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l’Islande médiévale au
miroir de son passé viking
Deuxième conférence
p. 31-50
TEXTE NOTES
TEXTE INTÉGRAL
• 1 J. Jesch, The Viking Diaspora, New York, Routledge, 2015.
• 6 Ibid., p. 460.
Confession ou énigme ?
• 16 Vestfirðingasögur, éd. de B.K. Þórólfsson et G. Jónsson,
Reykjavik, Hið íslenska fornritafélag, 194 (...)
• 20 Ibid., p. 87.
Vérité et intrigue
• 28 Voir l’introduction déjà citée du Handbook of Pre-Modern Nordic
Memory Studies (op. cit., p. 1-22) (...)
Strophes authentiques ou
inauthentiques ?
29La question de l’authenticité de la poésie scaldique rapportée
dans les sagas des premiers Islandais, dont le rôle littéraire diffère
de celui qu’elle joue dans les sagas royales, a été au cœur de la
recherche récente. Ces sagas, conservées de manière
fragmentaire dans des manuscrits du XIIIe siècle, sont accessibles
en version complète dans des manuscrits du XIVe siècle. Une
bonne moitié d’entre elles contient des strophes scaldiques
attribuées aux personnages, des poètes islandais vivant avant et
autour de l’an mil. Quelques-unes nous rapportent des poèmes
entiers. Ces manuscrits sont-ils dignes de confiance ? Par
extension, peut-on s’y fier pour les mêmes raisons que celles
invoquées par Snorri Sturluson ?
30L’écrivain justifie son utilisation des strophes scaldiques
comme sources historiques par un premier argument : celui de
leur stabilité. Elles ne changent pas avec le temps, puisque leur
forme élaborée ne tolère aucune modification. Elles sont en
quelque sorte figées. Nous pouvons opposer à ce raisonnement
que rien n’empêchait un auteur du XIIIe siècle de composer de la
poésie en lieu et place du personnage de la saga qu’il était en
train d’écrire. On composait encore de la poésie scaldique à
l’époque de Snorri Sturluson et de ses contemporains, et les
règles de versification sont d’ailleurs décrites en détail dans la
quatrième et dernière partie de l’Edda. Le second argument de
l’écrivain concerne l’impossibilité de dire des contre-vérités sur
une personne en sa présence. Or il n’a pas cours lorsqu’il s’agit
de personnes ayant vécu plus de deux siècles auparavant.
• 30 K.E. Gade, « Dating of poetry and principles of
normalisation », in D. Whaley (dir.), Poetry from t (...)
Intrigue et sens
• 37 T.H. Tulinius, The Enigma of Egill. The Saga, the Viking Poet, and
Snorri Sturluson, trad. de V. Cr (...)
36Les conclusions de Mikael Males concordent avec les résultats
de mes recherches sur la Saga d’Egil, que j’ai présentés dans mon
livre The Enigma of Egill37. Cette saga comporte en effet une
intrigue sous-jacente : le conflit implicite entre Egil et son frère
aîné à propos de la jeune femme qu’épouse ce dernier, mais que
tout porte à croire qu’Egil désirait pour lui-même. Il s’agit d’un
cas de jalousie fraternelle à fort potentiel de fratricide, mais qui
ne se réalise qu’indirectement.
• 38 Saga d’Egil, op. cit., p. 129-159.
40Qu’il s’appuie ou non sur des faits réels, ce récit est aussi une
opération de dialectique. Le premier emplacement du corps d’Egil
est un tertre païen. Egil serait donc païen : c’est la thèse. Ayant
reçu la prima signatio, est-il cependant vraiment païen ? Le corps
d’Egil est en effet retrouvé sous l’autel, emplacement réservé aux
dépouilles des saints. Or Egil est loin d’être un saint – chaque
lecteur s’en rend compte aisément : c’est l’antithèse. Le troisième
lieu, qui est la bordure du cimetière, forme la synthèse car la loi
islandaise du Moyen Âge indique que les enfants ayant reçu le
baptême court, ou la prima signatio – le texte de la loi utilise
justement ce terme –, doivent être enterrés à cet endroit42.
41Pour l’auteur de la Saga d’Egil, qui compose son œuvre
au XIIIe siècle, le guerrier-poète se situe donc à mi-chemin entre le
paganisme et le christianisme. Mais comme les enfants ayant reçu
le baptême court, il peut espérer le salut. Voici l’identité que
l’auteur souhaite attribuer à Egil et nous faire percevoir. Entre la
réalité de ses ossements – quoi de plus réel, au sens lacanien du
terme, que les restes physiques d’une personne après sa mort ? –
et l’idéologie chrétienne qui se manifeste dans le droit chrétien de
l’Islande médiévale, une identité est énoncée.
• 43 T.H. Tulinius, The Enigma of Egill, op. cit., p. 97-100.
Poésie, paganisme,
christianisme
43La justice divine nous ramène à l’importance de la poésie d’Egil,
que la saga est presque seule à nous transmettre. Après la mort
de son enfant favori, noyé par une tempête soudaine dans le fjord
près duquel ils vivaient, Egil s’enferma dans un lit clos. Personne
n’osait lui parler. Il voulait mourir de chagrin et refusait toute
nourriture. Au troisième jour, sa fille aînée, déjà mariée, et à qui
Egil avait donné le prénom de sa nourrice, Þorgerðr, vint chez lui.
Elle fit semblant de vouloir le suivre dans la mort et s’introduisit
dans son lit clos. Pour que le spectre de l’inceste qui surgit à ce
moment se dissolve, l’auteur nous rassure en nous disant qu’il
s’agit en réalité de deux lits.
• 44 Saga d’Egil, op. cit., p. 236-245.
44Quelque temps plus tard, Þorgerðr fit manger à son père des
algues sèches qui l’assoiffèrent. Þorgerðr demanda une corne
d’eau et la donna à son père, qui la vida d’un trait, comme à son
habitude. Trahison ! La corne contenait du lait : Egil ne mourrait
pas de sitôt. Il eut alors un mouvement de colère que sa fille
détourna en lui suggérant de composer une élégie à la mémoire
de son fils mort. Il composa donc un poème qu’il
intitula Sonatorrek (« De l’impossibilité de venger les fils »). Ce
poème de vingt-cinq strophes est remarquable pour de
nombreuses raisons. Le poète y exprime sa difficulté à parler du
fait du chagrin qui pèse sur sa langue. Il invoque ensuite le
souvenir de ses parents, en particulier du corps de sa mère, avant
de s’épancher, avec des métaphores frappantes, sur la noyade de
son fils, puis sur la maladie qui a emporté un autre de ses
garçons44.
• 45 J.H. Aðalsteinsson, Trúarhugmyndir í Sonatorreki, Reykjavik,
Bókmenntafræðistofnun Háskóla Íslands, (...)
2 Ibid., p. 199.
6 Ibid., p. 460.
19 Ibid., p. 84.
20 Ibid., p. 87.
21 Ibid., p. 85.
37 T.H. Tulinius, The Enigma of Egill. The Saga, the Viking Poet, and
Snorri Sturluson, trad. de V. Cribb, Ithaca (NY), Cornell University
Library, 2014.
40 Ibid., p. 119-131.
41 Saga d’Egil, op. cit., p. 277 ; T.H. Tulinius, The Enigma of
Egill, op. cit., p. 2-5.