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Coviaux Stéphane. Norvège et Normandie au XIe siècle. In: Annales de Normandie, 55ᵉ année, n°3, 2005. pp. 195-211;
doi : https://doi.org/10.3406/annor.2005.1533
https://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_2005_num_55_3_1533
1 Les découvertes archéologiques ont montré qu'avant le temps des missions, le christianisme se
diffusa dans les régions de Norvège les plus ouvertes sur l'extérieur, comme celles de l'ouest et le Vik,
c'est-à-dire les terres bordant le fjord d'Oslo (cf. par exemple P.H. SAWYER, « The Process of
Scandinavian Christian ization in the tenth and eleventh centuries », dans B. SAWYER, P.H. SAWYER et I. WOOD,
The Christianization of Scandinavia, Alingsâs, 1987, p. 68-87 ; P. HERNIES, « Kristen innflytelse i
Rogalands vikingtid », dans M0tet mellom hedendom og khstendom i Norge, H.E. Lidén dir., Oslo, 1995,
p. 80-120 ; P. ROLFSEN, « Den siste hedning pâ Agder », Viking, 44 (1981), p. 1 12-118).
2 Magnus le Bon était le fils d'Olaf Haraldsson. Réfugié en Russie à la mort de son père, il fut
ramené en 1035 par les grands de Norvège, désireux de secouer la tutelle danoise à laquelle ils étaient
soumis depuis quelques années. Harald, le demi-frère d'Olaf, succéda à son neveu en 1047, après avoir
partagé le pouvoir avec lui pendant un an. Auparavant, dans sa jeunesse, il s'était illustré au sein de la
garde varègue des empereurs de Byzance.
3 Sur ce mouvement, nous renvoyons à P.S. ANDERSEN, Samlingen av Norge og kristningen av
landet 800-1130, Bergen-Oslo-Tromso, 1977 (Handbok i Norges historié, 2), p. 65-157 ; C. KRAG,
Vikingtid og Rikssamling 800-1 130, Oslo, 1995 (Aschehougs Norges Historié, 2), p. 72-103 et p. 148-
157 ; Id., « Perspektiver pâ den norske rikssamlingen - et forsok pâ en revisjon », dans Kongemote pâ
Stiklestad, O. Skevik éd., Oslo, 1999, p. 11-17.
4 On donne ce nom à la région du fjord d'Oslo, qui, d'après les annales franques des temps
carolingiens, était soumise à la domination danoise au début du IXe siècle.
13 Par exemple, ODD SNORRASON, Saga Ôlâfs Tryggvasonar, Finnur Jônsson éd., Copenhague,
1932, ch. 40, p. 156.
1 4 « Hic. enangelice ueritatis sineeritate in anglia comperta, fidem toto adtnisit pectore, et ad
baptismi gratiam in urbe rotomagi deuota animi alacritate conuolauit » (Passio et Miracula beati Olavi,
F. Metcalfe éd., Oxford, 1881, p. 68).
1 5 « Sed et ego legi in Historia Normannorum, quod a Roberto in Normandia Rothomagensi metro-
politano baptizatus fiierit. Constat enim, quod Willelmus dux Normanniœ adsciverit eum sibi contra
Robertum regem Franciœ cognomento capet (qui fuit filius Hugonis capet nobilissimi duc is), qui duci
Willelmo una cum comité Flandrensi bellum inferre parabant ; nitebatur enim eum expellere a Norman-
nia, eu quod antecessores ejus vi extorserant provinciam a rege Francorum » (THEODORICUS MONA-
CHUS, Historia de antiquitate regum Norwagensium, G. Storm éd., Kristiania, 1 880, ch. 1 3, p. 22).
198 S. C0V1AUX
Interprétation
Le baptême d'Olaf s'inscrit en effet dans la longue tradition des chefs
Scandinaves baptisés à l'étranger à l'époque des raids vikings1 ; les
Carolingiens en furent les initiateurs, et on sait comment Louis le Pieux fit baptiser
en 826 le chef danois Harald klak à Mayence, suivi en cela par ses
successeurs Charles le Chauve, Charles le Gros et Charles le Simple20. Les rois
anglo-saxons de la dynastie de Wessex imitèrent cet exemple à partir du
règne d'Alfred le Grand, à la fin du IXe siècle21. Dans tous ces baptêmes,
l'acte essentiel était moins le sacrement en lui-même que la cérémonie du
parrainage qui la suivait, au terme de laquelle le chef Scandinave converti
1 6 « Rex eliam Olaus super Christiana religione oblectatus, spreto idolorum cultu, cum nonnullis
suorum, ortante archiepiscopo Rodberto, ad Christi jidem est conversus, atque ab en baptismale lotus
sacroque chrismate delibretus, de precepta gratia gaudens, ad suum regnum est regressus. Qui, postea a
suis proditus et a perfidis iniusle peremptus, cclcstcm regiam intrauit rex et martyr gloriosus, choruscana
nunc apud gentem illam prodigiis et uirtutibus » {The Gesta Normannorum ducum of William of
Jumièges, Orderic Vitalis, and Robert ofTorigni, vol. II, Oxford, 1995, livre V, ch. 12, p. 26-28). Selon
Elisabeth van Houts, Guillaume de Jumièges se serait inspiré du récit que lui laissa vers 1025-1026 le scalde
Sighvat Thordarson, qui vint à cette date en Normandie (E. VAN HOUTS, « Scandinavian influence in
Norman literature of the eleventh century », Anglo-Norman Studies, VI. Proceedings of the Rattle
Conference 1983, R. Allen Brown éd., Woodbridge, 1984, p. 1 18-1 19).
1 7 Le conflit entre Eudes et Richard portait sur le château de Dreux, donné en douaire par le duc à
sa sœur Mathilde lorsqu'elle épousa le comte de Chartres. Quand elle mourut sans descendance, quelques
années plus tard, Richard voulut reprendre possession du château, et se heurta alors à l'opposition de son
beau-frère. Pour résoudre le conflit, le roi Robert le Pieux réunit une assemblée à Coudres, à laquelle il
convoqua les deux belligérants. Une paix fut alors conclue (J.F. LEMARIGNIER, Recherches sur
l'hommage en marche et les frontières féodales, Lille, 1 945, p. 56-60).
1 8 « Item, de cappa sancti Olavi régis ac martyris qua induit se postquam implevit orationes suas in
aqua» (Millénaire du Mont Saint-Michel. Histoire et vie monastique, Dom J. Laporte dir., Paris, 1966,
p. 531-532).
19 Sur ce point, A. ANGENENDT, Kaiserherrschaft und Kônigstaufe. Kaiser, Kônige und Pâpste als
geistliche Patrone in der abendlàndischen Missiunsgeschichte, Berlin. - New-York. 1984 (Arbeiten zur
Fruhmittelalterforschung, 1 5) ; S. COV1AUX, « Baptême et conversion des chefs Scandinaves », dans Les
fondations Scandinaves au Moyen Age et ta naissance de la principauté normande, P. Bauduin et C.
I orren dir., Actes du Colloque international de Cerisy-la-Salle, 25-27 septembre 2002, p. 67-80.
20 L'événement est décrit dans un grand nombre de sources carolingiennes, à commencer par le
Poème en l'honneur de Louis le Pieux d'Ermold le Noir (Ermold LE NOIR, Poème sur Louis le Pieux et
épitres au roi Pépin, E. Faral éd. et trad., Paris, 1 964, p. 1 67- 1 8 1 ).
21 Selon la Chronique anglo-saxonne, Alfred fit baptiser en 878 le chef danois Guthrum, dont il
devint alors le parrain (The Anglo-Saxon Chronicle, M.J. Swanton éd. et trad., Londres, 1996, p. 74-77).
Norvège et Normandie au Xf siècle 199
devenait le filleul du prince chrétien. Était ainsi créée entre les deux hommes
une relation inégalitaire, qui contraignait le premier à la fidélité envers le
second22. Le parrainage constituait également une institution d'harmonisation,
capable d'apaiser des tensions entre deux chefs et d'effacer le traumatisme
de la défaite23. Dans le cas précis qui nous intéresse ici, il n'est nullement
fait mention d'un quelconque lien de ce genre. Rien ne permet d'affirmer
que Richard II devint le parrain d'Olaf Haraldsson en 101324. Néanmoins, le
duc joua sans nul doute un rôle actif dans le processus qui conduisit le jeune
chef norvégien à recevoir le baptême des mains de l'archevêque Robert.
D'après le texte de Guillaume de Jumièges, la cérémonie fit suite à la
résolution du conflit qui opposait Richard II à Eudes de Chartres, conflit dans
lequel Olaf et un autre chef nordique nommé Lacman avaient été pour le duc
d'un précieux secours. Il les en remercia en leur faisant des cadeaux dignes
de rois, avant de leur permettre de rentrer chez eux, ayant reçu la promesse
de revenir le trouver s'il avait besoin d'eux25. L'année suivante, Olaf
accompagna en Angleterre le roi anglo-saxon ^thelred, qui s'était réfugié en
Normandie avec sa famille, chassé de son royaume par Sven à la Barbe
fourchue, le roi des Danois26.
Richard II conclut donc avec Olaf une sorte d'alliance, qui imposait au
chef norvégien de secourir le duc de Normandie en cas de besoin, comme
l'indique Guillaume de Jumièges27. Cette alliance reposait notamment sur le
lien spirituel du baptême, qu'il avait imposé à son ancien mercenaire. Cette
cérémonie apparaît donc d'une certaine manière comme le décalque du
baptême de Rollon, qui avait eu lieu un siècle plus tôt. Richard en tira
vraisemblablement un grand prestige, car il prenait symboliquement la place du roi
des Francs ; faire baptiser Olaf lui permettait de se rattacher à la fonction
royale. Mais le parallèle entre ces deux cérémonies était certainement aussi
lourd de sous-entendus politiques pour Olaf, qui, deux ans plus tard, allait
22 J.G. LYNCH, Godparents and Kinship in early medieval Europe, Princeton, 1996, p. 169-192 ;
B. JUSSEN, Spiritual Kinship as Social Practice. Godparenthood and Adoption in the early Middle Ages,
édition revue et traduite par Pamela Selwyn, Londres, 2000, p. 210-238.
23 Ibid, p. 219-220.
24 Notons d'ailleurs que ce fut Robert de Neustrie et non Charles le Simple qui, selon Dudon, fut le
parrain de Rollon lors de son baptême (A. ANUENENDT, Kaiserherrschaft und Kônigstaufe .... op. cit.,
p. 263-265).
25 The Gesta Normannorum ducum of William ofJumièges, op. cit., V, 12, p. 26-28.
26 Le soutien apporté par Olaf à /Ethelred est évoqué sans ambiguïté par une strophe scaldique
d'Ottar le Noir, rapportée par Snorri Sturluson dans la Saga de saint Olaf (SNORRI STURLUSON,
Heimskring/a, vol. II, Bjarni ADalbjarnarson éd., Reykjavik, 1945 (îslenzk fornrit, 27), p. 34).
27 Ce faisant, le duc de Normandie imitait la politique choisie quelques années plus tôt par le roi
anglo-saxon /Ethelred, menacé par la recrudescence des raids danois et norvégiens. En 994, ce dernier
choisit de traiter avec Olaf Tryggvason, en le convertissant et en devenant son parrain ; il conclut
également avec lui une alliance, par laquelle le chef Scandinave s'engageait à ne jamais revenir en
Angleterre en ennemi et, le cas échéant, à venir au secours du roi anglo-saxon (P.H. SAWYER, « Ethelred
II, Olaf Tryggvason and the conversion of Norway », Scandinavian Studies, 59 (1987), p. 299-307 ;
N. LUND, « Peace and Non-Peace in the Viking Age - Ottar in Biarmaland, the Rus in Byzantium, and
Danes and Norwegians in England », dans Proceedings of the Tenth Viking Congress, Larkollen, Norway,
19S5, .1. Knirk éd., Oslo, 1987, p. 265 ; Id., De hœrger og de brenner. Danmark og England i
vikingetiden. Copenhague, 1993. p. 143-147).
200 S.COVIAUX
28 O. GUILLOT, «La conversion des Normands peu après 911. Des reflets contemporains à
l'historiographie ultérieure », Cahiers de Civilisation Médiévale X - XIT siècles, 24 (1981), p. 101-1 16 et
p. 181-219.
29 Ibid, p. 199-207.
30 H. PRENTOUT, Étude critique sur Dudon de Saint-Quentin et son Histoire des premiers ducs
normands, Paris, 1916 ; L. MUSSET, « Ce que l'on peut savoir du traité de Saint-Clair-sur-Epte », dans
Nordica et Normannica ..., op. cit., p. 377-381
31 En dernier lieu, P. BOUET, « Les négociations du traité de Saint-Clair-sur-Epte selon Dudon de
.
Saint-Quentin ». dans La progression des Vikings, des raids à la colonisation, A. -M. Flambard-Héricher
éd., Rouen, 2003 (Cahiers du GHRH1S, 14), p. 83-103.
32 C'est probablement la deuxième de ces visions qui développe cette idée de manière la plus
évidente. Séjournant en Angleterre, Rollon rêva qu'il se trouvait au sommet d'une montagne, dans une
habitation franque, surplombant le monde. Il se vit lui-même en train de se laver dans une source dont
émanait une douce odeur ; il s'y purifia de la lèpre dont il était atteint. 11 vit alors une multitude d'oiseaux,
s'étendant si loin qu'il ne pouvait en voir la fin. Un prisonnier franc lui livra alors l'interprétation de son
rêve : la montagne était l'Eglise de Francie, la source la renaissance du baptême, la lèpre les crimes sans
nombre qu'il avait commis, les oiseaux les guerriers qui lui seraient fidèles lorsqu'il serait baptisé
(O. GUILLOT, « La conversion des Normands ... », op. cit., p. 202-204).
Norvège et Normandie au Xf siée le 20 1
33 Cette description tient dans les quelques lignes qui constituent la clôture du livre II de l'œuvre de
Dudon de Saint-Quentin (DUDON DE SAINT-QUENTIN, De moribus et actis primorum Normanniœ
ducum, J. Lair éd., Caen, 1865 (Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, 23), II, 31,
p. 171).
34 « Jura et leges sempiternas, voluntate principum saucitas et décrétas, plebi indexit » (Ibid.,
p. 171).
35 G. A. BLOM, « St. Olavs lov», dans Olav - konge og helgen, myte og symbol, St. Olavs forlag,
1981, p. 63-83.
36 Le code de Gulen, valable pour l'ouest de la Norvège, a été conservé dans un manuscrit du XIIIe
siècle. Mais la section liminaire, le kristenrett, se décompose nettement en deux parties : la « loi de saint
Olaf», qui reprend les lois les plus anciennes, et la « loi de Magnus », résultant de la révision du code par
Magnus Erlingsson (1 161-1 184). Tous les articles qui composent la première ne peuvent être en réalité
attribués au seul Olaf ; mais certaines le lui sont expressément (T. KNUDSEN, « Gulatingsloven », dans
Kulturhistoriskt Lexikon for nurdi.sk medeltid, t. 5, Copenhague, 1960, col. 560-565 ; P. NORSENG, « Law
Codes as a Source for Nordic History », Scandinavian Journal of History, 16 (1987), p. 143-145).
37 En voici la traduction proposée par Renauld-Kranz : « Peuples et princes, je crois, ont su faire un
bon choix, car les Olafs en sûreté ont mis les biens de leurs sujets. L'héritier de Harald et le fils de
Tryggvi maintinrent sans reproche les lois qu'ils accordèrent » (RENAULD-KRANZ, Anthologie de la
poésie nordique ancienne : des origines à la fin du Moyen Age, Paris, 1964, p. 243).
38 Régis Boyer en propose la traduction suivante : « Toi qui élèves le coursier des vagues, / Tu as
pouvoir d'instituer le droit du pays / Celui qui durera / Parmi la troupe de tous les hommes » (SNORR1
STURLUSON, La saga de saint Ôlâf R. Boyer trad., Paris, 1 992, p. 64).
39 SNORRI STURLUSON, Heimskringla, vol. II, op. cit., p. 74. Sur ce point, JÔNAS GlSLASON,
« Acceptance of Christianity in Iceland in the Year 1000 (999) », dans Old-Norse and Finnish religions
andcultic Place-Names, T. Ahlbâck éd., Stockholm, 1990, p. 223-255.
40 « Ecclesias funditas fuxas statuit, templa frequentia paganorum destructa restauravit » (DUDON,
De moribus et actis ..., op. cit., p. 171). Cette tradition n'est peut-être pas authentique, comme le suggère
David Douglas (D. DOUGLAS. « Rollo of Normandy », dans Time and the Hour. Some Collected Papers
ofDavid C. Douglas, Londres, 1977, p. 131-132).
202 s. coviAUX
construction d'une église dans chaque district de Norvège41. S'il est difficile
de se fier aveuglément à ce témoignage tardif ", il est clair que le roi se
préoccupa de la mise en place d'un premier réseau d'églises, probablement
constitué sur le modèle anglais des minsters ~\ D'autre part, en signe d'ami-
tic et de reconnaissance de son autorité, il encouragea les grands à construire
sur leurs domaines des églises privées44.
Enfin, les deux princes furent tous deux des guerriers, capables de
défendre et d'étendre leur autorité à l'ensemble du territoire qu'ils estimaient
légitimement posséder. Selon Dudon de Saint-Quentin, Rollon parvint à
soumettre les Bretons rebelles et à imposer son pouvoir dans tout le territoire qui lui
avait été concédé par le traité de Saint-Clair-sur-Epte45. La tradition nordique
voit en Olaf celui qui acheva l'unification de la Norvège, commencée dès le
début du Xe siècle. Par la force des armes, il fit reconnaître son autorité dans
tout le patrimoine de Harald à la Belle Chevelure46.
En définitive, il existe un certain nombre de parentés entre l'action de
saint Olaf et ce que Dudon de Saint-Quentin a écrit du principat de Rollon.
On en tirera l'hypothèse que la construction d'une historiographie normande,
contemporaine du baptême d'Olaf Haraldsson à Rouen, fut pour ce dernier
une source importante d'inspiration.
Ce baptême fut donc un élément essentiel des relations entre Norvège et
Normandie au XIe siècle. Il concourut à faire de Rollon, magnifié par le récit
de la fondation de la principauté normande laissé par Dudon, un modèle de
comportement pour le roi norvégien. Il scella également une alliance entre la
dynastie ducale et celle des rois de Norvège, dont il importe de sentir les
effets dans les années qui suivirent. En tout premier lieu, elle ne fut pas sans
41 Fagrskinna - Noregs konunga tal, Bjarni Einarsson éd., Reykjavik, 1958 (îslenzk fomrit, 29),
ch.31,p. 181.
42 Les recherches archéologiques n'ont en effet pas mis au jour un nombre considérable d'églises
datant du XV siècle, ce qui a conduit les historiens à relativiser très fortement la tradition tardive dont la
Fagrskinna est l'expression (H.b. LIDEN, « De lidige kiikene. Ilvcm byggct dem, hvem brugte de m og
hvordan », dans Motet mellom hedendom og kristendom i Norge, H.E. Lidén dir., Oslo, 1995, p. 129-
141).
43 D. SKRE, « Missionary Activity in Early Medieval Norway. Strategy, Organization and the
Cause of Events », Scandinavian Journal of History, 23 (1998), p. 1-19.
44 Un diplôme du XIIIe siècle montre que l'église paroissiale de Loin fut construite de cette manière
(Diplomalarium Norvégienne, 11, 4, p. 5-6). La pierre runique d'Oddernes, dans l'Agder occidental, en
fournit un autre exemple. Gravée par un certain 0yvind, proche compagnon d'Olaf, elle porte
l'inscription suivante : « 0yvind, filleul de saint Olaf, a construit cette église sur son domaine patrimonial »
(M. OLSEN, « Oddernes », dans Norges innskrifter med de yngre runer, t. 3, Oslo, 1954, p. 73-100 ;
l.S. JOHNSEN, Stuttruner i vikingtidens innskrifter, Oslo, 1968, p. 184-185). Ces fondations doivent
certainement être interprétées comme des actes d'allégeance au roi (D. SKRE, « Kirken for sognet. Den
tidligste kirkeordningen i Norge », dans Malet mellom hedendom .... op. ci!., p. 171-176).
45 « Rritannos rebelles sibi subjugavit, atque de cibariis Britonum to turn regnum sibi concession
sufficienter pavit » (DUDON, De moribus et act is .... op. cit., p. 171 ).
46 II faut ici signaler que le thème du patrimoine de Harald est un élément de propagande sans
grand fondement historique, car Harald à la Belle Chevelure ne régna jamais sur l'ensemble de la
Norvège, contrairement à ce qu'affirment les sagas. Son autorité s'exerça probablement sur la région du
Vestfold, dans le fjord d'Oslo, à moins qu'il ne faille voir en lui un roi des Oppland, c'est-à-dire de l'est de
la Norvège (C. K.RAG, « Vestland som utgangspunkt for den norske rikssamlirmen », Collegium Medie-
vc//e, 3(1990), p. 179-195).
Norvège et Normandie au Xf siècle 203
que, dans le passage cité, l'auteur de la Hungrvaka s'appuie sur une source
antérieure, le Livre des Islandais du prêtre Ari Thorgilsson le Savant, datée
des années 1124-1133, qui ne précise pas les origines de l'évêque . Enfin,
comme on l'a vu, Adam de Brème voit en lui un évêque anglais, à l'instar de
Grimkel, Sigfrid et Bernard. Cette information a été retenue dans VHistoria
Norvegiœ, rédigée probablement à la fin du XIIe siècle54. L'auteur de la
Hungrvaka, emporté par le goût bien connu des clercs médiévaux pour les
jeux étymologiques55, a donc pu simplement imaginer que Rodulf tirait son
nom de la ville de Rouen. Pourtant, l'information qu'il donne ne peut être
écartée a priori™.
culturelles au tournant des Xf-XIf siècles. Actes du Colloque international du CNRS, R. Foreville dir.,
Paris, 1984, p. 72.
53 Ari Thorgilsson se contente de donner une liste très sommaire des premiers évêques d'Islande,
qu'il qualifie d'évêques étrangers « Voici les noms des évêques qui furent des étrangers en Islande,
d'après ce qu'a dit Teit. Frédéric vint au temps du paganisme, puis il y eut ensuite Bernard le Savant,
:
cinq ans ; Kol, quelques années ; Rodulf dix-neuf ans : Jean l'Irlandais, quelques années ; Bernard, dix-
:
neuf ans ; Henri, deux ans. Et cinq autres également, qui se disaient évêques : Ôrnolf et Gotskalk, et trois
Arméniens : Petrus, Abraham et Stephanus » (« Pessi eru nôfn biskupa peirra, er verit hafa à Islandi
ùtlendir, at sôgu Teits. Friârekr kom i heiôni hér, en pessir vàru sidan : Bjarnhardr inn bôkvisi v âr ;
Kolr fâ âr ; Hrôôôlfr xix âr ; Jôhan inn irski fa âr ; Bjarnhardr xix âr ; Heinrekr ii âr. Enn kômu hér
aôrir v, peir er biskupar kvâdusk vera : Ôrnolfr ok Goôiskâlkr, ok iii ermskir : Petrus ok Abraham ok
Stephanus » : ARI THORGILSSON, The Book of the Icelanders, Halldôr Hermansson éd. et trad., Ithaca,
1 930 (fslandica, 20), ch. 8, p. 54).
54 « Parti d'Angleterre, Olaf traversa la mer jusqu'en Norvège avec deux bateaux lourdement
chargés ; avec lui il y avait quatre évêques Grimkel, Bernard, Rodulf et Sigfrid » (« Olavus de Anglia
rediens cum duabus magnis onerariis navibus ad patriam transfretavit Norwegiam et cum eo quatuor
:
episcopi, scilicet Grimkellus, Bernardus, Rodulfus, Sigfridus » {Historia Norvegiœ, G. Storm éd., Kristia-
nia, 1880, p. 124).
55 M. PASTOUREAU, Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, Paris, 2004, p. 14-17.
56 Notons que certains historiens ont accepté d'accorder à cette information du crédit, mais sans
justification satisfaisante (F. M. STENTON, Anglo-Saxon England, Oxford, 1971 (3e édition), p. 463 ; JÔN
SIE1ÂNSSON, « Rûôôlfr of Bac and Rudolf of Rouen », Saga-Book of the Viking Society, 13 (1946-1953),
p. 174-182).
57 E.H. LIND, Norsk-islândska dôpnamn och fingerade namn fràn middelalderen, Uppsala, 1915,
col. 836.
58 A. JANZÉN, « De fomvâstnordiska Personnamnen », dans Person namn, A. Janzén éd.,
Stockholm, 1948 (Nordisk Kultur, VII), p. 80.
Norvège et Normandie un XIe siècle 205
59 D'après William Searle, le nom Radulf fut aussi courant en Angleterre avant qu'après la conquête
normande (W.G. SEARLE, Onomasticon Anglo-Saxonicum. A List of Anglo-Saxon proper names from the
time ofBeda to that ofKing John, Cambridge, 1 897, p. 392).
60 J. ADIGARD DES GAUTRIES, Les noms de personnes Scandinaves en Normandie de 911 à 1066,
Lund, 1954 (Nomina Germanica. Arkiv for germansk namnforskning utgivet av Jôran Sahlgren, 11),
p. 111.
6 1 The Anglo-Saxon Chronicle, 1 050 (C), p. 1 7 1 - 1 72.
62 « Inde Rodulfum quendam longœvnm abbatis loco ponendum rex transmisit », (Chronicon
monasterii de Abingdon, J. Stevenson éd., Londres, 1858 (Rerum Britannicarum Medii ALvi Scriptores,
2), p. 463).
63 Dom D. KNOWLES, C.N.L. BROOKE et V.C.M. LONDON, The Heads of religious Houses in
England and Wales 940-1216, Cambridge, 1972, p. 24.
64 F. BARLOW, Edward the Confessor, Berkeley - Los Angeles, 1 970, p. 3-27.
65 The Gesta Normannorum Ducum ..., op. cit., VII, 1 7, p. 1 74-1 76.
66 D. DOUGLAS, « The Ancestors of William fitz Osbern », English Historical Review, 59 ( 1 973),
p. 67-69 ; D.R. BATES, « Notes sur l'aristocratie normande », Annales de Normandie, 23 (1973), p. 8-38.
67 M. FAUROUX, Recueil des actes des ducs de Normandie (911-1 066), Caen, 1 96 1 , n° 1 3 , p. 86-89.
206 s. coviAUX
Interprétation
Un évêque normand assista donc Olaf Haraldsson jusqu'à sa mort, en
1030. 11 se rendit alors à Hambourg auprès de l'archevêque Un wan, qui
l'envoya ensuite en Islande, où il resta dix-neuf ans68. Que ce soit en Norvège ou
dans cette dernière contrée, on ignore tout ou presque de ses activités69.
L'influence de l'Église normande sur la christianisation de la Scandinavie ne peut
donc être précisée.
En revanche, on peut supposer que, s'il s'occupa avec énergie de la
conversion des païens du Nord, il fut également investi d'une forme de
responsabilité politique. Plusieurs exemples tirés de l'histoire de la christianisation
des sociétés païennes au cours du haut Moyen Âge montrent en effet que, à
l'occasion du baptême des princes et chefs païens, on se préoccupait de leur
adjoindre les services d'un ou de plusieurs missionnaires, parfois revêtus de
la dignité épiscopale, qui devaient non seulement mener à bien la conversion
des sujets du prince, mais également maintenir celui-ci dans l'alliance
conclue lors du baptême. Parfois même, comme le suggère le cas du royaume du
Kent à la fin du VIe siècle, cet envoi précédait la conversion du chef. Bède le
Vénérable raconte que la princesse franque Berthe, donnée à la fin des
années 570 en mariage au roi Ethelbert du Kent, fut suivie par un évêque
franc nommé Liudhard. Celui-ci resta à ses côtés, à Canterbury70. Selon Nick
Higham, sensible à ce détail négligé par la tradition historique, ce prélat
franc doit être considéré comme un agent de Chilpéric dans le royaume du
Kent ; le fait qu'il ait eu un rang élevé et qu'il n'ait pas été un simple
missionnaire lui permettait de conserver des contacts avec ses collègues du nord-
ouest de la Francie, et de constituer un lien essentiel entre les deux cours71.
Plus généralement, cependant, l'envoi de missionnaires suivait le baptême du
prince païen, comme le montre l'exemple de saint Anschaire, envoyé en
72 Vita Anskarii auctore Rimberîo, G. Waitz éd., Hanovre, 1864 (MGH, SS. rer Germ. NS 10),
ch.7, p. 26-29.
73 Annales regni Fruncorum, G.H. Pertz éd., Hanovre, 1895 (MGH, SS. rer. Germ, in usum
scho/arum, 6),
74 Nous en donnons ici la traduction proposée par Régis Boyer (SNORRI STURLUSON, La saga de
saint Ôlâf op. cit., p. 1 85). Rappelons que Rûôa est le nom norrois de la ville de Rouen. Bergr est le nom
du compagnon de voyage de Sighvat, dont nous ignorons tout par ailleurs.
75 Cette affaire s'explique autant par la volonté de Harald de rompre toute relation avec l'Église de
Hambourg, alliée à son principal ennemi, le roi des Danois Sven Estridsen, qu'à l'intransigeance d'Adal-
bert, dont les intérêts dans le Nord furent menacés dès le début des années 1050 par les projets du roi
danois, qui souhaitait la naissance d'une province ecclésiastique en son royaume (A.D. J0RGENSEN, Den
nordiske kirkes grundlœggelse og fors te udvikling, Copenhague, 1874-1878, p. 675-695 ; C. BREEN-
GAARD, Muren om Israels hits:. Rcgnuin og sacerdotium i Danmark 1050-1 170, Copenhague, 1982,
p. 84-87 ; S. COV1AUX, Chri.siianisation et naissance d'un épiscopat .... op. cit., p. 351-364).
208 S. COVIAUX
Interprétation
Ce furent apparemment les rois de Norvège qui souhaitèrent entretenir
des contacts avec la Normandie entre 1015 et 1066 ; aucune initiative
normande dans ce sens n'a été en effet repérée. Pour comprendre cette situation,
il faut replacer la question des relations entre les deux espaces dans le cadre
plus large de l'Europe du Nord-Ouest, qui fut à cette époque le lieu de
tensions importantes impliquant Norvégiens, Anglais et Danois.
À partir de la fïn du Xe siècle, sous le règne de Sven à la Barbe fourchue,
les Danois voulurent constituer un Empire centré sur la mer du Nord,
incluant le Danemark, la Norvège et l'Angleterre. Knut le Grand y parvint en
1028, quand, après avoir conquis l'Angleterre, il réussit à chasser Olaf Ha-
raldsson de son royaume. Avant cette date, les deux rois furent en conflit88.
C'est certainement dans ce contexte qu'il faut comprendre le voyage que
Sighvat Thordarson fit vers l'ouest et le séjour qu'il effectua à Rouen, d'après
les Vestrfararvisur. Selon Snorri, le scalde était parti pour un voyage de
commerce89. Pourtant, plusieurs éléments laissent penser que son expédition
avait un autre objet. Notons d'emblée que les scaldes furent assez
fréquemment utilisés à des fins politiques par les rois qui les stipendiaient90. Vers
1020, par exemple, le même Sighvat avait été envoyé en Suède par Olaf,
pour tenter une conciliation avec le roi Olof91. D'autre part, le poème indique
Rikssamling .... op rit p. 141 ). Mais il est probable qu'Olaf ait souhaité conclure une alliance défensive
avec la Suède contre les Danois.
92 Harald le Sévère, par exemple, fut en conflit avec Sven Estridsen de 1047 à 1064, date à laquelle
une paix fut conclue entre les deux rois. Selon Per Sveaas Andersen, l'objectif du roi de Norvège était de
reconstituer à son profit l'empire de Knut, en commençant par soumettre le Danemark. Cela constituait un
piéalable nécessaire à la conquête de l'Angleterre (PS. ANDERSEN. « Harald hardrâde, Danmark og
England », dans Harald hardrâde, A. Berg dir., Oslo, 1966, p. 94-126). Notons cependant la thèse très
critique de Sten Kôrner, selon laquelle les ambitions anglaises des rois Magnus et Harald participeraient
d'une reconstruction déformée par les auteurs des sagas (S. KÔRNER, The battle of Hastings, England and
Europe 1035-1066, Lund, 1964 (Bibliotheca Historiea Lundensis, 14), p. 145-154). Pourtant, plusieurs
entrées dans la Chronique anglo-saxonne indiquent que les rois de Norvège ne perdirent jamais de vue les
affaires d'Angleterre en 1045, Edouard le Confesseur dut réunir une grande flotte à Sandwich, à cause de
la menace que faisait peser sur son royaume le roi Magnus le Bon (ASC, p. 165). En 1058, selon la même
:
source, une flotte norvégienne menaça à nouveau les côtes anglaises (ASC, p. 188). Quant à Sven
Estridsen, le roi des Danois, il avait de toute évidence des prétentions à la couronne d'Angleterre
(E. HOFFMAN, « Danemark und England zur Zeit Kônig Sven Estridsen », dans Ans Reichsgeschichte
und Nordischer Gesehiehte, H. Fuhrmann, H.E. Mayer et K. Wriedt éd., Stuttgart, 1972 (Kieler Histo-
nsche Studien, 16), p. 92-111). Il prétendait qu'Edouard lui avait promis la couronne après sa mort
(ADAM, II, 78, p. 136).
93 M. DE BOUARD, Guillaume le Conquérant, Paris, 1984, n. 244-249. Cette promesse fut
probablement faite à Guillaume en avril 1051 par Robert de Jumièges, archevêque de Canterbury
(D. BAI ES, William the Conqueror, Londres, 2001 (T édition), p. 73).
94 M.W. CAMPBELL, « Earl Godwin of Wessex and Edward the Confessor's Promise of the throne
to William of Normandy », Traditio. Studies in Ancient and Medieval History, Thought and Religion, 28
(1972), p. 141-158 ; Id., «The rise of an Anglo-Saxon "Kingmaker": earl Godwin of Wessex »,
Canadian Journal of History, 13 (1978), p. 17-33.
Norvège et Normandie au Xf siècle 211
Conclusion
À n'en pas douter, la principauté normande joua un rôle important dans
les évolutions politiques et religieuses que connut la Norvège dans les
premières décennies du XIe siècle. L'histoire de sa fondation, ou plutôt l'image
que l'on s'en faisait à l'époque de Dudon de Saint-Quentin, inspira la
démarche d'Olaf Haraldsson, qui voulut en recevant le baptême placer ses pas dans
ceux de Rollon, pour qui cette cérémonie avait été, aux dires du chanoine
historiographe, un gage puissant de prospérité politique. En 1013, le baptême
du chef Scandinave à Rouen scella également une alliance politique entre la
Normandie et la Norvège.
Plusieurs indices semblent indiquer qu'Olaf et ses successeurs, au moins
Harald le Sévère, entendirent maintenir vivace cette alliance. La présence
d'un membre de la dynastie ducale au sein de l'épiscopat missionnaire
norvégien l'atteste, tout comme l'envoi du scalde Sighvat Thordarson à Rouen au
cours des années 1020, et peut-être également celui d'évêques en quête de
consécration vers le milieu du siècle. Apparemment, les rois de Norvège
voulurent rester en contact avec les ducs de Normandie, pour obtenir un
soutien dans les luttes qui les opposaient aux Danois pour la domination des
mers du Nord.
Il ne semble pas cependant que les ducs aient répondu favorablement à
ces attentes. C'est en tout cas ce que le silence des sources locales laisse
supposer. Peut-être doit-on y voir le signe d'un désintérêt pour les affaires
Scandinaves, qui ne paraissent plus guère avoir préoccupé les descendants de
Rollon au XIe siècle.
Stéphane COVIAUX
EA Les territoires de l 'Identité, Université d 'Orléans