N° 1239

DÉCEMBRE 2020
ANTIBIOTIQUES
LA LA PISTE DES
POTIONS
MÉDIÉVALES

HASARD
IL DIRIGE
TOUTE
NOTRE
GÉNÉTIQUE

AVION, BATEAU, VOITURE…

FAUT-IL
CROIRE À
LA RÉVOLUTION
HYDROGÈNE ?
GRIPPE
ET SI LE VACCIN
PROTÉGEAIT
DU COVID…

VENUS ?
ENQUÊTE SUR UNE CONTROVERSE
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 Avant-propos

N° 1239
DÉCEMBRE 2020
ANTIBIOTIQUES
LA LA PISTE DES
POTIONS
MÉDIÉVALES

HASARD
Benoît Rey IL DIRIGE
TOUTE
brey@ NOTRE
GÉNÉTIQUE
reworldmedia.com
AVION, BATEAU, VOITURE…

Juste un petit pic FAUT-IL

CROIRE À

sur un graphe HYDROGÈNE ?

LA RÉVOLUTION

Hugo Leroux
C’est la saga de l’année en GRIPPE
hleroux@
I ET SI LE VACCIN
PROTÉGEAIT
reworldmedia.com
astronomie : tweets par cen- DU COVID…

taines, tribunes dans les

quotidiens nationaux…
VENUS ?
ENQUÊTE SUR UNE CONTROVERSE
Diabolique
hydrogène
jusqu’à la vénérable Union 5 NOUVELLES MISSIONS À L’ASSAUT DE LA PLANÈTE

astronomique internationale, L’hydrogène, vecteur

qui sort de sa réserve pour MYOPIE D: 6,90 € - BEL: 4,80 € - ESP: 4,90 € - GR: 4,90 € -

LES PREMIÈRES
DOM S: 4,90 € - DOM A: 6,90 € - ITA: 4,90 € -
LUX: 4,80 € - PORT CONT: 4,90 € - CAN: 6,75 $ CAN -
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énergétique du futur ?
appeler au calme… avant LUNETTES
CH: 8,50 FS - TUN: 9,50 DTU

M 02578 1239 F: 4,50 E RD Jules Verne l’envisageait

QUI SOIGNENT
de se rétracter pour cause dès 1874 dans L’Île mys-
de désaccords internes. térieuse. Une vision affi-
Au cœur de la controverse: née ensuite par des
un petit pic sur un graphe qui générations de scienti-
semble montrer la présence fiques et d’économistes, à
de phosphine dans les l’image du prospectiviste
nuages de la planète Vénus, américain Jeremy Rifkin,
un gaz dont on ne s’explique qui en a fait l’un des piliers
pas l’origine et qui, sur Terre, de sa “troisième révolu-
est produit par des bacté- tion industrielle”. En
ries. De la vie sur Vénus? annonçant cet été un plan
Notre enquête fait le point. de 7 milliards d’euros
pour la filière, la France
s’est donné pour la pre-
mière fois les moyens de
Coralie Hancok
chancock@reworldmedia.com concrétiser cette vision.
Mais gare au diable qui,
comme toujours, se
cache dans les détails.
L’autre épidémie
Si le terme épidémie est en ce moment galvaudé, il reste pourtant à la
mesure du phénomène: 34% de la population mondiale est myope, et
ce chiffre pourrait atteindre 50% dans 30 ans. Inéluctable? Pas sûr. Alors
que l’on sait déjà que passer du temps à l’extérieur prévient la myopie,
voilà qu’une nouvelle génération de lunettes promettent… de ralentir sa
progression, une fois celle-ci apparue! Un premier espoir de traitement.
DR

DÉCEMBRE I 2020 ISVI 5

Sommaire
Décembre 2020 n°1239

10 Forum

L’actu des sciences

16 En image
Une prothèse qui restaure 90 % des mouvements
manuels ; les amas d’étoiles sont bien plus vastes
que ce qu’on voit…
20 Grand angle
Le mécanisme du souvenir s’éclaire ; les puces
s’équipent d’un système de refroidissement intégré ;
l’atmosphère terrestre ferait rouiller la Lune…
24 Focus

28
On a vu l’effet tunnel !
3 découvertes sur…
18 Prothèse
l’astéroïde Bennu
32 En chiffres
36
DDPSTUDIO DESIGN AND ARCHITECTURE/IIT - BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES - R.MEIGNEUX/SIPA -

Montée des océans : on en connaît enfin toutes

SA/USGS - SHUTTERSTOCK - D.KUNKEL/SPL. COUVERTURE : NASA/USGS - SHUTTERSTOCK

les causes Hydrogène

Science & société

36 Enquête
Transport, industrie, énergie… : faut-il
croire à la révolution hydrogène ?
44 Data
Alerte à la pollution au plomb
chez les jeunes
46 Retour sur image
Le jour où le diable de Tasmanie
a retrouvé l’Australie
48 L’étrange affaire…
des attaques d’orques au large
de Gibraltar
50 Les clés pour comprendre…
la précarité énergétique
52 Entretien
NAS

La course aux armements

est lancée en orbite
54 En débat
Quel est l’impact écologique
des sapins de Noël ?
56 L’objet du mois
Le bracelet anti- 40 avenue Aristide Briand, CS 10064, 92227 Bagneux Cedex
rapprochement se Tél.: 01 466 48 48 48 - Fax: 01 46 48 48 67 E-mail: svmens@reworldmedia.com.

56
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généralise en France et 133. Pouur commander d’anciens numéros, rendez-vous sur www.kiosquemag.com.
Vous pouveez aussi vous abonner par téléphone au 01 46 48 48 96, ou par internet sur
58 Futur www.kiosquuemag.com.
Un projet de mégacité écologique Anti-
battra sa crypto-monnaie ; test réussi rapprochement Ce numéro comporte sur tout ou partie de sa diffusion : un dépliant multi-titres Noël ADD
posé sur la C4
C ; un dépliant multi-titres Noël ADLJO posé sur la C4 ; un dépliant multi-titres
pour les data centers sous-marins… Noël ADLLO O posé sur la C4.

6 IS I DÉCEMBRE I 2020
 66
À la Une
66 De la vie sur Vénus ?
C’est la découverte, dans son atmosphère, d’un gaz
présent sur Terre, qui ravive l’intérêt pour cette planète
oubliée. 5 missions d’exploration sont en préparation…

98 Myopie

Les dossiers
88 Biologie marine
L’incroyable histoire du petit
poisson qui a mangé les gros

92 Microbiologie
Nouveaux antibiotiques : la
piste des potions médiévales

98 Optique
Le verre qui ralentit la myopie

102 Biologie moléculaire

Hasard : il façonne tout
le vivant

110 Physique théorique

Trou noir extrémal : le nouveau
Cellule 132 monstre cosmique

Bon à savoir
116 C’est maintenant
Grippe et Covid : des risques supplémentaires ?
118 En pratique
Un coup de fil vaut mieux que cent messages ; au troi-
sième âge, danser aide à prévenir les chutes ; le miel est
bien le meilleur remède contre la toux…
122 Technofolies
126 À voir / à lire / à faire
128 Questions/Réponses
Combien y a-t-il d’atomes dans une cellule ? Peut-on fabri-
quer une bombe à antimatière ? L’énergie solaire aug-
mente-t-elle la masse de la Terre ?…
134 Bulle de science

DÉCEMBRE I 2020 ISVI 7

Forum
Merci d’adresser vos courriers à : sev.lecteurs@reworldmedia.com
VACCIN, OUI, ET QUOI D’AUTRE ?
Dans votre dossier
concernant le vaccin
contre le Covid-19 (lire
S&V n° 1232, p. 62), vous
faites un (très) rapide état
des lieux concernant les
autres solutions et le peu
de moyens donnés à la
recherche pour cela. Pour-
quoi ces possibilités sont-
elles si peu exploitées ?
Pourquoi tous les efforts
semblent-ils tournés vers
un vaccin, pourtant beau-
Vous expliquez que le cosmos est
structuré comme du gruyère (S&V
n°1234, p.78), mais quiconque en a
déjà dégusté peinera à comprendre!
C’est l’emmental qui a des trous…
10 I S I DÉCEMBRE I 2020
coup plus complexe à
mettre au point ?
Yoann Hervé, Nantes (44)
SV
&
Vous avez raison.
On compte envi-
ron 200  vaccins en déve-
loppement, dont une poi-
gnée capte près de 60 %
des financements pu-
blics. A contrario, quelque
350  molécules thérapeu-
tiques sont à l’étude, pour
seulement 14 % des sub-
Sébastien Delley, Estavayer-le-Lac (Suisse)
ventions. Il y a plusieurs
explications à ce déséqui-
libre. D’abord, nous avons
obtenu très tôt la séquence
génétique du virus, ce qui
laissait entrevoir la possibi-
lité d’utiliser son antigène
pour produire des anti-
corps. Et à cette époque-
là, nous ignorions tout de
ses mécanismes d’action,
ce qui rendait difficile la
recherche de parades cu-
ratives. Ensuite, l’idéal
UN ŒIL SUR
LES FORÊTS
Je ne comprends plus:
dans votre numéro de
novembre 2019, vous écri-
vez que l’usage du bois,
surtout dans le BTP, pour-
rait être une stratégie de
capture à long terme du
CO2. Mais un an plus tard,
vous redoutez l’augmenta-
N°1238
NOVEMBRE 2020
ÉLECTIONS
AMÉRICAINES
TRUQUÉES PAR
LA TECHNO ?
PARKINSON
L’INCROYABLE
EXPLOIT
GRAVITATION
ET SI ELLE AVAIT
UNE MASSE ?
SOLEIL
ON NE L’A
JAMAIS
VU DE SI
COVID-19
PRÈS !
ENQUÊTE SUR LE
VACCIN
QUAND SERA-T-IL PRÊT ?
SERA-T-IL EFFICACE ?
SANS DANGER ?
HAT
MMENT IL NOUS A
ESTIQUÉS
D 6 90 € BEL 4 80 € ESP 4 90 € GR 4 90 € DOM S
4 90 € DOM A 6 90 € ITA 4 90 € LUX 4 80 € PORT
CONT 4 90 € CAN 6 75 $ CAN MAR 50 DH TOM S
750 CFP TOM A 1400 CFP CH 8 50 FS TUN 9 50 DTU
M 02578 1238 F 4,50 E RD
dans une situation pan-
démique est d’empêcher
la propagation du virus.
Diminuer la sévérité de la
maladie n’empêche pas la
saturation des hôpitaux,
ni le virus de poursuivre
sa route meurtrière. Tou-
tefois, il est naïf de croire
qu’en déclenchant la pro-
duction d’anticorps, les
vaccins nous protégeront
efficacement ; tout comme
il est illusoire de penser
que tous ces vaccins blo-
queront sa transmission.
En outre, certaines alter-
natives pourraient égale-
ment diminuer le risque de
transmission. Bref, il serait
plus raisonnable de ne pas
mettre tous nos œufs dans
le même panier…
tion de l’exploitation fores-
tière en Europe (n°1238,
p. 28), alors même que plus
de 60 % de ce bois va au
BTP et que les forêts aug-
mentent de 4 % par an…
Yacine Chaoui, Paris (75011)
SV Vos remarques
& sont judicieuses.
Aujourd’hui, la forêt eu-
ropéenne n’est pas surex-
Une étude qui ne On en reparle
va pas sans risque…
Depuis la lecture de votre article sur
les chasses d’eau (S&V n° 1237, p. 118),
et au prix de ma propre santé, j’ana-
lyse le fonctionnement de chaque toi-
lette que j’utilise. Or elles me sem-
blent fonctionner à l’inverse de ce que
vous décrivez : un vortex violent se
crée d’abord sur la paroi en face de
PLUS D’EAU QUE
l’orifice de distribution d’eau, puis ce- PRÉVU SUR LA LUNE !
Fin 2019, nous révélions que l’eau lunaire était
lui-ci disparaît. Il reste probable qu’un sûrement la seule ressource spatiale digne d’in-
nuage de particules soit généré, mais térêt (S&V n° 1226, p. 34)… à condition de la trou-
ver en quantité suffisante. Et voilà que de nou-
seulement après élimination des ef- velles mesures publiées par la Nasa indiquent
fluents par le siphon… En tout cas, je qu’il y en aurait plus que prévu ! Selon ces rele-
vés, elle ne se cacherait plus seulement dans
suis arrivée aux mêmes conclusions des cratères ombragés et gelés situés près des
que vous : fermez le couvercle avant pôles, mais aussi directement dans le sol, à hau-
teur de près de 0,2 g/kg selon la Nasa. “Ce qui
d’actionner la chasse, nettoyez le siè- est intéressant, c’est que c’est la première fois
ge avant usage, lavez-vous les mains que l’on identifie directement l’eau en dehors des
pôles, et dans des zones partiellement ensoleil-
après. Et j’ajouterai : ne faites pas lées, analyse Francis Rocard, du Centre national
d’études spatiales. Il ne s’agit pas de glace, com-
comme moi, à rester regarder !
me aux pôles, mais de roches hydratées, voire
d’eau interstitielle, en aucun cas d’eau liquide.”
Anne-Marie Bourgouin (internet)
Même si ces quantités restent faibles, l’Agence a
toutes les raisons de s’en réjouir, car l’eau lunaire
est un bien indispensable pour atteindre les ob-
jectifs qu’elle s’est fixés. Si on parvient à l’exploi-
ploitée. En France, par qu’elle s’emballe. Certes, ter, cette ressource vitale pourra être utilisée par
exemple, les prélèvements vous l’avez noté, une majo- les astronautes à bord de la future station orbitale
annuels de bois correspon- rité du bois coupé sera uti- lunaire, en vue d’un retour sur la Lune prévu pour
dent à seulement la moitié lisé dans la construction ou 2024. Surtout, elle pourra aussi être hydrolysée
de la croissance des arbres l’ameublement, stockant du pour fabriquer l’oxygène liquide qui alimentera les
du territoire. Nos forêts con- CO2. Reste qu’environ 20 % futures fusées à destination de Mars, à l’horizon
tinuent donc de pomper du sont brûlés. Or la forêt de- 2030. L’espoir de substantielles économies de
carbone. Pour autant, l’ex- vra pomper un maximum lancement, puisqu’il n’y aurait pas à les arracher
ploitation forestière sur le de CO2 dans les décennies à la gravité terrestre : les futures expéditions fe-
continent croît fortement à venir pour que nos socié- ront simplement le plein sur la Lune, sorte de sta-
(+ 49 % par rapport à 2011- tés atteignent la neutralité tion-service pour astronautes. P.-Y. Bocquet
2015), et il ne faudrait pas carbone avant 2050.

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 11
Forum
UN RELAIS DE ROBOTSSUR MARS
Suite à votre article détaillant la mission de récolte
d’échantillons martiens (S&V n°1237 p.92), je me de-
mande: pourquoi attendre autant de temps entre leur
collecte et leur dépôt sur Mars par Perseverance en
2023, et leur récupération et leur acheminement vers la
fusée pour la Terre par Sample Fetch Rover en 2028? Il
doit y avoir des risques que les échantillons soient recou-
verts par la poussière, ou volés par des Martiens, non?
SV
Si Martiens il
& y a, même une
mission plus courte ne
saurait les empêcher de
dérober quoi que ce soit !
Mais en tout cas, rassurez-
vous, les échantillons ne
s’altéreront pas en restant
quelques années sur Mars.
Ils seront en effet enfermés
dans des tubes hermétique-
ment scellés: rien ne pour-
ra y entrer ou en sortir. Ces
tubes seront ensuite stockés
dans le rover Perseverance
avant que l’on ne décide où
et quand les laisser sur le
sol martien. Et si de la pous-
sière se dépose sur eux en
attendant qu’un autre robot
vienne les chercher, elle
sera éliminée avant ouver-
ture sur Terre pour ne pas
contaminer leur contenu.
Cet autre robot, c’est le
Sample Fetch Rover, qui
arrivera sur Mars en 2028.
Pourquoi Perseverance
n’emmène-t-il pas lui-
même les échantillons sur
le lieu d’où ils seront mis
en orbite martienne afin de
gagner du temps? Tout sim-
plement parce qu’il a autre
chose à faire ! En effet, la
collecte d’échantillons n’est
pas sa seule mission. Le ro-
ver sera aussi à la recherche
de signatures biologiques
12 IS I Décembre I 2020
Julien Bigel, Cachan (94)
ou d’environnements pas-
sés compatibles avec la
vie, et testera la production
d’oxygène à partir de l’at-
mosphère martienne. Or,
Perseverance avance lente-
ment et n’est pas éternel. Il
est donc plus pertinent de le
conduire dans des lieux in-
téressants l’ensemble de ses
objectifs, que d’avoir l’obli-
gation de l’amener à l’en-
droit précis où les échan-
tillons décolleront. Cette
tâche ingrate sera donc
confiée au Sample Fetch
Rover, robot plus rapide et
moins coûteux.
Enfin, pourquoi ne pas
préparer toutes les parties
de la mission de retour
d’échantillons martiens
en parallèle, pour aller les
chercher plus vite au lieu
d’attendre des années ? Eh
bien l’une des réponses
est qu’il y a tellement de
choses qui peuvent ra-
ter, qu’avant de préparer
sonde et robot pour aller
chercher les échantillons,
il faut d’abord s’assurer que
Perseverance réussira à les
récolter. Bref, ne pas mettre
la charrue avant les bœufs,
mais aussi étaler dans le
temps les coûts d’une mis-
sion de plusieurs milliards
de dollars.
Une publication du groupe
RÉDACTION
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Unité de recherche sur les maladies du muscle Patient vivant avec
et neuromusculaires l’amyotrophie spinale

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“Le Monde comme vous ne l’avez jamais vu”. La rédac- Direction le pôle Nord. Objec-
aud pour

tion a sélectionné les images du corps humain les plus oraux

tif: compter les animaux arc-

spectaculaires que les progrès de la microscopie ont Fais pous
tiques. L’occasion d’appren-
cristaux m iques

permis de réaliser. Os, dents, muscles, cerveau… de- 24 h pour dre les astuces indispen-
viennent des paysage éblouissants, dont les détails ré- s
sables à la survie sur la glace.
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dernières connaissances scientifiques répondent aux à la fois la figure féminine la
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14 IS I DÉCEMBRE I 2020
L’actu des sciences
ASTROPHYSIQUE
LES AMAS D’ÉTOILES SONT BIEN
PLUS VASTES QUE CE QU’ON VOIT
La nouvelle a de quoi faire
monter d’un cran la fasci-
nation que l’on éprouve en
admirant les Pléiades par
une nuit dégagée. Une
équipe de l’université de
Vienne vient en effet de ré-
véler que ces amas
d’étoiles ouverts ne sont
que le cœur dense et vi-
sible d’un système plus
vaste. Ces amas ouverts
sont de grandes familles
d’étoiles nées dans un
même nuage de gaz, à la
même époque. Pour
16 I S I Décembre I 2020
étudier ceux de la Voie lac-
tée, l’équipe de Stefan
Meingast a utilisé les don-
nées du satellite européen
Gaia. Elle a développé une
méthode informatique per-
mettant de retracer l’ori-
gine de chacun, et en a tiré
cet étonnant constat :
les amas que l’on observe,
et que l’on croyait bien
connaître, ne sont en réali-
té que la partie visible de
regroupements d’étoiles
environ 10 fois plus larges,
dont les frontières évoluent
sans cesse. “Avec le temps
et les interactions qu’elles
ont développées au sein
de la galaxie, les étoiles ont
dérivé. C’est une véritable
enquête de détective, avec
une méthode très puis-
sante, qui a permis à
l’équipe de Vienne de re-
trouver les membres d’une
T.A. RECTOR/ R. COOL/ WIYN
famille d’étoiles dispersée”,
salue Xavier Luri, de l’uni- Les amas comme
versité de Barcelone. De celui des Pléiades
quoi renouveler la vision seraient en fait la par-
que l’on a de la Voie lactée tie visible d’ensembles
et de son évolution. A.D. 10 fois plus grands.
D é c e m b r e I 2 0 2 0 I SVI 17
L’actu des sciences
ROBOTIQUE
CETTE PROTHÈSE RESTAURE 90% DES MOUVEMENTS MANUELS
Fruit d’une collaboration
entre ingénieurs, ortho-
pédistes, designers et
patients, la prothèse ro-
botique Hannes est
myoélectrique : elle fonc-
tionne grâce à des cap-
teurs qui détectent l’acti-
vité musculaire rési-
duelle du membre ampu-
té, et mettent ses mo-
teurs en action. Résul-
tat : elle s’adapte à l’objet
qu’elle saisit, offre une
prise ferme et une
18 I S I Décembre I 2020
En image
grande réactivité… En transformer une main détriment de l’autre…
d’autres termes, cette robotisée en prothèse, Grâce à son système de
main artificielle bouge en relate Matteo Laffranchi, préhension dynamique,
harmonie avec le reste ingénieur à l’Institut ita- sa principale innovation,
du corps, loin de l’effet lien de technologie de elle peut ajuster sa confi­
mécanique des pro- Gênes et co-inventeur guration à celle de l’objet
thèses ordinaires. Même de la prothèse. Le but saisi.” Elle ne pèse que
si, les chercheurs le re- était de satisfaire toutes 450 g, possède une au-
connaissent, sa rapidité les exigences : la perfor­ tonomie d’une journée
n’égale pas encore celle mance dans les activités entière et devrait durer
d’une main humaine. de la vie quotidienne ain­ au moins un an. Il ne
“Après avoir discuté si que le naturel du mou­ manque plus que des
avec les patients de vement, alors que les partenaires industriels
leurs besoins, nous autres prothèses excel­ pour qu’Hannes soit
avons décidé de lent souvent dans l’un au mise sur le marché. K.T.
 3 µm

Le microscope THANATOLOGIE
électronique a
révélé des neu- DES NEURONES VITRIFIÉS
rones intacts et
leurs axones. VIEUX DE 2000 ANS!
Deux mille ans après l’éruption tragique du Vésuve, en Ita­
lie, le cerveau d’une jeune victime vient de révéler des cel­
lules cérébrales incroyablement bien conservées. En jan­
vier 2020, sur le site d’Herculanum, l’anthropologue légiste
Pier Paolo Petrone et ses collègues de l’université de Na­
ples ont découvert, à l’intérieur du crâne d’un jeune homme
DDPSTUDIO DESIGN AND ARCHITECTURE/IIT - P.PETRONE ET AL.

pétrifié, un matériau noir vitrifié laissant penser au reste d’un

cerveau. L’analyse y montrait des traces d’acides gras de
cheveux et des protéines spécifiques du tissu cérébral.
“Exposé à l’incandescence de la cendre volcanique attei-
gnant 500°C, le cerveau s’est liquéfié, explique Pier Paolo
Petrone. Puis une chute brutale de température l’a vitrifié.”
Au point de figer les cellules cérébrales à jamais! Car en
 Ses capteurs
observant l’objet vitreux au microscope électronique à ba­
détectent l’activité
musculaire rési- layage, les chercheurs ont découvert des neurones encore
duelle de la main intacts dans ce qui était le cortex et la moelle épinière. Et
amputée et notamment des axones, ces fibres nerveuses qui pro­
mettent ses longent les neurones. D’autres tissus humains auraient­ils
moteurs en action. ainsi pu être préservés par vitrification? O.D.

D é c e m b r e I 2 0 2 0 I SVI 19
 L’actu des sciences Grand angle

NEUROLOGIE
1 LE SOUVENIR NAÎT…
À l’intérieur des engrammes
(des neurones de l’hippo-
LE MÉCANISME DU SOUVENIR campe), la structure dans
laquelle l’ADN est empa-
S’ÉCLAIRE queté, la chromatine,
se relâche…
La façon dont les souvenirs sont imprimés dans le cer-
veau se précise. On connaissait le rôle des engrammes
(ces neurones organisés en réseaux connectés essentiel-
lement dans l’hippocampe) dans leur encodage et leur
réactivation. Mais le mécanisme moléculaire demeurait
jusque-là mystérieux. Pour mieux le comprendre, une
équipe du MIT (États-Unis) a suivi l’activité de ces neu-
rones lors de la formation de souvenirs chez des souris
génétiquement modifiées, grâce à une technique de mar-
quage fluorescent. Les neurologues ont alors observé
qu’un important remodelage s’effectuait, au niveau cellu-
laire, à l’intérieur de ces engrammes : la densité et la dis-
position de la chromatine, structure compacte au sein de
laquelle l’ADN est empaqueté, change. Ce qui permet à
des gènes spécifiques, prenant en charge le stockage de
2 … SE CONSOLIDE
Les régions de l’ADN qui
contrôlent l’activation
la mémoire, de devenir plus actifs. “Durant le processus des gènes en charge du
de formation et de préservation d’un souvenir, on observe stockage de la mémoire
différentes vagues d’expression génétique et de synthèse se rapprochent.
de protéines qui rendent les connexions entre les neu-
rones plus fortes et plus rapides”, explique Asaf Marco,
coauteur de l’étude. Des modifications épigénétiques qui
s’effectuent en plusieurs étapes, durant des semaines
voire des mois, estiment les chercheurs. Ils espèrent
maintenant découvrir comment la chromatine des
engrammes est affectée par la maladie d’Alzheimer. L.G.

ÉLECTRONIQUE

LES PUCES S’ÉQUIPENT D’UN SYSTÈME

DE REFROIDISSEMENT INTÉGRÉ
La miniaturisation de
l’électronique pose un
problème de refroidisse-
ment à nos ordinateurs.
ASAF MARCO ET AL./MIT - ALAIN HERZOG / EPFL
Une équipe de l’École
polytechnique fédérale
de Lausanne (Suisse),
menée par Elison Matioli,

En effet, les puces pos- vient de trouver comment

sèdent toujours plus de
transistors, qui génèrent
toujours plus de chaleur,
sur une surface que l’on
veut toujours plus petite !
Le système consiste à
faire circuler de l’eau démi-
néralisée sous les transistors.
intégrer un système de
refroidissement directe-
ment dans une puce plu-
tôt que de l’en séparer.
Il s’agit de canaux de
quelques micromètres de
diamètre, situés sous la
puce, et dans lesquels
circule un liquide de

20 I S I DÉCEMBRE I 2020
 3 … ET SE RÉACTIVE
refroidissement, ici de
l’eau déminéralisée qui ne
conduit pas l’électricité.
Les canaux passent par
les points où se concentre
la chaleur des transistors.
“Une fois absorbée par
l’eau, la chaleur est alors
dirigée hors de la puce
vers une surface plus
grande que cette der-
nière, où le liquide refroidit
à la température
ambiante, évacuant ainsi
la chaleur”, explique
Remco van Erp, membre
de l’équipe.
L’expression des gènes et
la synthèse de protéines
dans les synapses
augmentent, renforçant les
connexions entre neurones.
Cette dernière teste éga-
lement d’autres liquides
susceptibles d’extraire
plus efficacement la
chaleur que l’eau.
Le système, de la taille
d’une clé USB, dissipe
10 000 fois plus d’énergie
qu’il ne lui en faut pour
fonctionner et il est 50 fois
plus efficace que les meil-
leurs procédés actuels.
De quoi intégrer de l’élec-
tronique de puissance
dans de petites puces,
ou éviter la surchauffe
des data centers. S.F.
Ça reste
à prouver…
NOS ANCÊTRES AURAIENT
CUISINÉ LE RAGOÛT
AVANT LA GRILLADE
Et si les premiers hominidés avaient fait cuire
leur nourriture dans des sources chaudes
avant même de découvrir le feu ? C’est l’hy-
pothèse d’une équipe de géo-archéologues
du Massachusetts Institute of Technology
(MIT), aux États-Unis, et de l’université d’Al-
calá, à Madrid, qui ont découvert la présence
d’anciennes sources chaudes hydrother-
males dans les gorges d’Olduvaï, une vallée
du Rift, au nord de la Tanzanie, terre des
premiers hominidés. Dans des sédiments dé-
posés il y a environ 1,8 million d’années, les
chercheurs ont trouvé un acide gras produit
par Thermocrinis ruber, une bactérie hyper-
thermophile appelée serpentin rose, qui sur-
vit uniquement dans des eaux supérieures à
85 ºC. La région devait donc regorger de
sources chaudes hydrothermales. “Aujour-
d’hui encore, on trouve une activité géother-
mique et hydrothermique intense dans cette
région”, précise Ainara Sistiaga, géo-archéo-
logue au MIT. Le feu ayant été domestiqué
environ un million d’années plus tard, la
scientifique s’interroge : les habitants des
gorges d’Olduvaï faisaient-ils mijoter leur pi-
tance dans ces sources chaudes ? “Si un ho-
minidé primitif avait trouvé un gnou mort dans
une source chaude, il n’y a aucune raison
pour qu’il ne l’ait pas mangé, considère Ainara
Sistiaga. Les hominidés avaient un système
cognitif assez complexe pour comprendre
que la cuisson rendait leur nourriture plus fa-
cile à digérer.” L’hypothèse enthousiasme
l’anthropologue britannique Richard Wran-
gham, défenseur de l’idée que l’alimentation
cuite a été un moteur de l’évolution humaine.
Pour autant, “si des populations avaient utilisé
ce mode de cuisson, elles auraient alors sans
doute été, grâce à leur meilleure alimentation,
plus nombreuses et à l’origine de nouvelles li-
gnées”, objecte l’anthropologue. Or pour le
moment, rien ne le prouve. Olivier Donnars
DÉCEMBRE I 2020 ISVI 21
 L’actu des sciences Grand angle

Imagerie satellite et
IA ont révélé une végé-
tation passée inaper-
çue (ici au Mali).

GÉOSCIENCES

PRÈS DE 2 MILLIARDS D’ARBRES ONT ÉTÉ

DÉCOUVERTS EN ZONES DÉSERTIQUES
Les déserts ne sont plus si déserts que cela… Imagerie satellite et
intelligence artificielle se sont alliées pour révéler des paysages inat-
tendus : le sud du Sahara, le Sahel et les zones subhumides d’Afrique
de l’Ouest sont constellés de quelque 1,8 milliard d’arbres et arbustes
isolés, jusque-là passés inaperçus. À partir d’images satellite haute
résolution, une équipe internationale de géoscientifiques a pu former
une IA à repérer et classer près de 90 000 espèces d’arbres, obte-
nant ainsi la première évaluation directe de la végétation des zones
désertiques. Résultat : le couvert forestier gagne 1,6 % de surface en
GETTY IMAGES/WESTEND61
36 km/s
C’est la vitesse théorique maximale du
son, calculée par des physiciens britan­
niques. Pour l’atteindre, il devrait se pro­
pager dans un solide constitué d’atomes
d’hydrogène, l’élément le plus léger. Les
ondes sonores circulent en effet plus
vite dans les solides que dans les gaz et

plus dans les zones arides, et jusqu’à 13,3 % dans les zones subhu-
mides. “Ces données permettront d’affiner les dynamiques de rési-
lience climatique de ces zones tropicales délaissées, se réjouit
Laurent Kergoat, géoscientifique à l’Observatoire Midi-Pyrénées de
Toulouse. Et de vérifier, en outre, si les efforts mondiaux de renatura-
tion et de lutte contre la déforestation portent leurs fruits. K.T.
les liquides, et plus facilement à travers
les atomes les plus légers, qui se dépla­
cent vite et transfèrent aisément l’éner­
gie des ondes aux atomes voisins. K.T.

22 I S I Décembre I 2020
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Depuis de nombreuses années le groupe Bosch travaille

à la protection du climat et la qualité de l’air.
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dans le monde et Bosch France sera au rendez-vous !
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L’actu des sciences
PHYSIQUE
ON A VU L’EFFET
TUNNEL !
Des chercheurs viennent de suivre
expérimentalement le mécanisme de
l’effet tunnel, l’un des phénomènes
les plus énigmatiques de la physique
quantique. Enfin.
PAR ROMÁN IKONICOFF
C’est un fait : une particule
dans un état quantique
– un atome, un électron –
peut traverser un mur
supposément infranchis-
sable. Tel est l’effet tunnel,
l’un des phénomènes
quantiques les plus énig-
matiques… et qui vient
pour la première fois
d’être observé, 70 ans
après sa découverte.
Car même si cet effet
est exploité par l’industrie
électronique depuis la fin
des années 1950 – il niche
aujourd’hui au cœur des
microprocesseurs des
diodes, des microscopes,
sans oublier l’ordinateur
quantique –, et même s’il
découle directement de
l’une des équations
principales de la quan-
tique – l’équation de
Schrödinger –, le phéno-
mène n’avait jusque-là
jamais été décrit. L’équa-
tion dit seulement qu’aux
frontières avec un obs-
tacle, l’onde le pénètre
légèrement… et que si cet
obstacle n’est pas trop
24 I S I DÉCEMBRE I 2020
BARRIÈRE DE POTENTIEL
Focus
Voici comment des
particules quantiques
traversent un mur
Des nuages d’atomes ont été
propulsés par un laser vers une
barrière de potentiel (un champ
magnétique)… et l’ont traversé
en partie.
2. Quand la barrière
est plus intense que
l’énergie des atomes,
épais, elle ressort alors une partie du nuage
de l’autre côté. est stoppée.
Que se passe-t-il vrai-
ment ? La particule dispa-
raît-elle d’un côté pour se
rematérialiser instantané-
ment de l’autre ? Ou bien
traverse-t-elle le mur ?
Mais alors, selon quel tra-
jet et en combien de
temps ? Ces questions
restaient sans réponses.
“L’effet tunnel est l’un des
processus fondamentaux
de la mécanique quan-
tique, et pourtant la ques-
tion de base de savoir
combien de temps met
une particules à ‘tunneler’
n’avait encore aucune
réponse concrète”,
résume Ramón Ramos,
AEPHRAIM M.STEINBERG/ UNIVERSITY OF TORONTO
spécialiste du sujet à l’uni-
versité de Toronto.
DU RUBIDIUM REFROIDI
“N’avait”… car, aujour-
d’hui, les réponses se
dessinent enfin : des
chercheurs canadiens et
espagnols sont parvenus
à observer l’effet à
l’échelle microscopique,
 constatant que les parti-
cules traversent effective-
ment le mur en un certain
temps. Une première !
Concrètement, les
scientifiques ont refroidi
quelque 8 000 atomes de
1. Quand la barrière rubidium à 2 milliardièmes
est moins intense que de degré au-dessus du
l’énergie des atomes, zéro absolu (2 nanokel-
le nuage la traverse vins), afin de diminuer leur
sans problème. vitesse et leur énergie, et
de les maintenir confinés
en état quantique, un
condensat de Bose-
Einstein dans lequel toutes
les particules se trouvent
dans le même état, et sont
impossibles à distinguer
les unes des autres.
0,6 milliseconde
C’est le temps qu’ont mis 3 % des particules
propulsées par un laser à franchir ce champ
magnétique de 1,3 micromètre d’épaisseur.
Puis, à l’aide d’un laser
focalisé, ils ont créé un
mur : un champ magné-
tique dont l’énergie interdit
le franchissement par ces
3. Mais une partie particules, du moins en
parvient tout de empruntant les voies clas-
même à traverser…
siques. Avec un second
par effet tunnel.
laser, ils ont alors poussé
les particules vers le mur
à une vitesse de 4 mm
par seconde.
Et hop : 3 % des parti-
cules ont franchi ce mur
de 1,3 micromètre, en
0,6 milliseconde. En extra-
polant, c’est comme si un
être humain traversait un
mur de 1 km d’épaisseur !
Les chercheurs ont aussi
pu mesurer la proportion
DÉCEMBRE I 2020 ISVI
de particules qui franchit
le mur, et celle qui est
réfléchie (voir ci-contre).
“On ne peut déterminer à
l’avance quelles particules
du condensat traverse-
ront, précise Ramón
Ramos, l’un des coauteurs
de l’expérience. Mais on
sait que cela dépend de
nombreux facteurs :
l’épaisseur du mur, l’éner-
gie des particules, etc.”
LE TRAJET RESTE INCONNU
Deux questions demeurent
ainsi en suspens. D’abord :
quel est le trajet d’une
particule dans le mur ?
“C’est notre prochaine
recherche : suivre les par-
ticules pendant qu’elles
‘tunnellent’, répond
Ramos. Mais pour cela,
il faudra ruser, car l’obser-
vation peut détruire l’effet.”
Et ensuite, quelle est leur
vitesse maximale ? Car
une autre équipe de physi-
ciens menée par Randall
Dumont, de l’université
McMaster au Canada,
vient d’annoncer avoir
mesuré une vitesse des
particules plus grande que
la vitesse de la lumière !
Ainsi, l’effet tunnel met-
trait les particules dans un
état aussi extrême que
l’intrication quantique, seul
phénomène à avoir
jusque-là défié la vitesse
de la lumière ! Étrange,
et à prendre avec des pin-
cettes, pour l’heure, faute
de confirmation théorique
et expérimentale.
On a vu l’effet tunnel,
mais il est encore loin
d’avoir livré tous ses
secrets.
25
 L’actu des sciences Grand angle

Dans cette pegmatite de

la mine de Stewart, de la
tourmaline noire vire au rose
en quelques heures.

MINÉRALOGIE

CES CRISTAUX SE FORMENT EN ACCÉLÉRÉ

Les pegmatites, formations veineuses de roches magma-
tiques dispersées à la surface du Globe, sont un des mys-
tères de la géologie. Elle se refroidissent vite –leur petite
taille en témoigne– alors qu’elles contiennent de très gros
P.PHELPS/RICE UNIVERSITY
plus le cristal se forme vite, moins les oligo-éléments ont le
temps d’être évacués. “Les résultats m’ont beaucoup sur-
pris, raconte Patrick Phelps, géologue à l’université Rice, à
Houston (Texas). Des cristaux de quartz de 3 cm se sont

cristaux, dont la formation était présumée lente… Pour
savoir à quelle vitesse se forment de tels cristaux et percer
le secret de ces curieux minéraux, des géologues améri-
cains ont prélevé des quartz de la mine de Stewart, au sud
de la Californie. Ils ont notamment mesuré leur teneur en
oligo-éléments, un bon indicateur du taux de croissance:
développés en quelques heures, et certaines parties en
quelques minutes seulement!” Le secret de cette rapidité
serait double: une forte concentration en eau, qui facilite la
diffusion des éléments chimiques et accélère la cristallisa-
tion; des fissures dans lesquelles poussent les cristaux,
qui font chuter la pression de la roche. K.T.

26 I S I Décembre I 2020
L’actu des sciences Grand angle

3 DÉCOUVERTES SUR…

L’ASTÉROÏDE BENNU
Les données récoltées par la
sonde de la Nasa Osiris-Rex,
en orbite autour de l’astéroïde
depuis 2018, révèlent
l’étrangeté de ce caillou de
500 m de diamètre qui pourrait
un jour s’approcher de la Terre.

PAR ANNE DEBROISE

1Il a une forme de toupie

creuse
3
Il abriterait des bouts
L’altimètre d’Osiris-Rex a permis de
de l’astéroïde Vesta !

cartographier Bennu en 3D avec
une résolution de 20 cm. Il en res-
sort une forme de toupie asymé-
trique, ainsi qu’une densité inégale,
déduite des variations de la trajec-
toire de la sonde et des particules
éjectées de sa surface. Son bour-
relet équatorial, notamment, appa-
raît peu dense : il serait le résultat
de l’accumulation de roches dépla-
cées depuis des latitudes plus éle-
vées, du fait de sa rotation rapide.
Le cœur de l’astéroïde, lui, semble
parcouru de poches de très faible
densité, voire vides. S’il venait à
menacer la Terre, Bennu serait
donc plus difficile à écarter de sa
2
Sa surface est un vrai
patchwork
Alors qu’il est globalement très
noir, le sol de Bennu est apparu
“multicolore” sous l’œil de la
caméra multispectrale MapCam.
Ces différents tons de gris
révèlent la diversité des matériaux
qui le constituent. Bennu est en
effet un conglomérat de matériel
rocheux arraché lors d’une colli-
sion avec un corps de la ceinture
d’astéroïdes située entre Mars et
Six rochers de 1,5 à 4,3 m de dia-
mètre sont fichés dans le sol de
Bennu. Plus clairs que le sol au-
tour, ils ressemblent aux roches
d’un autre astéroïde, Vesta. Com-
ment est-ce possible ? Si Vesta
avait frappé Bennu, il l’aurait pul-
vérisé puisqu’il mesure 500 km !
Les astrophysiciens imaginent en
fait un scénario en deux temps.
D’abord, un des nombreux frag-
ments arrachés à Vesta par de
multiples collisions frappe le
corps-parent de Bennu. Puis ce
corps-parent est pulvérisé, et les
débris s’agglomèrent pour former
NASA/SVS

trajectoire qu’un objet plus dense. Jupiter. Bennu. Affaire à suivre…

28 I S I DÉCEMBRE I 2020
L’actu des sciences Grand angle

IMMUNOLOGIE

ON A COMPRIS COMMENT LE
LAIT MATERNEL IMMUNISE
Des chercheurs de l’École de méde-
cine de Hanovre, en Allemagne,
viennent d’identifier un élément clé
dans l’immunité que procure le lait
maternel : les alarmines, des pro-
téines qui y sont présentes en grande
quantité. Les médecins ont analysé
les fèces de 121 nouveau-nés ; plus
les enfants présentaient un taux
important de protéines S100A8 et

ISRO/NASA/JPL-CALTECH/BROWN UNIV./USGS - SHUTTERSTOCK

S100A9, plus leur flore intestinale était
équilibrée. À l’inverse, les nouveau-
nés ayant un faible taux d’alarmines
étaient statistiquement plus sensibles
aux infections bactériennes. Suffirait-il
d’enrichir les laits maternisés avec
des alarmines pour reproduire leurs
bienfaits immunitaires ? Sans doute
pas, prévient Gérard Eberl, de l’Insti-
tut Pasteur : “Le lait contient encore
bien d’autres molécules qui ont un
effet régulateur sur le microbiote.” A.D.

PALÉONTOLOGIE PLANÉTOLOGIE
De l’héma-
tite, une forme
LE MÉGALODON MESURAIT
15 M DE LONGUEUR
L’ATMOSPHÈRE TERRESTRE de rouille, a
été détectée
FERAIT ROUILLER LA LUNE aux pôles
lunaires
En comparant des dents fossilisées
de ce monstre des mers, qui vivait il y Une équipe de l’université d’Hawaï (États-Unis) a dressé (en bleu).
a - 15 à - 3,6 millions d’années, avec une carte lunaire grâce aux données de la sonde Chan-
celles de requins actuels, des paléon- drayaan-1, sur laquelle figurent des zones riches en héma-
tologues américains ont estimé la taille tite, un minéral composé de fer oxydé, comme la rouille.
du mégalodon à 15 m. Ce gigantisme Une découverte étonnante… “Nous avions déjà identifié de
aurait été favorisé par du cannibalisme l’hématite sur des échantillons rapportés par Apollo, pré-
entre embryons dans l’utérus. L.G. cise Marc Chaussidon, de l’Institut de physique du globe,
mais pas à cette échelle.” Certes, le sol lunaire est riche en
Requin blanc 6 m fer métallique, et les météorites y ont déposé de l’eau.
Mais l’oxydation du fer nécessite des espèces chimiques
Mégalodon 15 m capables de lui donner des électrons. Or la Lune est ba-
layée par les vents solaires riches en protons (ions hydro-
gène positifs), qui ont tendance à capter des électrons.
30 m
Alors ? En 2017, une équipe japonaise avait montré que
de l’oxygène de la haute atmosphère terrestre peut par-
Baleine bleue venir sur la Lune. Pour les planétologues américains, c’est
probablement cet oxygène qui oxyderait le fer lunaire. A.D.

30 I S I DÉCEMBRE I 2020

Rencontre avec un maître
brasseur belge
Depuis 2016 la bière belge est inscrite au patrimoine
mondial de l’UNESCO. Par cet acte, elle est passée du
statut de boisson à celui d’institution culturelle.
Avec plus de 1 600 variétés reconnues au niveau mondial
et pas moins de 300 brasseries, ce qui a été longtemps perçu
comme une simple attraction touristique est désormais
Hans Van Remoortere,
Maître brasseur
un véritable étendard du savoir-faire belge. À tel point que
de la brasserie Bosteels, les Maîtres Brasseurs belges sont aujourd’hui des garants
Belgique. de leur culture à l’international et sillonnent le monde
pour former, éduquer et partager leur expérience. Dans cette
optique, nous avons rencontré Hans Van Remoortere,
le maître brasseur de la bière belge Tripel Karmeliet pour
en savoir plus sur la bière et répondre aux questions que
l’on se pose tous.
Hans goûte la production Tripel Karmeliet tous les jours à 11 h car
« c’est à ce moment-là que les papilles sont le plus alertes ».
ON VA COMMENCER PAR LE PLUS PRATIQUE.
COMMENT DÉGUSTE-T-ON UNE BIÈRE ?
On commence par regarder : sa mousse, sa couleur, sa pétillance.
Ensuite, on la sent pour déterminer les premières notes – n’hésitez pas
à la remuer pour l’aérer. Enfin, on goûte pour confirmer ce que l’on a
Photos : © Olivier Anbergen – septembre 2019. © JitskeSchols-01.
perçu auparavant : la texture, les flaveurs (...).
QUELLE EST L’IMPORTANCE D’UN VERRE LORSQUE L’ON DÉGUSTE UNE
BIÈRE ?
On ne servirait pas de champagne dans un verre à eau. Pour la bière,
c’est la même chose. Le choix du verre est primordial. La forme d’un
verre Tulipe (comme celui de la Tripel Karmeliet) permet de retenir la
mousse et ses arômes. Son pied, quant à lui, vous permet de tenir le verre
en main sans réchauffer la bière.
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
COMMUNIQUÉ
COMMENT SAIT-ON QUAND UNE BIÈRE
EST PRÊTE ?
Une bière passe par 4 à 5 stades. Je goûte le produit
à chacune de ces étapes tous les jours à 11 h - les
papilles sont plus alertes. Si à une phase on observe
une déviance de qualité, nous pouvons encore ajuster
le liquide afin de garantir un produit qualitatif à tous
les consommateurs.
POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE PLUS
SUR L’HISTOIRE DE VOTRE BIÈRE,
LA TRIPLE KARMELIET ?
C’est une histoire de famille. La brasserie a été créée
en 1791 par Jean-Baptiste Bosteels, avant même la
création du royaume de Belgique (1830). Depuis,
7 générations de brasseurs se sont succédé jusqu’à ce
qu’Antoine Bosteels, à la fin du 20e siècle, découvre
une recette oubliée de 1679 qui deviendra l’inspiration
de la Tripel Karmeliet actuelle.
C’EST L’UNE DES RARES BIÈRES BRASSÉES À BASE
DE 3 GRAINS. VOUS NOUS EN DITES PLUS ?
Notre engagement est de créer une bière parfaitement
équilibrée. On dit qu’une bière est équilibrée lorsque
“l’onctuosité”, “l’acidité” et “le caractère” sont
parfaitement balancés. La Tripel Karmeliet trouve
cet équilibre, notamment grâce à l’association de 3
grains :
L’Orge qui apporte le corps à la bière.
Le Froment pour l’onctuosité et la fraîcheur.
L’Avoine pour le caractère.
Sans ces 3 grains, la Tripel Karmeliet n’existerait pas.
SI VOUS DEVIEZ QUALIFIER
LA TRIPEL KARMELIET ?
La Tripel Karmeliet n’est pas une bière brassée en
3 semaines, nous prenons le temps de faire les choses.
Le brassin passe plusieurs semaines en cuve, laissant
aux saveurs le temps de se développer naturellement
et la production finit par une refermentation en
bouteille. On a donc un cycle de brassage de 6 à
7 semaines, ce qui est nettement plus long que la
majorité des bières présentes sur le marché, reflétant
notre savoir-faire traditionnel et notre authenticité.
Nous remercions Hans d’avoir pris le temps de
répondre à nos questions. Un échange chaleureux
avec un passionné pour nous permettre d’en
apprendre plus sur l’univers de la bière.
 L’actu des sciences En chiffres

OCÉANOGRAPHIE

MONTÉE DES OCÉANS : ON EN CONNAÎT

ENFIN TOUTES LES CAUSES
En associant des mesures centenaires à 25 ans d’observations
satellite, des chercheurs ont quantifié toutes les causes de la
montée de chaque océan depuis 1900, fonte des glaces en tête. PAR GUILLAUME LANGIN

Contributions à la montée 200

des eaux entre 1900 et Passé un ralentissement dû à la construction

Montée du niveau des océans

2018 en millimètres par an d’immenses barrages dès 1950, la montée

depuis 1900 en millimètres

des eaux s’accélère depuis les années 1970 160
Hausse
Bilan avec la fonte des côtes du Groenland et le
Baisse réchauffement des océans. 120

+ 1,08 80
mm/an
40
Amérique Atlantique Nord
du Nord subpolaire
0
Europe
1900 1950 1970 2018

EXPANSION THERMIQUE Asie

+ 2,49 REBOND POST-GLACIAIRE

mm/an
FONTE DES GLACIERS
FONTE DES CALOTTES POLAIRES
EAU STOCKÉE (BARRAGES) + 1,33
Atlantique Nord mm/an
subtropical
Asie
Océan Indien et
Pacifique Sud

+ 2,07 Antarctique + 1,68

Un rebond post-glaciaire mm/an mm/an
touche surtout
l’hémisphère Nord
Depuis la fonte des glaces Pacifique
au terme de la dernière Atlantique Sud Nord-Ouest
M.KONTENTE - L.DESRAYAUD - PROJECTION SPILHAUS

glaciation, il y a 10 000 ans,
la croûte terrestre s’élève
en certains endroits, libérée Amérique
du poids de la glace. du Sud

+ 1,20
L’expansion thermique déforme mm/an
la surface de tous les océans
Plus l’eau se réchauffe, plus son
Pacifique Est Amérique
volume global augmente : le niveau du Nord
monte. Mais à l’échelle du Globe,
ce phénomène n’est pas homogène.
Source : Nature, 2020

32 I S I DÉCEMBRE I 2020
 L’actu des sciences Grand angle

PHOTONIQUE

UN NOUVEAU MATÉRIAU
IMITE LE DIAMANT
Dureté, transparence, dispersion des couleurs: le diamant
doit ses propriétés uniques à sa structure cristalline,
consistant en un empilement régulier d’atomes de car-
bone. Une équipe de l’université de New York est parve-
nue à fabriquer des particules qui s’assemblent spontané-
ment dans cette configuration, obtenant un matériau pro-
metteur pour l’industrie optique. Elle a substitué chaque
atome de carbone par des assemblages de 4 billes de po-
lystyrène de quelques micromètres de diamètre. Disper-
sées dans l’eau, les billes forment une suspension colloï-
dale. Leur auto-assemblage est guidé par des fragments
d’ADN judicieusement disposés sur leur surface. “Ce ma-
tériau possède des propriétés optiques intéressantes, se
réjouit Étienne Ducrot, un des membres de l’équipe. Il peut
Les billes de
notamment bloquer la propagation d’un ensemble de lon-
polystyrène se
gueurs d’onde.” Or, cette caractéristique peut s’avérer utile
structurent comme
un diamant. 300 nm pour fabriquer des cavités optiques, guider les ondes ou
contrôler le passage de photons dans des circuits. A.D.

HÉMATOLOGIE Grenoble. Ce que cette parole, de mémoire, de

UNE NOUVELLE PISTE THÉRAPEUTIQUE étude formidable montre, motricité, etc.). Cepen-
POURRAIT RÉDUIRE LES SÉQUELLES DE L’AVC c’est qu’une grande partie dant, elle provoque aussi
des séquelles d’un AVC une inflammation générale
Une thérapie étonnante brale réduite de 70 à 80 %, sont évitables si l’on par la libération, dans le
a permis à des souris de et des défaillances cogni- réduit l’inflammation qu’il sang, de nombreuses
récupérer d’un accident tives allégées. L’expé- provoque.” L’accident cellules et protéines
vasculaire cérébral : des rience ouvre de nouvelles vasculaire cérébral sur- immunitaires. Or c’est
biologistes de la West perspectives thérapeu- vient en effet quand un ce signal que réduit la
Virginia University, aux tiques… mais pas forcé- caillot empêche l’irrigation substitution de sang chez
États-Unis, ont remplacé ment celles que l’on croit. d’une partie du cerveau les souris. Chez l’être
20 % de leur volume san- “Il ne s’agit pas d’appli- pendant plusieurs humain, les séquelles d’un
guin par le sang de souris quer ce type de solution minutes. La mort tissulaire AVC pourraient donc
n’ayant pas eu d’AVC. radicale à l’humain, pré- affecte les facultés céré- peut-être être réduites par
DAVID PINE

Résultat : une mortalité vient Olivier Detante, brales de manière souvent l’usage de traitements
diminuée, une lésion céré- neurologue au CHU de irrémédiable (pertes de anti-inflammatoires. A.D.
bref…

EN 75 ANS, LES FLEURS SE SONT ASSOMBRIES ON PEUT ÊTRE IMMUNISÉ CONTRE LES ODEURS DE POISSON
Pour se protéger des UV face à la réduction de la Certaines personnes atteintes d’une rare mutation
couche d’ozone et au réchauffement climatique, génétique de l’odorat ne sentiraient pas les effluves de
en

la pigmentation des fleurs a augmenté de 2 % par poisson, voire les confondraient avec des parfums plus
an. Mais seuls les pollinisateurs le voient ! O.D. agréables. 2,2 % des Islandais seraient concernés. L.G.

34 I S I Décembre I 2020
 IL EST MALIN,
CE GODIN !

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www.godin.fr
Science
& société Enquête

UN VECTEUR ÉNERGÉTIQUE PROMETTEUR

GETTYIMAGES - SHUTTERSTOCK - L.DESRAYAUD

1 kg 1/5 75 à 90 %
d’hydrogène contient L’hydrogène pourrait C’est dans cette
3 fois plus d’énergie être la source d’un proportion que
que 1 kg de gazole, cinquième de l’éner- l’hydrogène permet-
et 2 fois plus d’énergie gie consommée sur la trait de réduire la
que 1 kg de gaz naturel. planète en 2050, selon contribution du trans-
C’est la molécule le cabinet McKinsey, port aérien à l’effet
la plus énergétique soit un marché de de serre, par rapport
(33 kWh/kg). 2 200 milliards d’euros. au kérosène.

36 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
Le gouvernement français vient d’annoncer un plan de
7 milliards d’euros pour développer la filière hydrogène d’ici
à 2030. Objectifs : décarboner tous les secteurs de l’industrie,
la mobilité lourde et, à terme, stocker l’électricité renouvelable
intermittente. Réaliste ? PAR HUGO LEROUX

Transport, industrie, énergie…

Faut-il croire à la
révolution hydrogène ?

s
s
2 PROCÉDÉS POUR
PRODUIRE DE L’HYDROGÈNE
dont 3,4 milliards d’ici à Nucléaire Électrolyse
(à base d’eau
2023. 54 % de ce bud- et électricité)
get servira à décarbo-
SANS CO2
ner l’industrie, 27 % à
développer la mobilité,
Dihydrogène
et 19 % à soutenir la Renouvelables stockable
recherche. La priorité ?
L’hydrogène “vert” (issu
AVEC CO2
des énergies renouve-
Fossiles Reformage de
lables ou du nucléaire). gaz naturel

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 37
Science & société Enquête

Depuis des décennies,

les scientifiques ont en ef- Les
fet compris le formidable
potentiel de la molécule
3 terrains

M sur lesquels
de dihydrogène (H2) : elle
est très dense en énergie,

irage techno-
logique pour certains, vec-
teur énergétique du futur
pour d’autres, l’hydrogène
divise depuis longtemps
les spécialistes de l’éner-
gie. Mais après des décen-
nies de recherches canton-
nées aux laboratoires, et
quelques timides projets de
démonstration préindus-
triels, l’État français vient
de basculer dans le second
camp. En annonçant l’at-
tribution d’une enveloppe
de 7 milliards d’euros à
la filière d’ici à 2030, son
objectif est clair : faire de
la France un champion
industriel de l’hydrogène
propre. “C’est une nou-
velle formidable. La France
a déjà laissé passer le train
du solaire et de la batterie
et sa combustion dans un
moteur ou sa consomma-
l’hydrogène
tion dans la pile à com- est attendu
bustible d’un véhicule
électrique dégagent de
la vapeur d’eau… et zéro
CO2. Autre avantage de
taille : si l’hydrogène n’est
pas directement disponible
dans la nature, il peut être
produit sans émission di-
recte de carbone – on parle
d’“hydrogène vert” –, à
partir d’électricité renou-
1 Transports : train, camion,
bateau et avion
Alors que les batteries électriques
s’avèrent encombrantes et limitées en
puissance pour les transports longue
velable. La réaction clé est distance, l’hydrogène offre une bonne
l’électrolyse, qui consiste densité énergétique, et des temps
à “casser”, grâce à un cou- de recharge de quelques minutes.
rant électrique, la molécule
d’eau (H2O) pour récupérer Philibert, ancien analyste à pointe François Kalaydjian,
ses composants : oxygène l’Agence internationale de directeur économie et veille
(O2) d’une part et hydro- l’énergie. Il n’en fallait pas à l’Ifpen. Voilà pourquoi
gène (H2) d’autre part. Cela plus pour que les enthou- le temps de l’hydrogène
permettrait théoriquement siastes propulsent la petite semble venu ! De fait, la
de stocker massivement molécule au rang de vec- France n’est pas la seule à
les productions solaire et teur énergétique du futur. se lancer dans la bataille.

COPYRIGHT PRORAIL_STEFAN VERKERK - GETTYIMAGES - J.-C.MOSCHETTI/REA - B.CLERGUE/IFRI

sur le plan industriel. Cette éolienne, qui fluctuent
fois, elle se place en bonne en fonction de la météo,
position pour l’hydro- lorsqu’on n’en a pas be-
gène”, se félicite François soin. “À long terme, la pro-
Le Naour, responsable du duction d’hydrogène peut
programme “Hydrogène” donc permettre d’intégrer
au Commissariat à l’éner- plus de 30 à 50 % d’éner-
gie atomique et aux éner- gies éolienne et solaire sur
gies alternatives (CEA). le réseau”, résume Cédric
CÉDRIC PHILIBERT
Ancien analyste à l’Agence internationale
de l’énergie
La production d’hydrogène
peut permettre d’intégrer
sur le réseau de 30 à 50 %
d’énergies éolienne et solaire
OBJECTIF DÉCARBONATION
Aujourd’hui, les atouts de
l’hydrogène sont même
devenus indispensables
pour concrétiser les objec-
tifs climatiques, qui pré-
voient la neutralité carbone
de l’Europe pour 2050.
“Cette feuille de route im-
plique que l’ensemble des
secteurs devra être à zéro
émission nette d’ici trente
ans. Or seul l’hydrogène a
la capacité de décarboner
rapidement certains sec-
teurs, comme la mobilité
lourde ou les industries
gourmandes en énergie (si-
dérurgie, ciment, chimie)”,
L’Allemagne a annoncé un
plan colossal pour l’hydro-
gène de 9 milliards en dé-
cembre 2019 (voir encadré),
et plusieurs autres grandes
puissances (Chine, Corée,
Japon, Californie) ont lancé
ces dernières années des
politiques de déploiement
majeures, allant de la pro-
duction aux usages (mobi-
lité, industrie…).
Dans cette course mon-
diale, la France met l’accent
sur la production d’hydro-
gène vert. Le premier site
industriel de production
tricolore, branché sur des
éoliennes locales, a d’ail-
leurs été inauguré par la

38 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
 3 Réseau électrique :
solaire, éolien
Produire de l’hydrogène
par électrolyse pourrait,
en apportant une solution
de stockage, absorber les
surplus de production
d’électricités renouve-
lables intermittentes.
De quoi éviter des désé-
quilibres sur le réseau,
et continuer à augmenter
la part du solaire et de
l’éolien dans le mix éner-
gétique.

sultat, aujourd’hui, une

2
voiture propulsée avec cet
Industrie : raffinage, chimie, sidérurgie hydrogène dit “gris” émet
100 g de CO2/km environ,
900 000 t annuelles d’hydrogène sont consommées soit à peine moins qu’un
par l’industrie française. Un débouché évident pour l’hy- diesel dernier cri. Pas vrai-
drogène dit “vert”, permettant de limiter les émissions
ment la révolution écolo-
de gaz à effet de serre de l’industrie.
gique attendue!
Côté mobilité, juste-
start-up Lhyfe en septembre lité, sans se préoccuper de l’hydrogène au niveau ment, la filière hydro-
dernier, et livrera 300  kg de la manière dont il est mondial est produit par le gène semble avoir mûri
d’hydrogène par jour. “C’est produit”, se félicite Phi- procédé de vaporeformage et trouvé sa place dans la
à saluer, car trop de plans lippe Boucly, président de méthane (CH4) fossile… transition énergétique. “À
par le passé se sont focali- de l’Afhypac, l’association avec à la clé l’émission de part ses promoteurs achar-
sés sur les usages de l’hy- des industriels de l’hydro- 10  t de carbone pour 1  t nés, plus personne n’es-
drogène, comme la mobi- gène. Or, aujourd’hui, 95% d’hydrogène produit. Ré- père concurrencer à court

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 39
Science & société Enquête

terme et frontalement la
voiture électrique grand Les 3 défis qui restent
public à batteries, dont les
prix chutent rapidement
à relever
et la densité énergétique
ne cesse de s’améliorer”,
explique Cédric Philli-
bert. Signe des temps,
Mercedes-Benz a aban-
donné cette année son
programme en la matière,
laissant Hyundai et Toyota
seuls constructeurs en lice
au niveau mondial. “La
place de l’hydrogène se si-
tue d’abord sur des usages
où l’on sait que les batteries LE COÛT
s’avéreront insuffisantes
en termes de puissance Le coût de la pile à combustible (capable de convertir
délivrée ou d’encombre- l’hydrogène en électricité) pèse encore lourd dans celui des
ment, comme l’aéronau- véhicules à hydrogène. Il contribue également à éloigner
la perspective futuriste de refournir de l’électricité sur le
tique ou le transport ma-
réseau à partir de l’hydrogène stocké.
ritime”, analyse Florence
Lambert, directrice du
CEA-Liten. Airbus vient dai, développent des sollicitées en permanence dans des fours adaptés, en
ainsi d’afficher de hautes semi-remorques 100 % et sur de longues distances. lieu et place du charbon,
ambitions, avec l’annonce hydrogène. Quant à PSA Sur ce créneau, le temps pour réduire les oxydes de
d’un avion de ligne 100 % et Renault, ils travaillent de recharge de quelques fer servant ensuite à fabri-
hydrogène pour 2035. Les à des véhicules utilitaires minutes et le supplément quer l’acier. Mais cela né-
constructeurs de poids en version H2 : “Il y a un d’autonomie fourni par cessite encore de la R&D”,
lourds routiers, comme avantage pour les flottes l’hydrogène offrent un ar- précise François Kalay-
Daimler-Volvo ou Hyun- professionnelles captives gument réel par rapport à djian. En verdissant les
l’électrique”, estime Flo- quelque 900000 t d’hydro-
rence Lambert. gène consommées chaque
Mais en attendant que année par l’industrie fran-
L’électrolyse, une réaction cette offre de mobilité hy- çaise, le gouvernement es-
connue depuis 120 ans drogène s’étoffe, l’hydro- père amputer les émissions
gène vert devrait avant de gaz à effet de serre na-
Décomposer de l’eau à l’aide d’un courant électrique tout servir à décarboner tionales de 3% en quelques
pour obtenir de l’hydrogène : l’idée ne date pas d’hier… l’industrie. “L’hydrogène années. Le plan prévoit en
C’est en effet en 1800 que deux chimistes britanniques, entre comme réactif dans effet des aides pour inci-
William Nichols et Anthony Carlisle, ont fait la première une multitude de procédés ter les industriels à acheter
démonstration de la réaction d’électrolyse. Par la suite, comme le raffinage de pé- cet hydrogène vert, encore
la technologie des électrolyseurs alcalins a connu un pic trole, la synthèse d’ammo- deux à trois fois plus cher
industriel de 1930 à 1990 : “Pendant cette période, elle niac pour les engrais, ou que son équivalent gris (5 à
fournissait l’essentiel de l’hydrogène consommé dans de méthanol, une brique 6 €/kg, contre 2 €/kg).
le monde pour la synthèse d’ammoniac, matière première chimique de base”, ex- Cette question du prix
GETTY IMAGES - DR

des engrais azotés”, explique Cédric Philibert, ancien plique François Kalaydjian. n’est pas anodine: certains
analyste à l’AIE. La preuve, selon l’expert, qu’un déploie- L’hydrogène peut aussi allé- observateurs sont sceptiques
ment massif dans un contexte de sortie des énergies ger l’impact de la sidérur- quant à la capacité de l’hy-
fossiles ne relève pas du fantasme. gie. “Il pourrait être utilisé drogène vert à devenir com-

40 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
 LE RENDEMENT
L’hydrogène “vert” peut être produit par électrolyse de l’eau
à partir d’électricité renouvelable. Mais le rendement et la lon-
gévité des électrolyseurs doivent s’améliorer. Autre difficulté :
l’éolien terrestre et le solaire ne tournent à pleine puissance
que 1 500 et 1 000 h par an (sur 8 780 h).
LE STOCKAGE
Pour stocker massivement l’hydrogène sur de longues périodes,
on peut le comprimer dans des réservoirs de 700 bars.
Mais cette solution cause trop de pertes énergétiques. D’autres
pistes sont à l’étude, comme le stockage dans des cavités
naturelles ou l’injection dans le réseau de gaz naturel.

pétitif en dehors de toute de la mise sous pression de alcaline, consistant à dé-

subvention. Et donc quant
à sa probabilité de jouer un
rôle significatif dans la dé-
carbonation de l’économie
d’ici à 2050. “La chaîne de
l’hydrogène présente des
points faibles intrinsèques
qui ne disparaîtront pas
par magie”, pointe Étienne
Beeker, conseiller scienti-
fique chez France Stratégie,
un think tank gouvernemen-
tal, et auteur d’une note sur
le sujet en 2014.
CHÈRE ET PEU RENTABLE
Premier point faible: le ren-
dement de l’électrolyse, li-
mité à 70%. La liaison ato-
mique hydrogène-oxygène
étant très forte, scinder la
molécule d’eau requiert
bien plus d’énergie que de
séparer la molécule de mé-
thane (CH4). “Des pertes ont
également lieu au moment
l’hydrogène, de son stoc-
kage et de son transport.
Enfin, si l’on consomme
l’hydrogène pour la mobilité
électrique à travers une pile
à combustible, on déplore
encore un rendement de 50
à 60% seulement. Dans ce
cas de figure, le rendement
global de la prise à la roue
se situe donc entre 25 et
30%.”, détaille cet ancien
ingénieur cadre d’EDF R&D
[contre 75% pour un véhi-
cule électrique classique,
ndlr]. “Cela veut dire que
deux électrons sur trois
sont perdus en route… Ou
encore que deux éoliennes
sur trois sont construites
pour rien”, insiste-t-il.
Autre inconvénient :
le coût brut de l’électro-
lyse, qui demeure élevé.
La technologie la plus
mature, l’électrolyse dite
composer l’eau au moyen
d’un courant électrique
circulant entre deux élec-
trodes immergées dans un
électrolyte, est utilisée de-
puis plus de cent ans (voir
encadré). Mais il faut au-
jourd’hui compter un coût
de 1 000  € par kilowatt- ÉTIENNE BEEKER
heure installé. “Donc, Ancien ingénieur cadre d’EDF R&D
pour alimenter une unité
de raffinage de 400  MW,
La chaîne de l’hy-
on parle de 400  millions drogène présente
d’euros d’investissement, des points faibles
ce qui est considérable”, intrinsèques qui
calcule François Kalay- ne disparaîtront
djian… Et puis cette tech- pas par magie
nologie supporte mal les
variations de charge élec-
trique inhérentes à une
installation solaire ou
éolienne. Quant à l’autre
grande technologie d’élec-
trolyse, dite PEM (proton
exchange membrane), qui
sépare oxygène et hydro-

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 41
Science & société Enquête

gène par le moyen d’une Or leur prix a chuté grâce cette option s’avère trop placements dans les mé-
membrane échangeuse de aux effets conjoints de coûteuse pour du stoc- taux à l’échelle atomique,
proton, elle s’avère adap- la R&D et des économies kage saisonnier ou du et à causer à la longue des
tée aux soubresauts des d’échelle dues à l’indus- transport longue distance. phénomènes de fatigue et
énergies intermittentes… trialisation”, rassure Fran- De même, l’option de la li- de cassure”, expose Fran-
mais encore plus coû- çois Le Naour. De fait, le quéfaction est délicate car çois Le Naour. La concen-
teuse : 1 300 à 1 500 €/kW. coût des électrolyseurs a l’hydrogène change d’état tration maximale d’hydro-
“Il y a encore de la R&D déjà baissé de 60 % sur les à - 252 °C, ce qui demande gène injectable dans le
à mener pour diminuer la dix dernières années, et la des installations cryogé- réseau existant serait ainsi
quantité de platine utilisée Commission européenne niques souvent prohibi- limitée entre 5 et 10 %.
dans les électrodes, car il prévoit encore une divi- tives”, poursuit l’expert. Dernière solution: recon-
s’agit d’un métal rare et sion par deux d’ici à 2030. Pour comparaison, le GPL vertir l’hydrogène, par une
opération chimique supplé-
mentaire, en une molécule
plus facile à manipuler et à
France/Allemagne, des stratégies divergentes transporter, comme le mé-
thane ou l’ammoniac (NH3).
Un plan de 7 milliards d’euros pour la France, un autre de 9 milliards pour l’Allemagne, une
ON NE TRICHE PAS AVEC
volonté affichée de coopération industrielle sur le sujet… A priori, le couple franco-allemand LES LOIS DE LA CHIMIE
part sur un bon pied pour devenir un champion mondial de l’hydrogène. Mais à bien y regar-
der, les stratégies diffèrent. “La France mise quasi exclusivement sur l’hydrogène ‘vert’, pro- Le projet pilote Jupiter 1000
duit par électrolyse, tandis que l’Allemagne y ajoute de l’hydrogène dit ‘bleu”, c’est-à-dire issu à Fos-sur-Mer vise ainsi à
du gaz naturel mais décarboné par un procédé de captage du CO2”, analyse François Kalay- recombiner de l’hydrogène
djian, de l’Ifpen. Par ailleurs, à long terme, les seules installations d’énergies renouvelables vert produit localement à
ne suffiront pas à traiter les besoins en hydrogène, et France et Allemagne divergent sur la du CO2 capté sur une che-
manière de trouver le surplus d’électricité décarbonée. “Si on lit entre les lignes, la France minée industrielle voisine
mise sur le nucléaire, qui doit rester à 50% de son mix énergétique en 2050”, note Étienne pour produire du méthane.
Beeker. Côté allemand, “ils comptent vendre leurs électrolyseurs à des pays dont les res- Mais, là encore, on ne peut
sources éoliennes et solaires sont excellentes, comme le Maroc, puis leur acheter de l’hydro- pas tricher avec les lois de
la chimie: “La molécule de
gène, de l’ammoniac et d’autres produits riches en hydrogène”, analyse Cédric Philibert.
CO2 étant très stable, il est
coûteux énergétiquement
de la faire réagir”, constate
cher, et pour augmenter la Reste enfin l’épineux devient liquide à seule- Étienne Beeker. Avec
durée de vie du système”, problème de la manipu- ment - 25 °C… En consé- comme inconvénient de
complète Daniel Hissel, lation et du stockage de quence, certains projets faire chuter le rendement
chercheur au CNRS. l’hydrogène. Pour une rai- visent le stockage massif global de la chaîne en des-
Les tenants de l’hydro- son simple : H2 est la plus d’hydrogène dans des ca- sous de 15%. “Cette option
gène balaient certaines petite molécule présente vités salines, à 100 bars. ne semblerait viable qu’à
de ces limites. “D’une à l’état naturel. Son gaz D’autres, comme le pro- très long terme”, conclut
part, le coût des énergies est donc très peu dense. jet pilote Grhyd, mené Cédric Philibert.
renouvelables servant à “Il faut la comprimer très par GRTgaz à Dunkerque Si les promesses de la
produire l’hydrogène vert fort pour qu’elle acquière depuis 2014, s’intéressent chaîne hydrogène appa-
a chuté de manière spec- une densité énergétique à l’injection d’hydrogène raissent donc formidables
taculaire ces dernières intéressante”, note Étienne dans le réseau de gaz natu- sur le papier, la complexité
années, et continue de le Beeker. Cette technologie rel (composé, lui, principa- de son déploiement n’en
faire. D’autre part, concer- est déjà maîtrisée et mise lement de méthane). Avec, fait pas une solution mi-
nant le coût des électroly- en œuvre avec des réser- là encore, une limite: la ré- racle. Des bémols à garder
seurs, on avait le même voirs à 700  bars présents sistance des canalisations. en tête pour l’avènement
débat il y a vingt ans sur dans les véhicules à hy- “La molécule d’hydrogène d’une filière française de
les batteries au lithium. drogène existants. “Mais tend à provoquer des dé- grande envergure.

42 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
 Science & société Data

Alerte à la pollution au plomb

chez les jeunes
France
Du mieux grâce
à l’habitat rénové
Depuis 1995, la proportion d’en-
fants de 1 à 6 ans affichant une
plombémie supérieure à 5 mi-
crogrammes/décilitre de sang
(μg/dl), seuil de saturnisme, est
passée de 25% à 2%. Fin des
carburants plombés, traitement
de l’eau potable et réhabilitation
de l’habitat ancien y ont contri-
bué. Même si les vieilles peintu-
res à base de céruse restent une
forte source de contamination.

Mexique
Une contamination
alimentaire
Près de 14 millions d’enfants
mexicains ont un taux de plomb
dans le sang supérieur à
5 μg/dl. En cause ? Le vernis au
plomb qui recouvre les poteries
traditionnelles utilisées pour cui-
siner et manger. Autre source
de contamination, assez inat-
tendue : les épices frelatées, tel
le curcuma, qui contiennent du
chromate de plomb.

Ghana
Gare aux déchets
électroniques
Globalement, le pays s’en sort
mieux que ses voisins avec un
taux de plomb moyen dans le Mort Les pathologies
Taux de plomb dans le sang en μg/dl

150
sang inférieur à 5 μg/dl. Pour Séquelles du saturnisme
autant, le Ghana abrite l’une des neurologiques
SOURCE : UNICEF, PURE EARTH, 2020
ANYFORMS DESIGN - L.DESRAYAUD

graves Les enfants sont en pre-

plus grandes décharges de dé-
chets électroniques du monde, 105 Encéphalopathie mière ligne : leur corps
à Agbogbloshie, source de 90 Colique, absorbe 4 à 5 fois plus le
néphropathie
contamination au plomb pour Synthèse réduite
plomb par quantité ingé-
les jeunes qui y travaillent sans 60 de l’hémoglobine rée que les adultes, et les
protection. L’utilisation de ma- 40
Atteinte nerveuse effets sont dévastateurs
chines pour manipuler ces com- Anémie chez les moins de 5 ans,
Puberté retardée
posants dangereux est un pre- 20
Impacts sur le dont le cerveau n’a pas
mier pas vers une amélioration. 0 développement fini de se développer.

44 I S I DÉCEMBRE I 2020
C’est une statistique à peine croyable : dans le monde, un tiers
des jeunes de 0 à 19 ans affichent un niveau dangereux de
plomb dans le sang, les exposant au saturnisme. Ils sont ainsi
800 millions, surtout en Asie et en Afrique, à subir la présence de ce neu-
rotoxique dans l’air, l’eau, la nourriture. Une crise sanitaire silencieuse. PAR LISE GOUGIS

Finlande
L’enfance sans plomb
Avec une plombémie moyenne
de 0,8 μg/dl, les enfants finlan-
dais sont les moins touchés du
monde. Ce taux a baissé, ces
dernières décennies, notamment
grâce à une réglementation très
stricte des pratiques agricoles.
Ainsi, la Finlande affiche une
concentration de métaux lourds
dans le sol jusqu’à 3 fois infé-
rieure aux pays du sud de l’Eu-
rope, et les céréales contiennent
30 % moins de plomb que la
moyenne européenne.

Bangladesh
La plaie des batteries
au plomb
Plus de 35,5 millions d’enfants
ont une plombémie élevée dans
ce pays qui compterait 1 100 sites
de recyclage informel de batte-
ries au plomb issues de voitures.
Elles y sont récupérées dans des
conditions dangereuses et brû-
lées dans des fourneaux à ciel
ouvert, émettant des fumées
toxiques. Le taux de plomb dans
le sang des enfants à proximité
peut dépasser 30 μg/dl !

TAUX DE PLOMB CHEZ LES
ENFANTS (en μg/dl de sang,
902 000
chiffres de 2019)
0à1
C’est le nombre de décès liés au
1à2 plomb en 2019 – contre 620 000
pour le paludisme. La mortalité par
2à3 intoxication au plomb a augmenté
de 21 % dans le monde depuis
3à5
1990. En outre, 21,7 millions
5 à 15 d’années de vie en bonne santé
ont été perdues à cause des
Pas de données maladies qu’il provoque.
851
C’est, en milliards d’eu-
ros, le coût de l’exposition
des enfants au plomb
dans les pays à revenu
faible ou intermédiaire
d’Afrique, d’Asie, d’Amé-
rique du Sud et des
Caraïbes.
Afghanistan
La faute aux cosmétiques
Le pays compte 19,5 millions d’en-
fants intoxiqués et une plombémie
moyenne de 14 μg/dl. L’une des
sources de contamination est un
cosmétique traditionnel pour les
yeux, le khôl, appliqué aussi chez les
plus jeunes. Fabriqué de manière
artisanale, il contient jusqu’à 50 %
de sulfure de plomb. Son utilisation
au quotidien peut tripler le taux de
plomb dans le sang des enfants.

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 45
Science & société Retour sur image

Le jour où le diable de
Tasmanie a retrouvé l’Australie

1
Une aire de répartition
qui a été fortement
réduite

Comme son nom l’indique, le diable

de Tasmanie ne vit qu’en Tasmanie, un État
insulaire australien situé à 200 km de la côte
sud-est de l’île principale. Mais cela n’a pas
toujours été le cas. L’espèce était présente dans
une large partie de l’Australie avant de disparaître
il y a environ 3 000 ans, probablement sous
l’effet combiné de plusieurs facteurs (chasse,
concurrence alimentaire avec le dingo…).

2 Une espèce menacée

par une maladie
mortelle

Sa population est passée d’environ

120 000 individus en 1996 à 20 000
aujourd’hui, principalement à cause
d’une maladie mortelle, une tumeur
faciale transmissible entre individus.

DENSITÉ DE LA POPULATION
3,5
3
Individus/km2

2,5
2
1,5
1
0,5
0
1996 2001 2006 2011 2016 3 Un projet de
réintroduction pour
la sauvegarder
A.PRETTY/GETTY IMAGES/AFP

Face au risque de disparition avéré,

l’idée de constituer des populations
exemptes de la maladie qui décime
l’espèce a émergé il y a plusieurs
années. La réintroduction de diables
dans le parc national des Barrington
Tops (à 200 km au nord de Sydney)
est le premier projet à aboutir.

46 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
Ce marsupial carnivore, disparu d’Australie il y a 3 000 ans, ne
survivait plus qu’en Tasmanie. Pour sauver cette espèce menacée,
15 individus ont été réintroduits sur l’île-continent il y a quelques mois,
suivis de 11 autres le 10 septembre. Une opération qui pourrait égale-
ment avoir des effets positifs sur tous les écosystèmes australiens. PAR CORALIE HANCOK

4 Des bénéfices
attendus sur tout
l’écosystème

“Pour éviter les diables, les chats

errants changent de comportement :
ils chassent le jour au lieu de la nuit”,
explique Rob Brewster, directeur
de Rewilding Australia, l’une des
ONG à l’origine de cette opération.
Indirectement, la présence du diable
de Tasmanie pourrait donc limiter
la prédation des chats sur plusieurs
espèces de marsupiaux nocturnes
fouisseurs (rats-kangourous...). Or,
“en retournant la terre, ces animaux
améliorent la pénétration de l’eau
et des feuilles mortes dans le sol,
ce qui limite la propagation des
incendies” souligne Rob Brewster.

5 D’autres espèces
pourraient être
concernées

Pour le moment, seuls 26 diables ont été relâchés,

dans un espace clos. Mais il s’agit d’une première
étape : le lâcher de nouveaux individus sur des
sites différents et, cette fois, en totale liberté,
est envisagé. D’autres espèces, comme le chat
marsupial moucheté, également endémique
de Tasmanie, sont également concernées.

DÉCEMBRE I 2020 ISVI 47

 Science & société
L’étrange affaire…
des attaques d’orques
au large de Gibraltar
T
out commence
par un choc brutal sous la
coque. Puis les coups se
multiplient, au risque de
faire basculer les passagers;
le bateau semble même par-
fois se soulever! Au bout de
quelques minutes, les com-
mandes ne répondent plus:
le gouvernail est hors ser-
vice, la quille paraît aussi
endommagée. Il faut appe-
ler les secours…
Depuis cet été, de Gibral-
tar jusqu’au nord-ouest
de l’Espagne, une dizaine
de navires de plaisance
ont été la cible de groupes
d’orques épaulards dans un
MINISTERIO DE TRANSPORTES MOVILIDAD Y AGENDA URBANA, ESPANA - S.AQUINDO
scénario digne d’un film à
sensations. Incompréhen-
sible… Cette population
de cétacés, évoluant entre
Atlantique et Méditerra-
née, a de tout temps affiché
une attitude parfaitement
débonnaire et pacifique.
Comment en sont-ils venus
soudain à fracasser et même
à dévorer des gouvernails
en fibre de verre ? Quelle
est la cause de ce com-
portement inédit ? Soyons
clairs, les orques ne sont
pas des tendres: ces super-
prédateurs de 5 t n’hésitent
48 I S I Décembre I 2020
Décryptage
pas à s’attaquer aux ba-
leines et aux grands requins
blancs. Pour autant, “il n’y
a pas de cas établi d’at-
taque d’orque sur un hu-
main dans la nature, nous
ne faisons pas partie de
leur répertoire de proies”,
insiste Christophe Guinet,
spécialiste du comporte-
ment des mammifères ma-
rins à l’université de La Ro-
chelle. “À aucun moment
la vie des humains sur ces
Les biologistes marins observent que les orques épaulards
sont irrésistiblement attirées par le gouvernail des bateaux.
bateaux n’a été menacée”,
tient à signaler Ruth Este-
ban, chercheuse au musée
de la Baleine, à Madère, qui
pilote une cellule de crise
sur ces événements.
D’accord, mais des orques
traumatisées par la captivité
se sont déjà montrées agres-
sives, voire meurtrières
pour leurs dresseurs; 45%
des orques détenues par le
parc d’attractions américain
Seaworld, depuis 1964, ont
provoqué des incidents.
Celles de Gibraltar auraient-
elles, d’une certaine ma-
nière, “pété les plombs” ?
“Cette population a été
déclarée récemment en
danger critique d’extinc-
tion, vu le nombre très
réduit d’individus et leur
dépendance au thon rouge
surexploité par l’homme,
évoque la biologiste marine
Pauline Gauffier. Ces orques
sont aussi victimes d’une
très forte pollution aux
PCB, ce qui peut affecter
leur santé… mais ce n’est
pas nouveau et il est diffi-
cile d’établir un lien direct
avec ce comportement ap-
paru cet été chez quelques
animaux.”
Et le bruit du trafic ma-
ritime réapparu après le
Rappel des faits
Depuis fin juillet, une
dizaine de bateaux de
plaisance au large de
Gibraltar, du Portugal
et de l’Espagne ont été
endommagés par des
groupes d’orques.
confinement ? “Une de
leurs techniques de chasse
repose sur l’écoute passive
des proies et nécessite un
faible bruit ambiant, recon-
naît la chercheuse. Sauf que
cette population est déjà
habituée au trafic intense
du détroit de Gibraltar ; et
puis, ils se sont attaqués à
des voiliers peu bruyants.”
Outre la crise de nerfs,
l’hypothèse d’une ven-
geance est aussi évoquée :
“Les trois jeunes orques les
plus impliquées dans ces
interactions présentent
des cicatrices sur le corps,
observe Ruth Esteban.
Il est possible qu’elles
aient adopté ce compor-
tement inhabituel après
une mauvaise rencontre
avec un bateau.” Mais de
là à s’acharner sur tous les
navires sans distinction…
cela ne ressemble pas à ces
animaux supérieurement
intelligents.
 #C’ESTDIT !

#C’ESTDIT !
Peut-être que ces bles-
sures sont tout simplement
le signe d’un tempérament
très téméraire et joueur.
“Il n’est pas rare que des
jeunes orques nagent dans
le sillage des bateaux, par-
fois tout près du moteur
et du gouvernail, qu’elles
aiment regarder, témoigne
Pauline Gauffier. Elles au-
raient cette fois poussé le
jeu un peu trop loin.” Émissions de CO2 : les objectifs
UN JEU QUI SE DIFFUSE européens sont irréalistes
“Je pense que ces animaux
À première vue, il y aurait de quoi l’espace d’une décennie, à diviser
viennent d’inventer un
crier victoire: mardi 6 octobre, le par deux les émissions de l’énergie,
nouveau jeu qui simule
Parlement européen a adopté un des transports, de l’agriculture,
des techniques de chasse,
objectif de réduction d’au moins du logement… Pour répondre à
le gouvernail et les appen-
60% des émissions de gaz à effet cet objectif ambitieux, il faudrait
dices des voiliers faisant of-
de serre d’ici à 2030. Une formi- donc empiéter radicalement sur
fice de nageoires de baleine,
dable et salutaire avancée… Qui nos modes de vie, en rationnant les
avance Christophe Guinet. laisse, en fait, un peu perplexe. Les trajets en avion, la consommation
Ce comportement innovant députés mesurent-ils la signification de viande ou d’essence, en impo-
est sans doute le fait d’une de ce chiffre colossal? 60%, soit sant aussi de lourds investisse-
jeune orque curieuse qui l’a un rythme infernal de réduction des ments aux particuliers (isolation,
transmis à ses camarades.” rejets de 6,7% par an à l’échelle de achat d’un véhicule électrique). De
Hypothèse assez convain- la planète; une baisse supérieure à quoi provoquer plus d’une révolte…
cante mais difficile à valider celle engendrée ponctuellement Soyons clairs: nous devrons sans
sur ces animaux sauvages. par toutes les crises économiques, doute en passer par là pour éviter
“Si c’est le cas, il faudrait chocs pétroliers ou guerres mon- un réchauffement catastrophique.
éviter que cette innova- diales. Cette performance ne pour- Mais les politiques qui ont voté
tion se propage à tous les rait se comparer qu’à l’impact du pour ces -60% seront-ils prêts
groupes d’orques de la ré- confinement lié au Covid-19 (-8,8% à défendre ces mesures? Ont-ils
gion !” avertit le chercheur. durant les six premiers mois de un plan pour répartir ces efforts
Au moment où nous écri- 2020), mais qu’il faudrait reproduire de manière acceptable? À moins
vons ces lignes, les turbu- chaque année! Or, même les plus qu’ils aient cédé tout bonnement
lents cétacés se dirigent ardents technophiles devraient se à la pensée magique selon laquelle
vers les côtes françaises… rendre à l’évidence: les progrès il suffit de voter des objectifs pour
Vincent Nouyrigat techniques ne suffiront pas, en les atteindre… La rédaction de S&V

DÉCEMBRE I 2020 ISVI 49

Science & société Synthèse

Les clés pour Près de 7 millions de Français ont des

difficultés à chauffer leur logement. En

comprendre cause : la mauvaise isolation thermique de

leur habitat et les prix croissants de l’énergie

la précarité qui font exploser la facture – ainsi que les

émissions de CO2. Un phénomène aux

énergétique lourdes conséquences sociales et sanitaires.

PAR LISE GOUGIS

1
4,8 millions de “passoires
énergétiques”
En France, 17 % des résidences
principales restent trop énergivores
(étiquettes F et G). Et à peine 7 %
des logements sont économes
(étiquettes A et B).
Répartition par étiquette DPE des
résidences principales en France
métropolitaine au 1er janvier 2018
Catégorie A
2%
Cat. B Cat. G
5% 6%
Cat. C Cat. F
18 % 11 %

Cat. D
34 %
Cat. E
24 %

3
… situés dans les territoires
isolés et montagnards
Plus de 40 % des logements sont
énergivores dans la Nièvre, la Creuse
et le Cantal. Contre moins de 10 %
sur les façades atlantique et méditer-
ranéenne, au climat plus doux.
Part de résidences
principales dont l’étiquette
DPE est F ou G
M.KONTENTE - SHUTTERSTOCK

45 %

35 %

25 %

15 %

5%

50 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
U
ne douloureu-
se sensation de
froid,  des fac-
tures d’électri-
cité exorbitan-
tes… 11,7 % des ménages
hexagonaux vivent en si-
tuation de précarité éner-
gétique. Selon le dernier
baromètre du médiateur
de l’énergie, 15 % des
Français disent souffrir du
froid chez eux ! Les jeunes
sont très touchés : 66 % des
18-34 ans limiteraient leur
consommation de chauf-
fage pour des raisons finan-
cières. Et le phénomène re-
partirait légèrement à la
hausse, selon l’Observa-
toire national de la préca-
rité énergétique. Car avec le
réchauffement climatique,
l’inconfort thermique de-
vient aussi estival, les lo-
gements mal isolés proté-
geant mal de la canicule.
Dans ces “passoires ther-
miques”, la consommation
d’énergie s’envole, tandis
que les prix de l’électricité
grimpent. La double peine
pour des ménages surtout
très modestes. Certes, les
performances énergétiques
augmentent dans une par-
tie du parc, mais 17 % des
résidences principales de-
meurent trop énergivores
et seront bientôt interdites
à la location. Et seules 1 à
2 % d’entre elles seront sou-
mises à des obligations de
travaux d’ici à 2023.

Répartition par étiquette DPE et par

2
époque de construction. En blanc, la part
des “passoires thermiques” (F et G)
Surtout des logements
A B C D E F G
petits et anciens…
2012 à 2018 0,8 %
Environ 40 % des habitations bâties
avant 1948 sont des gouffres
2006 à 2011 1,5 %
énergétiques, de même que 36 %
2001 à 2005 1,9 % des logements de moins de 30 m2.
1989 à 2000 4,7 %
Les passoires sont plus fréquentes
parmi les maisons individuelles
1975 à 1988 12,6 %
que dans l’habitat collectif. Et le
1949 à 1974 16,8 % parc locatif privé est plus touché
1919 à 1948 35,9 % que le parc social, qui bénéficie
du chauffage collectif au gaz
Avant 1919 42,4 %
et d’efforts de rénovation ciblés.

4 5
Compenser la hausse
du prix de l’électricité
Sachant que 34 % du parc immobi-
lier est doté de chauffage électrique,
Une précarité qui a des conséquences
néfastes sur la santé
15 % des Français souffriraient du froid l’hiver, ce qui augmente les
risques de pathologies respiratoires et articulaires. Sans compter

Sources : Fondation Abbé-Pierre ; Observatoire national de la précarité énergétique ;

énergie dont le coût a flambé depuis les dangers des chauffages d’appoint inadaptés ou défectueux, qui
dix ans, la moitié des Français dé- causent chaque année quelque 4 000 intoxications en France.
clarent restreindre leur chauffage Pourcentage de personnes atteintes CRISES D’ASTHME
pour des raisons financières. Parmi les personnes exposées
à la précarité énergétique
Parmi les personnes
Prix des énergies pour les ménages,
en euros courants pour 100 kWh
non exposées RHUME, 3,6 %
ANGINE
Commissariat général au développement durable

20 BRONCHITE
Électricité CHRONIQUE
16
Propane 49,1 %
10,3 %
12
Fioul
8 Gaz naturel

4 Granulés
Bois bûche 28,3 % ARTHROSE,
17,7 % RHUMATISMES
0
2011 2015 2019 GRIPPE

DÉCEMBRE I 2020 ISVI 51

 Science & société
La course aux armements
est lancée en orbite
’information est
passée un peu inaperçue :
cet automne, notre armée
de l’air est devenue offi-
ciellement “armée de l’air
et de l’espace”. Car l’orbite
est en train de devenir un
nouveau théâtre de conflic-
tualité, au même titre que
la terre, la mer, l’air et le
cyber. Il ne s’agit plus seu-
lement de satellites es-
pions ou de communica-
tions cryptées, mais bien
de manœuvres hostiles
et d’armes antisatellites,
avertit Xavier Pasco, cher-
cheur à la Fondation pour
la recherche stratégique.
Science & Vie : États et
agences spatiales multi-
plient les protestations.
Pour quelle raison ?
Xavier Pasco : On voit de
plus en plus d’engins spa-
tiaux s’approcher de
manière inhabituelle de
satellites civils ou mili-
taires. À l’image de cet
appareil russe, Luch-
Olymp, qui a circulé ces
dernières années dans les
parages de nombreux
DANIEL GARCIA - DR
satellites, dont le franco-
italien Athena-Fidus. Notre
ministre des armées, Flo-
rence Parly, n’a pas hésité
52 I S I Décembre I 2020
Entretien
à parler ouvertement
d’acte d’espionnage ! De
fait, de telles manœuvres
visent sans doute à inter-
cepter les communica-
tions transmises au
satellite. Ces patrouilleurs
de l’espace peuvent aussi
venir observer au plus
près des satellites classés
“secret Défense”. Il n’y a
pas que les Russes : les
Américains ont aussi des
programmes de satellite
inspecteur et font voler
depuis 2010 une navette
militaire automatique,
X-37B, dont les missions
restent floues.
S&V : Ces manœuvres
créent un climat mal-
sain, voire dangereux…
X.P. : Clairement, la ten-
sion monte. D’autant plus
que l’environnement spa- S&V : Faut-il craindre un détruire les satellites de
tial se complexifie : les conflit armé, avec des- l’attaquant. Dans l’espace,
nouveaux satellites sont truction de satellites ? une attaque par arme
plus mobiles, grâce à leurs X.P. : Pas exactement. La cinétique peut se retourner
moteurs à propulsion élec- Chine en 2007, les États- contre vous ! Je m’atten-
trique. Les trajectoires Unis en 2008, puis l’Inde drais plutôt à des offen-
orbitales ne sont plus en mars 2019 ont démon- sives plus subtiles :
aussi prédictibles, et avec tré leur capacité à détruire comme des lasers qui
la multiplication des micro- un satellite en orbite éblouiraient les capteurs
satellites, cela peut créer basse avec un missile tiré optiques d’un satellite, des
de la confusion. Dans ce depuis le sol ; les Russes faisceaux de micro-ondes
contexte, chaque grande semblent avoir testé un qui perturberaient l’élec-
puissance veut montrer missile antisatellite en avril tronique, ou des cyber-
qu’elle est capable de dernier… Mais ces explo- attaques consistant à
détecter les menaces sions génèrent énormé- envoyer de fausses com-
visant ses satellites, et de ment de débris en orbite, mandes à un satellite ou à
répliquer si besoin est. qui peuvent ensuite usurper un signal GPS.
Les armées des grandes puissances se livrent actuelle-
ment à des opérations agressives en orbite terrestre : tests
de destruction d’objets spatiaux, vaisseaux patrouillant près de
satellites sensibles, etc. Au risque que l’espace, jusqu’ici préservé
par les conflits humains, se transforme en champ de bataille. PAR VINCENT NOUYRIGAT

Désormais essentiels,
les satellites peuvent
devenir des cibles
XAVIER PASCO
Expert en politique spatiale à la Fondation pour
la recherche stratégique

S&V : Ce qui pourrait cibles potentielles… Nous de la Conférence du avec le retour de l’homme
avoir des conséquences sommes pris en étau. désarmement, mais sur la Lune, prévu pour
sur les Terriens ? actuellement les discus­ 2024. Fin septembre, la
X.P. : Un satellite GPS S&V : Peut-on encore sions sont bloquées. La Nasa et l’armée améri­
assure aussi la synchro­ éviter l’escalade ? Chine et la Russie pro­ caine ont signé un parte­
nisation des réseaux X.P. : Pas simple… En soi, posent un traité juridique­ nariat. Les militaires
électriques, financiers, le traité de l’espace de ment contraignant ; tandis veulent faire acte de pré­
informatiques ! Bientôt, 1967 n’interdit rien explici­ que les États­Unis et sence entre la Terre et la
ce sont tous nos objets tement, si ce n’est l’instal­ l’Europe plaident pour Lune, où s’opéreront des
connectés ou nos voi­ lation d’armes de un code international de manœuvres, ravitaille­
tures autonomes qui destruction massive dans bonne conduite. ments et peut­être, à
dépendront des méga­ l’espace extra­atmosphé­ terme, le transport de
constellations de satel­ rique. Et le concept S&V : Et ces enjeux ne ressources lunaires.
lites. Notre dépendance d’arme spatiale reste mal se cantonnent plus à Bon, pour l’instant, il n’est
au spatial ne cesse d’aug­ défini. Depuis 2008, ces l’orbite terrestre… pas envisagé d’envoyer
menter, alors que nos questions sont abordées X.P. : En effet, la question des régiments de soldats
satellites deviennent des à Genève dans le cadre sécuritaire se pose aussi sur la Lune…

Décembre I 2020 IS I 53
Science & société En débat

Quel est l’impact écologique

des sapins de Noël ?
Une faible empreinte écologique
selon la provenance
“Je ne veux pas d’un arbre mort qui traverse la France sur un ca-
mion…” L’annonce du maire écologiste de Bordeaux, Pierre
Hurmic, sur les sapins de Noël a fait polémique. Acheter cet arbre
traditionnel nuit-il vraiment à la planète? Selon plusieurs études,
son empreinte carbone est minime: autour de 3 kg de CO2 par an
pour un sapin d’environ 2 m. En comparaison, une guirlande
de 400 ampoules à incandescence représente jusqu’à
3,5 fois plus d’émissions chaque saison, et un sapin
artificiel venant de Chine émet plus de 40 kg de CO2
sur toute sa durée de vie. Il devient plus écologique
s’il est conservé une vingtaine d’années. “Dans les
faits, ce n’est pas le cas, car le plastique utilisé est
souvent de mauvaise qualité”, souligne Florence
Clément, de l’Agence de l’environnement et de la
maîtrise de l’énergie (Ademe). Plusieurs paramètres
peuvent cependant alourdir le bilan carbone du sa-
pin naturel, à commencer par le transport. Mais 80%
de ceux vendus en France poussent dans l’Hexagone gone.

Vers une culture raisonnée des sapin

L’impact de la culture des sapins sur les

es écosys-
écosys
tèmes est aussi à considérer. Six millions d’arbres
sont coupés chaque année sur les 6000 ha dédiés.
“Ils poussent sur des parcelles agricoles et ne sont
pas prélevés dans la forêt”, rappelle Jean-François
Ponge, professeur émérite du Muséum national
d histoire naturelle. Quid
d’histoire d de ll’l’emploi
emploi de produits
phytosanitaires? “C’est très encadré et les sapins
sont bien moins gourmands en engrais et en eau
que d’autres cultures”, assure le chercheur. Des
alternatives écologiques existent, comme l’utilisa-
tion de brebis, face à l’enherbement des parcelles.

En bref
2024
C’est la date à laquelle pourrait être mis sur le mar-
ché un premier vaccin contre… le rhume (laboratoire
Bavarian Nordic). Ce très contagieux virus respiratoire
syncytial touche 90 % des bambins avant l’âge de
2 ans, et provoque chaque année dans le monde
environ 60 000 décès d’enfants de moins de 5 ans.
3 505 259 275
C’est le coût annuel, en euros, généré par l’impact
sanitaire de la pollution de l’air à Paris, soit environ
1 600 € par habitant. Le montant est de 585 millions
pour Lyon et 383 millions pour Nice. Mais le coût par
habitant s’avère très élevé pour des villes moyennes
comme Melun, Douai et Fréjus.

54 I S I DÉCEMBRE I 2020
 #FAKE
ENEW

Le recyclage limite
le bilan carbone
#FAKENEWS
Cette dernière étape a un
impact considérable sur le
bilan carbone. “Si l’arbre
est incinéré, cela annule le
bénéfice du CO2 stocké
durant sa croissance”,
expose Jean-François Non, l’immunité collective
Ponge. Et lorsqu’il est
envoyé à la décharge, son
empreinte environnemen-
n’est pas une stratégie
tale est multipliée par cinq Depuis le début de la crise du impossible, estime l’épidémiolo-
car il produit du méthane Covid-19, l’idée circule avec insis- giste Pascal Crépey (Ehesp) : “Les
en se décomposant, alors tance : il suffirait de laisser le foyers familiaux mélangent forcé-
qu’il peut être transformé coronavirus se propager dans la ment des individus d’âges très
en compost. “Ce broyat population pour atteindre l’immu- différents, c’est poreux.” Et puis,
est riche en éléments nité collective et reprendre une vie tous âges confondus, entre 20 et
nutritifs, il empêche les normale ; quand suffisamment 30 % de la population française
mauvaises herbes de se de gens auront développé des présente des facteurs de risque
développer et conserve anticorps, le virus sera bloqué. (diabète, obésité, etc.) de déve-
ll’humidité”, explique le En fait, aucun pays – pas même la lopper des formes graves et han-
spécialiste. Une valorisa- Suède – n’envisage de laisser le dicapantes. Enfin, il n’y a encore
tion possible à condition SARS-CoV-2 se transmettre libre- aucune preuve que l’immunité
que les sapins ne soient ment. Et pour cause : son seuil protectrice engendrée par le
TONWEN JONES/COLAGENE - SHUTTERSTOCK

pas colorés ou recouverts d’immunité grégaire se situe à au
de neige artificielle. Ils moins 50 % de la population… Ce
peuvent aussi être réduits qui se traduirait, en France, par le
à l’état de branchages décès de 100 000 à 450 000 per-
pour protéger les dunes sonnes, d’après les calculs de
contre l’érosion. l’Institut Pasteur. Laissons le virus
se propager uniquement chez les
Lise Gougis jeunes, alors ? Mission quasi
Covid-19 soit durable. Si celle-ci
est trop brève, cette mortelle
contamination de masse n’aura
servi à rien : l’épidémie reviendra
de façon récurrente – à moins
d’un vaccin efficace. Ce n’est
donc pas une stratégie, mais un
pari fou. Vincent Nouyrigat

HB4 100
C’est le nom du premier blé OGM du monde : l’Argentine C’est, en millions, le nombre mondial d’utilisa-
vient en effet d’autoriser la production et la commerciali- teurs de cryptomonnaies (Bitcoin, Ethereum,
sation de cette céréale transgénique. Dotée entre autres Bitcoin Cash…), selon le Cambridge Center for
d’un gène de tournesol, elle est censée mieux résister à Alternative Finance. Contre 35 millions en 2018,
la sécheresse qu’un blé normal et tolérer certains herbi- soit trois fois plus. Suivant les pays, 63 à 82 %
cides. Reste à savoir si elle sera exportée. d’entre eux sont des particuliers.

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 55
Science & société L’objet du mois

Le bracelet anti-rapprochement
se généralise en France
Destiné à tenir les conjoints violents éloignés
de leur victime, ce dispositif imposé par la justice 1000
bracelets anti-rapprochement
sera bientôt disponible sur tout le territoire. Attendu seront disponibles d’ici à la fin
depuis de nombreuses années en France, il fait de l’année 2020 en France.

déjà ses preuves en Espagne depuis 2008.

PAR KHEIRA BETTAYEB

UNE GÉOLOCALISATION UN CENTRE DE DOUBLEMENT INVIOLABLE SAUF DANS LES ZONES

PERMANENTE
Le dispositif comprend trois
éléments : un bracelet électro-
nique doté d’un émetteur, fixé
à la cheville de l’(ex-)conjoint ;
un boîtier téléphonique capa-
ble de détecter l’émetteur et
doté d’une puce repérable à
distance via un GPS, porté
aussi par l’(ex-)conjoint ; et un
boîtier téléphonique GPS pour
la victime.
CONTRÔLE DÉDIÉ
Les trois appareils commu-
niquent en permanence entre
eux et avec un centre de
contrôle dédié. Afin d’éviter tout
risque de piratage, ce réseau
est privé, crypté et sécurisé.
Si l’(ex-)conjoint entre dans le
périmètre défini par le juge, le
centre de contrôle est alerté et
lui envoie un message lui
demandant de s’éloigner. S’il
Pour s’assurer que le bracelet
fonctionne en permanence, un
mécanisme vise à éviter qu’il
soit retiré : il s’agit d’une fibre
qui, si elle est rompue, dé-
clenche une alerte auprès du
centre de contrôle. En outre,
d’autres alertes sont envoyées
quand la batterie des boîtiers
décline. Si l’intéressé ne rechar-
ge pas le sien, il est contacté
par le centre de contrôle.
BLANCHES
La couverture GSM des boî-
tiers téléphoniques est assurée
par plusieurs opérateurs, mais
le dispositif devient inopérant
si la victime se trouve en
“zone blanche”, sans réseau
de téléphonie mobile (2 % du
territoire). Pour cela, “le ma-
gistrat pourra interdire certains
lieux”, précise le ministère de
la Justice. Par ailleurs, la vic-
R.MEIGNEUX/SIPA

n’en tient pas compte, la vic- time ne doit jamais oublier son
time et les forces de l’ordre boîtier téléphonique…
sont prévenues.

56 I S I DÉCEMBRE I 2020
 PUBLICITÉ

Fonctionnement du cerveau
Mémoriser, raisonner, anticiper, planifier, comprendre…
Les capacités du cerveau sont illimitées.

Au rythme du cerveau en général jouent un rôle primordial. La consommation

d’aliments riches en antioxydants qui protègent les capil-
Le cerveau émet en laires, et plus spécifiquement en polyphénols, influence
permanence des ondes directement le fonctionnement cérébral. Les recherches
dont la fréquence dé- convergent notamment sur le Pin maritime, dont l’écorce
pend de son activité. renferme de grandes quantités de proanthocyanidines ou
Eveil, sommeil, phase OPC, des polyphénols capables de stimuler la microcir-
intense de réflexion : culation sanguine dans les capillaires.
pour chaque état cé-
rébral, l’activité neu- Le cerveau passé au scanner
ronale est caractérisée
par un type d’onde. L’activité cérébrale peut être Thé vert
Placebo
observée grâce au scan- L-théanine
Ondes alpha, bêta, gamma : leur rôle est complexe et leur ner qui met en évidence les
émission par le cerveau dépend de nombreux facteurs, zones activées en fonction de
comme l’état psychologique ou encore l’alimentation. l’état dans lequel se trouve le
cerveau. La consommation
Des études récentes ont par exemple de L-théanine (en rouge) ac-
tive les zones de la mémoire
montré le lien étonnant entre Thé
et de la concentration. Sans L-théanine, ces zones restent
vert et ondes alpha. Les feuilles
inactives (en bleu). Les nombreux travaux de recherche effec-
de Thé vert contiennent natu- tués sur le fonctionnement du cerveau ont permis de mettre
rellement une substance ap- au point des solutions pour améliorer les fonctions cognitives
pelée L-théanine. Malgré son et les performances intellectuelles.
nom, elle n’a aucun lien avec
Le laboratoire de recherche végétale New Nordic a mis au
la théine et ne provoque aucune
point une formule complètement naturelle à base de plantes
excitation, bien au contraire. La et vitamines. Baptisée Cerveau Clair, elle contient des ex-
L-théanine régule la production d’ondes traits concentrés de Thé vert, de Noix, de Pin maritime et de
alpha : en situation d’effort intellectuel prolongé, elle Grenade, associés à des vitamines et de l’Iode pour opti-
est capable de diminuer leur production par le cer- miser les performances cérébrales. Ces actifs sont capables
veau, ce qui favorise la mémorisation et la concen- d’atteindre le cerveau en quelques heures et sont efficaces sur
tration. à l’inverse, si le cerveau se trouve en phase le long terme. Ils sont donc indiqués pour stimuler les capaci-
d’endormissement, elle stimule leur émission, d’où un tés intellectuelles, la concentration et la mémoire, notamment
effet relaxant propice au sommeil. en période de révisions ou d’examens, mais aussi pendant
des programmes de plusieurs mois. Les actifs de Cerveau
Clair atteignent rapidement le cerveau, pour une efficacité
Indispensable irrigation en moins d’une heure. Réservé aux adultes de plus de 15 ans.
Le cerveau est incapable de constituer des réserves,
et doit donc être alimenté en permanence en glucose.
Disponible en pharmacie
Celui-ci est apporté grâce à un vaste réseau de capillaires, de
et espace diététique
petits vaisseaux sanguins qui permettent d’irriguer effica-
cement l’ensemble du cerveau. Leurs fines parois laissent Cerveau Clair™
passer le glucose mais aussi l’oxygène indispensable au Soutenir les performances mentales
bon fonctionnement du cerveau. En effet, quelques mi- Questions ? Les experts
nutes seulement sans oxygène y entraîne des lésions New Nordic vous répondent au
irréversibles. Là encore, l’alimentation et le mode de vie 01 85 49 35 06 (tarif local) ou
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 Science & société Futur

Futur
IRAK
K
& société
Science
DÉCEMBRE
2020

SÉNÉGAL

ÉTATS-UNIS

ROYAUME-UNI

FRANCE

CORÉE DU SUD
AKON CITY

58 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
 MBODIENNE (SÉNÉGAL)

C’est à une centaine de

kilomètres au sud de Da-

Un projet de mégacité kar qu’Akoncity s’étendra sur

500 ha. Imaginée par le rappeur

écologique battra
Akon, qui souhaite doter son pays
natal d’une mégapole écologique à
la pointe des technologies, cette ville

sa crypto-monnaie sera divisée en districts (Studios et

médias, Technopole, Éducation, Santé
et sécurité, Divertissement…). Plus
étonnant, Akoncity fonctionnera de manière exclusive avec une
crypto-monnaie. Baptisée Akoin, cette monnaie virtuelle repose
sur le protocole Stellar Consensus Protocol et sur le jeton Akoin
Utility, afin de faciliter les échanges avec les autres crypto-mon-
naies et les principales devises (euros, dollars…). Déjà impliqué
dans l’énergie renouvelable avec une start-up, l’artiste prévoit
également de déployer une centrale photovoltaïque suscep-
tible d’alimenter l’ensemble de la ville. Les matériaux de
construction seront, quant à eux, locaux et renouve-
lables. Budgétisée à 6 milliards de dollars, Akoncity
devrait être achevée en 2029. A.P.

DÉCEMBRE I 2020 ISVI 59

 Science & société Futur

CALIFORNIE
Futur
Un avion promet
de réduire la pollution
des voyages d’affaires
L’un des problèmes des avions est leur
consommation de carburant. Afin de la
réduire, la société américaine Otto Aviation
a misé sur l’aérodynamisme. La forme ovoïde
de son avion d’affaires Celera 500L permet
de diviser cette consommation par huit ! En
effet, cette forme réduit la vitesse d’écoule-
ment de l’air autour de l’appareil, et donc
& société

sa traînée de 59 % par rapport à un avion

Science

similaire, augmentant sa portance.

c c

Capable de transporter six passagers

sur 8 330 km, le Celera 500L devrait
entrer en service en 2025. S.F.
OTTO AVIATION - MICROSOFT

60 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
ÉCOSSE

Test réussi pour les

data centers sous-marins
Immerger par - 35 m un conteneur rempli de
864 serveurs allumés 24 h/24, c’est le test qu’a
mené Microsoft au nord de l’Écosse. Deux ans plus
tard, les résultats sont très concluants. D’un point de
vue industriel, ces serveurs sont faciles à construire et
à refroidir (en profitant des échanges thermiques
entre la coque et l’eau, comme dans les sous-
marins). En plus, ils ont eu huit fois moins de
problèmes que des data centers traditionnels. Pro-
bablement grâce à l’absence d’air : sous l’eau, ils
étaient en effet entourés d’une atmosphère de
nitrogène, un gaz plus froid et moins corro-
sif que l’oxygène. O.S.

DÉCEMBRE I 2020 ISVI 61

 Science & société Futur
Futur
LOS ALTOS
(ÉTATS-UNIS)

Un robot ménager
pour petits espaces
Nettoyer une table, remplir un lave-vais-
selle, ranger une bouteille qui traîne…
Toyota entend faciliter le quotidien des
seniors et favoriser leur autonomie grâce à
ce robot qui a la tête en bas ! Son déplace-
ment sur un rail au plafond permet de gagner
en place et en accessibilité, il n’est pas gêné
& société

par les meubles et peut être replié quand il

Science

n’est pas utilisé. Pour former son IA au travail

c c

ménager, un “entraîneur” humain effectue

physiquement la tâche dans un pro-
gramme de réalité virtuelle. Le robot
pourra ensuite reproduire les mouve-
ments. Mais il est encore loin
d’être commercialisé. C.B.

ROQUEFORT-
LA-BÉDOULE
(FRANCE)

Afin de débarrasser les

ports de leurs déchets flot-
TOYOTA - DPOL - DESIGNED BY SUNGWOOK LEE, WOOK 3D

tants, la société française

Bientôt des Francqueville a conçu le
DPOL. Raccordé à un bran-
aspirateurs chement électrique, ce petit
dans les ports engin de 1 m de longueur et
35 kg s’installe aux endroits où
les déchets s’accumulent. Il attend
alors que ces derniers viennent
vers lui et, en aspirant l’eau par
un système de pompe, les
récupère dans son sac.C.H.

62 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
SÉOUL
(CORÉE DU SUD)

Un food truck
veut réinventer
la restauration
En cette période où le secteur de la restauration
est mis à rude épreuve, l’idée a de quoi séduire.
Le designer sud-coréen Lee Sungwook est parti
du constat que lancer un food truck coûte 5 à
6 fois moins cher que d’ouvrir un restaurant. C’est
ainsi qu’il a imaginé Streat, un véhicule semi-trans-
parent offrant un vaste espace de travail modu-
lable, qui repense la livraison de repas. Son
principal atout ? Il serait autonome, permettant
aux cuisiniers de préparer les plats tout en
roulant vers les clients géolocalisés. De
quoi éviter les files d’attente… L.G.

Pour suivre l’actualité des innovations et découvrir

les projets candidats aux prix que Science & Vie
remettra à la fin de l’année (Environnement,
Mobilité, Santé, Numérique, Nouvelles technologies),
rendez-vous régulièrement sur la page dédiée
sur notre site science-et-vie.com

DÉCEMBRE I 2020 ISVI 63

 NOUVEAU
LA LIBRAIRIE
lance avec les Editions Télémaque “Le monde comme vous ne l’avez jamais vu”,
une collection de beaux livres dont le premier est consacré au corps humain.

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Plongez dans les rivières de globules, enfoncez-vous dans les grottes spongieuses de la moelle
osseuse, traversez les vastes prairies de cellules cillées, survolez les falaises vertigineuses de
l’émail dentaire… Grâce aux progrès récents de la microscopie, l’exploration du corps humain
devient une aventure déroutante : les photographies sélectionnées dans ce livre dévoilent la vie,
organe par organe, à travers des paysages éblouissants. Chacun de ces paysages remplit un rôle
organique précis. Canaux de transport, couches de protection, réservoirs d’énergie, réseaux de
connexion, armes de défense : c’est à l’échelle cellulaire, invisible aux yeux nus, que se révèlent
la précision et la complexité de ces rouages biologiques !

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À la une

DE LA VIE SUR
VÉNUS ?
C’est l’histoire d’une planète oubliée, un enfer délaissé par les
astrophysiciens… Et pourtant, son atmosphère pourrait abri-
ter la vie ! Une hypothèse folle relancée par la découverte dans
ses nuages d’un signal inattendu : la phosphine, un gaz émis
sur Terre par des bactéries. La nouvelle a provoqué un buzz
gigantesque. Ce signal est-il réel ? Comment expliquer sa
présence ? Une vie pourrait-elle se maintenir dans cette four-
naise ? Cinq missions devront répondre à ces questions dans
les années à venir. Objectif : Vénus, la vraie jumelle de la Terre.

PAR ANNE DEBROISE, MATHILDE FONTEZ, BENOÎT REY

66 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
 68
SUR UNE
PLANÈTE
OUBLIÉE…

74
VIE SUR
VÉNUS ?
Enquête sur
une controverse
planétaire

79
Les 5 missions
spatiales en
préparation

84
MARS/VÉNUS
La fin d’une
injustice
cosmique
GETTY IMAGES

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I S V I 67
À la une

Une brume blanche, opaque…

Depuis l’espace, c’est tout ce que
l’on voit de Vénus. Cette planète
est pourtant la plus proche de la
Terre : une quarantaine de millions
de kilomètres seulement. La plus
semblable aussi, dans sa densité
et ses mensurations : elle est
à peine plus petite. Bien plus que
Mars, Vénus est la voisine et
jumelle de la Terre. Mais contraire-
ment à la Planète rouge, elle se
drape dans le mystère. Les rayons

SUR UNE PLANÈTE

OUBLIÉE…
du Soleil n’ont pas le droit de
pénétrer son épaisse atmosphère :
ses nuages d’acide sulfurique et
d’eau dissimulent totalement sa
surface. Ils s’enroulent autour
de la planète en une enveloppe
épaisse incroyablement dense
de plus de 100 km. Si dense qu’à
la surface de Vénus, on évalue
que la pression est comparable
à celle qui règne 900 m sous
la surface de nos mers.

68 I S I DÉCEMBRE I 2020
 JAXA/ISAS/DARTS/DAMIA BOUIC

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 69
À la une

Venera, Mariner, Pioneer, Venus

Express… Les Terriens ont envoyé
vers Vénus des armadas de sondes
spatiales dans l’espoir de percer
ses mystères. Celles-ci ont fourni
des informations parcellaires : une
atmosphère constituée majoritaire-
ment de dioxyde de carbone,
des vents puissants et permanents.
C’est surtout la sonde américaine
Magellan qui, dans les années
1990, a révélé le véritable visage
de la planète, perçant ses nuages
et cartographiant sa surface
avec une résolution de 100 m.

Nul cratère de météorite ; des plaines

à la pente faible ; aucun signe d’éro-
sion… La surface apparaît étonnam-
ment jeune : 500 millions d’années
seulement d’après les évaluations.

70 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
 NASA/JPL - ESA/VIRTIS-VENUS EXPRESS/INAF-IAPS/LESIA-OBS. PARIS/G. PICCIONI

La couche de nuages de Vénus tourne dans

le sens inverse de la rotation de la planète,
à la vitesse hallucinante de 500 km/h. Aux pôles,
elle s’enroule en vortex, comme le montrent
ces images prises par la sonde Venus Express.

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 71
À la une

Voici tout ce que l’on voit de la

surface de Vénus : des volcans
plantés dans un étrange paysage,
redessiné en fausses couleurs
à partir des cartes radar réalisées
par la sonde Magellan. Avant elle,
les sondes russes Venera avaient
montré une étendue de cailloux…
Surtout, elles avaient révélé la
température de la surface : 460 °C.
Une fournaise. Difficile d’imaginer
plus inhospitalier… Mais plus haut,
dans l’atmosphère, à 50 km de

… PEUT-IL Y AVOIR
DE LA VIE ?
ce sol surchauffé, les conditions
se font plus clémentes : une tem-
pérature de 15 °C, une pression
comparable à celle de la surface
terrestre. Et de l’eau liquide, en
gouttelettes. De quoi rêver à la
présence d’une vie ? La question
se pose depuis qu’un gaz, la
phosphine, a été découvert par
le télescope Alma. Un gaz qui,
sur Terre, est émis par la vie…

72 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
 NASA/JPL

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 73
À la une
V
énus est un enfer! Telle est la conclu-
sion de 50 ans d’exploration de cette
planète voisine de la Terre. Une
conclusion étayée par un chiffre
tombé comme une sanction dès les
années 1960 : 460 °C, la tempéra-
ture de surface la plus chaude rele-
vée dans tout le Système solaire. Et
pourtant, c’est dans cette fournaise
que des astrophysiciens se prennent
aujourd’hui à envisager la présence
d’une vie !
La nouvelle est tombée le 14 sep-
tembre dernier avec fracas. Très vite,
elle a fait le tour du monde, provo-
quant sur les réseaux et dans la presse
des passes d’armes d’une violence
sans précédent parmi la communauté
des astrophysiciens. On aurait décou-
vert des marqueurs de vie sur Vénus!
Plus sobrement, l’article scientifique
annonçait la découverte d’un gaz, la
74 I SVI D É C E M B R E I 2 0 2 0
phosphine, dans l’atmosphère de la
planète. “Tout est parti d’une simple
constatation, raconte Jane Greaves,
de l’université de Cambridge, au
Royaume-Uni, à l’origine de l’article.
J’étais depuis longtemps intéressée
par l’habitabilité des planètes, par-
ticulièrement celle de Vénus. Et j’ai
découvert que la phosphine était
une bio-signature dans les environ-
nements anaérobies terrestres. Je me
suis donc dit que ça valait le coup de
la chercher sur Vénus. Et voilà.” En
effet, sur Terre, cette molécule, com-
posée d’un atome de phosphore et de
trois atomes d’hydrogène, est émise
par certaines souches de la bactérie
E.coli ou des intestins d’animaux, en
particulier les pingouins ! Mais elle
ne résiste pas longtemps: l’oxygène
de notre planète la dégrade immédia-
tement en captant ses atomes d’hydro-
gène. Or, sur Vénus aussi, l’oxygène
abonde, sous forme de dioxyde de car-
bone, de dioxyde de soufre et d’eau.
Ainsi, la présence de phosphine sup-
poserait un mécanisme qui la renou-
velle en continu… De la vie, comme
sur Terre?
UN BUZZ PLANÉTAIRE INSTANTANÉ
En juin  2017, Jane Greaves pointe
donc le télescope radio James Clerk
Maxwell (JCMT), situé à Hawaï, vers
Vénus pour y chercher de la phos-
phine… juste au cas où. Et surprise:
elle en trouve ! L’analyse détaillée
du spectre lumineux de la planète
montre une faible raie d’absorption à
1,123 mm, qui correspond à cette mo-
lécule. La chercheuse n’en revient pas.
Elle fait appel à Sara Seager, du Massa-
chusetts Institute of Technology, pour
programmer une seconde observation
avec Alma, au Chili, l’interféromètre
radio le plus puissant du monde. Et
en mars 2019… le signal est confirmé!
Beaucoup plus fort que celui du JCMT,
il leur permet même d’évaluer la te-
neur de l’atmosphère en phosphine:
0,02 partie par million. Sur 1 milliard
de molécules, 20 sont de la phosphine.
Cela semble ridiculement peu, mais
c’est déjà beaucoup trop sur une pla-
nète gorgée d’oxygène comme Vénus!
Les chercheuses calculent en effet
que cette concentration ne peut pas
se maintenir plus de mille ans sans
un mécanisme qui la régénère. Et ce
n’est pas tout: le signal d’Alma leur
permet de localiser la molécule à une
altitude comprise entre 53 et 61 km…
pile là où les conditions sont les plus
habitables: la pression n’y est que de
0,5 bar et la température de 30°C. Sans
compter que cette zone est oc-
- 0,0001
- 0,0002
Phosphine: le signal
qui a tout déclenché
Voici le flux de lumière collecté
par le télescope Alma: un pic
saillant signe la présence d’une
molécule et son abondance, après
correction de l’effet Doppler
dû au déplacement de Vénus par
rapport au télescope. Le signal
est interprété par Jane Greaves
comme une absorption à 1,123 mm
par de la phosphine concentrée
dans l’atmosphère de Vénus
à 20 parties par milliard.
Intensité de l’absorption
(rapport raie/continu)
0,0002
0,0001
0
Marges d’erreur
- 40 - 20 0 20 40
Vitesse relative de Vénus en km/s
D. KORDAN/ESO - M.KONTENTE
D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 75
À la une

cupée par d’épais nuages d’acide

sulfurique, dont les microgouttelettes
pourraient faire office d’habitat pour
de potentielles bactéries.
Éberluées, les chercheuses publient
leurs résultats le 14 septembre 2020.
Le buzz est instantané. Tous les re-
gards, rivés sur Mars, se retournent.
L’enfer vénusien, un lieu de vie po-
tentiel? L’annonce est accueillie avec
un extrême scepticisme. Des dizaines
d’équipes dissèquent impitoyable-
ment l’article. Une équipe néerlan-
daise, menée par Ignas Snellen, de
l’université de Leiden, poste bientôt la
première contre-expertise: la raie d’ab-
sorption à 1,123 mm serait un artefact
dû au traitement mathématique du si-
gnal. La phosphine serait une illusion!
Greaves et Seager rejettent cette hy-
pothèse. Elles garantissent avoir pris
toutes les précautions d’usage et sou-
tiennent que les Néerlandais ont tra-
vaillé à partir d’un jeu de données er-
Attention ! Il faut parler de “possible”
roné. Il faudra attendre d’autres études détection de phosphine jusqu’à ce
pour obtenir le fin mot de l’histoire. qu’elle soit confirmée et, surtout, être
GARE AUX SCÉNARIOS HOLLYWOODIENS très prudent sur l’interprétation. De la
“Quand bien même ce signal exis- présence de phosphine à la présence
terait, objecte à son tour Hervé Cot- de vie, il y a un monde
tin, président de la Société française
d’astrobiologie, le bon usage, quand FRANCK SELSIS
on cherche à identifier de nouvelles Spécialiste des atmosphères
(exo)planétaires au CNRS
molécules dans des environnements
extraterrestres, veut que l’on ne consi-
dère une détection comme avérée que
si plusieurs bandes spectroscopiques bon rapport signal sur bruit.” Elle a 80 km. En tout cas, difficile à partir
sont détectées, pas une seule, comme alors l’idée de chercher la molécule de ces résultats de conclure à l’ab-
c’est le cas ici.” Cette critique, Jane dans les archives d’observations de sence de phosphine.
Greaves l’avait anticipée. Dès mars Vénus qu’elle a accumulées, et n’en D’autant qu’en parallèle, Rakesh
dernier, elle avait contacté Thérèse trouve aucune trace. La concentra- Mogul, de l’université d’État poly-
BENJAMIN PAVONE - MACARTHUR FOUNDATION

Encrenaz, de l’Observatoire de Paris,
pour chercher des raies d’absorption
de la phosphine dans l’infrarouge.
“De la phosphine sur Vénus, c’était
complètement inconcevable pour
moi, se rappelle la Française. Mais les
spectres qu’elle avait obtenus avec
Alma dans le millimétrique étaient
intrigants, et ils semblaient avoir un
tion ne peut pas être supérieure à
0,005 ppm. “C’est très mauvais signe,
mais pas forcément définitif, estime-
t-elle, il y a plein de choses qu’on ne
comprend pas dans l’atmosphère de
Vénus.” Le dioxyde de soufre SO2,
par exemple, est présent dans les
nuages jusqu’à 60 km d’altitude. Puis
il disparaît, et réapparaît au-dessus de
technique de Californie, est allé fouil-
ler dans des archives beaucoup plus
anciennes: celles de la sonde Pioneer
Venus Probe. En 1978, elle avait lar-
gué quatre atterrisseurs équipés d’un
spectromètre de masse pour analy-
ser la composition de l’atmosphère
lors de la descente. Le chercheur a
réanalysé les résultats et a retrouvé

76 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
 Quand une porte scientifique s’ouvre,
il faut la saisir. Ce signal mérite d’être
considéré. Et oui : il met la question
de la vie dans l’atmosphère de Vénus
sur la table. Il faut explorer…

SARA SEAGER
Planétologue au Massachusetts
Institute of Technology

la trace de phosphine PH3 à l’altitude
de 51,3 km, ainsi que ses dérivés PH,
PH2D, et le gaz neutre P. “Le problème,
c’est qu’il est facile de confondre la
phosphine avec le sulfure d’hydro-
gène H2S, car ces molécules ont une
masse similaire, fait-il remarquer. Il va
falloir qu’on se plonge plus en détail
dans toutes ces données anciennes.”
L’IDÉE N’EST PAS NOUVELLE…
Devant l’impossibilité de trancher, on
se prend à rêver: “Quand une porte
scientifique s’ouvre, il faut la saisir.
Ce signal met sur la table notre mé-
connaissance de la chimie de cet en-
vironnement et… la question de la
vie dans l’atmosphère de Vénus. Il
faut explorer!” s’enthousiasme Sara
Seager. Mais gare aux dérives de la
“science hollywoodienne” : “Atten-
tion! Il faut parler de possible détec-
tion de phosphine jusqu’à ce qu’elle
soit confirmée, et, surtout, être très
prudent sur l’interprétation. De la pré-
sence de phosphine à la présence de
vie, il y a un monde”, prévient Franck
Selsis, spécialiste des atmosphères
(exo)planétaires au CNRS.
Après la solidité de la détection,
son interprétation est en effet la
deuxième grande question. La phos-
phine signe-t-elle la présence de vie?
Pour y répondre, Jane Greaves et son
équipe ont modélisé toutes les réac-
tions chimiques possibles pouvant
mener à la phosphine à partir des
molécules dont on sait qu’elles sont
présentes dans l’atmosphère, et ce
pour tout un éventail de conditions
de pression (0,25 à 10 000 bars) et de
température (0 à 1 200 °C). Verdict :
il n’y a aucun moyen d’atteindre
ne serait-ce que 0,01 ppm de phos-
phine dans l’atmosphère de cette fa-
çon. Elles ont alors fait tourner des
simulations de production de phos-
phine dans le sous-sol de Vénus.
Mais la croûte et le manteau de la
planète contiennent trop d’oxygène
pour produire et dégazer de la phos-
phine. La foudre, peut-être ? Pas da-
vantage : si on a des preuves que des
éclairs frappent la surface de Vénus,
c’est 10 millions de fois trop peu. Le
volcanisme? Idem: depuis les années
1990, des indices montrent que des
volcans y entrent parfois en éruption,
mais il faudrait qu’ils soient 200 fois
plus nombreux que sur Terre, et ce
n’est manifestement pas le cas. Cet
inventaire est en train d’être passé
à la moulinette par les spécialistes
des différents domaines. S’il s’avère
complet, il ne restera plus que l’hy-
pothèse la plus extraordinaire de
toutes : une forme de vie.
Cette idée d’une vie sur Vénus n’est
pas nouvelle: elle fut proposée

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 77
À la une
dès 1967 par Carl Sagan, dans
un article concluant qu’il est “facile
d’imaginer une biologie indigène dans
les nuages de Vénus”. Puis elle fut
reprise par David Grinspoon, émer-
veillé par les images radar de la sur-
face prises par la sonde Magellan en
1990. “Elles ont révélé que la planète
est active comme la Terre, explique-
t-il. Sa surface est continuellement
remodelée par du volcanisme et une
tectonique qui brassent la matière et
l’énergie, au contraire de la Lune ou
de Mars, qui sont mortes depuis long-
temps. Cette richesse géochimique est
ce qui rend la Terre si accueillante
pour la vie.” Le chercheur décide
alors de faire des nuages de Vénus sa
spécialité. Trente ans plus tard, cela
ne fait pour lui plus guère de doute:
ils sont certainement habitables. Des
micro-organismes pourraient y avoir
trouvé refuge lorsque le reste de la
planète est devenu l’enfer que l’on
connaît aujourd’hui.
UNE AUTRE PLANÈTE BLEUE?
Car un autre argument milite pour
l’habitabilité de Vénus : au fil des
études, les astrophysiciens ont acquis
la conviction qu’elle pourrait avoir été
une autre “planète bleue”, jumelle de
la Terre! Il y a des milliards d’années,
la température pourrait y avoir été
tempérée; des océans d’eau liquide
couvraient peut-être sa surface…
Jusqu’au jour où l’effet de serre s’est
emballé, la rendant invivable. Selon
une étude de la Nasa de 2019, cette
tragédie pourrait avoir eu lieu il y a
seulement 700 millions d’années. Ce
qui fait que Vénus aurait pu être habi-
table pendant 3 milliards d’années!
Amplement suffisant pour permettre à
des formes de vie d’émerger et de colo-
niser la surface: sur Terre, le processus
n’a tardé que quelques centaines de
millions d’années. Puis, lors de l’apo-
calypse vénusienne, cette hypothé-
tique forme de vie aurait péri, et seuls
78 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
auraient subsisté les micro-organismes
réfugiés dans les nuages d’acide sulfu-
rique. “L’acidité est le problème ma-
jeur, convient David Grinspoon. Mais
on connaît sur Terre des organismes
extrêmophiles très à l’aise dans des
environnements aussi acides”, comme
les grottes de Villa Luz, au Mexique,
ou l’ancienne mine de la Montagne
de Fer, en Californie, l’un des sites les
plus pollués des États-Unis.
“La présence de vie dans les nuages
de Vénus est évidemment très spécu-
lative, reconnaît David Grinspoon,
mais pas davantage que dans le sous-
sol de Mars, idée pourtant bien plus
populaire.” C’est l’avantage de l’af-
faire de la phosphine: elle a le mérite
de braquer les projecteurs sur cette
planète qui, selon Francis Rocard du
CNES, souffre d’un “désamour” de
la part des agences américaines: “La
Nasa en est consciente, et on sent tout
de même un regain d’intérêt dernière-
ment.” Les changements de sa surface
restent incompris, ainsi que la compo-
sition et la dynamique de sa basse at-
mosphère. Sans oublier le mystère des
G.CIRADE
ultraviolets manquants: une étrange
substance absorbe les UV du Soleil au
lieu de les refléter…
La saga phosphine ne fait donc que
commencer. Elle pourrait orienter
la sélection des futures sondes spa-
tiales. Cinq projets sont en gestation. TYPE
La première à se lancer pourrait être la Orbiteur
sonde indienne Shukrayaan-1. Mais
la Nasa pourrait la prendre de vitesse OPÉRATEUR
Indian Space Research
avec Davinci+, qui arriverait sur place Organisation (ISRO)
en 2026. À moins qu’elle ne soit elle-
même devancée par une sonde pri- DATE PRÉVUE
DE LANCEMENT
vée dès 2023 : le milliardaire russe 2025
Yuri Millner a créé un groupe de tra-
vail sur l’habitabilité et l’exploration ORBITE
de Vénus au sein de son entreprise, 250 à 600 km
de Vénus
Breakthrough Initiative. Tandis qu’en
Nouvelle-Zélande, la société Rocket
Lab envisage de lancer des sondes
vénusiennes avec sa fusée Electron…
L’assaut de Vénus est lancé. B.R.

MISSION SHUKRAYAAN-1
Analyser l’atmosphère
Même si son lancement a été
repoussé de 2023 à 2025, et que
l’Agence spatiale indienne n’a pas
encore confirmé son financement,
Shukrayaan-1 sera sans doute
la prochaine mission à se diriger
vers Vénus. Objectif principal :
cartographier et explorer la surface
et l’atmosphère vénusiennes,
en particulier cette zone autour
de 50 km d’altitude où la pression
et la température sont proches
de celles de la surface terrestre.
L’atmosphère sera analysée grâce
au spectromètre VIRAL (Venus
Infrared Atmospheric Gases
Linker), sur lequel travaille l’équipe
de Franck Montmessin au Latmos
(laboratoire Atmosphères, Milieux,
Observations spatiales). “Nous
allons faire un inventaire exhaustif
des composés présents dans
l’atmosphère de Vénus : dioxyde
de carbone, monoxyde de
carbone, vapeur d’eau, composés
phosphorés…”, liste le chercheur.
S’il y a de la phosphine ou des
acides aminés – un autre bio­
marqueur potentiel –, même peu,
nous les verrons.” L’orbite de la
sonde, qui devait être très étirée, a
été revue à la baisse fin octobre.
GAZ BIOGÉNIQUES
La sonde pourrait
détecter des
composés
potentiellement
associés à une
activité biologique,
dans une
atmosphère qui
s’avère nettement
plus habitable
que la surface de
la planète.
Elle donnera l’occasion de sonder
la zone d’interaction de la haute
atmosphère avec le vent solaire,
où se produit l’évasion des gaz,
comme la vapeur d’eau. Une
meilleure connaissance de cette
magnétosphère permettra donc
de déterminer à quelle vitesse l’eau
présente à l’origine sur Vénus s’est
échappée, et depuis quand notre
voisine présente l’aspect désolé
qu’on lui connaît aujourd’hui.
L’ISRO envisage même d’ajouter
un ballon qui irait sonder la zone
tempérée de l’atmosphère,
à 50 km d’altitude. A.D.
D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 79
À la une

RELIEFS
En cartographiant
la surface avec une
résolution de 10 m,
la sonde révélera
quel processus
géologique a pu
précipiter notre
jumelle vers son
destin tragique.

MISSION ENVISION

Retracer l’évolution
géologique
Décrypter l’évolution géologique et
climatique de Vénus: c’est l’ambition
de la mission Envision, que l’Agence
spatiale européenne pourrait
sélectionner en 2021. Pour cela, elle
prévoit de cartographier la surface
TYPE de Vénus, mais aussi de sonder et
Orbiteur d’analyser les couches superficielles
OPÉRATEUR du sol. Une urgence, selon Thomas
European Space Agency Widemann, responsable scientifique
(ESA), en collaboration d’Envision et chercheur au Lesia
avec la Nasa (Paris): “Nous connaissons la
DATE PRÉVUE surface de Vénus aussi peu que
DE LANCEMENT nous connaissions celle de Mars
2032 dans les années 1970.” Car l’épaisse
couche de nuages qui l’enrobe est
ORBITE
opaque aux rayonnements visibles.
Entre 220 et 470 km
de Vénus Seule la sonde Magellan en avait
dressé une vague carte dans les
années 1990, avec une résolution
d’environ 200 m. Positionné sur
une orbite polaire basse, mais bien
au-dessus de l’atmosphère, le radar
d’Envision balaiera toute la surface
en passant d’un pôle à l’autre
pendant quatre ans. Parce que
la quantité de données qu’elle
peut envoyer reste limitée, ses
concepteurs ont choisi de ne pas
viser une imagerie exhaustive, mais
de se focaliser sur des zones
d’intérêt, qui seront observées avec
une résolution de 10 m. Il s’agit
de reliefs qui pourraient trahir
une activité volcanique, tectonique
(points chauds, failles) ou la
présence d’anciens continents
restés émergés sur une Vénus
couverte d’océans. Envision promet
également un aperçu varié de la
planète, avec une analyse de
l’atmosphère par spectrométrie. A.D.

80 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
 ÉMISSIONS
INFRAROUGES
En observant le
rayonnement de
la surface, la sonde
déterminera si Vénus
abrite d’anciens
continents,
anciennement
entourés d’océans.

MISSION VERITAS

Détecter une
activité volcanique
G.CIRADE

C’est une des quatre missions en ou volcanique. Les concepteurs

lice dans le cadre du programme
Discovery de la Nasa. Elle observera
elle aussi Vénus depuis une orbite
basse. “Stabiliser un satellite en
orbite basse n’est pas évident, il faut
TYPE réaliser des manœuvres de freinage
Orbiteur ou d’aérofreinage délicates et
OPÉRATEUR exigeantes en carburant”, précise
Nasa Thomas Widemann. Mais ces
orbites basses (qui restent bien
DATE PRÉVUE au-dessus de l’atmosphère de
DE LANCEMENT
la planète) constituent un poste
2026
d’observation de la surface idéal
ORBITE pour leurs radars. Si les deux
Basse (moins de 250 km) missions étaient sélectionnées,
elles offriraient une occasion unique
d’observer l’évolution de la croûte
vénusienne à l’échelle de la
décennie, et de confirmer les
soupçons sur son activité tectonique
de Veritas ont adopté une stratégie
opposée à ceux d’Envision pour
répondre à la limitation des quantités
de données: elle couvrira la surface
vénusienne de manière exhaustive,
ouvrant la possibilité de découvertes
surprises. Ses mesures répétées
aux mêmes endroits pourront
néanmoins repérer des
déformations de surface de l’ordre
du centimètre, trahissant par
exemple des gonflements dus
au remplissage de la chambre
magmatique d’un volcan entrant
en activité. Comme Envision, Veritas
sera dotée d’un instrument capable
d’observer les émissions thermiques
depuis d’éventuels points chauds
de la surface. Mais elle ne testera
pas son atmosphère. A.D.

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 81
À la une

TYPE
1 module de descente et
1 satellite d’observation
OPÉRATEUR
Nasa
DATE PRÉVUE
DE LANCEMENT
2025-2029
ORBITE
Non encore déterminée

MISSION DAVINCI+

Faire parler
la chimie
C’est l’autre mission vénusienne,
particulièrement ambitieuse,
que pourrait lancer la Nasa.
Jugez plutôt : le satellite
commencera par effectuer deux
survols de Vénus avant de s’installer
en orbite. Sa caméra grand-angle
fournira une vision large générale
de son atmosphère, et sa
caméra infrarouge détaillera les
émissions thermiques provenant
de la surface. Surtout, l’orbiteur
lâchera un module qui traversera
l’atmosphère. “Ce voyage d’une
heure lui donnera l’occasion
d’en réaliser une véritable biopsie”,
s’enthousiasme François Forget,
conseiller scientifique sur ce projet.
Dotée d’un spectromètre de
masse, la sonde détectera la
présence de nombreux gaz
(CO2, SO2, eau…), dont des traces
de gaz nobles (krypton, xénon,
argon…). Elle pourra même
déterminer la proportion des
isotopes (les variantes plus ou
moins lourdes des atomes),
ce qui donnera une idée de la
durée de leur présence dans
l’atmosphère. Sa station météo
décrira également la structure
physique de l’atmosphère sur
toute son épaisseur, donnant une
idée précise des phénomènes EAU LOURDE
météorologiques qui l’agitent. Enfin, La sonde étudiera la proportion
la sonde portera une caméra qui, des isotopes d’hydrogène dans les
différentes couches de l’atmosphère.
avant d’être détruite par la chaleur
Ce qui nous dira quand et à quelle
(460 °C) et la pression (93 bars) vitesse l’eau présente dans
régnant à la surface, enverra des le matériau originel s’est évaporée,
images inédites du sol. A.D. puis échappée dans l’espace.

82 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
 GAZ NOBLES
La sonde analysera
les traces de gaz
dans l’atmosphère
de Vénus et révélera
les ingrédients à
partir desquels la
planète s’est formée
il y a 4,5 milliards
d’années.

MISSION VENERA D

Expliquer
la super-rotation
C’est un peu le serpent de mer des
TYPE missions vénusiennes. Préparée
Orbiteur, 2 ballons depuis 2003, et considérée comme
et 1 sonde prioritaire depuis 2005 par le
OPÉRATEUR gouvernement russe, cette mission
Roscosmos (entreprise est régulièrement repoussée.
nationale spatiale russe) Elle s’avère pourtant prometteuse.
Depuis l’orbiteur, des caméras
DATE PRÉVUE
DE LANCEMENT observeront l’atmosphère
2026-2031 vénusienne, décrivant sa super-
rotation (elle tourne 60 fois
ORBITE
plus vite que la surface), analysant
À l’étude
ses caractéristiques optiques,
la structure des nuages et la
présence d’activité électrique.
Ce qui permettra peut-être de
trancher la controverse sur la
possibilité que des orages y
provoquent des éclairs. Surtout,
l’orbiteur lâchera deux ballons qui
G.CIRADE
se positionneront à deux étages
différents de l’atmosphère, où ils
pourront, pendant 8 jours, analyser
finement sa chimie (présence de
gaz nobles, proportion d’isotopes
de l’hydrogène, chimie d’espèces
soufrées, etc.). Enfin, le clou
de la mission est un atterrisseur.
Le module disposera d’un
spectromètre afin d’analyser la
composition chimique des basses
couches de l’atmosphère et du sol.
Il comprendra même un
sismomètre destiné à détecter
des vibrations dues à l’activité
géologique… du moins celles
qui se produiront pendant
les quelques minutes où son
électronique résistera à la chaleur
et à la pression ambiantes.

A.D.

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 83
 À la une

Quelle autre planète que la Terre pourrait bien abriter la vie ? Si

Vénus fut le premier objet de fantasmes des astrophysiciens,
c’est pourtant Mars qui focalise depuis trente ans leur attention.
Mais l’étoile du Berger pourrait bien prendre sa revanche…

L
e temps est venu de donner la
priorité à Vénus.” La réaction
de Jim Bridenstine, administra-
teur de la Nasa, à l’annonce de la
découverte de phosphine dans
son atmosphère, apparaît
comme un véritable chan-
gement de cap.
Deux mois plus tôt, en
effet, tous les regards
suivaient le départ de la
sonde Perseverance vers
Mars, focalisés sur
IT
l’espoir d’un prochain échantillon
de cette terre rouge potentiellement
gorgée de vie… Aujourd’hui, pour-
tant, les yeux se braquent du côté op-
posé, sur notre autre voisine. Simple
girouette médiatique ? En tout cas, les
Agences prennent position. “Vénus
est une planète russe, scande Dmitry
Rogozine, directeur de l’agence Ros-
cosmos, au lendemain de l’annonce
de son homologue américain. Nous
ne devons pas rester à la traîne. Les
projets de missions sont inclus dans
le programme d’exploration spatiale
russe pour 2021-2030.”
Existe-t-il de la vie ail-
leurs que sur Terre ?
Quelle planète se-
rait la mieux
 placée pour l’abriter ? Où concentrer
les explorations ? Mercure, Vénus,
Mars : le Système solaire compte seu-
lement trois planètes telluriques en
plus de la Terre. La première a vite été
exclue : avec son paysage constellé de
cratères de météorites et son ciel sans
atmosphère, elle s’apparente plus à
la Lune qu’à la Terre. “Le débat est
vraiment entre Vénus et Mars, observe
François Forget, spécialiste de l’explo-
ration du Système solaire à l’Institut
Pierre-Simon-Laplace. Titan est fas-
cinant, mais beaucoup plus loin…”
Car il y a aussi les lunes : Titan, Ence-
lade, Europe, Ganymède… Mais au
jeu des similitudes avec la Terre, ces
exotiques sont loin derrière nos deux
MEPL / BRIDGEMAN IMAGES - EVERETT COLLECTION / BRIDGEMAN IMAGES - BRIDGEMAN IMAGES - MEPL / BRIDGEMAN IMAGES - LMPC VIA GETTY IMAGES

grandes voisines.
Au départ, c’est Vénus qui avait ga-
gné. Étoile du matin, étoile du soir,
étoile du Berger… on la nomme dans
toutes les langues. Astre central de
notre paysage céleste, source d’ins-
piration dans l’imaginaire humain
depuis la préhistoire, c’est l’objet le
plus brillant du ciel – après la Lune
et le Soleil… Parfois même visible en
plein jour, elle est tout simplement la
planète la plus proche de nous.

UN ELDORADO TERRESTRE
Les premières fusées sitôt construites,
c’est donc naturellement vers elle
que les regards se sont d’abord tour-
nés. Ambiance guerre froide – nous
sommes au début des années 1960.
Durant quinze ans, Vénus est un el-
dorado extraterrestre visé par 29 mis-
sions russes (dont 17 atteindront leur
but) et 7 missions américaines. Elle est
la planète de toutes les premières.
C’est la première à recevoir la vi-
site d’une sonde en orbite : la sovié-
tique Venera  1 en 1961 – même si
elle perdra le contact avec la Terre
avant d’atteindre son but. C’est aussi
la première observée depuis l’orbite
par un engin humain (Mariner 2, le
14 décembre 1962, qui scanne Vénus
en ondes radar). Avec Venera 3, qui
s’écrase le 1er mars 1966 à sa surface,
elle est la première planète atteinte
par une sonde. Puis la première dont
l’atmosphère est mesurée directement
(Venera 4, en 1967) ; la première où
un atterrissage réussit (Venera  7, le
15 décembre 1970, restée en contact
avec la Terre pendant 23  minutes).
Elle devient enfin la première planète
vue comme si on y était : Venera 9 en-
voie, le 22 octobre 1975, les premières
images prises depuis la surface d’une
autre planète que la Terre.
Oui, mais qu’y voit-on ? Un paysage
désolé, tout de sable et de cailloux…
Le portrait planétaire rapporté par ces
émissaires paraît brûlé, avec des tem-
pératures de surface s’élevant entre
455 et 475 °C… “Trop chaud pour une
chimie carbonée”, résume François
Forget. Les fantasmes sont douchés.
Car c’est peu dire que Vénus faisait
rêver. On y imaginait un environne-
ment luxuriant semblable à celui de
la Terre. Il faut dire qu’elle a presque
la même taille (à 5 % près), presque la
même masse (à 20 % près), et presque
la même position (juste 25 % plus
proche du Soleil). Surtout, elle pos-
sède une atmosphère, une épaisse
couche de nuages qui, préservant le
mystère, autorisait toutes les audaces.
À la fin du XIXe siècle, les Vénusiens
enflamment l’imagination de l’astro-
nome et vulgarisateur Camille

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I SVI 85
 À la une
Missions vers Vénus
Pioneer Venus Orbiter
1960 1970
Mariner 4 Viking 1
Viking 2
Missions vers Mars
Deux fois plus de L’assaut a été lancé vers les deux planètes
simultanément, au début de l’ère spatiale,
missions vers dans les années 1960. Mais à partir des années
la Planète rouge 1990, la Nasa s’est concentrée sur Mars.
Flammarion: “Bientôt, en con­
templant Vénus, on ne voit plus seu­
lement un point lumineux, comme
le voyaient les pasteurs de Chaldée,
les pontifes de l’Égypte, les prêtresses
d’Athènes et de Rome. (…) On sait
que c’est là un monde analogue à ce­
lui sur lequel nous vivons, de même
volume, de même poids, un peu plus
proche du Soleil, un peu plus rapide
en son cours, un peu plus troublé
dans ses saisons, mais à l’image du
nôtre, par sa situation si voisine, son
atmosphère environnante, ses mon­
tagnes, ses jours et ses nuits, et sans
doute aussi par la vie inconnue qui a
dû se développer à sa surface.”
Océans d’eau, mers de pétrole,
jungle… “Une très grande partie de
la surface de Vénus est sans aucun
doute couverte de marécages”, avan-
çait de son côté le chimiste Svante
Arrhenius au début du XXe siècle,
partant du principe que la couverture
nuageuse vénusienne était forcément
constituée d’eau. Or, rien de tout cela:
Venera 9 révèle seulement une four-
naise qui pousse rapidement les spé-
cialistes des atmosphères à prendre
conscience d’un phénomène appelé…
effet de serre. Or, si cela commence
à passionner sur Terre les climatolo-
gues, les exobiologistes, eux, se dé-
tournent de Vénus.
L.DESRAYAUD
Car a contrario, “plus on a exploré
Mars, plus on a eu d’arguments en
faveur d’une vie”, rappelle François
86 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
Magellan
1980 1990 2000
Mars Global Surveyor
Nozomi
Nozomi
2001 Mars Odyssey
Forget. Et la Planète rouge est elle
aussi un objet de fantasmes. “La pre­
mière chose que l’on en a vue, au
XVIIIe siècle, c’est sa calotte polaire,
rappelle Francis Rocard, responsable
de l’exploration du Système solaire
au CNES. Dès lors, le raisonnement a
été: s’il y a de la glace, il y a de l’eau,
ça veut dire qu’il y a de la vie.” “Dans
les années 1950, on pensait que Mars
avait une épaisse atmosphère, et on
imaginait de l’eau liquide, de la végé­
tation”, poursuit François Forget.
CACHÉE DANS SES NUAGES
Pendant que Roscosmos explorait Vé-
nus, la Nasa s’est donc progressive-
ment focalisée sur Mars. Mais là aussi,
ce sera la douche froide: en 1964, le
premier survol par Mariner 4 révèle
un paysage désolé, des températures
glaciales et, bien sûr, pas la moindre
goutte d’eau. Sauf que sept ans plus
tard, Mariner 9 dévoile des lits de ri-
vières asséchés! Si Mars n’est pas ha-
bitable, elle a dû l’être par le passé…
La vie pourrait-elle s’y être dévelop-
pée? Peut-il en rester des traces? Dans
la foulée, l’Agence américaine lance
les sondes Viking, puis, à partir des
années 1990, plus de 20 missions vers
notre voisine… “Dans les choix de la
Nasa, cette problématique de la vie a
joué”, analyse Francis Rocard.
Il y a aussi les facilités techniques:
Mars a une atmosphère ténue, trans-
parente. On peut l’observer depuis
Akatsuki
Venus Express
2010 2020
Insight
MAVEN
Mars Science Laboratory
Mars Express
MER-B Opportunity
MER-A Spirit Mars Orbiter Mission
Mars Reconnaissance Orbiter
ExoMars TGO
l’orbite et “faire de belles images”,
pointe François Forget. Quand Vénus,
drapée dans ses nuages, reste diffici-
lement accessible. Et une fois à la sur-
face, les sondes ne résistent qu’une
demi-heure, grillées par la chaleur.
Ainsi Vénus a-t-elle gardé tout son
mystère. A-t-elle abrité de l’eau liqui-
de? Comment cet effet de serre colos-
sal s’est-il installé? Ses volcans sont-ils
toujours en activité? Les questions sont
les mêmes qu’il y a 20, 30… 40 ans.
Car les Terriens se sont détournés de
l’étoile du Berger. Jusqu’à aujourd’hui.
“Je pense que c’est en train de chan­
ger”, avance François Forget. “On sent
un regain d’intérêt aux États­Unis”,
note de son côté Francis Rocard. “Cette
détection potentielle de phosphine res­
suscite l’idée d’une vie sur Vénus, pose
David Grinspoon, astrobiologiste au
Planetary Science Institute à Tucson.
Même si c’est une inférence erronée,
cela nous aura amenés à nous pencher
sur cette idée, à penser Vénus d’une
manière nouvelle.”
Autrement dit, voici enfin Vénus
réhabilitée. M.F.
À consulter : les publications
citées dans l’article. À voir : les EN
sites des missions, les images de SAVOIR
Vénus surprise par les sondes. PLUS
science-et-vie.com
Les dossiers Biologie marine
ÉPINOCHE
Espèce
Gasterosteus aculeatus
Taille
Entre 5 et 11 cm
Distribution
Hémisphère Nord, des régions
polaires à tempérées

Qui aurait prédit qu’un jour la petite épi-

noche dominerait les eaux côtières de la
Suède ? Révolutionnant au passage tout
leur écosystème… Alexandra Pihen La déferlante d’épinoches ne submerge rien
de moins que 1 200 km de côtes suédoises. Or
a reconstitué cette implacable conquête. des chercheurs sur place ont pour la première
fois reconstitué la dynamique de ce boule-
versement majeur et rapide de l’écosystème.

C
’est David contre Goliath qui se rejoue dans
les profondeurs des eaux froides de la mer
Baltique. Dans le rôle du frêle premier, l’épi-
noche à trois épines – qu’elle arbore sur le
dos –, pas plus grosse qu’une sardine. Et dans
ARDEA/B.BEVAN/BIOSPHOTO - SHUTTERSTOCK
Mieux : ils ont mis au jour, statistiques à l’ap-
pui, les modifications profondes qui ont affecté
l’espace marin, véritables réactions en chaîne
au cours desquelles la proie a fini par prendre
l’avantage sur son prédateur. Se nourrissant

celui du géant inébranlable, les grands bro- des œufs et juvé-

chets et les perches d’Eurasie, ses prédateurs, Repères niles des perches
jusqu’à 10 fois plus massifs. Il y a trente ans, et des brochets, ce
l’épinoche n’était pourtant qu’un petit poisson L’épuisement des préda- petit poisson de la
parmi tant d’autres, pêché pendant la Seconde teurs est l’une des causes famille des hippo-
Guerre mondiale pour alimenter les lampes à
des inversions de domi- campes progresse
nation proies/prédateurs.
huile, et sans cesse menacé. Aujourd’hui, avec Mais aucune étude en effet inexora-
une multiplication par près de 50 de ses indi- n’avait encore permis blement vers les
vidus au large des côtes, il inquiète par sa pro- d’en analyser l’évolution côtes, tandis que
lifération. Et l’issue du combat semble jouée… spatiale en cascade. les grands poissons

88 I S I DÉCEMBRE I 2020
reculent. “Ces travaux constituent la première
démonstration complète d’un changement de
régime à grande échelle se déroulant au ralenti
sur les côtes de la mer Baltique”, salue Boris
Worm, biologiste spécialiste du déclin mondial
de la biomasse des grands poissons prédateurs
à l’université Dalhousie d’Halifax (Canada).
L’histoire commence au milieu des années
1990, alors que la biomasse des perches et bro-
chets diminue dans les eaux côtières de la Bal-
tique, moins chargées en sel que la haute mer et
donc favorables à ces espèces qui affectionnent
l’eau douce. L’épinoche elle-même n’est pas
responsable de ce premier coup porté : sur-
pêche, prédation par les phoques et les cor-
morans, créations de digues au détriment de
zones d’habitat côtières ou encore élévation
de la salinité à cause du changement clima-
tique en sont des déclencheurs potentiels. Au
milieu des années 2000, c’est ensuite au tour
de l’épinoche d’entrer en action, sa population
augmentant alors de façon exponentielle. Son
habitat alterne entre eau marine et eau douce :
elle migre notamment au printemps vers les
baies côtières de la mer Baltique pour se repro-
duire. Sauf qu’aujourd’hui, on l’y trouve aussi
en été, et à plus de 15 poissons par mètre carré.
UN “PUTSCH” DES ÉPINOCHES ?
Ce sont ces constats qui ont poussé Johan
Eklöf, biologiste marin spécialiste des change-
ments environnementaux progressifs à l’uni-
versité de Stockholm (Suède), à se pencher
sur la question : “Ces changements peuvent
parfois déclencher des modifications très
drastiques de la structure et de la fonction
d’écosystèmes entiers. Avec l’épinoche, je
soupçonnais la goutte d’eau qui fait débor-
der le vase.” La collecte massive de données,
plus de 13 000 études menées dans 486 baies
DÉCEMBRE I 2020 IS I 89
Les dossiers Biologie marine

de la mer Baltique pendant près de 40 ans

Position dominante
(1979-2017), constitue le socle de l’étude.
Une première analyse démontre tout d’abord
Perche et Épinoche
ce que les chercheurs appellent un “modèle brochet
de bimodalité” : 90 % des assemblages locaux
sont dominés soit par la
perche et le brochet, soit
par l’épinoche. Reste à sa-
Une conquête
voir comment le change- progressive
ment s’opère en faveur du Avant 1980, perches et brochets
petit poisson… Sauf que dominaient les eaux du grand
le “point de rupture” n’est archipel de Stockholm. Mais en
STOCKHOLM
pas clairement identifiable inversant ce rapport plus au
grâce aux seules données large, l’épinoche a engendré des
chronologiques. Il n’y a pas cascades de réactions, en plu- SÖDERTÄLJE
Limite des eaux
eu un unique moment déci- sieurs décennies, favorisant son intérieures

sif, un “putsch” de la proie

sur son prédateur, un coup
implantation alentour, puis sur la
totalité du paysage marin. 1980 15 km

d’État de l’épinoche.
Alors quoi ? En fait, la prise de pouvoir du
petit poisson n’est pas qu’une question tem-
porelle, elle est avant tout spatiale. C’est donc
l’ajout, dans l’analyse, de la distance des zones
maritimes étudiées par rapport à la haute mer
et aux côtes, qui a donné aux chercheurs la clé
de l’énigme. Et c’est là une révolution : la plu-
part des études sur les changements de régime
ne s’intéressaient jusqu’ici qu’à la dimension
temporelle – en supposant que si un change-
ment se produisait dans une zone de l’éco-
système, il se produisait partout. Sauf que ce
n’est pas le cas avec l’épinoche. Sa prise de
pouvoir a plutôt les allures d’une lente cam-
pagne militaire, menée sur une ligne de front
de plus d’un millier de kilomètres.
Et là, à l’échelle d’un pays, la dynamique
de la conquête prend tout son sens. Ce sont
d’abord les baies de l’archipel extérieur, les
En prenant la place de ses
prédateurs, l’épinoche chamboule
le paysage marin tout entier, comme
une implacable chute de dominos
plus éloignées de la côte, qui ont été conquises:
initialement bimodales, elles tombent sous le
joug de l’épinoche dans les années 1990. Les
baies de l’archipel moyen, toujours fiefs des
perches et des brochets, basculent à leur tour
dans le courant des années 2000. Enfin, les
baies de l’archipel intérieur tombent les an-
nées suivantes. “Le changement a clairement
commencé dans l’archipel extérieur, près de la
haute mer, et s’est progressivement étendu vers
le continent comme une vague d’épinoches”,
décrit le chercheur.
UN NOUVEL ÉCOSYSTÈME
Certes, à l’aune d’une baie, cette inversion
semble abrupte. Mais dès que l’on dézoome, la
conquête apparaît progressive. Tous les petits
bouleversements locaux, qui se produisent à
des moments légèrement différents, dessinent
ensemble, à grande échelle, une nouvelle carte
hégémonique. “Je suis surpris de voir combien
des changements se produisant assez brus-
quement sur des sites individuels provoquent
une réorganisation discrète de tout un littoral.
C’est un grand changement causé par un petit
poisson auquel nous n’avons pas beaucoup
pensé”, avoue Boris Worm.
Mais comment l’épinoche peut-elle prendre,
petit à petit, le dessus sur ses prédateurs ? Les
chercheurs parlent d’une “cascade trophique”:
les changements locaux asynchrones en-
traînent un changement global progressif. Et à

90 I S I DÉCEMBRE I 2020
UPPSALA UPPSALA

STOCKHOLM STOCKHOLM

SÖDERTÄLJE SÖDERTÄLJE

2000 15 km
2017 15 km

Des batailles
l’aide d’une modélisation détaillée de l’écosys-
éclairs
Nombre d’individus par échantillon

tème dans 32 baies, ils ont pu montrer que l’in-

60 En un lieu précis,
version proie/prédateur dans une zone engen- l’inversion de la
drait un important mécanisme de rétroaction, domination est
notamment sur le déplacement des poissons. Perche extrêmement
Ainsi le déclin de la perche et du brochet en un
30 rapide. Ici, au
Épinoche large de la ville
lieu peut faire baisser leur recrutement, et donc de Forsmark, un
l’ajout de nouveaux individus dans les régions point de rupture
0
voisines. En parallèle, le déclin des prédateurs clair apparaît
1980 1990 2000 2010 au début des
profite alors à l’épinoche qui, à son tour, limite
Source : Eklöf et al., 2020 années 2000.
la reconstitution de la biomasse des prédateurs
en se nourrissant de leur progéniture.
Et c’est tout l’écosystème qui s’en trouve se produire à de vastes échelles spatiales, telle
transformé. Car une fois que les épinoches une chute de dominos, pointe Boris Worm.
prennent le dessus, le paysage évolue dra- C’est une hypothèse que nous avions émise
matiquement : leur prédation sur les brou- mais que nous n’avions pas encore pu démon-
teurs et le zooplancton s’accentue, les algues trer à cette échelle.”
filamenteuses prolifèrent au détriment d’une Est-il possible de revenir en arrière ? Une
végétation offrant des habitats naturels, les nouvelle pêche à l’épinoche pourrait-elle
concentrations d’azote et de phosphore dans contribuer à rétablir dans cet écosystème la
les eaux s’élèvent… Des changements qui ne dominance de la perche et du brochet? À court
s’inversent pas facilement, le nouvel écosys- terme, la “chasse” à l’épinoche peut en effet
tème étant “verrouillé” dans sa configuration ralentir le changement. Mais à long terme, les
par la domination du petit poisson. spécialistes s’accordent sur son inefficacité.
En prenant la place de ses prédateurs, l’épi- “Ce changement de régime est le symptôme
noche est donc en train de chambouler le d’un écosystème en détresse. Tant que les fac-
paysage marin tout entier, validant au pas- teurs à l’origine du déclin des prédateurs ne
sage l’hypothèse, émise de longue date, selon sont pas connus et inversés, il est impossible
laquelle la disparition des prédateurs est un d’évaluer si le changement est persistant ou À lire : les EN
études citées SAVOIR
M.KONTENTE

désastre pour les écosystèmes. “Mais elle dé- non”, estime Johan Eklöf, dont les recherches
montre clairement que ces effets en cascade s’attachent désormais à identifier précisément dans l’article. PLUS
atteignent même les algues, et qu’ils peuvent ces facteurs. David a en fait déjà gagné. science-et-vie.com

DÉCEMBRE I 2020 ISVI 91

92 I S V I D é c e m b r e I 2 0 2 0
 Les dossiers Microbiologie

Nouveaux
antibiotiques
La piste
des potions
médiévales
Un remède repéré dans un manuscrit anglo-saxon du Xe siècle
vient de démontrer de stupéfiantes propriétés antibiotiques…
Même les bactéries les plus coriaces sont terrassées ! Et si la
solution au problème de l’antibiorésistance se cachait dans
les vieux traités de médecine ? La question se pose désormais,
raconte Vincent Nouyrigat.
SHUTTERSTOCK

Décembre I 2020 ISVI 93

 Les dossiers Microbiologie
C
ela ressemble franchement à un
remède de charlatan : de l’ail, des
oignons, du vin blanc, de la bile
de vache ; et pourquoi pas aussi
de la bave de crapaud ou une
patte d’ours sanguinolente ? Cette potion tirée
d’un manuscrit anglo-saxon du Xe s., intitulé
le Leechbook de Bald, est une sorte de col-
lyre censé traiter des gonflements au niveau
de l’œil. Mais vous n’êtes pas dupe : il semble
évident que cette mixture relève de pratiques
médiévales sans fondement, nourries de su-
perstitions, à des années-lumière d’une dé-
marche scientifique rationnelle…
Le résultat obtenu, il y a quelques mois,
par des microbiologistes de l’université de
Warwick (Royaume-Uni) a de quoi surprendre:
testé selon les rigoureux standards de ce début
de XXIe s., la recette moyenâgeuse s’est en fait
révélée ultra-efficace contre les espèces de bac-
téries les plus coriaces, et aussi très active face
à des agrégats de bactéries (des biofilms) à l’ori-
gine de 60 à 80 % des infections contractées
à l’hôpital, contre lesquels nos antibiotiques
actuels demeurent inefficaces ! Et si ces cher-
cheurs avaient découvert la potion magique
– ou, au moins, un nouvel antibiotique ?
LE FLÉAU DE L’ANTIBIORÉSISTANCE
A priori, le travail d’un microbiologiste ne
consiste pas à farfouiller dans des traités si-
byllins écrits en vieil anglais… Mais il faut
savoir que, outre la lutte contre le Covid-19,
BRIDGEMAN IMAGES/LEEMAGE - L.DESRAYAUD
les infectiologues mènent une guerre mondiale
contre la résistance aux antibiotiques dévelop-
pée par les bactéries. Pas moins de 60 équipes
de l’Institut Pasteur, par exemple, sont mobi-
lisées sur ce phénomène qui tue chaque année
700 000 personnes dans le monde et pourrait
provoquer 10 millions de décès annuels en
2050, ne serait-ce que pour une plaie anodine.
Dans ce contexte menaçant, les scientifiques
explorent toutes les pistes: nanomédicaments,
94 I S I Décembre I 2020
RECETTE
D’UN COLLYRE
CONTRE L’ORGELET
Prenez des quantités égales d’oignons
et d’ail, bien piler ensemble.
Prenez des quantités égales de vin et
de sels de bile bovins, mélangez.
Mettez le tout dans un récipient en
laiton, laissez reposer pendant neuf
nuits dans le vase d’airain.
Essorez à travers un chiffon
et clarifiez bien.
Mettez dans une corne et appliquez
la nuit sur l’œil avec une plume.
“C’est le meilleur remède.”
Cette recette [à ne pas reproduire
chez soi !] est extraite du Leechbook
de Bald (Xe s.), compilation de textes
sans doute écrits par des auteurs
latins et adaptés par les Anglo-Saxons.
virus mangeurs de bactéries, thérapie photody-
namique, substances antimicrobiennes conte-
nues dans le sang de crocodile, le foie de re-
quin, le sol des déserts… Jusqu’à plonger dans
de vieilles recettes médicinales consacrées à
ce qui ressemble à des infections bactériennes
–même si l’existence de ces micro-organismes
était inconnue à l’époque. En l’occurrence,
l’orgelet que le remède du Leechbook de Bald
est censé combattre est sans doute une infec-
tion au très problématique staphylocoque
doré, dont certaines souches sont devenues
aujourd’hui résistantes à la méticilline.
“Nous avons testé la potion sur plusieurs
bactéries dont le traitement antibiotique pose
aujourd’hui un problème urgent”, expose Jes-
sica Furner-Pardoe, à la tête de ces travaux. Le
remède reconstitué scrupuleusement (voir ci-
dessus) a donc été mis en présence des pires
 Un remède moyenâgeux
a réussi à éradiquer…
Le staphylocoque doré Avec le Groupe témoin
(Staphylococcus aureus) remède (eau stérile)

Cette souche résistante et très patho-

gène entraîne toutes sortes d’infections
(cutanées, osseuses, respiratoires…)
pouvant virer à la septicémie. Cause
aussi des intoxications alimentaires.
10 102 104 106 108
Quantité de bactéries en unité
formant colonie par millilitre

Le staphylocoque blanc
(Staphylococcus epidermidis)
Cette espèce prolifère sur les cathé-
ters, les prothèses, les pacemakers,
et envahit les plaies chirurgicales.
Avec une forte proportion de souches 10 102 104 106 108
résistantes. Quantité de bactéries en unité
formant colonie par millilitre

Le streptocoque
du groupe A
(Streptococcus pyogenes)
Cette bactérie fait beaucoup de
dégâts : elle provoque angines,
scarlatines, fièvres rhumatismales, 10 102 104 106 108
glomérulonéphrites aiguës… Quantité de bactéries en unité
formant colonie par millilitre
Source : Furner-Pardoe et al., Nature, 2020

Et même des biofilms

pathogènes. Un carnage ! Même la population
résistante de staphylocoques dorés a été réduite
d’un facteur 10000. “C’est très intéressant, on
voit que le remède fonctionne sur les deux
grandes familles de bactéries, à Gram positif
et à Gram négatif, dont les parois ont une struc-
ture différente”, analyse Valérie Copié, biochi-
miste à l’université d’État du Montana. Inté-
ressant, mais pas renversant… car nombre de
substances naturelles, à commencer par l’ail,
ont une action sur des cellules bactériennes
isolées in vitro, sans que cela ne se traduise for-
cément par une efficacité chez l’homme.
Les chercheurs britanniques ont donc voulu
aller plus loin, en confrontant la potion non
plus à des cellules isolées mais à des agrégats
de bactéries. C’est sous cette forme structurée
de biofilm qu’elles colonisent les surfaces de
toutes sortes de plaies, brûlures, prothèses,
Ces agrégats pluricellulaires, très résis-
tants aux antibiotiques, sont la cause
d’infections chroniques comme l’ulcère
du pied chez les diabétiques. Ici, la
10 102 104 106 108
très virulente Acinetobacter baumanii.
Quantité de bactéries en unité
formant colonie par plaie
cathéters, provoquant de terribles infections
qui peuvent mener à la septicémie. Traiter ces
biofilms exige des doses d’antibiotiques 100
à 1 000 fois supérieures à celles nécessaires
pour une bactérie isolée, et il arrive souvent
qu’aucun traitement ne fonctionne. “Ces po-
pulations forment une matrice extracellulaire
qui les protège en partie des traitements, tandis
que les conditions physico-chimiques particu-
lières qui règnent à l’intérieur de ces agrégats

Décembre I 2020 IS I 95
Les dossiers Microbiologie
Miel
Calculs
biliaires
Vinaigre
Eau de
rose
Plomb blanc et
cuivre calciné
Les biologistes passent désormais
au crible les vieux manuscrits
L’analyse informatique des 360 recettes du traité
Lilium medicinae, écrit par Bernard de Gordon,
médecin français du XIVe s., a permis d’identifier
les associations d’ingrédients les plus fréquentes
qui laissent espérer une certaine efficacité.
Comme l’aloe vera combiné à la gomme d’un
arbuste qui pousse en Perse (peut-être le Penaea
mucronata), ou le sumac avec de l’encens.
influent sur le taux de réplication et l’expres-
sion génétique des bactéries, de sorte qu’elles
deviennent plus tolérantes aux antibiotiques”,
explique Freya Harrison, microbiologiste à
l’université de Warwick.
Incroyable: la mixture médiévale agit bel et
bien sur la plupart des biofilms, en diminuant
le nombre de cellules viables d’un facteur 100
à 1 million selon les espèces ; même quand la
potion n’a pas d’impact, elle semble diminuer
la virulence des pathogènes. Et là, il ne s’agit
pas seulement de l’effet de l’ail… “Nous avons
constaté qu’en retirant l’un des ingrédients,
l’efficacité du traitement diminuait significa-
tivement, raconte Jessica Furner-Pardoe. Les di-
vers composés semblent fonctionner ensemble
96 I S I DÉCEMBRE I 2020
Comment lire ce graphique
Sur chacun des deux axes, sont placés
354 ingrédients de remèdes. Chaque
intersection représente une combinaison
d’ingrédients. Plus ce mélange est fréquent,
plus l’intersection est colorée.
Fleur de grenadier
sauvage
Aloe vera et extraits
d’arbuste perse
Violette, bourrache
et autres fleurs
Encens
et sumac
Oxyde de plomb
Source : Connelly et al., American Society for Microbiology, 2020
d’une manière pour le moment difficile à expli-
quer : il y a peut-être des interactions chimiques
entre ces substances, des effets de synergie, ou
alors ces différents produits attaquent diffé-
rentes parties de la bactérie simultanément.”
Tous les ingrédients semblent se conjuguer
C.DEL GENIO - L.DESRAYAUD - SHUTTERSTOCK
ou se compléter pour prendre d’assaut les for-
teresses bactériennes : l’ail avec son allicine qui
inactive les enzymes des bactéries, l’oignon et
ses peptides Ace-AMP1 qui déstabilisent les
membranes cellulaires, tout comme la bile
bovine et ses effets détergents – elle a pour
vertu de limiter la prolifération bactérienne
dans l’intestin grêle. Le rôle du vin est plus
énigmatique : le divin nectar permet peut-être
de mieux diffuser les antimicrobiens dans le
biofilm, ou alors son faible pH active certains
composants ; ou bien il joue tout simplement
un rôle de solvant en extrayant les molécules
des autres ingrédients.
En tout cas, cette expérience met en lumière
toute la puissance des mixtures et des mé-
langes, souvent laissés de côté par la phar-
macologie moderne. “L’approche convention-
nelle ‘une molécule-une cible’ ne fonctionne
pas bien pour traiter ces structures très hétéro-
gènes que sont les biofilms”, relève Karishma
Kaushik, spécialiste de l’antibiorésistance à
l’université de Pune (Inde). “Sous l’influence
des agences de régulation des médicaments,
nous nous sommes un peu trop focalisés sur
des principes actifs isolés, analyse Valérie
Copié. À force de purifier, on a pris le risque
de perdre d’autres éléments chimiques qui
peuvent jouer un rôle synergique bénéfique” ;
même si les mentalités changent, avec l’usage
de plus en plus généralisé de combinaisons
d’antibiotiques. D’autant plus qu’à long terme,
souligne Jessica Furner-Pardoe, “les bactéries
auront probablement plus de mal à dévelop-
per génétiquement une résistance face à un re-
mède comportant plusieurs agents chimiques
attaquant plusieurs cibles”.
REDÉCOUVRIR LES SOURCES HISTORIQUES
D’où l’intérêt d’éplucher les recettes ances-
trales, qui multiplient empiriquement les mé-
langes et n’hésitent pas à plonger des plantes
entières dans la marmite. Tout n’est certaine-
ment pas bon à prendre dans ces traités parfois
nimbés de spiritualisme ou de théories farfe-
lues. “Mais on décèle dans certains une vraie
démarche scientifique intelligente, et nous es-
pérons trouver d’autres remèdes actifs”, lance
Jennifer Furner-Pardoe. “Il y a beaucoup de
sources historiques à soumettre à l’expertise
scientifique, comme les médecines romaine,
indienne, anglo-saxonne, mais aussi polyné-
sienne, africaine”, estime Karishma Kaushik,
qui est en train de tester d’antiques recettes
indiennes à base d’huile de sésame contre le
staphylocoque. Un travail énorme en perspec-
tive, consistant pour le moment à détecter avec
des outils informatiques les combinaisons d’in-
grédients les plus fréquentes et sans doute les
plus pertinentes (voir ci-contre). “Je pense que
l’on va découvrir des phénomènes intéressants
grâce aux moyens analytiques modernes”,
ajoute Valérie Copié.
Le but n’est pas de recopier à l’identique
ces vieilles recettes pour en faire des médi-
caments. Il s’agit plutôt de trouver une bonne
base de départ pour développer de nouveaux
antibiotiques. De toute façon, il serait hors de
question de vendre en pharmacie de telles mix-
tures –on vous déconseille d’ailleurs de repro-
duire la recette chez vous. La mise au point
d’un antibiotique est un processus exigeant :
“Si nous voulons développer un cocktail syn-
thétique de molécules à partir du Leechbook
de Bald, il nous faudra d’abord comprendre
comment ce remède agit au niveau molécu-
laire sur les bactéries”, prévient Freya Harri-
son. Les preuves de son efficacité devront être
apportées par de nombreux tests sur les ani-
Cette expérience met en lumière
les mixtures, souvent délaissées
par la pharmacologie moderne
maux puis sur l’homme. Il faudra aussi s’assu-
rer de l’innocuité du remède : les chercheurs
britanniques viennent de démontrer sur des
cellules de peau humaines, des cornées de bo-
vin et des souris que le collyre médiéval était
peu irritant – des essais sur des humains pour-
raient avoir lieu en 2021. “Notre objectif serait
de pouvoir intégrer les molécules actives de la
potion dans la composition d’une pommade
ou en imprégnation sur des pansements”,
confie la chercheuse.
Cette potion magique venue des âges sombres À lire : les
ouvre une piste de recherche prometteuse et études citées
pour le moins inattendue. “Nous devrons re- dans cet
courir à toutes les stratégies possibles face à article ; l’histoire
l’antibiorésistance, concède Freya Harrison. d’un remède
C’est le seul moyen de conserver un arsenal chinois du IVe s. EN
antimicrobien performant et de soulager le far- actif contre le SAVOIR
deau des infections.” Y compris avec un peu paludisme. PLUS
d’oignon, d’ail, de bile et de vin blanc. science-et-vie.com
Décembre I 2020 ISVI 97
 Corriger, mais surtout ralentir la
progression de la myopie, devenue quelque peu le handicap posé par une vision
floue des objets éloignés, mais aussi et surtout
épidémique : tel est le pouvoir de réduire les risques associés : la myopie faible
nouveaux verres microstructurés. augmente d’un facteur 2 à 3 le risque de cata-
racte, de décollement de la rétine et de macu-
De premières études viennent de le lopathie, une pathologie touchant la macula,
démontrer, rapporte Coralie Hancok. la zone centrale de la rétine. Et lorsque la myo-
pie est forte, le risque est carrément multiplié
respectivement par 5, 20 et même plus de 40 !
Or, si ces pathologies surviennent à l’âge
adulte, c’est dans l’enfance que tout se joue :
c’est à ce moment-là qu’apparaît et progresse
e pouvoir de ces verres est fascinant : modi- la myopie, et qu’il

L fiant tout simplement la trajectoire de cer-

tains des rayons de lumière qui les traversent,
ils parviennent à freiner la progression de la
myopie ! “L’essai clinique mené en Chine pen-
dant deux ans sur 160 enfants a montré un
ralentissement de 59 % dans le groupe de ceux
Enjeux
34 % de la population
mondiale est myope.
C’est 12 points de plus
qu’il y a 20 ans, mais
16 points de moins que
faut donc agir si l’on
veut tenter d’endi-
guer les risques ocu-
laires qui lui sont
associés. Dans les
premières années
qui étaient équipés de nos verres par rapport de sa vie, un enfant
au groupe d’enfants portant des verres clas- les projections pour 2050 est en effet naturel-
selon lesquelles 1 humain
siques”, indique Marianne Goldwaser, experte lement hypermé-
sur 2 sera myope !
vision R&D chez Hoya. trope. Son œil est
C’est cette entreprise qui lance en France la un peu trop petit,
commercialisation de ces verres révolution- la distance entre la cornée et la rétine est trop
SHUTTERSTOCK

naires, qui promettent rien de moins qu’en- faible et, de ce fait, les images se forment légè-
rayer l’épidémie mondiale de myopie, en rement derrière celle-ci. Ensuite, au cours de sa
particulier les plus fortes. De quoi diminuer croissance, son œil grandit en même temps que

98 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0

lui et
l’image
vient finale-
ment se former sur la rétine – un
processus appelé “emmétropisation”.
Mais, en raison de facteurs à la fois géné-
tiques et environnementaux, il arrive que l’ém-
métropisation continue : l’œil grandit trop, trop
vite, la distance entre la cornée et la rétine de-
vient trop importante et l’image vient alors se
former devant la rétine : c’est la myopie.
Pour la corriger, la solution la plus utilisée
est évidemment de porter des lunettes : des
verres concaves dont la puissance correctrice
se mesure en dioptries négatives (entre -1
et -3 dioptries, la myopie est faible ; au-delà
de -6, elle est forte). “Le problème, avec ces
verres, c’est qu’ils ramènent bien les images
de la vision centrale sur la rétine, mais pas
celles issues de la vision périphérique. Celles-
Les dossiers Optique
ci, au contraire, se forment en
arrière. L’œil est alors obligé
d’accommoder. Pour limiter cet
effort, il tend à s’allonger”, explique
Marianne Goldwaser. Autrement dit, l’œil,
pourtant déjà trop long, s’allonge encore plus.
Et en le frappant, la lumière induit la synthèse
de facteurs chimiques qui favorisent sa crois-
sance: la myopie s’aggrave! D’où l’idée, lancée
il y a plus de vingt ans par plusieurs labora-
toires, de dévier ces rayons. Les recherches ont
commencé… chez le poulet! Cet animal consti-
tue en effet un modèle expérimental idéal pour
la compréhension des mécanismes d’évolution
de la vision et d’apparition de la myopie.
AJOUTER UNE CORRECTION INVERSE
Au fil des nombreuses expériences qui ont été
menées –de la privation de la vision à l’expo-
sition à la lumière de différentes intensités ou
longueurs d’onde, en passant par le port de
lentilles ou de lunettes de différentes puis-
sances…– les chercheurs ont montré qu’ajouter
en périphérie une correction positive (soit l’in-
verse de la correction habituelle des myopes)
avait pour effet de ralentir la croissance de l’œil
et, ainsi, l’évolution de la myopie (voir infogra-
phie, page suivante). “La seconde correction
de ces verres courbe les rayons périphériques
DÉCEMBRE I 2020 ISVI 99
Les dossiers Optique
et les ramène en avant de la rétine”, explique
Marianne Goldwaser. Dans la foulée, des len-
tilles de contact et des verres ont été conçus
puis testés sur des enfants. Jusqu’à la première
commercialisation de ces lunettes “à défoca-
lisation périphérique”, en 2011, en Asie, par
l’entreprise allemande Carl Zeiss, sous le nom
de Myovision. Puis, en 2018, ce fut au français
Essilor de lancer les siens (Stellest), en Chine,
avant de les diffuser en France, probablement
l’année prochaine. Enfin, en septembre dernier,
c’est le japonais Hoya qui a commercialisé ses
propres verres Miyosmart en France…
Gouttes, lentilles : deux
alternatives qui ont des défauts
Pour freiner la myopie, d’autres solutions que les lunettes
existent. La plus efficace, ou du moins celle pour laquelle on
dispose du plus grand nombre de preuves, consiste à instiller
dans les yeux des enfants des gouttes d’atropine. Mais les
effets secondaires à court terme (photosensibilité, perte de la
vision nette de près) sont gênants et on ne connaît pas les
risques à long terme. L’autre solution est l’utilisation de lentilles.
Certaines fonctionnent sur le principe de la défocalisation péri-
phérique, d’autres (les lentilles d’orthokératologie) modifient la
forme de la cornée. Mais pour de jeunes enfants, le port de
lentilles n’est pas aisé. “Et notre étude montre de meilleurs
résultats avec nos verres”, insiste Marianne Goldwaser.
Chacun de ces verres a ses spécificités. Dans le
cas de ceux de Carl Zeiss, la deuxième correc-
tion se présente comme une bande continue sur
la partie périphérique. Pour ceux d’Hoya et d’Es-
silor, elle consiste en une multitude de lentilles
convexes placées en périphérie. Chez Hoya,
celles-ci ont une correction fixe (+3,5 dioptries)
et sont disposées en nid-d’abeilles autour d’une
zone centrale concave. Essilor, de son côté, a
choisi des lentilles de puissance variable, col-
lées les unes aux autres et disposées en plusieurs
anneaux concentriques autour d’une zone cen-
trale. “D’un anneau de lentilles à l’autre, la puis-
sance varie”, précise Björn Drobe, directeur de
recherche chez Essilor R&D.
Et les résultats prouvant l’efficacité de
ces verres commencent à tomber. Car leur
100 I S I Décembre I 2020
évaluation était un défi en soi. “Mesurer l’évo-
lution de la myopie est très complexe ; que ce
soit pour nos verres ou pour d’autres solutions,
il est arrivé que les mêmes solutions se soient
avérées efficaces dans un essai et pas du tout
dans un autre”, rapporte Cécile Benoist, direc-
trice marketing chez Carl Zeiss France.
STANDARDISER LES ESSAIS CLINIQUES
Ainsi, après plusieurs essais cliniques encou-
rageants, Zeiss a subi une déconvenue en 2018
lorsque l’équipe de Takashi Fujikado (univer-
sité d’Osaka, Japon) n’a montré aucune diffé-
rence significative entre un groupe d’enfants
portant les verres Myovision et un autre por-
tant des verres classiques. Pour surmonter
cette incohérence et fournir des résultats scien-
tifiquement étayés, l’Institut international de la
myopie a publié en 2019 des lignes directrices
pour standardiser les essais cliniques. “Il est
important que ceux-ci mesurent l’élongation
de l’œil, car c’est ce facteur qui est responsable
des pathologies associées à la myopie”, sou-
ligne Damien Gatinel, spécialiste de la chirur-
gie réfractive à la Fondation Rothschild.
Justement, l’essai d’Hoya démontre bien que
l’œil des enfants portant des verres à défoca-
lisation périphérique s’est moins allongé que
celui des enfants portant des verres classiques:
0,21 mm chez les premiers, contre 0,55 mm
chez les seconds. Corollaire de cet effet, leur
myopie a moins progressé : ils ont perdu en
moyenne 0,41 dioptries en deux ans, contre
0,85 dioptries dans l’autre groupe ! Mieux en-
core, 21,5 % des enfants n’ont montré aucune
progression de leur myopie, contre seulement
7,4 % dans le groupe témoin.
Essilor promet des résultats encore plus im-
pressionnants : l’entreprise ne dispose que
d’un an de suivi, mais déjà “nous mesurons
que les enfants porteurs de verres multifocaux
ont perdu en moyenne 0,53 dioptries de moins
que les enfants portant des verres correcteurs
classiques, et leur œil s’est moins allongé, avec
une différence moyenne de 0,23 mm entre les
deux groupes”, se félicite Björn Drobe.
“Les résultats obtenus avec ces nouveaux
verres multifocaux sont très encourageants”,
commente de son côté Damien Gatinel. “Il fau-
dra seulement vérifier que l’effet se confirme
sur le long terme”, ajoute-t-il toutefois. Et c’est
 Une couronne de lentilles pour freiner la myopie
1. Lorsque la myopie
n’est pas corrigée
Cornée
Forme d’un Rétine
œil normal
Cristallin
La majorité des rayons lumineux
se focalisent à l’avant de la rétine :
l’image des objets lointains est floue.
3. Avec des verres à
défocalisation périphérique
La face avant du verre concave
intègre des centaines de petites
alvéoles convexes.
bien là tout l’enjeu : une fois devenus adultes,
ces enfants seront-ils bien moins myopes que
les autres ? Seules des études menées sur le
long terme pourront répondre.
Reste aussi à s’assurer de l’universalité de
ces résultats. Car l’Asie étant un continent ex-
trêmement touché par la myopie, c’est là-bas,
sur des enfants asiatiques, que l’essentiel des
recherches et tous les essais cliniques ont été
B.BOURGEOIS
menés. L’effet sera-t-il aussi bénéfique sur des
petits Européens ? “La myopie chez les Asia-
tiques a certes une composante génétique,
2. Avec des verres Les rayons lumineux provenant de
classiques la vision centrale se focalisent sur
la rétine : l’image devient nette.
Les rayons périphériques se forment
au contraire à l’arrière de la rétine, ce qui
favorise un allongement de l’œil.
Les rayons lumineux qui traversent la zone concave
se focalisent sur la rétine, permettant une vision nette.
Ceux qui traversent les alvéoles se foca-
lisent en avant de la rétine, limitant ainsi
l’élongation de l’œil. Ce qui freine la myopie.
mais il y a aussi des facteurs environnemen-
taux et ceux-ci ont le même effet sur les yeux
des Asiatiques que des Européens. De ce fait, il
n’y a pas de raison de croire que ces verres ne
seront pas efficaces chez nos enfants”, avance
Dominique Brémond-Gignac, chef du service
d’ophtalmologie à l’hôpital Necker. Pour le vé-
rifier, l’ophtalmologue parisienne coordonne
depuis le mois de mars une étude observation- À lire : les EN
nelle durant laquelle 200 petits Français équi- études citées SAVOIR
pés des verres Hoya vont être suivis pendant dans l’article. PLUS
deux ans. Réponse en 2022… science-et-vie.com
D É C E M B R E I 2 0 2 0 I S V I 101
Les dossiers Biologie moléculaire

HASAR
L’EXPRESSION
DES GÈNES
EN DIRECT
WYSS INSTITUTE AT HARVARD UNIVERSITY

Ces couleurs indiquent

pour chaque cellule le
nucléotide d’un gène en
train d’être transcrit in vivo.
Cette technique révolution-
naire de séquençage
in situ, cellule par cellule,
permet de visualiser le rôle
du hasard jusque dans l’ex-
pression des gènes.

102 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0
D IL FAÇONNE
TOUT LE VIVANT
Exit l’implacable diktat de la génétique. Biologistes
et généticiens découvrent aujourd’hui qu’à toutes les
échelles du vivant, de l’ADN à l’organe, en passant
par la cellule – et conditionnant même nos comporte-
ments ! – une autre force est à l’œuvre : le hasard. Un
vent de révolte théorique, selon Jean-Baptiste Veyrieras,
qui s’apprête à bouleverser notre vision de la vie !

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I S V I 103
Les dossiers Biologie moléculaire
O
n est à un point de bascule !” Le biologiste
moléculaire Olivier Gandrillon, de l’École
normale supérieure de Lyon, est loin d’être le
seul à ressentir que “quelque chose est clai-
rement en train de changer”, comme l’ajoute
son collègue le généticien Gaël Yvert. Un chan-
gement qui prend la forme d’une myriade de
découvertes expérimentales, venues de toutes
parts, et d’un vent de révolte… théorique : “Il
y a encore des résistances”, reconnaît Olivier
Gandrillon, lui-même partisan de ce renverse-
ment conceptuel de sa discipline.
Depuis une petite décennie, les biologistes
ont généré une quantité impressionnante de
données qui mettent à la peine les lois fonda-
mentales de la biologie. Non, il n’y a pas de
“programme” ou de “code” génétique. Non, un
être ne se développe pas sous la seule et impla-
cable dictée de ses gènes. Et… oui, deux clones
qui ont grandi dans un monde strictement iden-
tique peuvent parfaitement devenir des indivi-
dus différents. C’est le hasard qui façonne le vi-
vant. “Le hasard se manifeste à tous les étages
du vivant”, résume le biologiste Günter Vogt, de
l’université de Heidelberg (Allemagne). À tous
les niveaux des édifices cellulaires, mais aussi
dans tous les règnes: bactéries, champignons,
plantes, animaux… “Sans cette source indis-
pensable de variabilité, les cellules finiraient
vite dans une impasse”, insiste Gaël Yvert.
À REBOURS DE TOUTE VISION DÉTERMINISTE
Une révolution! Car aux yeux de la génétique,
le développement d’un être, depuis la toute pre-
mière cellule embryonnaire, ressemblait jusque-
là à un morne trajet le long d’une route balisée
par les gènes… Il y a bien quelques détours pos-
LINNEWEBER ET AL. - M.KONTENTE
sibles selon l’environnement dans lequel l’indi-
vidu va grandir puis s’établir. C’est ce qui fait
que des jumeaux élevés dans des conditions
différentes ne se ressembleront pas vraiment.
Mais la génétique suggérait que si l’on pouvait
détailler à chaque instant les interactions entre
les gènes et l’environnement, notamment via
104 I S I Décembre I 2020
les modifications épigénétiques, il serait théo-
riquement possible de prédire les détours em-
pruntés. Cette vision déterministe, mariant gé-
nétique, épigénétique et environnement, a un
corollaire: si l’environnement ne change pas, le
devenir d’une cellule est prévisible. Or, juste-
ment, ce n’est pas ce que l’on observe.
C’est ce qu’a révélé, depuis le début des an-
nées 2000, l’étude d’une espèce où tous les in-
dividus sont des clones : l’écrevisse marbrée
(Procambarus fallax forma virginalis). “Il est
possible, en laboratoire, de contrôler très fine-
ment l’environnement de croissance des œufs et
de vie des individus”, détaille Günter Vogt, qui
a mené ces travaux. Dans de telles conditions,
toutes les écrevisses devraient être identiques.
Eh bien non! Elles diffèrent par la taille, la cou-
leur, le comportement… “Ces différences sont
dues à des processus aléatoires aussi bien au ni-
veau des gènes, des interactions entre protéines,
que de l’organisation cellulaire”, conclut-il.
Puis des preuves se sont accumulées chez des
espèces plus communes, comme la mouche
du vinaigre (voir module n°1). “C’est une his-
toire incroyable, évoque Bassem Hassan, spé-
cialiste de la mouche du vinaigre à l’Institut
du cerveau et de la moelle épinière ; toutes les
études considéraient jusque-là ces variations
du comportement comme sans intérêt, liées à
l’humeur des mouches… et personne ne
Neurones des
lobes optiques
(chez la mouche)

1 À L’ÉCHELLE DE L’INDIVIDU…
LE HASARD FORGE LA PERSONNALITÉ
“Tout ce que j’avais
appris jusqu’ici sur le
développement du cer-
veau plaidait pour un pur
déterminisme génétique”,
se rappelle Bassem
Hassan, spécialiste de
la mouche du vinaigre à
l’Institut du cerveau et
de la moelle épinière.
Jusqu’à ce que le hasard
s’invite dans ses expé-
riences. Première sur-
prise : le neuroscientifique
a observé que des larves
système visuel étudié
par le chercheur et son
équipe. “On ne peut pas
prédire la manière dont
les neurones vont se
configurer”, résume-t-il.
En cause : un processus
stochastique, où le gui-
dage génétique se com-
bine au hasard. Et,
surtout, deuxième sur-
prise : cette variation neu-
ronale se traduit par un
changement de compor-
tement chez les insectes.
à la forme donnée par différences dues au
le hasard aux connexions hasard lors du dévelop-
neuronales (voir ci- pement des organismes
contre). “Plus ces peuvent avoir de grandes
connexions sont asymé- conséquences morpho-
triques entre les deux logiques et comporte-
lobes visuels, plus les mentales, atteste Günter
mouches marchent Vogt, de l’université de
d’une bande à l’autre”, Heidelberg. Le hasard
détaille-t-il. “De petites crée l’individualité !”
Bande noire
L’asymétrie 1
explique le 2
1
compor­ 5
4
3
2
tement 7
6
45
3

de mouches génétique- Lorsque les chercheurs Plus le hasard 8

9
10 7
6

ment identiques, grandis- ont enfermé ces favorise des 11

12
13 15 17
9
8

connexions 14 16 18 11
10

sant dans des conditions mouches dans une arène

12

neuronales
rigoureusement sem- baignée de lumière et asymétriques 2
1 1
2
blables, développaient tapissée de deux bandes dans le sys- 3 3
4
5

pourtant des connexions noires diamétralement tème visuel, 4 6

plus la mouche
neuronales distinctes opposées, deux types de est obsédée
5
6
8
7
7
– jusqu’à 30 % de diffé- comportement radicale- par les bandes 8
9 10 12
11 13
12 10 9
13 11

rences dans le câblage ment différents se sont noires.

des axones au sein du dégagés… liés chacun Source : Linneweber et al., Science 2020

Décembre I 2020 IS I 105

Les dossiers Biologie moléculaire

2 À L’ÉCHELLE DES ORGANES…

LE HASARD SPÉCIALISE LES CELLULES
Comment se développe
un être complexe fait de
milliers de milliards de
cellules à partir d’une
unique cellule souche?
Grâce au hasard, ont
démontré plusieurs
études. En particulier
celles de l’équipe d’An-
dràs Paldi, de l’École pra-
tique des hautes études,
sur les cellules souches
sans cesse”, pointe-t-il.
Au lieu d’une différentia-
tion bien lisible, clairement
tracée par les gènes, ces
cellules hésitent en per-
manence: la cellule est
tour à tour cellule souche
et cellule différenciée (voir
ci-contre). “C’est un pro-
cessus aléatoire : à
chaque division cellulaire,
elles n’ont qu’une chance
les gènes… qui sont litté- Olivier Gandrillon, de
ralement débordés par l’École nationale supé-
lui : “On sait désormais rieure de Lyon. Le milieu
que la différenciation dans lequel évolue la
cellulaire débute par cellule souche, plus que
l’expression tous azimuts ses gènes, jouerait alors
et totalement désordon- le rôle de guide et de
née des gènes”, affirme stabilisateur.
Un pic d’aléa avant la différenciation
Plus les cellules s’approchent de la différenciation (de droite à
gauche), plus leurs gènes fluctuent au hasard (de haut en bas).

Source : A.Moussy et al., Plos 2017

dites “hématopoïétiques”, sur quatre de se stabiliser T=0 T = 72 H
40 40 Cellules
qui engendrent les glo- de manière irréversible en Cellules fluctuantes
souches
bules blancs, rouges et cellule différenciée”,
0 0
les plaquettes sanguines. explique-t-il. Autrement
Cellules
Lorsqu’on suit l’évolution dit, dans ce processus différenciées
-40 -40
in vitro de ces cellules, clé du développement, le
-40 0 40 -40 0 40
“elles se transforment hasard joue autant que

cherchait à les expliquer. J’ai d’ailleurs moi-
même souscrit à la vision d’un pur détermi-
nisme génétique. Je pense à présent que les
processus aléatoires jouent un rôle fondamen-
tal dans le développement des êtres vivants.”
Surtout, quantité de laboratoires ont prouvé
que l’expression même de nos gènes était livrée
au hasard (voir module n°3)! Cette découverte
majeure a été rendue possible grâce à l’essor des
technologies dites “single cell” (cellule unique),
qui permettent d’explorer les processus biolo-
giques cellule par cellule: “C’est magique, at-
teste Olivier Gandrillon, nous sommes passés
d’une vision populationnelle, sur plusieurs
milliers de cellules, à des observations indivi-
duelles.” Et lorsque les processus cellulaires ne
se réduisent plus à des “valeurs moyennes”,
c’est toute l’étendue des variations aléatoires
qui s’ouvre aux yeux médusés des biologistes. À
l’instar des physiciens lorsqu’ils ont commencé,
au début du XXe s., à observer les atomes… et
concédé qu’au niveau fondamental de la ma-
tière, règne un indéterminisme, clé de voûte de
la physique quantique. “Il faut moins chercher
à expliquer d’où provient le ‘bruit’ dans un sys-
tème supposé stable, que comprendre comment
un système biologique peut être stable malgré
tous ces aléas”, plaide Andràs Paldi, de l’École
pratique des hautes études.
VERS UNE “GÉNÉTIQUE DES PARTICULES” !
En effet, si le hasard est omniprésent, comment
les cellules parviennent-elles en apparence à
s’organiser en phénomènes reproductibles ?
La réponse tiendrait justement dans cette ap-
proche empruntée aux physiciens. “Il faut re-
garder le vivant comme un système probabi-
liste”, ose Olivier Gandrillon. Si le devenir de
chaque cellule individuelle apparaît comme
“indéterminé”, à l’échelle d’une population
cellulaire on peut prédire ce qui va advenir.
“Et c’est exactement ce que l’on observe dans la
différenciation cellulaire”, pointe Andràs Paldi
(voir module n°2).
Le généticien Gaël Yvert plaide lui aussi pour
une “génétique des particules”. À de rares ex-
ceptions près (les maladies génétiques mendé-
liennes, par exemple), les mutations de l’ADN

106 I S I DÉCEMBRE I 2020

Cellule souche

JEAN-
JACQUES
KUPIEC
Chercheur
émérite en biologie
moléculaire

Il faut aller vers une

théorie anarchiste
Cellule fluctuante
du vivant
Science & Vie : Fait rare, votre article fondateur de
1983 prédisant l’expression aléatoire des gènes vient
d’être republié cette année par une revue scienti-
fique. Y voyez-vous le signe d’une nouvelle ère ?
Jean-Jacques Kupiec : À l’époque, cet article avait été
rejeté par la plupart des journaux scientifiques auxquels
je l’avais soumis, et la plupart de mes collègues considé-
raient alors irréaliste l’idée d’un fonctionnement probabi-
liste des cellules. Je suis donc très heureux qu’il
reparaisse car il n’y a pas un mot de cet article que je
renie. Mes prédictions d’alors se sont révélées exactes.

S&V : Mais vous appelez à aller plus loin et à

“accepter la part anarchique du vivant”…
J.-J.K. : Je pense qu’une théorie anarchiste, qui
Cellule différenciée substitue à l’ordre, comme principe premier, la variation
aléatoire, est aujourd’hui nécessaire. L’anarchie, ici,
n’est pas synonyme de chaos, mais de libre organisa-
tion. Ce sont les interactions au sein de la communauté
qui génèrent un comportement collectif, sans qu’il y
L.DESRAYAUD - 2017 MOUSSY ET AL. -ODHRAN DUNNE

ait besoin d’un État centralisé, d’un “code génétique”

qui donne des ordres.

S&V : Quel rôle joue alors le hasard au sein de cette

communauté cellulaire ?
J.-J.K. : Les variations aléatoires favorisent l’adaptation
permanente des cellules aux contraintes de leur com-
munauté et de leur environnement. Couplée au hasard,
cette théorie anarchiste du vivant, que j’ai dénommée
“ontophylogenèse”, permet d’expliquer à la fois l’évolu-
tion et le développement des organismes.

D é C E m b r E I 2 0 2 0 I S V I 107
 Les dossiers Biologie moléculaire

giste Olivier Gandrillon, de manière dont les gènes

l’ENS Lyon. La raison ?
Les déplacements aléa-
toires dans le noyau cellu-
laire du complexe de
protéines en charge de
Expression d’un copier le brin d’ADN des
gène (en rouge) gènes. Auxquels s’ajoute
dans des cellules l’ouverture aléatoire de la
chromatine, cet ensemble
de protéines autour des-
se manifestent dans
chaque cellule. Cette lote-
rie se propage d’ailleurs à
tous les étages de la cel-
lule : “Le monde cellulaire
est un système dyna-
mique aléatoire”, résume
Olivier Gandrillon.
À chaque gène

3 À L’ÉCHELLE
DES MOLÉCULES…
LE HASARD DICTE
quelles l’ADN s’enroule
comme autour d’un cha-
pelet : lorsqu’elle se
referme subitement au-
sa distribution
aléatoire
15

Nombre de cellules
dessus d’un gène, sa
L’EXPRESSION DES GÈNES séquence d’ADN devient 10
de fait moins accessible.

Source : A.Raj et al., Plos 2006

Toutes les observations
confirment le même
tableau : l’expression des
gènes est un monde peu-
plé d’aléas. “La transcrip-
tion des gènes en ARN
messager [cette molécule
relais entre l’ADN et les
protéines] ne se fait pas
de manière continue et
régulière, mais par
à-coups dont l’intensité et
la fréquence sont aléa-
toires”, explique le biolo-
En conséquence, seuls 5
des modèles mathéma-
tiques empruntés au 0
monde des tirages aléa- 0 2 000 4 000 6 000
toires parviennent Nombre de molécules
d’ARN messager
aujourd’hui à décrire la

ne se traduisent pas de manière directe dans
l’organisme : à une mutation correspondent
différentes trajectoires de développement.
“Du point de vue évolutif, c’est remarquable,
souligne Bassem Hassan, même une base géné-
tique restreinte peut engendrer de la diversité et
faciliter l’adaptation de l’espèce.” Exactement
comme chez les écrevisses marbrées! “L’impor-
tance des variations aléatoires à l’échelle de la
vie cellulaire établit un point de contact entre la
théorie de l’évolution de Darwin et le dévelop-
pement des individus”, renchérit le biologiste
moléculaire Jean-Jacques Kupiec, pionnier en
ce domaine (lire interview p.107).
Ainsi, ce ne serait plus les gènes qui déter-
minent le développement d’un embryon, mais
le hasard – via la différenciation cellulaire – et
ARJUN RAJ ET AL. - L.DESRAYAUD
cellulaire, associées aux possibilités offertes
par leur ADN, qui conduisent à la formation
des êtres”, développe le chercheur émérite.
Hasard et sélection. Nouveauté et interac-
tions. Aléa et adaptation… Quels que soient les
mots que l’on pose sur ces deux moteurs de la
genèse des espèces et des individus, ils plaident
pour relativiser l’idée d’un pur déterminisme
génétique: “Il faut redevenir disponible à une
autre explication”, plaide Gaël Yvert. Tous ceux
qui ont déjà embrassé l’idée d’un “vivant proba-
biliste” s’attendent encore à des incompréhen-
sions. Tous ont aussi le sentiment que la contro-
verse oppose deux générations de chercheurs:
“Les plus jeunes, plus familiers des concepts de
À lire : Et si le
la physique, ne s’étonnent pas qu’un système
vivant était
probabiliste puisse être aussi reproductible”, anarchique, de

les interactions entre les cellules et leur éco- souligne Bassem Hassan. J.-J. Kupiec,
système: “Je ne nie pas l’importance de l’ADN, Un vent de changement semble donc bien éd. Les liens
mais il faut admettre qu’il ne contient aucun s’être levé, qui pourrait donner prochainement qui libèrent.
programme. Il fournit en revanche des outils un nouveau cadre théorique à la biologie. Et À consulter : les EN
que les cellules utilisent selon leurs besoins, avec lui, une nouvelle vision de la vie, moins études citées SAVOIR
imposés par leur environnement. Ce sont les corsetée par les gènes, plus libre d’explorer au dans cet article. PLUS
modifications successives de l’écosystème hasard les possibilités qui s’offrent à elle. science-et-vie.com

108 I S I DÉCEMBRE I 2020

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Les dossiers Physique théorique

110 I S V I D é c e m b r e I 2 0 2 0
 TROU NOIR
EXTRÉMAL
LE NOUVEAU
MONSTRE
COSMIQUE
C’est peu dire qu’il est étrange. Si extrême dans ses carac-
téristiques qu’il fracasse les frontières de la physique, dévoi-
lant de nouveaux continents théoriques. Le trou noir extré-
mal pose de nouvelles questions, annonce Román Ikonicoff.

P
eut-on imaginer plus extrême qu’un trou noir? normaux, entre 1915 et la décennie 1920 –soit
Cet astre est si massif qu’il piège gravitationnel- bien avant que les observations astronomiques
lement toute matière, lumière et énergie der- ne confirment que les trous noirs existent vrai-
rière son horizon des événements. Et il possède ment (à partir des années 1960). Le raisonne-
cette “singularité” cachée en son centre, étrange ment est simple: les trous noirs attirent toute
frontière infinitésimale sans dimensions, où la matière qui ose s’en approcher: poussières,
l’espace-temps se tord et s’abîme vers on ne gaz et… particules
sait où! C’est impensable, et pourtant, oui, il y
a plus extrême: un trou noir extrémal.
Repères chargées : des élec-
trons négatifs, des
Une gravité nulle en surface – pour un Un trou noir est un objet protons positifs…
monstre de gravité comme le trou noir c’est si dense que l’intensité S’ils n’absorbent pas
déjà étrange; une température de 0° kelvin –ce de son champ gravita- autant de charges
qui est… impossible; et une charge –oui une tionnel empêche toute positives que néga-
charge électrique : voici le monstre cosmique matière ou rayonnement tives, ou l’inverse,
qui hante aujourd’hui les nuits des physiciens. de s’en échapper. Il est ils peuvent finir par
né des équations de la
Car c’est peu dire qu’il pousse la physique dans porter une charge
relativité d’Einstein.
Y.DIRAISON/EHT OUTREACH

ses retranchements. Jusqu’à, l’espèrent-ils, dé- électrique globale.

voiler de nouveaux continents théoriques.
En fait, ce monstre plane sur la physique de-
puis longtemps. Il a commencé à se matériali-
ser dans les équations de la relativité générale
d’Einstein, en même temps que les trous noirs
Rien d’extrême en
soi… si l’on ne tenait compte d’un autre phéno-
mène, découvert en 1973 par le physicien Ste-
phen Hawking: tous les trous noirs perdent de
la masse en rayonnant de la chaleur sous forme

D é c e m b r e I 2 0 2 0 I S V I 111
Les dossiers Physique théorique
Comment se forment
les trous noirs extrémaux
Si le trou noir se trouve dans une région contenant
de la matière chargée électriquement, il avale ces
charges et un processus s’enclenche…
de lumière infrarouge –selon l’équation
d’Einstein E = mc², une perte d’énergie équi-
vaut à une réduction de la masse. Ainsi, malgré
leur réputation de ne rien restituer de ce qu’ils
mangent, les trous noirs maigrissent très pro-
gressivement –le processus prend des milliards
de milliards d’années. Sauf que cette évapora-
tion ne peut émettre de charge: le rayonnement
de Hawking est purement thermique. Donc que
se passe-t-il si le trou noir est chargé? Sa charge
par unité de volume va lentement augmenter, à
mesure que le volume de l’astre diminue. Oui,
mais les charges électriques de même signe
se repoussent ! Le trou noir, de plus en plus
chargé, va receler des particules qui engendrent
une force répulsive croissante… jusqu’à deve-
nir égale et inverse à la force d’attraction gravi-
tationnelle de l’astre (voir infographie). Le trou
noir se retrouve alors avec une gravité nulle à sa
surface. Le monstre est frappé d’impuissance!
Bienvenue chez les trous noirs extrémaux.
Longtemps, ces trous noirs chargés à l’ex-
trême sont restés une étrangeté. Ils n’étaient
d’ailleurs pas seuls dans la liste des bizarre-
ries relativistes: les trous noirs en rotation –qui
sont légion dans l’Univers – possèdent aussi
leur pendant extrémal. Avec l’évaporation de
Hawking, leur volume diminue, ce qui aug-
mente leur vitesse de rotation. Arrive donc le
moment où celle-ci engendre une force centri-
fuge à l’opposé exact de la gravité, qui devient
nulle à la surface de l’astre…
Mais, ces dernières années, enfin, les phy-
siciens s’en sont saisi. C’est un nouveau
112 I S I DÉCEMBRE I 2020
Particules Singularité
de matière
chargées
Horizon des
événements
Les trous noirs avalent tout ce
qui se trouve à proximité de leur
horizon des événements, dont de la
matière (particules) chargée.
constat qui a tout déclenché. Quand la limite
d’“extrémalité” est atteinte et que la gravité
de surface s’annule, il se passe quelque chose
d’étrange: “dans les équations de Hawking, la
température d’un trou noir est proportionnelle
à sa gravité en surface: à gravité zéro, la tem-
pérature est nulle”, précise Jean-Pierre Lumi-
net, directeur de recherche au CNRS et membre
du Laboratoire d’astrophysique de Marseille
(LAM). C’est le zéro absolu (- 273,15°C) ! Le
corps ne rayonne plus aucune chaleur. Exit
Faits & donc l’évaporation de Hawking, le trou noir
chiffres extrémal n’évolue plus : il se fige pour l’éter-
nité. Et cela pose un très gros problème à la
L’Univers est
décrit par la physique! “Surtout aux théoriciens de la phy-
relativité et la sique, nuance Éric Gourgoulhon, directeur
mécanique de recherche CNRS au laboratoire Univers et
quantique, théories (LUTH) de l’Observatoire de Paris. Car
inventées dans les trous noirs extrémaux n’existent pas dans
les années la nature.” Oui, tout ici est fictif. Le scénario
1915-1930. qu’on vient de narrer se déroule sur le papier…
Dépassées par Ceci pour de nombreuses raisons, la plus évi-
la physique dente étant l’impossibilité physique pour
des trous tout objet d’atteindre le zéro absolu – même
noirs, le grand si certains trous noirs, bien réels eux, s’en ap-
enjeu est de les prochent (lire encadré).
unifier en une
Mais, justement, les physiciens ont aujourd’hui
Théorie du
diablement besoin d’un cadre théorique. Car la
tout. La candi-
date la plus physique est en crise: la nature insaisissable de
aboutie est la la matière noire ou de l’énergie noire, l’inexis-
Théorie des tence apparente de l’antimatière dans l’Univers,
cordes… Mais et on en passe (voir S&V nos 1161 et 1224). Et,
elle reste à l’état dans cette crise, les trous noirs réels ne sont pas
d’ébauche. en reste! Il y a le célèbre “paradoxe de l’informa-
 ère de char
Une sphère de charges augmente au fur et
à mesure que l’astre avale les particules.
tion”, tout en haut de la liste, qui concerne les
vrais trous noirs. Soulevé en 1976 par Hawking,
il dit qu’à cause de l’évaporation, un trou noir
finit par disparaître, emportant dans le néant
toute l’information qu’il a avalée – le rayonne-
ment de Hawking ne porte d’autre information
que sa température. Or la mécanique quantique
impose qu’aucune information ne disparaisse
de l’Univers. Donc contradiction. Voilà un vrai
problème d’astrophysique et non un problème
théorique ! “C’est vrai, convient Loïc Villain,
chercheur à l’Institut Denis-Poisson (IDP) de
l’université de Tours, mais si l’extrémalité des
trous noirs focalise les efforts de certains théo-
riciens, c’est qu’il est un problème bien plus
simple que tout autre posé par les trous noirs
réels. Car les extrémaux possèdent beaucoup
plus de symétries mathématiques.”
DÉPASSER LES CONTRADICTIONS
Simplification. Le mot est lâché. Pour résoudre
la monstrueuse crise de la cosmologie, les théo-
riciens ont pris conscience de leur besoin vital
de trouver des cas de laboratoire – les cas réels
dépassant nos capacités actuelles : là où les
deux phénomènes fondamentaux, la gravité et
les interactions quantiques, agissent ensemble,
nos équations engendrent paradoxes et contra-
dictions car leurs langages mathématiques sont
incompatibles ! Mais l’existence bien réelle des
trous noirs montre qu’il y a forcément une solu-
tion. “Ce sont les seuls objets macroscopiques
A.DAGAN
de l’Univers où les descriptions relativiste et
quantique de la gravitation s’entremêlent, ex-
Rayonnement
de Hawking
En parallèle, le trou
noir s’évapore et
rétrécit, car il perd
de la masse sous
forme de chaleur :
c’est le rayonnement
de Hawking.
Ces deux phénomènes se poursuivent
jusqu’à ce que l’horizon des événements
atteigne la sphère de charges. Au-delà,
c’est un blanc théorique.
plique Loïc Villain. Ils nous obligent littérale-
ment à trouver une nouvelle théorie.” Le cher-
cheur fait référence à la future Théorie du tout,
ou Théorie de la gravitation quantique, le Graal
de la physique contemporaine ! Et c’est là que
joue à plein le modèle fictif des extrémaux.
Car la Théorie des cordes, sans doute la plus
avancée dans cette quête, “n’est qu’un bébé-
théorie, reprend Loïc Villain. On a quelques
morceaux théoriques et intuitions… mais c’est
tout. Or les trous noirs extrémaux sont les seuls
qu’on arrive à décrire parfaitement d’une ma-
nière microscopique dans son langage !” Et
encore, seulement les trous noirs extrémaux
chargés. Les autres, les extrémaux en rotation,
“ont une forme ovoïde et d’autres asymétries
qui rendent les calculs trop compliqués”, pré-
D É C E M B R E I 2 0 2 0 I S V I 113
Les dossiers Physique théorique

cise Éric Gourgoulhon. Un trou noir chargé, au quatre forces de la nature, c’est exactement ce
contraire, “est simple : c’est un objet statique que l’on attend d’une Théorie du tout! Et en
avec une charge électrique, confirme Jean- 2020, une équipe de l’université Carnegie Mel-
Pierre Luminet. Mais même là les calculs ne lon a ajouté quelques contraintes supplémen-
peuvent être menés dans l’espace ordinaire, il taires et confirmé la nécessité d’un lien entre ces
faut un espace à cinq dimensions!” quatre forces afin de permettre la décroissance
Les trous noirs extrémaux s’imposent ainsi du trou noir extrémal.
comme un modèle-jouet pour tenter de me-
ner des calculs jusqu’au bout et peut-être dé- PAS DE SINGULARITÉ NUE !
couvrir… une lumière orientant la physique Les trous noirs extrémaux laissent entrevoir
contemporaine –quitte à “affiner” plus tard. un au-delà théorique ! Mieux, ils posent de
Et les pistes théoriques commencent à appa- nouvelles questions, potentiellement révolu-
raître. En 2006, des chercheurs de l’université tionnaires tant elles bousculent les ébauches
Harvard, aux États-Unis, ont publié un article de Théorie du tout: “Dans un trou noir extré-
mal, selon la relativité, quand
la répulsion devient plus forte
que l’attraction gravitation-
Dans le ciel tournent des trous nelle, elle le ‘déshabille’ et laisse
noirs presque extrémaux alors voir sa singularité, observe
Jean-Pierre Luminet. Or c’est
Les astrophysiciens cherchent à mesurer la vitesse en principe interdit !” En effet,
angulaire des trous noirs en rotation. Or, ce qui tourne, Roger Penrose, prix Nobel de
c’est l’espace-temps lui-même, qui se tord en spirale physique cette année, a montré
aux abords du monstre. Mais cette rotation induit un que les informations de l’inté-
effet visible sur le disque d’accrétion autour de l’astre, rieur de l’horizon ne peuvent
qu’on peut mesurer. Selon Éric Gourgoulhon, “il se diffuser à l’extérieur car on
semble que la majorité des trous noirs sont en rotation verrait alors les effets précéder
à des vitesses très élevées, proches de 99,8 % de la leur cause, une négation du
limite d’extrémalité, même si aucune mesure n’est principe de causalité fondant la
pour l’heure confirmée”. Cette valeur de 99,8 %, calcu- science physique! “Et il revient
lée en 1974 par le physicien Kip Thorne, est due à un aux théoriciens de montrer si
effet de freinage qu’exerce le disque sur le trou noir.
le déterminisme survit ou pas
Thorne a aussi montré qu’elle était indépassable.
lorsque l’on prend en compte
les effets quantiques, répond
Loïc Villain, qui rappelle qu’en
sur l’évolution des extrémaux : zoomant sur Théorie des cordes, on fait parfois des hypo-
une petite partie de l’horizon des événements thèses sur des hypothèses sur des hypothèses.”
extrémal, et apportant à la théorie classique des La quête n’en est qu’à ses débuts et les points
corrections quantiques microscopiques, ils ont d’attaque sont nombreux. Les trous noirs extré-
réussi à scinder le trou noir en deux! Générant maux sont l’aiguillon de cette “libre invention
un petit trou noir chargé qui n’est pas encore de la gravité quantique” dont parle Jean-Pierre
arrivé à la limite d’extrémalité, et un autre petit Luminet dans son dernier livre. L’heure est à
À consulter :
trou noir qui a dépassé cette limite. l’inventivité théorique non contrainte par la
les études
En 2018, des chercheurs de l’université de preuve observationnelle. Le chaos? Non! C’est citées dans cet
Californie ont approfondi ces corrections mi- cette même liberté dont s’étaient saisis en leur article.
croscopiques et montré que la masse d’un trou temps les Einstein, Bohr, Heisenberg et autres, À lire : L’Écume
noir pouvait baisser en-deçà de la limite extré- pour exploser littéralement nos conceptions de de l’espace-
male… si la force de gravité était reliée mathé- l’espace, du temps, de la matière et de l’énergie. temps, de J.-P. EN
matiquement aux autres forces (électromagné- La déflagration portée peut-être par les trous Luminet, éd. SAVOIR
tique, nucléaire faible, nucléaire forte) par une noirs extrémaux pourrait cette fois-ci être bien Odile Jacob. PLUS
loi universelle, encore inconnue. Or, unir les plus spectaculaire. science-et-vie.com

114 I S I Décembre I 2020

 Bon à savoir Sommaire
116 C’est maintenant
Grippe et Covid :
116
Virus
122
Programmation
des risques sup-
plémentaires ?

119 En pratique
Un coup de fil vaut
mieux que cent
messages

Au troisième âge,
danser aide à pré-
venir les chutes

Le miel est bien le

meilleur remède
contre la toux

122 Technofolies
5 nouveaux
robots Lego à
programmer 119
Lien social
Le casque qui
ajuste le niveau
de bruit pour
chaque oreille
Pierre-Louis Lions

126 À voir / à lire / à faire

Dans la tête d’un
mathématicien, un
récit autobiogra-
phique de Pierre-
Louis Lions
SHUTTERSTOCK - DR - SERGE PICARD - ILLUS. ALBAN PÉRINET/DÉCAPAGE

128 Questions/Réponses
Un oisillon adopté
par une autre
espèce a-t-il un
chant différent ?
130 134
Bulle
Chant modifié
de
Peut-on fabriquer science
une bombe à
antimatière ?

Pourquoi
les rêves ne
s’ancrent-ils pas
dans la mémoire ?

134 Bulle de science

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I S V I 115
 Bon à savoir C’est maintenant

Grippe et Covid : des risques

supplémentaires ?
Cet hiver, l’épidémie de grippe
saisonnière devrait coexister avec
celle de SARS-CoV-2. Ces deux
infections semblables par leur mode
de transmission et leurs symptômes
peuvent-elles influer l’une sur l’autre ?
Se vacciner contre la grippe peut-il
protéger du nouveau virus ?
Réponses en quatre points.
PAR KHEIRA BETTAYEB

L’épidémie de grippe sera-t-elle Un effet rebond

particulière cette année ? l’an prochain?
D’habitude, pas d’hiver parue en septembre Conséquence d’une faible vague de grippe
sans vague de grippe concernant trois pays cet hiver due aux mesures barrières : “L’épi-
saisonnière… sauf cette de l’hémisphère austral démie pourrait se décaler dans le temps,
année, peut-être. “Dans (Australie, Chili et Afrique voire s’aggraver”, prévient Olivier Moncorgé.
l’hémisphère Sud, durant du Sud), les résultats Et pour cause: les personnes qui ne seront
le dernier hiver austral, positifs au test de la pas touchées cette année constitueront
d’avril à octobre 2020, grippe n’étaient que de autant de cibles potentielles à l’avenir… En
le virus de la grippe a 0,06% durant la période effet, “même si les virus de la grippe mutent
beaucoup moins circulé d’avril à juillet 2020… d’une année sur l’autre, l’infection par un
du fait du Covid-19, ce contre 13,7% pour la type grippal donné permet tout de même de
qui suggère qu’il pourrait même période les trois développer une immunité contre les autres
en aller de même en années précédentes! virus du même type, qui dure et protège
France métropolitaine”, Olivier Moncorgé y voit l’année suivante”, précise le virologue. Or,
postule Olivier Mon- notamment “l’effet inédit lorsque la grippe recommencera à circuler
corgé, virologue spécia- des mesures barrières normalement –quand la pandémie de Covid
liste de la grippe à adoptées contre le s’atténuera et que les mesures seront peu à
l’Institut de recherche en SARS-CoV-2, qui frei- peu abandonnées–, les personnes non
infectiologie de Montpel- nent également la propa- immunisées contre la dernière grippe seront
lier. La baisse pourrait gation des autres virus plus nombreuses; le taux d’infection risque
SHUTTERSTOCK

être écrasante: selon respiratoires, comme alors d’exploser et d’engendrer un pic épi-
une étude américaine celui de la grippe”. démique saturant le système médical.

116 I S I DÉCEMBRE I 2020

 EN CHIFFRES
La grippe peut-elle
aggraver le Covid-19?
x 2,6
Les signes cliniques d’une co-infection par Entre janvier et octobre
les deux virus ne semblent pas significative- 2020, le Covid-19 aurait
ment pires que ceux d’une infection par le tué 2,6 fois plus de per-
Covid-19 seul, concluait une étude maltaise sonnes que la grippe
en septembre. Mais cela ne vaut que pour pendant l’hiver 2017-
les souches actuelles des deux virus, et on 2018 (33 885 décès
n’est pas à l’abri de mutations… Cela dit, contre 13 000).
“les co-infections sont rares: en France, à ce
jour, il y a eu moins d’une dizaine de cas, ce
qui représente une partie infime des infec-
tions totales par le Covid”, rassure Bruno
Lina, virologue au Centre international de 4 689 lits
recherches en infectiologie, à Lyon. Et pour Grippe
cause: “Une fois le système immunitaire sti-
mulé par un premier virus, il est très efficace
pour empêcher l’infection simultanée par un
autre virus; c’est ce que l’on appelle l’interfé-
rence virale.” En cas d’infections succes-
sives par la grippe puis le Covid, par contre,
7027
Covid-19
lits
une étude menée par Bruno Lina et ses col-
lègues et non encore publiée, fondée sur Lors de la saison grippale
une modélisation, suggère que le risque de de 2017-2018, 4 689 per-
développer une forme grave de Covid aug- sonnes ont été admises
menterait significativement. À confirmer… en réanimation à cause
de la grippe, en France,
contre 7 027 au pic de
l’épidémie de Covid-19
du 8 avril 2020.
Le vaccin antigrippal protège-t-il
contre le Covid-19 ?
En théorie, le vaccin saturation du système de façon non spéci-
contre la grippe n’im- médical”, explique Élise fique. Le risque de dé-
munise de façon sûre Launay, pédiatre infec- cès par Covid serait
que contre les virus ci-
blés. “Si les autorités de
tiologue au CHU de
Nantes. Cependant,
ainsi diminué de 17 %
grâce au vaccin anti-
47 %
santé appellent les per- plusieurs spécialistes grippal, selon une étude
sonnes fragiles (seniors, sont d’accord : le vaccin suisso-brésilienne
femmes enceintes, per- antigrippe pourrait in- portant sur 92 664 cas
sonnes à l’immunité di- duire une immunité indi- de Covid, qui reste à Seules 47 % des per-
minuée…) à se faire recte contre le Covid, publier. Bruno Lina in- sonnes à risque de com-
vacciner massivement, en boostant notam- siste : “Le vaccin anti- plications de la grippe
c’est surtout pour les ment l’immunité “innée”, grippal doit rester ré- se sont fait vacciner en
protéger contre les la partie du système im- servé aux personnes 2018-2019, d’après
formes graves de munitaire qui s’oppose fragiles”, car la rupture Santé publique France.
grippe et prévenir une à tous les pathogènes de stock guette. Ce taux était de 51 %
chez les 65 ans et plus.

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I S V I 117
 bon à savoir En pratique
Un coup de fil vaut mieux
que cent messages
Avec les mesures de dis-
tanciation physique, main-
tenir les liens sociaux est
plus que jamais indispen-
sable pour ne pas sombrer
dans l’isolement et la soli-
tude, facteurs de dépres-
sion. Pour cela, une foule
d’options sont aujourd’hui
à notre disposition: mails,
textos, réseaux sociaux,
appels en visio ont ainsi
explosé durant le confine-
ment. Or, le choix du canal
de communication n’a rien
d’anodin. Alors que nous
aurions tendance à privilé-
gier les messages écrits
instantanés en ayant le
sentiment d’être plus
connectés les uns aux
autres, une équipe améri-
caine de recherche en psy-
chologie vient de démon-
trer qu’un simple coup de
fil permet en fait d’établir
un contact plus fort. Et
contrairement à ce que l’on
peut penser, ce n’est pas
plus chronophage.
Mieux saisir pensées
et émotions
Pour leur étude, les psy-
chologues ont d’abord de-
mandé à 200 personnes
de renouer avec un vieil
ami: un groupe devait le
faire par mail, l’autre par té-
SHUTTERSTOCK - GETTY IMAGES
léphone. S’ils avaient eu le
choix, 67% auraient privilé-
gié la voie écrite, craignant
que l’appel ne les mette
mal à l’aise. “On appréhen­
de parfois la réaction de la
118 I S I décembre I 2020
personne au bout du fil, on
craint de commettre des
maladresses, de ne pas sa­
voir quoi dire… Mais au fi­
nal, même s’ils redoutaient
de se parler, les partici­
pants ont ressenti une plus
grande proximité par télé­
phone que par mail. Ils se
sont rendu compte que la
situation n’était pas gênan­
te”, assure Amit Kumar,
de l’université du Texas,
co-auteur de l’étude.
De même, lors d’une
autre expérience, 302 in-
connus devaient faire
connaissance en se posant
des questions personnelles
par tchat, vidéo ou audio
seulement. Là encore, les
volontaires se sont sentis
plus connectés en parlant
qu’en pianotant. Plus que
de voir son interlocuteur en
vidéo, c’est surtout le fait
d’entendre sa voix qui ren-
forcerait ce sentiment de
proximité. “Cela permet de
discerner les signaux para­
linguistiques comme les
pauses et les intonations,
qui traduisent toute la pen­
sée et les émotions de la
personne au moment où
elle parle”, explique Amit
Kumar. Ainsi, même un
message vocal serait préfé-
rable à un SMS, selon le
chercheur. Une bonne al-
ternative pour les grands
timides ou les plus pressés,
qui redoutent les appels
interminables! Lise Gougis
“J. Exp. Psychol. Gen.”, sept. 2020
On dort mieux sous
une couette lourde
Plutôt que des somnifères, une
étude suédoise propose aux
insomniaques de dormir sous
une couverture lestée. Pen-
dant 4 semaines, 120 per-
sonnes se sont couchées sous
une couette pesant 8 ou 6 kg,
ou une couverture classique
de 1,5 kg. Résultat : le premier
groupe avait 26 fois plus de
chances de voir la gravité de
son insomnie réduite au moins
de moitié par rapport au grou-
pe contrôle, et était 20 fois plus
susceptible d’en guérir totale-
ment. Avec également des
effets positifs sur l’anxiété ou la
dépression. La pression exer-
cée pourrait en effet avoir un
rôle relaxant sur les muscles et
les articulations. “J. Clin. Sleep
Med.”, sept. 2020
Au troisième âge,
danser aide à
prévenir les chutes
Danser aide à garder bon pied ! Selon
une analyse de 29 essais cliniques ras-
semblant 4 000 participantes de plus
de 65 ans, le risque de chute diminue
de plus d’un tiers avec la pratique
d’une danse ou du tai-chi, par rapport
à une activité douce ou à la sédentari-
té. Équilibre, mobilité, force des jambes
s’améliorent, et plus encore à partir de
3 séances par semaine. “JAMA Netw.
Open”, sept. 2020
Perdre son animal laisse des séquelles chez les petits
Selon une étude américaine portant sur 6 260 enfants, perdre son animal de
compagnie au plus jeune âge peut être traumatisant. Les troubles comporte-
mentaux, émotionnels ou relationnels peuvent durer jusqu’à 3 ans après le
décès. À ne pas sous-estimer. “Eur. Child Adolesc. Psychiatry”, sept. 2020

Mieux vaut arrêter de fumer

dès qu’on veut un enfant
Alors que 30 % des Françaises fument avant la
grossesse, une étude portant sur 568 femmes
montre que le placenta du fœtus conserverait la
mémoire de l’exposition prégrossesse. Si chez
celles qui fument jusqu’à l’accouchement, 178 ré-
gions de l’ADN placentaire sont altérées, 26 de
ces régions le sont aussi chez les femmes ayant
fumé durant les trois mois avant d’être enceintes
et qui ont arrêté ensuite. Selon les auteurs, ces
modifications épigénétiques pourraient affecter
le déroulement de la grossesse et expliquer en
partie les effets néfastes du tabac sur la santé
du bébé. D’où l’importance d’arrêter sans attendre
de tomber enceinte. “BMC Med.”, oct. 2020

D É C E M B R E I 2 0 2 0 I S V I 119
 bon à savoir En pratique

Les sèche-linge déversent

aussi des microplastiques
dans l’environnement
35 à 77 mg de fibres synthétiques
par cycle de séchage : c’est ce que
deux scientifiques américaines ont
récolté après avoir passé des plaids
en polyester neufs dans plusieurs
sèche-linge. Une raison de plus pour
espacer les lavages, et revenir, quand
on peut, à l’étendoir ou au fil à linge.
“Plos One”, oct. 2020

Les baskets de course

Le miel est bien le meilleur affaiblissent le pied
remède contre la toux Les baskets à la pointe incurvée sont
certes confortables mais, à la longue,
La synthèse de 14 études impliquant 1761 participants, effectuée
elles affaiblissent certains muscles qui
par l’université d’Oxford, montre que le miel est plus efficace que
travaillent moins, ont constaté des
les traitements (médicaments en vente libre ou antibiotiques) pour
spécialistes de biologie humaine évolu-
améliorer les symptômes des infections des voies respiratoires
tive. Ce qui peut favoriser l’apparition
supérieures. Il écourte leur durée d’un à deux jours, diminue la fré-
de blessures comme la fasciite plan-
quence des quintes de toux avec 36% d’efficacité, et atténue leur
taire, une inflammation de la plante du
gravité jusqu’à 44%. En cause: ses propriétés antibactériennes,
pied. “Sci. Rep.”, sept. 2020
antiseptiques, cicatrisantes et anti-inflammatoires. Une bonne al-
ternative pour les enfants, selon l’étude. “BMJ”, août 2020

On peut sourire à son

chat avec les yeux
Une équipe de psychologues britanniques
a révélé qu’il suffit de plisser les yeux et de
les cligner lentement pour sourire comme
un chat. Une expérience menée auprès
de 21 félins a montré qu’ils étaient plus
susceptibles de “répondre” par cette mi-
mique si leur propriétaire l’avait exécutée
au préalable. Le test, reproduit avec
24 autres chats, et cette fois des incon-
nus, les chercheurs eux-mêmes, a montré
qu’ils devenaient alors plus sociables. Les
SHUTTERSTOCK - GETTY IMAGES

félins ont pu développer cette expression

pour interrompre un regard fixe qui, lui,
peut en revanche être considéré comme
menaçant. “Sci. Rep.”, oct. 2020

120 I S I décembre I 2020

 On peut toujours compter
sur la nature

OU sur L52, un médicament homéopathique

aux 10 substances actives utilisé pour lutter
contre les symptômes de l’état grippal.
Fièvre, frissons, courbatures, maux de tête.
L52 de Lehning est un médicament NOUVEAU
homéopathique traditionnellement À partir de 2 ans À partir de 30 mois
utilisé dans le traitement
des états grippaux.

Sans somnolence.
Disponible sans ordonnance
en pharmacie.
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Contient du

Lire attentivement la notice. Si les symptômes persistent,

consultez votre médecin. Demandez conseil à votre pharmacien.
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5 nouveaux robots
Lego à programmer
Prix : env. 360 €
Rens. : www.lego.com/fr

C’est la nouveauté très attendue des fans de construc-

tion et de robotique : le kit Lego Mindstorms Robot Inven-
tor, qui succède au Mindstorms EV3 lancé en 2013. Bien
sûr, le principe reste le même : permettre aux jeunes (à
partir de 10 ans) et aux moins jeunes de monter et de
programmer des robots. Mais cette fois, le fabricant
danois a fait les choses en grand. Composé de Haut de 36 cm, le
robot Blast peut
949 pièces (contre 600 auparavant), ce kit est doté de être programmé
nouveaux éléments : un hub connecté en Bluetooth avec pour scanner son
6 ports, une matrice LED 5 x 5, un gyroscope/accéléro- environnement et
tirer des fléchettes
mètre 6 axes, un capteur de couleurs, un capteur de dis- en cas de danger.
tance, une batterie rechargeable et 4 moteurs. Une fois
l’un des 5 modèles construit, l’utilisateur le programme
pour marcher, danser, tirer des fléchettes… Pour cela,
l’application associée, disponible sur ordinateur (Win-
dows, Mac OS), smartphone ou tablette (iOS ou Android),
utilise le langage Scratch pour les débutants ou Python
pour les plus aguerris. Le robot peut même être piloté en
Bluetooth avec une manette PS4 ou Xbox One ! L.B.

Le casque qui donne vraiment

accès à la réalité virtuelle
Prix : env. 350 €. Rens. : www.oculus.com

Outre l’expérience immersive totale – 6° de liberté

et détection des déplacements dans un espace de
5x5 m–, cette version Quest 2 conçue par Oculus
et Facebook offre un casque à la définition accrue
– 1832 x 1920 pixels par œil –et au processeur
optimisé pour la réalité virtuelle– le Snapdragon
XR2 de Qualcomm. Résultat, une finesse d’affi-
chage et une qualité du suivi de mouvement, des
manettes et même des mains nues. Les manettes
gagnent aussi en autonomie avec 30 heures
contre 10 précédemment. Léger (503 g) et confor-
table, l’Oculus Quest 2 affiche un prix raisonnable
par rapport au niveau de technologie embarquée.
Seule ombre au tableau, il requiert absolument
l’utilisation d’un compte Facebook. A.P.
DR

122 I S I DÉCEMBRE I 2020


Charlie peut Le miroir qui
danser et
sourire… éclaire et diffuse
de la musique
Prix : env. 150 €
Rens. : https://silkn.fr/
music-mirror
Posé dans la chambre o
la salle de bains, le Music
Mirror de la marque néer-
landaise Silk’n fait à la fois
office de petit miroir
… tandis que le (23,1 x 10,5 x 34 cm), d’en-
buggy MVP peut ceinte audio et de lampe.
rouler ou se Mais pas n’importe quel
transformer en
un autre véhi- miroir : son contour pos-
cule : grue, sède un éclairage LED
camion… réglable, et son haut-
parleur 6 W intégré permet
de diffuser la musique de
son smartphone, connecté
en Bluetooth. Pour le
transformer en lampe de
table, il suffit de le faire
pivoter à l’horizontale car
la lumière est diffusée par
en dessous. Il est aussi
doté d’une batterie, donc
portable, avec une auto-
Le smartphone qui se plie en deux nomie de 120 h. Petit plus :
il est livré avec un miroir
Prix : env. 1 600 €. Rens. : www.motorola.fr/smartphones-razr-5g de poche grossissant qui
s’aimante directement
Nostalgique de votre vieux portable à clapet ? En voici en son centre. L.B.
une version ultra-modernisée : le Motorola Razr 5G. Celui-
ci renferme en effet un écran OLED de 6,2 pouces qui,
grâce à son matériau plastique flexible, se plie en deux !
Autre atout : il dispose d’un petit écran tactile externe
(2,7 pouces) pour consulter ses messages et notifications
d’un coup d’œil. Compatible, comme son nom l’indique,
avec la 5G, ce smartphone Android se distingue aussi
par son appareil photo de 48 mégapixels avec stabilisa-
teur optique et technologie Quad Pixel. Côté mémoire, sa
RAM est de 8 Go et sa capacité de
stockage de
256 Go. Le tout
dans un gabarit
plutôt fin (16 mm
replié) et léger
(192 g). L.B.
D É C E M B R E I 2 0 2 0 I S V I 123
PROTOTYPE
Un vélo
électrique sans
moyeux ni rayons
Rens. : https://reevobikes.com
On le croirait tout droit
sorti d’un film de science-
fiction. Ce concept élec-
trique, imaginé par la
société américaine Beno
Technologies, se démar-
que par l’absence d’élé-
ments jusqu’ici indissocia-
bles des vélos (moyeux,
rayons…). Baptisé Reevo,
il embarque un éclairage
LED de 800 lumens qui se
déclenche automatique-
ment en cas de luminosité
réduite. Un système antivol
à trois barrières comporte
un lecteur d’empreintes
digitales intégré au guidon,
un cadenas électrique dis-
simulé dans le cadre, et
une puce GPS complétée
d’un capteur de mouve-
ment. Cette dernière per-
met au propriétaire de
suivre sur une application
mobile tout déplacement
au-delà d’un périmètre
prédéfini. Le Reevo pos-
sède un moteur de 250 W
et une batterie amovible
de 48 V, rechargeable en
3 heures. Pour l’instant,
aucune commercialisation
n’est annoncée. A.L.D.
Bon à savoir Technofolies SPÉCIAL NOËL
Des patins à
neige à fixer sur
les chaussures
Prix: à partir de 135 €. Rens.:
www.snowfeetstore.com/fr/
Les amoureux de glisse
vont pouvoir dévaler les
pentes enneigées en
chaussant ces patins qui
s’attachent à n’importe
quelles chaussures d’hiver
(pointures 38 à 47). En fibre
de verre, ils sont dotés de
carrés de métal pour s’ar-
rêter, comme les skis, et
d’un frein au talon, façon
rollers. De nouvelles sensa-
tions à apprivoiser, selon
les concepteurs! L
L.G.
G phones, deux à l’extérieur et un à l’intérieur. Comme
Les courses Mario Kart en vrai de vrai
Prix : env. 100 €. Rens. : www.velanstudios.com
Fruits d’un partenariat
entre Nintendo et Velan
Studios, les courses Mario
Kart prennent vie dans le
monde physique. À l’aide
d’une caméra surmontant
un vrai mini-kart, le jeu
“Mario Kart Live: Home
Circuit”
superpose
les décors
124 I S I DÉCEMBRE I 2020
Le casque qui ajuste le niveau
de bruit pour chaque oreille
Prix : env. 250 €
Rens. : www.jabra.fr
Le spécialiste danois des solutions audio Jabra lance
son premier casque 100 % sans fil (Bluetooth 5.0) à
réduction de bruit active, Elite 85t. Cette paire d’oreil-
lettes intra-auriculaires promet, selon son fabricant,
“une qualité sonore parfaite”, rendue possible grâce à
sa technologie maison, qui ajuste précisément et indé-
pendamment le niveau de réduction de bruit active
Deux appareils en
comme le niveau d’écoute des bruits environnants simultané, un
pour chaque oreille. Pour rappel, le principe de base smartphone et un
ordinateur, peuvent
de la réduction de bruit active ou active noise control être connectés.
(ANC) consiste à détecter et analyser le son entrant et
à générer un signal miroir “antibruit” pour l’annuler.
Chaque écouteur dispose pour cela de trois micro-
p
a
avec les modèles précédents, une application mobile
p
permet de régler finement le niveau d’ANC, pour l’atté-
Les oreillettes se
n
nuer lorsqu’on veut entendre un minimum ce qui passe rechargent dans leur
autour de soi, et interagir. L’autonomie, quant à elle, se
a boîtier pour une auto-
situerait aux alentours de 5 h 30 en mode réduction de nomie de 5 h 30 en
mode réduction de
b
bruit active. E.T.-A.  bruit active.
classiques des courses à
l’environnement réel. Pour
jouer, il suffit de le télé-
charger sur une console e
Nintendo Switch ou Swittch
Lite puis de synchroniser
le kart téléguidable (wi-fi).
Et c’est parti pour un des
24 “Grands Prix”, avec le es
commandes habituelles.
À l’écran, vous retrouvezz
l’univers du jeu mêlé au
décor de votre maison.
Quant aux effets,
le mini-kart en fera
les frais à l’écran et……
en réel ! A
A.P.

Le dispositif de réduction de bruit
active est composé, pour chaque
écouteur, de trois microphones,
deux à l’extérieur et un à l’intérieur.
Un potager d’intérieur modulable
et peu chronophage
Prix : env. 150 €
Rens. : https://pretapousser.fr/
Ce potager Modulo, de la jeune pousse fran-
çaise Prêt-à-pousser, fonctionne avec des cap-
sules à insérer dans des bacs. Il en existe
37 types, contenant les graines d’autant d’es-
pèces végétales différentes. Un système hydro-
ponique permet à la plante de flotter, pour que
ses racines soient naturellement oxygénées. La
terre et autres nutriments sont préalablement
incorporés dans les pots, de manière à limiter le
nombre d’actions à réaliser. Le potager
embarque des spots à LED paramétrables selon
la quantité de lumière que requiert chaque
variété. Les bacs peuvent être assemblés de
diverses manières, afin de restreindre la place
occupée par l’installation. A.L.D.
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Jeu organisé par Rewolrd Media RCS n°793 167 974. Règlement disponible sur
www.science-et-vie.com ou à l’adresse du jeu. Remboursement SMS ou appel (une seule
participation par jeu / personne) conformément au règlement et sur demande par e-mail
à : rembreworld@sedeco.intnet.mu ou à l’adresse du jeu impérativement sur papier A4.
Loi du 06/01/78, modifiée par la loi du 06/08/04 : vous disposez d’un droit d’accès, de
rectification et de suppression des données vous concernant. Ce droit peut être exercé
en écrivant à RMF - Concours Lecteurs - 8, rue Danjou - 92100 Boulogne-Billancourt.
*Ce jeu est disponible sur les consoles PS4, Xbox One et Nintendo Switch.
 Bon à savoir À voir, à lire, à faire

LIVRE

Les
mathématiques,
un sport d’équipe
Finance, énergie, aérospatiale, télécoms…
Dans un récit autobiographique, Pierre-
Louis Lions, professeur au Collège de
France et médaillé Fields, nous confronte
aux mathématiques de haut niveau
et à leurs différents domaines d’application.
Il dévoile ainsi les multiples facettes
de cette science pas comme les autres,
qui navigue entre abstraction et réalité.

PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS CAVAILLÉ-FOL

Science & Vie : Vous
avez utilisé les mathé-
matiques dans de nom-
breux domaines très
concrets. Pourquoi sont-
elles encore perçues
par le grand public
comme profondément
abstraites?
Pierre-Louis Lions : Parce
qu’on n’y pense pas ! Qui,
en branchant une prise,
voit les électrons voyager
tel que prévu par les équa-
tions de Maxwell ? Dès
que l’on veut décrire le
monde de manière quanti-
tative, on fait des mathé-
matiques. Celles-ci sont
provoquées par le réel,
comme le révèle leur éty-
SERGE PICARD
LIVRE
◗ Dans la tête d’un mathématicien
◗ De Pierre-Louis Lions
◗ Éd. HumenSciences
◗ 252 pp., 22 €
signifie “caillou”, utilisé
jadis pour compter, et
“aléatoire”, d’alea, le dé.
Les mathématiques sont
partout, et nombre de pro-
fessions en font à leur
manière, physiciens, éco-
nomistes ou ingénieurs.
Dans notre monde numé-
rique, rempli d’algo-
rithmes, de traitement de
données et de réseaux
d’objets connectés, leur
présence se fait de plus
en plus sentir.
S&V : Comment s’opère
cette fusion entre no-
tions abstraites et appli-
cations concrètes ?
P.-L.L. : Pour moi, c’est
de recul nécessaire pour
la théorie, et le retour aux
applications. Ce travail
peut être réalisé par la
même personne, mais il
est souvent le fait de per-
sonnes différentes, et par-
fois même issues
d’époques différentes, via
la transmission de leur
œuvre. Les maths sont un
sport d’équipe.
S&V : Existe-t-il des
théories fondamentales
qui n’ont absolument
aucune application ?
P.-L.L. : Si c’est le cas
pour certaines aujourd’hui,
qui sait si elles n’en auront
pas un jour ? L’histoire est

mologie : le mot calcul justement le va-et-vient truffée d’exemples : des

vient du latin calculus, qui qui est important : la prise questions très pointues

126 I S V I D É C E M B R E I 2 0 2 0

Notre histoire
se dirige vers
toujours plus
d’abstraction
PIERRE-LOUIS LIONS
Professeur de
mathématiques au
Collège de France
de la théorie des nom-
bres se sont révélées
importantes pour la
cryptographie deux ou
trois décennies plus tard.
Et si on m’avait dit, il y a
vingt ans, que les “topos”
d’Alexandre Grothendieck,
des objets mathématiques
extrêmement abstraits,
intéresseraient les télé-
coms, j’aurais éclaté
de rire. C’est pourtant
ce que m’ont révélé des
ingénieurs récemment.
S&V : Les mathéma-
tiques ont-elles toujours
été là, ou ont-elles été
construites au fur et à
mesure ?
P.-L.L. : Vous mettez le
doigt sur un grand débat !
Les mathématiques
existent-elles par essence
(et nous ne faisons alors
que les découvrir), ou
sont-elles une construc-
tion de notre cerveau ?
Je penche pour la dernière
option, à savoir qu’il se
servirait des maths pour
appréhender la réalité
telle qu’elle est perçue
par nos sens.
S&V : C’est donc avant
tout le cerveau, et non
le monde, qui serait
mathématique ?
P.-L.L. : Je ne suis pas
neuroscientifique, mais il
est certain que le cerveau
est une formidable
machine à fabriquer des
concepts. Regardez l’ap-
prentissage des enfants,
du mot “lampe” par
exemple. Quelle difficulté
apparente ! Il n’y a pas
deux lampes identiques,
elles peuvent être éteintes
ou allumées, basiques
ou tarabiscotées. Très
rapidement, pourtant, le
concept “lampe” est par-
faitement intégré. Et cette
façon de raisonner ne
concerne pas que les
humains : comment les
chiens reconnaissent-ils
un autre chien ? J’ai l’im-
pression que notre histoire
se dirige vers davantage
d’abstraction : on le voit
par exemple avec l’argent,
devenu de plus en plus
abstrait. Cette prise de
recul favorisée par l’abs-
traction semble présenter
une efficacité, et c’est pré-
cisément ce qui caracté-
rise les mathématiques.
EXPOSITION
◗ Araignées
◗ Muséum
de Tours
◗ Jusqu’au
30 janvier 2022
(sur réservation)
◗ Entrée : 4,20 €
Huit pattes et des cauche-
mars… Les araignées sont
de grandes méconnues.
Avec une vingtaine de ter-
rariums –l’un si immense
qu’il permet l’immersion–,
le Muséum en met une
cinquantaine à l’honneur,
et s’emploie à redéfinir leur
rôle majeur dans les éco-
systèmes, ainsi que leur
apport dans notre ingénie-
rie. En deux ans d’expo,
le public aura l’occasion
de voir les araignées gran-
dir, muer… et, pourquoi
pas, de s’y attacher. T.C.-F.
LIVRE
◗ Et l’évolu-
tion créa
la femme
◗ De Pascal
Picq
◗ Éd. Odile
Jacob
◗ 464 pp.,
22,90 €
“L’Homme avec un
grand H”. L’expression dit
tout : l’humain est avant
tout un mâle. Fort de ce
constat, le paléoanthro-
pologue Pascal Picq
s’attache à réintégrer la
femme dans notre histoire
évolutive, et retrace la
genèse de la domination
masculine. Héritage biolo-
gique ou création cultu-
relle ? L’analyse de nos
modèles sociaux, de
Lucy à l’affaire Weinstein,
et la comparaison de
nos sociétés à celles des
grands singes, aident
l’auteur à trancher. K.T
D É C E M B R E I 2 0 2 0 I S V I 127
À VOUS
DE JOUER
PRÊT À
ACCOMPLIR
LA MISSION
HÉRISSON?
Avec la LPO (Ligue de protection
des oiseaux) et le Muséum
national d’histoire naturelle
https://missionherisson.org/
Ils peuplent nos parcs et
jardins, mais il est rare
d’apercevoir leur toison
piquante. La Mission
hérisson vous propose
de partir sur leurs traces,
sans sortir de chez vous.
Achetez ou fabriquez un
petit tunnel dans lequel
vous glissez deux feuilles
enduites d’encre végétale.
Ajoutez à l’intérieur
quelques croquettes pour
chat et déposez le “piège”
toute une nuit dans votre
jardin. Vous aurez peut-
être la chance d’y décou-
vrir, le lendemain, les
empreintes d’un animal.
Hérisson ? Fouine ? Chat ?
À l’aide d’un guide de
reconnaissance, décou-
vrez l’identité des visi-
teurs. Vous aiderez ainsi
les scientifiques à mieux
connaître l’état de santé
de la population de
hérissons en France.
Hugo Struna, du Muséum
national d’histoire naturelle
 bon à savoir Questions Réponses

Peut-on fabriquer une

bombe à antimatière ?
Question de Jean-François Fournier, Saint-Maurice-l’Exil (38)

“Je ne le recommande magasin ; et avec 10 g, on des accélérateurs de par-

pas”, s’amuse Roland
Lehoucq, astrophysicien
au CEA. Quand une parti-
cule de matière rencontre
son antiparticule, les deux
s’annihilent dans un
intense flash d’énergie. La
création d’une bombe à
base d’antimatière est
donc théoriquement pos-
sible, et sa puissance
serait même sans com-
mune mesure : à masse
de combustible égale,
l’énergie libérée par cette
réaction est plus de cent
fois supérieure à celle
libérée par la fusion ato-
mique, qui est elle-même
mille fois supérieure à la
fission exploitée par les
centrales et bombes
nucléaires. “Avec 1 ng de
bombe, on soufflerait un
raserait Paris”, détaille
Gabriel Chardin, du labo-
ratoire Astroparticule et
Cosmologie. Mais en pra-
tique, la fabrication d’une
telle bombe se heurte à
deux problèmes de taille :
trouver le combustible et
le stocker.
Énigme de la physique
Aujourd’hui, l’antimatière
n’est présente qu’à l’état
de traces infimes dans
notre monde. C’est d’ail-
leurs une des grandes
énigmes de la physique :
on ne sait pas où elle est
passée, alors que selon le
modèle standard, le big
bang aurait engendré
autant de matière que
d’antimatière. Il reste pos-
sible d’en fabriquer dans
ticules, “mais le rende­
ment est lamentable,
prévient Gabriel Chardin.
En une cinquantaine d’an­
nées d’existence, le Cern
n’a en définitive réussi à
produire que moins de
1 µg d’antimatière”.
Et même si l’on consa-
crait une usine à la fabri-
cation d’antimatière,
encore faudrait-il arriver
à la stocker… Roland
Lehoucq imagine une
bouteille dans laquelle un
champ magnétique empê-
cherait les antiparticules
de toucher les parois, iné-
vitablement faites de parti-
cules, à la manière des
pièges à antimatière du Le Cern produit
Cern. Mais le moindre de l’antimatière,
mouvement inapproprié mais en quantité infime :
moins de 1 µg.
serait explosif. A.D.

Pour quelle raison les rêves

CERN - TAMILY WEISSMAN/HARVARD UNIVERSITY - B.BOURGEOIS

Question de Valéry Pasanau, Paris (75018)

C’est encore un mystère, rosciences à l’université

mais plusieurs pistes sont
avancées. Déjà, le cer-
veau ne peut pas se sou-
venir de tout. Or “la plu­
part des rêves sont relati­
 L’hippocampe, vement banals, décousus
siège de la mémoire, et donc facilement ou­
est “déconnecté” bliés”, lance Thomas An-
quand on dort. drillon, chercheur en neu-
Monash (Australie). De
plus, pendant le sommeil,
la mémoire semble inca-
pable de fonctionner :
“Une chute de la concen­
tration de norépinéphrine,
un neuromédiateur, pour­
rait engendrer un état tran­
sitoire d’amnésie quand

128 I S I Décembre I 2020


ne s’ancrent-ils pas dans la mémoire ?
on dort, explique le neu­
roscientifique. Une décon-
nexion entre le cortex pré-
frontal et le circuit lim-
bique, qui comprend
l’hippocampe, siège de la
mémoire, pourrait aussi
expliquer l’absence de
souvenirs oniriques.” C’est
d’ailleurs lorsque le som­
meil est léger que la mé­
moire des rêves est la plus
saillante : “Les sujets qui
se rappellent souvent les
rêves présentent des pé-
riodes d’éveil au cours de
la nuit plus longues que
les autres. Ces périodes
d’éveil pourraient faciliter
l’encodage de ces infor-
mations nouvelles, le
contenu du rêve, car le
cerveau endormi n’en est
pas capable”, décrit Jean­
Baptiste Eichenlaub, du
laboratoire de Psychologie
Les femmes
sont-elles plus
empathiques que
les hommes ?
Question de Carmen
Boucher, Montréal (Canada)
Oui, plusieurs études l’ont
démontré. En 2018, par
exemple, 47 000 volon­
taires ont fourni un échan­
tillon d’ADN et effectué un
test d’empathie, mesurant
la capacité à identifier les
pensées et émotions
d’autrui, et la faculté d’y
répondre par une émotion
appropriée. Résultat: le
score moyen des femmes
était de 50,4 sur 80, contre
41,9 pour les hommes.
Difficile de savoir d’où pro­
vient cet écart. La part
génétique a été estimée à
10% minimum, “mais elle
ne semblait pas en cause
dans la différence de
résultats entre les deux
sexes”, pointe Thomas
Bourgeron, généticien à
l’Institut Pasteur et coau­
teur de l’étude. Autres
pistes: les imprégnations
hormonales durant la vie
intra­utérine et des fac­
teurs socioculturels. N.P.
et NeuroCognition (univer­
sité Savoie Mont Blanc).
Les rêves du petit matin,
juste avant de se réveiller,
ont donc plus de chance
d’être transformés en sou­
venirs. Mais face à la
quantité d’informations
plus sensées et importan­
tes vécues dans la journée
qui suit, ils sont vite ba­
layés par la mémoire,
à moins de les noter. L.G.
D é c e m b r e I 2 0 2 0 I S V I 129
 bon à savoir Questions Réponses

La Terre Un oisillon adopté par

s’allège de
50 000 t/an. une autre espèce a-t-il
un chant différent ?
Question de Jean-François Rosier, Lescar (64)

Tout à fait! Des scienti- sont capables que durant

fiques de l’université leur jeunesse. “Tous les
Columbia, aux États-Unis, oiseaux chanteurs, comme
ont mené l’expérience avec le merle, la mésange ou le
trois espèces de passe- rouge-gorge, partagent un
reaux aux chants très diffé- même réseau cérébral res-
rents. Avant leur 10e jour, ponsable de l’apprentis-
des diamants à longue sage et de la production
queue et des diamants du chant”, poursuit le
mandarins ont été transfé- scientifique. Une version
rés auprès d’adultes, soit analogue de cette zone
de leur propre espèce, soit appelée “système du
auprès de moineaux du chant” est aussi présente
Japon. Résultat: tous les chez les espèces capables
oisillons ont appris à chan- d’imitation vocale (perro-
ter à la manière de leurs quets…), mais absente
parents d’adoption. “Un chez les non-chanteurs
L’énergie solaire augmente-t-elle oiseau doit vivre avec ses
congénères pour produire
(mouette, canard…). La
production du chant des
la masse de la Terre ? le chant typique de son oiseaux dépend donc de
espèce”, confirme Nicolas leur système nerveux, mais
Question de Baruh Mori, Istanbul (Turquie) Giret, de l’Institut des neu- les chants eux-mêmes
rosciences Paris-Saclay. sont soumis à l’influence
C’est ce que suggère la fameuse équation E = mc2. Un oisillon isolé développe culturelle, comme les lan-
Si de l’énergie peut se transformer en masse, et vice- d’ailleurs un chant différent, gages humains. N.P.
versa, alors l’énergie solaire reçue par la Terre sous dit “aberrant”. Certains
forme de lumière, qui est de 1,74.1017 joules/seconde oiseaux, comme les étour-
en moyenne, devrait l’alourdir de 1,94 kg/s, soit neaux, peuvent modifier
61 000 tonnes/an. Sauf qu’en réalité, “notre planète réé- leur chant toute leur vie,
met autant d’énergie par radiation qu’elle en reçoit, alors que d’autres, tels les
explique Pierre North, astrophysicien à l’École polytech- diamants mandarins, n’en
nique fédérale de Lausanne. C’est ce qu’on appelle un
“bilan radiatif nul” : la Terre reçoit essentiellement de la
lumière visible et réémet des infrarouges. Sa masse
serait donc immuable ? C’est sans compter les pous-
sières et micrométéorites : 40 000 t/an en moyenne,
selon Dave Ansell, physicien à l’université de Cambridge.
Et elle perd aussi des gaz légers, qui s’échappent de
son atmosphère, essentiellement de l’hydrogène
NASA - SHUTTERSTOCK

(95 000 t/an) et de l’hélium (1 600 t/an). Au final, notre Tant qu’ils sont
planète s’allège donc d’environ 50 000 t/an, soit à peine jeunes, les oiseaux
0,000000000000001% de sa masse – une poussière. A.D peuvent adapter
leur chant.

130 I S I Décembre I 2020

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 Bon à savoir Questions Réponses
 Un lymphocyte serait
constitué d’environ
4 000 milliards d’atomes.
Pourquoi le pain se conserve-t-il
mieux dans un chiffon ?
Question de Guy Martin, Paris (75015)
“C’est tout simple !”
répond Camille Michon,
professeure au laboratoire
SayFood de l’Inrae-Agro-
ParisTech. Lorsque le pain
sort du four, la mie
contient beaucoup plus
d’eau que la croûte assé-
chée par l’air chaud, envi-
ron 45 % contre 10 %.
Avec le temps, l’eau va
migrer de la mie vers la
D.KUNKEL/SPL
croûte, puis s’évaporer
dans l’atmosphère. C’est
132 I S I DÉCEMBRE I 2020
ainsi que le pain durcit.
“Lorsqu’on laisse le pain
sur la table au contact
d’un air sec, l’eau s’éva-
pore et le pain s’assèche
rapidement. Dans un sac
plastique, en revanche,
l’eau migre jusqu’à la
croûte mais ne peut pas
s’en échapper : le pain
devient tout mou. Le tor-
chon, lui, est un bon inter-
médiaire entre les deux :
il protège le pain de l’air
Combien y a-t-il d’atomes
dans une cellule ?
Question de Christian Lafite, Rouges (82)
Environ 4 000 milliards,
même si cette estimation
varie avec le type cellu-
laire. Prenons une cellule
commune, un lymphocyte
du système immunitaire.
Son volume est d’environ
10-13 litre. En considérant
que les cellules ont une
densité proche de celle
de l’eau, un lymphocyte a
donc une masse proche
de 10-10 g. Or, poursuit
Jean-Baptiste Charbon-
nier, chercheur à l’Institut
de biologie intégrative de
la cellule de l’université
Paris-Saclay, “une cellule
est constituée essentielle-
ment d’oxygène (65 %),
de carbone (16,5 %)
et d’hydrogène (9,5 %).
sec et conserve un peu
d’humidité, sans être trop
hermétique. L’évaporation
a bien lieu, mais elle est
ralentie”, détaille la scien-
tifique. Un sac en tissu,
en papier ou une boîte à
pain sont une alternative
équivalente. Et le réfrigé-
rateur ? “Ses basses tem-
pératures accélèrent le
rassissement : l’amidon
du pain se réorganise
après la cuisson et rigidi-
fie la mie.” À exclure,
donc, à moins de vouloir
faire du pain perdu. N.P.
La masse molaire de ces
trois éléments, qui fait le
lien entre la masse et la
quantité d’éléments de
matière, est respective-
ment de 16, 12 et 1 ; la
masse molaire moyenne
est donc de 15 g/mole.
En divisant la masse
de la cellule par 15, on
obtient le nombre moyen
de moles d’atomes :
0,07 x 10-10 mole. Un
chiffre qu’il faut multiplier
par 6.1023, le nombre
d’Avogadro, qui indique le
nombre d’entités élémen-
taires dans une mole de
matière. On obtient alors
un nombre d’atomes
dans la cellule d’environ
0,4 x 1013”. C.H.
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Bon à savoir Bulle de science
D’après une question de Marie-Noëlle Mahé, Saint-Joachim (44)
Si on voyageait à la En fait, dès qu’on a
vitesse de la lumière, une masse, impossible
on pourrait éviter d’aller si vite : l’énergie
les planètes et les nécessaire est de
astéroïdes ? l’ordre de l’infini !
Oui, sauf aux abords d’un
objet massif comme un
Donc on irait trou noir. Notre trajectoire
toujours tout pourrait se courber légère-
droit ? ment avec la gravitation.
Eh non ! En plus, toute la
Donc on ne lumière du cosmos se
regrouperait en un seul
le voit même
point en face de nous. Pas
pas arriver ?
facile d’y distinguer quoi
que ce soit.
134 I S V I D é c e m B r e I 2 0 2 0
Mmm… Même pro-
blème : tourner à cette
Non, mais imagine… vitesse demande aussi
une énergie infinie.
PAR GUILLAUME LANGIN - ILLUSTRATION ALBAN PÉRINET/DÉCAPAGE - MERCI À ALEXANDRE LE TIEC, ASTROPHYSICIEN À L’OBSERVATOIRE DE PARIS
Mais un obstacle sur Tourner devient pos-
la route, et c’est le sible. Sauf qu’à plus de
crash… Et si on va un 90 % de la vitesse de la
peu moins vite ? lumière, la lumière que
nous renvoie un obs-
tacle est décalée dans
l’ultraviolet…
Ça me paraît bien
dangereux de cher-
cher à atteindre Je ne te le fais pas
une telle vitesse. dire ! Déjà que là
on a du mal avec
les sapins…
 IDÉE DE CADEAU !

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