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CHAPITRE 1.

Généralités

1. « Art & rationalité (& objectivité)

1.1. À propos du titre du cours


Il s’agit d’entrevoir les liens entre art et rationalité. Le terme d’ « objectivité », dans cette
association entre art et rationalité, me parait plus ambigu ; il est forcément là, quelque part, si on
aborde la question de la rationalité, par exemple lorsque l’on considère le réel du point de vue des
approches scientifiques, ou bien lorsque l’on configure une ville en la quadrillant, où il s’agit de faire
œuvre de rationalité en pensant une expérience de l’espace qui s’appuie sur une certaine forme de
neutralité, d’impartialité, où tout serait égal pour tout le monde. Je dirais donc que la rationalité et
l’objectivité se côtoient de façon inévitable 1, mais j’aimerais souligner que la dynamique qui guide
mes interrogations dans le cadre de ce cours est celle de l’articulation entre art et rationalité.
L’objectivité apparait nécessairement, d’une façon ou d’une autre, ne serait-ce parce que nous
pourrions aborder des pratiques qui s’y réfèrent (La nouvelle « Objectivité », l’« École » de
Düsseldorf, peut-être le constructivisme russe, etc.)2.

1.2. Deux élans

À travers ce questionnement « Art et rationalité », ce cours vise à parcourir une histoire, peut-être à
établir une sorte d’his toire de l’art parallèle, en tout cas une histoire de l’art polarisée par une
entrée plus particulière. Ce serait une histoire de l’art dans l’histoire de l’art 3, mais à vrai dire, il
s’agirait davantage de s’inscrire dans le champ de l’esthétique.

Mon intention est plus ample que la mise au jour de pratiques qui ont jalonné l’histoire à
partir de la notion de rationalité4 ; j’aimerai questionner au moins deux élans, deux dynamiques dans
l’histoire de la pensée (et de l’art) ; le premier montre que l’homme s’est largement emparé de cette
rationalité (à moins que ce ne soit l’inverse), pour atteindre des « sommets » dans la
compréhension, la régulation et la gestion de la vie des hommes. D’emblée, ce point est paradoxal,
car la rationalité est ce qui permet, dans une certaine mesure, de circonscrire le réel, de le soumettre
à la raison, et en même temps, l’homme s’est progressivement placé sous l’emprise de la rationalité.
Car en effet, nous parlons bien de régulation et d’administration de la vie des hommes, au point

1
Et encore, ce n’est pas certain, la « raison » pour les Grecs oscille entre la volonté de saisir le monde selon des
lois universelles, objectives, et simultanément, la « raison » est forcément l’expression d’un discours humain.
2
Éventuellement, en TD, si cela est possible.
3
Encore que, là aussi, l’art n’est pas le motif le plus exemplaire lorsque l’on aborde la rationalité ; à de
nombreuses reprises, il nous faut nous appuyer sur des aspects connexes. Ce serait plutôt une histoire des
idées.
4
Autrement dit : il ne s’agit pas tout à fait de voir des pratiques, des artistes ou des œuvres qui ont trait à la
rationalité ; la partie « artiste » arrive en TD. Ce qu’il s’agit de voir, en revanche, est un ensemble de
mouvements de pensée relatif à la rationalité, tels que l’art intervient, de près ou de loin.
peut-être de les priver de certaines libertés fondamentales ; d’où je crois l’émergence de discours
critiques de cette rationalité. C’est le premier élan que j’aimerai mettre en avant.

Le second élan consiste à dire qu’il y a, presque automatiquement, par effet de


contradiction, une réflexion à avoir sur ce qui pourrait s’opposer à la rationalité. Cela peut être la
critique, le discours critique, mais au sein des pratiques, cela pourrait aussi être l’intervention de
l’irrationnel en art, ou plus précisément du « non-rationnel » dans l’art et dans les pratiques
humaines ; ce non-rationnel permettant de ne pas employer le terme « d’irrationnel » qui dénote des
aspects magiques ou paranormaux par exemple ; le non-rationnel est plus simplement ce qui
s’opposerait à une mécanique de la rationalité pure. Ce non-rationnel est envisagé dans la troisième
séance de TD, en me demandant si elle est réellement présente ou observable, si elle est une
réponse, si elle est un moyen de poser un discours critique à l’égard de cette rationalité.

1.3. Remarques

Tout d’abord, ce cours d’esthétique possède de séance en séance une dimension chronologique (et
nous commencerons de fait par les « sources » ou les débuts de la notion de rationalité), mais il
pourrait aussi bien se comprendre comme un (1) ensemble de cinq cours différents, ou cinq
variations autour du lien entre art et rationalité, hormis les deux premiers cours qui reposent sur
des généralités, qui posent les bases. Cela signifie que le cours n’a pas une visée exhaustive sur la
question de la rationalité, il s’agit plutôt de fonctionner par touches5.

(2) Ensuite, par « art », j’entends parfois « production culturelle ou humaine » ; la question
de l’urbain, qui peut nous intéresser, par exemple, ne relève pas de l’art, a priori, mais la question de
la rationalisation de l’espace urbain aurait pu nous intéresser. C’est aussi le propre de l’esthétique
que de ne pas se focaliser exclusivement sur les productions dites artistiques, mais sur ce qui relève
d’un régime de visibilité, d’expériences sensibles, etc. D’autres mécaniques sont de cet ordre, le
« visage », le « corps » social, etc., seront possiblement abordés. De même, notre cours possède
parfois une dimension anthropologique, sociologique ou philosophique, mais nous verrons, je
l’espère, (notamment à l’occasion des TD) que des artistes s’emparent de ces dimensions.

En d’autres termes, le cours global d’esthétique s’arrête sur une « histoire thématique » de
la pensée, des idées, alors que les TD s’attacheront à agrémenter cette histoire au moyen d’exemples
artistiques.

2. La rationalité, partout
5
En réalité, cela fait sens, car ce serait dire que la rationalité ne s’appréhende pas de façon finie et définitive,
mais par la mise en évidence de réalités variables, arbitraires, choisies, qui forment alors un ensemble. Nous
procédons à une recherche quelque peu « rhizomatique ».
2.1. De la rationalité philosophique à la rationalité artistique

Dans le cadre des deux premiers cours, j’aspire à poser les bases pour tout le semestre. Par la suite,
nous dériverons davantage.

Au préalable, il s’agit pour nous de bien comprendre ce que signifie la rationalité, donc d’en
faire une histoire sommaire, ou d’en dresser un panorama non exhaustif. On peut consacrer des
années à la question de la rationalité, partant du principe que (1) la « raison » est peut-être le vrai
moteur de toute l’histoire de la philosophie (autrement dit, l’histoire des hommes et des idées est
forcément placée de près ou de loin au regard d’une forme de rationalité). De façon intuitive, si on
s’arrête sur le récit de la philosophie, la rationalité implique en effet toute la pensée antique, au
point même où on peut considérer que la philosophie (la pensée ?) nait à partir du moment où
l’esprit de rationalité émerge 6. Puis, toujours dans un cadre philosophique, (2) le rapport au Divin au
Moyen Âge pose nécessairement la question de la raison humaine et de son positionnement, de son
action, de la croyance, de la « magie », face à un ordre transcendantal. (3) L’avènement des sciences
exactes, sous l’impulsion de Galilée (1564-1642), donne une autre assise à l’idée de rationalité 7, de
même que la rationalité n’est plus seulement pensée comme une façon parmi d’autres de penser,
mais comme la seule possible ; la rationalité est devenue, en d’autres termes, nécessaire,
fondamentale, comme on peut penser que les mathématiques sont à la base de tout développement
de « civilisation », en permettant une pensée scientifique : tout ce qui nous entoure a été fabriqué
avec des éléments mathématiques ! Notons par ailleurs que la question de l’universalité, est
importante dans le cadre de toute l’histoire de la philosophie (les Idées de Platon, la Vérité absolue,
etc.), alors que les œuvres d’art, jusqu’à un certain point, sont pensées comme des objets uniques et
universels. Il y aurait véritablement une étude « ontologique », c’est-à-dire qui porte sur le mode
d’existence, sur la nature de l’être, à établir entre art et mathématique.

6
Je me demande s’il n’est pas possible d’être plus radical, ou plus précis, dans le propos, en affirmant qu’à
partir du moment où les hommes tentent de se représenter le monde, de s’en faire une image, de l’interpréter
ou de le décrypter, que se dessine en arrière-plan une vague volonté de rationalisation ; nous aborderons la
question des mythes un peu plus tard, mais retenons cet attrait pour la « représentation », pour la
« figuration » du monde, face à l’esprit humain (et on pourrait prendre en exemple le cas des nouveau-nés :
comment interprètent-ils le monde ? Grandir passe-t-il par une forme de rationalisation progressive ?).
7
A tel point que l’on se demande, avec Galilée, en s’extrayant du dogme religieux, si le monde n’est pas écrit
dans un langage mathématique. Il faut bien comprendre le propos : le monde est-il écrit selon des lois
mathématiques que les hommes auraient découvertes, ou bien les hommes ont-ils inventé leur propre langage
(mathématique), de façon à « canaliser » le « chaos » universel pour le communiquer, l’étudier, etc. ? Les
mathématiques sont-elles extérieures à l’homme, ou lui sont-elles intérieures (dans son esprit) ? De nombreux
arguments penchent pour la thèse de « l’universalité » du langage mathématique : par exemple les cas de
découvertes multiples d’une loi ou d’une formule mathématique (une même loi est découverte en même
temps en différents endroits du globe) ; (ce type de « découverte » est par ailleurs impossible sur le plan
artistique, deux œuvres identiques ne peuvent naitre en même temps), ou bien le fait qu’une géométrie
particulière permettent de définir la réalité du monde (par exemple la géométrie euclidienne, en vigueur
jusqu’au 19e siècle), pour ensuite être supplantée par une autre géométrie, comme pour la géométrie non
euclidienne, ce qui permet de dire en somme que l’esprit humain, dans ses résultats et représentations est
« temporaire » dans ses idéalisations et conceptions, tandis que demeurent, tapie quelque part, une sorte de
vérité qu’il reste à découvrir. Voir à ce sujet : John D. Barrow, Pourquoi le monde est-il mathématique ?, Paris,
Éd. Odile Jacob, 2003 (1992).
(4) On peut songer également, de façon plus large, et dans un autre registre, celui de la
pensée « de tous les jours », de l’état d’esprit qui caractérise nos sociétés, à Descartes (1596-1650),
avec son fameux Discours de la Méthode, père d’une philosophie rationnelle : le monde occidental
ne se caractérise-t-il pas par une pensée dite « rationnelle » ? Qu’est-ce que le cartésianisme ? Le
capitalisme, par exemple, n’est-ce pas une forme de rationalisation des échanges et des rapports
humains ? Songeons également à la « raison » chez Hegel (1770-1831), qui désigne l’aboutissement,
la réalisation suprême de toute conscience, le but de toute chose, de l’histoire, du cheminement
intellectuel des hommes, de la philosophie, etc. D’autres mentionneront la « Raison » au 20e siècle,
Theodor W. Adorno (1903-1969) et Max Horkheimer (1895-1973) pour élaborer une théorie critique
de la pensée des Lumières, en tant que cette dernière engendre le totalitarisme, plutôt que de nous
en préserver (si les hommes sont de plus en plus « rationalisés » – plutôt que rationnels – cela
signifie aussi qu’ils sont de moins en moins aptes à être humains – ou solidaires –, la société de
consommation, l’aliénation, la rentabilité, les hiérarchies de toutes formes, pourraient finir, en
somme à produire une forme de totalitarisme.

En somme l’histoire de la philosophie 8, et peut-être même davantage, l’histoire des


hommes, est très largement placée sous l’égide d’une notion de rationalité, de près ou de loin. C’est
donc un sujet bien vaste !

Aussi, en parallèle, si l’on devait examiner la notion de rationalité (5) dans les arts, de façon
intuitive, on constate de la même façon que la question est pareillement étendue. Assez
naturellement, de nombreux exemples nous parviennent, à tel point que l’on pourrait émettre une
hypothèse : la rationalité, en art, n’est-ce pas le grand « système », le grand principe qui l’a irrigué
(de la même façon que la raison a guidé toute l’histoire de la philosophie) ? N’a-t-on pas le sentiment
qu’une très grande partie de l’histoire de l’art (toute l’histoire de l’art ?) se déploie « de près ou de
loin » à partir d’une idée de la rationalité, que ce soit par connivence extrême, ou par opposition ?

J’aimerai poser une sorte de problématique en deux temps : premièrement, quelle est la
place d’une idée de rationalité dans les productions culturelles, et dans l’art en particulier, au
regard de l’histoire des hommes, si tant est que cette dernière est, semble-t-il largement irriguée
par une forme de rationalité ? Deuxièmement, dans quelle mesure la notion de rationalité est-elle
si précieuse pour l’art, sachant que l’histoire, les commentaires, la doxa, ont parfois eu tendance à
insister sur la place de l’émotion, du sensible ? Il semble en effet que lorsque l’on pense à l’art, on se
dise naturellement que l’on est dans le « sensible », que l’on exprime ou traduit des forces
intérieures : il y a aussi cette façon de croire qu’un artiste est un peu en marge des réalités sociales,
civiques, etc., de la même façon que l’on associe à l’artiste le sobriquet de « rêveur ». Or, ce que
nous disons, lorsque l’on réfléchit davantage à la question, c’est que l’art et la rationalité sont
intimement liés, depuis leur début, leur conceptualisation. Une hypothèse et un début de réponse
(que nous ne développons pas) : se peut-il que l’ère romantique se comprenne comme une façon de
s’opposer vis-à-vis d’une idée de la rationalité ? En effet, la subjectivité de l’artiste, son être intime et
ses pulsions insondables, telles qu’elles sont mises en avant, résistent au contexte de la fin du 18 e

8
Comment ne pas évoquer la philosophie anglo-saxonne dites « analytique », elle qui s’exprime et se pense de
façon comparable à des démonstrations mathématiques ?
siècle qui consiste à croire que tout se calcule et classe ; le romantisme pourrait être une façon de
rendre à l’homme sa part d’impondérable, de redonner à tout un chacun la possibilité d’être unique
et inclassable, plutôt que d’être identique à d’autres.

2.2. Une multitude d’arts dits « rationnels »

Citons quelques exemples de « proximités » entre art et rationalité. Ils nous parviennent de façon
intuitive, sans même que l’on soit experts en art. Pensons à (1) la proportion en art, chez les Grecs9,
dans les approches de Platon et Aristote, ou bien aux premières utilisations du nombre d’or, ou (2) à
Vitruve à Rome au premier siècle ; (3) songeons au découpage de l’espace (réel ou de
représentation) comme on le voit chez Alberti, avec là aussi l’architecture, et surtout la perspective.
Songeons également à l’édification des villes « quadrillées » et dites « hippodamiennes »10, Dans ces
premiers exemples, on pourrait dire qu’il s’agit d’évoquer une rationalité appliquée aux
constructions humaines (œuvres picturales, sculpturales ou architecturales, mais pourquoi pas, plus
tard, des œuvres musicales, ou des tragédies ?). Cette idée qui consiste à « créer » ou « produire »
en suivant des lois scientifiques, ou du moins rationnelles, survit jusqu’à de nos jours 11.

9
Voir par exemple le Doryphore de Polyclète, où le but pour le sculpteur fut de démontrer le lien entre forme
humaine et proportions idéales, justement. La sculpture, considérée comme un chef-d’œuvre, devint un
exemple, une preuve ou une démonstration pour des générations ultérieures. Le rôle du contrapposto peut
être discuté : la figure est « idéalement » proportionnée, et en même temps, n’est pas posée à plat de façon
objective, elle adopte une posture « artificielle ».
10
Car relatives à Hippodamos, ingénieur et architecte grec du V e siècle av J.-C. La paternité de la ville « en
damier » est discutée, l’une des fois où est mentionné Hippodamos (La République de Platon) évoque une
division, à propos d’une cité idéale, dont on ne sait s’il s’agit d’une division littérale et géométrique, ou s’il est
question d’une division sociale, en distribuant les individus par castes.
11
Je me pose cependant la question : ce qui survit, dans la volonté de créer en suivant des lois mathématiques,
proportionnelles, le fait de façon ponctuelle (on se dirait même qu’un architecte de nos jours, s’il devait suivre
des lois de proportionnalité ou de rationalité, serait un architecte « moderniste » – à l’image de Mies van der
Rohe ou Adolf Loos ; en réalité, tous les architectes « modernistes » sont rationalistes, il faut ajouter Le
Corbusier, avec le modulor. L’architecture contemporaine (postmoderne) est passée outre l’idée de
proportion ; donc s’il y a survivance, elle est anecdotique, ou bien elle a lieu dans un cadre artistique. Nous
sommes dans le postmoderne ou le contemporain, et on peut considérer qu’il y a un rejet de l’esprit
« parallélépipédique » de la Modernité. Je m’interroge donc : dans quelles mesures cette notion de rationalité
survit-elle réellement, de nos jours, dans la création ? De même, si elle survit, le fait-elle de la même façon
selon les disciplines concernées ? La rationalité en art ou en architecture, est-ce la même chose ?
Doryphore de Polyclète (vers 440 av. J.-C.), Musée archéologique national de Naples.

Léonard de Vinci, « L’Homme de Vitruve », vers 1490, 34 x 26 cm, plume et lavis,


Galeries de l’Académie, Venise.
Plan de Chicago (1848), Encyclopedia Britannica, 9th ed., Vol. V, p. 610.
Mies van der Rohe, Seagram Building, New York, 1954-1958
Le Corbusier, « La cite radieuse », Briey en Forêt, Meurthe et Moselle, 1950-1960.
Fondation Luma, Arles, Franck Gerhy, 2021.
(4) Le simple fait d’évoquer la notion de Modernité au 19e siècle laisse deviner un rôle accru de la
rationalité auprès des productions artistiques ou culturelles. D’emblée, sans rentrer dans le détail,
nous pouvons dire que la rationalité, dans le contexte de la Modernité, intervient à plusieurs
niveaux :

- Un premier niveau est contextuel, les œuvres entrent dans un régime social, économique, qui fait
qu’elles interrogent les notions de production, de sérialité, de reproductibilité, de rentabilité aussi.
Songeons à la société de consommation, ou au principe de la reproduction avec des gravures, ou des
photographies. Ce sont des notions qui pointent davantage l’écosystème artistique – le contexte
donc – que les œuvres en elles-mêmes12. Il est difficile de dire qu’il y a, même aux 19 e et 20e siècle,
des œuvres d’art qui véritablement pointent le contexte « de reproductibilité technique » de façon
directe, hormis si l’on s’arrête sur les pratiques de Ready-made de Duchamp et Warhol par exemple,
ou sur d’autres artistes comme Allan McCollum. Éventuellement, par contradiction, des artistes
s’emploient justement à s’opposer au contexte « rationnel » en proposant des œuvres « non-
rationnelles », chamaniques, ou rituelles.

Andy Warhol, « Diptyque Marylin », 1962, sérigraphie et acrylique sur toile, 205 x 290 cm, Tate Modern Gallery, Londres.

12
Cependant, peut-être que mon propos n’est pas assez clair ici : en quoi une notion de rationalité s’articule-t-
elle à celle de modernité ? D’une part : la modernité produit un contexte, un cadre de pensée, qui influe sur la
réalité des œuvres, au niveau des sujets et des motifs (la ville, la technique, le social, l’anonyme, etc.) ; d’autre
part, il s’agit de considérer un régime de production et de diffusion des œuvres qui lui-même est impacté par
la Modernité : produire davantage, plus rapidement, sont les mots clés de la modernité, et ils renvoient,
inévitablement à une idée de rationalité.
Allan McCollum, « Surrogates », 1982-

Marcel Duchamp, « Fontaine », 1917, urinoir en porcelaine, 63 x 48 x 35 cm, 10 reproductions.


Un second niveau est représentationnel : les motifs évoluent et portent sur une
représentation de la vie moderne (peut-être faut-il d’ailleurs distinguer la rationalité du réalisme !13),
de même que l’abstraction, ou l’avènement de l’art dit moderne se corrèlent plus ou moins à une
idée de rationalité (par exemple avec l’art géométrique). Il y a représentation de la rationalité dans la
mesure où le « monde moderne » donne à voir des motifs, des figures, des organisations (sociales,
industrielles, humaines) qui sont régis par des lois rationnelles : comme la foule synchronisée ou les
machines produites à la chaine.

Alexander Rodchenko, Grande parade de Dynamo Club de Sport, 1928,


La tour Shukhov, Moscou, 1929.

13
Le réalisme, en peinture, au 19 e siècle : Gustave Courbet et Edouard Manet, par exemple, qui n’ont pas
vraiment à voir avec les proportions, les lois mathématiques, les jeux de symétries et les formes idéales ; ils se
rapportent plutôt à la véracité, l’authenticité, vis-à-vis de la vie dépeinte, une vie qui n’est pas celle du passé,
mais celle du présent. On peut se référer par exemple à la définition qu’en donne le critique Louis-Émile-
Edmond Duranty (1833-1880), dans l’ouvrage Réalisme paru en 1856-1857.
Albert Renger-Patzsch14, « Fers à repasser pour la fabrication de chaussures », usine Fagus, Alfeld, 1928.

14
Le cas d’Albert Renger-Patzsch (1897-1966) est extrêmement intéressant à étudier, lui qui est l’auteur en
1928 d’un ouvrage de photographies intitulé Die Welt is schön (La vie est belle). Pour la première fois, un
photographe manifeste un intérêt esthétique et visuel pour des formes quelconques, souvent industrielles, en
tous les cas pour des motifs répétés. Il représente une forme d’objectivité artistique qui inspirera notamment
les Becher, mais plus important, il est celui qui joue de cette ambiguïté entre rationalité et réalisme : il montre
« réalistement » un monde rationnel.
Albert Renger-Patzsch, « Charbonnage Graf Moltke, dans le quartier de Gladbeck, à Gelsenkirchen », (1952-1953)
Bernd & Hilla Becher
Un dernier niveau est « structurel », il correspond aux pratiques qui explicitement reposent sur des
principes scientifiques, comme lorsqu’il est question pour les artistes de s’associer à des notions de
savoir, de connaissance : telle ou telle théorie de la couleur, (5) comme le traité des couleurs de
Goethe en 1810, ou les contrastes de Chevreuil en 1839, ou la théorie de la forme, avec (6) la Gestalt
au début du 20e siècle15.

Roue chromatique de Goethe, aquarelle de Goethe, 1808, partie de l’ensemble Goethe Museum.

George Seurat, Un dimanche après-midi à l’Île de la Grande Jatte (1884-1886), huile sur toile, 207 x 308 cm,
Art Institute Chicago.

15
Ou un peu plus tard dans le 20 e siècle, pour ne pas être anachronique : on la retrouve dans l’art géométrique,
ou dans l’art cinétique.
Étienne-Jules Marey, « vol de pélicans », vers 1882.

En poussant plus loin, la radicalité d’un (10) Malevitch, « héritier » des idées platoniciennes,
est peut-être la quintessence de la rationalité dans l’art pictural, de même que l’on peut évoquer, en
prolongeant, une tradition de l’art géométrique, ou cinétique, voire même l’art minimal et
conceptuel. Les exemples sont multiples (il y en a bien d’autres !), ne serait-ce que lorsque l’on
s’arrête sur les pratiques dites « objectives » en photographie avec la bien nommée (11) Nouvelle
objectivité, (12) l’« École » de Düsseldorf, voire même, peut-être, le mouvement du (13) Nouveau
réalisme.

On ne sait dire exactement quel est l’impact véritable de ces théories sur les formes et les
couleurs auprès des artistes, mais le mouvement de (9) l’Art concret stipule clairement le rejet de
toute fantaisie au profit d’une esthétique ordonnée et lisible mathématiquement, par opposition à
l’art lyrique ou surréaliste.
Casimir Malevitch, Carré noir, entre 1923 et 1930, huile sur plâtre, 37 x 37 x 9 cm, Centre Georges Pompidou, Paris, Théo
Van Doesburg, Composition arithmétique, 1929.

Max Bill, Acht Transcolorationen, 1986, sérigraphie, 1 sur 8, 65 x 50 cm,


Violets und Rotgrünes Quadrat, 1961-1962, huile sur toile, 88 x 88 cm.
Manifeste de l’Art concret, 1930.
En parallèle, d’autres chercheurs dans les sciences sociales ont imaginé des systèmes de classification
permettant d’évaluer le bien-fondé, la qualité ou l’intensité de telle ou telle figure géométrique, de
façon mathématique, comme (7) George David Birkhoff avec la publication de Aesthetic Measure
(1933), ou (8) les Essai sur les proportions (1927) et Essai sur le rythme (1938) de Matila Ghyka. Dans
un autre registre, ce qui pourrait nous intéresser est, de nos jours, l’importance des « visualisations »
digitales et numériquement codées ; on assiste à une forme de rationalisation du Voir, ou ce qui
importe est l’information, mais aussi la mise en forme de cette information. De nombreuses pistes de
réflexion pourraient porter sur les représentations cartographiques (nous l’évoquons brièvement à la
fin du chapitre 4) : Y a-t-il une distinction à faire entre le fait de voir un objet « par ses propres
yeux », dans sa matérialité (comme une œuvre d’art), et le fait de voir un objet numérique, comme
un langage que l’on décrypte ? Pourrait-on par exemple imaginer que nous serions passé d’un régime
de perception à un régime de « visualisation » ? Ces façons de voir le monde influent-elles sur notre
mécanique cérébrale ou organique d’une quelconque façon ? (Sous-entendu : nous ne regardons
plus le monde de façon physiologique, mais de façon intellectuelle, langagière, ce qui est un
processus cérébral différent, semble-t-il). De même, que penser de la richesse « organique »,
visuelle, voire esthétique de ce que permettent les « data-visualisations ? ». Et, au final, n’y a-t-il pas
une perte, un abandon, vis-à-vis du concret, de la réalité, au profit d’une rationalisation de la
perception ? N’est-ce pas une façon de vivre dans le virtuel et l’artificiel ? Surtout, ne s’agit-il pas
d’établir, au final, un propos « critique » vis-à-vis de ces régimes de « visualisation » ?
Planche extraite d’Aesthetic Measures, George David Birkhoff, 1933.
Planche extraite d’Aesthetic Measures, George David Birbenkhoff, 1933.
Planche extraite d’Essai sur les proportions, Matila Ghyka, 1927.

Exemples d’image « gestalt »


reddit.com, r/dataisbeautiful, « Fertility in 2019 »
Captures d’écran
2.3. Retour aux discours sur l’art :
Des « antinomies critiques » liées à la rationalité, et qui perdurent depuis l’Antiquité

Par conséquent, nous avons une omniprésence, une essentialité de la question de la


rationalité en philosophie, voire dans tous les champs de la réalité, et de très nombreux exemples en
art. Si nous devions regarder plus en détail la façon avec laquelle comprendre, interpréter,
commenter les œuvres, par exemple en s’imaginant critique d’art ou commentateur de l’art, on se
rend compte d’un autre aspect. Quelques-unes des « antinomies » les plus présentes dans le
domaine de la critique d’art, à l’échelle de toute l’histoire des créations humaines, nous proviennent
des Grecs et de leur esprit de rationalité. Qu’est-ce qu’une « antinomie critique »16 ? Il s’agit d’un
couple de notions permettant de « filtrer » une œuvre d’art (de l’évaluer, de la comprendre, de
l’interpréter) ; ce sont les critères à l’aune desquels on les évalue. Lionello Venturi (1885-1961), dans
son ouvrage Histoire de la critique d’art 17 en mentionne quatre en particulier : (1) le rationnel et
l’irrationnel ; (2) le beau et le laid ; (3) le fini et l’inachevé et (4) la forme et la couleur.

À bien y regarder, ces antinomies (même les 3 dernières) se rapportent à une idée de
rationalité (conjointement à une idée de non-rationalité), alors qu’elles sont fondamentales dans
toute analyse d’œuvre d’art :

(1) Le rationnel et l’irrationnel bien sûr (par exemple lorsque dans l’Antiquité, on a peint des
figures au-dessus de la toiture d’un château, cela semblait « irrationnel » ; ou bien lorsque les
peintres représentent des sirènes, ce qui provoque la moquerie d’un Horace au 1 er siècle, parce que
des femmes avec des corps de poisson défient forcément la logique, ou la correspondance avec une
certaine idée de la vérité). Dans le même ordre d’idée, avec les Grecs, la correspondance avec le réel,
la qualité du processus mimétique, la rigueur de l’objectivité dans la représentation, tout ceci doit
être optimal (même pour Platon, ce qui ne l’empêche pas de déprécier les arts picturaux). Une
œuvre « correcte » doit être absolument rationnelle, il s’agit d’un critère permettant de la qualifier
comme telle. L’ « irrationnel » n’a pas lieu d’être dans les représentations artistiques, elles
discréditent les œuvres, hormis pour des représentations imaginaires, alors qu’il y a une nuance à
apporter : ce que l’on pointe, ce sont des œuvres qui prétendent être des œuvres, alors que des
mécaniques visuelles fortuites, ou peu assimilées par la culture de l’époque, tend à les faire
comprendre comme irrationnelles. La perspective, par exemple, aurait-pu être comprise comme
irrationnelle, en ce qu’elle « dérange » la perception communément comprise comme juste et
cohérente du 15e siècle.

Dans le prolongement du point précédent, (2) Le beau et le laid aussi (si l’on considère que
le beau est atteint par la correspondance quasiment géométrique de la réalité peinte à la réalité
représentée, « la nature étant fidèlement représentée », ce qui exclut toute fantaisie, ou bien, autre
version, « la beauté n’est possible qu’à partir de figures géométriques » (Platon), alors qu’un Aristote
accepte une forme de laideur dans l’art, pourvu que le principe de mimésis soit bien réel). En
d’autres termes, il y a « rationalité » à travers le Beau dans la mesure où ce dernier correspond à un

16
C’est une formule que nous proposons, en nous inspirant de Venturi.
17
Lionello Venturi, Histoire de la critique d’art, Paris, Flammarion, 1969 (1938), pp. 54-57.
principe d’exactitude, de finitude et de proportions. C’est une conception parmi d’autres de la
beauté (d’autres tendront au relativisme, ou insisteront sur le lien avec la Nature et/ou le Divin, etc.).
Le Beau est beau car il y a une association avec un idéal (Dieu, la Nature, la géométrie, des lois
diverses, etc.).

(3) Le fini et l’inachevé également (ce qui prolonge là aussi le point précédent : une œuvre
est belle car terminée, unie, limitée ; si au contraire elle dépasse une certaine limite, elle n’est pas
connaissable selon Platon et Aristote ; peindre signifie « accomplir jusqu’à son terme » un dessein,
c’est-à-dire aspirer à un certain degré de perfectionnement, ce qui n’est permis que dans le cadre
d’une représentation absolument mimétique, et/ou géométrique. Cependant, à l’inverse, il faut
parfois apprendre à « lâcher le pinceau », comme le mentionne Pline l’Ancien à propos d’Apelle, dont
on salue alors la « grâce ». On pourrait dire que le fini, le concis, le détouré, renvoie à un esprit de
rationalité, car les objets sont clairs, nets, précis, intelligibles, préhensibles par l’esprit, tandis que
l’inachevé, l’informe ou les « ébauches » ont mis du temps avant d’être appréciées (Pline faisait
remarquer qu’il était étonnant de voir que les Romains admiraient davantage l’ébauche que l’œuvre
terminée). Plus proche de nous, le conflit entre le Néoclassicisme, ou le Classicisme, et le
Romantisme incarné par Eugène Delacroix représente parfaitement ce conflit entre le fini et
l’inachevé : le Néoclassicisme prône des formes géométriques, des proportions, la rigueur de la ligne
et du dessin, tandis que le romantisme, notamment sous l’impulsion de Delacroix, peut se contenter
de « heurter » la toile de coups de pinceaux, comme l’écrira le critique Ludovic Vitet (1798-1863) par
exemple. On assiste bel et bien, avec ce grand débat du 19 e siècle, à travers l’opposition entre Ingres
et Delacroix, à une opposition entre le dessin et la couleur, mais aussi entre le fini et l’inachevé.

Jacques-Louis David, Le Serment des Horaces, 330 x 425 cm, 1784-1785, Musée du Louvre18.

18
Avec le Serment des Horaces, nous sommes face à une œuvre plutôt emblématique de la rationalité, telle
qu’elle s’exprime dans le cadre du néoclassicisme ; emblématique car le chiffre trois – supposé parfait – est
Eugène Delacroix, La mort de Sardanapale, 392 x 496 cm, 1827, Musée du Louvre.

(4) La forme et la couleur, enfin, (ce qui est notoire, tant les oppositions entre le dessin et la
couleur ont alimenté l’histoire des arts), et si l’on s’arrête, dans un autre registre, sur le cas Poussin
(1594-1665), par exemple, le grand défenseur du dessin (et grand représentant de l’âge classique),
on ne peut qu’insister sur cette urgence de la précision et de l’exactitude, cet attrait pour l’ordre, au
contraire du baroque qui n’est qu’exubérance et disharmonie 19. Dans le cas présent, la rationalité,
c’est la forme, car une forme renvoie à une idée d’ordre et de finitude. L’irrationnel pourrait être
l’informe, mais si cet informe était d’une façon ou d’une autre représenté, il aurait tout de même

utilisé à outrance, de façon à maintenir une idée d’équilibre, de symétrie, de stabilité, etc. ; il faut remarquer
que la stabilité « rationnelle » du néoclassicisme passe aussi par l’évocation des grands hommes, pensés
comme des modèles, des êtres qui font l’histoire et les mythologies. Une autre façon de comprendre le
classicisme est d’entrevoir le lien avec les Lumières : l’équité humaine et un monde meilleur sont des motifs
récurrents, aussi une certaine grandiloquence dans les thèmes (le sacrifice pour la patrie, le moment tragique
de l’histoire, etc.).
19
D’ailleurs, si on songe à la philosophie de Ludwig Wittgenstein (1889-1951) à propos des couleurs, il est
intéressant de relever qu’une couleur ne peut se définir, se communiquer par voie de langage ; elle nécessite
une « définition ostensive » (il faut la montrer). En revanche, le dessin, ou la forme dessinée plutôt, par
définition, est ce qui se montre, ce qui détoure, ce qui finit par « contenir » une idée, il est le communicable
même (on fait des schémas pour s’expliquer). Cette opposition entre dessin et couleur est donc aussi une
opposition entre rationalité et « irrationalité » (au sens large). Voir Ludwig Wittgenstein, Remarque sur les
couleurs, 1950-1951.
une forme, fut-elle nuageuse, diaphane, vaporeuse. En réalité, c’est une bonne question 20, et la
couleur, cet indéfinissable, pourrait renvoyer à, ou du moins côtoyer, la question de l’irrationnel,
en ce qu’elle ne possède pas de définition facilement manipulable (on peut donner une définition
physique de la couleur, mais cela ne permet pas pour autant à un aveugle de se faire à l’idée de
« rouge »). Dans la continuité des romantiques, on peut être intrigué par le fait que les
impressionnistes se soient emparés de façon si spécifique de la question de la couleur, comme s’il
s’était agi de répondre à une forme de rationalité (la Modernité ?) en utilisant une sémantique, un
vocabulaire (la couleur !) qui n’est pas vraiment rationnel (ou objective), ou du moins qui pose la
question de l’objectivité21.

De ce qui précède, on peut avoir l’impression d’observer, partout où porte notre regard,
l’émergence d’une idée de rationalité. Que faire avec cela ? Quel enseignement en tirer ? La
rationalité est-elle vraiment « partout » ? D’une certaine façon, c’est logique, car l’art est produit par
des hommes qui souvent étaient des hommes de sciences et de savoir, des individus qui pensent, qui
donnent à voir et laissent à la comparaison, à l’argumentation. Dit autrement, les artistes sont avant
tout des hommes, et tout homme est avant tout un être de raison.

Ce dernier point est essentiel à ce qui va suivre : l’homme et la raison sont nécessairement
liés.

Ce qui importe pour nous, maintenant, est de comprendre pourquoi et comment la


rationalité a émergé, pourquoi et comment elle a pu s’associer à l’art, et pourquoi et comment les
hommes en sont arrivés à un stade où il fallait se défaire de la raison. Commençons par établir une
histoire (incomplète) de la rationalité.

20
Dont la conséquence est la suivante : partant du principe que l’on ne peut représenter que le visible et le
formel, tout acte de représentation (en tant que « mise en forme »), est un acte de rationalisation, quand bien
même s’agirait-il de passer par des représentations allégoriques ou métaphoriques (pensons au fait d’utiliser
des schémas : s’ils ne sont pas exactement semblables à la réalité de ce qui est pointé, ou si le dessin n’est pas
très efficace, il n’en reste pas moins que ces schémas « aident » la raison en permettant une forme
d’intelligibilité. Il s’agit ici d’une approche qui reste à discuter (cf. les data-visualisations : sont-elles
rationnelles, ou irrationnelles ?).
21
Parmi les questions que les couleurs posent : tout le monde voit-il une couleur de la même façon ? Mais
qu’en est-il de ceux qui possèdent des dizaines de mots pour décrire toutes les variétés du blanc ? Ne s’agit-il
pas de dire que les couleurs répondent d’une sorte de construction sociale ?)

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