurs propres divinités, les
Oneiroi, dont la plus connue est Morphée, dieu des rêves prophétiques.
Aussi bien les philosophes que les médecins grecs se sont intéressés aux
rêves et leurs sens. Ils y ont répondu de manière différente allant d'un
événement sans conséquence (Aristote) au diagnostic d'une maladie
(Antiphon, Hippocrate) ou encore d'un outil de divination (Artémidore).

 Antiphon (480 – 410 av. J.-C.) peut être considéré comme un des
précurseurs de la psychanalyse. Il est l'inventeur d'une méthode
d’interprétation des rêves, ainsi que d'une thérapie de l'âme fondée sur
le discours. Il prétendait guérir les maladies humaines par l'expression
des sentiments par les mots, et l'interprétation rationaliste des rêves.
Grâce à Lucien de Samosate, nous possédons le propos d'ouverture de
son traité Sur l'art d'échapper à l'affliction : « L'île des songes est
proche de deux sanctuaires de Tromperie et de Vérité. C'est là que sur
leur enceinte sacrée et leur oracle qu'elle domine l'interprète des rêves à
qui Sommeil avait alloué ce privilège. » (Lucien de Samosate, Histoire
véritable II, 33). Antiphon estimait également que « chez tous les
hommes, la pensée (gnomè) gouverne le corps pour la santé et la
maladie et pour tout le reste. ». Concernant le thérapeute Antiphon, le
pseudo-Plutarque nous dit « Au temps où il s’adonnait à la poésie, il
institua un art de guérir les chagrins, analogue à celui que les médecins
appliquent aux maladies : à Corinthe, près de l’agora, il disposa un
local avec une enseigne où il se faisait fort de traiter la douleur morale
au moyen de discours ; il s’enquérait des causes du chagrin et consolait
ses malades. Mais, trouvant ce métier au-dessous de lui, il se tourna
vers la rhétorique. »29

29
Traduction Louis Gernet, « Plutarque – Vies des dix orateurs – Antiphon [archives] » sur
Nimispauci [archive], 1923. Concernant Antiphon, lire aussi Michel Onfray, Les sagesses
antiques, contre-histoire de la philosophie, I, Paris, Grasset, 2006, p. 89-104.

189
190 Du signe au symbole

 Le médecin grec Hippocrate (460 – 370 av. J.-C.) est l'auteur du Traité
d'hygiène d'Hippocrate ou l'Art de prévoir les maladies du corps
humain par l'état du sommeil. Suivant l'état du soleil, de la lune ou des
astres vus en rêve, Hippocrate disait savoir si le sujet était en bonne
santé, ou au contraire malade. Les rêves avaient qualité de prodromes
concernant l'état de santé d'une personne. Le traité étudie aussi les
rapports entre les contenus oniriques et les diverses maladies. Ainsi,
voir en rêve une mer agitée pronostique l'affection du ventre ; voir du
rouge témoigne d'une surabondance de sang, etc.
 Suivant Platon (428 – 427 av. J.-C.), Socrate (Ve siècle av. J.-C.)
définit le rêve comme un lieu où les désirs honteux, réprimés le jour, se
réalisent (PLATON, La République).
 Aristote (-384 à -322), dans son Petits Traités d’histoire naturelle (titre
latin : Parva naturalia) (ARISTOTE, 1847), traite les rêves comme un
phénomène somatique lié au vécu de la journée.
 Artémidore de Daldis (dit parfois Artémidore d'Éphèse) développe un
système d'interprétation des rêves très élaboré au IIe siècle apr. J.-C.
dans l’Onirocriticon (Ỏνειροκριτικόν) (ARTÉMIDORE d’ÉPHÈSE,
1974). Artémidore se place dans une perspective largement rationaliste,
avec une exigence de rigueur méthodique qui distinguait sans doute son
ouvrage parmi les autres du même genre. En plus de pratiquer
l’onirocritique, Artémidore avait lu tous les anciens traités et fréquenté
de nombreux devins, apprenant ainsi à connaître les songes qui se
racontent ici et là. Loin d’être un charlatan, Artémidore est convaincu
de faire œuvre utile et scientifique. De fait, la documentation
d’Artémidore est impressionnante et ne comporte pas moins de trois
mille rêves. Pour lui, le rêve est par définition toujours vrai. Le fait
qu’un rêve ne se réalise pas comme prévu ne signifie pas que la science
de l’onirocritique soit vaine, mais que l’interprète des songes n’a pas
tenu compte de tous les éléments du rêve ou qu’il les a interprétés de
façon incorrecte. Il faut en effet beaucoup de perspicacité pour être un
bon devin et témoigner d’une habileté supérieure à déchiffrer les
énigmes que s’ingénie à nous proposer la divinité par rêve interposé. À
titre d’exemple, Artémidore évoque le songe du capitaine de navire qui,
égaré à la suite d’une tempête, s’était vu en rêve demander s’il
n’arriverait jamais à Rome. La réponse avait été « ου », soit le mot grec
signifiant « Non ». C’était là une réponse on ne peut plus claire,
semble-t-il. Or, ce brave capitaine était pourtant bien arrivé à Rome,
mais 470 jours plus tard. Le rêve était-il fautif ? Non, explique
Artémidore, car, dans le système de notation mathématique employé en
grec, la lettre omicron vaut 70 et le upsilon vaut 400, pour un total de
470 : le rêve avait donc bien prédit le vrai, car il n’y a aucune
différence entre dire le chiffre même et dire le nom de la lettre qui
exprime le nombre. En fait, la base de son interprétation repose sur un
système très élaboré de classification des rêves. Les rêves se divisent en
deux grandes classes : le rêve non divinatoire (ἐνύπνιον) et le songe

190
Sémiologie et herméneutique 191

divinatoire (ỏνειρος). La première classe se divise à son tour en rêves


somatiques, qui concernent seulement le corps, en rêves psychiques,
concernant seulement l’âme et en rêves mixtes, concernant les deux.
Mais cette classe n’intéresse guère l’onirocritique, vu qu’ils ne
prédisent pas l’avenir. Le songe divinatoire se divise en deux grandes
catégories :

 La première est constituée par les songes théorématiques, où la


vision coïncide avec son accomplissement, comme de rêver qu’un
ami lointain vient vous rendre visite et que celui-ci arrive justement
le jour suivant. Ces rêves n’exigent pas une grande habileté de la
part de leur interprète. Et le rêveur est vite fixé sur leur réalisation.
 L’autre grande catégorie est constituée par les songes allégoriques :
ce sont « les songes qui signifient certaines choses au moyen
d’autres choses : dans ces songes, c’est l’âme qui, selon certaines
lois naturelles, laisse entendre obscurément un événement
(l’Onirocriticon, livre I, 2) ou « qui indiquent l’accomplissement
signifié au moyen de symboles énigmatiques » (l’Onirocriticon,
livre IV, 1). On voit que, pour Artémidore, les songes relèvent bien
d’une étude scientifique étant donné que les symboles au moyen
desquels ils s’expriment relèvent de lois naturelles.

Ces songes allégoriques se divisent en cinq espèces, selon la personne


ou le groupe de personnes concernées par le songe. Ce peuvent être : le
rêveur seul, quelqu’un d’autre, le rêveur et quelqu’un d’autre, le public
en général, l’univers. Chacune de ces espèces se subdivise à son tour en
sous-espèces selon le rapport entre le songe et son accomplissement.
Certains songes prédisent beaucoup de choses au moyen de beaucoup
de choses, peu de choses au moyen de peu, beaucoup par le moyen de
peu, peu par le moyen de beaucoup. Enfin, ces sous-espèces se divisent
à leur tour en quatre types : bons au-dedans et au-dehors, par exemple
voir les dieux joyeux dans son rêve et en retirer un accomplissement
heureux ; mauvais au-dedans et au-dehors, comme de rêver qu’on
tombe dans un précipice ; bons au-dedans, mais mauvais au-dehors,
comme de rêver qu’on reçoit d’un mort un parfum ou une rose ;
mauvais au-dedans, mais bons au-dehors, comme de rêver, pour un
esclave, qu’il sert dans l’armée, car seul un homme libre peut servir
dans l’armée ((l’Onirocriticon, livre I, 5). Ainsi nous avons deux
classes dont les sous-divisions correspondant à cinq catégories dont la
principale, celle des rêves allégoriques, comporte cinq espèces, elles-
mêmes divisées en vingt sous-espèces et celles-ci en quatre-vingts
types. Mais ce n’est pas tout. L’interprétation doit également tenir
compte du domaine auquel appartient le symbole. Conformément à ses
devanciers, Artémidore distingue six données fondamentales
susceptibles d’apparaître dans n’importe quel type de rêve : la nature, la

191
192 Du signe au symbole

loi, la coutume, le métier, les noms et le temps. Chacune de ces données


peut être positive ou négative (l’Onirocriticon, livre I, 3 et livre IV, 2).
En principe, toutes les visions de rêve conformes à l’un de ces six
domaines sont de bon augure, et inversement. Il faut mettre au crédit
d’Artémidore le fait qu’il résiste à augmenter indûment le nombre de
ces catégories et se moque des analystes qui identifient « tantôt dix-
huit, tantôt cent, tantôt cent cinquante » de ces données fondamentales.
Pour lui, des caractéristiques comme la joie, la tristesse, la haine, la
maladie, etc. ne sont pas des données fondamentales, mais relèvent
toutes de la donnée « nature ». Artémidore a eu une énorme influence
sur les auteurs contemporains. Freud a contribué à réhabiliter
Artémidore, même s'il s'en écarte radicalement quant à la valeur des
songes : pour le psychanalyste, le rêve n'annonce pas l'avenir, mais
parle de notre passé. Michel Foucault fait une exégèse de
l’Onirocriticon (Ỏνειροκριτικόν) dans le premier chapitre (Rêver ses
plaisirs) du troisième volume de son Histoire de la sexualité (Le Souci
de soi). S'intéressant aux chapitres portant sur les rêves sexuels,
Foucault va utiliser l'œuvre d'Artémidore pour son travail de généalogie
de la sexualité. Dans la première partie de ce chapitre, il affirme
qu'« Artémidore ne dit pas s'il est bien ou non, moral ou immoral, de
commettre tel acte, mais s'il est bon ou mauvais, avantageux ou
redoutable de rêver qu'on le commet. Les principes qu'on peut dégager
ne portent donc pas sur les actes eux-mêmes, mais sur leur auteur, ou
plutôt sur l'acteur sexuel en tant qu'il représente dans la scène onirique,
l'auteur du songe et qu'il fait présager par là le bien ou le mal qui va lui
arriver ».
 Dérivé du latin incubare (incuber*), littéralement « poser dessus », et
provenant du latin incubatio (sommeil du temple en latin), l'incubation
signifie « dormir dans le sanctuaire » et se pratiquait dans des grottes.
L'incubation est ainsi un rite divinatoire des religions antiques et de
certains chrétiens et musulmans consistant le plus souvent à dormir
dans ou près d'un sanctuaire pour obtenir, sous la forme d'un songe, les
prescriptions d'un dieu guérisseur. Parfois, au lieu d'un temple, il peut
s'agir d'un lieu sacré, une source, une grotte, un puits. L'incubation a
beaucoup été pratiquée à l'époque romaine : il y avait environ 400
temples où l'on pratiquait ce rite dans le bassin méditerranéen, dont
celui d'Esculape, l'équivalent romain d'Asclépios. Au Japon, trois
temples sont réputés pour leurs rêves d'incubation : Ishiyama-dera, près
du lac Biwa, Hase-dera, au sud de Nara, et Kiyomizu-dera, à Kyoto
(LABAT, 1997). Le maître guérisseur qui apparaît dans les rêves
d'incubation est Yakushi Nyorai. L' istikhàra, en Islam, est la récitation
d'une prière avant d'aller se coucher, pour obtenir une réponse la nuit à
un problème donné (DOUTTÉ, 1909). L'incubation est en fait répandue
partout dans le monde : Amérique centrale, Afrique du Nord, Australie,
Bornéo, Chine, Inde, Iran. Souvent utilisée pour la guérison de la

192
Sémiologie et herméneutique 193

stérilité, elle peut être aussi une méthode pour guérir d'autres maladies
comme la paralysie, la cécité, la claudication et a été également un
moyen de prédire l'avenir. L'étude des inscriptions gravées sur les stèles
des temples a permis de montrer l'évolution des pratiques de
l'incubation. Aux premières cures miraculeuses survenant pendant le
rêve succéda l'indication de remèdes, puis des prescriptions qui
produisaient une guérison ultérieure (de BECKER, 1965). Dans la
Grèce antique, l'incubation se pratiquait dans les grottes d'Amphiaraos
et de Trophonios (JONES, 1973). Puis, à partir du Ve siècle av. J.-C.
dans le sanctuaire d'Épidaure en Argolide, sous l'égide d'Asclépios, au
niveau duquel des stèles ont été retrouvées, relatant 43 histoires de
guérisons de patients. Dans l'incubation thérapeutique, les malades se
rendaient dans un temple dédié au dieu de la médecine et s'étendaient
sur une peau d'animal, dans l'adyton, pour y dormir, après avoir reçu les
instructions des prêtres leur recommandant d'être particulièrement
attentifs à l'aspect qu'aurait le visage du dieu si celui-ci leur apparaissait
en rêve. Le dieu pouvait apparaitre barbu, ou jeune garçon, accompagné
ou non d'une de ses filles Hygieía, Panákeia ou Iaso, mais aussi sous la
forme d'un chien ou sous forme d'un serpent. Lorsqu'il touchait la partie
malade, ce dernier guérissait. Si le malade n'était pas visité par le dieu,
il devenait donc incurable. La coïncidence entre le rêve du malade et
celui du prêtre était le sumptôma. Le dieu pouvait apparaitre onar
(c'est-à-dire dans le rêve), ou upar (dans une vision à l'état de veille)
(CHEYMOL). La guérison de la stérilité était l'une des principales
tâches de l'incubation. Les exemples les plus connus sont Andromaque
d'Épire qui se rendit à Épidaure et qui raconte : « le dieu souleva sa
robe et toucha son abdomen, ce qui eut pour conséquence la naissance
d'un fils » (JONES, 1973), mais également Andromède de Chios qui
« fut visitée par le dieu sous la forme d'un serpent qui reposa sur elle :
elle porta cinq fils » (JONES, 1973). D'après Patricia Garfield (1995),
l'incubation avait justement pour but principal la guérison de la stérilité.
Ceci était possible par l'union sexuelle, pendant le sommeil, entre le
pèlerin et le dieu ou la déesse. Cette union sexuelle avait réellement lieu
dans le cas de la prostitution sacrée. La psychanalyse s'est beaucoup
intéressée à l'incubation et à la méthode interprétative antique. Pour
Ernest Jones, l'incubatio était l'union pendant le sommeil entre une
personne et un dieu ou une déesse, et il vit un rapprochement avec la
peur de l'incubus (JONES, 1973). Le psychiatre Carl Alfred Meier
(2003) réalisa une étude symbolique de l'incubation dans les rêves
modernes.

193
194 Du signe au symbole

Visions et rêves dans les religions monothéistes


Songes et prophéties dans La Bible

Les références aux songes (somnium) et aux visions (visio) prophétiques


occupent une place importante dans l'Ancien et le Nouveau Testament
(GUILLAUME, 1941). Le rêve est en effet un instrument privilégié du divin
pour communiquer avec les hommes : « S'il y a parmi vous un prophète, c'est
en vision que je me révèle à lui, c'est dans un songe que je lui parle » (Livre
des Nombres, 12, 6). Bien que les visions ne soient pas subordonnées au
sommeil, comme c'est le cas dans les songes, il n'est pas toujours aisé de
différencier les deux dans les textes bibliques. La prophétie est cependant
contraignante et expose le prophète (Livre de Jérémie, 20). Inversement,
lorsque la prophétie fait défaut, les songes ne sont plus habités par Dieu : ainsi
Saül se plaint « Et Dieu m'a abandonné et ne me répond plus, ni par les
prophètes ni par les songes » (Premier livre de Samuel, 28).

Cinq rêves
Songe de Jacob Deux rêves de Joseph
(Genèse, 28, 10-22) (Genèse, 37, 5-17)
Ia‘acob rêve Rêves de Iosseph
10. Ia‘acob sort de Beér Shèba‘ et va vers Harân. 5. Iosseph rêve un rêve et le rapporte à ses frères.
11. Il atteint le lieu et nuite là : oui, le soleil avait Ils ajoutent à le haïr encore.
décliné. Il prend une des pierres du lieu, la met à 6. Il leur dit : « Entendez donc ce rêve que j’ai
son chevet et couche en ce lieu-là. rêvé.
12. Il rêve. Et voici un escalier posté sur la terre : 7. Voici, nous gerbons des gerbes au milieu du
sa tête touche aux ciels. Et voici, les messagers champ ! Voici, ma gerbe se lève et même se poste.
d’Elohîms y montent et y descendent. Et voici, vos gerbes l’entourent et se prosternent
13. Et voici, IHVH-Adonaï est posté sur lui. Il dit : devant ma gerbe. »
« Moi, IHVH-Adonaï l’Elohîms d’Abrahâm ton 8. Ses frères lui disent : « Régneras-tu, régneras-tu
père, l’Elohîms d’Is’hac : la terre où tu es couché, sur nous ? Ou nous gouverneras-tu, nous
je la donnerai à toi et à ta semence. gouverneras-tu ? » Ils ajoutent à le haïr encore pour
14. Ta semence est comme la poussière de la ses rêves et pour ses paroles.
terre : tu fais brèche vers la Mer et vers le levant, 9. Il rêve encore un autre rêve. Il le raconte à ses
vers le septentrion et vers le Nèguèb. Tous les frères et dit : « Voici, j’ai encore rêvé un rêve. Et
clans de la glèbe sont bénis en toi et en ta voici, le soleil, la lune et onze étoiles se prosternent
semence. devant moi. »
15. Voici, moi-même avec toi, je te garderai 10. Il le raconte à son père, à ses frères. Son père le
partout où tu iras. Je te ferai retourner vers cette rabroue et lui dit : « Qu’est ce rêve que tu as rêvé ?
glèbe, car je ne t’abandonnerai pas sans avoir fait Est-ce que nous viendrons, nous viendrons, moi, ta
ce dont je t’ai parlé. » mère, tes frères, pour nous prosterner à terre devant
La porte des ciels toi ? »
16. Ia‘acob se ranime de son sommeil et dit : 11. Ses frères le jalousent, mais son père garde la
« Ainsi, IHVH-Adonaï existe en ce lieu et moi- parole.
même je ne le pénétrais pas. » 12. Ses frères vont pâturer le troupeau de leur père
17. Il frémit et dit : « Quel frémissement, ce lieu ! à Shekhèm.

194
Sémiologie et herméneutique 195

Ce n’est autre que la maison d’Elohîms 13. Israël dit à Iosseph : « Tes frères ne pâturent-ils
et ceci, la porte des ciels. » pas à Shekhèm ? Va, je t’envoie vers eux. » Il lui
18. Ia‘acob se lève tôt, le matin. Il prend la pierre dit : « Me voici. »
qu’il avait mise à son chevet, la met en stèle et fait 14. Il lui dit : « Va donc ! Vois la paix de tes frères,
couler sur sa tête de l’huile. et la paix des ovins. Retourne-moi une parole. » Il
19. Il crie le nom de ce lieu : Béit-Él Maison d’Él. l’envoie de la vallée de Hèbrôn et il vient à
Autrement Louz était en premier le nom de cette Shekhèm.
ville. 15. Un homme le trouve et voici, il vague au
20. Ia‘acob voue un voeu. Il dit : « Si Elohîms est champ. L’homme le questionne pour dire : « Que
avec moi, s’il me garde sur cette route où moi- recherches-tu ? »
même je vais, me donnant pain à manger, habit à 16. Il dit : « Mes frères ! Je les recherche moi-
vêtir, même ; rapporte-moi donc où ils pâturent. »
21. et que je revienne en paix à la maison de mon 17. L’homme dit : « Ils sont partis d’ici. Oui, je les
père, IHVH-Adonaï est à moi pour Elohîms. ai entendus dire : ‹ Allons à Dotân ! › » Iosseph va
22. Cette pierre que j’ai mise en stèle sera la derrière ses frères et les trouve à Dotân.
maison d’Elohîms. Tout ce que tu me donneras,
j’en dîmerai la dîme, pour toi. »
(La Torah, Entête, 28, 10-28, trad. d’André (La Torah, Entête, 37, 5-17, trad. d’André
Chouraqui) Chouraqui)
Deux rêves de Pharaon
(Genèse, 41, 1-37)
Rêves de Pharaon
1. Et c’est au bout de deux ans de jours, Pharaon rêve. Le voici debout sur le Ieor.
2. Et voici, du Ieor montent sept vaches, belles à voir, saines de chair, elles pâturent dans la jonchaie.
3. Et voici, sept autres vaches montent derrière elles du Ieor, mauvaises à voir, maigres de chair. Elles se
tiennent près des vaches, sur la lèvre du Ieor.
4. Les vaches mauvaises d’aspect, maigres de chair mangent les sept vaches belles à voir et replètes. Et
Pharaon se réveille.
5. Il sommeille, rêve encore, et voici : sept épis montent sur une seule tige, sains et bien.
6. Et voici, sept épis maigres niellés de bise germent derrière eux.
7. Les épis maigres engloutissent les sept épis sains et pleins. Pharaon se réveille et voici, un rêve !

Des vaches... ... et des épis


8. Et c’est le matin, son souffle palpite. Il envoie 23. Et voici sept épis graveleux, maigres, niellés de
crier tous les hiérophantes de Misraîm, et tous ses bise, germent derrière eux.
sages. Pharaon leur raconte son rêve. Mais à 24. Les épis maigres engloutissent les sept épis bien.
Pharaon, pas d’interprète pour eux. Je le dis aux hiérophantes, mais nul ne me le
9. Le chef des échansons parle avec Pharaon pour rapporte. »
dire : « Mes fautes, je les rappelle aujourd’hui ! 25. Iosseph dit à Pharaon : « Le rêve de Pharaon est
10. Pharaon écumait contre ses serviteurs et m’avait un. Ce qu’Elohîms fait, il l’a rapporté à Pharaon.
donné en garde à la maison du chef des 26. Les sept vaches bien sont sept ans et les sept épis
immolateurs, moi et le chef des panetiers. bien sont sept ans : c’est un seul rêve.
11. Nous avons rêvé un rêve, une même nuit, moi et 27. Les sept vaches efflanquées et mauvaises
lui. Nous rêvions chacun selon l’interprétation de montant derrière elles sont sept ans. Les sept épis
son rêve. vides, niellés de bise, seront sept ans de famine.
12. Là, avec nous, un ‘Ibri, adolescent, le serviteur 28. Voilà la parole dont j’ai parlé à Pharaon : ce que
du chef des immolateurs. Nous les lui racontons. Il l’Elohîms fait, il l’a fait voir à Pharaon.
interprète chacun selon son rêve. 29. Voici, sept ans viennent, de grande satiété en
13. Et c’est comme il l’avait interprété, ce fut ainsi toute la terre de Misraîm.

195
196 Du signe au symbole

pour nous ! Moi, il m’a fait retourner à mon assise, 30. Et se lèvent sept ans de famine après elles. Toute
lui, il l’a pendu. » satiété sera oubliée en terre de Misraîm, la famine
14. Pharaon envoie crier Iosseph. Ils le font courir achèvera la terre.
hors de la fosse. Il se rase, change sa tunique et 31. La satiété ne se connaîtra plus sur terre, face à
vient à Pharaon. cette famine, après cela : oui, elle est très lourde.
15. Pharaon dit à Iosseph : « J’ai rêvé un rêve, mais, 32. Et sur la répétition du rêve de Pharaon par deux
pour lui, pas d’interprète. Et moi, j’ai entendu dire fois, oui, la parole est prête auprès d’Elohîms :
de toi que tu entends le rêve pour l’interpréter. » l’Elohîms se hâte de la réaliser.
16. Iosseph répond à Pharaon pour dire : « Pas moi, 33. Maintenant Pharaon verra un homme perspicace
Elohîms répondra la paix de Pharaon ! » et sage. Qu’il le place sur la terre de Misraîm.
17. Pharaon parle à Iosseph : « Dans mon rêve, me 34. Pharaon le fera, il préposera des préposés sur la
voici, sur la lèvre du Ieor. terre. Il quittera la terre de Misraîm pendant les sept
18. Et voici, du Ieor montent sept vaches saines de ans de satiété.
chair, belles de tournure, elles pâturent dans la 35. Ils grouperont toute la nourriture de ces bonnes
jonchaie. années qui viennent, ils accumuleront le froment
19. Et voici, sept autres vaches montent derrière sous la main de Pharaon, en nourriture dans les
elles, chétives, très mauvaises de tournure, villes : ils le garderont.
efflanquées de chair. Je n’en avais pas vu de 36. La nourriture sera en dépôt pour la terre pour les
pareilles en mal, dans toute la terre de Misraîm. sept ans de famine qui seront en terre de Misraîm,
20. Les vaches efflanquées, les mauvaises, mangent et la terre ne sera pas tranchée par la famine. »
les sept premières vaches, les saines. 37. La parole est bien aux yeux de Pharaon et aux
21. Elles viennent en leur sein, mais nul ne sait yeux de tous ses serviteurs.
qu’elles étaient venues dans leur entraille. Leur
aspect : mauvais comme au commencement. Et je
me réveille.
22. Puis je vois dans mon rêve... Voici, sept épis (La Torah, Entête, 41, 1-37, trad. d’André
montent sur une seule tige, pleins et bien. Chouraqui)

La tradition judaïque

Selon Maïmonide, toutes les prophéties et manifestations révélées aux


prophètes se font en songe ou en vision, apportées ou non par un ange, que les
voies et moyens utilisés soient mentionnés ou non. Selon lui, les révélations
s'obtiennent dans une vision, et le prophète en saisit la signification dès son
réveil. Les prophètes sont les interlocuteurs privilégiés de Dieu, ils sont
choisis par Lui. L'état de sommeil permet la suppression des sens corporels, et
c'est une des théories fournies par Maïmonide pour expliquer la réception de
l'émanation envoyée par Dieu. Sur la base d'une faculté imaginative très
développée, la prophétie est une perfection acquise, mais qui peut être
troublée par la tristesse, la colère et la fatigue. D'après lui, Moïse seul fit
exception à la règle qui veut que Dieu communique sa volonté à ses prophètes
par les songes et les visions : « Il n'en est pas ainsi de mon serviteur Moïse,
toute ma maison lui est confiée. Je lui parle face à face dans l'évidence, non en
énigmes » (Livre des Nombres, 12, 7-8). Bien que les songes ordinaires soient
considérés comme des vanités, trompeurs et impurs, dans la vision
apocalyptique du livre de Joël, la descente sur terre de l'Esprit se répandra sur
tous : « vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos

196
Sémiologie et herméneutique 197

jeunes gens des visions » (Livre de Joël, 3, 1). La loi biblique récuse pourtant
la divination par les songes : « Vous ne pratiquerez ni divination ni
incantation ». Le Deutéronome ordonne de se méfier des faux prophètes : « Si
quelque prophète ou faiseur de songes surgit [...] tu n'écouteras pas les paroles
de ce prophète ni les songes de ce songeur » (Deutéronome, 13, 2-4). Jérémie
y consacre également un livret (Livre de Jérémie, 23), et il revient sur ce sujet
au ch. 29, v. 8 et 9 : « Car ainsi parle Yahweh : Ne vous laissez pas séduire
par vos prophètes qui sont au milieu de vous, ni par vos devins, et n’écoutez
pas les songes que vous vous donnez. C’est faussement qu’ils vous
prophétisent en mon nom ; je ne les ai pas envoyés, dit Yahweh. »

La tradition musulmane

Pour l'Arabe Ibn Khaldoun, il y avait deux types de songes pour rendre
compte des Écritures saintes : le « songe véridique » qui est une révélation
évidente de la présence divine et le « songe ordinaire » qui nécessite un effort
de remémoration et une interprétation. Pour le philosophe et exégète, les
songes de réelle et totale importance viennent de Dieu et ceux qui demandent
à être interprétés viennent des anges. Youssouf, fils de Jacob, est décrit
comme connaissant la manière d'interpréter les songes. Ce talent lui servira à
sortir de la prison dans laquelle il sera enfermé puis à interpréter le songe de
pharaon, ce qui lui permettra de devenir gérant des récoltes dans
l'administration égyptienne.

Les rêves du roi d’Égypte


(Le Coran, Sourate XII, 43-49, traduction d’André Chouraqui)
43. Le roi dit : « Voici, je vois sept vaches grasses :
elles dévoraient sept vaches maigres, et sept épis 46. « Yûsuf, ohé le juste, éclaire-nous sur les sept
verts avec d’autres épis desséchés. Ohé, le Conseil, vaches grasses qui sont dévorées par les sept vaches
expliquez-moi ma vision, si vous savez interpréter maigres, et sur les sept épis verts mêlés à d’autres
les visions. » épis desséchés. Peut-être reviendrais-je vers les
44. Ils disent : « Des tas de rêves ! Nous autres, humains, et peut-être sauront-ils ? »
nous ne sommes pas des savants, pour interpréter 47. Yûsuf dit : « Semez sept ans comme de
les rêves ! » coutume. Ce que vous moissonnerez, laissez-le en
45. Celui des deux qui avait été libéré après un épis,
certain temps se souvient et dit : « Je vous exposerai sauf le peu dont vous vous nourrirez. »
leur interprétation : envoyez l’affaire ! » 48. Ensuite, sept années dures vous seront données :
elles dévoreront ce qu’auparavant vous aurez
amassé, sauf le peu que vous garderez.
49. Ensuite, une année sera donnée où les humains,
secourus, iront aux pressoirs.
(Le Coran, Sourate 12, 43-49, traduction d’André
Chouraqui)

197
198 Du signe au symbole

Interprétations au Moyen Âge


Premiers textes

Provenant d'originaux byzantins, les traductions latines de l’Achmetis


Oneirocriticon (Xe siècle) et de la Clef des songes du Pseudo-Daniel (VIIe
siècle), tout en étant dans une continuité avec la conception chrétienne
antique, permettent au pouvoir royal de s'affirmer (BACH, 2007). Ils
établissent notamment une correspondance du macrocosme et du microcosme.

Grégoire le Grand

Pape en 590, Grégoire le Grand distingue trois grands types de rêves : ceux
dus à la nourriture et à la faim, ceux envoyés par les démons et ceux d'origine
divine. À sa suite, seuls les rêves d'origine divine seront tolérés.
L'oniromancie devient en effet une pratique interdite.

Alcher de Clairvaux

D'après Jacques Le Goff, le savoir sur le rêve commence à s'affirmer à


partir du XIIe siècle, s'affranchissant de ses origines divine et satanique. C'est
l'ouvrage Liber de spiritu et anima (L'Esprit et l'âme), rédigé par un moine
cistercien au XIIe siècle, Alcher de Clairvaux, qui permet cette transition.
Assez semblable aux conceptions de Macrobe, il existe, selon Alcher de
Clairvaux, cinq types de rêves : l'oraculum, rêve que Dieu envoie à ses
émissaires, la visio, rêve prophétique clair, le somnium, rêve nécessitant une
interprétation, l'insomnium, rêve commun et sans intérêt, le phantasma,
apparitions fantomatiques, pendant les premières phases du sommeil, dont fait
partie le cauchemar ou l' éphialtès.

Interprétations modernes

De la philosophie à la méthode expérimentale

Caspar Peucer (1525 — 1602), auteur du De somniis, l'abbé Richard


(XVIIIe s.) et sa Théorie des songes, Franz Splittgerber (Schlaf und Tod,
1866) ou encore Gerolamo Cardano (Jérôme Cardan) sont les continuateurs
des conceptions médiévales.

198
Sémiologie et herméneutique 199

La période moderne est caractérisée par une profusion d'études sur le


mécanisme onirique, ainsi que par un développement des théories, soit
biologiques, soit métaphysiques. Karl Albert Scherner (La Vie des rêves,
1861) distingue deux types de symboles : ceux sexuels évoquant soit le pénis
soit le vagin, et ceux somatiques renseignant sur l'état physiologique du corps.
Il est selon Freud le « véritable découvreur de la symbolique onirique ».
Hervey de St-Denys compile ses rêves depuis l'âge de 13 ans. Dans Les Rêves
et les moyens de les diriger (1867), il tente une approche du rêve lucide qui
préfigure les méthodes de conditionnement modernes. Selon lui, le rêve
s'apparente à un rébus, logique et signifiant, et que le dormeur doit décoder.
W. Robert (Der Traum als Naturnotwendigkeit erklärt. 1886) considère que le
rêve est un processus vital qui permet au cerveau de ne conserver que les
données et images importantes, les rêves sont donc des fragments des images
en processus d’élimination. Il montre que si l'on prive le dormeur de la
capacité de rêver, celui-ci peut en décéder. Robert parle même du « travail du
rêve », concept repris par la psychanalyse. Parmi les nombreux scientifiques
s'étant intéressés à la question du rêve, il y a encore le médecin russe Marie de
Manaceine (1841-1903) qui, en 1896, dans Le Sommeil : pathologie,
physiologie, hygiène, psychologie pense que le rêve permet de se connecter à
un imaginaire collectif. Pionnière de l'étude du sommeil, elle travailla et vécut
à Saint-Pétersbourg. Elle écrivit un grand nombre d’ouvrages, dont :

 Le Surmenage mental dans la civilisation moderne, effets, causes,


remèdes (1890)
 Quelques observations expérimentales sur l'influence de l'insomnie
absolue (1893)
 De l'Antagonisme qui existe entre chaque effort de l'attention et des
innervations motrices (1894)
 Suppléance d'un hémisphère cérébral par l'autre (1893)
 L'Anarchie passive et le Cte Léon Tolstoï (le Salut est en vous) (1895)
 Hallucinations prémonitoires (1896)
 Le Sommeil : pathologie, physiologie, hygiène, psychologie (1896)
 Le Sommeil, tiers de notre vie (1898)

Alfred Maury et Yves Delage

Dans Le Sommeil et les rêves (1861), Alfred Maury réalise une série
d’études expérimentales, exposant le dormeur à des stimuli externes pour
observer si ceux-ci influencent le contenu onirique. Il est le principal
représentant d’une théorie organique du rêve.
Dans son ouvrage Le Rêve (1920) le biologiste français Yves Delage
étudie les images oniriques provenant d’actions ou de perceptions de la
journée. Il expérimente le rêve lucide également. Selon lui, le rêve met en jeu

199
200 Du signe au symbole

deux phénomènes : la fusion de représentations dans une image et l’attribution


d’un acte à un autre sujet.

La psychologie expérimentale

Des savants se sont, avant la psychanalyse, et souvent dans des termes


proches, intéressés aux rêves comme productions sensées de l'esprit. Leur
approche est celle de la psychologie expérimentale, qui apparait à la fin du
XIXe siècle. Pour Françoise Parot (1995), les principaux sont le médecin
allemand Carl Gustav Carus et le naturaliste Gotthilf Heinrich von Schubert.
Les premières expériences de privation de sommeil ont cependant été
réalisées en 1894 par Marie de Manacéïne chez des poussins. Elle montre que
ceux-ci mouraient après quatre à six jours sans sommeil (VIMONT-VICARY,
JOUVET-MOUNIER & DELORME, 1966 : 439-449).

Interprétation en psychanalyse

Deux principales écoles de psychologie accordent une importance cruciale


à l'interprétation des rêves : la psychanalyse de Sigmund Freud et la
psychologie analytique de Carl Gustav Jung. Au XXe siècle, le psychanalyste
Sigmund Freud voit dans le rêve l’accomplissement d’un désir. Pour Carl
Gustav Jung, le rêve a pour rôle de rétablir l’équilibre du psychisme. Par la
suite, de nombreux psychanalystes ont étudié le rêve en se référant à Freud ou
à Jung :

 Géza Róheim (1891-1953)


 Medard Boss (1903-1990)
 Masud Khan (1924-1989)
 James Hillman (1926-2011)

Freud et la psychanalyse (1856-1939)

La publication en 1900 du livre Die Traumdeutung (L'Interprétation des


rêves) par Sigmund Freud marque un tournant dans la compréhension du rêve.
Selon Sigmund Freud, l'« interprétation des rêves est la voie royale qui mène
à l'inconscient ». Le rêve, loin d'être un phénomène absurde ou magique,
possède un sens : il est l'accomplissement d'un désir. Il a pour fonction de
satisfaire le rêveur. Pour Freud, les rêves sont des réalisations hallucinatoires
de désirs refoulés dans l’inconscient. Le contenu manifeste du rêve est le
produit d'un travail intrapsychique qui vise à transformer le contenu latent, par
exemple un désir oedipien en un contenu manifeste, en l'occurrence, le
souvenir puis le récit du rêve au psychanalyste. Du point de vue

200
Sémiologie et herméneutique 201

épistémologique, le geste de Freud consiste à réintroduire la production


onirique dans la psychologie. Il rompt avec l'idée romantique d'un rêve
contenant une clé ou un secret et seul le travail du rêve en explique la nature.

D'après Sigmund Freud, nous avons en nous des forces, des sentiments et
des désirs qui motivent nos actions et dont nous n'avons pas conscience. De
telles forces constituent l'inconscient, ce qui signifie que non seulement nous
n'en avons pas conscience, mais aussi qu'une censure nous empêche d'en
devenir conscients. À cause de la crainte et de la désapprobation de nos
parents et amis, nous réprimons nos pulsions. Si nous en avions conscience,
nous craindrions d'être punis et éprouverions un fort sentiment de culpabilité.
Selon Freud, ces forces parviennent malgré tout à s'exprimer dans le
symptôme de la névrose. La compréhension des mécanismes inconscients
permit à Freud d'expliquer les lapsus ou les oublis. Ceux-ci sont associés à la
peur, à la colère, ou à une autre émotion. C'est ainsi que notre désir d'écarter
l'un de ces aspects pénibles nous conduit à commettre ces lapsus ou à oublier
le nom auquel il est associé (FREUD, 1968a).

Les rêves et l'inconscient

Sigmund Freud comprend les rêves comme l'expression des puissances de


l'inconscient. Il affirme que, tout autant que le symptôme névrotique ou
l'erreur, le rêve exprime des forces inconscientes auxquelles nous refusons
l'entrée de la conscience. Ces idées, ces sentiments refoulés prennent vie et
trouvent l'expression durant le sommeil. Ainsi, pour Freud, les forces qui
motivent notre vie onirique sont nos désirs irrationnels issus de nos pulsions
tels que la haine, l'ambition, la jalousie ou le sexe. Freud déclare que nous
avons refoulé ces désirs irrationnels en raison des exigences familiales et
sociales. Pendant le sommeil, le contrôle de la conscience se relâche et ces
désirs se font entendre dans nos rêves. L'essence du rêve est donc, pour Freud,
la satisfaction hallucinatoire des désirs irrationnels refoulés durant l'état de
veille. Ces désirs irrationnels trouvent leur source dans la vie de notre enfance
(FREUD, 1985) (FREUD, 1973 : 149-161).

La libido et le complexe d’Œdipe

Selon Sigmund Freud, toutes les forces sexuelles, appelées perversions


lorsqu'elles apparaissent chez l'adulte, constituent une partie du
développement sexuel de l'enfant. Chez le nourrisson, l'énergie sexuelle (la
libido) se concentre autour de la bouche (stade oral) ; plus tard, elle sera liée à
la défécation (stade anal), puis se concentrera sur les organes génitaux (stade
phallique). Ainsi, pour Freud, le jeune enfant est sujet à de violents accès de

201
202 Du signe au symbole

sadisme et de masochisme. Il est un exhibitionniste, profondément jaloux, et


enclin au narcissisme. Des tendances destructrices grondent en lui. Sa vie
sexuelle est dominée par des désirs incestueux. Le petit garçon, s'identifiant
aux ordres et prohibitions du père, surmonte la haine qu'il éprouve face à ce
rival, et lui substitue le désir d'être aimé. Du « complexe d’Œdipe » résulte le
développement de la conscience (FREUD, 1962). Trois raisons ont poussé
Freud à dépeindre la perversité de l'enfant :

 Tout d'abord, l'ère victorienne avait forgé l'illusion d'une puérile


« innocence », ignorante du mal et des désirs sexuels.
 Ensuite, Freud avait remarqué que la société avait, entre autres, pour
fonction de réprimer les penchants immoraux et asociaux de l'homme.
Cette transformation s'opère par le biais de mécanismes tels que les
formations de réaction30 et la sublimation31. La capacité de l'homme à
répondre par des formations de réaction et des sublimations est limitée.
Les pulsions originelles peuvent reprendre vie et conduire au symptôme
névrotique. Pour Freud, plus le développement culturel est élevé, plus
est sévère la répression, et plus est forte la névrose. C'est le malaise
essentiel de la civilisation (FREUD, 1979b : 93-107).
 Enfin, Freud, en analysant ses rêves, remarqua que même chez l'adulte
« normal », des pulsions irrationnelles peuvent surgir. Freud déclara
que ces forces irrationnelles étaient l'expression de l'enfant vivant
encore dans l'adulte (FROMM, 1975 : 51-52).

La tendance qu'a Freud à considérer comme incompatibles avec sa


personnalité adulte, les penchants irrationnels montre clairement l'ambition
que nourrissait Freud. Mais, il refusait d'admettre cette ambition et il nous
donne ainsi une parfaite analyse du mécanisme de rationalisation. Freud,
parlant de lui-même, se sent contraint de tracer une frontière bien nette entre
l'enfant qui demeure en lui, et lui-même tel qu'il est. C'est cependant grâce à
lui que l'on doit de ne plus croire à cette ligne de démarcation (FROMM,
1975 : 58).

30
La répression d'un penchant mauvais, tel le sadisme, conduit à la formation de la pulsion
opposée, telle la bienveillance, dont la fonction est d'empêcher que le sadisme refoulé ne
s'exprime dans la pensée, l'action ou le sentiment.
31
Par sublimation, Freud désigne le phénomène par lequel la pulsion mauvaise est séparée de
ses buts originellement asociaux. Ils sont désormais utilisés à l'accomplissement de desseins
plus nobles. Ainsi, l'homme peut sublimer sa tendance sadique en l'art du chirurgien.

202
Sémiologie et herméneutique 203

Les deux topiques

La première topique de Freud (première théorie des pulsions) était fondée


sur la distinction entre les pulsions sexuelles (libido) et les pulsions du Moi.
Cette première conception topique de l'appareil psychique (FREUD, 1971,
chapitre VII) distingue trois systèmes, inconscient, préconscient et conscient,
qui ont chacun leur fonction, leur type de processus, leur énergie
d'investissement, et se spécifient par des contenus représentatifs. La
séparation entre Inconscient et Préconscient-Conscient ne saurait être disjointe
de la conception dynamique selon laquelle les systèmes se trouvent en conflit
l'un avec l'autre. Selon Freud, cette distinction topique pourrait trouver son
origine, soit dans l'émergence et une différenciation progressive des instances
à partir d'un système inconscient plongeant lui-même ses racines dans le
biologique, soit dans la constitution d'un inconscient par le processus du
refoulement (LAPLANCHE & PONTALIS, 1971 : 486-487).
La découverte du narcissisme, c'est-à-dire, de l'investissement de la
sexualité sur le Moi modifie cette première topique. La libido devient la
commune origine de deux déplacements : la libido du Moi et la libido d'objet.
Plus on aime les objets, moins on s'aime et vice versa.
À partir de 1920, Freud réorganise sa topographie du psychisme par une
seconde topique. S'appuyant sur des phénomènes de répétition, de mélancolie,
d'agression ou d'autodestruction, Freud oppose Éros ou les pulsions de vie
(libido du Moi et libido d'objet) à Thanatos ou les pulsions de mort. Par la
suite, il découvre trois points de vue :

1. Le point de vue dynamique est celui qui détecte et analyse les


phénomènes psychiques en terme de forces et de conflits ;
2. Le point de vue économique est celui qui étudie les phénomènes sous
l'aspect quantitatif de plus ou moins d'augmentation/diminution, de
déplacement d'énergie ;
3. Le point de vue topique est celui qui étudie les niveaux ou les rôles du
psychisme (FAGES, 1976 : 105-106).

Il distingue trois systèmes : le Ça, le Moi et le Surmoi (auquel nous


ajoutons l'idéal du moi et le moi idéal) :

1. « ÇA : Le ça constitue le pôle pulsionnel de la personnalité ; ses contenus, expression


psychique des pulsions, sont inconscients, pour une part, héréditaires et innés, pour
l'autre, refoulés et acquis. Du point de vue économique, le ça est pour Freud le
réservoir premier de l'énergie psychique ; du point de vue dynamique, il entre en conflit
avec le moi et le surmoi qui, du point de vue génétique, en sont les différenciations. »
(LAPLANCHE & PONTALIS, 1971, 56)

203
204 Du signe au symbole

2. « MOI : Du point de vue topique, le moi est dans une relation de dépendance tant à
l'endroit des revendications du ça que des impératifs du surmoi et des exigences de la
réalité. Bien qu'il se pose en médiateur, chargé des intérêts de la totalité de la
personne, son autonomie n'est que toute relative. Du point de vue dynamique, le moi
représente éminemment dans le conflit névrotique le pôle défensif de la personnalité ; il
met en jeu une série de mécanismes de défense, ceux-ci étant motivés par la perception
d'un affect déplaisant (signal d'angoisse). Du point de vue économique, le moi apparaît
comme un facteur de liaison des processus psychiques ; mais, dans les opérations
défensives, les tentatives de liaison de l'énergie pulsionnelle sont contaminées par les
caractères qui spécifient le processus primaire : elles prennent une allure compulsive,
répétitive, déréelle. » (LAPLANCHE & PONTALIS, 1971 : 241)
3. « SURMOI (ou SUR-MOI) : Une des instances de la personnalité telle que Freud l'a
décrite dans le cadre de sa seconde théorie de l'appareil psychique : son rôle est
assimilable à celui d'un juge ou d'un censeur à l'égard du moi. Freud voit dans la
conscience morale, l'auto-observation, la formation d'idéaux, des fonctions du surmoi.
Classiquement, le surmoi est défini comme l'héritier du complexe d’Œdipe ; il se
constitue par intériorisation des exigences et des interdits parentaux. » (LAPLANCHE
& PONTALIS, 1971 : 471)
4. « IDÉAL DU MOI : Terme employé par Freud dans le cadre de sa seconde théorie de
l'appareil psychique : instance de la personnalité résultant de la convergence du
narcissisme (idéalisation du moi) et des identifications aux parents, à leurs substituts et
aux idéaux collectifs. En tant qu'instance différenciée, l'idéal du moi constitue un
modèle auquel le sujet cherche à se conformer. » (LAPLANCHE & PONTALIS,
1971 : 184)
5. « MOI IDÉAL : Formation intrapsychique que certains auteurs, la différenciant de
l'idéal du moi, définissent comme un idéal de toute-puissance narcissique forgé sur le
modèle du narcissisme infantile. » (LAPLANCHE & PONTALIS, 1971 : 255)

Rêves et symboles

Pour Freud, les désirs irrationnels qui apparaissent dans le rêve sont,
comme les symptômes névrotiques, des compromis entre les forces refoulées
du Ça et la force refoulante du Surmoi-censeur. Par la suite, Freud affirme
que le mécanisme essentiel du langage du rêve est le processus de
déguisement, de déformation des désirs irrationnels. Ainsi, Freud croit que la
fonction principale du symbole est de déguiser et de déformer le désir sous-
jacent. Le langage symbolique, pour Freud, est un langage qui exprime
seulement des désirs instinctuels primitifs. La grande majorité des symboles
sont de nature sexuelle. Par exemple, les organes génitaux masculins sont
symbolisés par des arbres, des couteaux, des serpents, des crayons, des
locomotives, et nombre d'autres objets qui, soit par leur forme, soit par leur
fonction, peuvent les représenter. Les organes génitaux féminins sont
représentés par des cavités, des bouteilles, des jardins, des fleurs. Le plaisir

204
Sémiologie et herméneutique 205

sexuel peut être symbolisé par des activités telles que la danse ou l'équitation.
La castration sera, par contre, symbolisée par la chute des cheveux ou des
dents. Les premières rencontres enfantines, telles que le père et la mère, seront
symbolisées par le roi et la reine ou des géants et les enfants eux-mêmes par
des nains ou des petits animaux. La mort enfin trouvera son expression
favorite dans le voyage ou le passage.
Pour l'interprétation, Freud recourt à la libre association des idées. Il
décompose le rêve ou le récit en plusieurs parties, et fait abstraction de la
séquence semi-logique. Il associe à chaque partie du rêve les pensées qui nous
viennent à l'esprit. En groupant les pensées produites par libre association, il
établit un nouveau texte qui possède une logique interne et qui nous dévoile la
signification du rêve (FROMM, 1975 : 60).

Les divers rêves

Freud appelle rêve latent le rêve véritable, qui est l'expression de nos
désirs cachés. Il appelle rêve manifeste la version déformée du rêve telle que
nous nous en souvenons. Le travail du rêve est quant à lui le processus de
déformation et de déguisement. Les principaux mécanismes à travers lesquels
le travail du rêve traduit le rêve latent en rêve manifeste sont la condensation
(le rêve manifeste est plus court que le rêve latent, le rêve manifeste combine
des fragments de divers éléments et les condense en un élément nouveau), le
déplacement (un élément important du rêve latent devient un élément vague
du rêve manifeste, d'où résulte le fait que le rêve manifeste traite souvent les
éléments importants comme s'ils n'avaient pas de signification particulière,
travestissant le sens véritable du rêve), et l'élaboration secondaire (c'est la
partie du travail du rêve qui complète le processus de déguisement. Les
lacunes, les incohérences sont comblées et le rêve manifeste revêt la forme
d'une histoire cohérente et logique) (FREUD, 1973 : 59-67) (FREUD, 1974 :
263-299). Freud mentionne deux autres facteurs qui rendent difficile la
compréhension du rêve :

 Les éléments du rêve ont un sens opposé à leur être même (exemple : la
richesse peut symboliser la pauvreté) ;
 Dans le rêve manifeste, les divers éléments ne sont pas enchaînés par
des relations logiques, mais ce sont des successions d'images.

Le rêve provient de l'intensité de l'expérience infantile ravivée par un


événement récent. L'interprétation freudienne des mythes et des contes obéit
au même principe que l'interprétation des rêves. Le symbolisme des mythes
est considéré par Freud comme le signe d'un retour aux âges primitifs du

205
206 Du signe au symbole

développement humain, au temps où certaines activités étaient investies des


forces sexuelles de la libido (exemple : la création du feu ou le labourage).
Dans le mythe, la satisfaction de la libido primitive et refoulée trouve à
s'exprimer en des plaisirs de substitution qui permettent à l'homme de limiter
la satisfaction des désirs instinctuels au royaume de l'imagination. Dans le
mythe, comme dans le rêve, les impulsions primitives sont exprimées de
façon déguisée. Elles se rattachent essentiellement aux désirs incestueux, à la
curiosité sexuelle, et à la crainte de la castration (ABRAHAM, 1969 : 5-67)
(FREUD, 1965).

Les principaux stades et le complexe d’Œdipe

Ainsi, pour Freud, l'énigme du Sphinx trouve son origine dans la curiosité
sexuelle de l'enfant, une curiosité que les parents découragent et censurent.
Cette curiosité sexuelle enfantine, inhérente à l'homme, est déguisée en une
innocente poursuite intellectuelle qui se livre loin de la zone interdite du sexe.
À partir du thème de l’Œdipe, Freud élabore une théorie de la sexualité
infantile gravitant autour du complexe d’Œdipe32. En de domaine, les travaux
de Karl Abraham viennent compléter ceux de Freud. Divers stades sont
relevés :

1. Le stade oral correspond à la première année de la vie. Le plaisir de la


succion du sein et l'absorption alimentaire font que la bouche devient la
zone érogène prédominante. La frustration et le déplaisir de l'attente
sont palliés par la satisfaction auto-érotique consistant à sucer le pouce ;
2. Le stade sadique-anal s'étend sur la seconde et la troisième année.
L'anus devient la zone érogène prédominante. La rétention des matières
fécales procure l'excitation et l'évacuation procure la satisfaction. Les
matières fécales deviennent un objet d'opposition aux adultes ;
3. Le stade phallique s'étend de trois à cinq ans et correspond à la
découverte des organes génitaux. Excitation et apaisement se
produisent grâce à la masturbation. Le complexe d’Œdipe se produit à
ce stade de découverte de la différence des sexes. Le premier objet
d'amour est la mère. Le garçon y renonce par peur de la castration
projetée sur une intervention paternelle. Alors le garçon s'identifie au
Père dans une attitude et un désir virils vis-à-vis de la mère. La fillette
renonce à la mère par dépit. Elle s'identifie à ce que sa « castration »
suscite de désir chez le Père dont elle attend alors un enfant,
compensation de son manque et de son envie de pénis ;
4. Le stade de latence correspond à un assoupissement des pulsions
sexuelles ;

32
L'universalité de l’Œdipe sera remise en question par les anthropologues (MALINOWSKI,
1930).

206
Sémiologie et herméneutique 207

5. Le stade génital est celui de la puberté et des possibilités adultes de la


sexualité (FREUD, 1962).

Le psychanalyste freudien travaille en fonction des anomalies du parcours


lié à ce développement de la sexualité. Tel individu peut progresser
prématurément et tel autre régresser à un stade antérieur. L'analyste parle
alors de fixation pulsionnelle.

Bruno Bettelheim et la psychanalyse freudienne des rêves, des


mythes et des contes de fées

Les rêves, les mythes et les contes peuvent être considérés comme :

 Des productions exclusivement irrationnelles,


 des productions exclusivement rationnelles,
 des productions ambivalentes.

Les psychanalystes freudiens essaient de montrer quelle sorte de matériel


inconscient, refoulé ou autre, est sous-jacent aux mythes et aux contes, et
comment ils se rattachent aux rêves. Pour Bruno Bettelheim les contes de fées
puisés dans le folklore offrent parmi toutes les littératures enfantines la lecture
la plus enrichissante et la plus satisfaisante pour le développement psychique
de l'enfant (BETTELHEIM, 1976 : 17-18)

« Ces histoires, qui abordent des problèmes humains universels, et en particulier ceux des
enfants, s'adressent à leur moi en herbe et favorisent son développement, tout en
soulageant les pressions préconscientes et inconscientes. Tandis que l'intrigue du conte
évolue, les pressions du ça se précisent et prennent corps, et l'enfant voit comment il peut
les soulager tout en se conformant aux exigences du moi et du Surmoi. » (BETTELHEIM,
1976 : 19)

Plus profondément que tout autre matériel de lecture, les contes débutent là
où se trouve en réalité l'enfant dans son être psychologique et affectif. Ils lui
parlent de ses graves pressions intérieures d'une façon qu'il enregistre
inconsciemment et ils lui font comprendre qu'il existe des solutions aux
difficultés psychologiques. L'enfant a besoin de comprendre ce qui se passe
dans son être conscient et de faire face également à ce qui se passe dans son
inconscient. Il peut acquérir cette compréhension en se familiarisant avec
l'inconscient et en brodant des rêves éveillés issus de certains éléments du
conte qui correspondent aux pressions de son inconscient. En agissant ainsi,
l'enfant transforme ses fantasmes et le contenu de son inconscient, ce qui lui
permet de mieux lui faire face. Le conte de fées met carrément l'enfant en
présence de toutes les difficultés fondamentales de l'homme. L'enfant a besoin
de recevoir, sous une forme symbolique, des suggestions sur la manière de

207
208 Du signe au symbole

traiter les problèmes existentiels et de s'acheminer vers la maturité. Ainsi, les


contes de fées dirigent l'enfant vers la découverte de son identité et de sa
vocation et lui montrent aussi par quelles expériences il doit passer pour
développer son caractère (BETTELHEIM, 1976 : 20-42)
Pour Bruno Bettelheim, les mythes et les contes incarnent l'expérience
cumulative d'une société où les hommes voulaient se souvenir de la sagesse
du passé et la transmettre aux générations futures.

« Les mythes et les contes de fées ont beaucoup en commun. Mais dans les mythes,
beaucoup plus que dans les contes de fées, le héros culturel est présenté à l'auditeur comme
un personnage qu'il doit s'efforcer d'imiter toute sa vie, aussi parfaitement que possible. Le
mythe, comme le conte de fées, peut exprimer un conflit extérieur sous une forme
symbolique et lui proposer une solution, mais là n'est pas nécessairement le souci principal
du mythe. Ce dernier présente son thème d'une façon emphatique ; il est riche d'une force
spirituelle ; le divin y est présent et se trouve incarné dans des héros surhumains qui
accablent constamment les mortels de leurs exigences. Nous aurons beau, nous autres
mortels, lutter pour ressembler à ces héros, il est évident que nous leur resterons toujours
inférieurs.
Les personnages et les événements des contes de fées personnifient et illustrent eux aussi
des conflits intérieurs ; mais ils suggèrent toujours avec beaucoup de subtilité comment il
convient de résoudre ces conflits et quelles sont les démarchent qui peuvent nous conduire
vers une humanité supérieure. Le conte de fées est présenté sous une forme simple,
familière : l'auditeur n'est soumis à aucune exigence. Cela évite au tout jeune enfant de se
sentir obligé d'agir d'une façon particulière, et il n'est jamais amené à éprouver un
sentiment d'infériorité. Bien loin de manifester des exigences, le conte de fées rassure,
donne de l'espoir pour l'avenir et contient la promesse d'une conclusion heureuse. »
(BETTELHEIM, 1976 : 45-46)

Les images évoquées par les contes de fées s'adressent directement à


l'inconscient de l'enfant. Mircea Eliade suggère que les mythes et les contes
dérivent des rites d'initiation et des rites de passage. Bruno Bettelheim estime
qu'il existe de grandes différences entre les contes de fées et les rêves. Dans
les rêves, l'accomplissement des désirs est le plus souvent déguisé alors qu'il
est ouvertement exprimé dans les contes de fées. Les rêves sont, d'après lui, le
résultat de pressions intérieures qui n'ont pas trouvé à se soulager. Le conte de
fées projette le soulagement de toutes les pressions et promet qu'une solution
« heureuse » sera trouvée. Le contrôle des rêves ne s'exerce qu'à un niveau
inconscient. Le conte de fées est essentiellement le résultat du conscient et
d'un contenu inconscient mis en forme par l'esprit conscient. Les contes
répondent aux exigences conscientes et inconscientes du plus grand nombre à
l'égard de ce qu'il considère comme problèmes humains universels et ce qu'il
accepte comme solutions désirables. Aucun rêve ne peut éveiller un intérêt
durable s'il n'est pas transformé en mythe. Les mythes et les contes s'adressent
à nous dans un langage symbolique qui traduit un matériel inconscient. Ils
font appel simultanément à notre esprit conscient et inconscient sous ses trois
aspects : le ça, le moi et le surmoi. Dans les contes, les phénomènes

208
Sémiologie et herméneutique 209

psychologiques internes sont matérialisés sous une forme symbolique


(BETTELHEIM, 1976 : 60-61).

Sándor Ferenczi et Mélanie Klein

Sándor Ferenczi (1873-1933)

Sándor Ferenczi fut longtemps un compagnon de route de Sigmund Freud.


En cours de route, il aura enrichi la théorie psychanalytique par des notions
comme l'introjection, et par une méthode d'analyse : la transformation des
objets symboliques, dont l'exemple des matières fécales jusqu'à la richesse du
capitalisme demeure la plus éblouissante illustration.
Sándor Ferenczi remarque que le paranoïaque projette à l'extérieur les
émotions devenues pénibles, tandis que le névrosé cherche à inclure dans sa
sphère d'intérêt une part importante du monde extérieur pour en faire l'objet
de fantasmes conscients ou inconscients. Ce processus inverse de la
projection, il le baptise introjection. C'est, par exemple, l'attitude animiste du
petit enfant qui, pour vaincre le monde extérieur, attribue à celui-ci une vie
animée à l'instar de celle du sujet.
L'introjection est un phénomène de croissance et de défense du Moi qui
procède par domestication et assimilation de la réalité extérieure. Elle apparaît
comme une :

« [...] extension de l'intérêt auto-érotique initial au monde extérieur par inclusion de ses
objets dans le Moi [...] Au fond l'homme ne peut aimer que lui-même ; aime-t-il un objet, il
l'absorbe [...] Être dévoré, après tout, est une forme d'existence. » (FERENCZI cité par
BARANDE, 1972 : 54-55)

Ferenczi trace les différents stades du développement du sens de la réalité :

1. Durant sa vie prénatale, le fœtus dépend entièrement de la mère pour sa


nutrition, sa respiration et sa chaleur. Il éprouve inconsciemment la vie
plénière de celui qui a tout et n'a rien à désirer ;
2. La naissance est source de déplaisir. Elle trouble la quiétude de l'enfant
qui désire réintégrer l'utérus. Les parents essaient de reconstituer la
chaude ambiance du sein maternel en l'emmaillotant ;
3. La toute-puissance du sujet va connaître une suite de transformations
par introjection :
3.1. La phase hallucinatoire magique par laquelle le bébé se
représente la satisfaction de ses désirs ;

209
210 Du signe au symbole

3.2. La période de la toute-puissance de la pensée à l'aide de gestes


magiques. L'enfant fait des signaux de détresse. Ses gestes
n'obtiennent pas directement satisfaction. Il ressent une certaine
résistance et distingue son Moi de ce monde résistant ;
3.3. La projection vient doubler l'introjection. Celle-ci amène l'enfant
à se représenter le monde extérieur sur le mode animiste.
4. L'animisme est le point de départ des relations symboliques qui
joueront tout au long de la vie. Il figure symboliquement un objet pour
que la chose (considérée comme animée) vienne effectivement à lui ;
5. Le symbolisme verbal succède au symbolisme gestuel. Le langage parlé
est d'abord assimilé (introjecté) comme instrument d'imitation. Cet
instrument apparaît plus efficace pour répondre au désir ;
6. Le langage parlé permet l'apparition de la pensée consciente, et par-là
même une confrontation plus adéquate à la réalité. Les névroses
obsessionnelles et les attitudes superstitieuses représentent une
régression vers le comportement magique et le sentiment de toute-
puissance ;
7. L'usage des mots obscènes par l'enfant (vers l'âge de quatre ou cinq
ans) relève de la pensée magique ;
8. Début de la phase de latence (BARANDE, 1972 : 70).

Pour Sándor Ferenczi, la période animiste fournit la base des symboles.


Ainsi, l'enfant désigne tout objet oblong par le nom de l'organe sexuel et voit
dans tout objet creux un anus ou une bouche. Symbolisation et sexualisation
vont de pair. Avec l'éducation culturelle, le refoulement va porter sur la face
sexuelle du symbole et faire en sorte que l'autre face devienne prédominante.
Pour Ferenczi, l'analyse a pour tâche de retrouver le symbolisme initial.
Ainsi, Ferenczi part d'une analogie entre l'argent et la richesse des matières
fécales détenues par l'enfant lors du stade anal. L'enfant éprouve un plaisir
sans inhibition pour la défécation : les fèces deviennent des jouets. Ce sont
des objets précieux, négociables avec l'adulte, qui sentent cependant mauvais.
Cette distorsion due à l'odeur est surmontée par déplacement sur la boue
humide et le plaisir de patauger ou de pétrir. Le caractère visqueux de la boue
crée une seconde distorsion. L'enfant utilise alors le sable et les beaux
cailloux. De nouvelles transformations se succèdent durant lesquelles l'enfant
passe des cailloux aux produits manufacturés, puis aux pièces brillantes et
aux bijoux, pour aboutir finalement aux divers signes de la richesse (la
monnaie). Ces diverses étapes se succèdent grâce à des distorsions et des
déplacements. Toutefois, les éléments antérieurs refoulés peuvent faire retour.
(FERENCZI, 1970 : 141-148)

210
Sémiologie et herméneutique 211

Mélanie Klein (1882-1960) et l'École de Londres

Mélanie Klein est née à Vienne le 30 mars 1882. Après une analyse
personnelle avec Sándor Ferenczi, elle commence, en 1916, sa carrière de
psychanalyste d'enfants. Elle reçoit d'emblée le soutien de S. Ferenczi,
K. Abraham et E. Jones. Elle crée au sein du mouvement psychanalytique
international l'École anglaise. L'apport de Mélanie Klein est d'avoir permis
l'élaboration d'une théorie intégrée par son travail analytique sur de très jeunes
enfants et sur des psychotiques. Cette théorie a le mérite de ne laisser aucun
phénomène isolé, sans relation intelligible avec le reste, et de rendre compte
des aspects de la vie psychique, de l'adulte comme du nourrisson. Mélanie
Klein accorde un rôle majeur aux pulsions de vie et de mort en tant qu'elles
sont dirigées sur l'objet extérieur, mais également en tant qu'elles opèrent dans
l'organisme et induisent l'angoisse d'être annihilé. Mélanie Klein affirme que
la crainte de la mort est à la racine de tout sentiment de persécution et de toute
angoisse. Elle accorde beaucoup d'importance à l'observation des nourrissons.
C'est ainsi qu'en 1948, Esther Bick, membre du mouvement kleinien, fait
entrer cette observation du nourrisson dans le cursus de formation des
psychothérapeutes d'enfants à la Tavstock Clinic de Londres. Ces observations
sont soumises à deux règles : la tabula rasa (apprendre à recueillir des faits
libres de toute interprétation) et la non-intervention de l'observateur dans la
situation observée. L'observateur est là pour apprendre et nous pour donner
des conseils. Il est psychiquement disponible pour recevoir les projections et
les inquiétudes des parents. Il peut servir de soutien aux parents par sa seule
présence, mais sans jamais donner des conseils. Au fil des années, Mélanie
Klein publie plusieurs ouvrages :

1. La psychanalyse des enfants est éditée pour la première fois en


allemand et en anglais en 1932. Les techniques d'analyse par le jeu
tiennent une large place dans la démarche kleinienne. Le jeu est
l'équivalent du matériel associatif fourni par l'adulte. C'est à Hermine
von Hug-Hellmuth qu'elle doit cette idée géniale de recourir à la
médiation des jouets. Par le jeu, l'enfant traduit sur un mode
symbolique ses fantasmes, ses désirs et ses expériences. Il utilise le
même mode d'expression qui nous est familier dans le rêve. En faisant
jouer et dessiner les plus petits, Mélanie Klein peut dévoiler quelle
pensée latente sous-tend tel ou tel enchaînement du jeu. En cours de
jeu, un même jouet peut revêtir bien des sens différents et être
interprété par rapport à l'ensemble de la situation analytique. Ainsi,
Mélanie Klein utilise le jeu pour mettre à jour un monde nouveau de
fantasmes jusque-là inaperçus et apporter des réponses aux questions
liées aux éléments psychotiques et au développement du nourrisson.
Mélanie Klein observe lors d'analyses de tout petits enfants que ceux-ci
se sentent assiégés et poursuivis par des figures fantastiques lorsqu'ils

211
212 Du signe au symbole

sont seuls, surtout durant la nuit. Ils se sentent entourer de toutes sortes
de persécuteurs, comme des sorcières, des démons ou des animaux
étranges. L'angoisse qu'ils en éprouvent est de type paranoïde. La
croyance des enfants à des personnages secourables, tels les fées ou le
père Noël, les aide à masquer et à vaincre leurs peurs des mauvaises
imagos.
2. Sous le titre Essais de Psychanalyse, les éditeurs ont réuni dix-huit
articles de Mélanie Klein dont « Colloque sur l'analyse des jeunes
enfants » (1927) qui précise le différend avec Anna Freud et
« Contribution à l'étude de la psychogenèse des états maniaco-
dépressifs » (1934) qui approfondit l'appareil conceptuel freudien, à la
lumière de la psychanalyse des enfants. Si Freud centra ses recherches
sur l’Œdipe et le conflit avec le père, Mélanie Klein les complète par
l'étude des conflits précoces liés à la relation maternelle.
3. Dans Développement de la psychanalyse, les concepts de position
schizoparanoïde et de position dépressive se trouvent précisés.
4. Envie et Gratitude réunit des textes appartenant à la dernière période de
l’œuvre kleinienne dont « À propos de l'identification » qui analyse le
roman de Julien Green Si j'étais vous.
5. Enfin, L'Amour et la Haine, écrit avec Joan Rivière, rassemble les
éléments essentiels de l’œuvre kleinienne.

L’œuvre de Mélanie Klein et de ses collaborateurs a sécrété un certain


nombre de concepts nouveaux dont nous allons maintenant préciser la portée.
Les Bons et Mauvais objets désignent la qualité fantasmatique des
premiers objets partiels ou totaux, externes ou internes, auxquels l'enfant se
trouve confronté. Le bon objet convient à la pulsion libidinale et le mauvais
objet va à son encontre. Les qualités de bon ou mauvais sont attribuées aux
objets en fonction de la projection sur eux des pulsions érotiques ou
destructrices du sujet. Bons et mauvais objets sont soumis aux processus
d'introjection et de projection. Selon Mélanie Klein, l'objet partiel (le sein, le
pénis) est clivé en un bon ou un mauvais objet. Ce clivage préfigure celui de
la mère (objet total) en une bonne et une mauvaise mère. Ce clivage est le
premier mode de défense contre l'angoisse. C'est la dualité des pulsions de vie
et de mort qui est à la base des bons et des mauvais objets. C'est au début de la
vie, selon Mélanie Klein, que le sadisme est à son zénith. La destructivité
semble alors l'emporter sur la libido (LAPLANCHE & PONTALIS, 1971 :
51) (JACCARD, 1974 : 177-178).
La fonction psychique de la peau dans le développement mental. La thèse
est que dans leur forme la plus primitive les parties de la personnalité sont
ressenties comme n'ayant entre elles aucune force liante et doivent par
conséquent être maintenues ensemble grâce à la peau fonctionnant comme
frontière. Cette fonction interne de contenir les parties du Soi dépend
initialement de l'introjection d'un objet externe éprouvé comme capable de
remplir cette fonction. Esther Bick montre la nécessité de l'expérience d'un

212
Sémiologie et herméneutique 213

objet contenant avec lequel le bébé puisse s'identifier, afin de se sentir


suffisamment contenu à l'intérieur de sa propre peau. Cela permet au
nourrisson de supporter la séparation avec la mère et de protéger le Soi de
l'effet désintégrateur qu'elle pourrait produire. Esther Bick définit cette
identification à un objet contenant comme condition préalable au mécanisme
de clivage-et-idéalisation du Soi et de l'objet. Si cette introjection d'un objet
dans un espace intérieur est perturbée, le fonctionnement en identification
projective continue sans relâche et toutes les confusions d'identité qui en
découlent se manifestent (CICCONE & LHOPITAL, 1994 : 10-11).
Partant de l’apport d’Esther Bick sur la constitution d’une peau psychique
chez le tout petit, au cours de la première année, Albert Ciccone et Marc
Lhopital ont dégagé six énoncés qui président à la constitution psychique du
nourrisson :

1. l’introjection d’un objet externe (le sein) assure le lien entre les
parties du soi : les parties de la personnalité ressenties, dans leur
forme la plus primitive, comme n’ayant entre elles aucune force liante,
sont maintenues ensemble grâce à l’introjection d’un objet externe
éprouvé comme capable de remplir cette mission ;
2. constitution corrélative d’un espace psychique : l’introjection de
l’objet optimal — la mère (le sein) — identifié à cette fonction d’objet
contenant, donne lieu au fantasme d’espaces intérieur et extérieur ;
3. assimilation de l’objet contenant à une peau : l’objet contenant
introjecté est expérimenté comme une peau. Il a une fonction de « peau
psychique » ;
4. grâce à cette peau psychique, acquisition de la distinction
dedans/dehors et des processus de clivage : l’introjection d’un objet
externe contenant, donnant à la peau sa fonction de frontière, est
préalable à la mise en œuvre des processus de clivage et idéalisation du
self et de l’objet ;
5. en cas d’échec, continuation de l’identification projective
pathologique et confusions d’identité consécutives : en l’absence
d’introjection des fonctions contenantes, l’identification projective
continue sans relâche, avec toutes les confusions d’identité qui en
découlent ;
6. formation d’une « seconde peau » réactionnelle à l’inadéquation
réelle ou fantasmatique de l’objet contenant : les perturbations de
l’introjection résultant soit de l’inadéquation de l’objet réel, soit
d’attaques fantasmatiques contre lui, conduisent au développement
d’une formation « seconde peau ».

Cléopâtre Athanassiou étudie l'évolution psychique et le développement


des premières modalités identificatoires inhérentes à cette évolution. Suite à
ces travaux, Albert Ciccone et Marc Lhopital subdivisent l'espace psychique
du nourrisson en quatre dimensions :

213
214 Du signe au symbole

objet 1 2 3 4

Stimuli externes
........
self  self

unidimensionnalité bidimensionnalité tridimensionnalité quadrimensionnalité


identification adhésive identification projective identification
introjective
agrippements sensation de surface apparition des espaces espaces internes de
punctiques internes avec confusion l'objet et du self séparés
des espaces
temps et espaces temps circulaire temps historique
confondus
registre autistique registre symbiotique
autosensualité autoérotisme
relation d'objet narcissique relation objectale
(CICCONE & LHOPITAL, 1994, 78)
[position [position [position
autistique]* paranoïde- dépressive]
schizoïde]

Les quatre dimensions sont les suivantes :

 L'unidimensionnalité : caractérise un monde peuplé d'objets dont la


seule qualité serait d'être attirants ou repoussants, un monde où le temps
ne pourrait être distinct de la distance et où le self ne se dirigerait que
par pur hasard, un monde d'où l'émotionnalité serait quasi absente ; le
monde unidimensionnel est celui de l'autisme proprement dit, lequel
consiste en une absence d'activité mentale, en une réduction de
l'expérience à une série d'événements non disponibles pour la mémoire
et la pensée (CICCONE & LHOPITAL, 1994 : 75).
 La bidimensionnalité : état psychique qui correspond à un état
antérieur à la distinction entre espaces interne et externe ; les objets
sont indifférenciés des qualités sensuelles de leur surface ; la relation
est une relation de collage. Aucun mécanisme de projection ne peut
opérer faute d'espace interne indifférencié. La relation au temps est
essentiellement circulaire, sans aucune possibilité d'envisager un
quelconque changement durable, ni un développement, ni un arrêt ;
toute menace contre cette immuabilité est éprouvée comme un
effondrement des surfaces, avec émergence des angoisses primitives
catastrophiques (liquéfaction, chute sans fin, explosion, etc.)
(CICCONE & LHOPITAL, 1994 : 75).
*
NDLA : les termes entre crochets représentent les positions prépondérantes pour chacune des
catégories. Ces termes ont été ajoutés.

214
Sémiologie et herméneutique 215

 La tridimensionnalité : signe l'apparition de l'espace interne du self et


de l'objet, des processus projectifs et introjectifs, de l'organisation
différenciée des mondes externe et interne avec la naissance de la
pensée ; l'espace tridimensionnel voit se mettre en place des orifices
naturels et une fonction sphincter. Le temps n'est plus indiscernable de
la distance, ni circulaire. Il est appréhendé comme un mouvement d'un
intérieur vers un extérieur prenant une tendance directionnelle propre.
 La quadrimensionnalité : la quatrième dimension de l'espace mental
correspond au temps psychique lié à l'introjection des bons parents. La
quadrimensionnalité caractérise la lutte contre le narcissisme et la
réduction de l'omnipotence prêtée aux bons objets comme aux objets
persécuteurs intrusifs. Elle témoigne de l'identification introjective dont
la prévalence permettra la mise en place d'un mode de relation objectal
aux dépens d'un type de relation exclusivement narcissique.

À ces quatre stades sont liés des positions33 dominantes et les mécanismes
identificatoires suivants :

1. L'identification adhésive : se situe dans l'espace bidimensionnel.


L'identification adhésive et le démantèlement représentent des
mécanismes défensifs primitifs présidant une organisation mentale
qualifiée par D. Marcelli (1983) de position autistique. L'identification
adhésive désigne à la fois le mécanisme identificatoire primitif qui d'un
point de vue ontogénétique œuvre avant toute constitution d'un objet
interne, et un mécanisme défensif pathologique auquel peut avoir
recours la psyché à tout moment de son évolution et dont la
conséquence essentielle consiste en l'aplatissement bidimensionnel du
monde interne-externe. La défense par adhésivité consiste à s'agripper
pour éviter la menace inhérente à chaque expérience de séparation,
d'individuation. L'identification adhésive supprime tout écart, toute
distance entre le sujet et l'objet (CICCONE & LHOPITAL, 1994 : 94-
95).
33
position : peut se comprendre comme une constellation psychique cohérente regroupant les
angoisses, les mécanismes de défense qui s'y rapportent et la relation d'objet qui en résulte.
M. Klein choisit le terme de position pour désigner les phases de développement parce que
« ces groupements d'angoisses et de défenses, bien qu'ils commencent dans les tout premiers
stades, ne sont pas limités à eux, mais apparaissent et reparaissent pendant les premières
années de l'enfance, et en certaines circonstances, dans la vie ultérieure » (KLEIN et alii,
1991 : 187-222). Les positions sont des manifestations d'attitudes fondamentales envers les
objets et se réfèrent tant à des phases de développement qu'aux points de fixation des
maladies mentales. Pour Albert Ciccone et Marc Lhopital, la psyché ne reste pas figée dans
un état exclusif, mais oscille, attirée par des tendances plus ou moins opposées ou
antagonistes. À l'intérieur de chaque phase de développement, de chaque stade, la psyché
occupe et expérimente plusieurs positions, certaines plus narcissiques et d'autres plus
objectales. Parmi ces différentes positions, l'une sera prédominante à l'intérieur de chaque
phase de développement (CICCONE & LHOPITAL, 1994 : 90).

215
216 Du signe au symbole

2. Le démantèlement du self : correspond à une suspension de l'attention


qui conduit les sens à errer chacun vers leur objet le plus attractif de
l'instant. Chaque sens, interne ou externe, s'attachant à l'objet le plus
stimulant, l'attention se porte sur des objets variés. Le démantèlement
éparpille les objets en une multitude de petits morceaux, chacun porteur
d'une qualité sensorielle particulière. Il réduit les objets à une
multiplicité d'événements unisensoriels, dans lesquels il est impossible
de former des pensées (CICCONE & LHOPITAL, 1994 : 95).
3. L'identification projective : repose sur le sadisme oral. Cette
identification consiste à vider le corps maternel de ce qui est bon et
désirable. Mélanie Klein décrit cette identification comme une
introjection sadique et vorace du sein. Cette identification projective
est nécessaire à l'identification introjective. Le passage du statut
d'imago ou d'objet incorporé au statut d'objet interne représente
l'essentiel du processus de soin, et plus particulièrement du processus
analytique. Il existe trois formes d'identification projective : « la
première est celle qui consiste à communiquer avec l'autre en lui
faisant vivre, ressentir des émotions et des sentiments incontenables,
incompréhensibles, irreprésentables pour soi — éléments bêta (W.R.
Bion) —, et être ainsi dépendant de l'appareil psychique, de l'appareil
à penser de l'autre ; la seconde est celle qui consiste à se débarrasser
d'une partie de soi, de sentiments mauvais, persécuteurs, mais aussi de
sentiments bons, secourables, en les évacuant dans l'autre et en les lui
attribuant ; la troisième forme d'identification projective est celle qui
consiste à pénétrer en fantasme dans l'autre (sadisme anal et urétral) et
nourrir l'illusion d'être l'autre, d'avoir vidé l'autre de sa substance, de
l'avoir incorporé (sadisme oral), ce qui se traduit par une perturbation
du sentiment d'identité. » (CICCONE & LHOPITAL, 1994 : 23)
4. L'incorporation : l'incorporation est un fantasme. Il crée ou renforce
un lien imaginal. L'incorporation a lieu quand l'introjection est
manquée. Elle repose sur un processus d'identification projective. C'est
un leurre qui se propose comme équivalent d'une introjection
immédiate, mais qui n'est qu'hallucinatoire et illusoire. L'incorporation
est une imago. Une perte objectale conduit à l'incorporation dans le
moi de l'objet auquel le moi s'identifie partiellement, ce qui permet une
temporisation pour le réaménagement libidinal. Cette incorporation fait
partie de la réaction maniaque normale du deuil. Cette incorporation est
également nécessaire à l'introjection.
5. L'identification introjective : repose sur le sadisme urétral et anal. Cette
identification consiste à projeter dans le corps maternel des substances
et des parties mauvaises.
6. L'introjection : l'introjection est un processus. « [...] l’introjection
consiste, suite à une expérience de rencontre et de lien avec un objet
externe, à établir cet objet à l’intérieur du psychisme. Plus que l’objet,
c’est le lien à l’objet qui est introjecté. » (CICCONE & LHOPITAL,
1994 : 17).

216
Sémiologie et herméneutique 217

Les positions schizoparanoïde (ou symbiotique) et dépressive président à


la naissance psychique. L'organisation psychique oscille très tôt d'une position
à l'autre et d'un pôle narcissique à un pôle objectal. La psyché oscille entre ces
différentes positions, dont une est prédominante à chaque étape de son
développement. Ces positions, qu'occupe la psyché lors de chaque phase de
développement, permettent de rendre compte des mouvements psychiques,
des allers et venues investissement/désinvestissement, ouverture/fermeture
dont témoignent à la fois le nouveau-né, l'enfant autiste ou l'enfant
psychotique (CICCONE & LHOPITAL, 1994 : 2-3). La position
schizoparanoïde s'étend sur les trois ou quatre premiers mois de la vie. Elle se
caractérise par le fait que le nourrisson n'a pas encore une vision globale des
personnes. Ses relations d'objet se limitent à des objets partiels. Les processus
de clivage (bon et mauvais sein, par exemple) et d'angoisse paranoïde (peur
des persécutions internes et externes) prédominent à ce stade de
développement. La position dépressive se poursuit jusqu'à la fin de la
première année. Elle est marquée par la reconnaissance de la mère comme
objet total et par la prédominance de l'intégration, de l'ambivalence, de
l'angoisse dépressive et de la culpabilité. Les mécanismes de défense cèdent
progressivement la place à la réparation, à la sublimation, à la créativité. La
reconnaissance de la mère comme objet total signifie que le bon et le mauvais
proviennent de la mère, reconnue comme personne unique. Avec le recul du
clivage apparaît l'ambivalence, rencontre de haine et d'amour sur un même
objet. D'après Mélanie Klein, c'est au cours de la position dépressive que la
fonction symbolique se manifeste. Afin de ménager l'objet, le nourrisson
inhibe partiellement ses pulsions et les déplace sur des substituts de cet objet.
Ainsi, commence la formation des symboles. Les processus de sublimation et
de formation des symboles sont l'aboutissement de conflits et d'angoisses
appartenant à la position dépressive. Ajoutons enfin qu'il ne faut pas
confondre la position dépressive avec la dépression. La dépression est un état
mélancolique, une manifestation psychique anormale considérée comme
résultant de circonstances environnantes spécifiques (JACCARD, 1974 : 146-
147 + 179-180). Albert Ciccone et Marc Lhopital proposent d'ajouter la
notion de position mélancolique qui, à côté des positions schizoparanoïde et
dépressive, offre un repli défensif possible à la psyché confrontée à la douleur
dépressive34 (CICCONE & LHOPITAL, 1994 : 3)
Le Soi ou Self représente pour Mélanie Klein la foncière unité du sujet. Le
Soi recouvre la personnalité tout entière (le ça autant que le moi). Il est là
antérieurement à tout clivage. Ce dernier introduit dans le Soi une faille qui
fait que la représentation vécue du monde entre dans le champ du conflit
34
Les auteurs kleiniens et postkleiniens accordent une place primordiale, dans le
développement humain, à la douleur dépressive et à la souffrance psychique. S. Freud
considérait plutôt la souffrance psychique comme l'équivalent d'une absence de plaisir.

217
218 Du signe au symbole

interne. Seule la réduction de ce clivage permet au sujet de se retrouver tel


qu'il était à l'origine (JACCARD, 1974 : 180)
Le stade sadique oral succède au stade oral de succion. Le petit enfant
traverse alors une phase cannibalique à laquelle vont se rattacher toutes sortes
de fantasmes en relation avec le sein de la mère ou avec la mère elle-même.
Ce stade sadique oral correspond à la première poussée des dents. L'activité
de morsure et de dévoration fait craindre et désirer tout à la fois la destruction
de l'objet. Corrélativement, le fantasme d'être mangé ou détruit par la mère
joue un rôle de premier plan. Les tendances sadiques anales et sadiques
urétrales sont le prolongement direct des tendances sadiques orales. Dans ses
fantasmes sadiques-oraux, l'enfant cherche à détruire le sein maternel en
utilisant ses dents et sa mâchoire. Dans ses fantasmes urétraux et anaux, il
vise à abîmer l'intérieur du corps de sa mère en utilisant son urine et ses fèces.
Simultanément, il fantasme qu'il attaque son père et le monde entier. Cette
croyance fait naître des sentiments de culpabilité qui entraînent de fortes
tendances à réparer les dommages imaginaires que l'enfant fit subir à ses
objets (JACCARD, 1974 : 180-181).
Le surmoi est défini par S. Freud comme l'héritier du complexe d’Œdipe.
Il assume à l'égard du moi un rôle de censeur, d'idéal et d'observateur. Pour
Mélanie Klein, le surmoi se constitue dès les stades préœdipiens. C'est au
cours du cinquième ou sixième mois que le nourrisson s'effraye des
conséquences de ses pulsions destructrices. Le surmoi formé par l'introjection
des bons et des mauvais objets engendre le sadisme infantile lié à la pulsion
de mort. Ainsi, le surmoi précoce est plus cruel que celui d'un enfant plus âgé.
Il écrase littéralement son faible moi. L'excessive sévérité du surmoi serait,
pour Mélanie Klein, à l'origine des conduites asociales et criminelles
(JACCARD, 1974 : 182-183).

218
Sémiologie et herméneutique 219

Alfred Adler et Paul Diel

Alfred Adler, le premier dissident (1870-1937)

Alfred Adler fut l'un des premiers collaborateurs de Freud et aussi le


premier démissionnaire de la Société psychanalytique de Vienne. Il était en
désaccord avec certaines données théoriques de la psychanalyse freudienne. Il
critique la théorie freudienne de l'étiologie sexuelle des névroses (le rôle
déterminant de la libido sexuelle), et propose un autre point de vue sur la
protestation masculine (désir pour la femme de surmonter son handicap vis-à-
vis de l'homme). Il n'accepte ni le complexe d’Œdipe, ni la neutralité de
l'analyste. Après sa rupture avec Freud en 1911, il organise des centres de
consultations psychopédagogiques dans trente écoles de Vienne. Il peut ainsi
approfondir la psychologie des enfants. En 1914, il fonde la Revue
internationale de Psychologie individuelle où il met l'accent sur le caractère
unique de chaque personne humaine. Il développe une série de concepts tels
que complexe d'infériorité, complexe de supériorité et langage du Corps. Il
relève le rôle primordial des premiers souvenirs d'enfance pour la
compréhension du coefficient réactionnel individuel.
Dans L'étude sur l'infériorité des organes, Alfred Adler souligne la
relativité de la valeur anatomique et fonctionnelle des différents organes.
Cette valeur relative devient manifeste au contact avec le monde environnant
et ses exigences. Cette infériorité cherche sa compensation dans la
superstructure psychique de l'individu. Le sujet-malade l'intéresse plus que la
cause externe de la maladie. Les maladies seront classées en fonction du
système dont fait partie l'organe déficient. Tout sujet a des points forts et
faibles au niveau de sa constitution. Les relations entre l'organisme et le
psychisme se fondent sur un véritable langage du corps. Les caractères
psychiques se déterminent au travers de ces relations : troubles intestinaux et
caractère anal, troubles urinaires et propension à l'auto-érotisme. La faiblesse
appelle la compensation.
Dans Le Tempérament nerveux, il étudie les racines et le développement
du sentiment d'infériorité et sa compensation asociale dans le sens d'une
fiction renforcée comme idée directrice de la névrose.
Pour Alfred Adler, être un homme signifie posséder un sentiment
d'infériorité qui exige constamment sa compensation (ADLER, 1950 : 73-86).
En regard de l'infériorité d'un organe, l'expérience individuelle et sociale
du sujet renforce le sentiment d'infériorité ou la volonté de compensation. Le
combat entre David et Goliath prend valeur de symbole. La laideur peut
conduire au banditisme ou, comme dans La Belle et la Bête, à la recherche

219
220 Du signe au symbole

éperdue de beauté artistique. De la même manière, le cadet, centre d'intérêt de


tous, voudra surpasser son rival (l'aîné). Il connaît un mélange de gentillesse
et de rêves de grandeur comme Joseph dans l'Ancien Testament, le Petit
Poucet, ou Cendrillon.
Dans Guérir et instruire, Adler traite de l'éducation des parents. Il
complétera cet ouvrage par La Technique de la psychologie individuelle qui
expose l'art de l'éducation. Il nous montre une suite de types
caractérologiques, de défauts caractériels et analyse leur structure psychique,
leurs erreurs et la technique de leur guérison. Dans Connaissance de l'homme,
il analyse les causes de l'inefficacité ou du manque d'efficience de nos actions
dans la société. Ce manque d'efficience ressort de l'attitude asociale de
l'individu.
Le sens de la vie résume ses idées sur la plasticité de la matière organique,
sur ses facultés d'adaptation et ses mécanismes de sécurité. Parmi ses facultés
se place chez l'être humain la fonction la plus noble de la matière organique :
la fonction psychique. Alfred Adler expose les lois de la finalité, de la
compensation et de la surcompensation qui régissent la vie psychique. Il suit
dans son dynamisme la compensation du sentiment d'infériorité. On peut
connaître une compensation défectueuse avec son cortège de névrose,
perversion sexuelle, toxicomanie ou délinquance. On peut également
connaître une compensation « réussie » où le développement de l'individu a
su s'ajuster à la collectivité grâce au sentiment social existant et
progressivement croissant. Adler insiste très fort sur le sentiment social et sur
l'importance du sens de nos responsabilités sociales vis-à-vis de nos
semblables. Pour lui, la névrose est une fuite devant un problème social.
Toute analyse d'une aberration psychique dévoile un défaut du sentiment
social. La guérison du névrosé ne se réalisera que grâce à la compréhension
de ce fait. Puisque le sens social est à la base de toute activité psychique
saine, il faut que l'enfant soit éduqué dans ce sens. Il voulait enseigner à tout
éducateur comment saisir le sens d'un défaut d'enfant, d'un caractériel, d'un
enfant difficile comme étant la compensation asociale d'un sentiment
d'infériorité et de ce fait parfaitement corrigible. Dès lors, comme Montaigne,
Adler estime qu'il vaut mieux une tête bien faite qu'une tête bien pleine. Le
but de l'éducation n'est pas de gonfler l'enfant de savoir, mais de lui inculquer
un comportement social en harmonie avec ses possibilités organiques et avec
les exigences d'une vie dans la collectivité (ADLER, 1950 : 5-12) (ADLER,
1950 : 73-93). Il relève trois types d'échec par inadaptation :

 L'enfant aux organes défectueux, qui souffre d'un handicap et ne


parvient pas à compenser ;
 L'enfant dorloté devient égocentrique et compte toujours sur
l'assistance d'autrui. Ainsi, l'enfant unique n'ayant pas connu la
compétition aura tendance toute sa vie à rechercher protection,
sécurité ;

220
Sémiologie et herméneutique 221

 L'enfant négligé (non-désiré, orphelin, bâtard, victime du divorce des


parents...) s'attend à l'indifférence d'autrui. Il vit en état de méfiance et
exagère les difficultés. Il éprouve des ressentiments et expériences
d'abandon, des protestations et punitions. Le dorloté négligé développe
une ambition imaginaire pour compenser son insignifiance présente.
(ADLER, 1950 : 95-105)

Paul Diel (1893-1972) et la psychologie de la motivation

Paul Diel est un psychologue français d'origine autrichienne (1893-1972).


Philosophe de formation, Paul Diel a été influencé par les découvertes de
Freud et d'Adler. En 1945, il entre au C.N.R.S. et travaille comme
psychothérapeute au laboratoire de psychobiologie de l'enfant que dirigeait
Henri Wallon. Ses travaux sur la compréhension du langage symbolique ont
permis des applications pratiques, notamment dans le domaine de la
rééducation des différentes formes d'adaptation familiale ou sociale. Son
œuvre entière a pour fin l'étude des motifs intimes et de leurs expressions
symboliques. Il estime que la cause profonde du désarroi de notre siècle tient
à l'erreur séculaire de l'esprit porté à prendre à la lettre ses propres productions
symboliques les plus élevées. Paul Diel poursuit à travers son œuvre un effort
méthodique de restitution du sens caché des mythes. Pour lui, le mythe couvre
toute l'étendue du psychisme mis à jour par la psychologie moderne. Comme
l'être humain, le personnage mythique a un surconscient, un moi et un
subconscient. Il a son axe de sublimation et sa verticale de chute dans
l'inconscient le plus profond. Ainsi, tout l'humain est engagé dans le mythe.
Le mythe, pour Paul Diel, est essentiellement synthétique. Il noue et solidarise
des forces psychiques multiples. Il nous parle de la destinée humaine sous son
aspect essentiel, destinée consécutive au fonctionnement sain ou malsain
(évolutif ou involutif) du psychisme. Le héros lui-même et son combat
représentent l'humanité entière dans son histoire et dans son élan évolutif. Le
combat du héros est moins un combat historique qu'un combat psychologique.
C'est pourquoi Paul Diel va étudier les symboles resserrés dans le destin du
héros mythique comme des réalités éminemment psychologiques. Il part du
postulat psychologique suivant : le symbole a une réalité psychologique
initiale et immédiate. Les mythes sont autant d'occasions pour étudier cette
fonction psychique naturelle. Ainsi la figuration mythique exprime les conflits
réels et intrapsychiques de l'âme humaine.

« Déjà, dans la théorie freudienne, le déploiement du sens moral (surmoi) se trouve mis en
rapport avec un thème mythique (complexe d’Œdipe). Si un seul mythe renferme un thème
touchant le fonctionnement psychique, force est d'admettre — ne serait-ce que sous forme
d'hypothèse — que tous les mythes doivent, suivant leur sens caché, traiter de la psyché et
de son fonctionnement sensé et inné. Aussi, l'école de Freud fut-elle — du moins en cette
matière — dépassée par la théorie jungienne qui voit l'activité humaine déterminée en

221
222 Du signe au symbole

grande partie par des images-guides innées : les archétypes, faussement pris pour des
symboles mythiques. » (DIEL, 1966 : 18-19)

La méthode d'investigation de Paul Diel s'établit sur la reconstitution de ce


calcul obscur de justification erronée qui se passe dans le subconscient de tout
homme. Cette reconstitution n'est possible que grâce à l'objectivation de la
faute propre et essentielle (la tendance à la fausse justification). C'est
objectivation n'a pas seulement la valeur d'une sublimation active (dissolution
de la faute essentielle), mais aussi celle d'une spiritualisation théorique
(compréhension de l'erreur vitale). Le calcul psychologique permet de
comprendre les tenants et d'enrayer les aboutissants du calcul erroné,
habituellement subconscient. Le calcul psychologique devient un instrument
thérapeutique qui permet de poursuivre la décomposition ambivalente que
subissent les sentiments, lorsque, exposés à la pression d'un conflit insoluble,
ils entrent en effervescence, créant ainsi l'état malsain d'exaltation
imaginative. Le faux calcul subconscient crée et soutient l'exaltation
imaginative. Le calcul psychologique la calme et la dissout. La symbolisation
mythique est un calcul psychologique exprimé en langage imagé (DIEL,
1966 : 19-20)
La vision mythique symbolise, pour Paul Diel, la formation sensée et la
déformation insensée du psychisme. Elle ne peut établir sa norme, le sens de
la vie, sans poursuivre ce sens jusqu'à sa cause première, jusqu'au mythe de la
« Création ». C’est pourquoi les mythes traitent de deux thèmes : la cause
première de la vie (le thème métaphysique) et la conduite sensée de la vie (le
thème éthique). Le sens réel de la vie se résume dans l’évolution. Le
fonctionnement psychique, thème des mythes, est une constellation évolutive.
Il est le résultat de l’évolution passée, et il aspire à l’évolution future.
L’homme se distingue de l’animal par la fonction consciente dont la forme
la plus évoluée est l'esprit. L’esprit est une voie évolutive destinée à adapter
l’espèce humaine et chaque individu, non seulement aux nécessités urgentes
(comme tente de le faire l'intellect utilitaire), mais au but lointain de la vie.
L’esprit est une fonction plus clairvoyante que le conscient, une fonction
surconsciente. Pour Paul Diel, ce dépassement du conscient primitif n’est pas
encore totalement acquis par l’espèce : il est en voie de formation évolutive.
En raison de la difficulté de ce dépassement se constitue dans la psyché
humaine une fonction parasitaire qui s’oppose à l’effort évolutif. Elle est
caractérisée par la régression vers le fonctionnement préconscient. Ce
fonctionnement parasitaire et maladif constitue le subconscient (DIEL, 1966 :
26). Pour Paul Diel, toutes les fonctions de la psyché humaine (conscientes,
surconscientes, inconscientes et subconscientes) se laissent réduire au désir.
Le désir humain est une forme évoluée du besoin biologiquement élémentaire
qui anime toute vie. Il est le résultat de la différenciation du besoin
élémentaire, cherchant à devenir, par voie évolutive, conscient de ses buts et
de ses moyens de satisfaction. Toute joie est due à la satisfaction du besoin

222
Sémiologie et herméneutique 223

vital. Elle est acquise grâce à l’harmonisation des désirs multiples (matériels
et sexuels). Toute souffrance trouve sa cause dans le désir insatisfait. Elle se
définit comme contraste entre désir et réalité. Le sens de la vie est une forme
de la réalité. Il est la réalité idéelle, la vérité. L’homme ne peut se mettre en
harmonie avec le sens de la vie, que par l’entremise du désir spiritualisé (idée)
et du désir sublimé (idéal). La vie se résume et se consume dans l’effort
incessant de la transformation énergétique des désirs. Le thème inépuisable
dont traitent les mythes est le désir et ses transformations énergétiques
(exaltation ou harmonisation). La satisfaction harmonieuse des désirs
multipliés apparaît comme le sens ultime de la vie (DIEL, 1966 : 27).
Le mythe n’a pu prévoir l'extension prise par l’intellect et ses inventions
utilitaires, mais il a prévu tout le danger d’une intellectualisation révoltée
contre l’esprit harmonisateur. Cette exaltation de l’intellect est, selon Paul
Diel, un des thèmes fondamentaux des mythes.

« Pour l'intellect exalté, isolé de l'esprit, la vision spirituelle des mythes, le mystère,
n'existe pas. Il entend se suffire à lui-même et n'y parvient pas en dépit de toutes ses
inventions. Les inventions elles-mêmes se tournent contre l'homme qui a perdu la direction
évolutive. En vain tâche-t-il de remplacer le sens de la vie par le progrès. » (DIEL, 1966 :
28)

L'affect aveugle qui conduit à l'agitation doit être intellectualisé et


spiritualisé-sublimé, pour que l'homme puisse récupérer le calme qui lui
permet de se pencher sur la vérité essentielle de la vie. Cette contemplation
calme et sereine porte à la concentration de toutes les énergies et à leur
activation sensée. Cette contemplation conduit vers la plénitude. Elle est
possession sublime de soi, acceptation de tout ce qui est inéchangeable, sans
aucun résidu d'affectivité subjective qui pourrait se transformer en angoisse,
rancœur ou haine. Cette contemplation est l'amour de la vie sous toutes ses
formes : la bonté (DIEL, 1966 : 28-29).
À l'inverse, la déformation maladive de l'esprit est créée par la stagnation
de la tendance évolutive du désir. La représentation des objets désirés devient
imaginative. L'affectivité devient impatiente et obsédante. Avec l'exaltation de
l'affect tendu par le désir, l'insatisfaction s'exalte. L'excitation devient
irritation. Les désirs exaltés s'accumulent sans trouver la décharge réelle. La
psyché de l'homme qui ne spiritualise ni n'intellectualise efficacement se
trouve envahie par l'imagination maladivement exaltée (DIEL, 1966 : 29).
L'angoisse est, pour Paul Diel, un état convulsif qui se compose de deux
attitudes diamétralement opposées : l'exaltation désireuse et l'inhibition
craintive. L'angoisse peut produire des symptômes organiques. Ces
symptômes sont dus au refoulement de l'angoisse coupable et à sa réapparition
sous forme onirique, symboliquement déguisée. La coulpe est l'oubli de
l'appel évolutif de l'esprit. Le mythe figure le tourment angoissé qui
accompagne tous les degrés de l'égarement comme un « châtiment » infligé

223
224 Du signe au symbole

par l'esprit symboliquement personnifié par la divinité. L'angoisse peut se


manifester sous différentes formes :

1. L'irritation nerveuse représente l'exaltation tournée vers l'esprit ;


2. L'euphorie banale ou banalisation : celle-ci se présente comme un état
de sous-tension énergétique. Chaque désir est immédiatement contenté,
aucune énergie évolutive ne peut se former. Puisqu'il n'y a pas de désirs
retenus, aucun travail de spiritualisation ou de sublimation n'est
possible. Il ne reste que le vide intérieur.
3. La stagnation involutive ou vanité est l'imagination exaltée à l'égard de
soi. Elle est la déformation de l'esprit par excellence. Elle est le
contraire de la lucidité. Vanité et culpabilité exaltée sont les deux pôles
d'une même déformation maladive de l'esprit : la stagnation de la
poussée évolutive. Les mythes insistent sur la déformation maladive de
l'esprit dont le signe est la vanité coupable, la culpabilité vaniteuse. Le
seul remède consiste à ne pas exalter la coulpe afin de ne pas la rendre
insupportable.
4. L'indignation est le trait pervers caractéristique de l'être devenu
conscient, mais dont la conscience ne s'est pas encore évolutivement
affirmée. La vaniteuse justification de soi est le monstre mythique qui
ravage le monde et qui détruit les âmes. L'homme qui attaque ce
monstre est, de manière mythique, le héros. Il ne vaincra pas sans être
investi des armes symboliquement prêtées par la « divinité » et qui ne
peuvent être que la clairvoyance spirituelle à l'égard des motifs
(contraire du refoulement vaniteux) et la pureté de l'activité (contraire
de l'action coupable). Le héros mythique est le représentant de la
poussée évolutive. La divinité devient, sur le plan symbolique, son père
mythique dont il est le « fils » et l'« envoyé ».
« La vision surconsciente du symbolisme mythique concerne la vie entière : sa
compréhension idéelle (spiritualisation) et sa réalisation idéale (sublimation). » (DIEL,
1966 : 34)

La morale est l'adaptation au sens évolutif de la vie, la satisfaction du désir


essentiel et évolutif, satisfaction qui ne peut être obtenue que grâce à la
maîtrise des désirs multiples, à leur harmonisation, contraire de l'exaltation
imaginative. La morale est l'économie du plaisir. Elle est la valorisation
surconsciente. Elle tente de réaliser la satisfaction essentielle : la joie.
La conscience est le pressentiment de la loi qui stipule qu'à toute déviation
essentielle à l'égard du désir essentiel correspond l'angoisse vitale : le
tourment de la culpabilité. La loi psychique impose à l'homme de s'orienter
vers le sens directif évolutivement immanent à la vie, sous peine de devenir
victime de la nervosité (exaltation vers l'esprit) ou banalisation (exaltation des
désirs matériels et sexuels).

224
Sémiologie et herméneutique 225

Les symboles les plus typiques concernent les trois instances qui se
surajoutent à l'inconscient animal : l'imagination exaltive et refoulante
(subconscient), l'intellect (conscient) et l'esprit (surconscient).
La fonction surconsciente et ses diverses qualités sont figurées par le
sommet d'une montagne imaginé comme résidence des divinités solaires qui
symbolisent les qualités de l'âme. Le soleil, anciennement symbole de
fécondation, devient symbole de l'esprit illuminant.
L'être conscient, l'homme, habite la surface de la Terre. L'arène du conflit
intrapsychique est le conscient. La terre entière devient ainsi symbole du
conscient et de sa situation conflictuelle. L'intellect est symbolisé par le feu
terrestre. L'eau et le feu sont l'un et l'autre des symboles de purification. Le
feu symbolise la purification par la compréhension jusqu'à sa forme la plus
spirituelle, la lumière, la vérité. L'eau symbolise la purification du désir
jusqu'à sa forme la plus sublime, la bonté. La mer devient ainsi symbole de
naissance. La terre représente le principe féminin et passif de la fécondation
mystérieuse de la Création, la Terre-Mère opposée au symbole Esprit-Père.
Les héros naviguent et errent souvent sur la mer, c'est-à-dire qu'ils sont
exposés aux dangers de la vie, ce que le mythe symbolise par les monstres qui
surgissent des profondeurs. La région sous-marine devient ainsi symbole du
subconscient.
Le subconscient et ses dangers sont représentés par les monstres qui
sortent de la région souterraine, de la cavité sombre. L'eau gelée, la glace,
exprime la stagnation à son plus haut degré, le manque de chaleur humaine,
l'absence du sentiment vivifiant et créateur qu'est l'amour.
En résumé, Paul Diel analyse les motivations intimes et démontre leur
importance prédominante pour le comportement sensé ou insensé. Les motifs
— à distinguer des mobiles extérieurs de l’activité, les excitations provenant
du milieu — sont les produits d’une incessante délibération intime en vue
d’une décharge réactive. Pour Paul Diel, l’intime délibération n’élabore pas
seulement des décisions volontaires en vue d’une maîtrise réactive de
l’ambiance. Elle est également créatrice d’idées valorisantes, et même de
systèmes d’idées, d’idéologies, envisageant en premier lieu non plus
l’adaptation utilitaire à l’ambiance, mais l’adaptation au sens de la vie. La
délibération intime à l’égard de ce que l’homme doit faire de sa vie crée ainsi
la vision des valeurs-guides, motifs supérieurs d’action, parce que
déterminantes d’une volonté d’automaîtrise face aux excitations ambiantes.
Malheureusement, l’esprit valorisant qui préside aux délibérations intimes
n’est pas infaillible. Il est exposé aux erreurs et crée des visions guides
contradictoires, cause d’une angoisse de désorientation qui se trouve
finalement à la base de toutes les « maladies de l’esprit ». Or, il existe une
ancestrale vision guide unifiante : la vision mythique. Le propre de la vision
mythique est l’expression énigmatique, symboliquement déguisée,
irrationnelle et illogique. La narration symbolisante et multiforme des
mythologies peut donner l’impression qu’elles sont contradictoires. Il

225
226 Du signe au symbole

n’existe, cependant, qu’une vision unique due à la faculté symbolisante.


Celle-ci s’exprime dans les mythologies par des images symboliques les plus
diverses. La vision commune à tous les mythes est la lutte entre divinités
d’une part, démons et monstres d’autre part. Cette vision exprime le conflit
intime entre les motivations justes et fausses. Ce conflit exprime en fait la
délibération humaine. Le langage mythique aurait donc un vocabulaire
extrêmement précis. Il serait fondé sur les lois qui régissent la valeur sensée
ou la non-valeur insensée de la délibération intime. La signification commune
à toutes les mythologies ne se dévoile qu’à l’aide d’une préalable étude des
motivations (DIEL, 1975 : 9-11).

Jacques Lacan (1901-1981) et l'École freudienne

En 1932, Jacques Lacan défend sa thèse de doctorat en médecine


(psychiatrie) sur La Psychose paranoïaque dans ses rapports avec la
personnalité. En 1936, il fait son entrée publique sur la scène psychanalytique
par sa conférence sur Le Stade du miroir. En 1953, lors de la scission du
mouvement psychanalytique français, il rejoint les anciens analysés de
Laforgue (Lagache, Favez-Boutonnier, Françoise Dolto...) qui fondent le
Groupe de recherches et d'études freudiennes. En 1963, une seconde scission
a lieu qui permet à Jacques Lacan de prendre la tête de l'École freudienne de
Paris. Il diffuse sa doctrine à travers les Séminaires de l'École pratique des
Hautes Études et dirige la collection Le Champ freudien aux éditions du Seuil.
Comme on l'aura compris à travers ces diverses déchirures, Jacques Lacan est
avant tout un phénomène de rejet ou d'admiration qui ne laisse pas indifférent
le petit monde de l'analyse.

Le stade du Miroir et l’Œdipe (LACAN, 1966, 89-97)

Pour Jacques Lacan, trois étapes se dessinent dans les dix-huit premiers
mois de la vie lorsqu’il contemple son image dans le miroir :

 L'enfant réagit comme si l'image était une réalité (ou l'image d'un
autre) ;
 Il cesse de traiter cette image comme un objet réel ;
 Il finit par reconnaître cet autre comme étant sa propre image.

C'est le moment de l'identification imaginaire. Par l'échange des regards,


cette identification va de pair avec celle de la mère. Si cette troisième étape

226
Sémiologie et herméneutique 227

est franchie, l'enfant intègre son image à son corps propre. L'expérience du
miroir est décisive pour la construction du Je à travers le corps propre. Avant
de parvenir à cette étape, l'enfant aura dû surmonter l'obstacle du corps
morcelé : les autres corps, les poupées, les objets d'agression ou de mutilation,
etc. La troisième étape du stade du Miroir devient la première étape du stade
de l’Œdipe :

1re étape : l'image réelle d'un autre — la mère


autre
Stade du Miroir 2e étape : l'image n'est qu'une image — la mère
l'imaginaire irréalisée
3e étape : identification à sa propre image —
identification à la mère

1er temps : 3e étape du miroir


Stade de l’Œdipe 2e temps : interdit du père, castration
vers le symbolique
3e temps : accès au Nom-du-Père et à l'ordre
symbolique
(FAGÈS, 1976 : 315)

Dans la relation duelle avec la mère, l'enfant désire inconsciemment être le


complément total, le Phallus35, pour celle-ci. Le père intervient en castrateur,
séparant l'enfant de sa mère, il signifie à celui-ci qu'il n'est pas le phallus et à
la mère qu'elle n'en est pas détentrice. C'est l'interdit du père. C'est la seconde
étape de l’Œdipe (LACAN, 1971 : 103-115)
La relation duelle fait place à la triade. Lors de cette troisième étape de
l’Œdipe, l'enfant s'identifie au père. Il entre dans l'ordre symbolique et l'ordre
de la Loi, du Nom du Père.
Trouvant sa juste place, l'enfant acquiert la subjectivité. Il entre dans le
monde du langage et de la culture, monde que désigne le signifiant premier :
le Phallus comme attribut paternel. Le Phallus est la métaphore paternelle qui
permet de descendre profondément dans l'inconscient. À la suite des absences
répétées de la mère, une crise d'identification à la mère s'est produite. Dénouer
la crise pour l'enfant revient à nommer la cause de ces absences, à savoir le
père. Accéder au Nom du Père ouvre à l'ordre symbolique et non plus à
l'imaginaire. L'enfant renonce à être un tout (le Phallus pour la mère). La clé
de la totalité se trouve désormais du côté du signifiant paternel (LACAN,
1971 : 103-115).

35
« Lacan distingue le Phallus, symbole, attribut paternel, du "pénis", organe sexuel
spécifique. Cette distinction prend une importance comparable à celle (différente) du sexuel
et du génital dans la théorie freudienne : méconnaître l'une ou l'autre a souvent engendré de
sérieux malentendus » (FAGES, 1976 : 329)

227
228 Du signe au symbole

Le langage et la rhétorique
(FAGÈS, 1976 : 315-319) (LACAN, 1970 : 101-289) (LACAN, 1971 : 151-
244)

Pour Jacques Lacan, le sujet humain est constitué par le langage. Lacan
reprend pour preuve un exemple de Freud, ce jeu de répétition du petit enfant
qui chasse et rappelle une bobine : « Fort ! — Da ! " (loin ! — ici !). Pour
équilibrer le déplaisir de l'absence et le plaisir de la présence maternelle,
l'enfant en joue. Ce faisant, il reçoit la détermination de l'ordre symbolique.
Sa compulsion de répétition passe par des signifiants articulés, binaires
(dichotomie). L'enfant assimile, grâce au langage, l'écart entre le symbole et
la chose : entre les signes et les allées et venues effectives de la mère.
L'écart le plus déterminant ne se pose pas entre le signe et la chose, mais à
l'intérieur du signe lui-même, entre le signifiant et le signifié. Pour Jacques
Lacan, le sujet humain se trouve pris dans un défilé radical de signifiants. En
d'autres termes, le sujet peut formuler des demandes sans fin (énoncer des
signifiants), mais que désire-t-il au juste ? (Quels signifiés ?).
Pour illustrer la suprématie du signifiant, Lacan commente La Lettre volée
d'Edgar Allan Poe. Une lettre énigmatique se promène de main en main : d'un
personnage mystérieux à la reine, de la reine au ministre, du ministre au
détective, etc. Tous les personnages s'ordonnent autour de cette lettre
supposée compromettante, mais en définitive l'enveloppe (le signifiant) a joué
un plus grand rôle que le contenu (le signifié) (LACAN, 1966 : 19-75).
L'affirmation centrale de la psychanalyse lacanienne « se fonde sur le fait
[...] que l'inconscient ait la structure radicale du langage. » Lacan décrit le
façonnement de l'inconscient en empruntant au linguiste Roman Jakobson les
deux grandes catégories rhétoriques :

 La métaphore qui joue par substitution (exemple : lion se substitue à


homme courageux) devient la condensation qui fonctionne plutôt
verticalement comme une superposition qui enfonce les signifiés ;
 La métonymie qui joue par contiguïté (la partie pour le tout, voile pour
dire bateau) devient le déplacement qui, selon Freud, évoque les
déplacements, le déroulement sans fin du désir et forme un tissu serré
qui recouvre les formations de l'inconscient.

L'inconscient, chez Lacan, est tramé, tissé par les métaphores et


métonymies. La tâche de l'analyste consiste à démonter cette trame pour
retrouver, libérer la parole vraie du sujet, sa position exacte dans l'ordre
symbolique. Lacan utilise également les catégories linguistiques pour
distinguer l'énonciation et l'énoncé :

228
Sémiologie et herméneutique 229

 L'énonciation désigne l'acte personnel du sujet parlant ;


 L'énoncé désigne les formules qu'il pose.

Tout se passe, selon Lacan, comme si le sujet souffrait de n'être pas en état
d'acte vraiment personnel d'énonciation et par là au niveau symbolique. En
réalité, il joue en fonction de rôles, de personnages, de masques, d'énoncés au
niveau de l'imaginaire. Il emprunte à la culture, à l'ordre symbolique pour
habiller son imaginaire et le faire passer pour réel. La parole libératrice doit
tendre vers une énonciation véridique.
Dans Mille Plateaux, G. Deleuze et F. Guattari vont mettre en cause les
postulats linguistiques de R. Jakobson. Pour eux, le langage ne serait pas
transmission d'information, mais bien émission et réception de mots d'ordre.

« [...] si le langage semble toujours supposer le langage, si l'on ne peut pas fixer un point
de départ non linguistique, c'est parce que le langage ne s'établit pas entre quelque chose
de vu (ou de senti) et quelque chose de dit, mais va toujours d'un dire à un dire. »
(DELEUZE & GUATTARI, 1980 : 97)

Ils remettent en question l'importance de la métaphore et de la métonymie


au niveau du langage.

« Le “premier” langage, ou plutôt la première détermination qui remplit le langage, ce


n'est pas le trope ou la métaphore, c'est le discours indirect. L'importance qu'on a voulu
donner à la métaphore, à la métonymie, se révèle ruineuse pour l'étude du langage.
Métaphores et métonymies sont seulement des effets, qui n'appartiennent au langage que
dans le cas où ils supposent déjà le discours indirect. » (DELEUZE & GUATTARI, 1980 :
97)

Deleuze et Guattari privilégient ainsi la dimension pragmatique du


langage. En dehors de celle-ci, il n'y aurait pas de langage proprement dit.
« Le langage ne se contente pas d'aller d'un premier à un second, de quelqu'un qui a vu à
quelqu'un qui n'a pas vu, mais va nécessairement d'un second à un troisième, ni l'un ni
l'autre n'ayant vu. C'est en ce sens que le langage est transmission du mot fonctionnant
comme mot d'ordre et non communication d'un signe comme information. Le langage est
une carte et non pas un calque. »(DELEUZE & GUATTARI, 1980 : 97-98)

Ils rejettent la conception de la communication comme transmission


d'informations.

« Si l'on dit du dormeur que ses rêves sont de nature métaphorique, pour ce dernier, il n'en
est rien. Enfermé dans son univers onirique, il croit parler le monde. Ce ne sera qu'une fois
en situation de veille que l'écart entre monde imaginé et monde réel lui apparaîtra. Par
conséquent, parler de métaphore c'est se placer dans un métalangage où celle-ci ne joue
plus. Mais inversement cela signifie que tout langage peut être dit métaphorique : il suffit
de trouver un métalangage capable de l'exprimer. » (VERHAEGEN, 1994 : 22)

229
230 Du signe au symbole

Quand J. Lacan reprend les thèses de R. Jakobson, il oublie une donnée


importante relevée par Freud dans son premier ouvrage consacré aux rêves : le
travail du rêve. Ce n'est que lorsque nous devons communiquer notre rêve,
que nous utilisons un langage métaphorique pour exprimer les images
perçues. Les structures du langage apparaissent seulement dans le travail du
rêve, et non dans le rêve lui-même. Entre le rêve tel qu'il est dévoilé et le rêve
tel qu'il est vécu, il y a un travail, une traduction, une adaptation en mots. Ce
rêve dévoilé a, bien entendu, la structure du langage. Il reçoit la marque de la
Verdrängung du phallus (LACAN, 1971 : 112) par lequel l'inconscient
devient alors langage. Les icônes imagées constituant le rêve proprement dit
ont été traduites en mots sous forme d'icônes métaphoriques ou
métonymiques. Pour effectuer ce travail du rêve, il faut qu'il y ait déjà
conscience du sujet. Un bébé, qui n'a pas encore intégré le langage et n'est pas
conscient de lui-même, ne peut exprimer son rêve. Le rêve lui-même, à
l'inverse de ce que J. Lacan pensait, n'est nullement de l'ordre du langage. Il
est !36
Mais qu'en est-il au juste du rêve lui-même ? C'est ce que nous révèle le
mythe de La Genèse. Ce n'est qu'en mordant au fruit de l'arbre de la
connaissance, que l'homme doit quitter l'Éden. Ce fruit a la saveur du langage.
Il en épouse pleinement les structures. Par l'acquisition du langage, l'homme
prend conscience de lui-même et intègre les structures sociales et
linguistiques. Sujet et assujetti, il peut maintenant communiquer. C'est-à-dire
émettre et recevoir des mots d'ordre. Parler de ce qu'il ne connaît pas
directement. En échange, il doit quitter le stade fusionnel qui le liait
inconsciemment à sa mère, au monde et à Dieu. La métaphore est bien au
fondement de l'échange, mais demeure inaccessible tant que cet échange n'est

36
Lors de l'ontogenèse, le fœtus passe par un stade où le sommeil paradoxal occupe 90% du
temps total. Le sommeil paradoxal est le premier état de vigilance à se différencier à partir de
la seconde moitié de la gestation. Il se remarque par une atonie musculaire combinée avec de
légers mouvements des yeux et une activité rapide de l'électroencéphalogramme. Les
mouvements des yeux sont concomitants d'une activité électrique originaire du tronc cérébral
et enregistrée dans le thalamus et dans le cortex occipital (JOUVET, 1992). Le sommeil
paradoxal est apparu, il y a plus de cent millions d'années, chez les homéothermes (oiseaux
et mammifères). Une partie du cerveau postérieur (rhombencéphale), où est situé le réseau
du sommeil paradoxal, s'est développée en même temps que le néocortex. (VALATX, 1994 :
68-69). La présence des mimiques faciales au cours du sommeil paradoxal du nouveau-né
conduit à penser qu'elles ne sont pas apprises par imitation. En réalité, l'installation des
réseaux neuronaux qui les sous-tendent se réalise sous l'influence d'informations contenues
dans le génome. Cette organisation commence à se mettre en place avant la naissance,
pendant l'état correspondant au sommeil paradoxal qui occupe 90 % du temps chez le fœtus.
Les rêves qui se déroulent durant le sommeil paradoxal seraient ainsi le moment privilégié
où s'exprimeraient la mémoire de l'espèce et les composantes innées de la personnalité. Dès
lors, au cours du rêve, se rencontreraient les deux mémoires, la mémoire acquise (nouvelle et
ancienne) et la mémoire génétique pour ne retenir que les éléments significatifs et les
incorporer dans les réseaux existants (VALATX, 1994 : 70-71).

230
Sémiologie et herméneutique 231

pas passé par un métaniveau. Dès lors, pour interpréter cette métaphore, il faut
l'étudier à la fois d'un point de vue sémiotique et d'un point de vue
pragmatique. Dès lors pour comprendre les deux pôles d'une image, celle
diffusée dans le rêve et celle transcrite métaphoriquement dans le langage, il y
a lieu, comme nous le verrons au chapitre suivant, d'utiliser une double
technique. La première, celle des associations libres, épouse pleinement le
caractère linéaire du langage. Elle dévoile le lien que l'icône a avec le monde.
C'est l'interprétation au plan de l'objet. La seconde, celle de l'amplification,
tente de revenir vers le paradis perdu. Elle ne peut l'atteindre que par
comparaison, par analogie37, en tenant compte à la fois de l'aspect sémiotique
et de son caractère pragmatique, de son contexte. Elle réinjecte l'icône dans le
magma du chaos, ou du moins dans une structure intermédiaire, celle du
rhizome.

La demande et son traitement

Lacan constate que, dès son entrée dans la vie, le sujet se trouve en état de
manque. Il quête le complément maternel.
Rencontrant les limites du corps, ce manque se concentre sur les zones
érogènes.
Accédant à un palier psychique, il se transmue en désir illimité.
Ce désir se formule en demande interminable.
La demande puise à l'ordre du langage. Dans son manque individuel, il
désire toujours autre chose, un autre objet. Par la position individuelle de son
inconscient, il est en rapport avec a minuscule. Par sa position en regard de
tout l'ordre symbolique, il se trouve dans un manque plus radical vis-à-vis de
l'Autre, A majuscule. Cette distinction entre a et A est homologue de celle
entre l'imaginaire et le symbolique : la mère imaginaire représente le rapport
a avec les objets de la demande ; le nom du Père représente le grand Autre.
(FAGÈS, 1976 : 330)

37
Pour Edgar Morin, "la connaissance par l'analogie est une connaissance du semblable par
le semblable qui détecte, utilise, produit des similitudes de façon à identifier les objets ou
phénomènes qu'elle perçoit ou conçoit." (MORIN, 1986 : 139) (Voir les conclusions).

231
232 Du signe au symbole

La demande Le parcours du miroir et de l’Œdipe


1. Manque à être (Besoin : complément 1. L'image réelle d'un autre ;
maternel) ;
2. Pulsions : expansion, zones érogènes ; 2. L'image n'est qu'image — la mère
irréalisée ;
3. Désir : multiples objets, substituts ; 3. Identification à la mère et à sa propre
image ;
4. Demande : paroles ; 4. Interdit du Père, castration ;
5. Autre (ordre symbolique). 5. Accès au Nom-du-Père et à l'ordre
symbolique.

Le patient demande sa guérison. Le psychanalyste fait le mort et provoque


ainsi la frustration en regard des fausses certitudes. C'est, en analyse, le temps
de la parole vide. Au-delà de cette parole vide, l'analyste recherche avec le
patient la parole pleine, libératrice. Le moment de vérité se présente lorsque le
patient avec l'analyste nomme enfin sa position exacte dans l'ordre
symbolique. Lacan distingue :

 Le refoulement qui interdit à des contenus d'accéder à la conscience :


son jeu est repérable par les lapsus, les ratés...
 La forclusion qui est un manque profond, radical, quasi irrémédiable.

Cette distinction éclaire la différence entre névrose et psychose. En face


d’une névrose (l'hystérie par exemple), l'analyste parvient au travers des ratés
à trouver le noyau de la névrose. En face d’une psychose (le délire de
persécution), l'analyse est contrainte à faire le tour d'un donné absent.

Françoise Dolto et l'angle de la communication

Considérant que l'inconscient est structuré comme un langage, le problème


central devient, pour Françoise Dolto, de restaurer la communication perdue.
Elle examine dès lors les problèmes pathologiques sous l'angle de la
communication. Ainsi, si tous les êtres humains perçoivent la présence
d'autrui, pour les psychotiques, c'est le signal d'un danger vital. La tâche de
l'analyste est alors d'instaurer un champ de communication. Il importe de
saisir le langage du corps. Le psychanalyste devient un, médiateur de la
fonction symbolique.

232
Sémiologie et herméneutique 233

Piaget et les facteurs du développement mental de


l'enfant

Pour Piaget, le développement mental de l'enfant apparaît comme une


succession de trois grandes constructions dont chacune prolonge la
précédente, en la reconstruisant d'abord sur un nouveau plan :

1. La période sensori-motrice est la période antérieure au langage. Faute


de fonction symbolique, le nourrisson ne présente encore ni pensée, ni
affectivité liée à des représentations permettant d'évoquer les personnes
ou les objets en leur absence. Le développement mental au cours de ces
dix-huit premiers mois est particulièrement rapide et particulièrement
important. La construction des schèmes sensori-moteurs prolonge et
dépasse celle des structures organiques au cours de l'embryogenèse.
Piaget dégage six stades :
1. Le stade des réflexes, des stimuli-réponses et de l'assimilation
(comparable à l'assimilation biologique au sens large) ;
2. Le stade des réflexes conditionnés et des premières habitudes ;
3. Les apprentissages élémentaires (l'enfant a environ 4 mois 1/2) ;
4. La coordination des moyens et des buts grâce à des schèmes
d'assimilation connus ;
5. La recherche de moyens nouveaux par différenciation des schèmes
connus (11-12 mois) ;
6. La fin de la période sensori-motrice et la transition avec la période
suivante (18 mois).
Décentration générale, telle que l'enfant finit par se situer comme un
objet parmi les autres en un univers formé d'objets permanents,
structuré de façon spatio-temporelle et siège d'une causalité à la fois
spatialisée et objectivée dans les choses (PIAGET & INHELDER,
1980 : 7-14). Ces six stades sont liés à un égocentrisme aussi total
qu'inconscient de lui-même (faute de conscience du moi). Les affects
propres aux deux premiers stades s'inscrivent dans un contexte décrit
par J.M. Baldwin sous le nom d'adualisme dans lequel il n'existe
aucune conscience du moi, c'est-à-dire aucune frontière entre le monde
intérieur ou vécu et l'ensemble des réalités extérieures (PIAGET &
INHELDER, 1980 : 21). Les deux derniers stades marquent la double
constitution d'un moi différencié d'autrui, et d'un autrui devenant objet
d'affectivité. J.M. Baldwin insiste sur le rôle de l'imitation dans
l'élaboration du moi, ce qui atteste la solidarité et la complémentarité
des formations de l'ego et de l'alter (PIAGET & INHELDER, 1980 :
24).
2. Vers un an et demi à deux ans apparaît une fonction fondamentale pour
l'évolution des conduites ultérieures et qui consiste à pouvoir

233
234 Du signe au symbole

représenter quelque chose (un signifié) au moyen d'un signifiant ne


servant qu'à cette représentation : langage, image mentale, geste
symbolique. Il y a apparition de la fonction sémiotique. La construction
des relations sémiotiques, de la pensée et des connexions
interindividuelles intériorise ces schèmes d'action en les reconstruisant
sur un nouveau plan de la représentation et les dépasse jusqu'à
constituer l'ensemble des opérations concrètes et des structures de
coopération :
1. il y a d'abord l'imitation différée ;
2. il y a ensuite le jeu symbolique ou le jeu de fiction ;
3. ensuite vient le dessin ou image graphique ;
4. vient après l'image mentale ;
5. enfin le langage naissant permet l'évocation verbale d'événements
inactuels.
La fonction sémiotique engendre ainsi deux sortes d'instrument : les
symboles, qui sont motivés, c'est-à-dire présentent, quoique signifiants
différenciés, quelques ressemblances avec leurs signifiés, et les signes,
qui sont arbitraires ou conventionnels (PIAGET & INHELDER, 1980 :
45).
3. Dès le niveau de onze-douze ans, la pensée formelle naissante
restructure les opérations concrètes en les subordonnant à des
structures nouvelles, dont le déploiement se prolongera durant
l'adolescence et toute la vie ultérieure. Trois niveaux de passage
précèdent cette période :
1. Le niveau sensori-moteur d'action directe sur le réel ;
2. Entre 3 et 7 ans, le niveau des obstacles. L'enfant ne sait pas
représenter ce qui est déjà acquis au niveau de l'action ; l'enfant ne
sait pas encore se décentrer au niveau de la représentation ; la
décentration doit porter sur un univers interindividuel ou social ;
3. Vers 7-8 ans, le niveau des opérations qui portent sur les
transformations du réel, mais par des actions intériorisées et
groupées en systèmes cohérents et réversibles (réunir et dissocier,
etc.)

Cette intégration de structures successives permet de découper le


développement en grandes périodes et en sous-périodes qui obéissent aux
critères suivants :

 Leur ordre de succession est constant, quoique les âges moyens qui les
caractérisent puissent varier d'un individu à l'autre ;
 Chaque stade est caractérisé par une structure d'ensemble en fonction
de laquelle on peut expliquer les principales réactions particulières ;
 Ces structures d'ensemble sont intégratives et ne se substituent pas les
unes aux autres. Chacune résulte de la précédente en l'intégrant à titre
de structure subordonnée.

234
Sémiologie et herméneutique 235

L'élaboration des structures logico-mathématiques (du niveau sensori-


moteur à la pensée formelle) précède la connaissance physique : l'objet
permanent est déjà solidaire du groupe des déplacements, comme la variation
des facteurs physiques l'est d'une combinatoire et du groupe de quaternalité.
Les structures logico-mathématiques sont dues à la coordination des actions
du sujet et non pas aux pressions de l'objet physique. Les quatre facteurs
généraux assignés à l'évolution mentale sont :

1. La croissance organique et spécialement la maturation du complexe


formé par le système nerveux et les systèmes endocriniens. Un certain
nombre de conduites dépendent des débuts de fonctionnement de
certains appareils ou circuits (c'est le cas de la vision et de la
préhension vers quatre mois et demi) ;
2. Le rôle de l'exercice et de l'expérience acquise dans l'action effectuée
sur les objets. Ce facteur est essentiel jusque dans la formation des
structures logico-mathématiques. Il existe deux types d'expérience :
2.1. L'expérience physique, qui consiste à agir sur les objets pour en
abstraire les propriétés (assimilation à des cadres logico-
mathématiques) ;
2.2. L'expérience logico-mathématique, qui consiste à agir sur les
objets, en vue de connaître le résultat de la coordination des
actions (la connaissance est abstraite de l'action et non pas des
objets) (phase pratique de la déduction opératoire ultérieure).
3. Les interactions et les transmissions sociales. D'une part, la
socialisation est une structuration, à laquelle l'individu contribue autant
qu'il en reçoit. D'autre part, l'action est inefficace sans une assimilation
active de l'enfant.
4. Un processus d'équilibration dans le sens d'une autorégulation, c'est-à-
dire d'une suite de compensations actives du sujet en réponse aux
perturbations extérieures et d'un réglage rétroactif et anticipateur
constituant un système permanent de telles compensations.

Ce sont, en fin de compte, les besoins de croître, de s'affirmer, d'aimer et


d'être valorisé qui constituent les moteurs de l'intelligence et des conduites en
leur totalité et en leur complexité croissante. Les deux aspects affectif et
cognitif sont à la fois inséparables et irréductibles. Les sentiments comportent
des racines héréditaires, se diversifient au cours de l'expérience vécue et tirent
un enrichissement fondamental de l'échange interindividuel ou social. Ils
comportent également des conflits, des crises et des rééquilibrations. Toute
l'évolution ultérieure de la pensée, de la réciprocité morale, et de
l'équilibration propre à la coopération est un progrès continu conduisant des
régulations à la réversibilité et à une extension ininterrompue de cette
dernière. La réversibilité est un système complet, entièrement équilibré, de

235
236 Du signe au symbole

compensations, tel qu'à chaque transformation corresponde la possibilité d'une


réversibilité inverse ou d'une réversibilité réciproque.

L'exploration du cerveau et le point de vue de la


neurophysiologie

Neurophysiologie du rêve

Introduction

Depuis les années 1950, la neurophysiologie a pour objet l’étude


descriptive et fonctionnelle du cerveau qui rêve. Mais il n’y a, à ce jour,
aucune certitude scientifique quant à l’utilité objective du rêve. Le rêve
correspond à l'état mental conscient, mais labile, qui résulte de
l'autostimulation du cerveau déconnecté du monde extérieur lors des
sommeils profond et paradoxal. Le rêve, en effet, n'est généré ni par les
stimulations sensorielles en raison de l'activation cyclique d'une région du
tronc cérébral appartenant à la formation réticulée mésopontique lors du
sommeil paradoxal.

Le rêve désigne un ensemble de phénomènes psychiques éprouvés au


cours du sommeil. Au réveil, le souvenir du rêve est souvent lacunaire, parfois
inexistant. Il est cependant possible d’entraîner la remémoration onirique. Les
rêves sont les plus élaborés pendant les phases de sommeil paradoxal.

 Les caractéristiques neuropsychologiques du rêve (MUZUR, 2005 :


103-118) (HOBSON, 2009 : 1-11) varient continuellement du sommeil
lent au sommeil paradoxal : le rêve s'apparentant à la pensée à l'état de
veille lors du sommeil profond, puis devenant de plus en plus
comparable à un état hallucinatoire sensori-moteur lors du sommeil
paradoxal.
 D'un point de vue neurophysiologique, l'activité cérébrale observée lors
du sommeil paradoxal s'avère proche de l'état de veille en se traduisant,
en particulier, par un tracé électroencéphalographique désynchronisé
(rapide et de bas voltage), et une intense activation thalamocorticale
entraînée par un générateur mésopontique situé dans le tronc cérébral.
Cette activation cérébrale visualisée en imagerie fonctionnelle
(tomographie par émission de positons ou TEP-scan) (MAQUET,
2000 : 207-231) diffère cependant de celle observée à l'état de veille par
l'inactivation de certaines régions du cerveau comme le cortex
préfrontal.

236
Sémiologie et herméneutique 237

Le rêve se distingue de l’hallucination et de la rêverie qui, elles, sont


vécues à l’état éveillé. La fonction éventuelle du rêve reste débattue entre
ceux qui n'y voient qu'un épiphénomène du sommeil paradoxal dépourvu de
toute fonction propre, et ceux qui supposent que le rêve reflète un processus
d'abstraction des représentations mentales (DORMHOFF, 2003) (FOULKES,
1985) ou de régulation émotionnelle. Les données scientifiques réfutent
l'interprétation psychanalytique du rêve (HOBSON, 2002).

Premières recherches

La neurophysiologie du rêve se distingue des théories psychologiques en


ce sens qu'elle permet l'étude descriptive et fonctionnelle de l'activité du
cerveau qui rêve,dans les domaines biochimique, biologique et anatomique.
Les prémisses de la neurophysiologie se font jour avec Alfred Maury
(1861), professeur au collège de France. Jusqu'alors, le rêve n'avait pas de
structure temporelle au sein du sommeil. En réveillant des sujets à intervalles
réguliers il remarqua que les souvenirs de rêve étaient rares, infirmant l'idée
qu'ils survenaient de façon permanente pendant le sommeil. Il fit l'hypothèse
que le rêve fût un phénomène épisodique ou aléatoire survenant à des
moments particuliers : pendant l'endormissement, sous l'influence de stimuli
externes ou internes ou avant le réveil (JOUVET, 1992) comme Peretz Lavie
considèrent que Maury n'étudiait pas les rêves, car les expériences se faisaient
juste après son endormissement, mais des hallucinations hypnagogiques
(LAVIE, 1998 : 91). La neurophysiologie du rêve proprement dite commence
véritablement au XXe siècle, à partir des années 1950. Les découvertes
antérieures à cette date ne furent tout simplement pas reliées à l'activité
onirique, bien qu'elles la concernassent plus ou moins directement. C'est ainsi
qu'en 1880 le docteur Jean-Baptiste Gélineau décrit la narcolepsie avec ses
phases d'abolition du tonus musculaire à la suite d'une émotion (cataplexie) ou
d'irruption irrépressible du sommeil, épisodes pendant lesquels certains
patients rêvent. En 1937, l'Allemand Klaue fit la différence chez le chat entre
deux activités corticales au sein du sommeil, l'une rapide, l'autre lente, sans
les associer à une activité onirique. En 1944, l'Allemand Ohlmeyer décrivit
des cycles d'érections pendant le sommeil, qui correspondent en fait aux
périodes de rêve, mais sans relier les unes aux autres (JOUVET, 1992).

La recherche depuis 1953

En 1939, Nathaniel Kleitman publie un livre sur le sommeil qui fait


référence. Deux de ses étudiants font également des découvertes importantes :
Eugen Aserinsky et William C. Dement. En 1953, Aserinsky émit l'hypothèse
que les périodes de mouvements oculaires rapides survenant pendant le
sommeil et enregistrés grâce à un électrooculogramme correspondaient aux

237
238 Du signe au symbole

périodes des rêves. Cette activité oculaire fut nommée « PMO » (pour « phase
de mouvements oculaires ») ou « REM » (« rapid eye movements ») par
opposition aux mouvements oculaires lents et ondulants observés pendant la
phase d'endormissement. W. Dement constata que 80 % des dormeurs
réveillés pendant les phases REM se rappelaient leurs rêves, contre 35 à 70 %
seulement pendant les périodes de sommeil profond (ÉTÉVENON, 1987 :
191). Le rêve survenait par périodes de 20 à 25 min, séparées par des
intervalles de 90 minutes, et caractérisées par une activité corticale similaire à
celle de l'endormissement et des mouvements oculaires rapides (JOUVET,
1992). Ces travaux furent confirmés par Michel Jouvet chez le chat. En outre,
il découvrit que pendant les phases REM existait une disparition du tonus
musculaire axial associée à une activité cérébrale intense, proche de l'éveil les
yeux ouverts, et de l'endormissement les yeux fermés (soit une durée de 6 min
toutes les 25 min chez le chat). C'est ce qui le conduisit à introduire la notion
de sommeil paradoxal, faisant ainsi du rêve le troisième état physiologique du
cerveau. Ces critères d'atonie, d'activité cérébrale38, et des mouvements
oculaires se retrouvèrent également chez l'homme (ÉTÉVENON, 1987).

Domaines actuels de recherche


Stimuli externes et rêves

Plusieurs groupes de chercheurs ont tenté de refaire les expériences de


Maury, en vain. L’intégration de stimuli externes dans le rêve était au mieux
partielle, souvent nulle. Dans aucun cas, le stimulus ne devint le sujet central
d'un rêve. Cette difficulté de détourner l’attention du rêveur de sa création
interne a été nommée par Allan Rechtschaffen le « processus
monomaniaque » (« single-minded process ») (LAVIE, 1998 : 100).

Michel Jouvet et le rêve comme troisième état du cerveau

Michel Jouvet, neurobiologiste français, et d'autres chercheurs ont montré


que chez les rats et les souris certaines fonctions que l’on croyait héréditaires
ne le sont pas. Si l’on met le souriceau dans une nouvelle famille, il se
comportera comme celle-ci. M. Jouvet en déduit que ces adaptations doivent
se faire pendant le sommeil paradoxal et que celui-ci sert donc à la
programmation de l’individuation, c’est-à-dire la différenciation des individus
(JOUVET, 1992 : 79). En outre, le moi conscient n’est actif que pendant
l’éveil (attention volontaire, prendre une décision, etc.). Ce moi ne contrôle
plus le cerveau pendant le sommeil. Celui qui regarde les images des rêves
38
Le tracé électroencéphalographique n'est pas une preuve que le sujet rêve, mais le reflet d'un
état physiologique du cerveau différent de celui de l'éveil ou du sommeil profond.

238
Sémiologie et herméneutique 239

n’est pas le moi conscient, mais d’après lui : « C’est ton soi, ou ton
inconscient, qui te rêve en dehors de ta volonté » (JOUVET, 1992 : 89-90)
(HOBSON, 1988). Pour ce neurobiologiste, le rêve n'est ni du sommeil, ni de
l'éveil, mais un troisième état du cerveau aussi différent du sommeil que celui-
ci hors de l'éveil (JOUVET, 1992 : 15).
Michel Jouvet a consacré sa vie à l'étude des mécanismes et de la
conscience oniriques. Il a découvert et caractérisé ce qu'il a appelé le sommeil
paradoxal, troisième état de fonctionnement du cerveau. Pour lui, la mémoire
génétique de chaque individu semble s’exprimer au cours du rêve (JOUVET,
1992 : 58). Si le rêve apparaît être une programmation du cerveau soumis à un
contrôle génétique, ne serait-il pas responsable, chez l’animal, des variations
interindividuelles des comportements instinctifs et chez l’homme, de cette
part innée ou héréditaire de notre personnalité ? Celle qui ne se laisse pas, ou
peu, influencer par le milieu, la culture ou l’apprentissage, l’ « hérédité
psychologique ». Des exemples spectaculaires de cette hérédité psychologique
ont été publiés récemment par Bouchard à l’Université du Colorado, à la suite
d’études des profils psychologiques de paires de vrais jumeaux ayant été
séparés dès la naissance et élevés dans des milieux différents. (JOUVET,
1992 : 58)

« Gardien et programmateur périodique de la part héréditaire de notre personnalité, il est


possible que chez l’homme le rêve joue également un rôle prométhéen moins conservateur.
En effet, grâce aux extraordinaires possibilités de liaisons qui s’effectuent dans le cerveau
au moment où les circuits de base de notre personnalité sont programmés, pourrait alors
s’installer un jeu combinatoire varié à l’infini — utilisant les événements acquis — et
donnant naissance aux inventions des rêves, ou préparant de nouvelles structures de
pensée qui permettront d’appréhender de nouveaux problèmes. On conçoit alors
l’importance des cent minutes de rêve qui surviennent périodiquement chaque nuit, lorsque
notre température centrale est la plus basse. Ces cent minutes de rêve, dont nous ne
pouvons ni déclencher le début, ni contrôler le contenu, jouent certainement un rôle capital
dans les premières années de notre vie. Elles continuent à programmer itérativement sans
doute les réactions les plus subtiles de notre “conscience” éveillée. L’intuition géniale d’un
poète l’avait déjà perçu : “Je est un autre.” » (JOUVET, 1992 : 60)

Lors de ces travaux consacrés à la neurologie des états de vigilance,


Michel Jouvet remarque qu'il existe une corrélation étroite entre les
fluctuations énergétiques du cerveau et l’apparition des rêves (JOUVET,
1992 : 142). Il partage, entre autres, les idées de Lichtenberg (1742-1794).
Celui-ci, fasciné par ses propres rêves, avait conçu l’idée que les rêves
pourraient être « des réminiscences d’états antérieurs au développement de la
conscience individuelle » (JOUVET, 1992, 143). Il demeure néanmoins
prudent et constate que l'état actuel des connaissances ne permet pas de
comprendre entièrement le mystère des fonctions de l'activité onirique. Suite
aux travaux de MacCarley et Hobson (1977) et du docteur Trabach-Valadier
(1988), il relève les affirmations physiologiques erronées qui ont servi de base
à la théorie psychanalytique de Freud et à son modèle des rêves :

239
240 Du signe au symbole

Point de vue de Freud Conception neurophysiologique


actuelle
Les neurones servent de stockage de Les neurones sont des cellules spécialisées
l’énergie. qui transmettent l’information.
Les neurones sont comme des conduits pour Les neurones sont des récepteurs sensoriels.
la transmission de l’énergie de l’extérieur Ils agissent comme transformateurs
vers le cerveau. d’énergie. Ils transforment l’énergie sous la
forme d’un codage électrique. Le signal
indique la présence d’énergie, mais ne
conduit pas l’énergie elle-même dans le
système nerveux central.
Les neurones sont comme des récepteurs Les neurones sont spontanément actifs. Ils
passifs et des donneurs d’énergie. Freud sont leur propre source d’énergie
place ainsi la cause des rêves à l’extérieur métabolique et ils forment leur propre
du cerveau. Les rêves trouvent leur origine réseau autorégulateur.
dans des excitations somatiques ou
provenant du milieu extérieur.
Les neurones sont des éléments Les neurones peuvent être des éléments
exclusivement excitateurs. Freud conçoit inhibiteurs. La neurophysiologie souligne la
dès lors l’hypothèse d’impulsions ou de possibilité d’annulation de l’excitation par
désirs déviés (c’est-à-dire de « désirs inhibition (à travers l’ouverture des canaux
refoulés ») comme exerçant ioniques qui hyperbolisent la membrane).
continuellement une pression vers la
décharge et surgissant souvent dans les
rêves. Il suppose également qu’une charge
dans un neurone postsynaptique attirerait Qn
(quantité nerveuse) vers lui et pourrait ainsi
dévier le flux d’énergie de la voie normale. Il
parlait de cette déviation en terme
d’« inhibition ». La principale conséquence
du concept freudien d’« investissements
latéraux » est que l’énergie nerveuse peut
seulement être déviée, et non annulée, ce qui
augmente la vulnérabilité de son modèle du
système nerveux à cause d’un surplus
d’énergie.
(JOUVET, 1992 : 145-156)

En résumé, Freud croyait que le rêve fonctionnait comme un gardien du


sommeil en empêchant l'intrusion de désirs non déguisés et inacceptables dans
le système conscient, avec l'éveil consécutif. Il se concentrait sur le langage
symbolique employé et centrait son pouvoir d'interprétation sur le fait de
dénouer la signification psychique des symboles et des matériaux thématiques
du rêve. Il attachait peu d'attention à certaines formes sensorielles,
temporelles et d'intensité du rêve. Il notait que l'intensité psychique ou
subjective de l'image du rêve reflétait l'intensité sous-jacente du désir et le
nombre d'excitations condensées dans un unique symbole ou désir. Freud

240
Sémiologie et herméneutique 241

affirmait que nous oublions nos rêves du fait de la censure psychique. Il


voyait dans l'oubli des rêves la genèse de la satisfaction déguisée des désirs.
Cent ans après, il serait injuste de faire le procès de Freud à la lumière de la
neurophysiologie actuelle. Certes, il n'y a aucun support expérimental en
faveur de la théorie de Freud concernant la genèse du sommeil paradoxal. Les
investigations modernes soulignent au contraire l'existence d'une activité
autonome, périodique, des neurones du « pacemaker » pontique responsable
du sommeil paradoxal. Cette partie de la théorie de Freud doit être
abandonnée à cause de l'absence d'activité autonome et de l'absence de
régulation et d'énergie endogène du cerveau. Cela ne signifie pas que le
matériel du résidu diurne ou des thèmes importants n'entrent pas dans le
contenu du rêve. Ils le font, mais aucun d'entre eux n'est un facteur causal
dans le processus onirique. Il n'est pas nécessaire de postuler l'existence de la
répression de Qn ou des désirs pour provoquer l'état de sommeil paradoxal.
L'énergie est déjà dans le cerveau. Le concept de régression, dans le sens de
flux inversé d'énergie neurale, n'est ni nécessaire ni pertinent. Les neurones
pontiques exécutifs fonctionnent dans la même direction qu'ils le font durant
l'éveil. Ils deviennent seulement quarante fois plus actifs lors du sommeil
paradoxal. Il y a aussi de sérieuses difficultés à considérer dans la théorie de
Freud que la force agissante primaire et le complot du rêve sont le
déguisement d'un désir réprimé. La force agissante au cours du sommeil
paradoxal est une activation biologique des cellules du pont et non pas un
désir réprimé. Il n'y a aucune preuve que ces mécanismes cellulaires soient
provoqués par la faim, le sexe ou un autre instinct, ou par des désirs réprimés
pour la réalisation de conduites instinctives. Ainsi, la motivation primaire du
rêve et du processus onirique ne peut être déguisée puisque la force première
des rêves n'est ni un instinct ni un désir réprimé en besoin de déguisement.
(JOUVET, 1992 : 154-156) (McCARLEY & HOBSON, 1977 : 1211-1221).

Antonio Damasio et l'erreur de Descartes

Aujourd'hui, nous disposons de données de plus en plus précises sur le


fonctionnement du cerveau grâce aux nouvelles techniques de radiologie :
scanneurs et caméras à positrons. Nous pouvons mesurer l'intensité des
activités des diverses parties cérébrales selon le type d'actions effectuées par
le sujet. Les fonctions vitales sont assurées par le bulbe rachidien ; la
régulation thermique, la faim, la soif et la régulation sexuelle sont
commandées par l'hypothalamus ; la stabilité est l'apanage des voies
vestibulaires ; le rôle directionnel est assuré par le cervelet ; l'apprentissage,
l'humeur, la mémoire sont assumés par le cerveau limbique ; la vigilance, le
sommeil et les rêves sont gouvernés par le tronc cérébral (mésencéphale) ; le

241
242 Du signe au symbole

cortex cérébral est le siège de la décision, du jugement, du raisonnement ; le


tout fonctionne grâce aux informations recueillies par nos cinq sens.
Les hémisphères cérébraux communiquent par le biais du corps calleux.
Au sein de chaque hémisphère, des faisceaux de fibres nerveuses relient les
différentes aires corticales entre elles permettant le transfert des informations
d'une zone à l'autre sous forme de messages nerveux de nature
électrochimique. Des expériences sur les activités mentales et les recherches
menées sur des sujets présentant des liaisons au cerveau ont permis de
constater que chaque hémisphère fonctionnait selon un mode différent.

« Sur un matériel donné, l'hémisphère gauche opérerait un traitement de type “analytique-


successif”, consistant à décomposer l’information en ses éléments constitutifs et à analyser
successivement les relations existant entre ces éléments, tandis que l’hémisphère droit
traiterait l’information en la saisissant dans sa globalité, sans décomposition préalable,
selon un mode qualifié de “globaliste-simultané” ou d’“holistique”. » (JUAN DE
MENDOZA, s.d.)

Ainsi, l'hémisphère gauche du cerveau s'occupe du rationnel et de la


logique analytique. Il comprend et analyse les mots lorsque nous parlons. Il
s'intéresse davantage au digital. Par contre, l'hémisphère droit prédomine dans
le domaine du visuel et de l'appréhension de l'espace. Il est sensible au ton et à
la modulation de la voix, aux expressions du visage. Cet hémisphère s'occupe
du traitement global de l'information. Il s'intéresse davantage à l'analogique.
Bref, l'hémisphère gauche est verbal et calculateur, tandis que l'hémisphère
droit est intuitif et synthétique. Bien évidemment, les deux hémisphères
fonctionnent en même temps. Néanmoins, il semble, d'après Sally et Bennett
Shaywitz, neurobiologistes à l'université de Yale, que le cerveau de la femme
se distingue de celui de l'homme par une répartition plus symétrique des
fonctions cognitives. La spécialisation des hémisphères semble moins poussée
chez la femme que chez l'homme. Elle reconnaît le langage par un
fonctionnement des deux hémisphères tandis que l'homme utilise plus
exclusivement l'hémisphère gauche. De même pour les fonctions
visuospatiales qui restent confinées presque exclusivement à l'hémisphère
droit chez l'homme. Jean-Luc Juan de Mendoza estime que les hommes sont
en général plus performants dans les activités de perception de l'espace et
d'utilisation des informations visuospatiales, tandis que les femmes réussissent
mieux les tâches faisant appel au langage et à la mémoire. Ruben Gur, de
l'université de Pennsylvanie, a montré qu'à l'état de repos les cerveaux
masculins et féminins sont indiscernables, sauf pour une structure, le système
limbique, qui gère les émotions. Chez l'homme, c'est la partie la plus primitive
du système limbique, le cerveau reptilien, qui montre la plus intense activité.
La femme fait travailler davantage son gyrus cingulaire, une région plus
évoluée apparue avec les mammifères. Or, le cerveau reptilien est la région du
système limbique la plus impliquée dans l'action, tandis que le gyrus
cingulaire se rattache davantage au mode symbolique. Ainsi, hommes et

242
Sémiologie et herméneutique 243

femmes ne gèrent pas leurs émotions de la même façon. Sous le coup de la


colère, l'homme a tendance à répondre sur un mode actif par des gestes
violents et la femme réagit plus volontiers sur le mode symbolique en
demandant des explications (GUR, 27 janvier 1995). Notons cependant que
les différences observées par Bennett et Sally Shaywitz, Ruben Gur ou
Richard Haier concernent des adultes déjà façonnés par les interactions
familiales, les relations sociales et la culture. Or le cerveau est un organe
extraordinairement plastique, qui porte la trace de notre histoire individuelle
depuis la gestation.
Dans L'erreur de Descartes, le Pr Antonio Damasio, de l'université d'Iowa,
explique que la raison n'existe pas à l'état pur ainsi que le proclame Descartes,
mais que les émotions interfèrent sur nos mécanismes de raisonnement et
provoquent des réactions somatiques initiées par le cerveau. L'opposition
entre raison et sentiments n'a pas d'existence biologique. Même si nous avons
pu localiser des centres plus spécialisés, notre cerveau fonctionne comme un
tout. Notre pensée est constituée des masses d'informations fabriquées par le
cerveau qui les trouve dans les différentes régions cérébrales, les reconstruit
en utilisant des « codes de reconstruction » qui permettent de l'appréhender.
Ainsi, des formes, des catégories d'objets visuels, auditifs, tactiles ou autres
sont reconstituées en fonction des sens dans une zone de convergence. À
chaque instant, les sensations transmises par nos sens activent des millions de
cellules dans les différentes zones cérébrales. Chaque neurone reçoit, par
l'intermédiaire de centaines de synapses, des informations en provenance des
neurones en amont. La synthèse se réalise par le biais de ce mécanisme de
reconstruction qui opère en des temps différents selon les groupes de cellules
et d'informations réglés comme un trafic urbain par des signaux lumineux...

La remémoration des rêves

En 1991, le psychologue cognitiviste David Foulkes se rend compte que


tout le monde n’entend pas la même chose si on lui demande au réveil « avez-
vous rêvé ? » Il y a par exemple des gens qui, s’ils ont rêvé d’un fait
quotidien, ne considèrent pas cela comme un rêve et répondront donc par la
négative à la question. La question a donc été reformulée de manière plus
neutre « quelque chose vous a-t-il traversé l’esprit avant votre réveil ? » En
analysant les récits obtenus dans les laboratoires de sommeil, il devint alors
évident que les rêves des stades de sommeil autres que le sommeil paradoxal
étaient plus fragmentés, plus proches d’une simple pensée. « J’ai pensé à mon
examen de math. » Tandis que le même thème pendant le sommeil paradoxal
est plus développé avec une intrigue ou des détails (LAVIE, 1998 : 90). Par la
reformulation, Foulkes peut montrer que la fréquence de récits de rêves de
sujets réveillés pendant un sommeil lent profond peut atteindre plus de 70 %.
Tous les stades du sommeil sont donc propices à la production de rêves.

243
244 Du signe au symbole

Toutefois, la faculté de mémorisation est supérieure lorsque le sujet est


réveillé en période de sommeil paradoxal, ce qui permet d'ailleurs d'obtenir
des récits de rêve auprès de presque toutes les personnes (soit 80 %), y
compris celles qui prétendent ne jamais rêver, et ces rêves sont les plus vifs et
les plus riches en images. En revanche, la remémoration est très difficile après
un réveil en sommeil lent. Dans tous les cas, le rêve qui survient le plus
aisément à la conscience est celui qui précède immédiatement le réveil.

L’oubli des rêves

Dans son laboratoire du sommeil à Haïfa en Israël, Peretz Lavie a étudié la


quantité de rêves dont se souvenaient un groupe de survivants de la Shoah qui
s’étaient bien adaptés à la vie après leur libération, un groupe de survivants
qui avaient toujours des problèmes et des cauchemars et un groupe
d’Israéliens nés en Israël. Les dormeurs étaient toujours réveillés lorsque les
enregistrements électriques montraient une période de sommeil paradoxal, si
le troisième groupe avait un nombre de rêves proche de la moyenne de 78 %,
ce nombre baissait à 55 % pour le deuxième groupe et n’était plus que de
33 % pour les personnes s’étant bien réadaptées à la vie quotidienne. La seule
différence concernant le sommeil des différents groupes était sa profondeur.
Les personnes ayant subi un traumatisme avaient un sommeil plus profond
que les personnes en bonne santé (LAVIE, 1998 : 103-107).

Critiques

Les chercheurs en neurosciences qui étudient le rêve divergent quant aux


fonctions ou à l'absence de fonction des rêves. Le thérapeute
comportementaliste Jacques Montangero constate : « Aujourd'hui encore
certains neurobiologistes admettent avec difficulté l'existence de ces faits
[c’est à dire la présence de rêves en sommeil lent], car en décrivant ce qui se
passe au niveau du cerveau pendant le sommeil paradoxal, ils aimeraient
convaincre qu'ils décrivent les bases biologiques du rêve »
(MONTANGERO, 2007 : 66).

244
Sémiologie et herméneutique 245

Tobie Nathan, un essai de synthèse des multiples


démarches
Essai de typologie des rêves

Pour Tobie Nathan, la distinction proposée par les auteurs de l’Antiquité et


du haut Moyen Âge semble acceptable, y compris au regard des données des
neurosciences modernes. (NATHAN, 2011 : 27) En se basant sur les
multiples distinctions proposées par ces différents auteurs, il aboutit à trois
catégories de rêves :

1. Ainsi, Tobie Nathan nomme effervescences les premiers qui ne sont que
surgissement d’affects retenus. Ces rêves « effervescences » pourraient
être assimilés aux rêves d’endormissement, que les chercheurs désignent
comme « images hypnagogiques ». Ces rêves se doublent souvent de
décharges motrices, de sursauts du corps, de pied qui glisse dans le vide,
car la conscience perd effectivement pied, s’évanouit.

2. Il appelle vecteurs les seconds « donnés » par d’invisibles non humains,


car ces « visions des songes » d’Artémidore véhiculent des informations et
des messages. « De tels songes, connus de tout lecteur de textes de
l’Antiquité, du Moyen Âge ou des témoignages anthropologiques, laissent
entendre que le rêve serait une place publique d’un certain type, un espace
collectif au coeur de la personne, susceptible d’être investi par des
“autres”. » (NATHAN, 2011 : 26-27) Ces rêves véritables, ces « visions du
songe » surviennent durant le sommeil paradoxal, et constituent l’espace
où les humains peuvent faire l’expérience de l’étrangeté radicale.

3. Il appelle signaux les terreurs nocturnes ou cauchemars véritables


susceptibles d’être interprétés en tant que « signal » par rapport à un
quelconque danger. (NATHAN, 2011 : 33) Notons à ce propos que Tobie
Nathan rejoint sans le savoir les propos du psychiatre suisse Carl Gustav
Jung (1987 : 219-223 + 298) qui reprenait déjà dans les fonctions
réductrice, compensatrice et anticipatrice du rêve les deux catégories
d’Artémidore et les trois catégories évoquées par Ibn Sîrîn :

1. La fonction compensatrice du rêve envisage l’inconscient dans sa


dépendance du conscient, auquel il adjoint cet ensemble d’éléments, qui
a l’état de veille, n’ont pas atteint le seuil, pour des causes de
refoulement, ou simplement parce qu’ils ne possédaient pas l’énergie
nécessaire pour parvenir d’eux-mêmes jusqu’au conscient. Cette
compensation représente une autorégulation fort appropriée de
l’organisme psychique (cf. cause ou coïncidence, chez Aristote,

245
246 Du signe au symbole

enupnion d’Artémidore, rêves de commodité d’Ibn Sîrîn,


effervescences de Tobie Nathan, images hypnagogiques issues des
rêves d’endormissement pour les neurosciences).
2. La fonction réductrice du rêve rappelle à un individu la vanité du néant
humain et le ramène à son conditionnement physiologique, historique et
phylogénétique. Cette forme de compensation représente une
autorégulation fort appropriée de l’organisme physiologique. Elle
actualise des matériaux qui sont composés essentiellement de :
 désirs sexuels infantiles refoulés (Freud) ;
 de volonté de puissance infantile (Adler) ;
 et d’un reliquat d’instincts, de pensées et de sentiments archaïques et
collectifs (cf. peut-être ou parfois les rêves diaboliques d’Ibn Sîrîn,
les signaux de Tobie Nathan, les rêves anxiogènes et terreurs
nocturnes survenant durant le sommeil lent profond pour les
neurosciences).
3. La fonction prospective ou créatrice se présente sous la forme d’une
anticipation, surgissant de l’inconscient, de l’activité consciente future ;
elle évoque une ébauche préparatoire, une esquisse à grandes lignes, un
projet de plan exécutoire. Son contenu symbolique renferme, à
l’occasion, la solution d’un conflit (cf. signes chez Aristote, oneiros
d’Artemidore, rêves donnés par Dieu d’Ibn Sîrîn, vecteurs de Tobie
Nathan, rêves et cauchemars issus du sommeil paradoxal pour les
neurosciences).

Synthèse des interprétations

Par ailleurs, Tobie Nathan constate que la fonction de l’interprète se


cantonne très rarement au seul rêve. Ainsi, le psychanalyste ne se fixe pas
pour but l’interprétation des rêves. Il s’assigne aussi la tâche de conduire la
psychanalyse. Le thérapeute traditionnel, qui délivre une interprétation, est lui
aussi guidé par sa fonction de thérapeute. Leur mission principale est de
guider le rêveur dans la voie de la divinité. (NATHAN, 2011 : 21) Tout
interprète instrumentalise le rêve. C’est pourquoi le problème du rêve, c’est
son interprétation. (NATHAN, 2011 : 21)
Les seuls professionnels qui s’intéressent au rêve sui generis, pour lui-
même, sont les spécialistes des neurosciences. Cependant, les cognitivistes
commencent à remarquer de singulières cohérences dans les récits des rêves.
(NATHAN, 2011 : 21-22)
Formulée, suggérée ou tue, l’interprétation reste le complément obligatoire
du rêve. Les interprétations susceptibles d’être délivrées au rêveur sont
multiples, relevant de cadres de référence différents selon l’identité, la culture
d’origine, la langue et la formation de l’interprète. Ces cadres de référence
présupposent tous que le rêve n’est pas un assemblage aléatoire d’images et
de mots (NATHAN, 2011 : 17).

246
Sémiologie et herméneutique 247

Toutes les interprétations du rêve, y compris psychanalytiques,


« impliquent que le rêve est un dialogue avec un partenaire d’une nature
radicalement différente de celle du rêveur. » (NATHAN, 2011 : 17)
De fait, les neurophysiologistes ont établi que le rêve survient lorsque le
dormeur se retrouve coupé de tout accès au monde : sens et motricité
déconnectés, il ne peut alors ni percevoir ni agir sur lui. Et le rêve survient du
seul fait du « cérébral » — non pas des stimulations externes, et certainement
pas de la volonté du sujet, consciente ou inconsciente, puisqu’il est le résultat
d’une activité instinctuelle et automatique. Lorsqu’il survient, ce « cérébral »
établit des échanges (des échanges dont la neurophysiologie moderne parvient
même à filmer les traces) avec une partie de lui-même – partie dont les
neurophysiologistes s’accordent généralement à décrire comme instinctuelle.
On pourrait dire que le rêve contraint le dormeur à établir une relation avec
sa « nature » instinctuelle propre. Voilà donc, d’après certains
neurophysiologistes, l’interlocuteur avec lequel le rêve se connecte, en un
mot : son noyau biologique. (NATHAN, 2011 : 18) Là aussi, Tobie Nathan
rejoint Carl Gustav Jung. Ce noyau biologique peut être mis en parallèle avec
l’archétype qui est une « constante naturelle de la psyché humaine » (von
FRANZ, 1999 : 28), « un complexe inné, un centre chargé d’énergie »
(JUNG, 1987 : 308).

« Si l’on réveille des dormeurs chaque fois qu’ils entrent dans une phase R.E.M., ils
présenteront de graves symptômes physiques et psychiques. Nous savons donc que les rêves
ont une fonction biologique et psychologique de restauration. Ils nous influencent
positivement, même lorsque nous ne les comprenons pas. Ce que nous faisons, en tant
qu’interprètes de rêves, est simplement de renforcer la fonction curative du rêve en lui
procurant, en quelque sorte, une caisse de résonance de façon que sa qualité de
restauration soit plus forte que si on le laisse à lui-même. » (von FRANZ, 1999 : 33)

À la lumière des mythes et des contes de fées, Marie-Louise von Franz


dira que l’inconscient participe des deux fonctions du rêve : suivant les cas, il
se comporte de la première façon (compensatrice) ou de la seconde (créatrice)
(von FRANZ, 1999 : 40)

Typologie des rêves selon leur forme et leur contenu

On utilise souvent une typologie des rêves pour les distinguer suivant leurs
formes et contenus :

 Le rêve d'actualité semble se calquer sur la réalité (par exemple le futur


marié qui rêve de son mariage),
 le rêve concomitant coïncide à l'environnement au moment du rêve (un
bruit rêvé qui coïncide à un bruit extérieur),
 les rêves récurrents sont des rêves plus ou moins similaires qui
apparaissent plus ou moins fréquemment.

247
248 Du signe au symbole

Le cauchemar ou terreur nocturne

« Il existe […] une catégorie de rêves manifestement différente des autres : les cauchemars.
Les neurophysiologistes distinguent les cauchemars survenant durant le sommeil
paradoxal, qui seraient des rêves vrais par conséquent, de ceux survenant durant le
sommeil lent profond, caractérisés par leur forte charge anxieuse pouvant aller jusqu’aux
terreurs nocturnes (pavor nocturnus). C’est à cette dernière catégorie que les anciens
pensaient sans doute lorsqu’ils décrivaient le cauchemar proprement dit. De tels
cauchemars, “terreurs nocturnes” donc pour les modernes, se distinguent des rêves par le
fait que leur tonalité émotionnelle est immédiatement compréhensible. » (NATHAN, 2011 :
29-30)

Le cauchemar est un rêve à forte charge anxieuse qui survient pendant le


sommeil paradoxal et qui se différencie des terreurs nocturnes qui surviennent
pendant le sommeil lent profond.
Dans l’antiquité, le cauchemar est le rêve de la trahison. Lorsqu’il se fait
corps, le cauchemar est une sensation intolérable de poids sur la poitrine.
L’étymologie du mot français renvoie à « être » ou « fantôme » (mare)
« pressant sur la poitrine », « oppressant » (cauche).
La sphinge est chez les Grecs de l’Antiquité un être composite, buste de
femme, corps de lionne, ailes de rapace et queue de serpent. Elle descend sur
l’homme endormi et se pose sur sa poitrine, le maintenant immobile de ses
pattes griffues. D’où la paralysie du rêveur – maintenu par les pattes de
l’hybride. Elle lui brandit ses seins proéminents jusqu’à l’étouffer. Elle est
cauchemar depuis son nom, substantif du verbe sphyngein, qui signifie
« étrangler » (et qui a donné notre mot « sphincter »). En grec, le mot sphinx
est l’équivalent du mot « angoisse » en français, c’est-à-dire resserrement,
constriction. La sphinge est cette sensation de gorge serrée qui perdure
pendant longtemps après qu’on est sorti des images du cauchemar. Elle est ces
courbatures au réveil, comme si l’on avait subi des violences physiques en
rêve. Elle est cette érection qui surprend le rêveur, car, malgré tout, elle est
rêve. (NATHAN, 2011 : 34-35)
Deux manifestations physiques spécifiques accompagnent le processus du
rêve : l’érection du pénis chez l’homme, du clitoris chez la femme, et le
mouvement des yeux (cf. la psychophysiologie). À ce propos, la tradition
arabe possède trois mots courants :

 Manâm qui désigne le rêve de la manière la plus neutre, littéralement «


ce qui survient durant le sommeil (nôme = « sommeil ), équivalent du
grec enupnion ;
 Hulm, mot le plus usité dans la langue courante, qui dérive d’une racine
trilitère (H-L-M), qui signifie « croître », « gonfler » (en hébreu, cette
même racine signifie « donner de la force ») ;

248
Sémiologie et herméneutique 249

 Ru’yâ, plus savant et poétique, qui signifie sans ambiguïté la « vision ».

Dans le monde arabe, un être spécifie le cauchemar à la manière de la


sphinge ou de la cavale de l’Antiquité grecque. On l’appelle Aboughtass,
« celui de l’étouffement ». Sorte de djinn, Aboughtass assaille le dormeur en
sa nuit, paralyse ses membres, s’assoit sur sa poitrine et l’étouffe. Dans les
pays du Maghreb, la culture populaire attribue l’intervention de cette
incarnation du cauchemar à une faute grave commise par le dormeur. Quant à
la neurologie, elle a parfois interprété ce type de symptôme comme les signes
d’une « apnée du sommeil.
Pour Tobie Nathan, le cauchemar agit à la manière d’un signal archaïque
prévenant d’un danger vital. Lorsque les mammifères, y compris l’être
humain, perçoivent l’imminence d’un tel danger, le cri, la panique et la fuite
constituent les réponses automatiques, sans doute instinctives (NATHAN,
2011 : 30). Cinq remarques :

1. Le cauchemar permet de percevoir les yeux fermés un aspect du monde


à l’importance vitale pour le sujet ;
2. Le cauchemar est fonctionnel ;
3. Tout rêve procède à la transmutation de l’univers du rêveur ;
4. Rien n’est plus proche d’une perception réelle que la vision de la
terreur nocturne ;
5. La terreur nocturne est tournée vers l’avenir. (NATHAN, 2011 : 31-32)

Construction du rêve déduite de “la terreur nocturne”

« L’un des mécanismes de la “terreur nocturne” est l’assemblage d’éléments discrets…


jusqu’à constituer une image – une vision –, qui, par la suite, transmettra la panique
jusqu’à éveiller le dormeur. Caractéristique primordiale de la terreur nocturne, sa
capacité à construire une vision permet de comprendre le fonctionnement habituel des
rêves, y compris ceux qui ne sont pas des cauchemars. » (NATHAN, 2011 : 32)

Certaines affections mentales, telle la dépression, sont susceptibles d’être


diagnostiquées par la tonalité particulière du rêve du patient qui est alors une
simple copie de la réalité. Il manque à ces rêves le changement d’univers,
marque de fabrique du rêve fonctionnel. Car un rêve change la couleur du
monde. Pour modifier l’univers, le rêve agit par fragmentation d’abord,
réduisant les images stockées dans la mémoire à leurs éléments puis par une
nouvelle combinaison des particules dissociées. Il partage avec le cauchemar
la capacité de fabriquer un nouvel assemblage, de proposer une combinaison
nouvelle qui tentera au réveil un accrochage avec la réalité du monde du
rêveur. (NATHAN, 2011 : 32) C’est du fait de ces deux dernières
caractéristiques, sa réalité et sa capacité prédictive, que Tobie Nathan intègre
le cauchemar véritable dans les catégories des rêves susceptibles d’être

249
250 Du signe au symbole

interprétées en tant que “signal”. Ainsi, selon lui, il nous faut distinguer non
pas deux, mais trois types de rêves : les effervescences, les vecteurs et les
signaux. (NATHAN, 2011 : 33) Notons que s’il distingue les vecteurs et les
signaux, Tobie Nathan ne retient pas la distinction faite par les neurosciences
entre les cauchemars survenant durant le sommeil paradoxal et ceux survenant
durant le sommeil lent profond. Il mélange les deux ! De ce mélange, il
dégage plusieurs conclusions :

1. Le cauchemar est aussi un rêve. Il est plus facile à décoder, mais est
susceptible d’interprétation (il s’agit ici du cauchemar issu du sommeil
paradoxal => vecteur).
2. Le cauchemar, tout comme le rêve, est un lieu de rencontre où l’humain
peut croiser des démons (non humains) qui le recherchent comme une
proie (il s’agit ici du cauchemar issu du sommeil paradoxal lié à l’apnée
du sommeil => vecteur).
3. Le cauchemar est l’espace où l’humain est confronté aux stratégies
cachées des autres humains – ces stratégies que la vie sociale et les
bonnes manières l’ont empêché d’apercevoir durant la veille (il s’agit
ici du cauchemar issu du sommeil lent profond => signal).
4. Le cauchemar est utile au rêveur puisqu’il lui adresse un signal
l’avertissant des dangers qu’il aura à affronter à son éveil (il s’agit ici
du cauchemar issu du sommeil lent profond => signal).

Dans les faits, il y a confusion des deux types de cauchemar (“terreurs


nocturnes” et “apnées du sommeil”) et des deux notions (vecteur et signal).
En fait, les signaux (fonction créatrice de Jung) sont issus du sommeil lent
profond et les vecteurs (fonction compensatrice de Jung) sont issus du
sommeil paradoxal. Chez Jung, les choses ne sont pas plus claires. L’ombre
participe de l’inconscient personnel, mais le mal (les archétypes négatifs de
l’Anima/Animus et du Soi) participe de l’inconscient collectif. C’est en
fonction de la cause et de la finalité du rêve que nous pouvons dire si le rêve
exerce une fonction compensatrice ou créatrice. D’où, l’importance de
l’interprétation. Les phases du sommeil ne nous éclairent guère en ce
domaine…
Le cauchemar a toujours posé problème aux psychanalystes par le fait qu’il
contredisait la théorie psychanalytique du rêve selon laquelle le rêve est
l’expression d’un désir refoulé qui devrait procurer apaisement ou même
plaisir. Pourquoi dès lors aboutir à cette quintessence de l’angoisse et de
l’oppression qu’est le cauchemar ? (NATHAN, 2011 : 39)
Durant les cauchemars post-traumatiques, la personne revit la scène
traumatique, avec peu de déformations, et finit toujours par se réveiller
terrorisée. Par la suite, la personne éprouve de plus en plus de difficulté à
entrer dans le sommeil, de peur d’être confrontée à ces mêmes images. Ce
type de cauchemar offre un accès à la compréhension des mécanismes

250
Sémiologie et herméneutique 251

généraux du rêve. On peut identifier sa cause avec précision (le traumatisme


vécu par le sujet), dater le moment de sa survenue et enregistrer les progrès
accomplis à partir du témoignage du rêveur. (NATHAN, 2011 : 40)
Durant la Seconde Guerre mondiale, les psychiatres militaires américains
ont favorisé la multiplication de ses rêves en administrant des substances
psychotropes (des barbituriques comme le penthotal), et ils ont noté souvent la
survenue d’un rêve résolutoire qu’ils ont appelé “rêve de bonne
fin” (NATHAN, 2011 : 41). La série des cauchemars aboutissant à ces rêves
de bonne fin vient confirmer :

 qu’un rêve se livre à la déconstruction des images provenant de la


réalité ;
 qu’il répète sans cesse la même procédure de déconstruction jusqu’à
parvenir à une nouvelle scène ;
 que, lorsqu’il y parvient, l’effet bénéfique du cauchemar est
parfaitement perceptible puisqu’il augure une radicale modification de
la situation traumatique.

À long terme, le cauchemar peut se révéler thérapeutique par rapport à


l’évènement traumatique (NATHAN, 2011 : 42). En outre, si les cauchemars
post-traumatiques nous éclairent sur le mécanisme du rêve, les autres
cauchemars nous indiquent ce qu’il convient de faire en général d’un rêve. Le
cauchemar est un signal adressé au rêveur, mais aussi à son entourage
immédiat, le prévenant qu’au réveil il se trouvera plongé dans une situation
comportant un danger grave pour sa survie, sa vie privée, sa carrière, sa
famille. (NATHAN, 2011 : 42)

« Le cauchemar n’est pas une erreur née de la frayeur, il est la perception du fragment
caché de l’agression. » (NATHAN, 2011 : 44)

Ainsi, Charlotte Beradt a recueilli entre 1933 et 1939 en Allemagne, dans


les premières années du régime nazi, les rêves d’hommes et de femmes
ordinaires qui subissaient l’oppression à ses débuts. On s’étonne à la lecture
de ces rêves de la véritable prescience que manifestaient ces hommes et ces
femmes pourtant ordinaires. C’est bien que le rêve s’élance dans les
hypothèses à partir de la fragmentation du perçu, jusqu’à prédire les atrocités
que le régime n’a pas encore imaginées (NATHAN, 2011 : 44). À ce propos,
voir aussi les rêves prémonitoires de Jung avant et durant la Première Guerre
mondiale (JUNG, 1973 : 204).

Le rêve créatif

Il s'agit d'un rêve duquel le sujet tire une nouveauté : idée d'une œuvre
artistique, invention d'un nouveau concept ou réponse à un questionnement.

251
252 Du signe au symbole

L'induction des rêves créatifs rappelle le procédé d'incubation de l'antiquité,


mais dans le but d'une création artistique ou de la résolution d'un problème
plutôt que dans celui de la guérison. De nombreux créateurs ont trouvé
l'inspiration en rêve par hasard. Mais il est possible de la provoquer
volontairement. L'induction des rêves créatifs se fait selon un processus
similaire au processus créatif en général, comme décrit par Don Fabun (1970).
Ce processus se développe grâce à une motivation suffisante, une préparation
adéquate et une manipulation intensive. Une forte implication affective est
nécessaire. Les étapes d'incubation, de pressentiment de la solution et
d'illumination peuvent alors survenir dans le rêve, ou juste après l'éveil
(GARFIELD). L'étape de vérification permet d'évaluer si la solution est
correcte. De nombreux écrivains ou scientifiques se sont inspirés de rêves
créatifs : Howard Phillips Lovecraft s'inspira très souvent de ses rêves afin de
rédiger ses nouvelles (l'exemple le plus frappant est la nouvelle intitulée La
Tombe, qui est une retranscription quasi exacte d'un rêve), l'œuvre Kubla
Khan de Samuel Taylor Coleridge a été entièrement élaborée en rêve, William
Blake a mis en œuvre un procédé de gravure sur cuivre que lui indiqua en
rêve son frère cadet décédé, la Sonate des trilles du Diable composée par
Giuseppe Tartini fut, d'après lui, une reproduction moins réussie que celle
entendue en rêve, et enfin Friedrich Kekulé von Stradonitz rêva la structure
cyclique du benzène et révolutionna la chimie moderne.

Le rêve lucide

Dans le rêve lucide, il y a comme une irruption de la conscience éveillée


dans le déroulement du processus onirique habituel. Le rêveur sait que le
monde qui l'entoure n'est qu'une construction de son esprit et peut ainsi
analyser et réagir de façon plus ou moins rationnelle selon son degré de
« lucidité ». Cette prise de conscience, involontaire ou obtenue par certaines
techniques, permet au rêveur de contrôler le contenu et le déroulement du
rêve.

Le rêve prémonitoire

Rêves jugés prophétiques, qui n'ont pas forcément de lien avec la vie
privée du rêveur et annoncent un événement futur censé se réaliser.

Le rêve sexuel

8 % des rêves ont un contenu sexuel dont la nature est, dans l'ordre :
propositions sexuelles, baisers, fantasmes divers et variés, masturbation. Dans

252
Sémiologie et herméneutique 253

4 % des cas, les sujets (hommes et femmes confondus) disent avoir éprouvé
un orgasme39. Chez l'homme, d'après le rapport 1948 Kinsey (1948-1953) :
83 % des hommes de 45 ans déclarent avoir connu des éjaculations nocturnes.
La fréquence annuelle des rêves sexuels avec éjaculation nocturne varie de 4 à
11 % chez les hommes de 20 à 35 ans et de 3 à 5 % chez les hommes plus
âgés. 5 % des sujets étudiés connaissent ce type de rêve plus d'une fois par
semaine, avec un maximum entre l'adolescence et 30 ans. La fréquence
annuelle des rêves érotiques avec orgasme est de 3 à 4 %, 1 % en ayant plus
d'un par semaine. L'incidence des orgasmes oniriques est maximale à la
quarantaine.
D'après le psychologue Abraham Maslow (1963) les rêves sexuels
explicites sont plutôt le fait des femmes confiantes en elles-mêmes, posées,
indépendantes et généralement actives. En cas de peu d'estime de soi ou
d'inhibition, les rêves sexuels sont plutôt de type symbolique. Ces résultats
sont corroborés par Joseph Adelson (1960), mais plutôt sur le critère de la
créativité d'un groupe de jeunes filles.
Le rêve sexuel n'a aucun lien avec l’érection nocturne (WOO SIK CHUNG et
coll., 1990 : 294-297).

39
Les Inrockuptibles, « Sexe 2007 », n° triple 609/611, août 2007, une enquête de l'université
de Montréal.

253
254 Du signe au symbole

254
Sémiologie et herméneutique 255

L’homme et ses symboles40

Introduction

La pensée de Carl Gustav Jung a une influence non négligeable sur la


psychologie moderne. Des mots aussi familiers que complexe, introversion,
extraversion, archétype sont des concepts élaborés par le célèbre psychiatre
suisse. Mais la plus grande contribution de Jung au développement de la
psychologie est la notion d'un inconscient, considéré non pas, à l'instar de
l'inconscient freudien, comme seulement le débarras des désirs refoulés, mais
comme une partie aussi importante de la vie de l'individu que celui du moi
conscient. L'inconscient joue un rôle de compensation par rapport à nos
inhibitions. Il est la source de nos dynamismes évolutifs et créateurs.
L'inconscient, chez Jung, se subdivise en inconscient personnel (l'inconscient
de Freud) qui contient les désirs refoulés, mais aussi toutes les potentialités
non exploitées par l'individu, et en inconscient collectif, « c'est-à-dire la
partie de la psyché qui retient et transmet l'héritage psychologique commun à
toute l'humanité. » (HENDERSON, 1964 : 107)

« Le langage et les personnages qui peuplent ce monde sont des symboles, et nous
communiquons avec lui par l'intermédiaire des rêves. C’est pourquoi une étude de l’homme
et ses symboles est en réalité une étude des rapports de l’homme avec son inconscient. »
(FREEMAN, 1964 : 12)

John Freeman attire notre attention sur deux points. Le premier point
concerne les rêves. Il note :

« Le rêve, chez Jung, n'est pas une sorte de cryptogramme stéréotypé, que l'on pourrait
déchiffrer à l'aide d'un glossaire où les symboles seraient traduits. C'est une expression
originale, importante, et personnelle, de l'inconscient individuel, dont elle demeure partie
intégrante. Elle est tout aussi réelle que tout autre phénomène se rapportant à l'individu.

40
Le présent chapitre est largement inspiré du chapitre "L'homme et ses symboles" figurant
dans notre thèse Le conte au milieu des images.

255
256 Du signe au symbole

L'inconscient individuel de celui qui rêve s'adresse au rêveur par le moyen de symboles qui
n'ont de sens que pour lui seul. » (FREEMAN, 1964 : 12-13)

C'est pourquoi l'interprétation des rêves est toujours une affaire totalement
personnelle et individuelle, qui ne peut en aucun cas être résolue en
appliquant des règles mécaniques.
Le second point concerne la méthode d'argumentation utilisée par Jung et
ses collègues. Ceux qui s'en tiennent exclusivement à la vie mentale
consciente et rejettent toute communication avec l'inconscient se soumettent
aux lois formelles de la logique. Jung et ses collègues s'adressent à la fois au
conscient et à l'inconscient.

« Leur méthode dialectique est elle-même symbolique, et procède souvent par détours. Ils
persuadent non pas à la lumière étroite du syllogisme, mais par approches successives, par
répétitions, en présentant un même sujet, une même situation, sous un angle à chaque fois
légèrement différent. Jusqu'au moment où le lecteur [...] s'est, sans le savoir, imprégné
d'une vérité beaucoup plus vaste. » (FREEMAN, 1964 : 13-14)

Les arguments de Jung et de ses collègues s'élèvent vers le sujet par


spirales.

Le psychisme de l'homme

Le désaccord entre Adler et Freud amène Jung à réfléchir sur les raisons de
cette rupture41. Par ailleurs, il constate également une « opposition » entre
l'hystérie et la démence précoce42. Après une longue étude de la pensée

41
« [...] chacun des deux chercheurs a perçu le mieux dans la névrose, en fonction de son
organisation psychologique propre, ce qui correspondait de façon privilégiée à ses
structures personnelles. [...] Tous deux sont partis manifestement de matériaux cliniques
analogues ; mais comme ils virent, de par leur génie propre, les choses sous des angles
différents, ils développèrent des conceptions et des théories diamétralement opposées : Adler
voit et conçoit comment un sujet, qui se sent infériorisé et amoindri, cherche à s'assurer une
supériorité illusoire par des “ protestations ”, des “ arrangements ” et autres artifices
appropriés [...] Cette conception se fonde sur une exceptionnelle mise en relief du sujet,
tandis que le caractère propre et l'importance de l'objet s'estompent complètement. Celui-ci
n'entre guère en ligne de compte qu'en tant que porteur de tendances oppressives possibles à
l'adresse du sujet [...] Freud, par contre, voit et conçoit ses malades dans une dépendance
constante des objets importants de la vie et en rapports permanents avec eux. » (JUNG,
1978 : 83-84)
42
« [...] l'hystérie et la démence précoce présentent dans leur physionomie générale un
contraste frappant, résultant surtout de l'attitude des malades vis-à-vis du monde extérieur.
Les sentiments que celui-ci provoque chez l'hystérique dépassent le niveau normal, tandis
qu'ils ne l'atteignent pas chez le dément précoce. Émotivité exagérée d'un côté, apathie
extrême de l'autre à l'égard du milieu, tel est en gros le tableau que nous offre la
comparaison des deux maladies... l'existence de deux affections mentales aussi opposées que

256
Sémiologie et herméneutique 257

humaine, il découvre qu'il existe deux grandes tendances dont les centres
d'intérêt sont totalement divergents (JUNG, 1986). Jung divise les individus
en deux grandes catégories psychologiques :

1. Les introvertis, tournés vers l'intérieur. Ils possèdent une tendance à


l'introspection (Tertullien, Anselme, Zwingli..., Adler) ;
2. Les extravertis, tournés vers l'extérieur. Ils sont davantage attirés par
les objets extérieurs (Origène, Roscelin, Luther..., Freud).

Il existe par ailleurs quatre types fonctionnels qui correspondent aux quatre
moyens grâce auxquels notre conscience parvient à s'orienter par rapport à
l'existence :

1. La sensation (c'est-à-dire la perception de la réalité des choses, la


somme des données extérieures qui nous sont communiquées par
l'activité de nos sens) révèle que quelque chose existe ;
2. La pensée révèle et analyse ce que c'est. Elle découpe la réalité et classe
les différents éléments en diverses catégories ;
3. Le sentiment (le feeling anglais, le gefühl allemand) nous dit si c'est
agréable ou non. Il faut comprendre ce terme dans le sens « avoir le
sentiment qu'il serait bon d'agir de telle façon ». Cette fonction nous
permet d'apprécier et d'évaluer l'expérience. Elle ordonne les éléments
en se référant à des jugements de valeur (l'agréable ou le désagréable, le
bon et le mauvais) ;
4. l'intuition révèle d'où provient la chose, et vers quoi elle tend. Elle est
une fonction synthétique qui perçoit les choses de manière globale.

Ces quatre fonctions contribuent à l'orientation de la conscience. Elles se


jouent sur le mode extraverti ou introverti et se retrouvent inversées au niveau
de l'inconscient43. C. G. Jung distingue les fonctions rationnelles (pensée et
sentiment), qui formulent des jugements précis, des fonctions irrationnelles
(sensation et intuition), qui sont des perceptions spontanées de possibilités
vagues.

« Chez la plupart des personnes, une des fonctions est exercée, développée, différenciée
avec prédilection, au détriment des autres qui végètent dans une inconscience plus ou
moins poussée, ce qui suscite chez ces sujets une unilatéralité singulière. » (JUNG, 1987 :
110)

l'hystérie et la démence précoce - dont le contraste repose précisément sur le règne presque
exclusif de l'extraversion et de l'introversion - donne à penser qu'il pourrait bien y avoir
aussi, à l'état normal, des types psychologiques caractérisés par la prédominance relative de
ces deux mécanismes. » (JUNG, 1986 : X-XI)
43
Ainsi, l'homme extraverti aura au niveau de l'inconscient une anima introvertie. De même,
l'individu qui possède des fonctions pensée et sensation sur le plan extraverti aura une anima
de sentiment et intuition qui se joueront sur le plan introverti.

257
258 Du signe au symbole

Grâce à sa fonction dominante, chacun vit de façon plus ou moins


exclusive et différente de son voisin. Les difficultés et les malentendus qui
surgissent au cours des relations humaines naissent souvent de cette
appréhension différente des choses.

« Une fonction principale est comme l'oculaire de prédilection de toute notre vie mentale,
oculaire qui, présidant à la perception de toutes nos visions tant extérieures qu'intérieures,
soumet les rayons qui le traversent aux lois de sa réfringence propre. C'est dire que la
pensée ou le sentiment, perçus à travers l'oculaire d'une fonction irrationnelle, en sortiront
tout frangés d'irrationalisme [...] Inversement, lorsque c'est une fonction rationnelle qui
préside à notre vie mentale, les fonctions irrationnelles en elles-mêmes revêtent un cachet
de raison ; leur irrationalisme foncier pâlit en pénétrant jusqu'au centre élaborateur de nos
conceptions et s'imprègne des seuls éléments rationnels qui y sont admis. » (JUNG, 1987 :
126-127)

L'énergie propre, inhérente à l'une des fonctions en exercice, peut être


décuplée par l'attention et la volonté. Le moi est doté d'une énergie disponible,
d'une force créatrice grâce à laquelle nous pouvons influencer le cours naturel
des événements. Cette force est appelée volonté.
Il est important pour chacun de connaître sa fonction psychologique
principale.

« La détermination du mode psychologique de réaction qui nous est le plus habituel et le


plus familier est d'une extrême importance pour l'autocritique, pour la compréhension de
soi et de ses déterminantes, pour la circonscription de son équation personnelle, ainsi que
pour la mise en relief de ce que l'on est porté à laisser dans l'ombre, c'est-à-dire, comme
nous le verrons plus loin, à projeter sur autrui. » (CAHEN, 1987 : 117)

À ces quatre fonctions qui contribuent à l'orientation de la conscience, il


nous faut ajouter quatre éléments qui aident à l'orientation dans l'espace
psychologique intérieur.
C'est tout d'abord la mémoire, c'est-à-dire la somme des souvenirs et la
faculté de reproduire des matériaux antérieurement enregistrés.
C'est aussi les contributions subjectives des fonctions. Nous sommes
toujours le siège de pensées subsidiaires, plus ou moins clairement perçues de
notre pensée intentionnelle, qui provoquent toute une série de sentiments,
d'intuitions, de perceptions que l'on s'efforce en général de réduire au silence.
De l'intérieur nous viennent également les affects. Ceux-ci consistent en
des réactions involontaires de nature spontanée. Ils ne constituent pas une
fonction volontaire, mais des événements intérieurs, dont nous sommes le
champ. Il s'agit d'une libération d'énergie qui échappe à notre contrôle. Les
affects altèrent la conscience et nous poussent à un comportement insensé. Ce
n'est plus le moi qui est le maître de nos actions, mais en quelque sorte une
entité différente du moi qui se manifeste sous forme de colères ou d'émotions,

258
Sémiologie et herméneutique 259

développant une vasodilatation, empourprant le visage, tendant les muscles ou


excitant certaines glandes.

« Un certain nombre de dieux antiques ne sont que les affects incarnés : pensez à Mars, à
Vénus, à Éris, à Éros, etc. Les personnifications de cette nature existent en foule. » (JUNG,
1987 : 134)

Le quatrième élément est constitué des pensées soudaines qui nous


viennent, on ne sait, d'où ? Ces irruptions de l'inconscient surgissent et se
révèlent soudain dans la conscience, comme des éclairs, sans fracas affectif.
Elles peuvent se concrétiser sous la forme d'une impression soudaine, d'une
opinion, d'un préjugé ou d'une illusion.
En continuant notre pérégrination intérieure de la psyché, nous rencontrons
une zone obscure, l'ombre, dont l'expérience des associations et des rêves
nous enseigne qu'elle contient des éléments, des complexes personnels qui
pourraient être tout aussi bien conscients. Ce sont des éléments refoulés, des
potentialités inexploitées, de nature fort diverse, qui demeurent inconscients et
constituent ce que Jung appelle l'inconscient personnel.
Durant ses nombreux voyages à l’étranger, Jung constate parmi les rêves
de ses hôtes une série d'images primordiales communes (telles que les dragons
ou les monstres) à tous les tribus, peuples ou races qu'il visite. Il en conclut
qu'il existe une couche psychique commune à tous les humains, faites chez
tous de représentations similaires — qui se sont concrétisées au cours des âges
dans les mythes, couche qu'il baptise inconscient collectif. Cette couche n'est
pas le produit d'expériences individuelles, mais nous est innée, au même titre
que le cerveau différencié avec lequel nous venons au monde.

« Cela revient simplement à affirmer que notre structure psychique, de même que notre
anatomie cérébrale, porte les traces phylogénétiques de sa lente et constante édification,
qui s'est étendue sur des millions d'années. Nous naissons en quelque sorte dans un édifice
immémorial que nous ressuscitons et qui repose sur des fondations millénaires. Nous avons
parcouru toutes les étapes de l'échelle animale ; notre corps en porte de nombreuses
survivances : l'embryon humain présente, par exemple, encore des branchies ; nous avons
toute une série d'organes qui ne sont que des souvenirs ancestraux ; nous sommes, dans
notre plan d'organisation, segmentés comme des vers, dont nous possédons aussi le système
nerveux sympathique. Ainsi, nous traînons en nous dans la structure de notre corps et de
notre système nerveux toute notre histoire généalogique ; cela est vrai aussi pour notre
âme qui révèle également les traces de son passé et de son devenir ancestral. » (JUNG,
1987 : 296)

En effet, le système nerveux humain peut être subdivisé en trois parties :

 tout d'abord, le cerveau, siège de la conscience ;


 ensuite, la moelle épinière, sensitive et motrice ;
 enfin, le sympathique qui est un système nerveux particulier.

259
260 Du signe au symbole

« Ainsi, nous sommes à la fois écrevisse (par le sympathique) et saurien (par la moelle
épinière), mais ne vivons que la couche supérieure de notre psyché, tels des êtres pétris
seulement de conscience, [...] comme si le restant de, notre corps et de notre organisme
psychique était inexistant, alors qu'en réalité il est seulement tabou. » (JUNG, 1987 : 298)

Finalement, Jung représente la psyché de la façon suivante (JUNG, 1987 :


141) :

1 2 3 4 5 6 7 8 9 1011
D

C
B

Zone A Zone B Zone C Zone D


1. Sensation 5. Le moi, la volonté 6. Souvenirs 10. Inconscient
personnel
2. Pensée 7. Contributions 11. Inconscient
subjectives collectif
3. Intuition 8. Affects
4. Sentiment 9. Irruptions de l'Incs.

Perceptions et projections

La psyché possède donc une partie consciente et une partie inconsciente.


Selon que prédomine la partie qui surnage ou celle située sous le seuil,
l'individu sera plus ou moins extraverti — tourné vers le monde extérieur, le
monde des objets et des choses — ou plus ou moins introverti, centré sur les
vibrations de son monde intérieur et les charmes de ses subjectivités. Dans ce
vaste espace intérieur, comment se déroule l'acte mental élémentaire ? Le moi,
doté d'une attitude de base introvertie ou extravertie, est équipé de quatre
fonctions : ma sensation qui me dit : il y a quelque chose ; ma pensée qui
m'exprime que ce quelque chose est un livre ; mon sentiment qui traduit qu'il
est utile pour la préparation de mon travail et qu'on ne le mettra pas dans le

260
Sémiologie et herméneutique 261

calorifère ; mon intuition, enfin, qui me fait sentir et flairer qu'il n'est pas un
incunable et ne fera pas une fortune salle Drouot. Nous avons besoin de ces
quatre fonctions pour être orientés, en face d'un objet extérieur, dans notre
cosmos intérieur. L'acte mental constitue la somme de plusieurs mécanismes.
Tout d'abord, le sujet reçoit d'un objet une sensation : il y a quelque chose
(CAHEN, 1984 : 502).

<---- sensation
projection --->
Sujet _______________ Objet
Perception

Sa pensée lui dit à partir de son cortex mental : c'est un livre, projetant sur
l'objet l'image, le concept préformé dans sa machine mentale. C'est la somme
de ce double mouvement sensitif-centripète et projectif-centrifuge, qui fait la
perception de ce livre.

« Il apparaît ainsi que celle-ci comporte un bon 50 % de subjectivité. Cette dernière, quand
l'état mental est en ordre, reste normative, conforme au consensus symbolique
généralement admis [...] À l'état normal, déjà, la projection transforme, éteint, efface la
perception jusqu'à la rendre méconnaissable. » (CAHEN, 1984 : 503)

En outre,

« Il apparaît que tout ce qui se déroule au-dessus du seuil de la conscience entraîne un


déroulement équilibrant et compensatoire au niveau de l'inconscient. Tout dans la vie
mentale se déroule ainsi en doublet, surtout dès que les plans affectifs sont en jeu [...] Il y a
donc lieu d'imaginer une duplication du schéma précédent, la partie sous le seuil doublant
nécessairement le déroulement dans le conscient, et l'enrichissant de bien des harmoniques.
L'être mental est construit de ce fait, sur le schéma de deux rênes, l'une dans l'être
conscient, l'autre du côté de l'inconscient. C'est la superposition de tous ces mécanismes de
base -rotation des fonctions, sensation-projection, doublet, double rêne, et leur
déroulement synchronique — qui génère l'acte mental réussi plus ou moins complet. »
(CAHEN, 1984 : 503)

L'importance de ces structures individuelles est également considérable sur


le plan des relations humaines. Roland Cahen prend l'exemple du coup de
foudre (CAHEN, 1984 : 506).

261
262 Du signe au symbole

A 1 C

1’

Cs 2 2’
Pj
Incs 3
3’
B D
4
4’

Monsieur A rencontre mademoiselle C bien sous tous rapports (1). A va projeter (2) sur
mademoiselle C l'image de l'anima qu'il porte en lui (provenant pour une part de sa mère,
de l'image qu'il en a gardée, mais aussi et surtout de l'archétype mère qu'elle a nourri et
meublé). Mademoiselle C s'identifie (2') à cette image positive que A lui confère. Cette
identification fait vibrer certaines énergies psychiques au niveau de l'inconscient et Mlle C
à son tour va projeter son image intérieure du jeune et brillant héros (qui provient
parallèlement, en Maille C, de son père, de son image et de son archétype père) sur
monsieur A (3). Celui-ci, dans ce bain affectueux, répond (3') par une attitude
identificatoire à cette image projective. Cela mobilise de nouveaux potentiels qui vont
l'amener à projeter de plus belle et à voir en mademoiselle C la femme de sa vie. Dans ces
circuits énergétiques se crée, en outre, une relation intuitive d'inconscient à inconscient (4
et 4').

« C'est par ces circuits intra et interrelationnels qui se renforcent les uns les autres que se
crée le fait vital capital de la relation de deux êtres. » (CAHEN, 1984 : 507)

C'est là le schéma le plus simple d'un contact humain. Ce schéma est


également utile pour comprendre d'autres relations telles que celles d'un
directeur et de son adjoint ou d'un représentant et de son client. Dans ces cas,
au lieu de projeter l'image de l'anima ou de l'animus, ce seront peut être
d'autres archétypes liés à une imago parentale44 (père ou mère) ou une image
d'ombre45 qui seront projetés. Comme nous le verrons, ces archétypes peuvent
être de diverses natures.

44
L'imago est un « prototype inconscient de personnages qui oriente sélectivement la façon
dont le sujet appréhende autrui ; il est élaboré à partir des premières relations
intersubjectives réelles et fantasmatiques avec l'entourage familial [...] L'imago et le
complexe sont des notions voisines [...] le complexe désigne l'effet sur le sujet de l'ensemble
de la situation interpersonnelle ; l'imago désigne la survivance imaginaire de tel ou tel
participants de cette situation » (LAPLANCHE & PONTALIS, 1971 : 196).
45
Voir plus loin « Première rencontre avec l’inconscient : la découverte de l’ombre » !

262
Sémiologie et herméneutique 263

La méthode d'amplification et la libre association


d'idées

Comme nous l'enseigne la sémiologie, le signe est toujours moins que le


concept qu'il représente. Il est fabriqué. Si fantastique soit-il, le signe est
rattaché à la pensée consciente qu'il signifie. Quant au symbole, il renvoie
toujours à un contenu plus vaste que son sens immédiat et évident. Il est un
produit naturel et spontané. Il implique quelque chose de vague, d'inconnu ou
de caché pour nous. Notre perception de la réalité comporte des aspects
inconscients. Les phénomènes perçus sont transposés du domaine de la réalité
dans celui de l'esprit. Ils deviennent des réalités psychiques où interviennent
un nombre indéfini de facteurs inconnus ainsi qu'une série de complexes. Ces
complexes sont « des thèmes affectifs refoulés, susceptibles de provoquer des
troubles permanents dans notre vie psychique, ou même les symptômes d'une
névrose. » (JUNG, 1964a : 27) Jung, en s'attachant aux rêves, s'est efforcé de
mettre au point une technique qui permet d'atteindre ces complexes : la
méthode des associations libres. Ces libres associations, ainsi que les tests
d'association verbale permettent de découvrir ces complexes qui provoquent
les troubles névrotiques d'un malade. Cette méthode consiste donc à prendre
une à une les différentes images d'un rêve et à réunir au sujet de chacune
d'elles toutes les idées qui se présentent à l'esprit du rêveur en corrélation avec
cette image.
Jung remarque cependant que « Si, à partir d'un point de départ
quelconque, on établit une chaîne d'associations, on aboutit
immanquablement à un complexe, sans avoir besoin d'un rêve pour cela. »
(JUNG, 1987 : 277) Nous pourrions utiliser aussi bien un jeu de cartes ou une
page de dictionnaire et aboutir, grâce aux associations libres, à l'un ou l'autre
de ces complexes qui sommeillent en chacun d'entre nous. Ce raisonnement
l'amène à conclure que seules les images et les idées qui font manifestement
partie du rêve doivent être utilisées pour son interprétation. Jung abandonne la
méthode des associations libres et crée un procédé qu'il appelle amplification,
association circulaire ou association surveillée. Au lieu d'une chaîne
d'associations en ligne droite et se prolongeant sans fin, cette association
surveillée effectue un mouvement circulaire autour des divers éléments du
rêve. Le rêve originel demeure au centre du processus. Ainsi, chaque maillon
de la chaîne n'est pas seulement rattaché au précédent : il reste aussi en
rapport radial avec l'élément correspondant du rêve lui-même. Tous les
éléments du rêve forment eux-mêmes une structure radiale proche du rhizome
(DELEUZE & GUATTARI, 1980 : 9-37) ou de l'hypertexte (LÉVY, 1992 et
1993).
L'amplification utilise tel élément particulier d'un rêve moins pour
découvrir des complexes que pour essayer d'établir le sens précis et particulier
de cet élément dans le contexte du rêve (ADLER, 1957 : 48-49).
L'amplification est un travail d'association délimité, cohérent et dirigé, qui

263
264 Du signe au symbole

ramène toujours à la quintessence du rêve et qui cherche à l'élucider en


l'éclairant de tous les côtés possibles (JACOBI, 1950 : 95-96). L'amplification
consiste en un élargissement et un enrichissement du contenu onirique au
moyen de toutes les images analogues possibles. Chaque motif onirique se
voit adjoindre des images, des symboles, des légendes, des mythes, de
signification semblable ou analogue, ce qui permet de reconnaître ces motifs
dans toutes nuances, dans tous les aspects possibles de leur sens, jusqu'à ce
que la signification soit mise en pleine lumière. Chacun des éléments, chaque
parcelle de sens est fixée de cette manière et reliée au suivant, jusqu'à ce que
toute la chaîne des motifs oniriques apparaisse clairement et puisse être
soumise entièrement dans une unité à une dernière vérification (JACOBI,
1950 : 95-97). Trois aspects sont à prendre en compte :

 l'amplification doit s'appliquer à tous les éléments du contenu onirique ;


 chaque analogie, dans la mesure où elle comporte en soi des aspects
archétypaux du motif onirique à pénétrer, précise, éclaire et renforce
l'interprétation ;
 les images et les analogies suscitées doivent toujours se trouver dans un
rapport plein de sens et plus ou moins étroit avec le contenu onirique à
interpréter.

L'amplification constitue une méthode qui peut s'avérer féconde pour


l'étude des psychologèmes, mythologèmes et produits psychiques de toute
nature, dont les bandes dessinées ou les films.

Les plans d'interprétation

Tenant compte de la différence entre les introvertis et les extravertis, Jung


distingue deux plans d'interprétation : l'interprétation sur le plan du sujet et
l'interprétation sur le plan de l'objet.
Sur le plan du sujet, les figures et faits oniriques s'interprètent
symboliquement, en tant que reproductions de facteurs et de situations
psychiques internes du rêveur. Les personnages du rêve représentent alors des
tendances ou des fonctions psychiques du rêveur et la situation onirique, son
attitude envers lui-même et envers la réalité psychique donnée. Ainsi compris,
le rêve indique certaines données intérieures de la personne.
Sur le plan de l'objet, l'interprétation implique que les motifs oniriques
comme tels doivent être considérés de façon concrète et non symbolique. Ce
sont des signes ou des effets-signes (DALBIEZ, 1949 : 124). Ils représentent
l'attitude du rêveur à l'égard des faits et des personnes extérieures avec
lesquels il est en relation. Ils tendent à démontrer de façon purement objective
l'autre aspect des choses que nous avons considérées consciemment d'un seul

264
Sémiologie et herméneutique 265

point de vue, ou à nous révéler ce que nous n'aurions absolument pas


remarqué jusqu'ici (JACOBI, 1950 : 103).
Si nous tenons compte de la distinction entre les rêves à caractère
personnel (petits rêves) et les rêves à caractère collectif (grands rêves), ainsi
que celle établie entre plan de l'objet et plan du sujet, nous obtenons quatre
grilles de lecture distinctes :

Plan de l’objet (A) Plan du sujet (B)


Petits Il s’agit du point de vue de Il s’agit du point de vue de
rêves l’extraverti. L’œuvre et ses éléments l’introverti. L’œuvre et ses éléments
1 sont interprétés comme représentatifs sont interprétés comme autant de
d'eux-mêmes et analysés du point de facettes propres à l'inconscient de
vue conscient de l'auteur. Cette l'auteur. Cette interprétation se base
interprétation se base sur des motifs en sur une finalité (principe de
fonction des principes de plaisir et de synchronicité et processus
réalité (interprétations freudienne, d’individuation) (interprétations
kleinienne ou lacanienne). La méthode adlérienne et jungienne). La méthode
utilisée est celle des associations utilisée est celle de l'amplification
libres. Le symbole est un effet-signe. personnelle. Le symbole est une
imago ou une image archétypale.
Grands L’œuvre et ses éléments sont L’œuvre et ses éléments sont
rêves interprétés comme représentatifs interprétés comme des mythologèmes
2 d'eux-mêmes et analysés du point de et analysés comme autant de facettes
vue du lecteur et/ou de l'analyste. Il propres à l'inconscient collectif. Les
s’agit, non plus d’interprétations, mais interprétations sont basées sur les
d’analyses. Celles-ci sont basées sur symboles plurivoques et ambivalents.
des signes univoques ou des Ceux-ci renvoient à un ou plusieurs
allégories. Les méthodes utilisées sont mythèmes ou mythologèmes. Les
l’analyse, l’inférence, la description, méthodes utilisées sont la mythanalyse
la représentation basées sur le de Cazenave et Solié, l’herméneutique
raisonnement, le principe de causalité de Durand, Ricoeur ou Éliade, les
et la logique aristotélicienne rêveries de Bachelard. Elles reposent
(sémiologie, structuralisme, sur des synthèses et le mode
sémantique, sociologie...). analogique.

Prenons l'histoire ou le rêve suivant : un jeune homme ne peut voir sa


fiancée, car son père la garde prisonnière dans une tour. Si nous reprenons
les quatre niveaux d'interprétation présentés ci-dessus, nous obtenons les
analyses suivantes :

A1 = les trois personnages sont des représentations de personnes bien


réelles. Le psychanalyste dénoue les nœuds relationnels entre le jeune homme,
son beau-père (représentation d'un surmoi qui interdit) et sa fiancée (objet du
désir) en ramenant à la conscience les facteurs qui ont détérioré les diverses
relations et qui furent refoulés dans l'inconscient du patient. Pour Freud,
chaque élément du rêve est de l'ordre du désir (motif). Le jeune homme désire

265
266 Du signe au symbole

sa fiancée. Son beau-père s'y oppose. Il s'ensuit un conflit dont l'issue (l'effet)
sera d'obtenir l'objet du désir (la fiancée). Les symboles sont ici interprétés
comme des effets-signes46. L’effet-signe est une représentation qui trouve son
origine dans l'objet perçu par la conscience et qui est ensuite oublié et/ou
refoulé dans l'inconscient personnel. Pour qu'un effet-signe puisse surgir, il
faut que l'individu ait vécu l'expérience du miroir (c'est le moment de
l'identification imaginaire) et soit devenu un sujet à part entière (qu'il soit
conscient de lui-même et des autres). Il faut que l'individu soit capable
d'élaborer des dichotomies. La catégorie des effets-signes reprend l'ensemble
des symboles, tels qu'ils furent décrits par Sigmund Freud, Sándor Ferenczi,
Mélanie Klein et Jacques Lacan. Comme l'affirmait Jacques Lacan, ces
symboles s'articulent entre eux selon les deux grandes catégories rhétoriques :
la métaphore (ou condensation) et la métonymie (ou déplacement).
L'inconscient personnel ne peut avoir la structure radicale du langage que si le
sujet conscient a déjà accédé à ce langage.
B1 = les trois personnages sont également des facettes de l'inconscient du
rêveur. Le jeune homme est un héros, la fiancée, une anima, et le beau-père
est une imago paternelle, c'est-à-dire une image de père que le rêveur a
reconstruite au cours de son enfance et de son adolescence, et qui est sa vérité
du vécu. Ces diverses facettes peuvent éventuellement détériorer les relations
avec les personnes représentées (par projection de ces images intérieures),
mais le rêveur doit d'abord comprendre que ces divers aspects sont des parties
refoulées ou inconnues de lui-même. Pour Jung, s'il reconnaît que chaque
élément du rêve pourrait être de l'ordre du désir (motif + rêve de
compensation), il nous dit avec insistance qu'il faut prendre ces éléments
comme partie intégrante de l'inconscient du sujet avec une référence au Soi.
Chaque élément du rêve est la description exacte d'une situation psychique
affective. C'est la primauté donnée à la finalité. Chaque symbole renvoie à
une imago ou à une image archétypale. L'archétype en soi n'est pas
représentable. Il trouve son origine dans le sujet et non dans l'objet. Son
essence échappe à la conscience. Mais ses effets concrets se manifestent au
travers d'images. Ces images sont les représentations archétypales. Elles
dérivent de l'archétype qui, pourtant, ne se réduit pas à l'une d'entre elles.
L'archétype serait la structure qui tend à faire de nous un être universel, les
images qu'il véhicule recèlent notre singularité. L'archétype se forme dans

46
Dalbiez signale que Freud utilise le mot symbole dans le sens d'effet-signe, ce qui réduit le
champ infiniment ouvert du symbolisme. En effet, le symbole subit chez Freud une double
réduction à laquelle répond la double méthode : la méthode associative et la méthode
symbolique. Par la nature déterministe qui joint toujours un effet psychique (par exemple les
images du rêve) à la cause suprême du psychisme, à savoir la libido, le symbole freudien
reconduit toujours en dernier ressort à la sexualité (pansexualisme). Toutes les images, tous
les fantasmes, tous les symboles se réduisent à des allusions imagées des organes sexuels
mâle ou femelle. L'enfance et les étapes de la maturation sexuelle seraient le réservoir causal
de toutes les manifestations de la sexualité, de tout le polymorphisme des satisfactions
sexuelles (DALBIEZ, 1949 : 124) (DURAND, 1976 : 42-47).

266
Sémiologie et herméneutique 267

l'inconscient collectif. Celui-ci ne possède pas la structure du langage, mais


fonctionne davantage selon les lois de la physique relative aux énergies et à la
thermodynamique. L'inconscient collectif est en interaction avec l'inconscient
personnel.
A2 = tous les éléments sont des signifiants qui renvoient à un nombre
déterminé de signifiés. La signification de chacun de ces signes est
relativement univoque. Seuls le contexte et les relations entre ces éléments
engendrent une certaine ambivalence au niveau du sens. Les trois personnages
sont des prototypes ou des stéréotypes du héros, de l'héroïne et du mauvais.
Les divers éléments sont ici analysés comme des signes ou des allégories. Le
signe est une convention collective plus ou moins arbitraire pour représenter
un objet. Il est constitué du signifié et du signifiant. Cet élément est
relativement univoque. Suivant que la relation implique ou n'implique pas un
rapport existentiel avec celui qui en use, Jung distingue le symbole de
l'allégorie. L’allégorie est un symbole mort, c’est-à-dire qu’elle ne renvoie
plus qu’à un seul signifié.
B2 = tous les éléments sont des signifiants (symbolisants) qui renvoient à
un nombre indéterminé de signifiés (symbolisés). Les significations de chacun
de ces symboles sont relativement plurivoques. L'amplification, le contexte et
les relations entre ces symboles permettent d'interpréter le sens de ces
éléments. Les trois personnages sont des images archétypales représentatives
de certaines facettes de l'inconscient que l'analyste partage avec le rêveur. Les
différents éléments sont autant de mythologèmes. Celui-ci est, soit une image
archétypale issue de l'inconscient collectif, soit un effet-signe issu de
l'inconscient personnel, qui se révèle au travers des mythes, des contes ou des
légendes. Cet élément, tout en demeurant ambivalent et plurivoque, est
reconnu socialement et culturellement. On peut en dégager la symbolique
grâce aux amplifications et associations libres ou en recourant aux différents
dictionnaires des symboles.
Le symbole est l'acception généraliste regroupant les effets-signes, les
imagos, les images archétypales et les mythologèmes. Il peut être interprété
sur le plan de l'objet et/ou sur le plan du sujet, d'un point de vue individuel
et/ou collectif. Nous savons que les symboles n'apparaissent pas seulement
dans les rêves. Ils interviennent dans toutes sortes de manifestations
psychiques. Il y a des pensées et des sentiments symboliques, des actes et des
situations symboliques. Il existe de nombreuses histoires, telles que les
mythes ou les contes de fées, qui contiennent nombre de symboles. Ces
symboles, parmi les plus importants, ne sont pas individuels, mais collectifs, à
la fois dans leur nature et leur origine. Ce sont des « représentations
collectives », émanant des rêves et de l'imagination créatrice primitive. « En
tant que tels, ils sont des manifestations involontaires, spontanées, qui ne
doivent rien à l'invention délibérée. » (JUNG, 1964a : 55) C'est ce type de
symboles que nous proposons de découvrir à travers diverses œuvres. Bien
qu'ils ne puissent être totalement dissociés de l'inconscient individuel de
l'auteur, ils s'adressent également à la psyché du lecteur ou du spectateur. En
interprétant ces symboles, le lecteur-spectateur pourra, le cas échéant,

267
268 Du signe au symbole

retrouver la signification profonde qu'ils possèdent au niveau de l'inconscient


de l'auteur, mais il découvrira ou ressentira à coup sûr, la signification qu'ils
peuvent avoir pour lui-même. En découvrant ces symboles, c'est une partie de
son propre inconscient qu'il s'apprête à découvrir.
De même que pour l'étude des rêves, seules les images et idées
manifestement présentes dans l’œuvre étudiée devront être utilisées pour son
interprétation. Alors que l'association « libre » nous entraîne toujours plus loin
des matériaux originels, la méthode préconisée par Jung nous amène plutôt à
effectuer une sorte de démarche circulaire sous forme de spirale (circum
ambulacio) qui aurait l'image issue de l’œuvre pour centre. Chaque symbole
sera à la fois interprété du point de vue individuel (auteur et lecteur) et du
point de vue collectif, de manière introvertie (plan du sujet) et extravertie
(plan de l’objet).

Archétypes et symboles rencontrés durant le


processus d'individuation

L'enfance est une période durant laquelle l'individu prend peu à peu
conscience du monde et de lui-même. Ses premiers rêves se manifestent
souvent sous la forme symbolique de la structure fondamentale de la psyché.
L'enfant peut ainsi voir en rêve un motif circulaire, quadrangulaire ou
nucléaire qui symbolise le centre de la psyché. L'inconscient peut être
également symbolisé par des couloirs ou des labyrinthes.

« Le processus d'individuation proprement dit, c'est-à-dire l'accord du conscient avec son


propre centre intérieur (noyau psychique) ou Soi, naît en général d'une blessure infligée à
la personnalité, et de la souffrance qui l'accompagne. Ce choc initial est une sorte
d'“appel”, bien qu'il ne soit pas souvent reconnu comme tel. Au contraire, le moi se sent
frustré dans sa volonté ou son désir et projette la cause de cette frustration sur quelque
objet extérieur. » (von FRANZ, 1964 : 166)

L'individu peut ainsi accuser le monde entier ou souffrir d'un ennui mortel,
qui fait que tout lui paraît dénué de sens et vide. Dans les mythes, le remède
qui chasse le mal et délivre le Roi ou son pays de leurs maux est toujours un
être ou un objet unique et difficile à découvrir. Il en est de même pour la crise
initiale qui marque la vie de l'individu. Le remède n'est guère facile à trouver.
Une seule attitude semble donner un résultat : se tourner vers les ténèbres de
son inconscient afin de voir ce qui ne va pas en soi.
Carl Gustav Jung, en analysant les rêves de ses patients, s'est rendu compte
que l'évolution des images symboliques pouvait se produire dans l'esprit
inconscient de l'homme moderne tout autant que dans les rites des sociétés
anciennes. Les rêves présentent des aspects de l'initiation à la vie dans les
mêmes formes archétypales que l'initiation à la mort. Ce lien entre les mythes

268
Sémiologie et herméneutique 269

primitifs et les symboles produits par l'inconscient lui a permis d'identifier et


d'interpréter ces symboles dans un contexte qui leur confère une perspective
historique en même temps qu'un sens psychologique. Ainsi, certains symboles
concernent l'enfance et le passage à l'adolescence, d'autres la maturité, d'autres
encore la vieillesse quand l'homme se prépare à une mort inévitable. Avant
d'analyser chacun de ces archétypes, il y a lieu de noter que :

« [...] tout complexe, toute structure générale, ou tout archétype (selon le nom qu'on lui
donne) étant un système polarisé, possède un côté lumineux et un côté ténébreux. On
pourrait se représenter un archétype comme composé de deux sphères, l'une claire et
l'autre obscure. » (von FRANZ, 1980 : 57)

Ainsi, l'archétype de la Grand-mère contient d'une part la sorcière, la mère


diabolique, la marâtre ou la Mort, et d'autre part la fée marraine, la vieille
femme sage, la déesse de la fécondité, la déesse mère ou la déesse nourricière.
Dans l'archétype de l'esprit, il y a le vieux sage ou senex, mais aussi le sorcier
destructeur ou démoniaque. L'archétype du Roi représente souvent le symbole
de la conscience collective et peut signifier la fécondité et la puissance d'une
ethnie ou le vieux monarque tyrannique qui étouffe toute vie nouvelle.
Finalement, le héros lui-même peut incarner le renouvellement de la vie ou
être le grand destructeur. Chaque figure archétypale porte donc sa propre
ombre. Comme nous le verrons, les thèmes des jumeaux (twins) ou des
androgynes éclairent ce phénomène de dédoublement — ils sont une
conjonction d'opposés, dont l'un des termes est extraverti, l'autre introverti, ou
l'un est mâle, l'autre femelle, l'un est du côté de l'esprit, l'autre du côté de
l'animal — sans que l'un ou l'autre soit moralement supérieur. Le sens d’une
image archétypale ne devient évident que lorsqu’elle a reçu une valeur de
position et de signification parmi le contexte total. Dès lors, comme les
images archétypales d'un conte de fées, chaque personnage d'un récit sera
considéré comme l'ombre de tous les autres. Ces personnages devront ainsi
être mis en relief et comparés les uns par rapport aux autres, car tous ont une
fonction compensatrice.

Les images de l’idéal du moi


La persona

Le terme persona désigne, dans le théâtre antique, le masque porté par les
acteurs. De même, l’individu se crée une enveloppe que Jung appelle sa
persona, son masque. La persona n’est cependant qu’un masque qui dissimule
une partie de la psyché collective dont elle est constituée. La persona donne
l’illusion de l’individualité. Ce masque fait penser aux autres et à soi-même
que nous sommes devenus des individus à part entière, alors qu’au fond nous
jouons simplement un rôle à travers lequel ce sont des données et des
impératifs de la psyché collective qui s’expriment. La persona n’est qu’une

269
270 Du signe au symbole

formation de compromis entre l’individu et la société, en réponse à la question


de savoir sous quel jour le premier doit apparaître au sein de la seconde.
Comparée à l’individualité du sujet, sa persona n’est qu’une réalité
secondaire, un simple artifice auxquels d’autres participent souvent bien
davantage que l’intéressé lui-même. Bien que le moi conscient s’identifie tout
d’abord à la persona, le Soi inconscient ne saurait être réprimé (JUNG,
1964c : 81-83).

Le mythe du héros

Le mythe du héros est le plus répandu et le mieux connu. Nous le trouvons


dans la mythologie classique de la Grèce et de Rome, dans les mythologies
celtique et nordique, dans les diverses épopées du moyen âge, en Extrême-
Orient, parmi les tribus amérindiennes, au sein des peuplades africaines, et,
bien entendu, dans la plupart des récits évoqués par nos médias actuels. Il
suscite non seulement des comportements, mais provoque d'innombrables
créations imaginaires, de l'Iliade à Superman. La littérature héroïque, c'est non
seulement les fictions des bandes dessinées, mais aussi celles des chansons de
Geste, des romans et des films d'espionnage, policiers ou de cape et d'épée. Le
héros apparaît aussi dans nos rêves et se révèle d'une importance
psychologique profonde. Ces mythes varient considérablement au niveau des
détails, mais leur structure générale demeure fort semblable.

« Ils ont une forme universelle, bien qu'ils aient été élaborés par des groupes ou des
individus qui n'avaient pas de contacts culturels directs, par exemple, les tribus africaines
et les Indiens de l'Amérique du Nord, les Grecs et les Incas. Sans cesse, on entend la même
histoire décrivant la naissance miraculeuse, mais obscure du héros, les témoignages
précoces de sa force surhumaine, son ascension rapide à la prééminence ou au pouvoir, sa
lutte triomphante contre les forces du mal, sa défaillance devant la tentation d'orgueil
(hybris47) et son déclin prématuré, à la suite d'une trahison, ou par un sacrifice
“héroïque“ qui aboutit à sa mort. » (HENDERSON, 1964 : 110)

Le héros mythique est “l'incarnation (historique ou non) exemplaire de


l'archétype du héros : accomplissant des exploits extraordinaires et périlleux,
il est la projection de l'idéal du moi de l'homme ordinaire. Car l'homme, tout
homme est le héros psychologique de son combat pour l'autonomie :
l'archétype du héros, activé dans la psyché, suscite des émotions, images et
motivations qui peuvent être projetées sur le héros mythique, amplifiant,
exaltant et glorifiant l'épreuve que vit le moi.” (JADOT, 1984 : 134). La
fonction essentielle du mythe héroïque est le développement, chez l'individu,
de la conscience de soi. Il lui permet de faire face aux tâches ardues que la vie
lui impose en prenant conscience de ses propres forces et faiblesses.

47
Mot grec signifiant ‘démesure’.

270
Sémiologie et herméneutique 271

Étudiant la mythologie winnebago, le professeur Paul Radin relève quatre


cycles distincts dans l'évolution du mythe du héros. Comme les
Winnebagos48, il les a baptisés cycle du trickster ou fripon, cycle du Hare ou
lièvre, cycle de la red Horn ou corne-rouge, et cycle des twins ou jumeaux
(JUNG, KERÉNYI, RADIN, 1958 : 87-145).
Le cycle de trickster (le fripon) correspond à la première période de la vie.
Trickster est un joueur de tours, un bouffon, ou encore un petit fripon. C'est
un personnage dominé par ses appétits. C’est le dieu Pan de la mythologie
grecque. Il conserve la mentalité d'un enfant et son but principal est la
satisfaction de ses besoins les plus élémentaires. Il est tout instinct, sans
aucune inhibition. Dans certaines histoires, il apparaît sous les traits d'un
animal (par exemple, dans Le Roman de Renart, La Belle et la Bête, ou encore
Le Singe de la mythologie chinoise) et s'amuse en commettant divers petits
larcins. Petit à petit, ce chenapan se transforme et commence à prendre
l'apparence humaine. Au cinéma, la métamorphose subie par l’un des
Gremlins qui s'exprime énormément dans le deuxième épisode de cette saga
produite par Spielberg est assez évocatrice de ce type de personnage.
Le Hare (le lièvre) peut également avoir une forme animale. Il marque
cependant un progrès très net sur trickster. Il représente en quelque sorte le
fondateur ou le créateur de la culture. Il en est également le sauveur. Ce
personnage corrige les impulsions instinctives et enfantines qui dominent dans
le cycle de trickster. Prométhée est manifestement l'exemple le plus connu de
ce type de héros.
La red Horn (la corne rouge) est l'archétype du héros qui triomphe des
épreuves telles que la guerre ou la course. Son pouvoir surhumain apparaît
lorsqu'il l'emporte sur des géants, soit par la ruse, soit par la force. Il peut
apparaître sous les traits d'un jeune adolescent et est alors accompagné d'un
personnage dont la force compense ses défaillances éventuelles. C'est
Hercule, le héros-dieu de la mythologie latine. C'est Luke Skywalker dans La
Guerre des étoiles de George Lucas.
Les twins (les jumeaux) figurent les deux aspects opposés de la nature
humaine : l'ego et l'alter ego. L'un, Flesh, représente l'introverti. Il est
conciliant, doux et sans initiative. Sa force principale réside dans sa faculté de
réflexion. L'autre, Stump, représente l'extraverti. C'est l'homme d'action
capable de grands exploits. Il est dynamique et toujours prêt à la révolte. La
mythologie classique regorge de ces jumeaux demeurés célèbres tels Castor et
Pollux, ou Romulus et Remus. Ces héros finissent par être victimes de l'usage
abusif qu'ils font de leur pouvoir. Il ne reste plus de méchants ou de monstres
à combattre, et leurs débordements entraînent finalement leur châtiment.
Ayant dépassé les bornes, ne respectant plus rien, ils reçoivent souvent la mort
comme punition. À moins que ces deux types de héros ne consentent à vivre
dans un état de repos permanent, où les deux aspects contradictoires de la
nature humaine retrouvent leur équilibre, c'est dans le cycle des twins que
48
Les Winnebagos sont des indiens du Moyen-Wisconsin et du Nebraska-Oriental (Amérique
du Nord) qui parlent la langue sioux.

271
272 Du signe au symbole

nous trouvons les thèmes du sacrifice et de la mort du héros considérés


comme nécessaires à la guérison de l'hybris, l'aveuglement et l'orgueil.
Nous pouvons tracer un parallèle entre le type de héros et le
développement psychologique de la personne :

Trickster Hare red Horn twins


|----------------------------|----------------------------|-----------------------------|
0 à 3 ans 3 à 12 ans 12 à 18 ans >18 ans
Fusion avec la Identification Opposition Coopération
mère
“on” indéterminé assujettissement prise de rencontre avec
social et prise de conscience des l'autre
conscience de valeurs (“nous” inclusif)
l'ego (“je”) (“je” >< “ils”)
Cherche à Accède au Essaie de Accepte les
assouvir ses désirs langage et à la s'affirmer différences
culture (amour)
petite enfance enfance adolescence adulte

Notons les rapports étroits entre cette échelle et la classification isotope


des structures de l'imaginaire de G. Durand (DURAND : 1963). Le Trickster
et le Hare peuvent être considérés comme deux moments de la structure
mystique, le red Horn évoque la structure héroïque. Enfin, les Twins
renvoient à la structure synthétique, soit :

Structures Mystique Héroïque Synthétique


(G. Durand) Trickster/Hare Red Horn Twins
Principes logiques : Analogie/Similitude Exclusion/Identité
Causalité, finalité et
efficiente
Thème : homogénéisant = hétérogénéisant = diachronique reliant les
perception, action, combat contradictions par le
contemplation temps.
communion carnage coopération
Forme : hétérogénéisante homogénéisante réflexion, conflit,
accommodation dans assimilation au moi, tourment,
l'espace temps mortifère dépassement, histoire
Moi dans le monde Moi contre le monde Moi et le monde

272
Sémiologie et herméneutique 273

Réflexes dominants : digestif postural — manuel copulatif — moteur


thermique, tactile, vue, audiophonation rythmique, kinesthésie,
gustatif musique.
Schémas verbaux : confondre, descendre, distinguer, relier,
posséder, pénétrer monter, séparer recenser, progresser
La Coupe Le Denier, le Bâton
Images archétypales : icônes (vue) Le Sceptre, le Glaive Mythe, langage, temps
Rituels (motricité) hypotypose51
antiphrase49 antithèse50
Rhétorique :
Âge de la vie selon enfance — vieillesse adolescence — maturité -milieu
Jung : jeunesse
Le projet du héros Rank, Freud, Jung,
selon : l'Utérus maternel, le Phallus, la Loi, le Sacrifice,
le Nom du Père, l'Androgyne,
la fusion la Transgression l'Individuation

Pour Pol Vandromme, ce que le héros propose aux jeunes, « c'est la figure
achevée de leur âge. Il les venge de leurs insuffisances. » (VANDROMME,
1994 : 128)

« L'adolescence est, par définition, l'époque des problèmes, des interrogations, des
inquiétudes. La tourmente physique et les affres intellectuelles. Bien au contraire,
l'adolescence des héros est aérienne, libérée, triomphante ; elle ignore le moindre souci
inhérent à ce passage ; elle chante, intemporelle, à jamais figée en un âge inexistant, sans
poids, sans ombres. » (SADOUL, 1971 : 33)

En règle générale, le besoin de symboles héroïques se manifeste quand le


moi a besoin d'être raffermi, c'est-à-dire quand le conscient a besoin de puiser
aux sources d'énergie de l'inconscient pour accomplir une tâche dont il ne peut
venir à bout tout seul.

« L'un des aspects les plus importants du mythe classique du héros : sa capacité de sauver
et de protéger de belles jeunes femmes de terribles dangers (la demoiselle en détresse était
le mythe favori du Moyen Âge européen). C'est l'une des formes que prend, dans les mythes
ou les rêves, la référence au concept de l'anima, l'élément féminin de la psyché masculine
que Goethe a appelé " l'Éternel Féminin ". » (HENDERSON, 1964 : 123)

49
antiphrase : manière d'employer un mot, une locution dans un sens contraire au sens
véritable, par ironie ou euphémisme (ROBERT, 1993 : 94).
50
antithèse : opposition de deux pensées, de deux expressions que l'on rapproche dans le
discours pour en faire mieux ressortir le contraste [...] contraste entre deux aspects
(ROBERT, 1993 : 95).
51
hypotypose : Description animée et frappante (ROBERT, 1993 : 1118).

273
274 Du signe au symbole

Ainsi, dans de nombreux contes de fées, les héros combattent des monstres
ou un dragon pour sauver une femme en détresse.

« Ce sauvetage symbolise l'anima libérée de l'aspect “dévorant” que comporte l'image de


la mère. Ce n'est qu'une fois ceci accompli que l'homme devient capable d'établir de
véritables rapports avec les femmes [...] En d'autres termes, il fallait que le sujet trouvât un
moyen de libérer l'énergie psychique demeurée fixée à la relation mère-fils, afin de
parvenir à établir des rapports d'adulte avec les femmes, et, en fait, avec la société des
adultes dans son ensemble. La lutte entre le héros et le dragon était l'expression
symbolique de ce processus de maturation. » (HENDERSON, 1964 : 125-126)

La tâche du héros est donc de libérer l'anima comme composante intérieure


de la psyché, nécessaire à tout acte créateur. Grâce à son contact avec
l'archétype du héros, le rêveur s'est découvert une attitude nouvelle de
coopération et de sociabilité. Il a en outre clarifié et développé cette partie de
lui-même représentée par la femme (l'anima) et l'acte héroïque de son moi.

« Le Moi symbolisé par le héros, est essentiellement un porteur de culture [...] le Moi de
l'enfant ou de l'adolescent se libère du joug des ambitions familiales pour développer sa
propre individualité. » (HENDERSON, 1964 : 126)

Il se peut que la lutte entre le héros et le monstre doive être recommencée à


plusieurs reprises afin de libérer l'énergie nécessaire pour que le moi atteigne
le point où ses forces profondes peuvent être personnalisées.

« L'“élément féminin” ne lui apparaît plus en rêve sous la forme d'un dragon, mais comme
une femme. De même, son côté “ombre” prend un aspect moins menaçant. »
(HENDERSON, 1964 : 128)

Première rencontre avec l'inconscient : la découverte de l'ombre

Les rêves nous familiarisent avec des aspects de notre personnalité que
nous avons laissés de côté. Cette partie inconsciente de notre moi se manifeste
le plus souvent dans nos rêves sous une forme personnifiée. Cette ombre « est
constituée par les attributs et qualités inconnus ou peu connus du moi, qui
font partie des aspects personnels de la psyché, et pourraient aussi bien être
conscients. » (von FRANZ, 1964 : 168) L'ombre représente le côté ténébreux
et vulnérable de la personnalité du moi. Elle englobe nos potentialités
inexploitées, mais aussi tous les aspects de nous-mêmes qui furent refoulés à
la suite de notre éducation et de divers interdits sociaux ou religieux. Elle est
la représentation de certains aspects de l'individualité inconsciente. Elle
exprime le côté obscur, non vécu ou refoulé du complexe du moi. L'ombre,
dans un premier stade, représente tout simplement l'inconscient dans son
entier.

274
Sémiologie et herméneutique 275

Voir son ombre, c'est découvrir ses propres défauts, ses tendances, ses
« poutres » et « fétus de paille » que l'on projette dans l’œil du voisin, sans
clairement les accepter pour soi. Faute de les avoir conscientisés, nous les
projetons sur les autres.52
L'ombre possède en fait deux aspects, l'un dangereux, l'autre précieux. Elle
n'est pas uniquement une impulsion destructrice, elle contient aussi des forces
constructives, créatrices, qui peuvent être mises à profit après que le moi a
pris conscience de son ombre. Vishnu, dans la mythologie hindoue, incarne
cette dualité : dieu bienveillant, il peut apparaître également sous un aspect
démoniaque.
Dans les contes et les mythes, nous retrouvons cette part de nous-mêmes
sous la forme de personnages mauvais, de monstres ou de démons. Ce
personnage, comme tous les archétypes, peut évoluer entre les deux pôles
négatif et positif et se métamorphoser lentement en un autre archétype. Ainsi,
dans le film de Spielberg, Gremlins II, deux petits monstres (l'intellectuel et la
femelle) apparaissent plus sympathiques que les autres Gremlins et se
transforment d'une certaine manière en tricksters. Alors que dans le même
film, un autre Gremlin devient plus monstrueux en se métamorphosant en
araignée, image symbolique de la mauvaise mère.
Les problèmes éthiques que pose la rencontre avec l'ombre sont illustrés
dans de nombreux livres de Sagesse. C'est le sens de la discussion entre
Arjuna et Krishna dans le chapitre deux de La Bhagavad-Gîtâ
(AUROBINDO, 1970 : 39-72). C'est aussi l'objet de la discussion du XVIIIe
Livre du Coran. Moïse y rencontre l’ange Khidr. Celui-ci a un comportement
destructeur qui surprend Moïse. Ce dernier apprend par la suite que Khidr a
agi de la sorte pour éviter des catastrophes beaucoup plus graves. Cette
histoire illustre bien la méfiance que nous devons avoir à l'égard des
jugements hâtifs. La réalité psychique n'est pas toujours aussi simple qu'il n'y
paraît.
Reconnaître et accepter l'existence de ces qualités négatives en soi-même
entraîne la renonciation à certains idéaux et à certaines normes de « savoir-
vivre ». Cela nous oblige à beaucoup plus de pondération et de réflexion si
nous voulons éviter des conséquences néfastes. C'est prendre aussi
connaissance des éléments collectifs liés à notre inconscient. Il s'agit de
certaines qualités incompatibles avec les normes de notre civilisation et qui
sont dès lors réprimées par notre éducation.
En ce sens, toute civilisation, toute culture possèdent sa propre ombre.
Cette ombre collective est personnifiée dans les systèmes religieux par les

52
« Ne jugez point, ainsi vous ne serez point jugés. Le jugement que vous portez, on le
portera sur vous, et l'on vous mesurera avec la mesure dont vous vous servez.
Pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et ne vois-tu pas la
poutre qui est dans le tien ? Comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter la
paille de ton œil, alors qu'il y a une poutre dans le tien ? Hypocrite! Ote d'abord la
poutre de ton œil, et ainsi tu y verras pour ôter la paille de celui de ton frère. »
(Matthieu, 7: 1-5)

275
276 Du signe au symbole

figures du diable ou d'esprits malfaisants. Satan, Belzébuth, Le Baphomet,


Méphistophélès, Baal sont autant de personnifications exemplaires de l'ombre
collective. Il existe des rituels religieux ou magiques destinés à rendre le
groupe conscient de son ombre. Ce sont des fêtes de libération de l'ombre
telles que les messes noires, la fête des fous ou encore le carnaval. Quelques
fois, un membre du groupe est obligé d'endosser cette ombre : c'est le fils
indigne, la brebis galeuse, le bouffon, ou encore le bouc émissaire (GIRARD,
1986) qui sera ignoblement sacrifié sur l'autel de la vertu. Dernière remarque :
dans les histoires qui ne contiennent pas à proprement parler de figure
incarnant l'ombre, il y a dédoublement d'une figure archétypale, chaque moitié
de celle-ci constituant l'ombre de l'autre (von FRANZ, 1980 : 57).

Les imagos parentales

Les imagos parentales procèdent d’une double appartenance, les


influences des parents d’une part (plan de l’objet) et les réactions spécifiques
du sujet d’autre part (plan du sujet). L’imago est à la fois subjective et
objective. Elle est objective parce qu’elle se rapporte à un objet. Elle est
subjective parce qu’elle exprime les réactions du sujet. L’imago est donc une
image qui ne reproduit son modèle que de façon fort conditionnelle. La
plupart des gens sont néanmoins convaincus que leurs parents sont tels qu’ils
se les représentent et que leurs parents se confondent avec l’image qu’ils s’en
font. L’image intérieure se trouve inconsciemment projetée. Lorsque les
parents viennent à mourir, cette image demeure active et dynamique, comme
si elle était un esprit existant en soi. Les imagos parentales peuvent prendre
d’autres aspects que ceux des parents. Par exemple, les traits de l’imago
épouseront ceux d’une vieille institutrice, d’un thérapeute plus âgé ou d’un
éventuel directeur. Plus le champ de conscience d’un enfant est limité, plus
ses contenus psychiques lui apparaîtront avec un caractère d’externalité, sous
forme par exemple de magiciens et de sorcières. Il existe une imago
maternelle et une imago paternelle (JUNG, 1964c : 134).

L’imago maternelle

Le premier réceptacle de l’image de l’âme pour l’homme est pratiquement


toujours la mère. C’est pourquoi l’émancipation du fils et la séparation d’avec
la mère représentent un tournant évolutif très délicat. À chaque stade du
développement humain, la mère est perçue comme une bonne et une mauvaise
mère. Pour le nourrisson, elle est à la fois cette image nourricière et
protectrice dont l’absence ou le manque sont vécus comme de véritables
terreurs. L’adolescent doit choisir entre la protection étouffante de la mère et
un certain éloignement libérateur. L’arrivée à l’âge adulte et la séparation
extérieure de la mère ne suffisent pas. Il faut encore diverses épreuves,
initiations et cérémonies opérant une renaissance, pour parfaire efficacement

276
Sémiologie et herméneutique 277

la séparation de l’individu avec sa mère et avec son enfance (par exemple,


Perceval et la quête du Graal). L’adolescent qui grandit dans la civilisation
actuelle se voit privé de ces mesures initiatiques. Il s’ensuit que l’anima, en
jachère sous forme de l’imago maternelle, va être projetée en bloc sur la
femme. L’homme qui vit en couple devient enfantin, sentimental, dépendant
et servile, ou, dans le cas contraire, rebelle, tyrannique, susceptible et
préoccupé de sa prétendue supériorité virile. Il modèle inconsciemment son
idéal du couple de telle sorte que sa compagne assume le rôle magique de la
mère. Il cherche au plus profond de lui-même protection auprès d’une mère et
tend la perche à l’instinct possessif de la femme. La mère est dès lors perçue
comme un facteur de plus en plus étouffant, qui ne permet pas à l’individu de
s’épanouir (JUNG, 1964c : 159-164). Comme tous les archétypes, l’imago
maternelle se subdivise ainsi en deux pôles : la bonne et la mauvaise mère.
Durant l’enfance, la bonne mère épousera très souvent les traits de la mère
réelle ou prendra le visage d’une très jolie fée. De même, la mauvaise mère
prendra, par exemple, les traits d’une vilaine sorcière (mère absente), d’un
dragon, d’un serpent ou d’une araignée (mère étouffante). En résumé, nous
pouvons tracer une échelle53 sur laquelle nous situerons différentes figures de
l’imago maternelle en fonction des deux pôles (négatif et instinctuel/positif et
sentimental).

Dragon, serpent, Gorgone, Fée Visage maternel


araignée, rat chimère,
sorcière, marâtre
|---------------------------|--------------------------|-------------------------|
L’imago paternelle

Alors que la mère constitue pour l’enfant une sauvegarde contre les
dangers qui peuvent surgir des mondes obscurs de l’âme, le père, en
protégeant l’enfant contre les dangers de la vie extérieure, devient un modèle
de la persona. Le père est un modèle et un lien au monde extérieur. Il est à la
fois protecteur et conquérant. Il incarne aux yeux de l’enfant la légitimation. Il
rend l’être grandissant légitime, malgré l’individualité et la ségrégation
individuelle. Il assure en lui la pérennité du sentiment d’appartenance au
groupe (JUNG, 1964c : 160). Le père représente le monde des ordres et des
défenses morales. Il obtient de force la prohibition de l’inceste. Il est le
représentant de l’esprit qui barre la route à la puissance instinctuelle. C’est là
le rôle archétypal qui lui revient, indépendamment de ses qualités
personnelles. Plein de contradictions comme la mère, qui donne la vie et la
reprend en tant que mère « terrible » ou « dévorante », le père est
l’instinctivité sans entrave bien qu’incarnant la loi restrictive de l’instinct.

53
Comme toutes les échelles figurant dans ce chapitre, celle-ci fournit une série
d'images primordiales ambivalentes dont la succession est donnée à titre indicatif et
ne doit pas être interprétée de façon trop rigoriste.

277
278 Du signe au symbole

Aussi est-il souvent l’objet des angoisses névrotiques du fils. Contre lui se
dresse la loi paternelle avec la violence impétueuse de la force virile (JUNG,
1967 : 437-439). L’idée d’une divinité créatrice mâle paraît être dérivée de
l’imago paternelle. Celle-ci tend à remplacer les relations infantiles avec le
père pour que soit facilité à l’individu le passage du cercle étroit de la famille
à celui plus vaste de la société humaine (JUNG, 1967 : 102). Si l’individu ne
parvient pas à briser le cercle familial, il demeure infantile. Il s’est
insuffisamment ou ne s'est pas du tout libéré de son milieu familial et de son
adaptation aux parents. C’est pourquoi, face au monde, il réagit comme un
enfant en présence de ses parents. Il cherche toujours à obtenir amour ou
récompense sentimentale immédiate. Identifié à ses parents, l’infantile se
comporte comme son père et comme sa mère. Il n’est pas à même de vivre sa
propre vie ni de trouver le caractère qui est le sien (JUNG, 1967 : 471). Pour
la jeune femme, l’animus, en jachère, se présente sous forme de l’imago
paternelle. C’est cette imago qu’elle va projeter en bloc sur le bien-aimé (cf.
La Belle et la Bête et Neige Blanche et Rose Rouge). Nous pouvons également
tracer une échelle sur laquelle nous situerons différentes figures de l’imago
paternelle en fonction des deux pôles (négatif et instinctuel/positif et
intellectuel).

Python, lion, Sorcier, Magicien Visage paternel,


taureau, ours, cerf ogre, géant image de Dieu
|--------------------------|-------------------------|-------------------------|

L'anima et l'animus

Un troisième personnage surgit dans le sillage de l'ombre. Si le rêveur est


un homme, il découvre une personnification féminine de son inconscient ; si
c'est une femme, ce sera une personnification masculine. Jung a appelé ces
figures masculine et féminine l'animus et l'anima.

L'anima

L'anima est la personnification de toutes les tendances psychologiques


féminines de la psyché de l'homme. Comme l'ombre et les imagos parentales,
l'anima se situe entre deux pôles : positif (bienveillant) et négatif (maléfique).
Au départ, elle est issue de l'imago maternelle. Les figures de dragons, de
sorcières ou de marâtres54 sont autant d'expressions révélant l'emprise de
l'image maternelle et son côté étouffant. La femme fatale, la Reine des Neiges,
les Sirènes, la Lorelei personnifient d'autres aspects dangereux de l'anima.

54
La reine, dans Blanche-Neige, est à la fois marâtre et sorcière. La belle-mère de
Cendrillon symbolise aussi le côté obscur de la mauvaise mère.

278
Sémiologie et herméneutique 279

Dans le film L'Ange bleu, Marlène Dietrich interprète le rôle d'une chanteuse
de cabaret qui use de son charme pour dégrader un professeur et le
transformer en bouffon dans son spectacle de cabaret. Ce personnage est un
symbole clair d'une anima négative. On retrouve ce type de femme fatale dans
de nombreux films.
L'anima se manifeste aussi sous forme de fantasmes érotiques. Les
hommes peuvent être amenés à nourrir ces fantasmes en regardant des films,
des spectacles de strip-tease ou en rêvant sur des livres pornographiques. C'est
un aspect grossier de l'anima qui se manifeste chez l'homme qui n'a pas
suffisamment cultivé ses relations affectives qui sont demeurées infantiles.
Les aspects positifs de l'anima sont aussi importants. Par exemple, l'anima
va provoquer la naissance du sentiment d'amour le plus puissant chez l'homme
qui va rencontrer la femme porteuse de sa projection d'anima. Elle peut l'aider
également à discerner certains aspects de l'inconscient. Lors de l'analyse, au
niveau du voyage initiatique intérieur, elle assume un rôle fort important
d'inspiratrice (la Muse), d'indicateur, de guide (Ariane et son fil), de
médiateur, entre le moi et le monde intérieur. Elle peut représenter un
cheminement vers le Soi.
Il y a donc une fonction créatrice de l'anima qui permet à l'homme de
développer sa spiritualité. La dame que le chevalier du moyen âge servait en
accomplissant des exploits héroïques est une personnification de ce type
d'anima.
Il existe quatre stades plus positifs du développement de l'anima qui sont
liés au développement psychique de l'homme. Le premier peut être symbolisé
par Ève. Cette figure représente des relations purement instinctuelles et
biologiques. Le second est incarné par Hélène de Troie ou Marguerite dans
Faust. Elle personnifie le niveau romantique et esthétique, encore caractérisé
par des éléments sexuels. Le troisième stade peut être représenté par la Vierge
Marie55, la fille de Mahomet, Fatima, la déesse hindoue Shakti, la déesse
égyptienne Isis, ou encore la déesse chinoise Kwan Yin. C'est une figure dans
laquelle l'amour (Éros) atteint à l'altitude de la dévotion spirituelle. Le
quatrième et dernier stade est celui de La Sagesse (Sophia). Cette figure
transcende la sainteté et la pureté. Elle est symbolisée par la Sulamite du
Cantique des Cantiques.

« Elle est unique, elle, ma palombe, ma parfaite, unique, elle,


pour sa mère, immaculée, elle, pour celle qui l'enfanta.
Elles l'ont vue, les filles, et l'ont félicitée ;
les reines, les concubines, et l'ont louangée.
Qui est-elle ? Elle s'observe telle une aube,
belle comme la Blanche, immaculée comme l'Incandescent
et terrible comme un mirage. » (Cantique des Cantiques, VI, 9-10)

55
Il s'agit ici de l'image (ou les traits) de la Vierge et non de la Vierge Marie, elle-même, en
tant que personne réelle. Idem pour Fatima et les autres personnes ayant réellement existé.

279
280 Du signe au symbole

En résumé, nous pouvons tracer une échelle56 sur laquelle nous situerons
les différents stades de développement de l'anima en fonction des deux pôles
(négatif et instinctuel/positif et sentimental).

Dragons, Sorcières, Femme Eve, Marguerite Isis, Vierge Sophia,


araignées marâtres fatale sex Hélène (noire), bonne fée
symbol Fatima
|---------------|---------------|--------------|---------------|-----------------|------------------|

« Un homme infantile possède, en règle générale, une figure d'Anima maternelle ; pour
l'homme adulte, ce sera la figure d'une femme plus jeune57 [...] La figure de l'Anima a aussi
des rapports avec les animaux qui symbolisent ses qualités. Ainsi, le serpent ou le tigre, ou
un oiseau peuvent apparaître. » (JUNG & KERÉNIY, 1953 : 208)

Tous ces aspects de l'anima, comme pour l'ombre, peuvent être projetés, en
sorte qu'ils apparaissent à l'individu comme des qualités que posséderait telle
femme réelle. C'est cette projection de l'anima qui est entre autres à l'origine
du coup de foudre et inversement (CAHEN, 1984 : 506).

L'animus

L'animus est la personnification masculine de l'inconscient chez la femme.


Cet animus présente, comme l'anima ou l'ombre, des aspects positifs et des
aspects négatifs.
De même que l'anima d'un homme est façonnée par la mère, l'animus se
construit autour de l'image du père de la femme. Ainsi, les images
archétypales d'anima et d'animus sont parasitées par les images archétypiques
parentales, surtout durant l'enfance et la jeunesse.
L'animus négatif peut se manifester au niveau de l'inconscient sous l'aspect
d'un bel étranger ou d'un démon de la mort qui détourne la femme de toutes
relations humaines, et particulièrement de tous contacts avec les hommes.

« Dans les mythes et les contes de fées, il apparaît sous les traits du voleur ou du meurtrier.
Barbe-bleue, qui tue secrètement ses femmes, en est un exemple. Sous cette forme, l'animus
personnifie toutes les réflexions à demi-conscientes, froides et destructrices, qui viennent à
envahir la femme, surtout lorsqu'elle s'est soustraite à une nécessité dictée par le
sentiment. » (von FRANZ, 1964 : 191)

L'animus négatif peut également prendre la forme d'une bande de brigands


romantiques, mais dangereux.

56
Afin de montrer la continuité entre les différentes images archétypales, l’échelle présentée
combine à la fois des images liées à l’imago maternelle et des images propres à l’anima.
57
Il s'agit de la Korè, qui correspond à une image archétypale liée au Soi (cf. puella aeterna)
ou à l'anima (JUNG & KERENYI, 1953 : 188-211).

280
Sémiologie et herméneutique 281

« Comme l'anima, l'animus n'a pas seulement des caractéristiques négatives telles que la
brutalité, la témérité, la tendance au bavardage, la rumination silencieuse et obstinée
d'idées malveillantes. Il a aussi des aspects positifs précieux ; il peut aussi jeter un pont
vers le Soi grâce à une activité créatrice. » (von FRANZ, 1964 : 193)

Si une femme se rend compte de la nature de son animus et de l'influence


qu'il exerce sur elle, et si elle essaye de l'intégrer au niveau du conscient, il
peut devenir un précieux compagnon qui lui communiquera les qualités
masculines d'initiative, de courage et de sagesse spirituelle.
Dans de nombreux mythes et contes de fées, un prince, transformé par une
sorcière en monstre ou en bête sauvage, ne peut être délivré que par l'amour
d'une jeune fille. Ce thème symbolise le processus d'intégration de l'animus à
la conscience.58
L'animus, comme l'anima, comporte quatre stades positifs de
développement. Le premier stade personnifie la simple force physique.
Tarzan en est une magnifique représentation. Au stade suivant, il représente
« le romantique » ou « l'homme d'action ». Les rôles interprétés par Gérard
Philippe, Richard Gere, Alain Delon, Kevin Costner ou Harrison Ford en sont
autant d'illustrations. Il possède l'esprit d'initiative et la capacité d'agir d'une
façon organisée. Au troisième stade, l'animus devient le « verbe » et apparaît
sous les traits d'un savant, d'un prêtre ou d'un professeur. L'image d'Einstein
pourrait être représentative de ce stade, celle de Robin Williams (John
Keating) dans Le Cercle des poètes disparus également. Au quatrième stade,
il incarne la « Pensée ». Il devient le médiateur de l'expérience religieuse et
donne à la femme une fermeté spirituelle, un soutien intérieur invisible, qui
compensent sa faiblesse apparente. L'image du Christ59 ou celle de grands
sages tels que Gandhi sont représentatives de cette ultime étape. Comme pour
l'anima, nous pouvons tracer une échelle sur laquelle nous situerons les divers
stades de développement de l'animus en fonction des deux pôles (négatif et
force physique/positif et pensée).

Monstres, Diables, Brigands, Athlète Hô d’action, Intellectuel Logos,


rats Barbe-bleue Bel Tarzan romantique Einstein Christ
inconnu
|---------------|-------------|------------|------------|--------------|--------------|

58
La Belle et la Bête est un magnifique exemple lié à ce thème.
59
Comme le souligne Eugen Drewermann, il ne faut cependant pas confondre la personne du
Christ et l'image archétypale qu'il évoque (BLATCHEN, 1994).

281
282 Du signe au symbole

Le Soi : les symboles de totalité

Lorsque l'individu ne s'identifie plus à son anima ou à son animus,


l'inconscient change d'aspect et apparaît sous une nouvelle forme symbolique,
représentant le noyau le plus intérieur de la psyché : le Soi.

« Dans les rêves d'une femme, ce noyau est généralement personnifié par un personnage
féminin supérieur, prêtresse, magicienne, terre-mère, déesse de la nature ou de l'amour.
Dans le cas d'un homme, il se manifestera sous la forme d'un initiateur ou d'un gardien (le
guru des Hindous), d'un vieux sage, d'un esprit de nature, etc. » (von FRANZ, 1964 : 196)

Dans la mythologie grecque, le Soi apparaît sous les traits de la déesse-


mère Déméter ou du dieu Hermès. Dans les contes de fées, le Soi féminin sera
symbolisé par une vieille femme secourable, une marraine, ou une fée60. Dans
les légendes arthuriennes, le Soi masculin prendra le visage de Merlin
l'enchanteur. Toutefois, le Soi n'emprunte pas toujours les apparences d'un
vieux sage ou d'une vieille femme. Ces personnifications sont des essais pour
exprimer une entité qui se situe partiellement hors du temps, à la fois jeune et
vieille.
Chez un homme mûr, le Soi peut être représenté sous les traits d'un jeune
homme ou d'un enfant (le puer aeternus)61. Ce dernier symbolise l'élan vital et
le renouveau de vie.

Il « est le médiateur, symbole d'une nouvelle attitude en laquelle les opposés se


rencontrent. C'est un enfant, un garçon comme le puer aeternus antique, exprimant par sa
jeunesse la renaissance et le retour de ce qui avait été perdu. » (JUNG, 1986 : 263)

Cet enfant représente également chez Nietzsche62 le stade ultime, celui du


surhomme. De même chez une femme, le Soi peut se manifester sous la forme
d'une jeune fille (puella aeterna ou la Korè) possédant des dons surnaturels.
Le Soi peut encore se manifester sous la forme de l’Homme cosmique.
Celui-ci apparaît dans de nombreux mythes et enseignements religieux. Il se
manifeste sous les traits d'Adam (Kadmon), de Krishna, du Bouddha, du
Christ, du Léviathan de Hobbes, du Gayomart perse, du Purusha hindou.
Certaines traditions affirment que l’Homme cosmique est le but de la
création. Par exemple, dans la religion chrétienne, nous sommes tous appelés
à devenir membres du Christ, le Fils de l'Homme. Pour les hindous, le monde

60
Par exemple, la fée "marraine" de Cendrillon.
61
Le puer aeternus, la puella aeterna ou la Korè peuvent représenter une évolution psychique
importante, comme ils peuvent représenter un développement immature, infantile.
62
Voir le texte des « Trois métamorphoses » dans Ainsi parlait Zarathoustra (NIETZSCHE,
1972)

282
Sémiologie et herméneutique 283

extérieur et le flot discursif des diverses représentations du moi liées aux


désirs se dissoudront un jour dans le Grand Homme originel pour laisser place
à l’Homme cosmique (La Baghava Gîta).

« Les multiples exemples qui nous viennent des civilisations et des époques les plus diverses
démontrent l'universalité du symbole du Grand Homme. Son image se présente à l'esprit
des hommes comme une sorte de but, ou d'expression du mystère fondamental de
l'existence. Et parce qu'il est le symbole de la totalité et de la plénitude, il est souvent conçu
comme bisexué. » (von FRANZ, 1964 : 203)

Cette image bisexuée sera reprise par les alchimistes des XVIe et XVIIe
siècles. L'Hermaphrodite réconcilie l'un des couples d'opposition principaux
de la psychologie : l'élément mâle et l'élément femelle, le yin et le yang. Cette
union peut également se manifester au rêveur sous la forme d'un couple divin
ou royal.
La forme humaine — quel que soit son âge — n'est d'ailleurs qu'une des
multiples apparences empruntées par le Soi, qui peut même prendre la forme
d'un animal :

« Le Soi est souvent représenté par un animal symbolisant notre nature instinctive et ses
relations avec le milieu [...] Cette relation du Soi avec la nature environnante, et même
avec le Cosmos, vient probablement du fait que l'“atome originel” de notre psyché
participe en quelque façon du monde entier, intérieur et extérieur. » (von FRANZ, 1964 :
207)

Le noyau intérieur de la psyché peut ainsi apparaître sous la forme, par


exemple, d'un couple de lions. Tant que l'image de la totalité s'exprime sous
cette forme, elle implique encore une passion dévorante. Sitôt que les deux
lions se sont métamorphosés en roi et en reine, le processus d'individuation
atteint le niveau de la prise de conscience et peut être désormais compris par
le moi.
L'oiseau peut également représenter ce processus où l'aspect spirituel
devient visible et acquiert une forme purifiée, celle d'un liquide ou d'un solide,
ce qui, psychologiquement, représente un processus de réalisation,
d'intégration, ou d'incarnation.
De multiples exemples existent dans l'histoire des religions, dans les
mythes et dans les contes de fées. Ainsi, le Saint-Esprit apparaît sous la forme
d'une colombe. Le Christ est souvent comparé au phénix qui renaît de ses
cendres, tandis que dans l'histoire d’Hassan Pacha, un conte du Turkestan,
l'oiseau appelé Angha-Kouch porte des sentences de sagesse inscrites sur ses
plumes. Angha est l'équivalent arabe du persan Simourg, et il joue le même
rôle que le griffon des contes de fées germaniques. C'est un oiseau véhicule
qui transporte le héros au bout du monde et l'en ramène.

« Sous la forme d'oiseau, c'est une sorte d'envolée spirituelle, une réalisation mentale dans
un moment d'extase plus ou moins prononcée, ce que les Pères de l'Église appelaient “le

283
284 Du signe au symbole

vol de l'âme” (raptus animae). L'image évoque une expérience intérieure qui reste plus ou
moins transitoire si elle ne revient pas à terre, si on ne retombe pas sur ses pieds. » (von
FRANZ, 1984a : 289)

Beaucoup de gens font ainsi l'expérience d'une réalité excessivement


importante, d'une forte émotion où ils sentent que désormais un
accomplissement a eu lieu ; mais d'une certaine façon, cette extase ne dure pas
et les misères de la vie les ligotent de nouveau. C'est pourquoi l'oiseau n'est
pas la totalité de l'expérience intérieure, mais seulement son commencement :
c'est un véhicule y menant. Cela veut dire que l'expérience intérieure,
l'émotion spirituelle, est en cours et pourra peut-être se consolider et se
changer en une réalisation, c'est-à-dire devenir une réalité intérieure. Se
métamorphoser en une pierre philosophale, forme la plus différenciée de la
réalisation, au-delà du stade du volatil(e). Les soufis, dont Attâr, le grand
poète persan du XIIe siècle, enseignent que les oiseaux s'anéantissent dans le
Simourg et que l'ombre se perd ainsi dans le soleil (ATTAR, 1976).

« C'est un degré de développement de la matière première, mais non encore le but. Cela
explique pourquoi, dans le conte du Bain Bâdguerd, il faut abattre l'oiseau pour découvrir
le diamant de Gayomart. Le diamant représente la réalisation définitive, l'expérience
intérieure du Soi au stade où elle est devenue absolument réelle, ne se “volatise” plus et ne
peut plus se perdre après un moment d'exaltation. » (von FRANZ, 1984a : 290)

La pierre symbolise l'expérience de quelque chose d'éternel, que l'homme


peut éprouver dans un moment où il se sent immortel et inaltérable. Les
pierres, précieuses ou autres sont ainsi des images fréquentes du Soi, parce
qu'elles sont achevées et durables. Il ne faut dès lors pas s'étonner si beaucoup
de religions utilise la pierre pour représenter Dieu, ou marquer le lieu du culte.
Les dolmens et les menhirs chez les Celtes, la pierre que Jacob plaça à
l'endroit où il eut son fameux rêve, la Ka'aba, la fameuse pierre noire de la
Mecque, la pierre philosophale des alchimistes du moyen âge, et, enfin, selon
le symbolisme chrétien, le Christ lui-même est la pierre rejetée par les
bâtisseurs et qui devint la pierre d'angle. Dans beaucoup de rêves, le noyau
psychique apparaît également sous la forme d'un cristal.

« Parmi les représentations mythologiques du Soi, on trouve fréquemment les quatre coins
du monde, et dans beaucoup d'images, le Grand Homme figure au centre d'un cercle divisé
en quatre. Jung utilisait le mot Hindou mandala (cercle magique) pour désigner une
structure de cet ordre, qui est une représentation symbolique du noyau originel de la
psyché, dont l'essence nous est inconnue. » (von FRANZ, 1964 : 213)

Pour Aniéla Jaffé, la rondeur (le motif du mandala) symbolise l'intégrité


naturelle, alors que la forme quadrangulaire représente la prise de conscience
de cette totalité (JAFFÉ, 1964 : 230-271). Ainsi, « les manifestations
naturelles et libres du centre psychique sont caractérisées par la quaternité,
c'est-à-dire par une division en quatre, ou par d'autres structures fondées sur

284
Sémiologie et herméneutique 285

les séries numériques 4, 8, 16, etc. » (von FRANZ, 1964 : 200) En fonction du
processus d'individuation (intégration au plan de la conscience des parties
inconscientes du Soi), nous pouvons également établir une échelle des
différentes figures (volatil/permanent) :

Hermès, Puer Homme Couple Herma- Oiseau Pierres, Mandala,


Vieux Sage, Aeternus, cosmique d’ani- phrodite, (volatil) bijoux, quaternité
magicien, Puella maux, Andro- cristaux
Déméter, Aeterna, couple gyne (perma-
Grand-mère Korè d’humain nent)
s
Reine/Roi
|---------------|-------------|--------------|------------|------------|------------|-----------|

Chaque personnification de l'inconscient — l'ombre, les imagos


parentales, l'anima, l'animus, ou le Soi — possède un aspect lumineux et un
aspect ténébreux.

« Nous avons vu que l'ombre peut être vile et mauvaise et se manifester comme une pulsion
instinctuelle qu'il faut surmonter. Mais elle peut être aussi une impulsion allant dans le
sens de la croissance qu'il faut développer. De la même façon, l'anima et l'animus ont des
aspects doubles : ils peuvent provoquer une évolution vivifiante de la personnalité, lui
apporter un esprit créateur, ou ils peuvent causer la pétrification et la mort physique. Le
Soi lui-même, ce symbole qui embrasse tout l'inconscient, a un effet ambivalent [...] Le côté
ténébreux du Soi représente le danger le plus grand, précisément parce que le Soi est la
plus grande des forces psychiques. Il peut amener les gens à fabriquer des fantasmes
mégalomaniaques, ou d'autres aussi illusoires dont ils seront “possédés”. » (von FRANZ,
1964 : 215-216)

C'est pour cette raison qu'il faut prendre garde à ne pas sortir de soi, mais à
coïncider affectivement avec soi-même. Le moi doit continuer à fonctionner
normalement, en étant simplement réceptif aux contenus et aux processus
significatifs de l'inconscient.

Rêves et interprétations

Quand Jung nous conseille de prêter attention à nos rêves, il nous propose
de revenir à ce qu'il y a de plus subjectif en nous, à la source de notre
existence et de notre vie, à ce point où nous participons, à notre insu, à
l'histoire du monde. Pour Jung, nos rêves sont l'expression de notre nature
subjective. Ils sont des produits de l'âme inconsciente ; ils sont spontanés,
sans parti pris, soustraits à l'arbitraire de la conscience. Méditer ses rêves, c'est
faire un retour sur soi-même (JUNG, 1987). Au cours de ses réflexions, la

285
286 Du signe au symbole

conscience du moi ne médite pas sur elle seule ; elle s'arrête aux données
objectives du rêve comme à une communication ou à un message provenant
de l'âme inconsciente. On médite sur le « Soi », c'est-à-dire sur la totalité de la
personnalité dont le moi et la conscience ne sont que des parties constitutives.
Pour Jung, ce « Soi » est essentiel, car il constitue notre socle et a engendré le
« moi », même s'il nous est devenu étranger, du moins pour ceux qui se sont
aliénés en suivant uniquement les errements de leur conscience.
Pour Jung, la méthode d'interprétation des rêves de Freud est insuffisante.
Cette interprétation ne met jamais rien de plus en lumière que tout ce qui,
selon les théories freudiennes, est susceptible de figurer dans le rêve. Cette
conception obscurcit le sens du rêve plus qu'elle ne l'éclaire. On peut
difficilement penser, quand on s'est fait une idée de la variabilité infinie des
rêves, qu'il ne puisse jamais exister dans ce domaine une méthode, c'est-à-dire
une marche à suivre, techniquement prescrite, capable de conduire à un
résultat infaillible.

« Le mieux que l'on puisse faire est de traiter le rêve comme un objet totalement inconnu :
on l'examine sous toutes ses faces, on le prend en quelque sorte en main et on le soupèse,
on le porte avec soi, on laisse courir son imagination, on le confie à d'autres personnes. »
(JUNG, 1987 : 87)

Une telle démarche suscitera une foule d'incidences dans l'esprit du rêveur
et l'amènera déjà à la périphérie du sens du rêve. La découverte de ce dernier
est — si l'on peut dire — une affaire essentiellement arbitraire. C'est lors du
déchiffrement que commence la témérité. Le sens, le résultat de
l'interprétation du rêve, dépendra de l'intention de l'exégète, de son attente ou
de ses exigences.

« La signification trouvée sera toujours involontairement orientée selon certaines


prémisses ; de l'honnêteté et de la conscience apportées par le chercheur à l'interprétation
du rêve dépendront le gain éventuel qu'il en peut retirer ou l'imbrication plus profonde
encore dans les erreurs qu'il commet. » (JUNG, 1987 : 87)

Pour ce qui est des prémisses, Jung table sur le fait que le rêve n'est pas
une invention oiseuse de la conscience, mais une apparition naturelle et
spontanée. Il suppose également que les rêves émanent de notre nature
inconsciente, qu'ils en sont pour le moins des symptômes, qui permettent par
inférence de pressentir sa complexion (JUNG, 1987 : 88). De plus, il estime
que « l'interprétation d'un rêve est sans valeur tant qu'elle n'a pas acquis
l'assentiment du patient » (JUNG, 1987 : 255). Jung envisage d'analyser le
rêve, comme il le ferait de n'importe quel autre produit psychique, tant
qu'aucun fait contradictoire ne lui enseigne mieux. Il prend en compte deux
points de vue. Tout d'abord, le point de vue causal de Freud : tout processus
psychique se présente comme la résultante des données psychiques qui l'ont
précédé. Ensuite, le point de vue finaliste : le processus psychique révèle
également un sens et une portée qui lui sont propres. Le rêve exprime une

286
Sémiologie et herméneutique 287

intention. Il applique au rêve cette double façon de voir. « Comprendre le rêve


exigera d'abord que l'on recherche de quelles réminiscences vécues il se
compose. » (JUNG, 1987 : 203) Ainsi, pour chacune des parties de l'image
onirique on remontera aux antécédents. Ce premier pas est cependant
insuffisant, car seuls un recoupement, une concordance de plusieurs causes
peuvent livrer une détermination vraisemblable des images du rêve. « On doit
donc chercher à réunir, à grouper, d'autres matériaux ; selon ce même
principe de remémoration, on utilise "la méthode des associations libres" »
(JUNG, 1987 : 204). Cette recherche livre des matériaux très divers et fort
hétérogènes, dont le seul trait commun paraît être leur rapport associatif avec
le contenu du rêve, rapport sous lequel ils n'auraient pas été évoqués à
l'occasion du rêve.

« Il est indispensable de mentionner les deux modes d'interprétation d'une image onirique :
le plan de l'objet et le plan du sujet. Si je rêve d'une personne déterminée, cette image peut
représenter effectivement la personne en question, à la place qu'elle a dans la vie (plan de
l'objet), mais elle peut symboliser également une partie inconsciente de moi-même (plan du
sujet). La plupart du temps les deux plans ne sont pas dissociés et il convient de les
examiner successivement, car l'extérieur est le reflet de l'intérieur. » (PERROT, 1970 : 29)

Étienne Perrot poursuit en précisant que :

« La conception jungienne du rêve est plus large que celle de Freud. On sait que celui-ci
voyait dans le rêve la représentation transposée de problèmes refoulés. Les personnes ou
les objets indésirables revêtent, pour lui, un déguisement, un camouflage qui leur est
imposé par une fonction spéciale appelée censure. Pour Jung un rêve est une production
naturelle, au même titre qu'un arbre ou une fleur. Il traduit l'état de l'inconscient à un
moment déterminé. [...] Comme il se compose de symboles, il offre un vaste champ à
l'interprétation. » (PERROT, 1970 : 29)

Le symbole n'est pas, pour Jung, une simple allégorie. L'image a une place
et une signification dans l'ensemble de l'univers humain. Elle doit donc être
étudiée en elle-même et pour elle-même. On examinera ensuite les
connexions qu'elle peut avoir avec les figures présentes dans l'âme du rêveur
et on la mettra enfin, à l'occasion, en relation avec les représentations qu'en
donnent les mythes et la littérature pour en dégager le sens.

« Cette opération, dénommée amplification, est propre à l'école jungienne. Elle permet au
sujet de sortir de l'isolement où le plongeaient ses problèmes personnels et de sentir que
d'autres hommes ont vécu avant lui la même aventure. En plus de son propre rêve, il lui est
possible de reconnaître comme sien le drame mythique invoqué comme illustration de ses
images, de donner ainsi à sa propre expérience toute son ampleur et de mieux comprendre
la richesse et le sens de ce qu'il a vécu intérieurement. » (PERROT, 1970 : 29)

287
288 Du signe au symbole

L'amplification est fondée sur la notion d'un inconscient collectif63, c'est-à-


dire de structures psychiques symboliques communes à l'humanité tout
entière. L'expérience quotidienne de l'analyse a montré que diverses images
liées à diverses mythologies revenaient régulièrement chez les patients, quelle
que soit leur culture ou leur religion. On comprend que Jung insiste pour que
les psychothérapeutes aient une culture mythologique et religieuse étendue. Il
existe un autre mode de contact avec les images : ce que Jung appelle
imagination active. Cette méthode consiste à prendre, à l'état de veille, un
fragment de rêve et à le laisser évoluer librement en concentrant l'attention sur
lui. Cette méthode est à rapprocher des Exercices spirituels de St Ignace.
L'inconscient collectif n'est connaissable que par les contenus qui le
manifestent. Ce sont les images archétypales ou images primordiales. Les
archétypes sont des structures servant d'intermédiaires entre le fond
inconnaissable de l'univers et la conscience individuelle. Ce sont des
virtualités formatrices, dynamiques, insaisissables en elles-mêmes qui ne se
manifestent que dans leurs réalisations concrètes. Les archétypes sont des
dynamismes puissants qui portent en eux les contraires intimement mêlés et
peuvent se manifester sous des aspects multiples. Ces archétypes se refusent à
toute définition univoque. Par exemple, l'archétype de la mère peut revêtir
une variété presque infinie d'aspects. Auprès de la mère naturelle, l'archétype
peut être représenté sous la forme de la Mère céleste, la déesse, la Mère de
Dieu, la Vierge Marie, Sophia, la Sagesse ; elle peut revêtir le terme de
l'aspiration humaine : le royaume de Dieu, la Jérusalem céleste, le paradis
(gratiae paradisus), l'Église, l'Université (l'Alma Mater), la ville, le pays, la
terre, la forêt, l'océan et le lac ; le lieu de naissance : le champ, le jardin, la
grotte, la source, le puits, les fonts baptismaux, la fleur considérée comme
vase (rose et lotus), ou l'utérus et toute forme creuse. Ce sont là différents
aspects positifs de l'archétype. Il a aussi sa face obscure, néfaste, étouffante ou
castrante qui se manifeste sous la forme d'images telles que : la sorcière, la
marâtre, le dragon, ou tout animal qui engloutit et enlace : le grand poisson, le
serpent ; c'est aussi la tombe, le sarcophage, la profondeur des eaux, la mort.
Jung énumère diverses propriétés de l'archétype maternel : sagesse et
élévation spirituelle, bonté, protection, patience, transformation, renaissance.
C'est aussi, sous l'autre versant, le secret, l'obscur, l'abîme, ce qui dévore ou
provoque l'angoisse. L'archétype peut apparaître au jeune enfant comme la
mère charnelle, puis se montrer sous les traits de l'initiatrice. À ce moment,
s'il s'agit d'un homme, la femme lui apparaîtra sous un autre aspect capital :
l'anima.

« Celle-ci représente la partie féminine de la psyché qui correspond aux gènes féminins que
tout homme porte en lui dans son corps, et aussi, sur le plan cosmique, à la femme

63
Pour rappel : selon Carl Gustav Jung, l'inconscient personnel contient les souvenirs
subliminaux, oubliés ou refoulés de l'individu. L'inconscient collectif s'étend au-delà de cet
inconscient personnel ; il est formé des dynamismes qui sont le fonds commun de l'humanité
tout entière.

288
Sémiologie et herméneutique 289

primordiale, à « l'âme du monde. » Dans l'enfance l'image de l'anima et celle de la mère


sont confondues, ce qui explique le penchant secret à l'inceste décrit sous le nom de
complexe d’Œdipe. Pour Jung la rencontre avec l'archétype de l'anima est une phase
capitale de l'évolution. « Si, dit-il, l'explication avec l'ombre est l’œuvre du compagnon,
l'explication avec l'anima est l’œuvre du maître » (PERROT, 1970 : 35).

Étienne Perrot ajoute :

« Face à la puissance des archétypes, le sujet doit se livrer à un travail de prise de


conscience et d'intégration. L'archétype qui frappe à la porte sans être accueilli demeure là
comme une force étrangère hostile. » (PERROT, 1970 : 36)

D'où l'intérêt de retrouver au sein des moyens de communication actuels


ces images primordiales afin de se livrer à ce travail de prise de conscience et
d'intégration. Dans ce livre, nous nous attelons à les décrypter au sein de
certains films, il serait tout aussi intéressant de les rechercher au sein d'autres
modes de communication tels que les jeux « Nintendo », les bandes dessinées
ou les dessins animés diffusés sur les chaînes télé. Tout peut recevoir une
signification symbolique : les objets naturels (le soleil, la lune, le vent, l'eau,
le feu, les montagnes, les vallées, les pierres, les plantes, les animaux, les
femmes et les hommes) ou fabriqués par l'homme (les maisons, les bateaux,
les voitures) ou même les formes abstraites (les nombres, le triangle, le carré,
le cercle). L’actualité et les récits médiatiques présentent également de
multiples images archétypales. Tout l'univers est un symbole en puissance.
Ce qui distingue les symboles des signes, c'est le fait que la relation entre
le symbolisant et ses symbolisés ne soient ni conventionnelle, ni arbitraire.
Elle est propre à chaque individu et à chaque situation. Le symbole renvoie à
une multitude d'images mentales. C'est pour cette raison que les symboles sont
plus ambivalents. Par leur nature, ils relèvent davantage du domaine de
l'iconique ou de l'analogique.
À l'inverse des signes digitaux, il n'existe pas de lien univoque par rapport
à leur objet. Leurs significations ne peuvent se découvrir qu'à travers une
interprétation (et non une analyse) qui tient compte à la fois du contexte, du
rapport avec l'éventuel mode de communication digital (le texte dans les
phylactères), et de la relation entre l'émetteur et le récepteur. Le contexte se
révèle donc capital au niveau de l'interprétation. Une interprétation basée
uniquement sur des relations de cause à effet s'avère insuffisante. Pour donner
un sens aux images, il faut établir une relation finaliste qui tienne compte du
contexte et de l'interaction entre ces différentes images. C'est pour cette raison
que nous avons adopté la méthode d'amplification qui s’appuie également sur
le contexte.
Par ailleurs, lorsqu'un rêve nous parle d'une autre personne que nous-
mêmes, il y a deux interprétations possibles. Si on interprète le rêve sur le
plan de l'objet, il s'agit bien de la personne en question. Si, par contre, on
interprète le rêve sur le plan du sujet, cette personne peut n'être qu'une

289
290 Du signe au symbole

projection, et représenter symboliquement quelque aspect intérieur du rêveur


lui-même.
Enfin, les images étant en soi ambivalentes, elles possèdent en commun
diverses significations. Les significations de chaque image s'interpénètrent.
C'est ce que Jung nous révèle avec sa notion d'archétype. Chaque image
archétypale est liée aux autres et son interprétation fluctue d'un pôle vers un
autre. Par exemple, l'archétype de la mère est à la fois positif et négatif. De
même, le Trickster se retrouve par certains côtés dans l'image du puer
aeternus ou de la puella aeterna. Comme le fait remarquer Sylvia Brinton
Perera, la puella aeterna représente également « un certain type de femme qui
garde trop longtemps une psychologie d'adolescente, généralement associée à
un fort attachement inconscient au père. Son équivalent masculin est le “puer
aeternus”, “l'éternel enfant” (petit garçon), lié à sa mère d'une façon
similaire. » (BRINTON PERERA, 1990 : 166) C'est l'homme immature. Il
existe une relation étroite entre tous les symboles et chaque symbole montre
en quelque sorte un aspect d'une réalité qui le dépasse. De même qu'en
métaphysique, Dieu se révèle en toute chose, le Soi est déjà virtuellement
dans l'ombre. Il est l'ombre. La difficulté pour l'interprète, c'est d'essayer
d'entrevoir la richesse contenue dans les ténèbres de l'inconscient et de
comprendre quel aspect est mis ainsi en avant. Finalement, le processus
d'individuation ressemble à une marche en spirale ascendante qui nous
présente la réalité sous toutes ses facettes. C'est la fameuse
« circumambulatio ».

Interactions entre le modèle jungien et les modèles


de la communication

La problématique du rêve ou la nécessité de se situer en tant


qu'observateur

Nous avons vu que les modèles en communication sont souvent basés sur
des métaphores (métaphore du télégraphe, métaphore de l'action, ou encore la
métaphore de l'ordinateur). La conception jungienne des rêves relève
également de la métaphore : celle de la maison. Jung s'est détaché des
conceptions freudiennes à la suite d'un rêve qui se déroulait à l'intérieur d'une
maison (JUNG, 1973 : 186-190). Par-delà cette anecdote, essayons de
confronter ces diverses métaphores entre elles afin de voir si elles peuvent
s'enrichir mutuellement ou du moins susciter diverses interrogations et/ou
hypothèses.

290
Sémiologie et herméneutique 291

Le modèle du code

Prenons tout d'abord la métaphore du télégraphe, c'est-à-dire le modèle du


code. Si nous l'appliquons au rêve, nous obtenons grossièrement le schéma
suivant :

rêveur endormi (inconscient) images oniriques rêveur éveillé (conscient)

Intéressons-nous au code, c'est-à-dire au système de signes engendré au


sein du rêve. Ce système a-t-il un sens ? Peut-on analyser le contenu d'un rêve
de la même manière qu'un message énoncé consciemment ?
Freud, et Jung répondent par l'affirmative, en procédant par une démarche
empirique. Pour Freud, le message onirique est relativement univoque (lié au
refoulement et à la sexualité). Pour Jung, il demeure plus ambivalent et son
sens est pluriel ou multiple (plan de l'objet et plan du sujet). Sa conception de
l'inconscient semble correspondre davantage aux hypothèses proposées par la
neurophysiologie actuelle (JOUVET, 1992).

La linguistique de l'énonciation

Dans ses écrits, Jacques Lacan affirme également que l'inconscient


possède la structure radicale du langage. Il décrit le façonnement de
l'inconscient en empruntant au linguiste Roman Jakobson les deux grandes
catégories rhétoriques : la métaphore qui joue par substitution (« le lion » se
substituant à « l'homme courageux ») ; la métonymie qui joue par contiguïté :
(« voile » pour dire « bateau »). Jacques Lacan précise à l'aide de ces deux
catégories les notions de condensation (métaphore) et de déplacement
(métonymie) selon Freud. La métaphore fonctionne comme une superposition
qui enfonce les signifiés. La métonymie évoque les déplacements, le
déroulement sans fin du désir et forme un tissu serré qui recouvre les
formations de l'inconscient. L'inconscient est tissé par les métaphores et
métonymies. Pour Lacan, la tâche de l'analyse consiste à démonter cette trame
pour retrouver la parole vraie du sujet et sa position exacte dans l'ordre
symbolique. Dans ce cadre, l'énonciation désigne l'acte personnel du sujet
parlant ; l'énoncé désigne les formules qu'il pose (LACAN, 1970 : 249-289).

« Puisque l'inconscient est structuré comme un langage, le problème central devient celui
de la communication perdue, de la communication à restaurer. » (FAGÈS, 1976 : 322)

Par ailleurs, si nous nous intéressons, comme la linguistique de


l'énonciation de Benveniste, à la relation au sein de la communication
onirique. Nous constatons qu'elle est également multiple. Il y a tout d'abord
celle du rêveur et de l'homme éveillé. Transcrire un rêve, c'est déjà traduire
des images en mots. C'est déjà sélectionner. Au sein du rêve, certaines images
évoquent la relation à l'autre (plan de l'objet), à la mère, au père, à la famille, à

291
292 Du signe au symbole

son entourage (cf. l'école de Palo Alto, mais aussi Laing et Cooper et le
mouvement antipsychiatrique). Ces images évoquent également la relation à
soi, au moi, aux archétypes, aux projections et aux identifications (plan du
sujet). C'est-à-dire les diverses relations intégrées en une multitude d'images
ou de complexes qui habitent le rêveur. L'ensemble s'articule de différentes
manières. Il y a quelque chose de machinique dans ces relations oniriques.
Une multitude de « machines désirantes » qui s'interpénètrent et se croisent. Il
n'y aurait pas seulement la relation triangulaire chère à Freud, mais aussi une
multitude de relations qui s'articuleraient à différents niveaux, différents
plateaux. Ça fonctionnerait plutôt dans une structure du type rhizomatique,
par intensité (DELEUZE et GUATTARI, 1972 et 1980).
L'énonciation, c'est aussi les indicateurs d'énonciation, dont les pronoms
personnels. Les « on, il, tu, je » qui permettent à l'enfant de passer de
l'indétermination au stade du sujet, mais aussi à celui de l'assujettissement
social (LACAN, 1970) et (IRIGARAY, 1966). C'est aussi le « nous inclusif »
et le « nous exclusif ». Le rêveur intégré ou exclu de lui-même, de la société.

La théorie des actes illocutionnaires

Si nous reprenons la théorie des actes illocutionnaires (AUSTIN, etc.), et


sa métaphore de l'action « communiquer, c'est agir », nous pourrions plagier
cette phrase : « rêver, c'est agir » (c'est faire quelque chose). Dans ce
contexte, le rêve n'est pas purement gratuit. Que le rêve soit l'émanation des
facteurs innés de l'homme, comme le suggère Michel Jouvet, ou le retour du
refoulé, comme le pense Freud, il n'en demeure pas moins un acte.
Mais au niveau des actes illocutoires, qu'est-ce qui est communiqué ? Quel
est le rôle des acteurs au sein du rêve ? Pour répondre à ces questions, nous
devons tenir compte des prémisses suggérées par Jung. Message(s) et
acteur(s) diffèrent selon le plan (objet ou sujet) d'interprétation. Les effets
(perlocutoire) engendrés par le rêve changent également. Le perlocutoire peut-
il d'ailleurs exister d’un point de vue analogique ? Les actions ne sont pas
neutres. Le rêveur transcrit ses images oniriques. Il sélectionne. Il censure. Il
traduit en mots. Il communique avec son analyste (problème du transfert). Il
opère donc des choix. Images et affects se métamorphosent en diverses
actions.

L'école de Palo Alto

L'école de Palo Alto a déjà puisé énormément dans l’œuvre de Jung. Si le


monde francophone ne connaît guère les travaux de Jung, la culture anglo-
saxonne s'est depuis le début intéressée à la psychologie analytique.
« Interpellations » et questions relatives aux « aspects analogiques de la
communication » (ce qui est non verbal, comportemental) trouvent un écho
dans l’œuvre du psychiatre suisse. Pour Jung, le rêve est analogique et son

292
Sémiologie et herméneutique 293

contenu est ambivalent. Des voix s'y font également entendre. Pour lui, la
traduction de certains phénomènes oniriques sous forme de mots ou de
concepts entraîne une perte de sens. Le passage de l'analogique au digital est
un appauvrissement. « Les rêves offrent par eux-mêmes leur meilleure
interprétation. » Il n'en demeure pas moins utile de traduire certains rêves
dont la signification reste obscure. Traduire un rêve en mots, c'est souvent
l'organiser, le découper, voire le simplifier. Le passage au digital est de cet
ordre. Cette ablation dévoile une partie du sens. Pour Jung, ce dévoilement du
sens est nécessaire, car le rêve exprime un contenu qu'il est utile de
comprendre. Percevoir les archétypes qui nous habitent, appréhender nos
affects et nos complexes sont autant de démarches qui permettent de mieux
nous connaître et de nous libérer de nos angoisses. Elles nous aident aussi à ne
plus être les simples jouets de nos illusions, de nos projections. C'est la voie
du Tao, ou celle de l'individuation. Cette démarche n'est pas sans danger, car
même identifiées, les forces inconscientes exercent une poussée dangereuse.
Nietzsche et Jung en ont fait l'expérience.
Par-delà ces aspects, nous pourrions nous demander s'il existe une
interaction entre le rêve et la communication. Jung répond par l'affirmative.
Nos communications sont peuplées d’identifications, d’introjections et de
projections. L'individu est scindé en multitudes. « Je est un autre » disait
Rimbaud. Dès lors, qui parle à qui ? Quand deux personnes communiquent,
quels sont les véritables interlocuteurs ? Chacun est habité de diverses
instances : il y a le moi, la persona, l'anima (ou animus), le soi, les divers
complexes. Le monde éveillé est rempli de traces inconscientes : nos
résistances, nos lapsus, nos jeux de mots sont autant d'indicateurs. Qui parle ?
Qui projette ? Le locuteur parle-t-il avec un autre partenaire ou avec un
modèle mental issu de son imagination ? Par exemple, mon interlocuteur est-il
réellement mon professeur ou une image paternelle que je porte en moi ? Je
m'adresse à ma compagne ou à mon anima ? Si la relation au sein de la
communication est constituée de projections, d'images, le digital peut-il y
exister à l'état pur ? Nous rejoignons ici la problématique de Johnson Laird :
pour lui, raisonner, comprendre, revient à élaborer des représentations
iconiques, visuelles. Dialoguer n'est-il pas du même ordre ? Communiquer,
c'est peut-être aussi modéliser une image que l'on se fait de l'autre...?

Les aspects cognitifs (Grice, Sperber & Wilson...)

La problématique de Grice semble proche de celle de Jung. Dans les deux


cas, il s'agit d'inférer ! Le principe de coopération et les maximes de Grice
sont-ils pertinents au niveau des rêves ? Reprenons maxime par maxime.

 La maxime de quantité : Le rêve est-il aussi informatif qu'il est requis


et qu'il ne soit pas plus informatif qu'il est requis ? Jung répond par
l'affirmative. Pour lui, l'inconscient se veut informatif. Cependant, les
images oniriques sont iconiques et donc plus ambivalentes.

293
294 Du signe au symbole

 La maxime de qualité : Ne dites pas ce que vous croyez faux. Pour


Jung, l'inconscient ne désire pas nous induire en erreur (JUNG, 1987).
 La maxime de relation : que votre contribution ne soit pas hors de
propos (problème de la pertinence). Pour le rêveur, le rêve semble
souvent incompréhensible, hors de propos. Pourtant, sous le regard de
l'amplification, en s'aidant des quelques concepts élaborés par Adler,
Freud, Jung, Lacan, et quelques autres aventuriers de la psyché, le rêve
s'avère très pertinent. Cependant, lors de l'interprétation d'un rêve, il
n'est pas non plus question de plaquer une quelconque théorie ou une
approche « faussement scientifique » qui se contenterait de chercher
quelques archétypes au sein des images oniriques, en sachant très bien,
comme le soulignait Jung (1964), et, plus proche de nous, le professeur
Van Rillaer (1980), qu'il est facile de prouver que tout semble être dans
tout.
 La maxime de modalité : soyez clair ! Le rêve contient très souvent un
contenu implicite (de nouveau, le problème de la compréhension au
plan de l'objet et/ou au plan du sujet). L'inférence est clairement
utilisée, quelle que soit la méthode choisie.

Si l'on applique le schéma de Sperber & Wilson au rêve, on obtient :

1 L'inconscient -> 2 le rêve -> 3 le rêveur (endormi et éveillé)

1. Nous ne connaissons pas les dispositifs déductifs de l'inconscient. Nous


pouvons cependant constater que les rêves se succèdent et sont souvent
liés aux problèmes de l'actualité psychique du rêveur.
2. Le rêve offre une série d'indices et de messages.
3. Le rêveur dispose de modèles d'interprétation (Freud, Jung, Adler,
Lacan, etc.) => problème : les processus cognitifs.

Dans Le Geste et la Parole, Leroi-Gourhan nous apprend qu'avant


l'écriture, les primitifs disposaient de mythogrammes, c'est-à-dire de figures
multidimensionnelles qui s'étendaient dans l'espace. Articulés à la parole, ils
servaient de support au récit (mode de pensée rayonnant).
Comme nous l'avons vu, le rêve se révèle davantage analogique. Il n'y a
pas de passage à l'écriture, sauf lorsque le rêveur rapporte son rêve. Il ne
semble pas non plus qu'il y ait passage au linéaire. En fait, le rêve n'a pas
perdu son irrationalité imaginative. Or, comme l'affirmaient Mc Luhan et
Goudi, il existe une interaction entre les technologies de communication et les
modes de pensée. L'écriture et l'interprétation verbale sont des technologies de
communication. En objectivant le contenu du rêve, ces technologies
interfèrent au niveau du mode de pensée.
Les symboles ne sont cependant pas des mots. Comme nous l'avons vu, les
symboles sont moins univoques que les mots du dictionnaire. Ils sont
ambivalents. Pour les comprendre, la logique et la rationalité ne sont pas

294
Sémiologie et herméneutique 295

suffisantes. La fonction pensée demeure relative. Il y a nécessité d'utiliser les


autres fonctions : la sensation, l'intuition et le sentiment.
Si nous reprenons les hypothèses de travail de Marshall Mc Luhan, nous
constatons que les modes de communication, les nouvelles technologies (dont
les images virtuelles) se tournent de plus en plus vers des modes de
communication analogiques (ou iconiques).
Le mode digital (la parole, l'écriture ou l'imprimé) semble éloigné de
l'imaginaire. Il favorise la fonction pensée qui demeure liée aux concepts, à
l'analyse et aux catégories. D’un point de vue psychique, la fonction pensée
demeure cependant relative. La communication digitale, son complément
naturel, s'avère dès lors insuffisante pour répondre à l'ensemble des
préoccupations humaines. Par compensation, ne sommes-nous pas en train
d'aller totalement en sens inverse en essayant de produire des ersatz de rêve ?
Il nous faut tenir compte des mises en garde de Mc Luhan et de Leroi-
Gourhan. Passer de la communication orale des contes de fées à la narration
écrite, puis imprimée, ensuite à la narration analogique et digitale des films ou
de la bande dessinée vers l'animation purement analogique des dessins animés
et des images virtuelles posent des problèmes d'adaptation et de transversalité
entre les médias. Chaque bénéfice s'organise autour d'une certaine perte. Cet
aspect doit être pris en compte.
L'analogique relève davantage de l'inconscient. Il en est plus proche. Ces
contenus sont également plus proches des couches archaïques de l'inconscient.
En développant les nouvelles technologies où les différents sens peuvent à
nouveau s'exprimer (non plus uniquement la vue ou l'ouïe, mais aussi le
toucher et l'odorat [exemple : les images virtuelles]), nous rapportons peut-
être davantage d'images primordiales à la surface.
La violence et l'archétype de l'ombre, que l'on retrouve dans une bonne
partie des dessins animés diffusés par les chaînes de télévision, sont-ils
l'émanation de la culture japonaise qui les produit ou plus simplement du
mode de communication audiovisuelle devant lequel le spectateur semble
garder une attitude plus passive (comme le rêveur) ?
Pour éviter d'être les jouets aliénés des complexes qui demeurent en
chacun d'entre nous, Jung conseillait d'analyser nos rêves afin de prendre
conscience de ces zones d'ombre et de pouvoir finalement les intégrer.

295
296 Du signe au symbole

Ne faudrait-il pas faire de même à l'égard de cette multitude d'images


diffusées par les médias de masse ? La démultiplication de ces images
d'ombre doit nous rendre plus vigilants afin de pouvoir les intégrer au niveau
de notre conscience sans en être les jouets ou les victimes64.
C'est l'une des raisons pour laquelle il est de plus en plus nécessaire de
bien se connaître et de comprendre les divers messages qui nous entourent.

64
« Le suprême danger qui menace aussi bien l'être individuel que les peuples pris dans leur
ensemble, c'est le danger psychique. À son égard, la raison a fait preuve d'une impuissance
totale, explicable par le fait que ses arguments agissent sur la conscience, mais sur la
conscience seule, sans avoir la moindre prise sur l'inconscient. Par suite, un danger majeur
pour l'homme émane de la masse, au sein de laquelle les effets de l'inconscient s'accumulent,
bâillonnant alors, étouffant les instances raisonnables de la conscience [...] Ne serait-il pas
préférable, au contraire, à l'avenir, de se défier et d'éviter les conditions - maintenant
dépistées - dans lesquelles l'inconscient brise les digues du conscient et dépossède celui-ci,
faisant courir au monde le risque d'incalculables ravages? » (JUNG, 1987 : 334)

296
Sémiologie et herméneutique 297

La persona

la sensation la pensée la volonté l’intuition le sentiment


ou ou ou ou le ou
le biologique le rationnel le combatif merveilleux le passionnel
|--------------------|---------------------|-------------------|---------------------|

Le masque de Comme la Le masque- Les acteurs de Dans le contexte


Kanganaman en Justice, Zorro a cimier mboom théâtre se parent des rituels
Nouvelle Guinée également sa kuba représente quelque fois de religieux, il est
présente une face voilée et un ancêtre royal. masques pour fréquent que le
extension incarne l’équité Il est utilisé chez personnifier sorcier porte un
phallique du et l’ordre... les Kuba de la certains rôles masque de
visage et du région du Kasaï sociaux (Masque cérémonie.
menton... pour les rites de théâtre no) ...
d’initiation des
garçons de la
famille royale,
affirmant par là
leur droit
d’accéder à la
dignité suprême.

... comme à ... au même titre En tant que Roi, ... ou De la même
certains que son sa majesté transformer les manière, le
moments le homologue des Baudouin 1er personnalités en prêtre (le pape
héros (Jim temps modernes incarna la Guignols de Jean-Paul II)
Carrey) du film Batman conscience l’info. exhibe les
The Mask. (Michael collective de son symboles de son
Keaton). pays apostolat

297
298 Du signe au symbole

LES QUATRE TYPES DE HÉROS

Trickster Hare Red Horn Twins


|------------------------------|----------------------------|------------------------------|
petite enfance enfance adolescence adulte

Dans Mémoire du Prométhée, dans la Lancelot du Lac, Castor & Polux


voyage en Occident mythologie grecque, dans les légendes abusent de leur
de Wu Ch’eng-en, le dérobe le feu aux arthuriennes, pouvoir et enlèvent
singe Sun Wu-K’ung dieux pour le donner exprime tout à la fois les filles de
cache, sous son aux hommes. l’amour et la Leucippe.
apparence bouffonne, vaillance d’un preux
un initié en quête de chevalier de la Table
sagesse. Ronde.

Georges (Pascal Amadeus Mozart El Che a personnifié Laurel & Hardy ou


Duquenne) (Tom Hulce) crée un pour une génération Martin Riggs (Mel
s’apparente au fripon univers musical et entière le Red Horn Gibson) et Roger
divin en associant la exprime du même par excellence. Murtaugh (Danny
sagesse et la coup une nouvelle Glover) sont des
bouffonnerie dans Le forme de Hare. exemples modernes
huitième jour de Jaco de Twins.
Van Dormael.

298
Sémiologie et herméneutique 299

L’OMBRE ET LE MAL

Monstres et Bandits et Démiurges et Diables et démons


chimères brigands savants fous
|--------------------------|-------------------------|-------------------------|
fonction sensation fonction intuition fonction pensée fonction sentiment

Les héros combattent Al Capone Le médecin Victor Le comte Dracula de


souvent des dragons construisit un Frankenstein Bram Stoker aurait
pour voler au secours gigantesque empire (Kenneth Granach) entretenu des
de leur bien aimée. du crime et inspira de Mary Shelley rapports avec le
(Italie, XVe S.) p.123 aussi bien le cinéma donne vie à un diable avant de se
que la télévision succédané d’homme. transformer en
vampire. Devenu
mythe, il engendra de
multiples avatars
dont les Nosferatu de
Murnau et W.
Herzog.

Inspirés du roman de Dans Le silence des Inspiré du roman de Les Gremlins sont
Michael Crichton, les agneaux de Thomas Peter George, le Dr des monstres
dinosaures de Jurassic Harris, le Dr Folamour (Peter miniatures dont les
Park de Steven Hannibal Lecter Sellers) de Stanley aviateurs disent
Spielberg font renaître (Anthony Hopkins) Kubrick nous offre qu’ils sèment parfois
nos frayeurs d’antan. dévore ses victimes un bouquet de la perturbation dans

299
300 Du signe au symbole

vivantes. .bombes atomiques. leurs appareils.

LES IMAGOS MATERNELLES

Dragon, louve, Gorgone, Fée Déesse / Visage


serpent, rat, chimère, maternel
araignée sorcière,
marâtre
|---------------------------|------------------------|--------------------------|

Romulus et Remus La Reine, dans La fée Bleue, dans la Vierge Marie, dont
sont nourris par la Blanche Neige et les Pinocchio, donne la robe pourpre
louve du Capitole. sept nains, est à la vie, puis humanise la symbolise ici le
fois une sorcière et la marionnette. sentiment maternel,
marâtre de l’héroïne. représente le stade
ultime de l’imago
maternelle.

Carabosse, dans La Cruella (Glenn Mary Poppins de R. Mme Rosa (Simone


Belle au bois Close), dans Les 101 Stevenson est Signoret) dans la vie
dormant, se change à dalmatiens de Walt engagée comme devant soi s’occupe
la fin de l’histoire en Disney, désire gouvernante pour des enfants de
un terrible dragon. adopter les nouveau- s’occuper de Jane et Belleville, dont le
nés pour leur plus Michael. jeune Momo.
grand malheur.

300
Sémiologie et herméneutique 301

LES IMAGOS PATERNELLES

Python, lion, Sorcier, ogre, Magicien Image de Dieu /


taureau, cerf géant Visage paternel
|---------------------------|-------------------------|-------------------------|

Cernunnos, le dieu Tel un ogre, Merlin s’occupe de Moïse (Charlton


gaulois à bois de Chronos / Saturne l’éducation du Heston) guide les
cerf, symbolise la dévore ses enfants. futur roi Arthur Hébreux vers la
fécondité et la dans Merlin, terre de Canaan et
prospérité. l’enchanteur de leur donne la Loi
Walt Disney. divine dictée par
Dieu au Sinaï.

Le père d’Iris de Dans Le retour du Dans Retour vers Le professeur


Comès se présente Jedi, Dark Vador le futur II, Doc Henry Jones (Sean
lui aussi sous la (James Earl Jones), Brown Connery) se lance
forme d’un homme- père de Luke (Chirstopher avec son fils à la
cerf accompagné Skywalker, jouit de Lloyd) se mue en conquête du Graal
d’un serpent l’aspect sombre de magicien pour dans Indiana Jones
la force. Marty Mc Fly et la dernière
(Michael J. Fox) croisade de Steven
de Robert Spielberg (1989).
Zemeckis (1989)

301
302 Du signe au symbole

DE L’ANIMA NÉGATIVE...

Dragons, araignées, Sorcières, marâtres Femmes mûres et Femmes fatales


chimères maternelles
|--------------------------|-------------------------|--------------------------|

Dragons, Méduse, La marâtre évoque à Le caractère irritable Catherine Tramell


Minotaure ou Sirènes la fois la mauvaise et susceptible de la (Sharon Stone), dans
expriment les mère et l’attrait de princesse (Maria Basic Instinct, est une
humeurs négatives et l’inceste. Liée aussi à Casarès) s’impose troublante
destructrices de la l’image de la belle- d’emblée à Orphée. psychopathe. Cette
mère. La mère, la sorcière est En l’entraînant aux femme fatale est
prédominance de une représentation enfers, elle représente l’expression d’une
l’intellectualité chez traditionnelle de encore l’anima liée à anima malveillante
Oedipe est due à une l’anima démoniaque. l’aspect « dévorant » qui séduit et entraîne
anima négative (la de la mère. le héros à sa perte.
sphinge) qui lui pose
une énigme qui doit
être résolue sous
peine de mort.

Irena Gallier Delphine Seyrig Le diable au corps de Dans L’été meurtrier,


(Nastassja Kinski) est séduit et vampirise Claude Autan-Lara Eliane (Isabelle
une troublante expose la passion Adjani), vamp
ses victimes dans Les
chimère qui se entre une femme infantile et rebelle,
métamorphose en lèvres rouges de mariée (Micheline séduit un pompier
panthère chaque fois Harry Kumel. Presle) et un lycéen pour assouvir sa
qu’elle fait l’amour. (Gérard Philipe). vengeance.

302
Sémiologie et herméneutique 303

À L’ANIMA POSITIVE

Femme primitive, Hélène de Troie, Éros spiritualisé, La Sagesse


Ève, sex symbol Marguerite, beauté Vierge
romanesque
|-------------------------|--------------------------|-------------------------|

Loana (Raquel Ce portrait de Au troisième stade, Athéna sortit de la


Welch), la femme Cléopâtre, sous les l’éros s’est tête de Zeus. Elle est
primitive d’Un traits d’une jeune spiritualisé. Ainsi, la déesse guerrière,
million d’années italienne de la quiétude et chaleur mais aussi la déesse
avant J.C., exprime Renaissance, incarne humaine se dégagent de Raison et de la
des liens instinctuels le second stade positif de cette statue de la Sagesse.
et biologiques qui se de l’anima faite de déesse Isis.
manifestent sous grâce et de beauté
forme de fantasmes romanesque.
érotiques.

Juliette (Brigitte Ilsa (Ingrid La Vierge, l’Enfant Distante et proche, La


Bardot) rejoint, Bergmann) fuyant les Jésus et sainte Anne Joconde s’apparente
devant sa belle- Nazis avec son mari, de Léonard de Vinci à la Sophia. Son
famille, son mari réveille l’idéaliste qui sont nimbés d’une demi-sourire ambigu
(Jean-Louis sommeille en Rick atmosphère intrigue et obsède les
Trintignant) dans le dans le film mystérieusement hommes depuis cinq
film de Vadim Et Casablanca de M. irréelle qui exprime siècles.
Dieu créa la femme. Curtiz. l’amour dans son
élévation spirituelle.

303
304 Du signe au symbole

DE L’ANIMUS NÉGATIF...

monstres, rats le diable, les Homme mûr, des brigands,


vampires figure de père bel inconnu
|-------------------------|--------------------------|-------------------------|

La Bête (Jean Marais) Abar (Daniel Auteuil), Dans un conte de Chien des rues et
est un homme-animal le diable, fait signer un Charles Perrault adapté vagabond, le Clochard
dont la forme imparfaite pacte à Léah (Josianne au cinéma par Jacques séduit Belle, une cocker
et érotique évoque tour à Balasko) dans ma vie est Demy, le roi (Jean spaniel qui vit dans la
tour les forces de un enfer de J. Balasko. Marais) veut épouser sa soie, et l’entraîne dans
refoulement, la peur de fille Peau d’âne. des aventures à la fois
l’inceste et l’éveil à la passionnantes et
sexualité. dangereuses.

King Kong tombe Brisé après le suicide de Mathilde (Vanessa Casanova (Donald
littéralement amoureux sa femme qui l’a cru Paradis) tombe Sutherland), le fameux
d’Ann (Fay Wray) du mort au combat, Vlad amoureuse de son séducteur du XVIIIe
haut de l’Empire State l’Empaleur devient le professeur de siècle, s’évade des
Building. comte Dracula (Gary philosophie François prisons de Venise, mène
Oldman). Quatre siècles Hainaut (Bruno une vie aventureuse et
plus tard à Londres, le Cremer) dans Noce devient, pour ses
comte s’éprend de Mina, blanche de J.-C. conquêtes, un tendre et
la fiancée de Jonathan Brisseau. dangereux Don Juan.
Harker.

304
Sémiologie et herméneutique 305

À L’ANIMUS POSITIF

la force physique, l’hô d’action, le Verbe, la Vérité,


l’athlète le romantique l’intellectuel le Logos
|--------------------------|------------------------|---------------------------|

Tarzan (Christophe Rudolph Valentino Albert Einstein, le père L’ange Damiel (Bruno
Lambert) représente le (Rudolph Nureyev), le de la théorie de la Ganz) tombe amoureux
premier stade positif de grand séducteur relativité, incarne le de la jeune trapéziste
l’animus qui personnifie romantique des années « verbe » et le troisième Marion (Solveig
la force physique. vingt, recevait cinq stade de l’animus. Dommartin) et passe de
mille lettres d’amour par l’autre côté de la
jour. barrière.

Conan le Barbare Edward Lewis (Richard Dans le roman Au nom Le romancier Nikos
(Arnold Gere), le « Golden de la rose d’Umberto Kazantzaki imagine que
Schwarzenegger), Boy » de la finance, se Eco, Guillaume de le Christ (Willem
personnage créé par métamorphose en prince Baskerville (Sean Dafoe), un moment
Robert E. Howard, est charmant aux yeux de Connery) mène soumis au doute, refuse
une véritable force de la Vivian Ward (Julia l’enquête dans la la croix et épouse Marie-
nature qui finira par Roberts). bibliothèque d’une Madeleine.
triompher des forces abbaye bénédictine du
maléfiques. nord de l’Italie.

305
306 Du signe au symbole

LE SOI ET LES SYMBOLES DE TOTALITÉ

Vieux Sage, Puer Aeternus, Homme cosmique Couple,


Grande Mère Puella Aeterna Reine et Roi
|------------------------|-------------------------|-------------------------|

La fée marraine dans Le Kouros de Ténéa et la Le Christ de Saint- Adam et Ève de Jan van
Cendrillon et Merlin Korè de l’Acropole. Jean-de-la-Croix de Eyck.
l’enchanteur . Salvador Dali.

Yoda (Frank Oz) dans Lolita de S. Kubrick et Superman de Jerry Akhenaton et Néfertiti
Le retour du Jedi de R. Tadzio dans Mort à Siegel et Joe Shuster
Marquand Venise de L. Visconti.

Androgyne Oiseau Pierres, Mandala,


(volatil) (permanent) quaternité
|-------------------------|-------------------------|--------------------------|

Civa et Parvatî reliés en Zeus et Léda Stonehenge dans la Mandala tibétain


un seul hermaphodite. plaine de Salisbury.

306
Sémiologie et herméneutique 307

La méthode d'amplification et les récits


imaginaires

En guise d'introduction

Dans ses diverses interprétations des contes de fées, Marie-Louise von


Franz considère que ceux-ci émanent des rêves et expriment de façon sobre et
directe les processus psychiques de l'inconscient collectif. Les archétypes y
sont représentés dans leur aspect le plus simple et le plus concis.

Pour elle, « chaque conte de fées est un système relativement clos, exprimant un sens
psychologique essentiel et unique, qui se traduit en une série d'images et d'événements
symboliques. » (von FRANZ, 1987 : 10)

En Europe, tout en étant une des principales formes de distraction jusqu'au


XVIIIe siècle, les contes de fées ont tenu un rôle éducatif et initiatique à
l'égard des enfants et constitué une occupation spirituelle importante au
niveau des adultes. La création et le développement de l'imprimerie ont
modifié quelque peu le succès de ces évocations orales qui firent place petit à
petit à d'autres formes de communication au fur et à mesure que se créaient de
nouvelles technologies. Les premières images d'Épinal sont diffusées aux
quatre coins de la France un siècle après que Charles Perrault ait publié ses
Contes de ma mère l'Oye. Vers la même époque, face à l'essor des nouvelles
formes d'expression, les frères Grimm jugent utile de consigner par écrit les
contes de fées tels qu'ils étaient racontés dans leur entourage. C'est ensuite
l'avènement de la bande dessinée, du dessin animé, du cinéma et de la
télévision (BLANCHARD, 1969). Le Village Global, cher à McLuhan, prend
petit à petit forme et les contes se retrouvent dissimulés ou maquillés sous
chacun de ces nouveaux modes d'expression.

307
308 Du signe au symbole

Objectifs

Par-delà le succès de certaines adaptations de contes de fées65, nous


pourrions nous demander si les principaux thèmes colportés par les contes ne
se retrouvent pas, de manière édulcorée, sous d'autres formes de
communication proches de l'enfance ou du folklore. Ainsi, la bande dessinée,
les dessins animés, les films et les feuilletons télévisés n'ont-ils pas remplacé
dans nos sociétés occidentales l'évocation verbale des contes de fées racontés
au coin du foyer depuis des temps immémoriaux ?66 Sans pouvoir confirmer
de prime abord cette hypothèse, il est intéressant de relever les images
archétypales véhiculées par les divers médias afin de vérifier si effectivement
ils jouent un rôle éducatif au niveau de l'imaginaire des adultes et des enfants.
En résumé, le travail consiste à interpréter le contenu d'une oeuvre à l'aide de
la méthode d'amplification élaborée par Carl Gustav Jung. Cette exégèse sera
menée en utilisant divers concepts jungiens suivant la méthode élaborée par
Carl Gustav Jung en tenant compte des remarques faites par Marie-Louise von
Franz. L'analyse devrait nous permettre de dévoiler les facteurs psychiques
sous-jacents aux oeuvres et de voir si elles jouent un rôle éducatif semblable à
celui des contes de fées d'antan. Les concepts jungiens et la méthode élaborée
par Carl Gustav Jung devront être pris, dans le cadre de cette approche,
comme constitutifs d'une grille d'analyse permettant de jeter un regard
nouveau sur la réalité sans croire, pour autant, que cette grille nous livrerait
une « vérité absolue ou exhaustive » sur son objet. Nous espérons ainsi que
nous appréhenderons un peu mieux l'expérience émotive et les sentiments qui
nous animent à la lecture ou à la vision de ces récits en image.

Les objectifs non assignés

Il serait erroné de ne pas prendre pour point de départ l'individu humain et


sa structure psychique qui a produit ces symboles. En nous installant au beau
milieu de l'archétype, en le laissant s'amplifier de lui-même, nous tomberions
dans le même piège dénoncé par Carl Gustav Jung et Jacques Van Rillaer. En
prenant, par exemple, pour point de départ l'« arbre du monde » ; il serait
facile de prouver que tout thème mythologique finit par y conduire. Si l'on
partait du soleil, nous pourrions démontrer tout aussi aisément que tout

65
Il suffit de penser aux merveilleuses adaptations de Cendrillon ou de Blanche Neige par Walt
Disney, ou encore à La Belle et la Bête de Jean Cocteau.
66
Des contes figurent déjà sur des stèles et dans des papyrus égyptiens (MORET, 1911 :
chap.VI) et si l'on en croit la théorie du Père W. SCHMIDT (L'Origine de l'idée de Dieu) cité
par M.-L. von Franz (von FRANZ, 1987), certains indices tendraient à prouver que
quelques-uns des thèmes principaux de contes de fées remonteraient jusqu'à 25000 ans av.
JC. pratiquement sans altérations.

308
Sémiologie et herméneutique 309

représente le soleil et que finalement chaque symbole est un motif solaire. On


se perd de la sorte dans le chaos des interrelations et des chevauchements de
significations que toutes les images archétypales présentent entre elles. Que
l'on choisisse comme thème la Grande Mère, l'Arbre du monde, le soleil, le
monde souterrain, l'oeil, ou n'importe quoi d'autre, on peut empiler
indéfiniment du matériel comparatif, mais l'on aurait complètement perdu de
vue le « point d'Archimède » à partir duquel une interprétation est possible.
L'objectif n'est donc pas de réduire l'expérience psychique à un quelconque
schéma ou de l'inclure dans un système. Ce serait amputer le sujet même de
cette étude en la réduisant à une simple abstraction issue de nulle part.

« On ne saurait trop mettre en garde contre l'habitude de se servir des concepts, fusent-ils
jungiens, pour les plaquer tels quels sur des figures mythologiques ou oniriques, en
déclarant : voici le moi et voilà l'ombre, ou encore l'anima (animus). Cette façon de
procéder peut paraître réussir pendant un certain temps, mais il en résulte vite une foule de
contradictions et même, finalement, de distorsions, à mesure que l'on s'efforce de presser
les personnages pour les faire entrer dans un moule prédéterminé.
Au lieu de conclure à la hâte, il est préférable d'examiner soigneusement les personnages et
leurs aspects fonctionnels dans le cadre du récit, ainsi que les relations qu'ils entretiennent
entre eux. On a toujours avantage à se conformer à la règle qui consiste à ne pas
interpréter une figure archétypale avant de l'avoir située dans le contexte où elle apparaît,
car on aboutit généralement alors à des conclusions assez différentes de celles qui
résulteraient d'une hypothèse arbitraire et préconçue. » (von FRANZ, 1980 : 40)

La méthode d'amplification proprement dite

Interprétation

L'interprétation est l'action d'expliquer, de donner une signification claire à


une chose obscure. Il s'agit donc de comprendre, de commenter et d'expliquer,
mais aussi de traduire en d'autres termes, et d'autres images. Jung disait du
rêve qu'il est à lui-même sa meilleure explication ; il entendait par là que
l'interprétation d'un rêve est toujours inférieure au rêve lui-même, car les
images oniriques sont la meilleure expression possible des événements
intérieurs qu'elles traduisent. On peut en dire autant des oeuvres d'art, et ce
n'est pas sans raison que certains rejettent la notion même d'interprétation.
Celle-ci est, en un sens, un assombrissement de la lumière originelle qui brille
dans ces oeuvres. Cependant, l'interprétation et l'utilisation des concepts
jungiens peuvent se révéler créatives et fournir de nouvelles pistes de lecture67.
On tend toujours à ramener le sens d'une oeuvre dans le cadre de ses préjugés
67
Concernant la nature créative du concept, cf. (DELEUZE et GUATTARI, 1991 : 21-37 et
189-206).

309
310 Du signe au symbole

conscients. Ainsi, un « type pensée »68 tendra tout naturellement à n'extraire


d'une oeuvre qu'une certaine idée philosophique dont il décèlera la présence,
mais il en négligera, par exemple, le message émotif et les circonstances
affectives. Dans ce cas, l'interprétation sert à rendre au lecteur une vision un
peu plus objective : on ne se contente pas de ramener l'oeuvre à l'état
conscient déjà existant. C'est une des raisons pour lesquelles il nous paraît
intéressant d'appliquer une analyse jungienne aux médias de masse. Élargir
quelque peu notre regard, sans pour autant croire que le nouveau point de vue
adopté est exhaustif ou unique.

Esquisses psychologiques

Tout d'abord, abordons la question de la méthode et analysons les divers


concepts jungiens auxquels nous allons devoir faire appel (inconscient
collectif, symbole, archétype, anima, animus, soi, persona, ombre...) afin d'en
préciser le sens dans le cadre de notre travail. Veillons à comprendre ces
divers concepts sur le plan personnel en essayant d'esquisser notre propre type
psychologique en interrogeant éventuellement notre entourage et en répondant
aux questionnaires typologiques de Charles Baudouin (BAUDOUIN, 1963 :
379-386). Tout observateur est en situation, c'est-à-dire qu'il occupe une
position relative dont il doit tenir compte lorsqu'il effectue une étude
scientifique. Mieux se connaître permet également de mieux distinguer la
situation que l'on occupe. Voir ensuite l'apport des rêves et des contes dans
l'élaboration d'une oeuvre en analysant, d'une part, diverses exégèses et
interviews du ou des auteurs de l'oeuvre, et, d'autre part, en essayant de tracer
le type psychologique de ce(s) auteur(s).

Résumé et structure de l'histoire

Résumons les divers récits en oeuvre en nous inspirant des analyses


structurales de Brémond, Greimas et Lévi-Strauss, ainsi que des analyses
morphologiques de Propp, Campbell et von Franz.

Analyse narratologique et sémiopragmatique de l’oeuvre

Étudions les éléments narratologiques et sémiopragmatiques de l’œuvre


envisagée en utilisant les méthodes mises au point par F. de Saussure, Ch.
Peirce, R. Barthes, U. Eco, Ph. Marion, D. Peraya et J.-P. Meunier.

68
Cf. les quatre fonctions de la conscience (JUNG, 1986).

310
Sémiologie et herméneutique 311

La grille de Jules Gritti

Pour clôturer la partie proprement analytique, terminons par les six


ratissages de J. Gritti.

Application de la méthode d'amplification

Ensuite, analysons les diverses généralités, spécificités et archétypes en


oeuvre dans le récit abordé. Pour nous guider dans cette pratique, nous
suivrons le schéma d'analyse emprunté à Marie-Louise von Franz. Il est
évidemment possible d'interpréter une oeuvre à partir de n'importe laquelle
des quatre fonctions de la conscience (pensée, sentiment, sensation et
intuition). Le « type pensée » aura tendance à en souligner la structure et la
façon dont tous les thèmes se relient entre eux. Le « type sentiment » les
classera d'après une hiérarchie de valeurs qui sera également rationnelle. À
l'aide de cette fonction, une interprétation valable pourra être menée à bien.
Le « type sensation » se contentera d'en relever les symboles et en fera
l'amplification. L'« intuitif » verra l'unité de tous les éléments ; il sera très
doué pour démontrer que l'oeuvre, prise dans son ensemble, n'est pas une
histoire discursive, mais qu'en réalité c'est un seul message, éclaté en de
nombreuses facettes. Plus les fonctions de la conscience ont été différenciées
et meilleure sera l'interprétation, parce qu'il est nécessaire, autant que
possible, d'effectuer une « circumambulation » (von FRANZ, 1987 : 27)
autour du récit à l'aide des quatre fonctions. Cette approche permet ainsi
d'aborder les oeuvres de quatre points de vue différents.

« L'interprétation est un art, un métier, qui, en fin de compte, a pour base ce que l'on est
soi-même. » (von FRANZ, 1987 : 27)

Par l'amplification de ses thèmes, nous laissons s'expliciter l'oeuvre, en


prenant pour point de départ l'idée qu'il s'agit d'un mystère vécu par un auteur
qui tente de communiquer aussi bien qu'il le peut. Scrutant chacune des
images, son contexte, et le lien qu'elle a avec les autres, nous travaillerons à
en dégager le sens spécifique et la logique interne. Comme nous l'avons vu,
Marie-Louise von Franz juge nécessaire d'inclure l'expérience individuelle
dans le système.

« Il n'est pas possible de décrire les archétypes en faisant abstraction de l'individu humain
qui en est la base ; on ne peut pas exclure la psychologie des profondeurs qui a pour objet
l'étude de la matrice vivante d'où proviennent les images archétypiques. Malgré leur
caractère tout à fait collectif, les mythes sont reliés d'une façon étroite et absolue à
l'individu. Toute abstraction qui ne tient pas compte de l'être humain et de ses structures et
besoins psychiques conduit à un chaos de significations arbitraires et à un
appauvrissement. » (von FRANZ, 1987 : 21)

311
312 Du signe au symbole

La psychologie, malgré son caractère scientifique, ne peut se permettre de


négliger l'aspect émotionnel. Elle doit prendre en considération la valeur
émotive des facteurs externes et internes qu'elle étudie, y compris la réaction
affective de l'observateur lui-même.
Abordons à présent la question de la méthode proprement dite
d'interprétation des oeuvres d'après la psychologie de Jung et les problèmes
qu'elle pose. Pour nous guider dans cette pratique, nous avons repris ci-
dessous quelques règles empruntées à Marie-Louise von Franz.

« Exactement comme lorsqu'il s'agit d'un rêve, on peut diviser une histoire archétypique en
ses différentes phases. Ce sera tout d'abord l'introduction (temps et lieu de l'action) » (von
FRANZ, 1987 : 53)

Dans les oeuvres narratives, l'histoire peut être placée hors du temps et de
l'espace — dans le nulle part de l'inconscient collectif — c'est le cas pour
Willow de Ron Howard ; l'histoire peut être également située de manière très
précise en un endroit donné à un moment spécifique comme l'Égypte de la
première moitié du XXe siècle dans Indiana Jones et les aventuriers de
l'Arche perdue de Spielberg.

« Viennent ensuite les dramatis personae, les acteurs du drame. La première chose à
faire est de considérer le nombre de personnages présents au début et à la fin de
l'histoire. » (von FRANZ, 1987 : 54)

Si une histoire commence uniquement avec des personnages masculins et


se termine avec une ou plusieurs femmes, nous pouvons déjà poser comme
hypothèse que le « sujet de l'histoire repose en partie sur la restauration du
principe féminin ». La méthode consiste alors à observer la structure du
matériel afin d'y apporter un peu d'ordre ; nous étudierons les personnages,
leurs nombres, le symbolisme et le rôle de ces nombres, en tenant compte des
divers symboles et archétypes auxquels ils se rapportent. Nous serons amenés
à nous poser certaines questions. Par exemple, existe-t-il, comme dans
certains contes, deux quaternités69 : l'une purement masculine et l'autre
purement féminine, et à la fin une quaternité mixte composée d'hommes et de
femmes ? Il est utile de chercher si une structure de ce genre existe. Si elle
n'apparaît pas, cela peut être également révélateur, car un manque de plan est
significatif, comme l'est un fait irrégulier dans les sciences physiques.

69
L'étude du nombre 4 - que C.G. Jung a faite en déchiffrant les grimoires alchimiques et en
interprétant bon nombre de rêves, le pousse à penser que ce nombre symbolise un
"arrangement", une recherche d'harmonie. Ce symbole a également une signification
spirituelle. L'apparition de ce nombre dans les rêves signale que la personnalité vient de
trouver des bases fermes. Jung d'ailleurs relève que, dans les rêves où 3 éléments s'associent
et un 4e reste à part, il est question d'une incomplétude qui tend à se dépasser (JUNG, 1961a
et 1970a).

312
Sémiologie et herméneutique 313

Pour cette partie consacrée aux personnages et aux symboles, nous


pouvons nous aider des ouvrages renseignés en bibliographie, mais également
des éléments dégagés par les analyses narratologiques et sémiopragmatiques.
Nous étudierons les personnages, puis les symboles dans l'ordre où ils se
présentent.

« Nous arrivons ensuite à l'exposition du problème. [...] Il arrive toujours des ennuis au
début de l'histoire, pour la bonne raison que sans cela il n'y aurait pas d'histoire!... Il
convient donc de cerner d'aussi près que possible le trouble psychologique dont il s'agit et
d'essayer de comprendre sa nature. » (von FRANZ, 1987 : 54)

« Puis vient la peripeteia, la péripétie, qui peut être brève ou longue : ce sont les hauts et
les bas du récit. Cela peut durer des pages entières parce qu'il peut y avoir beaucoup
d'aventures, comme il peut n'y en avoir qu'une. » (von FRANZ, 1987 : 54)

Pour l’exposition, les péripéties et la chute, nous pouvons nous aider des
structures et morphologies dévoilées dans la partie analytique. Pour chaque
étape, il est nécessaire d'étudier le matériel comparatif. Nous devons nous
demander si le thème apparaît dans d'autres récits imaginaires, mythes, ou
contes de fées, et, si c'est le cas, sous quelle forme il se présente, afin de nous
en faire une idée d'ensemble ; ce n'est qu'après cela que l'interprétation pourra
s'établir sur des bases relativement sûres. Il est également nécessaire de
connaître le contexte dans lequel apparaît un élément et de confronter les
matériaux analogues, afin de mieux comprendre ce qui est spécifique et
d'apprécier l'exception à sa juste valeur. Il s'agit d'« amplifier », c'est-à-dire
d'élargir le thème en recueillant de nombreuses versions analogues. Quand on
a ainsi réuni une collection de parallèles à un motif, on passe au suivant
jusqu'à la fin de l'histoire. On établit ensuite le contexte précis de chacune des
images.
Supposons que dans une histoire il soit question d'une souris ; on a lu, dans
les divers dictionnaires des symboles, que les souris pouvaient représenter des
sorcières, qu'elles sont reliées au diable, et qu'elle est aussi l'animal d'Apollon
sous son aspect hivernal ; elles amènent la peste, c'est-à-dire la mort, et
incarnent aussi pour certaines personnes les âmes des morts ou les âmes
animales des humains. En comparant ces divers matériaux avec la souris de
l'histoire étudiée, on constate que certaines des amplifications lui conviennent
et aident à en comprendre le thème, alors que ce n'est pas le cas pour d'autres.
On retient tous les éléments qui expliquent « la » souris, et conserve les autres
en réserve, car il peut se produire que, par la suite, quelques autres aspects de
la souris apparaissent.

« On parvient alors au point culminant de l'action, ce moment décisif à partir duquel toute
l'histoire se résout en tragédie ou au contraire tourne à bien. C'est le moment maximum de
la tension. [...] Puis à de rares exceptions près, il y a un dénouement heureux ou
catastrophique, autrement dit, une lysis positive ou négative, un résultat final. » (von
FRANZ, 1987 : 54-55)

313
314 Du signe au symbole

Parfois, il n'y a de dénouement ni heureux ni malheureux et l'histoire cesse


tout simplement. Elle devient tout à coup absurde et s'évanouit, exactement
comme si l'auteur perdait soudain tout intérêt pour elle et décidait de
l'interrompre subitement. Il peut arriver aussi qu'il y ait une fin ambiguë. De
toute manière, à ce stade final, ayant réuni les divers matériaux récoltés au fil
de l'histoire, on essaye de traduire celle-ci en langage psychologique. C'est-à-
dire que nous inscrivons le mythe exposé au niveau du média dans une
perspective mythique jungienne qui ressort de l'inconscient collectif. Cette
interprétation est relative et n'est pas une vérité dernière. Elle est une façon de
raconter des histoires, afin d'alimenter notre imaginaire, de nous interpeller au
fond de nous-mêmes, et de jeter un regard neuf sur des lectures maintes fois
compulsées. Nous ne désirons pas présenter notre interprétation comme si elle
était définitive : ce serait un mensonge, voire de l'abus de confiance. Le seul
critère véritable sera : l'interprétation est-elle satisfaisante et trouve-t-elle
un écho en moi-même et chez les autres ? Si oui, je sais que mon
interprétation est féconde et que j'ai interprété le matériel de façon
satisfaisante. Les diverses interprétations seront ainsi articulées selon le
schéma suivant :

Plan de l'objet Plan du sujet


Modes Associations libres. Associations contrôlées.
Considérer l’œuvre comme un rêve Considérer l’œuvre comme étant
manifeste qui travestit le sens l’expression de l’inconscient
véritable du rêve. Il y a lieu donc de personnel (fonctions psychiques et
dégager les condensations imagos) et de l’inconscient collectif
(métaphores), les déplacements (images archétypiques).
(métonymies) et l’élaboration
secondaire (partie du travail du rêve
qui complète le processus de
déguisement [les lacunes, les
incohérences]).
Temps Date précise de l'histoire. Période indéterminée,
Temps chronologique. intemporelle. Temps circulaire.
Un jour précis et son éventuelle Temps indéterminé, intemporel,
signification personnelle mythologique. L’éternel retour.
Le jour est davantage lié à la Le jour est davantage lié à la
conscience ; l’aurore ou le conscience personnelle ou
crépuscule sont liés à la collective ; l’aurore ou le crépuscule
préconscience ; la nuit est proche sont liés au passage vers
de l’inconscient. l’inconscient personnel ; la nuit est
proche de l’inconscient personnel
ou de l’inconscient collectif.

314
Sémiologie et herméneutique 315

Lieux Lieux connus (conscience). Lieux naturels et mystérieux


Conception géographique. (inconscient). Conception
Topiques freudiennes. psychique jungienne (conscience,
Les lieux connus sont liés à la inconscient personnel, inconscient
conscience et au Moi ; les lieux collectif).
moins connus sont liés à la Les lieux familiers sont liés à la
préconscience ; les lieux inconnus conscience personnelle ; les lieux
ou lointains sont liés à publics connus sont liés à la
l’inconscient. Les lieux conscience collective ; les lieux tels
institutionnels ou culturels sont liés que les déserts, forêts, montagnes
au Surmoi ; les lieux naturels sont sont des lieux de passage vers
liés au ça. l’inconscient personnel ou
représentent des lieux associés à
l’inconscient collectif (s’ils sont
lointains et inconnus) ; les lieux
gigantesques, naturels, inconnus ou
lointains sont liés à l’inconscient
collectif (océan, mer, désert,
forêt…)
Nombre de Symbolique des nombres du point Symbolique des nombres du point
personnages de vue psychanalytique en tenant de vue archétypal et en tenant
au début et à compte des deux topiques et des compte des quatre fonctions
la fin pulsions. psychiques représentées par ces
personnages.
Au début : Au début :
Un = unité et indifférencié Un = une seule fonction psychique
Deux = dualité, différence, (pensée, sentiment, intuition ou
complémentarité ou opposition sensation). Deux = deux fonctions
Trois = dynamisme et dépassement psychiques [rationnelle (pensée et
de l’opposition sentiment) ou irrationnelle (intuition
Quatre = totalité, rigueur, logique et sensation)/fonctions féminines
Cinq = quintessence (sentiment, sensation – sensualité et
Les autres nombres sont des instinct sexuel avec prédominance
multiples ou des combinaisons des affective - ou intuition empirique
précédents. sensible et psychologique –
inspiration, flair, prémonition et
pressentiment) ou masculines
(pensée, sensation – jugement sensé
avec prédominance quant à la
perception - ou intuition rationnelle
– compréhension et perception des
rapports). Trois = trois fonctions
psychiques.
Quatre = quatre fonctions
psychiques => équilibre psychique.
Cinq = quintessence et nouveau
développement psychique (nouvelle
unité). Les autres nombres sont des
multiples ou des combinaisons des
précédents.

315
316 Du signe au symbole

À la fin : voir les explications À la fin : voir les explications


données pour le début ! données pour le début !

Synthèse : que représente le Synthèse : que représente le


passage du début à la fin du point passage du début à la fin du point
de vue de la symbolique des de vue des fonctions psychiques ?
nombres ? Pas de changement = stagnation
Pas de changement = stagnation psychique. Changement =
Changement = interpréter le intégration ou perte de certaines
passage de 1 à 2 ; de 2 à 3 ; de 3 à fonctions.
4 ; de 4 à 5 comme une évolution. Si
inversion, interpréter souvent
comme une régression.
Personnages Instances liées au ça, au moi et au Imagos et archétypes. Points de
surmoi. Pulsions. Principes vue liés au principe de
psychiques. Points de vue liés aux synchronicité.
motifs70. Moi = héros ou héroïne de type
Personnage me représentant = Moi Trickster, Hare ou red Horn.
conscient Personnage familier de même sexe
Père ou autorité = Surmoi et de même âge qui s’avère
Femme ou mère = Ça complémentaire = autre (alter ego
Selon le comportement de chaque au niveau du Twins).
personnage, on obtient pour : Monstre, Méchant(e) ou personnage
l’agressif, le haineux = pulsion de inconnu et inquiétant = ombre.
mort (Thanatos) Mère, père ou personnes familières
l’amoureux, le protecteur et le doux d’un certain âge (prof, patrons…) =
= pulsion de vie (Éros) imagos parentales.
Pour le héros, jeune femme = anima
Pour l’héroïne, jeune homme =
animus
Grand-mère, grand-père, magicien
ou personnage âgé bienveillant =
Vieux Sage ou Grand-mère
Grand-mère négative, grand-père
négatif, sorcier ou personnage âgé
malveillant = Senex
Enfant ou adolescent = puer
aeternus ou puella aeterna ou Koré
Roi = Symbole de la conscience
collective
Couple de sexes différents,
androgyne, volatile, pierre, bijou,
cristal, diamant, quatre, mandala =
Soi

70
La psychanalyse est une science exégétique, portant sur les rapports de sens entre les objets
substitués et les objets originaires de la pulsion. Elle se rapporte à une réalité psychique et
nous parle de motifs et non de causes ; néanmoins, son explication ressemble à une

316
Sémiologie et herméneutique 317

Autres Principes, pulsions, manques et Imagos et archétypes. Points de


symboles désirs. Points de vue liés aux vue liés au principe de
motifs et au principe de causalité. synchronicité.
Couteau ou objet allongé = phallus, Oiseau(x) = Soi volatil
symbole sexuel accompagné de Pierre, bijou, cristal, diamant,
désirs, pulsion de vie ou pulsion de spirale, soleil = Soi permanent
mort selon l’utilisation Quatre, mandala = Soi et quaternité
Urine, excréments, fluide corporel = Sang = libido au sens jungien
sperme et richesse (énergie psychique)
Rayons de soleil ou sang = libido Pour les animaux et objets = voir
sexuelle dictionnaire des symboles, ce qu’ils
Pour les animaux et objets = voir représentent au niveau du psychisme
dictionnaire des symboles, ce qu’ils (plan sujet) (instincts, imagos,
représentent du point de vue archétypes et complexes psychiques)
corporel ou sexuel (plan objet)
Exposition Exposition : présentation du Exposition : présentation du
Péripéties problème problème
Chute Péripéties : actions, surgissement de Péripéties : actions, surgissement de
la catastrophe la catastrophe
Chute : résultat, conclusion Chute : résultat, conclusion
significative significative
Pour chaque séquence, avec des Pour chaque étape, comparaison
récits imaginaires ou historiques dus avec des récits mythologiques, des
à des auteurs précis. Comparaison légendes, des contes et des rêves.
avec le complexe d’Œdipe et le Pour chaque comparaison, voir ce
roman familial, ou des romans, des qui est commun et ce qui est
films, des BD, des pièces de différent par rapport à la partie de
théâtre… récit étudiée.

explication causale, sans jamais se confondre avec elle. On pourrait parler de motivation
alléguée ou rapportée, à condition de "déplacer" cette motivation dans un champ analogue à
celui de la réalité physique. C'est ce que fait la topique freudienne ( RICOEUR, 1965 : 378-
380).

317
318 Du signe au symbole

Conclusions Synthèse en tenant compte des Synthèse en tenant compte des


relations, du cotexte et du relations, du cotexte et du
contexte. contexte.
1° reprendre la synthèse établie au 1° reprendre la synthèse établie au
niveau des nombres (passage de x à niveau des nombres (passage de x à
y et signification symbolique au plan y et signification symbolique au
de l’objet) ; niveau des fonctions psychiques) ;
2° à partir des péripéties, synthétiser 2° à partir des péripéties, synthétiser
le point de vue dynamique : analyser le point de vue dynamique : analyser
les phénomènes psychiques en terme les différences et les ressemblances
de forces et de conflits entre les en terme de rapports et de conflits
différentes instances (pulsions, entre les différents complexes
principes, instances) psychiques (instincts, imagos et
3° à partir des nombres et des archétypes)
autres symboles, synthétiser le point 3° à partir des nombres et des
de vue économique : déplacement, autres symboles, synthétiser le point
augmentation ou diminution de vue économique : déplacement,
d’énergie (libido sexuelle, libido du augmentation ou diminution
Moi, libido d’objet…) d’énergie psychique (libido
4° à partir du temps, des lieux et des jungienne, mise en exergue de
personnages, synthétiser le point de certains aspects de la
vue topique (les rapports entre personnalité…)
conscience, préconscience, 4° à partir du temps, des lieux, des
inconscience ; rapports entre ça, personnages et des autres symboles,
moi idéal, moi, idéal du moi et synthétiser les rapports entre les
surmoi) fonctions psychiques (sensation,
5° tirer les conclusions : résumer pensée, intuition et sentiment) et les
l’ensemble en une phrase finale rapports entre conscience
relative au relationnel ou au sexuel personnelle, conscience collective,
inconscient personnel et inconscient
Dernier conseil : les solutions collectif. Tracez la partie du
proposées dans ce tableau processus d’individuation.
demeurent très stéréotypées… Par exemple, pour la hiérarchie des
Or, tout symbole est une fonctions, si la fonction pensée est la
fonction dominante, on obtient le
réalité vivante et personnelle.
schéma suivant :
N’ayez pas peur de faire appel
pensée :
à votre propre intuition pour fonction dominante
interpréter un symbole ! ! !
. intuition : sensation :
fct. secondaire fct. secondaire
CS-------------------------------- INCS

sentiment :
fonction inférieure refoulée
5° tirer les conclusions : résumer
l’ensemble en une phrase finale liée
au processus d’individuation.

318
Sémiologie et herméneutique 319

Amplifications

Archétype du Soi, Puer Aeternus et anima

De la naissance des dieux à la naissance du Christ


(DREWERMANN, 1992)

Nous abordons une première mythanalyse en prenant les récits de la


Nativité dans l'Évangile de Luc.

Le message de l'ange Gabriel (LUC, 1, 26-38), la rencontre entre Marie et Élisabeth (Luc,
1, 39-56), la Sainte Nuit (LUC, 2, 1-20), la prophétie de Siméon au Temple (LUC, 2, 21-
40), Jésus a 12 ans (LUC, 2, 41-52)

Au plan de l’objet Au plan du sujet


Temps Entre - 6 et -4 av. J.C.
Lieux Nazareth : Annonciation. La naissance du Messie devrait
Bethléem : naissance. normalement se faire à
Bethléem.
Nombre au Deux : la Vierge et l’ange Gabriel. La Vierge et l’ange forme un
début Deux renvoie à l'opposition et à la androgyne. Les fonctions
complémentarité des contraires. féminines, sentiment et intuition,
dominent.
Nombre à la fin Quatre : Marie, Joseph, Jésus et les Quaternité constituée des
animaux. principes mâle et femelle
Quatre évoque une totalité. (androgyne), du puer aeternus et
des animaux (instincts).
Synthèse Le passage de deux à quatre évoque Les deux fonctions féminines
donc le passage de l’opposition à la intègrent également les fonctions
totalité. C’est le mariage des masculines, ainsi que les
contraires. Les principes féminin et instincts. Un nouvel équilibre
masculin, ainsi que l’homme et la psychique voit le jour.
nature.

319
320 Du signe au symbole

Personnages Jésus = image du moi. Jésus = le héros et le puer


Vierge = image du ça et de la aeternus (Soi).
matrice. Vierge = héroïne, imago
Joseph = image du surmoi et des maternelle et anima de Joseph.
puissances passives du désir. Joseph = imago paternelle et
Les trois premiers personnages animus de Marie.
forment le triangle familial. Gabriel = Androgyne,
Gabriel = pulsion de vie, (Gabri-el expression du mariage des
= mon mari est Dieu), puissances contraires et de la totalité
phalliques ; créativité féminine de psychique du Soi.
Marie. Animaux = instincts.
Animaux = instincts.
Autres symboles Crèche = étable qui abrite les Crèche = cette maison est au
animaux, les instincts. Symbolique centre du monde et elle est
du corps. proche de la nature. Le
Berger = être humain qui conduit le psychisme est en harmonie avec
troupeau, veille sur lui et le protège.
la nature.
Noël = +/- solstice d’hiver. Le soleil
Le berger marque la frontière
(la lumière) atteint son plus grand entre la nature et la culture, entre
éloignement angulaire du plan de les pulsions et l’intellect, entre le
l’équateur. sentiment et la raison.
Noël = c'est du fond des ténèbres
que naît l'espoir et la lumière.
Péripéties et Comparaisons avec le roman Comparaisons avec Inanna,
chute familial (Freud), la naissance des Cybèle, Isis et Osiris, Asclépios,
(comparaisons) pharaons et la naissance des Césars. Bouddha, Mithra et La Nuit
Voir ci-dessous ! obscure de St Jean de la Croix
Conclusion (DOLTO, 1977a : 17-30) (DIEL, 1975 : 187-223) (DIEL,
Voir ci-dessous ! (DREWERMANN, 1992) 1966 : 217-233)
(DREWERMANN, 1992)

L'interprétation proposée, sur les plans de l’objet et du sujet, est réalisée


par le théologien et psychanalyste jungien Eugen Drewermann. Le lecteur
peut également se reporter aux textes de Françoise Dolto (interprétation
freudo-lacanienne) et de Paul Diel (interprétation adlérienne) qui sont signalés
dans le tableau.

« L'Église primitive, parallèlement sans doute au culte de Mithra des légionnaires romains
et sous l'influence de certains cultes orientaux, avait déjà fixé la naissance du Seigneur au
25 décembre : le Christ devait apparaître comme la lumière véritable, le soleil invaincu,
qui, conformément aux représentations du zodiaque, renaît à une vie nouvelle à l'époque du
solstice d'hiver. Mais quel merveilleux ensemble de symboles condensés le christianisme
n'a-t-il pas déployés à partir de ces premiers balbutiements d'un « paganisme » vécu ! »
(DREWERMANN, 1992 : 24-25)

La théologie de la filiation divine n'est pas une idée spécifiquement


chrétienne, mais le christianisme s'est contenté de la reprendre. Ainsi, le
concept de fils de Dieu, né d'une vierge, couverte par l'Esprit et la lumière

320
Sémiologie et herméneutique 321

(par Amon-Râ), était déjà parfaitement élaboré plusieurs millénaires avant le


christianisme dans l'Égypte ancienne. De même que dans la plupart des
mythologies, les mères des dieux, telles Inanna71, Cybèle72, et Isis73, voient
mourir leur enfant, leur époux, le dieu de leur amour. Elles vont dans les
enfers et ramènent le mort à la vie. La filiation divine, concept central de la
foi chrétienne, est donc redevable à la religion trois fois millénaire des bords
du Nil, et il représente - aux côtés de la doctrine conjointe de l'immortalité de
la religion d'Osiris - le plus grandiose cadeau de l'esprit que l'Égypte ancienne
ait pu léguer au christianisme. Le mythe de la naissance de l'homme divin à
partir du choix d'une vierge royale est donc un mythe hérité de l'ancienne
Égypte. L'Évangile de Luc, en superposant aux mythes égyptiens les images
de la naissance d'Asclépios, le dieu de la Lumière et le médecin de la
mythologie grecque, pour décrire et donner à vivre le mystère de la
rédemption humaine, donne naissance à des textes qui se situent entre le rêve
et l'état de veille, que nous ne pourrons comprendre qu'en entrant dans le
langage flottant de la poésie et du symbole. La religion de l'Égypte ancienne
dispose d'expériences qui ont pu faire remonter des profondeurs de la psyché
humaine dans la conscience cet ensemble de représentations sur la filiation
divine d'un homme royal ou sacerdotal. La seule différence dans l'explication
de la représentation du fils de Dieu entre Jésus Christ et le pharaon égyptien
se trouve dans l'approfondissement personnel.

« Si l'on s'en tient à l'extériorité de son expression, on est conduit en droite ligne, d'un point
de vue historique, des pharaons égyptiens du Nouvel Empire aux Assyriens et aux
Babyloniens, avec leur adoration effrénée de la puissance guerrière, à la cour perse de
Persépolis, aux téméraires expéditions de conquête du monde d'Alexandre « le Grand » et à
la royauté divine des césars romains ; si l'on mise, en revanche, sur la signification
intérieure du symbole religieux de la figure du fils de Dieu, les images de l'Égypte ancienne
conduisent en droite ligne aux dogmes de l'Église primitive. Et, dès lors, le christianisme
peut se prévaloir de l'exploit d'avoir pleinement saisi le symbolisme central de l'Égypte
ancienne dans sa teneur spirituelle et de l'avoir élevé, dans sa pure intériorité, au rang
d'expression centrale de sa propre foi [...] La force d'un amour désintéressé dans le cœur
des hommes est incomparablement plus grande que toute la puissance des souverains car
elle seule est capable de pénétrer l'être de l'autre dans sa totalité. Celui-là seul qui renonce
définitivement à dominer gagne la confiance et la sympathie de tous par la bonté ; celui-là
seul qui est lui-même si « transparent » qu'en sa présence l'âme de l'autre s'ouvre à la
lumière est un véritable « prêtre du soleil » ; et celui-là seul dont la propre ouverture à
l'autre fait éclore toutes les forces de la beauté, de l'estime de soi et de la « largeur de
cœur » mérite le nom de « fils de Râ »." (DREWERMANN, 1992 : 103-104)

71
Ananna ou Ishtar est une grande déesse de la mythologie mésopotamienne (babylonienne).
72
Cybèle, comme Atirat, Anat, Attarat (Astarté) est une figure mythologique de la Syrie
ancienne (Phénicie).
73
Isis est la grande déesse de l'Égypte ancienne.

321
322 Du signe au symbole

Les récits mythiques de la naissance sont une méditation sur des images
issues des profondeurs de la psyché. C'est à ce processus psychologique que
nous devons cette proximité entre les récits bibliques et les traditions des
« païens ». De même qu'il nous faut évoquer le culte d'Osiris, le monde
lumineux de Mithra, la naissance du Bouddha ou le mythe de la naissance du
pharaon pour comprendre la scène de l'Annonciation à Nazareth, de même il
nous faut évoquer le mythe d'Asclépios pour comprendre la scène de
Bethléem.

« Dans sa description de la Grèce (II 26, 3-5), Pausanias raconte " la venue à Épidaure du
roi guerrier Phlegyas de Thessalie, avec sa fille, la bien-aimée d'Apollon, déjà enceinte
d'Asclépios. Elle expose son enfant sur une montagne qui s'appelait alors "montagne des
myrtes" et plus tard "montagne des mamelles". C'est là que le trouvera le berger
Aresthanas, entre chèvre et chien : la chèvre l'allaite, le chien garde l'enfant dans une
lumière éblouissante, qui, telle une apparition divine, oblige le berger à détourner les yeux.
Au même instant, on entend une voix qui proclame sur toute la terre et toute la mer que le
nouveau-né trouvera tous les remèdes pour les malades et qu'il ressuscitera les morts ". »
(DREWERMANN, 1992 : 139-140)

ASCLÉPIOS LA NATIVITÉ INTERPRÉTATION

Aigla (Aigla-Coronis, Phoibê La Vierge Marie est l'épouse Les éléments communs sont
ou Arsinoé), la mère de Dieu (Mon mari [Gabri] la virginité et l’épouse du
d'Asclépios, est l'épouse du est Dieu [El]). Elle est dieu ou de Dieu.
dieu Apollon et est connue vénérée comme l'Immaculée
sous le nom de vierge conception, la Mère de Dieu.
corneille. Elle est vénérée
comme déesse de la Lune.
L'enfant vient au monde Jésus vient au monde De part et d’autre, la mère
pendant que la mère est en pendant que sa mère est en est en voyage !
voyage. voyage.
L'enfant est exposé sur une L'enfant est exposé dans la Son abandon, son manque de
montagne. crèche. protection est fortement
souligné.
Le berger qui le trouve voit Les bergers voient l'étoile de Les bergers marquent la
apparaître une lumière divine Bethléem et entendent les frontière entre la nature et la
et perçoit une voix céleste qui anges annoncer la venue du culture, ou encore le passage
lui révèle la portée salvifique Sauveur. de la cueillette et de la
de l'enfant divin. chasse à l'agriculture
sédentaire. Ils vivent déjà
des produits de la nature.
Dans le symbole des
bergers, les oppositions
entre pulsion et intellect,
sentiment et raison, système
limbique et cortex cérébral,
trouvent leur unité vitale.

322
Sémiologie et herméneutique 323

L'enfant est couché entre L'enfant est couché entre le Cet enfant qui ne trouve pas
chèvre et chien. bœuf et l'âne. sa place auprès des hommes
est proche des animaux
domestiqués. Il demeure
ainsi proche des instincts et
des pulsions domestiqués.
Les animaux, antérieurs aux
hommes et porteurs de
messages mystérieux,
relèvent encore du divin. Ils
sont la protection de
l'homme et le symbole de
son être. De plus, c'est à une
femelle (une vache chez les
paysans, une chèvre chez les
bergers, une louve ou une
ourse chez les chasseurs)
qu'il revient d'élever le fils
de Dieu. L'enfant réconcilie
en sa personne les
contradictions de l'animal et
de l'ange et unit le plus bas
avec le plus haut.
L'enfant naît dans la nuit. Jésus naît durant la nuit de Le fils de Dieu, porteur de
Asclépios est le fils Noël. Jésus est le Messie, le lumière, surgit dans les
d'Apollon, le dieu solaire, et fils de Dieu, et le fils de ténèbres de la nuit. Il
d'Aigla, la déesse de la Lune. l'Homme. réconcilie la Lumière et les
Ténèbres.

La naissance du fils de Dieu ne se situe pas au niveau de l'histoire, mais se


situe au niveau de la réalité que seules les images du mythe sont capables de
décrire. Il convient de lire symboliquement l'histoire de la naissance de Jésus à
Bethléem. C'est pourquoi il nous faut d'abord comprendre la signification
symbolique de ce récit imagé.

« La naissance de l'enfant divin nous introduit dans la sphère de la création primordiale, de


l'origine de la vie et de la mort, du renouvellement de la lumière (de la lune) du sein des
ténèbres ; nous devenons les témoins d'un mariage de la lumière (Apollon) avec les
ténèbres (Coronis), du ciel avec la terre, de la lumière du soleil avec la sombre lune - dans
la perspective de la psychologie des profondeurs, c'est un mariage entre le conscient et
l'inconscient, l'esprit et l'instinct, la raison et le sentiment : c'est à titre de médiateur, pour
les réconcilier, que naît précisément cet enfant qui participe de la nature des deux
sphères. » (DREWERMANN, 1992 : 146)

Deux mille cinq cents ans avant la psychanalyse, les médecins d'Asclépios
reçoivent dans le sanctuaire d'Épidaure le remède du traitement des rêves.
Asclépios, dieu issu de l'accouplement des ténèbres et de l'éclat du jour,
marque la frontière entre l'inconscient et le conscient. Il personnifie la

323
324 Du signe au symbole

transition entre le sommeil et l'état de veille, et c'est ainsi que le rêve est son
véritable domaine. Il est le dieu qui guérit grâce à la lumière de l'esprit surgit
des ténèbres de l'inconscient. Dès que les hommes acceptent le message de
leurs rêves, le mariage entre Apollon et Coronis, entre l'esprit et l'âme, entre
l'intelligence et le cœur, s'accomplit et dès lors démarre un voyage, un
processus intérieur de départ et de retour chez soi, au terme duquel se situe la
naissance de l'être véritable. De même, le Nouveau Testament reconnaît dans
la souffrance et la maladie les symptômes d'un monde qui s'est éloigné de
Dieu et interprète les miracles de Jésus comme des signes du pouvoir de Dieu
qui s'affirme à nouveau sur le cœur des hommes. Le christianisme guérit
essentiellement l'angoisse de l'existence, qui conduit l'homme à s'opposer à
Dieu et le met ainsi en contradiction avec lui-même. Ainsi le Christ, quand il
annonce le royaume de Dieu et accomplit ses miracles, se révèle être médecin
de l'âme, venu guérir des manifestations psychosomatiques des nombreuses
maladies psychiques et corporelles de l'humanité (DREWERMANN, 1992,
147-148).

« [...] il nous faut co-rêver la figure du Christ, les images de sa naissance, de son être et de
son agir, pour les recevoir assez profondément en nous. Au titre de fils de Dieu, qui vient
au monde la nuit, dans la lumière des anges, ce qui vit en lui, c'est essentiellement le
pouvoir de toucher notre âme de façon à l'emplir de larmes qui guérissent ; lui-même, la
présence de sa personne, crée une sphère semblable au sanctuaire d'Épidaure, une zone de
silence, de sécurité, où il fait bon s'attarder, où l'âme de l'homme devient transparente à
elle-même quant à son origine, et où, de sous la conscience quotidienne qui recouvre tout
comme d'une lourde pierre, jaillit une eau donneuse de vie - comme les sources sacrées des
contes et des légendes - dans laquelle se renouvelle notre jeunesse (Ps 10, 5) en redonnant
vie à des rêves et des désirs depuis longtemps enfouis et pétrifiés. » (DREWERMANN,
1992, 149)

Le ciel et la terre, la lumière et les ténèbres, le haut et le bas, le soleil et la


lune, la naissance et la résurrection, l'essence et la réalité, l'être et
l'accomplissement se trouvent ainsi corrélés dans l'amour, cette union des
contraires. Ainsi, la réconciliation des contraires, l'unité du divin et de
l'humain, demeure le thème central de toutes les traditions relatives à
l'incarnation de Dieu. La mort est vaincue au sein même de la vie.

Orphée et le fils de l'homme


(HENDERSON, 1964 : 141-148) (COCTEAU, 1949)
Le mythe

Symbole de la beauté et de la séduction, né de la nymphe Calliope et


d'Apollon, Orphée (celui qui guérit par la lumière) est le plus grand poète et
musicien grec. Par les sons de sa lyre, il séduit aussi bien les dieux que les
hommes. Il s'embarque pour Colchide avec les Argonautes et calme la mer

324
Sémiologie et herméneutique 325

déchaînée. Il revient en Thrace et épouse la nymphe Eurydice. Celle-ci, en


tentant d'échapper à Aristée qui voulait la violer, est mordue au pied par un
serpent et meurt. Inconsolable, Orphée descend au Tartare et envoûte par sa
musique plaintive Charon le passeur, Cerbère le chien, les trois juges des
morts, et le maître de l'Hadès. Le roi des enfers accepte de lui rendre Eurydice
à condition qu'il ne la regarde pas avant d'atteindre le monde des vivants.
Mais, dès qu'il revoit la lumière du jour, il se retourne et perd Eurydice à
jamais. Celle-ci était encore dans l'ombre de la caverne. Orphée demeure
inconsolable et se consacre au culte d'Apollon, au détriment de celui de
Dionysos. Cet homme-dieu au caractère androgyne possède une connaissance
intime du monde végétal et animal et initie ses adeptes à leurs secrets. Il
condamne les sacrifices humains et les Ménades. Dionysos, outré, le livre aux
Ménades qui le décapitent et déchiquettent son corps. Elles jettent ensuite son
corps dans l'Hébros. Le fleuve emporte ses membres sur les côtes de Lesbos,
où les Muses éplorées les recueillent et leur donnent une sépulture au pied du
mont Olympe.
Le film de Jean COCTEAU (1949) Orphée, Paris, André Paulve.

À la terrasse d’un café, le poète Orphée est fasciné par une énigmatique
princesse et son compagnon Cégeste. Cégeste se fait écraser par deux
motards. Orphée accompagne la princesse et la dépouille de Cégeste vers sa
dernière demeure. Il découvre que les deux motards sont aux ordres de la
princesse, qui n’est autre que la mort. Celle-ci, fascinée par Orphée, organise
la mort de son épouse, Eurydice. Orphée est aussi fasciné par la princesse. Il
tente de la retrouver et parvient à convaincre Heurtebise, le chauffeur de la
princesse, de l’emmener jusqu’au domaine de la mort. Orphée se retrouve
alors en présence d’Eurydice et de la princesse. Le tribunal suprême permet à
Orphée de ramener Eurydice à condition de ne plus la regarder. Par
inadvertance, il viole ce tabou. Orphée est ensuite assassiné par Aglaonice et
ses bacchantes. Mais la princesse, sa mort, se sacrifice, et Orphée peut
retrouver Eurydice.

Au plan de l’objet Au plan du sujet


Temps 1949. Époque contemporaine pour intemporel.
les protagonistes. Liée à la
conscience et au Moi.
Lieux Thrace (ou Paris) et la terrasse de Thrace (ou Paris) et terrasse de
café incarnent des lieux publics café = conscience collective.
liés à la conscience. Celle-ci est Celle-ci est parfois traversée par
associée au principe de plaisir et à des phénomènes inconscients.
la pulsion de mort.
La maison d’Orphée est liée à la La maison d’Orphée représente la
conscience et à l’instance du moi. conscience individuelle.
La maison de la princesse est liée La maison de la princesse
à la préconscience et à l’instance représente la préconscience et
du ça. l’inconscient personnel.

325
326 Du signe au symbole

Les enfers sont liés à l’inconscient Les enfers sont le lieu de


et à l’instance du surmoi. l’inconscient collectif.
Nombre au Cinq (Orphée, la princesse, Cégeste représente la jeunesse et
début Heurtebise, Cégeste, le vieux les potentialités créatrices. Orphée
poète). représente le poète dans la force
Cinq représente la quintessence. de l’âge. Cégeste, Orphée et le
vieux poète représentent la pensée
(l’écriture) et l’intuition créatrice.
Heurtebise, comme chauffeur,
représente à la fois l’élément
moteur, la volonté, et la sensation.
Les fonctions « masculines » sont
ainsi bien représentées. La
fonction sentiment est seulement
représentée par la mort. Cela
signifie que celle-ci est refoulée.
Nombre à la fin Au niveau conscient, Orphée et Au niveau conscient, nous avons
Eurydice ; au niveau inconscient, un couple, c’est-à-dire un
la princesse, Heurtebise et les androgyne. Au niveau inconscient,
deux motards, c'est-à-dire l'objet nous avons une quaternité
du désir et des instances liées au constituée de l’anima et de son
surmoi. animus, ainsi que de deux ombres.
Synthèse Au niveau de la conscience, nous Au niveau de la conscience
passons de cinq à deux, de la personnelle, nous passons de cinq
quintessence à la complémentarité. fonctions masculines à deux
Au niveau de l’inconscient, nous fonctions masculine et féminine.
retrouvons quatre personnages L’intuition épouse le sentiment.
incarnant le ça, objet du désir, et le Au niveau de l’inconscient,
surmoi, expression de l’autorité et l’anima est associée à l’animus, à
de la castration. la pensée et à la sensation.
Personnages Orphée = poète adulte = moi Orphée = héros de type red Horn
conscient. lié à la fonction intuition.
Eurydice = épouse et mère = la Eurydice = anima positive
pulsion de vie (Éros). d’Orphée et imago maternelle.
La princesse = la pulsion de mort La princesse = anima négative
(Thanatos) et l’objet du désir. d’Orphée de type femme fatale.
Heurtebise = le chauffeur et le Heurtebise = autre et animus
messager = le surmoi (l’ange d’Eurydice, lié à la fonction
gardien). pensée.
Cégeste = jeune poète Cégeste = puer et animus de la
(potentialité) dominé par sa princesse. Ombre d’Orphée.
pulsion de mort associée au moi Le vieux poète = autre blasé,
idéal. persona d’Orphée.
Le vieux poète = blasé et sceptique La police et les juges = vieux
= sensations et émotions sages.
émoussées = abolition du plaisir = Aglaonice et les bacchantes =
idéal du moi. ombres liées à la fonction
La police et les juges = liés à sentiment qui est ici refoulée.
l’ordre = surmoi. Les motards = ombres. L’aspect
Aglaonice et les bacchantes = purement mécanique de la moto

326
Sémiologie et herméneutique 327

furies, ménades = le ça lié aux désigne un développement trop


pulsions sexuelles archaïques exclusif de la fonction pensée, de
(dont le cannibalisme). l’intellect, de l’aspect
Les motards = pulsions sexuelles exclusivement mécanique et
incontrôlées = évolution en technique de l’existence ou de
marche = élan vital = libido l’analyse. Les motards écrasant
incontrôlée. Cégeste et Eurydice peuvent
indiquer que l’élan vital, le
développement de la personnalité,
les pressions extérieures n’ont pas
tenu compte d’un attachement
persistant à l’enfance et aux
valeurs psychologiques telles que
la fonction sentiment.
Autres symboles Les miroirs = projection et Les miroirs = frontières entre les
introjection (réciprocité des deux faces psychiques de
consciences) = passages = l’homme : la conscience et l’in-
spéculation = instrument de conscient = reflets de l’âme.
l’illumination = l’intelligence
créatrice.
Péripéties et // avec le Christ : Orphée est un
Isis et Osiris -> Isis ramène Osiris
chute médiateur entre la vie et la mort. Il
du royaume des morts.
(comparaisons) tente de ressusciter Eurydice Les mythes de Dionysos, des
comme le Christ le fait avec bacchantes, de Pan et des Satyres
Lazare et la jeune fille morte. proposent diverses facettes en
Orphée descend aussi, comme le relation avec le mythe d’Orphée.
Par exemple, la folie d’Agavé,
Christ, aux enfers. Il est un lien
entre les ténèbres et la lumière.
possédée par Dionysos, qui
Lors de la destruction de Sodomel’entraîne à manger son fils
et Gomorrhe, l’un des anges dit à
Penthée (SOLIÉ, 1988 : 50-57).
Lot : « Sauve-toi, si tu veux garder
Au niveau des contes, la Reine des
ta vie. Ne regarde pas en arrière,
Neiges fascine, comme la
ne t’arrête nulle part dans la princesse, le héros. La Belle au
plaine ; fuis vers la montagne, Bois Dormant et Blanche-Neige
sinon tu périras. » (Genèse, 19,sont « réveillées » par leur prince
17). La femme de Lot, qui avait charmant. Au niveau des légendes,
regardé en arrière, devint une St Nicolas ressuscite trois petits
colonne de sel (Genèse, 19, 26).enfants.
Les mythes modernes nous
proposent également un certain
nombre de parallélismes : Dante
descend aux enfers. Hamlet
s’adresse au spectre de son père.
Don Juan est entraîné dans le
tombeau du commandeur. Alice
traverse aussi le miroir (Par-delà
le miroir de Lewis Carroll).
Conclusion (HENDERSON, 1964 : 141-148) (HENDERSON, 1964 : 141-148)
Voir ci-dessous ! (DOLTO, 1977a : 59-66) (DIEL, 1966 : 136-143) (SOLIÉ,
(DOLTO, 1977b : 149-180) 1988 : 47-57) (HILLMAN, 1977)

327
328 Du signe au symbole

Nous vous proposons une lecture du mythe d'Orphée par Joseph


Henderson. Vous pouvez également vous reporter à l’interprétation adlérienne
de Paul Diel (DIEL, 1966 : 136-143), à l’interprétation freudo-lacanienne de
la résurrection du Christ vue par Françoise Dolto (DOLTO, 1977b, 149-180)
et à l’interprétation jungienne de James Hillman du mythe de Dionysos
(HILLMAN, 1977).
Pour les freudiens, la mort d'Eurydice associe le serpent (symbole
phallique), le pied (attraction sexuelle), la morsure (agression de l'instinct
sexuel), et la mort (orgasme et libération). Éros et Thanatos sont omniprésents
dans ce malaise de la civilisation.
Les premiers chrétiens virent en Orphée le prototype du Christ. Comme le
Christ, Orphée était le médiateur entre l'humanité et le divin. Les deux
religions apportaient la promesse d'une immortalité divine. Les mystères
orphiques perpétuaient cependant l'ancienne religion dionysiaque et
célébraient le cycle éternellement recommencé de la naissance, de
l'épanouissement, de la maturité et de la décomposition. Le rite d'initiation du
culte était le vin qui devait abaisser l'état de conscience afin que l'initié
s'abandonne à sa nature animale pour éprouver le pouvoir fécondant de la
Terre Mère.
Le christianisme semble abolir ces mystères liés à la culture pastorale et
agricole. Pourtant, la communion au vin sanctifié en sang du Christ rappelle le
culte dionysiaque du vin. Celui qui participe au culte de Dionysos se voit
ramené à la matrice de la Terre Mère. Celui qui boit au calice chrétien s'unit à
Dieu. La Nature Mère laisse ainsi place au Fils de Dieu dans le Ciel.

« Ces deux attitudes se fondent dans la personne d'Orphée, le dieu qui se souvient de
Dionysos, mais se tourne vers le Christ. » (HENDERSON, 1964, 143)

Le chant d'Orphée est si puissant que la nature lui obéit. Pour Linda Fierz
David cela signifie que grâce à l'intuition que le dieu a du sens des
événements naturels, ceux-ci s'ordonnent harmonieusement de l'intérieur.

« Tout devient lumière, et toutes les créatures sont apaisées, lorsque le médiateur, dans
l'acte d'adoration, représente la lumière de la nature. Orphée est l'incarnation de la
dévotion et de la piété. Il symbolise l'attitude religieuse qui résout tous les conflits, parce
que l'âme tout entière est tournée vers ce qui se trouve au-delà de tous les conflits. »
(FIERZ DAVID cité par HENDERSON, 1964 : 145)

Orphée et le Christ, agissant en médiateurs, sont du côté de la vie et


doivent nous convaincre que nous pouvons revenir du caveau de la mort (et de
l'inconscient) et assister à la renaissance d'un soi spirituellement plus riche
que le moi. La mort, comme l'inconscient, demeure un mystère auquel nous
devons nous préparer dans le même esprit de soumission et d'humilité que
celui que nous devons acquérir pour vivre pleinement. Pâques célèbre ainsi la
résurrection du Christ et la renaissance du printemps.

328
Sémiologie et herméneutique 329

Mais revenons à Dionysos. Celui-ci, bien qu'il soit mâle, est surtout un
dieu de femmes. Sa conscience ne comporte aucune misogynie, car elle n'est
pas séparée de sa propre féminité. À l'origine, il était d'ailleurs bisexué.
Certains de ses noms étaient Gynnis (l'efféminé), Arsenothelys (le masculin-
féminin), Dyalos (l'hybride), et Pseudanor (l'homme sans vraie virilité)
(KERÉNYI, 1951 : 73) (JUNG & KERÉNYI, 1953 : 87-91). Ce dieu figure
une conscience androgyne où l'homme et la femme sont unis.

« En bref, l'approche dionysiaque, si je peux me permettre de l'appeler ainsi, ne scinderait


pas la bisexualité présente dans le symptôme et ne tenterait pas d'abstraire la conscience
de la souffrance, d'extraire la lumière active et masculine de la douleur passive, ce qui
revient en effet à diviser la totalité bisexuée, en favorisant le « connaisseur » masculin au
détriment du « connu » féminin. » (HILLMAN, 1977 : 208)

Passer de Dionysos à Orphée, puis au Christ ne consiste pas simplement à


changer de point de vue. Les dieux ne sont pas des êtres qui régneraient
chacun sur une zone d'activité humaine différente. Comme dit W.F. Otto, ils
sont les voies à travers lesquelles l'univers se révèle (OTTO, 1956 : 76-79).
Chaque archétype pénètre la conscience et éclaire celle-ci de la lumière d'un
monde différent. Une image unitaire du monde n'exige pas un seul cosmos
appartenant à un seul dieu. Et chaque cosmos que chaque dieu apporte avec
lui n'exclut pas les autres, pas plus que ne s'excluent mutuellement les
structures archétypales de la conscience, et leur manière d'être au monde
(HILLMAN, 1977 : 209).

« [...] les archétypes particuliers ne sont pas isolés [...] mais sont dans un état de
contamination, d'interpénétration et de fusion mutuelle la plus complète. » (JUNG, 1940,
91)

N'appartenir qu'à un seul cosmos, une seule façon d'être-au-monde est une
forme d'hybris, qui refuse l'influence réciproque des exigences des
dominantes. Mais la conscience monothéiste implique cette hybris qui s'avère
entièrement favorable à une psyché égocentrique et à une psychanalyse
monothéiste qui déplace les perspectives par rapport au moi comme centre
unique de la conscience (HILLMAN, 1977 : 209-210).
Nous devons accorder à de nombreuses dominantes la place qui leur est
due et reconnaître l'interpénétration psychologique des nombreux dieux et la
légitimité psychologique de chaque cosmos. L'étrange relation entre le soi et
les archétypes reproduit l'ancienne énigme du multiple-dans-l'un, et de l'un-
dans-le-multiple.

« Dans le but de reconnaître la valeur de la multiplicité différenciée du monde


archétypique des figures divines, des daimones et des créatures mythiques, tout comme de
l'univers phénoménologique de nos expériences où la réalité psychologique est
extrêmement compliquée et variée, nous nous pencherons très attentivement sur la pluralité

329
330 Du signe au symbole

dans le soi, sur les nombreux dieux et leurs nombreuses façons existentielles d'agir. »
(HILLMAN, 1977 : 210)

L'intégration des aspects féminins de l'unité primitive et le retour à notre


propre bisexualité fondamentale ouvrent la voie vers un réinvestissement des
aspects féminins dont nous avons été privés, regroupés sous le nom de
"femme". Les qualités physiologiques propres à la femme deviendraient alors
les qualités psychologiques de l'homme aussi bien que de la femme.
L'infériorité cesserait d'être exclusivement féminine et ferait partie d'une
conscience humaine basée sur une conjonction. L'Assomption de Marie dans
la vie présente permettrait ainsi de réintégrer dans la psyché ce qui a été
projeté sur le corps, bref de réintégrer le physique, le féminin et l'inférieur
dans la conscience (HILLMAN, 1977, 221-222).

Animus et archétype paternel

Les deux premières histoires qui suivent nous parlent de l'emprisonnement


des femmes. La réalité de cette prison est à la fois extravertie (plan de l'objet)
et introvertie (plan du sujet). La troisième histoire nous conte le
développement harmonieux chez la jeune fille.
Françoise Dolto se réfère aux causes extérieures pour expliquer le sort
infligé à la métrorragique74 et à la fille de Jaïre: c'est la Loi inscrite dans le
Livre du Lévitique et l'amour « dévorant » et incestueux du Père géniteur75 qui
relèguent ces deux femmes à l'état d'objet. Son interprétation est soumise au
principe de causalité. Que la Loi ou le père disparaissent ou soient différents
et les effets en sont totalement modifiés. C'est le comportement du père et la
loi qui alimentent le surmoi des deux femmes.
Joseph Henderson, en se référant à plusieurs rêves de ses patientes, nous
dévoile aussi l'action en profondeur de divers archétypes tels que l'image du
père qui se prolonge également dans l'animus prépondérant de la femme soi-
disant libérée. Par-delà le principe de causalité externe, il existe également un
facteur interne qui intervient, quelle que soient les lois ou l'attitude du père.
Toute femme, qui nie une partie de sa nature, se voit rappelé par le psychisme
même certaines réalités.
Ces deux lectures ne sont nullement contradictoires, mais bien au
contraire, complémentaires. Elles montrent simplement, une fois encore, que
l'interprétation dépend du point de vue où l'on se situe.

74
Femme souffrant d'une hémorragie anormale d'origine utérine. Elle était réglée de manière
permanente.
75
On évitera de confondre le père réel de l'archétype paternel. Le premier (personnage en
chair et en os, extérieur au sujet), n'est pas conforme à l'archétype (image primordiale, liée à
un complexe intérieur au sujet), même si, par certains aspects, il pigmente l'image de ce
dernier. Le père réel a une vie autonome par rapport à sa fille. L'archétype paternel est, par
contre, un aspect de la psyché de cette fille.

330
Sémiologie et herméneutique 331

Résurrection de la fille de Jaïre et guérison de la métrorragie


(MARC, 5, 31-43) (MATTHIEU, 9, 18-26) (LUC, 8, 40-56)

« Lorsque Jésus fut passé en barque sur l'autre rive, [...] l'un des chefs de la synagogue,
nommé Jaïre, se présente, et à sa vue tombe à ses pieds. Il le supplia avec insistance : « Ma
fillette, dit-il, est à toute extrémité ; venez lui imposer les mains pour la sauver et la faire
revivre. » Et il partit avec lui. Une grande foule le suivait et le pressait. Or il y avait là une
femme affligée d'une perte de sang depuis douze ans [...] Ayant entendu parler de Jésus,
elle vint dans la cohue, et par derrière, toucha son vêtement [...] À l'instant la source de
sang fut tarie et elle eut la sensation d'être guérie de son infirmité [...] voici qu'on vint de
chez le maître de la synagogue pour annoncer : « Ta fille est morte ; à quoi bon importuner
encore le Maître ? » Mais Jésus, ayant surpris ce qu'on venait de dire, s'adressa au chef de
la synagogue : « Ne crains pas, dit-il ; crois seulement. » [...] En arrivant à la maison du
chef de la synagogue, il aperçoit une cohue et des gens occupés à se lamenter et à pousser
de grands cris. Il entre et leur dit : "Pourquoi tout ce vacarme et ces pleurs ? L'enfant n'est
pas morte, elle dort." Mais on se moquait de lui. Cependant, les ayant tous congédiés, il
prend le père de l'enfant et sa mère et ceux qui se trouvaient avec lui, puis il pénètre où
reposait leur fille. Prenant alors l'enfant par la main, il lui dit : « Talitha koum », c'est-à-
dire : « Jeune fille, je te le dis, lève-toi! » Aussitôt elle se leva, et se mit à marcher (elle
avait douze ans). Ils restèrent profondément stupéfaits. Il leur recommanda vivement que
personne ne l'apprît, et il lui fit donner à manger. » (Marc, 5, 21-43)

Au plan de l’objet Au plan du sujet


Temps +/- 24 après J. C. Intemporel
Lieux Jérusalem signifie, en hébreux, Jérusalem = mandala, image du
"la paix apparaîtra". À l'époque, Soi.
c'est la capitale de la Judée. Elle La maison est un reflet du Soi.
est la ville sainte où Salomon a Malgré un certain équilibre, la
construit le Temple pour abriter maison de Jaïre semble fort
l'Arche d'Alliance qui contient les agitée. Même si, en matière de
Tables de la Loi. Elle est à la fois paraître, la maison-conscience
un symbole de la mère (Ville semble équilibrée, à l’intérieur
sainte) et du père (La Loi). (l’inconscient), elle est perturbée.
La maison de Jaïre = demeure
assez importante et instance du
surmoi.
Nombre au Deux : le Christ et Jaïre. Les fonctions « masculines » sont
début L'opposition est mise en exergue. les seules représentées.
Nombre à la fin Quatre : Le Christ, Jaïre, son Quaternité constituée des principes
épouse et leur fille. Quatre mâle et femelle. Les quatre
représente la totalité. fonctions sont représentées.
Synthèse Le passage de deux à quatre Si, au début, seules les deux
reflète le passage de l’opposition à fonctions masculines sont
l’équilibre d’un point de vue présentes. En final, les quatre

331
332 Du signe au symbole

relationnel. fonctions psychiques sont


représentées. Cela dénote un
équilibre psychique.
Personnages Jésus = le soi (self) de Mélanie Jésus = le héros et le Soi.
Klein. La métrorragique = anima.
La métrorragique = femme âgée Jaïre = imago paternelle.
dont la sexualité est niée. Le ça est Son épouse = imago maternelle.
nié. La fille = Korè.
Jaïre = père maternant et surmoi. Les apôtres = autres.
Son épouse = mère absente et La foule = l’ombre.
instance du ça dévalorisée.
La fille = jeune femme (moi)
étouffée par l’amour paternel.
Les apôtres = les témoins.
La foule = le pathos.
Autres symboles Sang = énergie vitale et Sang = la libido au sens jungien.
corporelle, principe de génération Le sang s’écoule suite à une
= fertilité = véhicule des passions hémorragie permanente. La
= libido au sens freudien. Le sang vitalité s’épuise. L’énergie
s’écoule suite à une hémorragie psychique s’amenuise.
permanente. L’énergie sexuelle
s’épuise. La libido se meurt.
Péripéties et (voir explications de Françoise Les histoires de vampires
chute Dolto). montrent souvent des femmes qui
(comparaisons) perdent complètement leur sang.
Le sang du Christ, recueilli dans le
Graal, est par excellence le
breuvage d’immortalité.
Dans un mythe ouralo-altaïque
d’Asie Centrale (des Iourak du
cercle d’Obdorsk), un arbre sacré
s’écroule, répand son sang, et
embrase le monde.
Conclusion (DOLTO, 1977a, 99-116) (DIEL, 1975, 224-248)
(DREWERMANN, 1991)

Une lecture, sur le plan de l'objet, de Françoise Dolto (DOLTO,


1977a, 99-116)

Pour une lecture sur le plan du sujet, nous vous renvoyons aux ouvrages
d’Eugen Drewermann (DREWERMANN, 1991) et de Paul Diel (DIEL,
1975). Pour Françoise Dolto, ces deux récits sont liés par un enchaînement
inconscient organique et spirituel. La métrorragique, dite impure76, est exclue
76
Il est écrit dans le Livre du Lévitique (15, 24-25) que si un homme couche avec la femme qui
a ses règles, l'impureté de ses règles l'atteindra. Vous imaginez, pour cette femme, la tragédie
qu'elle endure depuis douze ans.

332
Sémiologie et herméneutique 333

depuis douze ans de la lice des femmes sexuellement désirantes et désirables,


pendant qu'une fillette de douze ans, à l'âge venu de sa nubilité, voit son
destin arrêté. La jeune fille est aimée de son père. Celui-ci la veut, sans le
savoir, dépendante de son amour possessif paternel.

« [...] ce père est surprotectif de type maternant. Il est animé d'un amour possessif pour sa
fille dite par lui « petite » (alors qu'elle a douze ans), donc il se considère grand à son
égard, et, ne parlant pas de la mère de cette enfant, c'est qu'il en tient le rôle,
inconsciemment. » (DOLTO, 1977a : 103)

La psychanalyse freudienne voit dans le comportement de ce père une


fixation affective névrosante à un être humain traité comme un « objet
partiel » d'une sexualité prégénitale. Il arrive souvent que des adultes
jouissent de la dépendance de leurs enfants, et ne puissent, au fur et à mesure
de la croissance en âge de ces enfants, délivrer ceux-ci de leur
assujettissement à leur personne, à leur désir, à leur amour. Les enfants de ces
"parents dévorants" n'ont pas la liberté d'aimer d'autres personnes, de se
dérober à leurs embrassades, de leur cacher la moindre pensée.

« L'âge venu chez l'enfant d'assumer ses initiatives [...], certaines mères et certains pères
ne tolèrent pas cette liberté d'initiatives. Leur autorité sur tous les faits et gestes de l'enfant
emprisonne littéralement celui-ci dans un réseau d'interdits à sa liberté de conduite et
culpabilisent l'enfant qui se risque à les transgresser. Certains en deviennent
"caractériels", d'autres s'étiolent [...] Ce sont des parents qui interdisent à leurs enfants les
plaisirs de leur âge, culpabilisent toute jouissance et aussi toute expérience de la
liberté." » (DOLTO, 1977a : 104)

Pour Françoise Dolto, la fille de Jaïre est ainsi maintenue par son père dans
un statut d'objet partiel d'amour dévorant et infantilisant. Son père l'aime d'un
amour incestueux, inconscient, de type libidinal, oral et anal. Sans aide, elle
ne peut que se dévitaliser. Ainsi, au moment même où la femme adulte se
guérit par son acte de foi, la fillette se meurt. Vampirisée par l'amour de son
père, la fille de Jaïre devient totalement passive. Elle s'endort. L'adolescente
meurt de peur de faire mourir son père. C'est à ce moment que Jaïre, par un
acte de foi, appelle Jésus à son secours. Comme pour la métrorragique, c'est
sa foi qui le sauve.

« Jésus, lui-même, ne peut donner sa force à ceux qui le pressent de tous côtés s'ils ne
désirent ni ne demandent avec la puissance authentique du désir, qui est oubli de soi et
totale foi en l'autre. » (DOLTO, 1977a : 107)

Pour accomplir l'acte de guérison, Jésus exclut la foule. Il supprime tout le


pathos, tout le mélodrame des lamentations et toutes les projections, tous les
usages qui flattaient la petite comme un objet. Finalement, Jésus réveille la
jeune fille et réintroduit le couple en lui intimant l'ordre de donner à manger à
leur enfant. Ainsi, les parents n'ont à satisfaire que les besoins de cette enfant

333
334 Du signe au symbole

et non ses désirs. Par cet ordre, le Christ la fait vivre en enfant saine qui n'est
plus à ses parents mais à elle-même77.

« Au lieu de leur donner, donc, cette enfant à embrasser, à couvrir de baisers, Jésus leur
dit : « Donnez-lui à manger ; c'est votre seul rôle maintenant vis-à-vis de votre fille. [...] »
En obligeant sa mère à être conjointe à son époux au moment de son réveil, Jésus initie
cette fille à son avenir de femme. Il la prend par la main, la fait lever et marcher : il la
sépare de son père rapproché de son épouse, comme autrefois sa mère fut séparée de son
propre père pour se marier » (DOLTO, 1977a : 113).

Finalement, la femme hémorragique et la fille de Jaïre se mourraient de


maladies psychosomatiques dues à la négation de leur sexualité féminine.
Jusqu'au jour où, par un homme, elles découvrent leur valeur de femme. Le
Christ rompt un lien d'amour infantile à la loi et au père (objets extérieurs
intériorisés dans le surmoi) et les rend ainsi autonomes.

La Belle et la Bête. Une lecture, au plan du sujet, de Joseph L.


Henderson (HENDERSON, 1964, 137-140)

Le film de Jean COCTEAU (1946) La Belle et la Bête, Paris, René


Château Vidéo, coll. « Mémoire du cinéma français ».

Les filles, dans notre société, participent au mythe masculin du héros.


Comme les garçons, elles doivent se constituer une personnalité solide,
recevoir une éducation pour entrer dans la vie active, et prendre d'assaut la
vie, par un acte héroïque de la volonté. Il arrive cependant que de jeunes
femmes, ayant bien réussi dans leurs études et dans leur profession, éprouvent
leur vie de couple et leur sexualité peu satisfaisantes. Elles sont alors sujettes
à des accès d'humeur, s'expriment d'une façon agressive ou autoritaire, et
s'aliènent du même coup la sympathie de leur entourage. Elles éprouvent un
intolérable sentiment de mécontentement vis-à-vis d'elles-mêmes. Il peut ainsi
survenir un conflit qui oblige finalement la femme à redécouvrir sa féminité
ensevelie, d'une manière pénible, mais en fin de compte, bénéfique. La femme
est alors amenée à sacrifier le rôle du héros "masculin" afin qu'elle puisse
libérer son corps pour découvrir ses réactions sexuelles naturelles et remplir
sa fonction biologique, grâce à la maternité. Sa vie n'est plus dès lors une
éternelle croisade, mais devient un éveil progressif pour être en parfaite
harmonie avec elle-même. Henderson trouve une expression mythique
universelle de cet éveil dans le conte de la Belle et la Bête.
77
Le Christ dira plus loin « [...] au commencement de la création, Dieu les fit mâle et femelle. À
cause de cela l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme. » (MARC,
10, 6-7)

334
Sémiologie et herméneutique 335

Belle, la plus jeune de quatre filles, devient la préférée de son père en


raison de sa vertu dénuée d'égoïsme. Quand elle demande à son père de ne lui
rapporter qu'une rose blanche au lieu de présents coûteux réclamés par ses
sœurs, elle n'a conscience que de la sincérité de ses sentiments. Le père vole
cette rose blanche dans le jardin enchanté de la Bête, qui, irrité par ce larcin,
exige que le coupable revienne au bout de trois mois subir son châtiment. En
accordant au père ce délai pour retourner chez lui avec son cadeau, la Bête a
agi d'une façon apparemment contraire à son caractère, de même que
lorsqu'elle offre au père de lui envoyer une malle pleine d'or lorsqu'il sera
rentré chez lui. Comme le fait remarquer le père de Belle, la Bête semble être
à la fois cruelle et bonne. Belle insiste pour subir le châtiment à la place de
son père, et c'est elle qui, trois mois après, retourne dans le château enchanté.
On lui donne une belle chambre où elle n'a aucun ennui, aucun sujet de
crainte, sinon les visites que lui rend de temps à autre la Bête : celle-ci lui
demande à chaque fois si elle acceptera un jour de l'épouser. Et chaque fois,
Belle refuse. Puis, voyant d'un miroir magique l'image de son père malade,
elle prie la Bête de lui permettre d'aller chez elle pour le réconforter, et lui
promet de revenir au bout d'une semaine. La Bête, exprimant de nouveau son
amour, lui dit qu'elle mourra si Belle l'abandonne, et lui accorde cette
permission. Revenue chez elle, Belle, par sa présence radieuse, remplit son
père de joie, mais suscite l'envie de ses sœurs. Celles-ci complotent pour la
retenir au-delà du délai accordé. Belle, finalement, voit en rêve la Bête mourir
de désespoir, et se rendant compte qu'elle a dépassé le délai imparti, repart
pour ressusciter la Bête. Oubliant tout à fait la laideur de la Bête qui se meurt,
Belle la soigne. La Bête lui dit qu'elle n'était pas capable de vivre sans Belle,
mais mourra heureuse maintenant qu'elle est de retour. Alors Belle se rend
compte qu'elle non plus ne peut pas vivre sans la Bête, et qu'elle en est
amoureuse. Elle le dit et promet d'épouser la Bête si elle ne meurt pas. À ces
mots, le château se remplit d'une lumière éblouissante et de musique, et la
Bête disparaît. À sa place, se tient un beau prince qui dit à Belle qu'une
sorcière lui avait jeté un sort et l'avait transformé en Bête. Et ce sortilège
devait durer jusqu'à ce qu'une belle jeune fille aimât la Bête pour sa seule
bonté (HENDERSON, 1964 :137-138).

Au plan de l’objet Au plan du sujet


Temps XVIIe siècle. Intemporel.
Lieux La maison parentale, l’auberge, la La maison parentale, l’auberge, la
ville et le port sont des lieux où ville et le port représentent les
règnent l'argent et l'envie. Ce sont lieux de la conscience. La fonction
les lieux du moi et du surmoi. pensée (le calcul et l'argent) y
La forêt représente l'angoisse et la règne.
terreur. C'est le domaine du ça. La forêt est un lieu de passage qui
Le château, au cœur de la forêt, est représente la préconscience et
le centre de la terreur, mais aussi l’entrée dans l’inconscient
de l'étrange et de l'inconnu. Il est personnel.
également le lieu qui abrite Le château de la Bête et le

335
336 Du signe au symbole

l'obscur objet du désir... Pavillon de Diane sont les lieux de


l’inconscient. La forme cubique du
château de Diane évoque la
quaternité. C’est une image du Soi.
Ces deux endroits abritent la
fonction sentiment (la Bête et la
rose).
Nombre au Six personnages : Avenant, Nous avons deux principes
début Ludovic, un chien, les deux sœurs, masculins (fonctions sensation et
et Belle. Six réunit deux pensée), un principe instinctuel
complexes d’activités ternaires. Il menacé par une flèche, et trois
peut pencher vers le bien comme principes féminins (fonctions
vers le mal. L’équilibre est intuition et sentiment). Deux de
indéfini. C’est le nombre de ces trois principes féminins sont
l’épreuve entre le bien et le mal, le dominés par l’envie et le
nombre médiateur entre le Principe ressentiment.
et sa manifestation (CHEVALIER
& GHEERBRANT, 1982 : 703-
704).
Nombre à la fin Deux : la Belle et la Bête. Les La Belle et la Bête constituent un
deux principes, féminin et androgyne.
masculin, sont unis.
Synthèse Le passage de six à deux met en Le passage de six à deux aboutit à
exergue la complémentarité d’un une figure du Soi, celle du couple
point de vue sexuel et d’un point royal et exprime la
de vue relationnel. complémentarité psychique des
contraires.
Personnages Belle = une jeune adolescente. Belle = héroïne et anima de la
C'est aussi la souillon ; Bête ;
La Bête = monstre lié aux instincts La Bête = héros et animus de la
et aux pulsions sexuelles ; Belle ;
Père = image du père réel ; Père = imago paternelle ;
Avenant = un soupirant quelque Avenant = animus lié au premier
peu roublard ; stade (brigand) ;
Frédéric = le frère de Belle et Frédéric = autre et ombre liée à
l’ami d’Avenant ; l’animus (brigand) ;
Les deux sœurs = deux chipies Les deux sœurs = autres et ombres.
envieuses et sujettes au
ressentiment.
Chaque nom exprime une qualité
ou un attribut.
Autres symboles Par rapport aux cinq sens, les Par rapport aux fonctions
objets et animaux suivants psychiques, les objets et animaux
représentent : suivants représentent :
 le miroir = la vue ;  le miroir = l’intuition ;

336
Sémiologie et herméneutique 337

 le gant = le toucher ;  le gant = la sensation ;


 la rose = l’odorat ;  la rose = le sentiment ;
 la clé d’or = l’emblème du  la clé d’or = la pensée.
pouvoir diurne lié aux fonctions La couleur rose associe aussi le
spirituelles et aux portes du blanc (pureté) et le rouge (vitalité).
Paradis. Posséder la clé signifie Le magnifique = animal
avoir été initié. La clé est aussi psychopompe qui relie le conscient
celle de la portée en musique. Elle et l’inconscient, la Belle et la Bête.
représente l’ouïe ; C’est l’élément moteur, la volonté.
 le magnifique = animal lié à Le singe et le perroquet sont des
l’impétuosité du désir et aux simulacres d’être humain, qui
pulsions sexuelles. Le cheval blanc figurent les deux sœurs dont
est lié aussi à l’esprit du blé, à l’envie et le ressentiment
l’abondance et au gustatif. édulcorent l’humanité.
Le singe et le perroquet sont des
imitations, des caricatures d’être
humain.
Péripéties et Œuvres passées et actuelles : En matière de mythes :
chute Tristan et Iseult de Chrétien de Diane la chasseresse (Artémis) est
(comparaisons) Troyes. L’amour de Tristan se la déesse de la nature, des bois et
fonde sur une trahison à l’égard du des montagnes. C’est elle qui
roi ; garde ici la salle du trésor. Ce
Roméo et Juliette de Shakespeare. trésor est donc lié à la nature et aux
L’amour des deux adolescents va à pulsions ;
l’encontre des conflits entre les Zeus et Europe : Zeus séduit
deux familles ; Europe sous la forme d’un
Iris de Comès. L’adolescente taureau ;
rencontre le dieu-cerf de la forêt, Pan et les Satyres expriment
Cerunnos ; également l’animalité chez
Tarzan, l’homme-singe, séduit l’homme.
Jeanne. Au niveau des contes :
Cendrillon est également une
souillon fort attachée à son père ;
La Belle au Bois dormant est
également prisonnière dans un
château au milieu des ronces et des
bois ;
Blanche-Neige est aussi une
adolescente qui rencontre le prince
charmant au cœur de la forêt ;
Neigeblanche et Roserouge
rencontrent un ours qui se
transforme ensuite en prince
charmant ;
Le Petit Chaperon Rouge, qui est
beaucoup plus jeune, rencontre un

337
338 Du signe au symbole

loup dans la forêt, sans que ce


dernier ne se transforme en prince
charmant.
Conclusion Belle doit se détacher de son père Concernant les fonctions, nous
Voir aussi le pour apprendre à aimer son amant. avons au début :
texte ci-dessous ! Elle doit aussi accepter ses pensée :
instincts et la pulsion sexuelle qui l’argent, les 2 sœurs
l’anime. intuition : sensation :
(HENDERSON, 1964 : 137-140) le miroir le gant
CS

----------------------------------------
INCS
sentiment : rose
À la fin, la fonction sentiment est
intégrée au niveau de la
conscience. Concernant l’animus,
celui-ci évolue des fonctions
pensée (Avenant le brigand) et
sensation (la Bête) vers la fonction
sentiment (le prince
charmant).D’un point de vue
psychique, Belle accepte la
complémentarité des contraires
(Bien et Mal, Homme et Bête).
Belle représente n'importe qu'elle jeune fille qui a un attachement affectif
pour son père. Sa vertu est symbolisée par la demande d'une rose blanche.
Cette requête place son père et elle-même sous le pouvoir d'un principe qui
n'exprime plus la seule vertu, mais une combinaison de cruauté et de bonté.
La Bête (Jean Marais dans le film de Jean Cocteau) dira :

« Vous vouliez mes roses [...] Vous pouviez tout prendre chez moi, sauf mes roses. »

Tout se passe comme si Belle désirait que quelqu'un vînt la délivrer d'un
amour qui la maintient dans une vertu exclusive et irréelle.

« En apprenant à aimer la Bête, Belle s'éveille et prend conscience du pouvoir de l'amour


humain dissimulé sous une forme animale (c'est-à-dire imparfaite), mais authentiquement
érotique. Ce phénomène représente probablement l'éveil de sa véritable fonction de
relation, qui lui permet maintenant d'accepter la composante érotique de son désir initial,
qu'elle avait dû refouler par peur de l'inceste. Pour quitter son père, il lui avait fallu, pour
ainsi dire, accepter la peur de l'inceste, et vivre en sa compagnie par l'imagination, jusqu'à
ce qu'elle apprenne à connaître l'homme-animal, et découvre vis-à-vis de lui son
authentique réaction de femme. » (HENDERSON, 1964 : 138)

338
Sémiologie et herméneutique 339

Elle se libère ainsi de l'image qu'elle se faisait de l'homme (image liée à


l'archétype paternel et à l'animus) et des forces de refoulement. Elle prend
conscience de sa capacité humaine de faire confiance à l'amour, le considérant
comme un sentiment qui unit l'esprit et la nature dans le sens le plus élevé de
ces termes. Joseph Henderson constate que la Bête (satyres, hommes-singes,
taureaux furieux, tigres, etc.) apparaît aussi bien dans les rêves des
adolescentes, que dans celui des jeunes femmes ou des femmes à l'âge de la
ménopause.

« Dans le cas de femmes plus âgées, le thème de la Bête n'indique pas nécessairement le
besoin de trouver une solution à une fixation au père [...] Ce thème peut, en fait, exprimer
une sorte d'initiation féminine qui reste aussi significative au début de la ménopause qu'elle
l'est à la fin de l'adolescence. Il peut se présenter à n'importe quel âge, sitôt que l'union
harmonieuse entre l'esprit et la nature a été troublée. » (HENDERSON, 1964 : 140)

Comme nous l'avons vu dans le chapitre sur l'homme et ses symboles, si


les images archétypales se transforment et sont le reflet de l'état psychique de
l'individu, elles peuvent également exprimer des réalités différentes en
fonction du contexte et de l'âge.

Neigeblanche et Roserouge, deux lectures, aux plans de l’objet et


du sujet, de Marie-Louise von Franz et d'Eugen Drewermann
(von FRANZ, 1984b : 99-134)(DREWERMANN, 1991 : 109-144)

Le conte Neigeblanche et Roserouge a été inventé de toute pièce par


Wilhelm Grimm. Nombre des contes des frères Grimm sont
fondamentalement matriarcaux. Ils constituent des souvenirs d'un temps où
régnait la Grand Mère et où les hommes ne jouaient qu'un rôle subordonné.
Le caractère harmonieux de ce conte est fort éloigné de notre société
patriarcale, marquée par la lutte, la concurrence, la productivité. Ce récit est
chaleureux, maternel, et il cherche à montrer dans quel sentiment de sécurité
l'homme peut se développer (DREWERMANN, 1991 : 110-111).

Au plan de l’objet Au plan du sujet


Temps Intemporel.
Lieux Maison = lieu familial ; Maison = lieu de la conscience et
Jardin = expression d’un désir pur image dénotant un bon équilibre au
de toute anxiété. Il est le lieu de la niveau psychique ;
croissance, de la culture de Jardin = expression d’une
phénomènes vitaux et intérieurs ; évolution psychique et allégorie du
Forêt = lieu de passage exprimant Soi ;
les peurs et les angoisses. Abîme Forêt = lieu de l’inconscient ;
exprimant le danger d’y tomber et Le château = lieu de protection de
de rester enfant toute sa vie ; la transcendance spirituelle. Image
Le château = conjonction des du Soi. Par rapport à la maison, le

339
340 Du signe au symbole

désirs et symbole d’accomplis- château présente une image plus


sement. épanouie, plus riche au niveau
psychique.
Nombre au Trois : les deux filles et leur mère. Les trois personnages sont
début Trois exprime un ordre intellectuel uniquement des femmes (les deux
et spirituel. Il résulte de la filles et leur mère). Les fonctions
conjonction du Ciel et de la Terre. sentiment et intuition dominent.
Nombre à la fin Cinq : les deux filles, leur mère et Les twins laissent place à deux
les deux princes charmants. Cinq androgynes, tandis que l’imago
est signe d’union. C’est, pour les maternelle positive demeure
Pythagoriciens, le nombre nuptial. conservée. Le cinq symbolise la
Le nombre du centre, de manifestation de l’homme au
l’harmonie et de l’équilibre. Il est terme de l’évolution biologique et
le chiffre des hiérogamies, le spirituelle (CHEVALIER &
mariage du principe céleste et du GHEERBRANT, 1982 : 203).
principe terrestre de la mère. La
quintessence (CHEVALIER &
GHEERBRANT, 1982 : 201-203).
Synthèse Le passage de trois à cinq La conscience intègre les fonctions
représente une évolution vers un masculines (sensation et pensée)
nouvel équilibre relationnel. pour générer un nouvel équilibre.
Personnages Neigeblanche = jeune adolescente ; Neigeblanche = héroïne
Roserouge = jeune adolescente ; introvertie ;
Mère = mère réelle ; Roserouge = héroïne extravertie ;
Ours = pulsions sexuelles liées au Les deux forment un twins.
ça ; La mère = imago
Nain = éléments refoulés liés au maternelle positive ;
surmoi. Ours = animus lié aux instincts et à
la sensation ;
Prince charmant = animus plus
humain, lié à la fonction pensée ;
Nain = ombre liée au puer et au
senex.
Autres symboles Les deux rosiers = l’association du Les deux rosiers = proche du
blanc (pureté) et du rouge (vitalité) symbole de la roue, la rose est
dénote une harmonie instinctive et aussi symbole de l’amour. Pour les
sexuelle. alchimistes, la rose blanche est liée
La barbe du nain = symbole de à la pierre au blanc, but du petit
virilité, de courage, de vieillesse et œuvre, tandis que la rose rouge est
de sagesse. liée à la pierre au rouge, but du
L’arbre tombé = passage de grand œuvre. Ces rosiers
l’enraciné au déraciné. Les idées représentent l’harmonie affective
fixes ne sont plus d’actualité. et psychique.
Le poisson = entraîne le nain vers La barbe du nain = l’ancienne
le fond des eaux. Les idées sagesse disparaît petit à petit. Les
banales, exprimées par le nain, préceptes liés à l’enfance ne sont

340
Sémiologie et herméneutique 341

risquent d’être refoulées. plus d’actualité.


L’oiseau = entraîne le nain vers les L’arbre tombé + le poisson +
airs. Les idées d’exaltation l’oiseau = idées liées à l’enfance et
risquent aussi d’être refoulées. dont le refoulement ou l’état latent
Le trésor caché = nécessité d’un risquaient de contrecarrer le
effort humain. développement harmonieux.
Le trésor caché = symbole de la
vie intérieure et image du Soi.
Péripéties et Comparaison à d’autres œuvres : Par rapport aux mythes et contes :
chute Le livre de la jungle de Kipling : Zeus et Europe : une adolescente
(comparaisons) l’éducation d’un enfant au sein de face au taureau.
la forêt. Dionysos et les Bacchantes : des
femmes sont entraînées dans la
folie meurtrière du dieu.
Au niveau des contes :
La Belle et la Bête : une jeune
adolescente face à l’homme.
Le Petit Chaperon rouge : une
jeune enfant face au loup.
Blanche-Neige et les sept nains :
Blanche-Neige face à Grincheux.
Conclusion Les deux filles font face à leur Le conte montre un passage
Lire le texte ci- sexualité sans trop de heurts. Elles harmonieux de l’enfance à
dessous ! sont confrontées à l’ours, c’est-à- l’adolescence. La rencontre avec
dire à leur désir et à leur pulsion l’ours est inévitable. Le danger est
sexuelle. Le nain nous fait voir ce la stagnation et le refoulement des
qui attend l’enfant s’il demeure pulsions. La force de l’amour fait
rivé à son enfance. Le trésor est la disparaître le caractère enfantin.
partie d’enfance qui mérite d’être L’enfant devient adulte et poursuit
gardée. son chemin sur la voie de
(von FRANZ, 1984b : 99-134) l’individuation.
(DREWERMANN, 1991 : 109- (von FRANZ, 1984b : 99-134)
144) (DREWERMANN, 1991 : 109-
144)

Une veuve vivait seule dans une chaumière. Elle avait deux rosiers au bout
du jardin, l'un avec des roses blanches, l'autre avec des roses rouges. Elle avait
également deux petites filles très sages : l'une s'appelait Neigeblanche tandis
que l'autre s'appelait Roserouge. Neigeblanche était encore plus douce et plus
calme que Roserouge. Souvent, elles allaient dans les bois cueillir des fraises
sauvages, mais aucun animal ne leur faisait mal. Au contraire, ils
s'approchaient d'elles avec confiance. Elles dormirent une nuit dans la forêt au
bord d'un abîme et le matin elles découvrirent un bel enfant qui leur jeta un
regard plein d'affection et s'éloigna sans mot dire.

341
342 Du signe au symbole

Au début de l'histoire, il n'y a que trois personnages. La situation est


incomplète. Le chiffre habituel de la totalité est quatre. L'élément mâle fait
entièrement défaut (von FRANZ, 1984b : 106).
Pour bien comprendre ce récit, il faut adopter une vision d'enfant
dépourvue d'angoisse. Manifestement les habitants de la chaumière ne
considèrent pas du tout le monde extérieur comme sauvage. Neigeblanche et
Roserouge ne sont pas des jumelles luttant l'une contre l'autre comme Abel et
Caïn ou Romulus et Remus, mais elles se partagent le travail comme s'il
s'agissait des tâches d'hiver et d'été. Neigeblanche personnifie la nature
hivernale et préfère travailler à la maison (c'est l'introvertie du Twins, soit
Flesh), Roserouge préfère le grand air et personnifie la vitalité (c'est
l'extravertie du Twins, soit Stump). Le conte nous invite à considérer la nature,
non plus à l'image de deux lutteurs enlacés, mais comme une conjonction
rendue possible par l'échange des opposés (DREWERMANN, 1991 : 112-
114).

« La nature suscite les contraires et exige d'eux qu'ils interviennent à tour de rôle, l'un
faisant ce que l'autre n'est absolument pas habilité à faire, l'autre venant ensuite résoudre
et compléter ce qui échappe à l'un. Les oppositions doivent s'harmoniser suivant le principe
de complémentarité » (DREWERMANN, 1991 : 114).

Les deux arbustes dans le jardin symbolisent une existence comprise


comme quelque chose d'organique, donc en échange constant avec la nature.
Ce type de croissance harmonieuse est ce qu'il faudrait souhaiter à tous les
enfants de ce monde. Chacun de nous a d'ailleurs le devoir d'harmoniser en
soi chaleur (Roserouge) et froidure (Neigeblanche), été et hiver, exubérance et
candeur, vitalité et pureté, rougeur et blancheur, audace et beauté, expérience
et innocence, amour et pudeur, extraversion et introversion. Le rose n'est-il
pas le mélange harmonieux du rouge et du blanc ? Dans notre culture
chrétienne, le rose symbolise la sainteté et la perfection (DREWERMANN,
1991 : 115-116).
Les deux fillettes se reposent dans la forêt au bord d'un abîme dans lequel
elles auraient pu tomber. Elles se heurtent à un danger : celui de prolonger
leur enfance et de s'enfoncer dans la forêt de l'inconscient en refusant d'en
sortir. Cet inconscient risquerait alors de se muer en abîme. L'enfant (identifié
par la mère comme l'ange gardien) qui surgit est l'esprit d'enfance, la
spontanéité qui a guidé les deux fillettes. Il acquiert désormais une forme plus
consciente. Leur vie entre dans une nouvelle phase, et l'esprit d'enfance prend
congé d'elles. Dans La Bible ou Le Coran, l'apparition de l'ange est comme un
éveil. La personne perçoit comme l'incarnation de sa vocation venant lui
ouvrir la route de l'avenir.
Un soir, on frappa à la porte. Roserouge alla tirer le loquet, pensant que
c'était un pauvre homme. Mais non ! C'était un ours. « N'ayez pas peur, je ne
vous ferai pas de mal, dit l'ours. Je voudrais seulement me réchauffer. » Les
fillettes prennent peur, mais la mère les rassure : « Pauvre ours, dit la mère.
Approche-toi du feu et fais attention de ne pas brûler ta fourrure. » L'ours

342
Sémiologie et herméneutique 343

joue ensuite avec les deux fillettes. L'ours les laisse volontiers faire, s'écriant
seulement quand elles lui font mal : « Ne me tuez pas, les enfants.
Neigeblanche, Roserouge, il ne faut pas tuer le fiancé ». Il est ainsi adopté
très vite par toute la famille et passe l'hiver dans la chaumière. Dès le
printemps, l'ours dit à Neigeblanche : « Maintenant je dois partir. Je ne
reviendrai pas de tout l'été. » Neigeblanche est toute triste. Elle lui ouvre la
porte. Mais, en passant, l'ours se déchire la peau au coin du loquet et
Neigeblanche voit briller de l'or à travers l'écorchure. L'ours dit alors « je dois
aller dans les bois protéger mon trésor enterré contre les méchants nains ».
Pour se réaliser de façon équilibrée dans sa totalité, une femme doit
développer son animus, ses qualités intellectuelles et "viriles", tandis que
l'homme a besoin de développer son anima, ses qualités "féminines" et son
éros. Il devra apprendre à tenir compte des relations individuelles et concrètes
et à ne pas se perdre dans son monde rationnel et abstrait (von FRANZ,
1984b : 109).

« Le principe masculin et le principe féminin sont destinés à se compléter et à se féconder


réciproquement » (von FRANZ, 1984b : 109).

Le conte nous montre le développement harmonieux de deux fillettes du


jardin d'enfants jusqu'à la puberté. Celle-ci est une irruption de l'étrange, ce
qui la rend angoissante. En rapportant les propos de la mère, le conte s'efforce
d'assurer la transition, d'endiguer l'irruption de la nouveauté. Il montre que le
développement peut se faire de façon harmonieuse et s'opérer sans rupture
d'équilibre. La maturation intérieure et la croissance de l'homme est similaire
à celle des plantes (DREWERMANN, 1991 : 119-120).
Les animaux sauvages sont les symboles de nos instincts. L'ours marque la
première façon dont surgit le désir d'amour. Il marque l'irruption de la
sexualité dans des existences enfantines jusque-là protégées. Les énergies
instinctives qui s'éveillent lors de la puberté prennent toujours la forme de
quelque chose de dangereux et de monstrueux (Voir également La Belle et la
Bête) (DREWERMANN, 1991 : 120-121).

« [...] le premier effroi devant la puberté, terriblement renforcé par les mises en garde des
parents ou de la mère Église, est devenu si violent que l'on ne peut se résoudre à laisser
pénétrer chez soi ce fauve qu'est la sexualité, à domestiquer l'impulsion instinctive qui
s'éveille : l'ours reste dehors, et demeurant ainsi étranger au moi, il garde sa forme
animale. » (DREWERMANN, 1991 : 121)

Si des parents dénigrent la sexualité de leurs enfants, ils barrent du même


coup le chemin qui conduit à la chaleur de l'amour. Ces enfants demeurent
toute leur vie gelés et gèlent ceux qui les approchent, incapables du moindre
mouvement chaleureux, étrangers à tout sentiment humain, perpétuellement
anxieux de l'ours qui sommeille en eux. Et si les enfants ne supportent pas
cette mise au rancart de leur vitalité instinctive, on voit alors l'ours, toutes
griffes dehors, tambouriner à la porte et tenter de la mettre en morceaux.

343
344 Du signe au symbole

L'instinct, à l'attaque, peut en arriver à submerger le moi. Il n'y a finalement


qu'un chemin satisfaisant, et c'est celui que connaît la mère. Le
développement harmonieux n'est possible qu'à la condition de dominer
l'angoisse ressentie devant la nouveauté et redoubler de confiance
(DREWERMANN, 1991 : 122).

« [...] la bonne manière de s'accepter consiste à apprendre à écouter en soi la force de


l'instinct : son langage est langage d'homme, et si on l'écoute suffisamment longtemps, il
finira par se couler lui-même dans notre langue, achevant ainsi de s'humaniser. »
(DREWERMANN, 1991 : 122)

Le jeu des fillettes, leur façon de piétiner l'ours, de le frapper de leur


baguette, de lui brosser le pelage, constituent autant de symboles sexuels : le
conte propose une attitude ludique envers sa propre sexualité. Il invite à ne
pas avoir peur devant ses propres impulsions. Elles débouchent sur la joie, et
non sur l'angoisse. C'est l'ours, donc l'instinct, qui indique lui-même les
limites nécessaires. Pousser trop loin le jeu finit par tuer le fiancé, autrement
dit l'énergie instinctive. Dans ce cas, on finit par se bloquer dans la possession
narcissique de son propre corps. Les fillettes ont intérêt à faire germer un
amour assez fort pour se tourner vers l'autre. Mais avant, elles doivent
s'accepter et accepter le côté ombreux de leur propre moi, c'est-à-dire
humaniser le tréfonds instinctif et animal qui gronde en elles. Seul celui qui
se sent bien dans sa propre peau devient un jour capable d'amour et de
tendresse pour l'autre. L'ours s'en va parce que l'hiver est fini. On en arrive à
un autre niveau de développement. En grandissant, la personne ne veut plus
rien savoir de son impulsion sexuelle. C'est par contre le moment où elle doit
s'affronter à son contenu spirituel. C'est le moment où l'ours prend congé. Il
aura pour tâche de chasser les nains (DREWERMANN, 1991 : 122-124).
La mère envoya les deux fillettes chercher du bois mort. Elles virent un
nain gigoter près d'un tronc. Il avait le bout de la barbe prise dans la fente de
l'arbre. "Qu'est-ce que vous avez à rester là ? Vous ne pouvez pas venir
m'aider, oies stupides et curieuses ? Ma barbe est coincée et vous êtes là à
rire, comme deux petites dindes. Quelles bécasses!" Les deux enfants firent ce
qu'elles purent. Finalement, Neigeblanche tira des petits ciseaux de sa poche
et coupa le bout de la barbe. Aussitôt libre, le nain attrapa son sac plein d'or et
engueula les deux fillettes avant de partir. Quelques jours plus tard,
Neigeblanche et Roserouge sont au bord de l'eau. Elles voient le nain au bord
du ruisseau. Il est entraîné par un poisson qui s'agrippe à sa barbe. Il hurle à
nouveau et les deux fillettes doivent une fois de plus lui couper une partie de
la barbe pour le sauver. Le nain empoigne un sac de perles et les engueule à
nouveau avant de disparaître. Quelque temps plus tard, Les deux filles
entendent un cri perçant. Un aigle a happé le nain. Prises de pitié, elles se
suspendent à lui et l'obligent à lâcher sa proie. Remis de sa frayeur, le nain les
gronde pour avoir déchiré ses habits. Puis, il empoigne un sac plein de pierres
précieuses et disparaît dans un trou.

344
Sémiologie et herméneutique 345

Le nain est présenté avec une voix criarde. Il se montre toujours ingrat et
ne cesse de tomber dans l'embarras. Il est manifestement cupide. Son visage
cramoisi de colère, ses yeux saillants, sa longue barbe font de lui un
représentant d'un monde psychique intermédiaire. Il relève du monde intérieur
et personnifie des forces psychiques. Son aspect de gnome nous fait voir ce
que serait l'enfant s'il restait éternellement enfant. Il traduit une réalité
psychique infantile, celle qui aurait dû s'effacer devant la réalité nouvelle,
mais qui s'y refuse et prend dès lors une forme rabougrie. Pour les enfants,
tout l'art consiste à composer avec cette conscience enfantine, sans pour
autant effacer d'un seul coup leur enfance. Le nain devra un jour disparaître.
Dans l'attente de ce moment, il perd petit à petit sa barbe. Le nain marque
également la mauvaise conscience qui accompagne les premières audaces. Il
faut sans cesse lutter contre lui. Il n'est plus possible de demander à la mère si
ce qu'on fait est bien. Il y a un sentiment de culpabilité. Le problème, c'est
d'accéder à la prise de responsabilité. Ce qui compte pour le nain, plus encore
que la survie, c'est son apparence : sa barbe et ses habits. Il ne se pose pas la
question de savoir ce qui est bon en soi. Il ne se préoccupe que du jugement
extérieur de la société et éprouve de l'angoisse en pensant à l'idée que les
autres se feront de lui. Il incarne le monde des apparences, le paraître
(DREWERMANN, 1991 : 127-129). Beaucoup d'adultes gardent des traits de
cette mentalité enfantine et s'attachent ainsi aux apparences, au paraître (voir
également Perceval et sa cuirasse vermeil). En outre, si un nain s'avère
maladroit :

« Il représente l'état de contradiction avec soi-même et d'irritation que provoque la


création non vécue. Quand ce genre d'animus s'empare de l'esprit d'une femme, c'est
généralement le signe qu'elle possède des dons créateurs qu'elle n'a pas encore réussi à
mettre en œuvre. Le débordement de libido créatrice qui n'est pas utilisé à bon escient
se transforme en sentiments de frustration et en mauvaise humeur [...] Si le conscient de
la femme ne vient pas alors en aide à son animus en lui permettant de s'exprimer, celui-
ci cherche son propre chemin, interfère dans sa vie et y crée des ennuis. » (von
FRANZ, 1984b : 119)

Les femmes tombent fréquemment dans un excès de compassion, car l'un


des aspects de l'archétype maternel est de provoquer l'émotion de la femme et
de la porter à la pitié devant le spectacle de tout être abandonné. La pitié mal
comprise conduit des femmes à se détruire inconsciemment, car la pitié peut
avoir un effet complètement négatif en maintenant quelqu'un dans un état
infantile (von FRANZ, 1984b : 12à-121).
La barbe du nain évoque l'idée de quelque chose de primitif et d'instinctif.
La barbe de l'animus, ce sont ces pensées qui s'expriment involontairement.
La barbe du nain représente cet aspect verbeux de l'animus. Le nain se fait
prendre à son propre flot de pensées inconscientes, c'est pourquoi la seule
chose à faire pour les petites filles eût été de le laisser s'arranger avec sa
fameuse barbe. Les hommes, pris par leur anima, sont également capables de
soutenir les raisonnements les plus ahurissants et de se contredire, sans même

345
346 Du signe au symbole

s'en apercevoir (von FRANZ, 1984b : 126-129). La barbe du nain symbolise


également la vie de ceux qui n'arrivent jamais à se dégager de l'emprise du
passé. Ces gens restent d'éternels enfants, bien sages, toujours paniqués à
l'idée de faire quelque chose de mal. Un beau jour, ils se découvrent coincés.
Le nain met la pagaille partout, sur terre, sur l'eau et dans les airs. Il est pris
par un poisson, un symbole sexuel. L'instinct jaillissant des profondeurs vient
susciter de nouvelles complications venant mettre en danger le statu quo.
Enfin, il est happé par un aigle. Les oiseaux interviennent comme des
symboles de l'âme. Ils sont les concrétisations des forces et des instances
psychiques. L'aigle représente une certaine vie intellectuelle, qui revêt les
traits d'un rapace. Une série d'intellectuels et de professeurs sont restés des
petits enfants, des nains, qui, tels des oiseaux de proie, sont prêts à déchirer du
bec tous ceux qui émettent la moindre bêtise. Ils ne tolèrent aucune faute,
aucun lapsus, aucune contradiction : ils ont toujours raison. En délivrant le
nain à chaque fois, les fillettes préservent leur dernier lambeau d'enfance,
celui qui leur reste nécessaire pour continuer à progresser. Le nain porte sur
lui un butin, un acquis de l'enfance qui mérite vraiment d'être conservé. Mais,
tant que le nain vit, les fillettes en sont dépouillées. Ces biens relèvent du
surmoi qui continue à répéter sans fin les adages de la sagesse enfantine. Les
indications qu'il donne peuvent avoir une grande valeur humaine, mais ce
butin reste aliéné parce que ce n'est pas la personne qui en décide
(DREWERMANN, 1991 : 130-133).
À leur retour, elles tombent de nouveau sur le nain. Il avait étalé les pierres
précieuses de son sac. Les voyant, il allait continuer à déverser son torrent
d'injures quand on entendit un grondement furieux : de la forêt, un ours sortit
d'un trot rapide. Le nain fit un bond en arrière, mais l'ours l'avait déjà rejoint.
Le nain le supplia de l'épargner, mais l'ours l'écrasa d'un coup de patte. Les
fillettes avaient pris leurs jambes à leur cou. Mais l'ours les rappela :
« Neigeblanche et Roserouge, n'ayez pas peur. » Quand l'ours les eut
rejointes, voilà que sa fourrure tomba et elles se trouvèrent en face d'un beau
jeune homme couvert de vêtements d'or. « [...] je suis le fils d'un roi, mais
j'avais été changé en ours par ce maudit nain qui m'avait pris mon trésor.
J'étais obligé de courir les bois comme un animal tant que je n'aurais pas été
délivré par sa mort. Maintenant il a eu la punition qu'il méritait. »
Neigeblanche l'épousa et Roserouge se maria avec son frère. Ils se partagèrent
le trésor du nain et la vieille mère vécut encore de longues et heureuses années
près de ses filles. Elle avait emmené avec elle ses deux rosiers qui
continuèrent à produire de magnifiques roses, blanches et rouges.
C'est le stade décisif de la croissance. Le nain étale ses trésors. Il s'agit de
faire ressortir une fois encore la beauté et le caractère fascinant de l'univers
enfantin. Soudain, l'ours et le nain se rencontrent. Les fillettes sont saisies par
l'irruption de l'ours, par la sexualité. L'ours et le nain livrent bataille. L'ours,
saisi d'une juste colère, supprime le nain envers qui les fillettes se sont
montrées trop sentimentales.

346
Sémiologie et herméneutique 347

« [...] une femme qui s'éveille après avoir été trop passive, trop douce et "féminine",
encourt le risque, lorsque son autre côté s'éveille, de se montrer subitement trop agressive
par compensation » (von FRANZ, 1984b : 116).

Ce qui a été longtemps retenu et refoulé commence à se précipiter avec


violence avant de s'apaiser et de trouver son cours normal. L'ours et le nain
représentent également deux formes différentes d'animus. L'un d'eux, toujours
irrité et irritant, provoque partout et à tout propos de perpétuelles querelles,
c'est l'animus négatif qui exige tout à partir de la conviction inavouée que tout
lui est dû et qu'il est dans son droit en imposant à autrui son besoin d'aide.
Une femme ne peut rencontrer le prince - l'animus positif et la bonne relation
à l'homme - sans être passée par ce stade intermédiaire, car pour intégrer
l'animus, il faut prendre conscience de son existence en le laissant d'abord se
manifester à l'extérieur, même si, du fait qu'il s'est longtemps trouvé abaissé et
refoulé, il commence par se montrer sous un jour peu sympathique (von
FRANZ, 1984b : 116-118).

« Lorsque quelqu'un meurt dans un rêve, cela indique que cette personne ne représente
plus de façon valable le contenu inconscient qui s'incarnait en elle. L'énergie psychique qui
se trouvait investie sous cette forme ne se perdra pas ; elle réapparaîtra à un autre
niveau. » (von FRANZ, 1984b : 130)

D'un autre côté, c'est comme si le ça et le surmoi avaient à livrer combat


aux dépens du moi. S'il y avait alliance entre ces deux instances, le moi serait
coincé, broyé entre les deux forces. Cela le conduirait à la névrose. La force
même de l'amour, incarnée dans l'ours, fait disparaître d'un seul coup la
mentalité de l'enfant. L'enfant devient adulte. La force de l'amour vous tombe
dessus comme une bête dont on ne peut qu'avoir peur (La Belle et la Bête). Au
même moment l'animal se transforme en homme, et on découvre qu'il n'a rien
de bestial. Il resplendit de beauté, comme un fils de roi. En Inde, il faut aimer
le dieu Vishnu, sous forme de sanglier, pour devenir vraiment humain. Cette
apparence bestiale ne dure que si le don de soi reste atrophié
(DREWERMANN, 1991 : 134-149).
Ainsi, le chemin enseigné par les contes est celui de la bonté, de l'humanité
et de la confiance. Ce chemin qui apprend à s'accepter et à concilier les
oppositions et les différences pour en faire germer l'harmonie, cet androgyne.

347
348 Du signe au symbole

Pères manquants et fils manqués

La blessure du Roi-Pêcheur dans Perceval ou le Conte de Graal de


Chrétien de Troyes. Lecture, au plan du sujet, de Guy Corneau
(CORNEAU, 1989 : 135-140)

Illustrations : CÉDRIC, Michèle


1992 Dites-moi... Guy Corneau, Bruxelles, RTBF.
GILLIAM, Terry
1991 Fisher King, le Roi-Pêcheur, Hollywood,
Columbia

Guy Corneau s'interroge sur le silence qui isole aujourd'hui les pères des
fils et qui donne à ces derniers l'impression d'avoir été mal «paternés».
D'après lui, ces pères manquants engendrent inévitablement des fils manqués.
Il se demande pourquoi les hommes ont peur de l'intimité, pourquoi ils
redoutent cette agressivité qu'ils refoulent au plus profond d'eux-mêmes,
pourquoi ils se sentent obligés de jouer les héros, les éternels adolescents, les
séducteurs et les bons garçons. Pourquoi il est si difficile de devenir un
homme à part entière dans nos sociétés où les rites initiatiques de
l'adolescence ont disparu. Il semble que ce problème psychologique plonge
ses racines jusqu'à la base même de la civilisation occidentale. La blessure de
l'identité masculine ne date pas d'hier. À partir du moment où la pensée
dualiste a fait son apparition chez les Grecs, le corps a été séparé de l'esprit,
l'objet du sujet, la nature de la culture. Dans Perceval ou le Conte de Graal,
on assiste déjà au drame d'une masculinité construite uniquement de
l'extérieur et ayant perdu son sens d'identité intérieure. Ce récit, vieux de cinq
cents ans, demeure fascinant en raison de la modernité de ses articulations. Il
nous empêche de croire en un passé idyllique où les fils auraient des pères et
au cours duquel l'identité masculine n'aurait pas été en péril. Nous sommes
tour à tour fils manqué et père manquant.

Au plan de l’objet Au plan du sujet


Temps Moyen-Âge. Intemporel.
Lieux La maison maternelle = le ça, lieu La maison maternelle = lieu de la
des instincts et des pulsions ; conscience liée à la Terre ;
La forêt = lieu de passage et des La forêt = lieu de passage vers
épreuves angoissantes ; l’inconscient personnel ;
La cour du roi Arthur = instance La cour du roi Arthur = lieu de
du surmoi, lieu du devoir ; l’inconscient personnel ;
Les bords du lac = abords de Les bords du lac = lieu de passage
l’inconscient ; vers l’inconscient collectif ;

348
Sémiologie et herméneutique 349

Le château du Roi Pêcheur = lieu Le château du Roi Pêcheur = lieu


de la spiritualité. de l’inconscient collectif.
Nombre au Deux : Perceval et sa mère. Il y a Deux est un symbole d’opposition
début fusion du sujet avec les forces et de conflit. Il indique l’équilibre
instinctives du ça. réalisé ou des menaces latentes. Il
désigne également le principe
féminin et l’attachement à la Mère.
Ici, la mère et l’enfant représentent
surtout les fonctions sentiment et
sensation.
Nombre à la fin Deux : Perceval et son oncle. Le Le deux est ici constitué
sujet s’est arraché aux forces d’éléments purement masculins.
instinctives du ça pour éprouver la La fonction sentiment a laissé
loi du Phallus, liée au surmoi. place à la fonction pensée.
Synthèse Le passage de deux à deux n’est Le sujet délaisse l’affection
pas à proprement parlé une maternelle pour prendre un
stagnation, le moi délaissant ses engagement de nature rationnel.
liens avec le ça pour en nouer
d’autres avec le surmoi.
Personnages Perceval = un adolescent ; Perceval = héros de type Red
La mère = la mère réelle et Horn ;
l’instance du ça ; La mère = l’imago
La jeune fille = l’objet du désir ; maternelle négative (étouffante) ;
Le chevalier Vermeil = l’interdit ; La jeune fille = une anima, la
Le roi Arthur = le surmoi ; Korè ;
Le Roi Pêcheur = le père absent ; Le chevalier Vermeil = l’ombre ;
L’oncle = le verbe et le Phallus. Le roi Arthur = symbole du
conscient collectif ;
Le Roi Pêcheur = le vieux sage ;
L’oncle = l’imago paternelle.
Autres symboles Cuirasse vermeille = virilité Cuirasse vermeille = l’apparence,
apparente ; le paraître, le machisme ;
vêtements de paysan = lien vêtements de paysan = les liens
maternel ; avec la mère et l’enfance sous
La lance ensanglantée = symbole l’apparence virile ;
sexuel qui exprime que le phallus La lance ensanglantée = action de
est blessé. La lance relève aussi l’Essence sur la Substance
du Droit et protège les contrats ; indifférenciée ;
Le flanc blessé = la conscience est Le flanc blessé = coupure entre le
coupée de ses pulsions sexuelles ; haut et le bas, entre les fonctions
Le Graal = corne d’abondance conscientes et les fonctions
qui possède le pouvoir de nourrir inconscientes, entre l’intellect et
(don de vie), d’éclairer et de les pulsions instinctives ;
rendre invincible. Il représente à Le Graal = plénitude intérieure
la fois le Christ mort pour les que les hommes ont toujours
hommes, le vase de la dernière cherchée (von FRANZ, 1964 :
Cène, et le calice de la messe 215).
(BEGUIN & BONNEFOY, 1965 :
18).
Péripéties et Comparaison avec des romans : Comparaisons avec des mythes :

349
350 Du signe au symbole

chute Don Quichotte de Cervantès Persée libère Andromède pour


(comparaisons) recherche un Casque d’or et sa l’épouser.
Dulcinée. Jason et les Argonautes : le héros
Comparaison avec des films : recherche la Toison d’Or. Il mène
Indiana Jones et la dernière aussi le combat contre une certaine
croisade de Spielberg : le héros banalisation (DIEL, 1966).
recherche son père, ainsi que le Thésée, en route vers Athènes,
Graal. pour retrouver son père Égée.
Fisher King, le Roi-Pêcheur de
Terry Gilliam montre la
souffrance de deux hommes. Jack,
l’animateur radio, est sauvé par
Parry, l’ancien professeur, par la
restauration du dialogue et du
sentiment.
Conclusion La masculinité est purement Soumis à sa mère, Perceval
(CORNEAU, extérieure. Elle est de l’ordre du demeure un fils manqué, à cause
1989 : 135-140) paraître. À l’intérieur, l’homme de l’absence paternelle. Les
demeure attaché à sa mère et ne hommes n’ont toujours pas intégré
peut s’engager à long terme dans la fonction sentiment. Les hommes
une vie affective. La plaie du Roi ont peur de l’intimité et masque
Pêcheur nous entraîne à imaginer leur crainte derrière une virilité de
une castration. façade. Perceval pourrait guérir le
Roi Pêcheur, s’il nouait un
dialogue affectif avec son père,
par-delà les interdits maternels.

« Le jeune Perceval vit seul avec sa mère; son père est mort à la guerre, il ne l'a pas connu.
Ses frères, eux aussi, sont morts au service de la chevalerie. Sa mère craignant de perdre
son dernier fils, lui interdit cet idéal. Mais Perceval décide malgré tout de partir. Il
abandonne sa mère, qui en mourra de chagrin. En route, l'adolescent charme une jeune
fille dont l'amant jaloux, le Chevalier Vermeil, le provoque en duel. Après avoir tué le
chevalier, Perceval lui ravit son armure rouge et flamboyante et la revêt par-dessus ses
vêtements de paysan, vêtements affectueusement cousus par sa mère. Il laisse la jeune fille
derrière lui. » (CORNEAU, 1989 : 136)

Les premiers jalons de l'identité masculine de Perceval sont ainsi posés. Sa


confrontation avec le Chevalier Vermeil, dont l'armure arbore la couleur du
sang et de la passion, représente une première confrontation avec le monde
instinctif, son propre monde instinctif. C'est par la force brutale qu'il terrasse
ses pulsions, mais cette répression par la force se situe à l'encontre d'une
intégration réelle de la virilité. S'il affiche extérieurement une masculinité
outrageante et flamboyante, symbolisée par son armure - une masculinité
"macho", pourrait-on dire -, il demeure intérieurement un fils à maman,
puisque c'est par-dessus les doux habits qu'elle lui a fabriqués qu'il la revêt.
Comme il a abandonné sa mère, il abandonne la jeune fille. Perceval ne peut
s'engager envers la femme. Ses aventures l'entraînent toujours plus loin et
l'intégration du féminin demeure toujours impossible. Finalement, son

350
Sémiologie et herméneutique 351

héroïsme mâle et son indépendance féroce vis-à-vis des femmes entraîneront


Perceval à être confronté au mystère du Graal (CORNEAU, 1989 : 136).
Un jour, Perceval remarque un homme qui pêche au milieu d'un lac. Il
s'agit du Roi-Pêcheur. Celui-ci invite le chevalier à un banquet. Pendant le
repas, Perceval assiste à une procession dont le point culminant est le
spectacle d'une lance qui saigne mystérieusement au-dessus du Graal.
Perceval meurt d'envie de demander des explications mais n'ose pas le faire :
il a promis à sa mère de tenir sa langue en société. Après le banquet, il
apprend que le Roi-Pêcheur souffre d'une blessure à la hauteur de la hanche
qui ne guérira pas tant qu'un invité ne brisera pas le silence en posant une
question concernant le spectacle étrange auquel il venait d'assister. On lui dit
aussi que la lance serait celle-là même qui transperça le flanc du Christ.
Relevons deux éléments importants :

 la fragilité de l'identité masculine symbolisée par la blessure du Roi ;


 le silence du Roi concernant sa blessure et le silence de Perceval dû à
son obéissance à sa mère.

La blessure du Roi

Le Roi blessé signifie que le principe régissant la masculinité est atteint à


la hauteur de la hanche, au niveau du bas-ventre ou des organes génitaux.
C'est-à-dire en ce lieu qui divise le haut et le bas du corps, qui sépare le cœur,
les poumons et la tête, des parties dites inférieures que sont le ventre et le sexe
(CORNEAU, 1989 : 137). Cette plaie mal délimitée nous entraîne à imaginer
une castration. Les organes de reproduction mâle peuvent être endommagés.
En tous les cas, le principe spirituel masculin est séparé en deux. Les parties
nobles de la spiritualité sont coupées des parties jugées inférieures. La
spiritualité des pères se trouve incapable de se régénérer et d'engendrer de
nouvelles attitudes. Elle ne peut même pas progresser puisqu'elle a les jambes
coupées et a donc perdu le contact avec la terre (CORNEAU, 1989 : 138). Le
coup viendrait d'une sorcière ou d'un mahométan. La sorcière représente le
principe féminin rejeté par les hommes et qui devient dès lors maléfique en se
retournant contre eux. C'est l'image de la mauvaise mère. Le féminin mal
intégré. La rencontre du Roi-Pêcheur survient après que Perceval ait
abandonné Blanche-Fleur, son épouse. La blessure semble due à l'attitude
ambiguë des hommes envers les femmes. Tout se passe comme si les hommes
avaient dissocié de leur être les dimensions jugées viles et qu'ils les avaient
projetées sur la femme. Ils tentent donc de tenir celle-ci en position inférieure,
provoquant ainsi la colère du féminin (CORNEAU, 1989 : 138). Le
mahométan représente l'étranger, l'autre. Celui qui ne possède pas les mêmes
valeurs que celles du monde chrétien. Il s'agit également d'un amalgame de ce
qui est rejeté et refoulé, c'est l'image de l'ombre. La religion chrétienne est
blessée dans son principe même. Elle divise trop fortement le haut et le bas,

351
352 Du signe au symbole

l'esprit de l'instinct. La spiritualité instinctive "rouge" est niée et il revient aux


femmes et aux musulmans de porter l'odieux de cette division du masculin.

« Blessés à mi-hauteur, nous perdons le contact vital avec la terre sacrée et nos entreprises
blessent le féminin » (CORNEAU, 1989 : 139).

En tentant de dompter les pulsions sexuelles et la violence, le


christianisme78 ne laisse pas s'exprimer une spiritualité du "bas" qui ne blesse
pas le rapport avec la terre et les instincts.

« Deux mille ans plus tard, nous voyons se produire ce qui était préfiguré dans Perceval ou
le Conte du Graal. Il a fallu tout ce temps pour que la révolte des femmes, la révolution
sexuelle et la pollution de la planète viennent signifier aux hommes que leur conception du
monde est malade dans son essence." (CORNEAU, 1989 : 139)

Le double silence du Roi et de Perceval

Le Roi ne mentionne pas sa blessure à Perceval et celui-ci ne pose aucune


question sur le spectacle, comme si l'événement était trop angoissant et devait
être refoulé. Le père demeure silencieux, tandis que le fils n'ose pas
l'interroger. Les deux hommes ont peur de l'intimité, ils n'osent pas échanger
leurs sentiments. Ils préfèrent refouler ceux-ci derrière le masque d'une
certaine "virilité". Perceval, cet orphelin de père, n'ose pas adresser la parole
au Roi.

« Ce silence de garçon bien élevé, qui cherche à faire plaisir à sa mère, provoque la
continuation de la misère du Royaume » (CORNEAU, 1989 : 139).

Un homme a besoin de ses instincts pour conserver une attitude adéquate.


Perceval pouvait guérir le Roi en affrontant le problème par une simple
question. De la même manière, nous pourrions guérir notre masculinité
désincarnée et les problèmes qu'elle a engendrés en nous parlant
mutuellement et en redevenant un avec notre environnement et notre corps.

78
Il s'agit ici de la civilisation judéo-chrétienne, née du mariage entre le Proche-Orient (Égypte
et Judée) et l'Occident méditerranéen (Grèce et Rome). Dans ce cadre, l'évolution du
christianisme est associée à une certaine interprétation des Évangiles et non aux Évangiles
eux-mêmes. Nulle part le Christ ne dénigre l'association de l'esprit et du corps. Au contraire,
il se réjouit de voir son corps parfumé de nard authentique (MARC, 14, 3-9) et affirme
auparavant : "Dieu les fit mâle et femelle. À cause de cela l'homme quittera son père et sa
mère et s'attachera à sa femme, et les deux ne feront plus qu'une seule chair ; ainsi ils ne
seront plus deux mais une seule chair" (MARC, 10, 6-9).

352
Sémiologie et herméneutique 353

« C'est la vie même qui est malade en raison du manque d'engagement de l'homme, en
raison de son silence [...] Il est temps de redécouvrir avec les taoïstes et les alchimistes
que " ce qui est en haut est comme ce qui est en bas " » (CORNEAU, 1989 : 140).

Perceval a appris à se maîtriser, à ne pas pleurer, à dompter ses instincts, à


entrer en compétition et à conquérir. Il est devenu "viril". Il est devenu un
preux chevalier, un mâle héroïque, un masculin d'armure et de façade. Sa
nature masculine est construite uniquement de l'extérieur. Il a refoulé toute
intuition et tout sentiment, ces fonctions projetées sur le "féminin". Il a
également nié son corps et ses instincts. Il lui faut redécouvrir ces diverses
valeurs afin de pouvoir à nouveau aimer et ... pleurer librement, à visage
découvert.

« L'initiation de Perceval ne concerne que l'aspect chasseur et guerrier de l'homme ; elle a


laissé tomber la réalité du corps et l'implication de l'être dans la matière. » (CORNEAU,
1989 : 142)

Tant que les hommes joueront les "machos" et rouleront dans de


clinquantes automobiles rouges (ces nouvelles armures vermeilles), ils
demeureront silencieux et castrés.

« Le changement passe par la récupération de nos émotions et de nos sensations


corporelles, organiques, ces dimensions de nous-mêmes dans lesquelles nous avons à
tort, enfermé la femme. Finalement, la transformation réside dans la reconnaissance de
la sagesse de l'instinct. Il s'agit de ré-apprendre à faire confiance à l'animal en nous. Il
s'agit d'abandonner notre orgueilleuse illusion de contrôle qui oppresse tous les êtres
de cet univers. » (CORNEAU, 1989 : 176)

De l’ombre à la lumière

Le mythe de Faust

Film de René Clair (1950) La Beauté du diable, Paris, René


Château Vidéo, coll. « Mémoire du cinéma français ».

Au plan de l’objet Au plan du sujet


e
Temps XVIII, XIX et XX siècles. Intemporel.
Lieux Université = monde de l’intellect. Université = lieu de la conscience.

353
354 Du signe au symbole

Instance du moi ; Royaume de la pensée (intellect) et


Roulotte = monde du voyage ; de la sensation (expérimentation) ;
Taverne = lieu des plaisirs et de la Roulotte = lieu de passage, de
perte de conscience. Instance du ça ; transition vers l’inconscient ;
Château = lieu du pouvoir. Instance Taverne = perte de la conscience et
du surmoi ; perte des sens (saoul) ;
Grotte = lieu archaïque lié à la Château = lieu de l’inconscient
Terre-Mère et à la préhistoire collectif et domaine du Père ;
humaine. Instance du ça et des Grotte = lieu de l’inconscient
instincts. personnel et matrice maternelle.
Lieu des angoisses et des peurs
archaïques.
Nombre au Deux : Faust (le moi) et Deux : Faust (le vieil héros est
début Méphistophélès (la fascination de la animé par une vieille fonction
jeunesse et de l’interdit). pensée) et Méphisto (son ombre
qui propose la jeunesse, le lucre et
le pouvoir).
Nombre à la Deux : Faust (le moi régénéré) et Deux : Faust (le héros rajeuni dont
fin Marguerite (l’objet de son désir). la fonction pensée est régénérée
par l’intégration de la fonction
sentiment) et Marguerite (son
anima qui apporte la fonction
sentiment).
Synthèse Passage de l’opposition à la Intégration de la fonction inérieure
complémentarité. au niveau de la conscience.
Personnages Faust = moi vieilli, puis rajeuni ; Faust = héros sous forme de Hare
Méphistophélès = principe du plaisir et de Red Horn (senex, puis puer) ;
lié au ça et au surmoi. Expression Méphistophélès = ombre (les
détournée (pervertie79) des diverses aspects pervers de la fonction
pulsions (Éros et Thanatos) ; pensée, coupée de tout sentiment) ;
Marguerite = objet du désir lié à Marguerite = anima positive,
l’expression d’un amour pur et expression de la fonction
désintéressé, dénué de tout calcul sentiment. Le fait qu’elle soit une
autre que l’affection ; Gitane signifie que la fonction
Le prince = instance de l’ordre et du sentiment est refoulée
surmoi. Il représente l’interdit ; (marginale) ;
La princesse = objet du désir Le prince = symbole de la
banalisé due à une séduction conscience collective. Cette
perverse et impure exprimée par un conscience est dominée par le
amour exalté lié à la concupiscence lucre, c’est-à-dire par la fonction
(l’appât du gain et du pouvoir). pensée ;

79
Les termes pervers et perverti doivent être pris dans leur sens pathologique et non moral.
C’est-à-dire, au niveau psychologique, la déviation des tendances, des instincts, due à des
troubles psychiques (DIEL, 1966).

354
Sémiologie et herméneutique 355

La princesse = anima négative liée


à un détournement de la fonction
sentiment au profit d’un sombre
calcul (fonction pensée).
Autres Transformation du vieux en jeune = Transformation du vieux en jeune
symboles métaphore exprimant le = fontaine de jouvence. Ce
rajeunissement et le gain de rajeunissement symbolise
vitalité ; l’affranchis-sement des limites de
Changement de la terre en or = la condition temporelle et la
métaphore exprimant la longévité. Cette transformation est
transmutation et l’amélioration de la la source de la régénération
fécondité, de la richesse et de la (Negrito) et de la purification
domination. L’or-monnaie est un (Grand Œuvre) en Alchimie ;
symbole de pervertissement et Changement de la terre en or = la
d’exaltation impure des désirs, une transmutation est une rédemption.
matérialisation du spirituel et de C’est la transformation de
l’esthétique, une dégradation de l’homme par la lumière, la
l’immortel en mortel (DIEL, 1966, connaissance de l’amour et le
172) ; rayonnement du don ;
Signature par le sang = métonymie. Signature par le sang =
Le pacte (l’accès aux objets du détournement de l’énergie vitale
désir) engendre une perte de vitalité (libido, exprimée par le sang) au
exprimé par le sang. Il y a de fait un profit d’une attitude figée liée
détournement de la libido sexuelle ; exclusivement à la fonction pensée
Miroir = miroir de l’âme ; (exprimée par la signature) ;
Manger et boire = liés aux besoins Miroir = fonction intuition ;
et à la pulsion de vie ; Manger et boire = liés aux
Le chevalier Henry = le roi des rois instincts et pulsions ;
(INRI). Le chevalier Henry = le professeur
Faust règne sur la conscience
collective dominée par la fonction
pensée.
Péripéties et Point de vue philosophique : Point de vue religieux :
chute Le mythe de la Caverne de Platon : Le livre de Job : Job, à l’inverse de
(comparaisons) les ombres qui se dessinent sur le Faust, semble avoir tout perdu à
fond de la caverne représentent, ici- cause du pari entre Dieu et Satan.
bas, les idées. Ces ombres ne sont La tentation du Christ au désert :
cependant que des illusions par le Christ se voit proposer par le
rapport aux idées elles-mêmes. diable tous les biens de la terre.
L’intellect lié au moi demeure Comparaisons avec des mythes :
stérile s’il est coupé de l’Esprit-Soi Dédale, La chute d’Icare, Tantale,
(DIEL, 1966). Phaéton, Ixion, Bellérophon, et
Ou bien...ou bien... de Kierkegaard : Persée représentent autant de
l'auteur analyse Faust dans sa quête combats contre l’exaltation de
de l’absolu et le compare à Don l’intellect (fonction pensée) par
Juan, dont le passé est pauvre par rapport à l’intelligence de l’Esprit-

355
356 Du signe au symbole

rapport à celui de Faust. Soi (DIEL, 1966 : 45-105).


Éclipse de la raison de Max Comparaisons avec des contes :
Horkheimer : Ce n’est pas tant le Fernand-Loyal et Fernand-
sommeil de la raison qui engendre Déloyal des frères Grimm :
des monstres que la dialectique de l’anima et le renouvellement (von
la raison elle-même. FRANZ, 1980 : 85-108).
Comparaisons avec des œuvres : L’esprit de la montagne du cheval
Dom Juan de Molière, Lélia de (conte chinois), Les jambes-lances
George Sand, La Recherche de (conte indien sud-américain), Le
l’Absolu et Les Illusions perdues de crâne qui roule (conte brésilien),
Balzac, Le meunier et le diable Les esprits des pendus (conte
d’Alphonse Daudet, Peer Gynt chinois), L’esprit de la forêt
d’Ibsen, Le Docteur Faustus de trompé par la ruse (conte sud-
Thomas Mann, L’œuvre au noir de américain), Dame Trude des
Marguerite Yourcenar, La marque Grimm, La belle Wassilissa, Le
jaune de Jacobs, etc. géant qui n’avait pas son cœur
avec lui (conte norvégien), Le
bûcheron qui berne le diable et fait
sienne la fille du roi, La fille du roi
et la fille du diable des Grimm,
etc. (von FRANZ, 1980 : 191-
404).
Conclusion (COMTE, 1993 : 55-67) (DIEL, 1966 : 45-105) (JUNG,
1964a : 81-82) (HENDERSON,
1964 : 121-122) (STEIN, 1953)
(von FRANZ, 1980).

Dans une première scène, Méphistophélès prend le déguisement de Faust


et vante les mérite de la fonction pensée : « Cela ira bientôt beaucoup mieux,
quand vous aurez appris à tout réduire et à tout classer convenablement. »
(GOETHE, 1964 : 83) De manière ironique, il convainc un écolier de
mépriser la raison et la science, suprême force de l’humanité : « Au total...
arrêtez-vous aux mots ! Et vous arrivez alors par la route la plus sûre au
temple de la certitude. [...] où les idées manquent, un mot peut être substitué à
propos ; on peut avec des mots discuter fort convenablement, avec des mots
bâtir un système ; les mots se font croire aisément, on n’en ôterait par un
iota. » Il conclut par ses paroles prophétiques : « Mon bon ami, toute théorie
est sèche, et l’arbre précieux de la vie est fleuri. » (GOETHE, 1964 : 85-86).
Cette scène illustre les enjeux du drame : « science sans conscience n’est que
ruine de l’âme » Cette conscience doit intégrer :

1. les zones d’ombre qui règnent au niveau de l’inconscient (connais-toi,


toi-même !) ;
2. la fonction sentiment qui a été refoulée par excès de pensée et qui
pourtant donne une âme à la conscience.

356
Sémiologie et herméneutique 357

« Le Faust de Goethe dit très justement : « Im Anfang war die Tat (Au commencement était
l’action) ». Les « actions » n’ont jamais été inventées. Elles ont été accomplies. La pensée,
par ailleurs, est une découverte relativement tardive de l’homme. Il a d’abord été poussé à
agir par des facteurs inconscients. Et ce n’est que beaucoup plus tard qu’il a commencé à
réfléchir sur les causes qui le poussaient [...] « Vouloir, c’est pouvoir », résume la
superstition de l’homme moderne. Mais, l’homme contemporain soutient sa croyance au
prix d’un remarquable défaut d’introspection. Il ne voit pas que, malgré son raisonnement
et son efficacité, il est toujours possédé par des « puissances » qui échappent à son
contrôle. Ses dieux et ses démons n’ont pas du tout disparu. Ils ont simplement changé de
nom. Ils le tiennent en haleine par de l’inquiétude, des appréhensions vagues, des
complications psychologiques, un besoin insatiable de pilules, d’alcool, de tabac, de
nourriture, et surtout un déploiement impressionnant de névroses. » (JUNG, 1964a : 81-82)

« En acceptant le défi de Méphistophélès, Faust s’est mis dans la dépendance d’une


« ombre », d’un personnage que Goethe décrit comme faisant partie d’un pouvoir qui,
voulant le mal, trouve le bien [...] Faust n’avait pas réussi à vivre pleinement une part
importante de sa jeunesse. Et il était resté en conséquence un être incomplet, à demi irréel,
qui se perdait dans une vaine quête métaphysique dont les objets ne se réalisaient jamais. Il
répugnait encore à faire face au défi de la vie, à en éprouver le mal autant que le bien [...]
Le Moi humain peut être exalté jusqu’à se sentir des attributs divins, mais ce faisant, il
présume de ses forces et va au désastre. (C’est le sens de l’histoire d’Icare, qui réussit à
voler avec des ailes fragiles, fabriquées par l’homme, mais s’approcha trop près du soleil
et périt en une chute vertigineuse). » (HENDERSON, 1964 : 121)

357
358 Du signe au symbole

358
Sémiologie et herméneutique 359

Mythanalyse

Analyse et interprétation d’une bande dessinée

PEYO (1955) Johan et Pirlouit. Le Lutin du bois aux roches, Marcinelle-


Charleroi, Dupuis.

Partie 1
Les éléments de narratologie
Résumé de l’histoire

Un petit gnome maléfique sévit dans la forêt. On lui attribue plusieurs


méfaits. Johan décide de le retrouver. Après une lutte et une longue
conversation, Johan et Pirlouit deviennent amis. Pirlouit joue des tours, vole
pour survivre. Johan lui propose de devenir le fou du Roi. La princesse Anne,
nièce du Roi, est enlevée et deux soldats de l'escorte accusent Pirlouit d'être
l'auteur du rapt. Celui-ci qui a tout vu s'explique : les soldats sont des
imposteurs. Ce sont des traîtres à la solde d'un vassal du Roi, Gérard de
Waltriquet. Celui-ci retient la princesse prisonnière dans son château. Johan et
Pirlouit partent délivrer la princesse. Sur leur chemin, ils rencontrent un
chevalier du Roi, le sieur Piéfroy. Celui-ci est également un traître. Johan est
fait prisonnier ; Pirlouit tente de le sauver et est prisonnier à son tour. Après
plusieurs péripéties, Pirlouit s'évade, prévient le Roi du guet-apens que
Piéfroy lui tend. Les faux soldats sont alors confondus. Le Roi et son armée
assiègent le château de Waltriquet, libèrent Johan et la Princesse. Pirlouit est
adopté comme fou du Roi.
Humour et gentillesse. Le Lutin du Bois aux Roches est le troisième album
de la série et l’un des plus achevés. On y voit pour la première fois le
personnage de Pirlouit. Celui-ci va rapidement ravir la vedette à Johan. Dans
son Guide de la bande dessinée, Philippe Bronson en conseille la lecture,
considérant qu'il s'agit d'une œuvre majeure de Peyo (BRONSON, 1984 :
173).

359
360 Du signe au symbole

Contexte et cotexte

Le contexte est constitué de tout ce qui entoure la publication de cet


album entre 1953 et 1955
En Belgique, après la Seconde Guerre mondiale, l'exaltation nationale est
modérée par les séquelles de l'incivisme et de la collaboration. Le contexte est
marqué par une opposition entre Wallons et Flamands, les premiers soulignant
la collaboration pronazie de cercles flamands héritiers du VNV d'avant-
guerre. Mais les francophones ont eu aussi leurs collaborateurs autour du
Wallon Léon Degrelle. Un certain nombre de personnes sont condamnées
judiciairement tandis que l'épuration civique se fait aussi de manière
extrajudiciaire, notamment par des sanctions administratives. Ces sanctions
font émerger une nouvelle revendication dans le mouvement flamand :
l'amnistie. En plus de la répression et des demandes d'amnistie, la question
royale pèse lourdement sur la vie politique du pays : le roi Léopold III,
transféré dans le Reich en juin 1944, ne peut rentrer au pays après sa
libération en mai 1945, car son « testament politique » rédigé au
printemps 1944 a montré son décalage avec le gouvernement Pierlot, l'opinion
publique et l'évolution générale du monde. Pour suppléer à l'absence du roi, le
parlement appelle son frère, le prince Charles, à prêter le serment
constitutionnel qui fait de lui le prince régent de Belgique habilité à participer
au pouvoir exécutif au même titre que le roi. La question du retour du roi se
cristallise autour d'un clivage politique et communautaire : les sociaux-
chrétiens et la forte majorité des Flamands y sont favorables, les autres partis
et la majorité des Wallons hostiles. Cette question royale conduira à
l'abdication de Léopold III et à l'intronisation de son fils Baudouin en juillet
1951. La guerre de Corée commence le 25 juin 1950. La guerre froide entre
les deux blocs influe sur la politique belge. Le 18 août 1950, le député
communiste, Julien Lahaut, est assassiné par deux tueurs sur le seuil de sa
maison. Durant cette période, le gouvernement belge, homogène PSC-CVP,
tente d’interdire l’accès des communistes à la fonction publique. Les partis
politiques s'affrontent également dans une nouvelle guerre scolaire avec
comme épilogue le Pacte scolaire de 1958, avec un rapport de force différent
selon la région, présageant le clivage linguistique et les problèmes
communautaires. Dans les colonies, un fait marque cette première partie des
années cinquante, c’est la création de l’Université Lovanium à Léopoldville
au Congo belge. Elle est inaugurée en 1954 (WIKIPEDIA,
https://fr.wikipedia.org/wiki/1954).
D’un point de vue international, le début des années cinquante est marqué
par une série d’événements liés à la guerre froide. L’Allemagne est coupée en
deux et la Corée sert de champ de bataille entre les deux blocs. Aux États-
Unis, le maccartisme frappe durement Hollywood. Le 5 mars 1953, Joseph
Staline meurt. Nikita Krouchtchev devient secrétaire du Comité central du
PCUS et succède à Staline à partir du 20 mars. Le 29 mai de la même année,

360
Sémiologie et herméneutique 361

le Néo-Zélandais Edmund Hillary et le Sherpa Tensing Norgay sont les


premiers hommes à gravir l’Everest. Le 2 juin 1953, la cérémonie du
couronnement d’Élisabeth II, reine du Royaume-Uni et du Commonwealth,
est retransmise à la télévision. Le 27 juillet 1953, c’est la signature de
l’armistice de Panmunjeom qui marque la fin de la guerre de Corée. Quelques
jours plus tard, le 12 août, l’URSS fait exploser sa première bombe H. Le 7
mai 1954, défaite et capitulation française à la bataille de Diên Biên Phu.
Celle-ci sera suivie par les accords de paix signés à Genève le 20 juillet 1954.
C’est la fin de la guerre d’Indochine. Entretemps, du 16 juin au 4 juillet, la
cinquième Coupe du monde de football (Coupe Jules Rimet) a lieu en Suisse.
Contre toute attente, l’équipe de la R.F.A. l’emporte devant la Hongrie,
grande favorite (WIKIPEDIA, https://fr.wikipedia.org/wiki/1954).
Dans le monde de l’édition, les choses bougent également. À la libération
de la Belgique en septembre 1944, les éditions Dupuis ne sont pas inquiétées
par l’épuration et peuvent reprendre la publication du journal Spirou créé le
21 avril 1938. Le 5 octobre 1944, le journal reparaît en kiosque, mais sans Jijé
emprisonné pour avoir travaillé pendant l'Occupation et avoir possédé une
carte pour éviter le service du travail obligatoire. Il dessine depuis sa cellule
jusqu'à sa libération deux mois plus tard. En octobre 1945, la série Tintin est
proposée aux Dupuis qui la refusent à cause de la collaboration d’Hergé
durant la guerre avec le quotidien Le Soir, alors aux mains des Allemands. Le
26 septembre 1946 voit la naissance du journal Tintin et des éditions du
Lombard. Ce premier numéro comporte douze pages et réunit des artistes de
bandes dessinées de renom : Paul Cuvelier avec L’Extraordinaire odyssée de
Corentin Feldoë, Hergé avec Le Temple du Soleil, Jacques Laudy avec La
Légende des quatre fils Aymon et Edgar Pierre Jacobs avec Le Secret de
l’Espadon. En 1948, Jacques Martin arrive avec Alix, en même temps que
Dino Attanasio et Willy Vandersteen. Pendant plusieurs décennies, Hergé
garde le contrôle artistique du magazine, d'où ses interférences dans les
aventures de Bob et Bobette. Le Fantôme espagnol et les épisodes suivants
publiés dans le Journal de Tintin sont redessinés dans une ligne plus claire et
épurée. Le 28 octobre 1948, est publiée la première version française du
journal de Tintin. En 1949, Bob de Moor rejoint le Journal de Tintin et y
dessine quelques pages de gags (WIKIPEDIA,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Tintin_(périodique)). Cette même année,
l’imprimeur Gérard, impressionné par les « Penguin Books » anglo-saxons,
crée à Verviers les éditions Marabout, livres bon marché en format de poche.
De son côté, le 9 février 1953, la France assiste au lancement du premier titre
de la collection Le Livre de poche, Koenigsmark de Pierre Benoit, sous
l'impulsion d’Henri Filipacchi, alors secrétaire général de la librairie Hachette.
La nouveauté du concept réside dans le fait de mettre à la portée du plus grand
nombre, à travers son format et son prix, beaucoup de textes littéraires jusque-
là réservés à une élite. Les 29 juillet et 11 novembre 1954, parution en langue
française des deux premiers tomes du Seigneur des anneaux de J. R. R.
Tolkien (WIKIPEDIA, https://fr.wikipedia.org/wiki/1954).
Le 31 octobre 1953 débutent les émissions de Télé-Bruxelles. Encore

361
362 Du signe au symbole

largement expérimentale, elle émet six jours par semaine, deux heures par
jour et à côté de ses émissions propres du mercredi et du dimanche, la part
belle est faite au relais de la RTF, y compris le journal télévisé ! Seuls les
téléspectateurs (fortunés !) habitant dans un rayon de 40 km autour de
Bruxelles peuvent voir les émissions qui partent d'antennes situées sur le
palais de Justice ; en 1954, Liège recevra son émetteur du Bol d'Air (Ougrée).
Dès le début, les premiers téléspectateurs belges pourront voir deux chaînes
nationales, la francophone et la flamande. En plus, une partie du territoire peut
capter les émissions parisiennes émises depuis la RTF de Lille, cependant
que, dans le nord du pays, on reçoit les Pays-Bas. Une frange côtière capte
même la télévision de la BBC anglaise. Le 26 mars, inspiré par le
couronnement de la reine d’Angleterre, naît le réseau Eurovision qui groupe
les principaux pays d'Europe de l'Ouest, dont la Belgique, dans le but
d'échanger des programmes. L’Eurovision va organiser dès 1954, à
destination de huit pays d'Europe occidentale, une série d'émissions dont le
reportage du championnat du monde de football en Suisse, plus neuf
programmes culturels. L'INR produira en studio, le 24 juin, une émission sur
le folklore wallon présentée en six langues par Irène Janetsky, collaboratrice
des émissions radio en langue allemande
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_télévision_en_Belgique).
Au cinéma, le passage du cinéma muet au cinéma parlant avait réduit l’image
de 30%. Le format academy standard ainsi défini réduisait la hauteur de
l'image pour aboutir à un rapport de 1,37. Au final, le passage du muet au
"parlant" réduit de 30 % la surface utile de la pellicule, amputé sur le côté et
en hauteur. Par contre, pour la télévision, le format est de 4/3. Ce terme quatre
tiers, 4/3 ou 4:3 désigne les proportions de l’image et de l'écran. Il s’agit d’un
format d’image vidéo adopté sur le plan mondial. Cette valeur 4/3 a été
adoptée pour les normes de télévision américaine et européenne à partir des
années 1950. Le 4/3 exploite un rapport de 1,33:1 entre la largeur et la hauteur
de l’image, ce qui correspond au format de projection historique utilisé au
cinéma au début du XXe siècle.

(Xavier REMIS, Enseignant en cinéma au lycée Henri Poincaré. Nancy,


http://www.cineclubdecaen.com/analyse/format.htm )

362
Sémiologie et herméneutique 363

De 1930 à 1955, tous les films seront tournés dans le format 1,37. Mais, à
partir de 1953, quelques films vont être tournés en CinemaScope : La Tunique
(Henry Koster, 1953), Une Étoile est née (George Cukor, 1954), 20.000 Lieux
sous les mers (Richard Fleischer, 1954), Capitaine Mystère (Douglas Sirk,
1955), La Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955) et Thé et sympathie (Vincente
Minnelli ,1956). Le succès commercial remporté par ces films va finalement
imposer un nouveau format standard, le Scope Panavision : 2.35. La mise en
page en bande dessinée va suivre également ce mouvement et générer
davantage de planches « rhétorique » en lieu et place des planches
« conventionnelles » connues aussi sous forme de « gaufriers ».

Le cotexte représente l’ensemble des textes, œuvres et messages traitant


des mêmes contenus ou de contenus parallèles.
En littérature, les premiers romans de chevalerie ont été Lancelot du Lac et
Yvain ou le Chevalier au lion, tous deux de Chrétien de Troyes, au XIIe
siècle. Le genre littéraire a bénéficié d’une grande popularité jusqu’au début
du XVIIe siècle et fut l’objet d’une parodie pour Miguel de Cervantes dans
Don Quichotte. Ces romans, très en faveur aussi en Angleterre où ils sont
appelés « romances », ont inspiré le romantisme, auquel ils ont donné son
nom. Il est aussi à l'origine de la mode du néo-gothique et du style troubadour.
Ainsi paraît Lord Byron, dont la poésie enflammée, profondément
personnelle, a créé les superbes épopées lyriques du Pèlerinage de Childe
Harold (1812), du Giaour, de la Fiancée d'Abydos, du Corsaire et de Lara.
Walter Scott (1771-1832), dans ses Chants populaires de la frontière
écossaise, dans son Chant du dernier ménestrel, dans sa Dame du lac, et dans
ses romans de Waverley, la Fiancée de Lamermoor, Ivanhoé, Quentin
Durward, la Jolie fille de Perth… ressuscite le Moyen Âge. En 1822, Thomas
Love Peacock publie Maid Marian dont Pierce Egan the Younger s’inspirera
pour développer le premier grand feuilleton journalistique : Robin Hood and
Little John: or, The Merry Men of Sherwood Forest.
En Belgique et en France, les romans de cape et d’épée apparaissent
également au début du XIXe siècle. Les principaux sont :

• 1826 : Cinq-Mars, d’Alfred de Vigny


• 1837 : Latréaumont, d’Eugène Sue
• 1838 : Le Lion des Flandres, de Hendrik Conscience
• 1844 : Les Trois Mousquetaires, d’Alexandre Dumas père
• 1845 : Vingt ans après, d’Alexandre Dumas père
• 1848 : Le Vicomte de Bragelonne, d’Alexandre Dumas père
• 1855 : Le Bossu, de Paul Féval
• 1863 : Le Capitaine Fracasse, de Théophile Gautier
• 1867 : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et
glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et
ailleurs, de Charles de Coster.
• 1872 : Le Prince des voleurs, d’Alexandre Dumas père

363
364 Du signe au symbole

• 1873 : Robin Hood le Proscrit, d’Alexandre Dumas père


• 1875 : La cape et l’épée d’Amédée Achard
• 1903 : Le Mouron rouge, de la baronne Orczy
• 1907 : Les Pardaillan, de Michel Zévaco
• 1921 : Scaramouche, de Rafael Sabatini.
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Roman_de_cape_et_d’épée).

La plupart de ces ouvrages figurent aux catalogues des éditions Marabout


et du Livre de Poche.
Au cinéma, les films d’aventures médiévales ou de capes et d’épées
connaissent un certain succès depuis l’avènement du parlant. Les films les
plus marquants s’inspirent souvent des œuvres romanesques. Ce sont en
1938, Les Aventures de Robin des Bois, de Michael Curtiz, avec Errol Flynn
et Olivia de Havilland ; en 1946, Le Fils de Robin des Bois, de George
Sherman et Henry Levin, avec Cornel Wilde et Anita Louise et aussi Le
Prince des voleurs de Howard Bretherton, avec Jon Hall et Patricia Morison ;
en 1950, La Revanche des gueux de Gordon Douglas, avec John Derek et
Diana Lynn ; en 1951, La Flèche et le Flambeau de Jacques Tourneur, film
d’aventure médiévale se déroulant au XIIe siècle avec Burt Lancaster et
Virginia Mayo. Trois films marquent l’année1952 : Robin des Bois et ses
joyeux compagnons de Ken Annakin, avec Richard Todd et Joan Rice ;
Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque, avec Gérard Philipe et Gina Lollobrigida
et Ivanhoé de Richard Thorpe. Film d’aventure médiévale se déroulant à
l’époque de Richard Cœur de Lion avec Robert et Elizabeth Taylor. En 1953,
nous avons Scaramouche de George Sidney, avec Stewart Granger, Eleanor
Parker et Janet Leigh et Si Versailles m’était conté de Sacha Guitry. Trois
films marquent aussi l’année 1954, dont Le Vicomte de Bragelonne de
Fernando Cerchio. Film de capes et d’épées ; La Revanche de Robin des Bois
de Val Guest, avec Don Taylor et Eileen Moore et Les Sept Samouraïs
d’Akira Kurosawa. En 1955, l’Oscar du meilleur film étranger est décerné au
film Miyamoto Musashi de Hiroshi Inagaki. Ce film relate la vie du grand
maître bushi et célèbre escrimeur japonais (WIKIPEDIA,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Film_de_cape_et_d’épée)

En bande dessinée, une des premières grandes séries médiévales est Prince
Vaillant (Prince Valiant in the Days of King). Cette bande dessinée historique
créée par Harold Foster est publiée depuis 1937 dans la presse américaine.
Dès son lancement, ce comic strip se distinguait par l'hyperréalisme de son
dessin, le soin méticuleux apporté à la composition des cases et pages et
l'absence de bulles au profit d'un usage exclusif des récitatifs. L’année 1946
voit l'arrivée dans les pages de Spirou de jeunes dessinateurs formés par Jijé,
ce dernier ayant décidé de s'éloigner du journal pour réaliser une biographie
dessinée de Jésus Christ. Il répartit ses séries entre ses apprentis : André
Franquin récupère la série-vedette Spirou et Eddy Paape Jean Valhardi. Autre
protégé de Jijé, Morris crée la série Lucky Luke dans l’Almanach 1947. Un
collaborateur des Dupuis, Georges Troisfontaines, crée à la même époque une

364
Sémiologie et herméneutique 365

agence, la World Press, pour distribuer des histoires aux éditeurs de bande
dessinée. Les Dupuis, qui cherchent à augmenter la production locale au
détriment des bandes dessinées américaines, décident logiquement de
s'associer avec lui. Ainsi naît la série Buck Danny, produite par deux auteurs
de la World Press, Victor Hubinon et Jean-Michel Charlier. Finalement, les
bandes dessinées étrangères disparaissent complètement du journal avec la
création en France en 1949 de la Commission de surveillance et de contrôle
des publications destinées à l’enfance et à qui a pour but de freiner la
publication de séries américaines. Les productions européennes prennent dès
lors plus de place dans l'hebdomadaire, la part prépondérante revenant aux
séries belges. Dans cette optique, Will, lui aussi formé par Jijé, récupère la
série Tif et Tondu, créée par Fernand Dineur. La stratégie de Spirou change
quand Charles Dupuis prend les commandes du journal à la place de Jean
Doisy. Des séries éducatives apparaissent. Outre Surcouf est créé l’Oncle Paul
sur un concept assez simple : raconter en quelques planches la vie d'un
personnage ou un événement historique. Dans le no 752 débutent les aventures
du page Johan. Ce personnage avait déjà connu quelques aventures dans
divers quotidiens avant son arrivée dans Spirou. Son auteur, Peyo, est entré
chez Dupuis grâce à André Franquin qu'il avait connu au studio de dessin
animé CBA durant la guerre. D'abord seul, Johan est rejoint par le nain
Pirlouit dans Le Lutin du Bois aux Roches. (WIKIPEDIA,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Spirou)
Après la Seconde Guerre mondiale, il n’y a pas encore un très grand
nombre d’albums de bandes dessinées franco-belges qui sont édités. Entre
1953 et 1955, les éditions Casterman, Dupuis et Lombard publient les auteurs
et titres suivants :

CHARLIER, Jean-Michel et FORTON, Gérald


1955 Kim Devil. La Cité perdue. Marcinelle, Dupuis.
1955 Kim Devil. Le Peuple en dehors du temps. Marcinelle, Dupuis.
CHARLIER, Jean-Michel et HUBINON, Victor
1953 Buck Danny. Les Gangsters du pétrole. Marcinelle, Dupuis.
1953 Buck Danny. Pilotes d’essai. Marcinelle, Dupuis.
1954 Buck Danny. Ciel de Corée. Marcinelle, Dupuis.
1954 Buck Danny. Un avion n’est pas rentré. Marcinelle, Dupuis.
1955 Buck Danny. Patrouille à l’aube. Marcinelle, Dupuis.
CHARLIER, Jean-Michel et PAAPE, Eddy
1953 Jean Valhardi. Le Château maudit. Marcinelle, Dupuis.
1954 Jean Valhardi. Le Rayon super-gamma. Marcinelle, Dupuis.
FRANQUIN, André
1954 Spirou et Fantasio. Les Voleurs du marsupilami. Marcinelle, Dupuis.
1955 Spirou et Fantasio. La Corne du rhinocéros. Marcinelle, Dupuis.
GILLAIN, Henri et WILL
1954 Tif et Tondu. Le Trésor d’Alaric. Marcinelle, Dupuis.
HERGÉ
1953 Tintin et Milou. Objectif Lune. Tournai, Casterman.

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366 Du signe au symbole

1954 Tintin et Milou. On a marché sur la Lune. Tournai, Casterman


JACOBS, E. P.
1953 Blake et Mortimer. Le Secret de l’Espadon. Bruxelles, Lombard.
1954 Blake et Mortimer. Le Mystère de la Grande Pyramide. 1re partie.
Bruxelles, Lombard.
1955 Blake et Mortimer. Le Mystère de la Grande Pyramide. 2e partie.
Bruxelles, Lombard.
JIJÉ
1954 Blondin et Cirage. Kamiliola. Marcinelle, Dupuis
1954 Blondin et Cirage. Silence on tourne ! Marcinelle, Dupuis.
MARTIN, Jacques
1954 Guy Lefranc. La Grande Menace. Bruxelles, Lombard.
MORRIS
1954 Lucky Luke contre Pat Poker. Marcinelle, Dupuis.
1954 Lucky Luke. Hors-la-loi. Marcinelle, Dupuis.
1954 Lucky Luke. Rodéo. Marcinelle, Dupuis.
1955 Lucky Luke. L’Élixir du Docteur Doxey. Marcinelle, Dupuis.
PEYO
1954 Johan. Le Châtiment de Basenhau. Marcinelle, Dupuis.
1954 Johan. Le Maître de Roucybeuf. Marcinelle, Dupuis.
ROSY, Maurice et JIJÉ
1955 Jerry Spring. Yucca Ranch. Marcinelle, Dupuis.
SIRIUS
1954 L’Épervier bleu. La Planète silencieuse. Marcinelle, Dupuis.
1954 L’Épervier bleu. La Vallée interdite. Marcinelle, Dupuis.
1955 Timour. La Tribu de l’homme rouge. Marcinelle, Dupuis.
VANDERSTEEN, Willy
1953 Bob et Bobette. Le Casque tartare. Bruxelles, Lombard — Érasme.
1953 Bob et Bobette. Le Joueur de tamtam. Bruxelles, Érasme.
1953 Bob et Bobette. Le Loup qui rit. Bruxelles, Érasme.
1953 Bob et Bobette. Les Mousquetaires endiablés. Bruxelles, Érasme.
1954 Bob et Bobette. Lambiorix roi des Éburons. Bruxelles, Érasme.
1954 Bob et Bobette. Le Castel de Cognedur. Bruxelles, Érasme.
1954 Bob et Bobette. Le Gladiateur-mystère. Bruxelles, Lombard — Érasme.
1954 Bob et Bobette. Le Trésor de Beersel. Bruxelles, Lombard — Érasme.
1955 SIRIUS Timour. La Tribu de l’homme rouge. Marcinelle, Dupuis.
(WIKIPEDIA, https://fr.wikipedia.org/wiki/1953 en bande dessinée,
https://fr.wikipedia.org/wiki/1954 en bande dessinée,
https://fr.wikipedia.org/wiki/1955 en bande dessinée)

Type de message

Cette série fictionnelle humoristique est un mélange d'images et de textes


et tient à la fois du récit scriptural et du récit scénique. L'auteur disparaît
derrière les mots et les images afin de renforcer l'effet mimétique. Les

366
Sémiologie et herméneutique 367

récitatifs sont utilisés pour marquer le temps [« Quelques instants plus


tard... » (PEYO, 1955 : 7, v. 7)] ou pour évoquer rapidement les épreuves
auxquelles les personnages sont confrontés [« Pendant que Johan cherche un
moyen d’évasion, Piéfroy reprend le chemin du château du roi. » (PEYO,
1955 : 30, v. 1-7)]. Chaque album nous conte une histoire dont la monstration
l'emporte sur la narration.

Style et école

Le style adopté est celui de la ligne claire. Tous les traits concernent la
narration. Ils sont schématiques, graphiques, proches du digital et de l'écriture.
Ce style manipule, domine et analyse plus qu'il ne reproduit la réalité.

Rapport mimétique au temps

Comme il le rappelait dans son entretien avec Thierry Groensteen (1983b),


Peyo s'inspire des contes de fées, de l'imagerie moyenâgeuse et des dessins
animés de Walt Disney (bien que la période ait existé, elle est fortement
inspirée d'un monde imaginaire).
Il restitue un moyen âge d'opérette ou plutôt de conte. L'imaginaire
enfantin se nourrit ensuite de cette reconstitution pour se représenter le moyen
âge.

La temporalité au niveau du récit

L’ordre temporel épouse la ligne du temps. Il n’y a ni analepse, ni prolepse si ce


n’est au niveau des récitatifs (« Un peu plus tard… » (PEYO, 1955 : 25, v. 9) Il existe
un certain nombre de diachronies (successions) prographiques (dans le même
champ). Par exemple, la poursuite entre Guillaume et Johan (PEYO, 1955 : 44, v. 2).
Nous retrouvons également des diachronies diégétiques. Par exemple, Guillaume et
Johan marchent au même moment dans deux cases successives (PEYO, 1955 : 45, v.
6-7). Peyo utilise aussi la scène, le sommaire (la poursuite de Guillaume (PEYO,
1955 : 42 à 45) et l’ellipse (l’arrestation d’Angelot et Philibert (PEYO, 1955 : 39, v.
10-11). Concernant la fréquence, il s’agit d’un récit singulatif.
Intention manifeste de l’auteur

Pierre Culliford (1928-1992), alias Peyo, a débuté en 1952 dans


l'hebdomadaire Spirou avec les aventures de Johan et Pirlouit, créées en 1947
pour le quotidien La Dernière Heure. Il est également l'auteur d'autres séries,
dont les Schtroumpfs, Poussy le chat, Benoît Brisefer, et Jacky et Célestin.

367
368 Du signe au symbole

Peyo est également un écrivain et ses contes furent quelques fois publiés dans
le même hebdomadaire.

« Peyo connaît parfaitement le moyen de tenir ses lecteurs en suspens jusqu'au moment où
la montagne accouchera de sa souris. La montée est réaliste, colorée, vivante, naturelle.
Rien ne laisse présager une chute-pirouette; rien ne permet de prévoir que le réel tient à si
peu de choses. » (SADOUL, 1971 : 11)

Ainsi, Pirlouit fabrique la Pierre Philosophale dans le Sortilège de


Maltrochu (pp. 4 à 7) et parvient à changer... l'or en plomb.

« Quatre planches très vraisemblables nous laissent croire que les choses se passent
normalement, puis l'épilogue, tel un grain de sable dans le mécanisme, vient mettre bas
l'édifice tant solidement établi. » (SADOUL, 1971 : 12)

Numa Sadoul en déduit que Peyo pratique au niveau de l'humour un


« Fantastique descendant », à l'inverse d'un Franquin qui élabore une
« destruction ascensionnelle de la réalité ».
Lors de son entretien avec Thierry Groensteen, Peyo avouera que « [...]
des différentes séries que j'ai créées, c'est à Johan et Pirlouit que je suis resté
le plus attaché. » (GROENSTEEN, 1983b : 11).

Il s'agit à chaque fois d'un récit réalisé pour divertir et amuser. Peyo situe
ses histoires dans un moyen âge de fantaisie, proche des contes de fées, tout
en gommant les aspects trop effrayants ou immoraux afin de ne pas choquer
les jeunes lecteurs (GROENSTEEN, 1983b : 11). Peyo s'adresse avant tout à
un public d'enfants et de jeunes adolescents. Des adultes, nostalgiques de l'âge
d'or de la bande dessinée, s'intéressent également à son oeuvre.

Horizon d’attente du lecteur

Le lecteur éprouve le plaisir d'y reconnaître des structures connues proches


de celles des contes d'antan. Ainsi, les bandes dessinées de Peyo constituent
un agréable passe-temps dont les lecteurs s'attendent à lire une fable
moyenâgeuse peuplée de chimères, de gags et de gentils lutins.

Aspects liés à l’œuvre

Les aventures de Johan débutent en 1947 dans le quotidien La Dernière


Heure, où elles se poursuivent jusqu'en 1949. Ensuite, parution dans le journal
Le Soir. Enfin, publication régulière dans Spirou depuis le numéro 752 de
1952. Chaque aventure est publiée en album aux éditions Dupuis. Il y a en
tout treize albums parus :

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Sémiologie et herméneutique 369

1. Le Châtiment de Basenhau (1954) ;


2. Le Maître de Roucybeuf (1954) ;
3. Le Lutin du bois aux roches (1955) ;
4. La Pierre de lune (1956) ;
5. Le Serment des Vikings (1957) ;
6. La Source des dieux (1957) ;
7. La Flèche noire (1959) ;
8. Le Sire de Montrésor (1959) ;
9. La Flûte à six schtroumpfs (1960) ;
10. La Guerre des sept fontaines (1961) ;
11. L'Anneau des Castellac (1962) ;
12. Le Pays maudit (1964) ;
13. Le Sortilège de Maltrochu (1970).

Depuis la mort de Peyo, quatre autres albums sont parus aux éditions du
Lombard. Ils sont l’oeuvre d’Alain Maury, pour les dessins, d’Yvan Delporte,
de Luc Parthoens et de Thierry Culliford (le fils de Peyo), pour le scénario, de
Nine et du Studio Leonardo, pour les couleurs.

1. La Horde du Corbeau (1994) ;


2. Les Troubadours de Roc-à-Pic (1995) ;
3. La Nuit des sorciers (1998) ;
4. La Rose des sables (2001).

« Les thèmes peuvent toujours être résumés en quelques mots. Ils proviennent en droite
ligne des romans ((ou des films) de chevalerie et, pour une part moindre, des contes de
fées. Citons, parmi les principaux, le renversement d'un usurpateur et le rétablissement
corrélatif de l'autorité légitime (L'Anneau de Castellac, Le Sire de Montrésor, Le Serment
des Vikings), l'aide à une communauté en danger ou maintenue sous un joug tyrannique (Le
Pays maudit, La Source des dieux), la conjuration d'un maléfice (La Guerre des sept
fontaines, Le Sortilège de Maltrochu) ou encore la lutte contre un bandit (La Flûte à six
schtroumpfs, La Pierre de lune) ou contre une bande de brigands (La Flèche noire). »
(GROENSTEEN, 1983c : 29)

Comme le remarque Thierry Groensteen, les aventures de Johan et Pirlouit


procèdent d'une série de conventions graphiques et narratives.

« La plupart des « méchants » sont affublés d'un nom évocateur : Gracauchon,


Courtecorne, De Basse-Fosse ou Maltrochu. Un ensemble de conventions graphiques les
distingue des héros et de leurs alliés. La barbe noire, correspondant physique de la
noirceur de l'âme (et antithèse de la barbe blanche et patriarcale qui caractérise tant le roi
que le Grand Schtroumpf), figure au premier rang d'entre elles. Le décor lui-même traduit
mimétiquement la bonté ou les vices du maître des lieux : on s'en convaincra en comparant
le château de Boisjoly avec celui de Maltrochu. Nous avons donc affaire à un univers
d'ordre, aisément décodable parce que entièrement prévisible. » (GROENSTEEN, 1983c :
29)

369
370 Du signe au symbole

« Aventures médiévales de la meilleure veine. Une inspiration ample et fantaisiste, un


grand "souffle" dans un merveilleux style graphique plutôt humoristique. Les scénarii sont
riches d'invention, de féerie, de magie, d'émotion et de drôlerie, même et surtout lorsqu'ils
s'abreuvent aux sources traditionnelles des grands récits moyenâgeux. Le dessin est léger,
fluide, très souvent joli, mais d'une force étonnante lorsque l'on songe qu'il ne s'agit pas
d'une série réaliste. PEYO est un délicieux poète, un rêveur qui sait visualiser son monde
imaginaire. Dans la série complémentaire des Schtroumpfs, ou dans Benoît Brisefer, il
déploie le même envoûtant "lyrisme comique" dont Johan porte la marque indélébile. C'est
une oeuvre précise, aérienne et intelligente dont on sort le coeur léger, plein de visions
ensorceleuses, comme au sortir de ces contes qui berçaient notre enfance. » (SADOUL,
1971 : 202)

Caractéristiques du dispositif cognitif

Type d’oeuvre

Ces histoires possèdent toutes une trame linéaire. Il s'agit d'oeuvres


univoques et fermées, pour lesquelles le lecteur ne participe pas à
l’élaboration de l’oeuvre (ECO, 1965). Chaque album est essentiellement un
livre-racine, c'est-à-dire une œuvre qui s’articule autour d’une idée maîtresse,
d’un tronc commun auquel se subordonne une série d’idées secondaires
(DELEUZE & GUATTARI, 1976 : 12-13).

Structures et morphologies

Cette histoire, constituée d'un double récit, possède une même


morphologie que celle d'un conte merveilleux.

a Manque Pirlouit perturbe la tranquillité du royaume (pp. 3-6).


B Envoi Johan est chargé par le Roi d’arrêter Pirlouit (p. 7).
C Départ Johan quitte le château (p. 7, v. 7).
D Préparation pour objet Il prépare un poulet comme appât (p. 8).
E Réaction aux exigences Pirlouit se laisse prendre au piège (p. 8, v. 12).
F Objet magique reçu Le poulet est volé (p. 8, v. 12).
G Déplacement Johan se lance à la poursuite du voleur (p. 9).
H Combat Johan et Pirlouit se battent l’un contre l’autre (p. 10)
J Marque posée Biquette encorne Johan (p. 11, v. 1).
I Marque reçue Biquette se cogne ensuite contre un arbre (p. 11, v. 6)
M La demande d'accomplir des Johan soigne Biquette et séduit Pirlouit (p. 11, v. 8).
tâches difficiles
N L'accomplissement des tâches Johan et Pirlouit se lient d’amitié (p. 11, v. 9-10 + p. 12).
difficiles
K La réparation du manque Pirlouit accepte la proposition de Johan (p. 13, v. 1).
a Le manque Johan promet à Pirlouit d’intercéder en sa faveur (p. 13, v. 7).
A Le méfait La princesse Anne a été kidnappée (p. 14, v. 11).
B Envoi Le Roi charge Johan de rattraper le coupable (p. 15).
C Départ Johan se rend au bois aux Roches pour rencontrer à nouveau

370
Sémiologie et herméneutique 371

Pirlouit (pp. 15-16).


D Préparation pour objet Johan et Pirlouit saoulent les deux gardes (p. 19).
E Réaction aux exigences Ceux-ci avouent leur traîtrise (pp. 19-20).
F Objet magique reçu Johan et Pirlouit connaissent le nom du coupable (p. 20, v. 6).
G Déplacement Johan et Pirlouit s’en vont vers le château de Waltriquet (p.
20, v. 11 + p. 12).
H Combat Johan rencontre le traître Piéfroy (pp. 22-23).
J Marque posée Johan est fait prisonnier (p. 23, v. 10).
I Marque reçue Johan est enfermé dans le château (pp. 24-27).
K Réparation du méfait Pirlouit libère Johan et la princesse (pp. 29-31).
Pr Les héros sont poursuivis Ils sont poursuivis dans le donjon (pp. 32-34).
M La demande d'accomplir des Johan demande à Pirlouit d’avertir le Roi (p. 35).
tâches difficiles
N L'accomplissement des tâches Pirlouit s’évade et va chercher du secours auprès du Roi (pp.
difficiles 36-38).
O Le héros arrive incognito Pirlouit arrive à la cour du Roi (p. 38, v. 11).
L Les prétentions mensongères Le traître dément les propos de Pirlouit (p. 39, v. 1).
Q La reconnaissance du héros Pirlouit est enfin reconnu comme un vrai héros (p. 39, v. 4)
Ex La découverte du faux héros Le traître Piéfroy est démasqué (p. 39, v. 5).
Rs Le secours pendant la poursuite Pirlouit revient avec l’armée du Roi (p. 40).
K Réparation du méfait Johan et la princesse sont définitivement libérés (p. 42).
U Punition Johan se lance à la poursuite de Guillaume et Biquette attrape
Guillaume (pp. 44-45).
T Transfiguration Pirlouit devient le fou du Roi (p. 46).

Soit :
J I
aBCDEFG H K { }
(PEYO, 1955, 3-12)
M N
+
{ } {
a A B C  D E F G H J I K1 Pr M N O L Q Ex Rs K2 U T }
(PEYO, 1955 : 13-46)

Le premier récit possède la morphologie succincte d'un conte merveilleux.


Cette rencontre entre Johan et Pirlouit pourrait être considérée comme une
première mise à l'épreuve de leur amitié. Pirlouit est à la fois le héros et le
donateur du second récit. C’est lui qui révèle la vérité à Johan et au Roi. C’est
aussi le véritable libérateur. Ce second récit est quasiment complet. Les seules
différences par rapport à la morphologie du conte merveilleux décrite par
Propp, c'est, d’une part, la réparation du méfait en deux temps (K 1 et K2) qui
provoque le mélange des séquences (Pr-Rs) et (M-N), d’autre part l'absence
du mariage (W°).
Certaines fonctions peuvent changer de place et d'autres peuvent ne pas
apparaître. Cependant, selon Propp, on peut appeler cette histoire de Johan et
Pirlouit un conte merveilleux. Le développement des deux récits d'un manque
et/ou d'un méfait passe par les fonctions intermédiaires pour aboutir aux
fonctions (K, U et T) utilisées comme dénouement.
Cette aventure de Johan et Pirlouit s'apparente également à l'aventure
composite du héros mythologique (Mythe 1 de CAMPBELL).

371
372 Du signe au symbole

1. Première étape : le départ :


 1.1. L'appel de l'aventure : Johan demande de l’aide à Pirlouit pour délivrer la
princesse (PEYO, 1955, 17, v. 5) ;
 1.2. L’aide surnaturelle ou le secours inattendu reçu par le héros : sous l’effet de
l’alcool, les deux gardes avouent (PEYO, 1955, 20, v. 6) ;
 1.3. Le passage du Premier Seuil : Johan et Pirlouit quittent le château (PEYO,
1955, 20, v. 11) ;
 1.4. Le Ventre de la Baleine : Johan et Pirlouit s’enfoncent dans la Forêt pour
rejoindre le château de Waltriquet (PEYO, 1955, 21).
2. Le seconde étape : l'initiation avec ses épreuves et ses victoires :
 2.1. Le Chemin des épreuves : Johan est capturé par Waltriquet (PEYO, 1955, 23,
v. 11) ;
 2.2. La Rencontre avec la Déesse : Johan et Pirlouit rencontrent la
princesse (PEYO, 1955, 31, v. 2) ;
 2.3. La Femme tentatrice et l’angoisse qui l’accompagne : Johan et la princesse
restent enfermés dans le donjon (PEYO, 1955, 35) ;
 2.4. La Réunion au Père : Pirlouit est confronté au Roi (PEYO, 1955, 39) ;
 2.3. L'Apothéose : Pirlouit libère Johan et la princesse (PEYO, 1955, 42) ;
 2.5. Le Don Suprême : Pirlouit risque sa vie pour ses amis (PEYO, 1955, 44, v.
10).
3. La troisième étape : le retour du héros et sa réintégration dans la société :
 3.1. Le Refus du Retour ou la négation du monde : Pirlouit n’accepte pas son
costume de bouffon (PEYO, 1955, 45, v. 10) ;
 3.2. Le Passage du Seuil au Retour ou le retour au monde de tous les jours :
Pirlouit devient le fou du Roi (PEYO, 1955, 46, v. 8) ;
 3.3. Le Maître des Deux Mondes : Pirlouit devient un familier du château comme
du Bois aux Roches (PEYO, 1955, 46, v. 8) ;
 3.4. Libre devant la vie : Pirlouit n’a plus rien à craindre. Il est libre d’aller où il
veut.

Soit :


La structure générale de l’oeuvre

Comme nous l’avons vu, un récit est la représentation d’un événement,


c’est-à-dire d’une transformation. Pour Le Lutin du Bois aux Roches, la
transformation principale peut être représentée de la manière suivante :

transformation

Pirlouit est un lutin Pirlouit est le fou du Roi

372
Sémiologie et herméneutique 373

La structure des deux récits

L’oeuvre étudiée est constituée de deux récits distincts que l’on peut
figurer par les schémas suivants :

transformation 1

Pirlouit perturbe la tranquillité Pirlouit ne perturbe plus la


du royaume tranquillité du royaume

transformation 2

La princesse est enlevée La princesse est libérée

La segmentation du texte en épisodes

Le Lutin du Bois aux Roches présente plusieurs transformations. Chacune


de ces transformations détermine un récit. La combinaison de ces récits varie
selon les rapports qui relient les transformations entre elles. Dans ce cas-ci,
nous avons affaire à des transformations hiérarchisées, c’est-à-dire une
transformation générale qui détermine un récit global intégrant deux autres
récits. Ces deux récits constituent les épisodes du récit global et sont
indépendants. Nous pouvons représenter l’ensemble de ces transformations de
la manière suivante :

Pirlouit est un lutin Pirlouit est le fou du Roi

t1 t2

Le modèle actantiel : perspective paradigmatique

Les personnages peuvent adopter six rôles narratifs qui établissent entre
eux des relations selon trois axes : l’axe du désir, l’axe de la communication
et l’axe du pouvoir. Pour le récit global, le modèle actantiel se présente de la
manière suivante :

373
374 Du signe au symbole

destinateur : Johan objet : le poste de fou du Roi destinataire : Pirlouit

adjuvants : le Roi, Johan sujet : Pirlouit opposants : Waltriquet, Guillaume


la Princesse, Biquette Piéfroy, Angelot, Philibert

Pour les deux séquences, les modèles actantiels sont les suivants :

Premier épisode

destinateur : Johan objet : la tranquillité destinataire : Pirlouit

adjuvants : François, le Roi sujet : Pirlouit opposants : Pirlouit, Biquette


le poulet, Biquette,
Johan

Deuxième épisode

destinateur : Johan objet : la princesse destinataire : Pirlouit

adjuvants : le Roi, Biquette sujet : Pirlouit opposants : Waltriquet, Piéfroy,


la princesse, Johan Guillaume, Angelot,
Philibert

La syntaxe actantielle : perspective syntagmatique

Le modèle actantiel constitue un paradigme, une classification des rôles.


On peut également résumer les grandes unités syntagmatiques du récit
canonique par le tableau suivant :

374
Sémiologie et herméneutique 375

relation destinateur (Johan) / sujet (Pirlouit)

relation sujet (Pirlouit) / objet (le poste de fou du Roi)

Contrat Compétence Performance Sanction

épreuve qualifiante : épreuve principale : épreuve glorifiante :


Pirlouit accepte de Pirlouit parvient à Johan parvient à
rester tranquille et délivrer la Princesse faire reconnaître
devient l’ami de Pirlouit comme fou
Johan du Roi
faire persuasif du faire interprétatif du
destinateur : destinateur :
Johan fait savoir à Pirlouit Pirlouit Pirlouit démasque les le Roi, reconnaissant,
Pirlouit qu’il doit est offre ses traîtres et délivre la accepte la
rester tranquille et attrapé et bons Princesse proposition de Johan
qu’il pourra ainsi accepte services et nomme Pirlouit son
devenir le fou du Roi de rester fou du Roi
tranquille sujet glorifié
sujet sujet sujet réalisé
virtuel actualisé

plan pragmatique

plan cognitif

La relation sujet / objet est la relation principale. Celle-ci se déroule sur le


plan pragmatique. Elle exprime les actions. Cette relation est de l’ordre du
désir. Le processus par lequel un sujet passe de l’état de disjonction avec
l’objet à celui de conjonction est appelé programme narratif. On appelle
parcours narratif d’un sujet la suite syntagmatique de ses programmes
narratifs. Trois épreuves se succèdent :

L’épreuve qualifiante ou compétence ;


L’épreuve principale ou performance ;
L’épreuve glorifiante ou sanction.

La relation destinateur / destinataire constitue l’axe de communication. Un


destinateur communique un objet au destinataire et ce dernier le reçoit. Le
parcours du destinateur se déroule totalement sur le plan cognitif.
Le modèle logique : le carré sémiotique

En partant de la structure générale des deux épisodes (structures


élémentaires de la signification formant les axes sémantiques de l'oeuvre), ces

375
376 Du signe au symbole

deux axes peuvent se complexifier en carrés sémiotiques. Ces carrés sont une
représentation du fonctionnement qui engendre le message de l'oeuvre. Ils
organisent diverses relations entre les unités minimales. Si nous séparons ces
deux carrés par une ligne représentant la frontière entre le royaume (ou la
conscience) et le château de Waltriquet (ou l'inconscient), nous constatons que
ces deux récits sont parfaitement parallèles.

relation de contrariété

Pirlouit perturbe le royaume Pirlouit est apprivoisé

relation de relation de
présupposition
contradiction

Pirlouit n’est pas apprivoisé Pirlouit ne perturbe plus le royaume

relation de subcontrariété

___À la cour du Roi______________________________Conscience____


Au château de Waltriquet Inconscience

relation de contrariété

Pirlouit est un lutin Pirlouit est le fou du Roi


La princesse est enlevée La princesse est délivrée

relation de relation de
présupposition
contradiction

La princesse est prisonnière La princesse n’est plus enlevée


Pirlouit n’est pas le fou du Roi Pirlouit n’est plus un lutin

relation de subcontrariété

Les instances relevées en matière de dispositif d’énonciation

Peyo réalise une mise en case assez dépouillée. Il y a peu de décors. Les
récitatifs sont rares. Il effectue peu de modulations sur la variation des angles,
des plans et des cadres. Dans les premiers albums, sa mise en page est
conventionnelle, semblable à celle d’un gaufrier. Cette mise en page est au
service de la pensée et du récit (SAUCIN, 1995). À partir du sixième album,
Peyo adoptera plus souvent une mise en page rhétorique. Il existe alors une
dépendance entre le récit et la dimension des cases. La relation de la planche

376
Sémiologie et herméneutique 377

vis-à-vis du récit est davantage expressive et favorise l’émergence de


sentiments (PEETERS, 1991) (SAUCIN, 1995).
Peyo est son propre scénariste. Au plan narratif, ses récitatifs se trouvent
dans des cadres parfois colorés en jaune. Il sépare ainsi très clairement les
différentes parties. Les liaisons narratives s'opèrent par le biais de l'ancrage et
du relais.
En matière de graphisme, Peyo utilise des aplats uniformes. La nature de
sa trace graphique est celle de la ligne claire. Ainsi, l’œil suit les lignes et
décrit les contours. Ce type de dessin favorise l’identification du lecteur au
personnage. Ce trait s’accompagne de transparence et de transitivité. Tandis
que les personnages demeurent en partie transparents comme des miroirs, les
objets ainsi dessinés évoquent le trait simplifié des jouets, ce qui renforce du
même coup le caractère ludique de ce monde (MARION, 1991 : 167). Enfin,
le lettrage adopté par Peyo est une simulation typographique des caractères
d’imprimerie. Ce qui renforce également, selon Philippe Marion (1991 : 74),
l’effet de transparence.
La série se présente finalement sous la forme de messages didactiques
(épopées) où les images ne font qu'illustrer le sens univoque du verbe.

Le réseau entre les différents personnages du récit

Le confinement des personnages dans leur registre

Dans cette série, les personnages sont habituellement confinés dans un


même registre, avec néanmoins de nombreuses exceptions notoires, dont
Pirlouit (qui passe du registre de l’opposant à celui du sujet dans Le Lutin du
bois aux roches) et Fafnir le dragon (qui passe du registre de l’opposant à
celui d’adjuvant dans Le Pays maudit) (GREIMAS, 1981 : 51). L'auteur
s'amuse ainsi des contradictions : le vilain lutin devient finalement le héros ;
la chèvre ou le dragon, allégories du diable, deviennent des adjuvants.

Les variations sonores

Dans la série Johan et Pirlouit, les voix figurant dans les phylactères sont
essentiellement de l'ordre du dialogue et de l'ancrage. Le texte figurant dans
les récitatifs est essentiellement informatif ou narratif (de l'ordre du relais). Le
texte est parfois utilisé au niveau du témoignage pour évoquer des événements
passés (PEYO, 1955 : 3, v. 6-11). Les sons et les bruits (onomatopées) ont une
fonction essentiellement narrative. Ils possèdent également des valeurs
informative, expressive, structurelle et conative. En dehors des récitatifs, Peyo
fait appel aux voix off ou au son hors champ pour créer un certain suspens

377
378 Du signe au symbole

(PEYO, 1955 : 4, v. 1-6). Généralement, il y a concordance entre le texte et


l'image (SAUCIN, 1995a et 1995b).

Les variations occulaires

Si nous reprenons les concepts élaborés par François Jost (1987) et André
Gaudreault (1990), Peyo recourt essentiellement à l'auricularisation interne,
spectatorielle et à l'ocularisation zéro indifférenciée et utilitaire. Il s'agit de
récits non focalisés.

Le réseau relatif au dispositif d’énonciation


Présence de l’auteur au sein du dispositif

Aucun indice linguistique (pronom personnel) n’indique une quelconque


présence de l’auteur dans le récit. De même, aucune présence photographique
ou picturale ne dénote la présence de l'auteur. Seuls le style et la typographie
témoignent quelque peu de l’existence de Peyo. Ainsi, le récit est pauvre en
indication sur l’auteur. Celui-ci disparaît derrière son oeuvre et les
évènements semblent se raconter eux-mêmes (BENVENISTE, 1966 : 254)
Peyo utilise des caractères manuscrits plus graphiques, conservant un
certain degré de transparence qui engendre une vivification manuscrite et une
lisibilité filtrée. En utilisant des caractères d’imprimerie, dont la facture
manuscrite apparaît assez clairement, Peyo a choisi un lettrage de forme
intermédiaire (MARION, 1993 : 39). La transparence de la ligne claire offre
une disponibilité ludique et sert de miroir pour l'identification.
Peyo recourt au plan de demi-ensemble et au plan moyen pour les actions
(PEYO, 1955 : 44). Ces plans favorisent les rapports très formels. Il utilise le
plan moyen, le plan américain et le plan rapproché pour les dialogues (PEYO,
1955, 43 : 4-7). Ceux-ci suscitent le sentiment de rapports plus personnels. Il
emploie très rarement le plan d'ensemble (PEYO, 1955 : 40, v.5 et 7) ou le
gros plan (PEYO, 1955 : 41, v. 2 et 5). Il n'utilise pas l'insert.
Enrico Carontini (1988, 37) et Jean-Pierre Meunier (1991) établissent une
équivalence entre l’utilisation des pronoms personnels étudiés par Benveniste
(1966) et la direction du regard. Au niveau de ses personnages, Peyo n'utilise
jamais les « contre-regards » ou les « regards je » dirigés vers le lecteur.
Seuls, les regards de Benoît Brisefer, du schtroumpf et de Poussy, au dos de la
couverture, interpellent directement le lecteur et peuvent être assimilés à des
« regards je ». Tous les regards dans cette série s’opèrent à l’intérieur de
l'histoire. Ils sont « intradiégétiques ».

378
Sémiologie et herméneutique 379

La forme du lien social et la place attribuée au lecteur

Ces divers éléments renforcent l’adhésion, la participation et


l'identification aux deux principaux personnages. Cela génère une absence de
recul par rapport au contenu du message. L’identification engendre de prime
abord une imitation, une centration et une certaine régression. Cette centration
s’effectue autour des deux héros, Johan et Pirlouit. Il faut dès lors nuancer
notre propos. Notons, d'une part, que ces deux figures héroïques ont des
attitudes contradictoires, voire même antagonistes (sobriété et sagesse de
Johan face à l'exubérance et l'espièglerie de Pirlouit) ; d'autre part, les
mauvais sont présentés en fin de compte comme des êtres pitoyables, victimes
des mauvais tours de Pirlouit et de Biquette.
Johan est un héros classique, un personnage socialement consacré (facteur
de sociocentrisme et modèle pour le « moi spectatoriel »), mais, par certains
de ses aspects, Pirlouit témoigne du « non-sens » britannique de son auteur et
annonce l'antihéros des années soixante (facteur d’égocentrisme).
Le lecteur s'identifie tour à tour à l'insipide et incolore Johan, ce jeune
héros sans peur et sans reproche, et à l'espiègle Pirlouit aux multiples défauts.
L'effet de distanciation est ainsi obtenu par le caractère totalement
contradictoire des deux héros. Ceux-ci ont cependant un certain nombre de
valeurs communes (voler au secours des plus faibles).
Du point de vue psychosociologique et du point de vue cognitif, cela
génère l’identification, voire même la fusion, à deux modèles différents.
En conclusion, le lecteur demeure soumis à la fois au schéma fermé
imposé par l'auteur et à une centration impérative liée aux deux personnages
principaux. Il se retrouve dans une situation de subordination. Il n’est
nullement partie prenante de l'énonciation et ne participe pas à la création,
mais le récit fait appel néanmoins à l'imaginaire du lecteur – entre autres, dans
les blancs laissés entre les cases.

379
380 Du signe au symbole

Les six ratissages de Jules Gritti

Les rapports entre destinateur et destinataire

Comme nous l’avons vu, aucun indice linguistique (pronom personnel)


n’indique une quelconque présence de l’auteur dans le récit. De même, aucun
indice iconique ne dénote la présence de l'auteur. Seuls le style et la
typographie témoignent quelque peu de l’existence de Peyo. Aucun indice
linguistique ou iconique ne sont commun à l’auteur et au lecteur ou
indiquerait la présence du lecteur.

La culture présupposée
Les motifs et les termes ni définis ni expliqués
Dans Le Lutin du bois aux roches, parmi les motifs ou les termes
particuliers qui ne sont ni définis ni expliqués, le lecteur peut lire « destrier »
(p. 3), « chausses » (p. 6), « parchemin » (p. 6), « troubadours » (p. 6),
« morbleu » (pp. 7; 11; 22; 28; 32; 39), « messire » (p. 9), « serfs » (p. 12),
« larcins » (p. 12), « fou du roi » (pp. 12-13), « légendes » (p. 13),
« jonglères », « viele », « sai, muse, frestèle, salteire, rote » (p. 13),
« marauder » (p. 14), « félon » (p. 24), « bigre » (p. 26), « fiefs » (p. 26),
« vertuchou » (p. 43). Toutes ces expressions et ces termes sont évocateurs du
Moyen Âge et des atmosphères liées aux contes de fées. Seul le terme de
« Basenhau » est défini page 26.
Les motifs ou termes courants chargés d’une intonation particulière

Dans les motifs ou les termes chargés d’une intonation particulière, le


lecteur peut lire « envolé » (p. 3) qui sous-entend dans ce cas-ci une
disparition surnaturelle, « Nain » (p. 9) qui n’évoque pas ici les personnages
fantastiques des contes de fées, mais bien la taille de Pirlouit.

Les motifs ou les termes traducteurs

Parmi les termes traducteurs, nous retrouvons « qui filait comme le vent »
(p. 3) qui signifie dans ce cas-ci « aller vite, mais de manière magique » ;
« démon » (pp. 3-7) qui dénote le caractère fantastique du personnage ; « le
ventre creux » (p. 12) qui signifie « avoir faim » ; « sac à vin » (p. 20) qui
évoque l’alcoolique ; « filé entre nos jambes » (p. 27) qui exprime la fuite ;

380
Sémiologie et herméneutique 381

« faire mordre la poussière » (p. 33) pour abattre ; « un beau collier de


chanvre autour du cou » (p. 42) pour évoquer la corde du pendu. Ces diverses
expressions évoquent également certains aspects du Moyen Âge.

Les termes confrontés

En matière de motifs, nous retrouvons les oppositions visuelles décrites par


Jean-Bruno Renard (1986). Les bons sont caractérisés par des visages peu
expressifs (Johan, Anne), des couleurs vives (cheveux d’or d’Anne et de
Pirlouit) et des lignes rondes (le Roi, Pirlouit), tandis que les méchants sont
caractérisés par des lignes brisées, des nez crochus, des barbes noires
(Guillaume, Waltriquet) (RENARD, 1986, 129-130).
Les oppositions-clés montrent bien que l’oeuvre se développe selon une
vision purement manichéenne du monde. Ainsi, dans Le Lutin du bois aux
roches, « homme » est opposé à « démon » (p. 4) et « aisé » à « pressé » (p.
18). De même dans cette progression : « c’est un monstre hideux et maléfique,
mauvais génie, gnome, sorcier et démon tout à la fois!! »

Les figures de déploiement

Il s’agit d’une synecdoque particularisante. Peyo nous raconte avant tout


une histoire basée sur deux faits divers : Un lutin perturbe le royaume en
chapardant quelques denrées ; la princesse est ensuite enlevée. Il part de ces
deux cas concrets, pour évoquer ensuite l’un ou l’autre principe. Bien que la
morale soit quelque peu manichéenne (le bien triomphant du mal), constatons
que l’opposant (Pirlouit) n’est pas nécessairement acculé au même registre. Il
peut même devenir un héros à part entière en libérant la princesse. Cette
oeuvre de Peyo repose sur une démarche empirique, à caractère pragmatique
et antidogmatique.

Les lieux idéologiquement marqués

La couverture est divisée horizontalement en deux. Le tiers du dessus est


occupé par le pseudonyme de l’auteur (véritable démiurge de cette histoire), le
titre générique de la série et le titre de l’album. La partie inférieure se
subdivise verticalement en deux. Elle montre les bons (Johan, Pirlouit et la
princesse) pourchassés par les méchants. Ceux-ci sont à gauche de l’image. Ils
doivent encore passer sous l’arche. Graphiquement, leurs traits sont durs,
Leurs regards sévères. Les cheveux et les barbes sont noires. Le nez de
Waltriquet est crochu. Les traits de Guillaume sont anguleux. À l’inverse, les

381
382 Du signe au symbole

bons sont à droite de l’image. Ils se retrouvent à l’avant-plan du dessin. Ils


sortent de la pénombre. Les traits d’Anne et Johan sont plus fins. Ceux de
Pirlouit sont plus ronds. Les cheveux de Pirlouit et d’Anne sont jaunes. Ils
évoquent le caractère lumineux de ces deux personnages. Les bons sont
manifestement mis en exergue. D’une part, la série est celle de Johan et
Pirlouit, d’autre part, les deux héros se retrouvent en pleine lumière à l’avant-
plan de la couverture. Le parti pris par l’auteur est clairement celui des bons
par rapport aux méchants. Les méchants sont ceux qui conspirent contre
l’ordre établi. Pour arriver à leurs fins, ils n’hésitent pas à enlever la fragile et
douce princesse. Le héros principal est sans conteste Pirlouit qui est évoqué
dans le titre (Le Lutin du bois aux roches) et qui se retrouve en tête du
cortège, en bas à l’extrême droite de la page. Ses qualités sont l’amitié, la
gentillesse et la malice. Celles de Johan sont l’intelligence, la bravoure, la
force et le courage. Ces diverses valeurs sont au service du roi et de la tendre
et jolie princesse.
Le dos du livre présence un triple regard-je souriant (le schtroumpf,
Benoît Brisefer et Poussy) qui engendre une certaine complicité entre les
héros et le lecteur. Ce dernier est également introduit dans l’intimité complice
entre Pirlouit et Johan par le biais du regard-il jeté par Pirlouit à l’égard de
son compagnon.
Le début de l’histoire nous présente Johan à cheval. La fin se clôture sur
les principaux artisans du bien (Johan, Pirlouit, le Roi et la princesse Anne).

Le paysage qualitatif ou les termes destinés à apprécier ou à


déprécier

Après avoir fait l’inventaire des termes appréciateurs ou dépréciateurs,


nous les regroupons dans un second temps par catégories d’opposition dans
divers registres liés aux fonctions psychiques :

Registre du merveilleux lié à l’intuition

Merveilleux (+) : lutin (pp. 3; 12; 15; 27), fée (p. 3), envolé (p. 3), génie
(p. 7), diable (pp. 7; 27; 29), gnome (p. 7), nain (p. 9), merveilleux (p. 13),
magnifique (p. 13), prodigieux (p. 15), inespérée (p. 25), rêvée (p. 44).
Merveilleux (-) : démon (pp. 3-7), satan (p. 3), diabolique (p. 3), monstre
(p. 7), maléfique (p. 7), sorcier (p. 7), damnée (p. 26), bizarre (p. 46).

382
Sémiologie et herméneutique 383

Registre du passionnel lié aux sentiments

Passionnel (+) : beau belle (pp. 6; 42; 45), bien (p. 6; 18), meilleur mieux
(pp. 6; 14; 23), bon (pp. 7; 8), bonhomme (pp. 7; 10), superbe (p. 8), fin (p. 8),
doucement (p. 8), heureux heureusement (pp. 9; 26), jolie (pp. 11; 13), gentil
(p. 11), sincère (p. 16), excellente (p. 19), facile (p. 37), brave (p. 40).
Passionnel (-) : affreux (pp. 3; 37), drôle (p. 5), grimaçant (p. 6), hideux (p.
7), mauvais (pp. 7; 19), gredin (pp. 8; 45), vaurien (p. 10), ennemi (p. 11),
malheureusement (p. 12), mécontenté (p. 12), pauvre (pp. 13; 30), faux (p.
16), coquins (17; 26), bandits (p. 17), peur (pp. 18; 20), crétin (pp. 19; 20),
innocent (p. 20), sale (pp. 9; 24-25; 40; 45), traître (pp. 24-25; 35; 39), félon
(p. 24), bavard (p. 26), truand (p. 27), dangereux (p. 28), idiots (p. 39),
ridicule (p. 46).

Registre du rationnel lié à la pensée

Rationnel (+) : prudent (p. 7), calmante (p. 13), tranquille (pp. 14; 26; 39),
raisonnable (p. 42).
Rationnel (-) : perdus (p; 41).

Registre du biologique lié à la sensation

Biologique (+) : petit (pp. 3; 17), grand (pp. 3; 18), sèche (p. 8), solide (pp.
24; 35).
Biologique (-) : gros (pp. 8; 24-25), gras (p. 8), loin (pp. 9; 24; 33), nain (p.
9), malade (p. 13), vieux (pp. 35; 39).

Registre du combatif lié à la volonté

Combatif (+) : fidèle (p. 3), puissant (p. 26), courageux (pp. 34; 45).
Combatif (-) : déprimé (p. 3), excédés (p. 12).

En résumé, le cadre dans lequel s’inscrivent ces différents registres est le


suivant :

383
384 Du signe au symbole

Passionnel
(Sentiment)

Merveilleux Combatif Biologique


(Intuition) (Volonté) (Sens)

Rationnel
(Pensée)

Nous remarquons une dominance du passionnel (fonction sentiment). Le


merveilleux (intuition) est également un registre relativement important qui
accentue le caractère médiéviste lié à l’univers des contes de fées. Le
rationnel (fonction pensée) n’est, par contre, guère développé.

Partie 2
L'amplification

L'importance du contexte

Lieux et temps de l'action

Comme Walt Disney, Peyo a jugé utile de gommer "ce qui pouvait
choquer les jeunes spectateurs" dans les contes de fées dont il s'inspirait
(GROENSTEEN, 1983b, 11). C'est pourquoi l'histoire de Johan et Pirlouit se
situe en un moyen âge de fantaisie proche de celui des contes de fées : dans le
nulle part de l'inconscient collectif. Néanmoins, comme nous le verrons au
chapitre VII, à la page 40 de La flêche noire, Peyo situe l’action au XIe siècle.
Les lieux fréquentés durant cette histoire sont :
1. Le Château du Roi, dont les pièces de séjour, un cachot et la cour ;

384
Sémiologie et herméneutique 385

2. Le bois aux roches et sa clairière ;


3. Le château de Waltriquet, dont la salle de séjour, les cachots, la salle de
torture, les couloirs, la cheminée, la tour et son grenier, la rivière.

Cet épisode commence et s'achève par le château, ce havre de paix et de


quiétude. Le château du Roi, illustré essentiellement par des pièces de séjour
et la cour, est le domaine de la conscience. À l'inverse du château de la Bête,
celui-ci n'est pas noir. Il demeure éclairé et le Roi n'y est pas une âme solitaire
qui erre sans fin entre ses murs sombres.
La maison du Roi est donc ainsi à la fois une image du cosmos humain et
un reflet du ciel sur la terre.(CHEVALIER & GHEERBRANT, 1982 : 480)
Le château de Waltriquet, avec une série de pièces plus sombres les unes
que les autres, est celui de l'inconscient. C'est le royaume de l'ombre. Il faut
franchir un fossé rempli d'eau pour s'y introduire. Entre les deux, le domaine
du lutin : le bois aux roches. Ce bois recèle une sagesse et une science
surhumaine (CHEVALIER & GHEERBRANT, 1982 : 106). Dans la plupart
des contes, dragons, sorcières, lutins ou ogres habitent au coeur d'une forêt.
Le héros ou l'héroïne s'y égarent avant de rejoindre le château (la sécurité).
C'est en son coeur que séjournent le château de la Bête (La Belle et la Bête), la
maison des sept nains (Blanche-Neige), la chaumière de l'ogre (Le petit
Poucet) ou la maison en pain d'épice de la sorcière (Hänsel et Grethel). C'est
dans la forêt que le petit chaperon rouge rencontre le loup. C'est aussi dans la
forêt que Thésée affronte le Minotaure, symbole des passions et des vices qui
empêchent toute évolution psychique. Comme toutes les puissantes
manifestations de la vie, la forêt cache un mystère ambivalent, générateur à la
fois d'angoisse et de sérénité. Par son obscurité et son enracinement profond,
la forêt symbolise l'entrée dans le monde ténébreux de l'inconscient.
La forêt, ou le bois sacré, est un centre de vie, une réserve de fraîcheur,
d'eau et de chaleur associées, comme une sorte de matrice. Aussi est-elle
encore un symbole MATERNEL. Elle est la source d'une régénérescence. Elle
intervient souvent en ce sens dans les rêves, trahissant un désir de sécurité et
de renouvellement. Elle est une expression très forte de l'inconscient.
(CHEVALIER & GHEERBRANT, 1982 : 106)

Nombre de personnages au début et à la fin

Au début, Johan est seul. À la fin, il se retrouve en compagnie du Roi, de


la princesse Anne et de Pirlouit. Nous passons de l'unité à la quaternité. Un est
symbole de l’homme actif, associé à l’oeuvre de la création. C’est un principe
unificateur qui regroupe les fonctions masculines (pensée et sensation) et
l’intuition. À la fin, la quaternité évoque la totalité. La princesse (fonction
sentiment) en fait partie. Cette fois, les quatre fonctions psychiques sont
représentées.

385
386 Du signe au symbole

Les Personnages

Johan est une épure, une esquisse d'être humain. Les traits de son visage
sont immuables, à peine ébauchés, sans relief expressif. À l'inverse du visage
de Pirlouit, dont la mobilité des traits exprime la mobilité du caractère et la
richesse des sentiments. Comme ses collègues Tintin ou Spirou, Johan est un
être parfait, soucieux de perfection, irréprochable. Raisonnement, lucidité,
maîtrise de soi, courage, ardeur font de lui un exemple. Ses qualités morales
sont difficilement égalables et sa vertu dépasse l'entendement. Nul vice ne
l'assaille. Johan est le premier personnage qui apparaît dans cette histoire. Il
est à cheval. C'est l'élément dynamique, le moteur du récit. Il représente
l'instance du moi lié au surmoi. Chacun de ses actes est accompli par devoir.
C'est un idéal du moi, un héros. Le type de héros qu'il personnifie est celui du
red horn. Cet écuyer du Roi est manifestement un jouvenceau, un adolescent.
En cela, il incarne également le puer aeternus. Il est amené à poursuivre deux
enquêtes. La première concerne le lutin qui hante le bois aux roches. La
seconde est relative à l'enlèvement de la princesse. Dans ces deux enquêtes,
Johan doit recourir avant tout à son intuition. Il recueille des propos et indices
à la manière de Sherlock Holmes, afin d'extrapoler ce qui est arrivé (pages 7-
8 ; 12-13 ; 15-16 ; 20 ; 22 ; 24, etc.). Comme Maigret, il se base au départ sur
les témoignages recueillis auprès des gens. Il se méfie cependant des rumeurs
et préfère constater de lui-même la réalité rapportée.

Pirlouit fait ici sa première apparition et est considéré comme un lutin. Il


deviendra finalement le fou du Roi.

« […] le fou est hors les murs de la raison, hors les normes de la société [...] derrière le
mot folie se cache le mot transcendance. » (CHEVALIER & GHEERBRANT, 1982 : 362)

À la fin de l'histoire, il est habillé en clown, en bouffon.

« Le clown est traditionnellement la figure du Roi assassiné. Il symbolise l'inversion des


propriétés royales, dans ses accoutrements, ses paroles, ses attitudes. À la majesté se
substituent la drôlerie et l'irrévérence ; à la souveraineté l'absence de toute autorité ; à la
crainte le rire ; à la victoire la défaite ; aux coups donnés les coups reçus ; aux cérémonies
les plus sacrées le ridicule ; à la mort la moquerie. Il est comme l'envers de la médaille, le
contraire de la royauté : la parole incarnée. » (CHEVALIER & GHEERBRANT, 1982 :
206)

En tant que double de Johan, Pirlouit incarne à la fois le complémentaire,


mais aussi l'adversaire qui invite le niveau de conscience à s'élargir et à
combattre ses propres oeillères. L'ombre d'Andersen illustre ce double aspect
du double. Il est l'instance du moi dans ses relations avec le ça. Il est plus
proche du moi idéal narcissique que de l'idéal du moi. Ce héros présente

386
Sémiologie et herméneutique 387

toutes les qualités du trickster. Il croque la vie à pleines dents et n'a d'autres
soucis que de combler ses désirs.

Le Roi prête attention aux rumeurs. Il est crédule et se laisse prendre aux
propos qui lui sont rapportés. Pour lui, la parole est d'or. Le verbe est bien le
mode de communication par excellence de la fonction pensée, celui qui
permet de classer les choses de ce monde sous de simples étiquettes. Bien
qu'il entende son ventre crier famine (fonction sensation) (p. 7, v. 2), il prête
également l'oreille à Johan (sa fonction intuition). L'important pour lui
demeure que l'ordre, la paix et la sécurité soient maintenus (p.7, v. 3).
Responsable de la justice et de la paix, le Roi est le garant de l'harmonie entre
les dieux et les hommes. Il assure l'équilibre du monde (JULIEN, 1989 : 334-
335). Il représente la loi. En cela, il incarne l'instance du surmoi et symbolise
le conscient collectif.

La princesse Anne est l'élément féminin de l'histoire. Elle est belle, douce,
sensible. Elle est attendue au château du Roi (le royaume de la conscience) (p.
6, v. 7). Sa nature féminine la rend proche de la Terre et du ça. Elle est
l'anima, la dame des romans courtois du moyen-âge. Celle que Perceval
délivre du Chevalier Vermeil. Comme Lady Marianne, elle est finalement
délivrée par son Robin des Bois, en l'occurrence Pirlouit. Au début du second
récit, elle est enlevée par de sinistres personnages et retenue prisonnière au
château de Waltriquet. Elle est l'enjeu de ce récit. Ce n'est qu'à la fin qu'elle se
retrouve au château, passant ainsi du royaume de l'ombre à celui de la
conscience.

François le bûcheron personnifie le bon sens commun et colporte les


rumeurs et les bruits. Il représente le bon peuple qui a tendance à exagérer les
événements rapportés. Il incarne également la sagesse des nations et une
partie de la conscience collective.

Biquette est une chèvre noire. Elle personnifie l'agilité et le goût de la


liberté (La chèvre de M. Seguin). Elle symbolise une liberté primesautière, qui
fait que le nom de la chèvre (capris) a été donné au caprice. En Inde, elle
représente la substance primordiale non manifestée. Chez les Grecs, elle est à
la fois l'éclair et la nourrice (Amalthée) de Zeus. Dans toutes ces traditions, la
chèvre apparaît comme le symbole de l'initiatrice, tant au sens physique qu'au
sens mystique du terme. Elle déséquilibre Johan (p. 11) et renverse les soldats
du Roi (p. 38-39). C'est elle enfin qui met en déroute et capture l'infâme
Guillaume (p. 45). Sa connotation capricieuse implique aussi la gratuité de
ses dons imprévisibles (CHEVALIER & GHEERBRANT, 1982, 187).

Angelot et Philibert, les deux soldats félons, le geôlier, le chevalier


Piéfroy, Girard de Waltriquet et Guillaume sont diverses figures de l'ombre.

387
388 Du signe au symbole

Celles-ci sont fort nombreuses par rapport aux autres histoires. Elles
retiennent prisonnière l'anima et désirent prendre le pouvoir au niveau du
royaume. Ces ombres symbolisent à la fois la bêtise, la force physique et
brutale (le geôlier, Angelot et Philibert), l'envie et la convoitise (le chevalier
Piéfroy et Girard de Waltriquet), et le côté retord de la fonction pensée
(Guillaume) dont les desseins et les calculs maintiennent prisonnière l'anima.

Le chevalier Piéfroy est celui qui trahit, tout comme Judas. Ce traître a un
rôle secondaire. Il est un personnage soumis à une autre force maléfique plus
puissante que la sienne.

« Par sa fonction, le traître est un personnage secondaire puisqu'il obéit toujours à un


supérieur, méchant savant ou méchant chef. » (RENARD, 1986 : 133)

Son physique est relativement banal. À l'inverse de Johan, son visage


paraît plus boursouflé. Il semble également plus âgé.

Gérard de Waltriquet

« Après le mauvais usage du pouvoir magique, du pouvoir scientifique, du pouvoir de


l'argent, vient celui du pouvoir politique. Devenir "maître absolu", le "maître du monde",
est souvent l'objectif ultime des Méchants, les autres pouvoirs n'étant alors que des moyens.
Le méchant chef, à la tête de son armée, traduit le mieux l'archétype du Mal multiple et
persévérant. » (RENARD, 1986 : 131-132)

Gérard de Waltriquet est un personnage au comportement dur et brutal.


Son physique robuste, ses traits durs, sa barbe noire, sa calvitie, l'aigle
prussien comme emblème, lui confèrent un aspect viril quelque peu
répugnant. Ces caractéristiques de brute épaisse manifestent une totale
opposition à la douceur des traits de la princesse Anne. Ses traits reprennent
tour à tour l'un ou l'autre stéréotype graphique du méchant décrits par Jean-
Bruno Renard.

« On peut distinguer deux stéréotypes graphiques du méchant dans la B.D. D'un côté, le
personnage aux traits durs et aux cheveux noirs, à l'allure distinguée, à l'intelligence froide
et machiavélique. C'est l'intelligence tournée vers le Mal. D'un autre côté, le personnage
laid, voire monstrueux ; en ce cas, la B.D. s'appuie sur une croyance classique de la
mentalité magique : la monstruosité physique est le reflet de la monstruosité morale. »
(RENARD, 1986 : 29)

En recourant à une multitude de collaborateurs, Gérard de Waltriquet


mobilise toutes les énergies pour imposer un monde de convoitise et de
violence où la loi du plus fort reste la meilleure. Nulle place en ce royaume
des ténèbres pour la chétive Anne. L'anima est reléguée dans les oubliettes.
Comme Jean sans Terre (1167-1277) qui avait enlevé Isabelle d'Angoulème

388
Sémiologie et herméneutique 389

pour s'approprier des terres en France, Gérard de Waltriquet ne recule devant


rien pour satisfaire son appétit de lucre.

Guillaume est l'âme damnée de Waltriquet. Ses traits sont tout en angles
aigus. Tout est piquant en lui : sa barbe noire, son nez crochu de rapace, son
menton pointu. Ses yeux bridés évoquent un esprit sournois. Ces
caractéristiques physiques ne sont pas nécessairement racistes, mais offrent
une structure d'accueil privilégiée.

« Les yeux en amande reflètent autant le regard du chat, animal diabolique, que les yeux
bridés des Asiatiques. Le nez crochu, s'il peut être l'expression consciente ou inconsciente
de l'antisémitisme de l'auteur, peut aussi être pour lui le moyen graphique de signifier
l'agressivité du personnage » (RENARD, 1986, 28).

Guillaume représente à la fois le mensonge, la fourberie et la froide


rapacité du calculateur blasé. Tout sentiment en lui est mort. Il n'attend plus
rien de ce monde désenchanté. Seul le mal et le profit animent encore cet
homme. Comme Cronos, il est revenu de tout. C'est le senex dans toute son
horreur : amer et lucide.

Les autres symboles

En page 17 et 19 figure le blason du Roi : une croix blanche sur un fond


rouge. Il évoque le drapeau suisse. Ce pays symbolise la bonhomie et la
neutralité. La croix blanche de forme géométrique simple, du type romain, est
un signe de paix et d'amour. Elle symbolise également chez les Peaux-Rouges
des plaines, le faucon ou l'aigle aux ailes étendues, aussi bien que le
dicotylédone du plant de maïs sortant de terre. Elle est alors un symbole de la
Fertilité (ALEXANDER, 1962 : 120).

L'aigle arboré par Waltriquet ressemble à s'y méprendre à l'aigle prussien.


Après la seconde guerre mondiale, la Prusse représente encore un esprit
agressif, hargneux, avide de territoire.

« […] l'aigle, symbole d'orgueil et d'oppression, n'est plus dès lors que rapace cruel,
ravisseur. » (CHEVALIER & GHEERBRANT, 1982 : 12)

Exposition, péripéties et chute

Exposition du problème

Deux problèmes semblent être évoqués de prime abord :

389
390 Du signe au symbole

 Un lutin, Pirlouit, trouble l'ordre public en chapardant de la nourriture,


en jouant des tours aux gens et en leur faisant peur (p. 3 et 7).
 Le second est l'enlèvement de la princesse Anne (p. 14).

Ces deux problèmes sont liés :

 Le coupable semble être chaque fois le même Pirlouit ;


 L'ordre public du royaume n'est pas simplement perturbé par un lutin
farceur, il est mis en danger par bon nombre de conspirateurs liés à un
vassal qui désire s'emparer d'une partie des terres du Roi.

Les péripéties et leur amplification

1. Johan quitte le château et rencontre François, le bûcheron (p. 3). Johan


est la personnification du moi, principe conscient, point de départ de toute
initiative, et représente les potentialités du psychisme prêtes à se dévoiler.
On peut y voir aussi le travail de l'imagination nous invitant à découvrir la
vérité cachée derrière les apparences (JULIEN, 1989 : 50) Il est le point de
départ de cette histoire. Comme le Bateleur des Tarots, il ouvre le jeu par
ses gestes et par sa parole. Il est le meneur d'un monde illusoire et
représente aussi bien l'habilité que l'initiative personnelle.

« Le nombre Un est celui de la cause première et si, sur le plan psychologique ou


divinatoire, le bateleur désigne le consultant, sur le plan de l'Esprit, il manifeste le mystère
de l'Unité. » (CHEVALIER & GHEERBRANT, 1982 : 86)

2. François, Johan et le Roi sont victimes des tours joués par Pirlouit (p.
4-7). Pirlouit est le lutin du bois aux roches. Le lutin est une figure
fréquente de nos contes. Ce mot est proche du terme mutin. Il n'a
effectivement pas le sens de la discipline et demeure très souvent
insoumis à toute autorité. Il s'agit d'un enfant vif et espiègle. De fait, ce
démon malicieux aime taquiner de façon narquoise. Il harcèle la
population de petites privautés par manière de plaisanterie. Ce personnage
se retrouve aussi bien dans nos Ardennes (les nutons), que dans les
folklores cabaliste (les gnomes), breton (les korrigans) ou provençal (les
farfadets). Il hante littéralement les folklores anglo-saxon (imp, elf,
goblin), germanique (kaboutermannetje, kwelduivel, dwerg, kobolds,
zwerg), irlandais (drows) et nordique (alf, troll). De taille anormalement
petite, cette figure de nain renvoie à la petite enfance. Elle renvoie
également à ce carotteur rusé quelque peu fourbe et escroc : le trickster.
Pirlouit présente effectivement les diverses facettes du trickster.

« Such a trickster as Coyote, therefore, may appear in any one of three roles: the beneficent
Culture Hero, the clever deceiver, or the numskull. As we look at these incidents, we find

390
Sémiologie et herméneutique 391

that this mixture of concept is continually present, so that any series of adventures is likely
to be a succession of clever tricks and foolish mishaps » (THOMPSON, 1977, 319).

Le trickster est aussi une figure importante des contes de fées.

« Undoubtedly the most characteristic feature of the tales of the North American Indians is
the popularity of trickster stories. We cannot speak of a definite, all-inclusive trickster tale,
or even with any strictness of a trickster cycle. Nevertheless, there does exist over the
western two-thirds of the continent a considerable body of widely known anecdotes told in
various areas as the adventures of different tricksters. Best known of all of these is Coyote,
familiar to the tribes of California, the Southwest, the Plateau, and the Plains. On the
North Pacific Coast the trickster is also the Transformer-Raven or Mink or Blue Jay.
Variations on the trickster'sname are frequent in the Plains, where he appears as Old Man
(Blackfoot and Crow), Nihansan (Arapaho), Inktomi (Siouan tribes), or Sitkonski
(Assiniboin). In the Central Woodlands the adventures are usually ascribed to Manabozho
or Wiskedjak (sometimes written Whiskey Jack). » (THOMPSON, 1977 : 319)

Pirlouit est présenté en ce récit comme une figure dionysiaque. Par certains
de ses traits, il s'apparente au dieu Pan de la mythologie. L'hymne
homérique écrit en l'honneur de celui-ci le donne pour un dieu joyeux et
bruyant. Comme Pirlouit, Pan élisait domicile dans tous les lieux sauvages,
halliers, forêts et montagnes. C'était un musicien merveilleux qui jouait des
mélodies plus douces que le chant du rossignol. Aimant la musique,
Pirlouit n'a guère les qualités de son illustre prédécesseur. Pan était
perpétuellement amoureux mais toujours éconduit à cause de sa laideur.
Cet aspect n'apparaît guère en la personne de Pirlouit. La morale et la
censure relatives aux publications pour la jeunesse de l'époque ne lui
permettent pas d'afficher ses appétences au niveau sexuel. Pirlouit se fait
d'abord connaître par ses cris. Insouciant, Pan adorait faire la sieste à l'abri
des bosquets et effrayait ceux qui le dérangeaient en poussant des cris
terribles. Les sons entendus la nuit, dans les lieux sauvages, étaient censés
venir de lui et l'expression « terreur panique » tire son origine des frayeurs
qu'ils pouvaient occasionnés. De son nom dérive également la panacée,
remède universel et stade du processus alchimique caractérisé par le
pouvoir de guérir par simple attouchement ou par la volonté. Dans les
litanies orphiques, il est invoqué comme le grand principe régulateur, le
premier principe d'amour. Il est le pouvoir générateur de l'univers et
l'origine de toutes choses (HAMILTON, 1978 : 38) (JULIEN, 1992 : 460-
462). Pirlouit, chevauchant Biquette, s'apparente également aux Satyres et
aux Faunes. Comme Pan, ceux-ci étaient des hommes-chèvres qui vivaient
dans les lieux sauvages de la terre. Les Satyres symbolisent la force
expansive de la nature et des êtres vivants. Ces dieux champêtres,
bienveillants, étaient les protecteurs des troupeaux.

« Sensuels, paresseux, lubriques, lâches, malicieux, ils taquinaient les humains et


participaient activement aux orgies dionysiaques [...] Comme tous les personnages
équivoques qui forment le monde dionysiaque, les Satyres personnifient la brutalité de

391
392 Du signe au symbole

l'instinct et les débordements de la nature. Ils symbolisent l'animal qui se cache au fond de
l'homme, se manifestant, en concupiscence charnelle, avec toutes ses violences brutales,
qui rend l'homme semblable aux bêtes, quand elle n'est pas équilibrée par la puissance
spirituelle » (JULIEN, 1992, 525).

3. Johan tend un piège à Pirlouit, parvient à l'attraper et lui propose de


devenir le fou du Roi (p. 8-13)

Cette saynète semble illustrer de mille et une façon le dicton "qui est pris
qui croyait prendre". La compassion de Johan pour le triste sort de
Biquette met fin au combat. La fonction sentiment se manifeste une
première fois pour mettre ainsi un terme aux engagements.

4. Johan voudrait parler au Roi de la proposition faite à Pirlouit, mais ne


parvient pas à se faire entendre (p. 14)

Le Roi est malade et Johan ne peut faire part des entretiens qu'il a eu avec
Pirlouit. De fait, la conscience collective et sa fonction dominante ne sont
pas encore prêtes à entendre le discours novateur de Pirlouit.

5. Pirlouit est faussement accusé (p. 15)

Au contraire, Pirlouit demeure accuser de tous les maux qui accablent la


société. Il demeure le bouc émissaire sur qui chacun peut projeter ses
fautes.

6. Johan et Pirlouit recherche les vrais coupables et obtiennent de


l'information (p. 17-20)

D’un point de vue relationnel, le moi conscient acquiert une meilleure


assurance. Le sentiment de culpabilité laisse place à la lucidité. Sur le plan
du sujet, ce n’est que par une véritable démarche introspective qu’on peut
finalement découvrir son ombre.

7. Johan et Pirlouit se rendent chez Waltriquet et rencontrent le


chevalier Piéfroy (p. 21)

D’un point de vue relationnel, la culpabilité vécue par l’enfant est


confrontée à l’avidité de l’adulte. Ainsi, le chapardage laisse place à
l’avidité et à la cupidité. « Voler un œuf n’est nullement la même chose que
voler un bœuf ! » Sur le plan du sujet, la rencontre avec l'ombre est
toujours pénible. Pourtant elle est nécessaire si l'on veut intégrer en soi les
parties jusqu'alors refoulées. Ce voyage dans le royaume des ombres
s'avère dès lors nécessaire.

392
Sémiologie et herméneutique 393

8. Johan combat Piéfroy pour lui faire avouer (p. 22-23)

D’un point de vue relationnel, le sujet abandonne ses « bonnes intentions »


pour adopter une attitude plus pragmatique et plus réaliste. Par contre, du
point de vue introverti, en face de son ombre, l’incarnation héroïque de la
conscience a de prime abord tendance à la combattre ou à la réfuter. Cette
attitude se révèle toujours mauvaise. Elle conduit à une impasse.

9. Johan est prisonnier de Waltriquet (p. 24)

L'archétype de l'ombre, tant qu'il n'est pas intégré à la conscience, demeure


toujours le plus fort. Combattre son ombre, c'est combattre un complexe
d'éléments psychiques dont l'énergie et la force dépassent de loin celles du
moi.

Le point culminant de l'action (p. 25-39)

1. Pirlouit essaie de libérer Johan et la princesse (p. 25 + 27-34)

En matière de relations, être conscient des effets pervers du refoulement


n’est pas suffisant. De même, d’un point de vue introverti, c'est seulement
en acceptant une partie des éléments jusqu'alors refoulés que l'on peut
arriver à entrevoir son anima. Ceci n'est cependant pas suffisamment pour
venir à bout de son ombre.

2. Pirlouit va prévenir le Roi et confond le chevalier et les deux soldats (p.


37-39)

Faut-il encore en prendre totalement conscience en intégrant certaines


parties liées au Surmoi, à l’idéal du moi et au ça. Cette démarche nécessite
dans ce cas-ci que le principe de plaisir s’accompagne du principe de
réalité. Sur le plan du sujet, cela nécessite aussi pas mal de remises en
question par rapport au moi. Voir son ombre de face et l’accepter, c’est
transformer des énergies psychiques négatives en libido positive. Ces
énergies sont nécessaires pour générer un changement de mentalité.

Le dénouement (p. 40-46)

1. Le combat et la libération définitive (p. 40-43)

393
394 Du signe au symbole

Les troupes du Roi et Pirlouit délivrent enfin Johan et la princesse Anne.


Waltriquet, cet homme superficiel, brutal et cruel, qui ne vit que pour les
choses matérielles, a établi un rapport négatif avec la nature. Les
catastrophes qui lui arrive proviennent de son attitude exclusivement
matérialiste et malsaine envers la vie.

« […] tous ceux qui useront de l'épée, périront par l'épée » (MATTHIEU, 26 : 52)

Waltriquet qui voulait s'accaparer des terres du Roi voit ses terres envahies
par le Roi. Il perd tout. Cette épreuve qui lui est ainsi infligée nous suggère
une consommation modérée des biens matériels, seule capable de nous
mettre en quête de la princesse, du bonheur.

Emporté par son cours naturel, le mal finit toujours par se détruire lui-
même ; il faut laisser la nature suivre son cours. L'ombre de l'être humain
est généralement liée à une certaine cupidité sur le plan du sexe, du
pouvoir ou de tout autre chose. Une libido cupide ressemble à un feu qui se
consume et s'anéantit lui-même. Ainsi dans le cas de Wassilissa, ses demi-
soeurs, qui l'avaient envoyée chez Baba Yaga pour qu'elle s'y fasse
dévorer, subissent le sort même qu'elles avaient souhaité à leur victime.
(von FRANZ, 1980 : 295-296)

2. À la poursuite de Guillaume (p. 43-45)

Biquette, cet animal capricieux, symbole de la générosité des pulsions


instinctives, parvient à maîtriser Guillaume, symbole de la pensée
pervertie. Ce n'est qu'en acceptant l'apport de son animalité, que l'on évite
les dangers d'une raison extrême.

3. Pirlouit devient le fou du Roi (p. 46)

Lorsque la société ou la personne n'est pas capable de s'assumer


totalement, le bouffon sert de bouc émissaire. En lui, la société immole la
partie gênante d'elle-même. Mais le bouffon ne s'élimine pas par la
violence, ni par le ridicule. Le personnage du bouffon est l'autre face de la
réalité, celle que la situation acquise fait oublier et qui se rappelle à
l'attention de la conscience déchirée. Le bouffon, quand il désarçonne,
oblige à chercher l'harmonie intérieure à un niveau d'intégration supérieur.
Il n'est pas simplement un personnage comique, il est l'expression de la
multiplicité interne de la personne et de ses discordances cachées. Tout ce
qu'il représente doit être intégré dans un ordre nouveau, plus compréhensif,
plus humain (CHEVALIER & GHEERBRANT, 1982 : 113).

394
Sémiologie et herméneutique 395

En intégrant cette part d’ombre, le sujet devient du même coup adulte.


L’adolescent incarné par Johan, la red Horn, laisse place aux Twins,
incarnés par le couple formé par Johan et Pirlouit.

Conclusions au plan de l'objet et au plan du sujet

1. Sur le plan de l'objet : la quête de la reconnaissance et la libération


libidinale

La princesse représente l'objet du désir. Si, pour Waltriquet, le désir est


avant tout la satisfaction de ses besoins égoïstes, pour Johan et Pirlouit,
cette satisfaction est de l'ordre du sentiment. Seule l'affection peut octroyer
une véritable reconnaissance et tous les biens de la terre ne satisferont
jamais ce besoin.

2. Sur le plan du sujet : Le désordre au plan de la conscience et la double


acquisition.

Une part d'ombre, liée à la fonction sensation, se métamorphose en


trickster. Une autre part, liée à la fonction sentiment (anima), est
également rendue à la conscience. L'Un se transforme en totalité. La
conscience a pris contact avec son ombre.
L'unité, représentée par Johan, laisse place à la fin à une quaternité. Cette
quaternité est constituée du Roi, symbole de la conscience collective, des
deux twins et de l'anima. Les quatre fonctions sont ainsi présentes : le Roi
représente l'ordre et l'autorité. C'est la fonction pensée. Johan et Pirlouit
sont au service du Roi et donc au service de la fonction pensée. Ils
représentent respectivement les fonctions intuition (Johan pressent ce qui
va arriver) et sensation [Pirlouit aime manger (p. 9), chanter (p. 13) et
accorde de l'importance à la manière de s'habiller (p. 46)]. La princesse
Anne représente la fonction sentiment qui était jusqu'alors refoulée dans
l'inconscient (château de Waltriquet).

395
396 Du signe au symbole

Roi
(fonction pensée)

Johan Pirlouit
(fonction intuition) (fonction sensation)
Concient____________________________________________
Inconscient

Anne
(fonction sentiment)

L'histoire pourrait tout aussi bien être représentée par le graphique


suivant :

Le vieux Roi
Symbole de la conscience collective


les personnages  la princesse  les personnages
déloyaux loyaux
Les ombres L'anima Les héros

La quaternité
Le Soi

L'image archétypale du Roi incarne la dominante du conscient collectif. Il


est un symbole concret du Soi. Il unit en lui-même les opposés ; mais s'il perd
de sa force, il ne remplit plus sa fonction et les opposés recommencent à se
séparer. Comme le Roi est ici à l'apogée de sa puissance, il parvient à
réconcilier les contraires. Certes, son royaume vacille un moment. Du moins,
il est en danger. Mais le Roi dispose de suffisamment de forces pour maintenir
l'ordre et la paix. Grâce à cela, il peut intégrer le fou (le trickster) et l'anima et
retrouver les attributs de la totalité. Sa couronne est sauvegardée.

« C'est ainsi que la conscience progresse et intègre les circonstances extérieures nouvelles
et les poussées intérieures de croissance : l'unité du moi s'écroule, il se produit un chaos et
les diverses tendances entrent en lutte, jusqu'à ce que l'inconscient propose (le plus souvent
au moyen du rêve) un symbole qui corresponde mieux au stade actuel, de sorte que le moi
se trouve à nouveau porté par le flot de la vie et oeuvre à son service. » (von FRANZ,
1980 : 60)

396
Sémiologie et herméneutique 397

Dans La voie de l'individuation dans les contes de fées, Marie-Louise von


Franz montre bien que la recherche aventureuse de la Princesse est le symbole
de cette aventure qu'est la réalisation de la totalité dénommée par Jung le Soi,
qui est le but de l'individuation. Comme Perceval, Johan, après avoir délivré
la belle princesse d'un horrible ennemi, la délaisse. Il n'est pas encore mûr
pour le mariage. C'est un jouvenceau. Tel Tristan, il se contente d'emmener la
belle Iseult à son Roi. Aucun filtre d'amour ne va infléchir sa tâche.
Cependant, comme le tailleur et le cordonnier dans Les deux compagnons,
Johan et Pirlouit font dorénavant route ensemble. Mais à l'inverse des
personnages du conte, leur différent s'estompe et ils finissent par se compléter.
De leur opposition est née la complémentarité et l'acceptation de leur
différence. Cette intégration se fait par l'intermédiaire du sentiment représenté
par la princesse Anne. C'est en délivrant celle-ci que Pirlouit se fait
définitivement accepté par le Roi. Il est finalement adopté et reçoit en présent
de bienvenue un costume de bouffon. Sa folie régnera dorénavant à la cour.
Elle est intégrée à la conscience...

Concernant l’auteur, Peyo, il est intéressant de noter que le graphique


obtenu à la fin de cette histoire est diamétralement inverse du cadre dans
lequel s’inscrivent les différents registres de cette œuvre (voir le sixième
ratissage !) Si la fonction pensée domine le petit royaume de papier, elle n’est
pas la fonction dominante dans le chef de l’auteur. Comme chez un certain
nombre d’artistes, c’est la fonction sentiment qui s’avère être la fonction
dominante chez Peyo. Ce qui explique l’abondance de qualificatifs liés au
registre du passionnel. Son imaginaire, issu de son inconscient, représente une
société liée à sa fonction inférieure, la fonction pensée ! Celle-ci est en phase
avec la société belge des années cinquante, dont la fonction dominante est
bien la fonction pensée, comme dans la plupart des sociétés occidentales de
cette époque, même si l’œuvre de Franz Kafka et la pensée philosophique de
Max Horkheimer en dévoilent les dérives (HORKHEIMER, 1974). Pour
rappel, il s’agit encore d’une société patriarcale dominée par les fonctions
masculines (pensée et sensation) et dont les principaux médias d’information
sont essentiellement associés au digital (Presse écrite et radiophonique). En
Belgique, la télévision connaît ses premiers balbutiements en novembre 1953,
c’est-à-dire à la veille de la réalisation du troisième album de cette série.
L’autre média audiovisuel, le cinéma, demeure essentiellement cloitré dans le
domaine du divertissement, malgré quelques « actualités »
cinématographiques. Notons également que ces deux médias visuels
présentent encore des cadres fixes : 1,33 pour la télévision et 1,37 pour le
cinéma cinéma.
Concernant le psychisme de l’auteur, nous obtenons finalement le schéma
suivant :

397
398 Du signe au symbole

Passionnel
(fonction sentiment)

Merveilleux Biologique
(fonction intuition) (fonction sensation)
Concient____________________________________________
Inconscient

Rationnel
(fonction pensée)
Roi

Johan Pirlouit
(fonction intuition) (fonction sensation)

Anne
(fonction sentiment)

Peyo est un auteur conscient dont la fonction sentiment est dominante,


tandis que la fonction pensée est sa fonction refoulée. Par le biais de la série
Johan et Pirlouit, il peut pleinement exprimer son univers inconscient, tout en
conservant sa part de passion et de merveilleux. Il sera malheureusement par
la suite submergé par son refoulé sous la forme de petits schtroumpfs qui
exprimeront surtout dans son chef un apport financier non négligeable et
finiront par le tuer en le rendant en quelque sorte esclave de l’appât du gain
dont l’argent est une expression de la fonction pensée. Il se tuera au travail
pour quelques dollars de plus en pensant à sa famille et en rêvant toujours à
ses deux personnages fétiches, dont Pirlouit, cet enfant qu’il portait en lui,
amalgame de Till l’espiègle, de Peter Pan et de puer aeternus au sourire
moqueur.

398
Sémiologie et herméneutique 399

Conclusions

Les doubles jeux de la connaissance


(MORIN, 1986 : 139-152)

Pour Edgar Morin,

« [...] la connaissance par l'analogie est une connaissance du semblable par le semblable
qui détecte, utilise, produit des similitudes de façon à identifier les objets ou phénomènes
qu'elle perçoit ou conçoit. » (MORIN, 1986 : 139)

Partant de cette définition, Edgar Morin s'intéresse aux rapports entre


l'analogie et la logique, la compréhension et l'explication, la projection et
l'identification. Il s'intéresse également à la mimésis et à la double pensée
Mythos-Logos.

Le terme analogie contient des sens différents :

1. Elle peut être dans les propositions similaires et les rapports égaux ;
2. Elle peut être de formes ou configurations. On peut à partir de ces
analogies établir des isomorphismes et des homéomorphismes ;
3. Elle peut être organisationnelle ou fonctionnelle. Elle permet alors
d'établir des homologies ;
4. Elle peut figurer au sein des jeux d'analogies libres, spontanées, ayant
valeur suggestive, évocatrice, affective, comme les métaphores
poétiques ou littéraires (MORIN, 1986 : 139).

L'esprit/cerveau utilise et combine ces divers types d'analogies dans ses


processus cognitifs. L'élaboration de la perception s'effectue par analogie
identificatrice des formes perçues à des modèles. La compréhension est une
connaissance emphatique/sympathique des attitudes, sentiments, intentions,
finalités d'autrui. Elle est apportée par une mimésis psychologique qui permet
de reconnaître ce que ressent un autre que soi.

399
400 Du signe au symbole

La compréhension comporte une projection (de soi sur autrui) et une


identification (d'autrui à soi). C'est dans cette boucle qu'un ego alter (autrui)
devient un alter ego (autre soi-même). La compréhension se meut
principalement dans les sphères du concret, de l'analogique, de l'intuition
globale, du subjectif (MORIN, 1986 : 144) (MORIN, 1986 : 149). La
compréhension doit être combinée avec des procédures de vérification et
d'explication.
L'explication est un processus abstrait de démonstrations logiquement
effectuées, à partir de données objectives, en vertu de nécessités causales
et/ou d'une adéquation à des structures ou modèles (MORIN, 1986 : 149).

Compréhension Explication
concret abstrait
analogique logique
saisies globales saisies analytiques
prédominance de la conjonction prédominance de la disjonction
projections/identifications démonstrations
implication du sujet objectivité
plein emploi de la subjectivité désubjectivation
(MORIN, 1986 : 150)

En conclusion, de la perception à la pensée consciente, la connaissance


associe des processus analogiques/mimétiques et des processus
analytiques/logiques qui sont deux types d'intelligibilité, l'une compréhensive
et l'autre explicative. Ces deux types d'intelligibilité sont à la fois contenues
l'une dans l'autre, opposées et complémentaires, comme le blanc et le noir
dans le yin-yang. Toutes deux sont à l'œuvre dans les deux grands systèmes
de pensée : la pensée symbolique/mythologique/magique, et la pensée
empirique/logique/rationnelle (MORIN, 1986 : 152).

La double pensée
(MORIN, 1986, 153-199)

Dans toutes les civilisations archaïques, nous trouvons le problème clé


entre deux modes de connaissance et d'action, l'un symbolique, mythologique,
l'autre empirique, rationnel. La pensée est à la fois une et double :

 empirique/technique/rationnelle ;
 symbolique/mythologique/magique.

C'est seulement dans les développements ultimes de l'histoire occidentale


qu'une opposition se constitue entre la raison et le mythe et que la rupture
s'opère entre science et religion. Dès le XIXe siècle pourtant, la philosophie
découvre l'importance du mythe et interroge son mystère. En fait, le mystère

400
Sémiologie et herméneutique 401

du mythe envahit celui qui le considère de l'extérieur, alors que, de l'intérieur,


ce mythe est vécu, non comme mythe, mais comme vérité.

« La relation entre mythos et logos devient obscure dès qu'on perçoit, non seulement leurs
antagonismes, mais aussi leurs complémentarités et leurs interférences. » (MORIN, 1986 :
155)

La pensée symbolique
(MORIN, 1986 : 155-166)

Toute computation traite des signes et des symboles.

 Le signe porte en lui la distinction entre sa réalité propre et la réalité


qu'il désigne. L'idée de signe prédomine dans le sens indicatif et
instrumental et règne dans l'univers de la pensée empirique. Dans le
sens instrumental du nom, il y forte distinction entre le signe (le mot
n'est qu'un mot), le sens (qui n'est pas la chose) et la chose ;
 Le symbole porte en lui la relation forte entre sa réalité propre et la
réalité qu'il désigne. L'idée de symbole règne dans un sens évocateur et
réside dans l'univers de la pensée symbolique, magique. Dans le sens
évocateur du nom, il y a adhérence, contamination et coagulation de
l'un dans l'autre du signifiant (signe arbitraire), du signifié (sens) et du
référent (la chose nommée). Le référant est dans le signifiant qui est
dans le signifié.

« L'originalité de la computation cérébrale n'est pas seulement de traiter ces


signes/symboles de façon extraordinairement complexe, elle est aussi de produire des
représentations, qui, dans la perception, se projettent sur le monde extérieur et s'identifient
à la réalité perçue. Ressuscitée par et dans la remémoration, la représentation restitue, en
dépit de leur absence, la présence concrète des êtres, choses et situations qu'elle évoque.
L'esprit humain habite le langage, vit le langage, et se nourrit de représentations. Les mots
sont à la fois des indicateurs, qui désignent les choses, et des évocateurs, qui suscitent la
représentation de la chose nommée. C'est dans ce sens évocateur que le nom a une
potentialité symbolique immédiate : en nommant la chose, il fait surgir son fantôme, et, si
le pouvoir d'évocation est fort, il ressuscite, bien qu'elle soit absente, sa présence concrète.
Le nom est donc ambivalent par nature. De même, toute figuration iconique est à la fois
potentiellement indicative et symbolique, et elle peut devenir l'une ou l'autre. « (MORIN,
1986 : 155-156)

401
402 Du signe au symbole

L'esprit humain éprouve sans cesse le double pouvoir des mots :

 Tantôt le pouvoir indicatif domine, et le pouvoir évocateur devient


récessif ou virtuel. La pensée devient abstraite ou technique et efface
même les mots au profit des signes mathématiques ;
 Tantôt le pouvoir évocateur domine, et le pouvoir indicatif se met à son
service. Le langage devient poétique et les mots sont intensément
chargés de la présence, de la vérité et de la vertu de ce qu'ils
symbolisent.

Les deux sens opposés correspondent à deux modes existentiels :

 Le mode instrumental de connaissance s'exerce sur les objets du monde


extérieur ;
 Le mode subjectif de connaissance participe à la concrétude et au
mystère du monde.

Relevons les principaux caractères du symbole :

1. Le symbole comporte une relation d'identité avec ce qu'il symbolise. Il


est ce qu'il symbolise ;
2. Le symbole suscite le sentiment de présence concrète de ce qui est
symbolisé. Il constitue une implication de la totalité qu'il rend présente ;
3. Le symbole est apte à concentrer un coagulum de sens, c'est-à-dire une
constellation de significations et de représentations liées
symboliquement par contiguïté, analogie, imbrication, englobement ;
4. Le symbole possède une résistance à la conceptualisation. L'utilisation
du symbole ne relève ni des règles formelles de la logique, ni des
catégories de la pensée empirico-rationnelle ;
5. Le symbole a souvent une fonction communautaire. Il "devient
signifiant d'une structure sociale à laquelle il appartient" (ORTIGUES,
1962 : 63).

Une théorie du symbole devrait marquer les distinctions et les connexions


entre la représentation, l'imaginaire, et le symbole. La pensée symbolique, de
même que la pensée mythologique (qui lui est liée), est reconnue comme une
pensée autre par des esprits aussi différents que Caillois (1938), Cassirer
(1972, 1973), Castoriadis (1978), Corbin (1979), Durand (1963), Éliade
(1963, 1975 et 1986), Gadamer (1976, 1982), Lévi-Strauss (1958),
Wittgenstein (1977) en même temps qu'une pensée profondément nôtre
comme l'ont vu les psychanalystes (Adler, Bettelheim, Diel, Dolto, Freud,
Ferenczi, Fromm, Henderson, Hillman, Jacobi, Jung, Klein, Lacan,
Valabrega, von Franz). La pensée symbolique est aussi une pensée
mythologique. Mythe et symbole s'entr'appellent.

402
Sémiologie et herméneutique 403

Le mythe
(MORIN, 1986 : 158-163)

Mythos et Logos signifient à l'origine parole, discours. Logos devient


ensuite le discours rationnel, logique et objectif de l'esprit pensant un monde
qui lui est extérieur. Mythos constitue le discours de la compréhension
subjective, singulière et concrète d'un esprit qui adhère au monde et le ressent
de l'intérieur (MORIN, 1986 : 158). Le mythe possède les mêmes
caractéristiques que le symbole. Tout en l'englobant, le mythe dépasse la
sphère du symbole. Il constitue un récit ou une source de récits qui enchaîne
des symboles. Alors que la pensée symbolique déchiffre des symboles (les
astres, les tarots, les lignes de la main, etc.), la pensée mythologique tisse
ensemble symbolique, imaginaire et réel. Les mythologies sont des récits qui
racontent l'origine du monde, l'origine de l'homme, son statut et son sort dans
la nature, ses relations avec les dieux et les esprits. Elles concernent aussi
l'identité, le passé, le futur, le possible, l'impossible, et tout ce qui suscite
l'interrogation, la curiosité, le besoin et l'aspiration. Elles transforment
l'histoire d'une communauté, d'une cité, d'un peuple, la rendent légendaire. La
pensée mythologique obéit à une polylogique et à des principes organisateurs,
les paradigmes.

« Le paradigme est constitué par une relation spécifique et impérative entre les catégories
ou notions maîtresses au sein d'une sphère de la pensée, et il commande cette sphère de
pensée en déterminant l'utilisation de la logique, le sens du discours, et finalement la vision
du monde. » (MORIN, 1986 : 160)

Ces paradigmes sont :

1. L'intelligibilité par le vivant, par le singulier, par le concret. Le mythe


ne fait nullement appel au principe à une causalité générale, objective et
abstraite : ce sont toujours des entités vivantes qui, par leur actes
concrets, et dans des événements singuliers, suscitent des phénomènes
et créent le monde ;
2. Le principe sémantique généralisé qui élimine tout ce qui n'a pas de
sens et donne signification à tout ce qui arrive. Tous les événements
sont des symboles et des messages qui nécessitent une interprétation.
La pensée mythologique ordonne sa vision de l'homme, de la nature et
du monde à partir de deux paradigmes :
2.1. Le paradigme anthropo-socio-cosmologique d'inclusion
réciproque et analogique entre la sphère humaine et la sphère
naturelle ou cosmique. L'univers mythologique est animiste et
permet les métaphores entre humains, animaux, plantes et choses.
Le processus fondamental de projection-identification est à l'œuvre

403
404 Du signe au symbole

dans toute mythologie. Le mythe projette la subjectivité humaine


sur le monde extérieur. L'analogie anthropo-socio-cosmique s'est
systématisée, en vision du monde, selon deux modalités :
2.1.1. L’astrologie qui établit une correspondance entre les astres
et les événements sociaux, politiques, militaires ou
individuels ;
2.1.2. La philosophie qui établit une correspondance entre le
microcosme et le macrocosme.
2.2. Le paradigme d'unidualité dont :
2.2.1. Le premier niveau, individuel, est l'identité et l'altérité, en
chacun, de sa propre personne et de son double. Le double
n'est pas seulement l'ombre, c'est aussi cet alter ego qui se
sépare du corps pendant les rêves et qui échappe, après la
mort, à la décomposition en survivant comme spectre ;
2.2.2. Le deuxième niveau, cosmique, est l'unité et la dualité de
l'Univers qui est à la fois Un et double dans sa réalité
empirique et sa réalité mythologique. Le temps du mythe est
celui du in illo tempore, temps originel, passé et toujours
présent. Temps cyclique et non irréversible. L'espace du
mythe permet l'ubiquité, l'invisibilité et la métamorphose.
Ainsi, il y a un dédoublement mythique de l'espace et du
temps dans le maintien de leur unité.

La conjonction des deux paradigmes produit des nœuds gordiens où ils


s'associent étroitement pour constituer les grandes catégories de la pensée
mythologique :

1. Le divin ou les dieux sont à la fois des projections animistes sur les
phénomènes naturels et des spectres corporels issus du développement
social de certains doubles. Ils disposent des pouvoirs surnaturels, des
pouvoirs propres aux forces naturelles, et des qualités inhérentes aux
doubles, dont l'invisibilité, l'ubiquité et l'amortalité qui devient
l'immortalité ;
2. Le sacrifice défie l'entendement rationnel et comprend aussi bien le
sacrifice volontaire de soi que le sacrifice (propitiatoire ou expiatoire)
imposé à une victime (GIRARD, 1972 et 1978). Sacrifice pour les
dieux ou pour la collectivité, il porte en lui la vertu régénératrice ou
fécondante de la mort/renaissance. Il se situe au carrefour de deux
univers qu'il lie par le sang de la victime (SOLIÉ, 1988).

Le mythe s'adresse à la subjectivité. Il concerne la crainte, l'angoisse, la


culpabilité, l'espoir, et leur apporte une réponse. Pour Éliade, le mythe est
essentiellement intégration de l'homme dans le cosmos (ÉLIADE, 1957 et
1963). En fait, il parle aussi de séparation et de désintégration. Il remplit les
énormes brèches que découvre l'interrogation humaine, dont celle de la mort,
en révélant la vie d'au-delà la mort.

404
Sémiologie et herméneutique 405

La magie
(MORIN, 1986 : 164-166)

La magie couvre un très vaste champ d'action et ne se conçoit pas


uniquement à partir du principe du désir. Les pratiques magiques n'inhibent,
en effet, pas le principe de réalité. Le désir doit obéir à des règles pour
s'accomplir. Une logique d'échange et d'équivalence régit la magie, et la
magie correspond à un système de pensée symbolique/mythologique. Il y a six
grandes caractéristiques concernant la magie :

1. La magie se fonde sur l'efficacité du symbole ;


2. La magie se fonde sur l'existence mythologique des doubles et des
esprits : le sorcier met en activité le pouvoir surnaturel de son double
ou il agit sur le double des sujets. Une certaine magie se fonde sur
l'invocation des esprits, le culte aux dieux se fait par le truchement des
reliques et statues ;
3. La magie se fonde sur le caractère analogique du paradigme anthropo-
socio-cosmique :
3.1. Elle se fonde, dans l'envoûtement, sur la nature analogique des symboles
figuratifs comme l'image ou la poupée ;
3.2. Elle utilise la nature analogique profonde de l'univers pour y opérer des
métamorphoses ;
3.3. Elle utilise, dans ses rites opératoires, la mimésis. Ainsi, l'aiguille qui pique la
poupée suscite la blessure chez la personne.
4. Le sacrifice, opération magique, comporte une vérité mythologique
essentielle : le sacrifice rénove la vie, il est agréable aux esprits et aux
dieux et il permet de transférer le mal sur une victime expiatoire ;
5. Les différentes magies du symbole, du double, de l'analogie se
conjuguent dans la plupart des grandes pratiques magiques ;
6. Il y a la magie individualisée sauvant ou perdant des individus et les
magies collectivisées qui protègent les sociétés.

La magie se fonde sur la puissance symbolique du langage, la puissance


analogique du mime, et la puissance synthétique et spécifique du rite, qui
opère le passage, la communication, l'intégration dans l'univers mythologique,
et permet d'établir le commerce avec les esprits (MORIN, 1986 : 166).

405
406 Du signe au symbole

La pensée symbolique/mythologique/magique

Les notions de symbole, mythe et magie se nourrissent les unes des autres
et doivent être reliées pour s'accomplir et former une pensée. Il existe bel et
bien une pensée et un univers symbolique-mythologique-magique. Bien que
notre univers soit désenchanté, mythe et magie sont encore d'actualité car
l'histoire contemporaine modernise la pensée symbolique / mythologique /
magique en différents points :

1. Le mythe persiste dans les régions rurales et réapparaît dans les cités
modernes.
2. L'origine de ces trois notions est revenue dans la poésie sous une forme
esthétique.
3. La psychanalyse, en explorant la psyché, a découvert la présence
inconsciente et permanente d'une sphère symbolique / mythologique /
magique.
4. Les grandes religions constituent des formes historiques de mythologie
et de magie.
5. La nouvelle mythologie de l’État / Nation triomphe actuellement.
L’État / Nation constitue une entité animiste, imprégnée de substance
paternelle / maternelle, se nourrissant du sacrifice de ses héros.
6. Il apparaît aussi une mythologie du Salut terrestre composée d'un
messie (la classe ouvrière), d'un guide (le Parti) et d'une certitude (le
marxisme).
7. Le mythe s'est introduit dans la pensée rationnelle au moment où celle-
ci le chassait de l'univers. Une idée devient mythe lorsque notre
subjectivité lui donne vie et âme. Ainsi, chaque idéologie est dotée
d'une charge affective positive ou négative. Les idéologies scientifiques
et rationalistes s'octroient le réel et deviennent mythe quand elles se
chargent du salut de l'humanité.
8. La pensée mythologique a produit des néo-mythes qui se fixent sur les
idées et leur donnent ainsi plus de sens. Le néo-mythe soutient l'idée
rationnelle tout en la contrecarrant. La pensée rationnelle n'a pas tué le
mythe puisqu'elle est son essence même (MORIN, 1986 : 166-168).

Le mythe naît, non seulement du gouffre de la mort, mais aussi du mystère


de la vie.

406
Sémiologie et herméneutique 407

L'Arkhe-Esprit

Il y a une symbiose entre pensée rationnelle et pensée mythologique car


leur source est commune (l'esprit et les opérations qui le gouvernent). Le
mythe est issu d'un arkhe-esprit qui correspond aux premières formes de
l'activité cérébrale là où les deux pensées ne sont pas encore séparées. On a
longtemps cru que le mythe était une illusion primitive, une pensée archaïque
dépassée, née d'un emploi naïf du langage. En fait, le mythe relève d'une
Arkhe-Pensée toujours vivante. Dans l'Arrière-Esprit, subjectif et objectif ne
sont pas séparés, tout comme l'image et le mot et ceci engendre réification,
projection, etc.
L'Arrière-Esprit ou Arkhe-Esprit est un nœud cérébro-spirituel où les
deux pensées ne sont pas encore séparées et où :

1. le subjectif et l'objectif ne sont pas encore dissociés ;


2. la représentation se confond avec la chose représentée ;
3. l'image et le mot sont à la fois signes/symboles/choses ;
4. le langage n'est pas encore dissocié ;
5. l'activité mentale a tendance à la réification (substantialisation) de la
représentation ;
6. l'activité mentale a tendance à la coagulation symbolique entre image /
mot et chose ;
7. l'activité mentale a tendance à la projection / identification ;
8. l'activité mentale a tendance à croire que l'univers émet des signes,
alors que c'est elle qui extrait les signes des événements. L’Arrière-
Esprit produit ainsi la croyance aux signes (atmosphériques, telluriques,
astrologiques...) ;
9. l'idée de hasard ou celle d'événement dépourvu de sens demeurent
difficilement admises. La pensée rationnelle croit en la causalité des
événements, tandis que la pensée mythologique croit en la
synchronicité des événements ;
10. la connaissance par le semblable et l'identification par analogie
s'imposent inconditionnellement ;
11. la croyance aux métamorphoses se fonde sur l'extrême conservation du
principe d'identité.

Le mythe semble fait de la même texture que les rêves et les fantasmes,
mais ceux-ci demeurent strictement individuels. Le récit mythique ressemble
à un fantasme ou à un rêve, mais il dispose, comme la pensée empirique /
logique / rationnelle, d'une organisation. Il acquiert la consolidation du réel, et
il est intégré / intégrateur dans la vie d'une communauté. La pensée
rationnelle / empirique / technique se polarise sur l'objectivité du réel (plan
objet), tandis que la pensée mythologique se polarise sur la réalité subjective
(plan sujet).

407
408 Du signe au symbole

« Elle effectue le plein emploi de la compréhension, c'est-à-dire non seulement de


l'analogie, mais aussi de la projection/identification, et, utilisant ainsi les moyens de la
connaissance et de la communication intersubjectives, elle établit la communication avec
l'univers subjectivé [...] C'est pourquoi la pensée symbolique/mythologique a toujours un
caractère existentiel. Elle s'adresse, non à l'esprit "pur", mais au nœud gordien qui lie la
psyché et l'affectivité. Elle répond, non seulement aux curiosités, mais aux attentes, appels,
besoins, aspirations, craintes de l'être humain. Ainsi, le mythe relève en même temps du
pensé et du vécu, et il met tout l'être en question dans sa participation au monde. »
(MORIN, 1986 : 171)

Unidualité des deux pensées

Concernant l'activité cérébro-spirituelle, nous pouvons tracer un parallèle


entre les deux modes de pensées :

activité cérébro-spirituelle Empirique / Rationnel Symbolique-mythologique


computation de signes / sym- utilisation instrumentale de utilisation évocatrice de
boles signes symboles
analogique / digital dialogique parentés / identités
analogique / logique analogiques anthropo-socio-
cosmiques
représentation image de la réalité réalité de l'image
souvenir rappel d'un passé devenu réalité fantôme ou
irréel ressuscitée
langage usage instrumental présence de la chose dans le
nom, du nom dans la chose
discours fort contrôle logico- forte compréhension
empirique subjective (projection-
identifica-tion)
action technique magie
(MORIN, 1986 : 173)

408
Sémiologie et herméneutique 409

L'opposition des deux pensées

Empirique / Rationnel Symbolique / mythique


dominance de la disjonction dominance de la conjonction
disjonction réel / imaginaire conjonction réel-imaginaire
[principe de causalité]* [principe de synchronicité]*
conventionnalisation des mots réification des mots
irréalisation des images réification des images
réification des choses fluidité des choses, possibilité de
métamorphoses
isolement et traitement technique des objets traitement magique des objets ; relations
analogiques entre les objets
fort contrôle empirique extérieur fort contrôle du vécu intérieur
fort contrôle logique sur l'analogique fort contrôle analogique sur le logique
pan-objectivisme [plan objet]* pan-subjectivisme [plan sujet]*
(MORIN, 1986 : 173)

La raison coupée du mythe engendre les totalitarismes d'avant-guerre et la


destruction d'Hiroshima par la bombe atomique (HORKHEIMER, 1974). Le
mythe coupé de la raison engendre les sacrifices humains incas et les diverses
séquelles des boucs émissaires (GIRARD, 1972 et 1986) (SOLIÉ, 1988). Le
mythe fait partie de la vie spirituelle, il construit notre réel, nous avons besoin
de subjectivité, de valeur et donc de cette pensée.

Orientations divergentes des deux pensées

Empirique / Rationnel Symbolique / Mythologique


abstraction/généralité concrétude/singularité/individualité
essence existence
relations sociales pratiques relations sociales communautaires
isolement et traitement technique des objets mythe de communauté avec la nature
objectif subjectif
(MORIN, 1986 : 174)

Chacune des pensées doit pouvoir accéder à son complément pour ne pas
être carencée. Comment les considérer ? Edgar Morin envisage l'existence
d'une rationalité qui reconnaisse la subjectivité, d'une raison ouverte à

*
NDLA : les termes entre crochets ont été ajoutés au tableau d’Edgar Morin.

409
410 Du signe au symbole

l'irrationnel. Il évoque une rationalité qui critique la raison. Une rationalité qui
nous permettrait de confronter nos doutes avec nos mythes. Nous avons
besoin de logique mais aussi d'imagination dans nos pensées. La subjectivité
fait les mythes alors que l'objectivité les détruit. Mais l’objectivité a besoin
d'un sujet et celui qui est au centre de la pensée mythologique contrôle la
pensée rationnelle.

410
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2010.
(2010) « Figure et style », article de Wikipédia [en ligne], URL :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Figure_de_style , consulté le 2 février 2010.
(2011) « Rêves », article de Wikipédia [en ligne], URL :
https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%AAve , consulté le 21 octobre 2011.
(2010) « Sémiologie », article de Wikipédia [en ligne], URL :
http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9miologie , consulté le 16 février 2010.
WILKERSON, Richard
(2003) janvier «The Evolution of REM Dreaming: New Research Includes
All Mammals» in Electric Dreams, n°10, vol.1.

440
Sémiologie et herméneutique 441

WILKES, A. L.
(1997) Knowledge in Minds : Individual and Collective processes in
Cognition, Dundee, Univ. press., Univ. of Dundee, p. 47.
WINNICOTT, D.W.
(1975) Jeu et réalité. L’espace potentiel (préface de J.-B. Pontalis) (traduit de
l’anglais par Claude Monod et J.-B. Pontalis), Paris, Gallimard, coll.
« Connaissance de l’inconscient ».
WOLTON, Dominique
(1997) Penser la communication, Paris, Flammarion.
WOO SIK CHUNG et coll
(1990) « Erotic erection versus nocturnal erection » in The Journal of
urology, vol. 143, no2, pp. 294-297.

Liens externes

* (fr)(en) www.signosemio.com - Signo - Site de présentation et de


vulgarisation des principales notions de sémiotique.
* (en) Critical Semiotics - Manuel en ligne d'introduction à la sémiotique de
Scott Simpkins.
* (fr) Glossaire de sémiotique - Glossaire de sémiotique de Pascal Vaillant.
* (fr) Nouveaux Actes Sémiotiques - Revue de sémiotique de l'Université de
Limoges.
* (fr) Site de l'association Horizon Sémiologie - Actualité et articles de
sémiologie.
* (fr) Exemples illustrés d'analyses sémiologiques - Analyse sémiologique et
étude marketing.

JUNG, Carl Gustav – Divers entretiens relatifs aux archétypes sont


disponibles sur YouTube :

 https://www.youtube.com/watch?v=NXKiW0b2x4g (Jung et les


archétypes dans le cinéma)
 https://www.youtube.com/watch?v=zMHqqXYaB8g (Shadow
Projection)
 https://www.youtube.com/watch?v=ZN47s0mPfRU (Animus-Anima
Projection)
 https://www.youtube.com/watch?v=PjRQbJPULx4 (Anima Projection)
 https://www.youtube.com/watch?v=kAPyRryK1HY (The Self
Projection)
 https://www.youtube.com/watch?v=DdeDMFlCZsg
 https://www.youtube.com/watch?v=O67a8_XXqK4 (C.G. JUNG –
The World Within)
 https://www.youtube.com/watch?v=hwAsRnUT_5c (Matter of Heart –
C. JUNG)
 https://www.youtube.com/watch?v=eTBs-2cloEI ( C.G. JUNG – Face
to Face – BBC 1959)

441
442 Du signe au symbole

Annexes en ligne (plate-forme Cleo)

Annexe 1 – Concepts jungiens in SAUCIN, 1995a


Annexe 2 - Questionnaires typologiques de Charles Baudouin in L'Œuvre de
Jung et la psychologie complexe, Paris, Payot, Petite Bibliothèque Payot,
n°265.
Annexe 3 – Barthes, Roland (1964) novembre « Rhétorique de l’image » in
Communications novembre 1964
Annexe 4 - Fresnault-Deruelle, Pierre (1964) Une affiche qui a du tranchant.
Nouveaux Actes Sémiotiques [en ligne]. Recherches sémiotiques. Disponible
sur : <http://revues.unilim.fr/nas/document.php?id=2002>
Annexe 5 – Éveraert-Desmedt, Nicole (2003-2004) « Le scénario de Ben
Laden. Interprétation d’un dessin de presse » in Sémiologie appliquée à
l’audio-visuel, Notes de cours de 2e candidature, Bruxelles, IHECS, CEICS-
cours.
Annexe 6 – Articles de Gritti, Jules (1972-1973) in Presse actualité, Paris,
Bayard Presse.
Annexe 7 – Ringlet, Gabriel (1981) Le Mythe au milieu du village. Bruxelles,
Vie Ouvrière.
Annexe 8 - Analyse d’une affiche publicitaire Délifrance basée sur
l’intégration conceptuelle.

442
Sémiologie et herméneutique 443

Sources iconographiques

Pour les chapitres consacrés au signe iconique et à la théorie cognitive

Figure 1
ALMASY, Paul
1964 Le Péon et le percepteur, Paraguay.
Figure 2
PANZANI
1964 Pâtes, sauce, parmesan à l’italienne de luxe, source : BARTHES, 1964.
Figure 3
LAND-ROVER
s.d. Land-Rover Freelander
Figure 4
KENT
s.d. Kent Lights. An American Blend. KENT, source: MEUNIER & PERAYA,
2004.
Figure 5
INGRES
1856 La Source, Paris, Musée dřOrsay.
SHELL
1930 Shell. La perle des huiles, source : MEUNIER & PERAYA, 2004.
BOTTICELLI
1486 Naissance d’Aphrodite, Florence, Musée des Offices.
Figure 6
s.d. Photographie de familles, Exposition Mille familles,
http://www.photosapiens.com/
Figure 7
Opération 11.11.11
s.d. Que feriez-vous si on coupait l’eau ? Bruxelles, Centre national de
coopération au développement.
Figure 8
1998 Blend in FAUCONNIER & TURNER, 1998.

443
444 Du signe au symbole

Pour le chapitre relatif à l’homme et ses symboles :

La persona p. I
1. « Masque de Kanganaman », moyen Sepik, Nouvelle-Guinée, Amsterdam,
Tropenmuseum in HONOUR Hugh & FLEMING John 1992 Histoire
mondiale de l’Art, Paris, Bordas, p. 635.
2. « Zorro » in DISNEY, Walt 1995 Zorro, le cavalier de la nuit, USA, The
Walt Disney Company /Buena Vista Home Entertainment B.V.
3. « Masque-cimier mboom kuba », République démocratique du Congo,
Tervueren, Musée royal de l’Afrique centrale in HONOUR Hugh &
FLEMING
John 1992 Histoire mondiale de l’Art, Paris, Bordas, p. 645.
4. « Sakagami » in EUROPALIA 1989 Nõ no Hana, Bruxelles, p. 17.
5. « Masque de cérémonie wobe ou grebo », Côte d’Ivoire, Paris, Musée de
l’Homme in HONOUR Hugh & FLEMING John 1992 Histoire mondiale de
l’Art, Paris, Bordas, p. 639.
6. « The Mask (Jim Carrey)» dans RUSSELL, Chuck 1994 The Mask, USA,
New Line Cinema in Télé K7, n° 676, p. 1.
7. « Batman (Michael Keaton) » dans BURTON, Tim 1993 Batman, le défi,
USA, Warner Home Video.
8. « Le Roi Baudouin 1er », photo Belga in LAROUSSE 1977 Larousse
encyclopédique en couleurs, tome 3 , Paris, France Loisirs, p. 928.
9. Les Guignols de l’info de B. Gaccio, B. Delepine, J.-F. Halin, Y. Lecoq et
J.E. Bielle in Télé K7, n°524, p. 21.
10. « Le pape Jean-Paul II » in Télé K7, n°728, p. 34.
Les quatre types de héros p. II
1. « Le Singe dans un spectacle de l’Opéra de Pékin » photo d’Éducation and
Television Films Ltd. in JUNG et alii, 1964 : 112.
2. « Prométhée (coupe du VIe s. av. J.-C.) », Musée étrusque du Vatican in
JUNG et alii, 1964 : 114.
3. « Lancelot (Richard Gere) » dans ZUCKER, Jerry 1994 Lancelot Premier
chevalier, USA, Columbia Pictures in Télé K7, n° 700, suppl. Belgique.
4. Enlèvement des filles de Leucippe de Pierre Paul RUBENS, Munich, Alte
Pinakothek in JUNG et alii, 1964, 115.
5. « Georges (Pascal Duquenne) » dans VAN DORMAEL, Jaco 1995 Le
Huitième jour, Bruxelles, Polygram Filmed Entertainment.
6. « Amadeus Mozart (Tom Hulce) » dans FORMAN, Milos 1984 Amadeus,
USA in Studio, mars 1995, n° 96 S, p. 134.
7. « Che Guevara » in Télé K7, n° 719, p. 95.
8a. « Laurel & Hardy » dans PARROTT, James 1931 Sous les verrous, USA
in Studio, mars 1995, n° 96 S, p. 91.
8b. « Martin Riggs (Mel Gibson) et Roger Murtaugh (Danny Glover) » dans
DONNER, Richard 1989 L’Arme fatale 2, USA.
L’ombre et le mal p. III
1. Saint Georges terrassant le dragon, peinture italienne du XVe s., Londres,
National Gallery in JUNG & alii, 1964 : 122.

444
Sémiologie et herméneutique 445

2. « Al Capone » in HOSSENT, Harry 1974 The Movie Treasury Gangster


Movies, Londres, Octopus Books Ltd, p. 14.
3. « Victor Frankenstein (Kenneth Granach) » dans BRANAGH, Kenneth
1994
Mary Shelley’s Frankenstein, Hilversum, Columbia Trsitar Home Video BV.
4. « Nosferatu (Klaus Kinski) » dans HERZORG, Werner 1978 Nosferatu,
fantôme de la nuit, Paris, Gaumont.
5. « Les Dinosaures » dans SPIELBERG, Steven 1992 Jurassic Park, USA,
Universal City Studios & Amblin Entertainment in Télé K7, n° 578, p. 16.
6. « Le Dr Hannibal Lecter (Anthony Hopkins) » dans DEMME, Jonathan
1990 Le Silence des Agneaux, USA, Orion.
7. « Dr Folamour (Peter Sellers) » dans KUBRICK, Stanley 1963 Dr
Folamour, USA, Columbia.
8. « Gremlins » dans DANTE, Joe 1990 Gremlins II, USA, Warner Bros &
Amblin Entertainment.
Les imagos maternelles p. IV
1. « La Louve du Capitole », Londres, Victoria and Albert Museum in JUNG
& alii, 1964 : 115.
2. « La Reine » dans DISNEY, Walt 1937 Blanche Neige et les Sept Nains,
USA, The Walt Disney Company.
3. « La Fée bleue » dans DISNEY, Walt 1940 Pinocchio, USA, The Walt
Disney Company.
4. La Vierge au chancelier Rolin de Jan van EYCK 1433-1434 Paris, Louvre
in HONOUR, Hugh & FLEMING John 1992 Histoire mondiale de l’Art,
Paris, Bordas, p. 377.
5. « Carabosse » dans « La Belle au bois dormant » in DISNEY, Walt 1965
Pays des merveilles, Paris, Les éditions du Livre de Paris, coll. « Le Monde
enchanté de Walt Disney », p. 23.
6. « Cruella (Glenn Close) » dans DISNEY, Walt 1996 Les 101 dalmatiens,
USA, The Walt Disney Company in Télépro, n° 2247, p. 8.
7. « Mary Poppins (Julie Andrews) » dans STEVENSON, Robert 1965 Mary
Poppins, USA, The Walt Disney Company in Studio, mars 1995, n° 96 S, p.
116.
8. « Mme Rosa (Simone Signoret) » dans MISRAHI, Moshe 1977 La vie
devant soi (d’après le roman d’Émile Ajar), Paris in Studio, mars 1995, n° 96
S, p. 126.
Les imagos paternelles p. V
1. « Le dieu celtique Cernunnos », détail d’un chaudron cultuel, Gundestrup,
Archives Garzanti, Hirmer Fotoarchiv, Scala in CAZENAVE, 1996 : 114.
2. Saturne dévorant un de ses enfants (« peintures noires » de la Quinta del
Sodo) de Francisco GOYA 1820-1823 Madrid, Prado in HONOUR, Hugh &
FLEMING, John 1992 Histoire mondiale de l’Art, Paris, Bordas, p. 555.
3. « Merlin » dans REITHERMAN, Wolfgang 1963 Merlin, l’enchanteur,
USA, The Walt Disney Company.
4. « Moïse (Charlton Heston) » dans DE MILLE, Cecil B. 1955 Les Dix
commandements, USA in Studio, mars 1995, n° 96 S, p. 109.

445
446 Du signe au symbole

5. « L’homme-cerf » dans COMÈS, Didier 1991 Iris, Tournai, Casterman,


coll. « Les romans (À SUIVRE) », p. 56.
6. « Dark Vador (James Earl Jones) » dans MARQUAND, R. 1983 Le Retour
du Jedi, USA, Lucasfilm in PATUREL, Dominique 1983 La Guerre des
étoiles. Le Retour du Jedi. Bande originale de la musique et des effets sonores
du film, Paris, Lucas Film Ltd, p. 1.
7. « Doc Brown (Chirstopher Lloyd) » dans ZEMECKIS, Robert 1989 Retour
vers le futur II, USA, Universal.
8. « Le professeur Henry Jones (Sean Connery) » dans SPIELBERG, Steven
1989 Indiana Jones et la dernière croisade, USA, A Paramount Picture.
De l’anima négative ... à l’anima positive pp. VI et VII
1. Œdipe répondant au Sphinx, peinture française du XIXe siècle, Nuremberg,
Germanisches National-Museum in JUNG & alii, 1964, p. 181.
2. « Sorcière » dans SARNE, Michael 1970 Myra Breckinridge (d’après un
roman de Gore Vidal), USA in LENNE, Gérard 1978 Le sexe à l’écran, Paris,
éd. Henri Veyrier, p. 225.
3. « La Princesse (Maria Casarès) » dans COCTEAU, Jean 1949 Orphée,
Paris.
4. « Catherine Tramell (Sharon Stone) » dans VERHOEVEN, Paul 1991
Basic Instinct, USA in Télé K7, n° 583, p. 5.
5. « Irena Gallier (Nastassja Kinski) » dans SCHRADER, Paul 1981 La
Féline, USA, Universal.
6. « La Vampire (Delphine Seydrig) » dans KUMEL, Harry 1971 Les Lèvres
rouges, Bruxelles in LENNE, Gérard 1978 Le Sexe à l’écran, Paris, éd. Henri
Veyrier, p. 160.
7. « Une Femme mariée (Micheline Presle) et un lycéen (Gérard Philipe) »
dans AUTANT-LARA, Claude 1948 Le Diable au corps, Paris in Studio,
mars 1995, n° 96 S, p. 102.
8. « Éliane (Isabelle Adjani) » dans BECKER, Jean 1983 L’Été meurtrier,
Paris in Studio, mars 1995, n° 96 S, p. 133.
9. « Loana (Raquel Welch) » dans CHAFFEY, Don 1966 Un Million
d’années avant J.-C., USA in LENNE, Gérard 1978 Le Sexe à l’écran, Paris,
éd. Henri Veyrier, p. 155.
10. « Cléopâtre », Giraudon in JUNG & alii, 1964 : 184.
11. « La Déesse Isis », vers 530 av. J.-C., basalte de la 26e dynastie, Caire in
MUSÉES ROYAUX D’ART ET D’HISTOIRE 1985 La Femme au temps des
pharaons, Bruxelles, p. 11.
12. « Athéna », Athènes, Musée d'Olympie in JUNG & alii, 1964 : 185.
13. « Brigitte Bardot », photo de Sam LÉVIN in Studio, n° 113: 5.
14. « Ilsa (Ingrid Bergmann) » dans CURTIZ, Michael 1992 Casablanca,
(1943), USA, MGM/UA HOME Video.
15. La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne de Léonard de VINCI 1508-1510
Paris, Louvre in HONOUR, Hugh & FLEMING, John 1992 Histoire
mondiale de l’Art, Paris, Bordas, p. 415.

446
Sémiologie et herméneutique 447

16. La Joconde de Léonard de VINCI 1503-1506 Paris, Louvre in HONOUR,


Hugh & FLEMING, John 1992 Histoire mondiale de l’Art, Paris, Bordas, p.
416.
De l’animus négatif à l’animus positif pp. VIII et IX
1. « La Bête (Jean Marais) » dans COCTEAU, Jean 1946 La Belle et la Bête,
Paris in Télé K7, n° 701, p. 70.
2. « Abar (Daniel Auteuil) » dans BALASKO, Josiane Ma vie est un enfer,
Paris.
3. « Le Roi (Jean Marais) » dans DEMY, Jacques 1970 Peau d’âne, Paris in
Télé K7 vidéo mensuel, septembre 1997, n°148, p. 26.
4. « Le Clochard » dans DISNEY, Walt 1990 La Belle et le clochard, (1955),
USA, Benevista Home Entertainment.
5. « King Kong » dans COOPER, Merian C. & SCHOEDSACK, Ernest B.
1933 King Kong, Hollywood in Studio, mars 1995, n° 96 S, p. 92.
6. « Dracula (Gary Oldman) » dans COPPOLA, Francis Ford 1992 Dracula,
USA.
7. « François Hainaut (Bruno Cremer) » dans BRISSEAU, Jean-Claude 1989
Noce blanche, Paris, Les films du Losange.
8. « Casanova (Donald Sutherland) » dans FELLINI, Federico 1976 Le
Casanova de Fellini, Rome, Gaumont in Télé K7, 3 février 1997, n° 700, p.
50.
9. « Tarzan (Christophe Lambert) » dans HUDSON, Hugh 1984 Greystoke, la
légende de Tarzan, USA in Studio, mars 1995, n° 96 S, p. 134.
10. « Rudolph Valentino (Rudolph Nureyev) », photo de Barry PEAKE
(United Artists Corporation) extraite de BLAND, Alexander 1977 The
Nureyev Valentino. Portrait of a film, Londres, Cassell & Collier MacMillan
Publishers, coll. « Studio Vista », p. 89.
11. Albert Einstein in Télépro, 29 mars 1997, n°2247, p. 25.
12. « L’Ange Damiel (Bruno Ganz) » dans WENDERS, Wim 1987 Les Ailes
du désir, Paris - Berlin, Argos Films/Road Movies.
13. « Conan le barbare (Arnold Schwarzenegger) » dans MILIUS, John 1981
Conan le barbare, USA.
14. « Edward Lewis (Richard Gere) » dans MARSHALL , Gary 1990 Pretty
Woman, Hollywood, Warner Bross.
15. « Guillaume de Baskerville (Sean Connery) » dans ANNAUD, Jean-
Jacques 1986 Le nom de la rose, Paris, Les films Ariane in Studio, mars 1995,
n° 96 S, p. 134.
16. « Le Christ (Willem Dafoe) » dans SCORSESE , Martin 1988 La
Dernière tentation du Christ, USA, Universal film.
Le Soi et les symboles de totalité p. X
1.a « La Fée marraine » dans DISNEY, Walt 1992 Cendrillon, (1949), USA,
Benevista Home Entertainment B.V.
1.b « Merlin l’enchanteur » dans REITHERMAN, Wolfgang 1963 Merlin
l’enchanteur, USA, The Walt Disney Company.

447
448 Du signe au symbole

2.a « Le Kouros de Ténéa », marbre, v. 570 av. J.-C., Munich, Staatliche


Antikensammlungen und Glyptothek in HONOUR Hugh & FLEMING John
1992 Histoire mondiale de l’Art, Paris, Bordas, p. 109.
2.b « Korê », marbre, v. 510 av. J.-C., Athènes, Musée de l’Acropole in
HONOUR Hugh & FLEMING John 1992 Histoire mondiale de l’Art, Paris,
Bordas, p. 108.
3. Christ de Saint-Jean-de-la-Croix de Salvador DALI 1951 Huile sur toile,
Glasgow, The Glasgow Art Gallery in DESCHARNES, Robert et NÉRET,
Gilles 1990 Salvador Dali 1904 - 1989, Cologne, Benedikt Taschen, p. 165.
4. Adam et Ève de Jan van EYCK 1432 Huile sur panneau en bois, Gand,
Saint-Bavon in HONOUR, Hugh & FLEMING John 1992 Histoire mondiale
de l’Art, Paris, Bordas, p. 377.
5. « Yoda (Frank Oz) » dans MARQUAND, R. 1983 Le Retour du Jedi, USA,
Lucasfilm in PATUREL, Dominique 1983 La Guerre des étoiles. Le Retour
du Jedi. Bande originale de la musique et des effets sonores du film, Paris,
Lucas Film Ltd, p. 9.
6.a « Lolita (Sue Lyon) » dans KUBRICK, Stanley 1962 Lolita, USA.
6.b « Tadzio (Björn Andresen) » dans VISCONTI, Luchino 1971 Mort à
Venise, Italie in Studio, mars 1995, n° 96 S, p. 121.
7. « Superman » de SIEGEL, Jerry et SHUSTER , Joe 1942 USA, DC Comics
in GAUMER, Patrick et MOLITERNI, Claude 1994 Dictionnaire mondial de
la Bande Dessinée, Paris, Larousse, jaquette.
8.a « Akhenaton », v. 1375 av. J.-C., statue en grès de Tell el-Amarna, Le
Caire, Musée égyptien HONOUR, Hugh & FLEMING John 1992 Histoire
mondiale de l’Art, Paris, Bordas, p. 81.
8.b « Néfertiti », v. 1360 av. J.-C., calcaire peint, Berlin, Musée égyptien in
HONOUR, Hugh & FLEMING John 1992 Histoire mondiale de l’Art, Paris,
Bordas, p. 82.
9. « Civa et Parvatî reliés », IIIe siècle av. J.-C., sculpture hindoue, Londres,
Victoria and Albert Museum in JUNG et alii, 1964, 203.
10. « Zeus et Léda », collection Mansell in JUNG et alii, 1964 : 239.
11. « Stonehenge », plaine de Salisbury, v. 2100-2000 av. J.-C. in HONOUR,
Hugh & FLEMING John 1992 Histoire mondiale de l’Art, Paris, Bordas, p.
32.
12. Mandala tibétain, photo Réalités, Paris in JUNG et alii, 1964, couverture.
13. « Androgyne alchimique » in CAZENAVE, 1981 : 18.
14. « Le Faucon Maltais » dans HUSTON, John 1941 Le faucon maltais,
USA in Studio, mars 1995, n° 96 S, p. 100.
15. « La Pierre noire » dans KUBRICK, Stanley 1969 2001, l’odyssée de
l’espace, USA, MGM in Stanley Kubrick production 1969 2001, a space
odyssey. Music from the Motion Picture Sound Track, s.d., MGM records /
Deutsche Gramophon.
16. « Rosace de Notre Dame de Paris », photo LAVAUD in JUNG et alii,
1964 : 159.

448
Sémiologie et herméneutique 449

Table des matières


INTRODUCTION 5

MODÈLES ET THÉORIES DE LA COMMUNICATION (RAPPEL) 7

LA COMMUNICATION INTROUVABLE 7
L’APPROCHE MÉCANISTE OU LE MODÈLE « TÉLÉGRAPHIQUE » DE LA
COMMUNICATION ET L'ABSENCE DU SUJET 7
L’APPROCHE QUANTITATIVE DE LA COMMUNICATION 10
L’APPROCHE BALISTIQUE ET L’ABSENCE DE L’OBJET 10
L’APPROCHE TECHNIQUE DE LA COMMUNICATION ET LA DÉRIVE
INSTRUMENTALE 11
LA LINGUISTIQUE DE L'ÉNONCIATION ET LE RETOUR DU SUJET 12
LA PRAGMATIQUE LINGUISTIQUE ET LE SUJET AGISSANT 15
LE MODÈLE INFÉRENTIEL ET LE CONTEXTE DE L'ÉNONCIATION 18
LA PSYCHOSOCIOLOGIE ET L'ÉCOLE DE PALO ALTO 21
CONCLUSION 22

PARTIE 1 23

SÉMIOLOGIE ET SÉMIOTIQUE 23

HISTOIRE DES DEUX DISCIPLINES 24


TROIS ÉCOLES EN SÉMIOLOGIE 26
LA SÉMIOLOGIE VISUELLE 27
LA SÉMIOLOGIE DE LA PHOTOGRAPHIE 27
LA SÉMIOLOGIE DU CINÉMA 28
LA SÉMIOLOGIE GRAPHIQUE 28
LA SÉMIOLOGIE DE LA MUSIQUE 29
PRINCIPES 30
BRANCHES 32
SÉMIOLOGIE / SÉMIOTIQUE : DEUX RÉSEAUX, DEUX ORIGINES 32
LINGUISTIQUE STRUCTURALE 32
PHILOSOPHIE LOGIQUE 32

449
450 Du signe au symbole

SÉMIOTIQUE NARRATIVE 32
SÉMIOLOGIE DE LA SIGNIFICATION 32
SÉMIOLOGIE DE LA COMMUNICATION 32
SÉMIOTIQUE PEIRCIENNE 32
THÉORIE DES ACTES DE LANGAGE 32
QUELQUES SÉMIOLOGUES ET SÉMIOTICIENS IMPORTANTS 33

LA SÉMIOLOGIE 34

INTRODUCTION 34
DÉFINITIONS DE CES CONCEPTS EN LINGUISTIQUE 35
LANGUE ET PAROLE 35
SIGNIFIANT ET SIGNIFIÉ 35
SYNTAGME ET SYSTÈME 36
DÉNOTATION ET CONNOTATION 37
MODÈLE DE COMMUNICATION ET ANALYSE DE CONTENU 38

LE PRAGMATISME ET LA SÉMIOTIQUE 39

THÉORIE COGNITIVE DE LA COMMUNICATION 43

INTRODUCTION 43
REPRÉSENTATIONS MENTALES ET OPÉRATIONS COGNITIVES DE BASE 45
SCHÉMAS ET SCHÉMATISATION 45

ANALYSE DES ÉLÉMENTS DE NARRATOLOGIE 83

LES DIFFÉRENTS TYPES DE MESSAGE 83


RÉCIT ET NARRATION 83
LES PETITS MONDES NARRATIFS 84
MODÈLE ARISTOTÉLICIEN, CATHARSIS ET FABULA 85
ROMAN PROBLÉMATIQUE ET ROMAN POPULAIRE 86
DIÈGÈSIS ET MIMÈSIS 86
HISTOIRE ET DISCOURS 88
RÉCIT SCRIPTURAL ET RÉCIT SCÉNIQUE 88
LES DIFFÉRENTS TYPES DE MESSAGE 89
TEMPS ET RÉCIT 90
LES TROIS RAPPORTS MIMÉTIQUES AU TEMPS 90
LA DOUBLE TEMPORALITÉ AU NIVEAU DU RÉCIT 91
LE GENRE ATTRIBUÉ À L'ŒUVRE 96
LES ÉCOLES 96

450
Sémiologie et herméneutique 451

LES STYLES ET FIGURES DE STYLE 100


LE GENRE EN FONCTION DE L'INTENTION 103
L'HORIZON D'ATTENTE DU LECTEUR 103
LES ASPECTS LIÉS À L'ŒUVRE 104
CONCLUSIONS 105

LE DISPOSITIF COGNITIF 107

UNIVOCITÉ ET AMBIVALENCE 107


LE DÉJÀ-VU ET LE NOUVEAU 107
LES ŒUVRES OUVERTES ET FERMÉES 107
RHIZOME ET LIVRE-RACINE 107
FOLKLORE ET MORPHOLOGIE DE L’ŒUVRE 108
LE CONTE 109
DÉFINITIONS DU CONTE 109
LES DIFFÉRENTS GENRES DE CONTE 110
GENÈSE DES CONTES 112
MORPHOLOGIE DES CONTES ET LECTURES STRUCTURALES 112
LE MYTHE 125
DÉFINITIONS DU MYTHE 125
LES DIVERSES INSTANCES DU DISPOSITIF D'ÉNONCIATION 139
LES RAPPORTS ENTRE LE TEXTE ET L'IMAGE 142
RELAIS ET ANCRAGE 143
CONCLUSIONS 144

LE RÉSEAU RELATIONNEL 145

ENTRE LES PERSONNAGES 145

LES RAPPORTS DE COMMUNICATION 145


LE REGISTRE DES PERSONNAGES 145
LES VARIATIONS SONORES 147
LES SONS, LES BRUITS ET L'AURICULARISATION 147
LES VARIATIONS OCULAIRE ET COGNITIVE 149
L'OCULARISATION 149
LA FOCALISATION 150
CONCLUSIONS 151

LE LIEN SOCIAL IMPLIQUÉ PAR LE MESSAGE 153

LES RAPPORTS DE COMMUNICATION 153

451
452 Du signe au symbole

LE DEGRÉ DE PRÉSENCE (VISUELLE OU ÉCRITE) DU (DES) ÉNONCIATEUR(S)


153
LES SPÉCIFICITÉS PREMIÈRES DE L'ÉCRITURE ET DE L'IMAGE 153
LES DEGRÉS DE TYPOGRAPHIE ET DE TRACES POUR LES ŒUVRES
SCRIPTOVISUELLES (BANDES DESSINÉES ET ROMANS-PHOTOS) 155
DISTANCE SUBJECTIVE DES DIFFÉRENTS PERSONNAGES PAR RAPPORT AU
SPECTATEUR 157
ÉCHELLE DES PLANS ET DISTANCES SOCIALES 157
LES REGARDS ET LES MARQUES VISUELLES D'ÉNONCIATION RÉGISSANT LES
RAPPORTS DES PERSONNAGES AUX LECTEURS-ÉNONCIATAIRES 157
CENTRATION ET DÉCENTRATION 159
IDENTIFICATION ET DISTANCIATION 160
LE DISPOSITIF D’ÉNONCIATION ET LE LIEN SOCIAL 160
LES SIX RATISSAGES DE JULES GRITTI 161
CONCLUSIONS 167

PARTIE II 173

HERMÉNEUTIQUE ET INTERPRÉTATION 173

SYMBOLES ET MODE SYMBOLIQUE 173


DE LA SÉMIOLOGIE À L’HERMÉNEUTIQUE 177
HERMÉNEUTIQUE ET INTERPRÉTATION 178
DÉFINITION DE L'HERMÉNEUTIQUE 178
DE L'INTERPRÉTATION 178
« INTENTIO LECTORIS » : LA SÉMIOTIQUE DE LA RÉCEPTION 179
LE TRAVAIL DE L'INTERPRÉTATION ET LES CRITÈRES D'ÉCONOMIE 183
MODÈLE DE COMMUNICATION ET INTERPRÉTATION 185

DE LA PSYCHÉ À LA PSYCHANALYSE 187

LE RÊVE 187
INTRODUCTION 187
PERCEPTION DU RÊVE AU COURS DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ 188
LES RÊVES ET L'INCONSCIENT 201
LA LIBIDO ET LE COMPLEXE D’ŒDIPE 201
LES DEUX TOPIQUES 203
RÊVES ET SYMBOLES 204
LES DIVERS RÊVES 205
LES PRINCIPAUX STADES ET LE COMPLEXE D’ŒDIPE 206
BRUNO BETTELHEIM ET LA PSYCHANALYSE FREUDIENNE DES RÊVES, DES
MYTHES ET DES CONTES DE FÉES 207

452
Sémiologie et herméneutique 453

SÁNDOR FERENCZI ET MÉLANIE KLEIN 209


SÁNDOR FERENCZI (1873-1933) 209
MÉLANIE KLEIN (1882-1960) ET L'ÉCOLE DE LONDRES 211
ALFRED ADLER ET PAUL DIEL 219
ALFRED ADLER, LE PREMIER DISSIDENT (1870-1937) 219
PAUL DIEL (1893-1972) ET LA PSYCHOLOGIE DE LA MOTIVATION 221
JACQUES LACAN (1901-1981) ET L'ÉCOLE FREUDIENNE 226
LE STADE DU MIROIR ET L’ŒDIPE 226
LE LANGAGE ET LA RHÉTORIQUE 228
LA DEMANDE ET SON TRAITEMENT 231
FRANÇOISE DOLTO ET L'ANGLE DE LA COMMUNICATION 232
PIAGET ET LES FACTEURS DU DÉVELOPPEMENT MENTAL DE L'ENFANT 233
L'EXPLORATION DU CERVEAU ET LE POINT DE VUE DE LA
NEUROPHYSIOLOGIE 236
ANTONIO DAMASIO ET L'ERREUR DE DESCARTES 241
TOBIE NATHAN, UN ESSAI DE SYNTHÈSE DES MULTIPLES DÉMARCHES 245
ESSAI DE TYPOLOGIE DES RÊVES 245
SYNTHÈSE DES INTERPRÉTATIONS 246
TYPOLOGIE DES RÊVES SELON LEUR FORME ET LEUR CONTENU 247
CONSTRUCTION DU RÊVE DÉDUITE DE “LA TERREUR NOCTURNE” 249

L’HOMME ET SES SYMBOLES 255

INTRODUCTION 255
LE PSYCHISME DE L'HOMME 256
PERCEPTIONS ET PROJECTIONS 260
LA MÉTHODE D'AMPLIFICATION ET LA LIBRE ASSOCIATION D'IDÉES 263
LES PLANS D'INTERPRÉTATION 264
ARCHÉTYPES ET SYMBOLES RENCONTRÉS DURANT LE PROCESSUS
D'INDIVIDUATION 268
LES IMAGES DE L’IDÉAL DU MOI 269
PREMIÈRE RENCONTRE AVEC L'INCONSCIENT :
LA DÉCOUVERTE DE L'OMBRE 274
LES IMAGOS PARENTALES 276
L'ANIMA ET L'ANIMUS 278
LE SOI : LES SYMBOLES DE TOTALITÉ 282
RÊVES ET INTERPRÉTATIONS 285
INTERACTIONS ENTRE LE MODÈLE JUNGIEN ET LES MODÈLES DE LA
COMMUNICATION 290
LA PROBLÉMATIQUE DU RÊVE OU LA NÉCESSITÉ DE SE SITUER EN TANT
QU'OBSERVATEUR 290

453
454 Du signe au symbole

LA MÉTHODE D'AMPLIFICATION ET LES RÉCITS IMAGINAIRES


307

EN GUISE D'INTRODUCTION 307


OBJECTIFS 308
LES OBJECTIFS NON ASSIGNÉS 308
LA MÉTHODE D'AMPLIFICATION PROPREMENT DITE 309
INTERPRÉTATION 309
ESQUISSES PSYCHOLOGIQUES 310
RÉSUMÉ ET STRUCTURE DE L'HISTOIRE 310
ANALYSE NARRATOLOGIQUE ET SÉMIOPRAGMATIQUE DE L’OEUVRE 310
LA GRILLE DE JULES GRITTI 311
APPLICATION DE LA MÉTHODE D'AMPLIFICATION 311

AMPLIFICATIONS 319

ARCHÉTYPE DU SOI, PUER AETERNUS ET ANIMA 319


DE LA NAISSANCE DES DIEUX À LA NAISSANCE DU CHRIST 319
ORPHÉE ET LE FILS DE L'HOMME 324
ANIMUS ET ARCHÉTYPE PATERNEL 330
RÉSURRECTION DE LA FILLE DE JAÏRE ET GUÉRISON DE LA MÉTRORRAGIE 331
UNE LECTURE, SUR LE PLAN DE L'OBJET, DE FRANÇOISE DOLTO 332
LA BELLE ET LA BÊTE. UNE LECTURE, AU PLAN DU SUJET, DE JOSEPH L.
HENDERSON 334
NEIGEBLANCHE ET ROSEROUGE, DEUX LECTURES, AUX PLANS DE L’OBJET ET
DU SUJET, DE MARIE-LOUISE VON FRANZ ET D'EUGEN DREWERMANN 339
PÈRES MANQUANTS ET FILS MANQUÉS 348
LA BLESSURE DU ROI-PÊCHEUR DANS PERCEVAL OU LE CONTE DE GRAAL DE
CHRÉTIEN DE TROYES. LECTURE, AU PLAN DU SUJET, DE GUY CORNEAU 348
DE L’OMBRE À LA LUMIÈRE 353
LE MYTHE DE FAUST 353

MYTHANALYSE 359

ANALYSE ET INTERPRÉTATION D’UNE BANDE DESSINÉE 359


PARTIE 1 359
LES ÉLÉMENTS DE NARRATOLOGIE 359
CARACTÉRISTIQUES DU DISPOSITIF COGNITIF 370
LE RÉSEAU ENTRE LES DIFFÉRENTS PERSONNAGES DU RÉCIT 377
LE RÉSEAU RELATIF AU DISPOSITIF D’ÉNONCIATION 378
LA FORME DU LIEN SOCIAL ET LA PLACE ATTRIBUÉE AU LECTEUR 379
LES SIX RATISSAGES DE JULES GRITTI 380

454
Sémiologie et herméneutique 455

LES RAPPORTS ENTRE DESTINATEUR ET DESTINATAIRE 380


LA CULTURE PRÉSUPPOSÉE 380
LES TERMES CONFRONTÉS 381
LES FIGURES DE DÉPLOIEMENT 381
LES LIEUX IDÉOLOGIQUEMENT MARQUÉS 381
LE PAYSAGE QUALITATIF OU LES TERMES DESTINÉS À APPRÉCIER OU À
DÉPRÉCIER 382
PARTIE 2 384
L'AMPLIFICATION 384
CONCLUSIONS AU PLAN DE L'OBJET ET AU PLAN DU SUJET 395

CONCLUSIONS 399

LES DOUBLES JEUX DE LA CONNAISSANCE 399


LA DOUBLE PENSÉE 400
LA PENSÉE SYMBOLIQUE 401
LE MYTHE 403
LA MAGIE 405
LA PENSÉE SYMBOLIQUE/MYTHOLOGIQUE/MAGIQUE 406
L'ARKHE-ESPRIT 407
UNIDUALITÉ DES DEUX PENSÉES 408
L'OPPOSITION DES DEUX PENSÉES 409
ORIENTATIONS DIVERGENTES DES DEUX PENSÉES 409
BIBLIOGRAPHIE 411
SOURCES ICONOGRAPHIQUES 443
TABLES DES MATIÈRES 449

455
456 Du signe au symbole

456

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