Vous êtes sur la page 1sur 10

Une Histoire de la Sonate

(1ère partie)

« De la fin de la Renaissance
à la fin de l'ère Baroque »

Une approche historique et analytique

Denis Morrier

Pablo Picasso : Violon et feuille de musique


Venise

La ville natale
de la Sonate

« Cité excellente, de mer entourée,


Si unique au monde et si étrange,
Qu'assurément elle semble être
Le produit d'un rêve »
(Juan del Encina)

Venise, plan bois gravé 1486


Aux sources de la Sonate

Les usages singuliers


de la Basilique palatine de San Marco
La Basilica di San Marco de Venise est une église palatine (du palais).
Attenante et communicante avec le Palais des Doges,
elle incarne l’autorité du souverain élu sur sa cité et son peuple.

En tant que chapelle privée, elle sert aux offices donnés devant le Doge,
les procurateurs et les patriciens de l’aristocratie vénitienne.

En tant qu’Eglise de l’Etat, San Marco sert aux cérémonies publiques de


représentation du pouvoir, lors des grandes fêtes emblématiques de la
Sérénissime République : la Sensa (l’Ascension), le Sposalizio (les
« épousailles » symboliques de la mer et de Venise, incarnée par le Doge),
l’intronisation du souverain élu, et pour toutes les grandes occasions
politiques, historiques et festives (visites de monarques, victoires
militaires, anniversaires, offices votifs, processions rituelles, etc.).

Cette fonction particulière de représentation du pouvoir explique la


splendeur et la particularité de sa liturgie, et en particulier l’emploi
extraordinaire qui y est fait des instruments de musique.
Edifiée en 1063, San Marco emprunte à l’église des Saints Apôtres de
Constantinople son plan en croix grecque surmonté de cinq
monumentales coupoles.

De chaque côté du chœur, orientés vers la nef, deux lutrins


monumentaux, accueillent les chantres chargés du chant a cappella.

Lorsqu’il doivent chanter de la musique polyphonique (motets, messes et


psaumes polyphoniques) les musiciens, chanteurs et instrumentistes, se
placent alors sur les deux tribunes attenantes aux chapelles situées face à
face de chaque coté du chœur.

Chacune de ces tribunes est pourvue d’un orgue. Le premier, considéré


comme « grand », n’a qu’un clavier, un petit pédalier et dispose de neuf
jeux. Le second n’en propose que quatre. Il est connu pour ses basses
déficientes : un Violone ou Contrabasso da gamba est fréquemment requis à
ses côtés pour pallier cet inconvénient.

Les deux organistes alternent leurs services une semaine sur deux, et ne
sont réunis que pour les grandes occasions. Le second organiste est
chargé de jouer le clavecin, lorsque les orgues doivent se taire, durant le
Carême et la Semaine Sainte.
Giovanni Gabrieli (c. 1554-1612)
Organiste à San marco de Venise
« Le père de la sonate »

Gabrieli est un premier auteurs de musique instrumentale,


proposant des « Canzone da sonar » et des « Sonata »
pour divers ensembles instrumentaux
dans ses deux publications de 1597 et 1615.

Distinction en Sonate et Canzone,


selon le théoricien allemand Michael Praetorius
Syntagma Musicum vol. III, Wolfenbüttel, 1619

« La différence réside dans le fait que les sonates sont composées


à la manière des motets, avec gravité et majesté, tandis que les canzone
se déroulent gaiement et rapidement, avec beaucoup de notes noires »

A ECOUTER

Sonate : https://www.youtube.com/watch?v=vRmDA1OtHQ8

Canzone : https://www.youtube.com/watch?v=V6KE8M3thIQ

Frontispice des Sacrae Symphoniae (1597)


Canzon da sonar

Un des premiers genres spécifiques de la musique


instrumentale. Il apparaît dans la seconde moitié
du XVIème siècle et perdure jusqu’à vers 1650.
Conçues pour le clavier ou pour un ensemble instrumental,
les Canzone revêtent une écriture polyphonique stricte,
et se caractérisent à l’origine par l’emploi d’un motif initial
fondé sur le rythme dactylique (longue-deux brèves).
Ce rythme, caractéristique (avec l’anapeste) de la métrique
poétique française, les a également fait désigner « Canzon alla
francese ». Merulo, Gabrieli, Frescobaldi ont illustré ce genre.

Exemple ci-contre :

Girolamo Frescobaldi (1683-1643)


Fiori musicali pour orgue (Rome, 1650)

Canzon post il Comune


[« Canzone devant être jouée après la Communion de la Messe »]
A écouter : https://www.youtube.com/watch?v=XG4g8RSIXuE

Dans cette composition polyphonique, d’écriture fuguée,


on repère parfaitement le motif rythmique initial,
emblématique de la Canzone : noire deux croches (dactyle)
Sonata vs Toccata
Une approche étymologique

Ces deux termes sont apparus


durant la Renaissance italienne.

Toccata désigne a priori une pièce musicale


destinée à être « touchée » (toccare)
sur un instrument à clavier ou à cordes pincées.

Par opposition, Sonata désigne plutôt


les pièces « sonnées » (sonare)
sur des instruments à vent ou à cordes frottées.

Une singularité d’emploi


du terme Toccata à l’aube du Baroque

Certaines pièces de la Renaissance pour ensembles de trompettes


sont désignées Toccata, comme, par exemple,
Traduction du titre : Toccata qui se joue avant le lever de rideau, trois fois avec tous les
la célèbre Toccata qui ouvre L’Orfeo (1607) de Claudio Monteverdi
instruments, & se fait un ton plus haut ainsi que sonnent les trompettes avec sourdines.
(1567-1643)

A écouter : https://www.youtube.com/watch?v=mjpFi9bn1do
Proposition de définition usuelle de la Toccata

La Toccata est une forme proche du Prélude, d’allure libre et improvisée.

Elle sert souvent d’introduction : à un Office ou une Messe à l’Eglise,


ou à une autre pièce musicale (Fugue, Sonate, Suite…).

Elle s’organise en plusieurs sections contrastées, alternant des épisodes de


virtuosité dans un contexte plutôt harmonique et de brefs passages de contrepoint
imitatif.

A l’origine très courtes, les Toccate deviennent de plus en plus développées et


brillantes aux XVIIème (Frescobaldi, Rossi) et XVIIIème siècles (J.S Bach, Zipoli…).

Exemple ci-contre :

Girolamo Frescobaldi (1683-1643)


Fiori musicali pour orgue (Rome, 1650)

Toccata avanti la Messa della Domenica


[« Toccata avant la Messe du Dimanche
»]
A écouter :
https://www.youtube.com/watch?v=XwlXuYG84OM
Autour du cornettiste Giovanni Bassano
La naissance d’une écriture musicale idiomatique pour les instruments :
l’art de la « diminution » (variation ornementale)

A ECOUTER

Diminutions de Giovanni Bassano


pour le Cornet à Bouquin
sur Suzanne un jour
de Roland de Lassus
(1532-1594)

https://www.youtube.com/watch?v=avzLjI_pIKw

Giovanni Bassano (1558-1617) : Ricercate, Passagi e Cadentie (1585),


l’un des principaux traités de diminution instrumentale de la fin de la Renaissance

Vous aimerez peut-être aussi