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2022, 11:01 La France condamnée pour atteinte à la liberté d’expression d’une militante Femen : un aboutissement pour les Femen, un …
Actualités Droits-Libertés
2022
Octobre
Résumés
Français English
La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France dans un arrêt du 13 octobre
2022 pour atteinte à la liberté d’expression d’une militante Femen. Sans remettre en cause la
qualification d’exhibition sexuelle s’agissant du comportement consistant à manifester seins nus,
elle estime que la condamnation en l’espèce n’était pas nécessaire dans une société démocratique
et retoque ainsi le contrôle de proportionnalité qu’avait effectué la Cour de cassation française.
The European Court of Human Rights condemned France in a decision of October 13, 2022 for
infringing the freedom of expression of a Femen activist. Without calling into question the
qualification of sexual exhibition with regard to the behavior consisting in demonstrating topless,
it considers that the condemnation in this case was not necessary in a democratic society and
thus retracted the control of proportionality which had carried out the French Court of Cassation.
Indexation
https://journals.openedition.org/revdh/15948 1/10
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Texte intégral
1 Les seins des femmes sont-ils sexuels ? Sans répondre à la question, la décision
Bouton contre France de la Cour européenne des droits de l’Homme en date du 13
octobre 2022 apporte de précieux éléments de réflexion sur l’état d’une question qui
anime régulièrement le débat public, qu’il s’agisse de l’exposition militante des seins
féminins, de la question de l’allaitement en public ou de celle de l’autorisation du
monokini, remise au goût du jour en contrepoint des interrogations sur le port du
« burkini ».
2 La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France pour violation de
la liberté d’expression. Elle estime que la condamnation par les juges français d’une
Femen pour avoir mené une action politique seins nus dans un lieu de culte à un mois
d’emprisonnement avec sursis pour exhibition sexuelle est attentatoire à la liberté
d’expression de l’intéressée1.
3 Au moment des faits, la requérante, militait au sein du groupe Femen, mouvement
féministe né en Ukraine en 2008 dont l’un des modes d’action est bien connu :
protester seins nus pour porter un message politique tout en remettant en cause la
sexualisation systématique du corps des femmes2. En l’espèce, l’action qui avait eu lieu
en l’église de la Madeleine à Paris visait à dénoncer l’hostilité de l’Église à l’égard de
l’interruption volontaire de grossesse en simulant un avortement à l’aide d’un morceau
de viande crue. La requérante avait alors le torse nu et barré de slogans protestataires.
Poursuivie en justice du chef d’exhibition sexuelle3, elle a été condamnée en première
instance comme en appel et son pourvoi devant la Cour de cassation a été rejeté le 9
janvier 20194. L’épuisement des voies de recours internes lui a permis de saisir la Cour
européenne des droits de l’Homme, qui vient de condamner la France.
4 Le principe de la condamnation de la France est d’importance majeure pour la
requérante, de même que pour l’ensemble des militantes Femen. II y avait un véritable
paradoxe pour ces militantes féministes à se voir condamnées pour exhibition sexuelle,
infraction classée par le Code pénal au sein d’une section relative aux agressions
sexuelles. L’analyse du raisonnement des juges de Strasbourg témoigne toutefois d’un
exercice d’équilibriste cherchant à éviter de revenir sur la conception française de
l’exhibition sexuelle.
5 Le 9 janvier 2019, la Cour de cassation avait estimé que les éléments constitutifs de
l’exhibition sexuelle étaient caractérisés. Elle avait toutefois ouvert la porte à ce
qu’aucune condamnation ne soit prononcée en réalisant un contrôle de
proportionnalité entre l’atteinte à la liberté d’expression de la militante et l’atteinte à la
liberté religieuse d’autrui. L’issue du contrôle était toutefois défavorable à la
requérante, la Cour de cassation affirmant que l’arrêt d’appel n’a pas porté une atteinte
excessive à la liberté d’expression en la conciliant avec la liberté religieuse.
6 Le 26 février 2020, la Haute juridiction avait précisé les contours de sa jurisprudence
au sujet d’une autre action Femen, laquelle avait pris place au musée Grévin, un lieu
public laïc. Les juges du quai de l’Horloge avaient alors de nouveau considéré que
l’exhibition sexuelle était caractérisée, mais ils avaient estimé que celle-ci ne pouvait
pas donner lieu à condamnation en raison de l’atteinte disproportionnée que cela
causerait à la liberté d’expression de la requérante5. L’affaire semblait donc entendue :
les actions torses nus des Femen étaient systématiquement qualifiées d’exhibitions
sexuelles, mais la condamnation ne devait pas constituer une ingérence
disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression des intéressées. Or il n’y
avait pas de disproportion lorsque la liberté religieuse pesait dans la balance des
intérêts, ce qui était le cas en 2019, mais pas en 2020.
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7 Dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 13 octobre 2022, les
juges européens condamnent la France au titre des failles que comporte le contrôle de
proportionnalité réalisé le 9 janvier 2019. Elle rend donc une décision circonstancielle,
à la portée limitée (I). La Cour européenne passe en revanche à côté de l’occasion de
rendre une décision plus audacieuse revenant sur les éléments constitutifs de
l’exhibition sexuelle à la française (II).
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excessif, ce qui laisse ouverte la question de savoir si même une peine d’amende serait
compatible avec la condamnation d’une Femen pour exhibition sexuelle.
11 Le prononcé d’une peine de nature et de lourdeur excessive n’est, au demeurant, pas
l’unique élément donnant lieu à condamnation de la France puisque celle-ci se voit
reprocher un recours inadapté à la liberté religieuse.
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Les Lettres « Actualités Droits-Libertés » (ADL) du CREDOF (pour s’y abonner) sont
accessibles sur le site de la Revue des Droits de l’Homme (RevDH) – Contact
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Notes
1 CEDH, 13 oct. 2022, n° 22636/19, aff. Bouton c. France.
2 Jallal Mesbah, « Ôter les habits du genre. Les modes d’action des Femen », Clio. Femmes,
genre, histoire 2021/2, n° 54, p. 157.
3 C. pén., art. 222-32
4 Cass. crim, 9 janvier 2019, n° 17-81.618, FS-P+B : RLDI 2019. 156 ; D. actu 21 janv. 2019, obs.
Dorothée Goetz ; Gaz. pal. 2019, n° 5, p. 32 ; RJPF 2019, n° 4, note Julie Mattiussi ; RPDP
2019, n° 2, p. 403, obs. Jean-Christophe Saint-Pau, Rev. pénit. 2019, n° 2, p. 403.
5 Cass. crim, n° 19-81827, 26 févr. 2020, FS-P+B+I : AJ. pén. 2020. 247, note Jean-Baptiste
Thierry ; RJPF 2020-4/12, note Emmanuel Putmann et S. Cacioppo ; JCP G 2020. 699, note
Jean-Christophe Saint-Pau ; D. actu 6 mars 2020, « Liberté d’expression : une militante Femen
échappe à une condamnation pour exhibition sexuelle », obs. Amélie Blocman ; Comm. com.
électr. 2020, n° 4, comm. 34, note Agathe Lepage ; RSC 2020. 909, note Xavier Pin ; ibid. 307,
note Yves Mayaud ; Lexbase Pénal n° 24 du 27 févr. 2020, note Nicolas Catelan ; RDH,
actualités Droit-Libertés 7 septembre 2020, note Julie Mattiussi.
6 § 46.
7 V., cités par la Cour, CEDH, 12 juillet 2016, Reichman c. France, n° 50147/11, § 73 ; CEDH, 7
sept. 2017, Lacroix c. France, n° 41519/12, § 50 ; CEDH, 26 mars 2020, Tête c. France, n°
59636/16, § 68).
8 CEDH, 23 juin 2022, Rouillan c. France, n° 28000/19 : D. actu 29 juin 2022, note Sabrina
Lavric.
9 § 52.
10 § 60.
11 Les juges relèvent au demeurant que l’identification de cet « autrui » dont la liberté religieuse
aurait été bafouée n’est pas évidente, l’action ayant pris place à un moment où aucune messe
n’était en cours, § 62 ; v. déjà notre analyse sur ce point « Femen, nudité et liberté d’expression »,
RJPF 2019, n° 5.
12 § 63.
13 La mise en balance avait alors été, rappelons-le, favorable à la militante.
14 § 63.
15 § 64.
16 Cass. crim, 15 juin 2022, n° 21-82.392, Inédit : Dr. pén. 2022, n° 9, comm. 137, note Philippe
Conte ; Comm. com. électr. 2022, n° 10, comm. 68, note Agathe Lepage.
17 Point 21.
18 Ex. Agathe Lepage et Haritini Matsopoulou, Droit pénal spécial, Thémis droit, PUF, 2015, 1re
éd., n° 445, p. 309.
19 Rep. min. à la question n° 9763 de Paul Molac relative à la définition de l’exhibition sexuelle,
JOAN 4 sept. 2018, p. 7820, réf. à une intention de provoquer ; CA Paris 12 janv. 2017,
mentionné dans Cass. crim. 10 janvier 2018 ; CA Paris 10 déc. 2018, n° 1801536. L’autrice
remercie le cabinet Dosé Lévy de lui avoir communiqué la décision.
20 Cass. crim, 10 janvier 2018, n° 17-80816 : Comm. com. electr. 2018, n° 4. 28, note Agathe
Lepage ; D. 2018. 1061, note Lyn François ; RSC 2017. 418, obs. Yves Mayaud ; dr. pén. 2018, n°
3, comm. 42, obs. Philippe Conte ; Rev. pénit. 2018, n° 1, p. 81, note Valérie Malabat ; Cass.
crim, n° 19-81827, 26 févr. 2020, préc.
21 Agathe Lepage et Haritini Matsopoulou, op. cit., n° 444, p. 308 ; Valérie Malabat , « Morale
et droit pénal », in Dominique Bureau, France Drummond et Dominique Fenouillet (dir.),
Droit et morale, Thèmes & Commentaires, Dalloz, 2011, p. 219, spéc. p. 227 ; Sylvain Jacopin,
Droit pénal spécial – Les atteintes aux personnes, Hachette, 2013, 2e éd., p. 68 ; Philippe Conte,
Droit pénal spécial, LexisNexis, 2016, 5e éd., n° 263, p. 180 ; Michel Véron, Droit pénal spécial,
Sirey, 2017, 16e éd., n° 133, p. 86. Les ouvrages cités couvrant toute la décennie 2010-2020
montre que la dépendance au contexte était déjà relevée par nombre d’auteurs au moment des
faits de l’espèce ; v toujours Xavier Pin, « Justification, liberté d’expression et protestation
politique », RSC 2020. 909.
22 Pour les femmes allaitantes, v. Martine Herzog-Evans, « AA 67 : allaiter, vous avez le
droit ! », Allaiter aujourd’hui, n° 67, LLL France, 2006 ; s’agissant du monokini, il faut toutefois
relever la condamnation d’une baigneuse jouant du ping pong en monokini, Cass. crim., 22 déc.
1965, n° 65-91997 : Bull. crim, n° 289. Julie Gâté relève que les interdictions du monokini par les
règlements intérieurs de piscine ou arrêtés municipaux demeurent nombreux, mais elle n’évoque
pas de condamnation pénale pour exhibition sexuelle Julie Gâté, « Genre et nudité dans l’espace
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publique », in Stéphanie Hennette-Vauchez, Marc Pichard et Diane Roman (dir.), La loi & le
genre – Études critiques de droit français, CNRS éditions, Paris, 2014, p. 677, spéc. p. 686.
23 Dans un entretien, une militante indique même que les forces de l’ordre ignoraient même sur
quelle base légale ils auraient pu les arrêter, Pascale Molinier, « TumulTueuses, furieuses,
tordues, trans, teuff… féministes aujourd’hui – Cinq militant·e·s dans la bataille », Multitudes
2010/3, n° 42, p. 43.
24 Cass. crim, 9 avr. 2014, n° 14-80-867 ; Cass. crim. 16 févr. 2022, n° 21-82392 : Dr. pén. 2022,
n° 6, comm. 106, note Philippe Conte.
25 Constitution, art. 66.
26 À noter toutefois que les faits commis à compter du 23 avril 2021 (date d’entrée en vigueur de
la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021) ne pourront certainement pas donner lieu à une telle analyse,
puisque la nudité n’est plus requise depuis cette date pour qualifier d’exhibition sexuelle un acte
sexuel réel ou simulé. Madame Farah Safi regrette d’ailleurs que le législateur ne se soit pas saisi
de cette occasion pour clarifier directement dans le texte l’élément matériel du délit, « De l’art de
légiférer, ou quand la loi précise que même lorsqu’il n’y a pas exhibition sexuelle… il y a
exhibition sexuelle ! », D. 2021. 1254.
27 La juge Šimáčková relève même, plus généralement, que « la civilisation française n’est pas
puritaine » § 9, opinion concordante.
28 JORF 25 nov. 2018, § 41.
29 V. supra
30 La crainte de la remise en cause de la qualification d’agression sexuelle lorsque les seins d’une
victime sont touchés est un argument croisé au détour d’argumentaires de juges du fond pour
justifier le caractère sexuel des seins féminins dans les affaires Femen, v. par exemple CA Paris 15
févr. 2017, n° 15/01363 : D. actu 31 mars 2017, Dorothée Goetz.
31 Cass. crim. 3 mars 2021, n° 20-82.399 ; Dr. pén. 2021, n° 5, comm. 81, note Philippe Conte ;
Dr. fam. 2021, n° 5, p. 82, note Philippe Bonfils.
32 V. notre article « Haro sur les jeunes femmes – Les risques de la stigmatisation », JAC 2020
[en ligne].
33 D’ailleurs, si le corps social a entièrement modifié sa perception, l’évolution juridique n’a plus
vraiment de raison d’être. Songeons à l’ordonnance du 16 Brumaire an IX (7 novembre 1800) qui
interdisait aux femmes le port du pantalon, implicitement abrogée d’après une réponse
ministérielle du 31 janvier 2013.
Auteur
Julie Mattiussi
Maîtresse de conférences à l’Université de Haute-Alsace, CERDACC et chercheuse associée au
CDPF de l’Université de Strasbourg
Du même auteur
Femen : liberté d’expression par l’exhibition [Texte intégral]
À propos de Cass. crim. n° 19-81827, 26 févr. 2020, FS-P+B+I
Paru dans La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés
https://journals.openedition.org/revdh/15948 9/10
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