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STREAMING ET CINEMA, LES PLATEFORMES PEUVENT-ELLES TUER LES

SALLES ?
Depuis plusieurs années, l'essor des plateformes de streaming a bouleversé le système de distribution des films et alors
que les Oscars viennent de saluer des productions sorties exclusivement en SVOD, la question de l'avenir des salles de
cinéma n'a jamais semblé aussi incertain. On fait le point (et on débat) sur la situation.

Le prix à payer
Le premier élément qui pourrait expliquer la montée en puissance des services de streaming face aux salles de cinéma est tout
simplement financier. Se rendre au cinéma est devenu un vrai budget pour bon nombre d’entre nous, notamment pour les
familles nombreuses, et davantage si l’on cède au diabolique rayon des confiseries.

Attention toutefois : s’il est de bon ton de râler, notamment sur les réseaux sociaux, quant au prix extravagant pratiqué par
certaines salles de cinéma, notamment dans les métropoles, le Centre National de la Cinématographie (CNC) rappelle que le prix
moyen d’une place vendue en France est de 6,69 €, en incluant les nombreuses réductions appliquées aux étudiants, aux
personnes âgées ou permises par les carnets de places qui font gagner quelques euros sur chaque ticket. Oui, certains multiplexes
ne se gênent pas pour facturer près de 15 € le billet mais ce n’est pas la majorité des cas et quelques astuces permettent
rapidement de faire baisser la note comme les formules d'abonnement illimitées par exemple.

Reste que, pour le portefeuille de tout un chacun, le cinéma ne peut pas rivaliser avec un abonnement mensuel de streaming situé
entre 4,99 € pour Apple TV+ et 17,99 € pour la formule la plus élevée proposée par Netflix, et ce, pour des catalogues proposant
des centaines de séries et de films visionnables à l’envi depuis son canapé.
La pandémie a d'ailleurs aussi conforté de plus en plus de cinéphiles préférant le confort de leur salon pour découvrir des
films, sans être gênés par quelques spectateurs indélicats qui mangent bruyamment leur pop-corn ou consultent leurs derniers
snaps en pleine projection.

Des revenus plus importants pour les majors


Si il y a encore dix ans seuls Netflix et Amazon dominaient le marché du streaming de la tête et des épaules, ils ont été
rapidement rejoints par de nouveaux acteurs cherchant à grapiller une part de cet important gâteau. Toutes les majors ont, en
quelques mois seulement, lancé leur plateformes dédiées. Parmi elles, on retrouve bien entendu Disney+ mais aussi HBO
Max pour Warner, Paramount+ ou encore Peacock détenu par NBC-Universal.
Les studios ont effectivement rapidement compris tous les avantages à proposer leurs contenus aux consommateurs sans passer
par les intermédiaires que sont les distributeurs et les salles de cinéma.

De fait lorsqu’un ticket est vendu en salles, le studio n récupère qu’une fraction de son prix. Aux Etats-Unis, les majors gagnent
environ 55 % du tarif payé par le spectateur, et c’est moins dans les pays étrangers. Avec le streaming, les majors n’ont
évidemment plus à partager les gains avec d’autres acteurs et peuvent récupérer l’intégralité du montant payé par le
consommateur.
Or, si l’on peut comprendre cette volonté des studios de maximiser leurs gains, la démarche fragilise fortement l’économie du
septième art et bien sûr les salles de cinéma, qui pourraient perdre à terme la diffusion d'œuvres majeures capables de réunir des
centaines de milliers de spectateurs.

La salle de cinéma résiste encore… mais jusqu'à quand ?


L’existence de la salle de cinéma est-elle menacée dans les prochaines années ? Rien n’est moins sûr.
Pour illustrer cette réflexion, l’exemple HBO Max est un cas d’école. À la fin de l’année 2020, alors que la planète traversait la
deuxième deuxième vague de COVID-19, Warner Bros annonçait vouloir proposer ses films simultanément en salles et sur sa
plateforme de streaming. L’objectif était de toucher tous les publics, des spectateurs ne jurant que par les salles obscures pour
profiter d’un film, à ceux préférant le confort de leur domicile pour consommer un long-métrage.
Godzilla vs. Kong, Matrix Resurrections, Suicide Squad ou encore Dune ont donc été lancés sur le service de streaming comme
des produits d’appel et on aurait pu penser que cette solution était la meilleure pour contenter tout le monde. Cette expérience
n’aura néanmoins pas été des plus fructueuses. En effet, les analystes estiment qu’HBO Max n’a engrangé que cinq malheureux
millions d’utilisateurs supplémentaires, malgré les œuvres et les marques populaires proposées aux abonnés. Pire encore, les
films étaient disponibles sur les plateformes de téléchargement illégal à la minute même de leur mise en ligne, dans une qualité
jusqu’à la 4K et parfois même avec tous les sous-titres.
Excepté Dune, qui a rencontré un joli succès en salles grâce à une sortie américaine décalée de quelques semaines pour laisser le
temps au film de remplir les cinémas du monde entier, tous les films Warner Bros ont été des fours au box-office US et
international. Et le studio ne peut même pas s’abriter derrière la pandémie pour justifier ces scores pathétiques. Il a d'ailleurs
abandonné cette stratégie pour revenir à une sortie en streaming 45 jours après une exclusivité en salles : une décision à succès
comme le prouve The Batman qui vient de dépasser les 672 millions de dollars de recettes après un petit mois à l'affiche.
Vers une standardisation du cinéma ?
On pourrait alors nous rétorquer, à raison, que malgré l’émergence des plateformes de streaming et leur place grandissante dans
les pratiques culturelles des spectateurs, un mastodonte comme Spider-Man : No Way Home a réussi à signer un box-office
mondial d’1,8 milliards de dollars, soit le plus gros succès depuis Avengers : Endgame en 2019.
Les studios ne s’y sont pas trompés et on constate depuis ce début d’année 2022 une réelle standardisation des sorties sur la toile.
En gros, aux cinémas les gros blockbusters remplis d’effets spéciaux et qui justifieraient le prix du ticket, aux plateformes les
films plus risqués et moins chers, qui peuvent néanmoins attirer des abonnements.
Sauf que, dans le même temps, les plateformes ne misent plus forcément sur la découverte ou la prise de risque, préférant elles
aussi des formules qui marchent à grands coups de centaines de millions de dollars. C’est notamment le cas de Netflix qui a
dévoilé son planning de films originaux pour l’année en cours, lequel comprend de nombreuses grosses productions aux castings
cinq étoiles. Et on ne parle pas de Red Notice, un film d’action, jugé médiocre, et qui semble conçu par un algorithme, mais dont
la présence de Dwayne Johnson, Gal Gadot et Ryan Reynolds au casting en a fait le plus gros succès du service.
Disney essore également ses marques jusqu’à plus soif, avec des spin-off, suites et remakes à la chaîne et même Prime Vidéo va
très prochainement proposer une série adaptée du Seigneur des Anneaux, un succès presque garanti avec l’une des marques les
plus puissantes du divertissement.

En France la situation est moins radicale, et ce, grâce à la chronologie des médias. Ce système, né dans les années 1980, peut être
perçu comme archaïque depuis l'arrivée d'Internet dans les foyers, même après une récente évolution de la chronologie de
diffusion qui permet désormais aux films d’être présentés par les plateformes entre 15 et 17 mois après leur sortie, contre 36
mois auparavant.
Pourtant c’est cette chronologie des médias qui permet une réelle diversité des genres et des œuvres dans notre pays. Avec une
obligation de financement imposée aux acteurs locaux, comme Canal+, ou internationaux comme Netflix, Amazon et Disney,
l'exception culturelle française permet de produire et sortir des films plus exigeants, plus radicaux dans leurs thématiques et qui
ne trouveraient jamais le chemin des salles de cinéma sans ce mécanisme contraignant.
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