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PHILOSOPHIE DE L'ART,
DE L’ŒUVRE D’ART ET ESTHETIQUE
(notes d’étudiant)
0 Introduction:
0.1 Généralités:
Les réalités en quoi consiste ce qu'on appelle l'art sont complexes et on en a dit des tas de
choses…. On peut être sûr que quoi qu'on en dise, on dit toujours quelque chose de vrai, comme
disait E.Gilson. On peut donc se faire une idée cohérente de la chose.
Que ce soit la réflexion des artistes, de ceux qui les écoutent ou les contemplent, des
psychologues et des philologues… on peut se rendre compte que tout cela constitue une sorte de
"bavardage"…
Tentons de mettre de l'ordre dans cette forêt, de faire une sorte de carte de cette matière.
On peut aborder cette matière de façon historique mais ici, le point de vue sera
systématique. Ce point de vue pourrait aussi comprendre plusieurs orientations: toutes les
traditions ont développé des réflexions sur l'art: le réalisme métaphysique (antiquité, moyen-âge,
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contemporains, renaissance thomiste…), le nominalisme et le rationalisme, l'idéalisme
(Descartes, Hegel) La tradition anti-intellectualiste (Kant, Schopenhauer, Nietzsche, Adorno…)
Le point de vue de ce cours sera celui du point de vue de la tradition du réalisme
métaphysique. La réflexion sera tributaire de la réflexion d'Aristote sur l'art…
Dans le cours de métaphysique, on trouve les justifications des positions de ce cours.
Nous parlerons de l'art en général et non pas appliqué à tel ou tel domaine.
"Voir clair" sera la devise de ce cours.
0.2 Quelques distinctions:
Réfléchir sur l'art nécessite trois grandes distinctions:
- La production de l'œuvre d'art (point de vue de l'artiste)
- L'œuvre d'art elle-même (point de vue de l'œuvre)
- La réception (contemplation) de l'œuvre d'art (point de vue de celui qui regarde)
0.3 Plan du cours:
L'art est la capacité habituelle à produire des artefacts. Cette capacité est l'objet de l'étude
de la philosophie de l'art. La philosophie de l'art est un domaine de la philosophie de l'action.
Le premier chapitre "philosophie de l'art" portera sur la finalité de l'art, le but. Est-ce le
beau, est-ce l'utile, est-ce la connaissance du réel? Est-ce que l'art est une science? Les rapports
entre l'art et la morale? Qu'est-ce que l'art et comment décrire le processus de production de l'art
?
Le deuxième chapitre: Considérer l'œuvre d'art en elle-même concerne l'ontologie de
l'œuvre d'art, la métaphysique appliquée au seul domaine des œuvres d'art. L'ontologie va donc
considérer l'œuvre d'art dans son être propre: Quel est le statut ontologique de l'œuvre d'art?
Quelle est sa valeur propre en regard des êtres (animaux, végétaux, homme) ou des matériaux
qu'elle met en oeuvre? En quoi consiste la beauté de l'œuvre d'art? Une œuvre d'art est-elle
ouverte ou fermée sur la réalité qui l'entoure?
Le troisième chapitre concernera l'objet de contemplation qu'est l'œuvre d'art. L'étude de la
perception de l'œuvre d'art relève de l'esthétique. Elle peut être analysée, étudiée sur toutes les
coutures. Tant la perception sensible qu'intellectuelle relève de l'épistémologie appliquée à
l'œuvre d'art. Comment juger de la valeur de l'œuvre d'art?
1.2.1 Schopenhauer:
Dans le livre 3 de "le monde et son objet de représentation" il voit dans l'art l'essence de la
volonté sourde et aveugle de la réalité. Cette force aveugle est l'essence de la réalité. La raison
n'est pas capable d'aller au-delà de ses représentations et est prisonnière de celles-ci. (Dans la
ligne droite de Kant). Le seul moyen d'accéder au noumène (au-delà des apparences, la "volonté")
c'est l'art (qu'il définit comme une "contemplation de la réalité dans son essence"). Par exemple,
la peinture de C. David Friedrich imite selon Schopenhauer les différentes formes naturelles
d'objectivation de cette volonté. La musique est la reproduction littérale de cette volonté sourde
qui porte le réel. Elle est reproduction de la volonté.
1.2.2 Nietzsche:
Il voit dans la poésie et dans la musique de Wagner le moyen privilégié pour voir l'essence
conflictuelle de la vie. Dans "la naissance de la tragédie", il accorde une place essentielle à l'art.
L'essence de la vie est conflictuelle (principes apollinien et dionysiaque). La fonction de l'art est de
prolonger dans des œuvres nouvelles ce conflit qui est constitutif de la réalité. Le connaître se
réduit à l'art. La tragédie grecque est pour lui la forme par excellence de l'art car elle met en scène
des situations conflictuelles insolubles entre les hommes et les dieux.
Les drames musicaux de Wagner sont en quelque manière la renaissance de la tragédie grecque.
"La tétralogie" de Wagner représente aussi ce conflit entre le peuple des ténèbres et les dieux.
Wagner et Nietzsche ont été influencé par Schopenhauer.
1.2.3 Heidegger:
"L'origine de l'œuvre d'art" dans "les chemins qui ne mènent nulle part", synthétise sa
pensée: la finalité de l'œuvre d'art est de manifester la vérité, de la dévoiler. Au-delà des
apparences, il faut accéder à la vérité et la poésie est le moyen qu'il privilégie pour découvrir
l'être. Ce ne sera donc plus la métaphysique mais la poésie. Dans "la limitation de l'être" il le dit
explicitement.
Il rejette la raison théorique et lui substitue la poésie grecque. Mais la poésie est incapable
de réaliser complètement l'art, car elle n'emploie que des mots et reproduit donc la réalité. Il faut
donc pour lui réduire la connaissance à l'art. La poésie doit donc se substituer à la métaphysique.
Il opère une hybridation entre production et contemplation. "Technê" signifiait
originellement, dit-il, le savoir fondamental de la réalité. Donc il veut unir la production et la
contemplation et nier la différence. L'authentique philosophie est la poésie et se rejoignent au-
delà de la logique. Parménide s'exprime dans des vers et pour lui c'est l'art dans son vrai sens.
1.2.4 Carnap:
Néopositiviste du cercle de Vienne, il estime que la musique doit se substituer à la
métaphysique pour dire l'essence de la vie. Les mots de notre langage qui ne correspondent pas à
des phénomènes sensibles sont dénués de sens. Il faut donc recourir à la musique qui sera en
mesure de nous révéler ce qu'est l'essence de l'existence.
Ce qui nous montre que le rôle de l'art est de connaître la réalité telle qu'elle est, au-delà de
la conception du langage et du rationnel.
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L'art ne relève pas de la contemplation du réel selon la définition des anciens. Il ne relève
pas de la science (qui étudie le réel) même s'il a besoin de la science. Il est en fait production
d'une réalité qui n'existait pas avant lui. Il relève de l'activité d'une personne humaine plutôt que
de sa passivité. Il ne s'agit pas de contempler passivement ce qui existe mais de produire
activement du nouveau. Agir c'est produire du nouveau. Cela vaut pour l'art.
Certes, l'art relève bien de l'être comme le disait Heidegger, en le faisant subsister, mais
sous des formes nouvelles et il ne se substitue pas à la connaissance, même s'il a besoin de cette
dernière. L'art a sa science propre. La finalité de l'homme est d'aimer nous dit St Jean.
L'art peut se mettre au service de la science et de la connaissance, de l'imitation, même s'il
n'est pas dans son essence une connaissance et une imitation (il est une production). L'objet peut
avoir pour l'artiste le seul but d'imiter, c'est le cas de la production artistique depuis les grottes de
Lascaux… La finalité de l'art nous fait introduire la distinction dans le point suivant:
1.3 Distinction entre Art fonctionnel et Art non fonctionnel
Aujourd'hui, par art, on pense tout de suite aux arts ordonnés au beau. Mais cela ne s'arrête
pas là. L'esthétique que l'on comprend généralement comme la science de la contemplation du
beau, naît au 18ième avec Alexander Baumgarten (1714-1762) dans son ouvrage "esthetica" écrit en
1750. C'est le premier ouvrage qui traite de l'art ordonné au beau. Cette idée se répandra surtout
au 19ième avec l'institution des musées. Au Moyen-âge, l'art est reconnu légitime dans la mesure
où il a une fonction utile. L'artiste est un fonctionnaire (bien) payé par l'Eglise ou par des princes
pour fournir des choses utiles. (Michel Ange, Lulli...). Ils ont le rang de ministre!
A partir du moment où il est ordonné au beau, les artistes perdent leur rang social. A partir
de la révolution française l'état se désintéresse complètement de l'art. C'est une des raisons pour
lesquelles la musique perd complètement son essor à partir de cette époque, en tout cas en
France!
C'est au 19ième que l'art prend la place de la religion, en quelque sorte. Quand on remonte à
St Thomas, il y a un certain dédain à l'égard des arts serviles, sauf quand ils remplissent une
fonction didactique, liturgique ou de divertissement… La beauté des artefacts réside dans la
parfaite adéquation de l'objet à sa fonction (Une peinture murale dans une église doit mettre en
relief l'évangile…) Est beau ce qui remplit bien sa fonction, dans le contexte de l'art, pour St
Thomas. Il n'y a pas d'art du beau… La beauté des tenues des femmes par exemple est légitime car
elles doivent plaire à leur mari, selon St Thomas. Leur tenue n'est pas appréciée pour elle-même.
La beauté, pour St Thomas est de donner l'être et de le donner par amour, car on fait
"monter" l'autre dans l'être… Avec Mozart, émancipation de l'artiste. Il veut composer de la
musique indépendamment de toute fonction. Il rompt avec ses employeurs (l'archevêque de
Salzbourg) afin de composer gratuitement pour produire des chefs-d'œuvre. Cela mènera à une
certaine déviation, l'Art devient une "religion". La distinction entre art fonctionnel et non
fonctionnel est une distinction qui s'impose mais en réalité elle dépasse la seule distinction de
fonction.
Un art non fonctionnel ne poursuit pas d'autres finalités que l'objet produit lui-même. Son
seul but est de faire exister une chose qui n'existait pas, de la faire être, on verra que cela s'appelle
la beauté. Le beau pour les philosophes du 13ième est la réalité en tant qu'elle se manifeste et pour
celui qui la contemple. C'est donc la manifestation de son être propre. La beauté est
proportionnelle à l'être des choses. Cet art vise à ce que l'objet ait la plus forte personnalité
possible.
Un art fonctionnel subordonne l'objet produit à une finalité autre que de le seul
rayonnement de sa beauté. C'est une grosse part de l'art des origines jusqu'à aujourd'hui.
Première forme d'art fonctionnel, l'artisanat (poterie, menuiserie, couture… aujourd'hui arts
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mineurs.). Dans les arts majeurs (architecture, danse, peinture…) il n'y a quelque fois pas de
séparation entre la fonction et la réalisation (dans l'architecture notamment, on ne fait pas un
bâtiment qui soit seulement beau, il faut qu'il tienne debout!). En ce qui concerne la musique ou la
peinture, elles avaient pour fonction d'agrémenter la vie des gens mais n'étaient pas élaborées
dans le but premier de la beauté. La fonction religieuse aussi est importante. Autre fonction, la
fonction éducative (didactique), comme par exemple la littérature, les peintures dans les églises,
une fonction moralisatrice (chez les grecs, le mode phrygien de musique avait pour but d'éveiller
la vertu de courage…). Dans la littérature française, Boileau et La Fontaine, Molière et Racine.
L'idée d'une poésie qui aurait le seul but d'être belle aurait été abominable…La fonction peut
être aussi le savoir (l'art d'écrire), pour transmettre des informations au lecteur. Même si les livres
de philosophie, de science sont bien écrits, leur premier but est de transmettre des informations.
La peinture religieuse transmet un savoir de foi (les enluminures). L'art de l'imitation (rendre
compte du réel) est primordiale. L'art littéraire du roman n'a pas pour première finalité d'être
beau mais de nous parler de la vie des hommes à un moment donné… le cinéma a pour but de
nous raconter des histoires, pas d'être beau.
Les arts ordonnés au beau. Si on se situe de ce point de vue avec St Thomas, on est alors
appelé à voir les arts en tant que subordonnés au beau seulement et non à sa fonction.
On ne s'en tiendra pas aux arts fonctionnels en tant qu'ils sont fonctionnels mais en tant
que l'objet qu'ils produisent est esthétique.
Au Moyen-âge St Thomas considérait l'art fonctionnel, mais il admet dans certains textes que
l'on peut jeter un regard qui ne soit pas purement fonctionnel mais aussi esthétique. On peut
poser un regard esthétique sur une œuvre d'art dont la beauté n'est pas l'objectif premier. Même
si l'artiste poursuit un but fonctionnel, il peut produire quelque chose de beau. La finalité de la
musique de Bach était liturgique, cela ne veut pas dire qu'elle n'est pas belle. En produisant une
œuvre fonctionnelle, un artiste peut produire du beau. Dans l'architecture, le bâtiment doit
remplir la fonction de l'habitat mais cela n'empêche pas que ces bâtiments soient beaux.
1.4 L'activité artistique comme particularisation de l'action en général:
L'art est-il un moyen privilégié de connaître ou un moyen d'aimer? Nous avons vu que même
si l'art peut se subordonner au savoir ou plus largement à la volonté d'exprimer quelque chose du
réel, l'art est art quand il réalise son essence (la réalisation d'une réalité nouvelle, au sens fort du
verbe "être"). En ce sens, à la lumière de la métaphysique, on peut comprendre l'art comme un
moyen d'aimer: Comment, avec les transcendantaux, peut-on comprendre l'art comme un moyen
pour aimer soi-même et autrui? Comprise comme un moyen d'aimer, l'activité artistique sera
comprise comme une particularisation de l'agir humain pour aimer.
Le concept de l'Un: l'être est toujours un. Le mot "un" a deux significations. Soit c'est son
indivision, soit c'est son unicité.
- Il est indivisible car les étants ne divisent pas l'être, ne le coupent pas en morceaux.
- Il n'y a pas plusieurs êtres, on ne peut pas le multiplier (il est unique et en dehors de lui il
n'y a rien). Mais le métaphysicien est obligé d'aller plus loin et de dire que c'est de l'unité
plurale. Intérieurement à lui, il y a pluralité. La pluralité n'intervient pas accidentellement.
La pluralité qui est à l'intérieur de l'être est une propriété (mais ce n'est pas de la
multiplicité ni une division).
Plus une réalité est singulièrement, plus elle est une. Le poisson X n'est pas le poisson Y.
Le concept de vrai: le vrai désigne l'être en tant qu'il est intelligible pour toute intelligence.
Le mot vrai signifie donc la capacité de l'être à être connu par l'intelligence. Le premier sens de
vrai est donc le connaissable de l'être. Les étants dont nous faisons l'expérience quotidienne, sont
connaissables par notre intelligence du seul fait qu'ils sont. C'est un fait premier, évident. Dire
que quelque chose est c'est reconnaître qu'il est connaissable (non pas qu'il est connu). Il désigne
une propriété qui lui appartient par nature, intrinsèquement. L'inconnaissable n'existe pas même
si de fait je n'arrive pas à connaître tout de la chose, elle est en principe connaissable.
Inversement, plus une chose existe plus elle est vraie. Plus elle est vraie, plus elle est
susceptible de combler notre désir de connaître. Il y a plus à connaître dans un homme que dans
un chien, qualitativement (non quantitativement). L'être est intelligible.
On sera amené à conclure que Dieu est la vérité en plénitude, que seul Dieu sera susceptible
de combler notre ouverture infinie de l'intelligence. En Dieu intelligence et vérité se confondent.
La vérité est proportionnelle à l'être en intensité.
Le concept de bon (ou de bien): il désigne l'être en tant qu'il est communication généreuse
de soi ("difusinum sui", St Thomas) pour l'appétit de l'homme (le désir de l'homme). Il se donne
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gratuitement de lui-même à l'homme en droit à tout désir, tout appétit. L'être est appétible. C'est
l'être comme cadeau qui se donne. L'appétit de St Thomas, c'est la volonté voulante de Blondel, le
cœur de Pascal, le désir de Bruaire.
L'infinitude du désir le fait être de nature spirituelle. Cet appétit est l'envers passif de la
volonté qui elle est active et est le principe de notre agir humain. Notre désir est assimilateur, il
reçoit "passivement". Les choses en tant qu'elles sont se donnent à nous, sont un don qui m'est
fait. Reconnaître qu'une chose est c'est affirmer qu'elle est bonne et susceptible de venir combler
mon appétit. Les choses peuvent faire défaut et c'est ce que l'on appelle le mal. Ce sont les choses
qui se donnent mais non pas comme elles devraient se donner. Elles ne se donnent pas comme on
attend qu'elles se donnent. On ne peut parler du mal que parce qu'on a un fond de bon et de bien.
Le mal est une privation du bien, d'où la souffrance. Une erreur est une erreur sur fond de
vérité. Le mal est l'être qui ne se donne pas comme il devrait se donner. Il est donc second et on
sait déjà qu'il ne peut pas gagner et qu'il est vaincu puisqu'il ne se pense que par rapport au
bien.
Le concept de beau:
Le "pulchrum" de St Thomas. Le beau signifie la manifestation de soi et de l'être pour l'être
humain dans son humanité. Il signifie l'unité du vrai et du bien. La relation de l'être à l'esprit
humain. C'est l'unité indivisible du vrai et du bien pour l'unité de l'appétit humain.
Cette notion transcendantale de beau est pour signifier que l'intelligence et l'appétit ne
marchent pas séparément et que le vrai et le beau c'est la même chose.
Si cette intelligibilité n'est pas donnée gratuitement à l'intelligence, cette dernière n'y aurait
pas accès. L'intelligibilité de l'être est donnée, donc le vrai implique le bien (la donation de soi de
l'être), inversement nous avons vu que l'être est bon. L'être qui se donne ainsi à l'appétit c'est
l'être vrai. Quand nous jouissons de quelque chose nous savons de quoi. L'appétit assimile en
même temps l'intelligibilité. Le vrai implique le bien comme le bien implique le vrai. C'est ce qu'on
appelle le beau. Ce concept de beau dit l'indivisibilité du vrai et du bien.
L'être est donc intrinsèquement beau. On ne perçoit la laideur que sur le fond d'une attente
de la beauté. Si je dis que quelque chose est beau aujourd'hui c'est que ça me plait. Mais les
anciens philosophes avaient une conception beaucoup plus large de la beauté (des pancalies: qui
affirment la beauté universelle de toute chose). La laideur provoque l'affect de peine car c'est une
privation de la beauté et une frustration.
Si je connais quelque chose, c'est que j'ai le désir de le connaître, sinon je ne serai pas
motivé pour l'étudier. De même, il n'y a pas de désir sans connaissance. On ne peut donc pas
séparer l'appétit et l'intelligence.
Indivision du vrai et du bien, ils sont liés l'un à l'autre, par le beau.
Autre définition: La définition de l'amour. La beauté, quand elle est réfléchie, porte le nom
de l'amour. L'amour est donc la beauté consciente de soi. Le beau est l'être intelligible qui se
donne à l'esprit humain. Or, nous savons que l'être ne subsiste que dans les étants et
particulièrement dans l'homme. L'être humain est, donc il est vrai, donc il est bon donc il est beau.
Mais chez l'homme le fait de s'offrir, de se donner (la bonté) est un acte réfléchi, conscient de soi,
et donc libre. L'acte d'offrir sa vérité est libre. Cet acte libre est la définition même de l'amour.
C'est la beauté réfléchie, suspendue à la liberté. L'amour est la plus haute forme de beauté,
spirituellement.
Cette bonté et cette vérité sont réfléchies en l'homme et l'acte de se donner est suspendue
à sa liberté. La beauté désigne la moralité de l'être humain. Cette notion est très enracinée chez
les anciens (par exemple Platon).
L'amour est la beauté spirituelle, chez les humains, car il faut, pour aimer, être doué de
réflexion et de liberté.
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1.4.2 L’amour comme essence de l’action humaine:
L'essence de l'agir humain est l'amour. Si on admet que l'être est ce qu'il y a de plus
fondamental, on peut comprendre que la finalité ultime de l'activité humaine soit l'être et non pas
son paraître, son pouvoir ou son avoir. Qu'est-ce que c'est que pour une personne que d'être?
C'est être une (unifiée et unique), vraie, bonne et belle.
Une personne sera d'autant plus belle qu'elle sera unifiée, corps et esprit, affect et idée. Elle
se manifestera avec d'autant plus d'éclat qu'elle existera avec plus d'unité intérieure. C'est cela la
manifestation d'une personne et non pas seulement la beauté corporelle.
La beauté profonde d'une personne consiste dans le don gratuit de son propre être en vérité
pour autrui. La particularité de l'homme est que son don de soi est un don conscient et donc libre.
Une fleur n'épanouit pas sa beauté dans l'œil de celui qui la regarde mais se donne sans avoir
conscience de se donner, contrairement à l'homme qui donne son être librement à autrui. Ce qui
implique aussi la possibilité de ne pas se donner (égoïsme et égocentrisme).
La beauté quand elle est ainsi réfléchie dans la personne humaine, porte le nom d'amour.
C'est en ce sens que la beauté est un thème central dans la morale de St Thomas.
L'acte de se donner est conscient et libre, c'est donc l'amour ("amour de bienveillance"
agape, de St Thomas). L'amour est la plus haute forme propre de la beauté humaine (spirituelle).
Pour les anciens, un être beau est une personne qui aime. Cela dépasse donc le thème de
l'art et implique aussi la morale. Agir moralement, c'est être beau c'est-à-dire aimer. "Aime et fais
ce que tu veux". A la lumière des transcendantaux, on peut comprendre qu'être une personne
humaine, c'est être beau, aimer, donner en partage son propre être à autrui.
Ceci implique de recevoir cet amour d'autrui pour pouvoir le donner. La personne doit donc
grandir elle-même dans l'être pour pouvoir le donner ensuite. On ne donne que ce que l'on reçoit.
L'essence de l'art se situe dans cet amour et est une modalité pour la personne humaine de
partager son amour à autrui.
Deuxième temps:
- Le moment de la conception de la forme de l'œuvre qui procède de l'intelligence et de
l'imagination (sensible). Il y a un abîme entre la conception abstraite intellectuelle
(abstraite) et la manière dont il l'imagine (concret). Il y a un caractère double à cette
conception. Le concret est toujours plus riche que l'abstrait. La conception sera toujours
réductrice en regard de ce qu'il aura imaginé.
- C'est une des causes qui explique que l'artiste n'a pas une réelle maîtrise de ce qu'il
produit. Le peintre Henri Matisse disait qu'il découvrait son œuvre dans ce que ceux qui
regardaient ses toiles lui en disaient. Il peut y mettre des tas de choses qu'il ne découvre
jamais. Ce qui signifie que l'on peut s'attarder sur l'étude de l'œuvre en elle-même et non
pas des intentions explicites de l'auteur. Il y a distorsion entre l'universel et la singularité.
- La partition, en musique, est la conception intellectuelle de l'œuvre qu'il veut créer. Cette
œuvre existe dans son intelligence et dans sa pensée mais ensuite la façon de jouer cette
œuvre sera différente selon les musiciens. L'artiste n'a donc pas une parfaite maîtrise de ce
qu'il fait.
Troisième temps:
- La réalisation corporelle de la forme dans la matière par le travail. C'est la concrétisation,
l'incarnation. Il imprime la forme dans la matière concrète ce qu'il a imaginé et conçu. Par
une technique, une capacité habituelle qu'il a apprise.
- On trouve un schéma exactement parallèle pour ce qui concerne l'agir humain. On connaît
les lois morales, on projette notre action avant de la concrétiser finalement dans l'agir
moral proprement dit qui implique l'exercice du corps.
Il est capital de bien comprendre que cet ordre est logique et non chronologique. Les trois
moments se télescopent sans cesse et il y a des aller-retour entre les trois. C'est souvent en
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fonction de la matière aussi dont l'artiste va imaginer la forme ou la corriger… La matière que
l'artiste choisit à ses caractéristiques propres qui sont contraignantes.
L'artiste ne maîtrise jamais la matière parfaitement et elle lui résiste sans cesse et il ne finit
jamais de la découvrir. Il doit continuellement corriger son projet par rapport à la réalisation
concrète. Le fait que l'artiste ne maîtrise jamais la matière complètement explique aussi que
l'artiste ne maîtrise pas complètement son œuvre d'art. l'artiste est beaucoup plus proche du
démiurge de Platon que du Dieu créateur ex-nihilo de la Bible.
Le 30 avril 2003.
Dans le premier cas si elle est ouverte intentionnellement, c'est que l'artiste veut
représenter tel ou tel sujet. Si elle est ouverte accidentellement, c'est quand par exemple, il y a un
menuet dans une symphonie de Mozart, il n'est plus qu'un prétexte car le but, l'intention, n'est
pas de faire danser les gens, même s'il continue de référer à l'art de la danse. Autre exemple, les
messes de la Renaissance étaient construites sur des chansons paillardes. Quand on les entendait,
cela faisait référence à ces chansons…malgré que l'intention première est de servir la liturgie.
Dans le deuxième cas, si elle est ouverte sur la réalité de manière univoque, on voit ou on
entend immédiatement ce à quoi l'œuvre fait référence. Il n'y a pas d'ambiguïté dans la
compréhension. Si elle est ouverte de manière équivoque, cela signifie que ce qui est imité est pris
seulement comme support et peut entraîner une modification très importante. Le résultat est que
la compréhension de ce à quoi cela renvoie n'est pas évident de soi. On croit deviner ce à quoi elle
renvoie mais pas avec assurance. On n'est pas certain de l'objet de sa référence, ce qui est très
fréquent en musique. Plus elle sera ouverte plus elle sera univoque, plus elle sera fermée plus elle
sera équivoque.
Dans le troisième cas, si elle est ouverte sur la réalité de façon médiate ou immédiate, c'est-
à-dire qu'elle peut être ou non codée. Si elle est médiate, c'est qu'il y a un code pour lire cette
œuvre, tout un symbolisme. L'œuvre implique un code qui permettra à celui qui contemple de
comprendre la référence. Dans le cas ou l'ouverture est immédiate, la référence pourra être
comprise sans avoir un code. Si on a besoin d'un code conventionnel pour comprendre la
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référence, on dira que l'œuvre est ouverte de façon médiate car il faut passer par la médiation
d'un code, d'une grille de lecture.
Dans les faits, les œuvres d'art se situent quelque part sur l'échelle entre la fermeture
complète et l'ouverture complète. L'essence de l'art ne peut pas se situer que dans l'imitation ou
la référence. La beauté de l'œuvre d'art naîtra donc de l'union de la matière et de la forme que
l'artiste aura imaginée à partir du "modèle".
Le 14 mai 2003.
2.4 La beauté de l’œuvre d’art:
La beauté propre de l'artiste consiste en l'amour qu'il met pour réaliser son oeuvre, voyons
maintenant en quoi consiste la beauté de l'œuvre d'art en elle-même.
Avant toute chose, rappelons ce que l'on entend par beauté: la beauté est la manifestation
de l'être pour l'esprit humain, la manifestation d'une chose pour celui qui la contemple. Si on
définit la beauté comme ceci, de fait et la plupart du temps, on juge belle une œuvre qui nous
donne du plaisir et laide celle qui nous cause du déplaisir. Cela revient à dire que ceci ou cela nous
plait.
Mais les causes de plaisir et de déplaisir sont diverses et complexes. Elles n'ont pas
forcément à voir avec l'œuvre en elle-même. Bien sûr la beauté peut être cause de plaisir, et
même de béatitude, de joie…mais il ne faut pas non plus exagérer en voyant la beauté
uniquement dans le plaisir qu'on en ressent.
Si on appréhende la beauté d'une œuvre, elle sera normalement la cause d'un plaisir, mais
tous les plaisirs ne sont pas dus forcément à la beauté. Le pourquoi de notre attrait sur telle ou
telle œuvre ne pourra donc pas se réduire à l'étude de sa beauté. Il y a les goûts et les couleurs qui
sont subjectifs. Par ailleurs, on peut rechercher autre chose que la beauté dans l'œuvre d'art.
Une œuvre d'art sera d'autant plus belle qu'elle existera avec intensité, mais dire cela c'est
dire que sa beauté sera proportionnelle à son unité. Elle sera belle dans la mesure où elle sera
une. Pour les anciens "la loi de la beauté est la juste proportion des parties les unes avec les autres
et avec le tout" (Plotin). Cette définition va traverser toute l'histoire.
Saint Thomas assigne au beau deux conditions: la proportion et la perfection. EN réalité tout
cela revient au transcendantal "unum". Qu'est-ce que l'unité d'une œuvre d'art? c'est l'unité qui
est obtenue par le réseau de relations qui unifie entre elles les parties de l'œuvre, c'est la forme.
C'est ce que les anciens appellent une proportion, le réseau de relation, ce qu'on appelle l'unité
d'ordre.
La proportion de saint Thomas est donc l'ensemble des relations qui unifient ces parties
entre elles, et qui font une réalité dont tous les éléments qui la composent sont unis entre eux.
Plus le réseau de relation sera dense, plus les parties vont s'effacer devant le tout et plus la chose
sera une.
Au minimum, une œuvre d'art doit d'abord être l'unification d'une matière sous une forme
et c'est donc établir ce réseau de relations. Plus ce réseau sera dense, plus les réalités différentes
et matérielles seront intégrées dans le tout.
Une œuvre d'art belle sera donc une œuvre où l'artiste a réussi la plus parfaite union
possible entre le matériau choisi et la forme qu'il lui met. C'est une œuvre où il n'y aura plus de
partie matérielle qui demeure en dehors de ce réseau de relation. Une œuvre laide sera celle dans
laquelle il y a des parties matérielles non exploitées et qui ne permettent pas une parfaite
réflexion de ce que l'artiste a imaginé.
Il y a pour toute œuvre, comme pour toute réalité, un maximum possible entre les parties
qui constituent une réalité. Il y a une disproportion naturelle (une imperfection naturelle): L'unité
des réalités qui nous entourent est toujours l'unité de la multiplicité, il n'y a pas d'unité parfaite
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(sauf pour Dieu). On peut donc comprendre qu'il y a un maximum d'intégration possible de la
multiplicité dans l'unité pour toute réalité. Les différents éléments d'un tout peuvent cohabiter de
manière plus ou moins parfaite. Plus ils cohabitent de façon parfaite, plus le tout, l'unité qu'ils
forment est belle.
Concrètement, qu'est-ce qu'une œuvre d'art laide? C'est une œuvre dans la quelle toutes les
parties matérielles ne sont pas ordonnées ensemble. La forme n'aboutit pas à unifier la matière et
à resplendir au-dessus de cette matière. L'œuvre d'art semble alors être un bricolage non articulé,
une sorte d'agrégat artificiel, dont les parties ne sont pas unifiées entre elles.
Que serait donc une belle peinture? Ce serait que dans l'unité d'ensemble il y a une
disproportion et que l'harmonie peut être brisée si on en retire un élément. Tous les éléments ont
une fonction complémentaire dans l'ensemble et s'harmonisent avec les autres. Tout s'harmonise
parfaitement et la matière se fait oublier au profit du tout.
L'œuvre d'art pour être belle doit avoir une personnalité assez forte pour dire qu'elle est
unique. Elle sera donc unifiée, ordonnée, unique, irremplaçable, elle aura une personnalité propre.
Une toile ratée, laide sera une toile ou la matière est trop riche pour la forme que l'artiste
veut lui appliquer. On n'a pas le sentiment que chaque partie a sa fonction et que tout participe à
une unité d'ensemble. Il n'y a pas de raison que tel ou tel élément soit là ou absent. Elle laisse une
impression de désordre.
Le 21 mai 2003.
La matière de l'œuvre peut donner le résultat d'un plaisir mais elle n'aura pas en elle-même
sa beauté propre. Autre cas: la nature de la matière picturale est très faible… Il n'y a pas de forme.
Ce genre de toile a une autre fonction que celle de la beauté, mais a des finalités autres
(mystiques ou pseudo-mystiques). Que serait une belle œuvre musicale? Elle sera une œuvre où
tous les sons qui la composent sont intégrés parfaitement dans l'ensemble et dans laquelle on ne
peut pas retrancher de notes. Une œuvre laide sera une œuvre trop riche de notes mais sans être
développées complètement ou bien une œuvre qui ne possède qu'une seule note…
Entre ces cas extrêmes, il y a aussi des intermédiaires qui sont plus difficiles à discerner. La
beauté d'un œuvre d'art naîtra toujours d'une parfaite adéquation entre la matière et la forme. La
laideur naîtra d'une disproportion de la matière et de la forme (soit trop hétérogène, soit trop
homogène).
La forme singulière est la singularisation d'une forme plus générale qui peut être énoncée
sous différentes formes. Ce n'est pas parce que tel ou tel artiste n'obéit pas à certaines règles que
son œuvre sera laide, les seules lois sont en fait les transcendantaux. Il n'y a pas de canon
universel à respecter…
Esthétique vient du grec "aisthêsis" qui signifie connaissance sensible. Cette appellation
vient en fait de Kant. Il réduisait toute réflexion de l'art à la seule perception du spectateur de
façon subjective.. Or la beauté d'une œuvre d'art ne se réduit pas à la perception sensible que l'on
peut en avoir.
FIN