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Culture Documents
du
4
octobre
Laboratoire
d’Études
théâtrales
Équipe
d’accueil
«
Arts,
pratiques
et
poétiques
»
-‐
Université
de
Rennes
2
«
L’œuvre
d’art,
sur
les
traces
de
la
pensée
de
Henri
Maldiney
»
Notes
de
travail
–
Intervention
de
Rachel
Rajalu
Le
projet
de
recherche
du
laboratoire
pose
la
question
:
«
Archiver
la
création
dans
les
arts
du
spectacle
?
».
Le
point
d’interrogation
montre
que
la
conservation
de
certaines
œuvres
et
des
processus
qui
leur
ont
donné
naissance
semble
problématique.
Ce
sur
quoi
je
souhaiterais
m’arrêter
aujourd’hui
porte
sur
la
question
de
savoir
en
quoi
l’archivage
de
la
création
des
arts
du
spectacle
est
problématique.
Autrement
dit,
j’essaierai
dans
cette
présentation
d’analyser
le
sens
de
ce
point
d’interrogation
à
la
lumière
de
mes
propres
objets
de
recherche.
Ce
point
d’interrogation
suggère
deux
formes
de
question
:
-‐ l’une
relève
d’un
pouvoir,
d’une
possibilité,
pas
d’une
possibilité
technique
ici
mais
philosophique.
Peut-‐on
archiver
la
création
dans
les
arts
du
spectacle
:
Est-‐ce
concrètement
possible
de
saisir
l’acte
créateur
?
A-‐t-‐on
le
pouvoir
de
le
faire
?
-‐ l’autre
relèverait
plutôt
du
droit
et
du
devoir
:
autrement
dit
:
doit-‐on
archiver
la
création
dans
les
arts
du
spectacle
?
Est-‐ce
une
démarche
légitime
?
Ainsi,
il
s’agit
d’interroger
les
conditions
de
possibilité
d’un
travail
d’archivage
aussi
bien
d’un
point
de
vue
concret
que
d’un
point
de
vue
moral.
Pour
ma
part,
je
propose
de
m’intéresser
à
la
question
de
la
possibilité
concrète
d’un
tel
archivage,
c’est-‐à-‐dire
à
la
première
question
en
laissant
de
côté
celle
de
la
légitimité
de
cette
démarche.
1
Archiver
la
création
dans
les
arts
du
spectacle
c’est
d’abord,
d’une
certaine
manière,
tenter
de
saisir
au
travers
de
supports
variés
ses
étapes
et
ses
résultats
qui
seront
conservés
pour
donner
accès
aux
conditions
de
son
surgissement.
Aussi,
cette
démarche
entend-‐elle
en
déterminer
les
conditions
de
création.
Mais
ce
geste
d’archivage
n’a-‐t-‐il
pas
pour
finalité
justement
d’objectiver
ce
qui
n’est
pas
objectivable,
d’objectiver
et
de
thématiser
ce
qui
ne
se
soumet
à
aucune
prise
?
Archiver
la
création
ici
semble
en
effet
relever
du
paradoxe.
Car
s’il
semble
possible
de
fixer
un
processus
de
production,
des
savoir
faire,
des
matériaux
et
des
techniques,
en
revanche,
le
geste
créateur,
artistique,
lui,
demeure
insaisissable
dans
sa
nature
même,
dans
son
être
même,
si
on
le
définit
comme
événement.
L’événement
créateur
en
effet
impose
une
rupture
dans
le
cours
du
temps
et
surgit
à
partir
de
rien.
En
outre,
l’essence
événementielle
du
geste
de
création
est
le
devenir
:
comment
alors
pouvoir
figer
un
devenir
toujours
en
mouvement,
l’archiver
et
le
conserver
?
Ce
paradoxe
met
en
jeu
me
semble-‐t-‐il
deux
tensions
imbriquées
l’une
dans
l’autre
:
-‐ l’une
concerne
celle
entre
la
permanence
des
traces,
ce
qui
reste
d’un
processus
et
l’instant
de
la
création
-‐ l’autre
tension
se
situe
entre
la
temporalité
du
processus
de
production
et
celle
de
la
création
de
l’œuvre
d’art
entendu
comme
événement.
Autrement
dit,
le
paradoxe
tient
dans
cette
contradiction
à
vouloir
frayer
une
voie
d’accès
à
la
création
proprement
dite
que
nous
définirons
tout
à
l’heure
comme
auto-‐genèse
par
celle
de
la
genèse
d’une
œuvre
d’art
qui
n’est
pas
l’œuvre
elle-‐même,
ni
l’acte
de
fulgurance
qui
l’a
créée
mais
plutôt
ce
qui
constitue
les
causes
déterminantes
de
l’œuvre.
Il
s’agira
alors
aujourd’hui
d’analyser
ce
paradoxe
et
de
montrer
en
quoi
il
donne
à
penser
l’acte
d’archivage.
Pour
ce
faire,
je
propose
que
nous
passions
par
la
question
de
savoir
ce
qu’est
une
œuvre
d’art.
L’approche
que
je
privilégierai
sera
celle
proposée
par
la
phénoménologie
de
l’art
et
notamment
celle
de
Henri
Maldiney,
philosophe
né
en
1912
(quelques
titres
de
ses
2
œuvres
:
Art
et
existence
-‐
1985,
L’art,
l’éclair
de
l’être
-‐
1993,
Ouvrir
le
rien,
l’art
nu
-‐
2000).
1. Une
approche
phénoménologique
de
l’art
En
préambule
de
mon
propos,
il
convient
de
justifier
cette
approche
phénoménologique
et
pour
ce
faire,
je
commencerais
par
définir
ce
qu’est
un
phénomène
–
la
phénoménologie
étant
le
discours
qui
entend
analyser
le
phénomène.
Il
existe
trois
manières
de
rendre
compte
du
phénomène,
de
ce
qui
apparaît
aux
sens.
Le
phénomène
est
:
-‐ une
indication
:
au
sens
où
ce
qui
est
senti
directement
par
nos
sens
et
par
notre
esprit
nous
indique
l’existence
d’un
être
au-‐delà
et
par
delà
ce
qui
se
donne
à
voir.
-‐ une
manifestation,
une
apparition
:
à
savoir
que
l’essence
de
cet
être
qui
n’est
pas
directement
accessible
se
donne,
se
manifeste
au
travers
du
phénomène
qui,
lui,
se
montre
-‐ enfin,
le
phénomène
relève
d’une
apparence
trompeuse
dans
la
mesure
où
il
n’est
pas
la
réalité
en
soi
mais
renvoie
en
revanche
à
une
vérité
cachée
invisible,
sachant
que
bien
sûr,
sans
ce
phénomène
nous
n’aurions
pas
accès
à
cette
vérité.
Ce
que
souligne
la
phénoménologie
de
l’art,
c’est-‐à-‐dire
l’analyse
de
l’œuvre
d’art
depuis
son
phénomène
et
l’expérience
qui
en
est
faite,
au
sein
d’un
courant
spécifique
hérité
de
Merleau-‐Ponty
ou
de
Maldiney,
c’est
que
l’art
relève
d’abord
du
vécu,
de
l’expérience
immédiate
et
de
l’affect,
avant
toute
tentative
d’approche
objectivante
et
conceptuelle
qui
vient
après
coup
et
qui
ne
relève
plus
de
l’art.
Je
vous
propose
ici
de
lire
un
passage
d’un
texte
de
Maldiney
intitulé
«
Vers
quelle
phénoménologie
de
l’art
?
».
En
introduction,
à
ce
texte
Maldiney
distingue
l’approche
3
historique
et
culturelle
de
l’art,
de
l’approche
existentielle
en
prenant
pour
exemple
l’expérience
de
Bernard
Berenson,
historien
de
l’art
américain
du
XXè
siècle.
Je
cite
:
«
‘Voyageur
passionné’
pour
qui
l’art
existait,
était
sa
raison
d’être,
et
historien
de
l’art
pour
qui
une
œuvre
d’art
représentait
un
nœud
dans
l’histoire
des
styles,
conçue
comme
un
complexe
de
trajets
culturels
entrelacés,
il
découvrit,
vers
la
fin
de
sa
vie,
que
ces
deux
façons
de
se
comporter
à
l’art,
qu’il
avait
cru
jusqu’alors
identiques,
en
réalité
s’excluaient
;
que
sa
conscience
historienne
de
l’art
supposait
et
entretenait
le
refoulement
de
sa
présence
aux
œuvres
«
elles-‐mêmes
»
».
Maldiney
poursuit
en
citant
directement
Berenson
:
«
Le
genre,
l’époque,
l’école
m’absorbaient
tant
jadis
que
l’œuvre
elle-‐même
perdait
toute
spécificité
dans
mon
affection.
Je
savais
tout,
mais
sur
quoi
?
Sur
elle
?
Non
:
sur
le
style,
chrétien
primitif,
byzantin,
roman,
gothique.
Je
me
jetais
à
corps
perdu
dans
l’un
ou
l’autre,
et
je
vivais
pleinement
les
uns
après
les
autres.
Mais
elle,
l’œuvre
d’art
individuelle,
était
une
aiguille
dans
une
botte
de
foin.
A
présent,
ici
à
Ravenne,
par
exemple,
je
m’aperçois
que
j’ai
oublié
la
majeure
partie
de
ce
qui
constitue
le
contexte,
qui
s’est
fait
vague
et
imprécis,
se
réduisant
à
une
simple
atmosphère.
Le
résultat
est
que
seuls
les
objets
pourvus
d’une
individualité,
d’une
qualité
intrinsèque,
s’imposent
maintenant.
»
Maldiney
distingue
ici
deux
attitudes
face
à
l’art
:
celle
de
l’historien
qui
thématise,
classe,
objective
l’objet
artistique
en
la
situant
sur
la
flèche
du
temps
et
par
conséquent
relativement,
et
celle
du
voyageur
qui
la
vit
en
elle-‐même,
qui
l’éprouve
et
qui
est
saisi
par
elle.
Or,
selon
Maldiney,
c’est
par
cette
approche
affective
et
existentielle
de
l’art,
où
l’œuvre
est
vécue
pour
elle-‐même
et
en
elle-‐même,
comme
une
‘individualité’
en
soi
que
nous
avons
véritablement
accès
à
celle-‐ci.
Cette
expérience
immédiate
et
authentique
du
phénomène
de
l’art
est
de
nature
anté-‐prédicative,
c’est-‐à-‐dire
antérieure
à
toute
forme
de
discours
(critique,
historique,
sémiologique).
Le
phénomène
artistique
en
tant
qu’indice
et
manifestation
offre
par
là
une
voie
d’accès
à
autre
chose
que
l’œuvre
d’art
perçue
dans
sa
matérialité,
qui
est
son
ouverture
et
qui
relève
d’une
pré-‐compréhension
sensible
de
l’essence
même
de
l’œuvre
comme
présence-‐existence
4
de
l’Être.
Par
le
détour
de
cette
pré-‐compréhension,
le
sujet
lui-‐même
se
sent
exister
dans
l’appréhension
sensible
de
l’œuvre.
La
question
demeure
de
savoir
plus
précisément
quelle
est
cette
identité
de
l’œuvre,
cet
être
de
l’œuvre
qui
permet
de
dire
qu’elle
est
«
elle-‐même
»
et
qui
est
décelable
au
sein
de
son
mode
d’appréhension
originel
et
premier
?
2. Vers
une
définition
de
l’œuvre
d’art
A
la
recherche
de
quelques
éléments
de
réponse,
je
commencerais
par
proposer
une
définition
négative
de
l’œuvre
d’art,
c’est-‐à-‐dire
par
dire
ce
que
l’œuvre
d’art
n’est
pas
selon
Maldiney
toujours.
Selon
ce
dernier,
l’œuvre
d’art
n’est
pas
un
ouvrage.
L’ouvrage
renvoie
à
la
fabrication
d’un
objet
qui
met
en
jeu
un
certain
nombre
d’opérations
techniques,
de
procédures
permettant
de
donner
une
forme
à
une
matière
et
cela
de
manière
déterminée,
intentionnelle,
c’est-‐à-‐dire
en
ayant
préalablement
l’idée
de
la
forme
à
donner
à
la
matière
ainsi
que
des
moyens
à
utiliser
pour
y
parvenir.
Si
l’œuvre
d’art
n’est
pas
un
ouvrage,
selon
Maldiney,
c’est
pour
plusieurs
raisons
:
-‐ D’abord
parce
qu’elle
n’est
pas
réductible
aux
opérations
techniques
ou
mentales
qui
l’ont
produites,
voire,
elle
leur
est
étrangère.
Non
pas
parce
que
ces
opérations
devraient
ne
pas
se
laisser
entrevoir
dans
l’œuvre,
au
sens
où
la
maîtrise
ou
l’usage
d’une
certaine
technique
devrait
paraître
naturelle
mais
parce
que
sa
manière
d’exister,
son
mode
d’existence
transcende
ces
opérations.
-‐ Ensuite
parce
qu’elle
n’est
pas
le
résultat
d’un
projet
déterminé
(dans
les
choix
des
matériaux,
de
la
technique
et
de
la
finalité)
qui
aurait
été
dessiné
par
l’artiste.
En
ce
sens,
l’œuvre
d’art
n’est
pas
le
résultat
d’une
intention
qui
la
précèderait.
Aussi
l’œuvre
ne
peut-‐elle
pas
se
soustraire
5
à
une
approche
sémiologique
qui
voit
dans
chacun
de
ses
éléments
des
signes
à
décoder
et
à
expliciter
pour
décrypter
l’œuvre
dans
son
ensemble
à
la
façon
d’une
opération
de
traduction.
-‐ Enfin,
l’œuvre
d’art
ne
réside
pas
dans
l’agencement
de
ses
constituants.
Elle
n’est
pas
la
combinaison
ou
l’articulation
de
différentes
formes
matérielles
:
trace,
point,
ligne,
figure
qui
s’inscriraient
spatialement
dans
un
cadre
qui
serait
celui
du
plateau
pour
le
théâtre
ou
celui
du
tableau
en
peinture
ou
celui
du
bloc
de
pierre
pour
la
sculpture.
Aussi,
l’œuvre
n’est-‐elle
pas
à
comprendre
en
terme
d’objet
défini
et
physique,
ayant
un
commencement
et
une
fin
dans
l’espace
et
le
temps,
devant
lequel
nous
serions
spectateur
et
que
nous
pourrions
en
tant
que
spectateur
institué
comme
œuvre
d’art.
Nous
l’avons
vu,
l’œuvre
d’art
transcende
l’ensemble
des
procédures,
moyens
et
intentions
mis
en
œuvre
pour
la
production
de
l’objet
art.
Une
définition
positive
de
l’œuvre
d’art
Comment
alors
comprendre
ce
qu’est
une
œuvre
d’art
en
elle-‐même,
l’être
de
l’œuvre
d’art,
de
manière
cette
fois
positive
?
L’être
de
l’œuvre
d’art
selon
Maldiney
réside
dans
sa
volonté
de
forme
qui
lui
confère
sa
puissance
intégrative,
c’est-‐à-‐dire,
sa
capacité
à
constituer
un
tout
unique,
qui
n’est
plus
pensable
sous
forme
de
fragments
agrégés
ou
assemblés
par
un
artiste
mais
appréhendable
en
soi-‐même
de
manière
absolue
et
autonome.
Selon
Maldiney,
je
cite
:
«
La
forme
est
l’unité
de
puissance
et
de
présence
qui
fait
qu’une
œuvre
est
en
pouvoir
de
soi
et
s’advient
en
propre
»
p.13
(Art
et
existence)
:
elle
est
le
mode
d’existence
même
de
l’œuvre
d’art.
On
comprendra
ici
que
Maldiney
introduit
un
concept
de
forme
original
:
la
forme
n’est
pas
l’idée
ou
l’intention
d’une
mise
en
forme,
ni
les
aspects,
les
contours,
les
figures
que
prend
la
matière
dans
un
processus
de
production
;
elle
n’est
pas
un
produit
6
déterminé
dans
un
espace
fini.
C’est
pourquoi
la
forme
dont
parle
Maldiney
ne
peut
être
entendue
comme
signe
que
l’on
pourrait
interpréter
au
travers
d’un
code.
La
forme,
je
cite
Maldiney
:
«
est
le
là
de
l’espace
»
p.29
:
elle
fait
être
l’espace
de
l’œuvre,
elle
l’institue,
l’informe
au
sens
où
elle
lui
donne
existence
et,
en
même
temps,
elle
est
à
l’espace,
elle
habite
cet
espace.
Dans
l’Esquisse
d’une
phénoménologie
de
l’art,
Maldiney
nous
dit
que
la
forme
«
ne
s’installe
pas
dans
l’espace,
elle
l’instaure
»
p.210.
Elle
est
donc
le
lieu
de
l’œuvre
d’art
qui
est
à
comprendre
comme
une
auto-‐
genèse
au
sens
où
la
forme
de
l’œuvre
d’art
se
forme
à
même
l’œuvre
et
la
fait
exister
dans
sa
formation
même.
Autrement
dit,
l’être
de
l’œuvre
d’art
tient
dans
sa
dynamique
même
d’œuvre
se
formant
;
ce
que
Maldiney
appelle
sa
dimension
rythmique.
Et
dans
cette
auto-‐genèse
de
l’œuvre
d’art,
une
présence
se
manifeste
qui
est
celle
de
l’être,
de
la
réalité,
que
nous
pourrions
approcher
en
disant
qu’elle
est
comme
un
sentiment
d’existence
absolu
de
nous
mêmes
et
du
monde,
ou
encore
le
sentiment
d’un
pouvoir
être.
Cette
forme
se
formant
au
sein
de
l’œuvre
et
qui
est
le
mouvement
de
l’œuvre
d’art
semble
échapper
à
toute
captation,
saisie
au
travers
de
supports
qui
pourraient
être
archivés.
C’est
en
ce
sens
que
la
nature
de
l’œuvre
d’art
interroge
le
geste
d’archiver.
Pour
poursuivre
notre
questionnement,
je
propose
à
présent
de
porter
notre
attention
vers
le
geste
de
création.
3. L’événement
du
geste
de
création
Comment
alors
opère
la
création
pour
qu’advienne
cette
forme
rythmique
qui
constitue
l’être
de
l’œuvre
d’art
?
Ce
que
nous
dit
Maldiney,
c’est
que
les
commencements
de
l’œuvre
sont
toujours
mythiques.
Ce
qu’il
faut
entendre
par
commencements,
c’est
ce
que
nous
avons
parfois
appelé
ici
le
rêve
de
l’artiste,
son
projet
et
ce
que
Maldiney
nomme
le
moment
de
l’Idéal.
Ces
commencements
ne
disent
rien
de
l’œuvre
elle-‐même
d’après
Maldiney,
parce
qu’ils
ne
permettent
pas
de
comprendre
comment
elle
advient,
comment
elle
surgit
ou
encore
parce
qu’ils
ne
permettent
pas
de
comprendre
son
événement
et
sa
manière
d’exister.
En
revanche,
selon
Maldiney,
il
est
possible
de
dire
quelque
chose
de
son
origine,
autrement
dit,
de
ce
qui
la
rend
possible
non
pas
comme
l’effet
d’une
cause
qui
la
7
précèderait
mais
comme
condition
ontologique
de
son
apparition.
Or
cette
origine
de
l’œuvre
d’art,
selon
Maldiney
est
un
«
non-‐lieu
»,
un
rien,
une
faille
:
c’est
le
temps
de
l’ignorance
où
tout
est
encore
indécidé,
indéterminé
;
temps
de
la
perte
des
repères,
de
l’oubli.
C’est
sur
ce
vide
que
fond
et
forme
viennent
à
l’existence
en
même
temps
mais,
pas
de
manière
prévisible,
comme
si
on
venait
remplir
un
fond
déjà
là
par
des
formes
pré-‐pensées.
Fond
et
forme
se
créent
dans
la
surprise
de
leur
apparaître.
L’œuvre
conserve
ensuite
en
elle
ce
vide
et
le
manifeste.
La
présence
de
l’être
que
l’œuvre
d’art
nous
fait
pressentir
n’est
alors
possible
que
sur
fond
de
disparition
de
soi
et
du
monde
et
la
présence
conserve
en
elle
cette
possibilité.
Le
franchissement
de
cette
faille,
selon
Maldiney,
se
fait
par
un
saut
qualitatif
qui
permet
de
passer
du
signe
(le
temps
du
projet,
des
commencements)
à
la
forme
(l’événement
de
l’avènement
de
l’œuvre
d’art).
Selon
moi,
c’est
ce
saut
qualitatif
ouvrant
sur
l’instant
de
la
création
et
permettant
le
déploiement
de
l’œuvre
qui
semble
à
proprement
parler
insaisissable
dans
un
travail
d’archive
ou
d’archivage
puisque
justement,
sa
possibilité
réside
dans
un
non-‐lieu
qui
est
un
rien,
un
vide.
4. L’appréhension
de
l’œuvre
d’art
J’ai
très
rapidement
résumé
la
conception
de
l’œuvre
d’art
de
Maldiney,
puis
de
la
création
et
je
souhaiterais
à
présent
passer
au
pôle
de
sa
réception
ou
pour
être
plus
précise
je
dirais
de
son
accueil.
L’être
humain
n’est
pas
placé
devant
une
œuvre
d’art
comme
devant
un
objet
défini.
Elle
n’est
pour
celui
qui
regarde
ni
un
objet
physique
que
l’on
pourrait
décrire
conceptuellement,
ni
une
représentation
psychique,
une
idée
pure.
Autrement
dit,
le
sujet
n’est
pas
dans
sa
présence
à
l’œuvre
à
comprendre
en
terme
de
spectateur.
Ce
n’est
pas
lui
qui
fait
exister
l’œuvre
par
son
regard.
L’œuvre
d’art
est
une
présence
que
le
sujet
accueil
et
dont
l’apparaître
nous
interpelle
sur
le
mode
du
saisissement
qui
s’exprime
au
niveau
du
sentir
humain.
C’est
précise
Maldiney
en
tant
que
corps
propre
que
nous
sommes
présents
à
l’œuvre.
L’œuvre
surprend
dans
la
surprise
de
son
apparaître.
Qu’est
ce
qui
surprend
dans
l’apparaître
de
l’œuvre
?
C’est
justement
une
présence,
celle
d’un
absolu,
sur
fond
de
8
vide
qui
est
l’existence.
L’œuvre
d’art
dans
sa
dimension
formelle
nous
ouvre
ainsi
sur
la
dimension
existentielle
de
notre
être.
Et
c’est
en
ce
sens
que
l’on
peut
dire
qu’elle
nous
met
en
mouvement
:
en
ce
qu’elle
donne
à
penser
et
révèle
notre
existence
et
l’existence
de
toute
réalité.
En
guise
de
tremplin,
puisque
cet
exposé
propose
des
pistes
sur
la
manière
dont
nous
pourrions
comprendre
l’œuvre
d’art,
je
propose
de
vous
lire
un
court
passage
d’un
texte
de
Maldiney
que
je
trouve
très
beau
:
Parlant
de
l’apparition
d’une
montagne
mais
propos
qui
peut
être
transposé
à
l’œuvre
d’art,
Maldiney
écrit
:
«
L’apparition
(…)
ouvre
un
espace
apparitionnel
où
nous
ne
sommes
plus
plantés
entre
ciel
et
terre,
mais
exposés
dans
le
‘entre’
absolu
engloutissant
en
lui
le
ciel
et
la
terre
et
l’intervalle
antérieur.
Ce
‘entre’
est
en
deçà
de
toute
motivation
possible
(entendre
intention).
En
lui
nous
nous
découvrons
soudain
passibles
de
l’existence,
de
ce
qui
jusqu’ici,
malgré
l’emploi
courant
du
mot,
n’était
rien
pour
nous
et
qui
se
révèle
en
nous
saisissant.
»
L’expression
«
passibles
de
l’existence
»
indique
deux
choses
:
une
forme
de
passivité
dans
l’accueil
de
l’œuvre
d’art,
sorte
d’abandon
de
soi
dans
l’existence
et
une
ouverture
sur
des
possibles
d’existence.
En
conclusion
nous
pourrions
dire
que
l’acte
d’archiver
se
heurte
à
des
limites
qui
tiennent
à
la
nature
même
de
l’œuvre
d’art
et
à
son
expérience.
Toutefois,
si
nous
ne
pouvons
dans
cette
perspective
saisir
ce
mouvement
d’auto-‐genèse
qui
définit
l’œuvre
en
revanche,
il
est
toujours
possible
d’en
capter
sa
genèse.
Genèse
qui
ne
peut
s’expliquer
que
dans
l’après-‐coup
de
l’expérience
et
qui
est
distincte
de
l’acte
artistique
même.
Aussi,
pouvons-‐nous
souligner
l’utilité
de
l’archivage
au
regard
de
l’histoire
et
de
la
critique
d’art
mais
aussi
ses
limites
dans
sa
capacité
à
révéler
ce
qu’est
à
proprement
parler
la
création.
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