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SYNTHÈSE

médecine/sciences 2001 ; 17 : 1270-5

Contrôle central
de la formation osseuse
L’observation que l’arrêt des fonctions gonadiques favorise
Gérard Karsenty l’apparition de l’ostéoporose alors que l’obésité prévient la
perte osseuse nous a amenés à postuler que la masse
osseuse, les fonctions gonadiques et la reproduction sont
contrôlées par les mêmes hormones. Une analyse in vivo
utilisant des méthodes génétiques et physiologiques a per-
mis de démontrer que la leptine est le plus puissant inhibi-
teur de la formation osseuse identifié à ce jour. Les mêmes
études in vivo ont permis de démontrer également que
cette fonction de la leptine, comme les autres, requiert sa
liaison à un récepteur hypothalamique. Cette étude
démontre que, comme la plupart des autres fonctions
homéostatiques, le remodelage osseux est sous le contrôle
de l’hypothalamus. Cette étude suggère aussi que les mala-
dies osseuses dégénératives telle que l’ostéoporose pour-
raient être en partie d’origine hypothalamique.

hez les vertébrés la masse jusqu’aux stades tardifs de la vie.

C osseuse reste constante à la


fin de la période de crois-
sance, grâce à un processus
complexe et dynamique
appelé remodelage osseux [1]. La
première étape, rapide, se déroulant
en quelques semaines, consiste en
Ainsi, chez la femme, la masse
osseuse reste constante jusqu’à la
ménopause. C’est l’insuffisance de la
production d’hormones sexuelles qui
est à l’origine d’une augmentation
relative de la résorption par rapport
à la formation osseuse, déséquilibre
une résorption de l’os pré-existant qui conduit à une diminution de la
par les ostéoclastes. Puis intervient masse osseuse (ostéopénie) et expose
une étape de formation osseuse de au risque potentiel de fractures pro-
novo, plus lente, pouvant durer plu- voquées par des traumatismes
sieurs mois, assurée par les ostéo- minimes (ostéoporose) [1]. L’impor-
blastes. Un cycle de remodelage tance biologique du remodelage
osseux typique s’étale donc sur au osseux est illustrée par le fait que
ADRESSE moins trois mois. De tels cycles de l’ostéoporose est la maladie dégéné-
G. Karsenty : Department of Molecular and destruction/formation se déroulent rative la plus fréquente des pays déve-
Human Genetics, Baylor College of Medi- simultanément dans plusieurs sites loppés, touchant par exemple 28 mil-
cine, One Baylor Place, Houston TX 77030,
États-Unis. osseux, de sorte que la masse osseuse lions de personnes aux États-Unis. De
Email : karsenty@bcm.tmc.edu totale d’un individu reste constante plus, le vieillissement progressif de la
1270 m/s n° 12, vol. 17, décembre 2001

Article disponible sur le site http://www.medecinesciences.org ou http://dx.doi.org/10.1051/medsci/200117121270


population explique que son inci- ostéoblastes, une fois ceux-ci diffé- besoins suggère l’existence d’un
dence soit en constante augmenta- renciés, est le facteur de transcrip- contrôle endocrinien de la formation
tion. tion Cbfa1 [11] (voir les articles de P. osseuse.
Ducy et de P. Marie, p. 1242 et p. 1252
Le remodelage osseux : de ce numéro). On serait cependant Contrôle commun
une fonction complexe tenté de postuler l’existence d’un de la masse osseuse,
mal comprise contrôle commun régissant à la fois du poids corporel
la formation et la résorption osseuse. et de la reproduction :
La simultanéité du remodelage Une expérience in vivo suggère qu’il le rôle essentiel
osseux dans de nombreux sites a existe une régulation endocrine de la
longtemps été utilisée comme un formation osseuse : des souris transgé-
de la leptine
argument en faveur d’une régulation niques pour le gène codant pour la Pour identifier des hormones suscep-
locale, autocrine ou paracrine, de thymidine kinase (tk) placé sous le tibles d’influencer la formation
cette fonction physiologique [2]. contrôle d’un promoteur exprimé osseuse, nous avons utilisé les données
Cette hypothèse est corroborée par spécifiquement dans des ostéoblastes de la littérature clinique. La perturba-
des preuves expérimentales. L’une différenciés (souris osc-tk) [12] ont tion la plus fréquente du remodelage
d’elles, et non des moindres, est la été traitées par ganciclovir. L’induc- osseux est l’ostéoporose, caractérisée
démonstration que la différenciation tion de l’expression du gène tk qui en par une augmentation relative de la
des ostéoclastes, responsables de la résulte conduit à l’interruption de la résorption osseuse par rapport à la
résorption osseuse, dépend de la pré- réplication de l’ADN dans les cellules formation osseuse. Parmi les nom-
sence de gènes exprimés dans les exprimant tk et à la mort cellulaire. breux signes cliniques associés à cette
ostéoblastes, dont l’ostéoprotégérine Ce processus est réversible lors de maladie, deux nous ont paru intéres-
et son ligand, et dans une certaine l’arrêt du ganciclovir. Chez ces souris sants car, ensemble, ils mettaient sur
mesure l’interleukine 6 [3-7]. Cepen- osc-tk traitées par ganciclovir, on ne la piste d’un contrôle moléculaire de
dant, un remodelage simultané dans détecte aucune formation osseuse, la formation osseuse accessible à
plusieurs sites n’est pas incompatible mais la résorption osseuse se poursuit l’expérimentation. Il s’agit d’une part
avec une régulation endocrine. de façon ininterrompue, ce qui abou- du lien qui existe entre insuffisance
Contrôles local (autocrine et para- tit à des os vides. Il y a également un gonadique et perte osseuse et, d’autre
crine) et systémique (endocrine), arrêt de croissance puisqu’une acti- part, entre obésité et protection
loin d’être mutuellement exclusifs, vité ostéoblastique est requise pour la contre cette même perte osseuse,
peuvent au contraire être syner- croissance longitudinale du squelette. même après la ménopause [13-17].
giques, comme on le voit pour plu- Mais, de façon tout à fait surprenante, Ces observations suggèrent que trois
sieurs fonctions homéostatiques de lors de l’arrêt du traitement par le paramètres, conservation de la masse
l’organisme. Les preuves cliniques en ganciclovir, la formation osseuse osseuse, poids corporel et reproduc-
faveur d’une régulation endocrine reprend, l’aspect des os se normalise, tion sont sous le contrôle d’une ou de
du remodelage osseux sont incontes- de même que la taille des souris et ce plusieurs hormones communes.
tables : les hormones stéroïdes en un temps très court. L’aspect le
sexuelles sont un maillon essentiel de plus remarquable de ce « rattrapage » La leptine :
la différenciation ostéoclastique et de de croissance est son extrême préci- un régulateur du remodelage osseux
la résorption osseuse [8]. Nous ne sion. Le volume osseux des souris osc-
comprenons pas encore très bien tk transgéniques est en effet identique La leptine, qui contrôle le poids cor-
leurs mécanismes d’action, mais il est à celui de leurs congénères sauvages. porel et la fonction de reproduction
clair que l’insuffisance des fonctions Cette précision extrême du processus [18, 19], était certainement un
gonadiques entraîne une résorption de rattrapage, de même que sa sérieux candidat. L’existence de
osseuse pathologique chez l’humain, vitesse, suggèrent que les ostéoblastes modèles animaux dont le système
le rat et, à un moindre degré, chez la différenciés « savaient » combien de leptinique est déficient (m/s 1998,
souris. D’autres hormones favorisent matrice osseuse devait être synthéti- n° 8-9, p. 845) a permis de tester in
la résorption osseuse physiologique, sée dans différentes circonstances, et vivo, l’hypothèse d’un rôle de cette
telles l’hormone parathyroïdienne, pouvaient le faire à petite ou à hormone dans le remodelage osseux.
dont le mécanisme d’action sur le grande vitesse. Dans une première L’existence d’un hypogonadisme
squelette est incomplètement élucidé phase immédiatement après l’arrêt chez les souris ob/ob, déficientes en
[9], et la calcitonine, qui possède des du ganciclovir, les ostéoblastes pro- leptine et chez les souris db/db, sans
récepteurs sur les ostéoclastes [10]. duisaient de grandes quantités de récepteur fonctionnel, laissait prévoir
L’essentiel des processus de régula- matrice osseuse, afin de combler le une ostéopénie [20-26]. En effet,
tion décrits ci-dessus ciblent les ostéo- vide des os ; puis, une fois atteint un aucun modèle animal n’a jamais été
clastes, ce qui souligne un manque volume osseux normal, la production décrit dans lequel co-existaient un
de connaissances surprenant en ce de matrice osseuse se ralentissait, hypogonadisme et une masse osseuse
qui concerne le contrôle moléculaire assurant simplement le maintien de élevée. Aussi la découverte d’une
de la formation osseuse par les ostéo- ce volume osseux normal. Cette capa- masse osseuse élevée chez ces souris a
blastes. A l’heure actuelle, la seule cité des ostéoblastes d’évaluer précisé- été une surprise [27]. Les modifica-
molécule connue pour influencer la ment les besoins en synthèse pro- tions phénotypiques étaient telle-
vitesse de formation osseuse par les téique et d’adapter leur activité à ces ment importantes qu’une méthode
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implants de testostérone ou d’estra-
Mutation db diol pendant quatre mois. Ce traite-
➚ Formation osseuse ➚ Masse osseuse
ment a corrigé l’hypogonadisme et
Hypothalamus diminué le nombre d’ostéoclastes, et
Hypogonadisme
a conduit à une aggravation considé-
rable de l’excès de masse osseuse, éli-
➚ Prise alimentaire Obésité
minant ainsi l’hypothèse d’une ano-
OB-R malie de fonction des ostéoclastes
Leptine secondaire à l’absence de leptine.
Cette observation unique de la
coexistence d’une masse osseuse éle-
vée et d’un hypogonadisme nous a
Tissu incité à rechercher le mécanisme
adipeux général de l’action de la leptine dans
blanc le contrôle de la formation osseuse.
Mutation ob Pour étudier la formation osseuse de
façon dynamique, on peut se servir de
Figure 1. Conséquences des mutations ob/ob et db/db. La leptine est sécrétée l’histomorphométrie, une technique
par le tissu adipeux et agit sur l’hypothalamus par l’intermédiaire de son basée sur la fixation de la calcéine au
récepteur OB-R. La mutation ob résulte en l’absence de sécrétion de leptine front de minéralisation. Ainsi, ce
fonctionnelle et la mutation db, qui affecte OB-R, interrompt le signal lepti- composé, lorsqu’il est injecté à huit
nique. Ces deux types de mutation entraînent une augmentation de la prise jours d’intervalle, permet de mesurer
alimentaire, un hypogonadisme et une augmentation de la masse osseuse, le débit d’apposition minérale, la
par des relais hypothalamiques qui ne sont pas encore entièrement décryptés. vitesse de formation osseuse entre
autres paramètres [30]. A l’aide de
cette technique, nous avons pu
de faible sensibilité, comme une p. 266), ni chez des souris sauvages démontrer une augmentation nette
radiographie, suffisait à les détecter. soumises à un régime riche en de tous les paramètres de formation
Par la suite, elles ont été confirmées graisses et en glucides pendant un osseuse chez les souris ob/ob et db/db,
par l’analyse histologique et histo- mois pour induire un état d’obésité. bien avant la survenue de l’obésité.
morphométrique. Ces anomalies tou- Ces observations suggèrent donc Tous les paramètres associés à la for-
chaient l’ensemble du squelette y l’implication directe du système lepti- mation osseuse étaient augmentés, à
compris les os longs, les vertèbres et nique dans l’augmentation de la l’exception cependant du nombre
le crâne, ce qui était parfaitement masse osseuse. d’ostéoblastes qui était normal chez
compatible avec un effet endocri- Trois mécanismes possibles peuvent les souris ob/ob et db/db, indiquant
nien. Les souris analysées n’étaient entraîner un phénotype de masse que la leptine n’affectait pas la proli-
âgées que de six mois, mais avaient osseuse élevée. Une accélération de fération des ostéoblastes, mais seule-
déjà atteint un stade d’obésité la différenciation et/ou de la fonc- ment leur fonction. Cette absence
majeure. Les troubles de la masse tion ostéoblastique, une insuffisance d’un effet mitogénique serait certai-
osseuse auraient pû n’étre qu’une de la fonction ostéoclastique, ou une nement un grand avantage si on envi-
conséquence de l’obésité. Pour combinaison des deux. sage d’utiliser un antagoniste de la
répondre à cette question, nous Nous avons abordé l’étude de la voie métabolique de la leptine pour
avons utilisé des souris ob/ob, sou- résorption osseuse chez les animaux favoriser la formation osseuse.
mises à un régime pauvre en graisses déficients en leptine, de façon indi- Nous avons vu que la masse osseuse
dès la naissance. On peut ainsi retar- recte, par le biais de leur hypogona- élevée précède l’installation de l’obé-
der l’apparition de l’obésité chez ces disme. En effet, l’hypogonadisme sité : elle pouvait donc, chez les souris
souris jusqu’à la sixième semaine de s’accompagne toujours d’une aug- ob/ob et db/db, être secondaire à
vie. Malgré ce régime et un poids mentation du nombre des ostéo- d’autres anomalies endocriniennes.
corporel normal, ces souris ob/ob clastes, et cette règle générale vaut Cette probabilité est faible car
avaient déjà un phénotype de masse également pour les souris ob/ob et aucune hormone connue n’est
osseuse élevée, bien que moins pro- db/db. En rétablissant expérimentale- capable de stimuler à ce point la for-
noncé que celui observé chez les ani- ment la fonction gonadique et un mation osseuse chez les souris ob/ob
maux ob/ob adultes. Or, une telle nombre normal d’ostéoclastes, on eugonadiques. De fait, la plupart des
augmentation de la masse osseuse pouvait s’attendre à deux types de anomalies endocriniennes observées
n’était observée ni chez les souris résultats : soit une aggravation du chez les souris ob/ob et db/db n’ont
jaunes Agouti, qui développent un phénotype osseux, soit un phénotype qu’un faible retentissement sur la
phénotype d’obésité secondaire à la inchangé en cas de déficience fonc- formation ou la résorption osseuse, à
liaison de la protéine Agouti au tionnelle des ostéoclastes en l’exception d’une seule : l’hypercorti-
récepteur 4 de la mélanocortine l’absence de leptine. Pour détermi- cisme. Mais une sécrétion accrue de
(MC-R4) [28], dont elle antagonise ner lequel de ces deux scénarios était glucocorticoïdes favorise la diminu-
la voie de transduction [29] (m/s correct, nous avons traité des souris tion, et non pas l’augmentation, de la
1998, n° 8-9, p. 898 et 2001, n° 2, ob/ob mâles et femelles avec des formation osseuse [31, 32].
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Absence d’argument en faveur blastes : diverses concentrations de méningée, devait corriger le phéno-
d’un effet direct, paracrine leptine, allant de 8 à 100 ng/ml type de masse osseuse élevée chez les
ou endocrine, de la leptine étaient incapables d’induire dans des souris ob/ob ; (2) la même perfusion
sur l’ostéoblaste in vivo ostéoblastes primaires les intermé- intra-cérébroventriculaire de leptine,
diaires de la voie de signalisation acti- mais cette fois chez des souris sau-
Si l’augmentation de la masse vée par ObRb que sont la phosphory- vages, devait conduire à une ostéopé-
osseuse observée en l’absence de lep- lation de STAT3 et l’augmentation nie.
tine ou de sa voie de transduction de l’expression des gènes de réponse L’administration à des souris ob/ob
cellulaire n’est pas la conséquence précoce, comme Tis11 et C-fos [34- par voie intra-cérébroventriculaire de
d’une anomalie endocrinienne 38]. Au contraire, l’oncostatine M, doses faibles de leptine (8 ng/h)
secondaire, quel en est le méca- induisait invariablement une phos- induisent chez ces animaux une
nisme ? La leptine a trois possibilités phorylation de STAT 3 et une expres- perte de poids corporel considérable,
pour transmettre son signal à l’ostéo- sion de Tis11 et de C-fos. Or le récep- comme cela a déjà été montré anté-
blaste, qui ne sont pas mutuellement teur de l’oncostatine M appartient à rieurement. La dose de leptine que
exclusives : (1) une voie locale, impli- la même superfamille que le récep- nous avons administrée était la même
quant un mécanisme autocrine teur de la leptine, est présent en que celle utilisée pour démontrer
et/ou paracrine ; (2) une voie endo- abondance à la surface d’ostéoblastes que la leptine agissait par une voie
crine classique ; (3) enfin une voie différenciés [39], et son activation centrale pour contrôler le poids cor-
neuro(endo)crine, par analogie avec conduit également à la phosphoryla- porel [43] ; or nous nous sommes
le contrôle de l’appétit. tion de STAT 3 et à l’expression de assurés qu’il n’y avait pas de leptine
Puisque l’absence de leptine ne gènes de réponse précoce [40, 41]. détectable dans le sérum de ces ani-
modifie pas le nombre d’ostéo- Les données génétiques confirmaient maux. Le traitement par perfusion
blastes, elle doit en modifier la fonc- également que l’ostéoblaste n’est pas intra-cérébroventriculaire a été pro-
tion. C’est pourquoi toutes les expé- une cible directe de la leptine. Si le longé un mois, un temps relative-
riences visant à démontrer un effet phénotype osseux des souris ob/ob ment long en termes de contrôle du
autocrine, paracrine ou endocrine de et des souris db/db était principale- poids corporel mais relativement
la leptine ont utilisé des ostéoblastes ment dû à l’absence de récepteurs de court en terme de remodelage
différenciés, c’est-à-dire capables de la leptine impliqués dans la transduc- osseux, puisqu’un cycle de renouvel-
synthétiser et de déposer de la tion du signal, au niveau de la sur- lement osseux peut durer plus de
matrice osseuse. L’hypothèse d’une face d’ostéoblastes différenciés, des trois mois. Néanmoins, à la fin de
secrétion autocrine de leptine a rapi- cultures d’ostéoblastes primaires de cette période d’un mois, les animaux
dement été éliminée au vu de souris db/db, ayant une mutation ob/ob traités par de la leptine
l’absence de transcrits en Northern blot inactivatrice d’ObRb, devraient pro- avaient une masse osseuse légère-
dans l’os, ou dans des ostéoblastes en duire plus de matrice osseuse que les ment inférieure à celle des animaux
cultures primaires. L’intervention cultures d’ostéoblastes primaires pro- sauvages. On peut donc conclure que
locale de la leptine par un méca- venant de souris sauvages. Cela n’est la leptine peut modifier la formation
nisme paracrine ou endocrine est, pas le cas [42]. L’ensemble de ces osseuse alors même qu’elle n’est pré-
elle aussi, très peu probable, car nous arguments, certes indirects, indi- sente ni dans le sérum, ni dans le
n’avons pas été en mesure de détec- quent néanmoins qu’un effet local micro-environnement osseux, ce que
ter une expression quelconque du de la leptine ne peut rendre compte confirme également l’absence
récepteur de la leptine ObRb dans de son action d’induction de la voie de signalisa-
des cultures d’ostéoblastes primaires. tion activée par ObRb dans les ostéo-
Il existe de multiples isoformes du Contrôle de la formation osseuse blastes issus de cultures primaires.
récepteur de la leptine, mais seule in vivo par la leptine : On est donc en présence d’un nou-
l’isoforme appelée ObRb, exprimée un mécanisme central veau mode de régulation du remode-
principalement dans quatre noyaux lage osseux, qui met en jeu un
hypothalamiques, a la capacité La recherche infructueuse d’un effet contrôle central. Ce contrôle central
d’induire la voie de signalisation à endocrine ou paracrine de la leptine intervient aussi chez des animaux
travers la membrane cellulaire [20, sur l’os, combinée à ce que l’on normaux. De fait, la perfusion intra-
22]. L’absence d’ObRb dans les connaît de l’implication de cette hor- cérébroventriculaire de la même
ostéoblastes primaires était en mone dans le contrôle du poids cor- dose faible de leptine chez les souris
contradiction avec les résultats de porel et du déclenchement de la sauvages entraîne une ostéopénie,
Thomas et al., obtenus en utilisant puberté nous ont amenés à envisager dans un laps de temps d’un mois, ce
des cellules transformées, et fondés que contrôle de la masse osseuse par qui démontre la réalité physiolo-
sur une analyse par RT-PCR toujours cette hormone procède d’un méca- gique de la modulation du remode-
sujette à caution [33]. Cette diver- nisme neuro-endocrinien. Prouver lage osseux par la leptine [27].
gence soulignait l’importance d’une cette hypothèse nécessitait une Mais comment agit la leptine en
approche biochimique, génétique et double approche génétique et phy- aval ? Il n’existe pas encore de
physiologique. siologique : (1) la perfusion intra- modèle clair et simple pour expli-
Un autre argument expérimental cérébroventriculaire de leptine à une quer comment la leptine contrôle
infirmait l’hypothèse d’une action concentration telle que l’hormone l’appétit, à la suite de sa fixation sur
directe de la leptine sur les ostéo- ne traverse pas la barrière cérébro- son ObRb dans l’hypothalamus [44,
m/s n° 12, vol. 17, décembre 2001 1273
45]. Il faut admettre que notre com- mière enfance. De même, des ment of osteoporosis. Endocrinol Rev 2000 ;
2 : 115-37.
préhension du mode d’action de la modèles expérimentaux entraînant
leptine dans la formation osseuse un accroissement non contrôlé de la 3. Simonet WS, Lacey DL, Dunstan CR, et al.
n’est pas plus avancée. Une première formation osseuse ont pour consé- Osteoprotegerin : a novel secreted protein
approche consiste à déterminer si les quences l’incapacité de la moelle involved in the regulation of bone density.
Cell 1997 ; 89 : 309-19.
neuropeptides qui modulent l’action osseuse à maintenir une hémato-
de la leptine sur le contrôle du poïèse normale et des anomalies du 4. Bucay N, Sarosi I, Dunstan CR, et al.
Osteoprotegerin-deficient mice develop
couple appétit/poids corporel agis- bilan phosphocalcique comprenant early onset osteoporosis and arterial calcifi-
sent aussi sur le contrôle par la lep- une baisse de la calcémie, l’ensemble cation. Genes Dev 1998 ; 12 : 1260-8.
tine de la masse osseuse. Par de ces anomalies entraînant une
5. Lacey DL, Timms E, Tan HL, et al. Osteo-
exemple, le neuropeptide Y (NPY) mort précoce [48]. Si la régulation protegerin ligand is a cytokine that regu-
est l’un des nombreux neuropeptides de la formation osseuse est impor- lates osteoclast differentiation and activa-
qui stimulent l’appétit et la prise de tante à ce point il est alors probable tion. Cell 1998 ; 93 : 165-76.
poids corporel. L’expression de NPY que la leptine ne soit pas le seul 6. Kong YY, Yoshida H, Sarosi I, et al. OPGL
est augmentée chez les souris ob/ob acteur et qu’il existe également une is a key regulator of osteoclastogenesis, lym-
et un déficit en NPY corrige partielle- modulation positive de la formation phocyte development and lymph-node
organogenesis. Nature 1999 ; 397 : 315-23.
ment le phénotype d’obésité de ces osseuse dont le rôle serait de contrer
souris ob/ob [46, 47]. La leptine et l’action de la leptine. De même, si on 7. Poli V, Balena R, Fattori E, et al. Interleu-
le NPY ont donc des effets contraires se range à une telle vue globale du kin-6 deficient mice are protected from
bone loss caused by estrogen depletion.
en ce qui concerne le contrôle du remodelage osseux on peut conce- EMBO J 1994 ; 5 : 1189-96.
poids corporel. Tel n’est pas le cas voir et tester l’hypothèse selon
pour le contrôle de la formation laquelle la résorption, autre versant 8. Couse JF, Korach KS. Estrogen receptor
null mice : what have we learned and where
osseuse : la perfusion intra-cérébro- du remodelage osseux, serait égale- will they lead us ? Endocrinol Rev 1999 ; 3 :
ventriculaire de NPY chez des souris ment soumise à un contrôle hormo- 358-417.
sauvages induisait une perte osseuse, nal central. 9. Potts JT, and Juppner H. Parathyroid hor-
comme le fait la leptine. Il est donc Finalement, s’il est encore trop tôt mone and parathyroid hormone-related
probable que la leptine utilise diffé- pour savoir si ce nouveau concept de peptide in calcium homeostasis, bone meta-
rents médiateurs pour contrôler le régulation du remodelage osseux bolism and bone development : the pro-
teins, their genes, and receptors In : Avioli
poids corporel et la masse osseuse. conduira à des approches thérapeu- LV, Krane SM, eds. Metabolic bone disease and
tiques nouvelles, cette voie mérite clinically related disorders. San Diego ; Acade-
Implications certainement d’être explorée. mic Press, 1998.
Comme cela a été discuté dans cette 10. Nicholson GC, Moseley JM, Sexton PM,
L’observation que la leptine module revue, deux aspects de la modulation et al. Abundant calcitonin receptors in isola-
la formation de l’os par un méca- de la masse osseuse par la leptine ted rat osteoclasts. Biochemical and autora-
diographic characterization. J Clin Invest
nisme neuroendocrinien a d’impor- retiennent l’attention dans cette 1986 ; 2 : 355-60.
tantes implications pour la biologie perspective. Le premier est que la
du squelette. Les observations faites modulation de la voie de signalisa- 11. Ducy P, Starbuck M, Priemel M, et al. A
Cbfa1-dependent genetic pathway controls
chez la souris n’établissent pas seule- tion de la leptine offre la possibilité bone formation beyond embryonic develop-
ment un nouveau concept physiolo- d’augmenter la formation de la ment. Genes Dev 1999 ; 13 : 1025-36.
gique et la base moléculaire de l’effet masse osseuse, qui est véritablement 12. Corral DA, Amling M, Priemel M, et al.
protecteur bien connu de l’obésité déficitaire dans l’ostéoporose. On en Dissociation between bone resorption and
pour la masse osseuse, elles ouvrent conçoit aisément l’intérêt dans un bone formation in osteopenic transgenic
également de nouvelles voies de traitement curatif, ou même un trai- mice. Proc Natl Acad Sci USA 1998 ; 95 :
13835-40.
recherche en physiologie et pharma- tement préventif, de l’ostéoporose.
cologie. On peut se demander pour- Le second aspect est que la stimula- 13. Felson DT, Zhang Y, Hannan MT, et al.
Effects of weight and body mass index on
quoi des vertébrés ont besoin d’un tion de la formation osseuse en bone mineral density in men and women :
système aussi puissant pour garantir l’absence de leptine ou de sa voie de The Framingham study. J Bone Miner Res
la formation osseuse ? La réponse à signalisation intervient sans que le 1993 ; 8 : 567-73.
cette question est naturellement très nombre des ostéoblastes augmente, 14. Ravn P, Cizza G, Bjarnason NH, et al.
spéculative. Bien que les consé- ce qui est un avantage potentiel Low body mass index is an important risk
quences d’un contrôle imparfait du majeur si l’on envisage un traitement factor for low bone mass and increased
bone loss in early postmenopausal women
remodelage osseux ne s’expriment médical au long cours ■ early postmenopausal intervention cohort
pas aussi rapidement que celles d’un (EPIC) study group. J Bone Min Res 999 ; 14 :
contrôle imparfait du poids corporel, 1622-7.
on peut émettre l’hypothèse qu’il 15. Riggs BL, Melton LJ3d: involutional osteo-
s’agit là d’une fonction critique dont RÉFÉRENCES porosis. N Engl J Med 1986 ; 314 : 1676-86.
la régulation doit être étroitement 1. Karsenty G. The genetic transformation 16. Riggs BL, Khosla S, Melton LJ.3rd. A uni-
assurée durant l’évolution. Nous of bone biology. Genes Dev 1999 ; 13 : 3037- tary model for involutional osteoporosis :
savons déjà que des anomalies du 51. estrogen deficiency causes both type I and
contrôle de la résorption osseuse type II osteoporosis in postmenopausal
2. Manolagas SC. Birth and death of bone women and contributes to bone loss in
peuvent entraîner une ostéopétrose, cells : basic regulatory mechanisms and aging men. J Bone Miner Res 1998 ; 13 : 763-
maladie létale au cours de la pre- implications for the pathogenesis and treat- 73.
1274 m/s n° 12, vol. 17, décembre 2001
33. Thomas T, Gori F, Khosla S, et al. Leptin 48. Jochum W, David JP, Elliott C, et al.
RÉFÉRENCES acts on human marrow stromal cells to Increased bone formation and osteosclero-
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