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MEDECINE/SCIENCES 2003 ; 19 : 391-416

MAGAZINE
NOUVELLE

Department of Molecular
Le gros arbre and Human Genetics,
qui cachait la forêt Baylor College of Medicine,
Houston, TX 77030,
Florent Elefteriou, Patricia Ducy
États-Unis.

NOUVELLES
> Au premier coup d’œil jeté sur des (➜) m/s
notamment que l’injection de lep- positif de l’absence de leptine sur la masse
souris déficientes en leptine, une 1999, n° 11,
p. 1276
tine dans le troisième ventricule osseuse, capable même de contrebalancer
hormone agissant par l’intermé- cérébral de souris ob/ob mais aussi la perte osseuse induite par une « méno-
diaire de récepteurs hypothala- de souris sauvages induisait une pause constitutive », confère un attrait
(➜) m/s
miques, on devine que cette hor- 2000, n° 10, diminution de la masse osseuse, pharmaceutique certain à la recherche
mone synthétisée par les adipo- p. 1030 survenant rapidement, consé- d’inhibiteurs de cette voie de signalisation,
cytes joue un rôle éminent dans la quence d’une inhibition de l’acti- potentiellement efficaces pour traiter ou
régulation de la masse graisseuse (➜) m/s vité des ostéoblastes, les cellules prévenir l’ostéoporose, qui accepterait
(➜). En effet, ces souris, appelées 2001, n° 12, responsables de la formation de la d’être protégé de l’ostéoporose au prix
ob/ob, étalent une obésité que nul p. 1242 matrice osseuse (➜). Ces données d’une obésité! C’est en gardant à l’esprit
ne peut ignorer, et qui ressemble à établissaient donc la fonction ces deux aspects critiques de la fonction de
celle des souris déficientes en récepteur de anti-ostéogénique de la leptine, outre son la leptine que nous avons poursuivi nos tra-
la leptine (souris db/db) (➜). Ce qui, en activité anorexigène bien connue. Cette vaux, qui viennent d’être récemment
revanche, a échappé pendant longtemps à régulation de la formation osseuse par la publiés [3].
l’analyse des souris ob/ob et db/db est leptine est d’origine centrale, ce qui impli- Utilisant comme précédemment une
l’augmentation toute aussi importante de quait que les maladies osseuses pouvaient approche combinant physiologie et géné-
leur masse osseuse; cela est tout à fait avoir une composante hypothalamique. tique, nous avons d’abord démontré l’indé-
inattendu puisque ces deux types de souris Mais deux questions particulièrement pendance des signaux inhibiteurs relayant
sont hypogonadiques, dans un état de importantes d’un point de vue biomédical les fonctions anorexigène et anti-ostéogé-
déficience en œstrogènes comparable à restaient sans réponse: (1) quel était le (ou nique de la leptine (Tableau I). Deux com-
celui qu’induirait une « ménopause consti- les) médiateur(s) véhiculant le signal inhi- posés chimiques, le monosodium gluta-
tutive » qui favorise toujours la résorption biteur induit par la leptine depuis l’hypo- mique (MSG) et le thioglucose d’or (GTG)
osseuse et donc en principe induit une perte thalamus jusqu’aux ostéoblastes; et (2) sont connus pour engendrer des lésions
d’os. C’est cette observation qui a conduit pouvait-on séparer l’activité de la leptine neuronales distinctes. Exploitant cette
à la démonstration du rôle inhibiteur de la sur la masse graisseuse de celle sur la particularité, nous avons analysé le poids
leptine sur la formation osseuse, il y a 3 ans masse osseuse, deux activités aux béné- et la masse osseuse de souris traitées par le
[1, 2]. Cette étude initiale démontra fices contradictoires? En effet, si l’impact MSG ou le GTG*, certaines recevant simul-
tanément une injection de leptine dans le
Masse graisseuse Masse osseuse troisième ventricule cérébral. Les souris
Injection de leptine ➘ ➘ traitées par le MSG étaient clairement
obèses, mais conservaient une masse
Injection de leptine + MSG = ➘
Injection de leptine + GTG ➘ = * Une obésité acquise (par opposition aux obésités des


modèles génétiques ob/ob et db/db), peut être induite chez
Interruption de la voie mélanocortique = l’animal par deux produits: le monosodium glutamate (MSG)
chez le nouveau-né, ou le gold thioglucose (GTG) chez
Interruption de la voie mélanocortique = ➘ l’adulte, qui tous deux induisent des lésions hypothala-
miques. Dans le cas de l’« aurothioglucose », qui induit une
+ injection de leptine obésité avec hyperphagie, le glucose permet au complexe or-
glucose de traverser la barrière ventromédiane de l’hypotha-
lamus, région qui, normalement, inhibe la sensation de faim.
Tableau I. Dissociation des activités anorexigène et anti-ostéogénique de la leptine. MSG: La présence d’or est délétère et altère le fonctionnement
monosodium glutamique; GTG: thioglucose d’or. normal des neurones sensibles au glucose de cette région.

M/S n° 4, vol. 19, avril 2003 391


Article disponible sur le site http://www.medecinesciences.org ou http://dx.doi.org/10.1051/medsci/2003194391
osseuse normale. Elles gardèrent la capa- comme candidate. Le système nerveux taire. L’une des fonctions du SNS est de
cité de répondre à l’administration centrale sympathique (SNS) véhicule principalement contrôler la pression artérielle, et il y a
de leptine par une inhibition de la forma- des informations adaptatives réflexes jus- maintenant plusieurs décennies que furent
tion osseuse, mais ne perdirent aucun qu’aux muscles et aux principaux organes, développés, dans un but thérapeutique,
poids. À l’inverse, la masse osseuse des contrôlant par exemple la fréquence car- des antagonistes des récepteurs adréner-
souris traitées par le GTG augmentât, et diaque. L’information sympathique est giques regroupés sous le terme générique
cette augmentation ne fut pas corrigée par transmise par la sécrétion au niveau des de « β-bloquants ». On pouvait donc sup-
l’infusion centrale de leptine, alors que leur terminaisons nerveuses de catécholamines poser que la régulation de la formation
poids décrut. Ces deux expériences de phy- (épinéphrine et norépinéphrine) qui se lient osseuse par le SNS puisse, elle aussi, servir
siologie établissaient l’indépendance des à des récepteurs adrénergiques (α ou β) de base thérapeutique pour traiter les
réseaux de neurones impliqués dans la présents sur les cellules effectrices des maladies osseuses du type de l’ostéopo-
régulation du poids et de la masse osseuse organes cibles. Pour démontrer le rôle du rose. Afin de valider cette hypothèse, des
par la leptine. L’analyse de modèles murins, SNS dans le contrôle de la formation souris sauvages, ayant subi une méno-
dans lesquels les signaux qui relayent l’ac- osseuse par la leptine, nous avons initiale- pause chirugicale par ablation des ovaires,
tivité anorexigène de la leptine sont blo- ment analysé les os de souris déficientes en furent traitées avec du propanolol, un β-
qués, confirma cette indépendance au DBH (dopamine β-hydroxylase), l’enzyme bloquant à large spectre. Conformément à
niveau génétique. En effet, la masse nécessaire à la production des catéchola- la prédiction du modèle que nous avions
osseuse n’est pas augmentée chez les sou- mines. Ces souris montrant une augmenta- établi, les ostéoblastes de ces souris, dé-
ris déficientes en CART (cocaine amphéta- tion de la masse osseuse - augmentation réprimés par le blocage du signal négatif
mine related transcript), un neuropeptide qui plus est insensible à
transmettant le signal anorexigène de la l’injection cérébrale de
leptine [4], et l’inactivation de la voie de leptine - la fonction média- Déficience en leptine
ou en son récepteur
signalisation mélanocortique, une cause trice du SNS dans l’activité
d’obésité chez l’homme comme chez la inhibitrice de la leptine sur
souris [5, 6], n’entraîne pas non plus d’ac- l’os devint évidente. Des Hypothalamus
croissement de la masse osseuse. De plus, expériences complémen-
alors que ce blocage provoque une désensi- taires démontrèrent que les
bilisation à l’action de la leptine sur la ostéoblastes expriment des
masse graisseuse [7], l’effet sur la perte récepteurs adrénergiques
Neurones du système
osseuse de l’hormone injectée par voie β2 fonctionnels qui répon- nerveux sympathique
intra-ventriculaire est comparable à celui dent à des traitements par
qui est observé chez des souris sauvages. la norépinéphrine ou l’iso- β-bloquants
Ayant démontré l’indépendance des média- protérénol - un agoniste Norépinéphrine
teurs anorexigènes et anti-ostéogéniques des récepteurs β-adréner-
Récepteur
contrôlés par la leptine, nous avons ensuite giques - précisant le méca- adrénergique β2
entrepris de les identifier. Leur transmission nisme de la connexion sys- Ostéoblastes
par voie nerveuse plutôt qu’humorale fut tème nerveux périphérique-
établie par une expérience de parabiose. La formation osseuse. Le trai-
circulation sanguine de deux souris ob/ob tement de souris par ce Obésité Accroissement
fut couplée chirurgicalement et l’une même agoniste induit de la masse osseuse
d’entre elles reçut de la leptine par voie d’ailleurs une très forte
centrale intra-ventriculaire. Seule cette inhibition de la formation Figure 1. Mécanisme d’action de la leptine et des β-bloquants
dernière diminua sa masse osseuse, l’autre osseuse, preuve que ce sur la masse osseuse. La leptine se lie à son récepteur au niveau
non, établissant que le signal inhibant la mécanisme intervient in de neurones hypothalamiques. Ce signal est véhiculé par le sys-
formation osseuse et engendré par la lep- vivo. tème nerveux sympathique jusqu’à l’os où les terminaisons
tine n’était pas transmis d’une souris à L’ensemble de cette étude nerveuses libèrent de la norépinephrine. Celle-ci se lie aux
l’autre par l’intermédiaire de la circulation proposait donc un schéma récepteurs adrénergiques exprimés par les ostéoblastes qui
diminuent leur synthèse de matrice osseuse. L’absence de
sanguine. Cette expérience pointait une du mécanisme d’action de
signalisation par la leptine au niveau de l’hypothalamus induit
transmission neuronale. Considérant que la leptine sur la formation une obésité et un accroissement de la masse osseuse. En
les souris ob/ob ont une diminution de l’ac- osseuse, dont l’importance revanche, le blocage de cette voie de signalisation par admi-
tivité sympathique [8], cette composante biomédicale fut établie par nistration de β-bloquants induit une augmentation de la
du système nerveux autonome s‘imposait une expérience supplémen- masse osseuse mais n’affecte pas la masse graisseuse.

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provenant du SNS, augmentèrent leur pro- assure une fonction physiologique majeure 3. Takeda S, Elefteriou F,

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duction d’os. L’élément important est que différente dans les deux espèces. Levasseur R, et al. Leptin
regulates bone formation
la masse osseuse de ces souris est restée Deuxièmement, les autres fonctions de la
via the sympathetic
intacte alors que celle des souris non trai- leptine sont conservées chez les mammi- nervous system. Cell 2002;
tées par le propanolol décroissait. fères. Troisièmement, le traitement par les 111: 305-17.
En résumé, ces études ont montré que la β-bloquants est depuis longtemps connu 4. Kristensen P, Judge ME, Thim
L, et al. Hypothalamic CART
leptine inhibe la formation osseuse par l’in- comme le mode d’intervention le plus effi-
is a new anorectic peptide
termédiaire du SNS, et que le blocage de cace pour soigner une maladie humaine regulated by leptin. Nature
cette régulation peut être utilisé pour appelée algoneurodystrophie dont l’un des 1998; 393: 72-6.
contrebalancer une perte osseuse patholo- symptômes majeurs est… une ostéoporose. 5. Huszar D, Lynch CA,
Fairchild-Huntress V, et al.
gique (Figure 1). Cette situation prévaut ◊ Targeted disruption of the

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chez la souris. Mais qu’en est-il chez Control of bone mass by leptin melanocortin-4 receptor
l’homme? Pour l’instant, et malgré leur uti- occurs through results in obesity in mice.
lisation fréquente et déjà ancienne, il the sympathetic nervous system Cell 1997; 88: 131-41.
6. Vaisse C, Clement K, Guy-
n’existe pas de données cliniques démon- Grand B, Froguel P. A
trant un effet positif des β-bloquants sur RÉFÉRENCES frameshift mutation in
la masse osseuse. Cette constatation ne va human MC4R is associated
cependant pas à l’encontre de notre 1. Ducy P, Amling M, Takeda S, with a dominant form of
et al. Leptin inhibits bone obesity. Nat Genet 1998;
modèle car, dans le domaine scientifique, formation through a 20: 113-4.
l’absence de résultat n’est pas une preuve; hypothalamic relay: a 7. Halaas J L, Boozer C, Blair-
des études rétrospectives ou prospectives central control of bone West J, et al. Physiological
pourront seules apporter une réponse claire mass. Cell 2000; 100: response to long-term
197-207. peripheral and central
dans le futur. Il existe cependant toute une 2. Karsenty G, Ducy P. leptin infusion in lean and
série d’arguments indirects qui d’ores et Contrôle de la formation obese mice. Proc Natl Acad
déjà suggèrent que nos résultats seront osseuse par l’axe Sci USA 1997; 94: 8878-83.
transposables à l’homme. Premièrement, il hypothalamique: une 8. Bray GA, York DA. The MONA
nouvelle fonction de la LISA hypothesis in the time
n’existe pas d’exemple où une protéine, qui leptine. Med Sci 2000; 16: of leptin. Recent Prog Horm
est présente chez la souris et chez l’homme, 289-90. Res 1998; 53: 95-117.

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Fentes et brides : labiale - mais jamais l’inverse - et de pou-


voir affirmer son caractère autosomique
une même étiologie dominant (pénétrance de
pour deux syndromes 9, rue Basse, 96,7 %). Les analyses de
a priori bien différents 54330 Clerey-sur-Brenon, ségrégation familiale ont
Simone Gilgenkrantz France. montré que le locus se situe
s.gilgenkrantz@chu-nancy.fr en 1q42-q41 [2]. La
recherche du gène fut ren-
> Les gènes IRF (interferon regulatory syndrome de van der Woude et le syn- due difficile par la présence de nombreux
factor), au nombre de 9, codent pour une drome du pterygium poplité [1]. polymorphismes (single nucleotide poly-
famille de facteurs de transcription qui morphism) à ce locus (environ 1 pour 1900
contrôlent l’expression de l’interféron Le syndrome de van der Woude (VWS) pb). C’est finalement grâce à une paire de
après une infection virale. Mais il est pro- Parmi les syndromes associés à des fentes jumeaux monozygotes discordants pour le
bable qu’ils interviennent aussi dans bien labio-palatines, le VWS a été très tôt indivi- VWS que la preuve fut faite de l’implication
d’autres domaines, en particulier dans le dualisé car il est caractérisé par la présence d’IRF6 dans la maladie [1]. En effet, seul le
contrôle du développement embryon- de deux petits pertuis symétriques au niveau jumeau atteint était porteur d’une mutation
naire, comme en atteste la récente impli- de la lèvre inférieure (Figure 1A) qui permet- non-sens dans l’exon 4, absente chez le
cation d’IRF6 dans deux maladies à tent d’identifier cette variété de fente pala- jumeau sain et chez les parents. Par la suite,
transmission autosomique dominante: le tine pouvant s’accompagner de fente l’équipe ayant fait cette constatation a

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