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Cicéron dit dans son livre De fato, que Démocrite, Héraclite, Empédocle,
Aristote, ont cru que le destin emportait une nécessité ; que d’autres s’y
sont opposés (il entend peut-être Épicure et les académiciens), et que
Chrysippe a cherché un milieu. Je crois que Cicéron se trompe à l’égard
d’Aristote, qui a fort bien reconnu la contingence et la liberté, et est allé
même trop loin en disant (par inadvertance, comme je crois) que les
propositions sur les contingents futurs n’avaient point de vérité
déterminée ; en quoi il a été abandonné avec raison par la plupart des
scolastiques2.
• 5 Ibid.
4. Il y a coïncidence entre (L est vrai) est vrai et (L n’est pas vrai) n’est
pas vrai. Donc L et (L est faux) est faux coïncident. En effet, L = L est
vrai = (L est vrai) est vrai (1). Or (L est vrai) est vrai = (L n’est pas vrai)
n’est pas vrai (4). Et, en vertu de (3), (L n’est pas vrai) n’est pas vrai = (L
est faux) est faux. On peut démontrer sans difficulté que : L = (L est non
faux) est non faux ; L est faux = (L est non vrai) est non faux ; L est
faux = (L est non faux) est non vrai5.
5Il ne faut pas pousser plus loin qu’on ne peut raisonnablement le
faire le rapprochement, qui vient assez naturellement à l’esprit,
entre Leibniz et Tarski, notamment pour la raison suivante. Chez
Leibniz, le prédicat « vrai » n’est pas appliqué à des expressions
linguistiques, mais à des concepts ou à des termes, en l’occurrence
des concepts ou des termes complexes, c’est-à-dire
propositionnels, et ce n’est pas un prédicat métalinguistique. C’est
un point qui est souligné avec raison dans la présentation que Franz
Schupp a rédigée pour la traduction allemande des Generales
inquisitiones de analysi notionum et veritatum :
• 6 Gottfried Wilhelm Leibniz, Generales Inquisitiones de Analysi
Notionum et Veritatum, Allgemeine Unt (...)
« la nature même de la vérité qui est – dit Leibniz – déterminée dans les
énonciations qu’on peut former sur les événements futurs, comme elle
l’est dans toutes les autres énonciations, puisque l’énonciation doit
toujours être vraie ou fausse en elle-même, quoique nous ne
connaissions pas toujours ce qui en est7.
• 11 Ibid.
13Qu’est-ce qui est arrivé au juste à Aristote, pour qu’il ait pu être
victime de l’étourderie que déplore Leibniz et qui aurait consisté à
accepter sans nécessité de renoncer à un principe logique
absolument fondamental, à savoir le principe de bivalence, qui,
pour Leibniz, est aussi peu contestable que le principe de
contradiction ou le principe du tiers exclu ? Mates fait, sur ce point,
une constatation que Leibniz avait déjà faite, à savoir que le
langage lui-même nous encourage à la confusion de la nécessité
hypothétique avec la nécessité absolue, qui, une fois qu’elle a été
commise, semble imposer des mesures de sauvetage radicales
pour préserver la liberté et la contingence. Je me permets de citer
à nouveau le passage qui nous intéresse :
En grec classique, comme en anglais et dans d’autres langues modernes,
quand une conditionnelle modalisée doit être exprimée, on met
naturellement l’opérateur modal dans le conséquent : nous disons « Si
Reagan a été élu, alors il doit avoir eu le plus grand nombre de voix »,
au lieu d’utiliser la phrase logiquement plus claire, mais moins
idiomatique « Nécessairement, si Reagan a été élu, il a eu le plus grand
nombre de voix ». Nous créons donc l’apparence que la nécessité est
prédiquée conditionnellement du conséquent, plutôt que prédiquée
inconditionnellement du tout. Si nous ajoutons la prémisse vraie
« Reagan a été élu », nous pouvons continuer (si nous sommes
suffisamment plongés dans la confusion philosophique) et détacher par
le modus ponens le conséquent, « Reagan doit avoir eu le plus grand
nombre de voix » ; et alors, puisqu’il n’y avait évidemment pas de
nécessité logique que Reagan ait le plus grand nombre de voix, nous
pourrions supposer qu’une autre espèce de nécessité est impliquée.
• 17 Mates, ibid.
• 19 Ibid., p. 163.
19Je ne pense pas que Leibniz aurait été très embarrassé pour
répondre à cette façon d’argumenter. Il aurait fait remarquer qu’il
est tout à fait possible que les énoncés décrivant des événements
futurs contingents, comme par exemple l’occurrence d’une bataille
navale demain, aient bel et bien une valeur de vérité déterminée,
mais que nous soyons, pour des raisons qui n’ont rien d’accidentel,
incapables de la connaître dès à présent et que, par conséquent, la
prétention qu’ont les devins d’être en mesure de le faire est
dépourvue de toute espèce de fondement rationnel. Si les énoncés
décrivant des événements futurs contingents n’ont pas de valeur
de vérité, il est certain que nous ne pouvons pas la connaître. Mais,
même s’ils en ont une, il ne résulte pas de cela qu’il existe ou en
tout cas pourrait exister pour nous un moyen rationnel de la
connaître. Si on ne peut parler, à propos des propositions dont il
s’agit, que de vérité en puissance et de fausseté en puissance, ce
n’est pas à cause de notre ignorance partielle ou totale de ce qui
arrivera, mais parce que les choses ont, en l’occurrence, tout au
plus une certaine propension à arriver ou à ne pas arriver, et qu’il
n’y a pas de nécessité qui fasse que, d’une façon qui est d’ores et
déjà déterminée, elles arriveront ou n’arriveront pas. Et, bien
entendu, il est à nouveau essentiel de distinguer entre le degré de
vérité en puissance que peut posséder une proposition, et la
connaissance que nous avons de ce qu’il est.
20On peut dire d’Aristote, si on suit Leibniz, qu’ayant commis sans
s’en rendre compte le sophisme du glissement de l’opérateur
modal – qui oblige apparemment à attribuer aux propositions
décrivant des événements futurs contingents une nécessité absolue
et à accepter le fatalisme, à partir du moment où on a admis la
proposition « Ou bien il est vrai qu’il y aura demain une bataille
navale ou bien il est vrai qu’il n’y aura pas de bataille navale
demain » –, il s’est trouvé contraint de mettre en question cette
dernière proposition et d’accepter l’idée que ni la proposition « Il y
aura demain une bataille navale» ni sa négation « Il n’y aura pas de
bataille demain » ne sont vraies. Leibniz soutient, pour sa part, qu’il
est tout aussi légitime de dire de la proposition « Il y aura une
bataille navale demain » qu’elle est vraie ou fausse que de le dire
de la proposition « Il y aura une éclipse de soleil demain ». Le fait
que nous ne connaissions pas et ne puissions pas connaître avec
certitude la valeur de vérité de la proposition dans le premier cas,
alors que nous avons les moyens de la connaître dans le deuxième,
est tout à fait dépourvu de pertinence pour ce dont il s’agit. Comme
le dit Vidal-Rosset :
• 23 Vidal-Rosset, ibid., p. 44.
21Un point crucial dans cette affaire est que la question de savoir si
une proposition est nécessaire ou contingente ne peut, pour
Leibniz, en aucun cas être liée à celle de la connaissance que nous
avons ou de l’ignorance dans laquelle nous nous trouvons des
causes de l’événement qu’elle décrit. Sinon, il faudrait admettre
qu’une proposition qui était contingente peut changer de statut
modal et devenir nécessaire lorsque nous acquérons une
connaissance des causes qui, le moment venu, produiront
inéluctablement l’événement concerné. Voyez sur ce point la façon
dont Jacques Bernoulli présente les choses :
Est nécessaire ce qui ne peut pas ne pas être, devoir être ou avoir été
(quod non potest non esse, fore aut fuisse), et cela, d’une nécessité ou
bien physique (de cette manière, il est nécessaire que le feu brûle, que
le triangle ait trois angles égaux à deux droits, que la pleine lune, qui,
la Lune étant levée, arrive dans les nœuds, soit sujette à des éclipses),
ou bien hypothétique (en vertu de quoi une chose quelconque, aussi
longtemps qu’elle est ou a été, ou est supposée être ou avoir été, ne
peut pas ne pas être ou avoir été – en ce sens-là il est nécessaire que
Pierre, que je sais et pose être en train d’écrire, écrive), ou enfin
d’une nécessité de convention ou d’institution (en vertu de laquelle le
joueur de dés qui a obtenu un six avec le dé est dit nécessairement
gagner, s’il a été antérieurement convenu entre les joueurs que le gain
consistait à faire six en lançant le dé).
Une hypothèse est d’autant plus probable, selon Leibniz : (1) qu’elle est
plus simple ; (2) qu’elle explique un plus grand nombre de phénomènes
par un plus petit nombre de postulats ; (3) qu’elle permet de prévoir de
nouveaux phénomènes ou d’expliquer de nouvelles expériences. Dans
ce dernier cas surtout, l’hypothèse équivaudra à la « vérité » ; elle aura
une certitude « physique » ou « morale », c’est-à-dire une extrême
probabilité, comme est celle d’une clé présumée qui permet de
déchiffrer entièrement un long cryptogramme en lui donnant un sens
intelligible et suivi28.
30Je ne crois pas que l’on puisse dire, en toute rigueur, que, pour
Leibniz, la vérité consiste dans la démonstration. La vérité d’une
proposition consiste comme il le dit, a parte rei, dans le fait que le
concept du prédicat est contenu dans le concept du sujet, et la
démonstration constitue seulement le moyen dont on se sert pour
faire apparaître et rendre manifeste cette inclusion. Mais la façon
dont s’exprime, sur ce point, Hacking n’est sans doute que le reflet
de la difficulté de plus en plus grande que nous éprouvons pour
notre part – et que Leibniz n’avait pas – à distinguer nettement
entre ce qui est vrai et ce qui, pour une raison ou pour une autre et
par un moyen ou par un autre, est reconnu ou en tout cas accepté
à un moment donné comme tel.
• 34 Ibid., p. 133.
5 Ibid.
10 Ibid., p. 163.
11 Ibid.
17 Mates, ibid.
19 Ibid., p. 163.
34 Ibid., p. 133.