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Pathologie Biologie 52 (2004) 148–153

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Actualité biologique

Régulation de la masse osseuse par la leptine :


un contrôle hypothalamique de la formation osseuse
Bone mass regulation by leptin:
a hypothalamic control of bone formation
F. Elefteriou, G. Karsenty *
Département de génétique moléculaire et humaine, Bone disease program of Texas, Baylor College of Medicine, Houston, 77030 Texas, États-Unis

Reçu le 5 mai 2003 ; accepté le 21 mai 2003

Résumé

La masse osseuse est maintenue constante de la puberté à la ménopause grâce à un équilibre précis entre l’activité des ostéoblastes et des
ostéoclastes. L’existence d’un contrôle hormonal de l’activité ostéoblastique a été spéculée depuis des années par analogie à ce qui est connu
pour les ostéoclastes. Au cours de la recherche d’un signal hormonal régulant la formation osseuse, la leptine a été identifiée comme étant un
puissant inhibiteur de la formation osseuse. De plus, l’infusion intracérébroventriculaire de leptine a démontré que cette hormone agit par
l’intermédiaire d’un relais hypothalamique. Des études ultérieures ont conduit à l’identification de neurones hypothalamiques impliqués dans
la fonction anti-ostéogénique de la leptine. Ces neurones ou voies de signalisation impliqués sont distincts de ceux régulant le métabolisme
énergétique. Finalement, le système nerveux sympathique a été identifié comme étant un médiateur périphérique de la fonction anti-
ostéogénique de la leptine. En effet des souris déficientes en catécholamines ont une masse osseuse élevée, et l’administration d’agonistes du
système nerveux sympathique à des souris induit une diminution de leur masse osseuse, alors que l’administration de b-bloquants augmente
leur masse osseuse et prévient la perte d’os induite par ovariectomie.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Bone mass is maintained constant between puberty and menopause by the balance between osteoblasts and osteoclasts activity. The
existence of a hormonal control of osteoblast activity has been speculated for years by analogy to osteoclast biology. Through the search for
such humoral signal(s) regulating bone formation, leptin has been identified as a powerful inhibitor of bone formation. Furthermore, by means
of intracerebroventricular infusion of leptin, it has been shown that the effect of this adipocyte-derived hormone on bone is mediated via a brain
relay, like all its other functions. Subsequent studies have led to the identification of hypothalamic neurons involved in leptin’s antiosteogenic
function. In addition, it has been shown that those neurons or neuronal pathways are distinct from neurons responsible for the regulation of
energy metabolism. Finally, the peripheral mediator of leptin’s antiosteogenic function has been identified as being the sympathetic nervous
system. Catecholamine-deficient mice have a high bone mass and sympathomimetics administered to mice decreased bone formation and bone
mass. Conversely, b-blockers increased bone formation and bone mass and blunt the bone loss induced by ovariectomy.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Os ; Ostéoblaste ; Leptine ; Hypothalamus ; Système nerveux sympathique

Keywords: Bone; Osteoblast; Leptin; Hypothalamus; Sympathetic nervous system

* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : karsenty@bcm.tmc.edu (G. Karsenty).

© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.


doi:10.1016/j.patbio.2003.05.006
F. Elefteriou, G. Karsenty / Pathologie Biologie 52 (2004) 148–153 149

1. Introduction 2. La leptine inhibe la formation osseuse par


l’intermédiaire d’un relais hypothalamique
Le squelette n’est pas un organe aussi statique et inerte
qu’il ne paraît. Il est au contraire le siège d’un constant La leptine est une hormone secrétée par les adipocytes
remodelage qui lui donne ses propriétés structurales et ioni- dont la concentration sanguine corrèle avec la masse grais-
ques. En effet tout au long de la vie et au niveau de chaque os, seuse [13–15]. Le récepteur de cette hormone est richement
deux types de cellules travaillent à un remodelage constant exprimé au niveau des neurones hypothalamiques. La liaison
de l’os chez les vertébrés. Les ostéoclastes, d’origine myélo- de la leptine à ce récepteur active dans l’hypothalamus une
monocytique, sont les cellules multinuclées chargées de la voie de signalisation majeure, le système mélanocortinergi-
résorption osseuse. Ces cellules, par la sécrétion de diverses que, entraînant une augmentation de la dépense énergétique
protéases et par un processus d’acidification compartimenta-
et une diminution de la prise alimentaire menant à une perte
lisée, forment des cavités de résorption suite à la dégradation
de poids [14,16–18]. La leptine contrôle également le déclen-
du collagène et à la dissolution des minéraux constituant l’os
chement de la puberté [19,20]. Les souris déficientes en
[1,2]. Les ostéoblastes quant à eux sont d’origine mésenchy-
leptine ou en son récepteur sont, par conséquent, fortement
mateuse et sont responsables de la formation de l’os. Ces
obèses et hypogonadiques. Moins visible mais encore plus
cellules sécrètent une matrice extracellulaire riche en colla-
exceptionnel pour plusieurs raisons, nous avons montré que
gène qui deviendra minéralisée [3–5]. Ces deux types cellu-
ces souris présentent une masse osseuse largement supé-
laires agissent de concert par un processus complexe de
rieure à celle des souris sauvages. Face à ces résultats, une
signalisation impliquant plusieurs facteurs paracrines, de
explication simple serait que ces souris obèses déficientes en
telle sorte que l’activité de résorption osseuse est strictement
compensée par l’activité de formation osseuse. Une telle leptine ont une masse osseuse augmentée afin de supporter
coordination permet la conservation d’une masse osseuse une masse corporelle élevée. Sans exclure l’influence des
quasi-constante durant la vie adulte, garante des propriétés facteurs mécaniques sur l’os, d’autres observations prouvent
structurales du squelette. La perturbation de cet équilibre est que le phénotype osseux des souris ob/ob est indépendant de
délétère pour l’os et conduit généralement à des conditions leur obésité. Une lignée de souris privée d’adipocytes (surex-
pathologiques telles que l’ostéoporose, une maladie dégéné- primant au niveau des adipocytes une forme dominante néga-
rative survenant à la ménopause au cours de laquelle l’aug- tive du facteur de transcription A-ZIP qui empêche la diffé-
mentation de l’activité ostéoclastique n’est pas compensée renciation des adipocytes), et par conséquent possédant un
par une augmentation similaire de l’activité ostéoblastique bas niveau sanguin de leptine présente également un phéno-
[6]. Ce déséquilibre conduit à une perte de masse osseuse, un type de haute masse osseuse, ce qui indique que le phénotype
affaiblissement des propriétés structurales de l’os et un ris- osseux observé chez les souris ob/ob et A-ZIP est spécifique-
que de fracture osseuse élevé [7,8]. ment dû à l’absence de leptine et non pas au poids des souris
[21].
Plusieurs études ont démontré une résistance des patients
obèses à cette perte osseuse observée lors de la ménopause Ce phénotype osseux est exceptionnel car ces souris sont
[9,10]. De nombreuses hypothèses ont été avancées pour hypogonadiques et donc sujettes à une résorption osseuse
expliquer ce phénomène mais aucune d’entre elles n’est élevée [21]. Cette première observation souligne d’ores et
totalement satisfaisante. Une augmentation de la masse os- déjà le rôle prédominant de cette hormone sur la formation
seuse en réponse à une charge mécanique plus importante ne osseuse : l’effet de l’absence de leptine sur l’os est dominant
suffit pas à expliquer ce paradoxe car cette augmentation de sur l’effet de l’absence de gonades. La leptine est la seule
la masse osseuse affecte les os appendiculaires autant que les hormone connue qui exerce sur la masse osseuse une in-
os porteurs [11]. Une autre hypothèse avancée est celle de la fluence plus importante que les gonades.
génération d’estrones par aromatisation des androgènes dans La leptine est donc une hormone inhibant la formation
le tissu adipeux surabondant des patients obèses. Cette hypo- osseuse. La question s’est posée de savoir si elle agit sur l’os
thèse est, elle aussi, improbable car les valeurs de masse de façon directe au niveau des ostéoblastes ou de façon
osseuse corrigée par la concentration en estrones sont tou- indirecte via un relais hypothalamique. L’infusion de leptine
jours supérieures aux contrôles [12]. au niveau du troisième ventricule hypothalamique (infusion
Une troisième hypothèse que nous avons formulée suite à intracérébroventriculaire, icv) et à proximité des noyaux ex-
des observations expérimentales et cliniques est l’existence primant le récepteur de la leptine, entraîne une forte diminu-
d’un facteur endocrine commun régulant le poids corporel, la tion de la masse osseuse des souris ob/ob (et sauvages). La
masse osseuse et la fonction gonadique. Le poids et les dose de leptine choisie est telle qu’il n’est pas possible de
fonctions reproductrices étant régulées par la leptine, nous détecter cette hormone dans le sang des souris ob/ob traitées.
avons émis l’hypothèse que cette hormone pourrait lier et À l’inverse la leptine n’affecte in vitro aucune fonction des
co-réguler ces trois fonctions. Si cette hypothèse était véri- ostéoblastes primaires murins que ce soit au niveau de la
fiée, elle impliquerait nécessairement que la formation os- prolifération, de la sécrétion de collagène, de la minéralisa-
seuse, comme le métabolisme et les fonctions reproductrices, tion ou la signalisation intracellulaire en aval du récepteur de
est contrôlée par l’hypothalamus. la leptine [21]. De façon plus démonstrative, la surexpression
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de leptine in vivo dans le micro-environnement osseux par la l’aurothioglucose a provoqué une perte de poids mais s’est
génération de souris transgéniques n’affecte pas la masse révélée sans action sur l’os [22]. Ces résultats prouvent
osseuse [22]. Ce résultat contraste fortement avec la facilité l’existence de centres nerveux régulant la masse osseuse et
par laquelle il a été possible de diminuer la masse osseuse par indiquent que les neurones hypothalamiques sensibles à
infusion centrale de faibles doses de leptine. Ces résultats l’aurothioglucose sont la cible de la leptine dans la voie de
indiquent qu’in vivo le mécanisme prépondérant, si ce n’est signalisation centrale modulant la masse osseuse. Ils suggè-
unique, d’action de la leptine sur la masse osseuse est central. rent également l’existence de voies de signalisation distinc-
Il est important de noter qu’un tel mécanisme d’action est tes régulant la masse osseuse et corporelle.
celui utilisé par la leptine pour toutes ses autres fonctions
physiologiques. Ces résultats sont en accord avec le fait que
les sujets obèses, malgré leur hyperleptinémie, ne perdent
pas d’os. Ces personnes sont caractérisées par un état de 4. Deux voies de signalisation distinctes régulent
résistance à l’effet de la leptine, dont la cause est à ce jour mal l’homéostasie osseuse et énergétique
connue. Ils peuvent par conséquent être assimilés à des pa-
tients atteints d’un déficit fonctionnel en leptine. Pour cette À la suite du clonage du gène de la leptine, une voie de
raison et malgré leur hyperleptinémie, ces patients sont for- signalisation majeure régulant la masse corporelle a été mise
tement obèses et présentent une masse osseuse élevée. en évidence. Il s’agit de la voie des mélanocortines [17,23–
25]. Cette voie met en jeu le neuropeptide a-MSH qui est
généré par des neurones du noyau arqué en réponse à la
leptine. Ce neuropeptide se lie au récepteur MC4R situé sur
3. Un groupe de neurones hypothalamiques est d’autres neurones hypothalamiques et induit une inhibition
nécessaire pour la fonction anti-ostéogénique de la prise alimentaire et une augmentation de la dépense
de la leptine énergétique, ce qui résulte en une perte de poids. La question
qui se pose est alors de savoir si l’effet anti-ostéogénique de
L’existence d’un tel mécanisme de régulation centrale la leptine emprunte également cette voie. Il s’agit d’une
implique la présence de centres nerveux relayant cette fonc- question importante d’un point de vue thérapeutique car
tion de la leptine. L’hypothalamus est une région du cerveau l’existence d’une voie de signalisation commune en aval de
contrôlant la grande majorité des fonctions homéostatiques la leptine régulant la masse corporelle et la masse osseuse
et où le récepteur de la leptine est fortement exprimé, en serait un obstacle à un traitement visant à augmenter la masse
particulier au niveau du noyau arqué et du noyau ventromé- osseuse en antagonisant la voie mélanocortinergique. En
dial hypothalamique (VMH) [16]. Afin de déterminer si les effet dans ce cas ce traitement induirait une prise de poids
neurones exprimant le récepteur à la leptine dans ces noyaux accompagnant l’effet anabolique sur l’os. Afin de répondre à
sont impliqués dans la fonction anti-ostéogénique de la lep- cette question, diverses lignées de souris mutantes ayant pour
tine, des expériences de lésions hypothalamiques ont été caractéristique une voie mélanocortique bloquée ont été ana-
effectuées. La destruction du noyau arqué par le monoso- lysées. Les souris agouti yellow (Ay), surexprimant un anta-
dium de glutamate induit une prise de poids des souris car ce goniste du récepteur MC4R dans le cerveau, ainsi que les
noyau est le principal centre régulant le poids sous l’in- souris déficientes pour ce récepteur, ne présentent pas une
fluence de la leptine. Cependant la destruction du noyau masse osseuse supérieure aux souris contrôles. De plus des
arqué n’induit pas de phénotype osseux et l’infusion icv de souris ob/ob traitées avec un agoniste de ce récepteur (MTII)
leptine est capable d’induire une perte de masse osseuse perdent du poids au cours du traitement mais ne perdent pas
après sa destruction. Ces deux expériences indiquent que les d’os [22]. Ces résultats indiquent que la voie mélanocortiner-
neurones du noyau arqué ne sont pas impliqués dans la gique n’est pas impliquée dans le contrôle de la masse os-
fonction anti-ostéogénique de la leptine [22]. Un second seuse et suggèrent l’existence de voies centrales distinctes
noyau exprimant le récepteur à la leptine, le VMH, peut être régulant le poids et la formation osseuse.
détruit par une autre molécule, l’aurothioglucose. La destruc-
tion de ce noyau induit une augmentation de 40 % de la
masse osseuse de souris sauvages, reproduisant le phénotype
osseux des souris déficientes en leptine. Cette expérience 5. De la nature du signal anti-ostéogénique en aval
définit pour la première fois l’existence de neurones inhibi- de la leptine
teurs de la formation osseuse. Afin de déterminer si ces
neurones anti-ostéogéniques sont la cible directe d’action de L’identification de centres hypothalamiques inhibant la
la leptine, des souris ob/ob traitées à l’aurothioglucose ont formation osseuse conduit à la question suivante : quel est le
été soumises à une infusion icv de leptine. Les souris ob/ob signal en aval de la leptine induisant une diminution de la
contrôles non traitées à l’aurothioglucose ont comme prévu, masse osseuse, ou en d’autres termes comment le cerveau
perdu leur masse osseuse suite à l’infusion de leptine. Au communique-t-il avec l’os ? Deux scenarii sont possibles : le
contraire l’infusion de leptine chez les souris ob/ob traitées à signal peut être de nature humorale, ou de nature neuronale.
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Une expérience de parabiose a permis de déterminer la nature


de ce médiateur. La parabiose consiste à réaliser une circula-
tion sanguine croisée entre deux animaux. Des souris ob/ob
ont été utilisées afin qu’il n’y ait pas de leptine dans le
système expérimental. Une fois la circulation sanguine croi-
sée établie, la leptine a été infusée icv à une des deux souris
de chaque paire. Un signal secrété et humoral en aval de la
leptine devrait avoir pour conséquence la réduction de la
masse osseuse des deux souris de chaque paire. Au contraire,
un signal nerveux en aval de la leptine ne devrait pas induire
une perte de masse osseuse chez la souris controlatérale.
C’est ce deuxième scénario qui s’est montré le plus probable
car seules les souris infusées ont perdu de l’os [22].
Ce mécanisme putatif de nature nerveuse est à mettre en
relation avec d’autres observations intéressantes. Les souris
déficientes en leptine ont une masse osseuse élevée et un
tonus sympathique bas [26], et il a été par ailleurs démontré
que la leptine active le système nerveux autonome par l’inter-
médiaire du VMH [27]. Ces observations suggèrent que le
système nerveux sympathique pourrait être le médiateur re-
layant le signal en aval de la leptine pour le contrôle de la
masse osseuse. Si cette hypothèse est juste, des souris privées
de catécholamines ou traitées de façon à inhiber le tonus
sympathique devraient avoir une masse osseuse augmentée. Fig. 1. La leptine inhibe la formation osseuse par l’intermédiaire de centres
Pour vérifier cette hypothèse, les souris « DBH » ont été hypothalamiques et du système nerveux autonomique.
analysées. Ces souris sont déficientes en dopamine
b-hydroxylase, l’enzyme convertissant la dopamine en caté- environnement osseux et de récepteurs adrénergiques sur les
cholamines [28,29] et sont par conséquent déficientes en ostéoblastes si l’effet est direct. La présence de fibres nerveu-
adrénaline et noradrénaline. Les souris DBH présentent éga- ses à proximité des ostéoblastes a été démontrée à plusieurs
lement des niveaux élevés de dopamine et de corticostérone, reprises par microscopie électronique, ainsi que la présence
deux conditions induisant une perte de masse osseuse de marqueurs nerveux tels que la tyrosine hydroxylase et le
[30,31]. Malgré cela les souris DBH ont une masse osseuse neurofilament par immunocytochimie [22,32]. Le récepteur
supérieure aux contrôles, un taux de formation osseuse élevé adrénergique de type bêta 2 a été détecté à la surface des
et davantage d’ostéoblastes par unité de surface osseuse [22]. cellules ostéoblastiques primaires [22]. Par ailleurs, divers
Ces résultats indiquent que les catécholamines ou le système neuropeptides du système sympathique (NPY, VIP) [33] et
sympathique noradrénergique sont capables d’influencer la sensitif (cGRP, substance P) [34–36] ont été détectés dans le
masse osseuse. Le fait que le phénotype des souris DBH soit micro-environnement osseux, ce qui suggère l’existence de
moins important que celui des souris déficientes en leptine divers systèmes influençant l’homéostasie osseuse.
peut être expliqué par l’existence de systèmes additionnels, Les observations citées ci-dessus suggèrent le modèle
nerveux ou humoraux régulant la masse osseuse, ou plus suivant : la leptine exerce sont effet anti-ostéogénique en se
simplement par les concentrations élevées de dopamine et de liant à son récepteur sur des neurones localisés au niveau de
corticostérone observées chez ces souris, qui par elles- l’hypothalamus basomédial et en activant le système nerveux
mêmes diminuent la formation osseuse par inhibition de la sympathique. Ce dernier transmet un signal anti-
fonction ostéoblastique. ostéogénique via la noradrénaline aux ostéoblastes expri-
Une autre implication de ce modèle est que des souris mant le récepteur adrénergique bêta 2 (Fig. 1).
traitées avec des sympathomimétiques ou des b-bloquants Si ce modèle est correct, le blocage du système nerveux
devraient respectivement perdre ou gagner de l’os. Un traite- sympathique devrait annuler l’effet anti-ostéogénique central
ment de six semaines par l’isoprotérénol suffit à induire une de la leptine. De fait l’infusion icv de leptine induit une perte
perte de masse osseuse en diminuant le taux de formation de masse osseuse chez les souris sauvages mais n’affecte pas
osseuse et le nombre d’ostéoblastes par unité de surface la masse osseuse des souris DBH. De la même façon, l’effet
osseuse. Au contraire, le propranolol induit une augmenta- anti-ostéogénique de la leptine est bloqué par un traitement
tion du taux de formation osseuse et un gain de masse simultané avec le propranolol [22]. Ces résultats établissent
osseuse [22]. Il est important de noter que ces effets sur l’os donc par des expériences de génétique et de pharmacologie
sont obtenus sans affecter le poids des souris. que le système nerveux sympathique est un composant ma-
L’effet du système sympathique sur la formation osseuse jeur, si ce n’est unique, de la voie de signalisation efférente de
ne saurait avoir lieu sans la présence de nerfs dans le micro- la leptine pour le contrôle de la formation osseuse.
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Ces résultats ont une portée thérapeutique évidente : ils [10] Tremollieres FA, Pouilles JM, Ribot C. Vertebral postmenopausal
suggèrent que les b-bloquants pourraient constituer un trai- bone loss is reduced in overweight women: a longitudinal study in
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dans des conditions pathologiques d’ostéoporose. Afin de
[11] Hla MM, Davis JW, Ross PD, Wasnich RD, Yates AJ, Ravn P, et al. A
tester cette hypothèse, des souris ont été ovariectomisées multicenter study of the influence of fat and lean mass on bone
pour mimer les conditions observées à la ménopause. Ces mineral content: evidence for differences in their relative influence at
souris, comme prévu, perdent de l’os suite à la déficience major fracture sites. Am J Clin Nutr 1996;64(3):354–60 Early Post-
induite en estrogène. En revanche, les souris ovariectomisées menopausal Intervention Cohort (EPIC) Study Group.
et traitées par le propranolol sont protégées de cette perte [12] Reid IR, Ames R, Evans MC, Sharpe S, Gamble G, France JT, et al.
osseuse car leur taux de formation osseuse augmente suite à Determinants of total body and regional bone mineral density in
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tion existe chez l’homme. Parmi ces observations la plus the obese gene. Science 1995;269(5223):543–6.
frappante est le syndrome d’algoneurodystrophie, qui est [15] Zhang Y, Proenca R, Maffei M, Barone M, Leopold L, Friedman JM.
caractérisé par une hyperactivité du système nerveux sympa- Positional cloning of the mouse obese gene and its human homologue.
thique au niveau d’une lésion locale [37]. Ce syndrome est Nature 1994;372:425–32.
caractérisé par une ostéopénie focale, qui est traitée efficace- [16] Fei H, Okano HJ, Li C, Lee GH, Zhao C, Darnell R, et al. Anatomic
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dans un futur proche. Ces analyses révéleront si les [17] Huszar D, Lynch CA, Fairchild-Huntress V, Dunmore JH, Fang Q,
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