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Revue française de sociologie

Le statut de la sociologie chez Simmel et Durkheim


Marc Sagnol

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Sagnol Marc. Le statut de la sociologie chez Simmel et Durkheim. In: Revue française de sociologie, 1987, 28-1. pp. 99-125;

doi : 10.2307/3321447

https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1987_num_28_1_2369

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Résumé
Au cours des années 1890, Simmel et Durkheim publient parallèlement leurs premiers ouvrages de
sociologie et apparaissent comme deux figures de proue de cette discipline naissante. Cet article
étudie de manière comparative les deux conceptions de la sociologie et montre que, bien que
provenant de traditions différentes, Simmel et Durkheim ont plus de points d'accord qu'on ne le dit
généralement, même si des divergences de fond rendaient toute collaboration impossible. Que la
sociologie soit considérée comme principe heuristique ou comme science autonome micro- ou macro-
sociologique, ou comme philosophie des sciences sociales, ou comme science sociale parmi d'autres,
ou encore comme corpus des sciences sociales, les problèmes discutés il y a cent ans sont toujours
d'actualité.

Abstract
Marc Sagnol : The status of sociology in Simmel and Durkheim.

Throughout the 1890's, Simmel and Durkheim concurently published their first works of sociology and
they appear as the two leading figures of this new-born discipline. This article studies the two
conceptions of sociology comparatively and shows that, although coming from different backgrounds,
Simmel and Durkheim have more in common than is generally believed, even if fundamental
differences made any collaboration impossible. Whether sociology is considered as a heuristic principle
or as an autonomous science — micro or macro-sociological —, or as a philosophy of the social
sciences, or as a social science among others or still again as the social sciences corpus, the problems
discussed a hundred years ago are still of the moment.

Zusammenfassung
Marc Sagnol : Der Status der Soziologie bei Simmel und Durkheim.

Im Laufe der 1890er Jahre veröffentlichen Simmel und Durkheim ihre ersten soziologischen Studien
und profilieren sich international als zwei Vorkämpfer dieser entstehenden Wissenschaft. Der Artikel
untersucht und vergleicht die beiden Auffassungen der Soziologie und zeigt, dass Simmel und
Durkheim trotz ihrer unterschiedlichen Herkunft mehr Gemeinsamkeiten haben, als man gewöhnlich
vermutet, auch wenn grundsätzliche Differenzen jede Zusammenarbeit unmöglich machten. Die
Soziologie als heuristisches Prinzip oder als autonome Wissenschaft, Mikro- oder Makrosoziologie, die
Soziologie als Philosophie der Sozialwissenschaften, als eine unter anderen Sozialwissenschaften
oder als « Corpus » der Sozialwissenschaften, — die vor einem Jahrhundert diskutierten Probleme
sind heute noch lebendig.

Resumen
Marc Sagnol : El estatuto de la sociologia en Simmel y Durkheim.

En el transcurso de los años de 1890, Simmel y Durkheim publican paralelamente sus primeras obras
de sociologia y aparecen como dos mascarones de proa de esta disciplina naciente. Este articulo
estudia de manera comparativa las dos concepciones de la sociologia y muestra que, aunque
proviniendo de tradiciones diferentes, Simmel y Durkheim tienen más puntos en comun que no se dice
generalmente, aun cuando unas divergencias de fondo daban toda colaboración imposible. Que la
sociologia sea considerada como principio heurístico o como ciencia autonoma micro- o macro-
sociológica, o como filosofia de las ciencias sociales, о como ciencia social entre otras, o aún como
corpus de las ciencias sociales; los problemas discutidos háce cien años son siempre de actualidad.
R. franc, sociol., XXVIII, 1987, 99-125

Marc SAGNOL

Le statut de la sociologie
chez Simmel et Durkheim *

RÉSUMÉ
Au cours des années 1890, Simmel et Durkheim publient parallèlement leurs
premiers ouvrages de sociologie et apparaissent comme deux figures de proue de cette
discipline naissante. Cet article étudie de manière comparative les deux conceptions
de la sociologie et montre que, bien que provenant de traditions différentes, Simmel
et Durkheim ont plus de points d'accord qu'on ne le dit généralement, même si des
divergences de fond rendaient toute collaboration impossible. Que la sociologie soit
considérée comme principe heuristique ou comme science autonome micro- ou
macro-sociologique, ou comme philosophie des sciences sociales, ou comme science
sociale parmi d'autres, ou encore comme corpus des sciences sociales, les problèmes
discutés il y a cent ans sont toujours d'actualité.

Au cours des années 1890, Georg Simmel et Emile Durkheim (tous deux
nés en 1858) publient leurs premiers ouvrages de sociologie et apparaissent
comme deux « figures de proue » de cette discipline naissante au niveau
international. Tous deux sont issus de traditions différentes, mais veulent
être, chacun à sa manière, le fondateur d'une science nouvelle et ont sans
doute plus de points d'accord qu'on ne le dit généralement. Néanmoins,
malgré des conditions propices, il n'y a eu qu'une éphémère collaboration
(en 1897-98) entre Durkheim et Simmel, suivie d'un règlement de comptes
public en 1900, qui a marqué la fin d'un dialogue qui aurait pu être
fructueux. A partir de cette date, la sociologie française et la sociologie
allemande se sont engagées dans des voies nationales qui n'ont guère été
quittées depuis. Dans une période plus récente, du fait de la tendance à
l'internationalisation des problèmes et du regain d'intérêt pour l'histoire
des sciences sociales, lié peut-être à une « crise intellectuelle » (Chambo-
redon, 1984, p. 461) (1) que traverse la discipline, une redécouverte
parallèle aussi bien de Durkheim que de Simmel semble se faire jour,
incitant à réévaluer leur rôle de fondateurs de la sociologie. Dans ces
conditions, il semble approprié de procéder à une analyse comparée de
Simmel et Durkheim, qui soumettrait à la critique les stratégies de
fondation des deux pères de la sociologie. Le présent article se propose
sinon de discuter de manière approfondie ces deux approches sur plus
d'un point divergentes, du moins, nous l'espérons, de livrer les bases d'une
*Une première version de ce texte a été (1) Les références bibliographiques se
rédigée en 1984 pour l'Ecole des hautes trouvent in fine.
études en sciences sociales, Paris.

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telle discussion en clarifiant les positions en présence, notamment sur le


problème du statut de la sociologie.

I. — La sociologie comme synthèse des Geisteswissenschaften

Le premier ouvrage publié par Simmel est son livre sur la Différenciation
sociale (Uber soziale Differenzierung, 1890), partiellement traduit en français
en 1894. Les hésitations de Simmel sur le statut de cette nouvelle science
qu'est la sociologie se manifestent dans le sous-titre qu'il donne à son
ouvrage : « Recherches sociologiques et psychologiques ». Ce livre
contient cinq études sociologiques précédées d'un chapitre
méthodologique intitulé « Zur Erkenntnistheorie der Sozialwissenschaft » (« Sur la
théorie de la connaissance de la science sociale »). Les cinq études
sociologiques traitent successivement de la « responsabilité collective », de
« l'extension du groupe et [du] développement de l'individualité », du
« niveau social », du « croisement des cercles sociaux » et de « la
différenciation et [du] principe de l'économie d'énergie » (2). Le chapitre
méthodologique placé en tête de ce recueil constitue la première ébauche
de définition et de délimitation de la sociologie par Simmel. Cette première
tentative est par certains côtés quelque peu surprenante :
« La sociologie est une science éclectique, dans la mesure où son matériau
est constitué par les produits des autres sciences. Elle se sert des résultats
de la recherche historique, de l'anthropologie, de la statistique, de la
psychologie, comme de produits demi-finis; elle ne prend pas pour objet
immédiat le matériau primitif que travaillent les autres sciences, mais, en tant
que science pour ainsi dire au deuxième degré, elle crée de nouvelles
synthèses à partir de ce qui, pour celles-ci, est déjà synthèse. Dans son état
actuel, la sociologie ne fait que livrer un nouveau point de vue pour la
considération de faits connus. » (p. 2)
Dans ces termes, la sociologie semble être pour Simmel une sorte de
science des sciences, la science de l'universel procédant à partir des
sciences particulières que sont les autres sciences sociales et humaines. Elle
prend donc pour ainsi dire la succession, dans le cadre renouvelé des
Geisteswissenschaften, du rôle qu'avait jadis la philosophie, elle aussi
science des sciences, travaillant notamment à l'aide des résultats des
sciences physiques et naturelles. Dans cette acception, la sociologie n'est
autre que la philosophie des sciences sociales. Elle est une science sans
objet, elle est pure construction théorique, synthèse, méthode de recherche.
Même lorsque, dans ses ébauches suivantes, Simmel tentera de définir la
sociologie comme science autonome, il ne renoncera pas complètement à
cette première définition. Encore en 1908 et en 1917, il définira la
sociologie comme « méthode des Geisteswissenschaften ».
(2) Un résumé en 15 pages de ce livre a Simmel, Sociologie et epistemologie,
été traduit en 1894 dans la Revue internatio- pp. 207-222.
nale de sociologie et est reproduit dans Georg

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Ce premier texte de Simmel sur la science sociale est sur plus d'un point
un constat d'impuissance. Dans l'état d'avancement de cette nouvelle
science qu'est la sociologie, il ne faut pas attendre de réponse définitive
et indiscutable aux questions fondamentales de la sociologie : qu'est-ce
qu'un individu ? qu'est-ce qu'une société ? etc., au contraire, il faut « se
contenter d'une délimitation approximative du domaine » étudié par la
sociologie. Les premières tentatives de définition de la sociologie
coïncident avec la recherche d'une délimitation du domaine couvert par
l'investigation sociologique. Ce faisant, après avoir défini la sociologie comme une
science synthétique, comme la synthèse des autres Geisteswissenschaften,
Simmel semble être déjà en quête d'une autre définition. La sociologie
aurait un domaine d'investigation. Puis il va même jusqu'à parler d'objet,
mais sans être capable de le désigner avec précision (p. 8).
Tout en hésitant encore sur la définition de l'objet de la sociologie,
Simmel est conscient dès cette époque qu'il n'est pas possible de prendre
« la société » pour objet, qu'il faut donc dissoudre ce tout en ses
composants, ce qui ne signifie pas non plus que pour étudier la société
il suffise d'étudier les individus qui la composent : « Le concept de société
n'a manifestement un sens que s'il se trouve de quelque manière en
opposition avec la simple somme des individus », dit-il p. 10, mais sans
aller encore jusqu'à dire comme Durkheim que la société est une réalité
sui generis : pour lui, la société est une synthèse — qui a lieu uniquement
dans la pensée — de l'ensemble des individus qui sont la réalité effective.
Ainsi, alors que Durkheim étudiera les faits sociaux « comme des
choses », « extérieurs aux consciences individuelles », Simmel fait de la
société un tout synthétique n'existant que dans l'esprit. Simmel s'efforcera
d'analyser à son tour, de dissoudre ce tout synthétique en ses composants,
et trouvera que « l'âme de la société réside dans la somme des interactions
(Wechselwirkungen) de ses participants » (p. 13). Tandis que Durkheim
s'intéresse au fait social comme objet statique, sous forme cristallisée, qui
existe dans le tout (la société) avant d'exister dans les parties et qui
s'impose de l'extérieur à l'individu, Simmel recherche les processus
dynamiques qui font qu'une société devient société, veut découvrir « dans
tout être le processus historique de son devenir », étudier la naissance
d'une société d'un point de vue non pas historique mais logique, interne,
synchronique, éclairant le processus d'auto-production quotidienne de la
société. Or ce processus ne peut être étudié qu'à partir de l'étude des
différentes interactions ou actions réciproques.
« Là où une réunion a eu lieu, dont les formes persistent bien que des
membres s'en aillent et de nouveaux entrent; là où une possession commune
extérieure existe, dont l'acquisition et la jouissance ne sont pas l'affaire d'un
individu; (...) là où le droit, la coutume, le commerce ont constitué des formes
auxquelles chaque personne doit se soumettre et se soumet qui entre en un
certain rapport local avec d'autres — là, en tous ces lieux, il y a société, là
l'interaction s'est cristallisée en un corps qui la distingue comme interaction
sociale de celles qui disparaissent avec les sujets qui les font naître et avec
leur comportement instantané. » (p. 16)

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Avec cette définition, nous sommes très proches du « fait social » de


Durkheim, bien que le vocabulaire utilisé soit tout autre. Les interactions
qui prennent une forme objectivée, cristallisée, qui deviennent une création
(Gebilde) de l'homme et se perpétuent, mènent tout droit à ces phénomènes
sociaux qui, selon Durkheim, « consistent en des manières d'agir, de
penser et de sentir, extérieures à l'individu, et qui sont douées d'un pouvoir
de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui » (3). Mais là où
Durkheim sera le plus proche de Simmel, c'est lorsqu'il montrera que ce
qui distingue une société de la somme de ses individus, c'est le phénomène
de Y association (terme qu'il emploie ici dans son sens actif, dynamique),
de même que seule l'association des molécules produit la vie :
« En vertu de ce principe, la société n'est pas une somme d'individus mais
le système formé par leur association représente une réalité spécifique qui
a ses caractères propres. » (4)
Ce que Durkheim entend ici par association n'est guère différent de ce
qu'est pour Simmel la Wechselwirkung (interaction) ou la Vergesellschaftung
(socialisation). Quand Durkheim traduira en 1897 l'article de Simmel
« Comment les formes sociales se maintiennent », il choisira d'ailleurs le
mot association pour Vergesellschaftung. A cette époque, les intuitions de
Simmel et de Durkheim sur la spécificité du social sont encore proches.
Tous deux voient bien que la société est plus que la somme de ses
individus, qu'il y a donc une spécificité du social, qui réside dans le fait
que les membres du corps social « s'associent » et entrent en «
interaction ». Tous deux voient que ces phénomènes d'association produisent des
réalités sociales auxquelles l'individu doit se soumettre, mais chacun a une
approche différente du même phénomène : alors que Simmel examine les
formes de l'interaction entre les individus, la genèse de ces formations qui
créent le tissu social et s'imposent aux individus, la manière dont « les
formes sociales se maintiennent » et « mettent en jeu, pour persévérer dans
leur être, des formes spécifiques » (5), la manière dont l'individu est obligé
de « se différencier » pour se socialiser davantage, Durkheim examine (du
moins dans la première période de sa production) les faits sociaux
constitués, indépendamment de leur genèse, une fois qu'ils se sont
cristallisés et sont devenus des « choses ». Ce n'est même pas ce terme de
« chose » qui distingue la sociologie de Durkheim de celle de Simmel,
puisque toute la Philosophie de l'argent démontre à quel point les rapports
sociaux se « chosifient » (versachlichen) par l'introduction d'intermédiaires
(le fonctionnariat, la bureaucratie) chargés de gérer les relations entre les
personnes (collecte des impôts etc.). Simmel présente l'avantage de la
méthode génétique, Durkheim celui de l'examen scientifique du résultat
de cette chosification des faits sociaux. Pour Durkheim, la division du
travail a un caractère moral, car elle permet de faire prendre conscience
de la solidarité sociale; pour Simmel, la différenciation sociale, qui avait

(3) Emile Durkheim, Les règles de la (5) Simmel, Sociologie et epistemologie,


méthode sociologique, p. 5. p. 175.
(4) Ibid., pp. 102-103.

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aussi un certain caractère éthique (sittlich) dans Uber soziale Differenzie-


rung(6), conduit de plus en plus à la réification des rapports sociaux et
prendra de ce fait un caractère « tragique » (à partir de la Philosophie de
l'argent et surtout dans ses derniers textes sur la tragédie de la culture).
Mais si la lecture de la Différenciation sociale nous fait apparaître quelques
intuitions communes exprimées dans des approches différentes par Simmel
et Durkheim, nous verrons que les évolutions de la pensée de ces deux
auteurs les conduiront dans des directions opposées.

II. — La sociologie comme science autonome

Le chapitre sur la théorie de la connaissance de la science sociale de


la Différenciation sociale contenait un paradoxe : commençant par définir
la sociologie comme une « science éclectique », faite des résultats des
autres sciences, synthèse des Geisteswissenschaften, Simmel partait ensuite,
à travers une tentative de définition de la société, à la recherche d'un objet
pour la sociologie. Dans son article de 1894 sur « Le problème de la
sociologie », paru presque simultanément en Allemagne et en traduction
française dans la Revue de métaphysique et de morale, Simmel tirera les
conséquences de cette contradiction et rejettera sa première conception,
qui faisait de la sociologie une pure méthode, pour en proposer une autre,
la sociologie comme science spécifique autonome ayant un objet propre.
Simmel commence par montrer l'importance prise par les aspects
sociaux et collectifs dans les processus historiques et constate que les
explications sociologiques se répandent dans toutes les sciences humaines :
« La science de l'homme est devenue science de la société humaine » (7).
Mais, ajoute-t-il, « si cette tendance de la connaissance est devenue si
générale et pénètre partout, elle pourra bien servir de principe régulateur
pour toutes les Geisteswissenschaften, mais elle ne pourra pas fonder une
science spécifique autonome au milieu d'elles, ayant une position propre ».
« Si la sociologie devait réellement, comme on le lui demande, embrasser
l'ensemble des processus qui ont lieu dans la société et procéder à la
réduction de l'événement singulier au social, elle ne serait rien qu'un nom
global pour la totalité des sciences de l'esprit. Et de la sorte, elle ouvrirait
la porte aux généralisations vides et aux abstractions qui furent fatales à la
philosophie. » (p. 41; p. 164)

(6) Cf. p. 42 : « Plus le cercle social est travail social).


grand, plus les relations économiques sont (7) Simmel, « Das Problem der Soziolo-
développées, et plus je dois fréquemment gie » (1894), reproduit dans Das individuelle
servir les intérêts des autres si je vtax qu'ils Gesetz, 1968, p. 41 ; trad. fr. « Le problème de
servent les miens. Cela produit une moralisa- la sociologie » reproduit dans Sociologie et
tion (Versittlichung) de toute l'atmosphère epistemologie, pp. 163 sq. Nous citons ce
sociale... ». Cette thèse de Simmel, secon- texte successivement dans sa version alle-
daire dans son argumentation, deviendra mande puis française la plus accessible,
centrale chez Durkheim (De la division du

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Simmel renonce donc ici manifestement à sa conception de la sociologie


comme « science éclectique », qui ne serait qu'un autre nom pour
l'ensemble des sciences humaines et sociales. Dans cette acception, la sociologie
serait, nous l'avons vu, une sorte de philosophie des sciences sociales et
n'aurait pas plus le statut de science que par exemple l'induction. Comme
celle-ci, elle serait « une méthode de connaissance, un principe heuristique,
qui peut féconder une infinité de différents domaines du savoir, sans
cependant en constituer un à lui tout seul » (p. 42; p. 164). Or la sociologie
ne veut pas être un simple principe heuristique mais veut être une science.
Dans son article de 1897 écrit spécialement pour Y Année sociologique
(et traduit conjointement par Bougie et Durkheim), Simmel réitérera cette
argumentation :
« Pendant longtemps, il semblait que le mot de sociologie eût une vertu
magique. (...) C'est qu'on donnait pour objet à la sociologie tout ce qui se
passe dans la société; par suite tous les faits qui ne sont pas de l'ordre
physique semblaient être de son ressort. Mais cela même démontre l'erreur
qu'on commettait en procédant ainsi. Car c'est évidemment un non-sens que
de réunir tous les objets d'étude dont traitent déjà l'économie politique et
l'histoire de la civilisation, la philosophie et la politique, la statistique et la
démographie, dans une sorte de pêle-mêle auquel on accole cette étiquette
de sociologie. On y gagne un nom nouveau mais pas une connaissance
nouvelle. » (8)
De quelle manière la sociologie pourra-t-elle donc devenir une science
et quel sera son objet ? Dans son texte de 1890, Simmel avait découvert
le concept d'interaction (ou plus exactement généralisé à l'ensemble de la
société ce concept d'interaction que l'on trouve déjà chez Tônnies en
1887 (9) mais appliqué exclusivement à la Gemeinschaft, la «
communauté »), dans son article de 1894, Simmel introduit celui de « forme de
la socialisation » et donne pour tâche à la sociologie d'extraire ces
« formes » de leurs « contenus ».
« De même que la psychologie est devenue science en procédant à une
distinction entre ce qui est spécifiquement psychique et les matières
objectives, une sociologie proprement dite ne devra traiter que de ce qui est
spécifiquement social, la forme et les formes de la socialisation en tant que
telle, abstraction faite des intérêts et des contenus qui se réalisent dans et
par la socialisation. » (10)
Abandonnant alors la restriction qu'il avait faite en 1890, il voit
maintenant une société « partout où il y a interaction des individus », que
cette action laisse ou non une trace sensible, objective, cristallisée. Du
même coup, la sociologie de Simmel, qui s'acheminait d'après son premier
texte vers une étude des Gebilde constitués par la société humaine,
c'est-à-dire des créations, intellectuelles certes, mais concrètes, objectives,

(8) Simmel, « Comment les formes socia- (9) P. 12 de l'édition de 1922.


les se maintiennent », dans Sociologie et (10) Simmel, « Le problème de la socio-
épistémologie, pp. 171-172. logie », op. cit., p, 43; trad. : p. 165.

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cristallisées, consécutives à l'association des hommes, prend maintenant un
objet beaucoup plus abstrait (les formes de la socialisation) et Simmel
confie au sociologue la tâche extrêmement délicate de l'abstraction
scientifique. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de Simmel qu'au
moment même où il tente d'émanciper la sociologie de la philosophie et
de la fonder comme science, il donne une définition de la sociologie et
du travail du sociologue qui ne peut être mené à bien que par un
philosophe :
« Depuis la réunion éphémère de gens qui vont se promener ensemble
jusqu'à l'unité intime d'une famille ou d'une ghilde du Moyen-Age, on
constate les genres et les degrés les plus différents de socialisation. Les causes
et les buts particuliers, sans lesquels bien sûr il n'y a pas de socialisation,
constituent pour ainsi dire le corps, le matériau du processus social; que
l'effet de ces causes, que la recherche de ces fins entraînent précisément une
socialisation entre les individus porteurs (Tràger) du processus social, telle
est la forme que revêtent ces contenus. Séparer cette forme de ces contenus
au moyen de l'abstraction scientifique, telle est la condition sur laquelle
repose toute l'existence d'une forme spéciale de la société. »
Le concept de forme qu'introduit ici Simmel et qu'il maintiendra dans
ses ébauches successives, au point qu'il définira sa sociologie « sociologie
formale » (11), semble au premier abord permettre de considérer ce qui est
commun à diverses sociétés, divers types de socialisation des individus,
divers types d'association. Telle est du moins l'intention de Simmel, qui
voit les mêmes « formes » de socialisation se répéter à l'occasion de
multiples « contenus ». Ainsi, il trouvera dans les groupes sociaux les plus
divers des « formes » identiques de domination et de subordination, de
concurrence, de division du travail, ainsi que des hiérarchies, la
constitution de partis, etc. Mais plusieurs problèmes se posent néanmoins : est-ce
une méthode scientifiquement correcte de dissocier ainsi « forme » et
« contenu », comme si on pouvait isoler les formes de socialisation et les
considérer indépendamment de leur contenu, comme si toute forme n'était
pas forme d'un contenu ? Est-ce bien en cela que consiste « l'abstraction
scientifique » dont parle Simmel ? Et peut-on dire que Simmel a accompli
cette tâche dans sa sociologie ? En outre, l'étude des formes est la
condition, un présupposé pour une science de la société. En quoi consistera
cette science elle-même ? Simmel ne donne aucune indication sur ce à quoi
pourrait ressembler une telle science. La preuve en est son aveu
d'impuissance totale dès qu'il est question de problèmes de méthode : il parle
tout au plus de « méthode intuitive » ou d'apprentissage du « regard
sociologique ». Une sociologie peut-elle se contenter d'intuitions ou de
descriptions ou n'a-t-elle pas également une tâche de « construction du
monde social » ou plus exactement de « reconstruction » théorique de la

(11) Nous reprenons la traduction que renonce à juste titre au monstre « sociation »
donne Julien Freund de formale Soziologie pour Vergesellschaftung, au profit de « so-
dans son introduction à Sociologie et épisté- cialisation » (p. 84, n. 1).
mologie, p. 49. De même, Julien Freund

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réalité sociale que le savant a sous les yeux, reconstruction qui peut, elle,
varier selon la méthode de l'auteur ? Si tel est le cas, la méthode de
Simmel, qui consiste uniquement à dégager des « formes » de socialisation,
est tout à fait insuffisante. Ne s'agirait-il pas plutôt, une fois ces formes
dégagées, de déterminer ce qui est commun à ces différentes formes de
socialisation, afin d'arriver à dégager une sorte de « cellule » du social qui
permettrait de reconstruire l'ensemble de la société, formes et contenus ?
Le concept d'interaction, auquel celui de « forme » tend à se substituer,
me semblerait plus clair et plus productif. S'il était utilisé de manière
conséquente, le concept d'interaction de Simmel pourrait permettre de
montrer que des « formes » de socialisation comme la domination et la
subordination ou encore la division des groupes en partis ne sont pas
irréductibles mais sont des formes ď interaction sociale. L'effort de Simmel
est louable de ne pas commencer à étudier la société en la posant comme
quelque chose qui existe a priori. Fidèle à la tradition de la philosophie
allemande, il se demande « comment la société est-elle possible ? » (12),
quelle synthèse est nécessaire pour qu'une société ait lieu, et il montre que
la synthèse sociale est une synthèse qui a lieu entre les membres de la
société eux-mêmes, non dans la tête de l'observateur (13). Il est donc juste
de commencer par l'unité la plus petite et la plus abstraite qui soit,
susceptible de constituer une « cellule » de la société. L'interaction de
Simmel pourrait fort bien constituer une telle cellule, comme l'est
l'échange de marchandises chez Marx ou la pratique sociale (soziales
Handeln) chez Max Weber ou la pratique communicationnelle (kommu-
nikatives Handeln) chez Habermas. Le concept de forme me semble donc
en retrait par rapport à celui d'interaction qui allait plus loin. Ce n'est
d'ailleurs pas un hasard si le concept de forme n'est pas resté dans la
sociologie après Simmel, alors que celui de Wechselwirkung, sous le nom
anglais ď interaction, a fécondé toute la sociologie américaine.
Dès ce texte de 1894, on se rend compte que Simmel est incapable de
réaliser le programme qu'il se propose. Après avoir abandonné sa première
conception de la sociologie comme méthode des Geisteswissenschaften, il
tente de donner un objet à la science qu'il veut fonder, mais son concept
de « formes de la socialisation » est beaucoup trop imprécis, équivoque
et insaisissable pour être approprié à constituer le fondement d'une
sociologie. Simmel voulait donner une place à la sociologie à côté des
autres sciences sociales, afin qu'elle ne soit plus une simple méthode de
recherche, un pur principe heuristique régulateur des sciences de l'esprit;
mais il lui donne un objet si abstrait, alors que les autres sciences sociales
ont toutes un objet concret, que la sociologie peut difficilement être autre
chose, dans son esprit, qu'une philosophie des sciences sociales.

(12) Cf. Simmel, « Wie ist Gesellschaft (13) Ibid. Sur ce point, il diffère de sa
môglich ?» dans Soziologie, pp. 21 sq. position de 1890 (cf. ci-dessus).

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III. — Sociologie et psychologie

L'incapacité réelle de Simmel à fonder une science sur les principes


qu'il a énoncés se reflète dans son aveu d'impuissance sur la méthode de
la sociologie. N'ayant pas de méthode à proposer, il se contente d'affirmer
que la sociologie doit se servir de la psychologie.
« II y a une science propre de la société parce que certaines formes
spécifiques, à l'intérieur de la complexité de l'histoire, se laissent ramener
à des états et à des actions psychiques qui sortent directement de l'interaction
des individus et des groupes, du contact social. » (14)
Simmel s'avère ici être un disciple de Lazarus, pour qui la psychologie
doit servir de science rationnelle à l'histoire de l'humanité comme la
physique et la chimie à la biologie, ou comme la mécanique à la physique
et à la chimie (Bougie, 1896, p. 36).
On sait qu'à la même époque, Durkheim défend la théorie inverse dans
ses Règles de la méthode sociologique. Pour Durkheim, les faits sociaux
ayant pour caractéristique essentielle d'exercer un pouvoir sur les
consciences individuelles, c'est qu'ils n'en dérivent pas.
« En un mot, il y a entre la psychologie et la sociologie la même solution
de continuité qu'entre la biologie et les sciences physico-chimiques. Par
conséquent, toutes les fois qu'un phénomène social est directement expliqué
par un phénomène psychique, on peut être assuré que l'explication est
fausse. » (p. 103)
C'est du reste principalement ce point de la méthode de Durkheim que
Bougie critiquera dans son livre sur Les sciences sociales en Allemagne, avec
des arguments dignes d'attention qui pourraient être signés de Simmel :
« Mais remarquons que s'il n'y avait pas des consciences pour connaître,
pour interpréter, pour aimer les choses sociales, celles-ci seraient pour la
société comme si elles n'existaient pas. M. Durkheim reconnaît lui-même
qu'elles ne recèlent pas de puissance motrice et qu'elles sont le produit
d'actions humaines. Apparemment, si les consciences ne s'en mêlaient, les
faits sociaux ne s'exécuteraient pas d'eux-mêmes, comme certaines
expressions de M. Durkheim tendraient à le faire croire. Sans vie psychique, pas
de vie sociale (...). Ces réactions auxquelles les consciences individuelles, par
le seul fait de leur association, se trouvent soumises, sont évidemment des
phénomènes psychologiques se réalisant à travers le milieu physique. La
conscience de ces réactions spéciales peut conduire, comme le voulait
Lazarus, à l'idée d'une psychologie sociale distincte de la psychologie
individuelle, mais non pas à l'idée d'une sociologie sans psychologie. »
(p. 151)
A la réception du livre de Bougie (fin 1895), Durkheim lui répond dans
une lettre en reprenant cette question et en s'efforçant de rapprocher les

(14) « Le problème de la sociologie », p. 47; trad. : p. 168.

107
Revue française de sociologie

positions : « Je n'ai jamais dit que la sociologie n'avait rien de


psychologique en soi, et j'accepte tout à fait votre formule de la p. 151, selon laquelle
il s'agit d'une psychologie, mais d'une psychologie distincte de la
psychologie individuelle » (15). Sous l'influence de Bougie, la position de
Durkheim se rapproche donc de celle de Simmel, comme en témoigne cette
lettre de 1896 : « Encore une fois, je n'ai jamais songé à dire qu'on pouvait
faire de la sociologie sans culture psychologique, ni que la sociologie fût
autre chose qu'une psychologie (...). Un phénomène de psychologie
individuelle a pour substrat une conscience individuelle, un phénomène
de psychologie collective un groupe de consciences individuelles » (16).
Un an plus tard, Durkheim dira tout simplement que Simmel et lui-même
expriment la même pensée sous deux formes différentes (17). Ce faisant,
Durkheim se rapproche singulièrement, malgré ses dénégations (18), de la
Vôlkerpsychologie et de la psychologie sociale de Lazarus et Steinthal, chez
qui Simmel avait fait ses premières armes à Berlin et que Bougie avait
présentés au public français (19). Certes, Durkheim n'emploiera pour ainsi
dire jamais, pour sa part, le terme de « psychologie sociale », qui prête à
son avis à confusion, mais commence à utiliser celui de « psychologie
collective » qui trouvera son expression condensée dans le concept de
« représentations collectives » qu'il est en train de forger et qui apparaîtra
dans son article de 1898 sur « Représentations individuelles et
représentations collectives ».
C'est donc de la fin des années 1890 que date l'évolution de Durkheim
par laquelle il s'émancipe progressivement des schémas positivistes et
organicistes de Comte, Spencer et Scháffle, en partie sous l'influence des
Allemands qu'il lit avec régularité, et s'achemine vers une approche qui
étudie les mentalités collectives et la genèse des représentations collectives
qui s'imposent aux individus. Cette évolution se cristallisera quinze ans
plus tard dans son livre le plus achevé, les Formes élémentaires de la vie
religieuse. Le moindre des paradoxes n'est pas que c'est précisément au
moment où il s'approche le plus de Simmel qu'il l'attaque violemment et
de manière répétée, dans une revue italienne puis en France. Cette critique
de Simmel sera en outre l'occasion pour Durkheim de préciser sa
conception en ce qui concerne le statut de la sociologie et son rapport aux
autres sciences sociales.

(15) Lettre de Durkheim à Bougie du 14 (17) Lettre de juillet 1897, ibid., p. 402.
décembre 1895 (éditée par Ph. Besnard dans (18) Cf. Durkheim, « Sociologie et scien-
la Revue française de sociologie, 77(2) 1976, ces sociales », dans Textes 1, p. 153.
pp. 166-167). (19) Cf. Lazarus, cité par Bougie, op. cit.
(16) Lettre de décembre 1896, dans Тех- р. 20.
tes 2, p. 393.

108
Marc Sagnol

IV. — La sociologie comme corpus des sciences sociales


(Durkheim et Fauconnet)

Peu après leur éphémère collaboration à Y Année sociologique, Durkheim


publie un article dans la Rivista itaîiana di sociologia (1900), qui consacre
sa rupture avec Simmel. Cet article, intitulé « La sociologie et son domaine
scientifique », se présente à la fois comme une réponse aux textes
théoriques de Simmel parus dans des revues françaises et comme une
rectification de certaines positions contenues dans les Règles de la méthode
sociologique. La plupart des idées contenues dans cet article dirigé au
premier chef contre Simmel se retrouveront presque textuellement dans sa
préface à la seconde édition des Règles (1901). Il précisera ensuite de
nouveau sa position dans un article rédigé en collaboration avec Paul
Fauconnet pour la Revue philosophique (1903).
Dans « La sociologie et son domaine scientifique », Durkheim estime
le moment venu, pour la sociologie, de faire tous les efforts possibles pour
acquérir « une conscience plus élevée de son objet » et il va s'efforcer de
délimiter avec le plus de précision possible quel est le « domaine de la
sociologie », afin que celle-ci ne soit pas un « titre conventionnel appliqué
à un agrégat incohérent de disciplines disparates » (p. 14). Ce n'est pas à
la première conception de Simmel (la sociologie comme méthode des
autres sciences) que s'en prend Durkheim, mais à la seconde, selon
laquelle la sociologie aurait un objet propre, mais différent de celui des
autres sciences sociales, à savoir les « formes de socialisation » in abs-
tracto. Il semblerait, dit Durkheim, que de cette façon on assigne à la
sociologie un objet bien défini. « En réalité, nous croyons qu'une telle
conception ne sert qu'à la maintenir dans l'idéologie métaphysique dont
elle éprouve au contraire un irrésistible besoin de s'émanciper » (p. 16).
De quel droit, dit-il encore, sépare-t-on ainsi le contenant du contenu ?
« Pour exclure de la sociologie les différents phénomènes qui constituent
la trame de la vie sociale, il serait nécessaire de démontrer auparavant
qu'ils ne sont pas l'œuvre de la collectivité, mais qu'ils ont des origines
tout à fait différentes et viennent simplement prendre place dans le cadre
général que constitue la société » (p. 17). Or Simmel ne livre pas une telle
démonstration mais concentre son étude sur les « formes » de la
socialisation en les vidant de leur contenu. « Ce serait une idée tout à fait étrange
que d'imaginer le groupe comme une espèce de forme vide, de moule
indifférencié pouvant recevoir n'importe quelle matière ! » (p. 17).
Durkheim reproche principalement à Simmel sa distinction entre la forme et
le contenu de l'association humaine. Pour lui, les contenus de l'association
que sont, dans le langage de Simmel, le droit, les mœurs, les religions, les
Etats etc., sont indissociables des institutions et des formes particulières
qu'ils prennent réellement. En conséquence, la sociologie suppose la

109
Revue française de sociologie

connaissance préalable de « toutes ces sciences spéciales que l'on voudrait


mettre au dehors de la sociologie mais dont elle ne peut se passer » (p. 19).
Un autre aspect de la critique que Durkheim adresse à Simmel concerne
le problème des rapports entre sociologie et psychologie. C'est là que, à
la suite peut-être de sa correspondance avec Bougie sur ce problème, ainsi
que de son article sur « Représentations individuelles et représentations
collectives », il rectifie légèrement sa position abrupte des Règles de 1895 :
« II est sans doute vrai que tous les phénomènes fonctionnels de l'ordre
social sont psychologiques en ce sens qu'ils constituent un mode de pensée
et d'action. Mais pour que la sociologie puisse avoir une matière qui lui soit
propre, il faut que les idées et les actions collectives soient différentes par
nature de celles qui ont leur origine dans la conscience individuelle et
qu'elles soient en outre régies par des lois spéciales. » (p. 24)
II accuse ensuite Simmel de subir l'influence du « très vieux sophisme »
selon lequel, puisque la société est constituée d'individus et qu'on ne peut
avoir dans le tout que ce que l'on rencontre dans les parties, tout ce qui
est social est réductible à des facteurs individuels. Or, nous l'avons vu, si
Simmel affirme que la sociologie a besoin de la psychologie, il ne dit nulle
part à proprement parler que la sociologie se réduit à la psychologie. Dans
un article de 1896 intitulé « Zur Methodik der Sozialwissenschaft »,
Simmel l'exprime même très clairement, en des termes qui pourraient être
signés par Durkheim :
« Si la société doit être l'objet propre d'une science autonome, elle ne le
peut que parce que de la somme des individus qui la constituent naît une
nouvelle unité; sinon, tous les problèmes de la sociologie ne seraient que des
problèmes de psychologie individuelle. » (p. 233)

La position de Simmel ne se différencie donc pas fondamentalement


de celle de Durkheim sur ce problème. Durkheim ne fait que répéter de
manière plus insistante des choses qui sont implicites chez Simmel. Le fait
« qu'une association de consciences particulières devienne le champ
d'action de phénomènes sui generis que les consciences associées
n'auraient pu produire par la seule force de leur nature » (20) n'est nullement
mis en question par la sociologie de Simmel, et Durkheim prêche pour
ainsi dire un convaincu. Durkheim reprend l'exemple d'un organisme :
dans les atomes minéraux qui constituent la substance vivante, rien ne
révèle le moindre germe de vie. Mais cet exemple ne touche pas le fond
de la sociologie de Simmel puisque Simmel prend un exemple qui ne
diffère guère de celui-ci (et dans un texte que Durkheim connaissait
puisqu'il l'a lui-même traduit).
S'il est vrai que Simmel donne pour tâche à la science sociale non pas
d'étudier les phénomènes sociaux tels qu'ils apparaissent à l'échelle de la
société, mais de les étudier de près, par un procédé d'analyse qui ramène
le phénomène social à ses éléments simples, il n'entend nullement par là

(20) Durkheim, Textes 1, p. 25; cf. aussi Préface à la 2e éd. des Règles, p. xvn.

110
Marc Sagnol

qu'il faut réduire l'étude de la société à l'étude des individus qui la


composent ou, pour reprendre la métaphore de Durkheim, réduire la
substance vivante aux atomes minéraux dont elle est composée; Simmel
veut au contraire analyser la société en la réduisant à la plus petite
interaction qu'il trouve entre ses membres :
« Nous désignons chaque objet comme unitaire dans la mesure où ses
éléments se trouvent en rapports dynamiques mutuels. Si un être vivant
donne une telle impression d'unité, c'est parce que nous observons en lui
l'action la plus énergique de chaque élément sur chaque élément. » (21)
Simmel précisera ce point dans l'introduction de sa Sociologie de 1908
en se faisant l'apôtre d'une sociologie « microscopique » qui étudie la
société in statu nascendi. Durkheim au contraire postule dans cet article
qu'il existe réellement un règne social « aussi différent du règne individuel
que le règne biologique peut l'être du règne minéral » (22) et qui constitue
le domaine de la sociologie.
Mais faisant du « règne social » dans son ensemble le domaine de la
sociologie, Durkheim voit bien qu'il s'expose au reproche que lui a adressé
Simmel : les faits dont elle s'occupe sont déjà étudiés par d'autres sciences.
« La sociologie ne serait donc rien d'autre qu'une étiquette apposée sur
un assemblage plus ou moins cohérent de vieilles disciplines et n'aurait
de nouveau que le nom ? » (p. 32), demande-t-il en reprenant les termes
de Simmel.
Durkheim tente d'échapper à ce reproche en suggérant que les
différentes sciences sociales soient « des branches d'une science unique qui les
englobe toutes et à laquelle on donne le nom de sociologie » (p. 33),
essayant par là de donner des fondements théoriques à ce qu'on a appelé
son « impérialisme sociologique ». La sociologie est ici pour Durkheim
non seulement le « système des sciences sociales », mais une branche de
la sociologie intitulée « sociologie générale » est chargée de faire la
synthèse entre les différentes sciences et de montrer comment les éléments
s'unissent pour former un tout (pp. 35-36). Nous arrivons là à un paradoxe
étrange. Parti de la sociologie comme science « positive », Durkheim
débouche sur une conception de la sociologie générale comme discipline
synthétique, ce qui n'est pas sans rappeler la première ébauche de Simmel,
qui faisait aussi de la sociologie une science élaborant des synthèses à
partir des résultats des autres sciences. Si, d'un côté, la sociologie est pour
Durkheim l'ensemble, le « système » des sciences sociales, une sorte de
science sociale générale (le mot « général » étant pris en compréhension)
englobant toutes les autres, la discipline qu'il appelle, d'un autre côté,
« sociologie générale » (le mot « général » étant pris ici en extension)
semble n'être pas autre chose que la philosphie des sciences sociales. Nous
constatons donc à ce point de l'analyse sinon une incohérence, du moins
une incertitude dans la pensée de Durkheim quant au statut de la
sociologie.
(21) Simmel, Uber soziale Differenzie- (22) Durkheim, Textes 1, p. 31.
rung, p. 13.
111
Revue française de sociologie

Durkheim sera peut-être conscient de cette contradiction et reviendra


sur le problème des rapports qu'entretient la sociologie avec les autres
sciences sociales dans son article de 1903 sur « Sociologie et sciences
sociales », où il reprendra en la précisant sa critique de Simmel. Ce qu'il
essaye de montrer dans cet article (rédigé en commun avec Fauconnet) est
que la sociologie n'est ni le terme générique servant à désigner
collectivement l'ensemble des sciences historiques et sociales, ni une science
distincte des autres sciences sociales et ayant un objet et une individualité
propres. Durkheim oppose à ces deux positions, correspondant plus ou
moins aux deux ébauches successives de Simmel, celle de la sociologie
comme « système, ou corpus des sciences sociales » (23), ce qui est lié pour
lui à l'exigence d'un changement radical dans la méthode et dans
l'organisation de ces sciences, à savoir « qu'elles doivent être elles-mêmes des
sciences positives, s'ouvrir à l'esprit dont procèdent les autres sciences de
la nature » (p. 145). Cette exigence montre bien du reste que, même là où
on pourrait croire que Durkheim reprend à sa manière la toute première
proposition de Simmel (la sociologie comme science éclectique), un abîme
infranchissable les sépare sur le deuxième point puisque, lorsque Simmel
parle de la sociologie comme méthode des autres sciences (et il reprendra
cette proposition en 1908), il pense précisément aux Geisteswissenschaften,
c'est-à-dire à des sciences qui se distinguent des sciences de la nature par
le fait que leurs objets sont des « âmes », et qui exigent donc une méthode
spéciale, distincte de celle des sciences positives. La sociologie de
Durkheim au contraire ne deviendra une science englobant toutes les
autres que si celles-ci se plient à sa méthode, « prennent un caractère
sociologique », c'est-à-dire deviennent, elles aussi, des sciences positives.
Pour résumer la critique que Durkheim adresse à Simmel, je dirais qu'il
conteste principalement la distinction faite entre la forme de la
socialisation et le contenu et, partant, le fait que Simmel sépare la sociologie,
science des formes abstraites de socialisation, des autres sciences sociales
qui traitent des socialisations concrètes. C'est le statut de la sociologie qui
est en cause, science autonome ayant un objet abstrait et relativement flou
pour Simmel, science englobant toutes les autres sciences sociales pour
Durkheim et ayant même la volonté de les régir et de se constituer en une
philosophie des sciences sociales. Nous avons vu d'autre part que
l'accusation portée par Durkheim selon laquelle Simmel ferait une « psychologie »
et traiterait du monde social à partir des individus qui le composent n'est
pas vraiment pertinente (ou plutôt : pas encore), puisque Simmel ne fait
pas à proprement parler de « psychologie individuelle » mais cherche à
étudier les « interactions » élémentaires entre les individus.
La critique qui reste la plus exacte et la plus justifiée est l'accusation
d'incohérence du projet sociologique de Simmel : Simmel n'est pas
capable de bâtir une sociologie, se contente de variations philosophiques

(23) Durkheim et Fauconnet, « Sociolo- Textes 1, p. 121.


gie et sciences sociales », dans Durkheim,

112
Marc Sagnol

sur tel ou tel sujet de la vie sociale (24). Nous verrons du reste que cette
tendance ira en s'amplifiant.
Alors que Simmel et Durkheim étaient encore sur des positions
relativement proches dans les années 1890, ils se sépareront définitivement
l'un de l'autre au cours des années 1900, après cet article assez violent de
Durkheim, et ce paradoxalement en une période où Durkheim, travaillant
principalement à ses études de sociologie de la religion, accentue encore
son rapprochement avec la « tradition allemande ». Cette rupture
définitive est due principalement au fait que, dans ses études ultérieures (si l'on
fait abstraction de cette exception singulière que constitue son livre sur la
religion), Simmel accentuera les traits qui ne pouvaient que contrarier
Durkheim : l'aspect de plus en plus philosophique et métaphysique de sa
sociologie, la sociologie comme variation sur les thèmes les plus divers,
la psychologisation progressive de sa sociologie (comme si Durkheim avait
critiqué par anticipation les travaux ultérieurs de Simmel) et son
rapprochement toujours plus sensible avec les thèmes de Bergson et de la
philosophie de la vie.
Dans l'introduction de sa Sociologie de 1908, Simmel reprendra une
nouvelle fois sa définition du « problème de la sociologie » en y intégrant
des réponses aux critiques adressées par Durkheim et en y ajoutant de
nouveaux développements.

V. — De la sociologie à la métaphysique

Dans l'introduction de 1908, intitulée « Le problème de la sociologie »


(comme le texte de 1894), et qui constitue son texte théorique majeur (25),
Simmel part de la constatation que les revendications qu'élève la sociologie
en tant que science sont « le prolongement et le reflet théorique de la
puissance pratique que les masses ont conquise au cours du xixe siècle par
rapport aux individus » (p. 1). La science de la société, dit Simmel citant
implicitement la conception défendue par Durkheim, « apparut comme le
domaine embrassant tout le reste, dans lequel se rencontraient l'éthique
comme l'histoire de la civilisation, l'économie politique comme la science
des religions, l'esthétique comme la démographie, la politique comme
l'ethnologie, puisque les objets de ces sciences se réalisaient dans le cadre
de la société : la science de l'homme était science de la société » (p. 2).
« Mais en y regardant de plus près, ajoute-t-il, ce rassemblement de tous
les domaines du savoir existants ne produit rien de nouveau. Cela signifie
seulement que toutes les sciences historiques, psychologiques et normatives
sont jetées dans un grand pot auquel on accole l'étiquette : sociologie. Ce

(24) Durkheim, « La sociologie et son Formen der Vergesellschaftung (1908).


Redomaine scientifique », p. 19. grettons ici que Julien Freund ne l'ait pas
(25) Simmel, « Das Problem der Soziolo- intégré à son édition de textes de Simmel.
gie », Soziologie. Untersuchungen iiber die

113
Revue française de sociologie

faisant, on ne gagnerait qu'un nouveau nom, alors que tout ce qu'il désigne
est déjà dans son contenu ou dans ses rapports, ou est produit à l'intérieur
des provinces de recherche existantes. Le fait que la pensée et l'action
humaines ont lieu dans et par la société ne fait pas plus de la sociologie la
science embrassant tout le social que la chimie, la botanique et l'astronomie
ne sont contenues dans la psychologie parce que leurs objets ne sont réels
que dans la conscience humaine. » (p. 2)
II ne fait aucun doute que ce passage est rédigé à l'attention de
Durkheim et répond à son article sur « Sociologie et sciences sociales ».
Mais Simmel ne dit rien d'autre que Durkheim quand il affirme que la
découverte que l'homme vit en interaction avec d'autres hommes doit
conduire à un nouveau mode de considération des « sciences de l'esprit » :
on ne peut plus expliquer l'histoire comme si elle était l'œuvre d'individus,
la langue comme si elle était un don de Dieu, la religion comme si elle
était une invention de prêtres rusés ou au contraire une révélation etc. Tous
les phénomènes historiques peuvent maintenant être considérés comme
« l'incarnation d'énergies sociales dans des créations qui se tiennent et se
développent au-delà de l'individu » (p. 3). Mais là où Durkheim déduisait
de cette constatation qu'il fallait intégrer toutes les autres sciences dans
la sociologie afin qu'elles « s'orientent dans un sens nouveau » (26) et
deviennent des sciences positives, Simmel conclut que la sociologie, « dans
son rapport aux sciences existantes, est une nouvelle méthode, un auxiliaire
de la recherche permettant d'aider les manifestations de tous ces domaines
qui ont pris une voie nouvelle » (p. 3). Ainsi, la sociologie ne se comporte
guère différemment de l'induction naguère qui, nouveau principe de
recherche, a pénétré toutes les sciences possibles en les aidant à résoudre
de nouvelles tâches.
Cette définition de la sociologie est d'autant plus remarquable que
Simmel l'avait déjà exprimée une première fois en 1890, mais rejetée
explicitement en 1894. Ici au contraire, cette conception de la sociologie
est maintenue, juxtaposée à la suivante, selon laquelle la sociologie doit
être une science autonome ayant un objet propre. Simmel se demande
précisément quel objet peut faire de la sociologie une science autonome,
délimitée par des frontières. Il ne s'agit pas, précise-t-il, de découvrir un
objet jusqu'à présent inconnu. Ce que l'on désigne sous le terme d'objet
est « un complexe de relations et de déterminations, dont chacune peut
devenir l'objet d'une science particulière » (p. 3). Ces objets sont déjà
existants, mais il s'agit d'en définir le concept. A l'axiome de Durkheim,
selon lequel, « pour qu'une sociologie puisse exister, il est nécessaire que
se produisent dans chaque société des phénomènes dont cette société soit
la cause spécifique et qui n'existeraient pas si elle n'existait pas, et qui ne
sont ce qu'ils sont que parce qu'elle est constituée comme elle l'est » (27),
Simmel répond :

(26) Durkheim et Fauconnet, article cité, (27) Durkheim, « La sociologie et son


p. 145. domaine scientifique », p. 23.

114
Marc Sagnol

« Or pour qu'il y ait une société comme science autonome, il faut que le
concept de société en tant que telle, au-delà de la réunion extérieure de ces
phénomènes, soumette les faits socio-historiques à une nouvelle abstraction
et à un nouvel agencement, de telle sorte que certaines déterminations
observées jusqu'à présent uniquement dans de multiples autres connexions,
apparaissent comme liées et partant soient reconnues comme constituant les
objets d'une seule science. » (p. 4)
Un tel point de vue ne s'obtient qu'en procédant à la séparation entre
forme et contenu de la société. Une société, précise-t-il, se trouve là où
plusieurs individus sont en interaction. L'interaction entre les individus,
quel que soit son contenu (religieux, sexuel, professionnel etc.) produit une
unité qu'il appelle encore « socialisation » (Vergesellschaftung). Une unité
(un corps organique, un Etat etc.) n'est pas pour Simmel la somme de ses
parties mais la somme des interactions qui la constituent. Ce que Simmel
appelle le « contenu » ou la « matière » de la socialisation est défini
comme étant tout ce qui, chez les individus, conduit à la production
d'interactions : les instincts, les intérêts, les buts, les inclinations, les états
et les mouvements psychiques. Ces « contenus » ne sont pas
immédiatement sociaux, ce sont des « matériaux dont la vie est remplie » (expression
par laquelle Simmel introduit pour la première fois le concept de vie,
Leben, dans sa sociologie), ils ne constituent une socialisation que
« lorsqu'ils structurent la juxtaposition des individus en des formes
déterminées de coordination et de coopération », que Simmel nomme
interactions.
Poursuivant sa recherche de l'objet que doit avoir la sociologie, Simmel
constate que, s'il doit y avoir une science dont l'objet est la société et rien
d'autre, elle ne peut et ne doit analyser que ces « formes de socialisation
et d'interaction ». Cette méthode, consistant à séparer l'inséparable au
moyen de « l'abstraction scientifique », lui semble « l'unique possibilité de
fonder une science spéciale de la société » (p. 6).
Pour qu'une telle séparation entre forme et contenu soit possible, il faut
que la même forme de socialisation se trouve dans des contenus différents
et que tel contenu puisse revêtir plusieurs formes (comme c'est le cas par
exemple en géométrie). Et effectivement, Simmel constate, d'une part, que
des groupes aux intérêts divergents présentent des formes identiques :
concurrence, subordination, division du travail etc. et, d'autre part, que par
exemple le même intérêt économique peut être atteint aussi bien par la
concurrence que par l'organisation planifiée des producteurs.
Ce fait est bien sûr indéniable, mais ne prouve nullement que l'étude
de ces « formes » puisse être l'objet d'une science. Simmel remarque à
juste titre que toutes les autres sciences sociales ont été constituées en
fonction de contenus. Précisément, dit-il, tous les phénomènes sociaux
étant étudiés, du point de vue de leurs contenus, par les autres sciences,
il ne resterait plus rien pour la sociologie. Si la sociologie devait étudier
la totalité des phénomènes sociaux, elle ne serait autre que la réunion de

115
Revue française de sociologie

toutes ces sciences (ou, pour parler comme Durkheim, le corpus des
sciences sociales). Pour que la sociologie ait néanmoins une place en tant
que science, il faut donc que soit tracée une ligne à travers tous les autres
domaines du savoir, qui délimite « le fait pur de la socialisation », le
dissocie de ses contenus et le constitue en un domaine spécifique. Ainsi,
la sociologie deviendra une science spéciale, au même titre que la théorie
de la connaissance, qui abstrait elle aussi, de la multiplicité des
connaissances, les catégories et les fonctions du connaître. La sociologie est un
type de science dont la spécificité est de « placer un domaine entier
d'objets sous un point de vue particulier » (p. 8). Ce n'est donc pas son
objet qui la distingue des autres sciences historico-sociales, mais son
« mode de considération, son mode d'abstraction ».
La différence entre l'approche de Simmel et celle de Durkheim apparaît
ouvertement dans la manière dont ils se servent de l'exemple biologique.
Durkheim avait accusé Simmel de ne pas voir que la société produisait des
phénomènes smí generis qu'on ne retrouvait pas dans les membres
individuels de celle-ci et invoquait l'exemple de la biologie, montrant que les
phénomènes de la vie ne peuvent se trouver dans les particules minérales :
« La vie ne saurait se décomposer ainsi; elle est une et, par conséquent,
elle ne peut avoir pour siège que la substance vivante dans sa totalité. Elle
est dans le tout, non dans les parties. » (28)
Simmel répond directement à cette accusation en montrant que la vie
n'est pas dans le tout mais dans les interactions :
« Ce n'est que lorsque furent étudiés les processus qui ont lieu à l'intérieur
des organismes, et dont la somme ou l'enchevêtrement est la vie, ce n'est que
lorsqu'on comprit que la vie n'a son siège que dans des processus particuliers
auprès de et entre les organes et les cellules, c'est alors seulement que la
science de la vie eut acquis des bases solides. » (p. 9)
Sur ce point, c'est bien Simmel qui a raison contre Durkheim, puisque
la vie se réduit bien aux combinaisons qui ont lieu entre les cellules et n'est
pas dans le tout avant d'être dans les parties, ni dans les parties avant
d'être dans le tout, mais dans les interactions avant d'être dans l'ensemble
de celles-ci. Simmel est donc tout à fait cohérent avec lui-même quand il
annonce qu'il va faire une sociologie « microscopique », une sorte de
microsociologie avant la lettre :
« II existe, outre ces phénomènes visibles de loin et qui s'imposent de
toutes parts par leur grandeur et leur importance extérieure, un nombre
incommensurable de formes de relations et de sortes d'interactions entre les
hommes, plus petites, se manifestant parfois à peine, mais qui produisent
pourtant la société telle que nous la connaissons. » (pp. 14-15)
Ce qui rend l'étude scientifique de tels phénomènes plus difficile, c'est
aussi ce qui les rend incomparablement importants pour la compréhension
de la société : c'est le fait « qu'ils ne sont pas encore cristallisés en des

(28) Durkheim, préface à la T éd. des Règles, (1901), p. xvi.

116
Marc Sagnol

créations intellectuelles (Gebilde) fixes, supra-individuelles, mais montrent


la société pour ainsi dire in statu nascendi» (p. 15).
« Perpétuellement se noue et se dénoue et se noue à nouveau la
socialisation parmi les hommes, flux éternel, pulsation qui enchaîne les
individus même là où elles ne s'élèvent pas pour constituer des organisations
proprement dites. Ici, il s'agit pour ainsi dire des processus microscopiques
moléculaires à l'intérieur du matériau humain, lesquels sont cependant le
déroulement (Geschehen) réel, qui ensuite seulement s'enchaîne ou s'hyposta-
sie en ces unités et systèmes macroscopiques. » (p. 15)
Nous voyons ici très nettement que dans ce texte de 1908, les thèmes
de la philosophie de la vie (comme le flux, la pulsation) sont de plus en
plus présents dans la pensée de Simmel et s'introduisent dans sa sociologie.
Nous voyons également le chemin parcouru depuis la Différenciation
sociale : alors qu'en 1890, il estimait que seules pouvaient être considérées
comme « sociales », et donc comme objets de la sociologie, les interactions
qui prenaient une forme objective et s'autonomisaient par rapport aux
personnes qui les créaient, et rejetait donc explicitement de sa sociologie
les rencontres éphémères entre deux personnes au cours d'une promenade
ou d'une conversation; alors qu'en 1894 il intégrait à sa sociologie aussi
bien les phénomènes durables (comme l'unité d'une ghilde du Moyen Age)
que les rencontres éphémères; ici, en 1908, il exclut pratiquement de sa
sociologie les formations intellectuelles cristallisées pour se concentrer
uniquement sur les interactions quotidiennes, sur tout ce qui est en rapport
avec les rencontres entre individus :
« Le fait que les hommes se regardent mutuellement ou qu'ils soient
jaloux les uns des autres; le fait qu'ils s'écrivent des lettres ou déjeunent
ensemble; le fait qu'ils se trouvent, indépendamment de tout intérêt saisis-
sable, sympathiques ou antipathiques; le fait que la gratitude envers une
action altruiste produise une chaîne d'obligations indissolubles; (...) — ces
milliers de relations de personne à personne, momentanées ou durables,
conscientes ou inconscientes, passagères ou aux multiples conséquences,
nous attachent constamment les uns aux autres (...). C'est là que résident les
interactions entre les atomes de la société, accessibles uniquement à la
microscopie psychologique, qui portent toute la dureté et l'élasticité, le
caractère unitaire et multiple de cette vie si précise et si énigmatique de la
société. » (p. 15. Souligné par moi)
Ainsi, la sociologie de Simmel s'oriente-t-elle inéluctablement vers une
« microscopie psychologique », et de là vers une analyse psychologique
des relations individuelles. Son tournant vers la philosophie de la vie le
conduit à ne plus étudier la société que comme un organisme vivant dont
il s'agit plus de décrire les formes par lesquelles se manifeste la vie que
d'expliquer le fonctionnement. Comme si les accusations portées par
Durkheim entre 1900 et 1903 avaient anticipé l'évolution de Simmel,
celui-ci renoncera dès à présent aux grandes études de sociologie (dont
celle sur Comment les formes sociales se maintiennent était un des meilleurs
exemples) pour se contenter, la plupart du temps, de « simples variations
philosophiques sur certains aspects de la vie sociale choisis plus ou moins

117
Revue française de sociologie

au hasard» (29), et mêlant presque indifféremment sociologie et


philosophie, sociologie et psychologie.
Il affirmera donc dans cette introduction à sa Sociologie que les études
qu'il présente ne semblent pas être autre chose que « des chapitres de
psychologie, en tout cas de psychologie sociale » (pp. 16-17). Chaque
histoire, chaque description d'un état social exige la mise en œuvre d'un
« savoir psychologique ».
Certes, Simmel remarque que « le traitement scientifique de faits
psychiques ne doit pas être nécessairement de la psychologie » (p. 17), il
n'en reste pas moins que sa méthode, comme le remarquait déjà Paul
Barth, est « psychologique malgré lui » (30). Simmel termine du reste sa
démonstration par une aporie :
« Les données de la sociologie sont donc des processus psychiques dont
la réalité immédiate s'offre en premier lieu aux catégories psychologiques;
mais celles-ci, bien qu'indispensables à la description des faits, restent
extérieures aux buts de la considération sociologique, qui réside bien plutôt
dans la présentation du caractère chosal (Sachlichkeit) de la socialisation,
lequel est porté par des processus psychiques et ne peut être décrit que par
eux. » (p. 17)
Ce paradoxal adieu à la sociologie qui s'amorce dans ce monumental
ouvrage à l'apparence d'un traité est formulé de manière presque explicite
à la fin de son introduction, où il affirme que, « comme toute autre science
exacte », la science sociale est délimitée par deux domaines
philosophiques : l'un, la théorie de la connaissance, étudie les conditions, les
présupposés, les concepts fondamentaux de la recherche, l'autre, la
métaphysique, conduit les développements de la recherche à un achèvement
qui n'a pas de place dans l'expérience et dans le savoir objectif :
« L'insatisfaction devant le caractère fragmentaire des connaissances
singulières, devant le fait que les choses objectivement constatables et les
chaînes de démonstrations sont vite épuisées, conduit à vouloir améliorer ces
imperfections avec les moyens de la spéculation. » (p. 20)

Définissant les deux domaines philosophiques qu'il considère comme


limitrophes de la sociologie, Simmel décrit plus son propre cheminement
qu'il ne trace les frontières véritables de la science sociale. Il est vrai que,
parti d'études sur la théorie de la connaissance, il a frayé un chemin à la
sociologie avant de se réfugier dans la métaphysique. Faut-il en conclure
que la spéculation soit un complément indispensable à la sociologie ?

(29) Durkheim, Textes 1, p. 19. (30) Paul Barth, Die Philosophie der
Geschichte als Soziologie, p. 153.

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Marc Sagnol

Conclusion

Nous avons tenté de suivre l'évolution de la pensée de Simmel sur le


problème de l'objet et du statut de la sociologie. La comparaison avec
l'approche de Durkheim nous a permis de mieux cerner les positions, de
découvrir des « interactions » entre la pensée de Simmel et celle de
Durkheim, de constater l'existence d'un dialogue entre les deux fondateurs
de la sociologie et de faire apparaître les aspects paradoxaux des deux
tentatives. Alors que, dans les années 1890, leurs positions sont encore
proches par certains côtés, tous les deux ayant le sentiment justifié que la
sociologie ne pourra être fondée que si on arrive à déterminer la spécificité
de la chose sociale, ils s'expriment dans un langage trop différent pour que
le dialogue se transforme en véritable collaboration. Alors que Durkheim,
parti de la tradition de Comte, Spencer et Schaffle, c'est-à-dire de la
sociologie positive, se rapproche progressivement, vers la fin des années
1890, de la « tradition allemande » et commence à parler de « psychologie
collective », il attaque sévèrement Simmel dans un article qui met un terme
à toute possibilité de coopération, au niveau international, entre les deux
figures de proue de la sociologie. Dans sa réponse, non seulement Simmel
ne tentera pas de se justifier ou de se défendre contre certaines accusations
pertinentes de Durkheim, mais accentuera encore les traits qui mettent en
question le caractère scientifique de sa sociologie : objet abstrait et
imprécis, absence de méthode, utilisation de simples exemples comme
preuves à l'appui d'affirmations sociologiques.
Parti d'une définition de la sociologie comme science éclectique,
synthèse, méthode, sorte de philosophie des sciences sociales, Simmel a
essayé de fonder la sociologie comme science et de lui trouver un objet :
logiquement il a donc renoncé à sa première définition. Mais l'objet qu'il
attribue à la sociologie est si abstrait (les formes de la socialisation) et la
détermination de cet objet au moyen de l'abstraction scientifique est une
tâche si philosophique qu'on ne voit guère ce qui distingue cette deuxième
approche d'une « philosophie des sciences sociales ». Aussi juxtapose-t-il
les deux définitions (sociologie comme méthode et comme science) à partir
de 1908. Dans sa dernière tentative, celle de 1917, il réaffirmera même
clairement : « La sociologie n'est pas seulement une science ayant ses
propres objets, distincts en vertu de la division du travail de ceux des
autres sciences, mais elle est aussi devenue une méthode des sciences
historiques et des sciences de l'esprit » (31). L'œuvre de Simmel apparaît
comme une recherche au terme de laquelle on ne sait toujours pas avec
précision ce qu'est la sociologie.
A cet égard, la Philosophie de l'argent (1900) constitue un texte charnière
entre les deux moments de la pensée de Simmel, non seulement par sa date

(31) Simmel, Grundfragen der Soziologie, dans Sociologie et epistemologie, p. 93.

119
Revue française de sociologie

mais par son contenu. Cet ouvrage, qui est en de nombreux points le plus
achevé de Simmel, qui a assis sa réputation internationale, a eu une
profonde influence sur toute une génération de penseurs allemands et a
été traduit en toutes les langues européennes importantes (sauf en
français), doit être lu comme un instantané ou un « cristal » de la pensée de
Simmel dans son équilibre instable, à la frontière entre matérialisme
historique et philosophie de la vie : il est à la fois l'aboutissement de ses
travaux des années 1890 sur les Gebilde, les formations sociales créées par
l'homme dans le but de permettre Г« hérédité de l'acquis », et leur
autonomisation, travaux qui aboutiront à la création du concept de
Versachlichung, chosification ou réification, qui prolonge les études de
Marx sur le caractère fétiche de la marchandise; et, simultanément, le
premier de ses ouvrages de métaphysique et de philosophie de la vie,
l'argent étant pour Simmel une forme sous laquelle se manifeste la « vie »
(Leben) de la société, une objectivation de la vie, et ses développements
sur la dissociation croissante entre culture objective et culture subjective,
esprit objectif et esprit subjectif, forme et vie, constituant les premières
formulations de sa théorie de la « tragédie de la culture» telle qu'elle
prendra forme à partir de 1910.
Un bilan de la sociologie de Simmel devrait faire ressortir ce qui lui
a survécu: le concept d'interaction, la microsociologie, la sociologie de la
grande ville, la sociologie du conflit, la sociologie de la culture, l'étude du
problème de la réification, mais aussi (bien que ce soit moins connu) la
sociologie de la religion. Ce bilan est loin d'être mince et devrait inciter
à connaître et à lire Simmel, sans chercher pourtant chez lui des réponses
à des problèmes sociologiques qu'il n'a fait en général que soulever.
Nous avons vu que Durkheim, malgré sa cohérence beaucoup plus
grande que celle de Simmel, avait également quelques hésitations sur le
problème du statut de la sociologie. Les rapports entre sociologie et
psychologie, sociologie et philosophie ou entre sociologie et sciences
sociales ne sont pas réglés par Durkheim de manière définitive. Même
lorsqu'il définit la sociologie comme le corpus des sciences sociales, sorte
de science englobant toutes les autres sciences sociales, il laisse subsister
une discipline, qu'il appelle sociologie générale et qui est chargée pour
ainsi dire de faire la philosophie des sciences sociales — se rapprochant
de la sorte également de la conception de Simmel.
Notre étude nous a permis de voir quels étaient les problèmes discutés
il y a près d'un siècle à l'époque où fut fondée la sociologie comme science.
Nous avons vu deux stratégies différentes pour la fondation de cette
science, l'une dans le cadre des Geisteswissenschaften et de la philosophie
de l'histoire, l'autre dans le cadre des sciences positives, même s'il y a chez
Durkheim une émancipation progressive des schémas de Comte dont ses
premiers textes sont empreints. Nous avons vu aussi deux réponses
différentes au problème des rapports entre sociologie et sciences sociales.
Tout ce que nous pouvons constater, près de cent ans plus tard, est que
la plupart de ces problèmes ne sont pas résolus : psychologie sociale ou

120
Marc Sagnol
sociologie des faits sociaux, micro-sociologie ou macro-sociologie,
compréhension inter-subjective et étude des comportements ou connaissance
objective de réalités sociales et de courants sociaux, toutes ces écoles
coexistent encore actuellement. La sociologie est-elle une science sociale
parmi d'autres ou entend-elle régir les autres sciences en en faisant la
philosophie ? La réponse à cette question dépend, aujourd'hui comme
hier, de l'ambition des sociologues.
Marc SAGNOL
Freie Universitàt Berlin,
Institut fur Philosophie

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