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Cernez

vos problèmes
pour mieux
les résoudre
Cernez
vos problèmes
pour mieux
les résoudre

Cadrer
Analyser
Résoudre

Thomas Wedell-Wedellsborg

Traduit de l’anglais (américain)


par Michel le Séac’h
L’édition originale de cet ouvrage a été publiée aux États-Unis par Harvard Business Review Press
sous le titre : What’s Your Problem ? To Solve Your Toughest Problems, Change The Problems You
Solve.

Original work copyright © 2020 Thomas Wedell-Wedellsborg


Published by arrangement with Harvard Business Review Press
Unauthorized duplication or distribution of this work constitutes copyright infringement.

Mise en page : APS-ie


Couverture : adaptation par Valérie Leroux

Aucune représentation ou reproduction, même partielle, autre que celles prévues à l’article L. 122-5
2° et 3° a) du Code de la propriété intellectuelle ne peut être faite sans l’autorisation expresse de
Pearson France ou, le cas échéant, sans le respect des modalités prévues à l’article L. 122-10 dudit
code.

© 2021, Pearson France, pour l’édition française


ISBN : 978-2-3260-5973-3

Dépot légal : octobre 2021


Achevé d’imprimer en octobre 2021 par Wilco B. V., Pays-Bas
À Paddy Miller
Sommaire

PREMIÈRE PARTIE

RÉSOUDRE LE BON PROBLÈME

Introduction Quel est votre problème ?


Résolvez-vous les bons problèmes ?
Le problème de l’ascenseur lent
Un meilleur problème à résoudre
Un outil puissant qui a fait ses preuves
Le problème de la résolution de problème
Ce qui va suivre
Le canevas du recadrage

Chapitre 1 Ce qu’est le recadrage


Au-delà de l’analyse
Le problème des chenils américains
Explorer le cadre ou le briser
Avancées techniques ou mentales
Résumé du chapitre

DEUXIÈME PARTIE

COMMENT RECADRER

Chapitre 2 Se préparer au recadrage


Le processus
Une meilleure approche
De quels outils ai-je besoin pour le recadrage ?
Qui devrait participer ?
Quand faut-il utiliser le processus ?
Combien de temps prévoir ?
L’ordre des stratégies a-t-il une importance ?
Préparez-vous au recadrage
Chapitre 3 Cadrer le problème
D’abord, cadrez le problème
Pourquoi mettre par écrit vos propres problèmes ?
Quel est votre type de problème ?
Reconsidérer le problème
Nourrir les hipsters au Royal Palms
Note finale : gardez les détails pour plus tard
Résumé du chapitre

Chapitre 4 Regarder hors du cadre


Un défi rapide
1. Regarder au-delà de votre propre compétence
2. Observer les événements précédents
3. Rechercher les influences cachées
4. Rechercher les aspects non évidents de la situation
Résumé du chapitre

Chapitre 5 Repenser l’objectif


Pourquoi il faut s’interroger sur les objectifs
1. Clarifier les objectifs généraux
2. Contester la logique
3. Demander s’il y a d’autres moyens d’atteindre les objectifs importants
4. Remettre également en question les objectifs évidents
5. Examiner aussi les sous-objectifs
Résumé du chapitre

Chapitre 6 Examiner les points positifs


La force des exceptions positives
1. Avez-vous déjà résolu le problème au moins une fois ?
2. Y a-t-il des cas particuliers positifs dans notre groupe ?
3. Qui d’autre rencontre ce genre de problème ?
4. Pouvons-nous proclamer le problème largement ?
Résumé du chapitre

Chapitre 7 Regarder dans le miroir


Des problèmes avec les enfants
1. Explorer votre propre contribution
2. Ramener le problème à votre niveau
3. Obtenir une vision extérieure de vous-même
Résumé du chapitre

Chapitre 8 Adopter leur perspective


Problème : les affiches ont-elles fonctionné ?
L’art de se comprendre mutuellement
1. Veillez à ce qu’elle ait lieu
2. Fuyez vos propres émotions
3. Recherchez des explications raisonnables
Résumé du chapitre

Chapitre 9 Avancer
Fermer la boucle
1. Décrire le problème aux parties prenantes
2. Se faire aider par des tiers
3. Imaginer un essai grandeur nature
4. Envisager de « prétotyper » la solution
Réexaminer le problème, c’est important
Quatre moyens pour reconsidérer votre diagnostic
Résumé du chapitre

TROISIÈME PARTIE

VAINCRE LES RÉSISTANCES

Chapitre 10 Trois problèmes tactiques


Les complications et comment les gérer
1. Choisir sur quel cadre se concentrer
2. Trouver les causes inconnues d’un problème
3. Échapper au raisonnement en silo
Résumé du chapitre

Chapitre 11 Les opposants au recadrage


Opposition et déni
Opposition au processus
Affronter le déni
Résumé du chapitre

Conclusion Un mot d’adieu


De la théorie à l’hypothèse de travail

Lectures conseillées
Notes
Index
Remerciements
L’auteur
Première partie
Résoudre le bon problème
Introduction
Quel est votre problème ?

Résolvez-vous les bons problèmes ?

Tout d’abord, une question. Répondez-y pour votre équipe, votre entreprise,
votre société, votre famille ou juste pour vous-même :

Combien gaspillons-nous de temps, d’argent, d’énergie, de vies même, à résoudre les


mauvais problèmes ?
J’ai posé cette question à des gens du monde entier, et il est rare que la
réponse soit jugée anodine. Si la vôtre vous surprend, voici une seconde
question :

Pourrions-nous faire mieux pour résoudre les bons problèmes ?

Que se passerait-il dans votre vie – et pour les gens et les causes que vous
avez à cœur – si tout le monde savait un peu mieux viser la bonne cible ?
Tel est le sujet de ce livre. Il voudrait améliorer la capacité du monde à
résoudre des problèmes. Pour y parvenir, il présente une compétence très
particulière appelée « recadrer le problème » – en bref, le « recadrage ».
Plus de cinquante ans d’études ont montré que le recadrage est une
compétence exceptionnellement puissante – et pas seulement pour résoudre
des problèmes 1. Les gens qui la maîtrisent prennent de meilleures
décisions, trouvent des idées plus originales, mènent souvent une vie plus
épanouissante.
Encore mieux : il n’est pas si difficile de l’acquérir 2. En lisant ce livre,
vous apprendrez à mieux réfléchir et à mieux résoudre les problèmes. Sans
doute éclairerez-vous aussi certaines de vos difficultés actuelles – non pas
dans l’avenir, mais chemin faisant.
Pour comprendre ce qu’est le recadrage, poursuivez votre lecture. Un
ascenseur lent vous attend.

Le problème de l’ascenseur lent

Voici l’idée centrale de ce livre :

La manière dont vous cadrez un problème détermine la solution à laquelle


vous aboutirez.
En réorientant votre manière de voir le problème – c’est-à-dire en le
recadrant – vous pourrez parfois trouver des solutions radicalement
meilleures.

Pour voir comment l’idée fonctionne, considérons un exemple classique,


celui de l’ascenseur lent 3.

Vous êtes propriétaire d’un immeuble de bureaux et vos locataires se


plaignent de l’ascenseur. Il est vieux et lent, ils doivent l’attendre
longtemps. Plusieurs d’entre eux menacent de résilier leur bail si vous ne
réglez pas le problème.

Remarquez avant tout que ce problème ne vous est pas présenté de manière
neutre. Comme la plupart des problèmes que nous rencontrons dans le
monde réel, quelqu’un l’a déjà cadré pour vous : le problème, c’est que
l’ascenseur est lent.
Tout à notre désir de trouver une solution, nous ne remarquons
généralement pas le cadrage du problème. Nous commençons donc à
réfléchir aux moyens d’accélérer l’ascenseur. Pourrions-nous changer le
moteur ? Améliorer l’algorithme ? Faut-il installer un nouvel ascenseur ?
Ces idées s’inscrivent dans un espace de solution, c’est-à-dire un groupe
de solutions ayant en commun des hypothèses sur la nature du problème.

Ces solutions pourraient fonctionner. Toutefois, si vous soumettez le


problème à des gérants d’immeubles, ils proposent une solution plus
élégante : installer des miroirs à côté de l’ascenseur. Cette mesure simple
s’avère efficace pour alléger les récriminations, car les gens ont tendance à
perdre la notion du temps quand on leur donne à voir quelque chose
d’absolument fascinant – c’est-à-dire eux-mêmes 4.

Un meilleur problème à résoudre

La solution du miroir ne résout pas le problème tel qu’il a été présenté : elle
ne rend pas l’ascenseur plus rapide. Elle propose en revanche une analyse
différente – c’est-à-dire qu’elle recadre le problème.

Voilà ce qu’est le recadrage. Au cœur de la méthode réside une idée contre-


intuitive : parfois, pour résoudre un problème ardu, vous devez cesser de
chercher des solutions. Il est préférable de tourner votre attention vers le
problème lui-même – pas seulement pour l’analyser, mais pour modifier
votre manière de le cadrer.
Un outil puissant qui a fait ses preuves

La puissance du recadrage est connue depuis des décennies 5 ; des


personnages comme Albert Einstein, Peter Drucker et bien d’autres
attestent de son importance. Le recadrage, qui associe innovation,
résolution de problème et choix des bonnes questions, peut être pratiqué
quelle que soit votre activité : diriger une équipe, créer une entreprise,
conclure une vente, ciseler une stratégie, traiter avec un client exigeant, etc.
Il est utile aussi pour faire face aux problèmes personnels : bâtir sa carrière,
améliorer les relations au sein de son couple, tempérer des enfants
récalcitrants… Il peut s’appliquer à presque tous les problèmes que vous
rencontrez, dans n’importe quel domaine de votre vie, pour résoudre des
dilemmes et trouver de nouvelles manières de progresser. Comme j’aime à
le dire : « Chacun a ses problèmes. Les recadrer peut vous aider. »
Et de l’aide, il en faut – car la plupart des gens n’ont pas appris ce qu’est
le recadrage ni comment s’y prendre. En fait, mon travail m’a amené à
penser que le recadrage est l’instrument qui manque le plus dans notre boîte
à outils cognitive.

Le problème de la résolution de problème

Voici quelques années, l’une des grandes entreprises très connues qui
composent le palmarès Fortune 500 m’a demandé d’enseigner le recadrage
à 350 de ses collaborateurs. Mon intervention s’inscrivait dans une semaine
de formation au leadership spécialement conçue pour les dirigeants les plus
talentueux de l’entreprise. Pour y être admis, vous deviez faire partie des 2
% les meilleurs parmi vos collègues du même rang.
À la fin de la semaine, nous avons sondé les participants. Nous leur
avons demandé ce qu’ils avaient trouvé de plus utile. Parmi tous les
enseignements de ces cinq journées bien remplies, la séance de deux heures
sur le recadrage venait en tête.
Ce n’était pas la première fois que je constatais une telle réaction. Au
cours des dix dernières années, j’ai enseigné le recadrage à des milliers de
gens dans le monde entier ; presque tous le disent extrêmement utile. Voici
quelques réactions typiques glanées sur les fiches d’évaluation :
« Une nouvelle manière de considérer les choses qui vous ouvre les
yeux. »
« J’ai adoré, m’a absolument ouvert l’esprit sur une autre manière de
raisonner. »
« Recadrer est un concept formidable que j’ignorais jusque-là. J’ai
bien l’intention de l’utiliser avec mon équipe à l’avenir. »

J’ai trouvé ces réactions – et je les trouve encore – profondément


troublantes.
Songez-y : Pourquoi diable ces gens n’étaient-ils pas encore au courant
? Comment se fait-il que des gens vraiment intelligents travaillant dans une
multinationale du Fortune 500 – les 2 % les meilleurs de cette entreprise –
ne sachent pas encore résoudre les vrais problèmes ?
Pour apprécier l’étendue du problème, j’ai interrogé 106 cadres
dirigeants représentant 91 entreprises du secteur privé et du secteur public
dans dix-sept pays. Résultat : 85 % d’entre eux m’ont avoué que leur
organisation maîtrisait mal le recadrage 6. Presque autant m’ont affirmé
que leur entreprise gaspillait des moyens importants à cause de cela.
C’est consternant. Le recadrage est une compétence intellectuelle
fondamentale. Franchement, cette matière devrait être enseignée à tout le
monde depuis longtemps. Il est délirant que nous ne nous y prenions pas
mieux. Et je suis consterné de voir combien d’erreurs sont commises
chaque jour parce que des gens intelligents et talentueux persistent à
résoudre les mauvais problèmes.
Voilà le problème que ce livre voudrait résoudre.
J’ai distillé mes travaux des dix dernières années afin de les rassembler
dans un guide accessible sur la manière de résoudre les bons problèmes. Le
schéma central de ce livre est la méthode de recadrage rapide, une
approche simple, éprouvée, utilisable pour affronter des problèmes dans
n’importe quel contexte ou presque. Fait capital, elle est destinée à être
utilisée rapidement, dans l’ambiance affairée du travail quotidien : peu
d’entre nous peuvent se permettre de tergiverser face à leurs problèmes.
J’ai mis cette méthode au point graduellement au cours de la dernière
décennie en enseignant le recadrage à des gens de tous profils et de tous
niveaux hiérarchiques, en vue de les aider à résoudre des problèmes du vrai
monde. Ses stratégies reposent sur des recherches antérieures consacrées à
la résolution de problèmes et à l’innovation. Au-delà, le choix des stratégies
incluses dans ma méthode ne repose pas sur un modèle théorique
d’ensemble. J’ai juste choisi les stratégies que les gens trouvaient
régulièrement les plus fructueuses pour repenser et résoudre leurs propres
problèmes – et qui en même temps étaient assez larges pour être utiles face
à une vaste palette de problèmes et d’industries.
J’ai aussi validé ces stratégies à l’occasion de recherches sur la façon
dont les gens résolvent des problèmes épineux « à l’état brut », dans le
cadre de leur travail quotidien et non au cours d’un séminaire. J’ai conduit
de nombreuses études approfondies sur la manière dont certaines personnes
dénouent des problèmes difficiles et créent des innovations remarquables,
quel que soit leur lieu de travail – depuis les petites start-up jusqu’à de
grands groupes complexes comme Cisco ou Pfizer. Bien que dans le monde
réel le recadrage soit certainement moins ordonné qu’un schéma bien tracé
ne le suggère, chaque stratégie correspond à des approches adoptées par des
praticiens pour résoudre des problèmes authentiques et trouver de nouvelles
manières originales de produire des résultats.
Voici ce que vous apportera la lecture de ce livre :

Vous apprendrez à trouver plus efficacement des solutions à des


problèmes difficiles, au travail et ailleurs.
Vous cesserez, vous et votre équipe, de perdre du temps en

empruntant de mauvaises pistes.

Vous apprendrez à cadrer plus efficacement vos grandes décisions,


améliorant ainsi votre taux de réussite.

Vous garantirez votre avenir professionnel et vous deviendrez plus


précieux pour votre entreprise.

Et, surtout, vous changerez les perspectives des gens et des causes qui
vous tiennent à cœur.

Notez que ce livre est rédigé en vue d’une application immédiate : tout en le
parcourant chapitre par chapitre, vous pouvez commencer à utiliser la
méthode immédiatement pour affronter vos propres problèmes. Voici
comment il est organisé.

Ce qui va suivre
La première partie – Ce qu’est le recadrage – présente rapidement
quelques concepts en même temps qu’un exemple remarquable de
recadrage tiré du monde réel.
La deuxième partie – Comment recadrer – vous guide pas à pas à
travers la méthode du recadrage, en insistant spécialement sur les questions
à poser. Parmi les sujets couverts :
Comment une question simple – quel problème essayons-nous de
résoudre ? – empêche de s’enticher de mauvaises idées
Pourquoi les praticiens experts regardent hors du cadre avant de se
plonger dans les détails
Comment, en repensant ses buts, une équipe parvient à réduire de 80
% sa charge de travail
Comment la recherche et l’examen d’exceptions positives peut
conduire à des bonds en avant immédiats
Pourquoi regarder dans le miroir est essentiel pour résoudre les
conflits entre personnes
Comment deux chefs d’entreprise ont fait appel à la validation de
problème pour détecter en deux semaines une opportunité chiffrable en
millions de dollars

Après lecture de la deuxième partie, vous serez déjà parfaitement à même


d’utiliser la méthode.
La troisième partie – Vaincre les résistances – est une ressource
documentaire à votre disposition. Vous la consulterez quand vous vous
demanderez ce qu’il convient de faire face à des gens qui s’opposent au
processus de recadrage, qui n’écoutent pas vos conseils, qui s’enferment
dans une mentalité de silo, etc.
Tout au long de ce livre, je présenterai aussi de nombreux exemples réels
de grandes avancées découlant d’un recadrage. Pour la plupart, ils ne
concernent pas des P-DG. Ils s’attachent surtout à ce qu’on pourrait appeler
des gens « normaux », au meilleur sens du mot normal. Ce n’est pas que les
P-DG ignorent le recadrage : plusieurs études de théoriciens du
management ont montré qu’ils l’utilisent, avec d’excellents résultats 7. Pour
autant, la fonction de P-DG est si singulière qu’elle n’a que peu de choses
en commun avec la plupart des autres postes. Ce qui m’intéresse est de
savoir comment mieux résoudre les problèmes non seulement dans les
hautes sphères, mais partout où des problèmes se posent. Je veux, en
somme, démocratiser le recadrage. Les exemples et les gens que vous
rencontrerez dans ce livre en sont témoins.
Ce livre vous présentera aussi les études les plus importantes qui fondent
le concept. Depuis plus d’un demi-siècle, le recadrage est étudié avec soin
par des universitaires et des praticiens aux spécialités très diverses :
opérations, psychologie, mathématiques, création d’entreprise, design,
philosophie, et bien d’autres encore ; ce livre doit beaucoup à leurs travaux.
Vous rencontrerez dans les prochains chapitres certains des principaux
penseurs du recadrage ; beaucoup d’autres sont présentés dans les notes de
fin. Le site web de ce livre, www.howtoreframe.com (en anglais), propose
aussi une introduction plus approfondie à ces études, utile si vous voulez
comprendre les bases scientifiques du recadrage (ou si vous avez juste
besoin d’un peu de vernis académique pour embellir une présentation
devant un client).

Le canevas du recadrage

Enfin, je voudrais vous présenter le canevas du recadrage 8. Ce canevas


vous apporte un survol des étapes clés de la méthode ; vous pouvez
l’utiliser avec votre équipe ou vos clients pour recadrer leurs problèmes.
Des versions gratuites, prêtes à imprimer, peuvent être téléchargées depuis
le site web du livre.
Sur la page suivante, vous trouverez une version d’ensemble du canevas.
Prenez une seconde pour vous familiariser avec lui, sans vous soucier des
détails pour le moment. Nous y viendrons. Pour l’instant, notez seulement
que la méthode comprend trois étapes – Cadrer, Recadrer, Avancer –
complétées par quelques stratégies supplémentaires présentées à la
deuxième étape.
Maintenant, commençons.
Chapitre 1
Ce qu’est le recadrage
Au-delà de l’analyse

Le trait le plus élémentaire des bons solutionneurs est leur optimisme 9.


Devant une situation difficile, ils ne se résignent pas à leur sort. Ils se disent
qu’il existe un meilleur moyen pour aller de l’avant – et qu’ils sont capables
de le trouver.
Pour autant, l’optimisme ne suffit pas. L’histoire regorge d’optimistes
béats qui foncent dans le mur tête baissée 10. Pour réussir, il est essentiel
que l’élan positif soit complété par la capacité de s’attaquer aux bons
problèmes. C’est le but du recadrage (et de son premier mouvement, le
cadrage).
Il est important de noter que le recadrage est différent de l’analyse du
problème. L’analyse, ainsi que j’utilise ce mot ici, consiste à se demander :
Pourquoi l’ascenseur est-il lent ? et à tenter de comprendre les différents
facteurs qui influencent sa vitesse. Bien analyser signifie être précis,
méthodique, soucieux du détail et doué pour les chiffres.
Recadrer, en comparaison, consiste à prendre de la hauteur. C’est se
demander : La vitesse de l’ascenseur est-elle vraiment la question à étudier
? Savoir bien recadrer n’est pas nécessairement se soucier des détails. C’est
plutôt distinguer le tableau d’ensemble et avoir la capacité de considérer des
situations selon des points de vue multiples.
Le recadrage ne se limite pas au début du processus, il ne doit pas non
plus intervenir indépendamment du travail d’analyse et de solution du
problème. Au contraire, votre compréhension du problème prendra corps en
même temps que votre solution. Ainsi que vous le diront les créateurs
d’entreprise aussi bien que les adeptes du design thinking, inutile d’espérer
cadrer correctement un problème sans vous salir les mains et sans tester vos
réflexions dans le monde réel.
Pour montrer comment ce processus fonctionne en pratique, je vous
présenterai l’un des exemples les plus puissants que je connaisse. Il est un
peu plus long que l’histoire de l’ascenseur, mais suivez-moi bien, il est
question de petits chiens.
Le problème des chenils américains

Les Américains adorent les chiens : plus de 40 % des ménages américains


en possèdent un. Mais cette prédilection pour les adorables boules de poils
sur pattes a un revers : on estime que, chaque année, plus de trois millions
de chiens sont placés dans un chenil et offerts à l’adoption 11.
Les chenils et autres organismes de défense des animaux font de leur
mieux pour susciter une prise de conscience. Leurs annonces montrent
classiquement un pauvre chien abandonné au regard triste, choisi avec soin
pour éveiller la compassion, au-dessus d’un slogan du genre « Sauvez une
vie – adoptez un chien ». Il peut s’agir éventuellement d’un appel aux dons.
Grâce à ce genre d’actions, environ 1,4 million de chiens sont adoptés
chaque année. Mais il en reste plus d’un million qui sont laissés pour
compte, sans parler des chats et autres animaux de compagnie. Malgré les
efforts louables des refuges et des associations de protection des animaux,
la pénurie d’adoptants persiste depuis des décennies.
Tout n’est pas noir, cependant. Ces dernières années, deux petites
organisations ont trouvé de nouveaux moyens d’aborder le sujet. L’une
d’elles est BarkBox, une jeune entreprise de New York à laquelle j’ai
enseigné le recadrage. Comme BarkBox verse une partie de ses bénéfices
aux associations qui viennent en aide aux chiens dans le besoin, son équipe
de mécénat a un jour décidé de jeter un œil neuf sur le problème des
chenils.

Calculer l’accessibilité, pas la publicité

Compte tenu de la modicité de son budget, BarkBox savait qu’investir dans


la publicité serait une goutte d’eau dans l’océan. Elle a donc recherché
d’autres moyens de cadrer le problème. Écoutons Henrik Werdelin,
cofondateur de l’entreprise et chef du projet :
Nous avons compris que le problème de l’adoption était pour une part un problème
d’accessibilité. Les chenils s’appuient largement sur l’internet pour montrer leurs
chiens. Cependant, il arrive que leurs sites web soient difficiles à trouver, et le
secteur a si peu d’argent que les sites sont rarement optimisés pour l’affichage sur
les appareils mobiles. Je me suis dit que nous pourrions assez facilement y remédier
12
.

Le résultat, inspiré des applis de rencontre pour les humains, a été une appli
ludique intitulée BarkBuddy qui permet d’afficher les profils des chiens
adoptables et de contacter le chenil qui les héberge.

Lancée avec le slogan « Trouvez des célibataires à poil doux près de chez
vous », l’appli BarkBuddy a depuis lors été téléchargée plus de 250 000
fois. Peu après son lancement, elle enregistrait jusqu’à un million de
consultations de fiches par mois. Première appli de rencontre pour chiens,
elle a aussi été présentée par plusieurs émissions de télévision nationales et
dans un célèbre talk-show. Ce qui fait pas mal d’aboiements pour pas cher,
en somme, puisque la création et le lancement de l’appli ont coûté à peu
près 8 000 dollars 13.
C’est là du recadrage classique : en repensant la nature du problème,
Werdelin et son équipe ont trouvé une approche nouvelle et plus efficace.
Néanmoins, vous noterez que, dans une large mesure, ils fonctionnaient
encore à l’intérieur du cadrage originel du problème : comment faire
adopter plus de chiens ? Ce qui n’est pas la seule manière de cadrer le
problème du chenil.

Une approche différente : les programmes d’intervention


au chenil

Lori Weise, directrice de Downtown Dog Rescue à Los Angeles, est l’une
des pionnières à avoir lancé le programme d’intervention au chenil 14.
Ce programme ne cherche pas à faire adopter davantage de chiens. Son
action vise à maintenir les chiens au sein de leur première famille, de sorte
qu’ils n’entrent même pas dans le réseau des chenils.
En moyenne, environ 30 % des chiens qui arrivent dans un refuge
viennent de « maîtres démissionnaires » ; ils sont délibérément abandonnés
par leur propriétaire. Dans la communauté des refuges bénévoles, unie par
un profond amour des animaux, ces maîtres sont souvent jugés sévèrement :
Faut-il que vous ayez le cœur sec pour jeter votre chien comme un jouet
cassé ! Pour éviter que les chiens ne se retrouvent chez ces « mauvais »
maîtres, nombre de refuges – malgré leur surpopulation chronique de chiens
sans foyer – imposent aux adoptants potentiels un examen laborieux de
leurs références, ce qui rend l’adoption encore plus difficile.
Lori voyait les choses autrement. « Toute cette histoire de “mauvais
maîtres” ne me convenait pas, m’a-t-elle confié. J’ai rencontré beaucoup de
ces gens dans le cadre de mon travail, et la plupart d’entre eux éprouvent un
profond attachement pour leur chien. Ce ne sont pas de mauvaises gens.
Cette histoire était trop simple. »
Pour en savoir plus, Lori a organisé une expérience élémentaire dans un
chenil du sud de Los Angeles. Chaque fois qu’une famille venait
abandonner son chien, l’un des collaborateurs de Lori lui demandait : « Si
vous en aviez la possibilité, préféreriez-vous garder votre chien ? »
Si la famille disait oui, l’employé du chenil cherchait à savoir pourquoi
la famille se débarrassait de son chien. Si Lori et ses collaborateurs
pouvaient contribuer à régler le problème, ils le faisaient grâce à l’argent de
l’association et à leurs relations professionnelles.
Les statistiques tirées de cette expérience contredisent catégoriquement
le postulat de la profession : 75 % des maîtres affirmaient qu’ils
préféreraient garder leur chien. Beaucoup étaient en larmes au moment de
s’en aller – souvent, ils s’étaient bien occupés de lui pendant des années
avant de se rendre au chenil. Voici ce qu’en dit Lori :

Les « maîtres démissionnaires » ne sont pas un problème de personnes. En général,


c’est un problème de pauvreté. Ces familles adorent leur chien autant que nous, mais
elles sont aussi exceptionnellement pauvres. Il est question là de gens qui, dans
certains cas, ne sont pas très sûrs d’avoir de quoi nourrir leurs enfants à la fin du
mois. Alors, quand un nouveau propriétaire leur demande soudain un dépôt de
garantie pour avoir le droit de garder un chien chez eux, ils sont simplement
incapables de trouver l’argent nécessaire. Dans d’autres cas, le chien a besoin d’un
vaccin antirabique à 10 dollars, mais la famille ne connaît pas de vétérinaire, ou
peut-être refuse-t-elle tout contact avec une forme d’autorité. Souvent, elle a
l’impression qu’il ne lui reste aucune autre possibilité que d’abandonner son animal
au chenil.

Lori s’est aperçue que non seulement le programme d’intervention était


viable économiquement, mais qu’il était en outre plus rentable que les
autres activités du groupe. Avant le programme, l’aide fournie par
l’organisation de Lori revenait en moyenne à environ 85 dollars par chien
aidé. Le nouveau programme a abaissé ce coût aux alentours de 60 dollars
et a donc amélioré considérablement son impact par dollar dépensé. Cette
action a aussi permis aux familles de conserver leurs animaux chéris – et,
en évitant qu’ils n’aboutissent au chenil, elle a libéré de l’espace au profit
d’autres animaux en détresse.
Grâce au travail de Lori et de plusieurs autres pionniers, les programmes
d’intervention au chenil font des émules à travers les États-Unis, et cette
démarche a reçu le soutien de plusieurs organismes
professionnels. À la suite de cette initiative et de quelques autres, le nombre
d’abandons en chenil et celui des euthanasies n’ont jamais été aussi bas 15.
Explorer le cadre ou le briser

Les deux histoires illustrent la puissance du recadrage. Dans les deux cas,
en trouvant un nouveau problème à résoudre, un petit groupe de gens a
réussi à produire beaucoup plus d’effet. Elles montrent aussi qu’il y a deux
manières de recadrer un problème ; appelons-les explorer le cadre ou briser
le cadre.

Explorer le cadre, c’est creuser davantage l’énoncé


originel du problème

C’est comme analyser le problème mais avec un élément en plus : vous


gardez un œil sur des aspects négligés de la situation qui pourraient changer
les choses. C’est ce qu’a fait l’équipe de BarkBox. Au départ, elle se disait :
« Il n’y a pas assez d’adoptants dans les chenils », et elle a creusé jusqu’à
repérer un problème « caché » : celui de l’accessibilité. Une fois le
problème ainsi recadré, elle a obtenu un effet sans commune mesure avec
les 8 000 dollars qu’elle avait investis.

Briser le cadre, c’est sortir complètement du cadrage


initial du problème
Le programme de Lori a brisé le cadre. Elle a repensé l’objectif même de
son travail – considéré désormais non comme un problème d’adoption mais
comme un programme d’aide aux familles pauvres désireuses de garder
leurs animaux domestiques – et a contribué au passage à modifier son
secteur d’activité.
Ces deux approches peuvent l’une et l’autre entraîner de grandes
avancées. Mais l’idée de briser le cadre est plus importante car, si vous ne la
maîtrisez pas, vous vous trouverez prisonnier du cadrage initial du
problème. Même pour des solutionneurs aguerris, il est facile de se perdre
dans les détails, de gratter le problème tel qu’il est formulé en cherchant des
indices tout en oubliant complètement de remettre en question le cadrage
global. En gardant à l’esprit l’idée de briser le cadre, vous serez moins
limité par la manière dont le problème se trouve cadré quand il se pose à
vous pour la première fois.
Avancées techniques ou mentales

Il existe une seconde différence, plus subtile, entre les deux histoires. Celle
de BarkBuddy se présente comme une saga typique de la Silicon Valley :
après avoir détecté un problème ignoré jusque-là, on trouve un meilleur
moyen pour le résoudre grâce aux pouvoirs extraordinaires de la
technologie. L’appli BarkBuddy, en ce sens, est profondément en phase
avec son époque. Elle n’aurait pas été possible sans les smartphones, les
normes d’échange de données et un grand nombre de gens qui ont testé les
sites de rencontre. Ron Adner, professeur à Dartmouth, parle à ce sujet de «
lentille large ». En d’autres termes, pour qu’une innovation réussisse, il faut
qu’elle soit soutenue par un écosystème de technologies et de partenaires
déjà en place 16.
L’invention de Lori n’a absolument rien à voir avec une nouvelle
technologie et ne dépend pas de l’existence d’une vaste population déjà
formée à un nouveau comportement. Elle s’appuie assurément sur un large
écosystème de partenaires, en particulier des vétérinaires et des chenils –
mais tout cela est en place depuis des décennies, avec un mode de
fonctionnement à peu près inchangé.
Ce qui soulève une question intéressante : Pourquoi ces deux solutions
n’ont-elles pas vu le jour plus tôt ? BarkBuddy n’aurait pas pu voir le jour
bien avant. Les conditions n’étaient simplement pas en place. Mais le
programme d’intervention au chenil imaginé par Lori ? En théorie, on aurait
pu l’imaginer il y a vingt ans, peut-être même quarante. La barrière
principale à sa mise en œuvre n’était pas technologique. C’était une
croyance erronée – en l’espèce, la conviction que ceux qui abandonnaient
leur chien étaient tous de mauvais maîtres. Pendant des décennies, une
communauté entière s’est laissé aveugler par ses croyances. Lori a brisé le
cadre en s’emparant d’une information que tout le monde connaissait déjà
et en proposant une nouvelle manière de la comprendre.
C’est là un thème capital des histoires racontées dans ce livre.
Innovateurs et solutionneurs éprouvent une légitime fascination pour les
nouvelles technologies, qu’il s’agisse d’ingénieurs repoussant les limites de
la physique, de médecins mettant au point de nouveaux médicaments ou de
programmeurs faisant des miracles avec des bits et des octets.
Cependant, dans un nombre de cas surprenant – surtout quand ils font
partie de notre vie quotidienne –, la solution des problèmes ne dépend pas
de la technologie mais d’une révélation mentale. En ce sens, résoudre des
problèmes difficiles n’est pas toujours affaire de détails ou n’exige pas
toujours une pensée particulièrement cartésienne. Cela peut aussi consister
à interpréter et donner du sens ; à voir ce qui est déjà là mais en repensant
sa signification. Beaucoup dépend de notre capacité à mettre en question
nos propres croyances et à contester des postulats admis peut-être depuis
très longtemps – sur nos collègues, nos clients, nos amis, notre famille, et
plus encore sur nous-mêmes.

Ces histoires vous auront, je l’espère, donné une idée des résultats qu’un
recadrage peut engendrer. Pour conclure ce chapitre, voici cinq bénéfices
spécifiques – expliqués un peu plus en profondeur – que vous tirerez de la
lecture de ce livre.

1. Vous éviterez de résoudre les mauvais problèmes

La plupart des gens ont un biais en faveur de l’action. Confrontés à un


problème, ils passent immédiatement en mode solution, écartant l’analyse
en faveur d’un mouvement rapide vers l’avant : À quoi bon discuter encore
du problème ? Trouvons une solution, les gars !
Le biais en faveur de l’action est généralement une bonne chose :
personne ne désire s’enfermer dans une délibération sans fin. Mais il
comporte un danger : celui de se précipiter sans comprendre pleinement le
problème qu’on tente de résoudre ou sans se demander si, pour commencer,
on s’attaque au bon problème. Par conséquent, on dilapide souvent son
énergie en pure perte, en bricolant de petites variations autour d’une même
« solution » stérile, jusqu’à se trouver à court de temps ou d’argent.
Certains appellent cela « replacer les transats du Titanic ».
Le processus que je présente dans ce livre est conçu pour que vous
puissiez recadrer vite les problèmes, afin de profiter à la fois des avantages
de la rapidité et de la puissance de la délibération. En faisant intervenir le
recadrage dès le début du processus, avant que les gens se soient entichés
de telle ou telle solution, vous pouvez prévenir un gaspillage d’efforts et
atteindre plus vite vos objectifs.

2. Vous trouverez des solutions originales

Tout le monde ne commet pas l’erreur de passer trop vite à l’action.


Beaucoup ont appris à consacrer du temps à l’analyse du problème. Mais
même ceux-là peuvent manquer des occasions importantes. Plus
précisément, beaucoup de gens abordent le diagnostic d’un problème en se
demandant : Quel est le vrai problème ? Guidés par cette question, ils
creusent profondément les détails, cherchant la « racine » du problème.
L’histoire de l’ascenseur met en lumière une faille majeure de cette
manière de penser. On peut présumer que la lenteur de l’ascenseur est un
vrai problème, dont on serait débarrassé par l’achat d’un nouvel
équipement. Mais, et c’est capital, ce n’est pas la seule manière de voir le
problème. En fait, l’idée même d’une « racine » unique peut être trompeuse.
Les problèmes ont en général des causes multiples et l’on peut s’y attaquer
de plusieurs manières. Le problème de l’ascenseur pourrait aussi être cadré
comme un problème de pic de demande – trop de gens en ont besoin au
même moment – qu’on pourrait résoudre par un étalement de la demande,
par exemple en échelonnant les pauses déjeuner.
Le recadrage ne consiste pas à trouver le vrai problème ; il consiste à
trouver un meilleur problème à résoudre. En se braquant sur l’idée qu’il
existe une seule interprétation correcte du problème, on devient hermétique
à des solutions potentiellement plus intelligentes et plus créatives. Le
recadrage améliore votre capacité à les trouver.

3. Vous prendrez de meilleures décisions

Des études ont montré que l’une des choses les plus efficaces que vous
puissez faire quand vous traitez un problème est de générer des options
multiples parmi lesquelles choisir. Paul C. Nutt, professeur à Ohio State
University et maître à penser dans ce domaine, a découvert que les gens qui
ne considèrent qu’une seule véritable option prennent de mauvaises
décisions dans plus de la moitié des cas 17 :
Dois-je faire un MBA ou pas ?
Devons-nous investir dans ce projet ou pas ?

Au contraire, les gens qui créent et envisagent des options multiples ne


choisissent la mauvaise qu’une fois sur trois – cela reste vrai même si en
définitive ils s’en tiennent à leur plan initial :
Dois-je faire un MBA, créer une entreprise, changer d’employeur ou
conserver mon poste actuel ?
Devons-nous investir dans le projet A, le projet B, le projet C, ou nous
abstenir pour le moment ?

Le simple fait d’élargir la palette de possibilités vous aide à mieux juger.


Un bémol s’impose : les options que vous considérez doivent être
authentiquement différentes. Une équipe qui ne comprend pas le recadrage
pourrait se dire qu’elle a vraiment fait le tour de la question parce qu’elle a
repéré quinze fournisseurs de nouveaux ascenseurs plus rapides. Il va de soi
qu’elle a seulement trouvé quinze versions différentes de la même solution.
Le recadrage conduit à de meilleures décisions parce qu’il vous oriente vers
des options authentiquement différentes parmi lesquelles opérer un choix.
Et plus encore. Au risque de faire ce que tout auteur fait avec son sujet
favori – « et voilà, cher lecteur, pourquoi la réfection du mobilier sauvera
l’humanité » – je soutiendrai quand même qu’une maîtrise généralisée du
recadrage peut avoir un effet positif encore plus marqué. Prenez juste deux
exemples, l’un individuel, l’autre sociétal.

4. Vous élargirez vos choix professionnels

Au niveau personnel, résoudre des problèmes difficiles est l’une des choses
les plus satisfaisantes qui soient. C’est aussi un excellent moyen de faire
progresser les gens et les causes qui vous tiennent à cœur. Qui plus est,
apprendre à recadrer aura aussi des effets tangibles pour votre carrière.
De toute évidence, en apprenant à résoudre plus efficacement les
problèmes, vous vous rendrez immédiatement plus précieux pour votre
entreprise. De plus, comme le recadrage ne vous oblige pas à être un expert
pointu au regard d’un problème donné – comme on le verra plus loin, les
experts peuvent parfois être prisonniers de leur propre savoir – cela signifie
aussi que vous pouvez intervenir dans des domaines hors de votre champ de
compétences, tout comme les conseils en management peuvent se mettre au
service d’industries dans lesquelles ils n’ont pas travaillé eux-mêmes. Cela
peut être utile au cas où vous voudriez un jour vous orienter vers un autre
type de poste.
Ce n’est pas un hasard si la capacité à résoudre des problèmes est aussi
très recherchée sur le marché du travail. Le Forum économique mondial a
publié dans une étude récente une liste des compétences les plus
importantes pour l’avenir 18. Voici les trois premières, qui vous diront sans
doute quelque chose :
1. Résolution de problèmes complexes.
2. Raisonnement critique.
3. Créativité.
Enfin, le recadrage protégera aussi votre future carrière d’une manière très
particulière : vous serez ainsi moins susceptible d’être remplacé par un
ordinateur.
Il se peut que, selon votre métier actuel, cette menace vous semble
lointaine. Mais la plupart des experts vous délivreront un message alarmant
: l’IA et autres formes d’automatisation commencent déjà à s’emparer de
nombreux emplois classiques, y compris chez les cols blancs.
Cependant, diagnostiquer un problème est différent. Par sa nature même,
définir et recadrer un problème est une tâche spécifiquement humaine, qui
requiert une compréhension des nombreuses facettes de la situation, la
faculté d’absorber des informations vagues, difficilement quantifiables, et la
capacité d’interpréter et de repenser la signification des données. Les
ordinateurs ne seront pas capables de faire cela dans un proche avenir * – en
ce sens, parvenir à le faire encore mieux vous servira tout à la fois à
sécuriser votre emploi et à trouver de nouvelles opportunités
professionnelles.

5. Vous contribuerez à créer une société en meilleure santé

Enfin, le recadrage est important aussi pour le fonctionnement continu de


notre société. Résoudre durablement des conflits requiert que des gens
trouvent un terrain d’entente avec leurs adversaires – à cet effet, ils doivent
déterminer d’abord quels problèmes ils essaient de régler, au lieu de se
disputer sur les solutions. Comme je le montrerai, le recadrage a servi à
trouver de nouvelles solutions à des conflits politiques profondément ancrés
19.

En même temps, apprendre à recadrer est aussi un système de défense


mentale utile – car la science a montré que le recadrage peut devenir une
arme 20. Observez attentivement des membres de partis politiques
antagonistes en train de parler d’un sujet brûlant et vous verrez comment ils
utilisent le recadrage pour tenter d’influencer vos raisonnements.
En ce sens, le recadrage peut être vu comme une compétence civique
centrale. En renforçant votre habileté à cadrer des problèmes, vous
améliorerez votre capacité à détecter les cas où quelqu’un tente de vous
manipuler. Une population plus habituée au recadrage est une population
mieux protégée contre les démagogues et autres gens malintentionnés.
Et voilà, cher lecteur, pourquoi vous devriez conseiller ce livre à vos
alliés, tout en le dénigrant subtilement auprès de vos adversaires politiques.

* Pas avant mercredi prochain, en tout cas.


Résumé du chapitre
Ce qu’est le recadrage

Pour traiter des problèmes, vous vous livrez en boucle, à plusieurs reprises,
à trois activités :
1. Cadrer (et ensuite recadrer) le problème : vous déterminez ce qui
vous préoccupe.
2. Analyser le problème : vous étudiez en profondeur le cadrage du
problème tel que vous l’avez choisi, en tentant de le quantifier et d’en
comprendre les moindres détails.
3. Résoudre le problème : vous prenez les mesures effectives pour le
régler, par exemple l’expérimentation, le prototypage et enfin la mise
en œuvre de la solution complète.
Il y a deux manières différentes de rechercher de nouveaux angles pour
aborder un problème :
1. Explorer le cadre : vous tentez de recadrer le problème en creusant
plus profondément les détails du premier cadrage.
2. Briser le cadre : vous sortez du premier cadrage en abordant le
problème sous un angle entièrement différent.

La plupart des problèmes ont des causes multiples – et peuvent donc avoir
de multiples solutions viables. Ceux qui cherchent le « vrai » problème
risquent de passer à côté de solutions originales car ils s’arrêtent à la
première réponse viable qu’ils trouvent.
Les solutions des problèmes ne sont pas toutes techniques. Parfois, on
peut identifier de nouvelles approches en s’interrogeant sur ce qu’on croit
plutôt qu’en appliquant une nouvelle technologie.
Imaginer des options multiples améliore la qualité de vos décisions – à
condition que ces options soient authentiquement différentes.
Un recadrage peut être bénéfique pour votre carrière, mais aussi pour
l’ensemble de notre société.
Deuxième partie
Comment recadrer
Chapitre 2
Se préparer au recadrage
Le processus

La plupart des gens sont conscients du danger (voir schéma ci-dessus)


d’un plongeon trop rapide dans l’action. Mais comment faire autrement,
puisque nous sommes tous si occupés ? Bien entendu, un écrivain
tranquillement installé devant son café au lait comme moi a peut-être
beaucoup de temps pour s’adonner à ce que la fille d’une amie appelle des «
pensées pensives » (c’est un terme technique) 21. Ceux qui exercent un vrai
métier n’ont généralement pas ce luxe. Pressés par le temps, nous
choisissons pour la plupart d’aller de l’avant en espérant être capables de
remédier plus tard aux désordres qui pourraient en résulter.
Cela peut être le début d’un cercle vicieux. Ne pas prendre le temps de se
poser de questions générera des problèmes plus tard, ce qui ne fait
qu’aggraver notre manque de temps. Comme disait un haut dirigeant : «
Nous sommes si occupés à transporter de lourdes charges que nous n’avons
pas le temps d’inventer la roue 22. »
Pour sortir de ce piège, vous devez d’abord regarder en face deux
hypothèses fallacieuses sur le diagnostic de problème :
C’est un plongeon en profondeur – prolongé et chronophage – dans le
problème.
Vous devez accomplir ce plongeon en profondeur et comprendre
parfaitement le problème avant d’engager la moindre action.
Ces mythes sont exprimés dans une citation, peut-être la plus célèbre du
monde sur le thème de la résolution de problème, souvent attribuée à Albert
Einstein : « Si j’avais une heure pour résoudre un problème et que ma vie
en dépendait, je passerais cinquante-cinq minutes à définir le problème et
cinq minutes à le résoudre. »
La phrase a belle allure, assurément, mais n’est pas sans problème.
D’abord, elle n’est pas d’Einstein 23. Le célèbre physicien croyait fortement
au diagnostic de problème, mais il n’existe aucune preuve que la citation
des « cinquante-cinq minutes » soit de lui. Par dessus-tout, même à
supposer qu’Einstein en soit l’auteur, ce serait quand même un mauvais
conseil. (Il se trouve que les enseignements tirés de la physique théorique
de pointe ne s’appliquent pas nécessairement à la résolution de problèmes
quotidiens.) Voilà ce qui tend à se produire si vous gérez votre temps «
façon Einstein » :

C’est ce qu’on appelle couramment la paralysie par l’analyse ; souvent,


cela se termine mal.
Une meilleure approche

Voici une meilleure manière de réfléchir au cadrage d’un problème.


D’abord, représentez-vous la résolution de problème comme une ligne
droite, qui connote la tendance naturelle des gens vers la découverte d’une
solution.

Le recadrage forme une boucle hors de ce cheminement : un changement


de direction bref, délibéré, qui déplace temporairement l’attention vers la
question plus générale de la manière dont le problème est cadré 24. Il
s’achève par un retour au cheminement avec une compréhension du
problème nouvelle ou meilleure. Voyez-le, si vous voulez, comme une
courte interruption de la progression, comme si vous reculiez d’un pas par
rapport à l’action.

Cette boucle de recadrage est répétée tout au long du trajet de résolution


du problème, avec de multiples interruptions au cours de votre progression.
Par exemple, une équipe commencera par une phase de recadrage le lundi,
puis passera en mode action pendant la semaine avant de réexaminer le
problème le vendredi en se demandant : Avonsnous appris quelque chose de
nouveau sur le problème compte tenu de ce que nous avons fait cette
semaine ? Notre cadrage est-il toujours bon ?
Vous vous souvenez de la vue d’ensemble présentée plus haut (le
canevas du recadrage). La méthode comprend trois étapes : Cadrer,
Recadrer, Avancer – avec quelques stratégies imbriquées à la deuxième
étape. La figure ci-dessous montre ce qui se passe au sein de la boucle.

1re étape – Cadrer

C’est ce qui déclenche le processus. Il démarre en pratique quand quelqu’un


demande : « Quel problème essayons-nous de résoudre ? » Il en résulte un
énoncé du problème – de préférence écrit – qui est pour vous le premier
cadrage du problème.

2e étape – Recadrer

Avec le recadrage, vous remettez en question votre appréhension initiale du


problème. Le but est de trouver rapidement un maximum d’autres cadrages
possibles. Vous pouvez y voir une sorte de brainstorming, si ce n’est que
vous ne recherchez pas des idées mais des manières différentes de cadrer le
problème. Elles peuvent se présenter comme des questions (Pourquoi au
juste la lenteur de l’ascenseur pose-t-elle problème ?) ou comme des
suggestions directes (Cela pourrait être un prétexte pour réclamer une
baisse du loyer).
Les cinq stratégies imbriquées peuvent vous aider à découvrir ces
cadrages différents du problème. Selon la situation, vous pourrez en
explorer quelques-uns, la totalité ou aucun :
Regarder hors du cadre. Qu’est-ce qui nous échappe ?
Repenser l’objectif. Existe-t-il un meilleur objectif à poursuivre ?
Examiner les points positifs. Où le problème n’existe-t-il pas ?
Regarder dans le miroir. Quel est mon/notre rôle dans la création de
ce problème ?
Adopter leur point de vue. Quel est leur problème ?

3e étape – Avancer

Ce mouvement boucle la boucle et vous ramène en mode action. Il peut être


la poursuite de votre cours actuel, un pas vers l’exploration de certains des
nouveaux cadrages que vous avez trouvés, ou les deux.
Votre tâche, ici, consiste à déterminer comment valider le cadrage de
votre problème par un test en situation réelle, afin de vous assurer que votre
diagnostic est le bon. (Songez à un médecin qui pose un diagnostic – cela
ressemble beaucoup à une méningite – et qui prescrit une analyse de
laboratoire pour confirmer son diagnostic avant de commencer le
traitement.) À ce stade, il est également possible de programmer une
vérification ultérieure du recadrage.
De quels outils ai-je besoin pour le
recadrage ?

Pour recadrer un problème, vous n’avez besoin d’aucun matériel. En


revanche, des tableaux de papier ou des tableaux blancs sont utiles,
surtout en groupe. Les surfaces d’écriture partagées favorisent la motivation
et la collaboration.
Des check-lists peuvent aussi être salutaires. À la fin de ce livre, vous en
trouverez une que vous pourrez placer dans votre espace de travail.
Pour les problèmes vraiment importants – ou s’il vous faut conférer une
légitimité au processus – utilisez le canevas de recadrage. Vous en
trouverez un exemplaire à la fin de ce livre ; vous pouvez aussi en
télécharger des versions prêtes à imprimer depuis le site web du livre.
Qui devrait participer ?

Vous pouvez recadrer un problème vous-même – et c’est parfois une bonne


manière de commencer, juste pour mettre de l’ordre dans vos idées. Mais
d’ordinaire, il convient de faire participer les autres dès que possible.
Partager votre problème avec d’autres – surtout avec des gens différents de
vous – apporte un raccourci extrêmement puissant vers de nouveaux points
de vue et peut vous aider à découvrir plus vite les angles morts de vos
réflexions.
Si vous commencez petit, je conseille de travailler en groupes de trois
plutôt que de deux. Quand on est trois, une personne peut écouter et
observer pendant que les deux autres parlent.
Pour un résultat plus probant, invitez des personnes extérieures à
participer au processus – des gens moins proches du problème que vous et
vos contacts immédiats. Faire intervenir des tiers demande plus d’efforts
mais, en particulier pour des problèmes importants, cela en vaut
généralement la peine.
Au-delà, aucune limite ni contrainte particulière ne s’appliquent à la
taille du groupe. Il s’agit plutôt de savoir ce qui est possible en pratique.
S’il est envisageable de partager largement votre problème, sur un intranet
d’entreprise par exemple, ou même sur les médias sociaux, allez-y et
essayez.
Quand faut-il utiliser le processus ?

Aussi souvent que nécessaire. Ne partez pas du principe qu’un problème


doit prendre une certaine ampleur pour qu’un recadrage fonctionne. En
revanche, adaptez le processus de recadrage aux dimensions du problème.
À l’une des extrémités du spectre du recadrage se situe ce qu’on pourrait
appeler le recadrage improvisé. Supposez qu’un collègue vous harponne
dans le couloir pour solliciter votre aide ou qu’un problème surgisse
soudainement au cours d’une conversation téléphonique avec un client.
Dans ces situations, une démarche méthodique est rarement viable.
Contentez-vous de demander en quoi consiste le problème, puis faites appel
à votre intuition pour zoomer sur un ou deux angles qui semblent plus
propices à un recadrage.
À l’autre extrémité du spectre réside le recadrage structuré, pour les
situations dans lesquelles vous pouvez appliquer le processus
méthodiquement. Il peut intervenir en cours de réunion, si vous pouvez
utiliser le canevas, ou à un moment où vous vous êtes posé pour réfléchir à
l’un de vos propres problèmes, par exemple pendant que vous lisez ce livre.
Entre les deux, celui qu’il est le plus important de maîtriser est le
recadrage improvisé, car le recadrage est davantage une manière de penser
qu’un processus. Stephen Kosslyn, psychologue et expert en pédagogie,
parle d’« habitudes de l’esprit », de simples routines mentales qui, une fois
apprises, sont applicables à la plupart des problèmes que vous rencontrez 25.
Avec le temps, vous parviendrez à un point où vous pourrez recadrer des
problèmes à la volée, sans devoir faire appel à une check-list.
L’utilisation de versions plus structurées reste cependant un moyen
fantastique pour acquérir une pratique de la méthode – individuellement ou
en groupe –, ce qui vous aidera à vous y prendre bien mieux à la volée. Au
cours de la lecture de ce livre, je vous conseille d’utiliser soit une check-list,
soit le canevas pour réfléchir aussi à quelques-uns de vos propres problèmes
(on en dira plus dans un instant).
Combien de temps prévoir ?

Analyser pleinement un problème peut demander du temps – mais


déterminer si c’est le bon problème à analyser n’en réclame pas forcément.
Une fois que vous avez acquis un peu de pratique, cinq minutes sont
souvent suffisantes pour la partie intermédiaire (le recadrage proprement
dit).
Ceux qui découvrent tout juste le recadrage ont tendance à hausser les
sourcils devant une telle affirmation. À l’annonce d’une telle rapidité, ils
ont tendance à répondre : Cinq minutes ? Ce n’est déjà pas assez pour
expliquer mon problème, c’est forcément insuffisant pour le recadrer.
Bien sûr, il existe des problèmes si compliqués qu’il faut plus de temps.
En revanche, dans d’autres cas de figure, vous constaterez qu’il est possible
de recadrer certains d’entre eux très vite, à partir d’une description très
superficielle de la question. Au cours de mes ateliers, quand je demande
aux participants d’essayer la méthode sur un problème personnel pendant
seulement cinq minutes, il est fréquent qu’une ou deux personnes soient
saisies d’une inspiration dès ce premier exercice – quelquefois à propos
d’un problème sur lequel elles butaient depuis des mois ou davantage.
D’ailleurs, je ne suis pas le seul à constater que des applications rapides
peuvent fonctionner. Hal Gregersen, professeur au MIT, lui aussi spécialiste
de la résolution de problèmes, préconise un exercice dit « rafales de
questions », au cours duquel il donne aux participants deux minutes pour
expliquer leur problème, suivies de quatre minutes de questions posées par
le groupe. « Les gens croient souvent que leurs problèmes exigent des
explications détaillées, souligne-t-il, mais les expliquer rapidement oblige à
les cadrer d’une manière globale, sans contraindre ni orienter le
questionnement 26. »
Bien des problèmes ne déclencheront pas un eurêka ! au bout de cinq
minutes seulement. Certains réclament de multiples tours de recadrage
entrecoupés d’expériences. Cependant, même dans ce cas, la première
séance de recadrage est cruciale car elle peut ouvrir la porte à des
inspirations ultérieures, une fois que les questions auront eu un peu de
temps pour décanter 27. Je conseille en général de pratiquer plusieurs
séances de recadrage brèves plutôt que des sessions prolongées, tout
simplement parce que la capacité d’utiliser le recadrage en brèves
fulgurances est capitale pour le rendre utile dans la vie de tous les jours.
Plus le processus vous prend de temps, moins vous l’utiliserez.
L’ordre des stratégies a-t-il une importance ?

Avec les stratégies incluses à la deuxième étape (Recadrer), vous n’êtes pas
obligé de respecter l’ordre indiqué. Quand vous résolvez des problèmes
dans le cadre d’une conversation rapide sur le lieu de travail, sentez-vous
libre de passer directement à la stratégie qui vous semble la plus
prometteuse compte tenu du problème en présence.
Il y a cependant une exception partielle à ce principe. Elle concerne «
Adopter leur point de vue », c’est-à-dire comprendre les parties prenantes.
Confrontées à un problème, de nombreuses personnes sont tentées de sauter
directement à : Pierre est furieux, dis-tu ? Y a-t-il un problème particulier
avec lui ? Dans mon schéma, pourtant, vous remarquerez que c’est l’une
des dernières étapes. C’est délibéré. Le gros problème, si vous commencez
par l’analyse des parties prenantes, est que vous risquez de vous égarer en
tentant d’embrasser le point de vue du mauvais groupe de personnes.
Clayton Christensen, expert en la matière, a observé que l’innovation
résulte souvent non pas de l’étude de vos clients mais de l’étude des gens
qui ne sont pas vos clients. En fait, comme il l’a souligné dans son travail
sur l’innovation disruptive, les entreprises trop attachées à comprendre et
satisfaire les besoins de leurs clients existants rendent malencontreusement
leurs produits moins utiles pour les non-clients. Elles ouvrent ainsi une
brèche dans laquelle leurs concurrents se glissent. En résumé : commencez
par réfléchir aux objectifs et aux points positifs, et par vous demander s’il
existe d’autres parties prenantes dont il faudrait se soucier (regarder hors du
cadre). Ne vous occupez des parties prenantes qu’une fois que vous êtes
suffisamment sûr d’observer les bonnes personnes.
Encore un détail : dans ce livre, vous trouverez de nombreux exemples
de questions utilisables pour recadrer des problèmes. Mais elles ne sont rien
d’autre que des exemples. Nous ne sommes pas chez Harry Potter : il n’y a
pas de formule magique à mémoriser, puis à psalmodier dans un ordre bien
précis pour réussir.
Je le souligne, car certains schémas de résolution de problème attachent
une grande importance à l’emploi de formules précisément ciselées, telle
l’entrée en matière « comment pourrions-nous… » ou ce conseil rebattu : «
demander cinq fois pourquoi… ». Ce genre de phrases standardisées peut
être très utile dans certains cas. Néanmoins, s’agissant de recadrage, je
préfère ne pas trop me fier aux questions imposées.
Les problèmes du monde réel sont en général bien trop variés pour se
prêter à des questions passe-partout. Même dans des situations où une
question spécifique s’est avérée capitale, il peut arriver que celle-ci nous
obnubile exagérément. L’important, d’après mon expérience, n’est pas la
question elle-même mais plutôt le raisonnement sous-jacent qui a conduit
quelqu’un à la poser.
De plus, les questions à taille unique ne tiennent pas bien compte des
normes de communication culturelles. De toute évidence, c’est vrai si vous
travaillez à l’international. De manière moins évidente, c’est vrai aussi dans
des contextes plus locaux. Une réunion de présentation et une rencontre
professeur-parents d’élèves appellent des formes différentes d’interrogation,
tout comme les tribunaux et le covoiturage, ou encore un conseil
d’administration et une chambre à coucher.
Même une question aussi élémentaire que Sommes-nous en train de
résoudre le bon problème ? devra plutôt être présentée dans certains
contextes sous la forme Nous préoccupons-nous ici des bonnes choses ? Il
m’est arrivé de travailler avec des entreprises dont le personnel préférait
parler de « défis » ou d’« occasions de s’améliorer » plutôt que de «
problèmes », pour avoir l’air moins négatif. Personnellement, j’incline à
appeler un problème un problème – Houston, on a une occasion de
s’améliorer – mais le contexte dans lequel vous vous trouvez peut exiger
une attitude différente.
En fin de compte, le questionnement est important parce qu’il témoigne
d’un esprit de curiosité. Les gens qui posent des questions ont compris que
le monde est plus profond et plus complexe que leurs modèles mentaux
actuels ne le leur disent peut-être. Ils savent qu’ils pourraient se tromper, ce
qui est le premier pas vers la découverte de meilleures réponses. Si vous
vous en tenez avec trop de rigidité à une manière standardisée de poser des
questions, vous risquez de passer à côté de la puissance de cet état d’esprit.
Voilà pourquoi, en lisant ce livre, vous devez chercher à comprendre
l’essence de chaque stratégie : quelle est l’intention derrière les questions
posées ? Attachez-vous à la manière de penser, non à ce qu’il faut dire.
INVITATION

Préparez-vous au recadrage

Quel est votre problème ?

Avec la plupart des livres, on doit s’imprégner des idées avant de les mettre
en application une fois la lecture achevée. Avec ce livre-ci, vous pouvez les
appliquer à vos propres problèmes pendant votre lecture, en appliquant la
méthode chapitre par chapitre.
J’ai écrit ce livre pour que vous puissiez faire l’un ou l’autre, sachant que
certaines personnes préfèrent s’en tenir aux idées. Toutefois, je conseille
d’essayer d’appliquer la méthode au fil de l’eau. Vous apprendrez à mieux
recadrer tout en acquérant des perspectives nouvelles sur certains de vos
problèmes.
Si vous empruntez cette voie, voici quelques conseils qui vous aideront,
au passage, à en tirer le meilleur parti.

Comment choisir vos problèmes


Normalement, pour utiliser le recadrage, vous vous contenteriez de choisir
le problème, n’importe lequel, qui vous tracasse le plus. Mais là, vous êtes
aussi en train d’apprendre la méthode du recadrage. Je préconise donc la
démarche suivante :
Choisissez deux problèmes. Les problèmes du monde réel sont divers.
Les stratégies ne seront pas toutes utiles – ou même applicables – à un
problème donné. Choisir deux problèmes vous amènera à utiliser et
pratiquer plus de stratégies.
Choisissez des problèmes relevant de domaines différents. Je vous
suggère de choisir un problème de nature professionnelle et un problème
relatif à votre vie personnelle.
Pourquoi un problème de la vie personnelle ? Cela ne fait-il pas un peu
psychologisant ? Vais-je bientôt vous plonger en plein New Age en vous
conseillant des tisanes et des ouvertures de chakras ?
Pas du tout. J’ai constaté que les problèmes personnels étaient une « mise
en train » idéale tandis que vous travaillez à maîtriser la méthode. Et, bien
entendu, les relations entre les deux mondes sont étroites : résoudre un
problème domestique vous conférera souvent plus d’énergie face aux
problèmes professionnels, et vice versa.
Choisissez des problèmes pas trop élémentaires. Tout le monde
rencontre des désagréments mineurs dans la vie : la lessive, les transports en
commun, la boîte aux lettres qui déborde, etc. Il est certainement possible
de recadrer des problèmes de ce genre – mais ce sont rarement les plus
utiles pour apprendre la méthode, car ils sont trop simples. (Je me rappelle
un client, par exemple, qui présentait ainsi son problème : « Les lapins
mangent les fruits de mon jardin ! » Ce n’était pas du tout une métaphore,
hélas, et, à la différence des lapins en question, les tentatives de recadrage
qui s’ensuivirent n’ont guère été fructueuses.)
Je vous suggère plutôt de choisir des problèmes relatifs à des personnes.
Le recadrage est particulièrement puissant quand il concerne des problèmes
« flous » comme le leadership, les relations entre pairs, les rapports parents-
enfants ou même la simple maîtrise de soi (par exemple, une mauvaise
habitude dont vous voulez vous débarrasser).
Je suggère aussi de choisir les problèmes qui vous dérangent le plus, ou
même que vous hésitez à affronter. Il peut s’agir :
De situations que vous ne gérez pas bien. J’ai vraiment du mal avec
le réseautage. Il m’est difficile de me faire entendre dans les réunions
avec des clients. Je perds mes moyens quand je dois faire des
reproches à quelqu’un.
De relations difficiles. Je trouve épuisant d’avoir à traiter avec le
client X. Les conversations avec mon patron/mes collègues/mon fils
aîné tournent trop souvent à l’aigre. J’ai l’impression de ne pas
maîtriser ma nouvelle fonction dans cette équipe.
De votre gestion personnelle. Pourquoi diable ai-je toujours tant de
mal à me discipliner ? Que faire pour utiliser vraiment tout mon
potentiel ? J’aimerais bien trouver comment exprimer davantage mon
côté créatif.

Choisir des problèmes que vous avez déjà tenté de résoudre est aussi une
bonne idée. Si certains d’entre eux ont résisté à plusieurs tentatives
antérieures de les résoudre, c’est un signe qu’un recadrage pourrait leur être
profitable.
Pour le moment, choisissez les problèmes auxquels vous aimeriez
travailler et notez-les individuellement. Je recommande de prendre une
feuille de papier ou un Post-it distinct pour chacun d’eux de manière à
pouvoir y revenir plus tard ; vous pouvez aussi utiliser le canevas de
recadrage (découpez-en un à la fin du livre ou téléchargez-le et imprimez-
le).
À la fin de chaque chapitre, je vous guiderai dans l’application de ses
techniques de recadrage aux problèmes que vous aurez choisis. Et si vous
avez du mal à choisir des problèmes, j’ai prévu de quoi vous inspirer à la
page suivante.
Chapitre 3
Cadrer le problème
D’abord, cadrez le problème

Sur l’écran d’ordinateur du graphiste Matt Perry est collé un Post-it jaune
portant cette simple question :

Quel problème essayons-nous de résoudre ?

Matt travaille pour la Harvard Business Review. Avec Scott Berinato,


Jennifer Waring, Stephani Finks, Allison Peter et Melinda Merino, il fait
partie de l’équipe qui a créé ce livre. Tout de suite après notre première
rencontre dans leurs bureaux spacieux de Boston, Matt m’a envoyé ce
courrier électronique :

J’ai ce Post-it en permanence sur mon écran depuis à peu près un an. C’est une
question simple, mais un rappel utile en bien des occasions. C’est pourquoi ce billet-
là reste en place (ha !) sur mon moniteur – alors que d’autres sont moins
intemporels.

À première vue, insister sur la simple désignation du problème paraît


étrange. N’est-il pas assez évident que vous devez le faire ? Pourquoi ce
Post-it-là est-il resté en place contrairement à d’autres réflexions
intemporelles du graphiste ? (« Toujours s’habiller en noir. »)
Discutez avec n’importe quelle personne qui gagne sa vie en résolvant
les problèmes des autres – graphistes, mais aussi avocats, médecins,
conseils en management, coachs ou psychologues – et vous trouverez le
même leitmotiv : commencer par demander en quoi consiste le problème.
C’est par-là que commence aussi le processus de recadrage. En bref,
vous devez :
Rédiger un bref énoncé du problème, dans l’idéal sous forme d’une
phrase complète : « Le problème est que… » ; si vous travaillez avec
un groupe, utilisez un tableau de papier de manière que tout le monde
regarde la même surface.
À côté de cet énoncé, tracer une carte des parties prenantes où
figurent les gens impliqués dans le problème. Les parties prenantes
peuvent être aussi bien des individus que des entités comme des
entreprises ou des unités opérationnelles.

Gardez ceci à l’esprit :


Exposer le problème par écrit est important. Aussi simple que cela
paraisse, formuler le problème par écrit présente plusieurs avantages
majeurs. Faites-le autant que possible.
Le rédiger rapidement. L’énoncé du problème n’est pas censé décrire
le problème parfaitement. C’est simplement un matériau brut pour le
processus à venir. Voyez-le comme une motte d’argile humide jetée sur
la table, qui vous donne quelque chose de tangible à creuser quand
vous commencez à travailler.
Faire des phrases complètes. Décrire le problème avec des mots isolés
ou sous forme de listes à puces rend son recadrage plus difficile.
Faire court. Le recadrage fonctionne mieux quand vous limitez la
description du problème à quelques phrases.

Si vous décidez de travailler sur certains de vos propres problèmes, je


vous suggère de faire une pause ici, avant de continuer, afin de créer un
énoncé du problème et une carte des parties prenantes pour chaque
problème. Utilisez une feuille de papier distincte pour chacun des
problèmes.
Pourquoi mettre par écrit vos propres
problèmes ?

Formuler vos problèmes par écrit procure de nombreux bénéfices. En voici


quelques-uns :
Cela ralentit un peu les choses. Écrire ménage un bref espace naturel
de réflexion qui réoriente la dynamique et empêche de bondir
prématurément en mode solution.
Cela oblige à être précis. Les problèmes peuvent être étrangement
flous quand ils résident dans votre tête. Les mettre par écrit apporte de
la clarté.
Cela crée de la distance mentale. Il est plus facile de jeter un regard
objectif sur un problème une fois qu’il se présente comme un objet
physique séparé de vous.
Cela donne davantage de matière aux conseillers. Il est plus facile
pour les conseillers de vous aider quand ils ont devant eux un énoncé
du problème écrit. Écrire élargit spectaculairement le nombre d’objets
que les gens peuvent conserver dans leur espace mental.
Cela sert d’ancrage pour la discussion. Quand quelqu’un avance une
idée, vous pouvez vous reporter en vitesse à l’énoncé et demander :
Cette idée résout-elle ce problème ? (Une idée peut quelquefois vous
conduire à modifier votre énoncé du problème, ce qui est aussi une
bonne chose. Le tout n’est pas de coller à votre premier cadrage mais
de garder en vue les deux perspectives – les problèmes et les
solutions.)
Cela crée une trace sur papier. Si vous travaillez pour un client, un
énoncé du problème écrit peut vous aider à éviter des conflits par la
suite. La mémoire est faillible, et sans un énoncé du problème le risque
existe que des clients commencent à ne plus très bien se rappeler quel
problème ils vous ont demandé de résoudre.
Quel est votre type de problème ?

Une fois que vous avez devant vous un énoncé du problème, il convient de
le réviser. Pour nous y préparer, nous allons faire un détour rapide vers les
premiers jours des études en cadrage de problèmes afin d’explorer
quelques-unes des différentes manières dont les problèmes se présentent.

Dans les années 1960, une décennie environ après que la créativité est
devenue un domaine de recherche, un éducateur influent, Jacob Getzels, a
fait une observation clé : les problèmes auxquels on nous habitue à l’école
sont souvent très différents de ceux que nous rencontrons dans la vraie vie
28.

À l’école, les problèmes se présentent en général d’une manière


aimablement ordonnée : Voici un triangle ! Si l’un de ses côtés est bla bla
bla, quelle est la longueur du troisième côté ? Le problème apparaît, quelle
chance, à la fin d’un chapitre sur le théorème de Pythagore, qui nous donne
une assez bonne idée de la manière de le résoudre. Getzels parlait alors de
problèmes présentés, dans lesquels on a pour mission d’appliquer une
solution sans trop divaguer en chemin 29.
Quand on obtient son premier emploi, les problèmes présentés sont
courants : La patronne a besoin des dernières statistiques commerciales.
Compulse ces trois rapports et prépare-lui un résumé. Mais, en montant en
grade, on se met à traiter de matières plus complexes et les problèmes
apparaissent de plus en plus sous trois autres formes, dont chacune présente
des problèmes particuliers :
1. Un désordre ou un souci (point douloureux) mal défini 30.
2. Un objectif qu’on ne sait pas comment atteindre.
3. Une solution dont quelqu’un s’est entiché.
Pour maîtriser l’art du diagnostic – Getzels évoquait l’idée de découverte
du problème – il est bon de mieux comprendre ces trois types.

Problème de type 1 : un désordre ou un souci mal défini

Avant d’en prendre formellement conscience, on ressent ce genre de


problèmes sous forme de « difficultés » ou de soucis mal définis. Il en est
de soudains, spectaculaires et cuisants : Nos ventes s’effondrent. D’autres,
plus subtils, mijotent à petit feu, suscitant un sentiment de désespérance
tranquille : Ma carrière paraît bloquée. Notre industrie est en déclin. Ma
sœur file un mauvais coton.
Souvent, la cause du souci n’est pas claire. En psychologie clinique, par
exemple, le psychothérapeute Steve de Shazer estimait qu’au début d’une
thérapie, deux patients sur trois sont incapables de dire quel problème
spécifique ils voudraient résoudre 31. Le phénomène se produit aussi avec
les problèmes liés au travail. Si les gens disent, par exemple, « notre
problème, c’est notre culture », on peut à coup sûr comprendre : « nous
n’avons aucune idée de la nature du problème ».
Les soucis amènent souvent les gens à bondir vers des solutions sans
prendre le temps de considérer ce qui se passe. Voici quelques exemples
typiques. Notez avec quelle facilité on passe du souci à la solution :
Notre nouveau produit ne se vend pas. Il faut davantage investir dans
le marketing.
D’après les sondages, 74 % de nos collaborateurs se sentent souvent
démotivés. Nous devons parvenir à mieux communiquer notre objectif
d’entreprise.
Les manquements à la sécurité sont trop nombreux dans notre usine. Il
nous faut des règles plus claires, et peut-être aussi des sanctions plus
dures.
Nos salariés s’opposent au travail de réorganisation. Nous devons
mettre en place une formation pour leur apprendre à s’adapter au
changement.

Il arrive que les solutions sur lesquelles on se précipite reposent sur une
logique douteuse – Ma femme est trop stressée, nous nous disputons tout le
temps. Avoir un bébé ou cinq apaiserait sûrement la situation. Mais, plus
souvent, la solution semble très rationnelle et aurait pu être efficace en
d’autres circonstances – néanmoins, dans le cas présent, elle ne vise pas le
problème auquel vous êtes confronté en réalité.

Problème de type 2 : un objectif qu’on ne sait pas


comment atteindre

Les problèmes peuvent aussi se présenter sous forme d’un objectif difficile
à atteindre 32. La panne de croissance est un cas classique dans les
entreprises : la direction générale a fixé comme cible 20 millions de chiffre
d’affaires, mais les ventes normales nous amènent seulement à 17 millions.
Comment diable trouver trois millions de chiffre d’affaires ? Les énoncés
de mission et les stratégies de croissance du nouveau P-DG recèlent
fréquemment des objectifs de ce genre : Nous voulons devenir leader du
marché X.
Confronté à un souci, vous avez tout de même une sorte de point de
départ à explorer. Face à un objectif, ce n’est pas forcément le cas : il peut
arriver que vous ne sachiez pas du tout par où commencer. Comment
trouver une relation sentimentale stable ? Ma façon de héler des inconnus
dans la rue n’a pas l’air de bien fonctionner.
Tout ce que vous savez, c’est que votre comportement actuel ne suffira
pas. Les objectifs difficiles à atteindre obligent à trouver de nouvelles idées
au lieu de s’en tenir au business as usual. (Ce qui est, bien sûr, une raison
pour que les dirigeants fixent de tels objectifs.)
Dans un contexte de résolution de problème, les problèmes liés à un
objectif se caractérisent d’abord et avant tout par la nécessité de détecter
une opportunité. Bien que ce sujet ait été étudié surtout par les spécialistes
de l’innovation et non par les chercheurs en résolution de problèmes, les
compétences nécessaires se rapportent néanmoins étroitement au recadrage
et à la recherche de problème. Par exemple beaucoup d’innovations
fructueuses viennent d’un réexamen de ce qui compte vraiment pour les
clients, par opposition à ce que les solutions existant sur le marché
apportent.

Problème de type 3 : quelqu’un s’entiche d’une solution

Le scénario le plus délicat est celui où l’on vous présente une exigence en
guise de solution. Imaginez qu’un client dise à un graphiste : « Il faut mettre
un gros bouton vert sur mon site web. » Un graphiste novice se contentera
de créer le bouton, après quoi il a de bonnes chances de voir le client
revenir se plaindre : « le bouton ne fonctionne pas ! » (ou mieux encore : «
quand je disais bouton vert, vous auriez dû comprendre que je voulais dire
commutateur rouge »). Si vous ne comprenez pas le problème à résoudre,
donner aux gens ce qu’ils demandent est parfois une mauvaise idée.
Dès que vous commencez à y regarder de plus près, vous constatez que
la dynamique de la solution d’abord est partout à l’œuvre . En voici
quelques exemples, dont un que nous retrouverons plus loin dans ce livre :
« Il faudrait développer une appli ! »
« Je rêve de lancer une entreprise qui vend des glaces italiennes. »
« J’ai vu un site web sympa où les salariés peuvent partager leurs
idées. Il nous en faudrait un. »

Quelquefois, les gens s’entichent d’une idée – nous devrions faire X ! –


sans la moindre preuve que la solution dont ils rêvent résolve un problème
du monde réel. (« Quel problème résolvons-nous ? demandez-vous. Eh bien
! laisser une trace dans l’univers, évidemment. ») On appelle quelquefois
cela une solution en quête de problème 33. De tels scénarios peuvent être
particulièrement problématiques, car une mauvaise solution peut être
davantage qu’un gaspillage de temps et d’argent. Elle peut aussi vous
causer un tort réel.
Dans une variante bien connue, la solution est déguisée en problème.
Avec l’ascenseur lent, par exemple, votre propriétaire viendra vous voir et
dira : « Nous devons trouver de l’argent pour payer le nouvel ascenseur.
Pouvez-vous m’aider à trouver ce que nous allons supprimer de notre
budget ? »
Reconsidérer le problème

Avant d’appliquer la moindre stratégie précise de recadrage, il est bon de


commencer par un examen général de l’énoncé du problème.
Vous trouverez ci-dessous quelques questions susceptibles de vous y
aider. La liste vise d’abord à développer votre connaissance du problème,
c’est-à-dire votre disposition générale avec la manière de cadrer les
problèmes. Elle met aussi en valeur des cas typiques de recadrage trop
modestes pour mériter leur propre chapitre, mais sur lesquels il est tout de
même judicieux de garder un œil.
Voici ces questions :
1. L’énoncé du problème est-il exact ?
2. Y a-t-il des limites simples auto-imposées ?
3. Y a-t-il une solution « incorporée » dans le cadrage du problème ?
4. Le problème est-il clair ?
5. Chez qui le problème se situe-t-il ?
6. Y a-t-il des émotions fortes ?
7. Y a-t-il de faux arbitrages ?

1. L’énoncé du problème est-il exact ?

Quand j’expose le problème de l’ascenseur lent, de nombreuses personnes


oublient de poser une question élémentaire sur le cadrage : L’ascenseur est-
il vraiment lent ?
En somme, puisque les locataires se plaignent qu’il est lent, on prend
cette affirmation pour argent comptant. Bien entendu, il y a beaucoup
d’autres possibilités : ce pourrait être un problème de perception, une
tentative en vue de diminuer le loyer ou autre chose encore.
Quand on observe l’énoncé du problème, il est bon de commencer par
cette question 34 : Comment sait-on que c’est vrai ? Cela pourrait-il être
inexact ?
Nos livraisons arrivent-elles vraiment en retard sur ce marché ?
Comment les données de suivi sont-elles créées ?
À quel point ce rapport sur les armes de destruction massive est-il
fiable ?
Le professeur de math de notre fils est-il vraiment aussi incompétent
que je le pense ? Quels résultats ses élèves précédents ont-ils obtenus
aux examens ?
Se pourrait-il que la nouvelle de mon décès soit largement exagérée ?

2. Y a-t-il des limites simples auto-imposées ?

Parfois, rien qu’en lisant la description du problème, vous réaliserez que


vous avez imposé à la solution une contrainte superflue.
Prenez le cas de mon frère, Gregers Wedell-Wedellsborg 35. Au tout
début de l’internet mobile, il travaillait pour la chaîne de télévision danoise
TV2. Certains de ses salariés sont venus lui proposer une idée : Et si nous
essayions de développer des contenus destinés à être vus sur téléphones
mobiles ?
L’idée lui a plu, mais il a rencontré un problème : comme les contenus
mobiles étaient une terra incognita à l’époque, il n’existait pas de
modèle établi pour gagner de l’argent avec eux – or TV2 était alors en butte
à des restrictions financières. Il serait très difficile d’obtenir un budget cette
année. L’année prochaine, peut-être.
Mais Gregers a vite réalisé que le problème avait été défini trop
étroitement : qui donc avait dit que l’argent devait sortir des coffres de TV2
? En réalité, il lui suffisait d’un peu de trésorerie pour lancer le projet.
Pourrait-on en trouver ailleurs ? Il a demandé à son équipe de sortir de chez
TV2 pour rechercher des possibilités de financement auprès de partenaires.
L’équipe a trouvé le financement. Le développement de contenus
mobiles par TV2 intéressait les opérateurs mobiles danois. En effet, une
forte circulation de contenus vidéo augmenterait leurs revenus issus du
trafic et stimulerait les ventes de smartphones. L’expérience s’est poursuivie
et TV2 a fini par se lancer sur le marché du mobile, devenant ainsi leader
du marché à un coût presque nul.
Pour trouver des limitations auto-imposées, il vous suffit d’examiner le
cadrage du problème et de vous demander : Comment le cadronsnous ? Le
cadrage est-il trop étroit ? Imposons-nous à la solution des contraintes qui
ne sont pas nécessairement réelles ?

3. Y a-t-il une solution « incorporée » dans le cadrage du


problème ?

Voici quelques années, j’ai coenseigné un cours de MBA optionnel au cours


duquel les étudiants développaient un projet d’innovation. L’une des
équipes a décrit son projet ainsi :

Nous voulons inculquer de meilleures habitudes nutritionnelles, afin de favoriser une


alimentation plus saine à l’école.

L’énoncé contient un postulat évident : c’est par ignorance que les gens ne
se nourrissent pas plus sainement 36. Ce cadrage du problème est
contestable. La grande majorité des étudiants en écoles de gestion sait bien
quelle nourriture est saine ou pas. Personne n’affirme : Les frites
contiennent autant de nutriments que les légumes, hein !
De manière analogue, on cadre souvent les problèmes d’une manière qui
oriente vers une solution donnée. Considérez cet énoncé du problème établi
dans une entreprise pour une campagne en faveur de l’égalité de genre à
laquelle j’ai participé.

Problème

Nous n’avons pas donné à su samment de femmes la possibilité de devenir des cas
exemplaires de dirigeantes efficaces et visibles.

Remarquez qu’une solution – créons plus de cas exemplaires – est


incorporée dans l’énoncé du problème initial. La question n’est pas de
savoir si ce diagnostic particulier est correct. L’important est de remarquer
le cadrage, ce qui vous permet de le mettre en question.
Quelqu’un qui ne pratique pas le recadrage pourrait poser une question
de suivi du genre Comment aider davantage de femmes à devenir des cas
exemplaires ? et se trouver ainsi enfermé, potentiellement, dans un cadrage
improductif ou sous-optimal.
Au contraire, les gens exercés au recadrage poseront des questions
comme : Y a-t-il d’autres choses en jeu ? Que penser de nos processus de
promotion ? Que dire des relations informelles ? Les femmes ont-elles
moins de contacts avec les principaux décideurs ?
Le simple fait de poser ces questions augmente vos chances de choisir
une bonne solution, même si en fin de compte vous vous en tenez à votre
premier diagnostic.

4. Le problème est-il clair ?

Dans l’exemple précédent, l’équipe avait un énoncé du problème très clair,


ce qui est un bon point de départ pour le processus de recadrage. En
comparaison, considérez celui-ci, également emprunté à un client :
Le problème est que nous devons rentabiliser l’acquisition de nouveaux clients
(recettes brutes).

En fait, cet énoncé ne contient pas de problème. C’est un objectif


présenté comme un problème, avec une petite précision supplémentaire sur
l’origine espérée des recettes. Un « problème » énoncé de cette manière
signifie en général que l’équipe doit changer de perspective. À la place de
son problème, elle doit considérer un problème qui préoccupe les clients –
par exemple, qu’est-ce qui les convaincrait de passer commande ? Pourquoi
ne seraient-ils pas fidélisés ?
Voici un second exemple, celui d’une entreprise qui voyait trop de ses
meilleurs salariés débauchés par d’autres employeurs.

C’est un énoncé de souci typique : cinq mois d’essais, zéro succès. Une
situation comme celle-ci est probablement une bonne candidate à un
recadrage. S’il existe une solution, vous avez des chances de la trouver en
repensant le problème plutôt qu’en vous lançant dans cinq mois
supplémentaires d’essais et d’erreurs. Anticipant sur deux des stratégies de
recadrage traitées plus bas, vous pourriez :
Repenser l’objectif. Y a-t-il un meilleur objectif à poursuivre ? Par
exemple, au lieu de prévenir l’attrition, y a-t-il quelque chose à faire pour
récupérer vos anciens salariés partis chez la concurrence ? Y aurait-il
moyen d’obtenir plus des salariés tant qu’ils sont là ? Peut-on repenser les
méthodes de recrutement pour cibler des gens moins susceptibles de s’en
aller ? Si des personnes répondant à un certain profil ont tendance à s’en
aller avant que vous n’ayez récupéré l’argent investi dans leur formation, ne
faudrait-il pas en premier lieu éviter de les recruter ?
Examiner les points positifs. Au lieu de se demander pourquoi les gens
s’en vont, on pourrait se demander pourquoi ils restent. Si nous considérons
nos meilleurs éléments, qu’y a-t-il dans notre entreprise qui leur fait dire
non à des propositions plus lucratives ou plus séduisantes ? Pourrions-nous
exploiter ces forces au lieu d’essayer de corriger les faiblesses ? Y a-t-il
dans l’entreprise des domaines qui ne sont pas affectés par la même attrition
? Quels enseignements en tirer ? Que dire des gens que nous avons pu
enlever à des concurrents plus « sexy » ? Pourquoi les gens entrent-ils chez
nous ? Pourrions-nous mieux utiliser leur réseau personnel d’anciens
collègues ou en faire d’une manière quelconque des ambassadeurs
informels de notre entreprise ?

5. Chez qui le problème se situe-t-il ?

L’une des raisons pour lesquelles il vaut mieux décrire votre problème avec
des phrases complètes est que cela vous permet de repérer des détails
minces mais essentiels. L’un d’eux est la présence ou non de mots comme
nous, moi ou eux – des mots qui situent le problème.
Considère-t-on le problème comme entièrement imputable à d’autres ?
L’ennui est que le personnel de l’équipe de nuit a un poil dans la main. Ou
bien le titulaire du problème endosse-t-il aussi une part de responsabilité,
comme faisait l’équipe avec les cas exemplaires féminins ? (« Nous n’avons
pas donné à suffisamment de dirigeants femmes… »)
Le problème est-il cadré d’une manière qui le déplace vers des niveaux
de pouvoir ou de salaire plus élevés, en dégageant commodément la
responsabilité de son titulaire ? Nous ne pouvons innover que si le P-DG y
tient vraiment. Dans le cas le plus grave, on ne trouve aucun intervenant
humain identifiable : Le problème est que la culture de notre entreprise est
trop rigide.
Quand nous en viendrons à la stratégie de recadrage dite « Regarder dans
le miroir », je livrerai quelques conseils sur la manière de trouver des
cadrages plus exploitables, notamment par questionnement de votre propre
rôle dans l’apparition du problème.

6. Y a-t-il des émotions fortes ?

Les énoncés examinés jusqu’ici sont pour la plupart formulés de manière


neutre. Sans être nécessairement dépassionnés, ils ne donnent pas
exactement l’impression que l’équipe projet bouillonne d’enthousiasme.
Comparez-les avec celui-ci, en lettres capitales, rédigé par un cadre qui,
dirions-nous, n’était pas le plus heureux des hommes :

DES PROCESSUS IMPRODUCTIFS CRÉÉS AU HASARD PAR DES GENS QUI


N’ONT PAS L’ESPRIT DESIGN

Voici un conseil utile livré par Steven Poelmans, professeur à l’Antwerp


Management School : toujours explorer les mots chargés d’émotion. Des
termes comme au hasard ou la formule un peu plus subtile des gens qui
n’ont pas l’esprit design (traduction libre : des idiots) donnent à penser que
vous allez avoir du mal à résoudre le problème uniquement au niveau
logique ou factuel.
De plus, l’hypothèse selon laquelle d’autres personnes sont stupides,
égoïstes, paresseuses ou négligentes mérite toujours un réexamen attentif.
Souvent, ce qui paraît complètement idiot à première vue devient
entièrement raisonnable une fois que vous comprenez la réalité de l’autre
personne. (Il y a aussi des cas, bien sûr, où les suspicions s’avéreront
amplement justifiées.) Nous entrerons plus dans le détail de ce sujet en
arrivant à la stratégie de recadrage dite « Adopter leur point de vue ».

7. Y a-t-il de faux arbitrages ?


Les problèmes les plus insidieux se présentent sous forme d’un arbitrage
dans lequel vous devez choisir entre deux options prédéfinies : Préférez-
vous A ou B ?
Les arbitrages mal cadrés sont des écueils classiques pour les décideurs
37. La présence d’options multiples donne une illusion de complétude et de

liberté de choix, même quand les options proposées laissent de côté d’autres
possibilités bien meilleures.
Dans certaines situations, les gens qui déterminent les options tentent
délibérément de vous orienter vers certains résultats. On connaît la
plaisanterie de Henry Kissinger, fameux homme d’État américain, sur les
bureaucrates qui, aspirant au maintien du statu quo, présentent aux
décideurs trois possibilités : « guerre nucléaire, politique actuelle ou
reddition sans condition » 38.
Plus souvent, cependant, les options qu’on vous présente ne résultent pas
d’une manipulation délibérée. Elles sont plutôt considérées comme de
simples arbitrages soit/soit « naturels » auxquels tout le monde est
confronté. Voulez-vous de la haute qualité ou du prix bas ? Votre appli doit-
elle être simple d’emploi ou très personnalisable ? Voulez-vous une
campagne de marketing qui ratisse large ou qui soit précisément ciblée ?
Roger L. Martin, chercheur en résolution de problèmes, et d’autres ont
montré que les esprits créatifs ont tendance à rejeter ce genre d’arbitrage.
Là où d’autres effectuent une analyse coûts-bénéfices afin de choisir
l’option la moins mauvaise, les solutionneurs experts s’efforcent d’explorer
la question plus en profondeur pour trouver une nouvelle option qui soit
meilleure.
Leur point de départ est l’habitude d’essayer de briser le cadre en
demandant : Comment ce choix est-il cadré ? N’avons-nous vraiment
aucune autre option ? Quel problème tentons-nous de résoudre ?
Voici comment l’une des solutionneuses les plus remarquables qu’il
m’ait été donné de côtoyer traitait un faux arbitrage.
Nourrir les hipsters au Royal Palms

Ashley Albert, serial-entrepreneuse, se trouvait en Floride 39. (Elle était là


pour se faire certifier comme arbitre de concours de barbecue, ce qui vous
donne une idée du personnage.) Au cours de sa visite, elle a remarqué que
certains terrains de palets d’un jardin public local étaient envahis par de
jeunes hipsters – qui paraissaient prendre un plaisir extrême à ce jeu.
Cela lui a donné l’idée de lancer avec son associé Jonathan Schnapp une
entreprise du même genre, le Royal Palms Shuffleboard Club, à Gowanus,
un quartier de Brooklyn riche en hipsters. Ils ont tout de suite été confrontés
à un choix délicat : fallait-il proposer une restauration sur place ?
Quiconque connaît les métiers de l’hôtellerie-restauration vous dira
qu’une telle décision est capitale. La restauration est une énorme prise de
tête : il y a des inspections sanitaires, des impératifs de personnel
supplémentaires et une foule d’autres obstacles administratifs. Pire encore,
elle n’est pas très rentable : c’est avec les boissons, l’alcool surtout, qu’on
gagne de l’argent. Autant de raisons pour qu’Ashley et Jonathan se
contentent de proposer à boire.
Le problème est que le hipster est notoirement papillonnant. S’ils ne
pouvaient se restaurer au Royal Palms, les clients ne resteraient qu’une
heure ou deux. Ça ne marcherait pas. Il fallait que les gens restent toute la
soirée pour qu’Ashley et Jonathan puissent profiter des consommations de
boissons, indispensables à la longue parade amoureuse du hipster.
La plupart des chefs d’entreprise confrontés à ce dilemme finissent par
serrer les dents et se plier aux contraintes administratives d’une activité de
restauration. D’autres préfèrent l’éviter, mais voient leur établissement
presque déserté quand approche l’heure du dîner. Ashley a cherché une
troisième option. Voici ce qu’elle m’a dit :

Les deux options qui se présentaient étaient mauvaises. Nous avons donc commencé à
échanger des idées sur un problème différent : Comment obtenir les avantages de la
restauration sans les embêtements qui vont avec ? Pour différentes raisons, aucune
des options existantes, comme les services de coursiers ou un partenariat avec le
service de livraison d’un restaurant voisin, n’aurait fonctionné. Mais nous avons
continué à ressasser le problème et nous avons fini par tomber sur une idée neuve –
quelque chose qui à ma connaissance ne s’était encore jamais fait.

Aujourd’hui, en entrant au Royal Palms, vous verrez des Brooklynites


affairés aux jeux de palets. Il y aura des barbus. Il y aura du denim. Il y aura
des originalités vestimentaires. Et, dans le coin droit du club, vous verrez
une chose inhabituelle : une ouverture vers un garage adjacent construit par
Ashley et Jonathan. Un food-truck comme il y en a partout à New York
vient s’y garer chaque soir pour nourrir les hipsters.

Cette solution est brillante. Comme la préparation des aliments intervient


entièrement à l’intérieur du camion-restaurant, dans le cadre du permis
détenu par son chauffeur, Ashley a coupé court aux complications de
l’obtention d’une licence de restauration. En même temps, le modèle laisse
Ashley et Jonathan libres de choisir entre différents types de restauration en
fonction du jour et de la saison.
Le propriétaire du camion, lui, trouvait là un public captif, qui passe
toute la soirée sur place, ce qui s’avère spécialement intéressant en hiver.
Par ailleurs, comme Ashley et Jonathan gagnaient beaucoup d’argent avec
les boissons, ils pouvaient même assurer un revenu minimum au chauffeur-
restaurateur les mauvais jours.
Mais les mauvais jours n’ont pas été un problème. À l’heure où j’écris
ceci, le club est extrêmement rentable et Ashley vient juste de lancer un
second club de palets à Chicago. « Pourquoi Chicago ? » lui ai-je demandé.
– « Il nous faut un endroit où il fait mauvais pour que les gens aient envie
de rester à l’intérieur. »
Note finale : gardez les détails pour plus tard

Les sept questions que j’ai posées ici sont généralement utiles, mais elles
sont loin d’être les seules que vous pouvez poser. En devenant plus habile
dans le recadrage, vous enrichirez graduellement votre bibliothèque mentale
d’écueils dans le cadrage de problèmes.
Une fois que vous aurez effectué votre examen initial de l’énoncé du
problème, l’étape Cadrer du processus est achevée (vous vous souvenez de
la boucle : Cadrer, Recadrer, Avancer). Avant de passer à l’étape suivante
(Recadrer), je voudrais indiquer ce qu’il ne faut pas faire à ce stade. Si vous
avez quelque expérience de la fixation d’objectifs, du changement de
comportement ou d’une autre discipline du même genre, vous avez
probablement été tenté de rendre plus précis et concrets certains des
énoncés rapportés ici. « Manger plus sain », est-ce vraiment un objectif,
cela ? C’est bien trop vague ! Il vaudrait mieux dire : « Manger au moins
trois fruits par jour, sans compter les frites. »
L’instinct qui vous porte à clarifier des détails de ce genre est bon.
Comme l’ont montré des décennies de recherches sur le changement des
comportements, les chances de réussite sont meilleures quand les objectifs
sont précis et mesurables, et quand le comportement requis pour les
atteindre est clairement exprimé 40. Le flou est l’ennemi du changement.
À ce stade, cependant, vous laisser aller à votre désir de précision
comporte un piège. Si vous vous jetez trop vite sur ces aspects spécifiques,
vous courez un risque sérieux de vous perdre dans les détails et d’oublier de
remettre en question le cadrage global du problème. Vous devez prendre du
recul avant de plonger : ne fricotez pas avec les aspects spécifiques de
l’énoncé avant d’être suffisamment certain que vous vous penchez sur le
bon problème. C’est ce que nous allons voir en approfondissant la première
des cinq stratégies spécifiques du recadrage.
Résumé du chapitre
Cadrez le problème

Avant de pouvoir recadrer un problème, il faut d’abord le cadrer. Vous avez


ainsi quelque chose sur quoi travailler. Pour cela :
Demandez : « Quel problème essayons-nous de résoudre ? » Cela
déclenche le processus de recadrage. Vous pouvez aussi demander : «
Réglons-nous le bon problème ? » ou « Prenons une seconde pour
réexaminer le problème ».
Si possible, rédigez rapidement un énoncé décrivant le problème en
quelques phrases. Restez bref et faites des phrases complètes.
À côté de l’énoncé du problème, dressez la liste des principales parties
prenantes : qui est concerné par le problème ?

Une fois que vous avez le premier cadrage, passez-le rapidement en


revue. Demandez-vous en particulier :
L’énoncé du problème est-il exact ? L’ascenseur est-il vraiment lent ?
Par rapport à quoi ? Comment le sait-on ?
Y a-t-il des limites auto-imposées ? « Où trouver de l’argent ? » se
sont demandé les gens de TV2 au lieu de considérer qu’il devait être
pris sur leur propre budget.
Y a-t-il une solution « incorporée » dans le cadrage du problème ?
Souvent, les problèmes sont cadrés de manière à orienter vers une
réponse donnée. Cela n’est pas forcément préjudiciable, mais il est
essentiel de s’en rendre compte.
Le problème est-il clair ? Les problèmes ne se présentent pas toujours
comme tels. Souvent, vous avez devant vous un objectif ou un souci
camouflé.
Chez qui le problème se situe-t-il ? Des mots comme nous, moi et
eux donnent une idée du « propriétaire » du problème. Qui n’est pas
mentionné ou impliqué ?
Y a-t-il des émotions fortes ? Des mots émotionnellement chargés
signalent en général des domaines que vous devriez explorer
davantage.
Y a-t-il de faux arbitrages ? Qui a défini les choix qui vous sont
présentés ? Pourriez-vous imaginer une alternative meilleure que celle
qu’on vous propose ?

Une fois votre réexamen achevé, l’étape n° 1 (Cadrer) est terminée, vous
êtes prêt à recadrer le problème.
Chapitre 4
Regarder hors du cadre
Un défi rapide

Au xixe siècle, le mathématicien français Édouard Lucas a soumis un


problème à quelques-uns de ses collègues. Ce problème n’exigeait aucune
compétence mathématique et pouvait être résolu en moins d’une minute.
Pourtant, aucun de ses collègues n’a donné la bonne réponse.
Pouvez-vous faire mieux que ces mathématiciens aguerris ? Pour faire
bonne mesure, ajoutons que ce n’est pas une question piège. Ne cherchez
pas à réinterpréter habilement le sens des mots, inutile de tourner le livre
dans tous les sens ou de tremper la page dans du jus de citron pour y trouver
un message écrit à l’encre sympathique 41.
N’allez pas au-delà de cette page tant que vous n’aurez pas la réponse.
(Et si vous ne voulez pas vous embêter à y réfléchir en détail, contentez-
vous d’une estimation rapide.)

Le problème de la ligne New York-Le Havre

L’armateur Bonjour exploite une ligne maritime directe entre New York aux
États-Unis et Le Havre en France, avec un départ quotidien dans chaque
sens. Plus précisément, chaque jour à midi, un navire quitte New York pour
Le Havre et, au même moment, un navire quitte Le Havre pour New York.
La traversée dure exactement sept jours et sept nuits, quel que soit le sens.
Voici la question : si vous quittez New York à bord d’un navire de
Bonjour aujourd’hui, combien d’autres navires de la compagnie
croiserez-vous en mer avant d’arriver au port ? Ne comptez que les navires
de la compagnie et seulement ceux croisés en mer (c’est-à-dire pas dans le
port).

Prêt pour la solution ?

Certaines personnes supputent soit six, soit huit navires. Après mûre
réflexion, cependant, la plupart des gens concluent que la réponse correcte
doit être sept navires – si telle est votre réponse, donc, vous êtes en bonne
compagnie.
Hélas, vous avez tort vous aussi, car la bonne réponse n’est aucune de
celles-là. C’est treize. Oui, treize navires. J’expliquerai le calcul dans une
minute.

Le danger d’un cadre limité

Le problème de la ligne New York-Le Havre illustre un écueil courant dans


la résolution d’un problème : le danger d’un cadrage trop étroit du problème
42.

En bref, nous n’abordons pas les problèmes avec une vision neutre de la
situation. Au contraire : dans les situations troubles, c’est comme si votre
subconscient traçait immédiatement un cadre autour d’une certaine partie
du problème avant de le transmettre à votre esprit conscient.
Ce premier cadrage entraîne des conséquences majeures. Tout ce qui se
trouve à l’intérieur du cadre est examiné avec soin. En revanche, tout ce qui
se trouve au-dehors n’a droit à aucune attention. En fait, comme le
processus de cadrage est largement inconscient – « automatique », disent les
chercheurs – nous ne nous rendons même pas compte, d’ordinaire, que nous
ne voyons pas le tableau entier 43.
Voici comment cela fonctionne dans le problème de la ligne New York-
Le Havre.

Le comptage des navires


La plupart des gens réfléchissent au problème plus ou moins comme ceci :
Puisque notre voyage dure sept jours et sept nuits, nous pouvons
compter qu’un total de huit navires quittent Le Havre au cours de cette
période. (L’un des moyens pour s’en assurer est de faire la liste des
jours de la semaine – voir dessin de la page suivante.)
Nous devons croiser tous ces navires en mer, sauf le huitième et
dernier. Celui-ci quitte le port au moment où nous y arrivons, de sorte
que nous ne le comptons pas et que la réponse finale est sept navires.

Le calcul est correct, mais incomplet : nous avons oublié les navires qui
ont quitté le port avant notre départ et qui sont déjà en mer au moment où
nous quittons New York. Le cadrage incomplet est figuré sur la page
suivante, suivi par le cadrage correct.

Si vous avez trouvé la bonne réponse, félicitations ! Une certaine dose de


jubilation et d’autosatisfaction est parfaitement de mise. Mais si vous vous
êtes trompé – comme la plupart des gens – il convient de vous arrêter un
moment pour y réfléchir : Pourquoi êtes-vous passé à côté de ces six
navires ? Après tout, ce n’est pas comme si l’énigme vous avait été soumise
dans un contexte entièrement anodin. Vous lisez un livre sur la résolution de
problème, dont le propos principal est que nous ne cadrons pas
correctement les problèmes. Avec une telle entrée en matière, vous savez
qu’il y a un truc quelque part 44.
Pour comprendre pourquoi les gens se trompent, il est nécessaire de
réaliser que l’enjeu va au-delà de l’effet de cadrage inconscient. En
particulier, l’énigme New York-Le Havre comporte aussi des problèmes très
« visibles » à soupeser à l’intérieur du cadre, qui accaparent l’attention de
notre esprit interpellé. Inspectant le cadrage initial, celui-ci est aussitôt
happé par des questions comme : Hmm, combien de navires sont en
partance dans la semaine, sept ou huit ? Quant au dernier, je suppose que
nous le croiserons au port ? Peut-être faut-il le compter quand même, juste
pour faire bonne mesure. [Et de compter sur ses doigts fidèles…]
Puisque des questions évidentes sont à saisir à l’intérieur du cadre, nous
nous empressons de bondir dessus tout en oubliant de nous demander s’il y
a des parties du problème auxquelles nous ne faisons pas du tout attention.

La stratégie : regarder hors du cadre avant de plonger

Comment les solutionneurs experts déjouent-ils ce piège ? Ils évitent


délibérément de plonger dans les détails de ce qu’il y a devant eux. Ils
préfèrent prendre du recul et examiner la situation plus largement, avec des
questions comme : Que manque-t-il à l’énoncé du problème actuel ? Y a-t-il
des éléments que nous ne considérons pas ? Y a-t-il quoi que ce soit en
dehors du cadre à quoi nous ne faisons pas attention à cet instant ?
La prise de recul est une habitude pour les experts de nombreux
domaines différents. Dans une étude sur les experts en design, par exemple,
le chercheur en design Kees Dorst a constaté que, lorsqu’ils travaillent avec
des clients, les designers experts « ne s’attaquent pas d’emblée au paradoxe
central mais ont tendance à se concentrer sur les questions périphériques 45.
Ils recherchent des indices dans le contexte plus large du problème ».
Les médecins en font autant. Comme le décrit Lisa Sanders dans Every
Patient Tells a Story (livre qui constitue une excellente introduction au
diagnostic médical), les bons médecins ne se focalisent pas seulement sur le
mal décrit par le patient 46. Ils adoptent une vision holistique du patient, de
ses symptômes et de son histoire. Ce faisant, ils décèlent des signes qui
échappaient aux autres médecins, parfois depuis des années ou des
décennies.
Les experts en science des opérations pratiquent aussi la prise de recul.
Inspirés par la discipline influente qu’on appelle raisonnement systémique,
ils sont formés, dans des domaines comme la production industrielle et la
sécurité au travail, à regarder au-delà de la cause immédiate d’un incident
pour rechercher des causes systémiques à un degré supérieur 47. Oui, le
chien a mangé tes cahiers. Mais qui les a laissés dans sa gamelle, parsemés
de croquettes ?
Toutes ces approches ont en commun un concept central : regarder hors
du cadre avant de plonger dans les détails visibles. Voici quatre tactiques
qui peuvent vous empêcher de cadrer le problème trop étroitement.
1. Regarder au-delà de votre propre
compétence

Dans The Conduct of Inquiry, un livre de 1964, le philosophe Abraham


Kaplan a défini ce qu’il appelle « la loi de l’instrument » : « Donnez un
marteau à un petit garçon et il découvrira que tout ce qu’il rencontre a
besoin qu’on tape dessus 48. »
La loi de Kaplan, agréablement mémorable, ne découle pas de l’étude de
farouches fils de charpentiers mais de l’observation des savants. Ceux-ci,
constatait le philosophe, cadrent souvent les problèmes de manière à les
accorder avec la technique – quelle qu’elle soit – qu’ils maîtrisent le mieux.
Ils ne sont pas les seuls. La plupart des gens ont tendance à cadrer les
problèmes de manière à ce qu’ils correspondent à leur propre « marteau »,
c’est-à-dire aux outils ou aux points de vue analytiques qu’ils préfèrent.
Dans certains cas, tout simplement, cette solution par défaut ne fonctionne
pas, ce qui peut – éventuellement – les conduire à reconsidérer leur
approche. Cependant, le résultat peut être pire : la solution préférée
fonctionne, mais à brandir machinalement leur marteau, ils passent à côté
d’un moyen bien meilleur pour progresser.
Voici un exemple de mon travail avec une équipe de cadres dirigeants au
Brésil 49. Il leur avait été demandé de fournir à leur P-DG des idées pour
améliorer la perception par le marché du cours de Bourse de leur société.
Forte de sa compétence financière, l’équipe a vite dressé la liste des
divers leviers qui influençaient le cours de Bourse : multiple de résultat
prévisionnel, ratio d’endettement, bénéfice par action, etc. Bien entendu,
rien de cela n’était nouveau pour le P-DG. En outre, il n’était pas
spécialement facile de peser sur l’un ou l’autre de ces facteurs, d’où un
certain découragement au sein de l’équipe. Mais quand j’ai invité ces
dirigeants à prendre du recul et à considérer ce qui manquait à leur cadrage
du problème, quelque chose de neuf est apparu.
(Si vous voulez essayer de deviner ce dont il s’agit, prenez un moment
pour réfléchir à la trouvaille de l’équipe. Voici un indice : l’idée est venue
d’un directeur des ressources humaines.)

« Qui parle aux analystes ? » a demandé le DRH ? Quand les analystes


financiers extérieurs appelaient la société pour obtenir des informations, on
les mettait généralement en contact avec des dirigeants un peu moins gradés
– dont aucun n’avait été formé au contact avec eux. Aussitôt ce point
soulevé, le groupe a compris qu’il avait trouvé une nouvelle
recommandation pour son P-DG.

Cette histoire montre aussi pourquoi il est bon de faire intervenir des
éléments extérieurs dans le processus de recadrage. Comme le cours de
l’action paraissait être clairement une question financière, il aurait pu être
tentant de n’inviter aux réunions que des gens de la finance. L’inclusion du
directeur des RH (qui n’était pas expert en finance) a apporté au problème
une lentille davantage orientée vers le personnel, ce qui a permis à l’équipe
de dépasser le cadrage financier.
Néanmoins, le simple fait d’avoir des étrangers dans la salle ne suffit pas
toujours. Encore faut-il les inviter activement à proposer des cadrages
différents. Prendre du recul et demander ce qui manque est une excellente
stratégie pour y parvenir.

Laisser choir votre marteau

Remarque rapide sur la loi de l’instrument selon Kaplan, : avoir une


solution par défaut n’est pas nécessairement mauvais. Certes, il y a des
situations dans lesquelles appliquer aveuglément une solution par défaut est
problématique – par exemple, quand vous n’avez qu’une seule chance de
redresser une situation ou quand votre solution incontournable risque de
provoquer des dégâts si elle est mal appliquée.
En dehors de ces scénarios, cependant, empoigner le marteau que vous
connaissez le mieux n’est pas toujours une erreur. Au contraire, si nous
avons une préférence pour un outil donné, c’est souvent qu’il a bien
fonctionné dans le passé pour la plupart de nos problèmes. Face à un
problème inconnu, il peut être entièrement logique de commencer par
l’outil que vous connaissez le mieux.
La véritable erreur, c’est de continuer à utiliser le marteau même quand il
est clair qu’il ne fonctionne pas. J’ai beau la houspiller, mon épouse n’est
jamais prête au moment de partir. Hmm, peut-être devrais-je essayer de la
houspiller davantage la prochaine fois. Les cinquante premiers ratages
étaient peut-être des aberrations statistiques.
Si à plusieurs reprises votre solution favorite n’a pas pu régler le
problème rencontré, il est probable qu’il vous faille recadrer ce problème.
Comme l’écrivait Rita Mae Brown dans l’un de ses romans policiers : « la
folie est de faire sans cesse la même chose tout en espérant des résultats
différents » 50.
2. Observer les événements précédents

Demandez-vous comment vous réagiriez dans cette situation :

Votre fille adolescente rentre tôt de l’école, visiblement irritée. Vous lui demandez ce
qui se passe. Elle explique qu’elle a eu une prise de bec avec son professeur. La
dispute s’est envenimée à tel point qu’elle a quitté la classe en claquant la porte.
Cela ne lui ressemble pas : normalement, elle se tient plutôt bien.

Quelles questions poseriez-vous à votre fille pour mieux comprendre le


problème ?
Dans ce genre de situation, les parents se focalisent en général sur les
détails « visibles » : « Comment la dispute a-t-elle commencé ? Qu’a dit ton
professeur ? Qu’as-tu répondu ? Pourquoi cela t’a-t-il mise dans un tel état ?
» À partir de cette analyse granulaire de la situation, on tire des conclusions.
Ma fille devient plus rebelle. J’imagine qu’elle est une adolescente typique,
après tout. Ou peut-être les reproches pèseront-ils sur le professeur : En tant
qu’adulte présent dans la classe, n’aurait-il pas dû être capable de mieux
gérer la situation ? Il faut vraiment que l’école trouve de meilleurs
enseignants !
Mais si vous interrogez des conseillers d’éducation bien formés, la
question qu’ils poseront à votre fille sera probablement différente : « As-tu
veillé à prendre un petit déjeuner ce matin ? » Étonnamment, ce qui sépare
une discussion civilisée d’une grosse altercation est souvent un estomac
vide chez les protagonistes 51. (Ou cette variante classique : manque de
sommeil.)
Comme le problème du décompte des navires, l’exemple du petit
déjeuner montre que vous pouvez parfois éclairer les problèmes d’une
lumière nouvelle en constatant ce qui s’est passé avant la tranche horaire
qui vous intéresse.
Que s’est-il passé la dernière fois qu’un de vos salariés a tenté
d’innover ?
Quelles solutions notre client a-t-il tenté d’appliquer avant de venir
nous voir ?
Qu’est-il arrivé au dernier groupe d’adolescents à avoir loué cette
cabane au fond des bois ?

Cette approche peut être exagérée, bien entendu. Remontez trop loin en
arrière, et vous finirez par évaluer des pesanteurs historiques difficiles à
changer. Veillez quand même à vous demander si vous ne cadrez pas le
problème trop étroitement d’un point de vue temporel.
3. Rechercher les influences cachées

Si vous interrogez un universitaire sur les embûches logiques, vous


entendrez probablement cette formule : confondre corrélation et causalité.
Le simple fait que deux choses aient tendance à se produire en même temps
ne signifie pas forcément que l’une est la cause de l’autre. Souvent, le vrai
coupable est un troisième facteur, sous-jacent. (Les scientifiques parlent de
« variable confusionnelle ».) En voici un exemple.

Que montre vraiment le test du marshmallow ?

Si vous lisez des livres de vulgarisation scientifique, sans doute avezvous


déjà entendu parler du test du marshmallow 52. Dans cette expérience,
Walter Mischel, psychologue à Stanford, et son équipe ont placé de jeunes
enfants devant un marshmallow, un seul à la fois, et leur ont dit : « Si tu
résistes à l’envie de manger ce marshmallow pendant quinze minutes, je te
donnerai un second marshmallow. » Puis ils ont quitté la pièce et observé
discrètement ce qui se passait.
Selon Mischel et ses collègues, l’aptitude des enfants à retarder leur
satisfaction était fortement prédictive de leur réussite à l’adolescence. Ceux
qui résistaient à la tentation devenaient des jeunes hommes et des jeunes
femmes prospères et en bonne santé. Les enfants à faible volonté, beaucoup
moins : leur santé était moins bonne et ils réussissaient moins bien à l’égard
d’autres critères aussi.

Morale de l’histoire : afin que les enfants réussissent, apprenez-leur la


volonté. Seulement, était-ce vraiment ce que montrait cette étude ?
Selon une étude récente de Tyler Watts, Greg Duncan et Haonan Quan, il
y a davantage à en tirer. Mischel et ses collègues avaient conduit leur étude
originelle sur 90 enfants de maternelle, venant tous du campus de
Standford. Dans leur nouvelle étude, Watts et ses collègues ont testé la
théorie sur 900 enfants en veillant – fait capital – à y inclure des enfants de
milieux moins privilégiés.
Résultat : ce n’était pas vraiment une affaire de volonté. C’était une
affaire d’argent.

L’explication intégrale est nuancée, mais en voici l’essence : les enfants


pauvres engloutissaient plus vite le marshmallow car ils avaient grandi dans
un contexte où la nourriture manquerait peut-être le lendemain et dans
lequel les adultes ne pourraient pas toujours tenir leurs promesses. En
comparaison, les enfants plus aisés étaient habitués à un avenir plus
prévisible, dans lequel la nourriture ne manquait jamais – ils savaient
d’expérience que les adultes tenaient en général leurs promesses.
En considération de quoi, le lien entre la résistance au marshmallow et la
réussite future devenait beaucoup moins clair. Pour aider les enfants à
réussir, ne leur apprenez pas nécessairement à retarder une gratification,
améliorez plutôt leur condition socio-économique.
Voici un exemple de découverte de facteurs de causalité occultes dans le
cadre professionnel. Je le tiens d’un dirigeant financier que j’appellerai
Pierre. On lui avait demandé de se pencher sur le processus des entretiens
d’embauche dans son entreprise, une grande banque. Sa renommée
excellente lui valait de nombreuses candidatures de gens très qualifiés.
Cependant, après entretien, beaucoup de candidats choisissaient en
définitive de ne pas donner suite.
L’équipe a d’abord examiné plusieurs facteurs : Les entretiens étaientils
trop épuisants ? Les rémunérations pas assez attirantes ? Fallait-il
s’interroger sur les personnes chargées de conduire les entretiens au sein
de la banque ? Aucune de ces hypothèses ne paraissait expliquer ce qui se
passait.
Le mystère n’a été levé que lorsque Pierre a regardé hors du cadre et
découvert un facteur caché : les entretiens qui aboutissaient à une forte
proportion de refus se déroulaient tous dans les anciens bureaux de la
banque. Les candidats reçus dans le nouveau bâtiment, plus moderne,
étaient séduits par l’entreprise et la retenaient généralement comme leur
premier choix. À partir de ce moment, la banque n’a montré ses anciens
locaux à ses nouvelles recrues qu’après la signature de leur contrat, une fois
les verrous de son coffre-fort refermés derrière eux.
4. Rechercher les aspects non évidents de la
situation

Les deux dernières tactiques présentées – rechercher des événements


antérieurs et des influences cachées – sont en réalité les deux facettes d’un
même sujet, à savoir la recherche de facteurs de causalité.
Des causes comme celles-là ne sont pas le seul genre d’élément
susceptible d’être « caché » hors du cadre. Quelquefois, pour trouver des
solutions non évidentes, il faut réfléchir attentivement aux propriétés d’un
objet ou d’une situation. Considérez ce problème classique du monde de la
résolution de problème.

Le problème de l’ampoule
Il y a trois ampoules électriques au sous-sol de votre nouvelle maison, mais
il se trouve que les interrupteurs ont été installés au rez-de-chaussée – et
qu’ils ne sont pas étiquetés. Vous avez mal au genou et vous préféreriez
limiter le nombre de trajets dans l’escalier. Voici la question : Combien de
fois devez-vous descendre au sous-sol pour déterminer quel interrupteur
correspond à quelle ampoule ? Sachez que toutes les ampoules
fonctionnent, que chaque interrupteur n’active qu’une ampoule et que les
trois ampoules sont éteintes quand vous commencez.
Si vous voulez essayer de résoudre cette énigme, faites une pause un
instant.

Si vous y avez un peu réfléchi, vous avez probablement réalisé que deux
trajets peuvent suffire. Le troisième n’est pas indispensable puisque, par
élimination, vous connaissez la troisième paire. Jusque-là, très bien.
Mais il existe aussi un moyen de résoudre le problème en un seul trajet.
Trouverez-vous comment ? Là encore, ce n’est pas une question piège, et
elle ne fait appel à aucun stratagème délirant tel que percer des trous,
intervertir les fils électriques ou installer un savant jeu de miroirs. La
solution, simple et réaliste, ne fait appel à aucun objet ou individu qui ne
serait pas mentionné dans l’énoncé du problème.
Essayez, mais soyez averti : ce problème est plus difficile à résoudre. S’il
vous faut un indice, je peux vous dire que la solution à un seul trajet repose
sur une caractéristique non évidente de l’un des objets en cause.
Réfléchissez aux propriétés d’une ampoule, en dehors de l’émission de
lumière.

La solution à un seul trajet

Voici la solution au problème de l’ampoule électrique avec un seul trajet :


1. Mettez deux des interrupteurs sur « marche ».
2. Attendez une minute.
3. Remettez l’un des deux interrupteurs sur « arrêt ».
4. Descendez l’escalier et touchez les deux ampoules éteintes. L’une
d’elles sera chaude 53.

Si vous êtes comme la plupart de gens, cette solution vous a paru


beaucoup moins évidente que celle à deux trajets. Pourtant, tout le monde
sait que les ampoules électriques chauffent quand elles sont allumées.
Alors, pourquoi cette solution est-elle tellement plus difficile à trouver ?

Les cadres nous permettent de voir…

Notre subconscient s’efforce d’être aussi efficient que possible quand il


cadre un problème – le cerveau est un avare cognitif, disent certains savants
54 – c’est pourquoi il ne laisse entrer dans le cadre que les données les plus

essentielles.
En soupesant le problème de l’ampoule électrique, par exemple, vous ne
vous êtes probablement pas arrêté pour vous demander quelle est la couleur
du papier peint ou si la scène se passe en été ou en hiver. Ni l’une ni l’autre
de ces considérations ne vous a semblé utile pour résoudre le problème, de
sorte que, très raisonnablement, votre esprit s’est tout simplement abstenu
d’y penser. Il a préféré créer une représentation simplifiée du problème –
c’est-à-dire un modèle mental – avec lequel vous vous êtes ensuite mis à
jouer, en faisant intervenir les interrupteurs et le reste jusqu’à trouver une
solution.

… et les cadres nous aveuglent

Cette simplification a du bon. Sans la capacité de nous concentrer vite sur


les pièces essentielles d’un problème, nous serions bloqués dans une
réflexion sans fin sur le papier peint, à la grande joie de tous les
décorateurs. Cependant, cela signifie aussi que des éléments ou propriétés
potentiellement utiles du vrai monde nous échappent.
C’est dû en partie à un facteur appelé fixité fonctionnelle 55, qui désigne
notre tendance à nous attacher seulement aux utilisations les plus courantes
des objets (les ampoules électriques produisent de la lumière) et à négliger
les utilisations moins évidentes (les ampoules électriques peuvent servir à
produire de la chaleur).
Pour détecter de tels aspects cachés, posez des questions telles que :
Quels sont les objets impliqués dans la situation ?
Quelles sont leurs autres propriétés ? Sont-ils utilisables de manière
non traditionnelle ?
De quoi d’autre disposons-nous ?

Voici un exemple simple d’un problème résolu par la détection et


l’exploitation d’une facette cachée de la situation.
Imaginez que vous travailliez comme gardien de parking chez
Disneyland. Vous gérez le parc de stationnement géant qui jouxte le parc
d’attraction. Chaque jour, plus de dix mille familles se présentent, garent
leur voiture et se dirigent vers l’entrée.
L’immense terrain est divisé en différentes zones clairement balisées
pour que les gens puissent retrouver leur véhicule au moment de partir :
Notre voiture se trouve dans la zone Donald Duck, section 7B. Pourtant,
chaque semaine, environ quatre cents familles éblouies de soleil,
abasourdies par ce qu’elles viennent de vivre et affligées de gamins
surexcités avec des oreilles de Mickey réussissent à oublier où elles se sont
garées. Comment résoudre le problème ?
On peut d’abord se dire que ce type de problème a déjà dû être résolu
quelque part. (C’est l’essence de la stratégie des « points positifs » dont il
sera question plus bas.) Si vous observez des services de messagerie comme
FedEx, ou peut-être les entrepôts de conteneurs des ports de commerce,
vous trouverez différentes solution à base de suivi par GPS, de lecture de
plaques d’immatriculation et autres technologies du même genre.
Ici, ces solutions seraient coûteuses. Pourrait-on trouver une solution
plus intelligente utilisant l’existant sans exiger de nouvelle technologie ?
Oui. Les gardiens de parking de Disney ont réalisé que les gens se
souvenaient en général d’une information, à défaut d’avoir retenu le numéro
de leur emplacement : leur heure d’arrivée 56. Le journaliste Jeff Gray l’a
ainsi expliqué dans un journal canadien, The Globe and Mail : « Le
personnel de Disney note simplement l’heure à laquelle les rangées du
parking se remplissent le matin. Dès lors que les clients savent quand ils
sont arrivés, les agents de Disney peuvent trouver leur voiture. »

Si vous avez choisi de réfléchir à vos propres problèmes tout en lisant ce


livre, le moment est venu de vous mettre au travail. Reprenez vos énoncés
du problème et essayez d’appliquer ces tactiques à l’un ou plusieurs d’entre
eux. (À vous de déterminer combien de temps vous y consacrerez avant de
poursuivre.)
Si vous n’avez pas choisi de réfléchir à vos propres problèmes,
considérez simplement les deux prochaines pages comme un rappel du
chapitre et ignorez toutes les instructions portant sur la révision de vos
énoncés du problème.
Résumé du chapitre
Regardez hors du cadre

Pour chaque problème, n’oubliez pas de regarder hors du cadre :


Ne vous laissez pas prendre aux détails visibles.
Réfléchissez à ce qui pourrait manquer dans le cadrage actuel du
problème.

Une fois que vous avez tout passé en revue, essayez d’appliquer les
quatre tactiques décrites dans le chapitre et résumées ci-dessous.

1. Regardez au-delà de votre propre compétence

Rappelez-vous la loi du marteau : nous avons tendance à cadrer les


problèmes de telle sorte qu’ils correspondent à nos solutions favorites. Au
Brésil, les financiers avaient les yeux fixés sur les cours de Bourse et
négligeaient l’aspect communication.
À envisager :
Quel est votre propre « marteau » favori, c’est-à-dire le type de
solution que vous savez bien appliquer ?
À quel type de problème votre marteau correspond-il ?
Et si le problème n’était pas de cette sorte, que pourrait-il être ?

2. Observez les événements précédents

Rappelez-vous la prise de bec avec le professeur qui pourrait bien résulter


d’un événement antérieur : « As-tu pris ton petit déjeuner ce matin ? »
À envisager :
Comment cadrez-vous le problème d’un point de vue temporel ?
S’est-il passé quelque chose d’important avant la période de temps que
vous examinez ?
De même, avez-vous négligé quelque chose qui se passerait après la
période examinée ? Par exemple, les gens agissent-ils d’une certaine
manière dans la crainte d’un résultat futur ?

3. Recherchez les influences cachées

Rappelez-vous le test du marshmallow et la manière dont les chercheurs


avaient négligé l’influence de la pauvreté. Rappelez-vous également
comment Pierre a découvert l’influence des locaux de sa banque sur les
recrutements.
À envisager :
Y a-t-il des parties prenantes dont vous ignorez l’influence ?
Les personnes concernées sont-elles influencées par des facteurs
systémiques plus généraux ?
4. Recherchez les aspects non évidents de la situation

Rappelez-vous le problème de l’ampoule électrique, dans lequel une


caractéristique moins évidente – l’ampoule produit de la chaleur – a conduit
à une solution plus efficiente que celle trouvée par la plupart des gens.
Le problème ou la situation comportent-t-ils des aspects non évidents
sur lesquels vous pourriez vous pencher ?
Avez-vous des données susceptibles de vous aider, ou d’autres choses
qui soient déjà à votre disposition ?
En quoi la fixité fonctionnelle vous affecte-t-elle ?

Enfin, y a-t-il d’autres choses « hors du cadre » auxquelles vous ne faites


pas attention ? Des stimulants ? Des émotions ? Des personnes ou des
groupes que vous avez oubliés ? Songez-y brièvement, puis continuez.
Chapitre 5
Repenser l’objectif
Pourquoi il faut s’interroger sur les objectifs

Les problèmes nous apparaissent souvent comme des obstacles : des choses
ennuyeuses qui nous barrent la route et nous empêchent d’atteindre nos
objectifs, comme l’argent, le bonheur ou quelque douce, douce vengeance.
Le modèle du problème-obstacle nous paraît intuitivement juste : il nous
est arrivé à tous d’être freinés par un système bureaucratique, un collègue
de mauvaise volonté ou une litanie stupide de lois anticorruption. Mais cette
façon de penser contient un piège subtil. Avoir les yeux fixés sur l’obstacle
– comment le contourner ? – empêche de remettre en question une chose
plus importante : l’objectif qu’on essaie d’atteindre.
En fait, la plupart des objectifs sont bizarrement à l’abri de toute
investigation. Faites votre choix : Dominer la concurrence. Développer
l’entreprise. Pousser l’innovation. Être promu à un poste d’encadrement.
Toutes ces choses sont machinalement considérées comme des buts
valables, qu’il est bon de poursuivre. Il en va de même, hors du travail, pour
des sujets comme l’éducation, la recherche d’un conjoint ou l’achat d’un
logement. Des objectifs de ce genre sont profondément ancrés dans nos
récits culturels. C’est pourquoi nous oublions souvent de les remettre en
question.
Ce n’est pas que ces choses soient en réalité mauvaises et à éviter à tout
prix. Dans la plupart des cas, elles sont bonnes en réalité. Mais pas toujours.
Quelquefois, la clé d’un progrès radical n’est pas d’analyser l’obstacle
mais de se poser des questions différentes :
Poursuivons-nous le bon objectif ?
Y a-t-il un meilleur objectif à poursuivre ?

Repenser l’objectif, par essence, c’est cela 57. Considérez l’histoire ci-
dessous, celle d’un dirigeant que nous appellerons Mateo.

Trouver un meilleur objectif

Quand Mateo est arrivé à la tête du service de vérification, ce dernier


travaillait dur pour atteindre un objectif important et très ambitieux fixé par
son précédent dirigeant : Nous devons diviser par deux notre délai de
réaction.
Ce service gérait pour son entreprise une importante base de données
centrale. Tous les jours, de nombreux autres collaborateurs de l’entreprise
lui adressaient de petites demandes de modification diverses. Après avoir
vérifié leur pertinence, il effectuait les modifications, à la manière d’une
chambre de compensation de la base de données.
Aux premiers temps de l’entreprise, le processus de vérification avait
bien fonctionné. Mais l’entreprise grossissait et les demandes de
modification se multipliaient. Le service commençait à être surchargé, à tel
point qu’il lui fallait deux semaines pour effectuer les modifications.
Afin de remédier au problème, l’ancien patron du service réunit ses
collaborateurs et leur fixa un objectif clé :

Notre délai d’exécution n’est pas acceptable. Notre service doit doubler son rythme
de traitement des demandes, ce qui ramènera le délai à une semaine.

Voilà un exemple classique d’objectif ambitieux bien défini : l’état final


qu’on désire atteindre est parfaitement clair et chacun voit bien pourquoi il
est important. Dynamisé par cet objectif, le personnel se mit au travail.
Quelques mois plus tard, l’ancien directeur quitta l’entreprise et Mateo
prit la tête du service. En lui passant le relais, son prédécesseur attira son
attention sur le projet : L’équipe est bien partie pour atteindre notre
objectif, le traitement en une semaine. Vous pouvez donc les laisser faire, ils
y arriveront.
Mateo aurait aisément pu laisser le travail suivre son cours et chanter
victoire une fois l’objectif atteint. Mais ce qu’il fit allait en fin de compte
aboutir à des résultats bien meilleurs :

Tout le monde travaillait dur pour accélérer le traitement des demandes. Mais était-ce
nécessairement le bon objectif ? En y réfléchissant, j’ai réalisé que l’objectif réel
n’était pas la rapidité du service mais la réduction du temps nécessaire à l’entreprise
pour introduire des modifications dans la base de données. L’ancien objectif
recouvrait un postulat important – tout devait passer par le service et être validé
manuellement. Quand nous avons pris du recul au lieu de nous focaliser sur l’équipe,
il est devenu clair qu’il existait peut-être un autre moyen de progresser : laisser
l’entreprise réaliser directement certaines des modifications les plus simples, sans
nous en occuper.

Introduire l’accès direct

Conformément à la nouvelle priorité, les collaborateurs de Mateo


examinèrent les modifications qu’on leur demandait. Il s’avéra qu’environ
80 % d’entre elles étaient à la fois simples et réalisables sans grand risque.
Pour ces demandes, donc, l’équipe eut l’idée d’une interface d’accès direct
avec laquelle des gens extérieurs au groupe de Mateo pourraient effectuer
des changements au fil de l’eau, sans intervention du service de vérification.
Soyons honnêtes, la mise en œuvre de cette solution ne fut pas facile. Le
service de Mateo dut former le reste de l’entreprise à son utilisation, tout en
gérant sa charge de travail quotidienne. Mateo lui ménagea le temps
nécessaire : « Pendant quelques mois, nous serons plus lents que
d’habitude, annonça-t-il aux autres unités opérationnelles. Mais une fois
que ce sera fait, il en résultera une solution bien meilleure pour vous. »
La promesse de Mateo fut tenue. Quelques mois plus tard, les deux
semaines de retard étaient totalement résorbées pour les 80 % de demandes
susceptibles d’être gérées avec l’interface d’accès direct. On pouvait
désormais les traiter sans délai. Et comme le service était moins chargé, il
exécutait plus vite les modifications trop complexes pour être effectuées via
l’accès direct. La décision de Mateo de contester l’objectif permit à son
service d’aller bien au-delà du gain d’une semaine de délai visé
initialement.

Le cas de Mateo montre combien il peut être efficace de repenser son


objectif. Mettre en question ce que vous essayez d’atteindre vous permet
parfois de trouver comment progresser vers des résultats considérablement
meilleurs. Voici cinq tactiques à votre disposition.
1. Clarifier les objectifs généraux

Les objectifs 58 n’ont pas vraiment une existence autonome, comme le


simple terminus d’un voyage : trouvez du bacon, puis ce sera la béatitude
éternelle. Ainsi que l’a soutenu entre autres Min Basadur, chercheur en
solutions de problèmes, il est préférable de se représenter un objectif
comme un maillon d’une chaîne hiérarchique ou causale qui relie les «
bonnes choses » entre elles, des plus élémentaires aux plus générales 59.
Prenez quelqu’un qui désire une promotion. Ce n’est probablement pas
une fin en soi mais un moyen de satisfaire un autre désir, c’est-à-dire un ou
plusieurs objectifs de niveau supérieur, comme de gagner plus d’argent ou
d’être plus respecté. Voici par exemple comment il pourrait relier son désir
de promotion à des objectifs de niveau supérieur.

Le schéma montre cinq choses importantes. Un, en visant un objectif,


nous espérons en général obtenir plus d’une chose. D’ordinaire, on constate
plusieurs résultats différents qui ont une importance pour nous.
Deux, remarquez que certains des objectifs de niveau supérieur peuvent
aussi être des moyens en vue d’une fin. Dans l’exemple ci-dessus, gagner
de l’argent n’est pas seulement un objectif général pour la personne en
cause, c’est la différence entre envoyer ses deux enfants à l’université et
devoir dire à l’un d’eux qu’il ne pourra pas y aller. En science
opérationnelle, on parle parfois de buts distaux, par opposition aux buts
proximaux, plus proches. Chez les publicitaires, on parle couramment de «
comprendre le bénéfice du bénéfice » qu’un client espère atteindre. C’est la
même idée. Les designers distinguent fonctionnalités et bénéfices, les
négociateurs positions et intérêts, les décideurs politiques production et
résultats.
Dans toute conversation à propos d’un problème, le vôtre ou celui de
quelqu’un d’autre, il convient de veiller à faire apparaître les objectifs de
niveau supérieur. Pour ce faire, posez des questions telles que :
Quel est votre but ?
Pourquoi ce but est-il important pour vous ? Une fois que vous l’aurez
atteint, que vous aidera-t-il à faire ?
Hormis cela, y a-t-il d’autres choses importantes que la réalisation de
cet objectif vous aidera à accomplir ?

Quelquefois, clarifier les objectifs de niveaux supérieurs peut vous


conduire directement à une solution originale. Voici un exemple relevant du
domaine des études sur les négociations, emprunté au classique Comment
réussir une négociation, de Roger Fisher, William Ury et Bruce Patton.

Les accords de Camp David

L’idée de mettre au jour les objectifs de niveau supérieur a notoirement aidé


à la conclusion d’un traité de paix entre l’Égypte et Israël en 1978, alors que
le président américain Jimmy Carter avait invité les deux pays à Camp
David, aux États-Unis. Ainsi que l’expose Comment réussir une
négociation, le conflit concernait une revendication territoriale sur la
péninsule du Sinaï. Égyptienne à l’origine, elle se trouvait sous occupation
israélienne depuis la guerre des Six Jours, en 1967. L’Égypte voulait
récupérer tout son territoire. Israël voulait en conserver au moins une partie.
Les objectifs des deux pays – les négociateurs parlent de « positions » –
étaient foncièrement incompatibles ; toutes les tentatives pour dessiner une
frontière avaient donc échoué.
Le blocage a été levé quand les intérêts respectifs des parties ont été
clarifiés. Le souci de l’Égypte était de posséder la terre. Israël, en revanche,
voulait la sécurité : de crainte que l’Égypte ne positionne des chars juste de
l’autre côté de la frontière, elle voyait le Sinaï comme un tampon contre une
invasion. À partir de là, une solution a pu être trouvée : créer une zone
démilitarisée appartenant à l’Égypte mais où les forces armées égyptiennes
ne pourraient stationner 60.
Dans les conflits impliquant plus d’une partie, comme le montre cette
histoire, il est bon d’expliciter les objectifs de niveau supérieur.
Cependant, cette tactique convient aussi à des problèmes ne concernant
qu’une seule personne car il arrive fréquemment qu’on ne comprenne pas
ses propres objectifs.. « Les clients viennent souvent avec des objectifs
vagues et/ou mutuellement exclusifs, ou des objectifs qu’ils ne parviennent
pas à décrire, note le psychothérapeute Steve de Shazer. En fait, le cas le
plus difficile et perturbant est celui où ils ignorent comment ils
s’apercevront que leur problème est résolu 61. »
Quand vous clarifiez les objectifs de niveau supérieur, il suffit en général
de mettre au jour les deux ou trois objectifs les plus importants. Il est rare
qu’une bonne solution soit rejetée faute de satisfaire le septième objectif le
plus important de quelqu’un.
Il en va de même pour la « montée » dans la hiérarchie, c’est-à-dire vers
des objectifs de niveau supérieur. Les recadrages utiles s’en tiennent plutôt
aux premiers niveaux d’abstraction seulement. Tentez d’allez plus loin et
les objectifs atteignent un niveau si élevé qu’ils en deviennent presque
inutiles pour les besoins du recadrage. (Ils peuvent encore guider des
décisions générales, cependant – par exemple, celles qui concernent des
valeurs personnelles ou celles d’une entreprise.)
2. Contester la logique

Une carte d’objectifs 62 (comme dans l’exemple de la promotion


hiérarchique) n’est pas seulement une liste de bonnes choses. C’est aussi un
modèle complet de la manière dont vous pensez que le monde fonctionne,
avec les mécanismes de causalité essentiels tels que vous les voyez. Il est
important de mettre au jour ces liens de causalité, car ils sont quelquefois
erronés.
L’exemple évident est celui des adolescents qui, nous autres sages aînés
en conviendrons, se trompent sur à peu près tout. Prenez ce modèle à peine
simplifié de réussite professionnelle 63 :

La plupart des adultes s’empresseront probablement de dénoncer les


dérapages logiques de ce modèle, peut-être en rappelant ce qui s’est passé
pour, disons, Van Gogh :

Reconnaissons que les jeunes ne sont pas les seuls à s’appuyer


quelquefois sur des modèles erronés de la manière dont le monde
fonctionne. Les professionnels expérimentés, eux aussi, se trouvent parfois
prisonniers d’une logique contestable – même en ce qui concerne leur
propre domaine de compétence. En voici un exemple, fourni par Henrik
Werdelin.
Repenser la fonction financière : les échéances plus
longues sont-elles meilleures ?

S’il vous est arrivé de vendre un produit ou service à une grande entreprise,
vous connaissez probablement des expressions comme Net-30, Net-60, et
Net-90 : il s’agit de délais de paiement qui spécifient à quelle échéance
l’entreprise est censée vous payer ce qu’elle vous doit 64.
Pour les grandes entreprises, le Net-90 équivaut à un prêt sans intérêt
pendant trois mois. Il n’est donc pas étonnant qu’elles usent parfois de leur
puissance pour réclamer des délais de paiement prolongés afin de régler
leurs fournisseurs aussi tard que possible. À la base, les responsables
financiers des grandes entreprises ont en tête, pour la plupart, un objectif de
ce genre 65 :

La logique de ce modèle semble assez incontestable. Mais est-il vraiment


meilleur ? Comme l’explique Werdelin :

Si vous prenez trois mois pour payer vos factures, vous vous obligez en pratique à ne
travailler qu’avec de grands fournisseurs, les seuls à détenir une trésorerie suffisante
pour récupérer leur argent aussi tard. Les indépendants, souvent bien moins chers,
ne peuvent survivre à de telles conditions de paiement. C’est pourquoi une politique
systématique de paiement à 90 jours peut en fait forcer l’entreprise à n’employer que
les fournisseurs les plus chers.

Suivant cette logique, plusieurs des grandes entreprises conseillées par


Werdelin ont adopté un système de paiements échelonnés qui leur permet
de cumuler les avantages.
Pour détecter ce genre de dérapage logique, observez votre modèle
d’objectifs et demandez-vous :
Nos hypothèses clés sont-elles vraiment exactes ? L’objectif exprimé
conduit-il nécessairement aux résultats que nous recherchons en
définitive ?
Même si une hypothèse est vraie en général, y a-t-il des circonstances
spéciales dans lesquelles elle n’est pas valable ? Devons nous affiner
ou réviser nos raisonnements sur notre manière de gagner ?

Avec cette étape en particulier, il peut être utile de faire participer des
étrangers à la discussion. Comme le disait une experte en sense-making,
Anna Ebbesen, de Red Associates :

La ligne de démarcation entre faits et hypothèses peut être ténue. Nos hypothèses sont
parfois si lourdement incorporées à nos raisonnements que nous les prenons pour
des faits objectifs. D’autres fois, l’hypothèse était initialement un fait – puis le monde
a évolué et elle est devenue invalide. Nous avons du mal à prendre conscience de nos
hypothèses les plus fondamentales. Il faut souvent une certaine influence extérieure
pour y parvenir 66.
3. Demander s’il y a d’autres moyens
d’atteindre les objectifs importants

Une fois que vous connaissez les objectifs de niveau supérieur, vous pouvez
explorer une question centrale : l’objectif immédiat est-il le meilleur moyen
pour y parvenir ? Ou bien y a-t-il d’autres moyens d’obtenir le résultat qui
nous importe vraiment ?
Prenez les objectifs personnels évoqués plus haut, relatifs à une
promotion. L’un des buts importants d’une promotion est de percevoir un «
salaire plus élevé », de manière à pouvoir réaliser quelque chose qui vous
importe vraiment, comme de financer les études de vos enfants.

On pourrait observer en premier lieu que le mot salaire est trop restrictif
: il limite notre réflexion en sous-entendant que l’argent doit être versé par
un employeur, alors qu’en réalité il s’agit d’argent en général. (Rappelez-
vous ce que nous disions au chapitre 3 sur les limites simples auto-
imposées.) Un objectif plus utile pourrait être de « mettre de côté X dollars
dans les cinq prochaines années ».
Ce qui, en contrepartie, permet de rechercher d’autres moyens de
parvenir à l’objectif, en dehors d’une promotion. Le schéma suivant montre
quelques moyens différents qui mériteraient peut-être une exploration :

Voici un exemple authentique et mémorable de cette tactique. On le doit


à Robert J. Sternberg, personnage important dans le monde de la recherche
en créativité et en résolution de problèmes 67.

Comment échapper à un patron abominable

Dans Wisdom, Intelligence, and Creativity Synthetized, il raconte l’histoire


d’un cadre de haut rang qui adorait son métier mais détestait son patron. À
tel point qu’il décida d’aller voir un chasseur de têtes afin de rechercher un
nouveau poste dans la même industrie. Le chasseur de têtes lui assura
qu’étant donné son excellent parcours, il n’aurait sûrement aucun mal à
trouver un poste similaire ailleurs.
Le soir même, cependant, ce cadre discuta avec sa femme, qui se trouvait
être une experte en recadrage. Leur entretien déboucha sur une meilleure
approche. La voici, racontée par Sternberg : « Il retourna chez le chasseur
de têtes et lui donna le nom de son patron. Le chasseur de têtes trouva un
nouveau poste pour celui-ci. Le patron, n’ayant aucune idée de ce qui se
tramait, accepta. Le cadre récupéra alors le poste de son patron. »
4. Remettre également en question les
objectifs évidents

Certains objectifs s’imposent d’eux-mêmes comme si évidemment bons


qu’il paraît idiot de les remettre en question. Pourquoi ne voudrait-on pas
que les choses soient plus rapides, moins chères, plus sûres, plus belles ou
plus productives ? En fait, leur évidence même peut nous égarer – car un
objectif qui pourrait paraître bon dans un sens isolé n’est pas
nécessairement indiqué si l’on considère la situation dans son ensemble.
Prenez l’exemple d’Intel.
La plupart des gens connaissent Intel en raison des processeurs qui
équipent leurs ordinateurs. Moins connu est le travail effectué par la société
pour le célébrissime chercheur en physique théorique Stephen Hawking,
cloué dans un fauteuil roulant. À partir du jour où Moore, cofondateur
d’Intel, a rencontré Hawking, lors d’un congrès en 1997, Intel a mis à jour
tous les deux ans, gratuitement, le logiciel de son fauteuil roulant 68.
La partie la plus importante de ce travail consistait à améliorer
l’ordinateur de synthèse vocale conçu sur mesure qui permettait au
physicien de communiquer avec le monde extérieur. En 1997, le système ne
permettait à Hawking de saisir qu’un ou deux mots par minute, ce qui
rendait sa conversation horriblement lente. L’équipe d’Intel a réussi à
l’accélérer de façon spectaculaire grâce à des algorithmes prédictifs comme
ceux dont nous disposons aujourd’hui sur nos smartphones.
Quelques années plus tard, quand est venu le moment d’une nouvelle
mise à jour, le concepteur Chris Dame faisait partie de l’équipe d’Intel : «
Nous étions très fiers de montrer à Stephen une nouvelle version du logiciel
qui lui permettait de communiquer encore plus vite que l’ancien modèle. Sa
réaction nous a donc beaucoup surpris : Pourriez-vous le ralentir ? »
Il s’est avéré que Hawking fonctionnait en multitâche. Pendant qu’il
composait une phrase, les autres personnes présentes continuaient
naturellement à lui parler et à converser entre elles. Il aimait suivre la
conversation et la ponctuer de temps en temps d’un contact visuel tout en
saisissant son texte. Le système nouveau et « amélioré » ne le lui permettait
plus. Il était si rapide que Hawking se sentait « prisonnier » de l’ordinateur
tant qu’il n’avait pas fini de rédiger. À partir d’un certain point, la rapidité
devenait un inconvénient, même si c’était la qualité recherchée au départ.
Le monde est truffé d’exemples contre-intuitifs de ce genre. Ces séances
de téléshopping nocturnes qui ont l’air d’avoir été produites voici des
décennies ? Leur aspect amateur est voulu car elles vendent mieux que des
annonces rutilantes impeccablement réalisées 69. Ce parcours interminable
de la porte d’arrivée de votre avion à l’aire de récupération des bagages ? Il
donne à la compagnie aérienne plus de temps pour décharger vos valises
afin que vous passiez moins de temps à ruminer devant le tapis roulant (ce
que les gens détestent davantage qu’une longue marche).

Authenticité et autres contrariétés

Notre incapacité à mettre en question les objectifs est exacerbée parce que
certains mots n’ont qu’une connotation positive. Prenez authenticité. Quel
individu normal ne voudrait pas être plus authentique ? (« Excellente
présentation Kate – mais pourrais-tu essayer d’avoir l’air un peu plus
empruntée la prochaine fois ? ») Le mot lui-même dit tout ce que vous avez
besoin de savoir sur sa désirabilité.
Et pourtant, l’authenticité peut être, elle aussi, un mauvais objectif.
Songez à l’arrivée à un nouveau poste de dirigeant. Par définition, accéder à
un poste de direction n’est pas naturel pour la plupart des gens. Comme l’a
souligné Herminia Ibarra, professeur à l’INSEAD, s’autoriser à
expérimenter de nouveaux comportements qui risquent au début de ne pas
paraître « authentiques » est en fait une partie essentielle du développement
personnel 70. Adhérer aveuglément à l’objectif d’authenticité risquerait de
vous enfermer dans un moi passé, statique.
Il existe de nombreux autres exemples. Ainsi, l’originalité semble être
une grande qualité. Mais pour les décideurs ennemis du risque, original
signifie qui n’a pas été testé, qui n’a pas fait ses preuves, susceptible de
finir avec pertes et fracas – voyez par exemple la prédilection de l’industrie
cinématographique pour les séries et les remakes. (Vous voulez trouver des
investisseurs pour votre nouveau film ? Ça sera plus facile si vous êtes «
juste assez différent pour éviter les procès ».)
En dehors du travail, songez au bonheur personnel pris comme objectif.
Parvenir à une béatitude maximale au jour le jour, est-ce toujours une bonne
idée ? Le bien-être authentique n’est pas seulement d’éprouver plus
d’émotions positives, soutient Martin Seligman, fondateur du mouvement
de la psychologie positive 71. Une vie vraiment épanouissante suppose aussi
de poursuivre des objectifs difficiles à atteindre et d’avoir un effet positif
sur les autres – ce qui peut signifier un parcours plus malaisé que celui qui
va du réfrigérateur au téléviseur.
5. Examiner aussi les sous-objectifs

Jusqu’ici, nous nous sommes intéressés aux objectifs de niveau supérieur. Il


est bon aussi de considérer les sous-objectifs, c’est-à-dire les étapes
intermédiaires qui, croyons-nous, nous conduiront à notre objectif.
Dans l’exemple de la recherche de promotion, voici à quoi pourraient
ressembler les sous-objectifs :

Autant que vos objectifs de niveau supérieur, les sous-objectifs font


partie du fonctionnement du monde tel que votre modèle mental global se le
représente. En conséquence, ils peuvent être eux aussi mauvais, incomplets,
ou réclamer d’être repensés. Prenez cette ambition professionnelle qui met
tout le monde d’accord :

Obtenir un poste qui me rende heureux.

Avant de continuer votre lecture, réfléchissez à ce qu’est votre modèle


mental au regard de cet objectif. À votre avis, quels sont les principaux
facteurs qui rendent un métier épanouissant ? Que devriez-vous rechercher
lors de votre prochain changement professionnel ?
Selon 80,000 Hours, une association britannique sans but lucratif fondée
par Benjamin Todd et Will MacAskill, la plupart des gens pensent que le
bonheur au travail résulte de deux choses : un gros salaire et pas trop de
stress.
Pourtant, les études menées sur les raisons réelles qui font aimer son
métier livrent un autre son de cloche. Au vu de plus de soixante études
différentes sur la satisfaction au travail, Todd et MacAskill mentionnent six
facteurs conduisant au bonheur professionnel 72.

Pour les objectifs tant immédiats que de niveau supérieur, commencez


par clarifier vos hypothèses puis remettez-les en question pour vous assurer
que vous visez le bon objectif *.

* Vous l’aurez peut-être noté, ce qu’on appelle objectif, sous-objectif et objectif de niveau
supérieur est quelque peu arbitraire. Mais ne vous braquez pas trop sur la terminologie : elle
indique seulement à quel niveau hiérarchique vous commencez. L’important est d’explorer vers
le « haut » et vers le « bas » par rapport à l’objectif que vous avez d’abord choisi de considérer.
Résumé du chapitre
Repensez l’objectif

Revenez à vos énoncés de problème.


Mettez d’abord l’objectif par écrit : À quoi ressemblerait le succès ?
Quel est l’objectif (ou les objectifs) que j’essaie d’atteindre ?
Puis dessinez une carte d’objectifs (comme dans l’exemple de la
promotion) pour clarifier les objectifs de niveau supérieur.
Si vous voulez, vous pouvez aussi établir en même temps une carte des
sous-objectifs. Quelles sont les étapes nécessaires ou utiles pour
atteindre votre ou vos objectifs ?

S’il vous faut plus de conseils pour dessiner la carte, essayez d’appliquer
à chacun des objectifs qui y figurent ces questions inspirées des travaux de
Min Basadur :
Faites apparaître les objectifs de niveau supérieur en vous demandant :
Pourquoi voulons-nous atteindre cet objectif ? Quel en est le bénéfice
? Qu’y a-t-il de bien derrière cet objectif ?
Faites apparaître les sous-objectifs en demandant : Qu’est-ce qui nous
empêche d’atteindre cet objectif ?
Recherchez aussi d’autres objectifs en demandant : Qu’y a-t-il encore
d’important ?

Une fois la carte établie, passez-la rapidement en revue pour voir si l’un
ou l’autre des objectifs est défini trop étroitement. (Rappelez-vous
l’exemple de « il me faut un salaire plus élevé » comparé à « il me faut X
dollars dans cinq ans ».) Demandez-vous : Y a-t-il des limites simples auto-
imposées ? Assurez-vous que le cadrage des objectifs n’implique pas une
solution spécifique, à moins que cela ne soit authentiquement nécessaire.
Puis essayez d’appliquer les autres tactiques présentées dans ce chapitre.

Contestez la logique

Rappelez-vous en quoi les services financiers n’avaient pas forcément


raison quant aux bénéfices des conditions à 90 jours net. Demandez :
Nos hypothèses sont-elles réellement bonnes ? L’objectif immédiat
conduit-il nécessairement au résultat que nous voulons en définitive ?
Même si elles sont bonnes en général, y a-t-il des circonstances
spéciales où elles ne le sont pas ? Devons-nous affiner ou réviser nos
raisonnements sur la manière de gagner ?

Y a-t-il d’autres moyens d’atteindre les objectifs


importants ?

Rappelez-vous l’histoire racontée par Robert Sternberg, celle du cadre qui


fait appel à un chasseur de têtes afin de trouver un nouveau poste pour son
patron plutôt que pour lui-même. Rappelez-vous aussi l’histoire de Lori
Weise (voir chapitre 1) : au lieu de faire adopter plus de chiens dans les
chenils, peut-on aider les familles afin que leurs chiens ne se retrouvent
jamais dans les chenils ?
D’une manière similaire, demandez-vous :
Y a-t-il de meilleurs objectifs à poursuivre ?
Y a-t-il des moyens différents de parvenir à l’objectif de niveau plus
élevé ?

Remettez en question aussi les objectifs évidents

Y a-t-il des objectifs qui semblent si évidemment bons qu’on ne doit pas les
mettre en question ? Faites-le quand même – et surveillez les mots à
connotation positive comme authenticité, originalité et sécurité.

Examinez aussi les sous-objectifs

Si vous ne l’avez pas encore fait, cartographiez les sous-objectifs, puis


soumettez-les au même examen. Sur quoi pourriez-vous faire erreur ? Que
pourriez-vous oublier ?
Chapitre 6
Examiner les points positifs
La force des exceptions positives

Tania et Brian, jeunes mariés, auraient été pleinement heureux sans un


problème récurrent : il leur arrivait de se disputer pour des broutilles – le
ménage, les dépenses, le chien… Il est vrai que tous les couples se
querellent quelquefois, mais ils avaient tous deux l’impression que, trop
souvent, leurs désaccords s’envenimaient inutilement.
Après un certain nombre d’algarades, ils ont entrepris d’analyser le
problème. Pourquoi leurs disputes étaient-elles si vives ? « Nous nous
sommes d’abord attachés au comment et au pourquoi, m’a raconté Tania.
Nous avons observé qui disait quoi, et nous avons pris le temps d’examiner
des questions fondamentales comme les valeurs et la manière dont nous
avons été élevés. »
Remarquez le schéma. Souvent, à propos des problèmes de personnes,
nous commençons systématiquement par rechercher des explications
profondes, historiques, inspirées peut-être par Sigmund Freud : Ça doit
sûrement venir de notre enfance.
Il se peut très bien qu’un tel cadrage soit le bon, mais il est aussi difficile
d’y changer quoi que ce soit. De même pour le cadrage « valeurs » : Nous
n’avons pas les mêmes valeurs, voilà tout, chéri. J’aime le progrès et tu
aimes être un idiot. Nous avons bien fait de clarifier cela. Dans le cas de
Tania et Brian, ces types de cadrages n’ont servi à rien.
Ce qui les a aidés a été leur analyse de l’exception positive. Comme
l’expliquait Tania :
Un jour, au petit déjeuner, nous avons discuté de notre budget – et notre échange a été
calme et harmonieux. Le même sujet qui le soir paraissait exaspérant et inextricable
était devenu simple une fois que nous avions dormi et mangé. Nous nous sommes
arrêtés un instant pour repenser à ce qui se passait. Nous avons vite compris ce que
la plupart de nos disputes avaient en commun : elles se produisaient après 10 heures
du soir. Nous ne nous querellions pas à cause de nos valeurs. Nous nous querellions
parce que nous avions sommeil et faim, et que nous étions quelquefois à cran 73.

Le recadrage a permis à Tania et Brian d’instaurer ce qu’ils appellent « la


règle de 10 heures » :

En bref, pas question d’aborder le moindre sujet grave ou épineux après 10 heures du
soir. Si l’un de nous tente une prise de bec, il suffit à l’autre de dire « 10 heures ! » et
toute chamaillerie doit s’arrêter. Cette règle est notre meilleur outil pour régler les
problèmes, et elle nous vaut un mariage très heureux depuis près de dix ans. :-)

L’histoire renforce un point clé de ce livre : il existe souvent plusieurs


manières de résoudre un problème. Si Tania et Brian avaient choisi, par
exemple, de suivre une thérapie de couple, ils auraient eu une bonne chance
de résoudre le problème, ou au moins de trouver comment le gérer.
Finalement, ils ont découvert un meilleur moyen de progresser en
s’intéressant à une question différente : Quand n’avons-nous pas de
problème ? Y a-t-il des points positifs ?

La stratégie : examiner les points positifs


La stratégie des points positifs – ou bright spots, expression judicieuse de
Chip et Dan Heath 74 – consiste à rechercher des lieux ou des situations où
le problème s’avère moins cuisant, voire complètement absent. Observer
ces exceptions positives permet d’acquérir une perspective nouvelle sur le
problème, ou même d’être dirigé directement vers une solution viable.
L’approche des points positifs tire ses origines de deux domaines. L’un
d’eux est la médecine 75. Les médecins savent depuis longtemps ce qu’ils
peuvent obtenir en demandant à leurs patients : Y a-t-il des moments où
vous vous sentez moins mal ?
L’autre est l’ingénierie, l’un des premiers domaines en dehors de la
médecine à créer des schémas formels de diagnostic des problèmes. La
stratégie a été popularisée en 1965 par Charles Kepner et Benjamin Tregoe
76. Dans un livre influent sur l’analyse des causes premières, ils ont

enseigné aux solutionneurs à demander : Où le problème n’est-il pas ?


Depuis lors, les points positifs sont partout devenus un élément de base des
schémas de solution des problèmes 77.
Avec les points positifs, le recadrage réel est rarement compliqué. La
difficulté, en général, est de les trouver – car leur emplacement est
quelquefois très surprenant. Les quatre questions suivantes vous aideront à
les identifier * :
1. Avez-vous déjà résolu le problème au moins une fois ?
2. Y a-t-il des cas particuliers positifs dans notre groupe ?
3. Qui d’autre rencontre ce genre de problème ?
4. Pouvons-nous formuler le problème largement ?
1. Avez-vous déjà résolu le problème au
moins une fois ?

Si vous avez choisi d’entrer en thérapie dans les années 1970, il y a des
chances pour que vous et votre thérapeute ayez continué à vous voir
pendant des années, explorant votre passé séance après séance : Et que
diriez-vous de la mère de votre mère ? Quel était son défaut profond ? Le
thérapeute fonctionnait à la manière d’un spéléologue cherchant à
s’enfoncer peu à peu dans les recoins les plus profonds de votre psyché.
Au début des années 1980, un petit groupe de thérapeutes de Milwaukee
a découvert une approche différente, aujourd’hui appelée thérapie brève
centrée sur la solution 78. Guidé par Steve de Shazer et sa femme, Insoo
Kim Berg, le groupe a fait une remarque étonnante : comme Tania et Brian
lors de leur discussion paisible au petit déjeuner, beaucoup de ses clients
avaient déjà résolu leur problème au moins une fois. Seulement, à la
différence de Tania et Brian, ils ne l’avaient pas vraiment remarqué et n’en
avaient pas retenu la leçon.
Dans ces cas, aucune spéléologie n’était nécessaire. Le thérapeute n’avait
qu’à guider le patient dans la recherche des points positifs, puis à
l’encourager à réitérer ce comportement. Grâce à cette approche, le groupe
de Milwaukee pouvait aider ses patients à repartir du bon pied après
seulement huit séances de thérapie en moyenne.
Comment trouver les points positifs

Pour appliquer les idées du groupe de Milwaukee à vos propres problèmes,


procédez comme suit :
Penchez-vous sur le passé. Y a-t-il eu un moment – ne serait-ce qu’un
seul – où le problème ne s’est pas présenté ou a été moins grave que
d’habitude ?
Si tel est le cas, examinez avec soin le point positif. Y a-t-il le moindre
indice susceptible de jeter un éclairage nouveau sur le problème ?
Si l’analyse ne fournit aucun indice, pouvez-vous essayer de
reproduire les comportements ? Est-il possible de recréer les
circonstances qui ont mené à ce point positif ?
Si vous ne parvenez pas à trouver de point positif pour votre problème
actuel, demandez-vous s’il vous est arrivé de résoudre un problème
similaire 79 ? Cela pourrait-il vous fournir quelques indices ?

Trois règles empiriques

Dans la recherche des points positifs de votre passé, gardez à l’esprit ces
trois consignes :
Recherchez des exceptions pas exceptionnelles. Si le travail vous stresse
beaucoup, vous souvenir de l’époque où vous preniez quatre mois de
vacances n’est pas terriblement utile. Mieux vaut un point positif plus
proche de la situation dans laquelle le problème se produit. Y a-t-il eu
récemment une journée où votre travail ne vous a pas stressé autant que
d’habitude ? En quoi était-elle différente ?
Examinez aussi les exceptions vraiment positives. Ne recherchez pas
seulement l’absence de problème. Examinez aussi les occasions où les
choses ont été vraiment magnifiques. Y a-t-il eu récemment une journée où
votre travail vous a apporté de l’énergie ? Mieux gérer le stress, par
exemple, ne consiste pas toujours à éviter les causes qui le provoquent. Ce
peut être simplement d’introduire dans votre journée des choses plus
positives qui vous apporteront plus de surplus mental pour affronter les
facteurs de stress 80.
Quand le problème s’est-il produit sans que vous ne lui accordiez pour
autant de l’importance ? L’absence de mauvais effets est aussi un point
positif. Quant au problème de stress, vous pourriez vous demander : Y a-t-il
eu une journée où vous vous êtes senti stressé mais où vous avez réussi à ne
pas en être affecté ? Qu’aviez-vous fait différemment ?
Dans le monde de l’hôtellerie, par exemple, il est bien connu qu’on ne
peut assurer aux clients la perfection à chaque séjour. Des erreurs se
produiront : le repas est servi en retard, les vêtements envoyés au nettoyage
s’égarent, les clés des chambres cessent de fonctionner au plus mauvais
moment possible. Mais les conséquences de ces bourdes ne sont pas
toujours négatives. Voici ce que m’a dit un jour une directrice d’hôtel,
Raquel Rubio Higueras :

Normalement, ce n’est pas l’erreur en soi qui mécontente le client. Ce qui compte
vraiment est la façon dont le personnel de l’hôtel la gère. Dans certains cas, si le
personnel réagit promptement et se met en quatre pour la réparer, l’évaluation portée
par les clients sur leur séjour sera meilleure que si rien ne s’était passé 81.

Raisonnement à long terme dans un cabinet d’avocats

Voici un exemple professionnel, celui d’un avocat dénommé Anders. De


temps en temps, ses associés et lui se réunissaient à leur cabinet pour un
échange d’idées autour de leurs prochaines initiatives : Comment pourrions-
nous augmenter nos activités à plus long terme ? Beaucoup de leurs idées
paraissaient prometteuses et tout le monde convenait qu’il serait bon de les
explorer 82.
Hélas, les bonnes intentions ne duraient pas longtemps. Au grand dam
d’Anders, une fois la réunion terminée, tous – y compris luimême –
n’avaient plus en tête que leurs dossiers du moment. Régulièrement, comme
dans nombre de firmes, la tyrannie des résultats trimestriels laminait sans
pitié les aspirations des associés.
Invité à rechercher des points positifs, Anders se souvint d’une initiative
à plus longue échéance qui avait prospéré. Qu’avait-elle de différent ? La
séance, par extraordinaire, n’avait pas réuni seulement des associés mais
aussi une collaboratrice considérée comme une étoile montante – et qui en
définitive avait creusé l’idée.
Ce qui orienta tout de suite vers une modalité d’action : inviter aux
prochains échanges d’idées des collaborateurs talentueux. Ces derniers
prenaient comme un privilège d’assister aux discussions stratégiques et,
contrairement aux associés, ils avaient une bonne raison de se sentir
motivés par les projets à long terme : impressionner leurs dirigeants et
prendre ainsi l’avantage dans la compétition entre collègues.
2. Y a-t-il des cas particuliers positifs dans
notre groupe ?

Que faire en l’absence de point positif dans votre propre passé ? Regarder
s’il y en a dans votre groupe de pairs les plus proches :
Les statistiques de mobilisation de notre personnel sont mauvaises.
Pourtant, une fois de plus, deux de nos dirigeants paraissent très bien
réussir.
Le chiffre d’affaires baisse partout – sauf, il est vrai, dans ce petit
marché où il a progressé de 5 %.
Les relations avec mes parents sont épuisantes ! Mes huit frères et
sœurs ont pourtant l’air de bien s’entendre avec eux.

Même quand les problèmes sont vraiment ardus, un groupe suffisamment


large comprend souvent des cas particuliers qui ont trouvé moyen d’y faire
face. Et, comme l’ont montré les pionniers des milieux de l’aide
internationale, ces cas particuliers peuvent jouer un rôle clé dans le
recadrage du problème. En voici un exemple issu des travaux de Jerry
Sternin, l’un des fondateurs de l’approche dite de la déviance positive.

Décider des parents illettrés à laisser leurs enfants aller


à l’école
L’équipe de Sternin a eu l’occasion de travailler avec un groupe
d’enseignants et de directeurs d’école des Misiones, une province rurale
d’Argentine 83. Le problème qui se posait à eux était celui des décrocheurs :
56 % seulement des enfants de la province allaient au bout de leur scolarité
dans le primaire (contre 86 % en moyenne nationale).
Cela tenait pour beaucoup aux parents, souvent pauvres et illettrés. La
plupart d’entre eux, qui n’étaient jamais allés à l’école eux-mêmes, ne
tenaient apparemment pas à ce que leurs enfants poursuivent leur scolarité.
Rabâcher que l’éducation était importante pour l’avenir des enfants était
sans effet. Comme les écoles avaient peu de moyens, la plupart des
enseignants se disaient qu’il n’y avait pas grand-chose à y faire.
Les collaborateurs de Sternin savaient que le problème pourrait sans
doute être abordé sous un autre angle – un angle qu’on pourrait découvrir
en demandant aux enseignants de se pencher sur quelques points positifs.
Ils l’expliquent dans un livre, The Power of Positive Deviance :

Le cadrage initial du problème n’est souvent que du remplissage. Si l’expérience


enseigne une leçon, c’est que le recadrage d’un problème intervient d’ordinaire au fil
de l’eau. Le moyen le plus sûr pour qu’une collectivité reconnaisse un problème
comme le sien est que ses membres le cadrent dans leur propre vocabulaire et
l’ancrent dans leur propre réalité.

Pour y parvenir, l’équipe de Sternin présenta au groupe des données


intéressantes : alors que la plupart des écoles de la province avaient le
même problème, on notait trois exceptions. Deux écoles gardaient 90 % de
leurs élèves, soit plus que la moyenne nationale. Une troisième en gardait
100 %. Aucune des trois ne disposait de moyens supplémentaires. Que se
passait-il ?
La réponse tenait au comportement des enseignants. Dans toute la
province, la plupart de ceux-ci traitaient les parents illettrés avec
condescendance. Dans ces points positifs, au contraire, les enseignants
tentaient de nouer des liens avec les parents, par exemple en établissant
avec eux des « contrats d’apprentissage » avant l’année scolaire. Ces liens
conduisaient à une idée importante : dans certains cas, ce que les enfants
apprenaient à l’école pouvait profiter directement à leurs parents, ici et
maintenant. Ainsi que l’équipe le souligne, « les enfants qui apprenaient à
lire, à effectuer des additions et des soustractions pouvaient aider leurs
parents à profiter d’aides publiques et calculer le revenu des récoltes ou les
intérêts dus à la boutique du village ».
Les enseignants avaient ainsi un moyen différent pour faire des parents
leurs partenaires. Laisser votre enfant aller à l’école ne servait plus
seulement à lui donner quelque vague avantage futur (qui pouvait paraître
lointain pour de pauvres gens). Cela pouvait aussi présenter un intérêt clair
et immédiat pour les parents : À la fin de l’année, si vous l’encouragez à
rester à l’école, votre fille pourra vous aider à tenir vos comptes.

À la suite de cet éclairage, deux des districts scolaires de la province ont


décidé d’imiter la démarche des écoles à points positifs ; au bout d’un an, le
taux de maintien à l’école y avait progressé de 50 % 84.
Pour trouver des points positifs analogues dans votre groupe de pairs,
demandez-vous : Quelqu’un de notre connaissance a-t-il résolu le problème
– ou au moins trouvé une meilleure manière de le gérer ?
3. Qui d’autre rencontre ce genre de
problème ?

Quand je m’exprime devant des publics plurisectoriels, j’effectue souvent


ce petit exercice : je demande aux gens de choisir un problème qu’ils
rencontrent ici et maintenant, puis de le recadrer en petits groupes, en
compagnie de personnes extérieures à leur industrie.
Au début, la plupart des gens ne comprennent pas où je veux en venir.
Comment ces personnes pourraient-elles m’être utiles ? Mon problème est
absolument particulier et propre à mon industrie. En fait, personne n’a
jamais rencontré rien de tel dans l’histoire de… jamais. Ce serait gaspiller
cinq minutes de ma vie.
Après un court débat, quand je commente l’exercice, invariablement,
l’un des groupes déclare : « Nous avons découvert que nous avions tous
exactement le même problème ! »
Le même ? Bien sûr que non. Chaque problème est unique dans ses
détails. Pour autant, dès lors que vous ne vous arrêtez pas aux détails, de
nombreux problèmes ont en commun ce que le chercheur en sciences
cognitives Douglas Hosftadter appelle un « squelette conceptuel » 85 –
c’est-à-dire qu’ils sont du même type. C’est ce qui fait dire aux gens : « J’ai
le même problème ! »
Quand vous recherchez des points positifs, les détails sont souvent
d’importance secondaire : vous n’avez pas besoin de trouver le vrai jumeau
de votre problème. En fait, le mieux est l’ennemi du bien : en définissant
votre problème avec moins de détail, vous facilitez la découverte de points
positifs ailleurs. Voici ce que dit Martin Reeves, patron du Henderson
Institute au sein du Boston Consulting Group et l’un des meilleurs penseurs
en matière de résolution de problème :

Il faut commencer par les détails : quels sont les aspects observables essentiels de ce
problème ? Une fois que vous avez fait cela, il faut cependant prendre un peu de
recul par rapport aux détails et conceptualiser le problème, trouver une manière plus
abstraite de l’exprimer. Cela vous permettra de demander : Où avons-nous déjà vu
ce genre de problème 86 ?

C’est une étape essentielle du processus de résolution de problème du


Boston Consulting Group, qui permet à celui-ci de rechercher des solutions
et des points positifs dans d’autres industries. Pour en faire autant,
demandez-vous :
Quel type de problème ai-je devant moi ? Comment y réfléchir dans
des termes plus larges, plus généraux ?
Qui d’autre affronte ce type de problème ? Que pourrions-nous en
apprendre ?

Voici l’histoire d’une équipe qui a adopté cette approche.

Pfizer résout un problème interculturel

Alors qu’il travaillait chez le géant médical Pfizer, Jordan Cohen a créé
avec succès un service interne appelé pfizerWorks 87. Grâce à celui-ci, le
personnel de Pfizer pouvait sous-traiter les parties ennuyeuses de son travail
– comme la vérification de données, la préparation de diapositives ou les
études de marché – à des équipes d’analystes virtuels.
Une partie des analystes auxquels pfizerWorks faisait appel étaient
installés à Chennai, en Inde. Cas exceptionnel pour ce type de service, ils
étaient directement en rapport avec les salariés de Pfizer aux États-Unis et
ailleurs, au lieu de communiquer via un bureau central.

Ce modèle rendait pfizerWorks bien plus rapide et plus efficient – mais il


soulevait aussi un gros problème. Seth Appel, membre de l’équipe de
Jordan, me l’a décrit ainsi :

Une salariée de Pfizer à New York adresse à l’équipe de Chennai, par courrier
électronique, une demande concernant un rapport, mais la personne à qui elle
voulait s’adresser n’est pas au bureau. Bon, si vous écrivez à quelqu’un qui est
habitué aux normes de communication occidentales, vous allez recevoir une réponse
poliment tournée : « Chère Kate, merci pour votre message. Je regrette de vous
informer que Santosh, chargé de votre projet, est absent pour le moment, mais je
veillerai à ce qu’il vous réponde au plus vite dès son retour, demain à 8 heures du
matin heure de chez vous. »

Au lieu de cela, Kate recevait cette réponse laconique : Santosh est absent
pour le moment.
Ce genre de réponse suscitait beaucoup d’agacement et de confusion.
Qu’est-ce que c’est que ce message ? Est-ce que personne ne s’occupe de
mon rapport ? Vais-je le recevoir en temps utile ? Dois-je vraiment
répondre, juste pour qu’on me dise s’il aura le message ? Comme l’a
souligné Erving Goffman, sociologue et expert en recadrage, dès les années
1960, les normes culturelles sont à peu près invisibles – jusqu’au moment
où vous les violez 88.
Comment résoudre ce problème ? Rechercher des points positifs au sein
du secteur lui-même était inutile : à l’époque, personne ne permettait aux
analystes de traiter directement avec les utilisateurs. Jordan et Seth ont donc
opté pour un cadrage plus conceptuel :

Si vous voulez y réfléchir, faites ici une pause et essayez de considérer la


question – et imaginez quel type de solution ils ont finalement trouvé.

Seth et Jordan ont trouvé un point positif dans l’industrie hôtelière. Les
grandes chaînes hôtelières internationales implantées en Inde devaient
confier leur réception et leur service de conciergerie à des gens capables de
communiquer aussi bien avec des locaux qu’avec des gens issus de
nombreuses cultures différentes.
Ensuite, Seth et Jordan auraient pu déterminer comment les hôtels
formaient leur personnel au contact des clients puis en faire autant avec
leurs analystes. Ils ont préféré une approche encore plus simple : recruter
du personnel directement dans les hôtels. Comme me l’a expliqué Seth :

Notre équipe devait avoir deux compétences principales : des compétences


analytiques pour faire le travail et des compétences culturelles pour gérer la
communication. Nous avons donc réalisé qu’au lieu d’embaucher des analystes
qualifiés puis de leur apprendre à communiquer, il était plus facile d’embaucher des
gens qui avaient déjà une aisance culturelle puis de leur enseigner les compétences
analytiques nécessaires. C’est donc ce que nous avons fait – et ça a marché.
4. Pouvons-nous proclamer le problème
largement ?

L’approche que nous venons d’exposer présente une faiblesse évidente :


vous devez avoir une idée de l’endroit où chercher. Une fois que l’équipe de
Jordan avait demandé Qui d’autre a des problèmes de communication
interculturelle ?, le lien avec les grands hôtels n’était pas trop difficile à
établir. Mais qu’arrive-t-il si les points positifs utiles se trouvent dans une
industrie dont vous n’avez jamais entendu parler ?
En ce cas, une autre approche s’offre à vous : proclamer votre
problème 89. Comme l’ont montré des études, en faisant largement
connaître votre problème et en l’exposant à des groupes différents, vous
augmentez vos chances que quelqu’un vous suggère un point positif que
vous ignoriez. Voici quelques manières simples de vous y prendre :
Lors de votre prochaine pause déjeuner, installez-vous à côté de gens
d’autres services et exposez-leur votre problème. (Profitez-en pour leur
demander quels problèmes ils rencontrent.)
Décrivez le problème sur l’intranet de votre entreprise ou autre canal
maison du même genre.
Interrogez des amis qui travaillent dans d’autres industries (sous
réserve que le problème ne soit pas confidentiel).
Si le problème peut être rendu public, envisagez de solliciter des avis
via les médias sociaux.
Pour les problèmes plus importants, surtout dans la R&D, il existe aussi
des options de diffusion plus avancées. Certaines plateformes de résolution
de problèmes en ligne vous permettent de faire connaître votre problème
(moyennant finances) afin qu’il soit présenté à une communauté de «
solutionneurs » du monde entier. D’autres peuvent vous mettre en rapport
avec des réseaux d’experts ou lancer un concours d’idées public pour votre
compte. Avant de considérer ces solutions, cependant, essayez d’abord les
versions plus simples. Comme l’illustre l’histoire ci-dessous, il n’en faut
pas toujours beaucoup pour obtenir des résultats.

Le cas du E-850

Les chercheurs de la multinationale scientifique DSM avaient inventé une


nouvelle forme de colle appelée E-850 90. Apparemment, elle avait tout
pour elle. Elle fonctionnait mieux que la plupart des produits concurrents et
elle était plus respectueuse de l’environnement, ce qui la rendait très
séduisante pour les clients de DSM.
Toutefois, un problème apparut. Le E-850 servait notamment à coller
ensemble de fines lamelles de bois, afin de former des panneaux laminés
avec lesquels on fabriquerait des dessus de table. Quand les chercheurs
tentaient d’appliquer un revêtement sur les panneaux collés au E-850, le
laminé commençait à s’effriter sur les bords.
Il était impossible de lancer la colle sur le marché tant que ce problème
n’était pas résolu. Malheureusement, il était ardu. Deux ans plus tard,
l’équipe de R&D n’en était pas venue à bout.
Trois salariés de DSM, Steven Zwerink, Erik Pras et Theo Verweerden,
cherchèrent alors à faire connaître le problème. Pour faciliter les choses, ils
le décrivirent dans un PowerPoint diffusé via différents médias sociaux.
Afin d’inciter les gens à apporter leur aide, ils offrirent une récompense de
10 000 euros à qui apporterait la solution – une somme modeste en
comparaison des gains possibles si DSM parvenait à commercialiser le
produit.
Deux mois plus tard, l’équipe publia un second diaporama contenant une
bonne nouvelle : plusieurs personnes avaient relevé le défi et les chercheurs
avaient pu trouver une solution en rapprochant des idées fournies par cinq
d’entre elles * 91. DSM put ainsi aller de l’avant et mettre le E-850 sur le
marché, où il remporta un grand succès.
Au passage, le cas de DSM montre aussi que les solutions sont parfois
plus proches que vous ne l’imaginiez. Sur les cinq personnes qui
contribuèrent à la solution, trois travaillaient chez DSM. L’une était un
chercheur. La seconde, un responsable grands comptes. Le troisième un
juriste stagiaire au service des brevets. La proclamation de votre problème
permet aux contributions de jaillir d’endroits inattendus.

Trois trucs pour proclamer des problèmes

Quand vous proclamez un problème, voici trois petits conseils fournis par
Dwayne Spradlin, fondateur d’InnoCentive, site web de résolution de
problèmes 92 :
Évitez le jargon technique. Assurez-vous que les gens sont capables
de comprendre même s’ils ne travaillent pas dans votre secteur.
Décrivez abondamment le contexte. Pourquoi est-il important de
résoudre le problème ? Quelles sont les principales contraintes ?
Qu’avez-vous déjà essayé ?
Ne précisez pas trop la solution. Au lieu d’écrire, par exemple, « il
nous faut un moyen plus simple pour creuser des puits », écrivez «
Nous devons fournir de l’eau potable à 1,2 million de personnes »
(peut-être peut-on faire sans les puits).

Le plus bizarre dans la stratégie des points positifs est qu’elle est nécessaire
dès le départ. Comme nous l’avons vu, beaucoup de points positifs résident
en des lieux que nous connaissons déjà – et certains peuvent être trouvés
dans notre propre passé (cette idée demeure pour moi proprement
ahurissante). D’une manière ou d’une autre, vous pourriez vous dire que
nous saurions mieux les détecter automatiquement.
Pourtant, ce n’est pas le cas. Nous souffrons tous d’un phénomène appelé
biais de négativité, raccourci scientifique d’une idée simple : les gens ont
tendance à faire plus attention aux mauvaises choses qu’aux bonnes 93.
Confrontés à des problèmes, nous sommes câblés de manière à nous
concentrer sur ce qui cloche, ce qui nous empêche de tirer les
enseignements de ce qui marche bien.
La stratégie des points positifs est destinée à remédier à ce travers. En
renversant le scénario et en dirigeant votre attention vers le positif – qu’est-
ce qui fonctionne ? – vous pouvez trouver de nouveaux moyens de
progresser. Reste à l’utiliser.

* Comme pour les autres stratégies de ce livre, je m’appuie ici sur un vaste corpus de travaux
antérieurs. Pour ce chapitre, je veux souligner en particulier ce que je dois à deux excellents
livres de Chip et Dan Heath, Switch, osez le changement et Comment faire les bons choix. Les
lecteurs familiers de leurs œuvres constateront que je fais écho ici à certains de leurs conseils.
* Il s’est trouvé que la solution passait par un recadrage du problème. Je n’entre pas ici dans les
détails, car ils sont un peu techniques, mais si vous êtes un aficionado de la lamination – et qui
ne l’est pas en réalité ? – vous trouverez tous les renseignements dans les notes de fin.
Résumé du chapitre
Examinez les points positifs

Reconsidérez vos propres énoncés du problème. Pour chaque problème,


demandez-vous s’il existe des points positifs.

Avez-vous déjà résolu le problème au moins une fois ?

Les gens se débattent souvent contre des problèmes qu’ils ont déjà résolus.
Grâce à leur discussion paisible au cours du petit déjeuner, Tania et Brian
ont réalisé que leurs disputes étaient en partie imputables au choix du
moment. Gardant cela à l’esprit, demandez-vous s’il est arrivé – ne serait-ce
qu’une fois :
Que le problème soit absent.
Que le problème soit moins sévère.
Si le problème se posait, qu’il ne produise pourtant pas l’effet négatif
habituel.

Y a-t-il des cas particuliers positifs dans votre groupe ?


Rappelez-vous le cas des parents illettrés dans le district argentin des
Misiones : en étudiant trois écoles « différentes », on a trouvé une meilleure
manière de cadrer l’implication parentale.
Y a-t-il dans votre groupe de pairs des gens qui ont résolu le problème
? Pourriez-vous découvrir ce qu’ils font différemment ?

Qui d’autre a affaire à ce genre de problème ?

Pour trouver des points positifs dans d’autres industries, souvenez-vous de


ce que disait Martin Reeves sur la description du problème en termes plus
abstraits et comment cela a aidé l’équipe de pfizerWorks à trouver un point
positif dans l’industrie hôtelière. De la même manière :
Comment pourriez-vous décrire votre problème en des termes plus
abstraits ?
Qui d’autre, en dehors de votre propre industrie, est confronté à ce
type de problème ?
Qui, apparemment, n’a pas ce problème, tout en se trouvant pourtant
dans une situation similaire ? Que font-ils autrement ?

Pouvez-vous proclamer le problème largement ?

Rappelez-vous le cas de DSM et la manière dont l’entreprise a trouvé une


solution en faisant connaître son problème via un diaporama simple. Si
vous ne pouvez trouver quelqu’un qui a résolu le problème, pourriez-vous
faire quelque chose d’analogue ?
Chapitre 7
Regarder dans le miroir
Des problèmes avec les enfants

Peut-on enseigner le recadrage aux petits enfants ?


Cette question m’a conduit à la Hudson Lab School, à Westchester dans
l’État de New York. Cate Han et Stacey Seltzer, les fondateurs de cette
école progressiste à base de projets, connaissaient mes travaux et m’ont
lancé un défi : essayer de faire fonctionner mon atelier de recadrage avec
leurs élèves. Me voilà donc, par une chaude matinée d’août, en train
d’enseigner le recadrage à un groupe ardent d’enfants âgés de 5 à 9 ans.

Les problèmes des petits humains

Vous vous demandez peut-être quel genre de problèmes peuvent rencontrer


des enfants de cet âge. Eh bien ! voici une courte sélection tirée de cet
atelier, à peine expurgée des fautes d’orthographe, taches de jus de fruit ou
petits cœurs gribouillés au-dessus de toutes les lettres i :

« Je voulais un caillou, mais il appartenait à quelqu’un d’autre. »

« Je n’arrive pas à gagner contre Electabuzz » (un monstre de jeu vidéo).


« Je ne peux pas frapper ma sœur parce qu’elle est plus petite que moi. »

Oui, tels sont les graves problèmes existentiels qui composent le monde des
petits humains. (Pour être juste, on pourrait dire que le cas du caillou
convoité réside derrière la plupart des conflits de l’humanité depuis la
guerre du Péloponnèse.)
Et tandis que j’animais la classe avec Stacey, Cate et leurs collègues, il
est apparu clairement que la plupart des enfants – surtout les plus jeunes –
avaient du mal avec le concept de recadrage.
Prenez le cas d’un garçon que j’appellerai Mike. Son frère le frappait
quelquefois quand ils se disputaient. Son énoncé du problème était succinct
:

Je ne peux jamais avoir ma revanche.

La solution qu’il avait choisie était tout aussi simple :

Cogner sur la tête le premier.

Mon atelier a fait comprendre à Mike qu’il pourrait avoir avantage à trouver
une autre formule. Après mûre réflexion, il a abouti à :

Ne pas cogner.

En dépit de ses louables efforts, on sentait chez Mike une certaine dérive
systémique vers la première solution. Je soupçonne que le règlement des
disputes entre Mike et son frère est resté régi par la realpolitik plutôt que
par le raisonnement.
Pourtant, il y avait des exceptions. Essayez une seconde de vous
imaginer à la place de la copine de Mike, une fillette de 7 ans que
j’appellerai Isabella, et voyez comment elle a recadré son problème :
Ma sœur Sofia, qui a 5 ans, me demande toujours de monter regarder la télévision
avec elle. C’est très ennuyeux.

Au début, Isabella sautait à cette conclusion : le problème tenait à la


personnalité de sa sœur. Sofia est une casse-pieds qui aime naturellement
embêter sa pauvre sœur.
Isabella illustrait ainsi ce qu’on appelle l’erreur fondamentale
d’attribution, un phénomène bien connu en psychologie, qui nous mène à
considérer d’instinct que les gens agissent mal parce qu’ils sont,
foncièrement, de mauvaises personnes 94. Ma femme est égoïste. Nos clients
sont idiots. Les gens qui votent pour le camp d’en face sont prêts à détruire
le monde.
Il est facile d’adopter un tel point de vue – en fait, nous le faisons
automatiquement – et, sans intervention extérieure, Isabella aurait
probablement campé sur ses positions. Mais, quand elle s’est mise à
reconsidérer son problème, doucement aiguillonnée par l’un de ses
enseignants, elle est parvenue à des cadrages différents :
Recadrage n° 1 : Comment pourrais-je me sentir moins ennuyée par
Sofia ?
Recadrage n° 2 : Comment faire pour que Sofia soit moins seule ?

Dans le premier recadrage, Isabella tournait son attention vers ellemême


en se demandant comment gérer ses propres émotions. Dans le second, elle
dépassait le simple « elle est ennuyeuse » et faisait quelque chose d’assez
remarquable : considérer sa sœur sous un jour plus aimable, plus humain.
Dans le prochain chapitre, nous verrons de plus près comment vous
pouvez résoudre des problèmes en adoptant le point de vue d’autrui, en
vous efforçant délibérément de mieux le comprendre. Auparavant, nous
allons envisager l’une des sources d’observations les plus négligées : notre
propre contribution au problème.
Regarder dans le miroir : quel est mon propre rôle dans
l’apparition du problème ?

Les stratégies présentées jusqu’ici tendaient toutes à identifier quelque


chose qui restait caché hors du cadre – un point positif, un objectif de
niveau supérieur ou une partie prenante oubliée.
Ce chapitre, au contraire, porte sur un facteur qui tend à se trouver caché
sous vos yeux, au beau milieu du cadre : il s’agit de vous. Quand nous
considérons des problèmes, nous négligeons trop souvent notre propre rôle
dans la situation, en tant qu’individus ou que groupe.
Peut-être n’est-ce pas surprenant. Depuis l’enfance, nous avons appris à
raconter des histoires qui ignorent commodément nos propres actes. Les
fenêtres et les vases se brisent. Les frères et sœurs éclatent en sanglots
spontanément. Les verres de lait, las de leur séjour sur la table, se
précipitent au sol.
Les études montrent que ce comportement perdure sans fléchir à l’âge
adulte 95. Les exemples abondent. Je mentionnerai ici une histoire qui est
(1) très probablement anecdotique et (2) trop bonne pour qu’on ne la
partage pas. En 1977, m’a-t-on dit, un journal a consacré un article aux
déclarations de sinistres rédigées par les conducteurs après un accident de la
route 96 :
« Un piéton m’a heurté et est passé sous ma voiture. »
« Ma voiture était stationnée dans un endroit autorisé quand elle a
reculé dans l’autre véhicule. »
« Alors que j’arrivais à un carrefour, une haie s’est dressée devant moi,
obstruant ma vision. »

Authentiques ou pas, ces citations rendent compte d’une vérité : nous


avons toujours beaucoup de mal à nous voir clairement – et nous omettons
systématiquement de tenir compte de nos actes en cas de problème.

Trois tactiques pour regarder dans le miroir


La bonne nouvelle est qu’on peut y faire quelque chose et parvenir à une
perception plus exacte de soi-même. Voici trois tactiques pour mieux
révéler votre propre rôle dans les problèmes :
1. Explorer votre propre contribution.
2. Ramener le problème à votre niveau.
3. Obtenir une vision extérieure de vous-même.

Mais je dois vous prévenir : cette stratégie peut être plus douloureuse que
les autres. Regarder hors du cadre ou repenser des objectifs n’est pas trop
pénible, trouver des points positifs peut être carrément réjouissant. En
revanche, un regard prolongé sans indulgence dans le miroir – un constat
loyal de votre propre rôle dans la gestion d’un problème – peut être pénible.
Comme un rendez-vous chez le dentiste, certains feront tout leur possible
pour l’éviter.
Conseil : acceptez le malaise. Être capable d’admettre des vérités
pénibles conduit parfois à certaines des solutions les plus libératrices. En
fait, quelques-uns des meilleurs solutionneurs de problèmes que je
connaisse ne se contentent pas d’accepter la souffrance d’une introspection.
Ils la recherchent activement, car ils savent qu’elle est une promesse
d’amélioration 97.
1. Explorer votre propre contribution

Vous est-il arrivé d’utiliser une appli ou un site web de rencontre 98 ?


Dans l’affirmative, vous avez peut-être remarqué que les profils des
utilisateurs évoluent dans le temps, en fonction de leur expérience.
Quand ils créent leur profil, les gens inscrivent les aimables inanités
habituelles : J’aime les petits chiens, la moto et les longues marches sur la
plage. Mais ils ne tardent pas à ajouter des détails qui vous disent quelque
chose de leurs deux ou trois premières rencontres :
Ne vous en tenez pas à « Comment ça va ? » quand vous m’envoyez
un message.
Merci d’être comme sur vos photos.
Tant que vous ne ressemblerez pas à vos photos, je vous laisserai payer
l’addition.

Et puis, il y a les gens « sans prise de tête », qui écrivent dans leur profil
« je ne me prends pas la tête » – ou parfois : « PAS DE PRISE DE TÊTE
!!!!! » Quand vous tombez sur un profil tel que celui-là, surtout la version
en lettres majuscules, vous imaginez une bonne dose de tracas dans leurs
relations passées 99.
Mais pourquoi donc ? Il y a des explications innocentes : ils n’ont pas eu
de chance, ils habitent une région où les faiseurs d’histoires sont
nombreux… Cela étant, on ne peut s’empêcher de soupçonner une
possibilité plus saisissante : ils provoquent eux-mêmes la prise de tête – ou
du moins ils y participent.
Même s’ils ne sont pas à l’origine des ennuis, il est probable qu’ils ont
tendance à choisir des partenaires qui en suscitent – ce qui devrait peut-être
pousser à s’interroger sur les méthodes de filtrage qu’ils utilisent pour
sélectionner leurs rencontres.
Je cite cet exemple parce que notre vie peut contenir quelquefois des
indices du même genre sur le rôle éventuel de notre propre comportement
dans l’apparition d’un problème. Personne ne me parle franchement. En
tout cas, depuis que j’ai viré ce type qui se plaignait tout le temps.
Face à un problème, prenez le temps de vous demander : Est-il possible
que mon (ou notre) propre comportement, à un certain niveau, participe au
problème ?
La DG/Le service juridique/Le contrôle de conformité rejette presque
toutes les idées que nous lui adressons ! Devrions-nous revoir notre
manière de développer ou de présenter nos idées ?
Nos commerciaux sont très négligents. Leurs comptes rendus sont
truffés d’erreurs et transmis en retard. Faudrait-il simplifier les
formulaires de compte rendu ? Pourrions-nous les gérer autrement ?
Nos salariés ont du mal à collaborer les uns avec les autres. Que
faisons-nous, en tant que dirigeants, pour susciter ce comportement ?
Je dois sans cesse demander à mes enfants d’éteindre leurs appareils
électroniques. M’arrive-t-il de le leur demander tout en pianotant sur
mon smartphone ?

Éviter le mot faute

Regarder dans le miroir, vous le sentez probablement, peut être difficile en


pratique. À plus forte raison quand un groupe est en cause – car le problème
vient souvent de quelqu’un qui se trouve dans la pièce. (Ou, pire, le
problème est quelqu’un qui se trouve dans la pièce.)
Un moyen utile pour rendre la discussion plus facile est d’éviter le mot
faute et d’avancer plutôt l’idée de « contribution ». Ce conseil vient d’un
classique du management, Comment mener les discussions difficiles, de
Douglas Stone, Bruce Patton et Sheila Heen, du Harvard Negotiation
Project. Voici ce que m’a confié Sheila :

Demander « à qui la faute ? » peut être problématique, car cela signifie en réalité Qui
s’est fourvoyé et doit être puni ? Le mot faute suggère que quelqu’un a commis un
acte qui était objectivement « mal » – comme violer une règle ou agir de manière
irresponsable. Contribution ne contient pas ce sousentendu : il se peut qu’une
grande partie de votre contribution ait été parfaitement raisonnable et qu’elle n’aille
quand même pas dans le bon sens. Contribution évoque aussi une perspective
davantage tournée vers l’avenir en suggérant ce qu’il faudrait changer pour faire
mieux la prochaine fois. Et, ce qui est capital, le mot implique que les erreurs
résultent en général de l’action de plus d’une personne. Oui, nous avons raté l’avion
parce que vous avez pris la mauvaise sortie. Toutefois, il est vrai que si j’avais
réservé un horaire plus tardif, nous aurions eu une plus grande marge d’erreur 100.

Admettre que plusieurs personnes ont contribué à une erreur ne signifie


cependant pas que leurs contributions sont égales. Il se peut quand même
que le résultat soit surtout dû à l’action d’un seul individu. L’important est
de voir le problème comme un système, afin de repérer toutes les voies
d’amélioration possibles au lieu de s’attacher seulement à ce qu’a fait une
seule personne. Comme le disait l’inimitable statisticien suédois Hans
Rosling, « une fois qu’on a choisi qui taper, on cesse de chercher des
explications ailleurs 101 ».
Voici comment procédait John, un dirigeant de l’industrie pétrolière et
gazière, du temps où il dirigeait une usine :

Si une chose avait mal tourné dans l’atelier, les parties impliquées étaient convoquées
dans mon bureau pour en parler et trouver comment faire mieux. Dans cette
situation, les gens craignent naturellement qu’on leur fasse des reproches et sont
donc un peu sur la défensive – ce qui n’est pas vraiment un bon moyen pour prévenir
des problèmes futurs. C’est pourquoi j’ai pris l’habitude de toujours commencer la
conversation par une requête spécifique : Racontez-moi comment l’entreprise vous a
fait rater 102.

Cette requête avait un effet puissant sur le personnel, qui comprenait que le
patron ne cherchait pas seulement à incriminer quelqu’un. L’esprit d’écoute
de John les incitait à répondre en explorant leurs propres contributions ainsi
que celles qui venaient de l’extérieur. Il en résultait une conversation
productive sur la manière d’éviter que le problème ne se reproduise. En
s’attachant à la contribution plutôt qu’au reproche, et en admettant qu’une
erreur pouvait avoir plusieurs parents, John et ses collaborateurs
réussissaient ensemble à apporter des améliorations significatives à l’usine.
2. Ramener le problème à votre niveau

Il est très tentant de cadrer les problèmes à un niveau où vous ne pouvez


vraiment rien y faire :
Nous ne pourrons innover que lorsque le P-DG décidera d’en faire une
vraie priorité.
Aller plus vite ? Il faudrait d’abord que notre système informatique
soit largement remanié.
Je commencerai à écrire mon best-seller dès que je pourrai m’offrir un
nouveau portable, un traitement de texte professionnel et une demi-
année sabbatique dans un petit chalet au bord d’un lac en Italie 103.

S’obstiner à cadrer un problème au niveau systémique peut conduire à


des tentatives du genre « remuer ciel et terre » ou à une paralysie par pur
fatalisme. Ce que l’écrivain et éditorialiste David Brooks exprime ainsi : «
Faire en sorte qu’un problème ait l’air massivement insoluble pousse vers
une séparation – dresser un mur entre vous et le problème – pas une
solution 104. »
Pour y remédier, rappelez-vous qu’il y a souvent des choses qui peuvent
être faites à votre niveau, même si le problème paraît énorme. La tactique
critique consiste à dégonfler le problème en se demandant : Y a-t-il une
partie du problème sur laquelle je puisse agir ? Puis-je résoudre le
problème à un niveau plus local ?

Un « méchant problème » : la corruption

Songez à la corruption. S’il vous est arrivé de vivre dans un pays qui en
souffre, vous n’ignorez pas que cette pathologie sociale affecte presque tous
les aspects de la société, y compris les normes culturelles – tout le monde le
fait, alors pourquoi pas moi ? – ce qui la rend très difficile à combattre. On
a dit que la corruption était un « méchant problème » 105. Cette expression
n’est pas du parler jeune pour décrire un problème vraiment impressionnant
: elle désigne des défis si complexes qu’ils en sont presque insolubles.
Et pourtant, les gens qui vivent dans un système corrompu trouvent
quelquefois des moyens de faire face à leur niveau. Le cas remarquable du
système de santé ukrainien a été décrit par le journaliste Oliver Bullough.
Les approvisionnements des hôpitaux ukrainiens étaient un foyer de
corruption. Chaque fois que les établissements devaient acheter des
médicaments ou des instruments médicaux, un certain nombre
d’intermédiaires véreux prélevaient leur dîme, ce qui se traduisait par une
envolée des prix et des disparitions d’équipements. Ce serait néfaste dans
n’importe quelle activité. Dans un hôpital, des patients en souffrent
inutilement ; certains en meurent.
La situation s’est brusquement améliorée quand quelques fonctionnaires
du ministère ukrainien de la Santé ont imposé un changement de politique.
Comment ? Ils ont sous-traité l’achat des médicaments à des agences
étrangères dépendant des Nations unies, évinçant ainsi d’un seul coup tous
les intermédiaires corrompus. L’initiative, écrit Bullough, a sauvé des
centaines de vies et permis 222 millions de dollars d’économies 106.
L’Ukraine souffre encore de graves problèmes de corruption. Mais, sur
ce terrain limité, le problème a été en partie résolu parce que des
fonctionnaires, des comptables et des experts de la santé ont décidé de voir
ce qu’ils pourraient faire à leur niveau au lieu d’accepter le statu quo.
Pourriez-vous pareillement recadrer le problème d’une manière qui vous
donne prise sur lui ?
3. Obtenir une vision extérieure de vous-
même

Tasha Eurich, psychologue des organisations, établit dans Insight une


distinction importante entre conscience de soi interne et conscience de soi
externe 107.
Il y a conscience de soi interne quand vous êtes au contact de vos
propres émotions. C’est ce qu’on appelle normalement « se connaître
soi-même » : vous êtes profondément en harmonie avec vos valeurs,
vos objectifs, vos pensées et vos sentiments.
La conscience de soi externe, au contraire, est votre conscience de la
manière dont les autres vous voient. Comprenez-vous l’effet de votre
comportement sur les gens avec qui vous êtes en relation ?

Les deux qualités ne sont pas nécessairement liées, assure Tasha Eurich :
celui qui redescend de sa montagne après six mois de méditation sereine sur
ses valeurs et croyances essentielles peut quand même ignorer
complètement que tout le monde autour de lui le considère comme arrogant
et taciturne *. Pour résoudre les questions de personnes, essayez de devenir
davantage conscient de ce que les autres pensent de vous.

Comment demander un avis sur vous-même


Mon amie et consœur en écriture, la psychosociologue Heidi Grant, a un
truc simple pour y parvenir 108. Trouvez un bon ami ou collègue et
demandez-lui : « La première fois que les gens me rencontrent, quelle
impression penses-tu qu’ils en retirent – et à quel point penses-tu qu’elle
soit différente de ce que je suis vraiment ? »
Comme le dit Heidi, « avec cette question, vous obtiendrez un certain
aperçu immédiat sur des aspects de vous-même dont vous n’êtes peutêtre
pas conscient. Par ailleurs, en l’interrogeant sur les impressions d’un
étranger plutôt que sur les siennes, vous autorisez votre interlocuteur à
exprimer aussi des opinions moins positives ». (Eh bien, Bob, je pense que
les gens risquent de prendre ta médiocrité générale pour de l’incompétence
extrême.)
À propos, vous remarquez sans doute que cette tactique est différente des
autres que je vous ai présentées : elle est centrée moins sur le problème que
sur vous-même. En améliorant votre conscience de vous externe, vous
acquerrez un avantage concernant aussi bien votre problème actuel que tous
les problèmes que vous rencontrerez à l’avenir 109. (Voyez-y une incitation
supplémentaire à tester la question de Heidi.)

Surmonter l’aveuglement du pouvoir

S’il est parfois difficile d’obtenir des avis honnêtes de vos pairs, les obtenir
de vos subordonnés l’est plus encore – et pas uniquement parce que le
déséquilibre du pouvoir risque de nuire à leur sincérité. Adam Galinsky,
psychologue à Columbia University, et ses collègues ont démontré que
détenir du pouvoir amoindrit la capacité à comprendre les points de vue
d’autrui 110.
Pour y remédier et obtenir un point de vue authentique sur un problème
impliquant vos salariés, vous devrez peut-être faire appel à des personnes
extérieures. Voici l’exemple d’une entreprise qui a fait ce choix.

Chris Dame recadre un problème d’ergonomie


Vous vous souvenez de Chris Dame, le designer qui a travaillé sur le
fauteuil roulant de Stephen Hawking ? Voici quelques années, il a été
sollicité par une grande entreprise classée au palmarès Fortune 500. Plus
précisément, son client venait d’acheter une plateforme logicielle
permettant à ses salariés de mettre en commun leur savoir et leurs moyens
sur différents projets. Le problème était qu’en fait personne ne l’utilisait.
Voici ce que Chris m’a relaté 111 :

Après en avoir parlé avec ses salariés, le client est venu nous voir dans l’idée qu’il
avait un problème d’ergonomie. Son personnel lui disait des choses comme : La
saisie des informations est trop compliquée. Je n’ai simplement pas le temps de le
faire. Ce cadrage du problème donnait à penser qu’il fallait simplifier le système, et
c’était plus ou moins ce qu’on attendait de nous.

Mais Chris savait que ce diagnostic devait être remis en question :

D’après mon expérience, quand des clients me font part d’un problème, quatre fois
sur cinq, il faut y revoir quelque chose. Dans peut-être un de ces quatre cas, le
problème qu’ils s’attachaient à résoudre au départ n’était pas du tout le bon.

C’est pourquoi Chris a commencé par organiser une série de petits ateliers
au cours desquels il a pu explorer le problème avec les salariés, en
l’absence des cadres supérieurs.

Une fois que les salariés ont été libres de parler avec un tiers comme moi, en toute
discrétion, un problème très différent est apparu. En gros, les gens avaient
l’impression que la rétention d’information sécurisait leur emploi. En partageant
leur savoir et leurs contacts, ils craignaient d’être remplacés, sans en tirer le
moindre avantage en termes de carrière.
Ce n’était pas une simple impression, a découvert Chris. Dans l’entreprise,
les récompenses et promotions dépendaient principalement des projets
auxquels les gens avaient participé. Tout le monde se bousculait donc pour
être affecté aux projets gagnants sans être un tant soit peu incité à aider les
autres.

Cet éclairage a conduit le client à modifier son système d’incitations.


L’entreprise a instauré une nouvelle métrique, une « note d’expert »
mesurant le nombre de collègues que vous aviez aidés et la satisfaction
qu’ils en avaient tirée. Cette note était visible de tous, ce qui constituait un
hommage public aux meilleurs contributeurs – et la direction générale en a
fait un critère de ses décisions de promotion. Une fois la nouvelle solution
mise en œuvre, les salariés se sont mis à utiliser très efficacement la
plateforme de partage des connaissances.

Note sur l’entreprise consciente de soi

Si les observations de Tasha Eurich et Heidi Grant concernent les


personnes, elles sont tout à fait transposables au niveau des entreprises.
Tout comme les gens, les entreprises peuvent avoir une culture forte et des
valeurs explicitement définies, et ignorer tout de même comment les autres
– à commencer par leurs clients et leurs recrues potentielles – les voient en
réalité.
Souvent, l’image n’est pas flatteuse. À tort ou a raison (souvent à tort, à
mon avis), les grandes institutions – surtout les entreprises à but lucratif
mais aussi les organismes publics – sont généralement vues par le public
sous un jour négatif. Comme aimait à le dire mon collègue Paddy Miller : «
De quand date la dernière fois où vous avez vu un film hollywoodien avec
une grande entreprise dans le rôle du gentil ? »
Pour les gens qui travaillent dans de grandes entreprises, affronter cette
réalité peut être démoralisant. Les salariés des laboratoires pharmaceutiques
consacrent leur carrière à sauver des vies. C’est pourquoi ils sont
profondément troublés quand ils s’aperçoivent que pour certains
consommateurs leurs entreprises sont moins dignes de confiance que les
cigarettiers. Des gens qui entrent dans le service public pour faire le bien se
heurtent à des stéréotypes bien ancrés sur les politiciens et les
fonctionnaires. Des start-up devenues grandes et prospères peuvent se
considérer encore comme des marginales combattives et productives face
aux sociétés installées – alors qu’elles ressemblent de plus en plus à ces
dernières selon leurs clients.
Dans tous ces cas de figure, un regard sans concession dans le miroir est
essentiel pour améliorer les choses – même s’il est douloureux de se
soumettre au processus.

* À ce moment-là, certaines personnes s’écrient : « J’avais un patron comme cela ! » Dans l’esprit de
ce chapitre, vous pourriez aussi vous demander si l’un de vos subordonnés a pu un jour éprouver
le même sentiment.
Résumé du chapitre
Regardez dans le miroir

Revisitez vos propres énoncés du problème. Pour chaque problème, faites


ceci :

Explorez votre propre contribution

Rappelez-vous l’idée avancée par Sheila Heen et ses coauteurs : s’attacher à


la contribution plutôt qu’à la faute. Les problèmes peuvent résulter de
multiples actions humaines, les vôtres y compris.
Demandez-vous : Quel est mon rôle dans l’apparition de ce problème
?
Même si vous ne contribuez pas au problème, demandez-vous si vous
pouvez réagir autrement (rappelez-vous ce qu’Isabella, 7 ans, a fait
avec sa petit sœur).

Ramenez le problème à votre niveau


Les problèmes peuvent se poser à de nombreux niveaux à la fois. La
corruption, par exemple, existe au niveau personnel, à celui des
organisations et à celui de la société. Même si les problèmes ne découlent
pas tous de vos actions – à votre niveau – cela ne veut pas dire pour autant
qu’ils ne peuvent pas être traités à votre niveau, au moins en partie. Quand
un problème paraît trop grand pour être résolu, demandez-vous : Y a-t-il un
moyen de cadrer le problème qui le rende accessible à mon niveau ?

Obtenez une vision extérieure de vous-même

Rappelez-vous le concept de conscience de soi externe : Comment vous


présentez-vous aux autres ? Pour le déterminer plus précisément :
Demandez à un ami d’évaluer la manière dont les étrangers vous
perçoivent.
Si vous êtes un dirigeant – ou si vous explorez un problème au niveau
d’une entreprise – envisagez de vous faire aider par des tiers neutres
afin de bénéficier d’une vision externe à l’organisation.

Enfin, avec ces trois tactiques pour regarder dans le miroir, préparez-
vous à des découvertes déplaisantes. Il faut parfois souffrir un peu pour
trouver le meilleur moyen d’avancer.
Chapitre 8
Adopter leur perspective
Problème : les affiches ont-elles fonctionné
?

Quand je visite des immeubles de bureaux, les ascenseurs ne sont pas seuls
à accrocher mon regard. Je suis également fasciné par les affiches de
communication interne – tous ces avis qu’on placarde dans les couloirs et
les salles de réunion pour informer ses collègues sur ce qui se passe dans
l’entreprise.

Histoire de trois projets

Sur la page suivante, vous verrez en guise d’exemples des croquis


d’affiches de ce genre, empruntés à trois sociétés différentes classées au
palmarès Fortune 500 pour lesquelles il m’est arrivé de travailler. (Les deux
du bas sont issus du même projet.) Dans les trois cas, une équipe interne
essayait de convaincre ses collègues de participer à une nouvelle opération
sur le web.
Étudiez les affiches l’une après l’autre. Pour chacune, commencez par
vous demander si elle a fonctionné ou pas : les gens ont-ils adhéré au
service ? Ensuite, analysez pourquoi. Qu’y a-t-il sur chaque affiche qui
vous fasse penser soit Oui, cela a marché, soit Non, les gens ne se sont
probablement pas inscrits ? Petite indication : l’une d’elles au moins a
réussi, et une au moins a échoué. Avec aussi peu d’informations, bien sûr, il
n’y a pas de honte à avoir si vous vous trompez.
Les réponses au problème de l’affiche seront indiquées une par une dans
le courant de ce chapitre.
L’art de se comprendre mutuellement

De telles affiches me fascinent car elles démontrent la capacité de chaque


équipe à comprendre les gens qu’elles essaient de toucher. Découvrir
comment les autres voient le monde – en particulier, en quoi ils le voient
autrement que nous – est peut-être la forme de recadrage la plus
fondamentale qui soit, ce qui est capital dans nombre de défis que nous
relevons, au travail, à la maison et dans le monde.
Malheureusement, nous ne sommes pas très doués pour comprendre le
point de vue des autres. Comme dans le film Matrix, c’est comme si nous
faisions fonctionner une simulation d’autrui dans notre propre tête – sauf
qu’elle est souvent fruste et anémique, ce qui nous vaut toutes sortes de
problèmes car nous faisons des paris ratés sur ce que nos amis, clients et
collègues pensent et ressentent vraiment.
Heureusement, notre capacité à comprendre les autres n’est pas un trait
immuable, figé. Des études ont montré que nous pouvons améliorer notre
compréhension des autres – ce qui prélude à de meilleurs résultats 112.
Alors, comment s’y prendre ?
L’un des moyens est bien sûr de sortir de chez soi et de fréquenter les
gens en question : si vous voulez mieux connaître quelqu’un, le voir
davantage est, ce n’est pas surprenant, une bonne idée (validée par des
études) 113.
En même temps, la fréquentation ne constitue qu’une partie de la
réponse. Si une fréquentation régulière suffisait, nos patrons nous
comprendraient très bien, tandis que notre conjoint et notre famille nous
comprendraient parfaitement. Mais, les conflits familiaux le démontrent, il
est possible de passer sa vie entière avec quelqu’un tout en restant
hermétique à son point de vue.

La stratégie : adoptez leur point de vue


C’est là que la prise de perspective intervient. Si la fréquentation est l’acte
matériel de sortir de chez soi et d’investir du temps pour connaître
quelqu’un, la prise de perspective en est l’équivalent cognitif : investir de
l’énergie mentale dans une réflexion attentive sur ce qu’on ressentirait à la
place d’une personne, et ce à quoi un problème ou une situation donnés
pourraient ressembler de son point de vue 114.
C’est ce qu’on appelle généralement l’« empathie », mais la prise de
perspective va au-delà. Dans la littérature scientifique, l’empathie est
habituellement définie comme votre capacité à sentir ce que quelqu’un
d’autre ressent. La prise de perspective, en comparaison, est un phénomène
plus large, cognitivement plus complexe, dans lequel vous cherchez à
comprendre le contexte et la vision du monde d’une autre personne – pas
seulement ses émotions immédiates.
Pour illustrer la différence, imaginez que votre voisin construise une
clôture et s’écrase le doigt d’un coup de marteau. L’empathie consiste à
ressentir sa douleur au moment où il frappe. La prise de perspective
consiste à comprendre pourquoi il croit devoir construire une clôture. (Vous
pourriez aussi rencontrer le terme sympathie, qui est de ressentir de la pitié
ou de la compassion pour lui sans nécessairement ressentir sa douleur.)
La prise de perspective n’est pas seulement un supplément utile à
l’exposition ou à d’autres formes de contacts dans le monde réel (dont
certaines seront abordées dans le prochain chapitre). Elle en est souvent une
condition préalable. En effet, si vous pensez que vous comprenez déjà les
gens, pourquoi perdriez-vous votre temps à leur parler ? Quelquefois, la
prise de perspective peut être la seule option viable, car vous n’avez pas
forcément le temps, ni même l’occasion, de vous trouver davantage au
contact des gens. (Vous n’en aurez certainement pas le temps pendant les
dix minutes d’une discussion de recadrage, à moins que quelqu’un n’ait eu
la bonne idée de les inviter à y participer.)
Voici trois étapes cruciales pour une bonne prise de perspective :
1. Veillez à ce qu’elle ait lieu.
2. Fuyez vos propres émotions.
3. Recherchez des explications raisonnables.
1. Veillez à ce qu’elle ait lieu

En matière de prise de perspective, l’erreur la plus fréquente n’est pas de


s’y prendre mal. C’est de ne rien faire du tout. Nicholas Epley, chercheur en
pointe sur le sujet, le dit ainsi dans un article coécrit avec Eugene Caruso : «
Il n’y a pas de barrière plus immédiate à une prise de perspective correcte
que de ne rien faire du tout 115. »
De nombreuses études l’ont montré, nous avons du mal à activer notre
simulateur d’autrui. Deux chercheurs, Yechiel Klar et Eilath E. Giladi, en
ont fourni un exemple mémorable. Ils ont posé cette question à des
étudiants : « À quel point êtes-vous heureux en comparaison de l’étudiant
moyen ? » Force est de constater que les étudiants ne répondaient pas
réellement à la question. Apparemment, ils répondaient plutôt à cette
question bien plus simple : « À quel point êtes-vous heureux ? » Ainsi, cela
leur évitait complètement d’avoir à se demander à quel point les autres
étudiants pouvaient être heureux. Se mettre à la place de quelqu’un d’autre
est un comportement actif, comme appuyer sur un interrupteur 116.
Compte tenu de cette analyse, considérez à nouveau l’affiche du
baromètre représentée ici. Y a-t-il quelque chose qui vous frappe dans les
choix de communication ?
Je vois deux erreurs. L’une est subtile : le baromètre d’adoption indique
environ 30 %. Le message sous-jacent, c’est que la majorité de leurs
collègues n’ont pas apporté leur soutien à l’opération. Comme le détaille le
psychologue Robert Cialdini, entre autres, ce type de preuve sociale
négative risque fort de nuire au taux d’adhésion 117.
La seconde erreur est plus évidente : le message ne se focalise que sur les
besoins de son émetteur. L’équipe qui a créé l’affiche essayait sincèrement
d’aider les gens. Cependant, d’après son affiche, un observateur même peu
attentif pourrait en conclure qu’elle ne se souciait que d’elle-même. «
Aidez-nous à atteindre notre objectif ! » Imaginez qu’une entreprise en
fasse autant dans sa publicité externe : L’Oréal – Parce que nous voulons
votre argent.
Demander ainsi de l’aide peut fonctionner si les gens s’identifient
fortement à l’émetteur, ou si l’objectif est majoritairement considéré comme
une Grande cause, avec un G majuscule : Aidez-nous à atteindre notre
objectif de zéro mort sur la route. Sinon, il vaut mieux cadrer votre message
autour des besoins du récepteur.
Les auteurs de l’affiche étaient talentueux, et leur projet a fini par
aboutir, en partie parce qu’ils se sont attachés à construire un bon service.
Quand ils essayaient de le faire connaître, cependant, ils revenaient
machinalement à leur point de vue égocentrique au lieu de réfléchir à leur
public. C’est pourquoi leur opération n’a pas été adoptée aussi vite qu’ils
l’auraient souhaité.
Pour éviter ce piège, il convient lors de la première étape – la plus
importante – simplement de veiller à ce que la prise de perspective ait lieu
118. Voici comment :

Quand vous avez décrit votre problème à l’étape Cadrer, vous


souvenez-vous que je vous ai aussi demandé de dresser la liste des
parties prenantes ? Pour celles que vous avez identifiées – y compris
celles que vous avez peut-être ajoutées après avoir regardé hors du
cadre – tâchez d’accomplir de vrais efforts pour comprendre chacune
d’elles.
Si vous n’utilisez pas le canevas du recadrage, veillez à ce que la
formule que vous employez, quelle qu’elle soit, comporte une étape
déclenchant la prise de perspective.
2. Fuyez vos propres émotions

Réfléchir délibérément aux parties prenantes n’est qu’un début. Comme


l’ont décrit deux célèbres économistes du comportement (et penseurs clés
du recadrage), Daniel Kahneman et Amos Tversky, une prise de perspective
efficace comprend deux parties : l’ancrage et l’ajustement 119.
L’ancrage est ce qui se passe quand vous mettez en marche votre
simulateur d’autrui. Pour découvrir ce que les autres pensent et sentent,
vous vous imaginez à leur place et vous vous demandez : « Que
ressentirais-je si j’étais dans leur situation ? »
L’ancrage vaut mieux que rien, mais il a un défaut évident : les autres ne
pensent pas tous comme vous. Imaginez un dirigeant de haut rang qui
prépare un discours : Si j’étais un salarié du bas de l’échelle, que
m’inspirerait la réorganisation que nous allons annoncer ? Eh bien, un peu
d’hésitation peut-être, mais surtout je serais vraiment enthousiasmé par les
nouvelles opportunités qu’elle pourrait apporter ! Après tout, en début de
carrière, ce dirigeant a bénéficié de sa première véritable opportunité à la
faveur d’une réorganisation – et peut-être n’a-t-il jamais été dans une
situation où il aurait perçu un licenciement comme un événement
catastrophique 120.
C’est là qu’intervient l’ajustement. Ajustement signifie s’ajuster en
s’écartant de ses propres préférences, expériences et émotions, en se
demandant : « En quoi les autres pourraient-ils voir les choses d’une façon
différente de la mienne ? »
Si j’étais dans la situation de mon concurrent, je considérerais cela
comme une excellente opération. Mais peut-être sait-il quelque chose
que j’ignore.
Si j’habitais dans cette zone, ma priorité numéro un serait d’améliorer
les écoles locales. Mais peut-être les électeurs ont-ils à l’esprit des
problèmes plus importants.
Si j’étais mes meilleurs amis, je serais enthousiasmé à l’idée d’aller
fêter l’obtention de mon diplôme à Paris ! Mais bon, je sais que
certains d’entre eux ont des fins de mois difficiles et préféreraient
peut-être un lieu moins coûteux.
Quand j’avais 8 ans, j’aurais joué pendant des heures avec cette
voiture de pompiers ! Mais peut-être un enfant de 8 ans est-il un peu
plus blasé aujourd’hui devant les jouets qui ne sont pas connectés à
l’internet.

Il arrive que des gens fonctionnent bien à l’ancrage, mais pas du tout à
l’ajustement 121. Des études ont montré que des personnes distraites ou
pressées, par exemple, ou simplement pas conscientes de la nécessité de
s’ajuster, risquent davantage de parvenir à de mauvaises conclusions. Elles
ont aussi moins de chances de se rappeler que des groupes de gens peuvent
réagir différemment et non comme une seule entité cohérente.

L’affiche de lancement d’un essai

À présent, revenons sur l’affiche de lancement d’une expérience pilote. Que


vous inspire-t-elle, compte tenu de ce que nous venons de voir ?
Cette affiche n’a pas réussi à convaincre les gens. En fait, l’ensemble du
projet a été finalement abandonné faute d’utilisateurs. Et même si l’histoire
dans son entier est trop compliquée pour qu’on la relate ici, un facteur clé a
été l’incapacité de l’équipe à comprendre que ses collègues ne voyaient pas
le projet de la même manière qu’elle.
Considérez l’invitation à l’action : « Soyez le premier à l’utiliser. »
Clairement, l’équipe avait fait un certain effort de prise de perspective en se
demandant : « Si je travaillais ici, qu’est-ce qui me convaincrait d’adhérer ?
» (Cela, c’est la partie ancrage.) Seulement, elle était parvenue à cette
réponse : Eh bien, les gens aiment être des pionniers – ce sera un excellent
argument de vente !
C’était probablement vrai pour les membres de l’équipe (qui, après tout,
s’apparentaient à des pionniers puisque le projet était nouveau). Toutefois,
d’après les études sur la diffusion des innovations, seulement 2,5 % des
gens aiment jouer les cobayes 122. Les autres – vingt-quatre personnes sur
vingt-cinq – préfèrent que quelqu’un ait testé l’innovation avec succès
avant de l’adopter.
Remarquez aussi comment l’affiche présente l’opération : « une
expérience professionnelle unique et sans précédent ». Clairement, l’équipe
était enthousiasmée par son projet et la manière de travailler totalement
nouvelle qui pourrait en résulter. Son erreur était de considérer que tout le
monde partagerait son enthousiasme. Rares sont les gens qui le matin au
réveil se disent : Ce qui me fait vraiment envie maintenant est une tasse de
café chaud et une expérience professionnelle unique et sans précédent. La
plupart d’entre nous essaient juste de faire leur travail.
Au passage, le sort de ce projet témoigne aussi que la visibilité ne suffit
pas. Que quelqu’un basé dans un siège lointain ne comprenne pas vraiment
ses salariés de base sur le terrain, c’est une chose. L’équipe projet, en
revanche, travaillait dans le même bureau que les gens qu’elle essayait – en
vain – de convaincre 123.
Une bonne prise de perspective requiert un effort sincère, ciblé et
délibéré. L’idée d’un puits de gravité psychologique est une métaphore
utile. De même qu’une fusée a besoin d’énergie pour échapper à la gravité
de la Terre et atteindre son orbite, vous devez dépenser de l’énergie pour
vous élever au-dessus de vos propres émotions et points de vue. Si vous ne
le faites pas, vous demeurez impuissant, enfermé dans votre propre
perspective. Pour éviter cet écueil, voici trois choses que vous pouvez
essayer :
Ne vous arrêtez pas à la première bonne réponse. Quand vous
essayez de deviner les pensées d’autrui ou de comprendre ses motifs,
allez au-delà de votre première réponse, même si elle vous semble
exacte. L’étude de Nicholas Epley et de ses collègues a montré que «
les ajustements tendent à être insuffisants, en partie parce que les gens
cessent de s’ajuster une fois qu’une estimation plausible est atteinte ».
Vous obtenez de meilleurs résultats si vous allez au-delà de la première
réponse apparemment correcte 124.
Examinez le contexte des gens, pas seulement leurs émotions. Quand
vous essayez de comprendre le point de vue d’autres personnes, ne
vous attachez pas seulement à leurs émotions. Considérez aussi ce
qu’est leur contexte, ce qu’elles savent ou pas et autres aspects non
psychologiques de leur existence.
Demandez explicitement aux gens de s’écarter de leur propre
perspective. Lors d’une étude menée sur 480 responsables marketing
expérimentés, le chercheur Johannes Hattula a constaté qu’il pouvait
les amener à mieux prédire les désirs des consommateurs simplement
en leur demandant de s’écarter de leur propre point de vue 125. Dites
quelque chose comme : « Rappelez-vous que les gens peuvent avoir un
ressenti différent du vôtre. Essayez d’oublier vos propres préférences
et de vous concentrer uniquement sur ce qu’ils pourraient penser. »

Le projet pfizerWorks

Il existe aussi une autre démarche de prise de perspective. Cependant, avant


de la présenter, je voudrais comparer les deux premiers projets et le
troisième – lequel, comme vous pouvez vous en douter, a été un succès. Il
s’est déroulé chez Pfizer. À vrai dire, vous avez déjà découvert une partie
de l’histoire au chapitre 6, quand nous avons présenté le travail de Jordan
Cohen et Seth Appel en vue de trouver des analystes maîtrisant les normes
de communication occidentales 126. (Vous vous en souvenez sans doute,
pfizerWorks permettait aux nombreux collaborateurs de Pfizer de déléguer
les parties ennuyeuses de leur travail à des analystes lointains.)
D’une certaine manière, les prévisions étaient en défaveur de
pfizerWorks : l’équipe était basée au siège, loin des salariés de terrain
qu’elle visait. Pourtant, la campagne a réussi. Le service a fini par
convaincre plus de dix mille utilisateurs chez Pfizer ; quelques années après
sa création, il était considéré comme le plus utile au sein de l’entreprise.
D’où vient donc la différence ? Voici quatre éléments clés qui ont fait
que l’équipe a bien abordé la prise de perspective.
Connaissance par procuration. Jordan Cohen, fondateur du projet,
s’est aperçu que, homme du siège, il ne comprenait pas entièrement à
quoi ressemblait la vie des salariés de terrain. Il a donc embauché
Tania Carr-Waldron, cadre influente dotée de vingt ans d’expérience
commerciale chez Pfizer. Sa présence a apporté un moyen d’intégrer à
l’équipe la perspective de l’utilisateur. (Imaginez la différence si
l’équipe de l’« expérience professionnelle unique et sans précédent »
en avait fait autant.)
Ancrez-vous dans les « problèmes ressentis » de leurs utilisateurs.
Les gens n’ont cure de votre solution. Ils se soucient de leurs propres
problèmes. Sachant cela, il est évident que les affiches de l’équipe ne
titraient pas sur les aspects merveilleux du service. Elles décrivaient
plutôt les problèmes éprouvés au quotidien par les salariés (et que
pfizerWorks pouvait aider à résoudre) : Je dispose de dix-huit heures
pour que ces documents soient prêts. Elles ont ainsi capté l’attention
des gens bien plus efficacement que quoi que ce soit d’autre.
Utilisez une preuve sociale. L’équipe savait que la plupart des gens
veulent être rassurés avant de tester des nouveautés. Comme le relate
Jordan :

Quand nous avons lancé pfizerWorks dans un nouveau bureau, nous n’avons
pas commencé par les affiches. Nous avons d’abord prié une ou deux
personnes de ce bureau d’essayer le service. S’il leur plaisait, nous leur
demandions : « Seriez-vous d’accord pour que nous fassions une affiche sur
laquelle vous figureriez, ici même, dans le bureau ? » Ainsi, en passant devant,
les gens réalisaient qu’une de leurs connaissances utilisait déjà le service.
Nous leur demandions aussi de signer les affiches pour les rendre plus
personnelles. Cela a été déterminant pour amener les gens à faire l’essai.

Différents cadrages pour différents publics. Le message aux salariés


du rang était simple : Utilisez-nous et vous n’aurez pas besoin de
bosser sur ce rapport dimanche. Mais Jordan devait aussi vendre le
projet à ses collègues haut placés du siège. Pour ce faire, il a tenu
compte de leur contexte :

J’ai d’abord envisagé de vendre l’idée comme une mesure de réduction des coûts :
après tout, le potentiel d’économies pour l’entreprise se chiffrait en millions de
dollars. Néanmoins, dans une entreprise comme Pfizer qui fait des milliards de
chiffre d’affaires, cela n’aurait épaté personne. Ce qui comptait vraiment était la
productivité – de sorte que le message qui les sensibilisait était : Nos collaborateurs
les plus talentueux et les mieux payés gaspillent trop de temps en travaux à faible
valeur ajoutée. Imaginez à quel point ils seraient plus productifs si nous les
débarrassions d’une partie de ce travail fastidieux.
3. Recherchez des explications raisonnables

À Copenhague, où je suis né, il y avait des parcmètres alignés dans les rues
à intervalle régulier. Après avoir garé votre voiture, vous deviez aller
jusqu’à l’appareil le plus proche et y glisser de l’argent pour obtenir un
ticket en papier. Vous le preniez et vous retourniez à votre véhicule pour le
placer derrière le pare-brise, afin de repousser les amendes comme une
gousse d’ail repousse les vampires. Dans ma rue, Gothersgade, les appareils
placés des deux côtés de la rue se faisaient face par paires.

Cette disposition m’a d’abord inspiré un peu d’agacement.


Inévitablement, le seul emplacement libre se trouvait à égale distance des
deux appareils, ce qui m’obligeait à une déambulation pénible dans un sens
puis dans l’autre. Voilà bien les urbanistes ! N’auraient-ils pas pu voir qu’il
était bien plus productif de décaler l’emplacement des parcmètres pour
limiter la distance à parcourir ?

Cette pensée faisait de moi un exemple vivant d’erreur fondamentale


d’attribution. Souvent, face à un désagrément, on commence par se dire que
ses responsables sont stupides ou négligents, ou même pervers. L’effet est
exacerbé quand, sans les connaître, on n’est en contact qu’avec les systèmes
qu’ils ont conçus.
La vérité est plus compliquée. Oui, il y a des gens qui installent des
systèmes sans vraiment se soucier des besoins de l’utilisateur final. Oui, il
arrive que ces gens ne soient pas très futés. Et oui, vous rencontrerez aussi
des systèmes qui n’ont pas été conçus au mieux de vos intérêts, surtout
quand des motivations commerciales entrent en jeu. Tout aussi souvent,
cependant, il y a une explication raisonnable derrière les actions des autres :
quelque chose que vous auriez pu faire si vous aviez été à leur place.
Prenez les emplacements des parcmètres. Les placer face à face était
peut-être optimal pour des raisons techniques ou économiques, ou encore
pour faciliter le travail du personnel chargé de collecter la recette. En
réalité, il y avait une bien meilleure raison qui obéissait en fin de compte à
mon intérêt direct : ils étaient placés ainsi pour dissuader les gens de
traverser la rue. (Vous connaissez sans doute ce principe – celui des
téléphones d’urgence qui ponctuent les autoroutes. Eux aussi sont placés
face à face, par paires, afin d’éviter que les automobilistes en détresse ne
traversent les voies au risque de se faire écraser.)

Les avantages d’une vision bienveillante

Cette anecdote vise à illustrer une idée capitale : quand l’ancrage et


l’ajustement ne suffisent pas à procurer de nouveaux points de vue, une
autre méthode peut être utile : partir de l’hypothèse que les gens essaient de
bien faire (ou, du moins, qu’ils n’essaient pas inlassablement de vous
embêter) 127.
Posez-vous des questions telles que :
Cela pourrait-il avoir une explication innocente ?
Dans quelles circonstances aurais-je fait la même chose ?
Et s’ils n’étaient pas stupides, négligents ou pervers ? Et s’il s’agissait
en fait de bonnes personnes cherchant à faire de leur mieux ?
Se pourrait-il qu’ils agissent au mieux de mes intérêts ?
Pourraient-ils penser, du moins, que tel est mon intérêt parce que je ne
leur ai pas dit quels sont mes vrais intérêts ?

Quand il existe une explication innocente – peut-être le problème vient-il


d’une tierce partie ou d’un simple malentendu – une approche très punitive
est manifestement injuste, et les études montrent qu’elle risque
d’enclencher une spirale de comportements négative 128.
Autre type d’explication : le comportement des gens obéit à leur propre
logique, même s’il pose problème globalement 129. Comme il est difficile
de reprocher aux gens d’agir dans leur propre intérêt – en supposant qu’ils
ne soient pas foncièrement malhonnêtes – il vaut mieux recadrer ces
problèmes comme des problèmes systémiques que comme des problèmes
humains.
Rechercher de telles explications raisonnables ne signifie pas
nécessairement qu’on doit « pardonner » à autrui ou en profiter pour laisser
le problème en l’état. Il se peut quand même que la situation soit
inacceptable et que les bonnes intentions n’excluent pas la négligence chez
ceux qui ne réalisent pas l’impact réel de leurs actions.
Cependant, en recherchant explicitement des explications raisonnables et
en essayant sincèrement de comprendre ce que pensent les autres, vous
aurez une meilleure chance de résoudre la situation positivement. Même
quand vous devez obtenir que des gens changent de comportement, la
conversation est souvent plus facile si vous commencez par reconnaître
leurs bonnes intentions avant de critiquer l’impact réel de leurs actes. (C’est
dans une bonne intention, je le comprends, que vous avez remis à votre fille
un pistolet à colle, mais…)

« Ça doit devenir viral »

Voici un exemple illustrant l’utilité de la recherche d’explications


raisonnables, celui de Rosie Yakob, cofondatrice de l’agence de publicité
Genius Steals.
Au début de sa carrière, alors qu’elle dirigeait la branche médias sociaux
du groupe publicitaire international Saatchi & Saatchi, une cliente interne
l’avait appelée à l’aide : elle voulait communiquer sur Facebook et priait
Rosie de monter une campagne pour son public. Voici la suite, racontée par
Rosie 130 :

Il était clair dès le début que la cliente ne comprenait pas vraiment le fonctionnement
des médias sociaux. Par exemple, elle était obsédée par l’idée d’avoir une vidéo
YouTube qui « devienne virale », ce qui paraît séduisant vu de l’extérieur bien
entendu. Néanmoins, d’après notre expérience, nous savions que la participation
réelle des utilisateurs – plutôt que de simples affichages passifs – était un critère de
succès bien meilleur, et nous avons donc conçu une campagne à cet effet.

La cliente continuait néanmoins à réclamer une vidéo virale. Rosie prit


donc le temps de lui expliquer les subtilités des médias sociaux :

Nous avons rassemblé quantité d’exemples et d’études de cas et organisé une réunion
téléphonique avec la cliente afin de lui expliquer pourquoi notre approche était la
bonne. Elle a parfaitement compris et reconnu que nous avions raison – pour
finalement conclure la conversation par : « Et vous allez vous débrouiller pour que
cette vidéo devienne virale, n’est-ce pas ? » C’était extrêmement gênant. Nous nous
arrachions les cheveux devant la stupidité de cette cliente. Elle nous demandait
quelque chose qui ne rimait à rien.

À y réfléchir, cependant, Rosie commençait à se poser des questions. La


cliente certes ignorait tout des médias sociaux, mais ne paraissait pas
stupide pour autant. Y avait-il autre chose ? Pour le savoir, Rosie l’invita à
prendre un verre. Et c’est là que la vérité apparut, après deux Martini : la
cliente aurait droit à une prime si elle obtenait un million de vues sur
YouTube.

Une fois que nous avons compris la situation, nous avons changé de tactique. Et si
nous achetions un million de vues – pas chères, pas ciblées, uniquement pour qu’elle
touche sa prime – en allouant le reste du budget à des choses que nous savions
importantes ? Elle a accepté, et nous avons finalement obtenu son feu vert pour
lancer la campagne. Sans être idéale, il s’agissait de la meilleure solution possible
étant donné la situation – et la campagne a produit ses résultats.

En comparaison des subtilités offertes par d’autres stratégies, la prise de


perspective a un côté étonnamment primaire : Veillez à tenir compte des
autres. Ne confondez pas vos préférences et les leurs. Oh ! et puis voyez s’il
s’agit véritablement de bonnes personnes qui essaient de faire de leur
mieux. Quand j’y songe, je me dis : Dans l’ensemble, nous sommes des
gens plutôt intelligents. Avons-nous vraiment besoin qu’on nous dise ce
genre de choses ?
Puis je m’en vais regarder les affiches dans la grande entreprise la plus
proche – qui regorge de gens intelligents et talentueux – et j’en trouve
aisément trois mauvaises pour une bonne. Tant que ce ratio n’aura pas été
inversé, je continuerai à marteler ce leitmotiv. La prochaine fois que vous
serez au bureau, regardez vous-même, et si vous en remarquez une
particulièrement bonne (je veux dire mauvaise), merci de me l’adresser. Je
commence une collection.
Résumé du chapitre
Adoptez leur perspective

La prise de perspective est une stratégie qui consiste à prendre délibérément


le temps de comprendre les autres, juste pour éviter de mal les juger – eux
et leurs actions. En acquérant l’habitude d’explorer les problèmes selon la
perspective de chacune des parties prenantes, vous parviendrez à mieux
échapper au puits de gravité de votre propre vision du monde.
Dans cette optique, suivez les étapes que nous avons présentées :

1. Veillez-y

Vous vous tromperez sur les autres tant que vous ne ferez pas l’effort
sincère de les comprendre. Évitez cet écueil à l’aide d’une carte des parties
prenantes.
Dressez la liste des groupes ou personnes impliqués dans le problème.
N’oubliez pas de rechercher aussi les parties prenantes cachées,
comme nous l’avons noté à propos de la stratégie « Regarder hors du
cadre ».
Pour chaque partie prenante, interrogez-vous sur ses besoins, ses
émotions et son point de vue général. Cette personne, quels sont ses
problèmes ? Ses objectifs ? Ses croyances ? Son contexte ? De quelles
informations dispose-t-elle ?

2. Fuyez vos propres émotions

Quand vous cartographiez les besoins des parties prenantes, essayez


délibérément de vous écarter de votre propre perspective. Si vous le faites
en groupe, rappelez à ses membres que les gens peuvent ressentir autre
chose qu’eux. Mentionnez ce que dit Johannes Hattula :

Les études ont montré que les gens, quand ils essaient de comprendre les autres, sont
trop centrés sur leur propre perspective. Essayez de mettre de côté vos propres
préférences. Attachez-vous seulement à ce que les autres peuvent ressentir et penser.

En intégrant Tania Carr-Waldron dans l’équipe de pfizerWorks, Jordan


Cohen a mis la main sur un élément précieux qui comprenait les pensées et
sentiments du personnel de terrain chez Pfizer. Cela a aidé l’équipe à créer
un service utile dirigé vers les vrais problèmes. Si vous ne disposez pas
vous-même des contacts nécessaires, pouvez-vous y remédier en vous
appuyant sur quelqu’un comme Tania ?

3. Recherchez des explications raisonnables

Mis devant le problème de l’ascenseur lent, la plupart des gens se disaient


simplement que les locataires étaient paresseux ou impatients. Peu
réfléchissaient à leurs bonnes raisons de protester : risqueraient-ils d’arriver
en retard à une réunion importante ?
De la même manière, rappelez-vous que la plupart des gens se
considèrent comme des personnes bonnes et raisonnables. Pour éviter de
succomber à des stéréotypes négatifs et à des raisonnements cyniques,
demandez-vous quelles explications raisonnables pourraient générer les
comportements que vous constatez :
Une explication innocente est-elle possible ?
Les autres ont-ils des raisons valables d’agir comme ils le font – des
raisons qui ne relèvent pas de la stupidité ou de mauvaises intentions ?
Est-il possible qu’ils agissent en fait au mieux de mes intérêts – ou
qu’en tout cas ils le pensent ?
Pourrait-il y avoir un problème systémique ou un problème
d’incitation au lieu d’un problème de personnes ?
Chapitre 9
Avancer
Fermer la boucle

Kevin Rodriguez rêvait d’ouvrir une boutique de glaces à New York. Il y


vendrait les délicieuses crèmes glacées italiennes, dont il était friand.
Il se trouvait être un bon ami d’Ashley Albert, la créatrice d’entreprise
qui avait fondé le Royal Palms Shuffleboard Club. Naturellement, il lui a
demandé de l’aider à réaliser son rêve.
Ce rêve, il n’a pas fallu huit heures à Ashley pour l’anéantir.
Il lui a suffi d’inviter Kevin à parcourir la ville en sa compagnie pour
visiter des boutiques de crèmes glacées et bavarder avec leurs propriétaires.
Voici ce qu’elle m’a raconté 131 :

Toute la journée, où que nous allions, nous n’avons pas trouvé un seul endroit sans un
glacier à proximité. Et quand nous discutions avec le propriétaire, il était clair que
l’affaire n’était pas très rentable : la plupart des boutiques vivotaient en vendant du
café. D’après ces visites, une seule chose était absolument claire : ce n’était pas un
problème qui méritait qu’on le résolve.

À première vue, briser le rêve de quelqu’un semble détestable. Maintenant,


considérez l’autre facette de la question : Kevin aurait pu aller de l’avant,
lancer sa gelateria, investir ses économies et quelques années de sa vie dans
une affaire qui ne décollerait jamais. En insistant sur une idée simple –
sortons voir comment les choses se passent pour les propriétaires de
boutiques de crèmes glacées – Ashley a permis à Kevin de réorienter son
énergie vers un problème plus prometteur (ce qu’il a fait – si vous êtes
curieux de savoir comment, voyez les notes de fin).

Testez votre problème

C’est bien connu : avant de vous lancer, vous devriez tester votre solution.
Ce qui est moins connu, c’est qu’avant de tester votre solution, il faudrait
veiller à tester votre problème. À l’instar d’un médecin qui effectue
quelques analyses pour confirmer son diagnostic avant d’opérer, les bons
solutionneurs tâchent d’obtenir la confirmation qu’ils ont correctement
cadré le problème avant de revenir en mode solution.
Ce point est central, car le processus de test d’une solution peut vite
devenir à lui seul très chronophage. Dans l’enthousiasme de la création
d’une solution, il n’est que trop facile de se dire : Hum, quel nom vais-je
donner à ma boutique de glaces ? Créer un groupe de focus serait-il utile ?
Quel genre de glaces devrais-je vendre ? Et comment sera le décor – dois-
je demander une maquette à un décorateur ? Pour les solutions techniques,
la tentation est encore plus grande : Pouvons-nous vraiment créer ce gadget
tout à fait formidable dont je rêve ? Enfermons-nous dans le labo
d’ingénierie pendant huit heures pour faire un essai.
Pire encore, tester des solutions risque de susciter une mauvaise forme de
dynamique sans rapport avec l’éventuelle validité du problème. Une fois
que vous avez trouvé le nom idéal pour votre boutique, il devient beaucoup
plus dur de revenir en arrière et de vous demander si, avant toute chose,
c’est une bonne idée d’en ouvrir une.
Il convient donc d’éviter ce genre de situation. Pour ce faire, la dernière
étape du processus de recadrage consiste à prévoir comment vous validerez
le cadrage de votre problème par un essai en situation réelle. Cette
précaution ferme la boucle de recadrage (pour le moment) et ramène les
gens en mode solution. Elle est comparable à la préparation d’une action,
mais avec un but particulier : vérifier que vos efforts sont orientés dans la
bonne direction.
Je vais à présent vous indiquer quatre méthodes spécifiques de validation
du problème :
1. Décrire le problème aux parties prenantes.
2. Se faire aider par des tiers.
3. Imaginer un essai grandeur nature.
4. Envisager de « prétotyper » la solution.
1. Décrire le problème aux parties prenantes

Quand il discute avec des preneurs d’otages armés, Chris Voss, négociateur
au FBI, a recours à une technique simple et pourtant très efficace :
l’étiquetage. Il la décrit ainsi 132 :

Si vous avez trois fugitifs piégés dans un appartement au vingt-septième étage d’un
immeuble de Harlem, vous savez sans qu’ils aient besoin de dire un mot que deux
choses les tracassent : se faire tuer et aller en prison.

Voss ne commence pas la conversation en essayant de les convaincre de


faire quoi que ce soit : vous ne pouvez pas vous échapper, alors déposez vos
armes et sortez, ou ça va très mal se passer ! Il commence plutôt par
étiqueter leurs peurs, avec un vocabulaire très spécifique :

Il semblerait que vous ne vouliez pas sortir. On dirait que vous avez peur de vous faire
mitrailler si vous ouvrez la porte. On a l’impression que vous ne voulez pas retourner
en prison.

Comme Voss le souligne, il y a quelque chose de fort à entendre décrire


votre problème correctement. Comme nous l’avons vu avec les affiches de
pfizerWorks – ces documents doivent être prêts sous dix-huit heures ? –
quand quelqu’un montre qu’il comprend votre problème, cela suscite la
confiance et ouvre la voie à la collaboration. Voss luimême attribue à cette
méthode la résolution d’innombrables situations de prise d’otages. (Et,
observe-t-il, si vous prenez mal le problème, vous pouvez toujours dire : «
Je ne prétends pas que c’est comme ça. J’ai juste dit que ça y ressemble. »)

Réunions de problème
La méthode n’est pas utile seulement aux négociateurs. Si vous devez
valider votre cadrage, l’une des choses les plus efficaces que vous puissez
essayer est tout simplement de décrire le problème aux personnes
impliquées.
Dans le monde des start-up, par exemple, Steve Blank, professeur à
Stanford, plaide pour des « réunions de problème » dans lesquelles vous (en
tant que créateur d’entreprise) allez voir vos prospects pour essayer de leur
décrire leur propre problème. Le cadrage n’est pas destiné à convaincre qui
que ce soit, mais à tester s’il éveille un écho. Comme le dit Blank, « votre
objectif est de faire parler les clients, pas vous » 133.

Startup Cisco

J’ai aussi vu la méthode à l’œuvre dans une grande entreprise, chez Cisco
134, dont trois collaborateurs, Oseas Ramirez, Edgardo Ceballos et Andrew

Africa, ont créé un service interne appelé Startup Cisco destiné à tester des
idées rapidement. Voici ce qu’Oseas m’a rapporté :

Les gens de Cisco imaginent régulièrement des idées et des innovations techniques
étonnantes, mais nous ne parvenions pas toujours bien à tester rapidement les idées
et à voir si elles répondaient réellement à un problème de nos clients. Nous avons
donc commencé à organiser des ateliers dans cette intention.

Le besoin de validation rapide avait été inspiré par un conseil extérieur,


Steve Liguori, à partir de l’expérience qu’il avait acquise auprès de GE :

Une norme culturelle forte interdisait de montrer quoi que ce soit à un client tant que
ça n’était pas impeccable. Alors, les ingénieurs proposaient : Nous pourrions
construire cela, et la validation intervenait en général dans une salle où des cadres
supérieurs disaient : Quelle est notre impression sur cette idée ? Le client entendrait
: Vous allez adorer cela pendant trois ans avant de voir réellement le truc. Puis le
truc apparaissait. Il était parfait, mais le client remarquait : Sans doute, mais
pourquoi est-il incapable de faire ci ou ça ? Puis, voyant qu’il ne se vendait pas, les
gens commentaient : Oh, ces nuls du marketing et du commercial, ils ne l’ont pas
vendu comme il fallait.
Au début, les ateliers de Startup Cisco voyaient se produire un phénomène
analogue. Comme le dit Oseas :

Les gens venaient nous voir avec des idées fortes sur le produit technique qu’ils
voulaient bâtir, et ils décortiquaient efficacement les besoins du client de manière à
justifier leur idée. Après quelques essais, il est devenu clair qu’il fallait retarder la
construction de la solution jusqu’à ce que le problème ait été compris correctement.

Pour y parvenir, Oseas et son équipe s’appuyèrent fortement sur l’idée de


créer des liens avec les clients dès le début. Oseas explique ainsi leur
méthode :

Nous allons voir le client et nous lui disons : « Nous étudions cette question. Vous
pose-t-elle vraiment problème ? Pouvezvous m’en dire plus ? » La clé est de
s’attacher à leur problème plutôt qu’à la solution – car c’est ce qui les amène à se
projeter, et c’est la chose essentielle sur laquelle il nous faut des renseignements. Est-
ce que nous comprenons bien leurs problèmes ?

Un ancien de Cisco dénommé Juan Cazila avait un jour proposé une idée
prometteuse concernant les raffineries et les sites d’extraction gazière. Mais
le projet était resté bloqué dans les processus internationaux de Cisco
pendant près d’une année, et Cazila avait rejoint l’atelier de Startup Cisco
pour essayer de le faire avancer :

L’équipe m’a poussé à ignorer les processus habituels et à aller plutôt parler
directement à nos clients. Le deuxième jour de l’atelier, nous avons donc rédigé un
courrier électronique que nous avons envoyé à quinze cadres de haut rang dans des
entreprises comme Exxon, Chevron et Shell.

Ce même après-midi, Cazila prit contact avec trois des clients pour une
discussion à bâtons rompus. Nous nous demandions si vous aviez ce
problème dans vos raffineries. Oui ? Combien cela vous coûte-t-il ?
Il s’avéra que tous trois rencontraient ce problème et auraient bien aimé
le résoudre. Armé de cette information, Cazila contacta le directeur des
services après-vente de Cisco et sollicita des moyens pour faire avancer le
projet. Deux heures plus tard, il reçut une réponse positive, ce qui permit de
lancer le projet. À la date où j’écris, le projet est financé et testé par l’un des
plus gros clients de Cisco en Amérique latine.
2. Se faire aider par des tiers

Les personnes extérieures peuvent apporter une aide précieuse à la


validation de votre problème, car elles sont moins attachées
psychologiquement à votre vision favorite de celui-ci (ou de sa solution).
Cela peut être particulièrement utile quand vous vous occupez non pas d’un
produit ou service, mais d’une chose moins tangible.
Voici par exemple le cas de Georgina de Rocquigny, fondatrice de
l’agence d’image de marque Untapped à Hong Kong et praticienne
expérimentée du recadrage 135. L’un de ses clients était un cabinet de
conseil en management local qui existait depuis quelques années mais
n’avait pas encore défini sa marque. En grossissant, il affrontait de plus en
plus de concurrents à la marque plus clairement établie. Ses associés vinrent
donc lui exposer leur problème : Nous avons besoin de votre aide pour faire
connaître notre nom comme celui d’un cabinet de stratégie.
Leur manière de cadrer le problème était compréhensible. Dans leur
métier, il existe une hiérarchie implicite entre les cabinets de conseil
stratégique et les firmes de « mise en œuvre » qui mettent davantage les
mains dans le cambouis. Le travail stratégique est considéré comme plus
noble – et souvent il paie mieux. C’est pourquoi de nombreux cabinets de
conseil aspirent à être considérés comme spécialisés en stratégie.
Mais Georgina savait qu’il fallait valider le problème. Au lieu d’engager
le travail de positionnement, elle décida le cabinet de conseil à la laisser
interroger un certain nombre de clients, de salariés et d’associés. Voici ce
qu’elle m’en a dit :

Le fait capital a été d’introduire différentes perspectives dans le processus, de tester si


l’on résolvait le bon problème. Et il est apparu que non. Le client paraissait un peu
gêné de se situer vers l’extrémité du spectre vouée au travail concret : Nous ne
voulons pas qu’on nous considère comme un simple atelier. Mais, les entretiens l’ont
montré, c’était ce que leurs clients appréciaient chez lui. Clients et collaborateurs
disaient par exemple : J’ai fait appel à eux parce qu’ils font davantage que de la
stratégie ou J’aime travailler avec eux car s’ils sont intelligents, ils n’hésitent pas
non plus à retrousser leurs manches pour faire le boulot.

Munie des résultats des entretiens, Georgina convainquit les conseils qu’ils
ne devraient pas essayer de se positionner comme un prestataire voué
purement à la stratégie et qu’ils feraient mieux de mettre en avant leur
capacité de réalisation – et d’en être fiers. Il en sortit un nouveau
positionnement fort autour du mariage de la stratégie et de l’exécution, bien
accueilli au sein de la firme et chez ses clients, qui favorisa la croissance
continue de l’entreprise.
Georgina a réfléchi au processus :

Il a été intéressant pour moi de voir à quel point les impressions interviennent dans le
travail de définition de vous-même et de la marque de votre entreprise. Beaucoup de
clients viennent me voir un peu honteux de ce qu’ils font, en se disant qu’ils doivent
devenir quelqu’un d’autre pour réussir. Mais souvent, quand je discute avec leurs
propres clients, il s’avère que la chose même dont ils ont honte est en réalité ce qui
fait leur force.

Comme le montre le cas de Georgina, la validation des problèmes n’est pas


nécessairement un référendum binaire sur votre problème qui vous ferait
découvrir que Oui, j’ai trouvé le bon cadrage ou Non, ce cadrage ne tient
pas la route. Il arrive que la validation d’un cadrage, correct dans
l’ensemble, révèle une nuance importante qui conduit à une solution encore
meilleure du problème. En l’occurrence, le cabinet de conseil avait raison
d’aspirer à un positionnement plus stratégique. L’analyse de Georgina n’a
pas rejeté cette idée. Elle a plutôt aidé l’entreprise à voir qu’un tel
positionnement n’était pas incompatible avec la mise en avant de ses forces
en matière d’exécution. Le nouveau positionnement l’a aussi différenciée de
tous ceux qui essayaient de se forger une réputation de purs stratèges.
3. Imaginer un essai grandeur nature

Quand vous validez un problème, vous ne cherchez pas seulement à savoir


s’il est réel. Il peut être tout aussi essentiel de savoir si son importance est
telle que les parties prenantes tiennent vraiment à s’en débarrasser. Pour ce
faire, il convient de concevoir un test qui leur donne de vraies réponses.
C’est ce qu’ont fait deux créateurs d’entreprise.

Comment Managed by Q a validé son problème

Après avoir acheté son premier appartement, Saman Rahmanian décida


d’entrer au conseil syndical de son immeuble. Il découvrit vite les
tracasseries qui plombent la gestion d’un ensemble résidentiel :

J’étais mécontent en particulier du prestataire de nettoyage. À en croire sa


réputation, il était l’un des meilleurs, mais le service paraissait très mauvais. On ne
savait pas très bien si le travail avait été fait correctement. Ma femme demandait «
Ont-ils nettoyé l’escalier aujourd’hui ? » et j’étais incapable de lui répondre. Il
n’existait pas de moyen efficace pour communiquer avec l’équipe de nettoyage, à
moins d’appeler le bureau ou d’espérer qu’une requête griffonnée sur un Post-it
attirerait l’attention et qu’elle serait suivie d’effet.

Saman eut l’idée de créer un service à guichet unique de nettoyage


professionnel et autres services pour les immeubles d’habitation. Il
permettrait aux membres d’un conseil syndical comme lui de gérer leur
immeuble avec beaucoup moins de tracas.
Séduit par cette opportunité, Saman entreprit d’explorer l’idée avec des
collègues. L’un était l’ancien organisateur communautaire Dan Teran, qui
devint cofondateur de l’entreprise 136.
Très au fait des pratiques des start-up « frugales » (lean), Dan et Saman
cherchèrent à s’assurer, avant de le mettre en place, que le service répondait
à un besoin réel des clients. Ils réalisèrent à cet effet un diaporama
présentant ce service comme s’il existait déjà, puis essayèrent de le vendre.
Saman raconte :

Nous avons organisé des réunions avec vingt responsables de copropriétés


résidentielles. Pendant toute une semaine, nous sommes allés les voir pour présenter
le service. Les réactions étaient très positives : beaucoup de gens se disaient
intéressés et jugeaient l’idée excellente.

Si Dan et Saman en étaient restés là, ils auraient aisément pu se croire sur la
bonne piste et auraient commencé à mettre le service en place. Cependant,
ils savaient d’expérience que ce n’était pas si simple : ce que les clients
disent n’est pas forcément le reflet de ce qu’ils font. À la fin de leur
présentation, ils demandaient donc le versement d’un acompte. C’est
magnifique que vous aimiez notre service ! Nous avons quelques créneaux
qui s’ouvrent dans peu de temps – donc, si vous faites un premier versement
par carte de crédit, vous pouvez réserver l’un d’eux.
« Si positifs soient-ils, ne croyez pas tout ce que les gens vous disent
avant que vous ne leur réclamiez leur carte de crédit, explique Saman.
Quand vous demandez les informations sur leur carte de crédit, alors les
vraies réservations se révèlent. »
Leur prudence était de mise. Une seule des vingt copropriétés approchées
s’abonna au service. Le ménage mal fait était un problème, bien sûr, mais
assurément pas assez important ou pas assez urgent pour décider les clients
à agir.
L’histoire ne s’arrête pas là. Au cours des tests, Dan et Saman
rencontrèrent un gros courtier en immobilier commercial dont la réaction
fut immédiate : « Ce serait excellent dans les bureaux. » Saman poursuit :

Nous avons eu le sentiment que les bureaux pourraient être un bon créneau et nous
avons décidé de modifier un peu notre argumentaire commercial pour essayer.
Quelque chose comme deux semaines après nos réunions décevantes au sujet des
copropriétés résidentielles, nous avons organisé vingt-cinq présentations devant des
gestionnaires d’immeubles commerciaux. Il s’est avéré que dix-huit d’entre eux ont
sorti leur carte de crédit après la première réunion. À ce moment, nous avons su que
nous avions trouvé le bon problème à résoudre.
Ils l’appelèrent Managed by Q – en référence à l’habile armurier des films
de James Bond. Ils allaient en fin de compte attirer plus de 100 millions de
dollars de financement et travailler pour des gestionnaires de bureaux dans
tout le pays. Leur gestion de la main-d’œuvre innovante et humaine leur a
aussi valu des félicitations. Rompant avec le modèle de sous-traitance très
critiqué utilisé par d’autres start-up, les fondateurs ont décidé de salarier
leurs agents de nettoyage à plein temps, de leur distribuer 5 % du capital de
l’entreprise et de créer pour eux de vrais parcours de carrière. Ainsi, pour la
première fois dans l’histoire peutêtre, le nettoyage est devenu autre chose
qu’un cul-de-sac professionnel.
Quatre ans plus tard, Dan, devenu P-DG de l’entreprise, a reçu une
distinction publique pour le compte de celle-ci en reconnaissance de sa
politique sociale de pointe. (Saman est ensuite parti créer une nouvelle
start-up dans le domaine de la santé.) Peu avant que ce livre ne sorte des
presses, Managed by Q a été acquis pour un montant estimé supérieur à 200
millions de dollars 137.
4. Envisager de « prétotyper » la solution

Dans certains cas, au lieu de valider le problème, il est possible de tester


simplement le problème et la solution en même temps. La clé est une
méthode appelée « prétotypage », nom imaginé par un salarié de Google,
Alberto Savoia. Le prétotypage diffère du prototypage en ce sens que vous
ne construisez pas véritablement la solution, mais que vous cherchez à la
simuler pour voir si des clients l’achèteront 138.
En voici un exemple. Vous vous souvenez de Henrik Werdelin, de
BarkBox, et de l’histoire du Net-90 ? Un jour, au cours d’un dîner d’équipe,
quelques collaborateurs de BarkBox ont commencé, pour s’amuser, à
présenter des argumentaires en faveur d’idées de nouvelles activités.
Inspiré par une bouteille de vin débouchée, l’un d’eux a déclaré : Vous
savez, je parie que nous pourrions imaginer un nouveau dessin de bouchon
amusant avec une inspiration canine. Voici ce que Henrik en dit 139 :

Une idée en a amené une autre, et soudain les gens se sont pris au jeu. Quelqu’un a
sorti un ordinateur portable et dessiné un modèle 3D réaliste d’un bouchon d’aspect
amusant. Un autre a ajouté : Hé, je vais créer un site où vous pourrez l’acheter. Un
troisième a imaginé une annonce pour le produit et lancé quelques campagnes sur
les médias sociaux. À aucun moment, l’un d’eux n’avait eu l’intention de concrétiser
l’idée.

Le dessert venait d’être servi quand l’équipe a vendu son premier bouchon
à un client qui l’avait vu sur Facebook. Henrik a calculé le délai écoulé
entre l’idée et la première vente dans le monde réel : soixantetreize minutes.
Satisfaite d’avoir démontré son habileté commerciale et craignant que
son nouveau monstre ne prenne vie et ne les aspire dans un diagramme de
Venn réputationnel, avec chiens et alcool à la clé, l’équipe s’est empressée
de fermer le site et de rendre son argent au client.
Il n’est pas toujours nécessaire de valider votre problème. Si vous êtes
capable de tester vos idées aussi vite et aussi simplement, ne vous inquiétez
pas trop du diagnostic du problème. Contentez-vous de jeter votre machin
contre le mur – ou l’ordinateur, en l’occurrence – et voyez ce qui reste
collé.

Une fois établi votre plan pour la suite des événements, vous arrivez au
bout du processus de recadrage. Il reste encore une étape, cependant :
préparer votre prochain contrôle de recadrage. À cette fin, considérons un
autre domaine où les contrôles de problème réguliers sont une question de
vie ou de mort.
Réexaminer le problème, c’est important

Quand Scott McGuire arrive sur le lieu d’un accident et découvre un blessé,
il suit une procédure simple appelée ABC 140 :
Airway (voies aériennes) : les voies aériennes de la personne sontelles
libres ?
Breath (respiration) : la personne respire-t-elle normalement ?
Circulation (cardio) : le pouls de la personne est-il régulier ?

Avec ce test, Scott s’assure que le patient n’est pas en danger immédiat.
Il peut alors commencer à traiter ses blessures. S’il est seul sur place, il fait
encore autre chose avant de commencer le traitement : il colle un morceau
de ruban adhésif sur sa jambe et indique l’heure du prochain contrôle ABC.
« Si le patient est dans un état critique, je contrôlerai sans doute ses signes
vitaux toutes les trois à cinq minutes. S’il est plus stable, toutes les dix
minutes. Je note l’heure pour être sûr que ce sera fait même s’il se passe des
tas d’autres choses. »
Depuis qu’il s’est engagé comme bénévole dans une équipe de recherche
et de sauvetage à l’âge de 13 ans, Scott a exercé les fonctions de pompier,
de technicien d’urgence médicale, de guide de brousse, de guide de
montagne et bien d’autres métiers encore. Dans toutes ces professions, des
protocoles d’urgence visent à faire régulièrement le point de la situation :

Cela peut avoir l’air d’un retour en arrière, mais cela révèle souvent des informations
nouvelles. Parfois, ces informations étaient déjà là, mais il faut reconsidérer sa
perspective initiale pour les voir clairement. D’autres fois, la situation évolue. Une
personne qui a des côtes fracturées n’a peut-être pas mal la première fois que vous la
palpez parce que son adrénaline efface sa douleur. Si vous contrôlez son torse à
nouveau dix minutes plus tard, alors vous découvrez le problème.
Le cadrage de problème est analogue aux contrôles ABC en ce sens que
vous ne vous contentez pas d’évaluer le problème une fois – vous devez le
faire à intervalles réguliers.
C’est important en partie parce que les problèmes évoluent dans le
temps. Même si votre diagnostic initial est exact, il serait dangereux de le
tenir pour acquis, de même qu’il serait dangereux pour Scott de considérer
que tout va bien se passer après un unique contrôle ABC. Comme l’écrit
Kees Dorst, expert en design, à propos des organisations 141 :

Dans la résolution de problème traditionnelle, la première étape est toujours la «


définition du problème »… Cependant, en définissant le problème, on fige aussi le
contexte sans s’en apercevoir, et c’est le plus souvent une grave erreur dont les
conséquences apparaîtront quand on essaiera d’appliquer une nouvelle solution.

Des contrôles réguliers sont utiles aussi dans les situations qui comportent
une contrainte de temps. Au lieu de tenter de poser un diagnostic d’emblée,
il vaut mieux, en général, procéder à un recadrage rapide, aller de l’avant,
puis revenir au diagnostic du problème plus tard, une fois que vous avez
plus d’informations.
Quatre moyens pour reconsidérer votre
diagnostic

Pour ne pas manquer de réexaminer le problème de temps en temps, vous


pouvez :
1. Programmer un recadrage après chaque cycle. À la fin d’un
processus de recadrage, inscrivez immédiatement le prochain cycle sur
votre calepin. L’intervalle dépend du rythme de votre projet, bien
entendu, mais en général il vaut mieux en faire trop que pas assez.
2. Confier le recadrage à quelqu’un. Lors d’une intervention sur un
incendie, l’un des membres de l’équipe de Scott est désigné comme
chef de l’incident. Il doit rester en arrière et surveiller l’évolution du
feu. De manière analogue, il peut être bon de charger quelqu’un de
garder un œil sur le problème et de programmer les contrôles de suivi.
3. Instaurer des routines dans votre équipe. Des contrôles de routine
peuvent être utiles. Dans les zones de catastrophe, Scott et ses
collègues secouristes ont une règle : tenir une réunion générale toutes
les quatre heures. Elle peut ne durer que quinze minutes. De même, les
équipes qui travaillent avec des méthodes dites agiles commencent
souvent leur journée par un rassemblement au cours duquel chacun
évoque le problème sur lequel il travaille. Pourriez-vous intégrer le
recadrage à l’une ou l’autre de vos routines existantes, par exemple les
réunions hebdomadaires du personnel ?
4. En faire un état d’esprit. Enfin, avec suffisamment de pratique, le
recadrage deviendra une seconde nature. Grâce à une sorte de « double
vision », les gens pourront garder à l’esprit à la fois le problème et la
solution. Dans des situations très évolutives, cet instinct peut
contribuer à déclencher un réexamen du problème même en l’absence
de rappels planifiés.
Résumé du chapitre
Avancez

Regardez vos énoncés de problème. Pour chacun, déterminez comment aller


de l’avant.

Comment tester votre problème ?

Les solutionneurs novices cherchent à confirmer leur théorie : Ma solution


n’est-elle pas excellente ? Voyons s’il est possible de l’appliquer. Les
solutionneurs experts n’essaient pas de confirmer le cadrage dans lequel ils
croient – ils cherchent à prouver qu’il est mauvais. Comme l’a fait Ashley
quand Kevin a présenté son idée d’une boutique de glaces, y a-t-il un
moyen d’affronter rapidement le monde réel pour déterminer si vous ciblez
le bon problème ?
Pour valider votre cadrage du problème, utilisez l’une des quatre
tactiques présentées ici :
Décrivez le problème aux parties prenantes. À l’instar de l’équipe
Cisco, discutez avec les parties impliquées et décrivez-leur le
problème. N’essayez pas de leur vendre votre cadrage. Comme le
souligne Steve Blank, l’idée est de voir s’il les sensibilise et de les
amener à vous donner plus d’informations.
Faites-vous aider par des tiers. Si vous craignez d’être trop proche
de votre propre idée – ou si vous pensez que les commentaires reçus ne
seront pas sincères – pouvez-vous faire appel à une personne
extérieure ? Rappelez-vous le cas de Georgina et de ce cabinet de
conseil qui a fait appel à elle pour valider ses hypothèses sur l’image
de marque.
Imaginez un essai grandeur nature. Rappelez-vous que Managed by
Q demandait un paiement par carte de crédit pour voir si les gens
étaient vraiment très motivés par le problème qu’ils avaient en tête.
Comment pourriez-vous organiser un test analogue pour votre
problème (ou votre solution) ?
Envisagez de « prétotyper » la solution. Si une solution donnée peut
être testée facilement et sans risque, faites-le. Envisagez d’utiliser le
concept d’Alberto Savoia : prétotyper pour trouver des moyens légers
en vue de tester votre solution, comme l’a fait l’équipe de BarkBox
avec son idée de bouchon.

Ces moyens ne sont pas les seuls pour valider un problème. S’il vous
faut plus d’inspiration, consultez la littérature sur les start-up – mieux
encore, parlez à quelqu’un qui a l’expérience de la création d’entreprise,
comme Kevin l’a fait avec Ashley.
Enfin, avant d’achever la boucle de recadrage et de monter au créneau à
nouveau, assurez-vous que vous avez planifié votre prochain contrôle de
recadrage.
Troisième partie
Vaincre les résistances
Chapitre 10
Trois problèmes tactiques
Les complications et comment les gérer

À présent, vous savez tout ce qu’il vous faut savoir pour vous lancer dans
un recadrage. Vous avez encore à apprendre si vous désirez acquérir une
maîtrise complète de la méthode, mais cet apprentissage viendra en grande
partie de l’expérience pratique acquise en l’appliquant à vos propres
problèmes et à ceux de vos clients, collègues et amis.
J’ai davantage à vous proposer. En travaillant sur des problèmes du
monde réel, vous tomberez un jour ou l’autre sur ce que j’appelle des
complications. Il s’agit des divers obstacles pratiques au recadrage : par
exemple, des personnes qui s’opposent au processus ou un problème donné
dont vous ignorez totalement la cause.
Tel est le sujet de cette partie du livre. Dans le prochain chapitre, je vous
livrerai des conseils sur la manière de surmonter les oppositions au
recadrage. Dans ce chapitre-ci, nous verrons comment résoudre trois
difficultés tactiques courantes :
1. Choisir sur quel cadre se concentrer (quand vous devez jongler avec
trop de cadrages).
2. Déterminer les causes inconnues d’un problème (quand vous n’avez
aucune idée de ce qui se passe).
3. Échapper au raisonnement en silo (quand les gens refusent de faire
intervenir des personnes extérieures).
Cette partie du livre se veut une référence pratique : si vous êtes
impatient de commencer, placez-y un signet et sautez au dernier chapitre, «
Un mot d’adieu ».
1. Choisir sur quel cadre se concentrer

Parmi les gens qui s’essaient au recadrage pour la première fois, certains
exprimeront sans doute un grief spécifique : Quand j’ai commencé, j’avais
un problème. À présent, j’en ai dix. Merci, méthode de recadrage, trèèèèès
utile !
L’irritation n’est pas forcément une mauvaise chose : c’est une part
normale du processus. Au début, il est peut-être pénible de ne plus avoir
une vision « simple » du problème. Cependant, l’avantage de ne pas
résoudre le mauvais problème est en général une contrepartie suffisante.
Tout de même, une question très pratique se pose : si vous êtes confronté
à plusieurs cadrages différents du problème, comment choisir ceux à
explorer et ceux à ignorer 142 ?
Dans certaines situations, quand les problèmes sont très importants,
vitaux, il est raisonnable de s’imposer une analyse méthodique de tous les
cadres en les confrontant un par un avec le réel. En général, pourtant, vous
n’en aurez ni le temps ni les moyens – ni la patience. Vous devrez choisir de
vous concentrer sur un ou deux cadres, au moins jusqu’à l’itération suivante
du processus. Alors, comment vous y prendre au mieux ?
Même si les problèmes sont trop variés pour qu’on leur applique de
façon homogène une recette fixe, il existe trois règles empiriques qui
peuvent vous faciliter la tâche. Quand vous passez en revue les cadrages,
intéressez-vous surtout à ceux qui sont :
Surprenants.
Simples.
Significatifs si exacts.

Explorez des cadrages surprenants

Quand vous recadrez un problème, vous (ou les gens que vous aidez) serez
parfois surpris par tel ou tel cadrage. Oh ? Je n’avais pas vu ça sous cet
angle ! Dans mes ateliers, des gens me parlent d’une sensation presque
physique – un sentiment viscéral de soulagement en découvrant un nouveau
point de vue sur leur problème.
Le sentiment d’étonnement ne garantit pas que les cadrages en cause
soient finalement viables. Pourtant, il convient d’ordinaire de les explorer.
Le sentiment d’étonnement survient exactement parce que le cadrage rompt
un modèle mental dans lequel le titulaire du problème se trouvait enfermé –
ce qui augmente les chances qu’une nouvelle perspective soit utile.

Recherchez des cadrages simples

Dans l’imaginaire populaire, les solutions révolutionnaires sont souvent


associées à une nouvelle technologie complexe. La fonction de localisation
des smartphones, par exemple, fait appel à la mécanique quantique, à des
horloges atomiques et à des satellites en orbite pour situer exactement où
vous vous trouvez. Cela étant, il peut être tentant de se dire que les
meilleures solutions supposent une approche du problème ésotérique et
hautement nuancée.
D’après mon expérience, c’est rarement le cas. Dans la vie quotidienne,
les bonnes solutions (et les cadrages de problème correspondants) sont
plutôt simples. Rappelez-vous comment Lori Weise a résolu son problème
de chenil, par exemple. Il s’agissait juste de maintenir les chiens au sein de
leur première famille. Rétrospectivement, les meilleures solutions ont
souvent une saveur d’évidence. Une fois qu’on les a trouvées, les gens
s’exclament : Bien sûr ! Pourquoi n’y avons-nous pas pensé plus tôt ?
Quand vous vous demandez quels recadrages prendre en compte, il
convient en général d’aller vers les plus simples. C’est le principe du «
rasoir d’Occam », attribué au moine-philosophe médiéval Guillaume
d’Ockham 143. Avec cette expression imagée, les savants disent que,
confronté à de multiples explications possibles d’un phénomène, il faut aller
vers la plus évidente.
Pour en venir aux problèmes professionnels, prenez les deux cadrages ci-
dessous et demandez-vous vers lequel le rasoir d’Occam vous dirigerait :
Les gens n’achètent pas notre produit parce que…

La priorité à la simplicité est une ligne directrice, pas une loi d’airain.
Certains problèmes ne peuvent en fin de compte être résolus que par des
solutions complexes à plusieurs niveaux. Mais comme l’écrivait Steve de
Shazer au regard de son expérience en matière de thérapie, « peu importe à
quel point la situation est moche et complexe, un petit changement dans le
comportement d’une personne peut aboutir à des différences profondes et
de grande portée dans le comportement de tous les protagonistes » 144.

Recherchez des cadrages significatifs si authentiques

Enfin, il est parfois raisonnable de tester des cadrages dans lesquels vous ne
croyez pas.
Le recadrage, par nature, consiste à contester vos hypothèses et vos
croyances relatives à un problème. Quelquefois, le simple fait de découvrir
un nouveau point de vue inattendu peut être suffisant pour vous faire
reconsidérer vos croyances antérieures. Mais plus souvent, quand vous
découvrez un cadrage réellement puissant, votre réaction viscérale – ou ce
qu’on appelle plus noblement intuition – peut fort bien être négative. En
matière de recadrage, ne vous fiez à votre intuition que prudemment.
Cela vous paraît peut-être bizarre. Après tout, l’industrie du conseil
personnel vit en grande partie d’un message unique : fiez-vous à votre
instinct. Nous avons tendance à faire confiance à nos sentiments immédiats
sans nous demander d’où ils proviennent. Mais notre « instinct » n’est en
réalité qu’un résumé subconscient de ce qui a fonctionné dans le passé.
Point essentiel : la créativité implique souvent de dépasser votre expérience
passée, en renonçant à au moins un ou deux de vos postulats. Votre intuition
se construit à partir de votre passé. C’est exactement pour cette raison
qu’elle n’est pas toujours un bon guide pour votre avenir.
En d’autres termes, même si un cadrage heurte votre instinct, vous ne
devriez pas l’écarter avant de vous être demandé : Si c’était vrai, ce
cadrage produirait-il beaucoup d’effet ? De tels cadrages peuvent valoir
qu’on s’y intéresse même si vous vous dites que les chances pour qu’ils
soient justes sont minimes – sous réserve qu’ils puissent être testés sans
exiger de moyens excessifs.
Le programme Bolsa Familia. Lula da Silva, homme politique et ancien
président du Brésil, en donne un exemple. Reconnu coupable de corruption,
il est aujourd’hui marqué du sceau de l’infamie. Pourtant, avant cela, il
s’était fait remarquer du monde entier avec la réussite de Bolsa Familia, un
programme de lutte contre la pauvreté 145.
Comme l’expose Jonathan Tepperman dans The Fix, au lieu de dispenser
des services aux familles pauvres, le programme s’est contenté de leur
donner de l’argent. Les familles ont alors pu le consacrer aux biens et
services qu’elles désiraient.
Bien que ce soit plus simple et moins cher – 30 % de moins que les
prestations de services traditionnelles, selon une étude – l’idée de donner de
l’argent à la population était rejetée fermement par les experts locaux et
internationaux. Ils étaient convaincus pour la plupart que les pauvres
gaspilleraient les subsides pour satisfaire des vices et acheter des frivolités.
Lula, qui avait eu une jeunesse pauvre, savait que ces préjugés étaient
inexacts : les pauvres – surtout les mères de famille – dépensent
généralement avec sagesse. Grâce au programme Bolsa Familia et à
d’autres actions, le taux brésilien de pauvreté extrême a été divisé par deux.
Trente-six millions de personnes sont ainsi sorties de la catégorie de
pauvreté la plus extrême et constituent un point positif pour les efforts
d’autres pays tendant à affronter les inégalités de revenus.
La question qui me frappe est celle-ci : l’un des dirigeants précédents
aurait-il pu avoir cette idée malgré ses instincts ? À l’aide de ce test, ils
auraient pu se dire : « Je ne crois pas que les pauvres puissent gérer leur
argent raisonnablement. Mais j’admets qu’il y a une petite chance pour que
j’aie tort sur ce point – auquel cas nous pourrions obtenir des résultats très
différents, car verser de l’argent serait beaucoup plus efficient que de
fournir des biens et services. Dans cet esprit, pourquoi ne pas se livrer à une
petite expérience pour vérifier que j’ai raison ? »

Essayez d’explorer plus d’un seul cadre

Quelle que soit votre stratégie de sélection, notez que le but du processus
n’est pas de parvenir, au final, à un unique cadrage. Certaines équipes avec
lesquelles j’ai travaillé choisissaient un premier cadre à explorer, puis
désignaient certains de leurs membres pour en explorer un second et un
troisième. Sauf si vous devez vous en tenir à une solution immédiate, des
explorations parallèles peuvent en valoir la peine. Quelquefois, des pistes
de recherche infructueuses se révéleront utiles plus tard, ne serait-ce que
pour dire à l’une des parties prenantes : « Nous avons testé cet angle, et il
n’a pas fonctionné. »
2. Trouver les causes inconnues d’un
problème

Imaginez que vous soyez confronté à un problème et que votre première


analyse (y compris vos tentatives pour la recadrer) ne vous ait fourni aucun
indice sur ses causes. Que faire alors ?
Nous avons déjà présenté une méthode que vous pouvez essayer, à savoir
l’idée de proclamer le problème présentée au chapitre 6, « Examiner les
points positifs ». Ici, je présenterai deux autres méthodes envisageables
pour mettre au jour les causes cachées d’un problème : les conversations
orientées vers la découverte et les expériences d’apprentissage.

Conversations orientées vers la découverte

Quelquefois, une simple conversation avec la bonne personne peut suffire –


à condition de faire attention à ce que cette personne dit vraiment.
Voici quelques années, deux créateurs d’entreprise, Mark Ramadan et
Scott Norton, ont lancé Sir Kensington’s, une gamme de condiments
comprenant ketchup, moutarde et mayonnaise. L’idée était de créer une
solution entièrement naturelle, plus savoureuse et plus saine que l’offre
existante 146.
Au bout de deux ans, leurs produits se vendaient bien et la demande
augmentait. Mais pour une raison quelconque, les ventes de leur ketchup ne
décollaient pas. Ce n’était pas une affaire de goût : les clients disaient
l’adorer. Cependant, ils en achetaient moins qu’on ne l’aurait espéré au vu
de leur enthousiasme.
Mark et Scott se sont dit que la forme du contenant était peut-être en
cause. Au lancement de l’entreprise, ils avaient choisi d’utiliser des pots en
verre carrés pour tous leurs produits afin de créer une marque haut de
gamme : au lieu des flacons en plastique souple à presser, les
consommateurs achetaient un gros pot en verre qui rappelait les moutardes
fantaisie. La stratégie fonctionnait bien globalement, à en juger par les
ventes des autres produits. Mais pas pour leur ketchup.
Fallait-il passer à un flacon de forme plus traditionnelle pour le seul
ketchup ? C’était une décision majeure. Un tel changement affecterait tous
les maillons de leur chaîne logistique et compliquerait leur fonctionnement.
S’ils se trompaient, il faudrait un an pour revenir sur leur décision. Ils
voulaient être certains de faire le bon choix – ce qui signifiait découvrir ce
qui se passait vraiment avec les ventes de ketchup.
Arrêtez-vous un instant pour considérer ce qu’aurait fait une grosse
entreprise. Le directeur marketing aurait pu décider d’effectuer un sondage
ou de réunir quelques groupes de focus. Ou peut-être l’entreprise aurait-elle
englouti quelque 200 000 dollars pour effectuer une étude ethnographique
approfondie en demandant à des chercheurs de suivre des gens chez eux ou
en train de faire leurs courses 147.
Ces méthodes auraient probablement fourni des résultats utiles ; nombre
de grandes entreprises les utilisent pour générer de la croissance. Mais rien
de tout cela n’était à la portée de Mark et Scott, qui venaient de créer leur
entreprise. Ils se contentèrent donc de discuter avec des connaissances –
clients, actionnaires et amis qui consommaient leurs produits. Le déclic se
produisit le jour où l’un des actionnaires déclara : « J’ai essayé l’échantillon
que vous m’avez envoyé et il me plaît vraiment beaucoup. Je l’ai encore
dans mon réfrigérateur. »
Cette remarque interpella Mark et Scott. L’actionnaire avait reçu
l’échantillon de ketchup depuis déjà plusieurs mois. S’il l’aimait beaucoup,
pourquoi était-il encore dans son réfrigérateur ? Pourquoi ne l’avait-il pas
entièrement consommé à cette date ?
Il s’avéra que la réponse résidait dans un petit détail sur la façon dont la
plupart des gens conservent leur ketchup. Mark découvrit qu’ils ont
tendance à ranger la moutarde et la mayonnaise sur les clayettes principales,
de sorte qu’elles sont bien en vue chaque fois qu’ils ouvrent le réfrigérateur.
Le ketchup, lui, se retrouve plutôt coincé sur les étagères de la porte. Si le
bord de l’étagère était transparent, ce n’était pas un problème. Mais quand il
ne l’était pas, le pot de ketchup Sir Kensington’s disparaissait hors de la
vue. Comme le disait Mark : « Si vous ne voyez pas le pot, vous le prenez
moins souvent. Pas vu, pas pris. »

Une fois découvert le problème du réfrigérateur, Mark et Scott se sont


sentis assez confiants pour adopter une bouteille plus haute. Quand elle est
arrivée sur le marché, le rythme des ventes a crû de 50 %.
Comme le montre cette histoire, de banales conversations peuvent
parfois mettre au jour des indices essentiels – à condition de faire attention
à ce qu’on vous dit. Quand leur actionnaire a mentionné incidemment qu’il
avait encore le pot d’origine, d’autres auraient pu ne pas saisir l’intérêt de
cette remarque. Mark et Scott, quant à eux, étaient à l’affût : ils
recherchaient des indices qui leur ont apporté l’information capitale.
Que faut-il pour en faire autant ? Écouter et questionner sont des sujets
largement explorés par la science du management, entre autres. Il
n’appartient pas à ce livre d’en faire le résumé, mais voici trois conseils
fortement consensuels *.
Adoptez un état d’esprit d’apprentissage (alias « ferme-la et écoute »).
Trop souvent nous entamons des conversations dans le but de parler, a
souligné Edgar Schein, spécialiste du management, dans ses travaux sur l’«
humble questionnement » 148. Une étape clé se situe avant que vous ne vous
mêliez à la conversation, quand vous vous rappelez que vous devez
approcher votre interlocuteur dans l’intention d’écouter et d’apprendre.
Au passage, lors d’un recadrage de problèmes en groupe, essayez de
déterminer votre ratio parole/écoute. Si elles ont cinq minutes pour débattre
de leur problème, certaines personnes en passent quatre à parler, ce qui
laisse peu de marge pour accueillir des idées. Si vous aussi vous avez
tendance à beaucoup parler, vous devriez peut-être essayer d’écouter plus.
Ménagez un espace sûr. Comme l’ont montré les travaux d’Amy
Edmondson sur la sécurité psychologique, les conversations
d’apprentissage sont moins efficaces si les gens craignent des
récriminations ou pensent ne pas pouvoir parler librement. Trouvez des
moyens de lever les risques de la conversation – ou envisagez que les
questions soient posées par un tiers 149.
Recherchez l’inconfort. Comme nous l’avons vu au chapitre 7, «
Regarder dans le miroir », si vous voulez obtenir des idées utiles, vous
devez être prêt à découvrir des vérités éventuellement pénibles sur vous-
même. Comme l’ont montré Hal Gregersen, professeur au MIT, et ses
collègues, beaucoup de grands patrons attribuent leur succès en partie à leur
capacité à se mettre personnellement dans des situations inconfortables 150.
(Cela s’applique aussi au public avec lequel vous choisissez de parler :
recherchez-vous des avis uniquement auprès de gens qui vous diront des
choses agréables ?)

Menez une expérience d’apprentissage


Si les conversations n’apportent aucun indice sur la nature du problème,
une autre stratégie pourrait être d’organiser une petite expérience
d’apprentissage. Il s’agit en bref d’une tentative délibérée visant à agir
autrement que vous ne le faites habituellement, afin de faire bouger les
choses et d’apprendre quelque chose de nouveau.
Jeremiah « Miah » Zinn procédait ainsi du temps où il travaillait pour la
célèbre chaîne de télévision de loisirs pour enfants Nickelodeon – celle de
l’immortel personnage culturel Bob l’éponge 151. Miah dirigeait l’équipe de
développement de produits, qui venait juste de présenter une nouvelle appli
formidable destinée aux enfants de 7 à 12 ans. L’équipe savait par des tests
que les enfants adoraient le contenu – et ils étaient nombreux en effet à la
télécharger. Puis un problème est apparu. Miah le présente ainsi :

Pour utiliser l’appli, vous deviez passer la première fois par un processus
d’inscription – pour ce faire, vous étiez obligé de vous connecter au service de
télévision par câble de la famille. À ce stade-là, la quasi-totalité des enfants
abandonnait le processus.

Il n’y avait aucun moyen d’échapper à l’obligation d’inscription. L’équipe


de Miah dut donc trouver comment guider les enfants tout au long du
processus afin d’augmenter le taux d’inscriptions. Et elle dut le faire vite :
chaque journée sans solution, la chaîne perdait des utilisateurs. Sous la
pression, elle alla droit vers une méthode qu’elle maîtrisait parfaitement : le
test d’utilisabilité. Miah explique :

Nous avons lancé des centaines de tests A/B en essayant différents flux d’inscription
et de nouvelles formulations des instructions. Essayons avec les 12 ans du Midwest –
réagissent-ils mieux si nous inversons les étapes ?

L’équipe avait de bonnes raisons de s’appuyer sur des tests A/B. Depuis
leurs humbles débuts à la fin des années 1980 – la publication du grand
classique de Donald A. Norman, The Design of Everyday Things, ayant
marqué une rupture –, les tests d’utilisabilité sont devenus un outil courant
et puissant pour les entreprises technologiques. On connaît une très grande
entreprise technologique qui a testé plus de quarante nuances de bleu pour
trouver la couleur exacte de sa page de recherche.
Mais comme le dit Miah, « le problème était qu’aucun de nos tests
n’avait fait bouger l’aiguille. Même les meilleurs ne relevaient le taux
d’adhésion que de quelques points de pourcentage tout au plus ».
Pour sortir de l’ornière, Miah décida d’essayer quelque chose de nouveau
:

Nous nous étions attachés à réunir des masses de données en observant de grands
groupes. Quel était le pourcentage de ceux qui glissaient ici ou qui touchaient là ? Et
cela ne nous avait conduits nulle part. J’ai donc eu une idée : au lieu d’étudier des
quantités d’enfants de loin, pourquoi ne pas en inviter quelques-uns dans notre
bureau, accompagnés de leurs parents, afin de nous asseoir à côté d’eux et de
regarder ce qui se passait quand ils essayaient de se connecter ?

Cette décision changea tout. Au contact des enfants, l’équipe de Miah vit
clairement que l’utilisabilité n’était pas en cause. Les enfants n’avaient
aucun mal à comprendre les instructions ou à naviguer dans le processus de
connexion. (De nos jours, la plupart des enfants de dix ans sont capables de
crocheter un coffre-fort en cinq minutes chrono.) Le problème tenait à leurs
émotions : quand on leur demandait le mot de passe de la télévision par
câble familiale, ils craignaient d’avoir des problèmes. Pour un gamin,
réclamer un mot de passe s’apparente à une entrée en territoire interdit.
L’équipe de Miah renonça immédiatement à ses efforts d’amélioration du
processus de connexion. En revanche, elle produisit une courte vidéo
expliquant aux enfants qu’il était normal de demander le mot de passe à
leurs parents. Ne t’inquiète pas, petite sauterelle ! Demander le mot de
passe ne te vaudra aucun ennui ! Résultat : le taux de connexion à l’appli
fut aussitôt multiplié par dix. À partir de ce jour, Miah veilla à ce que les
processus de développement de produits incluent quelques tests auprès des
utilisateurs en plus des tests A/B.
Tests contre expériences d’apprentissage. L’histoire de Miah illustre les
différences entre tester et expérimenter. Quand ses collaborateurs ont
commencé à s’attaquer au problème, ils ne s’en sont pas tenus à la pure
analyse. Ils ont testé des centaines de permutations différentes des flux de
connexion sur des clients réels, en temps réel. Si vous étiez entré dans leur
bureau en disant : « les gars, nous devons faire quelques expériences pour
trouver la réponse », ils vous auraient regardé bizarrement : C’est ce que
nous sommes en train de faire !
La difficulté était que leurs tests étaient centrés sur le mauvais problème.
L’équipe n’a trouvé comment progresser que lorsque Miah a décidé
d’essayer quelque chose de différent. Au lieu de continuer à fignoler les
tests d’utilisabilité – Et si on mettait un bouton un tout petit peu plus bleu ?
– il a pris du recul et demandé : Y a-t-il autre chose que nous puissions faire
pour en apprendre plus sur le problème ? Quelque chose que nous n’avons
pas encore essayé ?
Telle est l’essence des expériences d’apprentissage : quand vous êtes
bloqué, au lieu de persister dans vos modèles actuels, pouvez-vous trouver
un autre type d’expérience qui vous aidera à jeter une lumière nouvelle sur
la situation ?
3. Échapper au raisonnement en silo

La plupart des gens conviennent que les idées en silo sont mauvaises – et
les recherches sur l’innovation et la résolution de problème leur donnent
raison. Face à des problèmes complexes, les équipes diversifiées se
débrouillent mieux que celles dont les membres sont dotés d’un profil
uniforme 152. Avec le recadrage en particulier, obtenir le point de vue d’une
personne extérieure est un excellent raccourci vers la détection de nouveaux
cadrages.
En pratique, cependant, les gens font bien moins appel à des tiers qu’ils
ne devraient. Ils ont beau valider l’idée en théorie, au moment d’agir ils
répondent par exemple :
Les gens de l’extérieur ne comprennent pas notre métier, si bien qu’il
faut une éternité pour leur expliquer le problème. Nous n’avons pas le
temps.
Je suis un expert de premier plan dans mon domaine. À quoi bon faire
intervenir des non-experts ?
J’ai essayé d’interroger des outsiders et ça n’a pas marché. Ils
proposaient des idées inexploitables.

Ces réactions révèlent un fait majeur : il y a de bonnes et de mauvaises


façons de faire intervenir les personnes extérieures. Pour bien vous y
prendre, considérez l’histoire suivante, celle d’un dirigeant que j’appellerai
Mark Granger 153.
Peu après avoir pris la tête d’une petite entreprise européenne, Granger
s’est rendu compte qu’il avait un problème :

Notre personnel n’innove pas.

L’équipe dirigeante crut trouver la solution grâce à un programme de


formation à l’innovation. Mais, alors qu’elle discutait de la manière de
mettre en œuvre le programme de formation, elle fut interrompue par
Charlotte, l’assistante de Marc :

Je travaille ici depuis douze ans. Au cours de cette période, j’ai vu trois directions
générales différentes essayer de lancer de nouveaux cadres d’innovation. Aucun n’a
fonctionné. Je ne pense pas que les gens réagiraient bien si on essayait encore une
fois de les endormir avec des mots ronflants.

La présence de Charlotte à la réunion n’était pas fortuite. Marc l’avait


invitée lui-même. Il raconte :

Cela faisait à peine un semestre que j’avais pris la tête de l’entreprise et je savais que
Charlotte comprenait bien ce qui s’y passait. Elle était le genre de personne vers qui
nos salariés se tournaient quand ils avaient un problème dont ils ne voulaient pas
parler directement à la direction générale. Je me disais qu’elle pouvait nous aider à
voir au-delà de notre propre point de vue.

C’est exactement ce qui se passa. Les membres de l’équipe s’aperçurent


vite qu’ils s’étaient entichés d’une solution – le programme de formation –
avant d’avoir vraiment compris le problème. Après avoir commencé à poser
des questions, ils découvrirent que leur diagnostic initial était mauvais. «
Beaucoup de nos salariés, commente Mark, savaient déjà innover – mais ils
ne se sentaient pas très engagés dans l’entreprise et il y avait donc peu de
chances qu’ils prennent des initiatives excédant les exigences de leur
description de poste. » Ce que les dirigeants avaient d’abord cadré comme
un problème de compétences s’apparentait davantage à un problème de
motivation.
L’équipe de Mark laissa tomber le programme de formation et introduisit
à la place une série de changements visant à favoriser l’engagement :
horaires variables, transparence accrue et participation active au processus
décisionnel de la direction. « Pour que notre personnel fasse attention à
nous, disait Mark, nous devions d’abord démontrer que nous faisions
attention à lui et que nous étions disposés à lui faire confiance. »

En l’espace de dix-huit mois, les scores de satisfaction au travail


doublèrent et le taux de rotation des salariés – un gros facteur de coût pour
l’entreprise – chuta de façon spectaculaire. Les résultats financiers
s’améliorèrent nettement et les gens commencèrent à investir plus d’énergie
dans leur travail et à prendre plus d’initiatives. Quatre ans plus tard,
l’entreprise fut distinguée comme le meilleur endroit où travailler du pays.
Si Mark n’avait pas invité Charlotte à la réunion, on imagine aisément
que l’équipe de management aurait lancé un programme de formation qui
aurait connu le même sort que les trois précédents. Qu’est-ce qui a
fonctionné dans le processus en comparaison des nombreux cas où la
présence de personnes extérieures n’apporte aucun bénéfice ? C’est pour
une part le type de tiers invités par Mark.
Recherchez les passeurs de frontière

La relation antérieure de Charlotte avec l’équipe a été cruciale et infirme les


idées reçues sur l’influence des personnes extérieures. Les publications sur
des exemples de réussite sont souvent centrées sur la manière dont les
problèmes difficiles sont résolus par une personne sans aucun rapport avec
le sujet : Aucun des physiciens nucléaires n’avait pu résoudre le problème !
Puis un sculpteur de baudruches est passé par là.
Des récits de ce genre sont mémorables, et la leçon qu’ils délivrent est
appuyée par les recherches. Mais pour avoir entendu de telles histoires,
beaucoup croient qu’il faut rechercher des « étrangers absolus » très
différents d’eux-mêmes 154. Ce qui soulève deux difficultés quant à la
résolution de problèmes au jour le jour :
1. Il est difficile de les faire venir. Il faut du temps et des efforts pour
faire intervenir des étrangers absolus – où trouve-t-on des sculpteurs
de baudruches à bref délai ? C’est pourquoi beaucoup de gens
renoncent à l’idée, sauf pour les problèmes les plus pressants, vitaux.
2. De gros efforts de communication s’imposent. Pour tirer parti de la
présence d’étrangers absolus, les équipes doivent d’abord leur faire
connaître le problème en comblant d’assez vastes fossés culturels et de
communication.

Charlotte, en revanche, n’était pas une étrangère absolue. C’était un


exemple de ce que le spécialiste du management Michael Tushman appelle
des passeurs de frontière : des gens qui comprennent notre monde sans en
faire pleinement partie 155. Tushman affirme que ces passeurs sont utiles en
raison précisément de leur double perspective, interne et externe. Charlotte
était assez différente de l’équipe dirigeante pour être capable de contester
ses raisonnements. En même temps, elle en était assez proche pour
comprendre ses priorités et parler sa langue – et, c’est essentiel, elle était
disponible presque immédiatement.
Obtenir des avis extérieurs suppose toujours un équilibrage entre
l’urgence et l’effort. Quand les problèmes induisent un gros enjeu pour
l’entreprise, ou dans les situations qui exigent une réflexion complètement
neuve, il convient de déployer de sérieux efforts pour faire participer un
groupe vraiment divers. Toutefois, dans les nombreux cas où ce n’est pas
possible, demandez-vous ce que vous pouvez faire d’autre pour obtenir une
certaine extériorité de perspective à l’égard de votre problème.

Sollicitez des avis, pas des solutions

Comme vous l’avez sans doute remarqué, Charlotte n’a pas essayé de
proposer une solution au groupe. Elle s’est contentée d’émettre une
observation qui a aidé les dirigeants eux-mêmes à repenser le problème.
Ce schéma est classique. Par définition, les personnes extérieures ne sont
pas des experts de la situation et seront donc rarement capables de résoudre
le problème. Ce n’est pas leur fonction. Elles sont là pour pousser les
titulaires du problème à raisonner autrement. C’est pourquoi, quand vous
faites intervenir des outsiders :
Expliquez pourquoi ils sont invités. Il vaut mieux que tout le monde
comprenne qu’ils sont là pour aider à bousculer des postulats et à
éviter les angles morts.
Préparez les titulaires du problème à écouter. Dites-leur de
rechercher de la matière à réflexion plutôt que d’attendre des solutions.
Demandez expressément aux personnes extérieures de contrarier
les raisonnements du groupe. Dites-leur bien qu’on n’attend pas
nécessairement d’elles qu’elles apportent des solutions.

La participation de personnes étrangères a un autre effet bénéfique : elle


oblige les titulaires du problème à expliquer leur souci d’une autre manière.
Quelquefois, le simple fait de devoir reformuler un problème dans des
termes moins spécialisés peut amener les experts à le considérer
différemment 156.
* Si vous pensez pouvoir tirer parti de conseils supplémentaires sur la manière de bien écouter,
vous trouverez quelques recommandations dans l’annexe de ce livre sous la rubrique «
Questionnement ».
Résumé du chapitre
Trois problèmes tactiques

Le recadrage soulève quelquefois trois complications courantes. Voici des


conseils pour y remédier.

1. Choisissez quel cadre privilégier

Il arrive qu’un recadrage révèle plusieurs manières possibles de cadrer le


problème. Pour réduire la liste des cadres auxquels il convient de
s’intéresser, soyez à l’affût des cadrages :
Surprenants. Explorez les cadrages de problème surprenants ; ils
surprennent parce qu’ils contredisent un modèle mental.
Simples. Donnez la priorité aux cadres de problème simples. Pour la
plupart des problèmes quotidiens, les bonnes solutions sont rarement
complexes. Utilisez le rasoir d’Occam : les bonnes réponses sont
d’ordinaire les plus simples.
Significatifs s’ils sont authentiques. Intéressez-vous aux cadrages qui
produiraient beaucoup d’effet s’ils étaient exacts, même si votre
intuition vous dit qu’ils ne le sont pas. Rappelez-vous le programme
Bolsa Familia.
Gardez à l’esprit que vous ne serez pas toujours obligé de réduire votre
choix à un seul cadre. Il sera quelquefois possible d’explorer deux ou trois
cadrages en même temps.

2. Déterminez les causes inconnues d’un problème

Quand vous n’avez aucune idée de l’origine d’un problème, il est


envisageable de le faire connaître largement (comme on l’a vu au chapitre
6). Vous pouvez aussi essayer deux autres choses :
Des conversations orientées vers la découverte. Les fondateurs de
Sir Kensington’s ont résolu le mystère des ventes de ketchup par des
conversations, en privilégiant l’écoute et l’apprentissage. À qui
pourriez-vous parler pour en savoir plus ?
Une expérience d’apprentissage. Chez Nickelodeon, Miah Zinn a
résolu le problème de connexion à une appli en invitant quelques
enfants dans son bureau au lieu de s’en remettre à des tests A/B. De la
même manière, pourriez-vous essayer d’expérimenter un nouveau
comportement, qui ouvrirait la porte à de nouvelles idées ?

3. Surmontez les raisonnements en silo

Dans le cas de Mark Granger, la présence de Charlotte et sa détermination à


contester l’équipe dirigeante se sont avérées cruciales. Pour tirer parti des
avis extérieurs, faites ceci :
Faites appel à des passeurs de frontière. Impliquer des étrangers «
absolus » peut avoir une influence majeure, mais ce n’est pas toujours
faisable. Heureusement, on peut souvent faire à moins. Le recours à
des personnes en partie extérieures (ou à des « passeurs de frontière »)
comme Charlotte peut apporter une grande partie des avantages
moyennant un effort moindre.
Demandez des avis, pas des solutions. Les personnes extérieures ne
sont pas là pour fournir des solutions, mais pour poser des questions et
contester le raisonnement du groupe. Rappelez-le à tout le monde au
moment de lancer la discussion.
Chapitre 11
Les opposants au recadrage
Opposition et déni

Supposons que vous deviez aider quelqu’un qui a un problème. Si vous


avez de la chance, la confiance règne entre vous et lui 157 : votre client vous
considère comme un conseiller digne de confiance. Votre collègue respecte
votre compétence. Votre ami sait que vous ne lui voulez que du bien. Il est
alors plus facile de contester la manière dont les gens voient leur problème.
Hélas, il n’en va pas toujours ainsi. Voici quelques scénarios plus
courants :
Les clients vous considèrent comme un expert mais doutent de vos
compétences dans d’autres domaines : C’est un excellent designer,
mais que sait-il de la stratégie ?
Ils peuvent craindre des conflits d’intérêt : Elle essaie seulement de
nous faire signer de nouveaux contrats. Voilà bien les consultants !
Ils peuvent se représenter votre rôle d’une façon différente de la vôtre :
En tant que fournisseur, vous êtes ici pour apporter des solutions.
Avec des collègues, les différences de statut peuvent compliquer le
processus : Pour qui se prend-il, ce débutant qui conteste mon autorité
?
Et bien entendu, votre interlocuteur peut tout simplement avoir une
attitude de déni quant à son problème : Je sais parfaitement écouter,
n’essayez pas de me dire le contraire.
Dans tous ces cas, recadrer le problème est plus difficile. Dans ce
chapitre, je vous dirai comment faire face à deux formes habituelles
d’opposition du client :
L’opposition au processus : quand les gens n’admettent pas la
nécessité d’un recadrage.
Le déni : quand les gens sont favorables au processus – et rejettent
pourtant votre diagnostic particulier.

Ci-dessous, dans un souci de simplification, le mot client désigne en


général le titulaire du problème. Le conseil s’adresse également aux amis,
patrons, associés, etc. – ou, bien entendu, aux autres membres de l’équipe si
vous faites partie d’un groupe confronté à un même problème.
Opposition au processus

Comment vous assurer qu’un recadrage a lieu quand l’ordre du jour dépend
de quelqu’un d’autre ? Vous pouvez essayer ce qui suit.

Impressionner avec un schéma bien conçu et bien


présenté

Je conseille en général une démarche de recadrage plutôt informelle,


naturelle. Cependant, les schémas formalisés ont un gros avantage : ils
aident à acquérir une légitimité auprès des clients.
De nombreuses agences de design ont recours à cette tactique. Regardez
leurs sites web, qui expliquent souvent leur méthode à l’aide de
diagrammes conçus par des professionnels. En présence d’un schéma
structuré, présenté dans les règles de l’art, les clients sont en général plus
portés à admettre que le problème doit être exploré.
L’un des outils que vous pouvez envisager d’utiliser est le canevas de
recadrage. Si vous faites beaucoup de résolution de problème, vous pouvez
envisager de créer votre propre schéma, adapté aux types de problèmes sur
lesquels vous travaillez d’ordinaire. (Demandez à un graphiste de lui
apporter la touche finale avant présentation devant les clients –
l’investissement en vaut la peine.)

Les éduquer à l’avance

Avant de rencontrer un sceptique potentiel, faites-lui parvenir un exemplaire


de ce livre ou une copie de mon article « Are You Solving the Right
Problems? » paru dans la Harvard Business Review (ou tout autre livre ou
article à votre goût sur le sujet). Même s’il ne le lit pas, le simple fait de le
lui avoir envoyé crédibilisera la nécessité du processus.
Raconter l’histoire de l’ascenseur lent

Si vous ne pouvez pas éduquer le client à l’avance, envisagez de lui


raconter l’histoire de l’ascenseur lent. Elle est facile à retenir et elle ne
prend pas beaucoup de temps. Quelquefois, elle peut être suffisante pour
que les clients comprennent l’intérêt du recadrage.

Raconter des histoires d’autres clients

Certains clients détestent qu’on leur dicte leur conduite, quelle que soit la
bienveillance de votre conseil. Il peut alors être bon de raconter des
anecdotes à propos d’autres entreprises ou d’autres personnes, en laissant
les clients établir eux-mêmes le lien avec leur propre situation.
Clayton Christensen, expert en innovation, a notoirement utilisé cette
méthode auprès d’Andy Grove, P-DG d’Intel 158 *. Christensen savait que
les P-DG n’aiment généralement pas qu’on leur dicte leurs actes. C’est
pourquoi il s’est abstenu de donner directement à Grove le conseil sollicité.
Eh bien ! permettez-moi de vous dire ce que j’ai vu dans telle autre
industrie… a-t-il commencé. Avec quelques anecdotes, il a fait passer son
message mieux que s’il avait formulé une recommandation directe. (À
propos, cette méthode peut aussi fonctionner avec des gens qui adoptent
une attitude de déni par rapport au diagnostic.)

Cadrer le besoin en fonction de leur priorité


Les gens n’évaluent pas tous les nouvelles idées de la même manière, a
démontré E. Tory Higgins, professeur à Columbia University. Certains
donnent la priorité à la promotion : le fait qu’il y ait quelque chose à gagner
les pousse à agir. D’autres choisissent la priorité à la prévention : leur souci
est d’éviter les échecs et les pertes 159.
Cela peut influer sur votre manière de positionner le besoin de recadrage.
D’après votre expérience des gens en question, vous pourriez tenter l’une
ou l’autre de ces tactiques :
Priorité à la promotion. « Si nous voulons devenir numéro un sur ce
marché, nous ne pouvons pas jouer le même jeu que nos concurrents.
Rappelez-vous qu’Apple est soudain devenu le plus gros acteur
mondial dans le domaine des smartphones en se concentrant sur le
logiciel et non sur le matériel. Pourrions-nous agir de même en
repensant le problème que nous résolvons ? »
Priorité à la prévention. « Je crains que nous ne soyons en train de
résoudre le mauvais problème. Rappelez-vous que Nokia se
concentrait sur la fabrication du meilleur téléphone portable alors que
le logiciel était plus important. Allons-nous faire le même genre
d’erreur ici ? »

Gérer les émotions du processus

Les clients prétendent peut-être qu’ils n’ont pas de temps pour un recadrage
alors qu’en fait ce sont souvent leurs émotions qui sont en jeu. Pour gérer
cette situation, il est bon de connaître ce que les psychologues appellent le
besoin de clôture cognitive, dont le spectre s’étend entre deux extrêmes :
Les gens qui évitent la clôture préfèrent retarder le moment d’agir,
même s’il leur suffit d’un petit pas. Je trouve que ça va bien trop vite.
Il nous faut plus de données avant d’être prêts à agir. S’ils ne
maîtrisent pas ces émotions, ils risquent fort de laisser traîner trop
longtemps la solution du problème 160.
Les gens qui recherchent la clôture ne trouvent pas naturel de devoir
garder en tête plus d’un problème potentiel : Pourquoi en sommes-
nous encore à parler de cela ? Nous avons eu une explication qui
paraît appropriée. Allons-y ! Mal à l’aise devant l’ambiguïté et la
réflexion, ils se précipitent trop vite en mode solution 161.

Quel que soit le type de personnes avec lesquelles vous travaillez, leurs
émotions risquent de perturber le processus. Il peut être utile de leur
expliquer la nature rapide, itérative, du processus de recadrage et en quoi il
est conçu pour gérer la tension entre la pensée et l’action. D’un côté,
l’existence d’un processus de recadrage garantit que les drogués de l’action
ne bloquent pas les questionnements nécessaires. De l’autre, en s’interdisant
de dépasser un délai raisonnable et en achevant toujours le recadrage par un
pas en avant, on limite le risque de paralysie par l’analyse.
Il se peut quand même qu’un mécontentement surgisse. Voici ce que je
dis à mes clients : la frustration fait inévitablement partie de la résolution de
problème, n’essayez pas de la réprimer. Il vaut mieux être mécontent
maintenant qu’après avoir passé la moitié d’une année à vous hâter dans la
mauvaise direction (pour ceux qui recherchent la clôture) ou à ne pas faire
grand-chose (pour ceux qui l’évitent).
Les tactiques ci-dessus supposent qu’on ait ouvertement convaincu le
client de consacrer du temps au recadrage. Si cela s’avère difficile, il existe
d’autres moyens, subtils, pour y parvenir.

Inviter des personnes extérieures


Quelquefois, pour mettre en train le travail de recadrage, il est plus
important de maîtriser la liste des invités que le processus. Pouvez-vous
introduire dans la pièce une personne dont le point de vue peut aider le
client à comprendre le problème autrement ? (Voir aussi le passage du
chapitre 10 sur les raisonnements en silo.)

Rassembler à l’avance les énoncés du problème

Avec un groupe, il peut être bon d’obtenir à l’avance ses définitions du


problème. Envisagez d’adresser à chacun de ses membres un courrier
électronique individuel avec un message du genre : « Bonjour John, nous
parlerons des statistiques de participation du personnel la semaine
prochaine. Auriez-vous la gentillesse de m’indiquer en quelques lignes ce
que vous pensez du problème ? »
Une fois que vous avez les énoncés, imprimez-les pour les montrer au
cours de la réunion. (Éventuellement, n’indiquez pas leur auteur si vous
pensez que c’est préférable pour la discussion.) Le moyen est excellent pour
lancer le débat, car il deviendra clair aussitôt que les uns et les autres ont
des visions différentes du problème.

Renvoyer à plus tard le processus

Le recadrage est itératif. Si finalement vous ne pouvez décider le client à


explorer le problème d’emblée, vous pourriez avoir une occasion d’essayer
à nouveau plus tard, une fois que vous aurez eu le temps de réunir plus
d’information.
Affronter le déni

Dans mon propre travail de recadrage, j’ai noté ce thème : Nous nous
entichons souvent de cadrages du problème qui nous permettent de ne pas
changer. Si vous pensez que le problème tient à la personnalité inamovible
de votre collègue, à une culture d’entreprise hostile au risque, à l’état de
l’économie mondiale ou aux lois déraisonnablement infrangibles de la
physique, eh bien, vous ne pouvez pas y faire grandchose. Or se trouver
incapable d’agir peut se révéler une situation bien confortable.
Quelquefois, des cadrages plus propices à l’action apparaissent
immédiatement – ou même sautent aux yeux, du moins pour les
observateurs extérieurs. Pourquoi rejetteriez-vous un diagnostic qui, pour
les autres, est clairement correct ? Voici quelques raisons :
Le cadrage vous obligerait à affronter une vérité déplaisante. Nombre
de médecins du xixe siècle rechignaient à admettre l’importance du
lavage des mains. En effet, s’il s’avérait que les maladies étaient
transmises par des germes, ils devraient reconnaître avoir causé par
inadvertance la mort d’un grand nombre de leurs propres patients 162.
Le cadrage tend vers une solution dont vous ne voulez pas.
Quelqu’un qui a un problème de boisson, par exemple, pourrait refuser
le diagnostic afin d’éviter le traitement.
Le cadrage fait obstacle à d’autres incitations en jeu. Un politicien
risque d’aller, consciemment ou non, vers un cadrage incorrect d’un
problème par souci de défendre les intérêts de ses électeurs – ou, ce
qui est plus problématique, de ses soutiens financiers. « Il est difficile
de faire comprendre une chose à un homme quand son salaire dépend
de ce qu’il ne la comprend pas », disait l’écrivain Upton Sinclair 163.
Ces problèmes ne peuvent pas tous être résolus par un recadrage, mais la
méthode peut aider à les mettre en lumière. Et, dans bien des cas, vous
disposez de leviers pour agir. Voici quelques conseils pour le cas où votre
client, dans une attitude de déni, rejetterait votre diagnostic.

D’abord, demandez-vous : Se pourrait-il que je me


trompe ?

Si vous avez un rôle de conseil, il est toujours tentant de vous dire que vous
avez raison et que le client a tort. Ils sont contre parce qu’ils sont stupides.
Une telle certitude peut être séduisante – mais, les études le montrent, vous
pouvez vous sentir absolument certain d’une chose et avoir tort quand
même 164.
Avant d’entrer en campagne pour surmonter le déni du client, prenez une
seconde pour vous demander : Se pourrait-il que, dans le cas présent, je me
trompe ? Quelquefois, l’opposition du client dénote un fait essentiel dont il
a connaissance, même s’il n’est pas capable de le formuler.

Ensuite, recadrez votre propre problème


Supposons que vous restiez persuadé que votre diagnostic est correct. Avant
de bondir en mode solution, demandez-vous si vous comprenez
correctement le problème du déni. Le client est-il tout bonnement
déraisonnable ? Ou se pourrait-il qu’il se passe autre chose ? Voici quelques
exemples des manières possibles de recadrer le problème de déni :
Regardez hors du cadre. Y a-t-il des éléments de la situation dont
vous n’êtes pas conscient ? Rappelez-vous comment Rosie Yakob (voir
chapitre 8) s’est trouvée face à une cliente qui rejetait son conseil non
parce qu’elle était irrationnelle, mais parce qu’une prime lui
échapperait si une vidéo YouTube ne devenait pas virale.
Repensez l’objectif. Avez-vous vraiment besoin de l’accord des parties
prenantes, ou bien y a-t-il des moyens d’atteindre votre but (ou le leur)
sans avoir à les convaincre ? Dans d’autres situations, préserver la
relation peut être plus important que de remédier au problème
immédiat.
Regardez dans le miroir. Dans certains cas, les gens sont réticents au
recadrage à cause de quelque chose que vous faites. Peut-être ne
dissimulez-vous pas votre dédain du client aussi bien que vous le
croyez. Ou peut-être êtes-vous passé à côté d’une de ses priorités, ce
qui vous oblige à y consacrer plus de temps pour la comprendre.
Comme toujours, quand vous vous heurtez à un problème, interrogez-
vous sur le rôle que vous avez pu jouer dans son apparition.

Laissez parler les données

Au lieu d’essayer de convaincre le client vous-même, pourriez-vous


dénicher des données qui feraient le travail à votre place ? Rappelez-vous
comment Chris Dame utilisait les chiffres remontant de ses entretiens avec
les salariés pour convaincre son client que si son nouveau logiciel était mal
accepté, c’était à cause de mauvaises incitations et non d’un problème
d’ergonomie.
À propos, Chris Dame m’a aussi raconté une anecdote classique sur la
puissance des données. À l’époque où l’on utilisait encore des disquettes,
une équipe avait conçu un nouvel ordinateur. Il était doté d’une prise d’air
qui ressemblait à s’y méprendre à la fente d’un lecteur de disquettes. Un
conseil avait essayé de convaincre les ingénieurs que les utilisateurs
risquaient de les confondre, mais les ingénieurs étaient certains que jamais
un client ne serait stupide à ce point. Alors, le conseil a rassemblé des
preuves : il a filmé le P-DG de l’entreprise devant le prototype. Puis il est
retourné voir les ingénieurs avec une vidéo où leur propre patron essayait à
plusieurs reprises d’insérer une disquette dans le ventilateur 165.

Adoptez leur logique – puis trouvez le point faible

Quelquefois, les clients rejettent votre point de vue parce qu’ils croient
fermement en un autre cadrage du problème. En ce cas, tentez d’adopter
leur logique – puis voyez si leur raisonnement contient des incohérences
que vous pourriez mettre en avant.
Steve de Shazer (le psychothérapeute partisan de la thérapie brève) en a
décrit un exemple mémorable. L’un de ses clients, un ancien combattant,
avait travaillé pour la CIA en début de carrière. Père de deux enfants, il était
heureux en mariage mais souffrait depuis peu d’une paranoïa croissante : il
était persuadé que la CIA voulait l’assassiner. Deux chocs à l’arrière de sa
voiture, à six semaines d’intervalle, n’étaient pas des accidents selon lui –
c’étaient des tentatives d’assassinat. Il avait aussi démonté le téléviseur
familial à la recherche de micros cachés. Au grand dam de sa femme, il
patrouillait dans leur maison la nuit avec une arme chargée.
Chercher à convaincre cet homme que la CIA n’était pas à ses trousses
aurait été vain, de Shazer le savait. Sa femme essayait sans succès depuis un
an et demi. De Shazer opta donc pour une autre approche :

La première étape est d’accepter les croyances du client pour argent comptant : faites
comme si la CIA complotait contre lui. Puis demandez-vous ce qui cloche dans les
détails du complot tel qu’il le décrit. Ce qui ne colle pas, tout simplement, est que les
deux tentatives visant à attenter à sa vie ont échoué misérablement : la CIA n’avait
même pas été à deux doigts de le tuer. Comment était-ce possible ? Quand la CIA
veut tuer quelqu’un, elle le tue. D’où cette question : Pourquoi la CIA enverrait-elle
des tueurs aussi incompétents ?

On notera que de Shazer ne brandit pas l’assassinat raté comme une massue
: Alors, clairement, vous avez tort ! Au contraire, il se contente de signaler
le problème : N’est-il pas bizarre qu’ils n’aient même pas été à deux doigts
de vous tuer ? Je veux dire, vous avez fait partie de la CIA. Si l’Agence
avait voulu qu’un type meure, il serait mort à l’heure qu’il est, non ? Il
invitait le client à y réfléchir jusqu’à leur séance suivante, puis il changeait
de sujet. Cela, ainsi que d’autres interventions, finit par guérir l’homme de
ses obsessions 166.
L’important, selon de Shazer, est d’introduire le doute à propos du
cadrage actuel plutôt que de rejeter celui-ci d’emblée. Puis de laisser le
client parvenir lui-même à la conclusion évidente.

Préparez deux solutions

Quelquefois, les clients insistent pour obtenir la solution qu’ils réclament.


En ce cas, vous pouvez envisager de bâtir leur solution et celle qui vous
semble préférable. C’est une approche à haut risque, viable en général dans
le seul cas où la seconde solution ne réclame pas trop de temps ni d’efforts.

Quel que soit le coût, cela doit être fait avec le plus grand soin. N’oubliez
jamais que les clients connaissent leurs problèmes mieux que vous, même
s’ils ne sont pas entièrement capables de bien les expliquer.

Laissez-les échouer une fois

Si les clients ne veulent pas écouter la voix de la raison, les laisser échouer
peut apporter une petite leçon cuisante qui prépare le terrain à une meilleure
collaboration future. Voici l’expérience d’un chef d’entreprise que nous
appellerons Anthony, cofondateur d’un prospère service de lecture en
continu (streaming).
Il s’est trouvé que, pour élargir le service à une série de nouveaux pays,
Anthony et son cofondateur, Justin, obtinrent un financement de quelques
nouveaux actionnaires. Ils comptaient que ces derniers resteraient plutôt
passifs. Mais, alors qu’ils se préparaient à lancer le service dans un nouveau
pays, les investisseurs commencèrent à s’impliquer dans les décisions et les
préparatifs de lancement. Voici ce que m’a relaté Anthony 167 :

Nous savions d’expérience qu’il n’était pas possible de lancer notre service « tel quel
» dans un nouveau pays. Il fallait d’abord l’adapter aux contenus et aux préférences
de consommation locaux. Dans cette optique, il nous fallait un budget afin
d’embaucher des spécialistes locaux qui nous aideraient, ainsi que suffisamment de
temps pour les tests et l’assurance qualité.
Néanmoins, nos actionnaires n’ont rien voulu savoir. Ils trouvaient que c’était lent et
superflu. Ils ont donc fait pression pour que nous nous contentions de lancer le
service en l’état. Comme ils avaient réussi dans d’autres activités et qu’ils étaient
très compétents, ils avaient tendance à nous regarder de haut : Nous allons montrer
à ces lambins comment faire.
Ce n’était pas le bon choix, Anthony le savait – mais il était conscient par
ailleurs qu’un bras de fer aurait pu aigrir leur relation. Surtout, s’il faisait
comme il l’entendait, rien ne prouverait que les actionnaires avaient tort.
Délibérément, il les laissa donc essayer.

Le lancement dans ce pays n’était pas une affaire de vie ou de mort : s’il ne
réussissait pas du premier coup, nous pourrions réessayer plus tard. J’ai donc
simplement laissé les actionnaires agir à leur guise. Et bien sûr, le lancement a
échoué. Ces gens étaient habiles, mais en l’occurrence ils étaient trop sûrs d’eux et
l’échec les a aidés à en prendre conscience.

Après cela, les actionnaires ont approuvé les budgets nécessaires pour
entrer sur de nouveaux marchés de la bonne manière. Et, c’est tout aussi
important, ils ont éprouvé plus de respect pour l’expérience acquise
durement par Anthony et Justin, ce qui a rendu leur équipe plus solide.
De toute évidence, cette tactique a ses limites : si le premier échec doit
coûter très cher ou provoquer des dégâts, vous ne pouvez pas vous
permettre de le traiter comme une expérience enrichissante. Mais si un
échec n’est pas trop coûteux, il peut être bon d’en payer le prix, en le
considérant comme un investissement dans une meilleure relation.
Certaines personnes ont juste besoin d’aller dans le mur une fois ou deux
avant d’accepter que vous leur montriez la porte.

Remportez plutôt la bataille suivante

Il y a quelques années, Samsung a créé une unité d’innovation européenne


destinée à trouver des idées disruptives pour les vendre aux décideurs du
groupe, en Corée. Mais, comme me l’a dit le patron de l’unité, Luke
Mansfield 168 :

En Corée, on n’aimait pas du tout prendre des risques pour essayer des idées
disruptives. Alors, au lieu d’insister lourdement, nous nous sommes mis à leur
fournir des idées bien plus sûres, qui ont produit moins d’effet mais qui ont été
bonnes pour leur carrière. Ils ont fini par nous faire assez confiance pour que nous
leur vendions des idées de plus en plus ambitieuses, ce qui nous a permis de réussir
dans notre mission.
En tant que professionnels, nous voudrions naturellement avoir raison à
tous les coups. Il arrive cependant que le bon choix consiste à accepter la
défaite et à regarder au-delà, en instaurant une relation de confiance avec le
client jusqu’à ce que votre avis acquière davantage de poids pour lui.

* Clayton Christensen est généralement considéré comme l’un des penseurs fondamentaux dans le
domaine du management. Il est à l’origine du paradigme de l’innovation disruptive et a cocréé
l’approche des « jobs-to-be-done » (travaux à accomplir), un schéma largement utilisé pour
mieux comprendre et recadrer les besoins des clients.
Résumé du chapitre
Les opposants au recadrage

Opposition au processus

Si les gens ne veulent pas consacrer de temps au recadrage, essayez un ou


plusieurs de ces procédés :
Présentez un schéma d’aspect formel.
Éduquez-les à l’avance – par exemple en leur envoyant des documents
à lire.
Racontez en cours de réunion l’histoire de l’ascenseur lent.
Relatez des anecdotes d’autres clients.
Argumentez selon leur centre d’intérêt. Visent-ils à gagner ou à ne pas
perdre ?
Répondez explicitement à leurs émotions (éviter la clôture ou
rechercher la clôture).
Invitez des personnes extérieures et laissez-les faire le travail à votre
place.
Réunissez des énoncés de problème à l’avance.
Si rien de cela ne fonctionne, vous pouvez garder le travail de recadrage
pour plus tard ou l’accomplir sous le radar.

Affronter le déni

Face à une attitude de déni envers certains aspects du problème, vous


pouvez essayer ces quelques pistes :
Demandez-vous d’abord : Se pourrait-il que j’aie tort ? L’opposition
d’un client à un diagnostic particulier n’est pas toujours un simple
déni. Elle peut indiquer un fait que vous n’avez pas pris en compte.
Envisagez de recadrer le problème de déni – Se passe-t-il autre chose ?
Obtenez des données que vous puissiez montrer. Pouvez-vous
rassembler certaines preuves qui aideraient le client à constater ce qui
se passe ?
Adoptez leur logique – puis trouvez un point faible. Rappelez-vous le
cas de de Shazer : Pourquoi la CIA enverrait-elle des tueurs d’une
telle incompétence ?
Préparez deux solutions. Quelquefois, il est possible de concevoir une
solution convenant à la fois au problème énoncé et à celui qu’il vous
paraît préférable de traiter.
Laissez-les échouer une fois, si les conséquences ne sont pas trop
graves.
Remportez plutôt la prochaine bataille : attachez-vous à préserver la
relation.
Conclusion
Un mot d’adieu

Pour achever notre voyage en commun, j’aimerais remonter le temps afin


de vous présenter un personnage à part : Thomas C. Chamberlin 169.
Chamberlin, géologue de la fin du xixe siècle, a été l’un des premiers
penseurs à mettre en garde contre le risque de s’enticher de sa propre
théorie. Il l’a exposé dans un article publié par Science en 1890, à une
époque où les revues académiques autorisaient encore un langage fleuri :

L’esprit s’attarde avec plaisir sur les faits qui s’inscrivent heureusement dans le
champ de la théorie et éprouve une froideur naturelle envers ceux qui paraissent
réfractaires. D’instinct, il y a une recherche spéciale du phénomène qui le soutient,
car l’esprit est dirigé par ses désirs.

Aujourd’hui, nous appelons cela un biais de confirmation, et son effet


corrosif sur la qualité du jugement a été amplement vérifié par le domaine
de l’économie comportementale. Une fois tombé amoureux de votre théorie
(ce que Chamberlin comparait à l’affection parentale), vous risquez
fatalement d’être hermétique à ses défauts.

De la théorie à l’hypothèse de travail

La communauté scientifique connaissait le danger du biais de confirmation


au temps de Chamberlin. Nombre de ses collègues plaidaient pour un
nouveau concept, l’hypothèse de travail, afin de résoudre le problème.
À la différence d’une théorie, une hypothèse de travail se présentait
comme une explication temporaire. Elle servait avant tout de schéma
directeur en vue de recherches ultérieures et vous permettait de trouver des
moyens de tester votre idée. Préalablement à ce test, l’hypothèse devait être
considérée avec la prudence de rigueur. Aujourd’hui, nous dirions : «
N’accordez pas trop de crédit à vos opinions. »

Le conseil paraissait raisonnable. Pourtant, Chamberlin n’était pas


partisan de l’hypothèse de travail. Il savait d’expérience que dès lors que
vous considérez une seule hypothèse, si prudemment que ce soit, vous serez
à la merci de l’équivalent intellectuel d’un attachement amoureux 170. Il n’y
a rien à y faire, on est porté à aimer un enfant unique. Alors, que peut-on
faire ?
La solution proposée par Chamberlin était de créer des hypothèses de
travail multiples – c’est-à-dire d’explorer simultanément plusieurs
explications différentes de ce qui se passe. En le faisant d’emblée, vous
vous vaccinez contre le danger d’un point de vue unique. Cela devrait
paraître familier : poursuivre des hypothèses de travail multiples correspond
à l’idée de rechercher plus d’un cadrage au problème que vous rencontrez
pour la première fois.

Chamberlin a proposé une démarche visant à éviter le biais de


confirmation. La voici, résumée, car elle est directement applicable à votre
manière de recadrer les problèmes :
Ne jamais s’attacher d’emblée à une seule explication.
Explorer simultanément des explications multiples jusqu’à ce que des
essais empiriques suffisants aient révélé le meilleur choix.
Être ouvert à l’idée que l’optimum peut être un mélange de plusieurs
explications différentes.
Être prêt à céder la place si quelque chose de meilleur apparaît plus
tard.

Les observations de Chamberlin sont valables aussi pour les problèmes


d’aujourd’hui :
Face à un problème, on commence immédiatement à rechercher des
explications : Que se passe-t-il ici ? Quelle est la cause de ce gâchis ?
Le plus souvent, notre esprit trouve une réponse qui paraît convenir :
30 % des chiens du chenil sont déposés par leur propre famille ?
Clairement, l’explication est que ces gens sont mauvais.
À partir de là, tous les paris sont ouverts : on passe en mode solution.
De telles personnes ne devraient pas avoir le droit d’adopter des
animaux. Comment pourrions-nous durcir notre processus d’adoption
pour filtrer les mauvais propriétaires ?

Ce flux simple – du point douloureux au problème, puis à la mauvaise


solution – est responsable d’une grande partie de nos malheurs et du
gaspillage de notre potentiel. Le remède, comme Chamberlin le suggère,
n’est pas d’analyser plus attentivement notre théorie favorite ni de prétendre
que nous pouvons l’approcher plus objectivement. C’est de trouver d’autres
points de vue dès le début pour éviter de nous enticher d’une mauvaise idée
171 – et pour nous rappeler que les problèmes ont presque toujours plus

d’une seule solution.


J’espère que ce livre vous a donné les outils pour commencer à explorer
cette voie. Pour conclure, j’aimerais partager deux conseils sur ce qu’il vous
reste à faire, une fois que vous aurez posé ce livre.
D’abord, je vous suggère de commencer à pratiquer la méthode
autant que possible. Chamberlin assurait qu’avec suffisamment de
pratique, elle commence à devenir un automatisme intellectuel. « Au lieu
d’une simple succession de pensées en ordre linéaire, écrit-il, l’esprit
semble nanti de la puissance d’une vision simultanée sous différents points
de vue. »
Pour en arriver là, entreprenez d’utiliser la méthode pour des problèmes
grands et petits, au travail, à la maison, et pour des problèmes sociaux ou
mondiaux qui vous préoccupent. Plus vous pratiquez le recadrage, mieux
vous l’utiliserez quand ce sera vraiment important.
Deuxièmement, je vous conseille de partager la méthode avec au
moins une autre personne proche de vous. Les problèmes
s’amoindrissent quand quelqu’un se trouve à vos côtés – et c’est
doublement vrai si ce quelqu’un comprend aussi le recadrage. Voici
quelques idées :
Présentez la méthode à votre équipe, afin qu’elle sache ce qui se passe
(et qu’elle puisse apporter son aide) quand vous commencez à évoquer
la nécessité de recadrer un problème connexe.
Hors du travail, présentez-la à votre conjoint ou à un bon ami – toute
personne vers qui vous vous tournez quand vous avez besoin de parler
de vos problèmes. Partagez-la aussi avec les gens qui comptent sur
vous pour les aider à résoudre leurs propres problèmes.
Engagez une conversation avec votre patron, votre équipe de RH ou
toute personne susceptible de faire connaître plus largement le
recadrage là où vous travaillez.
Et si vous pensez que ce livre mérite un plus large public, merci
d’envisager d’en publier un commentaire en ligne ou de le faire
connaître par tout autre moyen.

Ainsi arrivons-nous, cher lecteur, à la fin du voyage de l’ascenseur. La


puissance du recadrage est connue au moins depuis l’époque de Chamberlin
– et pourtant la plupart des gens ne savent pas encore bien s’y prendre. Je
pense que c’est absurde et je crois que nous pouvons y remédier.
Alors, allons-y.

Thomas Wedell-Wedellsborg
New York City
Annexe
Lectures conseillées

Références et formations

Le site web de ce livre, www.howtoreframe.com (en anglais), propose des


documents supplémentaires :
Une introduction à la théorie.
Des listes de contrôle.
Des versions du canevas de recadrage prêtes à imprimer.
Etc.

Le site contient aussi des informations sur mes exposés, ateliers et


licences collectives, pour le cas où vous voudriez mettre en place plus
largement le recadrage dans votre entreprise.

Lectures sur le recadrage

On trouvera ci-dessous une sélection personnelle, à défaut d’une liste


exhaustive. D’une manière générale, je donne la priorité aux livres
pratiques. Si vous êtes porté sur la théorie, voyez le site web du livre.
Si vous ne deviez lire qu’un livre, choisissez Comment faire les bons
choix – Une démarche efficace en 4 étapes pour prendre de meilleures
décisions, de Chip et Dan Heath (Zen Business, 2014). Excellent
complément au présent ouvrage, il couvre plus largement la résolution de
problème et la prise de décision. Comme les livres précédents des mêmes
auteurs, Ces idées qui collent et Switch – Osez le changement, Comment
faire les bons choix est documenté, distrayant et hautement pragmatique.

Le recadrage dans l’entreprise en général

Procurez-vous le livre de Jennifer Riel et Roger L. Martin, Creating Great


Choices: A Leader’s Guide to Integrative Thinking (Boston, Harvard
Business Review Press, 2017). À partir des travaux de Roger Martin, les
auteurs présentent des conseils utiles sur la façon de travailler avec des
modèles mentaux et d’inventer de nouveaux choix.

Le recadrage en médecine

Every Patient Tells a Story: Medical Mysteries and the Art of Diagnosis,
de Lisa Sanders (New York, Broadway Books, 2009), est rédigé pour les
non-spécialistes et ouvre une fenêtre fascinante sur le monde du diagnostic
médical.

Le recadrage en politique

The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and
Religion, de Jonathan Haidt (New York, Pantheon, 2012), offre un regard
riche sur les différences de cadrage des problèmes entre électeurs
conservateurs et progressistes.
Le recadrage en design

Frame Innovation: Create New Thinking by Design, de Kees Dorst


(Cambridge, MA, Massachusetts Institute of Technology, 2015), propose
une étude approfondie du rôle central du recadrage dans la pratique du
design. L’exposé théorique du livre est particulièrement solide.

Le recadrage dans les négociations

Le classique Comment réussir une négociation, de Roger Fisher, William


Ury et Bruce Patton (Paris, Le Seuil, 2006), reste le premier livre à lire sur
ce sujet. Le deuxième est Comment mener les discussions difficiles. Avec
votre patron, votre femme, votre mari, vos enfants, de Douglas Stone,
Bruce Patton et Sheila Heen (Paris, Le Seuil, 2008). Ce livre présente de
nombreux exemples de problèmes résolus en changeant de perspective sur
les motivations des autres. Vient ensuite Ne coupez jamais la poire en deux
– Un manuel redoutable pour négocier gagnant par un ancien
négociateur du FBI, de Chris Voss, ex-négociateur lors de prises d’otages
(Paris, Belfond, 2018).

Le recadrage dans l’enseignement

Les enseignants désireux d’amener leurs élèves à mieux questionner


songeront à Make Just One Change: Teach Students to Ask Their Own
Questions, de Dan Rothstein et Luz Santana (Cambridge, MA, Harvard
Education Press, 2011). Ce livre, fruit des travaux de Rothstein et Santana
au Right Question Institute, constitue un guide détaillé sur la manière de
travailler avec leur technique de formulation des questions dans une salle de
classe.
Le recadrage dans l’ingénierie et les opérations

Ici, le meilleur guide est un manuel, Strategies for Creative Problem


Solving, 3e édition, de H. Scott Fogler, Steven E. LeBlanc et Benjamin
Rizzo (Upper Saddle River, NJ, Pearson Education, 2014). Ce livre offre
aussi une vue générale des schémas de résolution de problèmes les plus
courants.

Le recadrage dans les mathématiques et le calcul

Pour ceux qui aiment les livres copieusement assaisonnés d’équations


mathématiques, la référence incontournable est How to Solve It: Modern
Heuristics, 2e édition, de Zbigniew Michalewicz et David B. Fogel (Berlin,
Springer-Verlag, 2000). Cet ouvrage explore les méthodes statistiques, les
algorithmes informatiques, etc.

Le recadrage dans les start-up et la validation de problème

Les travaux de Steve Blank, professeur à Stanford University, sur le


développement de clientèle, contiennent beaucoup de conseils utiles pour le
diagnostic et la validation des problèmes des clients. Si vous désirez des
conseils détaillés, lisez Le Manuel du créateur de start-up – Étape par
étape, bâtissez une entreprise formidable !, de Blank et Bob Dorf (Paris,
Diateino, 2013). Pour une présentation rapide, lisez « Why the Lean Start-
Up Changes Everything », un article de Blank paru dans la Harvard
Business Review en mai 2013. Utile aussi est le livre d’Eric Ries, Lean
Startup – Adoptez l’innovation continue (Paris, Pearson, 2015).

Le recadrage dans le coaching


Pour ceux qui voudraient devenir de meilleurs coachs, je conseille
fortement 10 Minutes pour coacher ses collaborateurs, de Michael Bungay
Stanier (Paris, Diateino, 2016) – bref guide pratique sur la manière de poser
des questions qui aident les clients (ou vous-même) à repenser leurs
problèmes.

Le recadrage dans les systèmes de récompense

Bien qu’il ne traite pas directement du recadrage, le petit livre pratique de


Steve Kerr, Reward Systems: Does Yours Measure Up? (Boston, Harvard
School Publishing, 2009), contient quelques conseils très utiles sur la
manière de vous assurer que votre système de récompense vise les bons
problèmes.

Le recadrage dans les études de consommation

Le schéma des « travaux à accomplir » est un outil utile pour comprendre et


repenser les besoins et soucis majeurs des clients. Competing Against
Luck: The Story of Innovation and Customer Choice, de Clayton M.
Christensen, Karen Dillon, Taddy Hall et David S. Duncan, fournit une
présentation complète de la méthode et de son utilisation. Pour les
praticiens, je conseille aussi Jobs to Be Done: A Roadmap for Customer-
Centered Innovation, de Stephen Wunker, Jessica Wattman et David Farber
(New York, Amacom, 2016).
Vous pouvez utilement vous reporter à Discovery-Driven Growth: A
Breakthrough Process to Reduce Risk and Seize Opportunity, de Rita
Gunther McGrath et Ian C. MacMillan (Boston, Harvard Business Review
Press, 2009) – ouvrage également très centré sur l’organisation.
À lire aussi un article utile sur le rôle du questionnement et du recadrage
dans le développement de produit par Kevin Coyne, Patricia Gorman
Clifford et Renée Dye, « Breakthrough Thinking from Inside the Box »,
Harvard Business Review, décembre 2007.
Pour un plongeon plus profond dans la recherche de sens et autres
méthodes ethnographiques, lisez le livre de Christian Madsbjerg et Mikkel
B. Rasmussen, The Moment of Clarity: Using the Human Sciences to
Solve Your Toughest Business Problems (Boston, Harvard Business
Review Press, 2014). Madsbjerg et Rasmussen plaident en faveur d’une
immersion complète dans le monde du consommateur et présentent des
études de cas convaincantes concernant notamment LEGO. Pour une
présentation rapide, lire leur article « An Anthropologist Walks into a
Bar… », Harvard Business Review, mars 2014.

Autres sujets

Questionnement

La capacité à poser de bonnes questions est en rapport étroit avec le


recadrage. Voici quelques bonnes lectures :
Le livre de Hal Gregersen, Questions Are the Answer: A Breakthrough
Approach to Your Most Vexing Problems at Work and in Life (New York,
HarperCollins, 2018) et son article « Bursting the CEO Bubble »,
Harvard Business Review, mars-avril 2017.
Le livre de Warren Berger, A More Beautiful Question: The Power of
Inquiry to Spark Breakthrough Ideas (New York, Bloomsbury USA,
2014), destiné à un large public.
Le livre de Edgar H. Schein, Humble Inquiry: The Gentle Art of Asking
Instead of Telling (San Francisco, Berrett-Koehler Publishers, 2013), un
ouvrage utile destiné aux cadres.

Résolution de problèmes pour les consultants


Pour ceux qui désirent approfondir la résolution de problème analytique
telle que l’utilisent les conseils en management, lire Bulletproof Problem
Solving: The One Skill That Changes Everything, de Charles Conn et
Robert McLean (Hoboken, NJ, John Wiley & Sons, 2018).
Autre lecture excellente : The Power of Positive Deviance: How
Unlikely Innovators Solve the World’s Toughest Problems, de Richard
Pascale, Jerry Sternin et Monique Sternin (Boston, Harvard Business Press,
2010), qui contient des leçons centrales sur la manière de dire qui est
titulaire d’une solution au sein d’un groupe ou d’une collectivité (c’est-à-
dire en laissant les autres cadrer les problèmes et découvrir les solutions
eux-mêmes, le conseil jouant un rôle d’animateur).

Formulation de problèmes

Avant de recadrer les problèmes, vous devez les cadrer – c’est-à-dire créer
un énoncé du problème. On trouvera des conseils détaillés sur la
formulation des problèmes (par distinction avec leur recadrage) dans les
deux articles suivants :
« Are You Solving the Right Problem? », de Dwayne Spradlin,
Harvard Business Review, septembre 2012, qui fournit certains conseils
utiles sur la manière de créer des énoncés du problème permettant à des
personnes extérieures de proposer des informations ou des solutions.
« The Most Underrated Skill in Management », de Nelson P.
Repenning, Don Kieffer et Todd Astor, MIT Sloan Management Review,
printemps 2017, qui livre des conseils utiles en particulier sur la manière de
clarifier les objectifs.

Tactiques d’influence

Si votre principal problème est d’influencer autrui – par exemple s’il vous
faut décider une équipe à considérer votre point de vue – lisez le petit livre
de Phil M. Jones, Exactly What to Say: The Magic Words to Influence and
Impact (Box of Tricks Publishing, 2017), qui contient des conseils très
tactiques sur les phrases à utiliser.
Autre lecture classique, Influence et manipulation : comprendre et
maîtriser les techniques de persuasion, de Robert Cialdini (Paris, First
Éditions, 2004), ou si possible l’édition révisée Influence: The Psychology
of Persuasion (HarperBusiness, 2006).

Vous comprendre et comprendre les autres

Si vous désirez un guide concis destiné aux praticiens, lisez No One


Understands You and What to Do About It, de Heidi Grant Halvorson
(Boston, Harvard Business Review Press, 2015). Pour approfondir, voir le
livre de Tasha Eurich, Insight: The Surprising Truth About How Others
See Us, How We See Ourselves, and Why the Answers Matter More Than
We Think (New York, Currency, 2017).

L’art de l’observation

Comme dans un récit de Sherlock Holmes, une résolution de problème


réussie peut parfois reposer sur l’aptitude à voir une chose que les autres ne
remarquent pas. Si vous cherchez à renforcer vos talents d’observateur, je
conseille le livre d’Amy E. Herman, Visual Intelligence: Sharpen Your
Perception, Change Your Life (New York, Houghton Mifflin Harcourt,
2016). À travers l’étude d’œuvres d’art classiques, Amy Herman a enseigné
l’art de l’observation à des agents du FBI et à des fonctionnaires de police,
et son livre comprend des illustrations en couleurs avec lesquelles les
lecteurs peuvent affûter leur capacité à voir ce que d’autres ne remarquent
pas.

Diversité
Mon livre favori sur la diversité est celui de Scott Page, The Diversity
Bonus: How Great Teams Pay Off in the Knowledge Economy (Princeton,
NJ, Princeton University Press, 2017), qui présente à la fois la preuve des
avantages de la diversité et quelques schémas utiles pour utiliser celle-ci au
mieux.

Modèles mentaux et théorie de la métaphore

On ne saurait exagérer l’effet des modèles mentaux et des métaphores sur


nos raisonnements. Pour ceux qui s’intéressent à la cognition et à la
linguistique, je conseille le livre de Douglas Hofstadter et Emmanuel
Sander, Surfaces and Essences: Analogy as the Fuel and Fire of Thinking
(New York, Basic Books, 2013), ainsi que le toujours intéressant classique
de George Lakoff et Mark Johnson, Les Métaphores dans la vie
quotidienne (Paris, Éditions de Minuit, 1986).
Notes

1. Ce que j’appelle « recadrage » dans ce livre est traité dans les travaux universitaires sous
différents noms : « recherche de problème », « découverte de problème », « formulation de
problème », « construction de problème », etc. Les travaux scientifiques sur le recadrage étaient
surtout consacrés, à l’origine, au domaine des études de créativité, avec les explorations
empiriques de Jacob Getzels et Mihaly Csikszentmihalyi en 1971 puis les contributions de
savants comme Michael Mumford, Mark Runco, Robert Sternberg, Roni Reiter-Palmon et
beaucoup d’autres.
L’histoire du recadrage est cependant beaucoup plus large. Le diagnostic de problème occupe
une place centrale dans la quasi-totalité des disciplines théoriques ou pratiques. Par conséquent,
vous trouverez des penseurs du recadrage dans tous les domaines – ou presque – de l’activité
humaine. Une chronologie non exhaustive des premiers penseurs du recadrage, avec leur
discipline, comprendrait la géologie (Chamberlin, 1890), l’éducation (Dewey, 1910), la
psychologie (Duncker, 1935), la physique (Einstein et Infeld, 1938), les mathématiques (Polya,
1945), la gestion opérationnelle (Ackoff, 1960), la philosophie (Kuhn, 1962), la théorie critique
(Foucault, 1966), la sociologie (Goffman, 1974), l’économie comportementale (Kahneman et
Tversky, 1974) et, notoirement, la science du management (Drucker, 1954 ; Levitt, 1960 ;
Argyris, 1977). Ajoutons les apports essentiels de praticiens de disciplines comme la création
d’entreprise, le coaching, les négociations, la stratégie d’entreprise, le design comportemental,
la résolution des conflits et, en particulier, le design thinking.
Si vous désirez approfondir l’histoire du recadrage, consultez le site web de ce livre
(www.howtoreframe.com). Vous y trouverez un survol plus complet des observations
scientifiques qui appuient le concept, avec les références complètes des penseurs du recadrage
mentionnés dans cette note.
2. L’idée que le recadrage est une compétence pouvant être enseignée (et pas seulement un talent
inné) s’appuie sur mes propres recherches. Une méta-étude (c’est-à-dire une revue de toutes les
recherches disponibles) de 2004 a montré que la formation à la recherche de problème était l’un
des moyens les plus efficaces pour développer la créativité ; voir Ginamarie Scott, Lyle E.
Leritz et Michael D. Mumford, « The Effectiveness of Creativity Training: A Quantitative
Review », Creativity Research Journal 16, n° 4 (2004), p. 361.
3. L’histoire de l’ascenseur est une anecdote classique dont l’origine – s’il en est une – se perd
dans la nuit des temps. À ma connaissance, sa première citation académique remonte à un
article publié en 1960 par le fameux chercheur en gestion opérationnelle Russell L. Ackoff, où
elle illustrait l’utilité des équipes de résolution de problème interdisciplinaires ; voir Russell L.
Ackoff, « Systems, Organizations, and Interdisplinary Research », General Systems 5 (1960).
Ackofflui-même a dit dans ses écrits ultérieurs que cette histoire était anecdotique. Merci à
Arundhita Bhanjdeo ainsi qu’à Elizabeth Webb et Silvia Bellezza, de Columbia Business
School, de m’avoir signalé l’article original d’Ackoff.
4. Notez que la solution du miroir n’est pas censée être « la » réponse au problème de l’ascenseur
lent. (Des miroirs sont inutiles, par exemple, si le problème est que les gens arrivent en retard à
leurs réunions.) C’est simplement un exemple d’une idée de base facile à retenir : recadrer un
problème permet parfois de trouver des solutions bien meilleures que celles issues des formes
plus traditionnelles d’analyse du problème.
5. Albert Einstein et Leopold Infeld écrivaient en 1938 : « La formulation d’un problème est
souvent plus essentielle que sa solution, qui peut être simplement une affaire de compétence
mathématique ou expérimentale. Soulever de nouvelles questions, de nouvelles possibilités,
considérer les vieux problèmes sous un angle neuf, requiert de l’imagination créatrice et marque
une vraie avancée de la science. » (Voir Einstein et Infeld, The Evolution of Physics
[Cambridge, Cambridge University Press, 1938]. Le passage figure p. 92 de l’édition de 2007.
C’est moi qui souligne. Édition française : L’Évolution des idées en physique [Paris,
Flammarion, 1951].) L’idée sous-jacente, résoudre le bon problème, est antérieure. Parmi les
premiers à la formuler figurent Thomas C. Chamberlin (1890) et John Dewey (1910). Le terme
« framing » (cadrage) tel que je l’utilise ici a été introduit en 1974 par le sociologue Erving
Goffman dans son livre Frame Analysis: An Essay on the Organization of Experience (Boston,
Harvard University Press, 1974) ; édition française : Les Cadres de l’expérience (Paris, Éditions
de Minuit, 1991). Goffman considérait les cadres comme les modèles mentaux que nous
utilisons pour organiser et interpréter nos expériences – c’est-à-dire comme un outil destiné à
faire sens.
6. Les données proviennent de trois enquêtes que j’ai menées en 2015 auprès de 106 cadres
supérieurs ayant participé à l’une de mes séances de formation. Les profils de réponses ont été
homogènes dans les trois enquêtes. Moins d’une personne sur dix disait que son entreprise ne
rencontrait pas de difficulté particulière dans le diagnostic de problème.
7. On trouvera deux exemples contemporains dans les travaux de Roger L. Martin sur la pensée
intégrative et dans ceux de Hal Gregersen sur les compétences de questionnement, mentionnés
parmi les lectures recommandées.
8. J’exprime ma reconnaissance à Alexander Osterwalder et Yves Pigneur pour avoir préparé le
terrain à une nouvelle présentation des livres d’économie d’entreprise et pour avoir en partie
inspiré la création de mon canevas de recadrage.
9. À la suite des travaux du psychologue Albert Bandura, un corpus important de recherches a été
consacré à ce que les savants appellent l’autoefficacité – c’est-à-dire la conviction que « je peux
le faire » ; voir Albert Bandura, « Self-Efficacy in Human Agency », American Psychologist
37, n° 2 (1982), p. 122-147. Fait intéressant, l’autoefficacité n’est pas strictement le résultat
d’une expérience ou d’un comportement appris. Il semble bien que ce soit principalement un
trait héritable ; voir Trine Waaktaar et Svenn Torgersen, « Self-Efficacy Is Mainly Genetic, Not
Learned: A Multiple-Rater Twin Study on the Causal Structure of General Self-Efficacy in
Young People », Twin Research and Human Genetics 16, n° 3 (2013), p. 651-660. De plus,
l’autoefficacité ne mesure que votre conviction de pouvoir réussir – pas nécessairement
l’efficacité réelle (c’est-à-dire les résultats du monde réel). Pour en savoir plus, voir aussi les
notes suivantes.
10. Les études sur la création d’entreprise donnent un exemple de la manière dont la confiance en
soi peut conduire à une impasse. Dans une étude passionnante, Thomas Astebro et Samir
Elhedhli se sont penchés sur des chefs d’entreprise dont une association appelée Canadian
Innovation Centre avait considéré que leurs business plans avaient très peu de chances de
réussir. La moitié d’entre eux avaient ignoré cet avis et lancé leur entreprise malgré tout. Et tous
avaient échoué comme prédit ; voir Thomas Astebro et Samir Elhedhli, « The Effectiveness of
Simple Decision Heuristics: Forecasting Commercial Success for Early-Stage Ventures »,
Management Science 52, n° 3 (2006). Je suis reconnaissant à Tasha Eurich, psychologue des
organisations, de m’avoir fait connaître cet étude via son livre Insight: The Surprising Truth
about How Others See Us, How We See Ourselves, and Why the Answers Matter More Than We
Think (New York, Currency, 2017).
11. Les statistiques fournies ici proviennent du site web de l’ASPCA. En comparaison des
recensements humains, le décompte des animaux familiers est imprécis. C’est pourquoi vous
trouverez des données très différentes selon les sources.
12. Conversation de l’auteur avec Henrik Werdelin et Stacie Grissom, en 2016.
13. Quel a été l’effet de BarkBuddy sur les adoptions dans les chenils ? Comme les coordonnées
des chenils figuraient directement sur les profils des animaux, BarkBox n’était pas en mesure
de suivre les adoptions réalisées via l’appli. Cependant, on peut évaluer son effet en comparant
les 8 000 dollars qu’a coûtés la réalisation de l’appli au scénario dans lequel l’équipe BarkBox
aurait simplement fait don de 8 000 dollars à un chenil ou à une association de protection des
animaux. Si l’on considère que sauver un chien d’un chenil coûte en moyenne 85 dollars (vous
retrouverez ce montant plus bas), on peut dire que BarkBuddy aurait eu un effet dès lors qu’une
centaine de personnes environ aurait adopté un chien dans un refuge via cette application. Un
million de pages ayant été vues chaque mois dans la période suivant son lancement, il semble
hautement probable qu’elle a eu un effet largement positif sur les adoptions.
14. Le récit de ce qu’a fait Lori repose sur plusieurs entretiens qu’elle a accordés entre 2016 et
2018, ainsi que sur son livre First Home, Forever Home: How to Start and Run a Shelter
Intervention Program (CreateSpace Publishing, 2015), qui décrit son histoire et explique
comment gérer un programme similaire. Des parties de ce récit ont initialement été publiées
dans mon article « Are You Solving the Right Problems? » paru dans la Harvard Business
Review en janvier-févier 2017. Je suis reconnaissant à Suzanna Schumacher de m’avoir fait
connaître l’histoire de Lori.
15. Ces dernières années, les taux d’adoption, d’accueil en chenil et d’euthanasie ont évolué de
manière extrêmement positive. Entre 2011 et 2017, en comptant à la fois les chiens et les chats,
les adoptions sont passées de 2,7 millions à 3,2 millions et les euthanasies ont reculé de 2,6
millions à 1,5 million. Les programmes d’intervention en chenil – également appelés filets de
sécurité – en sont pour une part la cause, mais bien d’autres initiatives y ont aussi contribué. Le
secteur est trop complexe pour que je puisse le décrire ici. Si vous désirez approfondir le sujet,
je vous conseille de commencer par consulter le site web de l’ASPCA (www.aspca.com), où de
nombreux documents sont disponibles. Les statistiques d’amélioration citées plus haut
proviennent d’un communiqué de l’ASPCA publié le 1er mars 2017.
16. Voir The Wide Lens: What Successful Innovators See That Others Miss, de Ron Adner (New
York, Portfolion/Penguin, 2012). À propos, en dépit de tout cela, l’appli BarkBuddy n’aurait pu
voir le jour sans la création préalable par PetFinder.com d’une base de données où les chenils
peuvent inscrire leurs chiens disponibles, et dont elle tire ses données.
17. Comme l’écrit Nutt, « les options écartées ne sont pas perdues. Elles vous aident à confirmer
l’intérêt de la ligne de conduite choisie et vous proposent souvent des moyens pour l’améliorer
». Nutt a résumé ses recherches dans Why Decisions Fail: Avoiding the Blunders and Traps
That Lead to Debacles (San Francisco, Berrett-Koehler, 2002). La citation ci-dessus se trouve
p. 264.
18. Extrait du « Future of Jobs Report 2016 » du Forum économique mondial.
19. Le cas auquel je fais allusion est celui des accords de Camp David en 1978. Pour une
présentation approfondie des effets du cadrage sur les choix politiques, voir le travail de Carol
Bacchi sur son schéma WPR. Pour un exposé encore plus approfondi (voire dense), voir Donald
A. Schön et Martin Rein, Frame Reflection: Toward the Resolution of Intractable Policy
Controversies (New York, Basic Books, 1994).
20. La manière dont le cadrage peut servir à influencer l’opinion est étudiée depuis les débuts de ce
que la science politique appelle agenda-setting (choix des priorités). Les premiers écrits dans ce
domaine s’attachaient surtout à la manière dont la hiérarchie et la fréquence des informations
d’actualité sur une question affectaient les opinions du public à son sujet. Puis les recherches
ont commencé à examiner comment différents cadrages d’un sujet affectaient les sentiments et
les pensées des gens à son égard.
Si vous vous intéressez à la politique américaine, le livre de George Lakoff, La Guerre des
mots, ou comment contrer le discours des conservateurs (Neuilly, Les Petits matins, 2015) est
un guide intéressant. Lakoff est l’un des penseurs de référence concernant les effets du cadrage
et leurs rapports avec le langage et les métaphores. Notez cependant que Lakoff est un
progressiste déclaré et fier de l’être. Plus équilibré politiquement est le livre de Jonathan Haidt,
The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion (New York,
Pantheon, 2012).
Une autre contribution majeure aux recherches portant sur les effets du cadrage est l’étude
fondatrice de Daniel Kahneman et Amos Tversky sur la manière dont il nous conduit à des
conclusions extrêmement différentes selon que – par exemple – nous percevons un changement
comme une perte ou un gain. Voir l’exposé approfondi de Kahneman dans Système 1, Système
2, les deux vitesses de la pensée (Paris, Flammarion, 2012). On trouvera une présentation plus
brève mais impeccablement écrite dans le livre de Michael Lewis, The Undoing Project: A
Friendship That Changed Our Minds (New York, W.W. Norton & Company, 2017). Pour
trouver un exposé encore plus cursif, entrez dans n’importe quelle librairie, lancez une fléchette
sur le rayon de vulgarisation psychologique et lisez le livre dans lequel elle se plantera, quel
qu’il soit.
21. L’expression a été inventée par Adelaide Richardson, la fille de Sheila Heen, écrivaine et
experte en négociation rencontrée au chapitre 7, « Regarder dans le miroir ».
22. Entretien personnel avec Christoffer Lorenzen, cadre dirigeant d’un laboratoire
pharmaceutique, autour d’un latte, en 2010.
23. La « citation d’Einstein » est parue pour la première fois dans un article de 1966 où elle était
attribuée non à Einstein, mais à un professeur anonyme de Yale University. Ses nombreuses
péripéties sont relatées par l’excellent site web de Garson O’Toole, QuoteInvestigator.com.
J’admire la manière dont l’idée la plus douteuse devient inaccessible aux critiques dès lors que
vous l’attribuez à Einstein ou à quelque autre sommité. À propos, voici une autre citation
attribuée (par moi) à Einstein, Gandhi, Steve Jobs, Mère Theresa et S.M. Élisabeth Ire : « Vous
devriez conseiller Cernez vos problèmes pour mieux les résoudre à toute personne de votre
connaissance. »
24. L’un des premiers savants à étudier comment ces experts fonctionnent réellement, Donald
Schön, professeur au MIT, évoquait l’idée de « réflexion-en-action ». Voir son livre The
Reflective Practitioner: How Professionals Think in Action (New York, Basic Books, 1983). Il
désignait par là le fait que des gens tels que des enseignants, architectes ou professionnels de la
santé avaient tendance à réfléchir à leurs propres méthodes et à les remettre en question au
cours de leur travail et non par une réflexion théorique distincte et plus formelle. (Son
collaborateur Chris Argyris a appliqué des idées analogues au management dans ses travaux sur
l’apprentissage dit en double boucle.) Quantité d’autres experts ont évoqué la nécessité
d’introduire de petites habitudes de réflexion dans votre vie quotidienne. J’aime
personnellement un concept des théoriciens du management Ronald Heifetz et Marty Linsky, «
se mettre au balcon », exposé dans leur livre Leadership on the Line: Staying Alive through the
Dangers of Leading (Boston, Harvard Business Press, 2002). Pour ceux qui aiment les
métaphores sportives (sinon les sports eux-mêmes), la boucle de recadrage est comparable aux
arrêts brefs et spécialisés pratiqués dans de nombreux sports : arrêts de jeu pour le basket,
caucus pour le football américain ou ravitaillements en Formule 1.
25. Stephen Kosslyn, ex-doyen des sciences sociales à Harvard University, parle des habitudes de
l’esprit dans Building the International University: Minerva and the Future of Higher
Education (Cambridge, MA, Massachusetts Institute of Technology, 2017), qu’il a codirigé
avec Ben Nelson.
26. La citation provient d’un article de Gregersen, « Better Brainstorming », Harvard Business
Review, mars-avril 2018, qui décrit aussi la méthode de la « rafale de questions ».
27. On peut se représenter le recadrage comme un processus actif et passif à la fois. Le processus
est actif quand vous utilisez le schéma. La partie passive se produit en arrière-plan, hors du
processus formel, quand vous progressez dans l’analyse et la solution du problème. La version
passive présente une forte similarité avec le processus d’« incubation », composante clé de la
plupart des modèles de créativité depuis que le concept a été présenté par l’un des premiers
chercheurs en créativité, Graham Wallas, en 1926. D’après mon expérience, une première
manche active de recadrage peut être très utile pour mettre les gens « en éveil » afin qu’ils
relèvent des anomalies et autres signes susceptibles de faciliter la partie suivante, plus passive,
de diagnostic du problème.
28. On considère que l’étude scientifique de la créativité a été fondée officiellement en 1950 lors
d’une conférence du psychologue J.P. Guilford. Getzels a été le premier à traiter des deux types
de problèmes au chapitre 3 d’un livre de 1962, Creativity and Intelligence: Explorations with
Gifted Students (Londres, New York, Wiley), corédigé avec Philip W. Jackson. (Getzels se
réfère aux apports de deux penseurs antérieurs, le psychologue Max Wertheimer et le
mathématicien Jacques Hadamard.) On considère aujourd’hui que le domaine de la recherche et
du recadrage des problèmes a été fondé par un travail ultérieur de Getzels et de son collègue
psychologue Mihaly Csikszentmihalyi.
29. Selon Getzels, un problème présenté est clairement exprimé. Il existe une méthode connue pour
le résoudre, et l’on sait clairement quand il est résolu (comme en mathématiques, la question de
Pythagore). Un problème découvert, en revanche, est mal défini et peut même n’être pas balisé.
Il n’existe aucune méthode connue pour le résoudre, et l’on peut même ne pas bien savoir
quand il peut être considéré comme résolu. Getzels ne considérait pas ces deux possibilités
comme exclusives l’une de l’autre. Il a plutôt présenté les concepts comme les extrémités
opposées d’un spectre. Pour en savoir plus sur le travail de Getzels, voir le chapitre 4 de
Perspectives in Creativity (New York, Transaction Publishers, 1975), dirigé par Iving A. Taylor
et Jacob W. Getzels.
30. La typologie utilisée ici combine des schémas existants. La partie principale provient de ce qui
est peut-être la définition la plus courante de résolution de problème, c’est-à-dire que quelqu’un
a un objectif mais ne sait pas comment l’atteindre. On trouvera un résumé chez Richard E.
Mayer, Thinking, Problem Solving, Cognition, 2e édition (New York, Worth Publishers, 1991).
J’ai ajouté le « point douloureux » pour souligner la différence entre problèmes bien définis et
problèmes mal définis, en m’appuyant sur les travaux de Getzels et ceux de plusieurs autres
penseurs – comme l’idée des « désordres » de Russell Ackoff, spécialiste de l’opérationnel, les
travaux ultérieurs de Donald J. Treffinger et Scott G. Isaksen sur la recherche de désordres,
enfin, et ce n’est pas le moindre, les réflexions d’un chercheur en éducation plus ancien, John
Dewey, sur l’idée d’une « difficulté ressentie », qui datent de 1910.
31. Voir l’exposé fait par de Shazer page 9 de son livre Keys to Solution in Brief Therapy (New
York, W.W. Norton & Company, 1985). Le calcul vient d’une étude effectuée par de Shazer lui-
même auprès de ses collègues praticiens sur ce qu’on appelle la thérapie brève centrée sur la
solution. (Il sera davantage question de cette méthode au chapitre 6, « Examiner les points
positifs ».) J’ai constaté lors de conversations informelles avec des psychologues que ceux-ci
situent en général le nombre entre 30 % et 60 %, ce qui suggère en partie que le concept même
de « problème » pourrait aussi être flou.
32. Les premières publications sur la résolution de problème, surtout dans la science des opérations,
s’attachaient essentiellement aux déviations négatives par rapport à la norme – par exemple en
cas de rupture d’une ligne de production. Plus tard, le centre d’intérêt a été élargi à ce que
j’appelle ici les problèmes dus à un objectif – c’est-à-dire les situations dans lesquelles les gens
ne sont pas nécessairement mécontents de leur situation actuelle mais recherchent néanmoins
une amélioration. Pour une présentation des différents types d’« écarts » qui guident le travail
de résolution de problème, voir Min Basadur, S.J. Ellspermann et G.W. Evans, « A New
Methodology for Formulating Ill-Structured Problems », Omega 22, n° 6 (1994), p. 627.
Au passage, le basculement détecté par Basadur a aussi eu lieu dans la psychologie quand
Martin Seligman et d’autres ont introduit le concept de psychologie positive. À la différence de
la psychologie traditionnelle, qui s’intéresse surtout au traitement des pathologies (c’est-à-dire,
encore une fois, aux déviations négatives par rapport à la norme), la psychologie positive
s’attache à la manière d’améliorer la vie des gens qui vont déjà bien.
33. En toute honnêteté, faire quelque chose de nouveau peut certainement être intéressant à
l’occasion, même si le but n’est pas de résoudre un problème spécifique. Dans l’innovation des
entreprises, on établit souvent une distinction entre innovation centrée sur le problème et
innovation centrée sur l’idée (le terme utilisé varie). L’innovation centrée sur le problème a
tendance à être plus fructueuse, à en juger par son ratio succès/échec. L’innovation centrée sur
l’idée, c’est-à-dire lancée sans souci de répondre à un besoin ou problème existant, est
généralement considérée comme plus risquée – mais le peu d’idées qui réussissent à décoller
ont souvent, en fin de compte, un effet disproportionné. Pour les innovateurs et les
investisseurs, le compromis peut être intéressant en fonction de leurs objectifs et de leur
tolérance au risque. Dans le contexte de la résolution d’un problème pratique au travail,
cependant, en supposant que vous occupiez un emploi stable, je vous suggérerais de vous
orienter vers le ciblage de problèmes connus plutôt que de pointer vers un ciel immaculé.
34. Ce principe a été formalisé, entre autres, dans l’enseignement par Dan Rothstein et Luz
Santana, fondateurs du Right Question Institute. Leur schéma enseigne aux enfants à « ouvrir »
une question : « Pourquoi mon papa est-il si strict ? » (question fermée) devient « Mon papa
est-il vraiment strict ? » (question ouverte).
35. J’ai relaté cette histoire pour la première fois dans un article corédigé avec Paddy Miller, « The
Case for Stealth Innovation », Harvard Business Review, mars 2013.
36. Il est concevable que le cadrage du problème par les étudiants ait obéi (consciemment ou non) à
un souci de commodité : il est assez facile de monter et de lancer une campagne de
communication, tandis qu’une tentative pour, mettons, changer les options du menu ou
réorganiser l’aménagement de la cafétéria pourrait être plus exigeante. Nous sommes souvent
tentés de cadrer les problèmes de manière à les orienter en direction de nos solutions favorites
(ou mieux, de l’absence de changement).
37. En science du management, le principal penseur contemporain sur le cadrage des choix
stratégiques est sans doute Roger L. Martin, ex-doyen de Rotman School of Management.
Martin a consacré plusieurs livres à ce qu’il appelle la « pensée intégrative » – c’est-à-dire la
capacité à générer de meilleures options en intégrant des options apparemment disparates. Mon
travail s’appuie sur plusieurs idées que lui et ses coauteurs ont émises. Si vous désirez vous y
immerger, je vous conseille de commencer par Creating Great Choices: A Leader’s Guide to
Integrative Thinking (Boston, Harvard Business Review Press, 2017), corédigé avec sa
collaboratrice de longue date, Jennifer Riel.
38. Voir les mémoires de Henry Kissinger, White House Years (New York, Little, Brown and Co.,
1979) – l’anecdote se trouve à la page 418 de la version brochée de 2011 chez Simon &
Schuster ; version française : À la Maison blanche 1968-1973 (Paris, Fayard, 1979).
Remerciements à Chip et Dan Heath pour avoir mis en valeur cette citation dans Comment faire
les bons choix (Paris, Flammarion, 2017).
39. J’observe la carrière de chef d’entreprise d’Ashley depuis plusieurs années. Les citations
proviennent d’un entretien que nous avons eu en 2018.
40. On trouvera une excellente introduction à ce sujet dans le livre de Chip et Dan Heath, Switch:
How to Change Things When Change Is Hard (New York, Broadway Books, 2010) ; traduction
française : Switch, osez le changement (Paris, Leduc.s, 2012). Vous pouvez également consulter
les travaux académiques d’Edwin Locke et Gary Latham.
41. Je ne peux m’empêcher de me dire qu’à l’instant même, quelque part, un lecteur vient de
plonger mon livre dans du jus de citron. Je salue votre initiative et votre salutaire mépris de
l’autorité tout en m’excusant de n’avoir pas prévu de récompense secrète. Dans la prochaine
édition peut-être. Et puis, les experts en cryptographie savent sans doute qu’un trempage dans le
jus de citron ne révèle rien. Le secret est d’écrire le message avec du jus de citron, puis de le
faire apparaître en chauffant la page – de préférence sans y mettre le feu.
42. L’anecdote originale est relatée dans le manuel Initiation mathématique, de Charles-Ange
Laisant, publié par Hachette en 1915. Je l’ai trouvée dans le délicieux livre d’Alex Bellos sur
les énigmes, Can You Solve My Problems? Ingenious, Perplexing, and Totally Satisfying Math
and Logic Puzzles (Norwich, G.B., Guardian Books, 2016). Par souci de clarté, j’ai révisé le
vocabulaire de la devinette. À propos, Édouard Lucas est aussi l’inventeur de l’énigme dite « de
la tour de Hanoï », classique de la littérature sur la résolution de problème.
43. Bien que le cadrage soit un processus largement subconscient, des recherches ont montré que
vous pouvez apprendre à en devenir davantage conscient – et partant plus créatif. Voir par
exemple Michael Mumford, Roni Reiter-Palmon et M.R. Redmond, « Problem Construction
and Cognition: Applying Problem Representations in Ill-Defined Domains », dans Mark A.
Runco (dir.), Problem Finding, Problem Solving, and Creativity (Westport, CT, Ablex, 1994).
44. Si votre réponse à l’énigme du nombre de navires était mauvaise, comment avez-vous réagi ?
Certains réagissent avec curiosité. D’autres, je l’ai noté, épluchent immédiatement l’énigme
afin d’en donner une interprétation originale qui leur permet de prétendre qu’ils avaient en fait
raison. (« Eh bien, je pensais que ta question portait sur le premier jour d’activité de
l’entreprise ! ») Si c’est votre cas, voici une pensée : Celui qui n’acceptera jamais de se dire : «
Je me suis trompé » n’apprendra jamais. Il peut y avoir de la force à admettre une erreur – pas
nécessairement en public (ce n’est pas toujours une bonne idée), mais au moins en votre for
intérieur, afin d’en tirer une leçon avantageuse.
45. Voir Kees Dorst, « The Core of ‘Design Thinking’ and Its Application » ; Design Studies 32, n°
6 (2011), p. 521.
46. Dans Every Patient Tells a Story: Medical Mysteries and the Art of Diagnosis (New York,
Broadway Books, 2009), Lisa Sanders propose de stimulantes réflexions sur le diagnostic. (Elle
tient une rubrique intitulée Diagnosis dans le New York Times.) How Doctors Think (Boston,
Houghton Mifflin, 2007), de Jerome Groopman, est aussi une lecture classique sur le sujet.
Ainsi que la quasi-totalité des écrits d’Atul Gawande.
47. La distinction entre causes immédiates (proximales) et causes systémiques (distales ou ultimes)
est un aspect clé de la plupart des schémas de résolution de problème en science des opérations,
comme Six Sigma et le Toyota Production System. On attribue souvent à Peter Senge,
chercheur en systèmes, l’introduction de la pensée systémique (et de nombreuses idées
associées) dans le management moderne avec The Fifth Discipline: The Art and Practice of the
Learning Organization (New York, Currency, 1990) ; édition française, La Cinquième
Discipline – levier des organisations apprenantes (Paris, Eyrolles, 2015).
48. La citation provient de la page 28 de The Conduct of Inquiry: Methodology for Behavioral
Science, d’Abraham Kaplan (San Francisco, Chandler Publishing Company, 1964). Un autre
Abraham, Abraham Maslow, celui de la célèbre hiérarchie des besoins, est souvent cité dans
une veine similaire : « Je suppose qu’il est tentant, si vous n’avez pas d’autre outil qu’un
marteau, de tout traiter comme si c’était un clou. » Cette remarque figure à la page 15 de son
livre The Psychology of Science: A Reconnaissance (New York, Harper & Row, 1966).
49. J’ai raconté cette histoire dans « Are You Solving the Right Problems? », Harvard Business
Review, janvier-février 2017. Certaines parties sont reprises ici à l’identique.
50. Encore une citation souvent attribuée à tort à Albert Einstein. Michael Becker, rédacteur en chef
au Bozeman Daily Chronicle, a exploré l’origine de cette citation dans un billet de son blog, «
Einstein on Misattribution: “I probably Didn’t Say That” »
(http://www.news.hypercrit.net/2012/11/13/einstein-on-misattribution-i-probably-didnt-say-
that/). Comme l’indique Becker, une version de la citation figure dans un texte des Narcotics
Anonymous antérieur à Sudden Death de Rita Mae Brown (1983). Ce qui, à mon avis, fait
moins chic sur une affiche de motivation que l’attribution à Einstein.
51. Des données américaines sur ce sujet sont disponibles dans les travaux de la campagne No Kids
Hungry (www.nokidshungry.org). Pour un exemple d’application réelle, voir Jake J. Protivnak,
Lauren M. Mechling et Richard M. Smrek, « The Experience of At-Risk Male High School
Students Participating in Academic Focused School Counseling Sessions », Journal of
Counselor Practice 7, n° 1 (2016), p. 41-60. Je remercie Erin Gorski, professeur à Montclair
State University, de m’avoir indiqué cet exemple.
Les adultes sont aussi concernés. Une étude bien connue a montré que les chances d’un
prisonnier d’obtenir une remise en liberté conditionnelle étaient très différentes selon que son
audition avait lieu avant ou après le déjeuner du comité de libération conditionnelle. Voir Shai
Danziger, Jonathan Levav et Liora Avnaim-Pesso, « Extraneous Factors in Judicial Decisions »,
Proceedings of the National Academy of Sciences 108, n° 17 (2011).
52. Voir l’article original de Yuichi Shoda, Walter Mischel et Philip K. Peake, « Predicting
Adolescent Cognitive and Self-Regulatory Competencies from Preschool Delay of
Gratification: Identifying Diagnostic Conditions », Developmental Psychology 26, n° 6 (1990),
p. 978. Pour la nouvelle étude, voir Tyler W. Watts, Greg J. Duncan et Haonan Quan, «
Revisiting the Marshmallow Test: A Conceptual Replication Investigating Links Between Early
Delay of Gratification and Later Outcomes », Psychological Science 29, n° 7 (2018), p. 1159.
Jessica McCrory Calarco en fait une présentation rapide dans son article « Why Rich Kids Are
So Good at the Marshmallow Test », Atlantic, publié en ligne le 1er juin 2018.
53. Et s’il s’agissait d’ampoules à LED et non d’ampoules à l’ancienne ? La solution à un seul
déplacement fonctionne tout de même : bien que le verre d’une ampoule à LED demeure froid,
sa base chauffe quand même au bout d’une minute ou deux. Mais les personnes qui ont grandi
avec des ampoules à LED auront probablement plus de mal à trouver la solution car ces
ampoules sont perçues comme ne chauffant pas : la science cognitive dirait sans doute qu’il leur
sera plus difficile d’activer en esprit la propriété « chaleur ».
Le problème de l’ampoule me plaît aussi pour une autre raison : il souligne notre dépendance
aux métaphores visuelles. Notez la fréquence des métaphores basées sur la vision dans le
recadrage : vision d’ensemble, reculer d’un pas, adopter un point de vue à 180 degrés, se mettre
au balcon et bien entendu « voir » les choses autrement. Faire appel à une métaphore visuelle
est en général un raccourci utile – comme toutes les métaphores, elle peut cependant vous
égarer ou (jeu de mots délibéré) vous aveugler sur certains aspects de la situation, comme le
démontre bien le problème de l’ampoule électrique.
54. Le concept a été dégagé en 1984 par Susan Fiske et Shelley Taylor. Voir Fiske et Taylor, Social
Cognition: From Brains to Culture (New York, McGraw-Hill, 1991). On peut le comparer au
concept de pensée du Système 1 selon Daniel Kahneman. Voir Kahneman, Système 1, Système
2, les deux vitesses de la pensée (Paris, Flammarion, 2012).
55. Le concept de fixité fonctionnelle est associé à Karl Duncker, chercheur influent aux premiers
temps de la résolution de problème créative. Son apport le plus connu est celui du « test de la
bougie », dans lequel des participants doivent fixer une bougie à un mur à l’aide d’une boîte de
punaises et de quelques autres objets. La solution canonique consiste à utiliser la boîte vide
comme un support pour la bougie – c’est-à-dire en faire un usage qui n’est pas sa fonction
normale. Voir K. Duncker, « On Problem Solving », Psychological Monographs 58, n° 5
(1945), p. i-113.
56. Adapté d’après l’article de Jeff Gray, « Lessons in Management: What Would Walt Disney Do?
», Globe and Mail, 15 juillet 2012.
57. Repenser vos objectifs est une notion explorée aussi par la philosophie. Il est spécialement
intéressant de la rapprocher du concept d’« instrumentalisme linéaire » présenté par le
philosophe Langdon Winner. Le concept couvre l’idée – douteuse selon Winner – que nos
objectifs existent et sont formés indépendamment des outils que nous employons pour les
atteindre. Selon Winner, nos outils contribuent à moduler nos objectifs ainsi que nos valeurs ;
voir « Do Artifacts Have Politics? », Daedalus 109, n° 1 (1980), p. 121-136. Pour les
solutionneurs de problèmes, c’est un rappel supplémentaire que la relation entre nos objectifs,
nos problèmes et nos outils et solutions est à examiner continuellement. Merci à mon associé de
Prehype, Amit Lubling, de m’avoir fait connaître l’œuvre de Winner.
58. Fait inhabituel pour une discipline universitaire qui se respecte, ce qu’est un objectif fait en
réalité l’objet d’un large accord. « Un objectif est l’objet ou le but d’une action », disent Edwin
Locke et Gary Latham ; voir « Building a Practically Useful Theory of Goal Setting and Task
Motivation: A 35-Year Odyssey », American Psychologist 57, n° 9 (2002), p. 705-717. Richard
E. Mayer décrit « l’état désiré ou final » d’un problème en soulignant que les états d’un objectif
peuvent être plus ou moins flous ; voir Thinking, Problem Solving, and Cognition, 2e édition
(New York, W.H. Freeman and Company, 1992), p. 5-6. En pratique, cependant, des mots
comme objectif ou problème ne sont pas utilisés de manière homogène. Quand l’un dira : « Le
problème est que les ventes ont chuté », l’autre pourra dire : « Notre objectif est d’améliorer les
ventes ». Une partie du travail de recadrage consiste donc à clarifier en fin de compte les
objectifs importants – ceux qui sont particulièrement saillants quand vous travaillez avec des
clients, car ils constituent en même temps un « butoir » indiquant à quel moment le travail est
achevé. Merci à Martin Reeves, du Boston Consulting Group, d’avoir souligné ce point.
59. L’idée des objectifs hiérarchiques a été explorée par de nombreux théoriciens et praticiens
différents. Parmi eux, le chercheur et enseignant Min Basadur mérite une mention spéciale pour
son travail sur la méthode « Why-What’s Stopping », publiée en 1994, dont ce chapitre
s’inspire en partie ; voir Min Basadur, S.J. Ellspermann et G.W. Evans, « A New Methodology
for Formulating Ill-Structured Problems », Omega 22, n° 6 (1994). On trouve d’autres
incarnations de cette démarche dans l’industrie automobile, comme dans la technique d’«
échelonnage » chez Ford ou dans l’idée d’un « arbre des emplois » qui intervient dans le
schéma des travaux à accomplir.
60. L’histoire est décrite dans Getting to Yes: Negotiating Agreement Without Giving In, de Roger
Fisher, William Ury et Bruce Patton (Boston, Houghton Mifflin, 1981). Les auteurs invitent à se
« concentrer sur les intérêts et non sur les positions », qui est devenu depuis lors un principe de
base des recherches sur les négociations. L’idée originelle est due à l’une des premières
théoriciennes du management, Mary Parker Follett, qui l’a décrite en 1925 dans un article
intitulé « Constructive Conflit » ; voir Pauline Graham (dir.), Mary Parker Follett – Prophet of
Management (Boston, Harvard Business School Publishing, 1995), p. 69. Dans le vocabulaire
que j’emploie ici, positions équivaut aux objectifs déclarés et intérêts aux objectifs de plus haut
niveau, éventuellement non déclarés.
61. La citation provient de la page 9 de Keys to Solution in Brief Therapy (New York, W.W. Norton
& Company, 1985) de Steve de Shazer.
62. On trouvera une bonne présentation du sujet dans Creating Great Choices: A Leader’s Guide to
Integrative Thinking (Boston, Harvard Business Review Press, 2017) de Jennifer Riel et Roger
L. Martin.
63. Sur le sujet du conseil d’orientation professionnelle, quelqu’un demandait un jour au célèbre
comédien Bo Burnham ce qu’il conseillerait aux jeunes gens rêvant de faire la même chose que
lui. « Abandonnez tout de suite, répondit-il avant d’expliquer [j’ai légèrement modifié ses
propos] : Ne demandez pas conseil à des gens comme moi, qui ont eu beaucoup de chance. Nos
avis sont très subjectifs. Une superstar qui vous dit de croire à vos rêves est comme un gagnant
à la loterie qui vous dit : “Vendez tous vos biens. Achetez des billets de loto. Ça marche !” »
Burnham s’exprimait au cours d’une émission d’entretiens, Conan, animée par Conan O’Brien,
diffusée le 28 juin 2016. Pour voir la vidéo en ligne, sous réserve de la possibilité d’accès
depuis votre pays, faites une recherche sur « Bo Burnham inspirational advice ».
64. Entretien personnel avec Henrik Werdelin, en 2018. Werdelin est le cofondateur de BarkBox,
rencontré au début de ce livre.
65. Pour en savoir plus sur la mauvaise conception fréquente des objectifs de performance, et sur la
manière de les redresser, voir Steve Kerr, Reward Systems: Does Yours Measure Up? (Boston,
Harvard Business School Publishing, 2009), ou son article classique, « On the Folly of
Rewarding A, While Hoping for B », Academy of Management Journal 18, n° 4 (1975), p. 769.
L’un de mes propres exemples est celui d’une responsable de l’innovation à qui son patron avait
promis une prime si elle mettait en œuvre au moins 5 % des idées présentées. L’objectif aurait
été excellent si 5 % des idées avaient été bonnes. Hélas, ce n’était pas le cas, et elle se trouvait
obligée de mettre en pratique un certain nombre de mauvaises idées, en sachant qu’elle perdait
son temps.
66. Entretien personnel avec Anna Ebbesen, en mai 2019. Anna Ebbesen travaille chez Red
Associates, cabinet de conseil stratégique qui fait appel aux méthodes des sciences sociales (par
exemple recherche de sens et recherche ethnographique) pour donner aux clients une vision
extérieure de leur entreprise.
67. Robert J. Sternberg emploie l’expression redéfinir les problèmes, première des vingt et une
stratégies fondées sur la recherche qu’il propose pour accroître votre créativité. L’anecdote est
décrite dans son livre Wisdom, Intelligence, and Creativity Synthetized (New York, Cambridge
University Press, 2003), p. 110 de l’édition brochée 2011. La théorie de l’investissement en
créativité, selon Sternberg, vaut aussi d’être consultée si le sujet vous intéresse. Elle considère
que s’engager dans l’innovation n’est pas seulement une capacité mais aussi un choix
individuel qui dénote la nécessité de considérer le rapport coût/bénéfice de l’innovation, très
important à mes yeux. J’en ai dit plus sur ce sujet au chapitre 7 de mon premier livre,
Innovation as Usual: How to Help Your People Bring Great Ideas to Life (Boston, Harvard
Business Review Press, 2013), coécrit avec Paddy Miller. On pourrait dire que l’idée s’applique
aussi au recadrage et à la résolution de problème en général.
68. Joao Medeiros décrit le travail bénévole d’Intel pour Hawking dans « How Intel Gave Stephen
Hawking a Voice », Wired, janvier 2015. Des détails supplémentaires sont disponibles à la
rubrique « Presse » du site web d’Intel. Beaucoup de gens ont travaillé sur le fauteuil roulant de
Hawking. Dans ses communiqués de presse, Intel évoque en particulier le travail de ses
ingénieurs Pete Denman, Travis Bonifield, Rob Weatherly et Lama Nachman. Les détails
supplémentaires proviennent de mes entretiens avec Chris Dame, ancien designer chez Intel, en
2019.
69. Pour en savoir plus à ce sujet, voir le chapitre 7 « Day 7 » de The Little Book of Innovation:
How It Works, How to Do It (Boston, Harvard Business School Publishing, 2012).
70. Le travail d’Ibarra sur le leadership mérite la lecture : consultez son livre Act Like a Leader,
Think Like a Leader (Harvard Business Review Press, 2015).
71. Voir le livre de Seligman, Flourish: A Visionary New Understanding of Happiness and Well-
Being (New York, Free Press, 2011) ou googler son schéma « PERMA ».
72. Les recherches de Benjamin Todd et Will MacAskill sont détaillées sur leur site web
(80000hours.org). Le livre de MacAskill sur l’altruisme efficace, Doing Good Better: How
Effective Altruism Can Help You Make a Difference (New York, Avery, 2015) est aussi une
lecture intéressante et contient plusieurs exemples de recadrage (par exemple comment utiliser
au mieux votre temps et votre argent pour faire le bien). De plus le « flux » est un concept bien
connu dans les recherches sur le bonheur : cela consiste à faire quelque chose de tellement
captivant que vous vous oubliez dans l’activité. Le terme est dû à Mihaly Csikszentmihalyi, qui
se trouve être aussi l’un des personnages clés des études sur le recadrage. Googlez « flow
psychology » pour en savoir plus.
73. Tania Luna m’a raconté cette histoire en 2018 lors d’un entretien personnel et par courrier
électronique. Il se trouve que l’histoire de Tania et Brian montre aussi le lien entre la résolution
de problème au travail et chez soi. De toute évidence, si vous vous disputez avec votre conjoint
jusqu’à minuit, vous avez peu de chances d’être au maximum de vos capacités le lendemain au
bureau. Surtout, les cadrages et les solutions appris chez soi sont souvent utilisables au travail,
et vice versa. Il m’est arrivé par exemple de discuter avec une équipe d’innovation qui se
réunissait régulièrement pour choisir les projets à abandonner. Tous ses membres redoutaient
ces réunions tendues et psychologiquement épuisantes. Quand avaient-elles lieu ? En fin
d’après-midi, quand le surplus mental de tout le monde était à son plus bas.
74. J’emprunte le terme points positifs au livre de Chip et Dan Heath, Switch: How to Change
Things When Change Is Hard (New York, Broadway Books, 2010) ; traduction française :
Switch, osez le changement (Paris, Leduc.s, 2012). Cet ouvrage est fortement conseillé, de
même que leur Decisive: How to Make Better Choices in Life and Work (New York, Crown
Business, 2013) ; traduction française : Comment faire les bons choix (Paris, Flammarion, 2017)
[dans cette version, « bright spots » est traduit par « éléments prometteurs » et non par « points
positifs » – NdT]. Ce livre apporte des conseils supplémentaires sur la résolution de problème,
la prise de décision et le changement comportemental.
De plus, parmi les stratégies que je propose ici, la démarche des points positifs est particulière
en ce qu’elle ne vous aide pas seulement à recadrer un problème. Quelquefois, elle vous
conduira directement à une solution viable, sans qu’il soit nécessaire de recadrer (ou même de
comprendre) le problème – par exemple quand la méthode fait simplement émerger une
solution existante que vous ne connaissiez pas. Hormis les puristes du recadrage, tout le monde
s’en félicitera : seul le résultat compte.
75. À titre d’exemple, lire l’histoire d’Amy Hsia décrite au chapitre 1 du livre de Lisa Sanders,
Every Patient Tells a Story: Medical Mysteries and the Art of Diagnosis (New York, Broadway
Books, 2009).
76. L’analyse des causes premières a plusieurs fondateurs, mais The Rational Manager: A
Systematic Approach to Problem Solving and Decision-Making (New York, McGraw-Hill,
1965), de Kepner et Tregoe, est généralement considéré comme l’ouvrage fondamental dans ce
domaine. La question des points positifs (où le problème n’est-il pas ?) fait partie de leur
schéma central. Bien que Kepner et Tregoe aient centré leurs premiers travaux sur l’analyse de
problème plutôt que sur le cadrage de problème, ils se sont de plus en plus intéressés au
recadrage par la suite, en particulier dans The New Rational Manager (Princeton, NJ, Princeton
Research Press, 1981).
77. Le biomimétisme, qui recherche des solutions dans la nature, est une version intéressante de la
stratégie des points positifs. Je ne le traite pas dans mon texte principal, car il n’est sans doute
pas très utilisable pour les problèmes « quotidiens », mais il a permis d’excellents résultats en
R&D. L’invention du Velcro, inspiré par la bardane, en est un exemple bien connu.
Un autre cas de points positifs est bien sûr l’idée des « bonnes pratiques » (best practices).
Celles-ci peuvent être utiles et ont été codifiées dans certaines industries, souvent par des
consultants. On en trouve une version intéressante dans l’ingénierie, où le schéma TRIZ
développé par l’ingénieur soviétique Genrikh Altshuller propose une série de bonnes pratiques
pour résoudre des problèmes d’ingénierie classiques. La méthode TRIZ a été décrite pour la
première fois dans un article d’Altshuller et R.B. Shapiro, « On the Psychology of Inventive
Creation », publié en 1956 dans le journal soviétique Voprosi Psichologii. (TRIZ, pour les
amateurs de linguistique, est l’acronyme de « teoriya resheniya izobretatelskikh zadatch », soit
littéralement « théorie de la résolution des tâches en rapport avec l’invention ». On l’appelle
aussi « théorie de la résolution de problème inventive ».)
78. Le travail du groupe de Milwaukee est décrit dans les livres de Steve de Shazer ; voir Keys to
Solutions in Brief Therapy (New York, W.W. Norton & Company, 1985) et Clues: Investigating
Solutions in Brief Therapy (New York, W.W. Norton & Company, 1988). Aujourd’hui, la
plupart des psychologues vous diront que certains problèmes imposent d’explorer des questions
de personnalité plus profondes, mais la méthode du groupe de Milwaukee est à présent un outil
important et largement reconnu dans la trousse à outils du thérapeute. On peut noter que Tania
Luna dit expressément s’être intéressée de plus près aux points positifs grâce à un membre du
groupe, en l’occurrence l’auteure et thérapeute Michele Weiner-Davis, qui préconise de « faire
davantage de ce qui marche ».
79. À partir des travaux du psychologue gestalt Karl Duncker, un large corps de recherche s’est
constitué sur le sujet du transfert analogique, terme scientifique pour exprimer l’idée qu’on
peut quelquefois résoudre un problème nouveau en se demandant : Ai-je déjà vu des problèmes
comparables à celui-ci ? Comme avec la stratégie des points positifs en général, tout devient
différent quand vous recherchez activement de tels parallèles. Il est bien plus rare qu’ils sautent
à l’esprit si vous ne cherchez pas à faire le lien. Lors d’une expérience fameuse, Mary L. Gick
et Keith J. Holyoak ont demandé à des gens de résoudre un problème – mais avant de dévoiler
celui-ci, ils les avaient invités à lire quelques courts récits, dont l’un contenait quelques indices
plutôt probants sur la solution. Ainsi, 92 % des participants ont résolu le problème – mais
uniquement après qu’on leur a dit que les récits qu’ils venaient de lire contenaient un indice.
Sans cette précision, seuls 20 % d’entre eux parvenaient à résoudre le problème. L’étude est
décrite dans deux articles : « Analogical Problem Solving », Cognitive Psychology 12, n° 3
(1980), p. 306, et « Schema Induction and Analogical Transfer », Cognitive Psychology 15, n° 1
(1983), p. 1. Pour une présentation approfondie des recherches de Duncker et des travaux
ultérieurs, voir le livre de Richard E. Mayer, Thinking, Problem Solving, Cognition, 2e édition
(New York, Worth Publishers, 1991), p. 50-53 et 415-430.
80. Merete Wedell-Wedellsborg, psychologue des organisations qui est aussi ma remarquable belle-
sœur, a décrit combien il est important de comprendre vos « superchargeurs psychologiques ».
Il s’agit de choses spéciales (et souvent singulières) qui vous inspirent une énergie
disproportionnée. L’une de ses patientes, par exemple, trouvait très réparateur de parcourir des
cours de formation de dirigeants auxquels elle pourrait éventuellement s’inscrire, et décrivait
ces explorations comme des vacances intellectuelles. Voir Merete Wedell-Wedellsborg, « How
Women at the Top Can Renew Their Mental Energy », Harvard Business Review en ligne, 16
avril 2018.
81. L’exemple de l’hôtel provient d’un entretien personnel avec Raquel Rubio Higueras, en 2018.
82. J’ai relaté une version de cette histoire dans mon article « Are You Solving the Right Problems?
», Harvard Business Review, janvier-février 2017.
83. L’histoire des Misiones est racontée au chapitre 4 de Richard Pascale, Jerry Sternin et Monique
Sternin, The Power of Positive Deviance: How Unlikely Innovators Solve the World’s Toughest
Problems (Boston, Harvard Business Press, 2010). Fondé sur une grande expérience du travail
de terrain, le livre fournit de solides conseils pratiques sur l’application de la démarche de
déviance positive. La citation sur le recadrage provient de la page 155 de l’édition reliée de
2010, sous une présentation légèrement modifiée dans un but de clarification.
84. J’ai un peu simplifié cette histoire. La version complète mérite d’être lue en particulier pour les
détails sur la manière dont les consultants peuvent travailler au mieux avec des groupes, afin de
déployer l’approche de la déviance positive. Une idée centrale (que les auteurs traitent en
profondeur) est qu’il faut demander aux gens de découvrir et de formuler les idées eux-mêmes
au lieu de laisser les consultants recadrer le problème pour eux. Il est bon de noter aussi que,
bien que l’intervention ait remporté un succès incontestable et qu’elle ait été incroyablement
peu coûteuse (à peu près 20 000 dollars) en comparaison d’autres projets, le ministère argentin
de l’Éducation n’a pas soutenu sa mise en œuvre plus large. Pourquoi ? Selon les auteurs, les
responsables publics craignaient que la méthode ne remplace certains des projets existants à
plusieurs millions de dollars qui avaient donné lieu à des détournements de fonds.
Paradoxalement, si la méthode avait coûté cent fois plus cher, elle aurait eu plus de chances
d’être soutenue par l’État.
85. Douglas Hofstadter évoque le sujet dans le livre qu’il a coécrit avec Emmanuel Sander,
Surfaces and Essences: Analogy as the Fuel and Fire of Thinking (New York, Basic Books,
2013). Ce livre explore en profondeur les questions de la fabrication d’analogie et de la
catégorisation, deux opérations mentales intimement liées au recadrage.
86. Entretien personnel avec Martin Reeves, en 2019.
87. L’histoire de pfizerWorks est détaillée dans une étude de cas rédigée par Paddy Miller et moi-
même, « Jordan Cohen at pfizerWorks: Building the Office of the Future », cas DPO-187-E
(Barcelone, IESE Publishing, 2009). J’ai modifié les citations pour clarifier. Quelques détails
supplémentaires proviennent de mes entretiens personnels avec Jordan Cohen, Tanya Carr-
Waldron et Seth Appel entre 2009 et 2018.
88. Goffman a traité de l’invisibilité des normes culturelles dans Behavior in Public Places (New
York, The Free Press, 1963). Elle a depuis lors été largement étudiée par la littérature
sociologique. Voir par exemple les travaux de Pierre Bourdieu, Harold Garfinkel et Stanley
Milgram.
89. L’idée de diffuser les problèmes a été décrite dans un excellent article de Karim R. Lakhani et
Lars Bo Jeppesen, « Getting Unusual Suspects to Solve R&D Puzzles », Harvard Business
Review, mai 2007. Lakhani et Jeppesen ont étudié ce qui se passait quand des entreprises
diffusaient leurs problèmes sur la plateforme de résolution de problèmes InnoCentive : « Dans
la proportion remarquable de 30 % des cas, des non-salariés venaient à bout de problèmes que
les bureaux d’études expérimentés des entreprises n’avaient pu résoudre. »
90. Une partie de cette histoire provient de Innovation as Usual: How to Help Your People Bring
Great Ideas to Life (Boston, Harvard Business Review Press, 2013), que j’ai corédigé avec
Paddy Miller. Les diapositives elles-mêmes ont été téléchargées sur Slideshare.com le 8 octobre
2009 par Erik Pras, le chargé d’affaires de DSM qui a géré le processus d’externalisation.
L’équipe a réussi un essai commercial en décembre 2009. Elle a chargé la seconde série de
diapositives (annonçant les gagnants) le 10 février 2010. Vous pouvez voir les diaporamas
complets en recherchant « DSM slideshare Erik Pras » (Pras, 2009). Voir la note suivante au
sujet de l’enduction.
91. La colle E-850, respectueuse de l’environnement, était à base d’eau. Celle-ci provoquait un
gauchissement du bois lors du séchage des laminés après enduction, de sorte que le laminé
s’effrangeait sous contrainte. Au début, les chercheurs cadraient ainsi le problème : « Comment
durcir la colle pour qu’elle supporte la contrainte du gauchissement ? » Mais la solution a été
trouvée en répondant à un problème différent – à savoir comment empêcher le bois d’absorber
de l’eau afin de prévenir le gauchissement. (Erik Pras, « DSM NeoResins Adhesive Challenge
», 29 octobre 2009, https://dsmneoresinschallenge.wordpress.com/2009/10/20/hello-world/).
92. Si vous comptez essayer la tactique d’une large diffusion de votre problème, je vous conseille
de vous procurer l’article « Are You Solving the Right Problem? », Harvard Business Review,
septembre 2012, dans lequel Spradlin livre plusieurs conseils utiles sur la meilleure manière de
s’y prendre. Autre lecture utile : Nelson P. Repenning, Don Kieffer et Todd Astor, « The Most
Underrated Skill in Management », MIT Sloan Management Review, printemps 2017.
93. Ce biais a été décrit pour la première fois dans l’article « Negativity in Evaluation » ; voir
David E. Kanouse, et L. Reid Hanson, Attribution:Perceiving the Causes of Behaviors, sous la
direction d’Edward E. Jones et al. (Morristown, NJ, General Learning Press, 1972). Un article
plus récent vaut aussi d’être lu car il élargit sensiblement le concept : Paul Rozin et Edward B.
Royzman, « Negativity Bias, Negativity Dominance, and Contagion », Personality and Social
Psychology Review 5, n° 4 (2001), p. 296.
94. L’effet est très répandu. C’est seulement quand sont évoqués nos propres comportements
condamnables que nous envisageons avec bienveillance la possibilité qu’ils soient dus à des
circonstances spéciales plutôt qu’à de profondes failles de caractère. L’erreur d’attribution
fondamentale a été décrite pour la première fois dans une étude de 1967 par les
psychosociologues Edward E. Jones et Victor Harris : voir « The Attribution of Attitudes »,
Journal of Experimental Social Psychology 3, n° 1 (1967), p. 1-24. L’expression elle-même a
été forgée plus tard par un autre psychosociologue, Lee Ross ; voir « The Intuitive Psychologist
and His Shortcomings: Distorsions in the Attribution Process », dans L. Berkowitz, Advances in
Experimental Social Psychology 10 (New York, Academic Press, 1977), p. 173-220.
95. Pour les psychologues, le phénomène s’appelle « égocentrisme » (self-serving bias) et a un
rapport avec l’erreur fondamentale d’attribution. Les recherches sont bien présentées par W.
Keith Campbell et Constantine Sedikides, « Self-Treat Magnifies the Self-Serving Bias. A
Meta-Analytic Integration », Review of General Psychology 3, n° 1, (1999), p. 23-43.
96. Les citations proviendraient d’un article paru le 26 juillet 1977 dans le Toronto News et
figureraient dans plusieurs livres, dont un manuel de psychologie. Cependant, je n’ai pas réussi
à retrouver l’article d’origine, ni même la trace d’un journal appelé Toronto News en 1977, ni
d’ailleurs la preuve de l’existence d’une ville appelée Toronto (OK, là, j’exagère). Aussi,
malgré leur aspect authentique, les citations sont probablement contestables, ce qui en langage
académique signifie « fiction pure et simple ».
97. Je n’ai pas pour habitude de conseiller des livres de développement personnel. Ils reposent trop
souvent sur de piètres connaissances et un raisonnement magique (c’est-à-dire inepte), et il est
probable que leurs conseils font parfois plus de mal que de bien. En voici un, pourtant, qui
mérite à mon avis d’être lu : La Méthode Tools, les outils pour transformer ses difficultés en
confiance en soi, joie de vivre et force intérieure, par Phil Stutz et Barry Michels (Paris, Robert
Laffont, 2013). Le premier outil, éviter de souffrir, explique le concept d’une manière que j’ai
trouvée à la fois mémorable et utile personnellement. Au fait, les dessins très simples qui
illustrent ses idées clés m’ont inspiré les croquis de ce livre.
98. Si le sujet du comportement humain sur les applis de rencontre vous intéresse, vous pouvez
consulter le livre de Christian Rudder, Dataclysm: Love, Sex, Race and Identity – What Our
Online Lives Tell Us about Our Offline Selves (New York, Crown, 2014). Cofondateur du site
de rencontre OKCupid, Rudder révèle quantité de données – parfois consternantes, parfois
hilarantes – sur les tactiques de drague inavouées.
99. Meg Joray, amie et collègue experte en parole publique, propose un autre cadrage probable : «
Ces gens s’attendent peut-être à ce que leurs batifolages soient comme une comédie
sentimentale, moins les malentendus et les heurts qui assombrissent toujours la rencontre idéale.
» Sur ce sujet, lire l’excellent article de Laura Hilgers, « The Ridiculous Fantasy of a No Drama
Relationship », The New York Times, 20 juillet 2019. Cette auteure est aussi d’avis que certaines
personnes nourrissent des attentes follement irréalistes quant aux relations humaines véritables.
100. La citation de Sheila Heen provient d’un entretien personnel de 2018. Le sujet du contraste
entre contribution et reproche est davantage expliqué par Douglas Stone, Bruce Patton et Sheila
Heen dans Comment mener les discussions difficiles. Avec votre patron, votre femme, votre
mari, vos enfants (Paris, Le Seuil, 2008).
101. La citation provient de la page 207 de Factfulness: Ten Reasons We’re Wrong About The World
– And Why Things Are Better Than You Think (New York, Flatiron Books, 2018), coécrit par
Hans Rosling, son fils Ola Rosling et sa belle-fille, Anna Rosling Rönnlund. La lecture de ce
livre est très recommandée, non seulement pour ses enseignements mais aussi pour le talent de
conteur de Hans Rosling à propos de sa vie et de celle des autres.
102. John m’a raconté cette histoire lors d’une conversation personnelle en 2018.
103. Si vous avez des ambitions créatrices et que l’exemple d’écriture touche une corde sensible en
vous, lisez Steven Pressfield, The War of Art: Break Through the Blocks and Win Your Inner
Creative Battles (Londres, Orion, 2003). Lisez aussi le poème de Charles Bukowski, « Air and
Light and Time and Space », de préférence sur les rives d’un lac italien.
104. Citation tirée de son éditorial du 7 juin 2018 dans le New York Times, « The Problem With
Wokeness ».
105. L’expression « méchant problème » (wicked problem) a été imaginée par Horst Rittel en 1967 et
décrite plus formellement dans Horst W.J. Rittel et Melvin M. Webber, « Dilemmas in a
General Theory of Planning », Policy Sciences 4, n° 2 (1973), p. 155. Personnellement, elle
m’inspire des sentiments mitigés. Certains problèmes relèvent en effet d’une catégorie spéciale,
et l’article apporte des idées et distinctions importantes (dont certaines reflètent le travail de
Jacob Getzels sur les problèmes découverts). En même temps, qualifier un problème de «
méchant » peut presque paraître comme une manière de fétichiser sa complexité, en le déclarant
implicitement insoluble (un peu comme le faisait David Brooks dans la citation reproduite ci-
dessus). Les étudiants en histoire savent que nous avons résolu des problèmes assez ardus au
cours des âges, dont certains avaient sans doute été considérés comme insolubles par nos
prédécesseurs.
106. Voir Oliver Bullough, « How Ukraine Is Fighting Corruption One Heart Stent at a Time », The
New York Times, 3 septembre 2018.
107. Voir Tasha Eurich, Insight: The Surprising Truth About How Others See Us, How We See
Ourselves, and Why the Answers Matter More Than We Think(New York, Currency, 2017).
108. Heidi Grant m’a fait part de ce conseil lors d’une conversation personnelle en 2018.
109. Pour une introduction rapide à ce sujet, avec quelques conseils d’exercices plus approfondis,
voir Adam Grant, « A Better Way to Discover Your Strengths », Huffpost, 2 juillet 2013. Pour
approfondir, voir Douglas Stone et Sheila Heen, Thanks for the Feedback: The Science and Art
of Receiving Feedback Well (New York, Viking, 2014). Dans ce livre, vous trouverez quantité
de conseils utiles sur la manière d’utiliser (ou de rejeter) les avis d’autrui.
110. À propos des bases scientifiques de l’aveuglement du pouvoir (l’expression est de moi, pas
d’eux), voir Adam D. Galinsky et al., « Power and Perspectives Not Taken », Psychological
Science 17, n° 12 (2006), p. 1068. Et puis, à ce stade, je ne peux m’empêcher de dérober une
citation de Douglas Adams reproduite par Heidi Grant à la page 85 de son livre No One
Understands You and What to Do About It (Boston, Harvard Business Review Press, 2015). La
citation concerne les chevaux. La voici : « Ils ont toujours compris bien plus qu’ils ne le laissent
voir. Il est difficile de porter d’autres créatures sur son dos tous les jours sans se faire une
opinion sur elles. En revanche, il est parfaitement possible de s’asseoir tous les jours sur le dos
d’une autre créature sans y réfléchir le moindrement. » Cet extrait est paru initialement dans un
livre d’Adams, Dirk Gently’s Holistic Detective Agency (New York, Pocket Books, 1987).
111. Citations et observations issues d’une conversation personnelle avec Chris Dame, en 2018.
112. Pour découvrir ces recherches, voir Sharon Parker et Carolyn Axtell, « Seeing Another
Viewpoint: Antecedents and Outcomes of Employee Perspective Taking », Academy of
Management Journal 14, n° 6 (2001), p. 1085.
113. Des études ont montré que, en pratiquant la prise de perspective, des groupes comme les
équipes de développement de produit ou les chercheurs universitaires parviennent à des
résultats plus utiles. Voir la présentation de Adam M. Grant et James W. Berry, « The Necessity
of Others is the Mother of Invention: Intrinsic and Prosocial Motivations, Perspective Taking,
and Creativity », Academy of Management Journal 54, n° 1 (2011), p. 73. Outre un résumé utile
des recherches, Grant et Berry établissent aussi un lien intéressant entre motivation intrinsèque,
prise de perspective et motivation prosociale, toutes trois influençant positivement l’utilité (et la
nouveauté) du résultat.
114. Certains considèrent la prise de perspective et l’empathie à la fois comme des processus
cognitifs et des actions comportementales – à savoir sortir de chez soi et frayer avec des gens.
(Une troisième tradition, non abordée ici, voit l’empathie comme une disposition ou un trait de
caractère.) Comme ce livre s’attache à la prise de perspective en tant que partie d’un processus
de recadrage, j’ai choisi de n’utiliser l’expression qu’à propos des processus cognitifs. Le
chapitre 9, « Avancer », aborde des moyens plus actifs pour découvrir les perspectives des gens.
Les deux choses sont liées, bien entendu, et la frontière entre penser et faire n’est pas toujours
aussi nette qu’on pourrait le croire. Si le sujet vous intéresse, voir le livre de George Lakoff et
Mark Johnson sur la cognition incarnée, Philosophy in the Flesh (New York, Basic Books,
1999) ou l’article d’Andy Clark et David Chalmers sur l’hypothèse de l’esprit élargi, « The
Extended Mind », Analysis 58, n° 1 (1998), p. 7-19.
115. Citation issue de N. Epley et E.M. Caruso, « Perspective Taking: Misstepping into Others’
Shoes », dans K.D. Markman, W.M.P. Klein et J.A. Suhr (dir.), Handbook of Imagination and
Mental Simulation (New York, Psychology Press, 2009), p. 295-309. La métaphore de
l’interrupteur électrique qui active le simulateur d’autrui provient du même article.
116. Voir Yechiel Klar et Eilath E. Giladi, « Are Most People Happier Than Their Peers, or Are They
Just Happy? », Personality and Social Psychology Bulletin 25, n° 5 (1999), p. 586.
117. Voir Robert B. Cialdini, Influence et manipulation – Comprendre et maîtriser les mécanismes et
les techniques de persuasion (Paris, First Éditions, 2004). Beaucoup d’autres chercheurs ont
exploré l’effet de la preuve sociale sur l’adoption. L’un des premiers exemples est fourni par
Everett M. Rogers dans son classique Diffusion of Innovations (New York, The Free Press,
1962).
118. Il existe un cadre plus utile et plus structuré pour y parvenir, la méthode « Jobs-to-Be-Done »
popularisée par les experts en innovation Clayton Christensen et Michael Raynor dans The
Innovator’s Solutions: Creating and Sustaining Successful Growth (Boston, Harvard Business
Press, 2003). On peut également se référer à la distinction effectuée par Daniel Kahneman entre
la pensée de Système 1 et la pensée de Système 2. Le Système 1 est rapide, sans effort et
souvent imprécis. Le Système 2 est lent, pénible et plus précis. Comprendre les parties
prenantes est toujours une tâche pour le Système 2 – une approche plus lente et plus délibérée.
119. Les premiers à noter les deux étapes de ce processus ont été Daniel Kahneman et Amos
Tversky dans « Judgment under Uncertainty: Heuristics and Biases », Science 185, n° 4157
(1974), p. 1124.
120. Mon collègue Tom Hughes l’a bien montré dans une conversation personnelle en 2019 : « Les
P-DG passent six mois à soupeser l’intérêt d’une réorganisation – puis ils la lancent en
comptant que leurs salariés vont accepter le changement après une heure de réunion générale du
personnel. »
121. Voir par exemple Nicholas Epley et al., « Perspective Taking as Egocentric Anchoring and
Adjustment », Journal of Personality and Social Psychology 87, n° 3 (2004), p. 327.
122. L’ouvrage fondateur sur ce sujet est Diffusion of Innovation, de Rogers (déjà mentionné plus
haut).
123. Il est intéressant de se demander si la familiarité et la proximité peuvent quelquefois nuire à la
prise de perspective. Si vous vivez loin d’une personne, il y a des chances pour que vous
réalisiez que vous ne la comprenez pas (et que cela vous pousse à faire un effort pour y
parvenir). Inversement, si vous partagez un bureau (ou votre domicile) avec une personne, vous
pouvez beaucoup plus facilement vous convaincre que vous la comprenez déjà bien, et donc
vous sentir moins enclin à une prise de perspective active.
124. Les entretiens de départ sont un bon exemple. Selon Jannice Koors, conseil en rémunération et
directrice de région chez Pearl Meyer, « les gens disent à leur employeur qu’ils s’en vont parce
qu’on leur offre mieux ailleurs – ce qui paraît plausible. Mais presque toujours l’argent n’est
pas seul en cause. Cherchez à en savoir plus ». (Entretien personnel avec Jannice Koors en
octobre 2018.) La citation de Nicholas Epley provient de « Perspective Taking as Egocentric
Anchoring and Adjustment » (déjà mentionné plus haut).
125. Voir Johannes D. Hattula et al., « Managerial Empathy Facilitates Egocentric Predictions of
Consumer Preferences », Journal of Marketing Research 52, n° 2 (2015), p. 235. La partie de
l’étude qui a constaté qu’on obtenait un effet positif en avertissant explicitement les gens a été
réalisée auprès de 93 cadres âgés en moyenne de 46 ans, c’est-à-dire de professionnels
expérimentés. La formulation exacte utilisée dans l’étude était : « Des recherches récentes ont
montré que lorsqu’ils adoptent la perspective des consommateurs, les cadres, souvent, ne
parviennent pas à faire abstraction de leurs propres préférences, besoins, et attitudes de
consommateurs. Veuillez donc en faire abstraction quand vous prenez la perspective du
consommateur, et concentrez-vous seulement sur les préférences, besoins et attitudes du
consommateur cible. »
126. Entretien personnel avec Jordan, en 2010.
127. Le sujet est longuement évoqué dans un livre influent de Richard Thaler et Cass Sunstein,
Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision (Paris, Vuibert, 2012). Les auteurs
utilisent l’expression paternalisme libertarien quand les règles suggèrent un (bon)
comportement par défaut tout en laissant une marge de liberté aux individus qui en préféreraient
une autre. Bien entendu, d’autres règles comme les limitations de vitesse ne laissent
volontairement aucune latitude.
128. L’une des premières études sur le rôle d’une mauvaise communication dans les scénarios
collaboratifs a été conduite par Robert Axelrod, grand nom de la théorie des jeux et auteur de
The Evolution of Cooperation (New York, Basic Books, 1984). À l’aide de jeux de
collaboration simulée comme le « dilemme itératif du prisonnier », Axelrod a démontré que s’il
y a du bruit dans le modèle (c’est-à-dire un potentiel d’incompréhension), on réussit mieux en
choisissant une stratégie de « pardon », c’est-à-dire en acceptant que des erreurs surviennent et
en ne sanctionnant votre adversaire qu’après des infractions répétées. Les modèles purs de «
coup pour coup », en comparaison, seraient souvent enfermés dans des cycles négatifs à cause
d’une mauvaise compréhension initiale.
129. C’est l’un des apports essentiels de ce que la science politique appelle la théorie du choix
public. Cette théorie est née dans les années 1950 quand les chercheurs ont commencé à
appliquer les principes économiques – y compris les analyses coûtsbénéfices au niveau
individuel – pour expliquer comment les États et autres institutions prennent leurs décisions.
Elle montrait en particulier que les décideurs individuels étaient quelquefois confrontés à des
incitations fonctionnant contre les intérêts du système dans son ensemble.
130. Toutes les citations proviennent de mes entretiens personnels avec Rosie Yakob en 2018.
131. Entretiens personnels avec Ashley Albert, en 2018 et 2019. Après avoir ruiné les rêves de
glacier de son ami Kevin, Ashley s’est associée à lui pour lancer une autre entreprise vendant
des matzos (pains azymes traditionnellement consommés lors de la fête juive de Pessa’h). «
Depuis 90 ans, m’a-t-elle dit, le marché des matzos est dominé par deux acteurs et à mon avis
on pourrait créer un type de matzo plus appétissant. » Pour avancer, Ashley et Kevin ont mis au
point un moyen simple pour tester leur idée : ils ont préparé une fournée de matzos, ont imaginé
un emballage séduisant et décalé, et ont essayé de les vendre à quatre commerçants du quartier.
Les boîtes de matzos ont été rapidement écoulées et les commerçants ont demandé : « Pouvez-
vous m’en vendre quatre caisses la semaine prochaine ? » S’ensuivirent une exposition
d’aliments artisanaux et des mentions dans la presse. Au bout d’une année, les boîtes de matzos
avaient été présentées deux fois dans la « liste des choses favorites » d’Oprah Winfrey, et le
produit est vendu à cette date dans plus de huit cents magasins aux États-Unis. Il est également
présent au Royaume-Uni, au Canada, en Espagne et au Japon. Si Ashley n’avait pas insisté pour
valider le problème, Kevin serait sans doute en train de vendre du café dans une boutique de
glacier déserte.
132. La méthode est décrite au chapitre 3 du livre de Voss, Never Split the Difference: Negotiating as
if Your Life Depended on It (New York, HarperCollins, 2016).
133. La méthode est décrite au chapitre 5 du livre de Steve Blank et Bob Dorf, The Startup Owner’s
Manual: The Step-By-Step Guide for Building a Great Company (Pescadero, CA, K&S Ranch
Publishing, 2012). Si vous créez une start-up, munissez-vous de ce livre.
134. Le cas de Cisco repose sur Paddy Miller et Thomas Wedell-Wedellsborg, « Start-up Cisco:
Deploying Start-up Methods in a Giant Company », Cas DPO-426-E (Barcelone, IESE
Publishing, mai 2018) ; des modifications de forme mineures ont été apportées pour plus de
clarté. Les citations supplémentaires d’Oseas proviennent d’un entretien personnel avec Oseas
Ramirez Assad en 2019.
135. Entretien personnel avec Georgina de Rocquigny en 2017.
136. Je connais Saman et Dan à travers Prehype, l’entreprise où ils se sont rencontrés et où je suis
conseiller. Sans être impliqué personnellement dans l’histoire de Managed by Q, j’ai suivi leur
parcours depuis leur lancement dans leur premier bureau. Les citations proviennent d’un cas
non publié que j’ai rédigé après avoir interrogé Saman en janvier 2016. Des passages du récit
ont aussi été présentés dans plusieurs livres, en particulier celui de Zeynep Ton, The Good Jobs
Strategy: How the Smartest Companies Invest in Employees to Lower Costs and Boost Profits
(Boston, New Harvest, 2014).
137. Le chiffre d’affaires n’a pas été publié, mais d’après la société de données financières
Pitchbook, Managed by Q était valorisé 249 millions de dollars quelques mois avant
l’acquisition.
138. Pour en savoir plus sur le prétotypage, voir le livre d’Alberto Savoia, The Right It: Why So
Many Ideas Fail and How to Make Sure Yours Succeed (New York, HarperOne, 2019).
139. Entretien personnel avec Henrik Werdelin, en 2019. L’équipe était composée de Matt Meeker,
Carly Strife, Mikkel Holm Jensen, Suzanne McDonnell, Christina Donnelly, Becky Segal,
Michael Novotny, Jeffrey Awong, Melissa Seligmann et John Toth.
140. Entretien personnel avec Scott McGuire, en novembre 2018.
141. La citation de Kees Dorst provient du chapitre 1 de son livre Frame Innovation: Create New
Thinking by Design (Cambridge, MA, Massachusetts Institute of Technology, 2015).
142. Après un débat sur le recadrage, un associé de Prehype, Tom Le Bree m’a envoyé la note
suivante : « Si vous cherchez encore des titres de livres, j’aimerais proposer I’ve Got 99
Problems, but I Only Started with 1 (j’ai 99 problèmes mais j’ai commencé avec un seul). »
143. Oui, on écrit « rasoir d’Occam » alors que le moine s’appelait Guillaume d’Ockham. J’affirme
qu’Ockham s’en est bien sorti. Moi qui m’appelle Wedell-Wedellsborg, si l’on se souvient le
moindrement de moi, ce sera comme « euh… le type du recadrage ».
144. La citation provient de la page 16 du livre de Steve de Shazer, Keys to Solution in Brief
Therapy (New York, W.W. Norton & Company, 1985). Malgré la formulation de la citation, de
Shazer ne prétend pas que ce soit toujours vrai, simplement que c’est souvent vrai. Le sujet
s’inscrit dans sa remarque plus large sur l’attitude des psychologues traditionnels qui croient
trop souvent que les problèmes « complexes » doivent avoir des solutions également
complexes, au lieu d’essayer d’abord des approches plus simples.
145. Ce programme est maintenant bien connu. Il suffit d’une recherche Google simple pour en
connaître les bases. Si vous désirez plus de détails, je vous conseille de lire le chapitre 1 du livre
de Jonathan Tepperman, The Fix: How Countries Use Crises to Solve the World’s Worst
Problems (New York, Tim Duggan Books, 2016). Les études et les chiffres que je mentionne
proviennent des pages 39 à 41 du livre de Tepperman.
146. Entretiens personnels avec Mark Ramadan et Scott Norton, 2014.
147. L’emploi des méthodes ethnographiques en profondeur pour détecter de nouvelles sources de
croissance est bien exploré dans The Moment of Clarity: Using the Human Sciences to Solve
Your Toughest Business Problems, de Christian Madsbjerg et Mikkel B. Rasmussen (Boston,
Harvard Business Review Press, 2014). Les auteurs donnent aussi quelques exemples
intéressants sur le travail de cadrage. L’un d’eux est celui du fabricant de jeux LEGO, où la
question « Quels jouets les enfants veulentils » est recadrée en « Quel est le rôle à jouer ? »
(voir chapitre 5 de leur livre). Si vous êtes un cadre dirigeant, Discovery-Driven Growth: A
Breakthrough Processus to Reduce Risk and Seize Opportunity (Boston, Harvard Business
Review Press, 2009), de Rita Gunther McGrath et Ian C. MacMillan, est une lecture
intéressante ; les auteurs y livrent de nombreux conseils utiles sur la structuration des
organisations à fins de découverte.
148. Le livre de Schein, L’Art de poser humblement des questions (Bruxelles, Ixelles Éditions, 2015)
est une bonne introduction, et relativement brève, à l’art de poser de meilleures questions. Voir
aussi les contributions récentes de Warren Berger et Hal Gregersen.
149. Pour une présentation rapide, voir le livre d’Amy Edmondson, The Fearless Organization
(Hoboken, NJ, Wiley, 2019), ou googler l’expression « sécurité psychologique ».
150. Ces recherches sont résumées dans un article de Gregersen, « Bursting the CEO Bubble »,
Harvard Business Review, mars-avril 2017.
151. Des parties de ce récit figurent dans mon article « Are You Solving the Right Problems? »,
Harvard Business Review, janvier-février 2017.
152. Les recherches sur le rôle de la diversité et de l’inclusion dans la résolution de problèmes sont
nombreuses. Si vous désirez approfondir le sujet, je conseille le livre de Scott Page, The
Diversity Bonus: How Great Teams Pay Off in the Knowledge Economy (Princeton, NJ,
Princeton University Press, 2017), qui procure une bonne présentation nuancée du sujet, y
compris sur ce qu’est réellement la diversité (par exemple diversité sociale ou diversité
cognitive), à quels types de problèmes la diversité est le plus utile (travail de connaissance non
routinier), etc. Remerciements à Susanne Justesen, de Copenhagen Business School, pour
m’avoir signalé les travaux de Scott Page.
153. Cette histoire vient d’une mission accomplie pour un client quand j’ai commencé mes
recherches sur l’innovation. Le cas est décrit partiellement dans mon premier livre, Innovation
as Usual: How to Help Your People Bring Great Ideas to Life, ainsi que dans mon article « Are
You Solving the Right Problems? », Harvard Business Review, janvier-février 2017.
154. En voici un exemple qui date de 1714. Le Parlement britannique avait besoin d’aide pour
trouver comment les navires pourraient déterminer leur longitude en mer. La solution a été
fournie par un horloger du Yorkshire, John Harrison. Sur les capacités des étrangers absolus,
lire l’article de Karim Lakhani et Lars Bo Jeppesen, « Getting Unusual Suspects to Solve R&D
Puzzles », Harvard Business Review, mai 2007.
155. Cette expression est due à Michael Tushman. Voir Michael L. Tushman, « Special Boundary
Roles in the Innovation Process », Administrative Science Quarterly 22, n° 4 (1977), p. 587-
605. L’idée sous-jacente date des débuts des recherches sur l’innovation.
156. Pour une présentation utile, avec un exemple, voir l’article de Dwayne Spradlin « Are You
Solving the Right Problem? », Harvard Business Review, septembre 2012.
157. Un modèle théorique utile distingue trois types de confiance : confiance dans l’honnêteté (Si
j’oubliais mon portefeuille, me le retourneriez-vous ?), confiance dans la compétence (Êtes-
vous capable de venir à bout du travail ?) et confiance des gens dans vos intentions à leur
égard (Si quelque chose se passe mal, aurez-vous mon soutien ?). Même un expert du plus haut
niveau avec un historique d’intégrité parfaite peut perdre la confiance des gens qui se diraient
qu’ils ne comptent pas pour lui. Voir Roger C. Mayer, James H. Davis et F. David Schoorman, «
An Integrative Model of Organizational Trust », Academy of Management Review 20, n° 3
(1995), p. 709-734, pour le modèle en trois parties ci-dessus, ou Rachel Botsman Who Can You
Trust?: How Technology Brought Us Together and Why It Might Drive Us Apart (New York,
Public Affairs, 2017) pour une présentation grand public plus récente.
158. Clayton Christensen a présenté cette histoire au cours d’une manifestation à laquelle je
participais à Londres, le 10 septembre 2013.
159. Pour en savoir plus sur la priorité promotion/prévention, lire Heidi Grant et E. Tory Higgins, «
Do You Play to Win or to Not Lose? », Harvard Business Review, mars 2013. Voir également
l’article de Higgins « Promotion and Prevention: Regulatory Focus as a Motivational Principle
», Advances in Experimental Social Psychology 30 (1998), p. 1.
160. Le concept, initialement développé par Arie W. Kruglanski, Donna M. Webster et Adena Klera
dans « Motivated Resistance and Openness to Persuasion in the Presence or Absence of Prior
Information », Journal of Personality and Social Psychology 65, n° 5 (1993), p. 861, a depuis
lors été étendu par d’autres chercheurs.
161. Voir un exemple des recherches sur l’ambiguïté et son rapport avec la résolution de problème
créative dans Michael D. Mumford et al., « Personality Variables and Problem-Construction
Activities: An Exploratory Investigation », Creativiiy Research Journal 6, n° 4 (1993), p. 365.
Le théoricien du management Roger L. Martin a aussi exploré le sujet en profondeur et a
raconté comment les experts en solution de problèmes travaillent avec l’ambiguïté. Voir son
livre The Opposable Mind: How Successful Leaders Win Through Integrative Thinking (Boston,
Harvard Business Review Press, 2009).
162. Un exemple poignant en est donné par Charles Delucena Meigs, auguste médecin qui, en 1854,
a rejeté avec assurance la toute nouvelle théorie microbienne par ces mots immortels – en même
temps que littéralement mortels : « Les médecins sont des gentlemen et les gentlemen ont les
mains propres » ; voir C.D. Meigs, On the Nature, Signs, and Treatment of Childbed Fevers
(Philadelphie, Blanchard and Lea, 1854), p. 104. J’ai traité de la lenteur avec laquelle le lavage
des mains a été adopté par les médecins au chapitre 5 d’Innovation as Usual. Pour une courte
introduction, googlez « Ignace Semmelweis », du nom d’un médecin dont l’histoire tragique
offre des leçons sur l’innovation dans le monde médical.
163. La citation est de Sinclair, I, Candidate for Governor: And How I Got Licked, publié par
l’auteur en 1934 et réédité en 1994 par University of California Press. La citation se trouve
page 109 de la version de 1994.
164. Sur l’état de la science à ce sujet, voir Robert A. Burton, On Being Certain: Believing You Are
Right Even When You’re Not (New York, St. Martin’s Press, 2008).
165. Entretien personnel avec Chris Dame, en 2019, au Royal Palms Shuffleboard Club.
166. Le récit se trouve pages 109 à 113 du livre de de Shazer Clues: Investigating Solutions in Brief
Therapy (New York, W.W. Norton & Company, 1988).
167. Entretien personnel avec le cofondateur en octobre 2018.
168. Entretien personnel avec Luke Mansfield, en 2013. L’histoire complète est relatée par Paddy
Miller et Thomas Wedell-Wedellsborg, « Samsung’s European Innovation Team », Cas DPO-
0307-E (Barcelone, IESE Publishing, 2014).
169. Les citations, ainsi que les informations reproduites ici, proviennent de Chamberlin, « The
Method of Multiple Working Hypotheses », Science 15 (1890), p. 92. L’article reste
éminemment lisible et ouvre une fenêtre fascinante sur l’esprit d’un contemporain de Charles
Darwin, Marie Curie et William James. Vous pouvez le trouver à l’aide d’une recherche sur son
nom et le titre de l’article. Mon attention a été attirée sur l’œuvre de Chamberlin par un livre de
Roger Martin, The Opposable mind: How Successful Leaders Win Through Integrative
Thinking (Boston, Harvard Business Review Press, 2009).
170. On en trouve un excellent exemple – qui aurait pu inspirer la réflexion de Chamberlin – chez
Louis Menand, The Metaphysical Club: A Story of Ideas in America (New York, Farrar, Straus
and Giroux, 2001), qui s’intéresse en particulier au personnage de Louis Agassiz. Agassiz était
un savant naturaliste doué et charismatique qui cultivait un anglais « délicieusement imparfait »
et quelques idées complètement saugrenues à propos de la science. Confronté à l’accumulation
des preuves de la fausseté de sa grandiose théorie, il rejetait énergiquement toutes les autres
théories (y compris celle d’un certain Charles Darwin) et organisa un voyage de plusieurs mois
au Brésil pour rechercher des confirmations de ses propres thèses. Il ne les trouva pas, et
pendant qu’il avait le dos tourné, à peu près tout le monde s’empressa de convenir qu’il avait
tort et que Darwin avait raison. (Son histoire est relatée à partir de la page 97 de l’édition
brochée de 2002.)
171. Rebondissant sur la comparaison avec l’amour de Chamberlin, je ne peux m’empêcher de
remarquer que si l’on remplace explication par conjoint, la liste peut aussi apparaître comme
une assez bonne description de certaines pratiques de flirt contemporaines.
Index

Symboles
80,000 Hours 116

A
Ackoff, Russell 265, 266, 270
action
biais en faveur de l’ 27
drogués de l’ 237
mode 42
personnelle 147
trop rapide 38
Adner, Ron 25, 268
affiches de communication interne 164
Africa, Andrew 192
agiles, méthodes 203
ajustement 171, 172, 174
Albert, Ashley 70, 188
analyse
coûts-bénéfices 70
du problème 18
temps nécessaire 45
ancrage 56, 170, 171, 172, 173
Appel, Seth 134, 175
applis de rencontre 20
apprentissage d’ 220, 223
arbitrages 69
faux 62, 69
naturels 70
Argyris, Chris 265, 269
ascenseur lent, problème de l’ 5, 63, 234, 247
Astor, Todd 261
attrition 67
authenticité 114
avis extérieurs 155, 156, 227

B
Bandura, Albert 266
BarkBox 20, 24, 267, 276
BarkBuddy 20, 21, 25, 26, 267, 268
Basadur, Min 104, 271, 275
base de données 101
bénéfices
d’un énoncé du problème écrit 56
du recadrage 27
Berger, Warren 260
Berg, Insoo Kim 125
biais
de confirmation 250, 252
de négativité 138
en faveur de l’action 27
Blank, Steve 191, 258, 286
Bolsa Familia, programme 214, 215
bonheur personnel 115
bonnes intentions 128, 179, 180
Boston Consulting Group 132, 133
boucle de recadrage 40
répétée 40
brainstorming 41
bright spots. Voir points positifs Brooks, David 153, 282
Brown, Rita Mae 85, 273
Bullough, Oliver 154
Bungay Stanier, Michael 258
buts
distaux 105
proximaux 105

C
cadrage 64
automatique 79
briser le 70
différent selon les publics 176
d’un problème 40
écueils 73
enfance 122
étroit 79, 87
exploitable 68
improductif 65
incomplet 80
initial 25, 41
multiple 211, 215, 251
niveau du 152
par le client 242
prioritaire 212
propice à l’action 238
restreint 83
surprenant 212
valeurs 122
validation 195
cadre
explorer ou briser 24
regarder hors du 240
Camp David, accords de 106, 268
canevas de recadrage 14, 41, 43, 51, 170, 233, 266
carrière 29
Carr-Waldron, Tania 175
Carter, Jimmy 106
Caruso, Eugene 168
causalité 88, 107
facteurs de 89, 90
causes systémiques 82, 273
Cazila, Juan 193
Ceballos, Edgardo 191
cerveau, avare cognitif 92
Chamberlin, Thomas C. 250, 251, 252, 253, 254, 266, 289, 290
changement des comportements 73
check-lists 43
chenil
problème du 19
programme d’intervention au 22, 23, 26
Christensen, Clayton 47, 235, 259, 284, 288
Cialdini, Robert 169, 261, 284
Cisco 10, 191, 193
clôture cognitive, besoin de 236
Cohen, Jordan 133, 175
communication interne 164
compétences analytiques et culturelles 135
complications 210
comportement 73
personnel 150
compréhension d’autrui 166
amélioration 166
conflits, résolution de 31
Conn, Charles 260
conscience de soi 155, 156, 161
contraintes 64
contribution 150, 151, 152
conversations 219
orientées découverte 216
corrélation 87
corruption 153, 154, 160, 214
Coyne, Kevin 259
créativité 30
croyances 26, 214
acceptées 242
Csikszentmihalyi, Mihaly 265, 270, 277
culture 59
curiosité 48, 272

D
Dame, Chris 113, 156, 241
da Silva, Lula 214
défense mentale 31
délais de paiement 108, 109
de Rocquigny, Georgina 194
de Shazer, Steve 58, 107, 125, 213, 242, 243, 270, 275, 278, 287
détails 73, 81, 82, 132
essentiels 68
visibles 86
Dewey, John 265, 266, 270
diagnostic 42, 58, 200, 238
initial 225
médical 82
difficultés 58
Dillon, Karen 259
distance mentale 56
données 30, 241
essentielles 93
Dorf, Bob 258
Dorst, Kees 82, 202, 256, 273, 287
doute 243
Downtown Dog Rescue 22
Drucker, Peter 7
DSM 137
Duncan, David S. 259
Duncan, Greg 88
Dye, Renée 259

E
E-850 137, 280
Ebbesen, Anna 110, 276
échec instructif 244, 245
écosystème 25, 26
écoute 152
Edmondson, Amy 219, 287
Einstein, Albert 7, 39, 266, 269, 273
éléments extérieurs 84
émetteur d’un message 169
émotions 62, 146, 222, 236
mots chargés d’ 69
empathie 167
enfants
initiation au recadrage 144
engagement 225
énoncé du problème 41, 55, 62, 65, 145, 238, 261
examen initial 73
formulation neutre 68
insuffisance 81
modification 56
par écrit 56, 57
phrases complètes 67
révision 57
sans problème 66
vérification 63
entreprises
culture 158
panne de croissance 60
trop soucieuses de leurs clients 47
entretiens d’embauche 89
Epley, Nicholas 168, 174, 284, 285
erreur fondamentale d’attribution 146, 178
espace de solution 6
étrangers absolus 227
Eurich, Tasha 155, 158, 262
exception positive 122
exigence 61
expérience 214
d’apprentissage 220, 223
et recadrage 46
explication
innocente 179
raisonnable 178, 179
explorer le cadre 24

F
faute 150
Fisher, Roger 106, 257, 275
fixité fonctionnelle 93, 274
flou 73
Fogler, H. Scott 257
Forum économique mondial 30, 268
Freud, Sigmund 122
frustration 237

G
Galinsky, Adam 156, 283
Getzels, Jacob 57, 58, 265, 270, 282
Giladi, Eilath E. 168, 284
Goffman, Erving 134, 266, 280
Gorman Clifford, Patricia 259
Grant, Heidi 155, 158, 262, 283, 288
Gray, Jeff 94, 274
Gregersen, Hal 46, 220, 260, 266, 269, 288
groupe 150
Grove, Andy 235
Gunther McGrath, Rita 259

H
habitudes de l’esprit 45
Haidt, Jonathan 256, 268
Hall, Taddy 259
Han, Cate 144
Hattula, Johannes 174, 285
Hawking, Stephen 113, 156
Heath, Chip et Dan 124, 255, 272
Heen, Sheila 151, 160, 257, 269, 282, 283
Heifetz, Ronald 269
Herman, Amy E. 262
Higgins, E. Tory 235, 288
Higueras, Raquel Rubio 127
hors du cadre 47
Hosftadter, Douglas 132
hypothèses
clés 109
prise de conscience 110
prises pour des faits 110
hypothèses de travail 250, 251
multiples 251

I
Ibarra, Herminia 114, 277
incapacité d’agir 238
inconfort 220
Infeld, Leopold 266
InnoCentive 138
innovation 7, 25, 47, 60, 64, 173, 223, 235, 245, 276, 284
cadres d’ 224
disruptive 235
formation à l’ 224
instrument, loi de l’. Voir Kaplan, loi de Intel 113, 235
intérêts des parties 106
intuition 44, 214
Isaksen, Scott G. 270

J
Johnson, Mark 263
Jones, Phil M. 261

K
Kahneman, Daniel 170, 268, 274, 284
Kaplan, Abraham 83, 273
loi de 83, 85
Kepner, Charles 124, 278
Kerr, Steve 259
Kieffer, Don 261
Kissinger, Henry 69
Klar, Yechiel 168, 284
Kosslyn, Stephen 44, 269

L
Lakoff, George 263, 268
LeBlanc, Steven E. 257
Leritz, Lyle E. 265
Lewis, Michael 268
liens de causalité 107
Liguori, Steve 192
limites auto-imposées 62, 63, 64
Linsky, Marty 269
logique
contestable 108
dérapage 109
du client 242
Lucas, Édouard 78, 272

M
MacAskill, Will 116, 277
MacMillan, Ian C. 259
Madsbjerg, Christian 259
Mansfield, Luke 245, 289
marque 194
marshmallow, test du 88
Martin, Roger L. 70, 256, 266, 271, 276, 289
Mayer, Richard E. 270
McGuire, Scott 200
McLean, Robert 260
Michalewicz, Zbigniew 258
Miller, Paddy 159
miroir 42
Mischel, Walter 88, 274
mise en œuvre 103
modèle
du fonctionnement du monde 107, 108, 115
établi 64
mental 93, 212, 229
monde réel 5, 10, 12, 19, 62, 167, 200, 267
problèmes du 47, 49
multitâche 113
Mumford, Michael 265, 272, 289

N
négativité 138
non-clients 47
Norman, Donald A. 221
Norton, Scott 217, 287
Nutt, Paul C. 28, 268

O
objectifs 100, 102, 104
ambitieux 102
authenticité 114
autres moyens d’y parvenir 111
bonheur personnel 115
carte d’ 107
compréhension 107
de niveau supérieur 104, 105, 106, 107, 110
difficiles à atteindre 60 étapes intermédiaries 115
exprimés 109
incompatibles 106
modèle d’ 109
non discutés 100
précis 73
présentés comme un problème 66
obstacle 100
Ockham, Guillaume d’ 213, 287
opinions 251
opportunité 60
optimisme 18
options
différentes 29
multiples 28, 69
originalité 114

P
Page, Scott 262
panne de croissance 60
paralysie
par l’analyse 39, 237
par pur fatalisme 153
parties prenantes 47, 170, 196, 216
analyse des 47
carte des 55
nécessité d’un accord 241
Pascale, Richard 260
passeurs de frontière 226, 227
Patton, Bruce 106, 151, 257, 275, 282
Perry, Matt 54
perspective. Voir aussi prise de perspective perspectives 56
changer de 66
différentes 194
nouvelles 49
pesanteurs historiques 87
petit déjeuner 86
peurs 190
Pfizer 10, 133, 174, 175
pfizerWorks 133, 134, 174, 175, 176, 191
pic de demande 28
plateforme logicielle 156
Poelmans, Steven 69
point de départ 60
point de vue 42, 46, 146, 174, 214, 251, 261, 274
authentique 156
d’autrui 146
des autres 166, 174
différents 252
égocentrique 170
extérieur 223
nouveau 212
rejeté 242
points positifs 42, 47, 67, 94, 124, 128, 130, 132, 133, 136, 148, 270, 278
absence 134
école 131
hôtellerie 135
ingénierie 124
médecine 124
recherche des 125, 126, 131
stratégie des 138, 139
postulats 26, 102, 214
Pras, Erik 137, 280
précision, piège de la 73
prétotypage 199
preuve sociale 176
négative 169
prévention
priorité à la 235
prise de perspective 167, 168, 170, 173, 175, 283
efficace 170
et empathie 167
primaire 181
problèmes
à l’école 57
cadrage contestable 65
cadrage des 40, 57, 62
comme obstacles 100
communication interculturelle 136
contestation 214
contribution personnelle aux 146, 150
défini trop étroitement 64
dégonfler les 153
déjà abordés 51
de l’ampoule électrique 91
de l’ascenseur lent 5, 18, 42
de pauvreté 23
diagnostic de 38
difficiles 26
et oppositions 233 évaluations 201
évolution dans le temps 201
exploration des 157
exposés par écrit 55
flous 50
imputé à d’autres 68, 69
inconnus 85
interculturels 133
les plus dérangeants 50
liés à un objectif 60
ligne New York-Le Havre 78, 80
mal compris 27
mauvais 223
méchants 153
meilleurs 28
parking de Disneyland 94
partage du 43
personnels 49, 50
personnes présentes 150
pièces essentielles 93
présentés 57
proclamation 136, 138, 216
racine des 28
réexamen 202
relatifs à des personnes 50
résolution 29
révision des 157
systémiques 179
visibles 81
promotion
priorité à la 235
promotions 158
puits de gravité psychologique 173

Q
Quan, Haonan 88, 274
questionnement, humble 219
questions
choix des 7
rafales de 46
standardisées 47

R
Rahmanian, Saman 196
raisonnement
critique 30
en silo 210, 223
systémique 82
Ramadan, Mark 217, 287
Ramirez, Oseas 191, 286
Rasmussen, Mikkel B. 259
rasoir d’Occam 213
recadrage 4, 8
bénéfices 27
but 18
canevas de. Voir canevas de recadrage cas typiques de 62
comme contestation 214
comme état d’esprit 203
compétence fondamentale 9
complications 210
comprendre les autres 166
cycle 202
éléments extérieurs 84
enfants 146
en groupe 219
et intuition 214
et opposants 233
étude du 13
formalisé 233
improvisé 44
informel 233
itératif 238
niveaux d’abstraction 107
oppositions 210
options différentes 29
outils 43
partagé 253
positionnement du besoin 235
première séance de 46
puissance du 7
rapide 9
simple 213
structuré 44
temps nécessaire 45
récompenses 158
recrutement 67
Reeves, Martin 132
Rein, Martin 268
Reiter-Palmon, Roni 265, 272
Repenning, Nelson P. 261
repenser l’objectif 42, 67, 100, 101, 104
reproche 152
résolution de problèmes 7, 39, 40, 47, 60, 90, 132, 223, 233, 260, 262, 265, 270, 272, 273, 274
complexes 30
et frustration 237
plateformes en ligne 136
processus 133
trajet de 40
responsabilité
dégagée 68
révélation mentale 26
Riel, Jennifer 256
Ries, Eric 258
Rizzo, Benjamin 257
Rodriguez, Kevin 188
Rosling, Hans 151, 282
Rothstein, Dan 257
routine, contrôles de 203
Runco, Mark 265, 272

S
Samsung 245
Sanders, Lisa 82, 256
Santana, Luz 257
Savoia, Alberto 199, 286
Schein, Edgar H. 219, 260
Schnapp, Jonathan 71
Schön, Donald A. 268, 269
science des opérations 82, 273
scores de satisfaction au travail 226
Scott, Ginamarie 265
sécurité psychologique 219, 287
Seligman, Martin 115, 271, 277
Seltzer, Stacey 144
sense-making 110
simplicité 213
Sinclair, Upton 239, 289
solutionneurs 25, 70, 81, 124, 136, 148, 189, 275
optimistes 18
solutions
créatives 28
de rechange 243
mauvaises 62
multiples 33
non évidentes 90
nouvelles 31
originales 33, 106
par défaut 83, 85
possibilités 29
précipitées 27
prématurées 56, 59, 61
réclamées par le client 243
révolutionnaires 212
satisfaisantes 29
simples et bonnes 212
simulées 199
stériles 27
soucis mal définis 58
sous-objectifs 115
Spradlin, Dwayne 138, 261, 281, 288
Startup Cisco 192, 193
Sternberg, Robert 111, 112, 119, 265, 276
Sternin, Jerry 129, 130, 260, 279
Stone, Douglas 151, 257, 282, 283
stratégies
de recadrage 67
ordre des 46
subconscient 79, 92, 214, 272
sympathie 167
système
corrompu 154
de récompense 259
d’incitation 158

T
taux d’adhésion 169
Taylor, Irving A. 270
Tepperman, Jonathan 214, 287
Teran, Dan 197
test
A/B 221, 222
d’utilisabilité 221
en situation réelle 42
grandeur nature 196
titulaire du problème 68, 212
client 233
Todd, Benjamin 116
Treffinger, Donald J. 270
Tregoe, Benjamin 124, 278
Tushman, Michael 227
Tversky, Amos 170, 268, 284
U
Ury, William 106, 257, 275
utilisabilité 221, 222, 223
test d’ 221
utilisateur 178
participation de l’ 180
perspective de l’ 176
test 222

V
validation
par des tiers 194
rapide 192
variable confusionnelle 88
vérification 42, 102
service de 101
Verweerden, Theo 137
vision extérieure de vous-même 155
voies d’amélioration 151
Voss, Chris 190, 257

W
Wallas, Graham 270
Watts, Tyler 88
Wedell-Wedellsborg, Gregers 63
Weise, Lori 22, 23, 212
Werdelin, Henrik 20, 21, 108, 109, 199, 276, 286

Y
Yakob, Rosie 180, 240

Z
Zinn, Jeremiah \« Miah \» 220
Zwerink, Steven 137
Remerciements

Sans l’incomparable Paddy Miller, ce livre n’aurait jamais vu le jour. Après


avoir été mon professeur, Paddy est devenu pour moi un collègue, un
coauteur, un mentor et un ami. Alors que j’achevais ce livre, il a été
emporté par une crise cardiaque à l’âge de 71 ans. Chaleureux, drôle,
brillant, créatif, profondément bienveillant et légèrement azimuté, dans le
meilleur sens qui soit, Paddy est pleuré par George, Seb, moimême et
quantité d’autres personnes qui l’ont connu et dont il a rendu la vie
meilleure. Ce livre lui est dédié.
Nombreux sont ceux qui m’ont aidé à mettre en forme les idées de ce
livre. Douglas Stone et Sheila Heen, du Harvard Negotiation Project, ont
fourni des conseils incisifs, qui changent la donne, sur tous ses aspects, de
la titraille aux idées majeures (c’est d’ailleurs à Sheila que je dois le titre de
ce livre). Melinda Merino, de Harvard Business Review Press, a vite
compris le potentiel du recadrage et, avec David Champion et Sarah
Green Carmichael, correcteurs chez HBR, a contribué à façonner les
premières incarnations de mon travail. Mon génial éditeur, Scott Berinato,
m’a patiemment cornaqué tout au long du processus de publication, a rendu
le livre bien meilleur et m’a aimablement dit non quand j’ai voulu ajouter
quarante pages d’annexes sur les recherches, d’images en 3D et de formules
cabalistiques au jus de citron. Jennifer Waring a miraculeusement maîtrisé
la marche et les délais d’un processus de production très compliqué, sans
laisser en souffrance le moindre détail.
Esmond Harmsworth, d’Aevitas CreativeManagement, demeure le
meilleur agent qu’un auteur puisse souhaiter. Henrik Werdelin, de
Prehype, reste un partenaire de réflexion clé sur le recadrage et bien
d’autres sujets. Il a enfin publié son propre livre, The Acorn Method, qui
mérite d’être lu très largement, tout en se vendant quand même un peu
moins bien que le mien.
Ce livre a aussi bénéficié immensément de l’implication d’un groupe de
personnes motivées qui ont bénévolement fourni un retour d’information
détaillé sur le manuscrit : Fritz Gugelmann, Christian Budtz, Anna
Ebbesen, Marija Silk, Mette Walter Werdelin, Simon Schultz, Philip
Petersen, Meg Joray, Roger Hallowell, Dana Griffin, Oseas Ramirez
Assad, Rebecca Lea Myers, Casper Willer, Concetta Morabito, Damon
Horowitz, Heidi Grant et Emily Holland Hull. Un remerciement spécial à
Scott Anthony, d’Innosight, dont les avis experts ont aussi contribué à
aiguiser les idées de mon premier livre.
Pour s’être aventurée dans mon projet manuel et lui avoir donné vie de si
belle manière, je dois aussi des remerciements à toute l’équipe de Harvard
Business Review Group, et au-delà : Stephani Finks, Jon Zobenica,
Allison Peter, Alicyn Zall, Julie Devoll, Erika Heilman, Sally Ashworth,
Jon Shipley, Alexandra Kephart, Brian Galvin, Felicia Sinusas, Ella
Morrish, Akila Balasubramaniyan, Lindsey Dietrich, Ed Domina et Ralph
Fowler.
Mes idées sur le recadrage ont aussi été modelées par des personnes de
quatre autres organisations. Chez Duke Corporate Education, je remercie
des collaborateurs anciens et actuels : Julie Knott, Pete Gerend, Ed
Barrows, Nancy Keeshan, Dawn Shaw, Nikki Bass, Erin Bland Baker, Mary
Kay Leigh, Heather Leigh, Emmy Melville, Melissa Pitzen, Tarry Payton,
Jane Sommers-Kelly, Jane Boswick-Caffrey, Tiffany Burnette, Richelle
Hobbs Lidher, Holly Anastasio, Karen Royal, Joy Monet Saunders,
Christine Robers, Kim Taylor-Thompson et Michael Chavez. À l’IESE
Business School : Tricia Kullis, Mike Rosenberg, Kip Meyer, John
Almandoz, Stefania Randazzo, Jill Limongi, Elisabeth Boada, Josep Valor,
Eric Weber, Julie Cook, Giuseppe Auricchio, Mireia Rius, Aniya
Iskhakava, Alejandro Lago, Sebastien Brion, Roser Marimón-Clos Sunyol,
Núria Taulats, Noelia Romero Galindo, Gemma Colobardes, Maria
Gábarron et Christine Ecker. Chez BarkBox : Stacie Grissom, Suzanna
Schumacher et Mikkel Holm Jensen. Chez Prehype : Stacey Seltzer, Saman
Rahmanian, Dan Teran, Amit Lubling, Stuart Willson, Zachariah Reitano,
Richard Wilding et Nicholas Thorne.
Un groupe encore plus large a participé sous différentes formes au
voyage du recadrage : Tom Kalil, Richard Straub, Ilse Straub, Linda Vidal,
Jordan Cohen, Christian Madsbjerg, Mikkel B. Rasmussen, Julian
Birkinshaw, Dorie Clark, Bob Button, Ori Brafman, Christoffer Lorenzen,
Maria Fiorini, Cecilie Muus Wilier, Anders Ørjan Jensen, Marie Kastrup,
Julie Paulli Budtz, Christian Ørsted, Edward Elson, Martin Roll, Blathnaid
Conroy, Nicole Abi-Esber, Christiane Vejlø, Tania Luna, Ashley Albert (et
Elliott), Ea Ryberg Due, Claus Mossbeck, Joy Caroline Morgan, Sophie
Jourlait-Filéni, Julia June Bossman, Lydia Laurenson, Lise Lauridsen, Pilar
Marquez, Carlos Alban, Laurent van Lerberghe, Esteban Plata, Alberto
Colzi, Ryan Quigley, Brendan McAtamney, Beatriz Loeches, Jack Coyne,
Chris Dame, Ulrik Trolle, Peter Heering, Susanne Justesen, Julie Wedell-
Wedellsborg, Morten Meisner, Kristian Hart-Hansen, Silvia Bellezza,
Elizabeth Webb, Astrid Sandoval, Paul Jeremaes, Ali Gelles, Joy Holloway,
Linda Lader, Phil Lader, Stephen Kosslyn, Robin S. Rosenberg, Kelly
Glynn, Kevin Engholm, Megan Spath, Per von Zelowitz, David Dabscheck,
Judy Durkin, Tracey Madden, Jennifer Squeglia, Heidi Germano, Kathrin
Hassemer, Lynden Tennion, Lynn Kelley, Dave Bruno, Teresa Marshall,
Karen Strating, Tom Hughes, Jared Bleak, Bruce McBratney, Roz Savage,
Lilac Nachum, Linni Rita Gad, Jens Hillingsø, Martin Nordestgaard
Knudsen, Luke Mansfield, Jerome Wouters, Ran Merkazy, Erich
Joachimsthaler, Agathe Blanchon-Ehrsam, Olivia Haynie, Kenneth
Mikkelsen, Brian Palmer, Michelle Blieberg, Josefin Holmberg, Kate Dee,
Amy Brooks, Nikolai Brun, Justin Finkelstein, Jennifer Falkenberg,
Thomas Gillet, Barbara Scheel Agersnap, Nicolas Boalth, Hanne Merete
Lassen, Jens Kristian Jørgensen, Axel Rosenø, Sarah Bay-Andersen, Colin
Norwood, Joan Kuhl, Kellen D. Sick, Svetlana Bilenkina, Braden Kelley,
Chuck Appleby, Thomas Jensen, Shelie Gustafson, Heather Wishart-Smith,
Michael Hathorne, Jona Wells, Paul Thies, Eric Wilhelm, Christy Canida,
Raman Frey, Olivia Nicol, Mie Olise Kjærgaard, Maggie Dobbins, Phil
Matsheza, Dawn Del Rio, Patricia Perlman, Nils Rørbæk Petersen, Claus
Albrektsen, Lisbet Borker, Kim Vejen, Niels Jørgen Engel et Birgit
Lendahl. L’équipe de Rucola m’a nourri : Amy Richardson, Jon Calhoun,
Bryan Sloss, Allie Huggins, Jeremiah Gorbold, Fernando Sanchez, Jarett
Gibson, Brian Bennett, Greg Lauro et Shevawn Norton. Gregers Heering,
photographe étonnant, est responsable du portrait de l’auteur. Mikael
Olufsen demeure bien sûr le meilleur parrain du monde.
Enfin, il est dit qu’on ne choisit pas sa famille. Mais si on le pouvait, je
choisirais quand même celle que j’ai, car elle est vraiment fantastique : mes
parents, Gitte et Henrik, mon frère Gregers, ma belle-sœur Merete et toute
la mafia familiale WW élargie. Et à mes neveu et nièces, Clara, Carl-Johann
et Arendse : je vous aime et je suis impatient de voir ce que vous allez
devenir. Vous avoir dans ma vie est une chance pour moi.
L’auteur

Thomas Wedell-Wedellsborg étudie depuis une décennie les aspects


pratiques de l’innovation et de la résolution de problème dans le cadre
professionnel. Ses recherches ont été présentées par la Harvard Business
Review, le Sunday Times, le Telegraph, la BBC, Bloomberg Businessweek et
le Financial Times. Il est l’auteur avec Paddy Miller de Innovation as Usual
(Harvard Business Review Press, 2013) sur l’art de la direction de
l’innovation.
En tant que conférencier et conseil de direction, il a partagé et affiné sa
méthode de recadrage avec des clients du monde entier, en particulier
Cisco, Microsoft, Citigroup, Time Warner, AbbVie, Caterpillar, Amgen,
Prudential, Union Pacific, Credit Suisse, Deloitte, le Wall Street Journal et
les Nations unies.
Avant sa carrière actuelle, Thomas Wedell-Wedellsborg a servi comme
officier dans la Garde royale danoise. Il est titulaire d’un MBA de IESE
Business School et d’un MA de l’université de Copenhague. Originaire du
Danemark, il vit à New York et donne des conférences dans le monde
entier.
Pour tout renseignement supplémentaire ou toute demande
d’intervention, voir www.thomaswedell.com.
Liste de contrôle du recadrage

Cadrer le problème
Quel est le problème ? Qui est concerné ?

Regarder hors du cadre


Qu’est-ce qui nous échappe ?

Repenser l’objectif
Y a-t-il un meilleur objectif à poursuivre ?

Examiner les points positifs


Y a-t-il des exceptions favorables ?
Regarder dans le miroir
Quel est mon rôle dans l’apparition du problème ?

Adopter leur perspective


Quel problème essayons-nous de résoudre ?

Avancer
Comment maintenir la dynamique ?

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