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Qui traite des empereurs,

des rois et des autres grands


seigneurs
TEXTE
TEXTE INTÉGRAL
1Empereurs et rois sont, en honneur et en pouvoir, les hommes et
les personnes les plus nobles qui soient pour maintenir et garder
la justice dans leurs terres, comme nous l’avons dit au début de
cette partie. Et puisqu’ils sont comme au premier rang et à la tête
de tous les autres, c’est d’eux que nous traiterons d’abord. Aussi
montrerons-nous ce qu’ils sont, pourquoi ils sont appelés ainsi,
pourquoi il convint qu’ils fussent, le lieu qu’ils occupent, le
pouvoir qui est le leur, et comment ils doivent en user. Nous
traiterons ensuite des autres grands seigneurs.

Loi I. Ce qu’est l’empire,


pourquoi il est ainsi appelé,
pourquoi il convint qu’il fût et
quel lieu il occupe
2L’empire est grande dignité, la plus noble et la plus honorable de
toutes celles que les hommes peuvent avoir en ce monde au
temporel. En effet, le seigneur à qui Dieu accorde un tel honneur
est roi et empereur et c’est à lui qu’appartient de droit
l’attribution qu’il reçut anciennement des gens de gouverner
l’empire et d’y maintenir la justice. Et il est appelé empereur, ce
qui signifie commandeur, parce qu’à son commandement doivent
obéir tous les hommes de l’empire, tandis que lui n’est tenu
d’obéir à personne, sinon au pape dans les choses spirituelles. Et
il convint qu’un homme fût empereur et qu’il eût ce pouvoir sur
les terres pour plusieurs raisons. La première est qu’il lui faut
éviter tout désaccord entre ses gens, les rassembler et les unir, ce
qui ne pourrait se faire si les empereurs étaient plusieurs, car,
selon nature, seigneurie n’admet point de compagnie, et n’en a
nul besoin, même s’il convient à tous égards qu’elle dispose
d’hommes bons et savants qui la conseillent et qui l’aident. La
seconde raison est qu’il lui faut faire des fors et des lois pour que
les gens de sa seigneurie soient jugés droitement. La troisième
est qu’il lui faut briser les superbes, les fauteurs de tort et les
malfaiteurs qui, enhardis par leur méchanceté ou par leur pouvoir,
font du mal ou causent du tort aux plus faibles. La quatrième
raison est qu’il lui faut défendre la foi de notre Seigneur Jésus-
Christ et briser ses ennemis. Les sages ont dit en outre que
l’empereur est vicaire de Dieu dans l’empire pour faire justice au
temporel comme le pape l’est au spirituel.

Loi II. Quel pouvoir a


l’empereur et comment il doit
user de l’empire
3Le pouvoir de l’empereur est double : il est à la fois de droit et
de fait. Son pouvoir de droit est celui de faire la loi, d’établir un
for nouveau ou de changer l’ancien s’il pense que c’est pour le
bien commun de ses gens. Et de même, s’il advient qu’il soit
obscur, il est en son pouvoir de l’éclaircir. Il peut aussi mettre fin
à la coutume en usage lorsqu’il juge qu’elle est mauvaise et en
établir une nouvelle qui soit bonne. Et il a encore le pouvoir de
faire justice et de punir sur toutes les terres de l’empire si les
hommes l’ont mérité. Et nul autre ne peut le faire sinon ceux à qui
il en a donné l’ordre ou ceux à qui les empereurs ont accordé ce
privilège. Il a en outre le pouvoir d’établir des péages et de fonder
des foires en des lieux nouveaux, là où il juge bon de le faire, et
nul autre n’a ce pouvoir. C’est sur son ordre et avec son
consentement que l’on doit battre monnaie dans l’empire. Et bien
qu’il ait sous ses ordres de nombreux grands seigneurs, aucun ne
peut le faire sur sa terre, sinon celui à qui il en a concédé le droit.
Lui seul encore a le pouvoir de délimiter le territoire des provinces
et des villes. C’est sur son ordre que l’on fait guerre, trêve ou
paix. Et lorsque survient un différend concernant les privilèges
qu’il a donnés ou qu’ont donnés les empereurs qui l’ont précédé,
c’est lui qui doit juger en l’affaire et nul autre. Il a en outre le
pouvoir de mettre en place des prévôts et des juges sur ses terres
pour juger en ses lieu et place selon le for et selon le droit. Et il
peut prélever vivre, tribut et cens de la façon que les empereurs
avaient anciennement coutume de le faire. Et bien que les
hommes de l’empire aient pleine seigneurie sur les choses qui
leur appartiennent par héritage, en dépit de cela, si l’un d’eux en
usait contre le droit ou contrairement à ce qui doit être,
l’empereur a le pouvoir de corriger et de punir comme il l’entend.
Nous disons aussi que, quand bien même l’empereur voudrait
prendre pour lui-même ou pour le donner à un autre, un bien
héréditaire ou autre chose à quelqu’un, il a beau être le seigneur
de tous les hommes de l’empire en tant qu’il les protège des
forces ennemies et les maintient en justice, il ne peut, quoi qu’il
en soit, prendre le bien d’un homme sans son consentement à
moins que celui-ci n’ait commis un acte pour lequel il devrait
perdre ce bien selon la loi. Et si d’aventure l’empereur devait
prendre à cet homme son bien afin d’en user pour le bien
commun de ses terres, il est tenu en droit de lui donner au
préalable en échange un bien dont la valeur soit égale ou
supérieure, de sorte que, sur la foi de bons hommes, l’autre en
soit satisfait. En effet, bien que les Romains qui, aux temps
anciens, conquirent par leur puissance la seigneurie du monde,
aient établi un empereur et lui aient accordé tout le pouvoir et la
seigneurie qu’ils avaient sur les gens afin qu’il assure et défende
droitement le bien commun de tous, leur idée, toutefois, ne fut
pas de le rendre seigneur des biens de chacun de façon qu’il pût
les prendre à sa guise mais seulement en vertu de quelques-unes
des raisons énoncées ci-dessus. Et le seigneur a ce pouvoir après
avoir été élu par tous ceux qui peuvent l’élire ou par la majorité
d’entre eux, étant fait roi à l’endroit où l’on eut anciennement
coutume d’établir ceux qui étaient élus empereurs.

Loi III. Quel est le pouvoir de


fait de l’empereur
4L’empereur doit disposer d’un pouvoir de fait suffisamment
complet et ordonné pour que sa puissance dépasse celle des
autres hommes de sa seigneurie et qu’il puisse soumettre et
contraindre ceux qui ne voudraient pas lui obéir. Et pour avoir un
tel pouvoir, il lui faut se rendre maître de la chevalerie, la diviser
et la confier à des chefs qui l’aiment et qui la tiennent pour lui et
par sa main de sorte que les chevaliers le reconnaissent pour leur
seigneur et tiennent ceux qui les commandent pour leurs
guides.L’empereur doit également tenir en son pouvoir les
châteaux, les forteresses et les ports de l’empire, notamment
ceux qui sont sur les frontières des barbares ou des royaumes sur
lesquels il n’a pas seigneurie afin que les entrées et les sorties de
l’empire soient toujours entre ses mains et en son pouvoir. Il doit
aussi disposer d’hommes savants, entendus, loyaux et véritables
pour l’aider et le servir de fait dans ce qui est utile à sa
délibération, ainsi qu’à la justice et au droit qu’il doit faire à ses
gens. En effet, seul, l’empereur ne pourrait examiner toutes
choses et décider, c’est pourquoi il a forcément besoin de l’aide
de personnes de confiance pour agir en sa place, en usant du
pouvoir qu’elles reçoivent de lui dans les choses qu’il ne pourrait
accomplir lui-même. Les sages ont dit aussi que l’empereur jouit
d’un pouvoir de fait d’autant plus grand et complet sur sa
seigneurie qu’il aime ses gens et qu’il est aimé d’eux. Et ils ont
montré que cet amour peut être gagné et engrangé lorsque
l’empereur fait droite justice à ceux pour qui cela est nécessaire
et qu’il fait grâce quelquefois si pour quelque bonne raison il le
peut, lorsqu’il honore ses gens en paroles et en actes, lorsqu’il se
montre capable et désireux d’entreprendre et de réaliser de
grands faits et de grandes choses pour le bien de l’empire. Ils ont
dit en outre que, même si l’empereur aimait ses gens et qu’il était
aimé d’eux, cet amour pourrait être perdu pour trois raisons : la
première, parce qu’il serait manifestement injuste ; la deuxième,
parce qu’il mépriserait et avilirait les hommes de sa seigneurie ; la
troisième, parce qu’il serait si cruel envers eux qu’ils auraient
grand peur de lui.

Loi IV. Comment l’empereur


doit user de son pouvoir
5Il est, selon les sages anciens, deux saisons où les empereurs
doivent user de ce qui est nécessaire pour mettre en ordre ce
qu’ils ont à faire au cours de chacune d’elles. L’une est le temps
de la paix, l’autre celui de la guerre. En temps de paix, il convient
de préparer et de prévoir toutes les choses qui sont utiles en
temps de guerre afin que, le moment venu, les empereurs
puissent mieux s’en servir. Ils doivent aussi, en ce même temps
de paix, veiller à mettre en ordre leur peuple et leur pays en se
servant des lois, des fors et des droits et en usant de ceux-ci
contre les superbes ou les fauteurs de torts, donnant à chacun ce
qui lui revient de droit. Ils doivent également administrer et
mettre en ordre leurs rentes et tous leurs biens afin que ceux-ci
soient bien tenus et qu’ils puissent s’en servir. En effet, pour
grande que soit la richesse de l’empereur, si elle n’était pas bien
administrée, celui-ci ne pourrait guère en tirer avantage.
L’empereur doit aussi tout mettre en œuvre pour constituer un
trésor auquel il pourra recourir lorsqu’il entreprendra quelque
grand fait qui se présentera à lui afin de pouvoir plus aisément s’y
engager et en venir à bout. Les sages anciens tenaient aussi que
l’empereur, en temps de guerre, doit user d’armes et de toutes les
choses grâce auxquelles il pourra se défendre de ses ennemis sur
mer et sur terre. Ils montrèrent en outre qu’en ce qui concerne la
guerre, l’empereur doit prendre le conseil des nobles, des
chevaliers et de tous ceux qui sont savants en la matière et qui
doivent prendre ces choses en main en cas de besoin. Et il doit
user de son pouvoir selon leur conseil de la même façon qu’il se
guide sur le conseil des hommes savants en droit pour régler les
différends qui naissent entre les hommes.

Loi V. Ce qu’est le roi


6Les rois sont vicaires de Dieu chacun en son royaume, placés au-
dessus des peuples pour y maintenir la justice et la vérité au
temporel, de même que l’empereur en son empire. Et ceci peut
être montré de deux manières. La première, spirituelle, est celle
des prophètes et des saints à qui notre Seigneur fit la grâce de
savoir les choses avec certitude et de les faire entendre. La
seconde, naturelle, est celle des sages qui eurent connaissance
des choses naturellement. Les saints ont dit que Dieu plaça le roi
sur sa terre en ses lieu et place pour faire justice et donner à
chacun son droit. Et c’est pourquoi ils l’appelèrent coeur et âme
du peuple, car de même que l’âme gît dans le coeur de l’homme,
et que par elle le corps vit et subsiste, de même dans le roi gît la
justice qui est vie et subsistance du peuple de sa seigneurie. Et de
la même façon que le coeur est un et que tous les autres
membres reçoivent de lui leur unité pour former un corps, parce
que le roi est et doit être un, tous les hommes du royaume, aussi
nombreux soient-ils, doivent former une unité avec lui afin de le
servir et de l’aider dans les choses qu’il doit faire. Et les sages ont
dit naturellement que le roi est la tête du royaume, car de même
que de la tête naissent les sens par quoi tous les membres du
corps sont commandés, de même tous les hommes du royaume
doivent être commandés et guidés par le commandement qui
émane du roi, qui est leur seigneur et leur tête et être en accord
avec lui pour lui obéir ainsi que pour protéger, garder et accroître
le royaume. Et donc, il est l’âme et la tête et eux sont les
membres.

Loi VI. Ce que roi veut dire et


pourquoi il est ainsi appelé
7Roi veut dire régisseur car c’est à lui que revient sans conteste le
gouvernement du royaume. Comme l’ont dit les sages anciens,
notamment Aristote dans le livre intitulé La Politique, au temps
des gentils, le roi n’était pas seulement conducteur et chef des
armées ainsi que juge de tous les hommes du royaume, mais il
était en outre seigneur dans les choses spirituelles que l’on faisait
alors pour révérer et honorer les dieux auxquels on croyait. Et on
les appelait rois parce qu’ils régissaient aussi bien au temporel
qu’au spirituel. Et le roi tient manifestement son nom de notre
seigneur Dieu. En effet, de même que Dieu est dit Roi de tous les
rois, ce pourquoi ils ont ce nom, et qu’Il les gouverne et les
maintient en ses lieu et place sur leurs terres pour faire justice et
droit, de même les rois sont tenus de maintenir et de garder la
justice et la vérité parmi les hommes de leur seigneurie. Et les
sages ont donné une autre explication encore à ce que le roi soit
ainsi nommé en disant que roi veut dire règle, car de même que
celle-ci révèle ce qui est tors et permet de le corriger, de même
les délits sont révélés et corrigés par le roi.

Loi VII. Pourquoi il convint


que le roi fût et quel lieu il
occupe
8Les sages anciens ont montré les raisons vraies et pertinentes
pour lesquelles il convint que le roi fût outre celles que nous
avons exposées plus haut dans le cas de l’empereur. Et sachez
que si nous avons traité de l’empereur avant de traiter du roi à
cause de la dignité de l’empire, dans les temps anciens les rois
précédèrent les empereurs. Et une des raisons qu’ils ont montrées
pour lesquelles il convint que le roi fût est que tous les êtres
vivants possèdent naturellement tout ce dont ils n’a pas besoin
qu’on le leur apporte d’ailleurs. En effet, quant à se vêtir, ils sont
vêtus d’eux-mêmes : les uns de plumes, les autres de poils,
d’autres encore de peau, d’écailles ou de coquille, chacun selon sa
nature, de sorte qu’ils n’ont pas besoin qu’on leur tisse des
vêtements. De même, pour se défendre, les uns sont pourvus
d’un bec, les autres de dents, d’autres encore de griffes, d’autres
de cornes, d’aiguillons ou d’épines, de sorte qu’ils n’ont nul
besoin de chercher d’autres armes pour se défendre. De même
encore, chacun trouve à se nourrir et à boire selon ses besoins, de
sorte qu’il n’a pas à chercher quelqu’un pour préparer ses repas
ni rien pour les assaisonner, et qu’il n’a pas à acheter sa
nourriture ni à travailler pour la produire. Mais l’homme n’a rien
de tout cela pour lui à moins d’être aidé par beaucoup d’autres
qui cherchent pour lui et lui amènent les choses dont il a besoin.
Or, cette aide ne peut être apportée sans justice, laquelle ne
pourrait être faite sinon par des supérieurs à qui les autres
seraient tenus d’obéir. Or, comme ils sont nombreux, il serait
impossible qu’ils ne fussent quelquefois en désaccord : les
volontés des hommes sont diverses et les uns veulent valoir plus
que les autres. Et c’est pourquoi, par juste nécessité, il fallut que
l’un d’eux fût à leur tête, afin de les accorder et de les guider par
son intelligence de même que la tête guide et commande tous les
membres du corps. Et c’est la raison pour laquelle il convint que
les rois fussent et que les hommes les prissent pour seigneurs. Et
il est aussi, selon les prophètes et les saints, une raison spirituelle
à l’existence des rois : la justice que notre seigneur Dieu devait
rendre dans le monde pour que les hommes s’aimassent et
vécussent en paix, quelqu’un devait la faire pour lui au temporel
en faisant droit à chacun selon ce qu’il mérite. Et le roi fait justice
et droit en lieu et place de Dieu dans le royaume dont il est le
seigneur à la manière dont nous avons dit plus haut que le fait
l’empereur dans l’empire et à plus forte raison, puisque que le roi
a reçu sa seigneurie par héritage alors que l’empereur l’a reçue
par élection.

Loi VIII. Quel est le pouvoir du


roi et comment il doit user de
celui-ci
9Il est bien connu que tous les pouvoirs dont nous avons dit plus
haut que les empereurs les ont et doivent les avoir sur les gens de
leur empire, les rois les ont de même et plus grands encore sur
les gens de leurs royaumes. En effet, non seulement les rois sont
seigneurs de leurs terres de leur vivant, mais à leur mort ils
peuvent en outre les laisser à leurs héritiers puisqu’ils ont reçu
leur seigneurie en héritage, ce que les empereurs, qui l’ont
obtenue par élection, ne peuvent pas faire, comme nous l’avons
dit plus haut. De plus, le roi peut donner en héritage une ville ou
un château de son royaume à qui il souhaite, ce que l’empereur
ne peut faire parce qu’il est tenu d’accroître son empire et de ne
jamais l’amoindrir même s’il peut tout à fait les donner à
quelqu’un en fief contre un service qu’il lui aurait fait ou
promettrait de lui faire. Nous disons aussi que le roi peut obtenir
le service et l’aide des gens de son royaume chaque fois que
nécessaire et de diverses manières, ce que ne pourrait pas faire
l’empereur. En effet, celui-ci, quelle que soit la difficulté dans
laquelle il se trouve, ne peut contraindre les hommes de l’empire
à lui donner plus qu’ils avaient anciennement coutume de donner
aux autres empereurs, à moins que ces hommes ne le fassent de
leur plein gré. Mais le roi peut exiger du royaume et prendre ce
qui était d’usage au temps de ses prédécesseurs et davantage
chaque fois qu’il en aurait si grand besoin pour le bien commun
du pays qu’il ne pourrait se passer de le faire, de la même façon
que les autres hommes ont recours en cas de difficulté à leurs
biens héréditaires. Nous disons aussi que le roi doit user de son
pouvoir aux temps et en la manière dont nous avons dit plus haut
que l’empereur peut et doit le faire.

Loi IX. Que le roi doit aimer


Dieu en raison de la grande
bonté qui est en Lui
10Est proprement appelé roi celui qui obtient de droit la
seigneurie du royaume. Et il est quatre façons de l’obtenir de
droit : la première, lorsqu’à la mort du roi les royaumes
reviennent par héritage à son fils aîné ou à un autre de ses plus
proches parents ; la deuxième, lorsqu’un homme obtient le
royaume avec l’accord de tous, lesquels l’ont choisi pour seigneur
parce qu’aucun parent du roi défunt ne pouvait de droit hériter de
sa seigneurie ; la troisième, par mariage, lorsqu’un homme
épouse une femme héritière du royaume et peut alors, même s’il
n’est pas de lignage royal, être appelé roi après son mariage ; la
quatrième, par concession du pape ou de l’empereur, lorsque l’un
d’eux donne des rois aux terres où il est en droit de le faire.
Donc, si les rois obtiennent les royaumes de l’une des façons
mentionnées ci-dessus, ils sont proprement dits rois. De plus, ils
doivent toujours veiller davantage au bien commun de leur peuple
qu’à leur propre intérêt car les biens et la richesse du peuple sont
comme leurs. En outre, ils doivent aimer et honorer les grands, les
moyens et les petits, chacun selon son état, se plaire en la
compagnie des sages, fréquenter les hommes entendus, faire
régner l’amour et la concorde parmi leurs sujets et se montrer
bons justiciers, en donnant à chacun son droit. Ils doivent se fier
davantage à leurs hommes qu’aux étrangers, puisqu’ils sont leurs
seigneurs naturellement et non par contrainte.

Loi X. Ce que tyran veut dire, et


comment le tyran use de son
pouvoir dans le royaume une
fois qu’il s’en est rendu maître
11Tyran signifie seigneur qui s’est rendu maître d’un royaume ou
d’un pays par la force, par tromperie ou par trahison. Et lesdits
tyrans sont de telle nature qu’après s’être rendus maîtres d’un
pays, ils préfèrent chercher leur propre intérêt qu’œuvrer au bien
commun de tous, quand bien même cela causerait du tort au
royaume, parce qu’ils vivent toujours dans la crainte de le perdre.
Les sages anciens ont dit que le tyran a toujours usé de son
pouvoir contre le peuple dans le but de parvenir à ses fins plus
aisément et ce par trois sortes de ruses : la première, en
s’efforçant toujours de faire des hommes de sa seigneurie des
sots et des couards, de sorte que ces derniers n’osent pas se
soulever contre lui, ni s’opposer à sa volonté ; la deuxième, en
faisant que règne dans le peuple une telle discorde que les
hommes ne se fient pas les uns aux autres, car tant que dureront
ces dissensions entre eux ils n’oseront point conspirer contre lui,
craignant de ne pouvoir garder ni loyauté ni secret ; la troisième,
en s’efforçant de les appauvrir et de les engager dans des
entreprises si grandes qu’elles sont irréalisables, de sorte qu’ils
soient tellement occupés de leurs maux qu’il ne leur vienne
jamais à l’esprit d’entreprendre quoi que ce soit contre sa
seigneurie. Surtout, les tyrans se sont toujours employés à
détruire les puissants et à tuer les savants. Ils ont toujours interdit
sur leurs terres les confréries et les rassemblements des hommes.
Ils s’efforcent par tous les moyens de savoir ce qui se dit ou se
fait dans le pays. Pour leur conseil et leur garde, ils se fient
davantage aux étrangers qui les serviront de leur propre gré
qu’aux hommes du royaume qui seraient contraints de le faire. En
outre, nous disons que même si quelqu’un avait obtenu la
seigneurie du royaume pour une des raisons qui ont été exposées
dans la loi qui précède, s’il faisait mauvais usage de son pouvoir
selon une des façons qui viennent d’être exposées dans cette loi,
les gens peuvent dans ce cas lui donner le nom de tyran, et la
seigneurie qui était de droit peut devenir tyrannique, comme l’a
dit Aristote dans le livre qui traite du gouvernement des cités et
des royaumes.

Loi XI. Quels sont les autres


grands et honorables seigneurs
qui ne sont ni empereurs ni
rois.
12Les autres seigneurs qui reçoivent l’honneur d’une seigneurie
par héritage, et que nous avons évoqués plus haut, sont les
princes, les ducs, les marquis, les juges et les vicomtes. C’est ce
nom de prince que l’empereur de Rome reçut anciennement, car
c’est par lui que commença la seigneurie de l’empire, et c’est un
nom général qui est donné aux rois. Mais dans certains pays, ce
nom est appliqué à une seigneurie particulière comme en
Allemagne, en Morée, à Antioche et dans la Pouille et c’est à ces
seules seigneuries que l’on a coutume d’appliquer ce nom. Duc
signifie chef conducteur d’une armée et cet office était reçu
anciennement de la main de l’empereur. À cause de cet office qui
était très honorable, les empereurs donnèrent en héritage à ceux
qui l’exerçaient de grandes terres qui sont aujourd’hui appelées
duchés ; et ils sont pour cela vassaux de l’empire. Comte veut dire
compagnon qui accompagne quotidiennement l’empereur ou le
roi en lui rendant un service particulier. Certains comtes étaient
appelés palatins, ce qui signifie comte du palais, car c’était en ce
lieu qu’ils l’accompagnaient et le servaient continuellement ; les
héritages donnés à ces officiers sont appelés comtés. Marquis
veut dire seigneur de quelque grande terre située sur la marche
d’un royaume. Juge veut dire magistrat rendant la justice, et ce
nom ne fut attribué à aucun autre seigneur qu’aux quatre qui
rendent la justice et ont seigneurie en Sardaigne. Vicomte veut
dire officier qui tient lieu de comte.

Loi XII. Quel est le pouvoir des


seigneurs susdits qui ont
seigneurie sur les terres par
héritage
13C’est par héritage que les princes, les ducs et les autres grands
seigneurs dont nous avons parlé dans la loi précédente ont
seigneurie. Et il convint qu’ils fussent pour la raison suivante :
l’empereur ou le roi, bien qu’ils soient de très grands seigneurs,
ne pouvant chacun d’eux en faire plus qu’un seul homme, il fut
nécessaire qu’il y eût à leur cour des hommes honorables pour les
servir, gouverner les gens et agir en leur lieu et place dans les
affaires qu’ils auraient à traiter sur leur ordre.Et chacun d’eux a
pouvoir sur sa terre de faire justice et d’exercer les prérogatives
liées à la seigneurie aux termes des privilèges qu’ils ont reçus des
empereurs ou des rois qui, à l’origine, leur ont confié la
seigneurie de ces terres ou selon l’ancienne coutume qui fut
longtemps d’usage ; mais ils ne peuvent ni légiférer ni faire de loi
ou de for nouveau sans le consentement du peuple. Et dans
toutes les autres choses, ils doivent faire usage de leur pouvoir
avec droiture dans les terres dont ils sont les seigneurs et de la
façon dont nous avons dit plus haut que doivent le faire les
empereurs et les rois.

Loi XIII. Quels sont les


hommes appelés catapans,
vavasseurs, podestats et
vicaires, et quel pouvoir ils ont
14Catapans et vavasseurs sont en Italie les gentilshommes qu’on
appelle en Espagne infançons. Et bien qu’ils viennent
anciennement de bon lignage et qu’ils aient de grands héritages,
ils ne sont pas comparables aux grands seigneurs dont nous
avons parlé plus haut. De ce fait, ils ne peuvent ni ne doivent user
de pouvoir ou de seigneurie sur leurs terres qu’autant que cela
leur a été concédé par les privilèges des empereurs ou des rois.
Podestats sont appelés en Italie ceux qui sont choisis comme
gouverneurs des villes et des grands châteaux ; ils ont pouvoir de
juger selon la loi ou le for dans les lieux où ils ont été choisis et
dans les affaires et durant le temps que leur ont fixés les hommes
de ce lieu, et pas davantage. Sont appelés vicaires les officiers
dont les empereurs, les rois ou les grands seigneurs font leurs
lieutenants dans les provinces, les comtés et les grandes villes,
lorsqu’ils ne peuvent s’y trouver en personne. Et ces officiers
peuvent user du pouvoir qu’a le seigneur qui les laisse en son lieu
et place, hormis de celui dont il leur aura expressément interdit
d’user.

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