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Annales de chirurgie plastique esthétique (2015) 60, 512—517

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ScienceDirect
www.sciencedirect.com

REVUE GÉNÉRALE

Body Dysmorphic Disorder et chirurgie


esthétique : une revue de la littérature
Body dysmorphic disorder and aesthetic surgery: A systematic
review

N. Kerfant *, A.-S. Henry, P. Ta, A. Trimaille, C. Philandrianos,


W. Hu

Service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique, CHRU de Brest, boulevard Tanguy-Prigent,


29609 Brest cedex, France

Reçu le 24 mars 2015 ; accepté le 9 juin 2015

MOTS CLÉS Résumé Les patients souffrant de Body Dysmorphic Disorder (BDD) sont préoccupés par un
Body Dysmorphic défaut léger ou inexistant de leur apparence, causant un stress significatif et interférant dans
Disorder ; leur vie sociale ou professionnelle. Malgré le fait que jusqu’à 15 % des patients consultant un
Dysmorphophobie ; chirurgien esthétique soient atteints de ce trouble, la conduite à tenir face à cette
Chirurgie esthétique ; pathologie reste peu connue. L’objectif de cet article était de réaliser une revue de la
Rhinoplastie littérature sur le Body Dysmorphic Disorder et la chirurgie esthétique. La formation des
professionnels de santé au diagnostic de cette pathologie est essentielle afin de permettre
une prise en charge psychiatrique adaptée, en considérant la haute prévalence du BDD en
consultation esthétique ainsi que le fait qu’une prise en charge chirurgicale améliore
rarement leur pathologie.
# 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Patients suffering from body dysmorphic disorder (BDD) are preoccupied with an
KEYWORDS imagined or minor defect in appearance that causes significant distress and impairment in social
Body dysmorphic and occupational functioning. Despite a rate of up to 15% of BDD patients reported in cosmetic
disorder; surgery settings, there is no consensus on the best management for these patients. The main
Dysmorphophobia; purpose of this article was to conduct a literature review on BDD and cosmetic surgery. Properly
Cosmetic surgery; trained healthcare professionals in recognizing and diagnosing this pathology is essential for the
Rhinoplasty delivery of quality psychiatric care while taking into account the high prevalence of body

* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : nathalie.kerfant@chu-brest.fr (N. Kerfant).

http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2015.06.003
0294-1260/# 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Body Dysmorphic Disorder et chirurgie esthétique : une revue de la littérature 513

dysmorphic disorder patients in cosmetic surgery and the poor outcome of these patients
following cosmetic procedures.
# 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Résultats

L’insatisfaction concernant son apparence physique est un Signes cliniques


phénomène particulièrement répandu. Lorsque l’insatisfac-
tion devient une obsession, il peut s’agir d’un réel trouble de Le Body Dysmorphic Disorder, anciennement appelé dys-
l’image corporelle connu sous le nom de Body Dysmorphic morphophobie, est caractérisé par une préoccupation
Disorder. anxieuse pour un défaut imaginaire ou très léger, dispro-
Le Body Dysmorphic Disorder (BDD), anciennement portionnée d’avec son objet et responsable d’une souf-
nommé dysmorphophobie, se caractérise par une préoccu- france et d’un handicap significatif. Le terme de
pation excessive concernant un défaut de l’apparence, et ce dysmorphophobie a été employé pour la première fois par
de façon disproportionnée d’avec son objet. Ce défaut est à Enrico Morselli en 1891 pour qualifier la plainte de patients
l’origine d’une souffrance cliniquement significative et/ou exprimant des idées obsédantes à propos de leur apparence.
d’une altération du fonctionnement social, professionnel ou Janet en 1903 décrit « l’obsession de honte du corps »
dans d’autres domaines importants [1,2]. Les patients (obsession with shame of the body), Kraeplin en
atteints de BDD ont une qualité de vie altérée, un taux 1909 l’appelle dysmorphophobic syndrome quand les Japo-
élevé d’idées suicidaires et de passages à l’acte [3]. Le nais le nomment shubo-kyofu [10].
BDD est une maladie relativement fréquente et sévère qui Le Body Dysmorphic Disorder apparaît dans le DSM-III
se présente souvent aux professionnels de la santé mentale (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) en
mais aussi aux autres praticiens. La prévalence des troubles 1980 comme un trouble somatoforme atypique [11]. Le
dysmorphophobiques dans la population générale se situe terme « Body Dysmorphic Disorder » est mentionné pour
entre 1,7 et 2,4 % [4,5]. Dans les populations de patients la première fois dans le DSM-IV en 1994 alors que sa
consultant en chirurgie esthétique, les chiffres varient entre description a déjà plus d’un siècle. Les critères diagnosti-
6 et 54 % [6] mais des limitations méthodologiques comme ques du Body Dysmorphic Disorder, traduit par « peur
des échantillons peu importants et certains biais peuvent d’une dysmorphie corporelle » ou « dysmorphophobie »
expliquer les prévalences élevées. Des études internationa- ont été modifiés en 2013 dans le DSM-V [12]. La classifica-
les récentes rapportent des taux entre 6 et 15 % [5,7]. tion nord-américaine retient désormais 4 critères comme
Dans sa pratique quotidienne, le chirurgien plasticien définition :
rencontrera des patients souffrant de BDD puisqu’une majo-
rité d’entre eux sont persuadés qu’un traitement de leur  critère A : préoccupation pour un défaut ou une imper-
défaut physique est indiqué. La perception du défaut phy- fection ressenti de l’apparence physique, non observable
sique par le patient souffrant de BDD est en distorsion avec la ou mineur pour les autres ;
réalité. De ce fait, environ 40 % des patients ayant un BDD ont  critère B : existence de comportements répétitifs (consul-
consulté un chirurgien esthétique et 30 % ont été opérés. tations répétées des miroirs, soins corporels excessifs,
Pour les professionnels non familiers de ce trouble, le risque curage de la peau) ou d’idées obsédantes (comparaison de
est de donner une réponse chirurgicale qui sera inefficace, leur apparence aux autres) ;
pourra aggraver la maladie et sera parfois même risquée pour  critère C : préoccupation à l’origine d’une souffrance
le praticien [8]. Les traitements psychiatriques appropriés cliniquement significative (anxiété, dépression, honte)
sont souvent efficaces [9]. Les objectifs de cette revue de la ou d’une altération du fonctionnement social, profession-
littérature portant sur le Body Dysmorphic Disorder étaient nel ou dans d’autres domaines importants (école, rela-
de reconnaître un BDD lors d’une consultation de chirurgie tions amicales) ;
esthétique et de préciser la conduite à tenir quant aux  critère D : préoccupations sur l’apparence non restrein-
patients présentant des troubles dysmorphophobiques. tes au poids ou à la graisse corporelle pour un individu
dont les symptômes permettraient également de
Matériel et méthodes porter le diagnostic de trouble du comportement ali-
mentaire qui est considéré comme un diagnostic dif-
Une recherche bibliographique était réalisée sur la base de férentiel.
données Pubmed en utilisant les mots clés suivants : body
dysmorphic disorder, cosmetic surgery, plastic surgery, Les troubles apparaissent le plus souvent à la fin de
body image, rhinoplasty. L’ensemble des articles (revues, l’enfance et à l’adolescence [13]. Un âge d’entrée précoce
articles originaux, cas cliniques, points de vues, lettre à dans la maladie est plus fréquent chez les filles et est un
l’éditeur) publiés en anglais et en français a été retenu. indicateur du risque plus élevé de développer un trouble
Il était retrouvé 151 articles traitant du sujet entre psychiatrique dans la vie [14]. En moyenne, la maladie
1991 et 2015 ; 61 articles ont été lus et leurs bibliographies évolue pendant 11 ans avant d’être prise en charge de façon
étaient étudiées. adaptée [3].
514 N. Kerfant et al.

Le défaut imaginaire Évolution


Les défauts ou imperfections physiques peuvent concerner
n’importe quelle partie du corps mais ils sont principalement Le BDD est caractérisé par une évolution continue plutôt
concentrés sur la face, la peau de la face (notamment rides, qu’une survenue épisodique [7]. La sévérité des symptômes
boutons, cicatrices), le nez (taille, forme), la peau et la peut varier au cours de la maladie mais la rémission complète
chevelure (trop fine, trop clairsemée) [15,16]. Les autres est rare même sous traitement approprié [9,26].
sites fréquemment rapportés sont les dents, l’estomac et le
poids [17].
Prévalence
Alors que les patients de sexe masculin seraient plutôt
focalisés sur leurs organes génitaux, leur petite taille, leur
Une prévalence de 1,7 à 2,4 % a été rapportée dans la
musculature « sous-developpée » ou leur pilosité excessive,
population générale par deux études réalisées sur des
les femmes seraient davantage concernées par leur visage,
échantillons de plus de 2500 personnes représentatives
leurs seins, leurs hanches et leurs jambes [18].
de la population générale [4,5]. Parmi les patients consul-
Phillips décrit deux formes de BDD typiquement mascu-
tant en chirurgie esthétique, en dermatologie ou en sto-
lines. La première est le BDD du petit pénis, où la préo-
matologie, la revue de la littérature internationale
ccupation concerne la taille du pénis à l’état de flaccidité,
retrouve entre 6 et 15 % de patients souffrant de BDD
dont la fréquence non négligeable (9 % des BDD) [9] est
[27—32]. Une étude française réalisée sur 132 consultants
probablement sous-estimée. La seconde est la muscle dys-
en chirurgie esthétique a retrouvé un taux de BDD de 9,1 %.
morphia, préoccupation pour une musculature insuffisante,
Le taux de BDD était de 40 % chez les patients consultant
que l’on trouve entre autres chez les bodybuilders et ce, en
pour des défauts légers ou inexistants [33]. Dans une étude
contradiction complète avec leurs muscles sur-développés
britannique réalisée par Veale et al., la prévalence de
[19].
patients atteints de BDD atteint 20,7 % chez les patients
Le BDD n’est pas toujours confiné à une région du corps.
consultant pour une demande de rhinoplastie esthétique
En moyenne, les patients présentent des troubles dysmor-
[34]. Ces chiffres sont largement sous-estimés par les chi-
phiques sur cinq à sept parties du corps [18], simultanément
rurgiens plasticiens [2] qui estiment cette prévalence à 2 %
ou successivement [20].
selon une étude de l’American Society for Aesthetic Plastic
Surgery [35]. Les autres populations cliniques où l’on retro-
Les comportements compulsifs
uve un taux élevé de BDD sont les populations psychiatri-
La plupart de ces comportements compulsifs sont réalisés
ques [23,36].
dans le but d’inspecter, camoufler et améliorer la zone de
Dans les populations étudiées les plus larges, la préva-
préoccupation [21]. Les comportements reportés sont par
lence de BDD semble être légèrement plus importante chez
ordre de fréquence : se comparer aux autres, se scruter dans
les femmes [4,5]. Néanmoins, la plupart des aspects clini-
le miroir, se camoufler, chercher un traitement (chirurgical,
ques et démographiques de la maladie sont similaires dans
dermatologique), quêter la réassurance, s’apprêter, éviter
les deux sexes [7,18].
les miroirs, se curer la peau [9].

Les préoccupations anxieuses Comment diagnostiquer une dysmorphophobie


Ces préoccupations focalisent les pensées des patients et les lors d’une consultation de chirurgie esthétique ?
obsèdent jusqu’à plusieurs heures par jour [15]. Un patient
se focalisant au moins une heure par jour sur son défaut Plusieurs raisons expliquent les difficultés diagnostiques de
supposé est un patient souffrant de BBD. Dans les cas BDD en consultation de chirurgie esthétique. Les patients
sévères, il peut être difficile pour les personnes atteintes consultant en chirurgie esthétique sont souvent demandeurs
de ce trouble de penser à autre chose qu’à leur apparence d’une correction pour un léger défaut de leur apparence
[22]. Un grand nombre des patients souffrant de BDD sont physique ou pour simplement améliorer une morphologie
incapables de reconnaître l’excès de leurs préoccupations quasi normale. De par leur formation, les chirurgiens plasti-
(insight faible) alors que certains sont critiques quant à leurs ciens sont également entraînés à identifier et réparer des
pensées anxieuses (bon insight). Le terme insight utilisé par défauts « mineurs » [22] et un certain nombre de nos patients
les psychiatres est ainsi synonyme de degré de conscience de pourraient correspondre au premier critère du DSM-V. Diag-
la maladie. À l’extrême se trouve la forme délirante de la nostiquer un patient atteint de BDD est particulièrement
maladie qui est en fait la plus fréquente. Le patient a alors la important pour le chirurgien plasticien, non seulement pour
conviction totale de la réalité de son défaut [23]. L’insight de des raisons médicolégales, mais également pour orienter ces
cette maladie peut varier au cours de son évolution mais il patients vers une prise en charge adaptée.
est globalement faible [24]. Le chirurgien devra être particulièrement attentif aux
demandes non réalistes, aux exagérations ainsi qu’aux préo-
Comorbidités ccupations pour des défauts inexistants ou quasiment imper-
ceptibles. Certains signes peuvent alerter comme le fait
On trouve chez les patients BDD une forte comorbidité avec d’être préoccupé plus d’une heure par jour par son défaut,
la dépression, la phobie sociale, le TOC, et les troubles liés de rendre son défaut responsable de certains échecs de sa vie
aux substances [23]. Dans la plus large étude réalisée sur les ou encore éviter certaines activités sociales à cause de la
comorbidités dans le BDD, les patients (n = 293) observés présence de ce supposé défaut [20]. Il faudra également être
avaient en moyenne plus de deux troubles comorbides d’axe I attentif aux pratiques de camouflage telles que le maquillage
(syndromes cliniques psychiatriques) [25]. ou le port de vêtements larges.
Body Dysmorphic Disorder et chirurgie esthétique : une revue de la littérature 515

Des instruments de mesure du BDD peuvent également pourrait faire suggérer une efficacité de la chirurgie sur le
être utilisés en consultation. Tous les questionnaires requiè- BDD. Pourtant, 86 % des patients opérés conservent leur
rent la motivation et l’approbation du patient avant la diagnostic de BDD, la satisfaction postopératoire du patient
consultation. Le SCID-BDD MODULE, instrument d’évaluation n’étant pas synonyme de la rémission ou de la guérison du
standardisé du BDD, évalue le diagnostic et le ou les site(s) trouble. Les données de la littérature retrouvent les mêmes
corporel(s) de la préoccupation [37]. Le Body Dysmorphic taux de persistance diagnostique postopératoire (83 % et
Disorder Questionnaire (BDDQ) est un outil utilisé par les 92 %). De plus, 71 % des patients BDD opérés avaient un autre
médecins psychiatres comportant 34 items relatifs au diag- site de préoccupation contre aucun opéré dans le groupe non
nostic de BDD [9]. Une autre version légèrement modifiée BDD. L’apparition de nouveaux sites de préoccupation est
pour la dermatologie, le Body Dysmorphic Disorder Question- une caractéristique connue du BDD mais ce résultat suggère
naire—Dermatology Version est également utilisé [38]. Dans l’impact favorisant de la chirurgie esthétique dans l’appari-
ce questionnaire, les deux questions de dépistage sont [23] : tion d’un nouveau site de préoccupation.
Même si ces résultats mettent en valeur l’inefficacité de
 avez-vous des inquiétudes à propos de certaines parties la chirurgie dans le traitement du BDD, ils peuvent expliquer
de votre corps que vous pensez particulièrement pourquoi une partie des chirurgiens plasticiens concèdent à
inesthétiques ? opérer les patients atteints de BDD, la satisfaction du patient
 si oui, est-ce que ces inquiétudes vous préoccupent, étant, pour la plupart d’entre nous, le critère de jugement le
c’est-à-dire que vous y pensez beaucoup et souhaiteriez plus pertinent d’une intervention réussie.
y penser moins ? Sur 166 patients opérés d’une rhinoplastie esthétique,
Picavet et al. ont montré que les scores préopératoires de
Le BDDQ a montré une sensibilité de 100 % et une spécifi- BDD étaient inversement corrélés à la satisfaction et à la
cité de 89—93 % pour le diagnostic de BDD. Pour le clinicien qualité de vie du patient après la chirurgie [6]. Non seule-
non spécialiste et plus pressé, le Dysmorphic Concern Ques- ment la prévalence des symptômes de BDD était élevée dans
tionnaire (DCQ) comporte sept items et est un outil utile pour cette population mais la sévérité des symptômes de BDD
une première évaluation en consultation (Annexe 1) [39,40]. avait un effet négatif sur le résultat final en termes de
Comme il n’existe pas un critère unique permettant de satisfaction et de qualité de vie du patient et ce, quelle
porter le diagnostic de BDD, Jakubietz et al. [20] ont proposé que soit la sévérité de la déformation nasale.
un algorithme basé sur deux paramètres. Le premier est la A contrario, certains auteurs affirment que les formes
sévérité du défaut du point de vue du chirurgien. Le second légères à modérées de BDD pourraient être améliorées par la
est le comportement général du patient basé sur l’impres- chirurgie esthétique. Felix et al. ont analysé 116 patientes
sion du chirurgien et de son équipe, sur l’entretien et parfois opérées d’une rhinoplastie, parmi lesquelles 31 BDD de
sur des questionnaires. Il permet de dégager 3 groupes de forme légère à modérée ont été diagnostiqués en préopéra-
patients : toire par le Body Dysmorphic Disorder Examination (BDDE).
Les photos de ces 31 patientes étaient observées par des
 les patients ne présentant pas de réel « défaut » et ayant chirurgiens non plasticiens. Selon les résultats, 14 patientes
un comportement inapproprié. Le diagnostic de BDD est présentant des défauts mineurs ou peu observables et 17 des
évident et le patient ne sera pas opéré ; défauts qualifiés de modérés mais observables. À noter que
 les patients présentant un « défaut » réel et des attentes 20 % de leur échantillon initial présentait une forme sévère
raisonnables, ce sont de bons candidats à la chirurgie ; de BDD pour laquelle la chirurgie avait été contre-indiquée. À
 enfin, les patients présentant un défaut « minime » et un un an postopératoire, 81 % des patientes opérées présentant
comportement inadapté et pour lesquels un second ren- une forme légère à modérée de BDD présentaient une rémis-
dez-vous sera nécessaire pour une nouvelle évaluation. sion complète des symptômes de BDD. Il y avait une diminu-
tion significative du temps passé devant le miroir dans les
deux groupes. L’étude ne retrouvait pas d’augmentation
Faut-il opérer les patients atteints de BDD ? des symptômes de BDD ni d’autres troubles psychiatriques
dans la population étudiée. D’autres résultats de la littéra-
Dans une étude réalisée sur les membres de l’ASAPS, seuls ture suggèrent également que la chirurgie esthétique pour-
30 % des chirurgiens plasticiens sont persuadés que le BDD est rait traiter efficacement certaines formes légères de BDD
toujours une contre-indication à la chirurgie esthétique [35]. [43—46].
Le Body Dysmorphic Disorder étant un trouble psychique Ces études attirent l’attention sur le fait qu’il existe
et non physique, la chirurgie ne peut guérir le patient [20]. probablement deux types de patients BDD totalement dif-
Bien qu’il n’existe aucun étude prospective sur les résultats férents qui doivent être évalués et traités de façon dif-
de la chirurgie chez les patients atteints de BDD, la très férente [43,47]. Elles insistent aussi sur la nécessité de
grande majorité des auteurs recommandent de ne pas opérer développer des instruments de mesure précis de la sévérité
les personnes atteintes de ce trouble [26,41]. des symptômes de BDD permettant au plasticien de prendre
Biraben-Gotzamanis et al. ont revu de façon rétrospective la décision d’opérer ou non un patient présentant une forme
24 patients (BDD et non BDD) présentant un défaut minime de mineure à modérée de BDD [44,48]. Les travaux des experts
l’apparence. Cinq ans après leur intervention de chirurgie psychiatres estiment que le point utile pour déterminer de la
esthétique, ils retrouvent une différence non significative du sévérité du BDD est l’estimation du critère B de la classifica-
taux de satisfaction entre les deux groupes BDD et non BDD tion DSM-V soit le temps quotidien passé à réaliser des
[42]. Le taux de satisfaction des patients BDD est de 4/5 des comportements répétitifs ou à avoir des répétitions menta-
patients, ce qui est supérieur aux données de la littérature et les [49].
516 N. Kerfant et al.

Que dire au patient ? Annexe 1 (Suite)


Considérez-vous que votre corps fonctionne mal (odeur
Une fois le diagnostic posé ou évoqué, en parler au patient excessive, flatulences) ? Pas du tout/autant que les autres/
sans l’offenser est un réel challenge. La majorité des patients plus que les autres/beaucoup plus que les autres
atteints de BDD ayant un très mauvais insight, les réactions de Ressentez-vous le besoin de consulter un chirurgien
défense et le refus de la consultation psychiatrique sont plasticien, un dermatologue, un médecin au sujet de ces
souvent la règle. Une des possibilités est d’utiliser les possi- plaintes ? Pas du tout/autant que les autres/plus que les
bles effets psychologiques des changements morphologiques autres/beaucoup plus que les autres
induits par la chirurgie pour proposer une consultation chez Les autres ou des médecins vous affirment-ils que vous êtes
un psychiatre spécialisé en préopératoire [50]. normal alors que vous êtes fortement convaincu qu’il y a
quelque chose qui ne va pas au niveau de votre apparence
Les traitements physique ou du fonctionnement de votre corps ? Pas du tout/
autant que les autres/plus que les autres/beaucoup plus que
La psychothérapie a prouvé son efficacité dans la prise en les autres
charge du BDD, en particulier les thérapies cognitivo- Passez-vous beaucoup de temps à vous inquiéter pour des
comportementales. La thérapie cognitivo-comportementale défauts de votre apparence physique ou du fonctionnement de
consiste dans ce cas à exposer le supposé défaut du patient votre corps ? Pas du tout/autant que les autres/plus que les
et à lui fournir des réponses lui permettant de ne pas utiliser autres/beaucoup plus que les autres
les techniques habituelles de vérifications dans le miroir, de Passez-vous beaucoup de temps à camoufler des défauts de
réassurance ou de camouflage [51]. votre apparence physique ou du fonctionnement de votre
Une récente revue Cochrane a montré que l’association corps ? Pas du tout/autant que les autres/plus que les autres/
de la psychothérapie et des inhibiteurs de la recapture de la beaucoup plus que les autres
sérotonine était le traitement de choix du BDD [52]. Cette
combinaison a montré son efficacité chez environ deux tiers
des patients. Références
Les patients répondant au traitement présentent une
réduction des préoccupations, une diminution du stress et [1] Tignol J, Biraben-Gotzamanis L, Martin-Guehl C, Grabot D,
des comportements répétitifs ainsi qu’une amélioration des Aouizerate B. Body dysmorphic disorder and cosmetic surgery:
relations sociales [53]. Le défaut est généralement noté (il evolution of 24 subjects with a minimal defect in appearance
disparaît très rarement) mais provoque moins de stress [54]. 5 years after their request for cosmetic surgery. Eur Psychiatry
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médecins psychiatres est hautement recommandé dans le order determine postoperative satisfaction and quality of life in
dépistage de ces patients en consultation de chirurgie esthé- aesthetic rhinoplasty. Plast Reconstr Surg 2013;131(4):861—8.
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Êtes-vous très concerné par certains aspects de votre
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apparence physique ? Pas du tout/autant que les autres/plus [12] Association AP. The diagnostic and statistical manual of mental
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Vous considérez vous d’une certaine façon comme malformé/ [13] Dyl J, Kittler J, Phillips KA, Hunt JI. Body dysmorphic disorder
déformé (au niveau du nez, des cheveux, de la peau. . .) ? Pas du and other clinically significant body image concerns in adoles-
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