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TEXTE NOTES
TEXTE INTÉGRAL
1Œuvrer est ce qui accomplit et achève ce que l’homme pense, et
ce qu’il dit. C’est pourquoi, puisque dans le titre précédent nous
avons traité de la façon dont le roi doit être dans ses paroles,
nous voulons ici dire comment il convient qu’il soit dans ses
œuvres. Et nous exposerons ce que veut dire « œuvre », et
pourquoi ce nom, et combien de sortes d’œuvres il existe, et quel
profit vient d’une œuvre quand elle est bien faite, et quel
dommage quand elle n’est pas faite comme il se doit. Et cela est
pleinement démontré par les lois de ce titre.
15Le roi ne doit pas désirer ce qui va contre le droit, car d’après ce
qu’ont dit les sages qui ont fait les lois anciennes, le roi ne doit
pas plus désirer cela que ce qui ne peut pas être selon nature. Et
avec cette opinion s’accorde la sentence du noble empereur
Justinien, qui, à propos de lui-même et des autres empereurs et
rois, a défini leur pouvoir comme ce qu’ils pourraient faire dans le
respect du droit. Et pour que le roi puisse respecter cela, il est
nécessaire qu’il agisse en bon justicier et qu’il soit mesuré dans
ses dépenses et dans ses faveurs, et qu’il n’en fasse pas
d’importantes là où il ne convient pas d’en faire. En effet, s’il agit
en bon justicier, il n’aura pas le désir de faire une chose où se
trouve tort ou vilénie, et s’il est mesuré, il n’aura pas de raison de
désirer ce qui est superflu et sans profit, et il fera ce qu’a dit le roi
Salomon, selon qui le roi juste et épris de justice gouverne bien sa
terre, et celui qui est cupide à l’excès, celui-là la détruit13. Et bien
que le roi soit seigneur de son peuple pour le maintenirdans la
justice et être servi par lui, il doit malgré tout veiller sur lui afin
qu’il ne lui fasse pas défaut lorsqu’il aura besoin de lui, car selon
ce qu’a dit Aristote à Alexandre, le meilleur trésor que possède le
roi, et le dernier qu’il puisse perdre, c’est le peuple, quand on
veille bien sur lui. Et avec cela concorde ce qu’a dit l’empereur
Justinien, selon qui le royaume et le trésor de l’empereur ou du
roi sont riches et considérables lorsque ses vassaux sont riches et
sa terre considérable. Et pour toutes les raisons susdites, le roi n’a
pas à avoir le désir de grandes richesses, car d’après ce que
[Salomon] a également dit, l’homme qui est très cupide plonge sa
maison dans la tristesse et la discorde14. Et le même a encore dit
en un autre endroit15 que la cupidité, quand elle est excessive,
détruit et gâte la pensée de l’homme, de telle sorte que dans son
désir de richesses, il ne connaît pas la mesure et ne sait ni où
commencer ni où s’arrêter, car bien qu’il s’en soit procuré
beaucoup, ces richessses ne lui suffisent pas et il désire sans
cesse en avoir plus, si bien qu’il vit toujours comme un mendiant
et dans la pauvreté. Et là-dessus Valère le sage a dit que l’homme
doit grandement se garder d’être cupide, car être trop cupide
pousse à chercher des gains et des biens en cachette, ce qui est
dommageable et source de péché, et d’autres ouvertement, ce qui
est source de tort et de vilénie. Et parce que la cupidité engendre
tous les maux susdits, et beaucoup d’autres, quand elle est
excessive, les hommes doivent s’en garder grandement, et
particulièrement les rois, en raison de la place honorable et
éminente qu’ils occupent. En effet, si les rois ne se gardaient pas
de désirer les choses qu’ils ne doivent pas désirer, outre la peine
que Dieu leur infligerait pour cela, les hommes seraient
nécessairement amenés à leur souhaiter maux et malheurs.
17Le roi doit être diligent dans l’apprentissage des savoirs, car il
comprendra grâce à eux les choses propres aux rois et il saura
mieux s’y employer. Et en sachant lire il saura également mieux
garder ses secrets et en rester maître, ce qu’autrement il ne
pourrait bien faire. En effet, faute de savoir ces choses, il devrait
forcément se confier à un autre qui les connaîtrait. Et il pourrait
lui advenir ce qu’a dit le roi Salomon, à savoir que celui qui confie
son secret à un autre devient son esclave, alors que quiconque
sait le garder est maître de son cœur, ce qui convient grandement
au roi16. Et en outre, par l’écriture il entendra mieux la foi et il
saura plus parfaitement prier Dieu. Et il peut encore par la lecture
connaître lui-même les hauts faits qui ont eu lieu, et en tirer de
nombreux exemples et modèles de bonne conduite. Et les sages
anciens ont jugé bon non seulement que les rois sachent lire mais
encore qu’ils soient versés dans tous les savoirs pour pouvoir en
tirer profit. C’est ce que le roi David a dit lorsqu’il a conseillé aux
rois d’être entendus et savants puisqu’il leur appartient de juger
la terre17, et le roi Salomon, son fils, a dit de même que les rois
doivent apprendre les savoirs et ne pas les oublier, car c’est grâce
à eux qu’ils seront capables de juger et de gouverner leurs
peuples18. Et Boèce, qui fut un très sage chevalier, a dit qu’il
convient au roi plus qu’à tout autre homme de connaître les bons
savoirs, car son savoir est très profitable à son peuple, puisque
grâce à lui celui-ci sera gouverné droitement. Sans aucun doute
en effet, une si grande tâche, nul ne pourrait l’accomplir sans bon
entendement et grand savoir. Aussi le roi qui mépriserait
l’apprentissage des savoirs mépriserait-il Dieu, dont ils
proviennent tous, selon le roi Salomon qui a dit que tous les
savoirs proviennent de Dieu, avec qui ils sont à jamais. Et il se
mépriserait encore lui-même puisque Dieu a voulu que ce soit par
le savoir que l’entendement de l’homme s’écarte de celui de la
bête, et moins l’homme possèderait de ces savoirs, moins il y
aurait de distinction entre lui et les animaux. Et le roi qui agirait
ainsi, il lui adviendrait ce qu’a dit le roi David : l’homme, quand il
est traité avec honneur et qu’il ne le comprend pas, agit comme
les animaux, et se rend semblable à eux19.
3 Ecclésiastique, 19, 9.
16 Pv, 25, 2-3 : « C’est la gloire de Dieu de celer une chose, c’est la
gloire des rois de la scruter. / Les cieux, par leur hauteur, la terre, par
sa profondeur, et le cœur des rois sont insondables » et Eccl., 37, 10 :
« Ne consulte pas quelqu’un qui te regarde en dessous / et à ceux qui
t’envient cache tes desseins » (?).