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Mémoire, poésie, récit :

l’Islande médiévale au
miroir de son passé viking
Deuxième conférence
p. 31-50

TEXTE NOTES
TEXTE INTÉGRAL
• 1 J. Jesch, The Viking Diaspora, New York, Routledge, 2015.

1Les auteurs de sagas étaient des « spécialistes de la mémoire »


des pays nordiques et de la diaspora viking. Avant d’approfondir
les liens entre mémoire, poésie et récit, il convient de définir ce
qu’est la « diaspora viking » et en quoi ces deux termes
s’appliquent au cas islandais. C’est à Judith Jesch que nous
devons ce concept. Les Norrois ont essaimé à travers le monde
connu, entre autres en Normandie et dans diverses régions des
îles Britanniques, où ils vivaient en plus ou moins bon voisinage
avec les populations locales. Ils ont également établi des colonies
en Atlantique Nord, notamment en Islande. Ces personnes
parlaient la même langue et partageaient le souvenir d’origines
communes. Par ailleurs, des contacts multiples – familiaux,
individuels, culturels, politiques – se sont maintenus entre ces
communautés pourtant séparées par des distances considérables.
Tout était donc réuni pour que l’ensemble de ces migrants forme
une diaspora1.
• 2 Ibid., p. 199.

2Le phénomène de la diaspora viking dépasse l’époque du même


nom, court en tout cas au-delà de la période d’éclosion des sagas
aux XIIe et XIIIe siècles. Son existence explique le fait que les
Islandais n’aient pas seulement écrit sur eux-mêmes et sur les
rois de leur pays d’origine, mais également sur les Danois, les
Orcadiens, les Groenlandais et les Féroïens. Les communautés
diasporiques, avec qui ils entretenaient des relations, suscitaient
leur intérêt et motivaient la composition de récits consacrés à
leurs histoires2.
• 3 La Saga des Féroïens, trad. de J. Renaud, Paris, Aubier Montaigne,
1983, p. 33-34.

3L’appartenance à la diaspora viking, du fait des interactions


internes qu’elle impliquait, était intimement liée à une certaine
conscience géographique. C’est une des raisons de l’attrait que
les sagas exercent encore aujourd’hui, car elles s’inscrivent, entre
autres, dans la tradition de la littérature de voyage. Prenons
l’exemple de la Saga des Féroïens, composée probablement
durant la seconde moitié du XIIIe siècle. Deux jeunes garçons des
îles Féroé vont être vendus comme esclaves à un marchand. Ce
dernier est un homme honorable : il refuse d’acheter ces jeunes
gens d’origine noble, mais accepte d’être payé pour les prendre à
bord. Arrivé en Norvège, il les libère3. C’est là sa résidence
principale, mais son commerce le conduit tantôt en Atlantique
Nord, jusque dans l’archipel des Féroé, tantôt vers l’est, jusqu’à
Holmgard, le Novgorod de la Russie contemporaine. Ainsi
l’imaginaire géographique des sagas est-il aussi vaste que les
connaissances des pays étrangers peuvent être détaillées, ce que
corroborent les aventures des deux jeunes hommes à travers les
différentes régions norvégiennes décrites dans la saga.

Mémoire, droit, poésie


• 4 J. Glauser, P. Hermann et S.A. Mitchell (dir.), Handbook of Pre-
Modern Nordic Memory Studies. Inter (...)
4Il a été question de la mémoire commune de la diaspora viking.
Or les études mémorielles, qui ont culminé en 2018 avec la
parution du Handbook of Pre-Modern Nordic Memory Studies4,
représentent une des voies de recherche importantes dans les
études nordiques médiévales de ces vingt dernières années. Cet
ouvrage réunit les travaux d’environ quatre-vingts spécialistes.
S’inspirant de l’œuvre fondatrice de Maurice Halbwachs –
Les Cadres sociaux de la mémoire – et des travaux plus récents
de Jan et Aleida Assmann, les contributeurs trouvent dans le
monde nordique un terrain de recherche prometteur, ainsi que la
possibilité de formuler d’une nouvelle manière des
problématiques anciennes.
• 5 G. Karlsson, K. Sveinsson et M. Árnason (dir.), Grágás. Lagasafn
íslenska þjóðveldisins, Reykjavik, (...)

• 6 Ibid., p. 460.

• 7 Íslendingabók. Landnámabók, éd. J. Benediktsson, Reykjavik, Hið


íslenska fornritafélag, 1968, p. 23

• 8 G. Karlsson, K. Sveinsson et M. Árnason (dir.), Grágás. Lagasafn


íslenska þjóðveldisins, op. cit., (...)

5Dans l’Islande médiévale comme dans toutes les sociétés, la


mémoire jouait un rôle majeur. Deux manuscrits principaux
conservent les lois en vigueur avant que le pays ne passe sous la
Couronne de Norvège. Cette collection de lois porte le titre
de Grágás, qui signifie « oie grise », nom curieux pour un recueil
juridique, mais dont l’origine remonterait aux premières lois
chrétiennes norvégiennes5. La fonction du « diseur de lois »
(lögsögumaðr) y est décrite. Celui-ci est élu pour trois ans et doit
réciter un tiers des lois chaque fois que se réunit le parlement6.
Initialement, la culture juridique des sociétés nordiques du
Moyen Âge était donc orale. Ari le Savant, ce premier historien
islandais du début du XIIe siècle, nous apprend d’ailleurs dans
le Livre des Islandais que les lois furent couchées sur le parchemin
pour la première fois en l’an 11177. Illustrant de façon frappante
la transition d’une culture orale à celle de l’écriture manuscrite,
dont les textes sont sujets à des variations, l’un de ces manuscrits
stipule qu’en cas de désaccord entre les versions, les recueils de
lois conservés dans les sièges épiscopaux doivent faire autorité8.
• 9 La Saga des Sturlungar (trad. de l’islandais ancien présentée et
annotée par R. Boyer, Paris, Les B (...)

6Jusqu’à l’avènement de l’écrit, et sans doute au-delà, les diseurs


de lois étaient ainsi des « spécialistes de la mémoire ». Or bon
nombre d’entre eux étaient également des poètes ou des scaldes.
Composer de la poésie était une chose, mais retenir de grandes
quantités de poèmes conçus par d’autres demandait une capacité
de mémorisation très développée. Au Moyen Âge, il semblerait
que l’éducation des jeunes chefs islandais ait consisté à
apprendre par cœur à la fois des lois, des procédures légales et de
la poésie. Nos sources nous montrent de fait des adolescents
appartenant aux familles dominantes en train de prononcer des
formules de mise en accusation lors d’assemblées. Parmi les
personnages alliant savoir légal et talent de poète, mentionnons
Snorri Sturluson et ses deux neveux, Óláfr Þórðarson et Sturla
Þórðarson9.
• 10 J.V. Sigurðsson et S. Jakobsson (dir.), Sturla Þórðarson. Skald,
Chieftain and Lawman, Leyde, Brill (...)

• 11 Ó. Þórðarson, Málhljóða- og Málskrúðsrit, éd. de F. Jónsson,


Copenhague, Høst, 1927.

7Tous trois ont été des diseurs de lois à un moment ou à un autre


de leur vie – Snorri étant réputé pour son aptitude à manipuler la
loi à son avantage – et tous trois ont été de bons poètes. Sturla
composa de longs poèmes sur des personnages importants, dont
trois sur le roi norvégien Hákon Hákonarson, celui-là même
auquel les Islandais finirent par se soumettre en 126210. Son frère
aîné, Óláfr, ne se contenta pas de composer de la poésie, mais
rédigea également un traité de rhétorique, le Troisième traité
grammatical, qui doit beaucoup aux écrits semblables diffusés en
Europe durant tout le Moyen Âge, mais dont la particularité est
d’utiliser la poésie scaldique comme support d’exemples de
figures de style11.
• 12 La meilleure édition actuelle de l’Edda de Snorri Sturluson est
celle d’A. Faulkes qui a été publié (...)

• 13 Voir, à ce sujet, R. Poole, « Skalds », in J. Glauser, P. Hermann


et S.A. Mitchell (dir.), Handbook (...)

• 14 S. Sturluson, Heimskringla, éd. de B. Aðalbjarnarson, Reykjavik,


Hið íslenska fornritafélag, 1941, (...)

8Leur oncle, Snorri Sturluson, est l’auteur de l’Edda en prose.


Composé pour enseigner l’art de la poésie scaldique12, ce texte
constitue la meilleure présentation de l’ancienne mythologie
norroise. Snorri expliqua ailleurs que la complexité de leur
versification permettait de se fier à ces poèmes anciens comme à
une source de renseignements sur les événements du passé. Un
système élaboré d’accents toniques, d’allitérations et de rimes
internes fournissait un support à leur mémorisation précise. La
syntaxe éclatée des vers et l’emploi d’un vocabulaire spécialisé
impliquaient que de menus changements, provoqués par des
défaillances de la mémoire, les rendaient vite
incompréhensibles13. C’est pourquoi Snorri disait tenir pour
véridiques tous les événements nommés dans ces poèmes, qui
étaient en outre composés pour être déclamés devant le roi ou
tout autre dirigeant ayant accompli les hauts faits en question.
Selon Snorri, on ne pouvait louer le souverain pour des exploits
qui n’avaient pas eu lieu : cela aurait été « railleries et non
louanges » (« háð en eigi lof 14 »).
• 15 Voir, à ce sujet, la belle étude de H. O’Donoghue, Skaldic Verse
and the Poetics of Saga Narrative, (...)

9De ce fait, la poésie scaldique apparaît principalement dans les


sagas royales. Leurs auteurs citent des strophes pour authentifier
leurs dires : « Le roi X fit bataille dans le lieu Y, contre le roi Z,
ainsi que le dit le poète U », suivi de la strophe. Les sagas des
premiers Islandais utilisent la poésie scaldique d’une manière
différente, puisque le personnage principal y est souvent lui-
même un poète ou un scalde. Si, dans les sagas royales, la poésie
sert généralement de confirmation des propos de l’auteur, comme
le ferait une note de bas de page dans un article scientifique, dans
les sagas des premiers Islandais, la strophe scaldique joue un rôle
au sein de l’intrigue elle-même, de la « diégèse », pour reprendre
un concept créé par Gérard Genette15. Elle peut ainsi tenir lieu de
dialogue, le personnage répondant à une question ou faisant une
remarque qui aura parfois des conséquences sérieuses pour la
suite des événements.

Confession ou énigme ?
• 16 Vestfirðingasögur, éd. de B.K. Þórólfsson et G. Jónsson,
Reykjavik, Hið íslenska fornritafélag, 194 (...)

10Prenons un exemple tiré de la Saga de Gísli Súrsson, écrite


au XIIIe siècle. L’action se déroule dans un fjord de l’ouest de
l’Islande, durant les temps païens qui ont précédé la conversion
au christianisme en l’an mil. Un chef local, Gísli Súrsson, tue son
beau-frère, le mari de sa sœur, pour venger son frère juré. Le
meurtre étant commis dans le noir, personne ne sait que Gísli en
est l’auteur. Plus tard, la saga nous montre Gísli regardant le
tertre funéraire de son beau-frère et déclamant une strophe
scaldique obscure. Sa sœur l’entend et l’apprend à la première
écoute. Le temps de rentrer chez elle, elle parvient à en extraire le
sens et comprend que Gísli s’y vante d’avoir tué son mari. Elle n’a
qu’un choix : celui d’intenter un procès contre son frère, qui sera
finalement frappé d’ostracisme et mis hors-la-loi16.
• 17 Völsunga Saga ok Ragnars saga loðbrókar, éd. de M. Olsen,
Copenhague, Samfund til udgivelse af gamm (...)

11Plusieurs aspects nous intéressent dans ce récit, et en premier


lieu l’absurdité du devoir de vengeance, notamment lorsqu’il
conduit à mettre la vie d’un frère en danger. Ce thème du conflit
tragique des loyautés dans une société qui contraint les
personnes à venger leurs proches semble avoir fasciné les
Islandais du XIIIe siècle. On le rencontre non seulement dans les
poèmes héroïques de l’Edda recueillis dans les manuscrits de
cette époque, mais aussi dans les sagas légendaires. La Saga des
Völsungar, qui fut l’une des sources de Richard Wagner lorsqu’il
composa L’Anneau du Nibelung, en est toutefois le meilleur
exemple17. Les Islandais du Moyen Âge se sont reconnus dans ce
matériau tragique, ce qui n’est pas surprenant eu égard à la
violence de la période qu’ils traversaient. Nombre d’individus ont
en effet été obligés de combattre dans le camp adverse de leurs
proches parents au cours de luttes violentes entre factions
particulièrement marquantes. L’auteur de la Saga de Gísli
Súrsson transpose le matériau légendaire dans le cadre familier de
l’Islande. Cette tension entre la familiarité de l’environnement,
tant physique que social, et le caractère extrême des situations
est d’ailleurs pour beaucoup dans la puissance littéraire des sagas
des premiers Islandais.
12Cet épisode issu de la Saga de Gísli Súrsson, qui voit le
personnage éponyme tuer son beau-frère sans que personne ne
sache l’identité du meurtrier, présente un deuxième point
d’intérêt qui concerne la raison pour laquelle ce dernier livre son
secret en déclamant une strophe. On peut présumer qu’il pensait
que personne ne décoderait le langage obscur de celle-ci. J’y vois
un acte illocutoire, autrement dit un acte de langage. Dans la
société mise en scène dans les sagas, tuer quelqu’un en se
cachant était déshonorant : au contraire, on devait revendiquer
son geste. Or Gísli est un homme honorable ; d’où son aveu, mais
en langage codé.
13Un troisième aspect remarquable relève de la prouesse
mnémonique de la sœur, qui retient la strophe après une seule
écoute et réussit ensuite à la décoder. Si l’on peut s’interroger sur
le réalisme de cette scène, je souhaiterais avant tout souligner le
goût des auteurs de nombreuses sagas – en particulier les auteurs
de sagas des premiers Islandais – pour le parler obscur, pour les
choses dites à moitié, pour ce que l’on comprend seulement après
un effort intellectuel. Dans le cas présent, il faut en effet pouvoir
se remémorer la strophe scaldique et en résoudre l’énigme.

Attitude face au texte


14Ces récits sont donc exigeants pour leurs lecteurs, ou auditeurs,
qui doivent être attentifs à ce qui se passe dans le texte même,
être à l’écoute des allusions, comprendre le contexte. Cela
apparaît encore autrement dans la Saga d’Egil, l’une des toutes
premières appartenant au genre de la saga des premiers Islandais
et l’une des plus longues, puisqu’elle compte quatre-vingt-dix
chapitres dans l’édition que j’ai traduite et peut se diviser en deux
parties : la première met en scène les deux premières générations
d’un lignage de chefs norvégiens qui sont obligés de s’exiler en
Islande ; la seconde, deux fois plus longue, est centrée sur le
représentant de la troisième génération, la première à être née en
Islande. Ce représentant se prénomme Egil Skallagrímsson, un
personnage extraordinaire, pouvant faire montre d’une violence
inouïe tout en composant des vers éclatants de puissance et
d’originalité, mais surtout un personnage énigmatique, à l’image
des strophes qu’il déclame. L’auteur ne nous renseigne que très
rarement sur ses motivations. À nous de nous interroger sur les
raisons de son comportement, sur ce qui l’anime et sur le sens de
son histoire.
• 18 Saga d’Egil, trad. introduite et annotée par T.H. Tulinius, avec la
collaboration de P. Desoille-Ca (...)

15L’un des épisodes de la première partie de la saga illustre cette


exigence d’attention du lecteur, ou auditeur. La famille d’Egil vit
encore en Norvège. Thorolf Kveldulfsson, son oncle paternel, le
parangon du lignage, a obtenu pouvoirs et richesses de la part du
roi, mais des jaloux persuadent ce dernier que Thorolf n’attend
qu’une occasion pour fomenter une insurrection. Le souverain
assiège alors son manoir, y fait mettre le feu et, entouré de ses
gardes, tue Thorolf tandis que celui-ci se lançait contre lui. Ses
derniers mots furent les suivants : « Trois pas de plus m’auraient
suffi18. »
• 19 Ibid., p. 84.

• 20 Ibid., p. 87.

16Quelques chapitres plus tard, des membres de la cour, amis et


parents de Thorolf, convainquent son frère Skalla-Grímr, dit
« Grímr le Chauve », d’aller voir le roi pour demander
compensation. Skalla-Grímr répond d’abord : « Je doute que le roi
trouve que j’ai la parole habile19 » ; puis il s’y rend toutefois avec
ses compagnons, de forts gaillards de sa région. Quand il se
présente devant le roi, ce dernier ne refuse pas sa demande, mais
lui dit qu’il doit venir le servir, comme tout homme noble du
royaume. Skalla-Grímr réplique que chacun sait qu’il est en tous
points inférieur à son frère. Or Thorolf n’a pas réussi à traiter son
souverain comme ce dernier l’aurait voulu et comme il aurait fallu
qu’il le fasse. Le roi rougit de colère et les amis de Skalla-Grímr
lui enjoignent de partir avant qu’il ne soit tué20. Désormais, il n’y
a plus aucune chance de réconciliation entre le roi et Skalla-
Grímr.
17Pourquoi ? Skalla-Grímr vient en réalité de déclarer au roi qu’il
n’a qu’une envie : celle de le tuer. Pour que le lecteur en prenne
conscience et comprenne la réaction du roi, il doit se souvenir des
derniers mots de Thorolf, avoir perçu leur sens, c’est-à-dire
l’intention de tuer le souverain qui était la sienne, et, finalement,
être capable de déchiffrer la menace voilée de Skalla-Grímr.
L’effort intellectuel demandé au lecteur consiste donc à retenir les
mots de Thorolf et à concevoir leur valeur, afin de saisir l’allusion
qui y est faite par Skalla-Grímr et sa signification pour la suite de
ses relations avec le roi.
18La Saga d’Egil institue un mode de communication avec le
lecteur proche du rapport entre celui qui pose une énigme et celui
qui doit la résoudre. L’auteur ne cesse en effet d’exciter les
facultés intellectuelles du lecteur, de le mettre au défi de percer le
mystère de ses personnages, de leurs gestes et de leurs dires, en
faisant appel à sa mémoire et à ses talents d’interprétation. On
retrouve ce mode de communication dans de nombreuses autres
sagas, ce qui s’explique par le fait qu’elles étaient probablement
composées pour être lues à voix haute, par exemple pour divertir
les convives lors d’un festin, comme nous l’avons déjà évoqué. Le
public était sans doute composite, mais beaucoup étaient
habitués à la poésie scaldique et à son décodage. Il s’agit là d’un
nouvel aspect du rôle de la poésie scaldique dans les sagas. Les
strophes ne sont plus seulement un gage de vérité, comme c’était
majoritairement le cas dans les sagas royales, mais commandent
une attitude face au texte, face au récit, celui-ci disant plus qu’il
n’y paraît. Il faut aiguiser ses facultés intellectuelles pour le
comprendre pleinement.
• 21 Ibid., p. 85.

• 22 Ibid., p. 95. Voir aussi A. Holtsmark, « Skallagrims


heimamenn », Maal og minne. Norske studier, vo (...)

19Cette relation au texte a également un côté ludique, et on peut


se demander si les auteurs ne jouent pas avec la perception que
leurs lecteurs et leurs auditeurs avaient de leur environnement.
Revenons à la question de la mémoire des toponymes que nous
avons abordée dans le premier chapitre, c’est-à-dire aux traces
laissées par la langue norroise dans les paysages colonisés (noms
de lieux évoquant des animaux, types de maison, etc.). Dans ce
même épisode de la Saga d’Egil, l’auteur fait une description
détaillée des compagnons que Skalla-Grímr choisit pour
l’accompagner chez le roi21. Or, si chacun de ces personnages
porte un nom et souvent un surnom, aucun n’intervient dans le
récit. Quelques chapitres plus loin, après s’être cruellement vengé
avec son père sur des amis du roi et sur ses jeunes cousins,
Skalla-Grímr arrive en Islande, s’arroge un grand territoire dans la
région du Borgarfjord et distribue ensuite des terres à ses
compagnons. Leurs noms ou leurs surnoms deviennent alors,
selon la saga, la source de nombreux toponymes de la région22. Il
est plus que douteux que le souvenir de ces personnages ait
perduré pendant plus de trois siècles, jusqu’à ce qu’on les
présente dans la saga. Voilà un exemple du « devenir-texte » du
temps et de l’espace islandais que nous avons déjà commenté à
propos du travail de l’historien Ari le Savant dans le Livre des
Islandais. Dans ce cas, ce sont le paysage et les toponymes
connus des auteurs et des premiers lecteurs ou auditeurs de la
saga qui vont servir de matériau au récit.
Véracité des sagas
20Ce rappel était nécessaire car nous touchons là une
problématique qui a longtemps hanté les études médiévales
nordiques et qui resurgit sous des formes nouvelles à chaque
génération de chercheurs. Elle concerne la véracité supposée des
sagas. L’Islandais moyen entend parler de ces récits depuis son
enfance. Certains en connaissent seulement les bribes
découvertes à travers les lectures faites à l’école. D’autres en
lisent régulièrement. C’est le cas de nombre de mes compatriotes,
surtout après un certain âge. Pour un lecteur non professionnel, il
est difficile de résister à « l’effet de réel » des sagas : d’une part,
parce qu’elles se présentent comme des récits véridiques sur le
passé ; d’autre part, parce que la puissance d’évocation des
auteurs dans les plus grandes d’entre elles est remarquable.
• 23 Pour un aperçu historique de ces débats, voir
T.M. Andersson, The Problem of Icelandic Saga Origins (...)

• 24 Voir, à ce sujet, l’introduction des éditeurs du Handbook of Pre-


Modern Nordic Memory Studies, op. (...)

21Les chercheurs, quant à eux, se sont penchés sur le problème


de la fiabilité des sagas des premiers Islandais en tant que
sources d’informations sur les siècles – plus de deux – qui ont
précédé leur composition. Le débat a été formulé et reformulé
plusieurs fois au cours du temps, mais il serait trop long d’en
retracer l’historique23. Disons simplement que les études
mémorielles citées au début de ce chapitre ont permis de
renouveler notre approche. Elles nous enseignent que la mémoire
crée et recrée constamment le passé, ce que la neuroscience
confirme en nous apprenant que l’être humain reconstruit le
souvenir à chaque fois qu’il se remémore quelque chose. C’est
également vrai pour les souvenirs transmis d’une personne à une
autre ou de génération en génération. Par conséquent, des récits
qui paraissent trop romanesques pour être vrais peuvent en
réalité avoir eu pour origine des faits véridiques et contenir des
renseignements dignes d’intérêt24.
• 25 Pour la transmission orale qui est à la base des récits de voyage
vers le continent américain, voir (...)

22La Saga d’Eiríkr le Rouge et la Saga des Groenlandais, qui


relatent l’arrivée des habitants des colonies norroises
groenlandaises sur le continent américain pour tenter de s’y
installer, en sont deux exemples. Si elles divergent sur bien des
choses, comme le nom des explorateurs ou le nombre de
voyages, elles s’accordent en revanche sur la description générale
de l’itinéraire suivi pour rejoindre ce pays qu’ils baptisèrent
Vínland, « pays de la vigne ». Toutes deux situent également ces
événements à la même période. Les récits comportent de
nombreux aspects tout à fait romanesques qui peuvent être
interprétés comme le reflet de la volonté des auteurs de leur
donner un sens. La matière mémorielle a ainsi été façonnée
d’abord par la transmission orale, ensuite par la mise à l’écrit d’un
récit signifiant25.
• 26 M. Kuitems, B.L. Wallace, C. Lindsay et al., « Evidence for
European presence in the Americas in AD (...)

23Pendant longtemps, on a pu douter de la véracité de ces deux


sagas. N’étaient-elles pas des variations sur le thème du voyage
vers un pays inconnu, thème récurrent dans maints textes
médiévaux ? En 1960, une équipe d’archéologues trouva un site
norrois datant de l’époque viking dans l’Anse aux Meadows, sur
l’île de Terre-Neuve. Cette découverte mit fin aux doutes qui
pouvaient subsister sur la réalité des expéditions vikings vers le
continent américain. Récemment, une nouvelle technique de
datation basée sur le repérage d’effets de tempêtes solaires dans
les cernes annuels des troncs d’arbres a permis d’établir que des
hommes munis d’outils en métal coupèrent du bois sur ce site en
l’an 102126.
• 27 Ó. Halldórsson, Grænland í miðaldaritum, Reykjavik, Sögufélag,
1978, p. 381.

24Tout cela coïncide de manière frappante avec la chronologie des


deux sagas relatant la découverte de Vínland, car elles nous
disent que Karlsefni et son épouse Gudrid, après l’expédition,
retournèrent en Islande où ils s’établirent et eurent une
descendance noble et nombreuse, notamment deux des évêques
du pays. Un philologue islandais, Ólafur Halldórsson, a naguère
entrepris une étude comparée des généalogies et d’autres
éléments de la chronologie des sagas. Ses conclusions lui ont
permis de proposer la date de 1020 pour leur voyage au
Vínland27. Qui osera dire, après cela, que la philologie n’est pas
une science exacte ?

Vérité et intrigue
• 28 Voir l’introduction déjà citée du Handbook of Pre-Modern Nordic
Memory Studies (op. cit., p. 1-22) (...)

25M’intéressant principalement aux qualités littéraires des sagas,


mon premier réflexe est de les considérer avant tout comme des
fictions faisant sens pour leurs auteurs et leur public. Il m’arrive
parfois d’être déstabilisé par les découvertes archéologiques telles
que celle que je viens de mentionner, parce qu’elles tendent à
confirmer l’enracinement des sagas dans une mémoire, transmise
de génération en génération, d’une image de passé qui se
confond de manière étonnante avec la réalité. Il est cependant
aisé de se dégager de cette contradiction grâce aux études
mémorielles et à la plasticité du souvenir qu’elles suggèrent. La
mémoire a en effet tendance à transformer les événements en
fiction. Dans Le miroir qui revient, premier tome de la trilogie
autobiographique des Romanesques, Alain Robbe-Grillet écrivait
que la mémoire est « mensongère et travailleuse ». Même dans un
récit se présentant comme la narration d’événements réels, les
pulsions créatrices de sens sont à l’œuvre28.
26Dans le chapitre précédent, nous avons présenté les genres de
sagas et établi une distinction entre les sagas de contemporains,
qui mettent en scène des événements d’un passé récent, et les
sagas des premiers Islandais, dont l’action se situe dans un passé
historique, à une distance temporelle des auteurs équivalant à
plus de deux siècles. La différence entre ces deux types de récits
s’explique précisément par les contraintes qu’imposait, dans les
sagas de contemporains, l’absence de distance séparant les
auditeurs et les lecteurs des événements dont ils avaient été
d’éventuels témoins. Cela pouvait avoir plusieurs conséquences :
un récit abondant en détails superflus qui ne servaient pas
l’intrigue ; l’omission d’éléments contextuels, car connus des
auteurs et de leur public, qui nuisait à la bonne compréhension du
récit ; pour les mêmes raisons, la rareté des descriptions des
personnages, de leur aspect physique et de leurs traits de
caractère. Ainsi, l’interprétation du sens du récit était obscurcie
soit par un luxe de détails, soit par un manque de renseignements
indispensables. Au contraire, dans les sagas des premiers
Islandais, la transmission mémorielle gommait le superflu et
ajoutait l’essentiel pour modeler le récit jusqu’à ce qu’une
intrigue commence à prendre forme et qu’un sens se dégage peu
à peu.
• 29 T.M. Andersson, The Partisan Muse in the Early Icelandic Sagas
(1200-1250), Ithaca (NY), Cornell Un (...)

27C’est le cas d’une saga qui n’appartient pas pleinement à la


catégorie des sagas de contemporains, sans pour autant être une
saga des premiers Islandais. Il s’agit de la Saga de Thorgils et
Haflidi, qui s’inscrit dans la grande compilation Sturlunga saga,
mais se distingue des autres sagas du volume car elle est
composée environ un siècle après les événements relatés, qui se
sont déroulés au début du XIIe siècle. On peut y déceler les
tendances transformatives de la transmission mémorielle, mais
celles-ci ne sont pas complètement réalisées. Il y a une intrigue,
le récit fait sens, mais il est encore encombré de maints détails
superfétatoires29.
28Suis-je en train d’affirmer que toutes les sagas des premiers
Islandais, à savoir cette quarantaine de textes sur laquelle porte
l’essentiel de mon propos, sont le fruit d’une telle évolution
progressive de l’événement vers la saga du fait de la transmission
orale ? Non, cela n’est pas vrai pour la totalité d’entre elles, mais
probablement pour un certain nombre. Dans plusieurs récits, une
part plus importante doit en effet être attribuée à l’inventivité de
leurs auteurs, ce que nous montre l’exemple de la toponymie
dans la Saga d’Egil. Une approche prenant en compte la diversité
des genèses possibles semble donc aujourd’hui la plus
prometteuse.

Strophes authentiques ou
inauthentiques ?
29La question de l’authenticité de la poésie scaldique rapportée
dans les sagas des premiers Islandais, dont le rôle littéraire diffère
de celui qu’elle joue dans les sagas royales, a été au cœur de la
recherche récente. Ces sagas, conservées de manière
fragmentaire dans des manuscrits du XIIIe siècle, sont accessibles
en version complète dans des manuscrits du XIVe siècle. Une
bonne moitié d’entre elles contient des strophes scaldiques
attribuées aux personnages, des poètes islandais vivant avant et
autour de l’an mil. Quelques-unes nous rapportent des poèmes
entiers. Ces manuscrits sont-ils dignes de confiance ? Par
extension, peut-on s’y fier pour les mêmes raisons que celles
invoquées par Snorri Sturluson ?
30L’écrivain justifie son utilisation des strophes scaldiques
comme sources historiques par un premier argument : celui de
leur stabilité. Elles ne changent pas avec le temps, puisque leur
forme élaborée ne tolère aucune modification. Elles sont en
quelque sorte figées. Nous pouvons opposer à ce raisonnement
que rien n’empêchait un auteur du XIIIe siècle de composer de la
poésie en lieu et place du personnage de la saga qu’il était en
train d’écrire. On composait encore de la poésie scaldique à
l’époque de Snorri Sturluson et de ses contemporains, et les
règles de versification sont d’ailleurs décrites en détail dans la
quatrième et dernière partie de l’Edda. Le second argument de
l’écrivain concerne l’impossibilité de dire des contre-vérités sur
une personne en sa présence. Or il n’a pas cours lorsqu’il s’agit
de personnes ayant vécu plus de deux siècles auparavant.
• 30 K.E. Gade, « Dating of poetry and principles of
normalisation », in D. Whaley (dir.), Poetry from t (...)

31Plusieurs générations de philologues ont déployé des trésors


d’ingéniosité pour dater les strophes scaldiques avec pour outil
principal le savoir accumulé sur l’évolution linguistique, et en
particulier sur le changement du système vocalique. Ce savoir leur
permet d’estimer si le respect des règles de versification,
notamment sur la rime interne, indique un âge avancé ou non.
Rien n’est certain dans ce domaine, car un poète du XIIIe siècle
connaissant la poésie du Xe siècle pouvait être conscient des
transformations de la langue et aurait pu en reproduire les
spécificités d’antan s’il avait voulu composer de la poésie en se
substituant à un personnage du passé30.
32Prenons pour exemple une strophe scaldique extraite de la Saga
d’Egil, qui appartient au genre des sagas des premiers Islandais,
et présentons-en quelques détails. Egil et son frère commandent
une expédition viking. Ils sont entrés dans la Baltique où ils ont
pillé les côtes de la Courlande, la province occidentale de la
Lettonie actuelle. Ils y ont brûlé fermes et villages, et massacré les
habitants. Ils ont également libéré un marchand danois nommé
Áki, prisonnier des Courlandais. Ce dernier leur indique un
endroit où ils seront sûrs de trouver un butin : la ville de Lund, en
Scanie. Les deux frères s’y rendent avec leurs navires. Avant
l’attaque, Egil exhorte ses hommes en déclamant cette strophe :
• 31 Egils saga, éd. B. Einarsson, Londres, Viking Society for Northern
Research, 2003, p. 66.

Upp skulum órum sverðum,


úlfs tannlituðr, glitra ;
eigum dáð at drýgja
í dalmiskunn fiska.
Leiti upp til Lundar
lýða hverr sem bráðast.
Gerum þar fyrir setr solar
seið ófagran vigra31.

Voici la traduction de la première moitié de la strophe : « Guerrier,


toi qui rougis les dents du loup, levons nos épées pour les faire
scintiller. Nous avons de hauts faits à accomplir dans la grâce des
poissons de la vallée. » La dernière locution (« dalmiskunn fiska »)
est ce que l’on appelle une « kenning », c’est-à-dire une sorte de
circonlocution métaphorique qui, dans ce cas, signifie « été ». Le
poisson de la vallée est une métaphore pour serpent ; or la grâce
des serpents est la saison pendant laquelle ils circulent dans les
espaces nordiques, à savoir l’été. La seconde moitié de la strophe
peut être traduite ainsi : « Que chacun monte aussi vite que
possible vers Lund. Avant le coucher du soleil, nous nous
livrerons à un vilain seiðr des épées. » La strophe se termine par
une seconde kenning (« seið ófagran vigra »). Le seiðr est un rite
magique souvent mentionné dans les sagas. Le rite magique des
épées est une kenning pour désigner la bataille.
• 32 R. Boyer, La Poésie scaldique, Paris, Éditions du Porte-Glaive,
1990.

33Le caractère sanglant du langage de la poésie scaldique, qui


célèbre les batailles et ceux qui donnent beaucoup de corps en
pâture aux charognards, est ici manifeste : cette question sera
approfondie dans le prochain chapitre. Nous pouvons également
observer la complexité du mètre. Tous les vers doivent comporter
trois syllabes accentuées. Chaque vers impair contiendra deux
syllabes accentuées commençant soit par la même consonne, soit
par une voyelle. Le vers pair débutera par une syllabe accentuée
qui fait écho aux deux syllabes accentuées du vers impair qui
précède. Ces règles sont obligatoires. Par ailleurs, le système de
rimes internes est caractéristique de la poésie la plus ancienne.
Les couples de vers seront composés en alternance de mots qui
riment ou qui sont en assonance. Beaucoup de contraintes, donc,
qui expliquent que l’on considère parfois la poésie scaldique
comme relevant davantage de l’adresse que de
l’inspiration32 (voir ci-dessous).
• 33 Les caractères gras indiquent les répétitions de consonnes ou de
voyelles qui se font uniquement su (...)

Upp skulum órum sverðum,


úlfs tannlituðr, glitra ;
eigum dáð at drýgja
í dalmiskunn fiska33.

• 34 B. Hårdh, « Viking Age Uppåkra and Lund », in S. Brink et


N. Price (dir.), The Viking World, Londre (...)
34Cette strophe remonte-t-elle réellement au Xe siècle ou a-t-elle
été composée pour les besoins du récit ? La ville actuelle de Lund
n’existait pas à l’époque à laquelle les événements sont censés
s’être déroulés. Cependant, les archéologues ont trouvé,
légèrement au sud de Lund, les vestiges d’un riche centre
commercial, semi-urbain, qui pourrait avoir été la proie d’une
attaque viking au Xe siècle et aurait pu s’appeler Lund34. Cette
strophe conservée dans une saga écrite près de trois siècles plus
tard en serait la seule preuve.
• 35 S. Sturluson, Edda. Skáldskaparmál, tome I : Introduction, Text
and Notes, op. cit., p. 40.

• 36 M. Males, The Poetic Genesis of Old Icelandic Literature, op. cit.,


p. 220-221.

35Invoquer cette strophe pour confirmer un tel événement est


problématique pour d’autres raisons. Certes, la première moitié
de la strophe a une existence indépendante de la saga, puisqu’elle
est citée par Snorri Sturluson dans l’Edda en prose, où elle est
attribuée à un dénommé Egil Skallagrímsson35. En revanche, la
seconde moitié de la strophe, celle qui nomme la ville de Lund,
pose problème car sa versification est irrégulière : il manque la
rime interne au septième vers et la rime n’est pas complète au
huitième. Le dernier philologue à s’être penché sur cette question,
Mikael Males, de l’université d’Oslo, a conclu que l’auteur de la
saga connaissait la première moitié de la strophe attribuée au Egil
historique, et l’a utilisée pour composer lui-même la seconde
moitié, ainsi que la strophe suivante. Pourquoi ? Parce qu’elles
servaient l’intrigue qu’il développait sur la vie d’Egil36.

Intrigue et sens
• 37 T.H. Tulinius, The Enigma of Egill. The Saga, the Viking Poet, and
Snorri Sturluson, trad. de V. Cr (...)
36Les conclusions de Mikael Males concordent avec les résultats
de mes recherches sur la Saga d’Egil, que j’ai présentés dans mon
livre The Enigma of Egill37. Cette saga comporte en effet une
intrigue sous-jacente : le conflit implicite entre Egil et son frère
aîné à propos de la jeune femme qu’épouse ce dernier, mais que
tout porte à croire qu’Egil désirait pour lui-même. Il s’agit d’un
cas de jalousie fraternelle à fort potentiel de fratricide, mais qui
ne se réalise qu’indirectement.
• 38 Saga d’Egil, op. cit., p. 129-159.

• 39 T.H. Tulinius, The Enigma of Egill, op. cit., p. 53-58.

37L’intrigue conduit les deux hommes en Baltique, où Egil, et non


son frère, libère le Danois Áki. Ce dernier leur indique que la ville
de Lund est une cible de choix. Quelque temps plus tard, alors
que les deux frères, en route vers la Norvège où attend l’épouse
de l’aîné, font étape au Danemark, Áki envoie un messager à Egil
pour le prévenir que le frère de la reine Gunhild de Norvège, qui
déteste les deux fils de Skalla-Grímr, leur a tendu une
embuscade. Sans prévenir son frère, Egil part avec ses hommes et
défait le beau-frère du roi. Le frère d’Egil aurait sans doute
préféré éviter d’aggraver les relations déjà difficiles avec le
souverain norvégien pour pouvoir rejoindre le royaume et y
retrouver sa femme. Or l’initiative d’Egil les oblige à renoncer au
retour en Norvège. Ils décident de gagner l’Angleterre où ils
deviennent mercenaires du roi chrétien Athelstan. Étant païens, ils
doivent recevoir la prima signatio pour pouvoir combattre à ses
côtés, c’est-à-dire recevoir une sorte de pré-baptême les
protégeant des assauts du Malin et permettant aux chrétiens de
s’associer à eux. Lors d’une grande bataille dans laquelle le roi
d’Angleterre repousse des envahisseurs écossais, le frère aîné est
tué. Egil, qui s’est illustré au combat, se rend alors en Norvège où
il épouse la veuve de son frère38. La responsabilité d’Egil dans la
mort de son frère est indirecte, mais il en récolte en quelque sorte
les fruits. De plus, la pensée théologique de la période de
composition de la saga interdit à un chrétien d’épouser la veuve
de son frère : cet acte est un péché. Cela vaut pour Egil, puisqu’il
a reçu la prima signatio39.
• 40 Ibid., p. 119-131.

38Rien n’est explicite dans cet enchaînement d’événements.


Toutefois, si l’on est attentif au texte, comme nous avons vu qu’il
fallait l’être, l’intrigue se dessine peu à peu et se précise à mesure
que l’on avance dans la saga, si bien que le sens de la vie du
poète et guerrier Egil prend progressivement forme. De
nombreuses allusions intertextuelles, soit à la mythologie
norroise, soit – et elles sont plus nombreuses – aux Saintes
Écritures, permettent de montrer qu’il s’agit de l’histoire d’une
âme qu’il convient de replacer dans le contexte du christianisme
médiéval40.
• 41 Saga d’Egil, op. cit., p. 277 ; T.H. Tulinius, The Enigma of
Egill, op. cit., p. 2-5.

39Relions désormais le sens donné à la vie d’Egil à une idée


développée dans le premier chapitre, et qui ne figure pas
dans The Enigma of Egill, à savoir le triptyque réalité, idéologie et
identité. Lorsque Egil mourut, l’Islande était encore païenne. La
conversion eut lieu peu après. Une église fut alors construite et
les ossements d’Egil, qui reposaient dans un tertre païen, furent
ensevelis en terre consacrée. La saga nous dit que lors du
démantèlement de l’église, on trouva le squelette d’un homme
énorme à l’emplacement de l’autel. Il s’agissait des restes d’Egil.
Un prêtre, présent à ce moment-là, fit placer la dépouille de
l’ancien Viking en bordure du nouveau cimetière. La loi de
l’époque stipulait que les enfants baptisés à leur naissance par le
sacrement dit du « baptême court » devaient être inhumés à cet
endroit ; chaque homme adulte devait avoir connaissance de ce
rite pour pouvoir le pratiquer en l’absence de prêtre. Le baptême
court permettait aux enfants morts sans qu’on ait pu les baptiser
selon le rite complet d’éviter la damnation éternelle41.
• 42 G. Karlsson, K. Sveinsson et M. Árnason (dir.), Grágás. Lagasafn
íslenska þjóðveldisins, op. cit., (...)

40Qu’il s’appuie ou non sur des faits réels, ce récit est aussi une
opération de dialectique. Le premier emplacement du corps d’Egil
est un tertre païen. Egil serait donc païen : c’est la thèse. Ayant
reçu la prima signatio, est-il cependant vraiment païen ? Le corps
d’Egil est en effet retrouvé sous l’autel, emplacement réservé aux
dépouilles des saints. Or Egil est loin d’être un saint – chaque
lecteur s’en rend compte aisément : c’est l’antithèse. Le troisième
lieu, qui est la bordure du cimetière, forme la synthèse car la loi
islandaise du Moyen Âge indique que les enfants ayant reçu le
baptême court, ou la prima signatio – le texte de la loi utilise
justement ce terme –, doivent être enterrés à cet endroit42.
41Pour l’auteur de la Saga d’Egil, qui compose son œuvre
au XIIIe siècle, le guerrier-poète se situe donc à mi-chemin entre le
paganisme et le christianisme. Mais comme les enfants ayant reçu
le baptême court, il peut espérer le salut. Voici l’identité que
l’auteur souhaite attribuer à Egil et nous faire percevoir. Entre la
réalité de ses ossements – quoi de plus réel, au sens lacanien du
terme, que les restes physiques d’une personne après sa mort ? –
et l’idéologie chrétienne qui se manifeste dans le droit chrétien de
l’Islande médiévale, une identité est énoncée.
• 43 T.H. Tulinius, The Enigma of Egill, op. cit., p. 97-100.

42Ni païen ni chrétien, mais éligible au salut, Egil aurait un statut


comparable à celui des justes de l’Ancien Testament. Parmi eux,
nul n’a autant de traits communs avec Egil que le roi David, tueur
de géants, poète, désirant la femme d’un autre – Bethsabée –,
l’épousant une fois ce dernier mort au combat, et perdant un
enfant né de cette union. Dans le cas de David, le prophète
Samuel vient lui dire qu’il s’agit d’une rétribution divine pour le
péché qu’il a commis. Dans celui d’Egil, rien de tel, puisque le
texte demande à ses lecteurs de comprendre par eux-mêmes ce
qui est implicite43.

Poésie, paganisme,
christianisme
43La justice divine nous ramène à l’importance de la poésie d’Egil,
que la saga est presque seule à nous transmettre. Après la mort
de son enfant favori, noyé par une tempête soudaine dans le fjord
près duquel ils vivaient, Egil s’enferma dans un lit clos. Personne
n’osait lui parler. Il voulait mourir de chagrin et refusait toute
nourriture. Au troisième jour, sa fille aînée, déjà mariée, et à qui
Egil avait donné le prénom de sa nourrice, Þorgerðr, vint chez lui.
Elle fit semblant de vouloir le suivre dans la mort et s’introduisit
dans son lit clos. Pour que le spectre de l’inceste qui surgit à ce
moment se dissolve, l’auteur nous rassure en nous disant qu’il
s’agit en réalité de deux lits.
• 44 Saga d’Egil, op. cit., p. 236-245.

44Quelque temps plus tard, Þorgerðr fit manger à son père des
algues sèches qui l’assoiffèrent. Þorgerðr demanda une corne
d’eau et la donna à son père, qui la vida d’un trait, comme à son
habitude. Trahison ! La corne contenait du lait : Egil ne mourrait
pas de sitôt. Il eut alors un mouvement de colère que sa fille
détourna en lui suggérant de composer une élégie à la mémoire
de son fils mort. Il composa donc un poème qu’il
intitula Sonatorrek (« De l’impossibilité de venger les fils »). Ce
poème de vingt-cinq strophes est remarquable pour de
nombreuses raisons. Le poète y exprime sa difficulté à parler du
fait du chagrin qui pèse sur sa langue. Il invoque ensuite le
souvenir de ses parents, en particulier du corps de sa mère, avant
de s’épancher, avec des métaphores frappantes, sur la noyade de
son fils, puis sur la maladie qui a emporté un autre de ses
garçons44.
• 45 J.H. Aðalsteinsson, Trúarhugmyndir í Sonatorreki, Reykjavik,
Bókmenntafræðistofnun Háskóla Íslands, (...)

45Aujourd’hui encore, la plupart des chercheurs considèrent ce


poème comme authentiquement païen et, de ce fait, comme une
source incomparable sur la mentalité des Norrois vivant pendant
la période viking. Le poète serait une voix réelle du passé
uniquement déformée par la mauvaise transmission des
manuscrits tardifs qui la conservent, ce qu’attesteraient seuls
quelques vers cités par Snorri Sturluson dans son Edda en prose,
où ils sont attribués au scalde nommé Egil. Le poème aurait donc
une existence indépendante de la saga45.
• 46 T.H. Tulinius, « The conversion of Sonatorrek », in W. Heizmann,
K. Böldl et H. Beck (dir.), Analec (...)

46Dans un article déjà ancien, j’ai toutefois identifié un certain


nombre d’images ou d’idées chrétiennes qui infirment l’hypothèse
que le poème fut composé par un païen, du moins dans son état
actuel. Le fait est troublant, surtout pour lesdits chercheurs qui
utilisent ce poème comme une source de renseignements sur le
paganisme ancien46. Pour ma part, je n’exclus pas que le poème
ait pu exister avant la saga, ni même que le vrai Egil ait pu
composer un poème de ce type. Dans la saga, il a cependant été
modifié non seulement pour les besoins du récit et de sa
cohérence, mais aussi pour le rendre compréhensible dans un
contexte chrétien.
• 47 J.-C. Schmitt, La Conversion d’Hermann le Juif. Autobiographie,
histoire et fiction, Paris, Seuil, (...)

47Cette idée m’est venue en lisant La Conversion d’Hermann le


Juif de Jean-Claude Schmitt, où l’auteur montre l’importance du
thème de la conversion dans la chrétienté médiévale au moment
où la saga a été composée. Il y est notamment question d’objets
et de lieux transformés ou « convertis » pour servir dans la liturgie
ou la vie religieuse chrétienne. Comme l’écrit Jean-Claude Schmitt
à propos de l’autobiographie supposée du Juif converti, qui est à
la fois « vraie » et « fictive », le poème serait à la fois
« authentique » et « falsifié », la création de plusieurs auteurs,
païens et chrétiens47.
• 48 M. Zink, Poésie et conversion au Moyen Âge, Paris, PUF, 2003,
p. 19-24.

48Sonatorrek se présente néanmoins comme un poème païen. On


y trouve notamment la figure d’Odin, dieu de la poésie auquel le
poète dit qu’il ne sacrifie pas parce qu’il en a envie, mais parce
que la poésie est dénuée de vices et lui a sauvé la
vie. Sonatorrek peut donc se lire comme un manifeste pour la
poésie, malgré ses origines païennes. Or, dans Poésie et
conversion au Moyen Âge, Michel Zink a expliqué que la poésie
avait précisément un statut ambigu dans la pensée chrétienne à
cause de ses liens historiques avec le paganisme48. Il fallait donc
la convertir, tout comme le fut la mémoire du poète lors de
l’épisode du cimetière, et c’est ce qui se passe dans la Saga d’Egil.
49C’est également vrai pour ce monde païen, ce passé viking,
celui des origines de la société dans laquelle vivaient les auteurs
et les destinataires des sagas. Les auteurs exploitaient la mémoire
commune et la poésie, authentiquement ancienne ou composée
par eux, était une voix du passé qui servait leurs récits, ces sagas
des premiers Islandais dans lesquelles ils construisaient une
identité pénétrée des différentes idéologies de la période. Mais
cette identité qui prend naissance dans le paganisme est ambiguë
car confrontée à une réalité troublante, violente, traumatisante.
Nous verrons par la suite comment cette violence se traduit en
littérature.
NOTES
1 J. Jesch, The Viking Diaspora, New York, Routledge, 2015.

2 Ibid., p. 199.

3 La Saga des Féroïens, trad. de J. Renaud, Paris, Aubier Montaigne,


1983, p. 33-34.

4 J. Glauser, P. Hermann et S.A. Mitchell (dir.), Handbook of Pre-


Modern Nordic Memory Studies. Interdisciplinary Approaches, Berlin,
De Gruyter, 2018.

5 G. Karlsson, K. Sveinsson et M. Árnason (dir.), Grágás. Lagasafn


íslenska þjóðveldisins, Reykjavik, Mál og menning, 1992, p. XXIV-XXV.

6 Ibid., p. 460.

7 Íslendingabók. Landnámabók, éd. J. Benediktsson, Reykjavik, Hið


íslenska fornritafélag, 1968, p. 23.

8 G. Karlsson, K. Sveinsson et M. Árnason (dir.), Grágás. Lagasafn


íslenska þjóðveldisins, op. cit., p. 463.

9 La Saga des Sturlungar (trad. de l’islandais ancien présentée et


annotée par R. Boyer, Paris, Les Belles Lettres, 2005) est notre
meilleure source sur ces personnages. Sur Snorri Sturluson, voir
R. Boyer, Snorri Sturluson, le plus grand écrivain islandais du
Moyen Âge, Bayeux, OREP Éditions, 2012.
10 J.V. Sigurðsson et S. Jakobsson (dir.), Sturla Þórðarson. Skald,
Chieftain and Lawman, Leyde, Brill, 2017.

11 Ó. Þórðarson, Málhljóða- og Málskrúðsrit, éd. de F. Jónsson,


Copenhague, Høst, 1927.

12 La meilleure édition actuelle de l’Edda de Snorri Sturluson est celle


d’A. Faulkes qui a été publiée en quatre volumes par la Viking Society
for Northern Research de Londres : Edda. Prologue and
Gylfaginning (1982 et 2005), Skáldskaparmál I et II (1998)
et Háttatal (1991). Une traduction partielle existe en français : L’Edda.
Récits de mythologie nordique par Snorri Sturluson, trad. du vieil
islandais introduite et annotée par F.-X. Dillmann, Paris, Gallimard,
1991.

13 Voir, à ce sujet, R. Poole, « Skalds », in J. Glauser, P. Hermann et


S.A. Mitchell (dir.), Handbook of Pre-Modern Nordic Memory
Studies, op. cit., p. 644.

14 S. Sturluson, Heimskringla, éd. de B. Aðalbjarnarson, Reykjavik, Hið


íslenska fornritafélag, 1941, t. I, p. 5. Voir aussi S. Sturluson, Histoire
des rois de Norvège, trad. du vieil islandais introduite et annotée par
F.-X. Dillmann, Paris, Gallimard, 2000, t. I, p. 52.

15 Voir, à ce sujet, la belle étude de H. O’Donoghue, Skaldic Verse and


the Poetics of Saga Narrative, Oxford, Oxford University Press, 2005.

16 Vestfirðingasögur, éd. de B.K. Þórólfsson et G. Jónsson, Reykjavik,


Hið íslenska fornritafélag, 1943, p. 3-118 ; Sagas islandaises, éd. et
trad. de R. Boyer, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
1987, p. 573-635.

17 Völsunga Saga ok Ragnars saga loðbrókar, éd. de M. Olsen,


Copenhague, Samfund til udgivelse af gammel nordisk litteratur, 1906-
1908 ; R. Boyer, La Saga de Sigurdr ou la parole donnée, Paris, Cerf,
1989.
18 Saga d’Egil, trad. introduite et annotée par T.H. Tulinius, avec la
collaboration de P. Desoille-Cadiot, Paris, Le Livre de Poche,
coll. « Lettres gothiques », 2021, p. 77.

19 Ibid., p. 84.

20 Ibid., p. 87.

21 Ibid., p. 85.

22 Ibid., p. 95. Voir aussi A. Holtsmark, « Skallagrims


heimamenn », Maal og minne. Norske studier, vol. 7, 1971, p. 97-105.

23 Pour un aperçu historique de ces débats, voir


T.M. Andersson, The Problem of Icelandic Saga Origins. A Historical
Survey, Londres/New Haven, Yale University Press, 1964.

24 Voir, à ce sujet, l’introduction des éditeurs du Handbook of Pre-


Modern Nordic Memory Studies, op. cit., p. 1-22.

25 Pour la transmission orale qui est à la base des récits de voyage


vers le continent américain, voir G. Sigurðsson, Túlkun Íslendingasagna
í ljósi munnlegrar hefðar, Reykjavik, Stofnun Árna Magnússonar, 2002,
p. 251-300, en particulier p. 299-300. Pour le sens de ces récits, voir
mon article « Je est un Autre. Le Groenland dans l’imaginaire des
Islandais du Moyen Âge », Études germaniques, no 301, 2021, p. 17-
30.

26 M. Kuitems, B.L. Wallace, C. Lindsay et al., « Evidence for European


presence in the Americas in AD 1021 », Nature, vol. 601, 2022, p. 388-
391.

27 Ó. Halldórsson, Grænland í miðaldaritum, Reykjavik, Sögufélag,


1978, p. 381.

28 Voir l’introduction déjà citée du Handbook of Pre-Modern Nordic


Memory Studies (op. cit., p. 1-22) et A. Robbe-Grillet, Le miroir qui
revient, Paris, Éditions de Minuit, 1984, p. 8.
29 T.M. Andersson, The Partisan Muse in the Early Icelandic Sagas
(1200-1250), Ithaca (NY), Cornell University Press, 2012, p. 27.

30 K.E. Gade, « Dating of poetry and principles of


normalisation », in D. Whaley (dir.), Poetry from the Kings’ Sagas,
tome I : From Mythical Times to c. 1035, Turnhout, Brepols, « Skaldic
poetry of the Scandinavian Middle Ages » (1), 2012, p. XLIV-XLVI. Voir
aussi M. Males, The Poetic Genesis of Old Icelandic Literature, Berlin,
De Gruyter, 2020.

31 Egils saga, éd. B. Einarsson, Londres, Viking Society for Northern


Research, 2003, p. 66.

32 R. Boyer, La Poésie scaldique, Paris, Éditions du Porte-Glaive, 1990.

33 Les caractères gras indiquent les répétitions de consonnes ou de


voyelles qui se font uniquement sur des syllabes accentuées. Nous
soulignons les rimes internes et indiquons avec des italiques les
assonances internes.

34 B. Hårdh, « Viking Age Uppåkra and Lund », in S. Brink et N. Price


(dir.), The Viking World, Londres, Routledge, 2008, p. 145-149.

35 S. Sturluson, Edda. Skáldskaparmál, tome I : Introduction, Text and


Notes, op. cit., p. 40.

36 M. Males, The Poetic Genesis of Old Icelandic Literature, op. cit.,


p. 220-221.

37 T.H. Tulinius, The Enigma of Egill. The Saga, the Viking Poet, and
Snorri Sturluson, trad. de V. Cribb, Ithaca (NY), Cornell University
Library, 2014.

38 Saga d’Egil, op. cit., p. 129-159.

39 T.H. Tulinius, The Enigma of Egill, op. cit., p. 53-58.

40 Ibid., p. 119-131.
41 Saga d’Egil, op. cit., p. 277 ; T.H. Tulinius, The Enigma of
Egill, op. cit., p. 2-5.

42 G. Karlsson, K. Sveinsson et M. Árnason (dir.), Grágás. Lagasafn


íslenska þjóðveldisins, op. cit., p. 9-10 ; T.H. Tulinius, The Enigma of
Egill, op. cit., p. 100-102.

43 T.H. Tulinius, The Enigma of Egill, op. cit., p. 97-100.

44 Saga d’Egil, op. cit., p. 236-245.

45 J.H. Aðalsteinsson, Trúarhugmyndir í Sonatorreki, Reykjavik,


Bókmenntafræðistofnun Háskóla Íslands, 2001.

46 T.H. Tulinius, « The conversion of Sonatorrek », in W. Heizmann,


K. Böldl et H. Beck (dir.), Analecta Septentrionalia, Berlin, De Gruyter,
2009, p. 701-714.

47 J.-C. Schmitt, La Conversion d’Hermann le Juif. Autobiographie,


histoire et fiction, Paris, Seuil, 2003, p. 60-61.

48 M. Zink, Poésie et conversion au Moyen Âge, Paris, PUF, 2003,


p. 19-24.

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