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Copyright © Det Norske Samlaget 2018

Norwegian edition published by Det Norske Samlaget, Oslo


Published by agreement with Hagen Agency, Oslo

L’édition originale (norvégienne) de cet ouvrage


a été publiée en 2018 par Det Norske Samlaget, Oslo,
avec l’accord de l’agence Hagen, Oslo.

This translation has been published


with the financial support of NORLA.
Cette traduction a été publiée avec l’aide financière de NORLA.

Direction artistique : Élisabeth Hébert


Typographie du titre (couverture et page de titre) : Manon Bucciarelli
Illustrations : Anne-Lise Combeaud

© Dunod, 2021 pour la traduction française


11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff
www.dunod.com
ISBN 978-2-10-082343-7
PROLOGUE
EN GUISE D’APÉRITIF
Lundi 13 mai 1940. Cela fait huit mois que l’Allemagne a envahi la
Pologne et une tâche considérable attend Winston Churchill : convaincre les
députés de la Chambre des communes qu’il est l’homme de la situation
pour diriger un gouvernement britannique uni dans la guerre qui s’annonce.
Le premier ministre promet de donner le meilleur de lui-même, c’est-à-dire
tout ce qu’il a. « Je n’ai rien d’autre à vous offrir que mon sang, mon labeur,
mes larmes et ma sueur », dit-il d’une voix grave, emportant l’adhésion des
députés.
La citation fut plus tard simplifiée par la triade : « du sang, de la sueur et
des larmes ». Churchill n’avait peut-être pas d’autres fluides corporels à
offrir. Moi si.
Car dans les pages qui suivent, je vais vous offrir le pus des boutons
d’acné, le lait maternel, le liquide séminal et l’urine, avec une pointe de
moelle osseuse, de suc intestinal et de morve. Ce sera décoiffant et ce sera
sérieux. Ce sera distrayant, informatif et sans doute un peu embarrassant.
Car il faut bien reconnaître que le corps présente des aspects qui mettent
mal à l’aise. Beaucoup diront que les fluides corporels, c’est avant tout
quelque chose d’un peu sale. Ils n’ont pas tort. Les fluides corporels sont
effectivement à la fois dégoûtants et intimes.
Mais ils sont aussi raffinés et complexes.
Les fluides corporels constituent une grande partie de la vie et une grande
partie du corps lui-même. Une personne de 70 kilogrammes contient
quelque 40 litres d’eau, rien que ça. Si l’essentiel de cette eau est bien
dissimulée à l’intérieur des organes et au sein de chaque cellule, jusqu’à
6 litres de sang, de lymphe, de fluide cérébrospinal et d’urine circulent
cependant de l’autre côté de la membrane, librement.
Vous vous demandez peut-être combien un corps recèle de fluides
corporels au total. La réponse devrait être un chiffre entre cinq et dix, une
courte liste facile à retenir, car il ne peut quand même pas y avoir tant de
fluides que ça, dans un corps ?
Eh bien il s’avère que la nature est plus complexe qu’on ne pourrait le
croire. N’oublions pas que le corps humain est le résultat d’une évolution
qui s’est faite sur des millions d’années, aussi des solutions alambiquées ne
devraient pas nous étonner. Même si les fluides, de manière très simplifiée,
sont de l’eau avec quelque chose de plus, la distinction entre le sang,
l’urine, le sperme ou les larmes ne se réduit pas à quelques nuances. La liste
comprend en effet une cinquantaine de fluides corporels, ce qui est à la fois
hallucinant, impressionnant et assez fascinant.

Du sang, de la sueur et des larmes…


et tous les autres

Si la liste est si longue, c’est parce que certains de ces fluides se


subdivisent en sous-catégories qui prennent souvent des noms différents,
par exemple le sang, le plasma et le sérum. Puisqu’on peut diviser le sperme
en plusieurs fluides fabriqués à partir de différentes glandes, il en va de
même pour tout ce qui circule dans les intestins. En raison de contenus
légèrement distincts, de fonctions ou d’emplacements anatomiques variés,
ces fluides prennent des noms et des numéros différents même si, dans
certains cas, ils présentent de fortes ressemblances.
Cette complexité fait que ma liste contiendra quelques fluides
supplémentaires que l’on ne trouvera pas dans des ouvrages de référence
plus classiques. Peut-être d’autres fluides apparaîtront-ils au fur et à mesure
que nous approfondirons notre connaissance du corps humain ?
Pour l’instant, le sang (liquide n° 1) s’impose comme la star parmi les
fluides corporels. Non sans raison, car il est tout à la fois repoussant et
attirant, symbolique et scientifique.
Le sang apporte de l’oxygène et des nutriments à toutes les cellules,
évacue les déchets et protège le corps contre les attaques d’agents
pathogènes. De plus, le sang transporte des informations chimiques sur de
longues distances, par exemple des messages hormonaux du cerveau ou des
organes sexuels pour signaler qu’un changement se produit. Le sang
véhicule aussi la chaleur du corps – l’énergie locale produite par le cœur et
les organes internes – et la transmet jusqu’à l’extrémité des doigts et au lobe
des oreilles.
Pour les scientifiques, le sang n’est pas simplement du sang. Sans
globules rouges ou blancs, le sang s’appelle plasma (n° 2), un liquide jaune
qui constitue à peu près la moitié du volume sanguin. Débarrassé des
protéines de la coagulation, le sang est qualifié de sérum (n° 3). Le sang, le
plasma et le sérum sont des composants d’un même fluide, mais dans les
descriptions détaillées (à l’intention de personnes ayant une formation
médicale), ils sont considérés comme trois liquides physiologiques
différents.
Tout le sang est fabriqué dans la moelle osseuse (n° 4), un fluide qui se
situe dans les cavités de notre squelette. La moelle osseuse se différencie du
sang en cela qu’elle est pleine de cellules-souches, de cellules osseuses, de
tissu conjonctif et de cellules adipeuses.
Un corps normal contient environ un demi-litre d’urine (n° 5) dans la
vessie et jusqu’à dix litres de lymphe (n° 6), un liquide biologique
blanchâtre qui circule dans l’ensemble du corps. Ce liquide interstitiel
baigne tous les tissus des organes ; son drainage est assuré par le système
lymphatique qui le ramène à la circulation sanguine. Ce système est un
grand réseau de vaisseaux qui transportent l’eau, les cellules immunitaires
et les déchets, et il contribue à l’équilibre des fluides dans le corps. La
lymphe maintient les cellules en bonne santé, assure leur propreté et
humidifie toutes les parties du corps.
Chaque jour, deux litres et demi de liquide entrent et sortent du corps.
L’eau disparaît sous forme de sueur (n° 7) et de vapeur à chaque expiration.
Elle doit être renouvelée par le biais de la nourriture et de la boisson. Tout
commence dans la bouche, que la salive au repos (n° 8) désinfecte et
protège. Quand les mâchoires commencent à mâcher les aliments, les
enzymes digestives interviennent dans la salive stimulée (n° 9), celle des
glandes parotides, pour décomposer la nourriture. Dans la bouche, le nez et
le cou, les glaires (n° 10) protègent les surfaces et, en cas d’infections,
s’épaississent, accumulent des cellules immunitaires mortes et prennent
alors le nom de morve (n° 11). Les bronches sécrètent un mucus qui
« colle » les impuretés aspirées par la respiration ; ce mucus est dégluti de
façon continue et inconsciente. En cas de surproduction, il donne lieu à des
expectorations (n° 12), ou crachats, qui aident à garder la trachée libre de
particules ou d’éléments intrusifs.
Les fluides corporels − ou liquides physiologiques − traitent la nourriture
et la boisson à la chaîne. D’abord, c’est le suc gastrique (n° 13) de
l’estomac qui intervient. Si la nourriture remonte, nous appelons ça
vomissure (n° 14), mais la plupart du temps, le bol alimentaire se déplace
vers l’intestin grêle où il prend le nom de chyme (n° 15). Ici, le pancréas
prend le relais avec le suc pancréatique (n° 16), qui neutralise l’effet du suc
gastrique, et la bile (n° 17), qui digère les graisses. Ces graisses en émulsion
sont appelées chyle (n° 18) quand elles sont mélangées avec la lymphe. Le
suc intestinal (n° 19) des parois de l’intestin grêle rend le bol alimentaire
encore plus liquide sur son passage. Le gros intestin absorbe enfin la
majorité de l’eau, de sorte que des selles normales ne contiennent que peu
de liquide. Quand les excréments sont pleins d’eau, c’est la
diarrhée (n° 20).
De nombreux fluides accomplissent des tâches très spécialisées, souvent à
un endroit précis du corps, et il est rare que nous puissions les observer à
l’œil nu. Vous serez sans doute surpris d’apprendre que quatre liquides
biologiques se cachent dans et à la surface de l’œil : le liquide à l’intérieur
du globe oculaire (n° 21), l’humeur aqueuse entre la cornée et l’iris (n° 22),
le liquide lacrymal qui humidifie l’extérieur de l’œil (n° 23) et la chassie,
cette sécrétion qui chaque matin a séché au coin de l’œil (n° 24).
Plusieurs de nos organes sont associés à des gouttes de liquides qui
protègent et lissent les surfaces, on les appelle les liquides séreux ou
sérosités. Ces liquides ne sont pas tout à fait identiques et sont le plus
souvent fabriqués pour des tissus qui réclament une protection renforcée. Le
sébum, qui protège la peau (n° 25), et la cire des oreilles (n° 26) sont des
liquides assez épais qui nous protègent des agressions extérieures.
Chaque liquide présente des spécificités propres à chaque organe : le
liquide cérébro-spinal (n° 27) baigne le cerveau et la moelle épinière,
l’endolymphe (n° 28), dans l’oreille interne, baigne les récepteurs sensoriels
de l’équilibre et de l’audition, tandis que le liquide dans le péricarde
(n° 29), le liquide − appelé transsudat (n° 30) − entre la double membrane
autour des poumons et le liquide dans la cavité abdominale (n° 31)
baignent chacun leur organe. Le liquide synovial (n° 32), enfin, protège les
articulations et fait du bruit quand on fait craquer ses doigts.
Si vous vous blessez, de petites gouttes d’exsudat (n° 33) jailliront avant
que les cellules immunitaires mortes et un peu d’eau ne surgissent comme
un pus jaunâtre (n° 34). Sous la peau, cela peut aussi gonfler et devenir
douloureux quand la lymphe exsudée du sang (n° 35) se précipite vers
l’endroit blessé.
Les hommes ont dans le bas-ventre une poignée de glandes produisant des
fluides. Sous le prépuce du pénis se trouvent de petites glandes qui
fabriquent le smegma (n° 36), un dépôt blanchâtre et pâteux, appelé
vulgairement fromage de bite. À côté de la prostate se situent deux petites
glandes qui fabriquent un liquide dont les gouttes brillantes lubrifient le
gland (n° 37). Le liquide de la prostate (n° 38) et le liquide des testicules
(n° 39) participent activement à la production du sperme (n° 40). Les
nouveaux spermatozoïdes baignent dans les testicules dans un liquide qui
leur est propre (n° 41), en attendant leur tour.
Chez les femmes, les glandes fabriquent un écoulement (n° 42) dans le col
de l’utérus, écoulement qui augmente avec le nombre de rapports sexuels.
Certaines femmes peuvent aussi éjaculer (n° 43), même si les chercheurs ne
sont pas tous d’accord pour définir la provenance de ce liquide ou dont il
s’agit exactement. Le liquide dans les trompes de Fallope (n° 44) permet à
l’ovule de surfer tranquillement vers d’éventuels spermatozoïdes, mais s’il
n’est pas fécondé, il s’évacuera avec le sang menstruel (n° 45).
Si la fécondation a eu lieu, le fœtus baigne, boit et urine dans le liquide
amniotique (n° 46) pendant neuf mois. Les premières semaines, il reçoit
l’aide d’un liquide, dans le sac vitellin (n° 47), pour fabriquer du sang.
Des liquides spécifiques jouent chez le fœtus des rôles importants.
Quelques gouttes de surfactant (n° 48) dans les poumons les aideront à se
développer comme il se doit, et à l’extérieur, la peau fabrique une huile
grasse appelée vernix caseosa (n° 49). Le grand dictionnaire médical
explique que ce liquide a la consistance d’un fromage à tartiner et que la
crème blanche facilite un transport sans encombre à travers le canal de
naissance (ou canal pelvi-génital).
Le nouveau-né reçoit du sein de sa mère son premier lait, le colostrum
(n° 50), avant que le lait maternel (n° 51) ne le nourrisse durant les
premiers mois de sa vie en cas d’allaitement. À l’extérieur, les premières
selles sont noires et visqueuses : cet excrément contient du liquide
amniotique avalé, des cellules intestinales mortes et du liquide de l’intestin,
le tout étant qualifié de méconium (n° 52). Quelque temps après
l’accouchement, la mère a ses premières règles, appelées retour de couches
(n° 53), qui contiennent à la fois du sang, de l’exsudat séreux et des restes
de muqueuse.
Lorsque nous mourrons, nos corps finissent eux-mêmes par devenir
liquides. Au fur et à mesure que nos cellules se décomposent et que les
bactéries rongent tous les résidus alimentaires et organes internes qu’elles
trouvent, nous nous écoulons du cercueil sous forme de nécrose de
liquéfaction (n° 54) pour ne faire plus qu’un avec la nature.
1. LA VIE
C’EST SÉRIEUX,
BON SANG !
Si la célèbre volleyeuse norvégienne Ingrid Lunde dévalisait une banque
et se blessait le doigt en laissant derrière elle quelques gouttes de sang, ce
n’est pas sûr qu’on la tiendrait pour coupable. Car ses fluides corporels ont
une particularité.
Tout commence au printemps 2016 par un mal de gorge tenace, puis une
sinusite. En août, Ingrid se blesse au genou et perd toute chance, après son
bac, d’effectuer le service militaire norvégien, son rêve depuis toute petite.
Elle se décide alors à passer une année à l’université.
Au bout de deux semaines d’entraînement à l’université, Ingrid reçoit
accidentellement et à grande vitesse un ballon de volley-ball en pleine
tempe et est prise de vertiges et de nausées. Aux urgences, on conclut à une
commotion cérébrale et on lui prescrit quelques jours de repos.
Ingrid rentre alors chez elle à Fredrikstad, s’alite dans sa chambre, rideaux
fermés, sans force pour faire autre chose qu’attendre. S’écoulent deux, puis
trois semaines, mais nausées et maux de tête persistent. Cela cache
probablement autre chose qu’un coup de ballon suivi d’une commotion
cérébrale. À l’hôpital d’Østfold, on lui prélève du sang et de la moelle
osseuse. Le médecin lui annonce alors, en y mettant les formes : « Tu as une
grave maladie du sang. Très probablement un cancer. »
Ingrid a besoin d’une nouvelle moelle osseuse, d’un nouveau liquide
corporel.

Ils ont un plan

Quand le sang dans les veines ne remplit pas son rôle, comme c’est le cas
chez les patients souffrant d’un cancer du sang, la transplantation d’une
nouvelle moelle osseuse, bien que complexe et risquée, constitue un bon
traitement. Avec la nouvelle moelle osseuse, le patient bénéficie d’une usine
à fabriquer des globules rouges dépourvus de cellules cancéreuses
dangereuses.
Mi-novembre 2016, Ingrid fait le voyage jusqu’au Rikshospital, à Oslo.
Toutes les analyses supplémentaires ont confirmé le verdict. Ingrid souffre
d’un cancer du sang répondant au nom de leucémie myéloïde aiguë. Il est
dangereux, mais les médecins ont un plan.
Le cancérologue annonce des séances de chimiothérapie, des périodes de
repos et évoque des pistes alternatives pour le traitement. Il n’y a pas de
temps à perdre.
Le jour même, on implante à Ingrid un tube en plastique − un cathéter
veineux central − qui pénètre par le côté droit de la cage thoracique,
quelques centimètres au-dessous de la clavicule. Ce tube permet d’envoyer
du liquide directement dans la circulation sanguine.
La première semaine de chimiothérapie, les médecins injectent des
molécules chimiques tuant toutes les cellules qui se divisent vite. De
nombreuses cellules cancéreuses meurent. Il y a malheureusement des effets
collatéraux sur d’autres tissus à renouvellement rapide comme les cheveux
et les cellules des muqueuses buccales et intestinales.
Après la séance de chimiothérapie, les médecins testent la moelle osseuse
à la recherche de cellules cancéreuses. Mais la réponse des échantillons
n’est pas celle espérée par les médecins, aussi Ingrid se voit-elle soumise
directement à une deuxième séance de chimiothérapie.
Cette fois, elle subit toute une série d’effets secondaires. La peau de ses
mains et de ses pieds se détache. Impossible d’écrire, de se brosser les dents
ou de marcher. La nuit, elle dort avec des gants de glace aux mains. Elle est
en proie à des poussées d’herpès et est placée à l’isolement dans sa
chambre, une petite pièce blanche avec un lit, une télévision et des toilettes.
Noël arrive et passe, triste conclusion d’une année difficile.
Mais une bonne nouvelle arrive enfin, le premier jour de 2017 : ses
défenses immunitaires reprennent des couleurs. Une semaine plus tard,
Ingrid est autorisée à rentrer chez elle.

Des millions de cellules-souches

Ingrid a un jeune frère qui pourrait être un donneur compatible, mais


avant de pouvoir recevoir cette nouvelle moelle osseuse, il faut qu’elle
passe par une troisième séance de chimiothérapie. Six jours encore avec le
corps plein de poison, puis un jour de pause, et enfin la transplantation.
Ingrid se tient prête, alitée dans une chambre de l’hôpital, tandis que les
médecins prélèvent un litre et demi de moelle osseuse dans l’os iliaque de
son frère. Trois heures plus tard, le liquide corporel est en place pour être
injecté à Ingrid. Une infirmière relie la poche aux tubes insérés dans la
poitrine de la jeune fille et des millions de cellules-souches du petit frère
trouvent leur chemin vers les cavités du squelette de la grande sœur.
Le temps que les cellules commencent à fabriquer du sang neuf et de
nouvelles cellules immunitaires constitue une période à risque pour Ingrid.
Qu’adviendra-t-il si son corps n’accepte pas les cellules étrangères ? « Cela
aurait pu très mal finir », lâche-t-elle lors de notre rencontre, six mois après
le traitement.
Tandis qu’Ingrid attend de savoir si la nouvelle moelle osseuse agit
comme les médecins l’espèrent, elle doit supporter les rudes épreuves
infligées par les effets secondaires de son traitement. Elle vomit tous les
jours durant tout le mois de février. Elle n’a plus d’appétit, les nausées sont
de retour. Ses lèvres et ses joues enflent et elle a de grandes plaies dans la
bouche. Elle en souffre mais actionne prudemment la pompe à morphine.
Médecins et infirmières attendent eux aussi que le corps d’Ingrid réagisse
à la nouvelle moelle osseuse. Les réactions aux tissus du donneur sont
appelées maladie du greffon et peuvent être de modérées à mortelles.
Les muqueuses d’Ingrid sont sèches et elle manque d’énergie. Ses
défenses immunitaires sont encore en cours de développement. « La
semaine dernière, j’avais des champignons dans la bouche. Il y a en
permanence un effet secondaire lié à la maladie ou au traitement », dit-elle.

Quelque chose en plus

Ayant un risque élevé de rechute, Ingrid est suivie à l’hôpital presque


chaque semaine. Elle a bénéficié du meilleur traitement contre le cancer du
sang. Sans une connaissance détaillée de la façon dont fonctionnent le sang
et la moelle osseuse, de la manière dont les cancers évoluent, et de la façon
dont la chimiothérapie et un nouveau liquide corporel peuvent sauver la vie
du malade, Ingrid n’aurait pas eu le même espoir de guérison. Car même si
les effets à long terme du traitement influencent son quotidien, la voilà
débarrassée du cancer et en bonne santé.
Ingrid a aussi quelque chose de plus : dans ses veines coule désormais un
sang issu des cellules-souches de son frère. Ils ont la même moelle osseuse,
qui fabrique du sang dont le contenu génétique est identique. Alors si elle
dévalise une banque, se coupe un doigt et laisse derrière elle quelques
gouttes de sang, il n’est pas certain que ce soit elle que l’on accuse !
« C’est plutôt cool, je trouve, dit Ingrid en riant, que ce soit sa moelle
osseuse à lui qui me maintienne en vie. C’est assez fascinant. »
2. LES DÉCHETS
UN CORPS PLEIN
DE LIQUIDES
Il y a de cela deux mille ans, les gens croyaient qu’il n’existait que quatre
liquides corporels : le sang, le mucus, la bile jaune et la bile noire (ou
atrabile). Désormais, plus de cinquante liquides corporels ont été
dénombrés, grâce à des observations minutieuses et des découvertes
progressives. Le chemin menant à une vision moderne des fluides corporels
est jalonné de théories globales sur la vie. Et de beaucoup de déchets.

Au commencement, ils étaient quatre

Les deux médecins de la Grèce antique, Hippocrate et Claude Galien,


pensaient que quatre liquides distincts donnaient la vie aux êtres humains.
Le sang était la source de la vitalité et la bile jaune, dans le ventre, était
indispensable pour digérer les aliments. Le mucus englobait les liquides
transparents refroidissant et hydratant le corps, tandis que la bile noire
n’était visible que lorsqu’elle teintait les autres liquides, comme en cas
d’excréments noirs, de sang noir ou de défauts de pigmentation de la peau.
Hippocrate est considéré comme le père de la médecine moderne. Il vécut
de l’an 460 à l’an 377 avant Jésus-Christ. Quant à Claude Galien, fils
d’architecte, il vécut de l’an 129 à l’an 216 après Jésus-Christ ; il pensait
qu’au-delà de guérir les patients, la science médicale se devait aussi
d’inclure la pensée logique, physique et éthique. À eux deux, ils laissèrent
des centaines d’écrits sur la santé, la maladie, la philosophie et la nature et
eurent une forte influence sur la société.
Les quatre liquides pouvaient clairement être mis en parallèle avec les
éléments de la nature, et la similitude avec le feu, l’air, la terre et l’eau
expliquait sous une forme élégante la manière dont ces liquides agissaient
pour que le corps soit chaud, froid, sec ou moite. Le sang était pareil à l’air
et rendait le corps chaud et humide, comme en cas de poussée de fièvre ou
de caresse d’un chaud vent d’été sur le visage. La bile jaune, chaude et
sèche, était semblable au feu, le mucus avait la texture de l’eau froide,
tandis que la terre et la bile noire étaient toutes deux froides et sèches.
Dans l’idéal, un corps devait contenir un mélange équilibré de ces quatre
liquides, également appelés fluides cardinaux. Ces fluides cardinaux ayant
chacun leur effet sur le corps, les variations dans l’équilibre de ces liquides
pouvaient aussi expliquer les variations de personnalité d’un individu à
l’autre. Les joues rouges et la sueur au front étaient alors perçues comme le
signe d’une tentative du corps pour équilibrer les fluides cardinaux.
Même la forme du corps était le résultat de l’action des liquides. Les
personnes présentant un excès de mucus étaient le plus souvent grosses,
tandis que celles avec trop de bile jaune étaient minces et fragiles. On
recourait dès lors également à ces fluides cardinaux pour rendre compte des
traits de personnalité, fussent-ils quelque peu stéréotypés.
La théorie des fluides cardinaux est aussi appelée théorie des humeurs, un
mot dont les racines linguistiques montrent certaines des répercussions
culturelles du concept des quatre liquides. Le mot latin humor signifie
humidité ou liquide, tandis que le mot temperamentum renvoie à un
mélange dans des proportions appropriées. Être d’une certaine humeur ou
avoir un certain type de tempérament explique qui nous sommes et
comment nous nous comportons, même si la biologie derrière ces mots ne
concorde pas avec la médecine moderne.
Un surplus de sang donnait une personne légère, gaie et pétillante, dite
sanguine, tandis qu’une personne mélancolique avait trop de bile noire et
était donc triste et sombre. Ceux qui avaient trop de bile jaune, les
colériques, étaient impulsifs et irritables, alors que ceux connaissant une
abondance de mucus, les flegmatiques, étaient réfléchis, calmes et parfois
un peu lents.
Les quatre fluides cardinaux donnaient des explications compréhensibles
sur les corps au quotidien, et Hippocrate et Galien élargirent ces
explications aux maladies : si les gens tombaient malades, cela était tout
simplement la conséquence d’un déséquilibre de leurs fluides cardinaux. Un
excès de sang provoquait fièvre et sueurs, tandis qu’une carence en sang se
traduisait par une pâleur et une perte d’énergie. Un surplus d’acide
gastrique, de mucus ou de bile noire donnaient quant à eux des symptômes
spécifiques que les médecins pouvaient associer à un déséquilibre des
fluides.
Galien suggéra que les symptômes disparaîtraient si les médecins
intervenaient pour rectifier le déséquilibre dans les fluides corporels. Des
conseils diététiques étaient censés maintenir un équilibre de ces fluides,
mais parfois, une intervention chirurgicale était nécessaire. L’augmentation
de la température corporelle étant attribuée à un excédent de sang, la
saignée s’imposait comme un traitement logique des symptômes de la
fièvre. Une aiguille était alors enfoncée dans une veine à la saignée du bras
et le sang jaillissait du corps du patient pour se déverser dans un récipient.
La saignée ne passa pas de mode et bien des siècles plus tard, cette
intervention restait un traitement classique pour tous les symptômes
pouvant s’expliquer par un surplus de sang chaud. Un adulte possède à peu
près cinq litres de sang, mais il peut survivre s’il en perd environ
deux litres, à condition que cela ne se fasse pas trop rapidement. En
revanche, il arrivait parfois que la saignée se passe mal et certaines
personnes connues eurent à pâtir de ce soi-disant traitement. C’est ainsi, par
exemple, que Charles II, roi d’Angleterre, mourut en 1685 des suites d’une
saignée dispensée pour traiter une blessure au pied. De même, la perte de
plus de deux litres sang contribua à la mort du président George
Washington en 1799.
Perdre du sang arrivait beaucoup plus fréquemment par le passé. Pourtant,
il fallut beaucoup de temps avant que quelqu’un comprenne enfin comment
il circulait dans le corps.

Aller simple

Galien était le médecin des gladiateurs et il eut l’occasion d’approcher


beaucoup de corps ensanglantés. Le sang qui s’écoulait des larges blessures
béantes était soit rouge soit violet, et le médecin comprit que le sang rouge
et le sang violet étaient le même. Toutefois, il ne saisit pas ce que signifiait
cette différence de couleur. Nous savons désormais que le sang rouge, riche
en oxygène, sort du cœur par les artères, tandis que le sang violet, usé et
pauvre en oxygène, regagne le cœur via les veines.
Pour approfondir ses connaissances sur l’intérieur du corps, Galien
effectua des dissections de singes, de moutons, de porcs et de chèvres. Les
conclusions qu’il en tira ne furent pas toujours exactes lorsqu’il appliqua
ses idées aux êtres humains.
Galien croyait notamment que tout le sang était produit dans le foie.
Depuis le foie, le sang effectuait un aller simple à travers les vaisseaux
sanguins, était utilisé et disparaissait dans le corps. Selon lui, la tâche du
foie consistait à fabriquer continuellement du sang neuf qui pouvait
alimenter les muscles et les organes.
La conclusion de Galien ne concordait pas avec la réalité, mais personne
n’osa poser de questions critiques, comme, par exemple, celle-ci : comment
le foie, un organe de quinze centimètres de long, pesant un kilo et demi,
pouvait-il parvenir à produire chaque jour des litres de sang neuf, et ce
pendant soixante-dix ans ?
La réponse se fit attendre pendant des siècles. Nul ne chercha à vérifier si
le foie fabriquait effectivement du sang neuf à une vitesse record, ni à
savoir s’il y avait seulement quatre liquides dans le corps. Personne ne
mena d’expériences pour découvrir comment le sang sortait du foie et se
diffusait dans les bras et les jambes. En Occident, pendant très longtemps,
ce furent des moines et des prêtres qui officièrent en tant que médecins, et
comme les lois et la religion limitaient les possibilités de dissections de
cadavres humains, cela freina considérablement la découverte des autres
fluides présents à l’intérieur du corps.
1 400 ans s’écoulèrent ainsi avant que quelqu’un n’ose contredire la
théorie des fluides cardinaux d’Hippocrate et de Galien. Quand cela se
produisit enfin, dans la foulée de l’intérêt naissant pour la connaissance
basée sur l’observation caractérisant le XVIe siècle, les découvertes
déclenchèrent une avalanche de connaissances qui n’est pas près de
s’arrêter.

Pilleurs de tombes

En ce début de siècle, André Vésale (dit Andreas Vesalius, 1514-1564)


travailla d’arrache-pied pour trouver une réponse aux grands mystères
cachés à l’intérieur du corps humain. Le médecin brabançon prétendit
même qu’il volait des corps fraîchement inhumés et coupait la corde des
criminels pendus pour avoir quelque chose à disséquer.
Ces dernières années, les historiens ont toutefois atténué le côté
spectaculaire des actions de Vésale. Il était probablement bien plus courant
de disséquer des cadavres humains à son époque que Vésale ne veut bien le
décrire : selon ses dires, il se glissait au milieu de la nuit dans les cimetières
locaux et récupérait des parties de corps qu’il rapportait à son laboratoire.
Malgré cette réputation exagérée de pilleur de tombes, ses découvertes
marquèrent une étape importante dans l’histoire des fluides corporels et
furent publiées en 1543 en sept volumes sous le titre De humani corporis
fabrica libri septem (De la structure du corps humain), couramment appelé
la Fabrica. Contenant des descriptions détaillées accompagnées de dessins,
cette œuvre monumentale sur l’anatomie du corps humain fait référence.
Vésale constata entre autres que les veines et les artères sortaient toutes
deux du cœur, exactement comme Léonard de Vinci l’avait vu un siècle
plus tôt. Leurs illustrations proposent une cartographie détaillée de la
localisation des différentes parties de la circulation sanguine. Tous deux
comprirent la façon dont s’imbriquaient les éléments clés du puzzle, mais
ne virent pas que le cœur était une pompe.
Cependant, les expéditions nocturnes de Vésale ne furent pas vaines. À
vingt-trois ans seulement, il obtint la chaire de chirurgie (explicator
chirurgiae) à l’université de Padoue, ville de la république de Venise − non
soumise à l’Inquisition −, et jeta les bases des grandes découvertes
médicales des XVIe et XVIIe siècles. Son objectif était de donner aux cours
d’anatomie une place importante dans le programme d’enseignement
destiné à une nouvelle génération d’étudiants, parmi lesquels le britannique
William Harvey.

Un âge d’or islamique

En 1597, Harvey (1578-1657) s’installa à Padoue pour y étudier


l’anatomie. Il apprenait vite et vit des corrélations que ses professeurs ne
pouvaient expliquer. Dès 1603, il osa tirer les premières conclusions
révolutionnaires en matière de circulation du sang, conclusions basées sur
des expériences avec des animaux vivants : « Le mouvement du sang se fait
constamment en mode circulaire et il résulte d’un battement du cœur »,
écrivit-il. Cette simple phrase fut le début d’une avancée décisive : on
commençait enfin à comprendre comment le sang circulait dans le corps.
Chez nous, humains, la circulation sanguine est comparable à deux tours
de montagne russe, chacun commençant et se terminant dans le cœur. La
première boucle part du côté droit du cœur, traverse les poumons pour s’y
charger en oxygène et revient ensuite côté gauche du cœur. La seconde
boucle démarre du côté gauche du cœur, mène au corps entier via les
artères, passe par les vaisseaux capillaires dans tous les tissus et regagne le
côté droit du cœur via les veines. Le sang est de retour à son point de
départ, prêt pour deux nouveaux tours.
Pour certains biologistes, le cœur humain équivaut à deux cœurs
fonctionnant comme un seul organe. La moitié droite pompe le sang qu’elle
envoie dans les poumons et la moitié gauche pompe le sang qu’elle envoie
dans le corps. Simple quand on connaît la réponse, mais très complexe à
comprendre à partir de la dissection d’animaux à demi putréfiés ou de
criminels exhumés.
Aujourd’hui, quatre siècles après la découverte d’Harvey, il est évident
qu’il ne fut pas le premier à constater que le cœur pompe le sang et l’envoie
dans les poumons. Car tandis que la médecine occidentale évoluait
relativement peu entre Galien et Vésale, les Arabes, eux, progressaient à
grands pas. Au point que certains historiens donnent à cette période le nom
d’âge d’or islamique.
En 1935, un étudiant en doctorat découvrit des textes arabes inconnus à la
Bibliothèque d’État de Berlin. Les manuscrits contenaient, notamment, des
critiques sévères de la vision de l’anatomie qu’avait Galien. Or, ces écrits
précédaient ceux de Vésale et Harvey de plusieurs siècles. L’auteur, Ibn al-
Nafis, était un médecin sunnite qui vécut au Caire de 1213 à 1288. Ibn al-
Nafis n’avait que 29 ans quand il décrivit le lien entre le cœur et les
poumons.
Al-Nafis avait compris que le sang présent dans la moitié droite du cœur
devait ensuite passer dans la moitié gauche. Galien avait de son côté
suggéré que le sang passait du côté droit au côté gauche à travers de petits
pores invisibles situés dans la paroi du cœur. Al-Nafis réfuta la conception
occidentale en ces termes : « Les affirmations de certaines personnes selon
lesquelles cette zone est poreuse sont donc erronées ; elles reposent sur
l’hypothèse que le sang passe du côté droit du cœur au côté gauche à travers
des pores – or c’est faux ! »
Il indiqua dans ses écrits que le sang part de la moitié droite du cœur et
passe dans les poumons, où il irrigue le tissu pulmonaire à travers un petit
réseau, avant de regagner la moitié gauche du cœur. Il souligna également
qu’il devait exister de petits passages entre les artères et les veines dans le
corps, sur la seconde boucle, mais il fallut attendre 400 ans pour que
l’existence de vaisseaux capillaires soit confirmée.
Al-Nafis fut ainsi le premier à faire une description précise de ce qu’on
appelle la petite circulation, la boucle entre le cœur et les poumons. Harvey
répéta la découverte et élargit le champ des connaissances en décrivant la
façon dont le sang sortait du cœur, irriguait le corps et regagnait le cœur.
Entre-temps, plusieurs médecins occidentaux, dont Michel Servet (Michael
Servetus), Matteo Realdo Colombo (Renaldus Columbus) et Juan Valverde,
parvinrent à la même conclusion : le cœur pompe le sang en deux boucles,
la première vers les poumons, la seconde vers le reste du corps.
Les expériences qui furent à la base de ces nouvelles connaissances
permirent d’obtenir de plus en plus d’informations et, pour convaincre les
sceptiques, les médecins les plus ambitieux n’hésitaient pas à utiliser des
animaux vivants.

L’artère d’un chien vivant

Bien qu’ils soient nombreux à y avoir apporté leur contribution, c’est


William Harvey qui conserve le statut de découvreur de la circulation
sanguine complète, d’une part parce que ses textes sont écrits dans un
langage clair et d’autre part parce qu’il sut tirer les bonnes conclusions de
ses expériences. Harvey était par ailleurs un excellent communicant, même
si quelque peu excentrique, comme l’illustre parfaitement l’expérience qu’il
fit avec l’artère d’un chien vivant.
Vêtu d’une blouse blanche et d’un bonnet, Harvey demanda à ses
assistants d’attacher solidement un chien vivant à la table de dissection,
après lui avoir ligaturé les mâchoires pour l’empêcher d’aboyer. Harvey
plongea un couteau dans la cage thoracique du chien, écarta les côtes et
montra le cœur palpitant. Tandis que le cœur se contractait, Harvey trancha
une artère. Le sang gicla et aspergea les spectateurs. À l’époque, c’était la
démonstration éclatante que le cœur fonctionnait comme une pompe.
Les historiens racontent aussi que Harvey disséqua son propre père
décédé et que, plus tard, il sauta sur l’occasion d’élargir ses connaissances
sur le sexe opposé en disséquant sa sœur lorsqu’elle mourut. Ces anecdotes
viennent renforcer l’image d’observateur objectif, ce que l’on pourrait
appeler un homme cliniquement distancié.
En 1628, Harvey publia ses idées sur la circulation sanguine dans un
ouvrage intitulé Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in
Animalibus (Exercice anatomique sur le mouvement du cœur et du sang
chez les animaux). Selon ses calculs, la moitié gauche du cœur pompe
environ un demi-litre de sang à chaque minute. Sachant qu’une personne
n’a que cinq litres de sang, il paraît impossible que le corps puisse le
renouveler en totalité toutes les dix minutes. Harvey en conclut donc « que
le sang dans le corps d’un animal décrit un cercle et qu’il est en état de
mouvement perpétuel ». En se basant sur des études exhaustives et des
dissections, il expliqua aussi que les clapets dans le cœur empêchent le sang
de refluer. Le sang ne peut donc circuler que dans un seul sens.
Avec les moyens de mesure dont nous disposons désormais, il est évident
que Harvey n’était pas tout à fait précis dans ses calculs. Mais son discours
prudent et la giclée de sang du chien furent tout de même suffisants pour
convaincre les sceptiques. Nous savons désormais que le cœur pompe la
quasi-totalité des cinq litres de sang présents dans le corps chaque minute,
soit nettement plus que le demi-litre présumé par Harvey.
Le sang qui part du cœur doit y revenir avant que ne se soit écoulée une
minute et il accomplit cette mission à une vitesse de trente centimètres par
seconde. Lors d’activités physiques exigeantes, le cœur pompe plus souvent
et plus fort. Résultat : trente litres de sang par minute irriguent le corps, du
sang qui, au bout de dix secondes seulement, retourne à son point de départ
pour se lancer dans un nouveau circuit, propulsé par la pompe à une vitesse
maximale de presque trois mètres par seconde. La longueur totale de
l’ensemble des artères, des veines et des vaisseaux capillaires dans le corps
est de 100 000 kilomètres, soit deux fois et demie le tour de la Terre en
passant par l’équateur.
Pensez-y : un réseau de vaisseaux sanguins de 100 000 kilomètres dans
votre corps…

Un monde tout nouveau

Savoir que le sang est en mouvement perpétuel a donné lieu à des


découvertes intéressantes. Dans les hôpitaux de l’Europe entière, les
connaissances ont évolué en matière d’anatomie, de pathologie, de chimie
et de pharmacie, notamment à travers des observations ciblées de patients et
l’autopsie des morts. Les médecins découvrirent et cartographièrent de plus
en plus de liquides et de réseaux, et l’étude des éléments liquides contenus
dans le corps humain joua un rôle important dans le choix des traitements.
Les médecins menèrent des expériences en laboratoire pour déterminer
pourquoi les gens étaient malades. Les analyses des liquides corporels
permirent enfin de comprendre comment les maladies – c’est-à-dire ce que
nous savons maintenant être des bactéries et des virus – se transmettaient
d’une personne à une autre.
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le savant néerlandais Antonie van
Leeuwenhoek (1632-1723) observa quelques gouttes de l’eau d’un lac au
microscope et découvrit de petites bestioles qui remuaient. Il leur donna le
nom d’animalcules. Ces petites bestioles sous le microscope de
Leeuwenhoek furent à l’origine de la théorie de la préformation1. Les
connaissances sur les bactéries et les virus détrônèrent par la suite la
croyance selon laquelle les maladies provenaient d’un déséquilibre dans les
quatre fluides cardinaux.
Les analyses de sang, de sueur, de larmes et d’urine débouchèrent aussi
sur un nouveau savoir concernant la fécondation, la croissance, la maladie
et la mort. Les médecins se mirent à cartographier les signaux dans le sang,
les hormones et les nutriments qui, presque par magie, envoient des
messages à toutes les cellules dans le corps entier. Certains osèrent
finalement s’intéresser aux parties intimes du corps, aux seins, au pénis, au
vagin et au fœtus en cours de développement. Un monde tout nouveau
s’ouvrait à eux.
Il fut possible d’examiner la façon dont les aliments solides deviennent
des nutriments liquides dans l’intestin, et dont les reins filtrent le sang et
fabriquent de l’urine. Des tentatives courageuses de transfusions sanguines
de l’animal à l’humain, et plus tard entre humains, conduisirent à la
découverte des groupes sanguins – une avancée considérable en matière de
traitement médical.
Plus récemment, des recherches génétiques d’ADN dans tous les liquides
corporels imaginables ont été mises en place pour contribuer au travail de la
police et à la généalogie, mais elles ouvrent aussi la porte à la technologie
controversée de la modification des gènes. D’audacieux cobayes humains
paient des fortunes pour se faire inoculer de nouveaux fluides corporels
dans l’espoir de vivre éternellement. Nous pourrions croire que nous savons
tout sur les fluides corporels. Mais touchons-nous vraiment au but ?

De nouvelles découvertes sur les liquides

Bien que la liste moderne des fluides corporels se soit considérablement


allongée depuis les quatre fluides cardinaux d’Hippocrate et de Galien, nous
sommes encore loin de tout connaître sur la dimension liquide du corps
humain. Prenez le sang, par exemple. D’où vient-il, en fait ?
Des chercheurs américains ont réalisé en 2017 un court film montrant les
poumons d’une souris où, de façon surprenante, apparaissait une série de
cellules particulières produisant des plaquettes. Les plaquettes, de petites
cellules sans noyau qui circulent dans le sang, jouent un rôle capital dans la
coagulation sanguine et l’intégrité vasculaire. Elles sont produites par de
larges cellules appelées mégacaryocytes. Jusqu’à présent, nous pensions
que la moelle osseuse produisait l’ensemble de ces plaquettes sanguines.
Mais Mark Looney et ses collègues de l’université de Californie, à San
Francisco, ont utilisé des microscopes ultraperfectionnés pour filmer les
cellules vivantes à l’intérieur des poumons de souris et montrer que les
poumons pouvaient, eux aussi, produire des plaquettes. Vingt heures durant,
les chercheurs ont filmé dix souris différentes et compté le nombre de fois
où un mégacaryocyte produisait de nouvelles plaquettes : ils ont ainsi
évalué que chaque poumon de souris fabrique pas moins de dix millions de
plaquettes à la minute, ce qui représente environ la moitié des cellules
circulant dans les vaisseaux sanguins d’une souris.
Bien que les résultats soient controversés, Looney est plus qu’enthousiaste
devant les capacités des poumons : « Ils ne servent pas seulement à respirer,
ils sont aussi des partenaires importants pour la fabrication de composants
vitaux du sang », déclare-t-il. En va-t-il de même pour les poumons
humains ? Les manuels scolaires indiquent toujours que la moelle osseuse
est responsable de la production des plaquettes. Les résultats des vidéos
perfectionnées de Looney rendront peut-être une actualisation nécessaire.
La recherche médicale moderne se différencie de la recherche d’autrefois
au sens où l’on bénéficie désormais d’instruments très perfectionnés, de
méthodes d’analyse numériques et de collaborations internationales. Les
énormes progrès technologiques donnent une image bien plus nuancée et
complexe du corps humain, et des informations toujours nouvelles
repoussent les limites de la connaissance.
La découverte de Looney est basée sur une technologie qui permet de
filmer des liquides et des cellules à l’intérieur d’un animal vivant. D’autres
chercheurs utilisent des méthodes pour extraire liquides et cellules du corps
et les transférer en laboratoire, où les cellules peuvent poursuivre leur
développement sous contrôle.

Evatar

En cultivant des cellules vivantes en laboratoire, les chercheurs contrôlent


parfaitement tout ce qui se passe. Cela leur permet également d’éviter les
conflits éthiques liés aux expériences sur les êtres humains. Nous en avons
un bon exemple avec Evatar, une innovation connue sous le nom de « cycle
menstruel sur une puce », que l’on doit à Theresa Woodruff et à une
importante équipe de chercheurs de la Northwestern University, de
l’université de l’Illinois à Chicago et du laboratoire Draper.
Evatar est un outil de recherche mis au point en 2017 pour explorer la
reproduction humaine. Il a l’apparence d’un jeu de construction inspiré du
Lego, de la taille de deux plaques de Kit Kat. Le « jeu » contient plusieurs
petits réceptacles en plastique transparent dans lesquels se développent des
cellules prélevées sur des souris et des humains, des cellules vivantes in
vitro.
Chaque petit réceptacle fonctionne comme une mini version d’un organe
central dans le système de reproduction féminin. Des cellules d’un ovaire,
d’une trompe de Fallope, d’un utérus et d’un vagin se développent côte à
côte, chacune dans son espace. Un fluide corporel artificiel bleu irrigue les
cellules via un tube transparent reliant les « organes ».
Ce fluide bleu transporte des messages d’un réceptacle à l’autre. Cette
collaboration fait qu’Evatar passe par un cycle menstruel normal de
28 jours, mais le sang étant remplacé par un fluide corporel artificiel, Evatar
n’a pas ses règles.
Dans un corps de femme, les règles durent approximativement entre trois
et six jours. Le volume de sang perdu varie beaucoup d’une femme à
l’autre, de même que le jour de flux maximum et l’aspect du sang. Parfois il
est brun, d’autres fois rouge, tandis que chez certaines le sang prend une
teinte rosée. Il peut être clair, grumeleux ou granuleux.
La quantité de sang varie, elle aussi, mais en moyenne, une menstruation
normale est légèrement inférieure à un demi-décilitre (40 millilitres). Tout
ce qui se situe entre 10 et 80 millilitres est normal. Un œuf de poule est une
excellente référence : cet œuf est un peu plus petit qu’un utérus (qui fait la
taille d’un poing de femme), et le contenu de l’œuf correspond environ au
volume d’une menstruation normale.
La couleur bleue du sang artificiel dans Evatar est également utilisée dans
les publicités pour les serviettes hygiéniques et les tampons. Au lieu de faire
appel à un liquide rouge et sanguinolent pour démontrer les propriétés
absorbantes de leurs produits, les publicités ont recours à un liquide bleu,
stérile et presque appétissant, qui disparaît dans le matériau blanc.
Le but d’Evatar n’est pas de briser le tabou qui entoure la menstruation,
mais de contribuer à faire avancer la science. C’est pourquoi, en plus des
quatre organes de reproduction, Evatar a aussi un mini foie. Sa présence
s’explique par le rôle des cellules hépatiques, qui peuvent décomposer les
signaux hormonaux contrôlant le cycle menstruel. Le foie joue également
un rôle essentiel dans le métabolisme des médicaments ; Evatar est ainsi
bien adapté pour examiner la manière dont les médicaments affectent
chacun des organes impliqués dans ce cycle. En ajoutant un médicament à
ce liquide bleu, les chercheurs peuvent tester l’effet sur les organoïdes,
chacun leur tour.
Woodruff et ses collègues ont l’intention, plus tard, de connecter Evatar à
un mini-pancréas et à un mini-intestin pour effectuer des recherches plus
complexes. Leur objectif est de rendre Evatar encore plus semblable à un
corps humain, avec un ensemble de mini-organes soigneusement
sélectionnés qui communiquent à travers un liquide corporel bleu en
laboratoire.
Dans une interview accordée au magazine Wired, Woodruff déclare que la
technologie consistant à cultiver des cellules vivantes en laboratoire
« changera radicalement la façon dont nous étudions de nombreux systèmes
humains, et pas seulement les organes reproducteurs féminins ». Désormais,
cette technologie est utilisée à la fois par les chercheurs qui travaillent sur
les cancers et par les spécialistes du cerveau.
Parallèlement, les chercheurs en neurosciences ont également recours à
d’autres méthodes pour analyser le liquide céphalo-rachidien qui baigne le
cerveau. Les résultats étonnants sur ce liquide présent dans la tête ont fait
les gros titres ces dernières années.

De l’eau dans le cerveau

« Il y a beaucoup de questions simples dont nous ne connaissons pas la


réponse. C’est tout à fait étonnant », reconnaît la chercheuse Marie
Elisabeth Rognes du laboratoire de recherche Simula, à Fornebu, en
périphérie d’Oslo. Forte d’un doctorat en mathématiques appliquées, elle
travaille à la mise au point de représentations précises de la façon dont
« l’eau » circule autour du cerveau. C’est plus simple à dire qu’à faire, car
les professionnels ne s’entendent toujours pas sur la provenance du liquide
présent dans la cavité crânienne, ni sur sa destination.
Tous les spécialistes du cerveau s’accordent néanmoins sur un point : le
cerveau et la moelle épinière baignent dans le liquide céphalo-rachidien,
aussi appelé liquide cérébro-spinal. Sa quantité correspond environ au
contenu d’une tasse à café. En enfonçant une seringue au bas du dos et en
prélevant quelques gouttes transparentes, les médecins sont en mesure
d’analyser le contenu et la qualité du liquide pour déterminer si le sujet
souffre ou non de pathologies graves.
La mission essentielle du liquide cérébro-spinal est de protéger le cerveau
et la moelle épinière contre les chocs et le bruit. De plus, il contient des
nutriments pour les cellules du cerveau et contribue à éliminer les déchets
de cette partie du corps. Le liquide cérébro-spinal comble aussi les cavités à
l’intérieur du cerveau, quatre chambres appelées ventricules. Mais c’est là
que se situe le point de désaccord, comme l’explique Marie Elisabeth
Rognes.
Au cours des dernières décennies, la plupart des chercheurs étaient
d’accord pour dire que le liquide cérébro-spinal est produit tout au fond de
l’un des ventricules. L’hypothèse est qu’un groupe de cellules, les plexus
choroïdes, sécrètent le liquide cérébro-spinal en filtrant le sang issu des
artères. Les plexus choroïdes injectent un flux constant de liquide cérébro-
spinal neuf dans le ventricule.
Mais tout le monde n’est pas d’accord avec cette vision classique. Un petit
groupe de scientifiques estime, à l’inverse, que c’est tout le cerveau qui
absorbe un peu d’eau issue des vaisseaux sanguins et donne ainsi naissance
au liquide cérébro-spinal. Cette hypothèse va à l’encontre de l’idée selon
laquelle une pompe centrale gère la production du liquide céphalo-
rachidien. À vrai dire, il n’est pas facile, que ce soit sur le plan technique ou
éthique, d’effectuer des expériences sur les liquides présents dans le cerveau
d’animaux ou d’êtres humains vivants. Les hypothèses sont fondées sur une
grande quantité de petites observations.
C’est ici que les modèles mathématiques de Marie Elisabeth Rognes
entrent en lice. Elle imagine le cerveau comme un organe régi par des lois
physiques, avec des règles strictes en matière de volume, de pression et de
mouvements des fluides. En plus du liquide cérébro-spinal, qui entoure le
cerveau et la moelle épinière, le tissu conjonctif fait partie du tissu cérébral
(il soutient et nourrit le tissu noble, c’est-à-dire les neurones). Le cerveau
est isolé (par les méninges) de son enveloppe osseuse (crâne et vertèbres)
par le liquide cérébro-spinal et il y a une invagination des cavités
liquidiennes à l’intérieur du cerveau, un volume qui au total représente près
d’un cinquième du cerveau entier.
La chercheuse explique que le cerveau peut être comparé à une éponge
dans laquelle les neurones, premiers consommateurs de glucose et
d’oxygène du corps humains, sont « tenus » par du tissu conjonctif et
baignent dans un liquide repris par le liquide céphalo-rachidien. Avec ses
collègues, elle traduit en équations mathématiques les déplacements de
l’eau dans l’éponge. L’objectif est de fournir des représentations précises
d’un domaine d’étude où des désaccords persistent sur la configuration
réelle du cerveau.
Les modèles de Rognes ont permis de réfuter de nouvelles hypothèses sur
l’eau présente dans le cerveau. « Les mathématiciens peuvent aider à
modéliser les phénomènes », explique-t-elle. Les chiffres dont nous
disposons au sujet des liquides obéissent à des lois physiques et ne se
laissent pas influencer par les intérêts personnels ou les hypothèses
privilégiées par les chercheurs. Le but des modèles est de démystifier des
idées fausses et de contribuer ainsi à mettre les chercheurs sur la bonne
voie.
Ces nouvelles réponses sont surtout importantes pour comprendre
comment le cerveau reste en bonne santé et ce qui engendre les maladies.
Les recherches sur les déchets produits par le cerveau constituent donc un
thème essentiel pour Rognes et les autres chercheurs en neurosciences.

Lavage du cerveau

Non seulement les chercheurs spécialisés dans l’étude du cerveau ne sont


pas d’accord sur la provenance du liquide qui s’y trouve, mais ils sont aussi
en désaccord sur ce qu’il devient une fois « sale ». La présence prolongée
d’un fluide sale, plein de déchets cellulaires, peut avoir des conséquences
désastreuses.
Lorsque le cerveau fonctionne, il représente 20 % du métabolisme
corporel et toute cette activité se traduit par des déchets qu’il faut éliminer
avant qu’ils n’endommagent les cellules du cerveau. Ces déchets doivent
donc être expulsés de la tête. Les déchets normaux du métabolisme sont
récupérés dans le système veineux pour être métabolisés et recyclés dans le
foie, leur terminus.
Les autres types de déchets sont ce que l’on appelle des plaques
amyloïdes, c’est-à-dire des déchets anormaux qui, sur des décennies, sont
susceptibles d’entraîner des maladies neurodégénératives. Les patients
atteints de la maladie d’Alzheimer et de Parkinson ont le plus souvent
beaucoup de ces plaques dans le cerveau, et nombreux sont les chercheurs
qui croient qu’elles constituent une cause majeure du développement de ces
pathologies. Les scientifiques ne connaissent pas encore en détail la façon
dont le cerveau se débarrasse des plaques, pas plus qu’ils ne savent ce qui
cloche quand les gens tombent malades.
Le cerveau n’est pas comme le reste du corps, où c’est principalement le
système veineux qui transporte le surplus d’eau, de déchets et de cellules
immunitaires. Dans le cerveau, pas de vaisseaux lymphatiques en
profondeur, aussi cet organe doit-il accomplir les mêmes tâches d’une autre
manière. La première étape consiste à déterminer si le transport des déchets
hors du cerveau s’effectue par flux passif ou par transport actif. Les déchets
s’évacuent-ils de la tête tout seuls ou bénéficient-ils de l’aide d’un système
de transport ?
Autre alternative : d’après certains chercheurs, le liquide sale s’évacue
hors du tissu cérébral en passant par la membrane qui recouvre le cerveau,
la dure-mère, pour atterrir dans le liquide cérébro-spinal. Une fois arrivés là,
les déchets poursuivent leur route sans aide et finissent par échouer dans
une veine ou un vaisseau lymphatique à proximité. Ils se retrouvent enfin
dans le foie, où ils sont découpés en menus morceaux. Mais les choses sont-
elles aussi simples, le cerveau est-il auto-nettoyant, ne dispose-t-il pas de
personnel de ménage ?
En 2013, la chercheuse danoise Maiken Nedergaard fit part à la
communauté scientifique d’une hypothèse selon laquelle le cerveau
bénéficierait d’une aide active au nettoyage. Nedergaard et ses collègues
remarquèrent que les déchets du cerveau étaient évacués à travers des tubes
entourant les vaisseaux sanguins. Le liquide coulait à travers ces tubes
depuis le centre du tissu cérébral jusqu’à sa surface. Le liquide était aidé par
des pompes situées dans des cellules nerveuses appelées cellules gliales.
Comme ces cellules gliales effectuent à peu près le même travail que celui
du système lymphatique ailleurs dans le corps, on parle de système
glymphatique.
Les chercheurs découvrirent par la suite que chez les animaux de
laboratoire, ce système glymphatique est plus actif durant le sommeil, et ils
en déduisirent que le sommeil est important pour éliminer du cerveau tous
les déchets dangereux et les neurotoxines. Ces résultats firent les gros titres
dans les médias, avec des représentations simples et élégantes de la façon
dont le cerveau élimine les déchets pendant que nous dormons.
« Cette hypothèse reste toutefois controversée. Le système glymphatique
a suscité de grandes polémiques dans le milieu scientifique », déclare
Rognes, qui voit là un bon exemple des différences de culture entre la
médecine et la mathématique inattaquable. Mais il convient de distinguer le
« vrai » d’une démonstration mathématique et le « vrai » d’une observation
soumise aux aléas de la méthode et de l’observateur.
Comprendre le système de nettoyage du cerveau devient encore plus
complexe lorsque l’on sait qu’il existe des vaisseaux lymphatiques à
l’intérieur du crâne. Au cours de l’été 2015, deux groupes de chercheurs
indépendants parvinrent à la conclusion que les vaisseaux lymphatiques
jouent eux aussi un rôle important dans le fonctionnement du cerveau. Les
deux équipes de chercheurs s’empressèrent de déclarer que leurs
découvertes constituaient une nouvelle avancée dans la cartographie
anatomique du cerveau, mais elles se heurtèrent aussitôt à l’opposition de
leurs collègues internationaux. Depuis que l’italien Paolo Mascagni a
cartographié l’ensemble du système lymphatique en 1787, nous savons qu’il
existe des vaisseaux lymphatiques à l’intérieur de la boîte crânienne.
L’existence de ces vaisseaux lymphatiques fut redécouverte et confirmée
par d’autres chercheurs en 1869, 1948, 1953 et 1996. Peut-être est-ce
l’absence d’archives PDF de ces anciens résultats de recherche qui fait que
les scientifiques de 2015 crurent avoir découvert quelque chose de neuf,
alors que la découverte avait déjà été faite ?
Les nouveaux examens anatomiques montrent que les vaisseaux
lymphatiques ne peuvent pas absorber le liquide du tissu conjonctif du
cerveau eux-mêmes. Une grande distance et plusieurs barrières empêchent
en effet le transport direct de l’intérieur du cerveau vers l’extérieur, où se
trouvent les vaisseaux lymphatiques. Les chercheurs se demandent malgré
tout si les vaisseaux lymphatiques à l’extérieur du cerveau ne peuvent pas
participer au nettoyage des déchets des cellules nerveuses après que le
système glymphatique a fait son travail.
Pour faire avancer la recherche, Marie Elisabeth Rognes applique les lois
physiques régissant la circulation des fluides et la prise en charge des
déchets dans le cerveau. Elle base ses modèles mathématiques sur les
données des patients et des expériences sur des souris, ainsi que sur les
données de volontaires en bonne santé acceptant d’entrer dans la machine
qui examine les flux de liquides dans la tête. Ces flux, en mouvement
constant, sont affectés par les battements du cœur et par les poumons.
Lorsque vous respirez, le cerveau et les gros vaisseaux sanguins qui
l’entourent se dilatent, et la pression crânienne augmente. Comme il ne
reste pas assez de place pour tout le liquide cérébro-spinal, une petite partie,
équivalente en quantité à un morceau de sucre, descend autour de la moelle
épinière. Quand vous expirez, ce liquide retourne dans la tête. Selon que
vous inspirez ou expirez, le liquide cérébro-spinal descendra ou montera
dans votre corps.
L’eau présente dans la tête ne reste jamais immobile. Les connaissances
sur les fluides corporels non plus.
1. N.D.T. : La théorie de la préformation est aujourd’hui abandonnée. Elle partait du principe que le nouvel être ne se « formait »
pas, mais préexistait, déjà formé, en entier et en très petit à l’état de germe soit dans l’œuf (ovisme), soit dans le spermatozoïde
(spermatisme).
3. LE SEXE
DU PORNO POUR VULGARISER
LA SCIENCE
Prenons l’exemple de Kari et Ola : ils sont en couple et ont des rapports
sexuels une ou deux fois par semaine. Le plus souvent, ils commencent par
un baiser lèvres contre lèvres, peut-être allongés sous la couette ou dans la
salle de bains. Ils sont peut-être en vacances ou peut-être s’agit-il d’un jour
tout à fait ordinaire. Ils s’embrassent et oublient où ils se trouvent. Elle
ouvre la bouche, lui sort sa langue. Au cours des dix secondes qui suivent,
Kari et Ola Nordmann échangent quatre-vingts millions de bactéries.

Un dernier baiser

Un jour d’été de 2012, vingt-et-un couples participèrent à une expérience


destinée à comprendre comment les bactéries passent d’une bouche à une
autre. Le chercheur néerlandais Remco Kort et ses collègues recueillirent
des échantillons de salive des couples avant et après un baiser intime de
dix secondes, avec la langue. L’équipe de chercheurs recourut à des
analyses d’ADN pour comparer la flore bactérienne entre les sujets de
l’expérience et constata, sans grand étonnement, que les deux personnes
d’un même couple avaient beaucoup de colonies bactériennes en commun
sur leurs langues.
On interrogea ensuite les sujets pour connaître le nombre de baisers
échangés au cours d’une journée. Les femmes répondirent en moyenne
qu’elles échangeaient environ cinq baisers de dix secondes par jour avec
leurs partenaires, tandis que les hommes affirmèrent embrasser leurs
petites-amies dix fois par jour. (Les scientifiques estimèrent que les
hommes exagéraient, se vantant d’un surcroît de virilité.)
Les chercheurs conclurent qu’un couple échangeant plus de neuf baisers
intimes par jour se transmettra suffisamment de bactéries pour que cela ait
des conséquences à vie sur leurs langues. Ils doivent s’embrasser souvent
parce qu’ils partagent des bactéries seulement sur une courte période. La
salive coule dans l’estomac et empêche de nouvelles bactéries de s’installer
dans la cavité buccale et sur la langue du ou de la partenaire.
Pour la suite de l’expérience, on fit boire un petit verre de yaourt à l’un
des membres de chaque couple. Encore un baiser, avec cette fois une langue
chargée de bactéries lactiques. Les chercheurs recueillirent alors un nouvel
échantillon de salive de la personne qui n’avait pas goûté directement au
yaourt et voulurent compter combien de bactéries du yaourt avaient réussi à
passer d’une bouche à l’autre.
Kort et ses collègues comptèrent donc les bactéries présentes dans la
bouche des destinataires avant et après le baiser et trièrent les bactéries
issues du yaourt. Ensuite, ils calculèrent la surface de la langue où les
bactéries pouvaient se fixer et la quantité de salive au yaourt transmise de
l’un à l’autre. Réponse : quatre-vingts millions de bactéries étaient passées
de Kari à Ola.
Le nombre variera d’une personne à l’autre, en fonction de la taille de
votre langue, du volume de salive que vous produisez et de votre habileté à
pratiquer la gymnastique de la langue. À moins que vous préfériez, par
sécurité, vous en abstenir complètement !
Il existe plusieurs théories sur les raisons qui nous poussent à nous
embrasser ; ces théories font partie d’un domaine d’étude appelé
filématologie, la science du baiser. Le « lèvres contre lèvres » a des
interprétations culturelles et religieuses allant de l’amitié et du respect
jusqu’à l’amour et l’attirance sexuelle. D’un point de vue évolutif, le baiser
ressemble dans une certaine mesure au rituel des oiseaux et des
mammifères consistant à mâcher à moitié la nourriture l’un pour l’autre,
avant de la cracher ou de la régurgiter dans la bouche d’un membre de la
famille. Cela semble plus dégoûtant que cela ne l’est en réalité.
D’autres théories suggèrent que le baiser permet à l’homme et à la femme
d’avoir un avant-goût d’un·e partenaire potentiel·le, et donc de vérifier
qu’ils sont compatibles pour fonder une famille. Les bactéries apportent
leur contribution en fournissant des substances chimiques qui donnent du
goût à la salive. Le goût de votre partenaire est en fait le goût des bactéries
qui se développent sur la langue et dans la cavité buccale de votre tendre
moitié.
Ola et Kari ne se laissent pas démonter pour autant et, par une interaction
coordonnée et intense, parviennent à activer la totalité des trente-quatre
muscles différents du visage. Ils penchent la tête prudemment sur le côté
pour s’adonner à un baiser encore plus profond. Ce baiser déclenche une
réaction en chaîne de toute une série de fluides corporels. Il se mijote
quelque chose.
Le pouls s’emballe, la température corporelle s’envole, et les hormones se
déplacent dans le sang, porteuses d’une bonne nouvelle : il va se passer
quelque chose de chouette ! Ils le sentent tous les deux entre les jambes, où
l’augmentation du flux sanguin provoque la croissance des organes
génitaux.

Le clitoris, un drôle de personnage

Le pénis d’Ola mesure environ 12 centimètres de long en érection. Selon


le chercheur David Veale du King’s College à Londres, Ola se situe un peu
en dessous de la moyenne, qui est de 13,12 centimètres. En 2014, Veale et
ses collègues passèrent en revue 17 études différentes répertoriant les
mensurations de plus 15 000 hommes dans le but d’établir ce qui est normal
en termes de longueur et de circonférence du pénis. La conclusion sur la
longueur moyenne d’un pénis en érection se base sur les données de
692 hommes seulement. La plupart des hommes étaient blancs. La moyenne
de 13 centimètres ne s’applique visiblement pas au monde entier.
Dans son livre sur les organes génitaux masculins, intitulé Bien dans son
slip, le docteur Volker Wittkamp décrit la section transversale du pénis
comme un smiley extraterrestre un peu triste. Dans la tige du pénis, on
trouve trois éléments que l’on appelle des corps spongieux, deux côte à côte
et un sur le dessous, autour de l’urètre. Cela a l’aspect d’une petite bouche
tournée vers le bas et de deux yeux, avec des vaisseaux sanguins en guise
de pupilles.
Pour provoquer une érection, il suffit généralement de toucher l’extrémité
du pénis et de penser au sexe, ou juste l’un des deux. L’érection est le
résultat du sang qui afflue dans les corps spongieux. Autour des vaisseaux
sanguins, on note la présence d’une mince couche de cellules musculaires,
qui doivent se relâcher pour que les vaisseaux puissent se dilater et apporter
un surplus de sang au corps spongieux. L’afflux de sang provoque une
augmentation de la longueur et de la circonférence du pénis. Tout ce sang
supplémentaire comprime et bloque les veines qui assurent habituellement
le transport retour du sang, l’empêchant de refluer. C’est l’arrêt complet. Le
pénis en érection d’Ola est la conséquence d’un sang qui a trouvé un
terminus provisoire.
Le sang afflue aussi dans les organes génitaux de Kari pour emplir les
corps spongieux du clitoris. La plupart des gens savent peu de chose sur
l’aspect du clitoris et son mode de fonctionnement. À cela, deux bonnes
raisons : la plus grande partie de cet organe est située à l’intérieur du corps
et l’anatomie féminine a été laissée de côté dans un domaine longtemps
régenté par les hommes. « Le clitoris, principale source de jouissance
féminine, est un secret bien caché, en contraste flagrant avec le pénis en
érection, dont le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne
passe pas inaperçu », écrivent Nina Brochmann et Ellen Støkken Dahl dans
Les Joies d’en bas.
Les hommes et les femmes ont un début de développement fœtal similaire
et la même structure fondamentale s’applique aux organes génitaux. Chez
les femmes, le clitoris est davantage que la tête du clitoris, que Brochmann
et Støkken Dahl comparent à un raisin sec. Le reste de l’organe peut
évoquer « Knerten », le personnage imaginé par l’autrice norvégienne
Anne-Cath. Vestly : de longs bras, un ventre assez court et des jambes
dodues. Derrière la tête en forme de raisin sec, l’organe se plie en arc avant
que les bras ne s’étendent obliquement vers le bas et que deux jambes un
peu plus épaisses n’encadrent l’ouverture du vagin. La tête, les bras et les
jambes de ce drôle de personnage sont tous trois des corps spongieux dont
la taille et la sensibilité augmentent lorsque le sang afflue.
Il n’y a pas de glandes dans le vagin, alors pour lui permettre de
s’humidifier, le liquide (de l’eau) passe à travers la paroi vaginale et entre
dans le vagin. Il se mélange au mucus du col de l’utérus et est similaire à la
sécrétion qui nettoie le vagin au quotidien, un mucus à base d’eau
s’écoulant du col de l’utérus, transparent et acide. L’acidité constitue une
défense utile contre les agents pathogènes.
Dans le mucus du vagin, on trouve à la fois des champignons et des
bactéries. Cette flore contribue au fonctionnement normal du corps. Si elle
connaît un déséquilibre, les symptômes sont faciles à reconnaître. Par
exemple, la présence d’un mauvais type de bactérie donnera des sécrétions
brunes ou gris foncé sentant le poisson pourri, et une poussée de
champignons indésirables peut avoir pour conséquence un écoulement
grumeleux aux effluves de camembert coulant.
Les déséquilibres dans le bas-ventre des femmes sont souvent dus à une
propension à insister sur l’hygiène intime. L’usage fréquent de savon et le
rinçage du vagin avec la pomme de douche créent plus de problèmes qu’ils
n’en résolvent. « L’écoulement vaginal est le savon interne du corps »,
constate le médecin norvégien Marius Johansen sur son site internet Sex og
samfunn [sexe et société].
Le fluide vaginal, acide, est nocif pour les spermatozoïdes, ces intrus
contraints de faire de leur mieux pour survivre. Les spermatozoïdes
reçoivent toutefois de l’aide, car au cours de la phase d’excitation, un
liquide pré-séminal (ou rosée du plaisir) sort du pénis. Chez certains
hommes, il ne s’agit que d’une petite goutte ; chez d’autres, c’est un flux
régulier.
Lors de son passage dans l’urètre, le liquide pré-séminal élimine les
résidus d’urine acides pouvant endommager les gamètes. Le liquide pré-
séminal contribue aussi à lubrifier le gland de façon à limiter le frottement
contre la paroi du vagin. Bien que ces gouttes ne soient pas le résultat d’une
éjaculation avec orgasme, il arrive que le liquide pré-séminal contienne un
petit nombre de spermatozoïdes de l’éjaculation précédente. Si le couple a
des rapports sexuels fréquents sur une courte période, il se peut que des
spermatozoïdes en faible nombre descendent durant le rapport sexuel, avant
même l’éjaculation, mettant à mal les stratégies de contraception naturelle
(retrait, etc.) parfois mises en place.

À la photocopieuse

Revenons-en à Kari et Ola. Ces derniers ont déjà eu des rapports sexuels à
de nombreuses reprises, alors on peut calculer qu’au cours de leur vie, ils
auront entre deux mille et trois mille rapports sexuels. Mais comment
savons-nous ce qu’ils font dans leur chambre à coucher, dans leur voiture,
dans leur chalet en vacances ou à la photocopieuse ?
Eh bien, parce que quelqu’un a étudié les habitudes sexuelles des gens.
Quelqu’un s’est donné la peine d’interviewer des milliers de personnes sur
leurs pratiques sexuelles, un travail colossal qui, dans les années 1940
et 1950, était quelque peu sujet à controverse. Quand, où et comment les
gens ont-ils des rapports sexuels ? Nous avons ainsi, grâce à
l’entomologiste américain Alfred Kinsey (1894-1956), pionnier de la
sexologie, une source quasiment inépuisable de connaissances sur le sujet.
Avec plusieurs collègues, Kinsey sillonna tous les États américains et
recueillit les propos de vieux, de jeunes, de gens mariés, de célibataires,
d’hétéros, d’homos et même d’asexuels. En 1948, parut son étude sur les
habitudes sexuelles des hommes, basée sur les interviews et les histoires de
12 000 hommes. Cinq ans plus tard, il publia une seconde étude sur les
habitudes sexuelles des femmes, dans laquelle 5 940 femmes firent part de
leurs expériences.
Les deux livres révélaient des pratiques sexuelles très variées qui
mettaient à mal l’idée tenace, à l’époque, d’une vie sexuelle standardisée.
« Il n’y a pas de norme de comportement sexuel qui soit typiquement
américaine », écrivit le journaliste américain Albert Deutsch dans l’article
qu’il rédigea au sujet de l’étude sur les femmes.
Kinsey et ses collègues recensèrent une grande diversité de
comportements, que ce soit chez les hommes ou chez les femmes –
notamment concernant les sources d’excitation, la fréquence des rapports
sexuels (que ce soit en solitaire ou avec un partenaire) et la différence entre
ce qui se passe avec ceux dont on tombe amoureux et ceux avec qui on a
simplement eu des expériences sexuelles. Ils observèrent aussi de grandes
variations dans l’évolution des habitudes sexuelles au cours d’une longue
vie, et dans ce qui pousse les hommes et les femmes à se mettre en quête
d’une partenaire. Bref : les gens sont différents !
Pourtant, les chercheurs ne renoncent toujours pas à leur besoin impérieux
d’analyser, de mesurer, d’étudier et de comprendre ce qui se passe dans et
avec un corps pendant l’acte sexuel. Kinsey, lui, souhaitait franchir une
étape supplémentaire et observer, analyser l’acte sexuel proprement dit. Il
n’osa cependant pas solliciter de financement pour ce genre d’expériences
ni effectuer ses recherches à son labo. La solution de repli, chez lui dans son
grenier, ne rebuta pas les trente couples qui se présentèrent pour être filmés.
Certains des volontaires se masturbèrent aussi devant la caméra, y compris
Kinsey lui-même.
Kinsey n’était toutefois pas le premier chercheur qui, pour des raisons
diverses, donnait de sa personne ou était excité, au sens littéral, par la
recherche sur les habitudes sexuelles. Dans les années 1890, le gynécologue
américain Robert Latou Dickinson (1861-1950) interrogeait ses patients sur
leur sexualité, en leur demandant des détails intimes sur leurs habitudes
sexuelles avant de les examiner. Certaines des réponses qu’il obtint
débordaient largement du cadre de ce dont il est habituel de parler avec son
médecin. Au début des années 1900, le psychologue américain John Watson
(1878-1958) décida de donner de sa personne pour aider la science. Avec
une étudiante de 19 ans répondant au nom de Rosalie Rayner, et qui plus
tard allait devenir sa seconde épouse, ils formèrent peut-être le tout premier
couple à participer à la fois en tant que chercheurs et cobayes. Les
enregistrements sonores et les notes de leurs expériences comptèrent
probablement pour beaucoup dans la procédure de divorce entre Watson et
sa première femme.
Dans Bonk, l’écrivaine américaine Mary Roach, née en 1959, explique
pourquoi autant de chercheurs qui se sont intéressés au à la sexualité ont
pris une part active à leurs projets de recherche. Non pas qu’ils fussent
pervers ou anormaux, mais il était alors à la fois difficile, gênant et risqué
d’inviter des personnes étrangères à avoir des rapports sexuels devant une
caméra. Dans les années 1940 et 1950, les découvertes de Kinsey se
heurtèrent à une forte opposition. En revanche, quelques décennies plus
tard, les mentalités conservatrices avaient évolué et les chercheurs osèrent
des expériences de plus en plus intimes et détaillées.
Imaginez cette scène du début des années 1960 : un homme et une femme
sont assis côte à côte sur un lit d’hôpital. Des murs blancs et des lampes au
plafond éclairent leurs corps nus, sur lesquels des capteurs sont fixés à la
tête, à la poitrine et aux organes génitaux, tandis que des fils électriques
sont reliés à des machines qui ronronnent et bipent. Une voix donne le feu
vert par haut-parleur et le couple commence à se caresser. Derrière une
glace sans tain se tient le duo de chercheurs américains William Masters
(1915-2001) et Virginia Johnson (1925-2013). Ils prennent des notes,
impatients de confirmer la nouvelle théorie selon laquelle un rapport sexuel
se décompose en quatre phases : excitation, plateau, orgasme et
normalisation.

En pleine conscience

Au cours du semestre écoulé, Ola et Kari ont renoncé à utiliser des


contraceptifs. Pour concevoir, le couple essaie d’avoir des rapports sexuels
réguliers, le mardi et le samedi, à moins d’être trop fatigués ou que cela ne
tombe sur les quatre jours où Kari a ses règles. Ils savent que cela prend
généralement beaucoup de temps avant que tout ne se mette en place. Le
couple se montre patient et persévère, bien que cela ne soit pas toujours le
même qui éprouve le plus de désir.
« Le désir des femmes vit avant tout dans la tête », écrivent Brochmann et
Støkken Dahl. Elles font référence à une étude de 2010 où la psychologue
canadienne Meredith Chivers et ses collègues étudièrent 132 articles de
recherche avant de conclure qu’hommes et femmes sont différents dans la
façon dont leur corps et leur tête connaissent l’excitation.
Des mesures objectives de pénis et de clitoris furent associées aux
réponses subjectives des participants sur leur degré d’excitation. Les
résultats furent sans appel : lorsque les hommes étaient en érection, ils se
sentaient généralement excités. Chez les femmes, il y avait beaucoup moins
de connexions entre le corps et la tête.
La variation entre les sujets de l’expérience était toutefois plus importante
que prévu et les résultats ne furent finalement pas tout à fait concluants. Les
expériences ayant des effets différents sur les hommes et les femmes, il est
difficile de tirer des conclusions. L’utilisation d’images et de vidéos variait
selon les études, et il y avait aussi de grandes disparités dans l’utilisation de
contenu érotique ou explicite. Le moment des évaluations subjectives de
l’excitation des sujets variait entre « pendant l’acte » et « après l’acte », et il
y avait également une différence quant au nombre de fois où un individu
pouvait participer à l’expérience. Alors forcément, des expériences
différentes aboutissent à la conclusion que les gens sont différents.
Les résultats des expériences de Meredith Chivers ont eux aussi été
controversés en leur temps. Il y est affirmé par exemple que si beaucoup
d’hommes ont une érection et pensent au sexe en voyant des vidéos mettant
en scène des femmes, ces dernières ne s’intéressent quant à elles guère au
membre viril des acteurs. Dans une étude, les femmes firent peu de cas d’un
homme nu faisant son jogging sur la plage, alors que dans une autre étude,
le flux sanguin s’accrut dans leur clitoris à la vision de singes ayant des
relations sexuelles.
Aujourd’hui, Meredith Chivers continue ses recherches sur les rapports
sexuels au département de psychologie de la Queen’s University. Elle invite
un large choix de personnes à contribuer à ses projets en se masturbant dans
une version américaine de fauteuil Stressless, portant le nom de La-Z-boy.
Ces dernières années, les articles scientifiques ont également traité de
l’excitation chez les personnes transgenres et chez les gens pratiquant le
sadomasochisme ou la méditation de pleine conscience dans ce fauteuil
confortable. Il est encore bien des choses que nous ignorons.
En revanche, Kari et Ola savent que c’est en forgeant qu’on devient
forgeron. Ils savent également que se préoccuper du plaisir de l’autre et
communiquer pendant l’acte donne une meilleure sexualité. Kari a une
main sur le pénis d’Ola, elle le guide en elle, d’un geste prudent et
expérimenté à la fois.
La première phase de l’accouplement, l’excitation, est passée, et le couple
est maintenant en route pour la phase suivante, le plateau. Pénis et clitoris
grossissent et connaissent une augmentation de leur sensibilité. Plus de
sang, plus de peau contre peau, plus de mouvements, de sentiments et de
pensées stimulants. Les frottements s’intensifient quand Ola enfonce son
pénis dans le vagin de Kari, encore et encore.
Ils transpirent, sourient et s’embrassent, s’envoient de plus en plus de
salive chargée de bactéries d’une bouche à l’autre, tandis qu’ils travaillent
en rythme à s’imbriquer plus étroitement l’un dans l’autre. Puis, en deux
coups de reins puissants, Ola envoie deux cents millions de spermatozoïdes
dans le vagin de Kari.

Gouttes précieuses

La provenance des spermatozoïdes a donné lieu à bien des spéculations.


« Je prétends donc que le sperme est excrété de tout le corps, des endroits
durs comme des endroits mous, et de toute l’humidité du corps », écrivit
Hippocrate il y a plus de 2 300 ans. Veines, nerfs, tubes et canaux étaient
selon lui regroupés dans les reins avant que le sperme ne transite par les
testicules et ne sorte par le pénis. Il faut reconnaître qu’Hippocrate était
plutôt à côté de la plaque, sur le plan anatomique.
Il ne s’en tint d’ailleurs pas là et ses expériences lui fournirent l’argument
dont il avait besoin pour expliquer que le sperme contenait les parties les
plus fortes du corps humain : « Quand nous avons eu des rapports sexuels,
nous sommes détendus, même si nous n’avons donné qu’un peu de notre
sperme. » En expliquant plus tard de quelle façon la force du sperme décide
si l’enfant sera un garçon ou une fille, Hippocrate apporta sa contribution à
2 000 ans d’oppression de la femme : « L’homme est plus fort que la femme
et il doit obligatoirement naître du sperme le plus fort. » Soucieux de la
santé publique, il affirma également : « En ayant des rapports sexuels avec
des hommes, [les femmes] sont en meilleure santé. Si elles ne le font pas,
leur santé devient moins bonne. »
Au milieu du XVIIe siècle, on crut que de tout petits hommes habitaient
dans les spermatozoïdes. Le développement rapide des microscopes donna
accès à un immense monde miniature constitué de sang, de tissus et de
micro-organismes. Dans leur empressement à répondre aux grandes
questions du moment grâce à leurs observations au microscope, certains
pensèrent que la présence d’un homme miniature dans les spermatozoïdes
expliquait de manière simple la présence du fœtus qui grandissait ensuite à
l’intérieur de la femme enceinte.
Le premier à observer des gamètes au microscope fut le commerçant et
savant néerlandais Antonie van Leeuwenhoek (1632-1723). « Ce que
j’examine, c’est seulement ce qui […] reste des rapports sexuels
conjugaux », écrivit-il à l’Académie des Sciences pour l’assurer qu’il ne
trempait pas dans une cochonnerie quelconque.
Si, comme van Leeuwenhoek, vous avez vu du sperme fraîchement sorti
d’un corps, vous avez peut-être observé que le liquide commence par se
coaguler et former des grumeaux visqueux. Au bout de quelques minutes, le
sperme devient fluide et transparent. Ces transformations doivent aider les
spermatozoïdes dans un premier temps à franchir le col de l’utérus, puis à
remonter jusqu’aux trompes de Fallope.
En dehors du corps, le sperme se comporte un peu comme du blanc d’œuf.
D’après Volker Wittkamp, l’eau froide est donc ce qu’il y a de mieux pour
enlever le sperme des poils pubiens (ou autres poils ou cheveux). Si vous
utilisez de l’eau chaude, le liquide coagulera pour donner des grumeaux
blancs et collants et rendra la tâche encore plus difficile. De plus, ces
gamètes sont prodigieusement nombreux.
Une éjaculation libère en moyenne autant de gamètes que la population
entière des États-Unis. Collectivement, ils transportent 1 500 téraoctets
d’informations. En plus des spermatozoïdes, l’éjaculat contient un grand
nombre d’autres fluides provenant de différentes parties du bas-ventre de
l’homme.
Le liquide prostatique contient en effet des nutriments, dont les gamètes
ont besoin pour survivre, et des enzymes qui, dans un premier temps,
agglomèrent le sperme avant de le rendre fluide. Deux glandes, chacune de
la taille d’un petit pois et situées juste au-dessous de la prostate, produisent
un liquide visqueux. Associées à la prostate, ces glandes minuscules
fabriquent aussi un fluide qui neutralise l’acidité du vagin. Les vésicules
séminales, deux glandes de cinq centimètres de long placées juste
en dessous de la vessie, sécrètent les nutriments importants pour les
spermatozoïdes, comme le fructose et la vitamine C. Certains enzymes
proviennent également des vésicules séminales, qui produisent la
prostaglandine pour stimuler les contractions musculaires dans le vagin,
nécessaires à la progression des gamètes vers l’ovule.

Les billes d’un gentleman


Avant d’arriver dans l’utérus, les spermatozoïdes ont déjà pas mal vécu. Il
s’est en effet écoulé plus de deux mois depuis le début de la production, au
tréfonds des testicules. Des cellules rondes comme des billes reçoivent le
message de la testostérone et commencent à se diviser pour,
progressivement, adopter la forme de têtard qui les caractérise. La molécule
qui contient l’information génétique, l’ADN, est située dans la tête, tandis
que le moteur dans la queue gère les mouvements du long flagelle. Tous se
tiennent épaule contre épaule et se poussent les uns les autres dans un
liquide sécrété par des cellules auxiliaires du testicule.
Mais un testicule est bien plus complexe qu’un simple jeu de billes. En
haut et en bas, le long de la partie arrière de chaque testicule, se trouve
l’épididyme, une station de maturation et de stockage des spermatozoïdes.
L’épididyme contient lui-même un tube de six à sept mètres de long, replié
sur lui-même sur quelques centimètres seulement, tapissé de cils et rempli
d’un liquide (ou plasma épididymaire). Chaque gamète produit par le
testicule doit être transporté à travers ce tuyau interminable, tandis qu’il
mûrit en chemin. Des centaines de millions de spermatozoïdes font la queue
et attendent leur tour.
Vue de l’extérieur, la distance entre les testicules et la racine du pénis peut
paraître assez courte, mais quand Ola éjacule, les spermatozoïdes font un
détour long de quarante centimètres. Les contractions musculaires
propulsent les gamètes d’abord vers le haut, puis sous la vessie et enfin
l’urètre avant l’éjaculation.
Dans les années 1950, bon nombre de médecins prétendaient que la force
de l’éjaculation avait une incidence sur la fertilité. Ils affirmaient que les
spermatozoïdes chanceux étaient projetés comme des plombs de chasse
jusque dans l’utérus, droit vers un ovule qui les attendait. Kinsey, lui, en
était moins convaincu.
Pour se mettre au travail de façon scientifique, Kinsey ambitionna de
filmer deux mille hommes en train de se masturber. Il ne trouva que
trois cents volontaires, mais le résultat fut tout de même tel qu’il l’avait
imaginé : un énorme gâchis. Chez les trois quarts des hommes, le sperme
n’était pas projeté avec force, mais coulait plutôt vers le sol. Pour le reste
des hommes, la semence n’était pas projetée à plus de cinquante centimètres
sur le drap qui recouvrait le plancher, même s’il y eut un record : un jet de
presque deux mètres et demi !
Quelque chose qui n’a pas du tout d’équivalent

Comme cela arrive parfois, l’orgasme d’Ola déclenche celui de Kari. Elle
ressent des picotements dans tout le corps, des contractions dans le bas-
ventre et une sensation chaude de plaisir. D’autres fois, Kari peut avoir
plusieurs orgasmes de suite, et une fois de temps à autre, il lui arrive même
d’éjaculer. Les premières fois, Kari et Ola furent tous deux surpris de voir
des gouttelettes sortir de l’urètre féminin. Cette mythique éjaculation
féminine n’est pas de l’urine, comme beaucoup le croient. Sa consistance,
son odeur et son goût n’ont rien à voir, bien que l’origine et la fonction de
ce fluide féminin ne soient pas encore complètement analysées.
Cette fois-ci, c’est terminé, sans orgasmes en série ni orgasme fontaine.
Kari sent que le pénis devient mou, lui qui pourtant quelques secondes plus
tôt était tout dur. Ola est extrêmement sensible après l’orgasme et il n’arrive
pas à rester en elle. Ils ont alors atteint la quatrième phase de
l’accouplement, la normalisation, et le sang regagne sa place dans le corps.
Étendus sur le dos, côte à côte, tous deux sont essoufflés et transpirent.
Les spermatozoïdes ayant échoué dans le vagin de Kari, ont déjà entamé
la compétition féroce dont plus de 99,9 % sortiront perdants. Quant au
vainqueur, un long et éprouvant parcours l’attend. Mais vers où doit-il
nager ?
Dans son livre Sperm Wars : Les secrets de nos comportements amoureux,
le biologiste évolutionniste Robin Baker décrit une tentative de filmer
l’intérieur de volontaires pendant l’accouplement. Pour ce faire, le
chercheur fixa une caméra à fibre optique sur la face inférieure du pénis
juste avant le rapport sexuel. La caméra capta l’accouplement comme si elle
était le pénis et les observateurs ne furent pas au bout de leurs surprises.
Le vagin n’est pas un canal ouvert ou un cylindre ouvert plein d’air. Au
lieu de cela, les parois humides sont très rapprochées, disons comme un
tuyau d’incendie vide. Lorsque l’homme pénètre la femme avec son pénis
caméra, les deux parois se séparent, et on peut voir l’extrémité du vagin
comme un mur aveugle. Quand l’homme retire son pénis, le vagin se
referme.
Grâce au pénis caméra, les chercheurs virent apparaître, au fur et à mesure
que le rapport sexuel avançait, le col de l’utérus, formant comme une
ouverture au fond du vagin. Tout au long des rapports sexuels, le col de
l’utérus changea de forme et se distendit vers le bas, vers le plancher de
l’utérus. Lorsque l’homme éjacula, le sperme s’accumula comme une
flaque à l’intérieur du vagin.
Les spermatozoïdes ayant quelque espoir d’atteindre un ovule doivent se
hâter d’entrer en contact avec le col de l’utérus. Baker utilise une
métaphore : « Imaginez que le col de l’utérus est comme une trompe
d’éléphant qui plonge dans une grande flaque de sperme », écrit-il. Seule
environ la moitié des spermatozoïdes parviendront à entrer en contact avec
le col de l’utérus et progresseront vers le haut. L’autre moitié devra ressortir
en suivant le même chemin qu’à l’aller, c’est-à-dire à travers le vagin.
L’une des raisons qui font que Baker porte autant d’attention au col de
l’utérus, c’est le mucus que produisent ses cellules : la glaire cervicale. Il
qualifie cela de wonderful stuff, quelque chose sans équivalent.
Les sécrétions du col de l’utérus contrôlent ce qui entre dans l’utérus et ce
qui en sort. Les bactéries et les parasites se voient barrer l’accès, tandis que
le sang des règles a un droit de passage une fois par mois. Les gamètes,
mauvais nageurs, restent englués, tandis que les plus sains et rapides
parviennent à nager librement. Dans son ouvrage Le Premier mystère,
Katharina Vestre dépeint cela en termes élégants : « Le paysage entourant
les spermatozoïdes n’est ni limpide ni hospitalier. Il n’est pas sans rappeler
une forêt envahie par la végétation, pleine de broussailles chaotiques et de
voies sans issue. »
Certaines recherches indiquent que la glaire cervicale peut aider à
sélectionner les spermatozoïdes. Ce qui est sûr, c’est que les mauvais
gamètes trouvent porte close. Neuf mois plus tard, si la fécondation a eu
lieu, un bébé de cinquante centimètres passera par ce même canal
bien lubrifié.

Droite ou gauche ?

Les spermatozoïdes réussissant à traverser le col, doivent ensuite franchir


l’utérus. Ils parcourent environ cinq millimètres par minute à la nage et
n’ont pas besoin, en théorie, de plus de dix minutes pour nager du bas
jusqu’en haut de cet organe gros comme le poing. Dans les faits, il est
difficile de mesurer combien de temps cela prend. Grâce à des expériences,
nous savons néanmoins que des spermatozoïdes sont déjà présents dans les
trompes de Fallope, en haut de l’utérus, après trente à soixante minutes. Des
contractions musculaires dans l’utérus facilitent leur progression. Ce sont
ces mêmes muscles qui expulsent le sang des règles.
Au sommet de l’utérus, se trouvent deux tubes de douze centimètres de
long, dont la forme évoque une moustache en guidon de vélo inversé. L’un
des tubes récupère chaque mois un ovule fraîchement mûri dans l’un des
ovaires. Le nouvel ovule dispose de vingt-quatre heures seulement pour être
fécondé, alors il faut que les spermatozoïdes soient présents au bon endroit
au bon moment. Mais où se trouve l’ovule ? À droite ou à gauche ?
Les gamètes doivent faire un choix. S’ils ont de la chance, ils trouveront
l’ovule. Mais même s’ils optent pour le bon ovaire, il n’est pas non plus
certain que l’ovule, lui, soit prêt. Et si l’ovule a déjà entamé sa descente, les
spermatozoïdes n’ont que peu de temps devant eux.
Grâce à des expériences d’imagerie avancée aux rayons X à l’intérieur de
l’utérus de femmes connaissant des problèmes de fertilité, nous savons que
pour s’assurer que les gamètes seront dans le bon tube au bon moment,
l’ovule leur envoie un message via le liquide circulant à l’intérieur de
l’ovaire. Les chercheurs eurent tout d’abord recours à l’échographie pour
déterminer lequel des deux ovaires était le plus près de libérer un ovule
mature. Puis ils injectèrent des « grumeaux » radioactifs inoffensifs
d’albumine protéique, faisant environ la taille des spermatozoïdes. Au cours
des quatre heures suivantes, les scientifiques prirent des photos à intervalles
réguliers pour voir où se déplaçaient ces « grumeaux » de protéine, et ils
constatèrent qu’ils se dirigeaient systématiquement vers la trompe contenant
l’ovule mature.
Lorsque les chercheurs ajoutèrent une hormone appelée ocytocine dans le
sang des sujets, la quantité de grumeaux de protéines augmenta dans les
trompes qui continrent bientôt un ovule prêt à être fécondé. Les
scientifiques en déduisirent que l’ovaire contenant l’ovule du mois contrôle
un signal dans les trompes qui aide les gamètes à choisir le bon chemin vers
leur cible.
Cela étant, même s’ils choisissent la bonne trompe, ils ne sont pas encore
tirés d’affaire. Par chance, les spermatozoïdes ont la faculté de survivre un
certain temps (d’un à plusieurs jours) à l’intérieur du corps de la femme. Où
les spermatozoïdes se cachent-ils en attendant l’ovule ? C’est encore un
mystère.
Les trompes représentent un paradis pour les gamètes, mais le vagin, le
col de l’utérus et l’utérus attirent quant à eux des cellules immunitaires qui
traquent et éliminent autant de spermatozoïdes qu’elles le peuvent. En
revanche, une fois bien installés au fond des trompes de Fallope, les
gamètes sont en sûreté.
Mais où séjournent les spermatozoïdes ? Chez nous autres humains, leur
salle de repos est toujours un secret anatomique bien gardé. Chez les
hamsters, les porcs et les moutons, des poches dans les trompes de Fallope
sont spécialement conçues pour conserver les spermatozoïdes et veiller sur
eux. Chez certaines chauves-souris, les gamètes sont stockés pendant
plusieurs mois avant de féconder un ovule. Les sangliers, les chameaux et
les oiseaux possèdent, eux aussi, des stations de stockage similaires, ce qui
explique que ces animaux soient des hôtes prisés des laboratoires de
chercheurs en insémination. Chez les êtres humains, nous savons
étonnamment peu de chose sur la façon dont les spermatozoïdes parcourent
les derniers centimètres qui les séparent de l’ovule.
Garder des spermatozoïdes en réserve dans les trompes de Fallope fait que
seul un petit nombre d’entre eux atteint l’ovule. De cette façon, les chances
de voir deux gamètes féconder simultanément l’ovule sont réduites.
Le mucus des trompes de Fallope ne reste pas inactif durant ce processus,
fournissant nutriments et informations aux gamètes. On trouve autour des
trompes deux jeux de muscles, à peu près comme dans l’intestin, et des
stéréocils, à l’intérieur, qui poussent le mucus vers le bas, vers l’utérus.
Cela ressemble à une jungle sous-marine où les courants font glisser l’ovule
vers le bas, tandis que les spermatozoïdes, eux, doivent nager à contre-
courant.
Si tout se passe bien, un ovule et quelques spermatozoïdes − une centaine
environ, sur les centaines de millions de gamètes qui participaient au
départ −vont se rencontrer, non loin de l’ovaire.

Bingo !

Kari est au travail où elle prépare une importante réunion. Elle ne le sait
pas, mais dans son corps, les deux cellules qui deviendront le nouveau-né se
rencontrent.
L’ovule est protégé par une membrane visqueuse que les spermatozoïdes
doivent s’efforcer de traverser. Le premier gamète qui atteint l’ovule appuie
sa tête contre la membrane de l’ovule et les deux fusionnent. Le contact
entre les deux membranes envoie également un signal à l’extérieur de
l’ovule pour empêcher de nouveaux spermatozoïdes de suivre le
mouvement. La route est barrée et pour les 99 gamètes restés à l’extérieur,
c’est « game over ». Le vainqueur rafle la mise !
Les vingt-trois chromosomes du spermatozoïde et les vingt-
trois chromosomes de l’ovule vont constituer le matériel génétique du futur
bébé. L’ovule fécondé se déplace lentement vers le bas de la trompe de
Fallope, d’où vient le gamète ; c’est à ce moment que commence la division
cellulaire. Lorsque l’ovule fécondé arrive dans l’utérus, environ
une semaine plus tard, il a l’aspect d’une framboise, avec sa centaine de
cellules. Le grumeau se cramponne à la paroi de l’utérus et lance des
messages annonçant que quelque chose de nouveau est en cours. Quand le
fœtus atteint vingt-deux jours, son cœur se met à battre.

Branchements pirates

Au bout de seize semaines, le fœtus commence à avaler le liquide


amniotique qui aide à ce que l’intestin se développe normalement. Plus tard,
le fœtus urine dans l’eau de son bain. Le liquide amniotique permet aussi à
l’enfant de grandir et de se déplacer librement, protégé du bruit et des coups
du monde extérieur.
Pour l’approvisionner en oxygène, le sang du fœtus ne prend pas
l’itinéraire habituel à travers les poumons, mais effectue un détour par le
cordon ombilical. Ce cordon ancre le fœtus au placenta et à cet endroit, les
vaisseaux sanguins de la mère et de l’enfant sont si proches que l’oxygène
et le dioxyde de carbone peuvent circuler de l’un à l’autre. La mère
fonctionne comme un poumon extérieur pour le fœtus et, en plus de lui
fournir de l’oxygène, elle l’alimente en sucre et tous les échanges (en bien
ou en mal) se font via la barrière placentaire.
Pour s’alimenter en oxygène, l’embryon dispose de quelques raccourcis
élégants dans et autour du cœur, puisque le sang riche en oxygène de la
mère (venant du cordon ombilical) entre par le côté droit de son cœur. Chez
le fœtus comme chez l’adulte, chaque moitié du cœur est divisée en une
oreillette et un ventricule, mais le fœtus dispose de quelques branchements
pirates !
Le premier de ces branchements, ou raccourcis, est situé dans l’oreillette
droite, où la plus grande partie du sang du cordon ombilical passe
directement dans l’oreillette du côté gauche du cœur, évitant ainsi de passer
par les poumons et utilisant au lieu de cela un orifice entre la partie droite et
la partie gauche du cœur. Le sang riche en oxygène est désormais au bon
endroit, prêt à être pompé dans tout le corps par la moitié gauche du cœur.
Chez le fœtus, l’oreillette droite accomplit donc deux missions en même
temps, car le sang usé en provenance de la tête et du haut du corps entre lui
aussi par ce côté du cœur. Mais contrairement au sang du cordon ombilical,
ce sang pauvre en oxygène est envoyé ensuite dans le ventricule droit du
cœur, contrairement au sang riche en oxygène qui, comme nous l’avons vu,
est envoyé directement dans le côté gauche.
Mais il ne faut pas longtemps avant que le sang pauvre en oxygène
n’emprunte un nouveau raccourci. Au lieu de suivre le chemin conduisant
aux poumons, le sang est redirigé vers le vaisseau sanguin sortant du côté
gauche du cœur. De là, le sang passe par le cordon ombilical et ressort dans
le placenta pour aller s’y recharger en oxygène.
Les raccourcis se referment à la naissance ; ce processus se produit de lui-
même en raison de grands changements de pression dans le cordon
ombilical et dans les poumons. Mais le développement du fœtus ne se
déroule malheureusement pas toujours normalement, comme nous allons le
voir.

Un bébé dans un sac plastique

L’eau dans les poumons, qui pour les adultes peut être un symptôme grave
de maladie cardiaque aiguë, est tout à fait indispensable pour le bébé dans le
ventre de sa mère : elle contribue au développement normal des cellules
pulmonaires. En revanche, le développement in utero peut s’arrêter net si de
l’air s’infiltre.
Respirer trop tôt peut se traduire par des défis considérables et durables
pour les enfants nés prématurément. Une grossesse normale dure
quarante semaines, mais parfois les enfants naissent alors qu’ils ne sont
qu’à la moitié de leur développement. Après vingt semaines seulement, il
est trop tôt pour que l’enfant respire de l’air. Dans l’idéal, les enfants
prématurés devraient continuer à baigner dans un liquide pendant encore
quelques mois.
Dans le laboratoire de recherche d’Emily Partridge, chirurgienne
pédiatrique à l’hôpital pour enfants de Philadelphie, se trouve une sorte de
récipient transparent avec des valves et des fils électriques. À l’intérieur, il y
a un agneau vivant, mais encore à naître. Dans les vidéos qui accompagnent
l’article de recherche paru au printemps 2017, on peut voir un agneau qui
rêvasse et gigote à l’intérieur du sac plastique transparent.
Partridge et ses collègues utilisent des fœtus de moutons pour leurs
recherches, des agneaux qui, normalement, naissent au bout de 145 jours
(chez les êtres humains, le développement du fœtus dure environ 280 jours).
Pour leurs expériences, ils récupèrent des fœtus de moutons après environ
100 jours et les laissent terminer leur développement dans le sac au
laboratoire. Pour éviter que le liquide amniotique artificiel ne soit
endommagé par des bactéries, le sac est une chambre stérile fermée par un
zip. Le cœur de l’agneau pompe le sang du cordon ombilical à travers un
filtre à air et retourne dans son corps, exactement comme à l’intérieur de sa
mère.
La technologie demande encore quelques années de développement avant
de pouvoir aider les bébés très prématurés, nés entre la 22e et la
26e semaine. Les scientifiques sont bien conscients que leurs recherches ne
leur permettent d’améliorer que la situation des enfants nés après la
22e semaine. Mais que se passera-t-il quand un tel sac leur permettra de
sauver des fœtus âgés de 15 semaines, des fœtus encore soumis aux limites
de l’avortement médical ?
Cette recherche a aussi un côté futuriste, lorsqu’on imagine un ovule
fécondé se développant et devenant un bébé dans un utérus artificiel
pendant neuf mois.
En attendant, ce sont les femmes qui doivent porter le poids du
développement fœtal, et pour Kari, qui en est maintenant au septième mois,
le fœtus pèse un kilo et demi. Pendant ses mois de grossesse, elle n’a pas
ses règles. Les cycles hormonaux, qui d’habitude contrôlent son corps par
tranches de 28 jours, sont remplacés par un signal de l’utérus. Elle a un
excès d’eau dans ses jambes enflées, un bébé qui lui comprime
constamment la vessie et une envie irrésistible de soda et de chocolat.
Heureusement, il ne reste que deux mois à patienter.
Un jour, sept semaines plus tard, elle sent quelque chose d’humide entre
ses jambes. La poche des eaux s’est rompue.
4. LA NOURRITURE
NAISSANCE FLOTTANTE
« Nous savons presque deux fois plus de choses sur les problèmes
d’érection que sur le lait maternel », affirme la chercheuse américaine Katie
Hinde. Le manque de connaissances sur la nourriture et les fluides corporels
peut avoir de graves conséquences et laisser un goût amer : au menu, du lait
cru, du boudin, de la masse cérébrale et du placenta.

Mystère de la vie

Le bébé dans le ventre de Kari s’est positionné la tête en bas, prêt à


découvrir le monde. Le raz-de-marée du liquide amniotique, autrement dit
la perte des eaux, marque le début d’une tornade de sensations, de
contractions musculaires, de douleurs et de joie. Kari est en plein travail
tandis qu’Ola la soutient du mieux qu’il peut. Du sang, de la sueur et des
larmes, et puis un bébé. Le petit Marius fait son entrée dans le monde en
poussant un hurlement, prêt à explorer. Mais tout d’abord, un téton avec du
lait chaud.
Un bébé qui tète au mamelon active des cellules nerveuses sensibles à la
pression chez la mère, des signaux électriques qui pénètrent dans la moelle
épinière et remontent jusqu’à sa tête. Les pleurs de l’enfant parviennent
aussi au cerveau. Il se passe ensuite deux choses : l’hypophyse sécrète une
hormone appelée prolactine, qui stimule la vingtaine de glandes dans
chaque sein pour produire du lait, ainsi que de l’ocytocine, une hormone qui
active les cellules musculaires situées autour des glandes mammaires.
Lorsque les muscles se contractent, la pression augmente dans les glandes,
et le lait jaillit du sein dans la bouche du bébé.
Les premiers temps après la naissance, le lait contient environ 4 % de
matières grasses et énormément de protéines. Chez les êtres humains, on
donne au premier lait le nom de colostrum, tandis que l’équivalent chez la
vache se voit simplement qualifié de lait cru. En plus des nutriments dont
l’enfant a besoin pour sa croissance, le premier lait renferme également des
éléments des défenses immunitaires de la mère, des anticorps sécrétés dans
le lait qui sont absorbés dans l’intestin du bébé.
Le lait maternel contiendra lui aussi des cellules vivantes de défenses
immunitaires, un cadeau fluide de la mère à l’enfant. Durant les premières
semaines, le bébé est protégé contre les infections par les défenses
immunitaires de la mère, mais au fil du temps, le lait maternel aide le bébé à
développer ses propres muqueuses et stratégies défensives. Au bout de
trois semaines à peu près, la mère fabrique ce que l’on appelle le lait
maternel mature.
Lait maternel, allaitement et aliments pour nourrisson : cette industrie
pèse des milliards et fait l’objet de débats acharnés. Les questions sont
légion : comment faire pour que son bébé tète mieux ? Combien de mois
doit-on allaiter et quand est-il temps d’arrêter ? L’absence d’allaitement a-t-
elle des conséquences pour l’enfant ? Qu’est-ce qui est le mieux pour
remplacer le lait maternel ? Combien de temps une femme pourrait-elle
survivre en buvant son propre lait ?
Commençons par la dernière question : selon un scénario hypothétique, le
personnage principal, une femme qui vient d’avoir un enfant, a décidé de se
promener dans un désert. D’après le zoologue Petter Bøckman du Musée
d’Histoire Naturelle d’Oslo, le mieux serait de ne pas produire de lait
maternel du tout, car le rendement énergétique obtenu en buvant du lait est
nettement inférieur à l’énergie consommée pour en produire… La femme
en question manquera donc plus rapidement de forces si elle demande à son
corps d’utiliser de l’énergie supplémentaire pour produire le lait maternel.

Avenir liquide

Si l’Organisation mondiale de la Santé ne donne aucune directive pour les


femmes qui veulent boire leur propre lait maternel, elle conseille toutefois
aux jeunes mamans d’allaiter leurs enfants dans l’heure suivant la
naissance. Les six premiers mois, le bébé ne doit boire que du lait maternel,
qui sera ensuite combiné à d’autres aliments jusqu’à deux ans ou plus. La
Direction générale de la Santé, en France, donne le même conseil, tout en
précisant que des adaptations peuvent s’avérer nécessaires.
Les femmes produisant trop de lait peuvent en donner dans des banques
du lait. D’autres choisissent d’utiliser un substitut du lait maternel au lieu
d’allaiter, un choix qui reflète ce qu’elles pensent être le mieux pour elles-
mêmes et le bébé. Bien que ce choix soit personnel, les femmes sont malgré
tout confrontées à l’idée dominante que « le sein, c’est plus sain ».
Ceux qui défendent bec et ongles la pratique de l’allaitement pensent que
dans la mesure où l’alimentation que reçoit l’enfant dans les six premiers
mois a des conséquences pour le reste de sa vie, les femmes doivent penser
à ce qui est mieux pour le bébé, plutôt que pour elles. Mais que savons-nous
vraiment des effets à long terme du non-allaitement ?
Selon certains chercheurs, le lait maternel peut diminuer le risque pour
l’enfant d’avoir de l’asthme, un cancer du sang, un surpoids et du diabète. Il
semble que ce résultat soit statistiquement valable pour de grands groupes
d’enfants, mais il reste difficile de traduire les statistiques au niveau
individuel.
En 2015, un groupe de scientifiques brésiliens affirma que le lait maternel
pouvait rendre les enfants plus intelligents et plus riches. Les chercheurs
recueillirent les données d’environ 3 500 Brésiliens adultes et les
recoupèrent avec des informations collectées auprès de leurs mères dans les
années 1980. On questionna les mères sur leur éducation, les finances
familiales et la durée d’allaitement de leur bébé, et trente ans plus tard, on
interrogea les enfants sur leur éducation, leurs revenus et leur QI. Des
études similaires furent aussi menées au Danemark, en Grande-Bretagne et
en Nouvelle-Zélande.
La différence entre les enfants ayant été allaités moins d’un mois et ceux
qui l’avaient été plus de six mois se traduisait trente ans plus tard par
presque quatre points de QI et 75 euros de plus pour le salaire mensuel. Ces
résultats furent publiés dans The Lancet, une revue médicale prestigieuse.
« Le lait maternel rend le monde plus sain, plus intelligent et plus
équitable », écrivaient les auteurs de l’article en 2016, tout en soulignant
que l’allaitement peut sauver 823 000 enfants et 20 000 mères par an. Les
effets les plus marquants sont perceptibles dans les pays pauvres où seul un
petit nombre de nouveau-nés est allaité pendant plus de six mois. Les
avantages financiers des mesures de santé publique sont eux aussi non
négligeables.
Les critiques soulignent néanmoins qu’il est difficile de distinguer l’effet
d’un allaitement de six mois de l’effet de grandir dans une famille riche et
bien éduquée, car les femmes riches et bien éduquées sont celles qui
allaitent le plus souvent. Et un peu moins de quatre points de QI, est-ce
déterminant pour la qualité de vie d’un individu ?
Les études sur jumeaux, même si c’est un classique pour la recherche de
cause à effet dans une longue vie, sont la meilleure façon d’enquêter sur les
effets de l’allaitement. Toutefois, il est assez rare que des jumeaux
grandissent dans la même famille et qu’un seul soit allaité. En revanche, il
existe de nombreux exemples où des frères et sœurs sont nourris l’un au
sein et l’autre avec des substituts, même si les comparaisons restent
difficiles à interpréter. Les familles avec deux enfants, dans lesquelles seul
l’un des deux est allaité, ont particulièrement retenu l’attention de la
sociologue Cynthia Colen de l’Université d’État de l’Ohio.
Avec son collègue David Ramsey, elle passa en revue vingt-cinq ans de
données sur 8 000 enfants issus de 4 000 familles. Ensemble, ils analysèrent
l’effet des substituts du lait maternel sur l’indice de masse corporelle, le
surpoids, l’asthme, l’hyperactivité, la relation avec les parents, le
comportement, le vocabulaire, les connaissances en mathématiques, les
souvenirs et la réussite scolaire. Dans un premier temps, ce fut le lait
maternel qui s’en tira le mieux : en moyenne, les enfants ayant été allaités
obtinrent de meilleurs résultats à dix tests sur onze.
Cependant, l’avantage statistique disparut quand les chercheurs
comparèrent deux frères et sœurs dont l’un avait été allaité et l’autre nourri
avec des substituts. Colen et Ramsey pensent donc que l’effet positif de
l’allaitement vient des conditions financières et culturelles des mères, et non
pas du lait maternel lui-même. Autant dire que les débats sur les effets du
lait maternel sont loin d’être clos !
Bien que l’effet potentiel du lait maternel puisse être d’augmenter
l’intelligence, le lait maternel ne figure en général pas au menu des hommes
et femmes adultes.
La crème glacée « Baby Gaga » fait partie des curiosités culinaires à base
de lait maternel. Conçue par Matt O’Connor en 2011, cette crème glacée
contenait 75 % de lait maternel et 25 % de crème issue de lait de vache. Le
lait maternel venait de quinze donneuses et cette crème glacée exclusive,
créée à Londres, était aromatisée à la vanille de Madagascar avec des zestes
de citron.

Fête du lait dans l’estomac

De nombreux Norvégiens aiment le lait. Du lait au petit-déjeuner, au


déjeuner et au dîner. Du lait chaud avec du miel, du lait froid après
l’exercice, du lait écrémé au quotidien, du lait entier le dimanche. Le lait a
toujours été une partie importante de la culture norvégienne.
Originaire du sud de la Norvège, ma grand-mère avait reçu une formation
de sage-femme et d’enseignante et croyait fermement aux vertus du lait
chaud pour calmer les nerfs des jeunes enfants. Bois ça, disait-elle en me
tendant une bouteille de lait entier tiède avant que je ne prenne part à un
concours de musique, ou lors d’un trajet en bus de deux heures sur des
routes sinueuses de l’ouest du pays.
Pour beaucoup, cependant, le lait n’est pas synonyme de paysages
idylliques avec des vaches dans des fermes norvégiennes, mais plutôt de
maux de ventre. De l’air dans le gros intestin, des maux d’estomac et des
pets sonores et humides sortant du rectum. Ces derniers ne supportent pas le
lait, et ont ce qu’on appelle une intolérance au lactose.
La voyelle qui différencie les mots lactase et lactose indique aux
chimistes que le premier est une enzyme, c’est-à-dire une protéine, et le
second un sucre. Dans les muqueuses de l’intestin grêle, l’enzyme fait son
travail et décompose le lactose en deux sucres simples : glucose et
galactose, que les cellules intestinales absorbent pour produire de l’énergie.
Toutefois, les deux tiers de la population mondiale adulte, notamment la
plupart des Asiatiques, des Africains et des Européens du sud, ne produisent
que peu ou pas de lactase. Une partie du lactose est alors anormalement
dégradée dans le côlon, ce qui génère des ballonnements et des diarrhées.
D’un point de vue évolutif, il n’est pas prévu que les adultes boivent du
lait, qu’il s’agisse de lait maternel ou de lait de vache. Il y a 200 000 ans, au
début de l’histoire d’Homo sapiens, les mères n’arrivaient pas à fournir à
tous leurs enfants les litres de lait nécessaires chaque jour. Résultat : à partir
de trois ans environ, les enfants se nourrissaient d’autre chose que de lait
une fois leur allaitement terminé, et ils cessaient alors de produire de la
lactase. C’est un processus normal. L’exception, c’est plutôt que des adultes
boivent du lait au petit-déjeuner sans avoir mal au ventre.
Mais d’où vient cette exception ? La tolérance au lactose, qui fait
qu’Européens du Nord et Américains boivent chacun jusqu’à cent litres de
lait par an, est un exemple d’évolution récente chez les êtres humains. Un
beau jour apparut une mutation qui fit qu’une personne adulte supporta de
boire du lait de vache et cette personne eut un enfant doté de la même
capacité. La famille n’eut pas de diarrhée à cause du lait et elle eut de plus
grandes chances de survivre que celles qui ne pouvaient pas en boire. Au
bout de bien des générations, la mutation devint la nouvelle normalité. Du
lait pour tous. À la vôtre !
Cependant, l’histoire n’est pas aussi simple. Le moment de l’apparition de
la mutation fait débat et les hypothèses varient entre 2 000 et 20 000 ans.
Certains pensent que cela s’est produit en Hongrie, d’autres font référence à
des analyses d’ADN en Turquie. La vérité n’est pas plus simple quand on
sait qu’il existe plusieurs mutations différentes donnant le même résultat :
des adultes qui supportent le lait. Peut-être cette propriété s’est-elle
manifestée à plusieurs reprises et en plusieurs endroits à peu près
simultanément ? Certains sont d’avis que cela est arrivé quand les êtres
humains se sont mis à l’élevage, surtout des vaches, tandis que pour
d’autres, le facteur essentiel reste la domestication du chameau.
Selon le généticien Mark Thomas de l’University College de Londres, la
diarrhée et le froid sont les deux facteurs importants qui permettent
d’expliquer la capacité des adultes à digérer le lait. Le froid qui régnait en
Europe du Nord a favorisé la consommation de lait quand les récoltes de
céréales étaient insuffisantes. Les individus ayant une prédisposition à
digérer le lactose ont ainsi bénéficié d’un avantage sélectif et la mutation
dont ils étaient porteurs s’est transmise de génération en génération. C’est
ainsi que des millénaires plus tard, l’Europe est devenue la reine
autoproclamée des briques de lait !
Le secteur des produits laitiers est aujourd’hui sous pression, car ce n’est
plus seulement du lait de vache que l’on trouve aujourd’hui dans cette
fameuse brique. Du lait oui, mais de coco, de riz, d’avoine, de soja ou
d’amande. Le mot lait ne désigne plus seulement un liquide issu des
mamelles d’un mammifère. Conséquence, le dictionnaire Robert inclut
aussi le lait végétal en ces termes : « boisson obtenue par émulsion de
végétaux ».
Récemment, l’industrie laitière a reçu une aide inattendue de la Cour de
Justice de l’Union européenne. Si vous voulez vendre de la purée
d’amandes avec de l’eau, vous n’avez plus le droit d’utiliser les mots lait,
crème, beurre, fromage ou yaourt pour la commercialisation. Cela vaut
aussi pour les produits à base de tofu et de soja. Le lait de soja ou le tofu
(fromage de soja) doivent donc se trouver de nouvelles appellations. Game
on.

Ça salive sur le fauteuil du dentiste

Pour les bébés qui se nourrissent de lait maternel, il est important de tirer
le meilleur parti possible de cette alimentation. Le processus débute donc
dès le seuil des lèvres. La salive du bébé contient en effet un fort taux de
lipase, une enzyme digestive qui décompose les matières grasses présentes
dans le lait maternel. Mais la salive fait bien davantage que transformer du
solide en liquide.
On sait que les personnes qui ont trop peu de salive ne tardent pas à en
mesurer les conséquences. Sans salive, il devient difficile de mâcher,
d’avaler et de parler. Une grande partie du goût de la nourriture disparaît et
le salé, le sucré et l’aigre provoquent une sensation piquante et douloureuse
sur la langue.
La salive et les muqueuses constituent également une première ligne de
défense. Or, pour assurer la défense contre les envahisseurs, il faut
davantage que quelques gouttes de salive : il faut de la salive dans toute la
bouche, en permanence. Pour que la salive ne déborde pas, vous avalez
beaucoup plus souvent que vous ne le croyez. Chaque jour, les glandes
salivaires produisent jusqu’à un litre et demi de salive, soit plus qu’une
brique de lait !
Pour l’essentiel, ce litre n’est que de l’eau avec quelques composants
supplémentaires. La salive se présente sous deux formes : la salive de repos,
visqueuse, et la salive stimulée, riche en eau. La mastication, le goût et
l’odeur peuvent activer les glandes salivaires et l’eau afflue sur la langue.
Après chaque repas, l’acidité de la bouche augmente. Cette acidité est
nocive pour les dents, et la salive est là pour rééquilibrer tout cela dans la
bouche.
L’âge, l’état de santé et la situation ont aussi une incidence sur le contenu
et la quantité de salive. Une équipe de chercheurs australiens a comparé la
réaction de la salive de bébés et celle d’adultes au lait maternel. Ils ont
découvert que la salive des bébés était dix fois plus efficace que celle des
adultes pour réagir au lait maternel et fabriquer du peroxyde d’hydrogène,
un désinfectant. Ainsi, la salive du bébé empêche les bactéries dangereuses
− comme la salmonelle, par exemple − de proliférer dans la bouche du
nouveau-né. La salive d’adulte constitue un habitat pour d’innombrables
colonies de bactéries qui ne survivent pas ailleurs dans le corps. Personne
n’y a découvert de substances dont l’action serait similaire à celle
d’antibiotiques, mais l’effet que cela aurait de lécher une blessure, comme
le font les chiens et les chats, manque pour l’instant de base scientifique.
La salive contient des traces remontant aux premiers temps de l’humanité,
un domaine que l’on appelle l’archéologie génétique. À l’été 2017, des
analyses d’ADN et des simulations informatiques montrèrent que les
ancêtres des Africains modernes se mélangèrent probablement à une espèce
humaine inconnue, il y a de cela des centaines de milliers d’années. Cette
hypothèse repose sur des analyses détaillées de salive.
Les scientifiques prirent comme point de départ l’une des protéines
présentes dans la salive, répondant au nom de mucine-7. La mucine-7 est
une glycoprotéine, c’est-à-dire une protéine associée à des glucides
(hydrates de carbone), qui contribue à rendre la salive visqueuse. Chez
certains Africains actuels, la mucine-7 contient d’infimes variations
génétiques, probablement héritées d’une autre espèce d’hominidés. Qui
étaient ces autres, comment cela s’est-il passé entre eux et, éventuellement,
quelles autres propriétés ont-ils transmises aux humains modernes ? Il est
trop tôt pour le dire.
Pendant que vous lisez, vous allez peut-être recevoir une lettre par la
Poste, malheureusement pas de celles qui vous invitent à passer un bon
moment, mais une courte missive qui vous rendra nerveux, en sueur et mal
à l’aise : « Devinez qui doit aller chez le dentiste ? », est-il écrit en blanc sur
fond rouge menaçant2.
Votre bouche deviendra sèche. Puis la salive reviendra.

Des litres de salive

Au restaurant, c’est bon signe si vous avez l’eau à la bouche quand le


serveur arrive. « Pour nous qui sommes dans la restauration, la salive est
absolument cruciale, cela a un rapport avec la jutosité, la succulence »,
explique le chef norvégien Henrik J. Henriksen. Ce dernier s’est engagé
dans ce dont il parle lui-même comme de la pornographie culinaire : des
vidéos pour mettre en appétit et des textes sur la bonne cuisine, truffés
d’adjectifs.
Il n’est donc peut-être pas étonnant que la production de salive grimpe en
flèche à l’évocation d’un classique de presque tous les plats français : une
noix de beurre que vous faites fondre dans la poêle avec un peu d’échalote,
par exemple. La salive coule de glandes situées à la fois juste sous l’oreille,
de chaque côté de la mâchoire supérieure, et sous la langue, derrière les
dents de devant. « Il suffit d’ouvrir le robinet. »
En revanche, des muqueuses sèches donnent une mauvaise expérience
gustative, comme le goût de sablés et celui de parmesan (de préférence pas
en même temps !). À l’extrémité de l’échelle, on trouve les capsules des
graines de gombo, une plante tropicale de la famille des Malvaceae. Le
gombo c’est environ 90 % d’eau, mais c’est beaucoup plus visqueux que le
concombre et les haricots verts. Selon Henriksen, la sensation en bouche de
la substance mucilagineuse du gombo cuit est « absolument épouvantable ».
La salive ne jouit pas d’un statut particulièrement élevé pour la plupart
des gens. Cracher sur les autres est une déclaration très claire de méfiance,
de haine et d’opposition, et les postillons qui sautent involontairement sur la
table de la cantine sont suivis le plus souvent d’une main devant la bouche
et d’une excuse embarrassée. Certains trouvent également que la salive
produit les sons les plus désagréables qui soient, comme les claquements de
langue, les gargouillis et les lapements.
Malgré cela, nourriture et salive font bon ménage. Lorsque la mâchoire
travaille, les écluses des glandes salivaires s’ouvrent et le liquide afflue sur
la langue pour attendrir la nourriture. La salive contient également de
grandes quantités d’une enzyme appelée amylase, qui divise la nourriture en
parties plus petites. L’amylase découpe en sucres plus simples l’amidon, un
glucide à longue chaîne que l’on trouve dans les pommes de terre, le riz et
les céréales. Si vous mâchez longtemps, vous sentirez au bout d’un moment
le goût du sucre, même si l’ingrédient ne contient pas de sucre pur au
départ.
Le sucre est une source d’énergie recherchée par les bactéries et les
levures. Lorsque les levures se gorgent de sucre, elles produisent de
l’alcool. En un clin d’œil, voilà qu’elles ont fabriqué de la bière !
Le principe est exploité dans le monde entier, et parmi les boissons
traditionnelles de la forêt tropicale péruvienne, masato et chicha sont des
breuvages alcoolisés élaborées il y a bien longtemps avec de la salive. Au
Japon, il existe une tradition approchante qui consiste à mâcher du riz pour
obtenir du saké. Les levures doivent avoir accès aux molécules de sucre
dans le riz, le yucca, ou le maïs violet, et l’amidon doit d’abord se
décomposer en une molécule de sucre simple. Pour lancer le processus de
décomposition, les paysans (ce sont le plus souvent les femmes qui s’en
chargent) mastiquent les grains de riz, les racines de yucca ou bien les épis
de maïs violet non cuits et recrachent une espèce de purée pleine d’amylase.
On ajoute de l’eau et des épices au mélange avant que la salive et les
levures ne transforment le contenu en alcool local. Un journaliste de
National Geographic en voyage au Pérou parle du résultat comme « d’un
liquide similaire au sherry, à la robe rouge foncé, qui sent le clou de girofle
et a le goût du cèdre ».
La salive permet de stocker et de conserver la nourriture sur une longue
période. D’autres techniques donnent le même résultat, comme le séchage,
le salage ou le stockage dans du vinaigre ou du sirop de sucre. La
croissance bactérienne, le soleil et la chaleur peuvent endommager les
produits frais et constituent un risque sanitaire grave, surtout s’agissant de
liquides comme le lait et le sang.

Directement de l’artère

Aujourd’hui, je me suis coupé le doigt. C’est arrivé tandis que je


découpais un concombre en rondelles. Cela brûlait et faisait mal, mais au
lieu de laisser l’eau courante me débarrasser des gouttes de sang, j’ai mis le
bout du doigt directement dans la bouche. Les solutions les plus simples
sont souvent les meilleures.
Le sang a surtout un goût de fer. Pas étonnant puisque le fer est important
pour lier l’oxygène à l’hémoglobine dans les globules rouges. Cependant,
pour beaucoup, c’est une expérience gustative inattendue. Le sang n’est ni
gluant, ni épais ni répugnant, son goût est beaucoup plus naturel qu’on ne le
croirait. Il est difficile de ne pas penser que vous mangez du sang : votre
propre sang, recyclé.
Il m’arrive assez rarement de manger du sang. Étant enfant, quand on me
servait du boudin au dîner, maman nous rabâchait que nous ne pourrions
pas grandir sans avoir goûté à un plat qui était banal dans son enfance, mais
qui désormais est devenu une curiosité culinaire en Norvège. Nous
saupoudrions du sucre sur les rondelles rouges, passées à la poêle, servies
avec un accompagnement de pommes de terre. C’était comme ça, à
l’époque.
Kari, la sœur de mon grand-père, née en 1924, racontait ainsi l’histoire de
l’abattage du cochon à la ferme familiale dans les années 1930 :
« Le porc était couché sur un banc et le boucher le frappait à la tête,
plongeait son couteau dans la gorge et récitait une prière. Il sectionnait
l’artère principale et le sang jaillissait. Je touchais là du doigt la cruauté de
la vie. Si le sang coagulait, il ne pouvait pas être utilisé comme aliment,
alors nous ajoutions du sel et du vinaigre qui l’empêchaient de coaguler.
Ensuite, le sang devait rester froid toute la nuit. Le lendemain, maman nous
faisait des crêpes au sang toutes noires. D’autres fois, elle nous préparait du
pudding au sang, cuit au bain-marie puis passé à la poêle avec une noix de
beurre. Alors, il était un peu salé et arborait une croûte qu’il fallait
grignoter, avec du sirop et du miel comme accompagnement, qui lui
donnaient un goût sucré. »
Le pudding au sang est un plat traditionnel important dans bien des pays,
comme la variante irlandaise, black pudding, du sang mélangé à des
céréales. Dans la version norvégienne, on peut trouver des raisins secs, d’où
l’expression norvégienne « des raisins secs dans le boudin » pour dire la
cerise sur le gâteau, tandis que la variante espagnole, appelée morcilla,
originaire de Porto-Rico, contient du riz et des piments.
Le chef Henriksen raconte une expérience vécue au Cambodge il y a des
années : on lui servit une tasse de sang de bœuf dans laquelle avait été versé
du bouillon brûlant. « Il avait presque coagulé, et avec un peu de citron, de
sel et de poivre, c’était comme un tartare chaud sous forme de soupe.
C’était super bon. »
Cela peut sans doute aider de ne pas penser à ce que contiennent ces plats,
surtout si vous êtes servis par Hannibal Lecter ! Dans l’un des épisodes,
vers la fin de la série TV, Hannibal prépare un pudding italien appelé
Sanguinaccio dolce, un dessert velouté à base de sang de porc et de
chocolat, servi dans l’écorce d’une orange évidée. Sauf que dans la recette
d’Hannibal, le sang est celui d’une femme, dont il parle comme « d’une
vache, mais seulement au sens méprisant du terme ».

Avec un bon Amarone

En plus d’être à un stade intermédiaire entre liquide et solide quand ils


sont utilisés en cuisine, les fluides corporels débordent également des
limites intimes de beaucoup de gens. Lorsque des détails personnels et
corporels sont jetés en pâture au public, certains réagissent avec dégoût,
d’autres rougissent et un petit nombre s’en fiche complètement. Lorsque les
liquides qui sont habituellement à l’intérieur du corps se donnent à voir à
l’extérieur, ils rompent l’illusion que le privé restera privé.
Dans un autre épisode d’Hannibal, Bryan Fuller, le créateur de la série, a
voulu représenter deux personnes nues agenouillées à côté d’un lit. Toutes
deux mortes, elles avaient la peau du dos dépliée comme des ailes. La NBC
protesta contre cette image, non pas à cause des détails horribles de la peau,
des muscles, des nerfs et du sang mais… à cause de la raie visible des
fesses. « Et si on remplissait la raie des fesses avec du sang ? » suggéra
Fuller. Il obtint ainsi le feu vert de la NBC.

La recette d’un bon cannibale

Manger des parties du corps d’autres humains n’est pas une idée nouvelle
et, en Europe comme en Chine, la médecine populaire a parfois suggéré
qu’il fallait manger du sang, des os, de la peau et des intestins humains pour
améliorer la santé des gens, sans que cela ne fasse de vagues ou ne
provoque de réactions majeures. En revanche, sur les îles d’Amérique
centrale au XVIe siècle, la vision du cannibalisme a eu de graves
répercussions.
Christophe Colomb et la reine d’Espagne cataloguèrent tous les indigènes
comme des cannibales, et cela donna aux soldats espagnols une raison de
tuer les indigènes ou de les prendre comme esclaves. Ces dernières années,
le doute s’est toutefois insinué dans les esprits : Colomb et ses compagnons
de voyages ont-ils vraiment observé des actes de cannibalisme dans chaque
village sur toutes les îles et sur le continent, ou ont-ils simplement invoqué
cette excuse pour s’emparer du nouveau continent et s’y installer ?
De très nombreux indigènes moururent également de maladies que les
Espagnols avaient apportées. Entre 60 et 80 millions d’êtres humains, dans
les Caraïbes, au Mexique et en Amérique centrale, moururent avant la fin
du XVIe siècle. Si ces chiffres sont exacts, le mot cannibale fut la raison qui
marqua le début du plus grand génocide de l’histoire de l’Amérique latine.
Au XXe siècle, à l’autre bout du monde, un rituel cannibale fit l’objet d’un
curieux projet de recherche d’anthropologues. Depuis l’île de Papouasie-
Nouvelle-Guinée parvenaient de plus en plus de rapports sur une
mystérieuse maladie, décrite comme de la maladie du tremblement ou du
rire de la mort. Ceux qui en étaient atteints perdaient lentement le contrôle
de leur corps et pouvaient rire jusqu’à en mourir. Ils tremblaient et
finissaient par rester couchés par terre, incapables d’avaler ou de respirer.
Ils mouraient de faim, de soif ou de pneumonie. Cette maladie mystérieuse
tuait environ 1 % de la population chaque année.
La population de l’île comptait alors 35 000 personnes, réparties entre
170 villages. Celles-ci n’eurent aucun contact avec l’Occident avant les
années 1930 et l’une des coutumes qui fit forte impression sur les
explorateurs Blancs fut le rituel entourant la mort. Les Papous pensaient en
effet qu’il valait mieux être mangé par ses proches que par les vers sous
terre.
Le défunt était placé sur un lit de feuilles et les femmes de la famille
découpaient le corps en morceaux. Les bouts de viande étaient disposés en
tas et partagés entre les proches. Les femmes disposaient ensuite les lanières
de chair sur des feuilles de bambou et les faisaient cuire au-dessus du feu
avant que la viande ne soit mangée. Finalement, elles ouvraient la cage
thoracique du défunt pour montrer les organes à la veuve. La tête du mort
faisait également partie du rituel, et après l’avoir débarrassée des cheveux et
de la peau à l’aide du feu et d’un couteau, elles ouvraient le crâne avec une
hache en pierre et en extrayaient le cerveau. Elles mélangeaient ce tissu
semi-solide avec des fougères avant de le faire cuire et de manger la matière
cérébrale. Les indigènes mangeaient tout le corps du défunt, y compris les
organes génitaux et les excréments qu’elles récupéraient dans les intestins
en grattant.
Avec le recul, il était facile de faire le rapprochement entre les actes
cannibales et la mystérieuse maladie du tremblement, appelée kuru :
globalement, seuls les femmes et les enfants tombaient malades, tandis que
les hommes adultes, qui ne participaient pas aux rituels, étaient plus
rarement touchés. Encore fallait-il trouver une explication médicale et un
traitement éventuel contre le kuru.
Cela nécessita un important travail de recherche, y compris l’injection de
matière cérébrale d’une victime du kuru chez trois singes. Deux des
animaux de l’expérience, Georgette et Daisy, présentèrent trois ans plus tard
des symptômes d’une maladie neurologique semblable à celle qui sévissait
en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le petit cerveau de Georgette avait un
aspect identique à celui des êtres humains atteints de cette maladie : de
grands trous dans le tissu cérébral, comme un fromage suisse.
Nous savons maintenant que le kuru ne vient ni d’un virus, ni d’une
bactérie, ni de parasites, mais d’une protéine, le prion, dont le repliement est
anormal. La protéine mal repliée est infectieuse car elle peut faire en sorte
que les protéines prion normales, qui sont nombreuses dans le cerveau,
changent de forme, et passent de saines à malades. L’effet domino se
propage, et les neurones, incapables de faire face à la quantité de protéines
mal repliées, finissent par mourir. Le cerveau est endommagé et cesse de
fonctionner normalement. Le kuru s’apparente à la maladie de la vache folle
et à la tremblante du mouton, des maladies à prions contagieuses dont
l’issue est toujours mortelle.
Après tout ça, je suis presque prêt à parier que vous n’aurez pas du tout
envie de vous adonner au cannibalisme. En revanche, vous devriez essayer
un plat de la cuisine traditionnelle norvégienne qui, selon le chef Henriksen,
contient quelque chose qui n’est ni tout à fait solide ni entièrement liquide :
que diriez-vous de goûter du sperme de morue frit ?

Du lait d’homme au dîner

Le plat a « un goût d’une incroyable délicatesse », affirme le fin gourmet


Henriksen, évoquant la consistance du sperme de morue – également appelé
lait de morue –, quelque part entre solide et liquide, et qui de manière assez
surprenante ne se modifie pas à la cuisson. Même avec une croûte
croustillante, le sperme de morue reste mou à l’intérieur.
« Le sperme n’est pas seulement nutritif, il a également une texture
savoureuse et de formidables propriétés de cuisson », écrit l’auteur
américain Paul Photenhauer. Dans son livre dédié aux recettes dont le
sperme est l’un des ingrédients, ce dernier explique que l’odeur et le goût
du sperme se rapprochent du fromage de Brie, de la pâte à biscuits, des
amandes, du sel, des épices, de la levure, de la noix de coco ou de fruits !
Le goût, le volume et la consistance sont les facteurs les plus importants
lorsqu’on utilise cet ingrédient dans la cuisine. « Comme pour les autres
produits naturels, organiques, la qualité du sperme dépend de la qualité du
producteur ». Chacun a son goût, au sens propre du terme.
Si beaucoup de personnes ne considèrent pas d’emblée le sang et le
sperme comme des ingrédients convenables pour un dîner, c’est aussi parce
que ces ingrédients figurent rarement dans les rayons des magasins. La
plupart des gens vivent à l’écart des fermes et de la haute mer, et dans la vie
quotidienne en ville, il n’y a guère de temps ou d’intérêt pour faire du
boudin noir de porc, du fromage frais de vache ou pour explorer les
variations gustatives de la semence humaine.
Cependant, en Norvège comme ailleurs, les clients se veulent aujourd’hui
plus proches de la nature, plus proches du lieu de provenance de la
nourriture et ne demandent qu’à redécouvrir et réhabiliter les traditions
culinaires oubliées.
Pour se rapprocher de la nature, il est aussi important de savoir de quelle
façon la nourriture et la boisson se déplacent à l’intérieur du corps. Tout ce
qui entre doit ressortir. Mais que se passe-t-il entre-temps ?
2. N.D.T. : De nombreux Norvégiens reçoivent ce type de lettre leur rappelant qu’il faut aller chez le dentiste.
5. MOI
DE LA BOUCHE À
LA CUVETTE
Il est temps de faire des expériences avec les fluides corporels. Il vous
faut un cobaye volontaire, vous-même de préférence, et un grand verre de
jus de betterave rouge. Je participe aussi. Grâce à cette expérience, nous
aurons la réponse à la question suivante : à quel moment le pigment de la
betterave rouge colore-t-il l’urine en rouge ? Cela se produit-il au bout
d’une heure, de quatre heures ou de dix heures ?

Un smoothie rouge

Cela a un goût agréable de terre et de métal, et de petits grumeaux de


légumes roulent sur ma langue. J’ai acheté un smoothie de betterave rouge
au supermarché. Je n’ai pas seulement eu de la betterave rouge, car le
smoothie contient aussi de la carotte, de la banane et des pommes, ainsi que
quelques gouttes de poire, de panais, de pastèque, de pomme-grenade et
d’épinards. En somme, un vrai dîner végétarien !
Un quart de litre à la saveur de betterave rouge, c’est un peu trop, mais je
bois tout quand même. Le but est de remplir ma vessie de colorant rouge et
pour cela, il faut un apport maximum de betterave rouge. Ma bouche
fabrique de la salive qui commence le travail de décomposition et contribue
à ce que le smoothie ait le goût qu’il a. Je déglutis consciencieusement.
Ma langue repousse la plus grande partie de la betterave, de la carotte et
de la banane en arrière dans la gorge, en touchant le voile du palais au
passage. Ce contact déclenche un mécanisme musculaire complexe sur
lequel je n’ai aucun contrôle. Ces actions condamnent la sortie par le nez,
soulèvent le larynx, rapprochent les cordes vocales et protègent le tube
respiratoire. Le smoothie est envoyé dans le tube digestif, dans lequel des
muscles lisses font glisser le contenu vers le bas à une vitesse de trois à
cinq centimètres par seconde. Deux ou trois secondes plus tard, le smoothie
est arrivé dans l’estomac. Les betteraves rouges et les autres légumes y sont
lavés avec de l’acide gastrique et moulinés avec les restes de mon déjeuner.
Le smoothie étant déjà liquide, l’estomac n’a pas besoin de le retenir très
longtemps. De leur côté, les aliments solides sont pétris entre deux et
six heures dans ce sac oblong qui commence juste derrière le mamelon
gauche. Mais que se passe-t-il vraiment à l’intérieur ?
Un trou dans le ventre

Une découverte de la première moitié du XIXe siècle répond en partie à


cette question, mais cela ne fait qu’attiser ma curiosité… et mon malaise.
Le chirurgien militaire américain William Beaumont (1785-1853) conclut
dans son journal que s’il appuie le bout de sa langue contre l’intérieur d’un
estomac vide, ça n’a pas du tout un goût acide. Il y a deux cents ans, cette
représentation étrange était à la pointe de la recherche médicale : un homme
appuya le bout de sa langue contre l’estomac d’un autre homme et rapporta
que cela n’avait aucun goût.
Cet estomac sans goût appartenait à Alexis Saint Martin, un trappeur
canadien âgé de dix-huit ans. Si vous vous demandez de quelle façon
Beaumont enfonça sa langue dans l’estomac de Saint Martin, la réponse
n’est pas par la bouche, mais par un trou dans le flanc. Un accident de fusil
valut à Saint Martin un trou béant dans le ventre. Beaumont lui prodigua les
premiers soins et s’aperçut qu’il y avait de la place pour glisser le bout du
doigt dans le trou. À travers cette ouverture, il put voir les restes de repas
dans l’estomac de Saint Martin.
Le trou ne cicatrisa pas comme une blessure normale : les bords de la
plaie qu’il présentait à l’estomac fusionnèrent avec ceux du trou dans son
ventre, formant ainsi une fistule dans le ventre de Saint Martin, une
ouverture qui constituait pour Beaumont une fenêtre lui donnant accès au
mystère de la digestion.
Neuf mois après l’accident, le jeune Saint Martin, alors âgé de vingt ans,
déménagea dans la famille de Beaumont. Il devint alors l’homme à tout
faire et participa comme cobaye à l’ambitieux projet de Beaumont.
Leur première expérience débuta le 1er août 1825, à midi. Beaumont
introduisit tout un choix de morceaux de nourriture − solidement attachés à
des fils de soie − à travers le trou du ventre : du chou, du pain, de la viande
de porc, un morceau de bœuf cuit et un morceau de bœuf salé. Deux heures
plus tard, Beaumont tira sur les fils, et constata que la quasi-totalité avait
disparu, dissoute par les sucs gastriques. « Seul le bœuf cru était intact »,
nota le médecin. Le duo poursuivit ses recherches au cours de la décennie
suivante.
Les résultats de plus de cent expériences passées à espionner le contenu
du ventre de Saint Martin, ainsi qu’un livre sur ses découvertes, valurent à
Beaumont une place dans l’histoire de la médecine. C’est lui, et pas
Saint Martin, qui fut qualifié de « père de la physiologie gastrique ». Dans
son ouvrage Gulp, Mary Roach souligne que dans ce partenariat, ils étaient
loin d’être des associés à parts égales. On appelait Saint Martin « le
garçon » alors même qu’il avait largement dépassé la trentaine et il fut
contraint de contribuer à une expérience sans fin dont lui-même ne
comprenait pas grand-chose.
Le consentement éclairé lors de la participation à un projet de recherche –
chose que, de nos jours, nous considérons comme allant de soi – n’entrait
pas dans les idées de Beaumont et de ses contemporains. Les deux hommes
se quittèrent brouillés.
Les résultats de leurs recherches étaient d’ailleurs loin de la vérité sur ce
qui se produit réellement dans l’estomac. Beaumont exagérait le rôle des
sucs gastriques et ignorait à la fois la décomposition qui commence dans la
bouche et le rôle des enzymes dans l’intestin grêle. « La mission principale
des sucs gastriques est pourtant de tuer les bactéries, élément qui n’est
jamais venu à l’esprit de Beaumont », écrit Roach.
L’utilisation des morceaux de nourriture accrochés aux fils de soie permit
toutefois de résoudre le problème récurrent de la recherche à l’intérieur du
tube digestif chez les mammifères vivants, ce dernier étant habituellement
difficile d’accès. Le trou dans le ventre de Saint Martin a peut-être été une
source d’inspiration pour les chercheurs qui ont créé un orifice dans le flanc
d’un petit groupe de vaches à l’Université norvégienne des Sciences de la
Vie. Cette pratique permet d’étudier la façon dont la panse des vaches
décompose différents fourrages et comment ceux-ci affectent la qualité du
lait.
Chez une personne adulte, l’estomac est responsable de la production d’un
à trois litres de suc gastrique par jour. Le résultat est un pH (qui mesure le
degré d’acidité) très bas dans l’estomac, inférieur à 2, un environnement où
seuls peuvent survivre de très rares bactéries, champignons et animaux.
Beaumont fit fausse route en assimilant le suc gastrique à la décomposition
des matières grasses, des protéines et des glucides dans la nourriture. Même
si le suc gastrique détruit la forme tridimensionnelle de la molécule dans les
aliments, ce n’est pas suffisant pour récupérer l’énergie stockée dans les
liaisons chimiques. Il ne savait pas que l’acide gastrique transforme
l’enzyme inactive qu’est le pepsinogène en pepsine, l’une des enzymes qui
décomposent les protéines. L’estomac sécrète également plusieurs autres
enzymes et neurotransmetteurs importants.
Beaumont ne savait pas non plus expliquer pourquoi le suc gastrique ne
rongeait pas l’estomac lui-même. Nous savons désormais que la muqueuse
interne joue un rôle important dans la protection des parois. En plus du
mucus, les cellules productrices d’acide ont une astuce : les substances qui
forment le suc gastrique – les ions d’hydrogène et l’acide chlorhydrique –
sont contenues dans des vésicules « étanches » à l’intérieur des cellules. Ces
vésicules libèrent leur contenu sans endommager la paroi gastrique.

Le charme du badminton

L’intestin grêle peut lui aussi être endommagé par le suc gastrique, aussi
use-t-il de plusieurs stratégies pour éviter que le jus de betterave rouge ne
fasse fausse route et s’écoule dans l’abdomen.
Quant au pancréas, son rôle consiste avant tout à sauver la paroi
intestinale des effets du mélange corrosif de suc gastrique et de smoothie à
la betterave rouge. Aussi, juste après la transition de l’estomac à l’intestin
grêle, une petite ouverture, l’extrémité d’un mince tube provenant du
pancréas, déverse un suc sur le bol alimentaire. Ce suc pancréatique
contient des enzymes qui décomposent les graisses, les glucides et les
protéines. Les cellules dans la paroi intestinale sécrètent elles aussi un
mucus pour se protéger et aider les aliments liquides à circuler.
Lorsque le repas est important et gras, les graisses alimentaires activent
des capteurs, dans l’intestin, qui ouvrent les écluses de la vésicule biliaire
accolée au foie. La bile, ou plus exactement les enzymes contenues dans la
bile, transforment les graisses en molécules absorbables par la paroi
intestinale. Le canal de la vésicule biliaire asperge le smoothie à la betterave
rouge de bile verte. Le contenu de l’intestin a maintenant les couleurs de
Noël : rouge et vert.
Chaque jour, jusqu’à neuf litres de liquide transitent par l’intestin grêle.
Cinq litres et demi proviennent de la nourriture, de la boisson, du suc
gastrique et des enzymes de l’estomac, et trois litres et demi sont issus du
pancréas, de la vésicule biliaire et de la paroi intestinale.
Neuf litres de liquide qui passent par l’intestin. Qu’en advient-il ensuite ?
La plus grande partie est déjà absorbée dans l’intestin grêle, où un peu
plus de sept litres de liquide empruntent le même chemin que les nutriments
absorbés par les cellules intestinales. On donne à ce principe le nom
d’osmose : l’eau se déplace pour égaliser les grandes différences dans la
concentration de sucre, de morceaux de protéines, de vitamines et de sel.
Les cellules intestinales absorbent les morceaux décomposés de smoothie à
la betterave rouge depuis la lumière de l’intestin puis les transportent
activement jusqu’à leur pôle basal, où se situent les vaisseaux sanguins.
L’eau suit le même cheminement, passivement, par effet d’osmose ; elle va
aux endroits où la concentration de sucre et de sel est la plus élevée.
L’intestin grêle mesure en moyenne six mètres de long, mais la paroi
intestinale présente des milliers de petits plis, et chaque cellule intestinale
dispose de cils vibratiles en surface. Résultat : la surface totale de l’intérieur
de l’intestin est de loin plus importante que ce tube de quelques mètres de
long pour un diamètre de deux centimètres et demi.
Dans les manuels, on peut lire que la surface aplatie peut jusqu’à atteindre
entre 180 et 300 mètres carrés, soit environ la superficie d’un court de
tennis. Pourtant, à l’été 2014, des chercheurs suédois arrivèrent à la
conclusion que la superficie de l’intérieur de l’intestin grêle n’est que
d’environ 30 mètres carrés. Ces derniers eurent recours à des microscopes
ultra-perfectionnés pour calculer l’effet des villosités intestinales sur la
superficie totale de l’intestin, démontrant que la superficie totale des
muqueuses dans l’intestin d’un adulte n’est pas de la taille d’un court de
tennis, mais plutôt d’un demi-terrain de badminton.
Mais grâce à ce terrain de badminton, les cellules de la paroi intestinale
ont tout de même le temps et l’espace pour absorber la plupart des
nutriments de ce qui est désormais un smoothie à la betterave rouge et au
suc intestinal.
Les graisses sont captées par les vaisseaux lymphatiques, qui prennent une
coloration laiteuse. Ces vaisseaux rejoignent la circulation sanguine juste
derrière la clavicule et les graisses vont ainsi directement au cœur.
La plupart des autres substances passent à travers la paroi intestinale et,
au-delà, dans les vaisseaux sanguins. Les cellules consommatrices d’énergie
doivent encore attendre, car le sang transite d’abord par le foie. Celui-ci
joue un rôle de filtre : paracétamol, alcool et toxines sont décomposés et le
foie détruit aussi les vieilles cellules sanguines à la retraite.
Le foie est la station de désintoxication du corps. Si votre foie fonctionne
bien, vous n’avez pas besoin de boire de la purée de chou frisé ou des
décoctions de gingembre pour « nettoyer l’intérieur de votre corps » ou
« éliminer les déchets ». Votre corps se débrouille tout seul. Le foie peut
également détecter un excès de sucre et le stocker sous forme de glycogène.
Le sang filtré par le foie remonte ensuite vers le cœur avant d’être
réinjecté dans les poumons pour s’y charger en oxygène. Le sang, rempli
d’oxygène, de sucres et de protéines, peut enfin irriguer toutes les cellules
du corps.

Que de larmes

Les cellules du corps ont besoin à la fois d’énergie et d’eau. L’eau du jus
de betterave rouge circule dans les vaisseaux sanguins avant de se diffuser
dans les intervalles entre les cellules et d’enrichir le tissu conjonctif3. Toute
une série de cellules dépendent d’un flux régulier de liquide, par exemple
les glandes qui fabriquent la sueur et la salive. Certaines cellules ont
également pour tâche de produire des larmes et de la morve à des moments
très précis.
Le liquide lacrymal contient une longue liste d’ingrédients. Il garde la
pupille humide et la protège contre les intrus.
Dans son livre intitulé Why humans like to cry (Pourquoi les humains
aiment pleurer), Michael Trimble fait le lien entre l’histoire de l’évolution
et l’analyse de l’opéra et du théâtre pour déterminer d’où viennent nos
larmes émotionnelles. Il souligne que l’être humain est le seul animal dont
la vie sensorielle intérieure peut s’exprimer par un débordement au coin de
l’œil. Plusieurs animaux peuvent produire du liquide lacrymal sous l’effet
de la douleur, mais seuls les humains se mettent à larmoyer en regardant un
film triste, en écoutant de la musique ou en assistant à des obsèques.
Plusieurs projets de recherche ont révélé que les larmes sont
accompagnées d’une boule dans la gorge, et que beaucoup se sentent mieux
après avoir pleuré. La cause des larmes émotionnelles est notre capacité à
faire preuve d’empathie pour d’autres humains, selon Trimble. Il cite parmi
les responsables de cette empathie les neurones miroirs du cerveau, ces
cellules nerveuses qui nous aident à lire les émotions sur le visage des
autres. Les larmes sont importantes tant pour celui qui pleure que pour celui
qui le voit pleurer. Les larmes sont le plus beau fluide corporel.

Du gel hydroalcoolique comme déodorant

Les émotions peuvent également se traduire par l’apparition d’autres


fluides corporels. Nous pouvons faire l’expérience de ce que les
scientifiques appellent la sueur émotionnelle, tant sur la paume des mains
que sous les aisselles. Cela peut s’expliquer, du point de vue de l’Évolution,
par le fait que les mains moites contribuent à une meilleure prise sur
l’environnement si vous devez échapper à une situation dangereuse. Le
sexe, l’âge, le cycle menstruel et l’heure de la journée auront également une
influence sur la quantité de sueur d’un individu, de même si vous êtes dans
un sauna ou si, au cours d’une balade dominicale, vous tombez nez à nez
avec un dogue danois sans maître…
Chaque jour, le corps perd un peu moins d’un litre d’eau, via la
transpiration ou la respiration. Sur presque tout le corps se trouvent des
glandes – les glandes sudoripares − qui produisent de minuscules
gouttelettes d’eau. Seules les parties génitales en sont dépourvues. Les
glandes « eccrines », au nombre de deux à cinq millions, ne sont toutefois
pas réparties uniformément sur le reste de la peau, mais concentrées sur le
front et la boîte crânienne, sur la paume des mains, la plante des pieds et
sous les aisselles. Les glandes sudoripares normales sécrètent de l’eau salée
à peu près comme un pistolet à eau.
Un autre type de glandes sudoripares, situées sous les aisselles, ainsi
qu’autour de l’anus et des mamelons, fonctionne plutôt comme une
machine à bulles de savon. La transpiration des aisselles est un liquide
huileux bourré de protéines, de graisses et de stéroïdes. Mais ni la
transpiration des aisselles ni celle du reste de la peau ne contiennent de
substances odorantes. Ce sont des bactéries qui font que la transpiration a
une odeur : elles utilisent les gouttes de sueur et produisent des déchets qui
sentent mauvais.
Peut-on alors utiliser du gel hydroalcoolique pour diminuer l’odeur de
transpiration ? Oui, mais l’effet est seulement de courte durée. Les
déodorants ont la même mission et contiennent le plus souvent de l’alcool
antibactérien. En outre, plusieurs déodorants renferment des parfums qui,
dans une certaine mesure, couvrent les substances odorantes des bactéries
restantes.
Au lieu de tuer les bactéries, il est également possible de boucher les
glandes sudoripares. Ces déodorants sont dits anti-transpirants et
contiennent le plus souvent de l’aluminium lié à du chlore pour boucher les
pores. Certaines recherches indiquent que les anti-transpirants peuvent
diminuer la production de sueur dans la glande elle-même. L’effet est
malheureusement de courte durée et, mélangées à la sueur, certaines
versions d’aluminium décoloreront le tissu. Utiliser des anti-transpirants
pour empêcher la sueur se traduit donc par des auréoles de décoloration.
Les personnes qui transpirent énormément peuvent avoir recours à des
moyens plus radicaux et se faire injecter du botox sous la peau des aisselles
pour empêcher les glandes sudoripares de remplir leur office. Le traitement
peut également être mis en place pour les personnes qui transpirent trop de
la paume des mains ou de la plante des pieds.
Outre les substances graisseuses, qui qui constituent une source de
nourriture pour les bactéries, la sueur contient des éléments qui peuvent
s’avérer utiles pour la santé publique. En 2001, Birgit Schittek et ses
collègues de l’université de Tübingen, en Allemagne, ont découvert une
substance antimicrobienne dans la transpiration humaine. Schittek a baptisé
cette substance dermicidine et les expériences en laboratoire montrent
qu’elle peut diminuer le nombre et la quantité de colonies bactériennes
dangereuses qui prolifèrent sur la peau.
En gros, les bactéries sont inoffensives tant qu’elles restent à la surface de
la peau, mais quand elles parviennent à pénétrer dans les glandes sébacées à
la racine d’un poil, cela donne un bouton. Le bouton est une petite
inflammation qui rend la zone rouge et sensible, mais tout de même très
tentante à percer.
Les adolescents ayant trop d’acné ou des boutons trop gros, ou les deux à
la fois, vont consulter un dermatologue. L’une des dermatologues les plus
connues au monde s’appelle Sandra Lee et elle s’est fait connaître sur
YouTube sous le nom de Dr Pimple Popper. Équipée d’un scalpel, d’une
pince à épiler et d’une caméra portable, la dermatologue enlève des boutons
gros comme des cerises à des patients sous anesthésie locale, et avec ce qui
ressemble à l’extrémité arrière d’une aiguille à coudre, elle extrait les points
noirs de leurs lieux de villégiature. Certains des boutons les plus gros sont à
l’origine d’engorgements des glandes sébacées sur une longue période, de
sorte que le contenu s’accumule comme dans un barrage. D’autres
grosseurs proviennent de l’accumulation de morceaux de graisse inoffensifs
mais désagréables. Lee reçoit aussi des patients atteints de cancer de la peau
et tourne des vidéos pour informer sur le sujet.
Percer des boutons est l’activité favorite de la dermatologue et youtubeuse
américaine Dr Pimple Popper suivie par des millions de fans. Cette bande a
même son propre surnom : les popaholics. Pop ! [éclate !] est le mot
d’ordre et des taches jaunes constellent le miroir.
Madame Atchoum

Les petites explosions de fluides corporels sont également le quotidien de


la chercheuse Lydia Bourouiba, aussi connue sous le nom de
« Madame Atchoum ». Professeure au célèbre Massachusetts Institute of
Technology (MIT), à Boston, elle braque une caméra vidéo sur la bouche ou
le nez d’éternueurs volontaires. Le moment de l’éternuement est alors capté
par plusieurs milliers d’images à la seconde et les chercheurs bénéficient
ensuite de modèles mathématiques perfectionnés pour étudier de quelle
façon les nuages de particules se répandent dans la pièce. Les résultats de
ces recherches surprenantes intéressent beaucoup de monde.
Jusqu’où pensez-vous que vos postillons peuvent être projetés quand vous
éternuez ? La plupart d’entre vous répondrez entre un et deux mètres. Tous
ceux qui ont eu des accès d’éternuements en mangeant une tranche de pain
savent aussi que la morve dans le nez et le contenu de la bouche jaillissent
tous deux à la vitesse d’une fusée. Des morceaux visqueux d’une tranche de
pain complet avec une fine tranche de fromage, mélangés à des
expectorations et à de la morve. Ce n’est pas sans raison que Lydia
Bourouiba qualifie la toux et l’éternuement « d’incidents expiratoires
violents ».
Un agent pathogène qui infecte la muqueuse nasale provoquera une
inflammation localisée. Les cellules de la membrane réagissent en
augmentant la production de mucus, lequel s’évacue par le nez.
Normalement, la morve est translucide : la couleur verdâtre est due aux
globules blancs du système immunitaire. Le but de l’éternuement est
d’expulser l’agresseur ainsi que les cellules mortes de la muqueuse et des
défenses immunitaires. Atchoum !
La réponse scientifique à la question de savoir jusqu’où peuvent être
projetées les particules d’un éternuement est aussi fascinante
qu’inquiétante. En filmant au ralenti des personnes en train d’éternuer, il
apparut que toutes les gouttelettes ne tombaient pas par terre tout de suite,
mais qu’au lieu de cela, un un nuage d’air chaud et humide se formait. Ce
nuage s’élevait et entraînait avec lui un grand nombre de microgouttelettes.
Les chercheurs calculèrent que ces gouttelettes pouvaient être projetées
jusqu’à six mètres après une quinte de toux, et jusqu’à huit mètres après un
éternuement. Des calculs mathématiques montrèrent également que les
particules pouvaient rester en suspension dans l’air jusqu’à dix minutes. Les
gouttelettes pouvaient très bien s’élever jusqu’au système de ventilation
dans le plafond, et de là passer d’une pièce à l’autre, d’un étage à l’autre.
Des gouttelettes projetées à huit mètres dans une pièce et planant pendant
dix minutes après un éternuement : ces résultats témoignent du potentiel
élevé de la contagion des maladies.

Des gouttelettes potentiellement mortelles

Jusque récemment, on croyait que le fluide sortait de la bouche sous


forme de gouttelettes finies. Les centaines de vidéos de volontaires
éternuant dans le laboratoire de Lydia Bourouiba firent une tout autre
démonstration : le fluide est projeté hors de la bouche sous forme de flocons
qui se dilatent avant de devenir creux et de se décomposer en filaments de
salive.
Pour analyser de quelle façon les agents pathogènes se déplacent lors d’un
éternuement, il est indispensable que des personnes gravement malades
soient disposées à éternuer dans un laboratoire ultrasécurisé. Les
scientifiques ont besoin de contrôler la température, le vent et la
propagation des gouttelettes contagieuses. L’un de leurs objectifs est
d’établir de manière précise le mode de propagation des divers virus et
bactéries dans une pièce et de déterminer si une épidémie se propage dans
l’air ou par contact.
Les modèles théoriques sur la façon dont les gouttelettes se déplacent dans
une pièce peuvent également être utiles lors de la construction des hôpitaux,
des aéroports et des immeubles de bureaux. Si le système de ventilation ou
les courants d’air augmentent le risque d’infection, une mesure pourrait
consister à modifier le débit d’air dans le bâtiment pour améliorer la santé
des utilisateurs. Encourager sans ambiguïté les gens à éternuer dans leur
coude contribuera également à diminuer le nombre de particules virales
flottant dans la pièce.
Autre exemple de gouttelettes dangereuses : les bactéries qui jaillissent de
la cuvette des toilettes quand on tire la chasse d’eau. Il s’agit toujours de
comprendre comment les maladies se propagent en milieu hospitalier, par
exemple la bactérie intestinale Clostridium difficile. Des chercheurs
placèrent donc leur caméra devant une cuvette de toilette, tirèrent la chasse
et se mirent à analyser le type de formation des gouttelettes et leur rayon
d’action. Pouvaient-elles se poser jusque sur la brosse à dents présente dans
la même pièce ?
Dans le passé, d’autres chercheurs ont découvert et mis en garde contre la
contamination des projections de la cuvette des toilettes, mais personne n’a
conçu de modèles mathématiques pour comprendre comment l’eau échoue
ailleurs que dans les toilettes. Pour donner une idée de la distance à laquelle
sont projetées les gouttelettes, Lydia Bourouiba déclare que « c’est assez
choquant ». La manière la plus simple de se protéger est de ranger la brosse
à dents dans le placard et de rabattre le couvercle avant de tirer la chasse.
Pour la moitié de la population qui peut choisir de rester debout pour
uriner, le jet vers la cuvette des toilettes constitue une source de transport
similaire pour les gouttelettes un peu partout dans la pièce. Vous pourrez
peut-être sentir des gouttes microscopiques contre la jambe si vous portez
un short et si vous vous tenez au-dessus de la cuvette. Fort heureusement,
l’urine est stérile.

Une baignoire remplie d’urine

Le smoothie à la betterave rouge a fait le tour de tout le corps et les


cellules ont absorbé l’énergie et l’eau dont elles avaient besoin. Le colorant
de la betterave rouge, le cœur même de l’expérience que nous sommes en
train de réaliser, fait lui le voyage jusqu’aux reins. Si l’expérience est
réussie, le pigment rouge teintera l’urine en rose vif.
Les deux organes en forme de haricots représentent moins d’1 % du poids
du corps, mais ils reçoivent un quart du sang pompé à chaque battement de
cœur. Les reins, champions du multitâche, régulent à la fois la pression
sanguine, l’équilibre en sel, la soif et l’acidité du sang. Ils fabriquent aussi
des hormones et excrètent les déchets du corps : les déchets issus du travail
musculaire, les protéines décomposées et les cellules sanguines mortes.
Quand l’urologue Anders Debes explique la manière dont les reins
s’acquittent de toutes ces tâches, il donne un chiffre qui a priori semble
incroyable : les reins produisent 180 litres d’urine chaque jour. 180 litres,
soit l’équivalent d’une baignoire remplie d’urine ! J’avoue que je suis
étonné et impressionné, mais cela ne colle pas tout à fait avec ce que j’ai
observé de ma propre production d’urine. Il s’avère (fort heureusement) que
presque toute l’urine est réabsorbée dans les reins, de sorte que nous
n’urinons qu’un litre et demi d’urine par jour.
Comme tout urologue, Debes est expert en pénis, scrotum et prostate,
ainsi qu’en reins et en vessie. Je lui parle de l’expérience que je suis en train
de réaliser et lui demande dans combien de temps je peux m’attendre à voir
mon urine colorée. Il s’est écoulé une journée depuis que j’ai avalé mon
smoothie à la betterave rouge, mais je n’ai encore rien remarqué dans mes
urines. J’ai bien peur que l’expérience soit tombée à l’eau, et non pas dans
la cuvette des WC !
Le docteur Debes m’explique que normalement, il faut attendre entre trois
et cinq heures avant que l’on puisse voir un changement de couleur dans
l’urine. Le liquide reste environ une demi-heure dans l’estomac, une heure
dans l’intestin grêle et va assez rapidement jusqu’aux reins avant d’être
stocké dans la vessie.
Je repense à la veille et je reconnais que six à sept heures après l’ingestion
du smoothie à la betterave rouge, mon urine était plus orange que
d’habitude.
L’urologue précise que la couleur de l’urine ne devient pas rouge foncé,
mais le plus souvent rose clair. La couleur variera également d’une
personne à l’autre, et le rose doit rivaliser avec la couleur jaune habituelle
de l’urine. Je suis rassuré de constater que je suis normal, mais je suis tout
de même un peu déçu par le résultat quelque peu timide.
Il n’est pas inhabituel que les services d’urologie reçoivent des patients
inquiets de la présence de sang dans leur urine. L’une des questions de
routine consiste à savoir s’ils ont mangé beaucoup de betteraves rouges.
Beaucoup n’ont pas réfléchi à cela, alors si la réponse est oui, on les renvoie
le plus souvent chez eux en leur recommandant de vérifier si cela passe. Le
docteur Debes souligne toutefois que deux morceaux de betterave rouge sur
une tranche de pain avec du pâté de foie ne suffisent pas pour teinter l’urine.
Peut-être ai-je bu trop peu de smoothie ?

Ce que vous ne voulez pas savoir


sur l’urine dans la piscine

Il est courant d’uriner entre six et huit fois par jour, plus une fois la nuit.
Au total, cela fait un litre et demi d’urine au quotidien. Le docteur Debes
m’assure que toutes les nuances du jaune clair au brun foncé sont normales.
La couleur vient des déchets jaunes des cellules sanguines mortes qui
étaient rouges auparavant.
En ayant recours à un peu de chimie, l’urine peut revêtir presque toutes
les couleurs de l’arc-en-ciel. Les médicaments pour la tuberculose peuvent
donner à l’urine une teinte rouge ou orange, tandis que le propofol, une
substance utilisée en anesthésie, peut colorer l’urine en vert, et le bleu de
méthylène, un indicateur d’acidité, teinte l’urine en bleu. La bile peut
donner à l’urine la couleur du Coca-Cola, tandis que le café, le safran, le
thon et les asperges peuvent de leur côté modifier son odeur.
De plus, le goût de l’urine a une valeur d’information importante pour les
médecins depuis de nombreuses années. Les diabétiques ont un excès de
sucre dans les vaisseaux sanguins et la molécule de sucre passe dans l’urine.
Résultat : l’urine a un goût sucré. Ce goût sucré, que les médecins analysent
en en prenant une petite gorgée, est aussi la raison pour laquelle on appelait
le diabète honey-urine disease (la maladie de l’urine au miel). En revanche,
boire sa propre urine n’est pas une bonne stratégie de survie car le corps a
besoin de plus d’eau qu’il n’en acquiert en buvant cette urine pour se
débarrasser de ce recyclage liquide.
Les reins ajustent le volume d’urine pour coordonner l’équilibre des
fluides dans le corps grâce à des capteurs réagissant à la pression artérielle
et aux modifications dans la concentration de sel dans le sang. Si trop peu
de sel ou trop peu de sang passent par les reins, ceux-ci produisent un
volume d’urine moindre.
Les reins n’interviennent pas seuls, car des capteurs dans le cerveau
analysent aussi la concentration de sel dans le sang et envoient un message
si ce taux est trop élevé. Trop de sel signifie trop peu d’eau. Dans ce cas, un
signal du cerveau arrive, demandant aux reins de diminuer le volume
d’urine, tandis qu’un second signal vous incite à boire.
À d’autres moments, le signal annonce qu’il y a trop de liquide dans le
corps, et qu’il faut en expulser. Pour de nombreuses personnes, cela se
produit sous forme de gouttelettes sans que l’on s’en rende compte.
Généralement, nous ne sommes en contact qu’avec nos propres fluides
corporels. Mais pas dans les piscines où des quantités inconnues d’urine
emplissent les bassins. L’urine en elle-même est stérile et inoffensive, mais
les déchets azotés qu’elle contient peuvent réagir avec le chlore de l’eau du
bassin et irriter les yeux et les poumons.
Une équipe de chercheurs canadiens menée par Xing-Fang Li a recueilli
250 échantillons d’eau issus de trente-et-une piscines dans deux villes
canadiennes et trouva des traces d’urine dans tous les échantillons.
Dans un bassin long de 25 mètres, large de 10 mètres et profond de
2 mètres, le volume d’urine était d’environ 40 litres. Bien que ces 40 litres
d’urine constituent moins de 0,01 % du volume d’eau total de
500 000 litres, la conclusion est claire : arrêtez d’uriner dans les piscines !
Une expérience avec ses propres fluides corporels

Je me décide à retenter l’expérience. Trois betteraves rouges de taille


moyenne font partie d’un dîner tardif ; les racines comestibles ont été cuites
au four avec de l’huile et du sel pendant trois quarts d’heure. Le lendemain
matin : jets orange-rose dans la cuvette des toilettes. Dans un accès de fierté
biologique, je sors mon portable et j’envoie un Snap à tous ceux
susceptibles, je crois, de se réjouir de cet exploit.
J’ai parié juste pour sept des neuf destinataires. Ce n’est pas donné à tout
le monde de supporter un gros plan d’un liquide corporel rose au petit-
déjeuner.
En revanche, moi, je suis mordu par le virus des expériences, et il est en
particulier un fluide corporel dont je me suis toujours demandé à quoi il
pouvait bien ressembler. C’est loin d’être aussi simple que d’acheter un
smoothie à la betterave rouge à l’épicerie du coin : je dois en effet accepter
qu’on m’enfonce une aiguille dans la hanche.
3. N.D.T. : Le tissu conjonctif est en grande partie composé d’eau, contenue dans les cellules de soutien et de protéines extra-
cellulaires de soutien (le collagène par exemple).
6. L’AIGUILLE
EXPÉDITION
MOELLE OSSEUSE
Sans penser aux conséquences, j’ai écrit au professeur Therese Standal à
la NTNU (Université Norvégienne de Sciences et de Technologie) pour lui
dire que je pourrais éventuellement faire don de ma moelle osseuse pour des
fins de recherche. « Nous pouvons organiser des prélèvements de moelle
osseuse si vous le souhaitez – tous les échantillons que nous pouvons nous
procurer sont les bienvenus », fut sa réponse. Deux mois plus tard, je suis
dans le train via Dovre et je n’en mène pas large, car Therese Standal m’a
confié avec un grand sourire que le prélèvement de moelle osseuse est
particulièrement douloureux pour des gens comme moi : des hommes
jeunes et en bonne santé.
Therese Standal est chercheuse dans le domaine des cancers de la moelle
osseuse. Chaque type de cancer nécessite un type de traitement et à la
NTNU, certains des plus éminents chercheurs du pays travaillent sur ce type
de cancer.
Le cancer impacte l’équilibre des cellules qui entretiennent l’os. Le
cancer, infiltré au sein de la moelle osseuse liquide, attaque l’os dur. Trop
de cellules endommagent la structure du squelette et trop peu participent à
son renouvellement. Résultat : les patients se brisent plus facilement les
bras ou les jambes et peuvent éprouver de vives douleurs dans les
articulations et les os.
C’est pourquoi Therese Standal et ses collègues essaient de développer de
nouveaux traitements dont le but est d’éviter la progression du cancer issu
de la moelle osseuse au sein du squelette osseux. Beaucoup de progrès ont
été réalisés et au cours des quinze dernières années, la durée de vie
moyenne après le diagnostic est passée de trois ou quatre ans à sept ou
huit ans.
Pour aller encore plus loin, il faut notamment comprendre davantage le
mode de fonctionnement de la moelle osseuse normale. J’ai accepté d’y
contribuer.

Un peu plus épais qu’un spaghetti


Je trouve le chemin de l’hôpital universitaire St Olav, à Trondheim, et me
présente à la polyclinique pour les maladies du sang, où le docteur Tobias S.
Slørdahl doit prélever ma moelle. Il m’explique que celle-ci n’est ni grise ni
transparente, mais rouge, avec une teinte plus chaude que le sang normal.
Une moelle osseuse normale fabrique grosso modo trois types de cellules :
les globules rouges qui acheminent l’oxygène dans les artères, les
nombreuses et très diverses cellules immunitaires qui patrouillent partout
dans le corps, et les cellules qui fabriquent les plaquettes contribuant à la
coagulation sanguine.
La moelle osseuse héberge les cellules-souches et tous les stades de
développement ultérieurs jusqu’au stade de cellules terminées et matures
qui, plus tard, trouvent le chemin d’un vaisseau sanguin. En plus des
cellules qui feront partie du sang et des défenses immunitaires, la moelle
osseuse abrite des cellules osseuses, des cellules du tissu conjonctif et des
graisses.
À l’hôpital St Olav et dans d’autres hôpitaux, des extraits de moelles
osseuses saines sont utilisés pour poser le bon diagnostic aux patients
atteints de maladies du sang. Même si plusieurs maladies peuvent se
traduire par des symptômes similaires, comme de la fatigue et de mauvaises
défenses immunitaires, il est important de poser un diagnostic précis pour
choisir le bon traitement. À partir d’un échantillon de moelle osseuse, les
spécialistes peuvent décréter ce qui ne va pas, souvent en collaboration avec
des pathologistes expérimentés. Les analyses peuvent révéler quel type de
cellule s’est accumulé dans la moelle osseuse, à quel sous-groupe
appartiennent les cellules dangereuses, et ce qui peut être fait pour aider le
patient à guérir.
Le docteur Slørdahl me montre les instruments qui sont prêts sur la
paillasse. L’aiguille a une poignée solide, verte, et la pointe mesure environ
cinq centimètres de long. Le diamètre est d’un millimètre et demi, soit à
peine plus épais qu’un spaghetti.
Le médecin trace une ligne sur le point de repère à l’arrière de ma hanche
avec un marqueur avant de la recouvrir de tissu stérile. Je sens une petite
piqûre dans la peau, ensuite une pointe de seringue qui touche la membrane
osseuse. L’anesthésie me fait mal pendant une minute ou deux.
Slørdahl prélève 20 millilitres de moelle osseuse à l’arrière de l’os de ma
hanche. Le liquide ne coule pas tout seul, il faut le pomper avec une
seringue. Tandis que le médecin prélève la moelle, il se produit comme une
dépression à l’intérieur de l’os, un vide qui crée un malaise. La douleur
n’est pas localisée à un seul endroit mais répartie entre le bas du dos,
l’arrière de la cuisse et dans les orteils.
Quand j’écouterai plus tard l’enregistrement sonore de la séance, je
réaliserai qu’il s’écoule moins de deux minutes entre le moment où
l’aiguille spaghetti pénètre mon os et la fin de l’intervention. Le
prélèvement lui-même ne prend que soixante-dix petites secondes, une
grosse minute où je suis plus soucieux d’essayer de décrire la douleur que
de sentir vraiment à quel point cela fait mal. Soixante-dix secondes de
déplaisir provisoire pour une bonne cause, c’est vraiment quelque chose de
tout à fait supportable.
Quand nous en avons terminé, j’ai droit à un bandage sur la plaie et à une
tape sur l’épaule. Le médecin montre avec enthousiasme deux tubes minces,
contenant chacun dix millilitres de moelle osseuse chaude, couleur rouge
foncé, directement issue de mon corps. J’accepte l’offre de suivre mon
fluide corporel jusqu’au labo du deuxième étage.

42 millions de cellules pour la recherche

Un quart d’heure plus tard, c’est Lill Anny Gunnes Grøseth qui vient me
chercher : elle est directrice générale de la bio-banque norvégienne pour le
cancer de la moelle osseuse. Elle me remercie pour mon don et me tend une
blouse blanche. Ainsi habillé, je peux séjourner dans son laboratoire et
observer le processus de préparation du sang et de la moelle osseuse pour
les futures expériences. Plusieurs projets de recherche ont besoin de
comparer le sang et la moelle osseuse de personnes malades aux extraits
correspondants de sujets sains. Mes fluides corporels seront stockés en tant
que contribution d’un donneur anonyme.
Seuls les globules blancs présents dans la moelle osseuse intéressent la
chercheuse Anne-Marit Sponaas, qui attend au deuxième étage. Grøseth
transvase donc la moelle osseuse dans un tube tout à fait spécial. Ce tube
contient une gelée qui permet de trier les différents types de cellule sans
attendre que la gravité fasse le travail en plusieurs heures. Les globules
blancs sont plus légers que les rouges, aussi, quand une centrifugeuse fait
tourner le tube plusieurs milliers de fois par minute, les cellules se
répartissent en couches dans la gelée.
Une demi-heure plus tard, nous obtenons le résultat attendu. Le fond du
tube est couleur bordeaux à cause des cellules sanguines, compressées sur le
dessous par un centimètre et demi de gelée blanche jaunâtre. Juste au-
dessus on trouve une couche de cellules épaisse d’un centimètre. Le liquide
n’est pas tout à fait transparent, plutôt gris, comme si quelqu’un avait versé
un peu de lait entier dans l’eau. Ici se concentrent tous les globules blancs
de la moelle osseuse. Les trois centimètres du haut du tube sont constitués
de plasma et de plaquettes, surmontés d’une couche de graisse de
trois millimètres.
Grøseth transvase chacune des couches dans des tubes à part avant
d’utiliser une machine pour compter le nombre de globules blancs. « Au
total, 42 millions de cellules mononucléées ! », conclut Grøseth. Chez les
patients atteints du cancer, il n’y a pas toujours autant de globules blancs
sains. Par conséquent, il est utile pour les chercheurs d’avoir accès à la
moelle osseuse saine des donneurs.

Collaboration

Au deuxième étage, la chercheuse Anne-Marit Sponaas se tient prête et


elle prendrait bien 30 millions de cellules d’un seul coup. Je suis Grøseth
dans l’ascenseur. Ça sonne, les portes s’ouvrent, nous remontons un long
couloir et passons devant une dizaine de bureaux où des chercheurs sur le
cancer travaillent d’arrache-pied. Anne-Marit Sponaas nous accueille avec
un sourire et me remercie chaleureusement.
Les quatre chercheurs travaillent en étroite collaboration pour acquérir de
nouvelles connaissances et mettre au point de meilleurs traitements. Bien
qu’ils en sachent long sur une moelle osseuse normale, ils ignorent en détail
la façon dont les globules blancs sont impactés par tous les
neurotransmetteurs que produit le reste de la moelle osseuse.
Anne-Marit Sponaas me donne une nouvelle blouse blanche et me laisse
observer le début de l’expérience. Sur une table de travail stérile, elle
répartit mes cellules dans huit petits récipients, puis ajoute diverses
combinaisons de neurotransmetteurs aux cellules et croise les doigts. Les
trois jours suivants, les cellules de mes fluides corporels continuent à vivre
dans un incubateur en laboratoire.
Ce projet de recherche est l’un des nombreux exemples dans lesquels les
fluides corporels des donneurs sont au cœur des travaux. Les gouttes de
moelle osseuse, de sang, de salive et de larmes détiennent la vérité sur qui
nous sommes, même si bon nombre de réponses sont encore bien cachées.
La recherche actuelle apporte des connaissances importantes et permet de
mettre au point de nouveaux traitements pour ceux qui en ont besoin.
Les résultats obtenus repoussent également les limites de ce que les
fluides corporels révèlent sur nous-mêmes.
7. L’ADN
LA VÉRITÉ SUR VOUS
Les fluides corporels racontent des histoires fascinantes sur nos origines et
sur ce dont nous mourrons peut-être. Mais que se passe-t-il si les
informations s’égarent ou vous donnent une réponse dont vous ne voulez
pas ?

C.

Au cours de la Première Guerre mondiale, les Britanniques ont eu besoin


d’un nouveau stratagème pour communiquer sans être découverts. Les
messages invisibles écrits avec du jus de citron ou de la pommade n’étaient
plus sûrs, car les Allemands avaient trouvé de quelle façon ils pouvaient les
révéler. Le déclic se fit lorsque les agents britanniques s’aperçurent que le
sperme pouvait servir d’encre invisible.
Facile d’accès pour les agents, le sperme ne réagissait pas aux révélateurs
des autres liquides invisibles. « À chacun son stylo encre », aurait dit
Manfield Cumming, à l’époque chef du MI6. Il fut aussi le premier au MI6
à signer simplement de son initiale, C.
Dans son livre Prisoners, Lovers and Spies (Prisonniers, amants et
espions), Kristie Macrakis écrit que les agents secrets se mirent « à
expérimenter avec joie cette découverte ». Elle raconte encore que l’agent à
l’origine de cette trouvaille fut transféré dans un autre service tellement ses
collègues le taquinaient. Un agent à Copenhague, qui ne suivit pas les
instructions enjoignant de préparer une nouvelle recharge pour chaque
lettre, stocka le sperme dans une bouteille. Résultat : les messages secrets
sentaient très fort quand ils arrivaient.
Cette odeur révèle que quelque chose cloche, aussi le sperme n’est-il pas
l’idéal en tant qu’encre invisible. De plus, la chaleur fait changer le liquide
de couleur, de sorte que l’écriture devient lisible. Le sperme et d’autres
fluides corporels comme l’urine, la salive et le lait s’illumineront, eux aussi,
sous le faisceau d’une lampe à UV. Ces fluides contiennent des substances
chimiques qui absorbent la lumière ultraviolette et libèrent l’énergie sous
forme de lumière visible. Durant la Première Guerre mondiale, des lampes à
quartz servaient ainsi à lire les messages phosphorescents à base de fluides
corporels. Dans les enquêtes médico-légales modernes, on a recours à une
lampe de poche à rayons ultraviolets afin de détecter l’éventuelle présence
de fluides corporels. Il est également possible d’ajouter des substances
chimiques qui réagissent aux fluides corporels et changent de couleur à leur
contact, révélant les messages invisibles. Car nos fluides sont tout sauf
anonymes.

Des réponses sur moi-même

Pour en savoir davantage sur mes fluides corporels, j’ai pris place un
mardi de juin sur un banc au soleil et j’ai pensé intensément à un citron. Les
glandes salivaires ont obéi à ce qui leur a été demandé et des gouttes sont
tombées sur ma langue puis dans un tube en plastique. Les vingt minutes
suivantes, j’ai recueilli presque deux millilitres de salive. Ce volume est
étonnamment élevé quand vous devez le fabriquer sans avoir recours à de
l’eau ou à un chewing-gum. D’où l’utilité d’un citron imaginaire.
Ayant terminé de cracher et la bouche plutôt sèche, j’ai suivi le reste des
instructions qui figuraient sur la boîte portant l’inscription Welcome to you.
J’ai rabattu le couvercle sur la salive et vissé le bouchon. Et voilà ma salive
partie pour l’Amérique. Mon fluide corporel est en route pour la société
répondant au nom inoffensif et tentateur de 23andMe. Qui a peur d’une
entreprise de biotechnologie et d’analyse génomique, pourtant très
controversée, avec un nom qui rime ?
La salive contient des cellules de la muqueuse buccale et des glandes
salivaires. Dans ces cellules, il y a l’ADN. Mon ADN, qui est unique et
renferme aussi l’histoire de ceux avec qui je suis apparenté, en remontant
loin dans le temps. Une simple analyse de l’ADN d’un fluide corporel peut
donc dire d’où je viens.
Mais ce n’est pas aussi simple, car pour savoir d’où vient mon ADN, il est
nécessaire qu’il y ait un ADN des temps anciens auquel le comparer. Or, il
n’y en a pas. Il n’existe pas d’ADN millénaire de toutes les régions du
monde qui puisse servir de référence pour déterminer d’où vient ma famille.
Alors que faire ?
Eh bien, en l’absence de fluides corporels de gens ayant vécu il y a des
millénaires, l’entreprise utilise l’ADN de gens qui vivent de nos jours.
23andMe appelle ça les bases de données de référence, l’ADN de gens qui
ont des histoires génétiques connues, le plus souvent attestées à travers des
arbres généalogiques et des chroniques familiales. 23andMe va comparer
l’ADN de mes fluides corporels à celui de personnes de référence. Si nous
avons des ADN qui se ressemblent, la conclusion est que mes origines sont
les mêmes que les leurs.
Trois semaines plus tard, je reçois la réponse. 100 % européen et pas de
grandes surprises. On me confirme que je suis un quart britannique. Le reste
de mes gènes vient de Scandinavie et d’une zone définie par l’algorithme
comme « largement au nord-ouest de l’Europe ».
En plus de la cartographie géographique du lieu d’origine de mes gènes en
Europe, l’analyse de l’ADN de ma salive donne aussi des informations
concernant la localisation des différentes origines de mes vingt-trois paires
de chromosomes. Les chromosomes montrent un patchwork de l’héritage de
la mère et du père, ayant hérité eux-mêmes de deux ensembles de grands-
parents. Ma combinaison génétique est unique au monde. La vôtre aussi.
Pensez-y.
Puisque je suis un homme doté d’un chromosome X et d’un
chromosome Y, je dois mon chromosome Y à mon père. Le chromosome X
me vient de ma mère. C’est de son côté que se situent les antécédents
britanniques. Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis fier de ma génétique,
mais je trouve cela assez amusant d’avoir un chromosome X de Manchester.
En pratique, cela signifie que ma mère et moi partageons des traits qui sont
gérés par un ou plusieurs gènes sur le chromosome X. Ma chère moitié
esquisse un sourire et commente la génétique ainsi : « Est-ce que cela
concerne aussi l’hypoglycémie ? »

Expéditions préhistoriques

23andMe hasarde des hypothèses sur qui je suis et comment je suis. La


société me signale à titre de fait génétique amusant que Marie-Antoinette et
moi avons un ancêtre commun qui vivait il y a 18 000 ans.
Tous les êtres humains vivant descendent des premiers Homo qui vivaient
en Afrique orientale il y a un peu plus de 300 000 ans. De là, Sapiens migra
vers le nord et dans le monde entier par vagues. En remontant dans le
temps, les chercheurs ont pu constater des variations génétiques transmises
de ma grand-mère maternelle à ma mère, puis à moi, ou bien de mon grand-
père à mon père, puis à moi. Les analyses donnent une image floue de la
façon dont mes ancêtres ont pris part à la migration hors d’Afrique.
23andMe conclut que je descends d’une femme qui traversa la mer Rouge
il y a environ 60 000 ans aux côtés de l’homme avec lequel elle eut un
enfant. Elle faisait partie d’une petite expédition qui effectua la traversée
jusqu’à la péninsule arabique avant de poursuivre sa migration vers
l’Europe quelques millénaires plus tard.
En revanche, ils ne furent pas les premiers sur place, car les
Néandertaliens étaient déjà là. Ceux-ci furent longtemps décrits comme des
troglodytes dénués de réflexion critique et d’expression culturelle. Les
dernières découvertes ont mis au jour des sculptures, des bijoux et des
gravures rupestres montrant des liens familiaux étroits et des aptitudes
artistiques chez nos lointains cousins disparus. Ce qu’ils ont laissé derrière
eux témoigne d’interactions sociales complexes entre les individus. En plus
des restes fossiles, nous avons également retrouvé des traces d’ADN de
Néandertaliens dans des ossements vieux de 40 000 ans, ainsi que dans nos
fluides corporels actuels, dans notre ADN.
En 2010, le chercheur suédois Svante Pääbo publia les résultats d’un vaste
travail collectif portant sur l’analyse ADN de trois Néandertaliens. Ils
avaient comparé les résultats avec cinq personnes vivant actuellement dans
différentes villes du monde, à la recherche de traits communs. Si Sapiens
avait eu des rapports sexuels avec les Néandertaliens il y a 50 000 ans, on
devrait logiquement trouver des traces génétiques chez nos contemporains.
Conclusion : environ 2 % de l’ADN des Européens, des Asiatiques et autres
non-Africains viennent des Néandertaliens. Cet apport est réparti sur tous
les chromosomes, et des groupes ethniques très divers ont gardé des traces
génétiques variées d’actes sexuels préhistoriques.
Mais que signifient 2 % dans un contexte aussi vaste ? Depuis 2010, des
analyses toujours plus détaillées ont donné des indices sur l’apport des
Néandertaliens dans notre ADN. Certaines font état d’un système
immunitaire renforcé ou d’adaptations à un climat nordique, tandis que
d’autres rendent les Néandertaliens responsables de maladies de la peau et
du sang.
Les hypothèses sont fondées sur l’observation de minuscules variations
génétiques chez les Néandertaliens, comparé aux humains modernes. Si la
lettre A est à la place numéro 150 dans le gène humain, et la lettre C à la
même place dans le gène néandertalien, 23andMe appelle cela une variante
néandertalienne. De telles variantes néandertaliennes peuvent-elles dire
quelque chose sur qui je suis ?

Un fier Néandertalien
Lorsque je me connecte à 23andMe, je reçois un message disant que
l’analyse de ma salive montrait jusqu’à 309 variantes néandertaliennes dans
mon ADN. Le record est de 397 et la moyenne de 267. J’ouvre de grands
yeux quand je vois que ce chiffre est plus élevé chez moi que chez 90 % de
leurs clients. Fort heureusement, 23andMe me rassure vite en disant que
l’héritage des Néandertaliens représente malgré tout moins de 4 %, soit une
fraction assez marginale de mon ADN.
À partir d’un simple échantillon de salive, les chercheurs arrivent
néanmoins à la conclusion que les rapports sexuels préhistoriques avec des
Néandertaliens se sont traduits par des conséquences visibles pour mon
corps. J’ai une variante génétique qui me donne des cheveux raides, une
variante qui diminue le nombre de poils sur le dos, une variante qui me fait
plus grand et une qui me fait plus petit. Le vainqueur est une variante
génétique qui diminue la probabilité que j’éternue après avoir mangé du
chocolat noir. Merci aux Néandertaliens !
Bien sûr, ce n’est pas comme si les variantes génétiques étaient des
interrupteurs qui activent et désactivent les caractéristiques corporelles. Il
existe un petit nombre d’exceptions simples et sans importance. La cire
d’oreille est l’une de ces exceptions. La cire d’oreille, que l’on appelle aussi
le cérumen, est une sécrétion épaisse et visqueuse qui protège le conduit
auditif. Le fluide se présente sous deux formes : l’une humide et collante
comme de la morve, l’autre sèche et floconneuse comme des miettes de
pain. Le gène qui sécrète ces deux types de cérumen est long de
4 576 lettres et s’appelle ABCC11. À la place numéro 538 dans le gène, on
trouve soit un G soit un A. Dans son ouvrage A Brief History of Everyone
Who Ever Lived (Une brève histoire de tous ceux qui ont vécu), Adam
Rutherford explique les grandes conséquences qu’a cette petite modification
pour la cire d’oreille. Les personnes possédant sur une même paire de
chromosomes deux exemplaires du gène ABCC11 avec la lettre G ont du
cérumen collant, tandis que les personnes ayant deux exemplaires de la
variante A ont du cérumen sec ! Les personnes possédant un de chaque ont
aussi du cérumen collant.
Les variantes génétiques deviennent encore plus passionnantes quand on
voit comment le cérumen est « enduit à la surface du globe », selon
l’expression de Rutherford. En Afrique, tout le monde a du cérumen collant,
tandis qu’en Asie, tous ont de la cire d’oreille sèche. Comment se fait-il
qu’au fur et à mesure de la migration des humains vers l’Est, notre cérumen
soit de plus en plus sec ? Sur ce point, les chercheurs manquent
d’explications satisfaisantes et en sont réduits à des spéculations. Une
possibilité est que ABCC11 fasse plus que simplement modifier le type de
cérumen. Les scientifiques japonais pensent que la variante génétique qui
donne du cérumen collant aux Européens contribue également à augmenter
l’odeur et la production de sueur. On ignore quel rôle joue ce gène sous les
bras et cela montre qu’un exemple apparemment simple est en réalité
beaucoup plus complexe.
23andMe explique que des algorithmes et des questionnaires sur leurs
clients ont été utilisés pour trouver la corrélation et l’association entre les
cinq variantes néandertaliennes et mes traits physiques. L’ordinateur
cherche des situations où des choses différentes se produisent en même
temps, par exemple une variante génétique et la quantité de poils sur le dos.
Le résultat est ensuite comparé à l’humain moyen. Les conséquences de
l’une ou l’autre variante génétique sont minimes. Il n’empêche. Avoir
moins de poils sur le dos et se goinfrer de chocolat noir sans éternuer ? Oui,
merci.
Pouvons-nous utiliser également les variantes génétiques pour expliquer
qui nous sommes et pourquoi nous agissons comme nous le faisons ?
En 2009, un juge italien se vit poser la même question et sa réponse en
surprit plus d’un. L’affaire concernait un homme adulte ayant des
problèmes psychiques qui, en première instance, avait été condamné à
neuf ans de prison pour le meurtre d’un autre homme. En appel, l’avocat de
la défense fit effectuer un test ADN pour détecter d’éventuelles variantes
génétiques dans quatre gènes différents liés à un comportement violent.
L’accusé réagit positivement au test. Il avait notamment une variante
génétique dans le gène MAOA que d’autres chercheurs avaient
précédemment découvert chez des hommes violents et des criminels.
Le juge crut l’avocat de la défense quand celui-ci expliqua que la variante
génétique rendait le prévenu plus enclin à commettre des actes violents. La
peine fut donc ramenée de neuf ans à huit ans, une décision qui créa un
grand débat international. Utiliser des variantes génétiques pour justifier ses
actes confine au débat sur le libre arbitre. Est-ce moi qui décide ou bien
sont-ce mes gènes ? Une conséquence plus grave pour les personnes
atteintes de ces variantes génétiques serait que la société s’attende à de
futures infractions de leur part et aggrave les sanctions plutôt que de les
diminuer.
10 % africain

Plonger dans la préhistoire génétique ne donne pas toujours des réponses


aussi simplifiées que mon échantillon de salive ou le procès italien. Bien
avant de connaître l’ADN, le sang était fortement lié à la parenté et aux
couches sociales. La couleur du sang était prépondérante : les membres de
la famille royale, au sang bleu, se situaient au-dessus du commun des
mortels, au sang rouge. Un frère de sang était davantage qu’un simple ami,
et les pouces ensanglantés pressés l’un contre l’autre faisaient de quelqu’un
plus qu’un frère ou une sœur. La quantité de sang était également
importante, et dans les États du sud des États-Unis, un seul arrière-grand-
parent d’origine africaine suffisait pour se voir accusé d’être Africain soi-
même. Une goutte de sang africain dans les veines excluait l’arrière-petit-
fils de la société blanche. Le sang dans les veines témoigne de l’histoire,
des capacités et des qualités de la famille.
Désormais, n’importe qui peut remplacer l’arbre généalogique par un test
ADN ; pour cela, un échantillon de salive ou une goutte de sang font
l’affaire. Le but, pour certains, est de prouver à soi-même et aux autres que
l’on appartient à un groupe ethnique spécifique. Les réponses ne sont pas
toujours celles que l’on attend. Car que diriez-vous si vous êtes un blanc
suprémaciste de l’Alt-right, c’est-à-dire d’extrême-droite, et que vous
receviez une lettre par la Poste vous annonçant que vous avez 10 % de sang
africain dans les veines ?
Après avoir étudié plus de 3 000 publications sur Stormfront, un forum
Internet fondé à la fin des années 1990 par un ancien leader du Ku Klux
Klan, les chercheurs Aaron Panofsky et Joan Donovan de l’Université de
Californie à Los Angeles ont pu déterminer que les suprémacistes blancs
réagissent de trois façons différentes à ce qui est clairement considéré pour
eux comme une « mauvaise nouvelle ».
Certains ont choisi de discréditer le test lui-même, allant jusqu’à prétendre
que la société qui a effectué l’analyse fait partie d’une conspiration juive. Ils
préfèrent construire leur identité sur la base d’arbres généalogiques
traditionnels, sans interférence de la technologie moderne.
Un autre groupe met en doute les méthodes statistiques utilisées et fournit
d’autres arguments pour expliquer comment son ADN peut être similaire à
celui de non-Européens.
Un troisième groupe d’utilisateurs de ce forum Internet semble accepter
les résultats des tests d’ADN. Cela se traduit, entre autres, par des
discussions dans lesquelles les utilisateurs tentent d’élargir ou de modifier
les définitions de ce que signifie « être blanc ». Ils arguent, notamment, que
si la définition du blanc est basée sur les stricts résultats des tests d’ADN,
les nationalistes risquent rapidement d’être à court de nouveaux membres.
Dans la grande majorité, leurs antécédents génétiques témoignent de
mélanges entre des personnes venant de différents endroits du monde. Les
informations à partir de quelques gouttes de fluide corporel peuvent être
importantes pour comprendre, à l’âge adulte, sa propre identité. Mais pour
les enfants, la connaissance des fluides corporels est cruciale pour la vie et
la santé.

Gouttes de bébé éternelles

Dans son livre Norske forskingsbragder (Faits marquants dans la


recherche norvégienne), Unni Eikeseth raconte l’histoire de Liv, 6 ans, et de
Dag, 4 ans. Très tôt, les parents s’étaient aperçus que leurs enfants ne se
développaient pas normalement et qu’il se dégageait « de leur urine et de
leur haleine une odeur bizarre ». Les deux enfants étaient gravement
handicapés en termes de croissance, d’élocution et de mobilité. En
janvier 1934, après de nombreuses visites infructueuses chez le médecin, la
mère emmena Liv et Dag chez le professeur Asbjørn Følling au
Rikshospitalet d’Oslo.
Følling soumit alors les enfants à des tests de diabète en ajoutant quelques
gouttes de chlorure de fer à l’urine. Il s’attendait à une couleur violette ou
bordeaux, mais l’urine vira au vert olive, un résultat que Følling n’avait
encore jamais vu. Les mois suivants, Følling fit appel à ses connaissances
en biochimie pour découvrir ce qui teintait l’urine en vert et se retrouva
finalement avec une fiole de cristaux blancs d’une substance répondant au
nom d’acide phénylpyruvique. Après plusieurs expériences et tests, le
professeur Følling conclut que Liv et Dag souffraient d’une grave maladie
métabolique. Leurs corps ne parvenaient pas à décomposer l’acide aminé
appelé phénylalanine par le processus habituel, alors le produit de la
décomposition de l’acide phénylpyruvique s’évacuait dans l’urine.
Aujourd’hui, nous savons qu’il existe une enzyme, dans le foie, dont la
tâche consiste à décomposer la phénylalanine. Plus de
quatre cents mutations différentes du gène de l’enzyme peuvent provoquer
la phénylcétonurie, aussi connue en Norvège sous le nom de maladie de
Følling. Malgré l’absence de remède, les enfants peuvent vivre
correctement en suivant un régime alimentaire spécial évitant de trop fortes
quantités de phénylalanine. En revanche, les troubles du métabolisme
peuvent entraîner des lésions cérébrales si la maladie n’est pas détectée à
temps.
Les gouttes de sang annonciatrices de maladies graves font partie de la
toute première rencontre d’un bébé avec le système de santé. Grâce au
dépistage néonatal, tous les nouveau-nés peuvent être examinés. Ces
examens peuvent être étendus à plus de vingt maladies rares, congénitales,
héréditaires, dans lesquelles il importe de débuter le traitement le plus
rapidement possible. À l’automne 2017, deux maladies à l’origine d’une
déficience immunitaire sévère furent aussi incluses dans ces examens.
Sachant qu’en Norvège tous les enfants sont soumis au dépistage
néonatal4, les échantillons de sang peuvent devenir une bio-banque très utile
– bien que controversée – pour tous les Norvégiens. Le règlement stipulait
que les échantillons de sang seraient détruits au bout de six ans, mais à
l’automne 2017, le gouvernement présenta une motion visant au stockage
permanent des échantillons de sang des nourrissons. Ces échantillons de la
bio-banque seront utilisés pour « les soins de santé, l’assurance qualité, le
développement des méthodes et la recherche ». En principe, cette bio-
banque donnera la possibilité aux chercheurs d’analyser l’ADN de tous les
Norvégiens sans avoir à obtenir une approbation préalable pour chaque
projet spécifique. Le Conseil de biotechnologie, l’Association des médecins
norvégiens, la Ligue des droits des enfants et l’Inspection des données
norvégienne ont tous mis en garde contre le stockage permanent des
échantillons de sang.
Car qu’adviendrait-il si quelqu’un venait à effectuer les analyses ADN de
tous les échantillons présents dans l’ensemble de la bio-banque ? Il
disposerait alors soudain d’informations détaillées sur tous les Norvégiens,
des informations personnelles et pouvant contenir des éléments sensibles.
En Chine, les parents peuvent payer l’équivalent de 1 500 euros pour
analyser tous les gènes de leur nouveau-né et obtenir des informations sur le
risque de maladies et toute une gamme de traits physiques. Ce genre de
registres peut également être utilisé par la police, l’État, les sociétés
pharmaceutiques et les compagnies d’assurance. Il est très difficile de
garder le contrôle sur ceux qui ont accès aux données, alors il faut veiller à
ce que personne ne fasse l’objet d’une discrimination génétique.
Par ailleurs, le stockage d’informations génétiques est un outil très utile
dans certaines situations. La police dispose de trois types de registres avec
ADN, des collections faisant partie de différents types d’enquêtes. Dans le
registre d’identité, la police a une vue d’ensemble des personnes déjà
condamnées à des peines de prison, de détention ou de travaux d’intérêt
général. Ce registre ne contient pas d’analyses d’ADN complètes, mais les
résultats d’une enquête ciblée sur des variantes génétiques à dix-
sept endroits de l’ADN où il y a une grande variation entre les personnes.
Le résultat est un profil d’ADN, une empreinte génétique unique qui nous
différencie les uns des autres.
À titre d’exemple, en Norvège, le registre d’enquête provisoire renferme
des profils ADN de plus de 10 000 personnes suspectées d’actes criminels.
Dans le registre des empreintes, où la police stocke toutes les empreintes
génétiques inconnues recueillies sur les scènes de crime, on trouve un
nombre équivalent de profils ADN.
Quelle aide incomparable si les enquêteurs pouvaient comparer les profils
ADN inconnus avec des échantillons de sang provenant du dépistage
néonatal et si les chercheurs avaient accès à une énorme bio-banque pour
tenter de trouver des traitements pour des maladies rares et graves. Mais les
réponses ne sont pas simples et l’opposition entre la protection de la vie
privée et l’intérêt supérieur de la société alimentent tensions et désaccords.
Le compromis entre les intérêts de la recherche et la protection de la
personne proposé par les membres du Conseil de biotechnologie norvégien
est d’autoriser le stockage pendant 16 ans maximum. À ce moment-là,
l’enfant est majeur selon les termes de la loi sur la santé et peut décider de
son propre chef d’intégrer ou non la bio-banque.
Contrairement aux nouveau-nés, les adultes peuvent décider eux-mêmes
les informations qu’ils souhaitent connaître à partir d’une petite goutte de
fluide corporel.

Un, deux ou trois points

En deux ou trois minutes seulement, l’analyse des fluides corporels peut


fournir des renseignements de taille sur la santé d’une personne : ce qui ne
va pas, ce que seront les conséquences et ce que l’on peut faire. De simples
gouttelettes donnent de grandes réponses.
Je prends l’ascenseur qui monte jusqu’aux bureaux du Comité de la Santé,
dans le centre-ville d’Oslo, pour y subir ce qu’ils appellent un test rapide
de VIH. Un visage souriant ouvre la porte et me montre la salle d’attente.
Sur la table s’étalent des biscuits et des préservatifs, et sur une étagère
trônent des brochures sur le sexe sans risque et toutes les différentes
maladies sexuellement transmissibles. Un jeune homme, l’un des bénévoles
qui effectuent les tests, m’invite à entrer dans une pièce avec deux fauteuils
jaunes et quelques grandes plantes en pot.
Je m’assieds dans un fauteuil tandis qu’il sort son équipement. De ses
mains gantées, il ouvre un sachet stérile et verse le contenu dans un gobelet
en carton recyclé.
Le test VIH est si simple à réaliser qu’il est accompagné d’un test
similaire pour la bactérie qui donne la syphilis. Les tests rapides révèlent la
réaction des défenses immunitaires aux infections dans le corps.
L’homme désigne un coquetier blanc à fond carré où la réponse au test
apparaîtra une minute plus tard. Un point tout en haut pour montrer que le
test fonctionne, un point tout en bas si je suis positif au VIH, et un point sur
la gauche si je suis positif à la syphilis. S’il y a trois points, c’est que je suis
positif à la fois au VIH et à la syphilis.
Il se saisit de mon majeur, sort l’aiguille et me prévient qu’il va piquer. Je
ne sens rien, mais bientôt une goutte perle au bout de mon doigt. Avec une
pipette, il aspire une goutte de sang avant de mettre la goutte recueillie dans
une petite bouteille. Au contact de mon sang, le liquide prend une teinte
rouge orange.
Il verse le liquide orange dans le coquetier où il passe rapidement à travers
le filtre. Ensuite, il verse dessus un liquide bleu prélevé dans la bouteille
miniature sur laquelle figure le chiffre 2, puis un liquide blanc pour laver le
filtre. Je suis préparé à soixante longues secondes de silence embarrassant et
d’attente faite d’incertitude, mais très vite le résultat tombe. Un seul point,
tout va bien.

Séparer les personnes saines des malades

Dans les fluides corporels comme le sang, la salive et l’urine, de simples


tests permettent de détecter des signes de maladie. Une piqûre dans le doigt
peut suffire pour détecter des anticorps contre le VIH et une piqûre dans le
talon d’un nourrisson peut détecter des niveaux élevés de phénylalanine. La
recherche sur les signes de maladie, signes que l’on appelle souvent des
biomarqueurs, fait des progrès constants.
Les biomarqueurs sont des caractéristiques biologiques mesurables,
comme des cellules, des protéines ou de l’ADN, qui sont modifiés quand le
corps est malade ou ne fonctionne pas comme il le devrait. La glycémie, par
exemple, est un biomarqueur qui indique la réponse du corps à la nutrition,
tandis que la substance appelée PSA (Antigène Prostatique Spécifique),
issue de la prostate, contribue à déterminer si un homme est atteint d’un
cancer. S’il est possible de mesurer le taux de glycémie et de PSA dans les
fluides corporels rapidement et de façon fiable, de simples tests permettront
de prodiguer le bon traitement à ceux qui en ont besoin.
La concurrence internationale est féroce parmi les fabricants et les
chercheurs, et il reste encore un bon bout de chemin à faire avant que les
tests ne tiennent leurs promesses. Avec une technologie de plus en plus
pointue et des biomarqueurs aussi divers que complexes, il s’agit de ne pas
commettre d’erreurs.
Astrid Aksnes s’en accommode. Professeure à l’Institut des systèmes
électroniques à la NTNU (Université norvégienne de sciences et de
technologie), elle est à la tête d’une équipe de recherche multidisciplinaire
qui développera ce qu’ils appellent un labo sur une puce : un laboratoire
d’un centimètre carré seulement. En l’espace de vingt minutes, ce
laboratoire miniature donnera aux médecins des informations vitales sur la
santé à partir d’une goutte de fluide corporel.
Astrid Asknes me montre vingt petits carrés de silicium aux reflets noir et
vert foncé. L’un d’eux est couplé à des tuyaux en plastique, de minces tubes
pour transporter les fluides du corps sur la surface en silicium. Sur une
paillasse, l’un des chercheurs a préparé une puce pour le test. À gauche se
trouve un laser, et à droite, dissimulé sous une boîte en carton, un détecteur.
Des câbles en fibre optique acheminent la lumière du laser sur la puce, sur
laquelle cette lumière rencontre le fluide corporel, puis jusqu’au détecteur,
où un ordinateur prend en compte les biomarqueurs présents dans la goutte.
Le petit instrument peut mesurer le niveau de plusieurs biomarqueurs en
même temps. Astrid Aksnes imagine déjà une utilisation généralisée de
cette puce dans les cabinets de médecins du monde entier, ce qui donnera
des réponses rapides à des questions de santé importantes. Le médecin
mettra une goutte de fluide d’un patient sur la puce et obtiendra,
vingt minutes plus tard, la réponse à ses interrogations.
Le prototype de la NTNU peut identifier simultanément
trois biomarqueurs différents : la protéine C réactive (CRP) qui permet de
détecter des réactions inflammatoires, la lipocaline 2 qui indique si les reins
fonctionnent correctement, et le facteur de nécrose tumorale (TNF), qui
peut détecter à la fois une inflammation des articulations et le
développement de certains cancers.
Ces trois biomarqueurs ne doivent pas se borner à constater que le patient
est malade. Ils constituent les premiers pas d’une exploration plus poussée.
Parfois, des communiqués de presse enthousiastes font part de nouveaux
tests de fluides corporels capables de déceler facilement quelques maladies
dangereuses et louches. La vérité n’est pas toujours aussi simple car ce n’est
pas tâche aisée que de repérer un marqueur spécifique.
Le plus grand défi consiste à séparer les gens sains des malades, quand
aucune personne ne ressemble à une autre. Sexe, âge et variations
génétiques font qu’il est encore plus difficile de détecter ces petites nuances
chez certains patients. Tous les outils technologiques ne tiennent pas leurs
promesses.

La saga de Theranos

Sur une photo de presse, Elizabeth Holmes apparaît vêtue d’un pull noir à
col roulé. Elle rappelle l’un des fondateurs d’Apple mondialement connu, et
au printemps 2014, on parlait constamment d’elle comme de la future
Steve Jobs. Bonnes nouvelles et grandes promesses remplissaient tous les
grands journaux américains. Son idée était une véritable révolution
médicale : un simple échantillon de sang devait fournir des réponses
rapides, directement aux consommateurs.
En 2003, alors âgée de 19 ans, Elizabeth Holmes créa la société Theranos,
l’année même où elle interrompit ses études à Stanford. Un an plus tard, les
investisseurs apportèrent 6,9 millions de dollars, et dix ans après, elle avait
amassé plus de quatre cents millions de dollars. La société était censée
fournir un outil de diagnostic à l’industrie pharmaceutique et misait sur des
tests rapides et bon marché pour déterminer la posologie et l’efficacité d’un
médicament en cours de développement.
La valeur de l’entreprise fut évaluée à neuf milliards de dollars et,
en 2015, elle contribua à une modification de la loi en Arizona qui accorda
aux clients privés le droit de tester leur sang sans l’approbation d’un
médecin. Plusieurs chaînes de grands magasins passèrent des accords de
partenariat avec Theranos et dans les boutiques, les clients se voyaient
proposer un test sanguin dans un coin, pas loin des rayonnages où étaient
exposés les médicaments sans ordonnance. L’aventure se poursuivit en
trombe et tout était en place pour que partout aux États-Unis, les
consommateurs puissent avoir accès à des tests sanguins simples et sûrs
avec des informations utiles sur leur santé.
Mais peu de temps après, la façade commença à se lézarder.
John Carreyrou, journaliste au New York Times, exprima son scepticisme
quant au secret entourant la technologie utilisée par Theranos pour analyser
les échantillons de sang. Dès lors que les tests des échantillons de sang
n’avaient pas besoin d’être homologués par les autorités, Theranos avait le
champ libre pour développer et adopter de nouvelles méthodes sans
impliquer d’experts ni de critiques internationaux. Carreyrou se mit à
enquêter et prit contact avec des informateurs clés. Quelques mois plus tard,
il publia son premier article.
Selon les sources de Carreyrou, la technologie à laquelle recourait
Theranos n’était pas assez performante : leur machine, appelée Edison, ne
détectait pas des quantités suffisantes de marqueurs dans le sang. Le
problème clé était qu’en faible quantité, le sang ne se comportait pas
comme en grande quantité, et les cellules sanguines circulaient
différemment dans la machine. Les techniciens avaient donc dilué les
échantillons de sang et utilisaient finalement des équipements standards
produits par Siemens pour fournir les réponses aux tests.
Face à ces critiques, Holmes se défendit en qualifiant cet article d’attaque
contre les entrepreneurs innovants qui voulaient changer le monde.
Toutefois, elle ne trouva pas de réponses assez convaincantes pour rassurer
son monde. Six mois plus tard, on apprit qu’une inspection menée dans les
laboratoires de Theranos avait mis au jour de graves manquements et
carences. Il fut prouvé que la société avait utilisé un test défectueux pour la
coagulation du sang et que des réponses incomplètes aux tests avaient eu un
impact sur des décisions médicales. Les inspecteurs brandirent la menace de
sanctions et la valeur de l’entreprise chuta de neuf milliards à huit
cents millions de dollars.
Au printemps 2016, il apparut que Theranos avait jeté et annulé tous les
résultats de test fournis par la machine Edison au cours de la période 2014-
2015. La société envoya des milliers de lettres aux médecins et aux
consommateurs pour donner des éclaircissements sur les résultats des tests
et les corriger. Quelques mois plus tard, Theranos se vit retirer
l’approbation lui permettant d’analyser les échantillons de sang de clients
assurés par le système Obamacare. Holmes fut alors condamnée à deux ans
d’interdiction de gérer un laboratoire. Une sérieuse semonce pour un
entrepreneur animé de hautes ambitions.
Quelques mois plus tard, Holmes annonça que sa société allait licencier
environ la moitié de ses 750 employés et cesser les analyses d’échantillons
de sang. Pour d’autres que Holmes, ce coup dur aurait sonné le glas de son
rêve de changer le monde. Mais pas pour elle.
Ainsi, Holmes misa ensuite sur les équipements médicaux à destination de
l’industrie pharmaceutique. Sa nouvelle plateforme minLab avait pour
ambition de commercialiser des mini-laboratoires automatisés de la taille
d’une boîte à chaussures capables de tester un faible volume de fluide
corporel.

Vais-je tomber malade ?

Certains tests de fluides corporels font l’effet d’une boule de cristal. Dans
une certaine mesure, le contenu des fluides peut révéler l’avenir et, pour
certains, les réponses obtenues sont lourdes de conséquences.
« Nous pouvons tester génétiquement des personnes en bonne santé et
décréter avec une certitude absolue qu’elles déclareront, ou pas, certaines
maladies », affirme Ellen Økland Blinkenberg, généticienne et médecin
chef à l’hôpital universitaire Haukeland. Spécialiste des maladies
génétiques graves, elle s’efforce de rendre la recherche médicale complexe
plus accessible afin que le patient et sa famille puissent disposer
d’informations suffisantes pour comprendre leur situation.
Le test dont elle parle concerne la maladie de Huntington, un défaut de
gène dominant que l’on hérite de l’un de ses parents. Ceux qui sont touchés
tombent le plus souvent malades à l’âge adulte, et cette maladie du cerveau
se traduit par des mouvements involontaires, la perte de capacités physiques
et l’apparition de démence avec changement de personnalité. À ce jour,
aucun traitement ne permet d’enrayer son évolution.
Si l’un des parents souffre de cette maladie, il y a 50 % de chances pour
que leurs enfants aussi la contractent. Le test permet de savoir de manière
certaine si la personne va tomber malade ou non. La réponse peut aider à
planifier sa vie, préparer la famille et réfléchir à l’optique d’avoir ou non
des enfants.
D’après une enquête informelle parmi les membres d’une association
américaine de patients, avant l’arrivée du test, presque tout le monde était
décidé à se faire tester. Une fois le test disponible, seulement environ 20 %
des personnes présentant un risque d’une chance sur deux s’y soumirent. La
demande d’un test génétique pour la maladie de Huntington n’est donc pas
aussi importante qu’on pourrait le croire. Blinkenberg pense qu’il y a un
choix conscient derrière l’idée de ne pas se faire tester, car « le test
intervient dans la vie et les choix de vie ».

Personnaliser le vin rouge

« Voulez-vous vraiment faire don de vos gènes ? », demande Blinkenberg


lorsque je parle de l’échantillon de salive que j’ai envoyé à 23andMe. Elle
est rassurée lorsque je lui confie que j’ai refusé d’intégrer la base de
données de recherche de la société américaine.
Lancée en 2008, l’entreprise 23andMe a commencé à proposer deux ou
trois ans plus tard des tests génétiques personnels pour déceler 254 maladies
et états de santé différents. Les réponses recensaient un grand nombre de
risques pour la santé et présentaient une liste des effets indésirables de très
nombreux médicaments. Le site Internet donnait ainsi l’impression aux
utilisateurs qu’ils pouvaient en toute sécurité se servir de ces informations
pour procéder à des choix médicaux en toute connaissance de cause et
anticiper le traitement. Les inspecteurs des autorités gouvernementales
n’étaient pas convaincus, et sachant que la société 23andMe n’était pas
homologuée pour procéder à des tests, elle fut fermement invitée à cesser
son activité diagnostique.
Depuis 2013, la société travaille d’arrache-pied pour mettre en place la
documentation et sécuriser les procédures afin de pouvoir à nouveau fournir
des données médicales aux consommateurs sur la base de leur ADN.
Désormais, ils affichent de nouvelles promesses. Au printemps 2017,
23andMe fut autorisée à vendre à ses clients un rapport de santé comportant
les réponses à dix tests génétiques spécifiques. Ce rapport de santé contient
des tests génétiques pour la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer,
la maladie cœliaque, deux maladies liées à la coagulation du sang,
deux maladies associées aux globules rouges, une maladie qui se traduit par
des problèmes au niveau du foie et des poumons, une maladie qui provoque
une activité musculaire involontaire, et enfin la maladie de Gaucher, une
maladie orpheline héréditaire qui affecte le corps entier.
Le test de santé pour ces dix maladies n’étant disponible qu’aux États-
Unis, j’allais devoir ruser. 23andMe n’a pas le droit de me communiquer
des renseignements médicaux basés sur mon échantillon de salive, mais je
suis libre de revendre les données à d’autres sociétés qui se feront un plaisir
d’effectuer toutes sortes de tests génétiques.
Ces tests génétiques ne connaissent aucune limite sur le marché privé. Je
peux obtenir des réponses détaillées sur ma santé future, sur la manière
d’adapter mon entraînement à mes capacités génétiques, sur les aliments
auxquels je suis censé être allergique, sur ce que je dois manger de
préférence pour être en bonne santé, sur la façon dont mon corps
décompose les médicaments usuels et sur les stupéfiants dont je peux
devenir dépendant. Toutes les sociétés ne présentent néanmoins pas les
mêmes garanties de sérieux et certaines jouent sur le facteur sensationnel
pour commercialiser un questionnaire au fond assez basique.
L’entreprise Vinome propose, par exemple, un test génétique pour
déterminer mon vin préféré. Les analyses s’effectuent en collaboration avec
l’un des concurrents de 23andMe – Helix –, qui procède aux analyses
d’ADN et revend ensuite les résultats à une société qui les interprète pour
moi. Vinome propose des vins millésimés personnalisés. Leurs hypothèses
reposent sur l’analyse de dix variantes génétiques dans neuf gènes
impliqués dans le goût et l’odorat. Ils demandent également des
informations détaillées sur les préférences alimentaires des clients : quel
café je bois, qu’est-ce que je pense du fromage, de la coriandre et des choux
de Bruxelles ? Autant dire que les préférences gustatives auto-déclarées
donnent une bien meilleure image du vin que j’aime que les neuf gènes
sélectionnés.
Vinome mélange les réponses au questionnaire avec les analyses
génétiques et conclut par un profil gustatif sur les vins que j’aime, des vins
que je pourrais me procurer tout simplement en devenant membre exclusif
de leur confrérie d’œnologues. Pour 600 dollars, je peux me faire envoyer
trois bouteilles de vin par trimestre sur un an. Les résultats de mes tests
ADN, selon leurs promesses, me donnent accès à des perles cachées de
certains vignobles d’exception en Californie. Cela peut sembler être un
divertissement bien inoffensif, mais pour les sociétés qui remplacent le vin
rouge par des médicaments ou des aliments diététiques, prendre ces
résultats pour argent comptant aurait des conséquences bien plus
dramatiques. Mieux vaut se méfier des tests génétiques qui donnent des
réponses simples.
Le généticien Rob Arthur fait lui aussi partie des sceptiques. En 2016, il
envoya un échantillon de salive à 23andMe et transmit ensuite ses résultats
à plusieurs sociétés privées. Dans un article publié dans la revue Slate, il
décrit quelques-uns des conseils médicaux pour le moins surprenants qu’il a
reçus. Globalement, il arrive à la conclusion que les résultats ne sont pas
dignes de confiance et selon lui, les entreprises proposant de la « génétique
alimentaire » sont celles qui donnent les informations les moins fiables.
Leurs conclusions sur les pilules de vitamines et les compléments
alimentaires mettent à mal le prétendu consensus scientifique, car les
chercheurs ne disposent pas encore d’une documentation satisfaisante ou
suffisamment solide. « Sans les conseils avisés d’un médecin, les
consommateurs peuvent mal interpréter ces consignes, ce qui peut avoir des
conséquences dangereuses », écrit Rob Arthur.

Le fils du facteur

Il y a en effet des limites à la précision que l’on peut obtenir en analysant


les fluides corporels d’une personne. Dans un petit nombre seulement de
tests génétiques apparaissent clairement les liens entre la variante du gène et
l’altération biochimique dans les cellules. Les conclusions sont déduites,
pour la plupart, des données de corrélation. Les choses se produisent en
même temps, mais nous ne savons pas pourquoi. Il n’est pas certain que
l’une soit la cause de l’autre. Par conséquent, le résultat d’un test génétique
sur un échantillon de salive doit être pris avec la plus grande réserve. Faut-il
s’en inquiéter pour autant ?
Blinkenberg craint qu’une utilisation accrue des tests génétiques ne
contribue à rendre les gens plus anxieux pour leur santé et qu’ils consacrent
finalement beaucoup d’argent pour ne récolter que des soucis. Les
200 euros que j’ai utilisés pour faire analyser ma salive en sont un bon
exemple.
Ces inquiétudes ne manqueront pas d’affecter également toute ma famille.
Je partage 50 % de gènes avec mes frères et sœurs et si j’apprenais quelque
chose de surprenant et de risqué dans mon ADN, cela pourrait les obliger à
leur tour à prendre des décisions. Celles-ci auront aussi des conséquences
sur les projets familiaux et l’ambiance générale. Et si jamais j’avais
découvert que j’étais le fils du facteur ?
De nombreux consommateurs craignent que le risque de maladie future
n’alourdisse leurs frais d’assurance santé, mais jusqu’à présent, aucune
compagnie d’assurance n’est autorisée à stocker ou à utiliser des
informations provenant de tests génétiques. Les États-Unis disposent en
outre d’une législation similaire pour garantir la protection contre les
discriminations fondées sur les informations génétiques. En revanche, on
ignore jusqu’à quand. Blinkenberg pense par exemple qu’un test de salive
sera à l’avenir obligatoire pour contracter une assurance, un scénario que la
société américaine GWG Life a déjà mis en place pour ses clients qui ont
une police d’assurance-vie. Ed Yong, éditorialiste scientifique expérimenté
au magazine The Atlantic, a twitté que recourir à l’échantillon de salive,
« ça revient à lire une feuille de thé, en un peu moins fiable ».
« Les petits curieux devraient être autorisés à faire ce qu’ils veulent »,
conclut Blinkenberg. Pour ma part, je n’ai nul besoin de savoir de quoi je
mourrai.
D’autres, en revanche, sont prêts à faire presque n’importe quoi pour vivre
plus longtemps.
4. N.D.T. : En France, le dépistage néonatal est proposé systématiquement, gratuitement, mais l’accord des parents est nécessaire
pour le réaliser.
8. ÈVE
LE RÊVE D’UNE VIE
ÉTERNELLE
Si vous avez plus de 35 ans et 8 000 euros de côté, vous pouvez participer
à une expérience qui pourrait retarder la mort. Tout ce que vous avez à faire,
c’est de vous rendre dans une clinique privée à Monterey, à deux heures de
route au sud de San Francisco, pour vous faire injecter deux litres de plasma
sanguin d’un jeune de 18 ans. Pour Jesse Karmazin, l’homme à l’origine de
ce traitement controversé, le but est de tester l’effet de ce sang jeune sur des
cobayes volontaires. La société – Ambrosia – tire son nom du nectar qui
rendait les dieux grecs immortels : l’ambroisie. Le rêve d’un élixir de vie
n’est pas mort. Loin de là.

Histoire cochonne

Dans la série norvégienne Fleksnes Fataliteter, le personnage de fiction


Marve Fleksnes aimerait faire quelque chose pour la patrie. Il hésite à
rejoindre la Gauche ou à donner son sang. Dans l’épisode « Blodgivaren »
(Le Donneur de sang) de 1972, il est un donneur de fluide corporel
désintéressé. C’est sa première rencontre avec une banque de sang, aussi
tend-il son poignet gauche à l’infirmière avec un grand sourire : « Allez-
y!»
Dans la salle d’attente où deux autres donneurs de sang attendent leur
tour, les murs sont ornés de publicités pour le lait, les produits dentaires et
alimentaires datant du début des années 1970. Fleksnes est tendu mais
réussit finalement à donner son sang. Plus tard, il rappelle pour savoir qui a
reçu son sang et si cette personne le méritait. La réponse est brève et peu
amène : la banque du sang ne fonctionne pas de cette façon.
Fleksnes est bouleversé et pense à autre chose quand il tente d’ouvrir un
pot de confiture avec un couteau pointu. Arrive ce qui devait arriver : une
grande coupure à la main. L’ambulance le ramène à l’hôpital, où il doit
subir une transfusion sanguine. Il s’avère que Fleksnes a un groupe sanguin
plutôt rare, mais fort heureusement, la banque du sang en a justement un
demi-litre en réserve. Fleksnes conclut cet épisode avec ces mots : « La
banque du sang, c’est vraiment bien. Vous en déposez quand vous en avez
un peu trop, puis vous en retirez quand vous en avez besoin. Oui, oui,
infirmière. Allez-y. Remplissez. Le plein, merci. »
Un jour d’automne, en 2017, à la banque du sang de Bergen, c’est aussi
l’effervescence. C’est la semaine qui précède le championnat du monde de
cyclisme et l’écran d’accueil indique qu’ils « travaillent le plus vite et le
mieux possible ». Sur la table de la salle d’attente trônent des piles de
galettes de pommes de terre, des pains croquants et des barres de muesli,
tandis qu’iPad et journaux complètent les brochures vous remerciant de
donner votre sang. Un réfrigérateur double porte fournit les donneurs en
Pepsi et en eau minérale, et la machine à café ronronne régulièrement.
Professeur et directeur de la banque du sang, Einar Kristoffersen
commence la visite en présentant le formulaire de santé numérique que tous
les donneurs de sang doivent remplir. Une tablette s’enquiert de votre bilan
de santé, de vos habitudes sexuelles et de vos destinations de voyage depuis
la dernière fois que vous avez donné votre sang. Les questions sont directes
et pas si éloignées des informations intimes que Fleksnes qualifie
d’histoires cochonnes dans la série télévisée.
Si vous avez un piercing dans une muqueuse, vous ne pouvez pas donner
votre sang. Kristoffersen explique qu’un innocent anneau dans le nez brise
la muqueuse protectrice. À la banque du sang, le trou est considéré comme
bien plus qu’un ornement, car l’anneau en titane conduit à une infection,
petite certes, mais chronique. Cela donne une minuscule chance aux
bactéries de quitter la surface de la peau et de s’infiltrer dans un vaisseau
sanguin. Kristoffersen répond donc « c’est gentil, mais non merci » aux
donneurs de sang avec un anneau dans le nez.
Les donneurs qui étaient en vacances en Toscane l’été dernier doivent
aussi faire demi-tour sur le seuil de la porte. Ils sont soumis à une
quarantaine car les autorités locales ont découvert quelques cas d’infection
par le virus du Nil occidental (West Nile virus) dans la région. De même,
ceux qui ont eu un rhume automnal ne peuvent pas non plus donner leur
sang pendant un temps donné. Les règles sont strictes et les personnes
autorisées à faire don de leurs fluides corporels sont bien au-dessus de la
moyenne en termes de santé. « Je ne sais pas s’ils se rendent compte de la
chance qu’ils ont », commente Kristoffersen en parlant des donneurs de
sang qui font don de leur sang deux fois par an.
Être donneur de sang n’est toutefois pas une compétition. En revanche, ce
fut la course contre la montre pour être le tout premier à réussir une
transfusion sanguine entre deux êtres humains. Cette compétition fit payer
un lourd tribut aux animaux domestiques des médecins…
Sang d’animal

En 1665, presque 40 ans après la découverte du mécanisme de la


circulation du sang par William Harvey, un médecin anglais parvint à
transfuser du sang entre deux chiens. L’année suivante, une expérience
similaire fut effectuée devant les membres de l’Académie Royale des
Sciences britannique qui purent observer le sang passer d’un dogue à un
épagneul. Résultat : les membres de l’Académie furent soulevés d’un
enthousiasme tout scientifique, bien que le dogue eût saigné à mort suite à
l’expérience.
À l’été 1667, le Français Jean-Baptiste Denis transfusa le sang d’un
agneau à un garçon de quinze ans.
Titulaire d’une licence en théologie, ce dernier avait ensuite obtenu un
diplôme en médecine et un doctorat en mathématiques. À l’âge de 27 ans, il
fut nommé professeur de mathématiques et d’astronomie à Paris. Toutefois,
il s’intéressait davantage à la recherche médicale et la chance lui sourit
quand il rencontra un adolescent souffrant de fièvre tenace. Le jeune garçon
était épuisé après avoir subi une vingtaine de saignées.
Denis conclut que le problème était une trop faible quantité de sang et il
entreprit une expérience visant à fournir au jeune garçon un supplément de
ce liquide vivifiant. Adaptant un tuyau entre la carotide de l’agneau et une
veine dans le bras du garçon, il laissa la haute pression de l’artère pousser le
sang de l’agneau dans la veine de l’adolescent. Le garçon survécut
probablement au sang d’agneau étranger parce que le volume était
relativement faible, à peu près la valeur d’une petite brique de crème
liquide. Denis expliqua ce succès par le sang d’agneau vivant, même si
l’arrêt de la perte de sang via les saignées joua un rôle tout aussi important.
Six mois plus tard, Denis tenta d’utiliser la transfusion sanguine pour
calmer un homme excité dans la rue. Avant cela, il avait transfusé un
homme en bonne santé avec beaucoup de succès et un autre avec un peu
moins de succès, puisque ce dernier mourut juste après l’intervention. Cette
fois-ci, l’objectif était que le sang d’un veau paisible calme Antoine
Mauroy, l’homme agité en question. Mauroy mourut au cours de la
troisième transfusion et sa veuve accusa Denis de meurtre. Le système
judiciaire français relaxa Denis, mais interdit dans la foulée les transfusions
qui ne seraient pas effectuées sous les auspices de la Faculté de médecine.
Quelques décennies plus tard, les autorités françaises et anglaises se
prononcèrent pour une interdiction totale des transfusions sanguines.
150 ans s’écoulèrent avant qu’une transfusion entre deux êtres humains
réussisse vraiment. Au cours d’une de ses premières expériences,
l’obstétricien britannique James Blundell transfusa un décilitre de sang de
mari à femme pour arrêter les saignements après un accouchement. Pour
compenser le sentiment de désarroi qu’il éprouvait, Blundell effectua
dix transfusions sanguines au cours de la période allant de 1818 à 1829.
L’historien Chris Cooper parle des patients de Blundell en ces termes :
« Plus de la moitié des patientes moururent, mais certaines étaient très près
de la mort (voire décédées) avant le début de la transfusion sanguine. »

Sang rouge, jaune, vert et bleu

À la banque du sang, une femme dans un fauteuil gris lit un hebdomadaire


tout en malaxant une balle. Un tuyau part de son bras gauche, s’enfonce
dans un appareil de la taille d’une petite machine à laver, et les bruits qui en
sortent laissent penser que quelque chose tourne sans discontinuer à
l’intérieur. Deux poches sont suspendues au-dessus de son fauteuil. Aucune
d’elles n’est rouge. Einar Kristoffersen explique que la femme donne
seulement des plaquettes et du plasma et qu’elle récupère aussitôt ses
globules rouges.
En centrifugeant le sang, le contenu se répartit selon le poids et la taille.
Les globules rouges tout en bas, les plaquettes au milieu et le plasma en
haut. Certains donneurs ne peuvent se permettre de faire don de leurs
globules rouges, mais fournissent du plasma et des plaquettes à la
collectivité.
Les deux poches en plastique transparent sont jaunes à l’intérieur. J’aurais
imaginé qu’elles auraient une couleur de vin blanc, comme un riesling jaune
paille. Mais non, la poche de plasma a la couleur du jus de pomme. La
poche à côté, celle avec les millions de petites plaquettes, ressemble
davantage à de la compote de pommes avec de la pulpe de fruit. La couleur
jaune vient de ce qui teinte aussi l’urine : des résidus laissés par les globules
rouges morts et décomposés.
« Nous remarquons vite si la donneuse prend une pilule contraceptive, car
alors le plasma devient vert », indique Kristoffersen. « Certains
médicaments peuvent aussi teinter le plasma en rose », ajoute-t-il en
souriant.
Dans la pièce arrière, j’enfile des sur-chaussures en plastique bleu avant
de rencontrer deux techniciens. Leur travail, c’est de « produire le sang »,
c’est-à-dire « contrôler et préparer le sang à une utilisation en milieu
hospitalier ». Des codes-barres uniques identifient le donneur et tous les
techniciens qui ont touché la poche, depuis le « bonjour et bienvenue à la
banque du sang » jusqu’à la transfusion à un receveur étranger dans un
autre service de l’hôpital Haukeland. Tous doivent appliquer des règles très
strictes en matière de surveillance, car même si le sang sauve de
nombreuses vies, il peut également causer de sévères dommages. Le sang
produit par la banque du sang est donc soumis à des tests exhaustifs
systématiques pour débusquer virus et bactéries.
Un type particulier de sang peut également servir à tester la fiabilité des
vaccins produits en laboratoire, l’insuline et les liquides intraveineux. Il
arrive en effet que ces liquides contiennent des traces de toxines issues de
bactéries, aussi pour les tester, il faut des litres et des litres de sang. Non pas
le sang des humains, mais le sang bleu clair de la mer.
Ce sang bleu provient d’arthropodes marins, les limules, surnommées
crabes fer à cheval. Ce ne sont pas de vrais crabes, car bien que vivant sous
l’eau et ressemblant à des crustacés, ils sont en réalité plus proches de la
famille des araignées. Chaque année, ces limules sont prises dans les
chaluts ou ramassées sur les plages et on leur prélève un peu de sang bleu
clair avant de les rejeter à la mer. Le cuivre et l’hémocyanine rendent leur
sang bleu clair, tandis que le rouge du sang humain est dû à la présence de
fer et d’hémoglobine. Ce sang bleu n’est pas seulement spécial de par sa
couleur, mais aussi du fait de la présence d’une substance dans les cellules
sanguines de l’espèce. En effet, dans ces cellules, une substance fabrique un
grumeau en gelée au contact des toxines bactériennes. Pas de grumeau, pas
de danger. Ce liquide bleu clair est donc utilisé pour tester la qualité de tous
les médicaments certifiés par la FDA (Administration américaine des
denrées alimentaires et des médicaments) et des règles similaires
s’appliquent dans les pays asiatiques. Le résultat est une industrie
milliardaire (en dollars) garantissant la pureté de tous les liquides utilisés
dans les traitements.

Libre circulation du sang

Je demande si je peux tenir une poche de sang dans ma main. Cette poche
qui se conserve au réfrigérateur un mois entier peut sauver trois vies
humaines.
À l’avant de la poche figurent des messages importants sur son contenu.
Je lis : « A rhésus négatif ». Il y a également une canule longue de
sept centimètres remplie de sang fixée sur la poche. Le sang dans le tuyau
est le même que le sang du reste de la poche et il est préparé afin que les
ingénieurs en biologie puissent facilement tester s’il est compatible avec le
sang du patient ou s’il provoquera des dommages. Car le sang n’est pas le
même chez tous les êtres humains.
La surface des cellules sanguines est couverte de milliers de molécules
différentes qui permettent de les identifier et le plasma est plein d’anticorps
qui détectent les cellules étrangères. Si un anticorps du patient réagit aux
cellules sanguines du donneur, ça peut vite mal tourner.
Certaines expériences de transfusion sanguine ont vraiment mal tourné.
Le sang fait des grumeaux au contact de l’air et rend ainsi la transfusion
difficile, sans compter qu’à l’intérieur d’un nouveau corps, cela peut se
traduire par des réactions graves. La raison pour laquelle le sang ne peut pas
circuler librement entre humains est ce que nous connaissons désormais
sous le nom de groupes sanguins.
Au début du XXe siècle, Karl Landsteiner utilisa le sang des employés de
son laboratoire, à Vienne, pour mélanger systématiquement les cellules
sanguines avec le plasma. Si la surface des cellules sanguines réagissait à
un anticorps dans le plasma, le mélange faisait des grumeaux. Dans un
corps, les caillots de sang peuvent conduire à un blocage des veines et
libérer les déchets qui, eux, endommageraient les reins. Les expériences de
Landsteiner montrèrent que le sang de certains de ses collègues ne faisait
jamais de grumeaux (celui que nous connaissons désormais sous
l’appellation O). Les autres groupes sanguins se distinguent selon que les
molécules de surface des cellules sanguines sont de type A ou de type B.
Les personnes du groupe sanguin AB ont tout à la fois des molécules de
types A et des molécules de type B à la surface de leurs cellules sanguines.
Les systèmes ABO et Rhésus (+ ou –), ou Rh, sont les plus connus pour
différencier les groupes sanguins, mais ils ne sont ni les seuls ni les plus
complexes. En 2014, on a recensé pas moins de trente-trois façons
différentes de classifier le sang. ABO et Rh sont les deux plus pertinents
parce qu’ils provoquent de graves complications si l’on n’en tient pas
compte lors d’une transfusion.
En 2016, la banque du sang de l’hôpital Haukeland a reçu 21 247 poches
de sang, ce sang qui, chaque jour, sauve des vies. Le sang neuf a également
le potentiel de changer la vie du receveur, même longtemps après la
transfusion. Plusieurs chercheurs traquent des marqueurs chimiques dans le
sang qui peut avoir des conséquences incroyables, voire éternelles, pour
celui qui est transfusé.

De la force dans le sang jeune

La recherche sur les pouvoirs encore inconnus du sang est une longue
histoire, riche en rebondissements. Tout a commencé par une expérience
cruciale, il y a 150 ans.
Au milieu du XIXe siècle, le physiologiste français Paul Bert cousit
deux rats albinos ensemble. Son but était de créer un système circulatoire
commun chez les deux animaux. La blessure guérit d’elle-même et, dans le
processus, les vaisseaux capillaires des rats se connectèrent. Le sang de l’un
passa à l’autre, avec deux cœurs qui pompaient le sang. Les deux rats
continuèrent à vivre côte à côte et cette technique reçut le nom de
parabiose, qui signifie justement « vivre à côté ».
Lorsque cette expérience fut réitérée, certains des rats siamois artificiels
survécurent aux dépens de leur partenaire, et de nombreux « couples »
moururent suite à des réactions immunitaires. Cette expérience ne fut ni
simple sur le plan technique ni dénuée de problèmes éthiques, et dans les
années 1970, les scientifiques cessèrent d’utiliser cette méthode quelque
peu barbare.
Pourtant, ces dernières années, plusieurs groupes de chercheurs travaillant
dans des laboratoires en Californie ont repris la technique des rongeurs
siamois en se basant sur les expériences des années 1970, dont certains
résultats suggéraient que de vieux rats cousus avec de jeunes congénères
vivaient un peu plus longtemps qu’attendu. Le sang des jeunes partenaires
pourrait-il en être la cause ?
En 1999, la chercheuse Amy Wagers, qui souhaitait étudier le mode de
déplacement de cellules-souches dans le sang, cousit deux souris ensemble
pour déterminer si les cellules-souches colorées de l’une des souris
pouvaient migrer dans le corps de sa partenaire. Ses résultats montrèrent
que les cellules-souches sortaient de la moelle osseuse d’une souris et
contribuaient à la production d’une nouvelle moelle osseuse chez l’autre
animal. Forte de ce succès, Wagers lança une nouvelle expérience pour
examiner les effets du sang jeune sur de vieilles souris. Elle relia les
circulations sanguines de jeunes et de vieilles souris, l’âge des souris
correspondant respectivement à 20 ans et 70 ans chez les humains. Les
conclusions firent les gros titres des médias : le sang provenant des jeunes
souris avait une incidence sur les cellules-souches des muscles du squelette
et du foie des vieilles souris. Les vieilles cellules-souches commençaient à
se diviser de nouveau.
Amy Wagers collabora avec des spécialistes du cœur et du cerveau pour
analyser les effets du sang jeune. Ensemble, ils s’aperçurent que le sang
jeune pouvait inverser une hypertrophie cardiaque chez les vieilles souris.
Cela avait pour effet d’augmenter l’alimentation du cerveau en sang et d’y
accroître ensuite la division cellulaire. Tout portait à croire que le sang
jeune avait des effets spectaculaires sur les vieilles souris.
Cependant, Wagers ne voulut pas conclure pour autant que les vieilles
souris avaient retrouvé une seconde jeunesse suite à cet apport de sang neuf.
Selon elle, le sang jeune aidait à réparer les vieux tissus, de sorte qu’ils
retrouvaient leurs fonctions. Mais si Wagers reste dans la retenue, d’autres
chercheurs vont beaucoup plus loin.

Source de jouvence : quatre candidats

En 2013, Wagers parvint à préciser ce qui, dans le sang jeune, provoquait


cet effet spectaculaire. En collaboration avec le chercheur Richard Lee, elle
découvrit que la protéine GDF11 (Growth differentiation factor 11) était à
l’origine de l’effet que le sang jeune avait sur le cœur. Le GDF11 est un
facteur de croissance ayant plusieurs fonctions distinctes dans un corps
normal. Wagers et Lee produisirent du GDF11 artificiel en laboratoire,
l’injectèrent à de vieilles souris et constatèrent qu’il avait le même effet sur
le cœur que le sang de souris jeunes. La production en série de GDF11,
vendu en tant que complément alimentaire, fut un grand succès financier.
En revanche, ces dernières années, d’autres chercheurs eurent du mal à
rééditer les résultats de Wagers et Lee. La faute, entre autres, au désaccord
sur une question : le GDF11 agit-il vraiment lorsque les souris et les
humains prennent de l’âge ? Si le taux de cette protéine ne baisse pas, il ne
sera guère raisonnable d’essayer de l’accroître chez les humains d’un
certain âge. Le GDF11 n’est donc plus considéré comme un candidat
sérieux dans le rôle de source de jouvence.
Les chercheurs américains Irina et Michael Conboy sont à l’origine de la
recherche du deuxième candidat au titre de source de jouvence dans le
sang : l’ocytocine, une hormone. En 2014, le couple de chercheurs publia
des résultats montrant que le blocage de l’ocytocine chez les jeunes souris
diminuait l’activité des cellules-souches musculaires. Ils s’aperçurent
également qu’augmenter les quantités d’hormones chez les vieilles souris
conduisait à augmenter la division des cellules-souches. Comme nous
l’avons vu, cette hormone a de nombreux effets sur le corps, liés notamment
au coup de foudre et à l’allaitement. On ne sait pas vraiment s’il sera
possible d’influer sur le taux d’ocytocine chez les personnes âgées sans
provoquer chez eux d’effets secondaires complexes et inattendus.
Les troisième et quatrième candidats sont à porter au crédit de Saul
Villeda et Tony Wyss-Coray. Ces deux chercheurs ont mené plusieurs
expériences poussées pour montrer que le sang de souris jeunes aide les
vieilles souris à apprendre plus vite et améliore leur mémoire. L’un des
résultats démontra également que chez les vieilles souris, les cellules du
cerveau produisaient davantage de connexions suite à l’apport du plasma
jeune. « Il est possible que des facteurs de jouvence issus d’un sang jeune
puissent inverser des modifications liées au vieillissement dans le
cerveau », écrivirent-ils à ce sujet.
Dans plusieurs interviews, Wyss-Coray parle de technologie permettant de
« redémarrer l’horloge du vieillissement ». Pour ses expériences, il eut
recours au plasma de jeunes êtres humains qu’il injecta dans le sang de
vieilles souris. Les résultats montrent que le traitement aide les souris âgées
à avoir une meilleure mémoire. Ainsi, le troisième candidat est une protéine
dénommée TIMP2 (Tissue inhibitor of metalloproteinases 2, c’est-à-dire
inhibiteur tissulaire des métalloprotéinases 2). Wyss-Coray et ses collègues
ont isolé la TIMP2 du sang du cordon ombilical de nouveau-nés et ont
découvert que la protéine TIMP2 avait un impact important sur le cerveau
des vieilles souris. Cette protéine trouvait son chemin pour entrer dans le
cerveau des souris et augmentait l’activité de l’hippocampe, la zone du
cerveau impliquée dans l’apprentissage et la mémorisation.
Les souris ayant reçu du plasma issu du cordon ombilical réussissaient
mieux aux tests d’apprentissage et de mémoire que les souris ayant subi le
traitement témoin. De la TIMP2 pure injectée directement dans le sang des
souris eut également un effet positif sur le cerveau. Le directeur de
l’Agence américaine de la santé (NIH, National Institutes of Health)
commenta : « La TIMP2 contient des promesses pour la recherche future et
peut-être aussi pour un développement thérapeutique ».
Saul Villeda est celui qui a révélé le quatrième candidat : un gène
répondant au nom de Tet2 (Ten-eleven-translocation 2). Les premiers
résultats ont montré que l’activité de Tet2 dans le cerveau baissait au fur et
à mesure que les souris prenaient de l’âge. Les jeunes souris chez qui les
chercheurs avaient désactivé le gène Tet2 vieillissaient prématurément. En
revanche, si les scientifiques augmentaient l’activité de Tet2, les souris se
débrouillaient mieux aux tests d’apprentissage et de mémoire. Lorsque des
souris âgées étaient cousues avec de jeunes congénères, les chercheurs
avaient constaté que le sang jeune faisait augmenter le niveau d’activité de
Tet2 dans le cerveau des vieilles souris. Peut-être qu’accroître l’activité de
Tet2 est l’effet principal du sang jeune ?
Désormais, les scientifiques veulent savoir par le biais de tests si ces
résultats pourraient fonctionner pour les personnes âgées. Le plus courant
est de faire appel à du plasma, du sang sans cellules sanguines, de donneurs
jeunes. Certains utilisent du plasma de donneurs ayant de 18 à 20 ans,
tandis que d’autres ont recours au plasma du cordon ombilical qui subsiste
après un accouchement normal.
En septembre 2014, Alkahest, la société de Wyss-Coray, lança une étude
clinique pour tester la possibilité de communiquer du plasma de jeunes
donneurs à des patients atteints de la maladie de Parkinson en toute sécurité.
Il s’agissait de traiter dix-huit patients qui, une fois par semaine pendant un
mois, devaient recevoir un peu moins d’un demi-litre de plasma de
donneurs de 20 ans. Outre des tests sanguins complets, à la fois avant et
après l’étude, les patients furent également soumis à des scanners du
cerveau et à des tests mentaux. Les premiers résultats montrent que les
patients tolèrent le traitement sans avoir d’effets secondaires trop graves.
Les patients n’ont pas non plus été malades durant le traitement, mais
l’étude n’incluant pas un groupe contrôle, les scientifiques ne peuvent pas
déterminer si le résultat était accidentel ou la conséquence du traitement.
Pour conclure que le jeune plasma peut freiner le développement de la
maladie, les scientifiques doivent disposer d’études plus poussées et solides.
En Corée du Sud, une étude clinique similaire vise à tester l’effet du
plasma jeune sur le vieillissement de patients entre deux âges. À San
Francisco, une étude porte sur des patients atteints de la maladie de
Parkinson. Ces deux études, ainsi que celle d’Alkahest sur des sujets
souffrant d’Alzheimer, sont financées par des investisseurs ou des
institutions de recherche qui en attendent beaucoup.
La clinique privée Ambrosia à Monterey (évoquée p. 169) se démarque
dans le sens où les patients paient de leurs propres deniers. 8 000 dollars par
tête de pipe. Si Jesse Karmazin avait réussi à réunir six cents volontaires, il
aurait récolté quelque cinq millions de dollars. Mais pour les patients ayant
participé à l’expérience, les enjeux étaient de taille.

Des donneurs jeunes

Beaucoup ont cru que le sang était une source de jouvence et en 1615, le
médecin allemand Andreas Libavius écrivit que le sang de personnes jeunes
était une « fontaine de vie ». Il imagina que le sang pouvait être transmis
d’un homme jeune en bonne santé à un homme plus âgé, et que le sang
jeune et chaud éliminerait toutes les faiblesses chez les personnes vieilles et
fragiles.
Selon la légende, la comtesse hongroise Elisabeth Bathory, connue
comme la tueuse en série la plus active du monde, aurait pris des bains de
sang de vierges pour rester jeune. Il n’est pas exclu que le clergé ait
également parfois agi en plaçant sa foi dans les pouvoirs du sang. En 1492,
par exemple, le pape Innocent VIII tomba dans le coma, et on raconte – les
sources ne sont pas suffisamment fiables pour authentifier ce récit − qu’en
guise de traitement, on lui aurait administré du sang de jeunes donneurs. Un
médecin versa le sang de trois garçons de 10 ans directement dans la
bouche du pape pour le sauver. Cela ne marcha pas comme le médecin
l’avait espéré car le pape mourut, ainsi d’ailleurs que les trois enfants.
L’idée que le sang de personnes jeunes puisse contenir un élément
susceptible de nous faire vivre mieux et plus longtemps reste néanmoins
séduisante.
Einar Kristoffersen, le directeur de la banque du sang de l’hôpital
Haukeland, se montre critique envers les résultats de recherche de l’étude
d’Ambrosia. Des personnes qui versent presque 10 000 euros pour un
traitement expérimental seraient en droit d’espérer des résultats fiables. Or
Kristoffersen m’explique qu’étant donné le protocole expérimental de
l’étude, les résultats auto-proclamés auront peu de crédit et les mesures
objectives elles-mêmes ne seront pas considérées comme fiables.
Mais supposons que cela fonctionne, que le sang jeune puisse vraiment
être bénéfique pour les personnes âgées. D’où viendra ce sang ? Qui seront
les jeunes donneurs ?
Kristoffersen rit sous cape à la suggestion que le don du sang puisse faire
partie intégrante des leçons de catéchisme et souligne que l’utilisation de
sang jeune pose des problèmes éthiques évidents.

Des fluides directement du labo

Une alternative consiste à produire du sang artificiel en laboratoire en y


ajoutant des facteurs de jeunesse, sans avoir recours à des adolescents sans
défense. Toutefois, la complexité et les nuances dans le sang humain vivant
sont difficiles à reproduire : il est impossible de produire du sang 100 %
artificiel en laboratoire.
Certaines fonctions principales du sang peuvent malgré tout bénéficier
d’une aide synthétique.
Comme les globules rouges utilisent l’hémoglobine pour fixer l’oxygène,
plusieurs entreprises travaillent à fabriquer de l’hémoglobine de synthèse
destinée à servir de complément pour les personnes ayant besoin
d’augmenter la quantité d’oxygène dans leur sang. Peut-être est-il possible
d’isoler l’hémoglobine du sang vieux ou des vaches à l’abattoir, ou encore
d’utiliser l’hémoglobine des bactéries ? Le but est d’injecter cette
hémoglobine supplémentaire dans les vaisseaux sanguins pour qu’elle
stimule le transport d’oxygène. Mais il faudra d’abord régler les problèmes
de purification suffisante, d’effets secondaires et de modifications
chimiques avant d’espérer recourir à des méthodes de ce genre.
Les plaquettes sont une autre composante vitale, elles qui réparent les
petits trous dans les vaisseaux sanguins. Les plaquettes courantes ont une
durée de vie assez brève, aussi l’une des alternatives artificielles consiste-t-
elle à recycler les plaquettes usagées. Il s’agit alors de diviser ces plaquettes
en de nombreux petits morceaux, à les débarrasser des virus et des bactéries
et à donner le smoothie à qui en a besoin. L’effet est loin d’être aussi bon
qu’avec des plaquettes fraîches, mais cela résout en partie le problème du
déficit global.
Réutiliser les fluides corporels est aussi l’idée à l’origine de la création de
la société Kybella. Dans les cliniques d’Hollywood, les médecins proposent
une seringue d’acide biliaire pour faire fondre les doubles mentons des
célébrités. Comme on l’a vu, la bile décompose la graisse dans l’intestin en
transformant les grosses cellules graisseuses en gouttelettes microscopiques.
« Et si l’acide biliaire pouvait décomposer la graisse ailleurs que dans
l’intestin ? », se sont dit les investisseurs. Le résultat est une seringue pleine
d’acide biliaire artificiel. Vingt injections dans le double menton et au cours
des semaines suivantes, les systèmes sanguin et lymphatique évacueront les
gouttelettes de graisse. Cela vous coûtera entre 2 000 et 5 000 euros. Le
traitement tient ses promesses, bien que les effets varient de faibles à
modérés. Il arrive aussi que les injections endommagent les nerfs de la
mâchoire et donnent un sourire asymétrique.
Contrairement à ces injections volontaires, la plupart des enfants et des
adultes atteints de diabète sont contraints de subir chaque jour une flopée de
piqûres. Mais un grand nombre de cobayes enthousiastes, dans le monde
entier, testent de nouvelles technologies qui leur permettront peut-être
d’échapper à cette corvée. Un pancréas artificiel pourrait bien être la
solution, avec un capteur sous la peau, connecté à une application mobile,
mesurant la glycémie. Le téléphone contrôlerait ensuite la quantité
d’insuline libérée par une pompe fixée sur le ventre ou à l’intérieur de la
cavité abdominale. Ces résultats montrent que la technologie a un fort
potentiel pour améliorer la qualité de vie des personnes souffrant du
diabète.
Mais d’une façon générale, le traitement expérimental comporte de gros
risques, y compris pour les personnes décédées qui souhaiteraient être
ramenées à la vie un jour dans le futur. Dans le magazine The Atlantic, Rose
Eveleth explique que « ceux qui viennent à mourir aujourd’hui peuvent être
guéris demain ». En attendant, les gens se font congeler. Le problème
principal est que l’eau présente dans les cellules se dilate en gelant,
provoquant l’éclatement des cellules. Le retour à la vie aurait donc des
conséquences fatales.
C’est pourquoi la société Alcor fait subir des traitements complets aux
cadavres avant congélation. Ces corps étant déclarés morts, la société peut
avoir recours à des technologies dont l’utilisation est interdite sur des
personnes vivantes. Pour commencer, ils injectent seize médicaments
différents pour protéger les cellules du froid, avant de passer à l’étape
suivante : éliminer autant de sang et de liquides tissulaires que possible et
les remplacer par de l’antigel médical.
Un chirurgien ouvre donc le sternum pour séparer les artères principales et
combler avec de l’antigel médical. Un refroidissement lent, étalé sur
deux semaines, fait que le corps peut finalement être conservé à −200 °C.
Toutefois, les veines pleines d’antigel ne vous donnent aucune garantie
d’avoir un avenir, fût-il lointain.
Contrairement à l’acide biliaire artificiel dans le double menton et à la
pompe à insuline numérisée, la recherche sur le sang artificiel n’a connu
que quelques avancées timides. Depuis le début des années 1990, le
directeur de la banque du sang à Bergen n’a entendu que des louanges sur
ce que le sang produit en laboratoire pourrait faire. Mais bien que la plupart
de ses tentatives aient été malheureuses, Kristoffersen a un plan B : à
l’avenir, il produira du sang en laboratoire. Non pas à partir de rien, mais à
partir de cellules-souches.

Sang vivant

S’inspirant du service de thérapie cellulaire du Radiumhospitalet d’Oslo,


Kristoffersen et ses collègues envisagent la construction d’un nouveau
laboratoire de haute technologie où ils cultiveront des cellules sanguines
pour sauver des patients gravement malades. Pour ceux qui ne peuvent pas
recevoir de sang de donneurs de la banque du sang, il sera possible de
produire le sang dont des patients spécifiques ont besoin. Kristoffersen
souligne que le coût de production d’un litre de sang pour un patient en
particulier reviendra très cher, bien plus que le recours à du sang de
donneurs volontaires. En revanche, ce nouveau pari pourrait constituer une
véritable renaissance pour le sang produit en laboratoire, renaissance dans
laquelle le mot artificiel serait remplacé par à base de cellules-souches.
Plusieurs groupes de recherche se sont fixés pour mission d’analyser et
d’automatiser la production de sang en laboratoire. Certains chercheurs
utilisent des cellules-souches du sang du cordon ombilical pour cultiver les
cellules sanguines, tandis que d’autres ont recours aux cellules-souches de
la moelle osseuse. Le processus est vaste et les cellules réclament une
attention quotidienne pendant un mois entier. Un petit nombre de cellules-
souches ne fabriquent qu’un volume assez faible de cellules sanguines
finies, aussi le coût par poche de sang pour un patient reste-t-il très élevé.
Au printemps 2017, une équipe de scientifiques de Bristol parvint à une
première solution. Ils commencèrent par des cellules-souches de la moelle
osseuse, mais au lieu de forcer les cellules à évoluer en sang, les chercheurs
rendirent les cellules-souches immortelles en laboratoire. Résultat : ils
obtinrent des cellules-souches éternelles grandissant et se divisant avant
d’évoluer plus tard en cellules sanguines. Même en faibles quantités, les
cellules-souches de la moelle osseuse peuvent se révéler importantes pour
les patients. Peut-être quelques gouttes de moelle osseuse suffisent-elles
pour isoler des cellules-souches sanguines qui peuvent continuer à se
développer en laboratoire et devenir un traitement à l’avenir ? Les
chercheurs à l’origine de cette étude se montrent très optimistes.
En revanche, les critiques sont plus circonspects, surtout en raison de la
technique utilisée pour transformer les cellules-souches de la moelle
osseuse en productrices de cellules sanguines immortelles. En effet, les
scientifiques utilisent un gène du virus HPV (les papillomavirus), lui-même
oncogène5, pour fabriquer les cellules-souches immortelles, mais de leur
aveu propre, ce ne devrait pas être un problème pour le receveur. Il faudra
d’autres tests approfondis et des mesures de sécurité supplémentaires avant
que les cellules sanguines produites en laboratoire puissent devenir un outil
complet et fiable. La méthode doit encore mûrir avant que les essais
cliniques ne prennent le relais.
Une fois que les chercheurs seront parvenus à fabriquer du sang nouveau,
pourquoi s’arrêteraient-ils en si bon chemin ? Nous nous dirigeons vers un
avenir où il sera possible de fabriquer plus que de simples fluides corporels
en laboratoire.

Une vidéo dans l’ADN

Les fluides corporels tels que la salive, le sperme, la moelle osseuse et le


sang contiennent des cellules vivantes. Les chercheurs analysent l’ADN
dans ces cellules pour détecter les maladies, évaluer le risque et choisir le
meilleur traitement. Connaître le contenu des fluides corporels sauve
chaque jour des vies. Les dernières découvertes indiquent également que les
fluides corporels peuvent contribuer à prolonger la vie. Mais la technologie
ne s’arrête pas là. Qui sait si connaître ce qui se cache dans les fluides
corporels ne peut pas permettre de créer une vie nouvelle ?
Depuis 2013, la technologie génétique CRISPR a révolutionné la
recherche biomédicale. La méthode permet aux chercheurs de couper, coller
et modifier le contenu génétique dans les cellules vivantes. Cette
technologie est basée sur un système de défense utilisé par les bactéries
pour enrayer les attaques des virus, et ces dernières années, c’est devenu le
nouvel atout de la recherche biomédicale.
Les fluides corporels sont une source facilement accessible de cellules
vivantes pouvant être modifiées avec la méthode CRISPR/Cas. Les cellules
présentes dans une goutte de sang ou un crachat peuvent acquérir de
nouveaux superpouvoirs en laboratoire. Avec l’aide de CRISPR/Cas, les
cellules immunitaires du sang détectent les cellules cancéreuses chez un
patient, tandis que les cellules-souches peuvent corriger les anomalies
génétiques à l’origine de maladies. Les cellules de la salive peuvent
continuer à vivre en laboratoire comme des outils personnalisés dédiés à la
recherche, par exemple pour tester de nouveaux médicaments contre le
cancer ou la maladie d’Alzheimer.
Les limites de ce qu’il est possible de faire avec nos cellules sont
indéfinies et très extensibles. Deux exemples récents soulignent l’énorme
potentiel de la méthode CRISPR/Cas quand on l’utilise pour modifier
l’ADN dans différentes cellules.
À l’été 2017, un groupe de chercheurs américains a publié les résultats
d’expériences assez spectaculaires visant à stocker des données dans l’ADN
d’une bactérie. Les scientifiques, avec à leur tête George Church de
l’université Harvard, ont utilisé CRISPR/Cas pour coller de nouveaux
morceaux d’ADN à l’intérieur de la bactérie. Le nouvel ADN correspondait
à l’intensité des couleurs des pixels de cinq images fixes qui, réunies,
constituaient une très courte vidéo d’un homme faisant du cheval. La
bactérie grandit et se divisa tandis que les chercheurs guettaient la réponse :
les bactéries filles parviendraient-elles à conserver l’information de la vidéo
en noir et blanc dans leur ADN ?
À l’aide d’un programme informatique sophistiqué, les chercheurs
reconstituèrent l’information relative aux cinq images fixes de l’ADN des
bactéries. La courte vidéo d’un homme faisant du cheval était encore visible
et distincte, même après plusieurs dizaines de divisions. Les expériences
montrent donc qu’il est possible d’utiliser CRISPR/Cas pour stocker des
données dans des organismes vivants.
Peut-être CRISPR/Cas peut-il être utilisé de la même façon pour stocker
de nouvelles informations dans les fluides corporels ? Aimeriez-vous avoir
la recette des boulettes à la viande de votre mère, une déclaration d’amour
ou quelques mots de Beyoncé stockés dans votre sang ?

Des bébés sur mesure

Un groupe de chercheurs chinois a également repoussé les limites en


utilisant CRISPR/Cas pour modifier l’ADN d’embryons humains. Ils ont
montré qu’il est possible de corriger une anomalie génétique dans un
embryon. Cette expérience a jeté les bases pour pouvoir, à l’avenir, réparer
des maladies génétiques chez de futurs enfants. La technologie sera sans nul
doute importante pour les familles atteintes de maladies génétiques graves
et pour éviter que les enfants ne souffrent inutilement.
D’ailleurs, la possibilité d’utiliser cette méthode pour rendre plus
performants des gènes normaux n’est pas si lointaine. Le concept de « bébé
sur mesure », qui reste flou et peu démocratique, est cependant l’image d’un
avenir auquel on tend les bras. La technologie permettra d’apporter des
modifications durables et héréditaires aux caractères génétiques de
l’embryon.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il sera possible de planifier dans le
détail toutes les caractéristiques physiques, mentales et personnelles à l’aide
de petits ajustements génétiques : nos 20 000 gènes collaborent de façon
trop complexe entre eux et avec l’environnement pour qu’il soit possible de
prévoir toutes les conséquences de nouvelles modifications. Nous n’y
arriverons probablement pas. La question est d’ailleurs loin d’être simple. Il
existe par exemple des désaccords importants sur la frontière entre anomalie
génétique et variation normale.
Le potentiel de CRISPR/Cas pose clairement la question des frontières.
Qu’est-ce qui est normal ? Les personnes atteintes d’anomalies
chromosomiques et celles souffrant de maladies héréditaires doivent-elles
faire partie de notre diversité ? Que ferons-nous si des familles occidentales
riches s’achètent un avenir génétique leur assurant qu’elles n’ont pas besoin
de se préoccuper des maladies qui toucheront dès lors principalement les
pauvres ?
Dans son ouvrage A Crack in Creation, Jennifer Doudna, qui a découvert
avec d’autres la technologie CRISPR, parle des grands défis éthiques des
technologies nouvelles. Pour elle, il ne fait aucun doute qu’il faut réguler les
avancées technologiques pouvant avoir des conséquences indésirables. Elle
cite à ce sujet le directeur de l’Agence américaine de la santé (NIH) en ces
termes : « L’évolution travaille à l’optimisation du génome humain depuis
3,85 milliards d’années. Croyons-nous vraiment qu’un petit groupe
d’explorateurs de gènes humains puisse faire mieux sans se heurter à toutes
les éventuelles conséquences imprévues ? »
Dans ce domaine de recherche, la technologie permet de mener des
expériences spectaculaires sur des humains, mais nul n’en connaît les
conséquences.

Ève 2.0
Je ne crois pas qu’il faudra tant de décennies avant la naissance du
premier bébé de laboratoire. Un embryon trié d’abord en fonction de son
sexe et des risques de maladies héréditaires, et dont le génome serait édité
avec CRISPR/Cas pour optimiser une sélection de gènes liés à l’intelligence
et aux caractéristiques physiques.
L’enfant commencera sa vie in vitro avant de se développer pendant
neuf mois dans un utérus artificiel. Là, installé sur une étagère de
laboratoire, il sera bien protégé par un demi-litre de liquide amniotique
artificiel.
Nouveau-née et hurlante, Ève 2.0 recevra du lait de sa mère devant son
papa qui pleurera de joie. Les jours passeront et les selles de bébé céderont
la place au pipi au lit, aux larmes de crocodile et aux gouttes de sang avant
que la puberté ne s’installe. Les boutons, les règles et les poussées de sueur,
ensuite les premiers rapports sexuels.
Sa vie sera un dur labeur, des fêtes au champagne, des déceptions, des
hauts et des bas. Certains jours pleins de morve, de diarrhée, d’urine et de
sucs gastriques perturbés, d’autres pleins d’adrénaline et de transpiration
d’un entraînement intense et d’un travail acharné. Le sang bouillonnera et
vers 35 ans, Ève 2.0 rencontrera la personne avec laquelle elle voudra
partager le reste de sa vie. Ils deviendront parents de deux enfants, des
jumeaux avec de petits ajustements génétiques qui leur garantiront un
avenir sans maladie et sans misère, et quelques « versets », c’est-à-dire des
séquences d’ADN bien choisies, disant que la vie n’est peut-être pas si
courte.
Ève 2.0 s’achètera tous les jours des doses de source de jouvence,
pratiquera le yoga et continuera à vivre en végétarienne. Elle aura 110, 120
et ensuite 130 ans avant de s’endormir paisiblement. La famille pleurera et
les larmes tomberont sur le sol. Dans le sang des enfants et petits-enfants
continuera de couler l’histoire d’Ève 2.0 et de la révolution technologique.
5. N.D.T. : Favorisant le développement de tumeurs.
9. LA MORT
UNE DERNIÈRE GOUTTE
Quand nous mourons, le cœur cesse de pomper le sang et de le faire
circuler dans tout le corps. Les cellules n’ont plus ni oxygène ni nutriments,
aussi la combustion d’énergie et la production de chaleur s’arrêtent-elles. À
chaque heure qui passe, le corps refroidit d’environ 0,8 °C, jusqu’à avoir la
même température que son environnement.
Ailleurs, les vaisseaux capillaires se vident de leur sang, rendant la peau
blême et inerte. La gravité attire le sang vers les parties les plus basses et
fait apparaître des taches sombres sur la peau. Les signaux chimiques dans
les muscles s’interrompent et les fibres verrouillent le corps comme une
statue. Lorsque les cellules musculaires sont décomposées, la rigidité de
marbre relâche enfin son emprise sur les bras et les jambes.
Ensuite, le corps se fait dévorer. D’abord par lui-même.
Dans les cellules saines, vivantes, les enzymes qui découpent le sucre, la
graisse et les protéines en petits morceaux sont soumises à un contrôle
strict. Dans un corps mort, les enzymes font ce qu’elles veulent et
grignotent ce qui est le plus près : les cellules elles-mêmes. Ce cannibalisme
moléculaire décompose la membrane cellulaire et l’eau du milieu cellulaire
s’écoule. La nécrose liquéfiée s’accumule dans les cavités corporelles et
sous forme de petites poches dans la peau. Parfois, elle se mélange avec du
sang, d’autres fois elle est transparente. Au fil du temps, la partie supérieure
de la peau se détache du tissu en dessous et s’écaille par larges plaques.
Les micro-organismes intestinaux qui mangent nos restes de nourriture
lorsque nous sommes en vie dévorent le corps lorsque nous mourons. Ils
commencent par l’intestin et taillent leur route à grands coups de
mandibules. Leurs déchets sont des gaz qui restent prisonniers à l’intérieur
du corps, un ballon dont la taille augmente régulièrement. Le rectum s’est
effondré et les gaz dans la graisse sous-cutanée et le scrotum ne trouvent
aucune issue. La pression augmente, et la peau se tend. De très nombreuses
bactéries se trouvent également autour de la bouche et des organes
génitaux ; la langue, les lèvres et le pénis gonflent.
Le liquide des cellules se mélange avec les bactéries et à ce qui reste de
l’intestin, du pancréas, des poumons et de la graisse, pour former une soupe
d’organes en pleine effervescence. Les bactéries passent d’un repas à
l’autre. Et voilà que les mouches arrivent. Leurs larves ressemblent à de
petits grains de riz rampants qui mangent et grandissent dans le corps mort.
Si un cadavre n’est pas pris en charge et conservé, ou se dessèche dans un
environnement sec et frais, il finit par se liquéfier et s’écouler. Seul restera
le squelette, pour un moment.
Le corps liquide s’enfonce dans la terre et ce fluide ne fera qu’un avec la
nature.
Retour à la case départ.
REMERCIEMENTS

Je dois un grand merci à tous ceux qui ont contribué au contenu de cet
ouvrage. Un merci spécial à la courageuse Ingrid Lunde pour avoir partagé
son histoire avec moi. Un merci tout particulier aux chercheurs de l’hôpital
St Olav qui m’ont permis de donner ma moelle osseuse et de suivre ce qui
lui arrivait : Therese Standal, Tobias S. Slørdahl, Lill Anny Gunnes
Grøseth, Anne-Marit Sponaas et Anders Sundan.
Merci également à tous ceux et celles qui se sont prêtés aux interviews ou
ont contribué autrement avec leurs récits sur leurs propres fluides corporels
et ceux des autres : Marie E. Rognes, Marius Johansen, Henrik J.
Henriksen, Gro Sæther, Kari Husabø (1924-2018), Anders Debes, Håvard
Aalmo, Tom Luka, Astrid Aksnes, Ellen Økland Blinkenberg, Einar
Kristoffersen, Line Nybakken, Heidi Konestabo, Tone Gadmar, Ole Ivar
Burås Storø, Atle Hunnes Isaksen, James Boyda, Loretta Ramos, Ole
Kristian Drange, Idun Husabø, Tone Nordbø, Eirik Lehre, Emma Manin et
Angeliki Dymak-Adolfsen.
Merci à mes premiers lecteurs Katharina Vestre, Øyvind Rolland et Eivind
Torgensen pour leurs retours enthousiastes. Merci aux consultants
professionnels pour leurs corrections et contributions importantes. S’il y a
tout de même une erreur ou deux dans cet ouvrage, elles seront le fait de
l’auteur et de personne d’autre.
Merci également à toute la bande aussi travailleuse qu’inspirante du
collectif indépendant Stallen.
Enfin, un grand merci à Jon Olav, mon critique le plus sévère en même
temps que mon plus grand fan.
À la vôtre !
BIBLIOGRAPHIE

2. Les déchets

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9. La mort

Roach M. 2005. Macchabées. La Vie mystérieuse des cadavres, traduit par Cécile Deniard, Paris :
Calmann-Lévy.
INDEX

23andMe 139-145, 161-164


A
accouplement 67
acide
biliaire artificiel 187
chlorhydrique 108
gastrique 104
phénylpyruvique 149
acidité 54, 89
acné 3, 115
ADN 34, 49, 64, 86, 89, 139-142, 145-154, 162-165, 192-193, 197
âge d’or islamique 28-29
Agence américaine
de la santé (NIH) 183
agents pathogènes 5, 54, 116-117
Aksnes, Astrid 155
alcool 92, 110
Alkahest 184
allaitement 80-84, 182
Al-Nafis, Ibn 29-30
Alt-right 147
Alzheimer (maladie) 43, 162,
184, 193
Ambrosia 169, 184
amidon 92
amylase 92
anatomie 27, 45
anesthésie 130
animalcules 33
anomalies chromosomiques 195
antibiotiques 89
anticorps 80
anus 113
artère 25, 128, 173
Arthur, Rob 163, 164
articulations 128
avortement médical 76
B
bactéries 33, 49-51, 54, 61, 89, 113, 118, 175, 187, 202
baiser 49-52
Baker, Robin 67-68
banque
du lait 82
du sang 190
Bathory, Elisabeth 185
Beaumont, William 105-107
Bert, Paul 179
bile 7, 108, 122, 187
jaune 21-23
noire 21-23
bio-banque 150
biomarqueurs 154-156
biotechnologie 139, 150
black pudding 94
Blinkenberg, Ellen Økland 160-161, 165-166
Blundell, James 174
Bøckman, Petter 81
bol alimentaire 108
botox 114
bouche 49, 89, 116-117
Bourouiba, Lydia 115, 117
bouton 114, 196
Brochmann, Nina 54
C
cadavre 202
caillots de sang 178
canal pelvi-génital 10
cancer 14, 39, 127, 128, 154, 193
de la moelle osseuse 127, 131
de la peau 115
cannibalisme 96, 99, 202
Caraïbes 97
cathéter 14
cellules
adipeuses 6
cancéreuses 14-15
gliales 44
hépatiques 38
immunitaires 16, 43, 70, 128, 192
intestinales 109
mononucléées 132
osseuses 6, 129
-souches 6, 15, 180-182, 190
centrifugeuse 131
cérumen 144
cerveau 8, 39-45, 98-99, 122, 180
champignons 17, 54
Charles II 24
chassie 8
chimiothérapie 14
Chivers, Meredith 59-60
chromosomes 72, 140-141
Church, George 193
Churchill, Winston 3
chyme 7
circulation sanguine 14, 28, 172, 177, 180
cire d’oreille 8, 144
clitoris 53-54, 60-61
Clostridium difficile 118
coagulation 158, 162
sanguine 129
cobayes 58, 188
humains 34
cœur 28-32, 72, 180, 201
col de l’utérus 54, 63, 67-68
Colen, Cynthia 83-84
Colomb, Christophe 96
côlon 86
colostrum 10, 80
Conboy, Irina et Michael 181
conflits éthiques 36
contagion 117
contraceptifs 59
contraception naturelle 55
cordes vocales 104
cordon ombilical 73, 182, 184
corps spongieux 53-54
crachats 7, 91
crâne 41
CRISPR 192-196
croissance 33
cuivre 176
cycle menstruel 37-38, 112
D
Debes, Anders 120-121
déchets 5, 111, 178, 202
cellulaires 42
défenses immunitaires 15, 80, 129
Denis, Jean-Baptiste 172-173
dépistage néonatal 150
dermicidine 114
Deutsch, Albert 57
diabète 122
diarrhée 7, 87
Dickinson, Robert Latou 57
digestion 105
dissection 25, 31
division cellulaire 72
donneur 15, 186
de sang 172
Donovan, Joan 147
Dr Pimple Popper 115
dure-mère 43
E
eau 7, 22, 46, 54, 74, 113
effets secondaires 15
éjaculation 55, 63, 65
féminine 66
embryon 194
endolymphe 8
enquêtes médico-légales 138
enzymes 85, 88, 149, 201-202
digestives 7
épidémie 118
épididyme 65
érection 52-53, 60
estomac 50, 104-108
éternuement 116-117
Evatar 36, 38
évolutionnisme 67
excitation 59-61
expectorations 7, 116
exsudat 8
F
facteur de nécrose tumorale (TNF) 156
facteurs de jouvence 182
fécondation 9, 33, 68
fer 93, 176
fertilité 65
filématologie 51
fistule 105
fluide(s)
cardinaux 22-23
cérébrospinal 4
vaginal 55
fœtus 9, 34, 63, 72, 74
foie 25, 38, 43, 110, 162
Følling, Asbjørn 149
fructose 64
G
galactose 85
Galien, Claude 21-26
gamètes 55, 63-64, 69-70
gaz 202
généalogie 34, 147
gènes 140
glaire cervicale 68
glaires 7
gland 55
glandes
eccrines 113
mammaires 80
parotides 7
salivaires 88-89, 139
sébacées 114
sudoripares 113-114
globules blancs 6, 131-132
globules rouges 6, 93, 128, 162, 174-175
glucose 41, 85
glycémie 188
glycogène 111
glycoprotéine 90
gombo 91
goût 51, 89
graisses 110, 113, 129, 132, 187
Grøseth, Lill Anny Gunnes 131
gros intestin 7
grossesse 63, 75-76
groupes sanguins 34, 177-178
H
Hannibal Lecter 95
Harvey, William 27-28, 30-32, 172
hémocyanine 176
hémoglobine 93, 176
de synthèse 187
Henriksen, Henrik J. 91, 99
Hinde, Katie 79
Hippocrate 21-23, 26, 62
Holmes, Elizabeth 156, 158-159
hominidés 90
Homo sapiens 86, 141-142
hormones 34, 52
hygiène intime 55
hypertrophie cardiaque 180
hypoglycémie 141
hypophyse 80
I
incubateur 133
industrie pharmaceutique 159
injections 187
intestin 5, 38, 72, 98
grêle 7, 108-110
in utero 74
in vitro 37, 196
J
Johansen, Marius 55
Johnson, Virginia 59
jumeaux 83
K
Karmazin, Jesse 169
Kinsey, Alfred 56-58, 65
Kort, Remco 49-50
Ku Klux Klan 147
kuru (maladie du tremblement) 98-99
Kybella 187
L
lactase 85
lactose 85
intolérance 85
lait 138
cru 79
de morue 99
maternel 3, 10, 80-86, 89
végétal 87
Landsteiner, Karl 177-178
langue 51, 104-105
larmes 3, 33, 79, 112, 133, 197
larynx 104
Lee, Richard 181
Lee, Sandra 115
Leeuwenhoek, Antonie van 33, 63
leucémie myéloïde aiguë 14
levures 92
Libavius, Andreas 185
limules 176
lipase 88
lipocaline 2 156
liquide
cérébro-spinal (ou céphalo-rachidien) 39-43, 46
lacrymal 111
pré-séminal 55
prostatique 64
séminal 3
synovial 8
liquide amniotique 9, 72, 79
artificiel 75
Looney, Mark 35-36
lymphe 4
M
Macrakis, Kristie 138
maladie(s) 33
cœliaque 162
de Følling 149
de Gaucher 162
de Huntington 160-161
de Parkinson 162, 184
du greffon 16
du tremblement 97-98
génétiques graves 160
neurodégénératives 43
orpheline 162
rire de la mort 97
Mascagni, Paolo 45
masse cérébrale 79
Masters, William 59
mastication 89
masturbation 57, 61
méconium 10
mégacaryocytes 35
mémoire 183
méninges 41
menstruation
voir aussi règles
métabolisme 38, 149
micro-organismes 62
microscope 33, 62
minLab 159
modèles mathématiques 41
moelle
épinière 8, 40, 46
osseuse 3, 6, 14, 127-133, 180, 190-191
morve 3, 116
mucine-7 90
mucus 21-23, 54, 71, 108
muqueuse(s) 16, 88, 171
buccales et intestinales 15
nasale 116
N
nausées 16
Néandertal 142-144
nécrose 202
de liquéfaction 10
Nedergaard, Maiken 43
neurones 41, 99
miroirs 112
neurosciences 39, 42
neurotoxines 44
neurotransmetteurs 132-133
O
ocytocine 70, 181-182
œil 8
oreillette 74
organes génitaux 52, 54, 59, 98
organoïdes 38
orgasme 55, 59, 66
fontaine 66
os 127-130
osmose 109
ovaire 37, 69-70
ovule 64-65, 69-72
fécondé 72, 76
oxygène 5, 41, 111, 128, 187, 201
P
Pääbo, Svante 142
pancréas 7, 38, 108
Panofsky, Aaron 147
Papous 97
parabiose 179
paracétamol 110
Parkinson (maladie) 43
Partridge, Emily 75
pénis 9, 34, 52-55, 60-67, 120
pepsine 107
pepsinogène 107
péricarde 8
peroxyde d’hydrogène 89
phénylalanine 149, 154
physiologie gastrique 106
pigmentation 21
placenta 73, 79
plaques amyloïdes 42
plaquettes 35, 129, 132, 174, 187
plasma 5, 132, 174-175, 177, 184
sanguin 169
plexus choroïdes 40
poche des eaux 76
pouls 52
poumons 8, 29-30, 73-74, 162
Première Guerre mondiale 137-138
pression sanguine 119
prion 99
prolactine 80
propofol 122
prostaglandine 64
prostate 9, 120, 154
protéine(s) 80, 111, 113
C réactive (CRP) 156
GDF11 181
Q
QI 82-83
R
Ramsey, David 84
rapport sexuel 49, 55-67, 196
Rayner, Rosalie 58
Realdo Colombo, Matteo 30
recherche médicale moderne 36
recherches génétiques 34
rectum 202
règles 10, 37, 59, 196
reins 62, 119, 122, 178
respiration 113
retour de couches 10
rhésus 177
rhume 171
risque d’infection 118
Roach, Mary 58, 106-107
Rognes, Marie Elisabeth 39-41, 44-45
Rutherford, Adam 144
S
sac vitellin 9
saignée 24, 173
Saint Martin, Alexis 105-107
salive 50, 61, 88-93, 133, 138, 139, 143, 146, 162, 164, 192
de repos 89
sang 3-5, 21-23, 28-35, 52, 73, 79, 93, 100, 122, 133, 146, 153, 158, 177, 192, 201
artificiel 38, 186
bleu 146
circulation 28
filtré 111
jeune 185-186
menstruel 9
petite circulation 30
Schittek, Birgit 114
scrotum 120, 202
sébum 8
sécrétions 54, 68
sérosités 8
sérum 5
Servet, Michel 30
sexe 58, 112
habitudes 56, 58
pratiques 56
sexologie 56
smegma 9
sommeil 44
spermatozoïdes 9, 55, 61-72
sperme 4, 9, 62-63, 67, 100,
137-138
de morue 99
Sponaas, Anne-Marit 131-133
squelette 203, 128
Standal, Therese 127-128
stéréocils 71
stéroïdes 113
Støkken Dahl, Ellen 54
Stormfront (forum) 147
suc
gastrique 7, 107-109
intestinal 3, 7, 110
pancréatique 7
sueur 3, 33, 79, 196
émotionnelle 112
syphilis 153
système(s)
ABO et Rhésus 178
glymphatique 44
immunitaire 116, 142
T
test
génétique 162, 164
rapide de VIH 152
sanguin 157
testicule 9, 62, 65
testostérone 64
Tet2 (gène) 183
théorie
de la préformation 33
des fluides 23
des humeurs 23
Theranos 156-159
thérapie cellulaire 189
Thomas, Mark 87
TIMP2 182-183
tissu
cérébral 41
conjonctif 6, 111, 129
toxines 110
transfusion sanguine 34, 173-174, 177
transidentité 61
transpiration 113
transsudat 8
Trimble, Michael 111
trompes de Fallope 9, 37, 63, 69-72
tube
digestif 104
respiratoire 104
tuberculose 121
U
ultraviolets 138
urètre 53, 66
urine 3-4, 33, 73, 120-122, 138, 148
coloration 103, 119-120
utérus 9, 37, 65, 68-69, 72
V
vagin 34, 37, 54-55, 61, 64, 67-68
vaisseaux
capillaires 201
lymphatiques 43-44
sanguins 25, 53
Valverde, Juan 30
variantes
génétiques 143-146
néandertaliennes 143, 145
Veale, David 52
ventilation 118
ventricule 40, 74
vernix caseosa 10
vertèbres 41
Vésale, André 26-27
vésicule(s) 108
biliaire 108
séminales 64
vessie 120
Vestre, Katharina 68
VIH 153, 154
Villeda, Saul 182
vinaigre 93
Vinci, Léonard de 27
Vinome 1633
virus 33, 118, 175, 187
du Nil occidental 171
HPV (les papillomavirus) 191
vomissure 7
W
Wagers, Amy 180-181
Washington, George 24
Watson, John 58
Wittkamp, Volker 52, 63
Woodruff, Theresa 36, 39
Wyss-Coray, Tony 182

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