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16 | 2022
Année 2021-2022
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/philonsorbonne/2055
DOI : 10.4000/philonsorbonne.2055
ISSN : 2270-7336
Éditeur
Publications de la Sorbonne
Édition imprimée
Date de publication : 27 février 2022
Pagination : 13-30
ISSN : 1255-183X
Référence électronique
Sacha BEHREND, « Le rapport entre imagerie mentale et perception à la lumière des sciences
cognitives », Philonsorbonne [En ligne], 16 | 2022, mis en ligne le 27 février 2022, consulté le 06 juin
2022. URL : http://journals.openedition.org/philonsorbonne/2055 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
philonsorbonne.2055
Sacha B EHREND
Introduction
Similarités phénoménologiques
Pour comprendre la définition que nous avons donnée de l’imagerie
mentale, il faut également dire en quoi cette faculté utilise des mécanismes
qui relèvent de la perception visuelle, ou en d’autres termes en quoi elle est
quasi-perceptuelle. La première raison de dire que l’imagerie mentale est
percepts et les images mentales. Ce que l’on peut conclure de ces résultats
n’est donc pas que les percepts et les images mentales sont toujours
entièrement similaires d’un point de vue phénoménal. La conclusion est
plutôt qu’il existe bien des cas où les sujets confondent ce qu’ils voient et
ce qu’ils visualisent. On peut donc en inférer une similarité phénoménale
partielle.
Similarités comportementales
Mais la similarité phénoménale partielle entre l’imagerie mentale et la
perception visuelle est insuffisante pour fonder la thèse selon laquelle
la première est une faculté quasi-perceptuelle. En rester à cet argument
reviendrait à faire reposer cette thèse sur des intuitions introspectives.
On peut ajouter à la similarité phénoménale partielle des données
expérimentales concernant le comportement lors des épisodes de perception
visuelle ou d’imagerie mentale. Des études montrent ainsi que des saccades
oculaires se produisent lorsque l’on visualise des objets avec les yeux fermés
et que les mouvements observés correspondent à ceux qui ont lieu pendant la
perception visuelle. Brandt et Stark ont ainsi montré que des mouvements
oculaires spontanés pendant l’imagerie mentale correspondent à la scène
visualisée9. Ils ont étudié le chemin parcouru par les yeux des sujets
lorsqu’ils devaient regarder une grille en damier dont le motif était irrégulier.
Ils ont ensuite comparé la forme du balayage visuel au chemin parcouru
lorsque les sujets se contentent de visualiser la grille en son absence. Le
chemin parcouru par les yeux dans la perception et la visualisation
partageaient une grande similarité. Ces résultats montrent que la similarité
entre imagerie mentale et perception visuelle n’est pas seulement
phénoménale. Il y a aussi une grande similarité dans les comportements
oculo-moteurs qui sont adoptés.
Un autre ensemble de données expérimentales, que l’on peut également
considérer comme comportementales, montre qu’il existe des interférences
entre la perception visuelle et l’imagerie mentale. Ce phénomène
d’interférence est maintenant appelé « l’effet Perky » dans la littérature
scientifique, bien qu’il diffère des conclusions que la psychologue du même
nom avait tirées de l’expérience que nous avons précédemment décrite.
L’effet Perky désigne plus précisément le fait que la génération d’une image
mentale réduit la sensibilité aux stimuli visuels réels. En d’autres termes,
le seuil de détection des stimuli visuels est augmenté lorsque l’imagerie
mentale est utilisée en même temps que la perception visuelle. De
nombreuses études ont montré l’existence de ce phénomène d’interférence10.
9. S. A. Brandt et L. W. Stark, « Spontaneous eye movements during visual imagery reflect the
content of the visual scene », Journal of Cognitive Neuroscience, 9(1), 1997, p. 27-38.
10. S. J. Segal et V. Fusella, « Influence of imaged pictures and sounds on detection of auditory
and visual signals », Journal of Experimental Psychology, 83, 1970, p. 458-464. Mais voir aussi
A. Reeves, R. Grayhem et C. Craver-Lemley, « The Perky effect revisited: Imagery hinders
perception at high levels, but aids it at low », Vision Research, 167, 2020, p. 8-14.
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11. S. M. Kosslyn, « Measuring the visual angle of the mind’s eye », Cognitive Psychology, 10,
1978, p. 356-389.
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Similarités neurales
Mais la raison principale d’affirmer que l’imagerie mentale fait appel
à des mécanismes relevant également de la perception visuelle, c’est-à-dire
qu’elle est similaire à la perception visuelle ou quasi-perceptuelle, doit être
cherchée dans les données fournies par la neuropsychologie. C’est en effet
en étudiant les corrélats neuraux de divers phénomènes et tâches
psychologiques que les chercheurs ont découvert que l’imagerie mentale
et la perception visuelle ont des corrélats neuraux en commun. Plus
précisément, de multiples études portant sur la neurophysiologie de certains
singes et des êtres humains ont montré que les aires du cerveau responsables
de la perception visuelle et de l’imagerie mentale sont partiellement les
mêmes.
Ainsi, Goldenberg et ses collègues13 ont utilisé la tomographie par
émission monophotonique (TEMP ou SPECT) pour chercher à savoir quelles
aires cérébrales sont activées lorsque les sujets utilisent l’imagerie pour
répondre à des questions. Goldenberg et ses collègues ont comparé l’activité
cérébrale lorsque les sujets répondent à deux types de questions. L’un des
types requiert de visualiser l’objet ou les objets (comme « le vert des pins
est-il plus sombre que le vert du gazon ? ») et l’autre type n’exige pas de
visualisation (comme « l’impératif catégorique est-il une ancienne forme
grammaticale ? »). Les questions nécessitant le recours à l’imagerie
augmentent le flux sanguin dans les régions occipitales, relativement aux
autres questions. Or les lobes occipitaux contiennent de nombreuses aires
qui sont utilisées dans la perception visuelle.
Roland et Friberg14 ont demandé à des sujets d’imaginer qu’ils
marchaient le long d’un chemin à travers leur quartier, prenant d’abord
à droite, plus à gauche, et ainsi de suite. Avant d’effectuer cette tâche
d’imagination, les sujets ont respiré du xénon 133. Roland et Friberg ont
ensuite comparé la structure du flux sanguin dans cette tâche d’imagerie
spatiale avec la structure du flux sanguin apparaissant lorsque les sujets
se reposent simplement avec les yeux fermés. Ils ont trouvé que l’imagerie
15. S. M. Kosslyn, W. L. Thompson et G. Ganis, The Case for Mental Imagery, op. cit ;
I. P. Winlove Crawford, F. Milton, J. Ranson, J. Fulford, M. MacKisack, F. Macpherson et
A. Zeman, « The neural correlates of mental imagery: A co-ordinate-based meta-analysis »,
Cortex, volume 105, 2018, p. 4-25.
16. G. Ganis, W. L. Thompson et S. M. Kosslyn, « Brain areas underlying visual mental
imagery and visual perception: an fMRI study », Cognitive Brain Research, 20, 2004,
p. 226-241.
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17. M. Arcangeli, « The Two Faces of Mental Imagery », Philosophy and Phenomenological
Research, 101/2, 2019, p. 304-322.
18. J. Heal, « Simulation, theory and content », in P. Carruthers et P.K. Smith (eds.), Theories
of Theories of Mind. Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
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19. C. Abell et G. Currie, « Internal and External Pictures », Philosophical Psychology, 12(4),
1999, p. 429-445.
20. Ibid., p. 437.
21. S. M. Kosslyn, W. L. Thompson et G. Ganis, The Case for Mental Imagery, op. cit.,
p. 151-152.
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22. G. Currie et I. Ravenscroft, Recreative Minds, Oxford, Clarendon Press, 2002, p. 66.
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similarité phénoménale entre les deux facultés. Malgré tout cela, il faut être
prudent : ce que ces arguments et données établissent est qu’il existe des
cas où les sujets confondent l’imagerie mentale et la perception visuelle.
Néanmoins, il faut préciser que la plupart des expériences récentes
concernant les rapports non-neuraux entre ces deux facultés montrent plutôt
l’existence d’interférences, au sens où le maintien d’une image mentale
pendant l’exécution d’une tâche mobilisant la perception visuelle fait baisser
l’acuité visuelle des sujets. Ces expériences ne concluent ainsi pas sur la
confusion systématique, chez les sujets, entre percepts visuels et images
mentales. Il faut donc rester prudent sur la similarité phénoménale entre les
produits des deux facultés. Il nous semble pour cette raison plus judicieux de
ne pas inclure de condition concernant la similarité phénoménale dans notre
définition de la simulation psychologique.
Nous pouvons donc reprendre la définition D3 pour arriver à une
définition pleinement convaincante de la simulation psychologique :
26. R. Koenig-Robert et J. Pearson, « Why do imagery and perception look and feel so
different? », Phil. Trans. R. Soc. B, 376, 2021, 20190703.
27. Les signaux feedforward sont, dans ce cas, ceux qui sont envoyés vers les aires de
traitement supérieures. Au contraire, les signaux feedback sont ceux qui sont renvoyés vers
les aires de bas niveau dans le but d’adapter les entrées du système venant de la rétine.
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28. J. Bergmann, A. T. Morgan et L. Muckli, « Two distinct feedback codes in V1 for ‘real’
and ‘imaginary’ internal experiences », BioRxiv, 2019, 664870.
29. F. Aitken, G. Menelaou, O. Warrington, R. S. Koolschijn, N. Corbin, M. F. Callaghan
et P. Kok, « Prior expectations evoke stimulus templates in the deep layers of V1 »,
PLoS Biol, 18(12), 2020.
30. S. J. Lawrence, D. G. Norris et F. P. de Lange, « Dissociable laminar profiles of concurrent
bottom-up and top-down modulation in the human visual cortex », eLife, 8, e44422, 2019.
31. L. Muckli, F. De Martino, L. Vizioli, L. S. Petro, F. W. Smith, K. Ugurbil et E. Yacoub,
« Contextual feedback to superficial layers of V1 », Curr. Biol. 25, 2015, p. 2690-2695.
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Conclusion