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Comment le roi doit être en

lui-même et, tout d’abord,


comment doivent être ses
pensées
TEXTE
TEXTE INTÉGRAL
1Selon nature, l’homme possède trois choses : la première est la
pensée, par laquelle il examine les choses qu’il doit faire ; la
deuxième, la parole, par quoi il manifeste ces choses ; la
troisième, ce par quoi il peut agir pour accomplir ce qu’il a
envisagé par la pensée. C’est pourquoi, comme dans le titre
précédent nous avons traité de la manière dont le roi doit se
comporter à l’égard de Dieu, nous voulons dire ici comment il doit
être en lui-même et comment doivent être ses pensées. Nous
montrerons ce qu’est la pensée, pourquoi elle porte ce nom, d’où
elle procède, comment elle doit être formée et sur quoi elle doit
porter pour engendrer le bien. Dans chacune des lois de ce titre
nous démontrerons le tort que cause la pensée lorsqu’elle n’est
pas formée comme il se doit.

Loi I. Ce qu’est la pensée et


pourquoi elle porte ce nom
2La pensée est le soin avec lequel les hommes examinent les
choses qui sont passées, immédiates et à venir. Et elle porte ce
nom parce que c’est par elle que l’homme pèse toutes les choses
qui troublent son cœur.
Loi II. D’où procède la pensée
et comment elle doit être
formée
3La pensée procède du cœur de l’homme ; elle doit être libre de
toute colère, de toute tristesse exagérée ou de tout excès de
convoitise ; elle ne doit pas davantage céder à l’emportement
mais doit s’établir sur la raison et porter sur des choses qui sont
profitables et qui préservent du mal. Et, pour que cela puisse se
faire au mieux, les sages ont dit qu’il était nécessaire que le roi
garde son cœur de trois manières : la première, en le détournant
de la convoitise et en ne courant pas après des honneurs
excessifs et vains ; la deuxième, en ne convoitant pas des
richesses démesurées ; la troisième en ne cherchant pas à mener
une vie de plaisirs. Nous montrons chacune d’entre elles de façon
assez complète dans les lois de ce titre, suivant la manière dont
les sages anciens en ont traité.

Loi III. Comment le roi ne doit


pas convoiter en son cœur des
honneurs exagérés et vains
4Le roi ne doit pas convoiter en son cœur des honneurs exagérés
et vains, mais doit plutôt s’en garder, car ce qui est excessif ne
peut durer et devient cause de déshonneur en disparaissant ou en
s’affaiblissant. Et celui qui poursuit cette sorte d’honneur subit
toujours quelque préjudice car il se trouve en proie à de grands
tourments et entraîné dans de grandes dépenses, cependant qu’il
méprise follement ce qu’il possède pour ce qu’il désire avoir. Les
sages ont dit à ce propos que garder ce que l’on possède n’est
pas moindre vertu que de gagner ce que l’on n’a pas, car c’est par
la sagesse que l’on garde ce que l’on possède alors que le gain
n’advient que par aventure. C’est pourquoi le roi qui garde son
honneur pour qu’il ne cesse de s’accroître, qui ne l’affaiblit pas et
qui sait garder ce qu’il possède sans le perdre pour ce qu’il désire
gagner est tenu pour un roi sage, aimant ce qu’il a et sachant le
faire fructifier. Le roi qui agit ainsi Dieu le gardera en ce monde,
afin qu’il ne soit pas déshonoré par les hommes et fera en sorte
que, dans l’autre, il ne soit pas déshonoré en enfer en compagnie
des méchants.

Loi IV. Que le roi ne doit pas


convoiter, en son cœur, des
richesses démesurées
5Le roi ne doit pas convoiter des richesses démesurées pour les
entasser sans les employer au service du bien, car, par nature,
celui qui les convoite pour un tel usage commet inévitablement de
graves fautes pour les obtenir, chose qui ne convient au roi en
aucune façon. Même les saints et les sages s’accordent à dire que
la cupidité est une très mauvaise chose, au point de la tenir pour
la mère et la racine de tous les maux. Ils ont dit également que
l’homme qui désire accumuler de grands trésors et ne cherche
pas à les employer au service du bien, quoiqu’il les possède, n’est
pas maître mais esclave, puisque la cupidité l’empêche d’en
disposer d’une manière qui lui soit bénéfique. Celui qui se
comporte de la sorte est dit avare et l’avarice est un péché mortel
aux yeux de Dieu et une grande vilénie aux yeux du monde. Et si
tout homme qui agit ainsi commet une faute, à plus forte raison
les rois ; c’est pourquoi Dieu infligera un châtiment au roi qui
aura fait un usage mauvais et mesquin des biens qu’Il lui a
donnés.
Loi V. Que le roi ne doit pas
désirer mener une vie de
plaisirs
6Il ne convient pas au roi de désirer mener une vie de plaisirs, car
le plaisir est de telle nature que plus l’homme s’y adonne, plus il
le recherche, ce qui est source de grands maux ; son esprit et sa
force d’âme s’affaiblissent et il néglige inévitablement les choses
qu’il lui incombe de faire par goût de celles dans lesquelles il
trouve du plaisir. En outre, celui qui s’est beaucoup adonné aux
plaisirs ne peut ensuite s’en détourner et il s’y accoutume de
sorte que cela devient comme une seconde nature. Toutes ces
choses dont on a parlé plus haut et qui montrent comment garder
son cœur, concordent avec les paroles du roi Salomon, lorsqu’il
dit « qu’à tous égards l’homme doit s’acharner à garder son cœur
comme une chose d’où procèdent la vie et la mort ». Et notre
Seigneur Jésus-Christ a dit des paroles qui concordent avec cela,
lorsque les Juifs lui demandèrent pourquoi ses disciples
transgressaient les commandements de la loi en ne se lavant pas
les mains pour manger et qu’il leur répliqua qu’eux-mêmes la
transgressaient bien davantage, eux qui mangeaient avec les
mains propres mais avec le cœur plein de méchanceté. Et il leur
démontra avec de justes arguments que ce qui salissait l’homme
n’était pas de manger sans s’être lavé les mains, mais bien les
mauvaises pensées qui provenaient de son cœur et engendraient
les mauvaises actions, comme les meurtres, les vols, les adultères
et beaucoup d’autres crimes encore.
7Voilà pourquoi le roi doit s’imposer des souffrances pour devenir
bon et pourquoi il lui est nécessaire de ne pas trop s’adonner aux
plaisirs. Les sages ont en effet dit que nul ne peut gagner en
bonté sans grands efforts, parce que le plaisir est une chose que
les hommes recherchent naturellement alors que la bonté consiste
à se garder de faire, en recherchant le plaisir, des choses qui
soient mauvaises. Aussi le roi, qui doit endurer bien des
tourments et des souffrances pour maintenir son peuple dans le
droit et la justice, ne doit-il pas se livrer aux plaisirs au point d’en
être empêché d’accomplir son devoir. Et le roi qui fera passer la
satisfaction de ses sens avant la bonté, outre les actions
mauvaises et mesquines qu’il aura commises ici-bas, Dieu le
punira en lui donnant de connaître dans l’autre monde tous les
désagréments possibles pour avoir préféré servir sa propre
volonté plutôt que d’accomplir le service qu’il devait à Dieu.

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