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cathédrales
Saint-Nazaire-et-Saint-Celse
ancienne cathédrale de Carcassonne
Culture
Ministère de la
Saint-Nazaire-et-Saint-Celse
ancienne cathédrale de Carcassonne
Couverture :
Péché originel, détail du vitrail de l’Arbre de Vie.
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Gargouille drolatique dessinée par Viollet-le-Duc, tourelle d’escalier du bras sud du transept. occitanie , terre de cathédrales
Comme un bijou préservé dans un écrin militaire, l’ancienne
cathédrale Saint-Nazaire-et-Saint-Celse, aujourd’hui basilique, est
indissociable de la découverte de la Cité de Carcassonne.
Sol stabilisé
Edifiée par le pouvoir épiscopal à l’ombre de l’ancien château comtal,
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elle fait partie des quatorze cathédrales de la Région Occitanie dont la
propriété relève de l’État, ministère de la Culture.
À ce titre, elle fait l’objet de chantiers réguliers, dirigés et financés par
la Direction régionale des affaires culturelles – Conservation régionale
des monuments historiques. Mais elle est aussi un formidable support
Sol stabilisé
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de médiation pour illustrer la diversité de l’art médiéval du Midi, entre
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les 11e et 15e siècles. En effet, il est difficile d’imaginer un édifice
plus complet pour évoquer l’évolution des styles architecturaux, de la
période romane au gothique rayonnant.
Aussi, après l’ouvrage destiné au jeune public publiée en 2012 par la
drac*, il était tout naturel de consacrer à ce monument exemplaire
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une étude monographique, inscrite dans la collection « Occitanie,
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terre de cathédrales ».
Jacques Dubois, maître de conférence à l’université Toulouse-
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Terrasse
Jean Jaurès, a répondu favorablement à la demande de la crmh de
renouveler notre vision d’un édifice finalement peu connu, malgré sa
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renommée touristique.
Nous tenons à l’en remercier ici très chaleureusement. Au-delà de la riche
investigation historique, M. Dubois souligne dans son analyse le caractère
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Aire du préau du cloître
innovant de l’architecture et du décor gothique de Saint-Nazaire.
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Echelle 200°
Malgré la modernité radicale de sa structure de pierre armée de métal,
Terrasse
01 * Disponible sur le site de la drac Occitanie :
CARCASSONNE (11) - BASILIQUE SAINT-NAZAIRE
le chœur de la fin du 13e siècle a su harmonieusement s’inscrire dans la http://www.culture.gouv.fr/Media/
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Plan général
1/200° continuité d’une nef conçue presque deux siècles plus tôt. Il y a là matière Regions/Drac-Occitanie/Files/Doc-
à inspirer, d’une manière intemporelle, des générations d’architectes. R e ss o u rce s - d o c u m e n ta i re s / D o c -
Agence Bossoutrot & Rebière Architectes Patrimoine - ACMH
Publications/Doc-collection- d u o /
La cathédrale Saint-Nazaire-et-Saint-Celse de Carcassonne est ainsi
4, rue Pierre Fons 31600 MURET tél. 05 34 46 37 00
Decouvertes-jeux/Objectif-cathe-
Aire du préau du cloître N
une incontestable réussite esthétique et une formidable illustration de drales-Saint-Nazaire-de-Carcassonne
0 2 5 10 m
Echelle 200°
la subtilité des bâtisseurs du Moyen Âge.
CARCASSONNE (11) - BASILIQUE SAINT-NAZAIRE 01
Alain Thirion
4, rue Pierre Fons 31600 MURET tél. 05 34 46 37 00
Préfet de l’Aude
et
Laurent Roturier
Directeur régional des affaires culturelles
Préface - Saint-Nazaire-et-Saint-Celse 5
Avant-propos
« Le joyau de la Cité, c’est son église », Jules de Lahondès, in historiens de l’art, justifiant son classement au titre des Monu-
congrès archéologique de France, 1906 ments historiques dès 1840. Comme les remparts de la Cité,
elle est sauvée de la ruine par Viollet-le-Duc. Il intervient sur
De l’époque gallo-romaine jusqu’au 14e siècle, les formi- l’ensemble de l’édifice et s’attache à reprendre ses parements,
dables enceintes de la Cité de Carcassonne ont été réguliè- ses remplages et ses parties hautes, ruinés par l’altération du
rement étendues et modernisées pour constituer un modèle grès de Carcassonne. Malgré la reconstitution contestable du
de l’ingénierie militaire médiévale. Délaissée au profit de la clocher occidental, les travaux menés entre 1845 et 1867 s’ins-
Bastide à partir du 17e siècle, la Cité perd toute importance crivent parmi les restaurations emblématiques du 19e siècle,
stratégique et ses ouvrages délaissés connaissent une ruine comme celles de Notre-Dame de Paris ou de la Madeleine de
progressive. La Révolution renforce la suprématie de la Bas- Vézelay. Ils participent par ailleurs à la diffusion des connais-
tide, qui accueille la préfecture du nouveau département de sances sur l’architecture gothique, Viollet-le-Duc dévoilant les
l’Aude et le siège de l’évêché concordataire. détails constructifs du monument dans plusieurs articles de
Il fallait toute la ténacité d’un érudit comme Jean-Pierre Cros- son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du 11e au 16e
Mayrevielle, l’enthousiasme de l’inspecteur des Monuments siècle, publié entre 1868 et 1854.
historiques Prosper Mérimée et le talent de l’architecte Eugène L’ancienne cathédrale est au centre de l’attention perpé-
Viollet-le-Duc pour que soit lancée en 1855 la restauration des tuelle de l’État, propriétaire, au travers des travaux menés
fortifications. Ces travaux titanesques, qui visent à retrouver par la Direction régionale des affaires culturelles d’Occita-
l’image idéalisée de la forteresse médiévale, sont achevés au nie – Conservation régionale des Monuments historiques. Un
début du 20e siècle. La Cité est depuis lors reconnue comme un siècle après le chantier de Viollet-le-Duc, les parties hautes
des hauts-lieux historiques du pays, consacrée par son inscrip- de l’édifice ont fait l’objet d’une nouvelle restauration, menée
tion au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’unesco en 1998. de 1998 à 2008. Les couvertures de la sacristie et de la cha-
Propriétés de l’État, les remparts de Carcassonne protègent pelle de Guillaume Radulphe sont reprises entre 2014 et
une merveille de l’architecture religieuse : l’ancienne cathé- 2015. La mise aux normes de la basilique est l’occasion de
drale Saint-Nazaire-et-Saint-Celse, élevée au rang de basi- travaux lancés en 2017, qui, outre leur aspect réglementaire,
lique mineure en 1898. permettent de valoriser le monument. Dirigés par l’architecte
Siège du diocèse de Carcassonne de l’antiquité jusqu’à son en chef des Monuments historiques Jean-Louis Rebière, ils
transfert en 1801 à l’église Saint-Michel, l’ancienne cathédrale vont métamorphoser l’intérieur de l’édifice grâce à une mise
s’illustre par l’alliance harmonieuse des deux principaux cou- en lumière renouvelée. D’une manière tout aussi marquante,
rants architecturaux du Moyen Âge : sa nef de la fin du 11e siècle le traitement de l’accessibilité est à l’origine d’une améliora-
relève de l’art roman ; ses parties orientales, composées d’un tion des abords du monument. La façade méridionale de la
transept extrêmement vaste et d’un chevet réduit, s’inscrivent nef, enclose dans un îlot jusqu’à présent rarement accessible,
dans le style gothique de la fin du 13e siècle. Par l’importance pourra ainsi être dévoilée aux nombreux visiteurs de la Cité.
accordée à la sculpture portée et la dimension exceptionnelle Une porte d’origine romane, murée probablement depuis le
de ses verrières, qui conservent un ensemble de vitraux médié- 19e siècle, sera rouverte à cette occasion.
vaux parmi les plus complets d’Occitanie, l’œuvre gothique de
Saint-Nazaire-et-Saint-Celse a très tôt attirée l’attention des [LB]
Le quartier cathédral
L’époque moderne
Vue du tombeau de l’évêque Guil- Cette petite construction, bien que d’un aspect extérieur sans
laume Radulphe, chapelle dite de grand caractère, présente cependant un double intérêt. D’un
Guillaume Radulphe, mur ouest. point de vue architectural, elle constitue le premier témoi-
gnage, pour une construction religieuse, de l’adoption dans le
Midi d’une modénature spécifique rencontrée sur les grands
chantiers septentrionaux, et notamment royaux, des années
1230-1240. Ensuite, elle vaut pour le monument funéraire
de l’évêque Guillaume Radulphe, réalisé peu après l’édifi-
cation de la chapelle (vers 1265-1266), comme le renseigne
bien l’inscription portée sur le tombeau. Avant la construction
de l’ensemble gothique, la chapelle était indépendante de la
cathédrale romane. L’allongement du transept jusqu’à celle-
ci eut pour conséquence de condamner deux des anciennes
baies vitrées côté nord. Quant à l’accès depuis le bras sud, il
ne remonte qu’au début du 16e siècle lorsque la décision fut
prise de faire de la chapelle, inutilisée depuis la sécularisation
du chapitre, une annexe de la sacristie, localisée dans la pièce
voisine. La maçonnerie fut alors percée d’une porte au nord-
ouest. Et pour mettre l’édifice au niveau de la cathédrale, il fut
alors remblayé sur près de 3 m.
La destination primitive de la construction – chapelle de l’infir-
merie des chanoines – explique le parti d’une architecture sobre,
extérieurement comme intérieurement, à la muralité forte.
L’édifice reste simple et n’a pas de valeur emblématique aux
yeux du clergé de l’époque ; il est une construction secondaire
de l’enclos capitulaire. Pourtant, il apparaît bien comme un jalon
important, pour l’architecture religieuse du Midi, du transfert de
formes septentrionales. Jusque-là, leur adoption dans le Sud
était restée timide, limitée aux chapiteaux recevant les nervures
de la voûte selon une formule utilisée au 12e siècle. Les travaux
entrepris à partir de 1215 à la cathédrale de Béziers, en grande
partie détruite lors de la prise de la ville en 1209 par les croisés,
illustrent bien l’emprunt à des schémas retardataires par rap-
port aux chantiers septentrionaux contemporains.
Remplacée au milieu du 18e siècle, alors le nom de Saint-Gimer. Les trouvait une grande flèche repo-
la châsse médiévale contenant divers articles des descriptions sant sur une niche carrée ajou-
les ossements du corps de saint relatives à l’objet orfévré per- rée, aux faces surmontées d’un
Gimer est cependant bien connue mettent une restitution relative- gâble, dans laquelle avait été pla-
grâce aux différentes descrip- ment précise de l’ensemble, bien cée une statuette de Gimer en
tions qui en ont été données dans que les dimensions n’en aient évêque. Quatre cabochons dispo-
cinq des inventaires conservés du jamais été précisées – 1,5 m de sés sur une ligne, surmontés
trésor. Les reliques de ce saint long au moins peut-on raisonna- d’un plus gros sur les petites
avant la décision de leur mise en blement penser. La forme de la faces, complétaient enfin le décor
valeur dans le sanctuaire dans châsse était celle, classique, d’un de la châsse. Rien n’est précisé
le courant des années 1260 ne rectangle couronné d’un toit à de l’ornementation des versants
sont pas sans soulever quelques deux versants, reposant sur une du toit. Si les documents d’époque
interrogations. Où était conservé plaque portée par quatre lions moderne ne mentionnent pas la
le corps de l’ancien évêque, dans assis. Les angles étaient dotés présence des armes des Roche-
la cathédrale et plus vraisembla- de tourelles polygonales, dont fort qui identifierait bien le prélat
blement dans la crypte ? Le dé- trois des faces présentaient de comme le commanditaire de la
veloppement d’un culte à Gimer petites niches superposées sur grande châsse, à l’exemple du
par le clergé carcassonnais re- trois rangs à l’intérieur desquelles chef reliquaire, on peut cependant
monte-t-il à cette époque ou bien se logeait une petite figure. Ces admettre comme les auteurs an-
n’est-il que relancé ? La sépara- tourelles étaient terminées par ciens qu’il n’en fut pas autre-
tion de la tête du corps remonte- des pinacles à quatre faces aux ment, d’autant que les descrip-
t-elle à la fin du 13e siècle, comme arêtes sculptées de crochets et tions données par les inventaires
l’affirment certaines sources litté- couronnés d’un fleuron. Les permettent de rattacher la confec-
raires, ou est-elle antérieure ? Si grandes faces du coffre étaient tion de l’ouvrage au mieux à la
les questions n’ont pas encore rythmées de six arcatures for- seconde moitié du 13 e siècle,
trouvé de réponses certaines, il est mant niche, surmontées d’un sinon aux années 1300. Pour se
presque assuré que l’évêque gâble aux rampants sculptés, ter- faire une idée relativement pré-
Pierre de Rochefort fit réaliser les miné par un double fleuron et cise du travail d’orfèvrerie, il faut
deux reliquaires pour conserver flanqué de pinacles, aussi à quatre le comparer avec les rares
les restes du saint. L’un, sur lequel faces et également aménagés de exemples connus ou conservés
étaient apposées les armes des trois niches à personnage. Les antérieurs, comme la châsse de
Rochefort, était destiné à recueil- douze logements principaux re- Saint-Taurin d’Evreux, sortie d’un
lir la tête en forme de chef reli- cevaient alors une statuette atelier parisien dans les années
quaire. On en trouve encore men- d’apôtre, certains identifiés par 1250, celle de Saint-Romain de
tion dans les inventaires jusqu’en une inscription – Pierre, Jean, Ma- la cathédrale de Rouen, datable
1794. L’autre conservait le corps thias et Jacques le Majeur –, des années 1280 ou encore celle
de Gimer et les reliques d’autres d’autres identifiables par l’indica- de Sainte-Gertrude de Nivelles,
saints dans un coffre en bois re- tion de leur attribut – Barthélemy confectionnée de 1272 à 1298,
couvert de plaques d’argent. et Jacques le Mineur. Les pignons détruite en 1940 mais connue par
C’est cette châsse qui était pré- quant à eux étaient animés de des photographies anciennes et
sentée en permanence derrière deux arcatures à l’intérieur des- dont quelques fragments sont
le maître autel. Elle disparaît de quelles figuraient, pour l’une des conservés.
la documentation après 1757 une faces, une Vierge et un ange – une
fois translatées, le 6 novembre de Annonciation ? –, un Christ au-
cette année-là, les reliques dans dessus, et pour l’autre, les saints
une nouvelle châsse exposée patrons de la cathédrale, Nazaire
sous l’autel de l’ancienne cha- et Celse. Au milieu du toit, au Évreux (Eure), église Saint-Taurin,
pelle Saint-Barthélémy, qui prit faîte sculpté de fleurs de lys, se Châsse reliquaire de Saint-Taurin.
Dans la production de toute la province, le chantier gothique de première moitié du 14e siècle avec les exemples des absides
Saint-Nazaire occupe une place particulière. Il est en effet une des cathédrales de Lodève (vers 1280), Béziers (vers 1300), ou
parfaite illustration de transferts artistiques, autant technique encore de Lavaur (vers 1330-1332), ou de celle de la collégiale de
qu’esthétique de modes septentrionales vers le Midi, tout comme Sérignan (début du 14e siècle).
celui du mode de présentation des reliques. Le mouvement
de nouvelle mise en valeur de reliques glorieuses a été initié Par rapport aux chantiers des autres églises en construction
en 1259 avec l’exhumation du tombeau de saint Sernin de la dans le Midi, celui de l’ancienne cathédrale de la Cité est un
crypte romane de la collégiale du même nom à Toulouse, puis pur produit de l’architecture rayonnante des années 1250-
celle d’autres tombeaux découverts à l’occasion, sarcophages 1260 du nord du domaine royal. Il se distingue ainsi par
déposés dans une nouvelle crypte réalisée dans les années 1260 une mise en œuvre tout à fait exceptionnelle avec un travail
(actuelle crypte inférieure). Saint-Nazaire de Carcassonne prend unique qui s’exprime par la sculpture des chapiteaux et des
alors le relais mais en adoptant des dispositions liturgiques du clefs de voûte à sujet latéral – type utilisé pour quelques-unes
nord du royaume. C’est ainsi que la crypte fut arasée, comblée et des chapelles nord du chevet de Saint-Étienne de Toulouse
remplacée, en quelque sorte, par une abside baignée de lumière seulement et au chevet de la cathédrale de Rodez –, par
magnifiant l’autel de retro auquel était associée la vénération du la présence de griffes de très grande qualité sur les bases
corps saint de l’évêque Gimer. Ce principe d’exposition fut peu – seul exemple dans toute la région –, par la généralisation
après repris vers 1280 à Saint-Sernin de Toulouse avec le tombeau des arcatures aveugles en saillie sur le mur. Enfin, l’important Vue intérieure du sanctuaire de
du martyr posé, dans l’abside, sur la plate-forme d’un baldaquin travail de stéréotomie est notable avec plusieurs éléments en l’ancienne cathédrale de Lodève
monumental construit sur deux niveaux, dont il ne subsiste pénétration comme les moulurations secondaires dans les (Hérault).
plus aujourd’hui que le soubassement. Pour cette construction, supports qui ne trouve un tel équivalent qu’au chevet de la
imité peu après au début du 14e siècle sur une échelle réduite à cathédrale de Toulouse. C’est ainsi avec raison que Saint-
Saint-Just de Valcabrère, on fit vraisemblablement appel à un Nazaire de Carcassonne peut être considérée comme la plus
architecte carcassonnais comme l’indiquerait la modénature « française » des cathédrales du Midi. Cependant, la réduire
des vestiges reprenant celle caractéristique de la chapelle de à sa seule partie gothique serait oublier l’importance de la
Guillaume Radulphe, étrangère à la région toulousaine, mais partie romane dont l’atmosphère plus sombre et le parti
encore utilisée autour de Carcassonne au 14e siècle (au portail architectural renforcent la mise en valeur de l’abside. Les
daté de 1296 de la chapelle Saint-Barthélémy de l’abbaye de nouveaux aménagements liturgiques réalisés par Louis-
Lagrasse ou encore à l’église de Saint-Ybars (Ariège) du milieu Joseph de Grignan dans les toutes premières années du
du 14e siècle). 18e siècle avec un maître autel placé très en avant de la
croisée et le chœur liturgique dans tout l’ancien sanctuaire
Christ en croix, détail du vitrail de Pour la présentation aux fidèles des reliques de Gimer, Bernard de médiéval font de la cathédrale la première application du
l’Arbre de Vie, chapelle Sainte- Capendu pense au modèle de la Sainte-Chapelle et s’adresse à un modèle romain dans le Midi, mais également, après la
Croix, bras sud du transept. architecte parisien pour la concrétisation de son projet. Le principe cathédrale d’Angers, une des toutes premières en France.
du chevet traité en verrière constitue la principale originalité de la Ainsi, pour toutes ces raisons, Saint-Nazaire de Carcassonne
disposition à l’époque. Cette mode septentrionale trouva un écho apparaît bien comme un édifice de tout premier plan qui n’a
ensuite dans le Midi à partir du chantier carcassonnais dans la pas la place qu’elle mérite dans l’historiographie.
La sculpture funéraire est repré- son projet de salle des grands dégagé est occupé par un registre infirme cette opinion. La sculpture,
sentée par trois types de monu- hommes du Midi de la France, inférieur d’arcatures étroites en effet, présente sans ambiguïté
ments : la plate-tombe gravée, dont les deux plaques figurant accueillant des figures de clercs, les caractères du 14e siècle, et
le tombeau encastré et le gisant. Simon de Montfort, celle au mu- de diacres et de chanoines repré- plus exactement, de la sculpture
Plusieurs exemplaires de dalles sée des Augustins de Toulouse et sentées en cortège s’éloignant du funéraire des années 1340-1350.
funéraires sont conservés, notam- celle de Carcassonne achetée en registre central, dans une grande Aussi, certains plis du drapé sont-
ment de l’époque moderne, mais 1845 pour être à nouveau placée diversité d’attitudes. Au-dessus, ils en cascade et tuyautés et les
l’une d’entre elles est particulière- à Saint-Nazaire à la suite de sa et proche de la ronde-bosse, sont doigts sont-ils longs et fins. Avec
ment mise en valeur, celle de Si- supposée découverte par Dumège sculptés en position frontale, au des traits individualisés, le visage
mon de Montfort, mort au siège de dans un jardin vers 1819-1820. centre, Pierre de Rochefort en empâté s’apparente à un véritable
Toulouse en 1218, placée dans le Un autre type de monument funé- costume d’évêque, bénissant et portrait. Les yeux mi-clos et la
bras sud. D’abord inhumé devant raire, à développement vertical tenant la crosse, à droite, Gasc de bouche entrouverte font référence
l’ancienne chapelle Sainte-Croix cette fois-ci dont les modèles Rochefort, un parent, archidiacre aux formules développées dans
du chevet roman, son corps est sont à chercher, non pas en Île- mineur de Carcassonne, identi- les tombeaux des papes et des
rapidement transporté par son fils de-France, mais en Roussillon, fié par le roc d’échiquier, meuble grands dignitaires religieux. En
Amaury sur les terres familiales est illustré par deux exemples : le des armes familiales, sculpté croisant les informations relatives
en région parisienne en 1221. La tombeau de Guillaume Radulphe, sur le fermail de son vêtement, à aux sépultures des évêques de
dalle, en marbre rose, de grand avec son sarcophage intégré à la gauche, Pons de Castillon, grand Carcassonne, il est maintenant
format, environ 2 m de long, se composition, et sa version monu- archidiacre, reconnaissable à la possible d’affirmer que le gisant
présente sous forme incomplète. mentale avec celui de Pierre de présence du meuble de ses armes appartient à l’ancien tombeau
Le bandeau sur le pourtour des- Rochefort exécuté après la mort sur son costume. Bien qu’on ait de Pierre de Jean (1330-1338),
tiné à l’épitaphe a été laissé vierge. du prélat, sans doute vers 1330. encore retenu une représenta- Pierre Rodier ayant opté pour une
Le décor est simplement gravé À la différence du précédent, la tion du défunt en jeune homme, plate-tombe et les successeurs
d’un chevalier revêtu d’une cotte sépulture de l’évêque n’a pas été à l’image de Guillaume Radulphe immédiats à Pierre de Jean, des
de mailles, représenté en gisant, incluse dans l’ensemble, mais se pourtant très âgé au moment parents, sont inhumés ailleurs.
un lion à ses pieds. Les motifs du trouvait devant, matérialisée par de son décès, l’effigie de Pierre Autrefois localisé au niveau de
surcot l’identifient : lion et croix une dalle funéraire aujourd’hui ef- de Rochefort trahit cependant la la croisée, le tombeau est sans
de Toulouse. La production de ces facée. Le « tombeau » occupe tout nouvelle orientation prise par la doute démantelé lors des travaux
dalles prend son essor à partir le mur ouest de la chapelle et s’or- sculpture funéraire vers 1300 qui de réaménagement du sanctuaire
du milieu du 13e siècle, mais le ganise autour de trois arcatures abandonne l’idéalisation des traits dans les toutes premières années
matériau alors retenu est la pierre trilobées couronnées de gâbles – manifeste dans la représentation du 18e siècle et le gisant est alors
car ce type funéraire est alors aigus, flanqués de pinacles. L’in- de Guillaume Radulphe – pour un installé dans l’ouverture qu’il a
réservé aux classes bourgeoises térieur de chaque espace ainsi naturalisme tendant au portrait fallu retailler.1
et à la petite noblesse. Les figures
s’inscrivent à l’intérieur d’une – cas de Pierre de Rochefort – ou albâtre attesté à Saint-Nazaire, 1. Aussi en a-t-il été de même pour la
arcature ; ici elle est libre. L’ico- pour le portrait, formule inaugurée localisé à l’intérieur d’une niche plate-tombe de Pierre d’Auxillon dépla-
nographie du défunt, représenté par les tombes royales et papales. cée dans la chapelle Notre-Dame.
ouverte dans le soubassement du
mains jointes sur la poitrine, rat- Déjà sensible dans la sculpture de mur séparant le chœur de la cha-
tache l’ouvrage par ce motif au Guillaume Radulphe, la richesse pelle Notre-Dame, et seul vestige
plus tôt aux années 1250. Très du costume du prélat contribue du tombeau du défunt en costume
faiblement entaillée, la dalle est largement à la grande qualité d’évêque avec un lion aux pieds
également peu conforme techni- de l’ouvrage, caractéristique pré- et un dais architecturé placé au-
quement aux usages de l’époque. sente dans de nombreux autres dessus du visage. L’historiogra-
Or, ces incohérences s’expliquent, tombeaux d’ecclésiastiques de la phie l’identifie avec celui de Simon
comme l’a montré Daniel Cazes, première moitié du 14e siècle. Il en de Vigor, archevêque de Nar-
par la confection de plusieurs faux Gisant de l’évêque Pierre de Jean.
va pourtant différemment du der- bonne, décédé en 1575 et inhumé
commandés par Alexandre Du- nier type de monument funéraire En face : détail de l’effigie de Guil-
dans la cathédrale. Cependant,
mège dans les années 1820 pour avec l’unique gisant en marbre et la facture médiévale de l’ouvrage laume Radulphe.
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Durliat (Marcel). « Le vitrail gothique et ses rapports avec l’architec- Suau (Jean-Pierre). « Les verrières de la cathédrale Saint-Nazaire de
ture et la peinture murale en France méridionale », dans Les vitraux Carcassonne », dans Les vitraux de Narbonne. L’essor du vitrail gothique
de Narbonne. L’essor du vitrail gothique dans le sud de l’Europe, dans le Sud de l’Europe, actes du 2e colloque d’histoire de l’art méridio-
actes du 2 e colloque d’histoire de l’art méridional au Moyen Âge, 30 nal au Moyen Âge, 30 novembre-1er décembre 1990, textes réunis par
novembre-1er décembre 1990, textes réunis par Demore M., Nougaret J., Demore M., Nougaret J., Poisson O., Narbonne, 1992, p. 53-66.
Poisson O., Narbonne, 1992, p. 23-29.
Toulouse et l’art médiéval de 1830 à 1870, exposition d’octobre 1982 à
Finance (Laurence de) et Leniaud (Jean-Michel). Viollet-le-Duc, les vi- janvier 1983, musée des Augustins, Toulouse, 1982.
sions d’un architecte, exposition du 20 novembre 2014 au 9 mars 2015,
Viollet-le-Duc (Eugène). Dictionnaire raisonné de l’architecture fran-
Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris, 2014.
çaise du 11e au 16e siècle, « construction », t. IV, 1860, p. 197-206,
« escalier », t. V, 1861, p. 295-296, « peinture », t. VII, 1864, p. 97-101.
Coordination éditoriale
Fabienne Tuset, secrétaire
de documentation
Graphisme
Charlotte Devanz
Relecture
Stéphanie Quillon
Photogravure et impression
Pure impression, Mauguio
Achevé d’imprimer
Août 2018
Dépôt légal
Septembre 2018
isbn n° 978-2-11-152581-8
Édités par la direction régionale Saint-Nazaire-et-Saint-Celse
des affaires culturelles Occitanie
(conservation régionale des Monu-
ancienne cathédrale de Carcassonne
ments historiques), les ouvrages de Ancrée au cœur de la Cité, dont elle constitue un
la collection « Duo » proposent des repères, l’ancienne cathédrale Saint-Nazaire-
au public de découvrir des chan- et-Saint-Celse a été le siège du diocèse de Carcas-
tiers de restauration du patrimoine sonne, de sa fondation au 6e siècle jusqu’au lende-
monumental et mobilier, des édi- main de la Révolution française.
fices labellisés « Patrimoine du xxe
siècle » ou encore des immeubles Bien que constituée de deux parties distinctes, une
et objets d’art protégés au titre nef romane prolongée d’un lumineux ensemble
des monuments historiques, dans chœur-transept de style gothique rayonnant, elle
l’ensemble de la région. compose un monument médiéval d’une rare har-
monie, restauré par l’architecte Viollet-le-Duc entre
1845 et 1867.