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21/05/2023 22:14 Chapitre X.

La terre et la guerre | Cairn.info

Chapitre X. La terre et la guerre


Conquête de l’« espace vital » et colonisation
Johann Chapoutot
Dans La révolution culturelle nazie (2022), pages 246 à 256

Chapitre

O n a vu que la conception ethnoraciste (völkisch) du peuple (Volk) comme organisme biologique doté d’une cohérence et d’une intégrité
propres permettait de légitimer la politique nazie et sa violence au nom de la nécessité biologique et médicale des principes qui
l’animent. Si le Volkskörper est un corps, ce corps a ses médecins — les praticiens de la politique et de la police nazies.
1

L’organisme biologique, c’est aussi l’arbre, et les assimilations entre la forêt et la race, entre l’arbre et le peuple, ne manquent pas, comme 2
dans le film Ewiger Wald, ewiges Volk, qui, en 1936, assimile explicitement « peuple » et « forêt » « germaniques ». Cet autre registre
métaphorique permet l’intervention d’une nouvelle figure, celle du jardinier : l’homme qui taille, émonde, entretient les sols, reconstitue les
parcelles, transplante le cas échéant.

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La race est un arbre, qui plonge ses racines dans le sol. Le mot Boden est un des thèmes fondamentaux de la langue nazie. Le Boden est, dans 3
une tradition déjà ancienne, celle du Heimatschutz, non seulement le sol en tant que réalité géologique, mais aussi le terroir comme réalité
géographique, c’est-à-dire culturelle, anthropisée. L’invocation incantatoire du Deutschland réitéré, presque glapi, dans les discours, évoque
le paysage allemand, celui des polders de Poméranie et des coteaux de Thuringe. Le sol, c’est la race et le génie de la race, devenus pays.
L’association entre sang et sol est systématique et organique, dans ce slogan Blut und Boden (sang et sol) inlassablement répété sous le
IIIe Reich.

Devise de la corporation des paysans du Reich, Blut und Boden a été repris aux mouvements völkisch préoccupés par l’agriculture, la santé de la 4
race et la pureté des sols depuis la fin du XIX  siècle. On est frappé par la présence importante d’ingénieurs ou de techniciens agronomes
e

dans les rangs nazis, que ce soit dans le parti naissant, dès le début des années 1920, ou, plus tard, au sommet de la hiérarchie de l’État :
issues ou proches de mouvements d’agronomie, des personnalités comme Heinrich Himmler ou Richard Darré, pédagogues, théoriciens et
praticiens du racisme, occupent des positions éminentes à partir de 1933, à la tête de la police et des services de sécurité pour l’un, à celle des
paysans du Reich et du ministère de l’Agriculture pour l’autre.

Ces thuriféraires de la glèbe ancestrale et de la paysannerie traditionnelle sont très inquiets des dynamiques propres à la révolution 5
industrielle, marquée par un fort exode rural et une urbanisation galopante. Le sang est lié au sol, mais le sang a été arraché au sol : d’être
naturel qu’il était, vivant au rythme du cosmos (jour, nuit, saisons…), l’homme déraciné est devenu un être artificiel : privé de la terre qui le
faisait exister depuis des millénaires, l’homme germanique est devenu une « fleur d’asphalte », un être dénaturé.

Dans l’esprit de ces racistes partisans de la théorie nordiciste (toute humanité supérieure et toute culture viennent du Nord), c’est bien le sol 6
qui donne naissance au sang. Les métaphores de la source, de la fontaine et du jaillissement sont fréquentes dans le discours nazi : si, pour
reprendre le titre d’un ouvrage de Darré, « la paysannerie [est] source de vie de la race nordique », si « le sang jaillit des fermes », c’est que,
littéralement, le sang sourd du sol. La race nordique, selon les raciologues völkisch et nazis, est une race autochtone, c’est-à-dire issue de sa
propre terre. Elle n’est venue de nulle part que de son origine, sa terre scandinave et germanique. Idée délirante ? Après tout, il faut bien
venir de quelque part : les Anciens considéraient les Athéniens comme des autochtones, mais aussi les Germains, dont Tacite, dans la
Germania, affirme qu’ils sont indigenae, littéralement « issus de là ». Non immigrée, la race nordique peut par contre migrer, pour conquérir
et coloniser des espaces indispensables à sa vie biologique.

C’est là que les trois significations du syntagme Blut und Boden se rejoignent : il faut réenraciner la race pour rendre le sang au sol, pour 7
revenir à une ère d’harmonie préindustrielle entre le Germain et la nature et pour que le sol nourrisse pleinement le sang.

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Selon les nazis, qui ne font ici encore que mettre leurs pas dans ceux des völkisch et des expansionnistes et pangermanistes de la fin du 8
XIXe siècle, l’espèce manque d’espace : le Volk ohne Raum, le peuple sans espace, est une obsession des nationalistes racistes depuis le début
d’une transition démographique explosive qui, entre 1871 et 1914, a fait gagner à l’Allemagne vingt-sept millions d’habitants, la faisant passer
de quarante millions à soixante-sept millions, soit une croissance impressionnante de 67 % en moins de quarante-cinq ans. Cette
préoccupation s’aggrave encore après 1919 : le traité de Versailles subtilise à l’Allemagne 15 % de son territoire continental et la prive de ses
colonies. Les völkisch des années 1920, dont les nazis, ont alors beau jeu d’insister sur ce vol de terres et de faire du terme Lebensraum (espace
vital) l’alpha et l’oméga de toute géopolitique gagée sur la biologie.

Lebensraum est pour nous indubitablement un mot nazi, celui qui résume les ambitions territoriales du NSDAP, puis du Reich. Or ce terme 9
n’est ni nazi ni géopolitique. À l’origine, il appartient aux sciences naturelles, notamment à la zoologie : le Lebensraum est littéralement
l’espace indispensable à la vie d’un individu ou d’un groupe d’êtres vivants, végétaux ou animaux, celui dont ils tirent leur subsistance et leur
nutrition. En 1908, le zoologue allemand Friedrich Dahl confère à ce mot toute la dignité scientifique de la taxinomie grecque en forgeant à
partir de lui le terme Biotop, traduction terme à terme du Lebens (bios)-Raum (topos).

La fascination pour les sciences de la nature est telle depuis la seconde moitié du XIXe siècle et les acquis du darwinisme que le terme a été 10
translaté des sciences naturelles vers les sciences humaines, notamment vers la géographie et la géopolitique, mais aussi vers l’économie et
l’histoire. Par ailleurs, de descriptif qu’il était, il est devenu prescriptif : là où un zoologue se contente de désigner le biotope de la
musaraigne, le géographe et le géopoliticien affirment que telle ou telle nation doivent acquérir un espace vital en Afrique, dans les Balkans
ou en Asie.

Le géographe ou le géopoliticien en question ne sont pas tous d’odieux pangermanistes : toutes les nations européennes colonialistes 11
raisonnent, en cette fin de XIX  siècle, dans les termes de ce que l’on appelle le Lebensraum en Allemagne ou l’hinterland colonial ailleurs.
e

Dans tous les cas, il s’agit d’assurer l’approvisionnement en nutriments, matières premières et main-d’œuvre nécessaires à la prospérité de la
nation. Il reste que c’est bien la géopolitique allemande, jeune science tétanisée par l’expansion démographique et par l’encerclement
supposé de l’Allemagne, puissance centrale, qui a théorisé avec le plus de fermeté l’usage politique de la notion biologique de Lebensraum.
L’ouvrage que lui consacre le géographe Friedrich Ratzel se veut, comme l’indique son sous-titre, une « étude biogéographique » qui a pour
ambition à peine masquée de faire coïncider les dessins de la géographie avec ceux de la vie.

La spécificité allemande, indéniable, tient également aux territoires visés. Si les nations colonisatrices ont su se partager l’Afrique et l’Asie, 12
l’Allemagne est restée à l’écart de la colonisation et du partage du monde. Les raisons à cela sont une construction étatique tardive (1871) et le
désintérêt de Bismarck, chancelier jusqu’en 1890, pour les territoires ultramarins. Ceux-ci devaient servir de dérivatif aux ennemis de

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l’Allemagne, lui permettant de se concentrer sur le maintien d’un statu quo européen, d’une paix continentale indispensable à la survie du
jeune État, et de s’intéresser à des espaces européens.

Économistes, militaires, géographes, capitaines d’industrie, journalistes et publicistes favorables aux thèses expansionnistes ont 13
généralement pris acte de la fin de la course au clocher colonial outre-mer. Il reste à ces esprits le dessein d’un Sud-Est ou d’un Est allemand.
Après tout, ce qui légitime la colonisation, l’appropriation de territoires et leur mise en valeur par des colons est depuis toujours la
déshérence supposée et proclamée desdits territoires : mal cultivées par des Slaves manifestement inférieurs, les terres de l’Est pouvaient à
bon droit être qualifiées de terrae nullius, de terres n’appartenant à personne, comme le prévoit le droit international depuis les travaux
d’Emerich de Vattel au XVIIIe siècle.

Vattel avait repris au droit romain la vieille expression de terra nullius, qui, sur le modèle de la res nullius, désigne une terre dépourvue de 14
propriétaire. Le droit international naissant en a fait, depuis la Renaissance, l’argument juridique de l’annexion territoriale : un État
constitué abordant une terre non possédée par un État reconnu peut la revendiquer comme sienne. Vattel, dans son Droit des gens (1758),
rapidement devenu une référence, déplace l’objet de la réflexion aux « peuples primitifs » qui, n’ayant créé ni culture ni civilisation dignes de
ce nom sur leurs terres, ne peuvent en être reconnus propriétaires. Vattel est doublement un homme des Lumières : son concept est à la fois
une arme contre l’argument de la patrimonialité monarchique (le propriétaire est celui qui cultive la terre et non celui qui se borne à en
hériter) et un outil pour l’expansion d’une Europe blanche et éclairée, appelée à cultiver le monde et ses peuples.

Nul ne précise que l’expression terra nullius doit se limiter à désigner les territoires des Aborigènes ou des Namas. Une terre en déshérence se 15
trouvant sur le continent européen peut tout aussi bien devenir un objet légitime d’annexion que si elle se trouvait en Amérique du Sud ou
en Afrique. C’est donc avec la plus parfaite conscience de leur bon droit d’hommes blancs, européens ou germaniques, que des
expansionnistes allemands ont désigné les vastitudes incultes de l’Est comme cible naturelle de la colonisation allemande. Le droit naturel,
celui d’un Vattel comme celui de la biologie, le commande, tout comme l’histoire, qui enseigne qu’à partir du XIIIe siècle les chevaliers
Teutoniques ont colonisé la Pologne et la Baltique. Pour les amateurs d’une préhistoire définie en 1912 par le grand savant Gustav Kossina
comme une « science éminemment nationale », il est pertinent de remonter aux expéditions des Goths et des Varègues en lointaine Crimée,
sortes de grandes invasions du Nord vers l’Est depuis, lit-on parfois, le troisième millénaire avant notre ère.

Le dossier est ainsi solidement constitué, avec des arguments tellement légitimes que l’occasion est trop belle, en 1918, de profiter de la 16
disparition du tsarisme et de la hâte bolchevique à conclure la paix, pour annexer d’immenses territoires lors de la signature du traité de
Brest-Litovsk, le 3 mars 1918. La longueur des négociations (quatre mois, de décembre 1917 à mars 1918) dessert les partisans allemands d’une

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paix sans trop d’annexions : ce sont finalement Guillaume II et l’état-major général de l’armée qui l’emportent — et emportent le morceau :
la Pologne, la Baltique et une partie de la Biélorussie et de l’Ukraine sont incorporées au Reich, tandis que le reste des territoires biélorusse et
ukrainien est voué à former des États satellites de l’Empire allemand.

Certes, les bolcheviks auraient signé n’importe quoi pour en finir rapidement, tout en n’en pensant pas moins et en prévoyant, in petto, de 17
reprendre ces territoires le moment venu. Il reste que l’effet de la paix de Brest-Litovsk sera immense en Allemagne : la victoire à l’Est est
totale, les gains territoriaux considérables et, pour les « biogéographes » et autres géopoliticiens du Lebensraum, la subsistance et la
croissance du Volk allemand, épuisé par les effets du blocus allié, sont désormais assurées pour toujours. Le choc de Versailles, en 1919, n’est
pas seulement lié au front de l’Ouest : ce règlement général de la paix annule également les acquis fabuleux de la victoire à l’Est et accentue
d’autant plus les sentiments de gâchis et de frustration liés aux autres dispositions du Diktat de Versailles, lequel, on l’oublie souvent,
annihile de facto et de jure la paix de Brest-Litovsk.

Versailles, toutefois, ne se contente pas de rayer d’un trait de plume la victoire à l’Est. Avec la renaissance de la Pologne, la création des États 18
baltes et les concessions territoriales aux nouveaux États tchécoslovaque et hongrois, ce sont autant de territoires germanophones
anciennement rattachés à l’Allemagne qui deviennent un Est étranger. Le thème d’une germanité perdue et menacée devient omniprésent à
droite en cette fin des années 1910. Il est l’argument majeur de mobilisation de soldats allemands qui, au lieu de rejoindre la vie civile,
s’agrègent aux corps francs, troupes militaires illégales, mais tolérées et financées, qui vont combattre en Silésie et sur la Baltique pour
défendre, contre le péril slave et communiste, le deutscher Osten, l’Est allemand. Ernst von Salomon a livré, dans Les Réprouvés, un témoignage
à la fois épique et cauchemardesque des tribulations de ces reîtres contemporains, lointains héritiers des troupes errantes de la guerre de
Trente Ans.

L’Est devient également le lieu de la menace bolchevique et de sa diffusion : le péril vient des steppes russes, mais il s’avance jusqu’aux portes 19
de Varsovie en 1921, sans parler de la Hongrie de Bela Kun, de la Bavière, qui devient brièvement une « République soviétique » (Räterepublik)
en 1919, ou de la Vienne sociale-démocrate. Le feu des steppes menace de gagner l’Est tout entier : des corps francs se battent, sur la Baltique
et en Silésie, jusqu’en 1921 pour endiguer le péril et préserver à la germanité des territoires et des populations.

Pour les analystes les plus anxieux, pas forcément tous d’extrême droite, la cause est entendue : Versailles et le nouvel ordre international 20
veulent détruire le Deutschtum, la germanité. Ce que les Alliés ne sont pas parvenus à faire par les armes et le blocus, ils tentent de l’obtenir
par le droit : les communautés allemandes perdues en terres étrangères sont promises à l’asphyxie biologique et culturelle, tandis que le
nouveau territoire allemand et celui de l’Autriche, privé d’Anschluss, ne sont pas viables économiquement, et donc démographiquement,
c’est-à-dire biologiquement.

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C’est désormais une antienne du discours völkisch, puis nazi : la Grande Guerre a bien visé à l’extermination (Vernichtung) du peuple 21
allemand par le blocus, et la paix n’est qu’une continuation de la guerre par d’autres moyens.

Dans ce contexte d’inquiétude, voire de panique biologique, le thème du Lebensraum s’enracine avec encore plus de force qu’avant 1914. 22
L’espace vital devient littéralement cet espace sans lequel la vie, voire la simple survie, est impossible. Que cet espace vital soit situé à l’Est est
une évidence pour le Hitler qui, en prison en 1924, rédige et dicte un livre autobiographique et programmatique, Mein Kampf.

Le parti nazi prend ce thème très au sérieux. Dès les années 1920, des cours de formation idéologique sont dispensés aux adhérents des 23
différentes organisations du NSDAP, puis, la perspective d’une arrivée au pouvoir se précisant, au sein d’un organisme de la SS fondé à la fin
de l’année 1931. Appelé RuSHA (Office principal de la race et de la colonisation) et dirigé par l’agronome raciste Richard Darré, qui, avec Hans
Günther, est une des références intellectuelles majeures de Himmler, cet organisme a une double mission. Gardien de la race et de sa pureté,
il est en charge de l’expertise généalogique et anthropométrique que doivent subir les candidats à l’admission dans la SS, mais aussi les
fiancées de ceux-ci : un membre de la SS ne peut se marier qu’avec l’autorisation du Reichsführer SS, après une expertise raciale de la
promise en bonne et due forme.

Significativement, et conformément à la devise de la corporation des paysans du Reich de Darré, le Blut de la race est indissociable du Boden 24
de la colonisation agricole. Le projet consiste clairement à régénérer le sang par le réenracinement racial dans une terre vaste et généreuse.
Les réflexions du RuSHA sont ensuite reprises, souvent avec les mêmes personnels issus de l’Université et de la police, par le Commissariat
du Reich pour le renforcement de la race allemande, ou RKF (Reichskommissariat für die Festigung deutschen Volkstums), créé par Hitler le
7 octobre 1939 et confié à Himmler.

C’est cette institution, dirigée par le professeur de géographie Konrad Meyer, qui établit les différentes versions du « plan général pour l’Est » 25
(Generalplan Ost), plan de conquête, de colonisation et d’aménagement du territoire aux proportions évolutives, mais gigantesques. Avec le
RKF et l’élaboration du Generalplan Ost, la SS cumule d’immenses responsabilités à l’Est : « sécurisation » des territoires, installation des
colons, « déplacement » des populations. Avec la SS, c’est l’aile dure et la plus convaincue des racistes nazis qui s’impose dans la construction
d’un empire colonial et racial.

Dans un discours prononcé fin novembre 1942, Heinrich Himmler s’enthousiasme de l’installation de populations germaniques à l’Est en 26
esquissant les étapes de cet enracinement progressif et définitif : à ses yeux, l’Est est « aujourd’hui une colonie (Kolonie), demain une colonie
[1]
de peuplement (Siedlungsgebiet), et après-demain, ce sera le Reich   ». Il y a dans l’emploi de ces trois termes une gradation nette dans le
degré d’appropriation et d’incorporation au Reich. En l’espèce, le terme Kolonie est assez péjoratif. Il renvoie moins à l’expérience coloniale
allemande, d’ailleurs tardive et incomplète, qu’aux politiques française et britannique, jugées superficielles, faibles et promises, selon les
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nazis, à l’échec : les Français et les Anglais n’ont pas assez réduit les populations locales en esclavage, et n’ont pas suffisamment installé les
leurs dans leurs possessions ultramarines pour s’y établir durablement. Ce n’est pas surprenant au fond : les climats influent sur les corps et
les psychés, et placer un Blanc sous les Tropiques le fait dégénérer. C’est pourquoi les nazis veulent coloniser sous des latitudes proches,
plein Est, sous des cieux qui ne feront pas muter l’homme germanique.

La véritable ambition du RKF est que des centaines de milliers de Germains prennent possession des terres grasses de l’Est, à commencer 27
par celles de l’ex-Pologne incorporées au Reich à l’automne 1939, puis de l’Ukraine. L’Est doit devenir Siedlungsgebiet, territoire de
peuplement, au double sens du terme : installation de colons et croissance démographique d’une souche biologique désormais dotée des
moyens de sa subsistance.

Les juristes qui travaillent à un droit foncier colonial pour l’Est partent d’une famille type de quatre enfants, pour des projections 28
démographiques d’ensemble qui sont certes variables, mais toujours emphatiques, de plusieurs centaines de millions d’Allemands à
l’échéance de quelques siècles à peine. Une fois la paysannerie nordique enracinée, les territoires de l’Est seront enfin pleinement incorporés
au Reich à l’issue d’une double Flurbereinigung : ce terme, qui désigne le remembrement et la réorganisation des parcelles, est également
utilisé, notamment dans le discours que prononce Hitler le 6 octobre 1939, à l’issue des opérations militaires victorieuses en Pologne, pour
désigner la redistribution géographique des populations selon les intérêts vitaux de la race germanique.

Ces territoires seront le lieu où, enfin dotés des terres fertiles et abondantes dont l’histoire les avait jusqu’ici privés, les Germains pourront se 29
livrer à la vocation naturelle de leur race : faire des enfants et produire des nutriments. Puériculture et agriculture, donc, dans une zone
« pacifiée » par l’activité de « sécurisation » de la police et de la SS et protégée. Protégée par une large zone frontière, une marche de paysans-
soldats et de vétérans de la SS chargés, au niveau de l’Oural, de barrer la route à tout envahisseur potentiel venu d’Asie. Pacifiée, car les
allogènes de l’Empire auront été soit réduits en esclavage — sort de la majorité des Slaves —, soit promis à l’extinction par la famine — pour
les Slaves considérés comme surnuméraires —, soit, enfin, destinés au « déplacement » — sort des Juifs appelés à disparaître du territoire du
Reich, d’une manière ou d’une autre.

Notes

Heinrich Himmler, Rede des Reichsführers-SS am 23.11.1942, SS Junkerschule Bad Tölz, BABL, NS 19 4009, fo 186.

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Auteur
Johann Chapoutot

Mis en ligne sur Cairn.info le 09/01/2023

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