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CHRONIQUE
D'UNE RELANCE ANNONCEE...

La production de la soie en Cévennes (1968-1995)

Françoise Clavairolle
mai 1995

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CHRONIQUE

D'UNE RELANCE ANNONCEE.

Rapport final à la Mission du patrimoine ethnologique


"Ethnologie des techniques:
Emprunts et innovations techniques"

Françoise ClavairoIIe
"Les Chemins de la soie"
Groupement pour la connaissance et la mise en valeur du patrimoine ethnologique
Cette étude a bénéficié de nombreux apports et soutiens.
Je remercie toutes celles et tous ceux qui m'ont ouvert leur porte et ont bien voulu me
consacrer de longs moments: séricicultrices et sériciculteurs d'hier et d'aujourd'hui,
membres de la "filière", conseillers... et en tout premier lieu Michel Costa qui en dépit de
ses innombrables tâches a toujours su et voulu se rendre disponible.
Je tiens à remercier également Christian Jacquelin et Denis Chevallier qui m'ont fait
confiance et ont suivi avec bienveillance mon travail.
Enfin, je ne ne saurais oublier Marc Henri Piault dont les suggestions et les critiques
m'ont été extrêmement précieuses.
4

La soie...
Six siècles pour conquérir les vallées cévenoles,
Trois décennies d'une prospérité qui s'estfixéedans les mémoires comme
un véritable âge d'or,
Un siècle de déclin qu'aucune intervention n'est parvenue à enrayer.
Les derniers élevages ont eu lieu en 1968,
Pourtant, moins de 5 ans plus tard, la sériciculture renaissait de ses cendres.

C'est cette aventure que l'étude qui suit se propose de retracer...


5

Prologue: aux origines de la relance séricicole

Les conditions de possibilité d'un renouveau

Les causes du déclin de la production de la soie sont multiples. Si l'on ne s'en tient qu'à la
période de l'après-guerre, on peut en retenir principalement deux qui font l'objet d'un
consensus:
- la popularité de certains textiles synthétiques, longtemps appelés "soie artificielle" en
raison de leur texture proche de celle de la soie naturelle,
- la concurrence des soies extrême-orientales qui arrivent à Lyon à des tarifs imbattables.

D'autres explications peuvent être avancées sur lesquelles les avis divergent, selon le
point de vue d'où l'on se place. Les sériciculteurs cévenols, les filateurs, les Soyeux
lyonnais, les spécialistes de cette production ont chacun leur version. Ils n'attachent pas
une égale importance aux faits et aux circonstances.
Prenons les sériciculteurs: ils renvoient souvent dos à dos les filateurs et les Soyeux,
ceux-ci étant souvent sous la coupe de ceux-là1 et ayant, les uns comme les autres, joué
la carte de leurs intérêts corporatifs plutôt que défendu le principe d'unefilièrenationale.
A leurs yeux, lesfilateursles ont trahis en s'accomodant des primes au kilo de cocons
plutôt que d'accepter de les payer plus cher si des droits de douane avaient été établis sur
les cocons d'importation2.

1
On assiste en effet à un mouvement d'accaparement des filatures cévenoles par les
entreprises lyonnaises qui disposent d'importants capitaux en même temps qu'ils
possèdent une vieille expérience industrielle et une puissante organisation commerciale.
Charles Teissier du Cros, La production de la soie dans les Cévennes, Paris: V. Giard
et E. Brière, 1903.
2
L'ouverture du Canal de Suez en 1869 a facilité les échanges avec l'Extrême-Orient et
notamment avec la Chine et le Japon, principaux producteurs de soie. Les producteurs de
6

Lesfilateurs,pour leur part, font la sourde oreille aux reproches que leur adressent les
sériciculteurs mais se rangent à leurs côtés quand il s'agit d'accuser les Lyonnais d'avoir
délibérément sacrifié leur profession à des intérêts égoïstes.
Les Soyeux partagent l'avis des économistes qui réfléchissent au déclin de la sériciculture
et de la filature françaises: c'est une évolution inéluctable, "un chapitre de l'histoire
économique plus que de géographie vivante" pour reprendre l'expression de M.-A.
Carrón3. Selon eux, ces deux secteurs d'activité sont irrémédiablement condamnés du
fait de la concurrence asiatique et le moins que puissent faire les pouvoirs publics, c'est
de soutenir le tissage, seule branche de cette industrie qui soit encore viable parce que la
Fabrique lyonnaise demeure inégalable sur le plan international.
Enfin, les techniciens imputent au système technique une part importante de
responsabilité dans le déclin de la sériciculture: les méthodes d'élevage sont dépassées,
les rendements sont faibles, la main d'oeuvre insuffisante.

Malgré lafroidelucidité des uns et le découragement des autres, des hommes ont refusé
ce verdict pessimiste et, très tôt, essayé de donner un nouveau souffle à la production
séricicole et à la filature française, qui, à la fin de la seconde guerre mondiale, se

soie et de cocons français réclament l'instauration de droits douaniers. Les attentes


varient cependant selon les intéressés: les sériciculteurs veulent que toutes les
importations soient taxées, lesfilaturessouhaitent que ce soit la soie grège* et ouvrée*
mais pas les cocons qui permettent à leurs usines de fonctionner, les mouliniers réclament
l'entrée libre de la soie grège mais une taxe sur la soie ouvrée, la Fabrique lyonnaise
refuse toutes mesures protectionnistes et insiste pour que l'Etat choisisse la mise en place
de primes. Chacun prêche donc pour sa paroisse. De nombreuses études ont été publiées
sur ce sujet. On peut consulter en particulier Jean Mazauric, Le déclin de la
sériciculture française et le moyen d'y remédier, Montpellier: Causse, Graille et
Castelnau, 1943; Georges Bouzanquet, La protection dans l'industrie de la soie.
Origine et effets, Montpellier: Firmin, Montane et Sicardi, 1906.
3
Marie-Antoinette Carrón, La production de la soie brute en France, Lyon, M.
Audin, 1946: 78.
7

concentrait dans les départements du Sud, en particulier le Gard et l'Ardèche qui


totalisaient 80% de la récolte nationale.

D'importantes transformations sont toutefois jugées nécessaires afin d'éliminer l'obstacle


majeur à ce renouveau: le coût trop élevé des cocons produits en France. En effet, le prix
du kilo de cocons payé en 1967, c'est à dire à la veille de la suppression des aides
publiques, était prohibitif comparé au prix mondial alors qu'il était pourtant très en-deça
du prix réel de revient (si l'on inclut l'amortissement des bâtiments d'élevage et la valeur
de la feuille de mûrier) et ne parvenait même pas à compenser lesfraisde main d'oeuvre!
En d'autres termes, force était de reconnaître que la soie française était dans l'incapacité
de soutenir la concurrence internationale et plus particulièrement asiatique.
En se basant sur une rémunération décente de la main d'oeuvre et en ajoutant le coût de
la transformation (filature industrielle), on obtenait ainsi un prix au kilo de soie de 350
frs, soit plus de deux fois et demi le prix de la grège chinoise.

Sauver ce qui peut l'être

L'idée de donner un nouveau souffle à la production séricicole est en réalité


contemporaine des premières difficultés auxquelles cette activité s'est trouvée
confrontée: dès les années 1860, les revues séricicoles proposent des solutions pour
combattre la baisse de la production provoquée par une maladie des vers à soie, la
Pébrine4. Pourtant, on ne parle pas encore de déclin et ce fléchissement est plutôt
considéré comme une crise passagère qui devrait être maîtrisée lorsqu'aura été trouvé le
moyen de vaincre I'épizootie. Au cours des dernières décennies du siècle, le ton change
et les défenseurs de la sériciculture commencent à s'inquiéter d'une crise de production
qui pourrait s'avérer plus structurelle que circonstancielle, la pébrine ayant été vaincue
4
II s'agit d'une maladie épidémique qui apparaît en 1847 et se diffuse rapidement dans
tous les élevages.
8

depuis près de 30 ans grâce aux travaux de Pasteur. C'est cependant après la guerre de
14-18 que les pouvoirs publics et les organismes techniques se soucient véritablement du
devenir de cette production et s'interrogent sur les moyens à mettre en oeuvre pour
infléchir ce qu'on commence à qualifier de déclin. Jusqu'à la deuxième guerre mondiale,
le relèvement de la sériciculture semble encore concevable à condition d'entreprendre un
sérieux effort de modernisation des techniques et des structures de production. Il s'agit
principalement de parvenir à en abaisser les coûts en apportant des améliorations à tous
les niveaux de la chaîne technique.
La seconde guerre mondiale constitue donc un véritable tournant que scellera le Congrès
séricicole international, organisé à Aies en 1948: c'est en effet à ce moment là que le
maintien de l'activité séricicole devient l'enjeu d'une réflexion plus large concernant le
développement des zones défavorisées.
La modernisation des techniques demeure à l'ordre du jour mais elle n'apparaît plus
comme l'unique domaine d'intervention pour sauver la production française: plutôt que
de se positionner par rapport au marché international grâce à l'abaissement des coûts de
production, l'objectif est alors de trouver de nouveaux marchés et de mettre en oeuvre de
nouvelles formes de production.
Cependant, l'économie rurale cévenole se dégrade progressivement, minée par la
stagnation des prix et l'impossiblité de rémunérer correctement une main d'oeuvre
paysanne qui se fait de plus en plus rare et onéreuse puisque les salaires agricoles sont
indexés sur l'augmentation du revenu moyen de la population. Face à l'intensification du
phénomène migratoire qui provoque un afflux de population vers les petites villes du
Piémont cévenol, guère mieux loties pourtant en terme d'emplois puisque l'industrie y
perd également ses positions, les instances agricoles et les pouvoirs publics prennent la
mesure de ce que signifierait la disparition de la sériciculture: la suppression de cette
quasi unique source de revenu monétaire conduirait à une désertification croissante des
vallées rurales sans que les populations contraintes à l'exode soient pour autant assurées
9

de résoudre leurs difficultés matérielles en trouvant des emplois rémunérateurs dans les
agglomérations périphériques.

Les premières mesures

Dès 1947, la station séricicole d'Alès étudie puis tente de lancer le tissage artisanal de la
soie comme moyen d'enrayer le processus de dépopulation rurale. Cette initiative
s'appuie sur une étude publiée par la revue "Economie et humanisme" dans laquelle sont
analysées les causes de l'exode rural dans la partie montagneuse du département des
Alpes-Maritimes et qui se conclue de la façon suivante: le dépeuplement n'est une
évolution naturelle et inévitable que tant qu'on se refuse à mener de front une réflexion
en termes techniques et sociaux. Le mécanisme de la dépopulation, présenté trop souvent
comme une fatalité, peut être stoppé à condition que l'on consente à compléter l'activité
agricole par une activité artisanale autonome. Pour l'auteur, il ne s'agit en aucune manière
de réhabiliter le travail à façon qui place l'artisan sous la coupe du donneur d'ouvrage
mais de promouvoir un artisanat indépendant. Dans le cas de la soierie, cette
indépendance parait d'autant plus réalisable que la cellule domestique est en mesure
d'assurer à la fois la production de la matière première (la sériciculture) et sa
transformation (lafilaturepuis le tissage). La notion de filière intégrée, concept novateur
si l'on se réfère à la longue histoire de la production soyeuse française, se dessine donc en
filigrane derrière celle d'artisanat autonome.

Deux métiers sont ainsi mis au point, à la demande d'une mission séricicole d'évaluation
et d'observation, composée de représentants de la profession et des services officiels de
l'agriculture, du génie rural et de la recherche agronomique, mandatée par le Ministère de
l'agriculture et le Groupement d'achat et de répartition des soies.
10

Le métier à tisser appelé Provence se présente comme une adaptation du métier à tisser
lyonnais. D'un moindre encombrement ( 1 m 50 x 1 x 2) afin de trouver plus aisément à
se loger dans les foyers ruraux, il offre la possibilité de tisser des pièces de 0 m 70 de
large sur 60 m de long, l'ourdissage* pouvant s'effectuer directement sur le métier. Le
second modèle, dénommé Artitex, peut produire des echarpes de petites dimensions:
environ 1 m 30 de longueur. D'un maniement facile et ne nécessitant pas un long
apprentissage, il devrait convenir parfaitement, selon les experts, aux jeunes filles et
femmes. Au terme de plusieurs séances de démonstration effectuées dans des bourgades
cévenoles, comme Mandagout et Lasalle, la mission d'observation concluait à la
faisabilité du projet et proposait sa mise en oeuvre.
Lors du VIIo Congrès séricicole international, le directeur de la station séricicole d'Alès,
André S., et son collaborateur, Fernand S., ont attiré l'attention de leur auditoire sur ce
programme artisanal en avançant une série d'arguments qui préfiguraient alors les
actuelles préconisations du Ministère de l'Agriculture en faveur d'une requalification des
populations rurales des zones défavorisées. La thématique du discours n'est pas sans
rappeler certaines initiatives contemporaines en vue de procurer des sources d'activité
complémentaires aux habitants des espaces ruraux5. Les orateurs font effectivement état
d'une "conception d'avenir de l'économie agricole cévenole qui, avec le ver à soie, la
châtaigne, les cultures vivrières, le tourisme, l'abeille, les plantes médicinales devrait
parvenir à amorcer son redressement". L'avenir leur a en partie donné raison: c'est
effectivement par une diversification et une revalorisation des productions
"traditionnelles" que l'agriculture cévenole parvient aujourd'hui à résister à l'érosion,
même si l'on est bien obligé d'admettre qu'on est encore loin d'un véritable redressement.

5
Voir en particulier la mise en oeuvre en 1992 du label "paysage de reconquête",
imaginé par le cabinet du Ministre de l'Environnement, Ségolène Royal, afin de soutenir
les productions agricoles de qualité, ancrées dans un terroir.
11

La présentation que Fernand S. et André S. font de leur "plan artisanal" préfigure


également ce qui va être le principe-clé de la relance séricicole quelques trente années
plus tard: couvrir "la presque totalité des phases de transformation pour aboutir à un gain
beaucoup plus substantiel que celui résultant de la vente immédiate des cocons" et ce
"grâce à une solidarité constante du producteur et du produit".

En dépit de ce programme qui d'une certaine façon présage la disparition de la


production de la soie sous sa forme industrielle, les quelquesfilateursencore en activité
s'organisent. En 1957, ils se regroupent pour former une société "Lafilaturefrançaise de
soie des Cévennes" au sein de laquelle ils se proposent de rénover cette industrie
moribonde. Les locaux de la Compagnie des Soies de France et d'Importation, la filature
Maison Rouge de Saint Jean du Gard, accueillent du matériel de filature de fabrication
japonaise, capable de traiter 300 000 kilos de cocons frais par an. La filature,
automatisée, est composée de quatres machines totalisant 300 bouts*. La production
française est cependant insuffisante pour alimenter cet atelier. Le directeur de la station
séricicole, André S., élabore un programme de développement de la sériciculture afin que
l'atelier soit en mesure de tourner sans interruption; des plantations de mûriers sont
réalisées car de nombreux arbres, inutilisés, ont été arrachés et la production de feuille
est insuffisante. Des méthodes d'élevage "rationnelles" sont également mises au point afin
d'améliorer le rendement de la graine. En 1958, la progression de la sériciculture semble
assurée et chacun se prend à espérer que le paysan cévenol trouve à nouveau son compte
dans cette activité et que la filature se redresse du fait d'un regain d'intérêt pour cette
fibre inimitable.
12

Vers une "rénovation des Cévennes"

Au cours des années 50, les professionnels de la sériciculture, les techniciens et les
chercheurs ont trouvé un relais à leur préoccupation dans un réseau qui s'est mis en place
à l'échelon national et rassemble tous ceux qui réfléchissent à la mise en oeuvre d'un
programme de rénovation de la vie rurale cévenole. Des personnalités influentes et
représentatives de ce qu'on peut désigner comme le notabiliarat cévenol en font partie:
on y trouve aussi bien le Président de la Commission nationale de modernisation du
Bas-Rhône-Languedoc que celui du Club Cévenol ou encore le Directeur du Muséum
national d'histoire naturelle.

En 1953, deux journées d'études6 organisées par la société d'agriculture d'Alès et des
Cévennes se déroulent dans cette ville sous l'égide des personnalités précédemment
citées. A cette occasion sont esquissées les grandes lignes d'un programme de rénovation
des Cévennes qui retient comme pivots la culture du châtaignier et l'élevage du ver à
soie7. Le "Comité de rénovation des Cévennes", fondé sur cette lancée, reprend les
préconisations du groupe de travail et décide alors d'axer son action sur le renouveau
séricicole. Il publie un bulletin consacré à la "rationalisation industrielle et artisanale de la
production du cocon de soie" dont la rédaction est assurée par André S., directeur de la
Station séricicole d'Alès et également secrétaire général de la société d'agriculture,
fondateur et secrétaire du "Comité de rénovation des Cévennes".

6
"Journées d'études cévenoles", Bulletin de la société d'agriculture d'Alès, 4° trimestre
1953.
7
Dans le concert de voix en faveur d'un renouveau de la soie, des avis dissonnants se
font cependant entendre qui attirent l'attention sur le danger d'asseoir un renouveau
économique sur une production qui est en régression caractérisée.
13

Bien qu'affaiblie par le succès des textiles artificiels, la consommation française de soie
est loin d'être inexistante puisqu'elle oscille entre 1000 et 2000 tonnes par an. La
concurrence internationale8 appelle donc d'importantes améliorations techniques afin de
réduire les coûts de production. Dans une page introductive, l'auteur tient le discours de
la rationalité technique qu'il oppose à la tradition. D'un côté en effet le passé, lourd de
ses nostalgies mais aussi de ses routines génératrices d'échec, marqué par la stagnation
économique et sociale, de l'autre l'avenir, une "aube nouvelle" qui point grâce à l'alliance
de la rationalité technique et de la recherche scientifique: "l'aboutissement de longues
recherches en laboratoire" est en effet ce qui doit permettre de "faire maintenant du neuf
et du raisonnable en sériciculture"9.
André S. effectue le constat suivant: la sériciculture périclite lorqu'elle est une activité
secondaire et de faible importance alors qu'elle est par ailleurs très absorbante et
exigeante en force de travail. Il se propose donc d'ouvrir la perspective d'une
rationalisation de cette activité sous une forme industrielle. La première innovation
concerne l'adoption des élevages imbriqués et successifs qu'il préconise depuis plus de 20
ans10 ; il s'agit d'élevages qui se succèdent et sont couplés de façon à ce que la fin d'un
élevage coincide avec la mise en incubation d'un autre tandis qu'un troisième en est à mi-
parcours. Ce système permet en théorie d'effectuer de 7 à 14 élevages annuels selon les
sols et les climats et garantit une utilisation optimale des locaux et du matériel pendant 5
à 8 mois. Deux facteurs concourront à la réalisation de ce plan dont on peut se demander
pourquoi il n'a pas été envisagé plus tôt: la mise au point de vers à soie polybrides issus
de croisements entre des races chinoises et japonaises particulièrement performantes et
8
A titre indicatif, le prix du kilo de cocons frais s'élève à 7 frs en italie, 4, 80 au Japon et
9,20 en France.
9
"Etude technique et économique sur la rationalisation industrielle et artisanale de la
production du cocon de soie (France et Algérie)", Bulletin commun de la société
d'agriculture d'Alès et des Cévennes et du Comité de rénovation des Cévennes, 1961.
10
Congrès national séricicole de Villeneuve de Berg, Valence: Charpin et Reyne,
1940.
14

celle de variétés moneóles* permettant une production de feuilles à l'automne, à la


différence des variétés traditionnelles dont la feuille pousse moins aisément et perd ses
qualités sérigènes lors de la repousse.

Le Club cévenol, dont les origines remontent à la fin du XIXo siècle11, s'est forgé la
réputation d'être un pôle de réflexion sur l'avenir économique de la région. Ses objectifs
étant à la fois "d'encourager toutes les initatives orientées vers le maintien et la création
d'activités permettant aux Cévenols et Caussenards de continuer à vivre dans leur
pays12" et d'en "sauvegarder le patrimoine naturel et culturel"13, le maintien puis la
relance séricicole se sont tout naturellement trouvés au centre de ses préoccupations.
Activité emblématique des Cévennes, la production de la soie peut en effet être
considérée tout à la fois comme un élément de la culture des Cévennes et l'une de ces
principales ressources matérielles.
Comme le fait remarquer le sociologue G. D. Premel, le Club cévenol, bien que
"déconnecté par rapport aux dures réalités de terrain" (la composition socio-
professionnelle de ses instances de direction ne reflète pas la réalité sociologique de la
population cévenole), est cependant un "passage obligé"14 pour toute initiative qui vise à
promouvoir l'économie cévenole. Si on étudie la liste de ses membres d'honneur et la
composition de son "Comité central"15, on trouve mentionnés un ministre, des avocats
dont un au Conseil d'Etat et un autre au barreau de Londres, plusieurs hommes de lettres
dont un académicien et un lauréat du prix Goncourt, le PDG d'une grande banque

11
Le Club cévenol a été fondé en 1894.
12
Extrait de l'article 1 des statuts du Club cévenol.
13
Idem.
14
Gérard D. Prémel, Innovations techniques et sociales en Cévennes, Thèse de
doctorat de 3° cycle, Paris: EHESS (Centre de sociologie rurale), 1984, p. 187.
15
Autrement dit, son Conseil d'administration.
15

nationale, des personnalités religieuses et plus récemment un universitaire, de nombreux


professeurs et ingénieurs, des médecins, un préfet honoraire, un président de chambre de
commerce... Bref, une représentation dotée d'une réelle influence au niveau des centres
décisionnels et dont il faut préciser que plusieurs membres occupent des positions clés
dans des associations actives à l'échelon régional et oeuvrant en faveur du redéploiement
économique de la région. Le Club cévenol est incontestablement plus qu'un "réseau
relationnel complexe", "un véritable noeud de réseaux"16.
Un directeur de banque que l'on retrouve à la tête d'une expérience de relance de la
sériciculture17 en est membre d'honneur et le Directeur honoraire de la station séricicole
d'Alès, personnalité au renom international, siège également dans son conseil
d'administration: on comprend sans peine que le destin de cette production soit un des
fers de lance du Club qui consacrera d'ailleurs deux numéros spéciaux de sa revue à la
relance séricicole18.

C'est en s'appuyant sur le Club et le vaste réseau à l'articulation duquel il se situe, qu'en
1961 la "Fondation Olivier de Serres" voit le jour19. Prenant la suite du "Comité de

Gérard D. Premel, op. cit.


17
II s'agit de l'expérience menée dans un Centre d'Aide par le Travail à Molières-
Cavaillac, un village proche du Vigan. Créé au tout début des années 70, le CAT Les
Magnans est destiné à accueillir des enfants et adultes handicapés moteurs cérébraux et a
pour mission de réaliser leur insertion sociale par l'intermédiaire d'une activité
professionnelle rémunérée. Edouard de C. est personnellement très engagé dans la lutte
en faveur d'une renaissance économique des Cévennes, il propose donc d'orienter le
centre vers cette activité qui présente à ses yeux une dimension thérapeutique et
éducative et semble donc parfaitement convenir à des handicapés. La sériciculture
constitue en outre un facteur d'intégration dans la mesure où elle a profondément marqué
la vie sociale et économique de cette région.
18
"La renaissance artisanale de la soie", Causses et Cévennes, n°2, 1979 et "Renouveau
de la soie en Cévennes", Causses et Cévennes, n°3, 1989.
19
Son conseil d'administration est également unfidèlereflet de la notabilité cévenole. On
y trouve le Président Directeur Général de la Société marseillaise de Crédit, un notaire,
un pharmacien et un enseignant. La plupart d'entre eux sont également responsables
d'associations et autres organismes influents comme une société savante, le Lion's club
16

rénovation des Cévennes", elle affiche dans son intitulé son objectif prioritaire:
"Fondation Olivier de Serres pour la production valorisée de la soie..."20. Son président,
André S. estime que l'heure est venue, après une période de réflexion et d'éducation
conduite au sein du "Comité de rénovation des Cévennes", de passer au stade de la
réalisation. L'équilibre ancien "établi sur l'alternance des activités agricoles et industrielles
touchant à la production de la soie" est en effet plus que jamais menacé et sa
reconstitution désignée comme la tâche à accomplir d'urgence. Dans une circulaire
publiée par la revue Causses et Cévennes, André S. propose la mise en application d'une
"nouvelle formule": produire intensivement du cocon en séparant la culture du mûrier de
l'élevage du ver à soie et réaliser plusieurs éducations* printanières (et éventuellement
automnales) imbriquées, "sous forme coopérative, artisanale et industrielle"21. Les
principales conséquences de ces innovations devraient porter sur les coûts de production
et donc sur la rentabilité du cocon: selon l'hypothèse d'André S. il serait en effet possible
d'atteindre une réduction de 50% du coût de la main d'oeuvre. Cette formule opère une
rupture par rapport aux propositions antérieures puisqu'elle suppose une réorganisation
de la production qui se fonde sur la division du travail et la spécialisation des
producteurs: d'un côté des agriculteurs qui se consacreront exclusivement à la culture
des mûriers et qui livreront seulement la feuille, sans avoir à assurer la conduite de
l'éducation; de l'autre, des sériciculteurs qui n'auront d'autres attributions que de nourrir
les vers à soie et leur consacrer tous les soins nécessaires à une bonne croissance.
L'auteur du projet reprend également l'idée déjà émise par le Comité de rénovation des
Cévennes: la réalisation de plusieurs élevages imbriqués se succédant de mai à octobre. A
côté des solutions techniques envisagées, ce document est particulièrement intéressant

ou des sociétés d'aménagement rural mais aussi élus puisque sur 11 membres on ne
compte pas moins de 4 maires et 4 conseillers généraux.
20
Souligné par nous.
21
André Schenk, "Fondation Olivier de Serres", Causses et Cévennes, n°l, 1962, p.
426.
17

puisqu'il affirme à plusieurs reprises et de façon très nette la portée symbolique du


renouveau de la soie: il s'agit également de lutter contre un climat psycho-social que A.
Schenk résume de la façon suivante: "Très souvent, il suffit d'une action psychologique
pour modifier une situation désespérée... le long drame cévenol prendra fin car les
Cévennes souffrent d'un manque de foi par suite de la disparition d'un objectif commun et
fondamental. Le paradoxe est de retrouver celui-ci par la rénovation de ce qui a fait la
grandeur et la richesse régionale"22. En d'autres termes, il émet l'hypothèse que seule une
tradition technique aussi profondément enracinée que la sériciculture, serait capable de
réveiller la conscience identitaire et de redonner à cette population malmenée par
l'histoire récente la confiance qui lui fait défaut.

Le "plan cévenol" établi par la Fondation reçoit un accueil favorable du Ministère de


l'Agriculture et de la Direction du Plan. Un programme d'action est soumis aux pouvoirs
publics: il prévoit pour 1963 la réalisation de quarante unités d'élevage avec un objectif
de production de 12 tonnes par an ainsi que la création d'une Société d'intérêt collectif
agricole dénommée "Cévennes-soie". Un programme de plantation de mûriers est
également établi: 5 hectare de mûriers en vergers pour la première année, soit 10 000
arbres avec une superficie de 230 hectares comme objectiffinalà l'horizon de 1968.
Dès 1962, la Fondation peut se prévaloir de plusieurs réalisations qui concourrent à
l'abaissement des coûts de production:
- la généralisation de l'encabanage* avec des hérissons* en paille de seigle; il permet une
réduction des 2/3 du prix de revient et offre l'avantage d'une installation plus rapide,
- le lancement du "gardiennage"23 des vers à soie jusqu'à la troisième mue,
- la réalisation de 4 élevages selon la formule de la spécialisation des tâches,
- l'essai de grands élevages de printemps imbriqués et successifs,

22
Causses et Cévennes, n°l, 1962, p. 427.
23
II s'agit de ce qu'on appelera plus tard la nourricerie*.
18

- un semis de graines de mûriers en vue de l'obtention de plants,


- l'installation d'une magnanerie pilote prévue pour cent grammes de graine* de vers à
soie.

Le Club cévenol fait de sa revue la tribune de ces propositions qui par son intermédiaire
ont la possibilité d'atteindre un large public: son lectorat couvre en effet toute l'éventail
social, depuis le paysan le plus humble jusqu'aux personnalités régionales qui occupent
des positions stratégiques dans différents organismes et associations locales ou au sein
des collectivités territoriales. Il s'agit donc de sensibiliser la population à travers un
organe d'information disposant d'une légitimité historique et sociale et dans le même
temps d'impliquer les décideurs et de les inciter à apporter un soutien actif au projet. La
forme choisie pour atteindre l'opinion est celle de la lettre ouverte qui interpelle le
lecteur: "Cévenols..."; le vocabulaire celui de l'urgence: "notre association est décidée à
promouvoir le sauvetage économique des Cévennes..."; "Vous pensez que vous avez le
temps, mais le destin n'attend pas" ou encore "Pensez que c'est en ce moment qu'il faut
agir et non plus tard"... Ces exhortations ne seront pas vraiment entendues ou plus
exactement n'auront pas le retentissement espéré auprès des agriculteurs: les élevages
réalisés dans le cadre de la SICA Cévennes-soie à l'initiative de la Fondation Olivier de
Serres seront sans lendemain.
Les raisons de cet échec tiennent à des facteurs à la fois psycho-sociologiques et
techniques. En dépit des invitations répétées de André S. à briser le cercle vicieux du
découragement, les Cévenols ne parviennent pas à retrouver "foi en l'avenir". Pour
beaucoup, la soie appartient au passé et mûriers et magnaneries sont perçues comme les
stigmates de ce passé. Malgré le succès de l'expérience des magnaneries coopératives de
1962-63, cette innovation ne parvient pas à se diffuser24 auprès des paysans qui ne

Nous avons souligné par ailleurs les difficultés rencontrées à mettre en place en
Cévennes des formes coopératives d'organisation du travail.
19

croient plus en un renouveau de la soie. Une seconde difficulté réside dans l'absence de
plantations de mûriers à pousse continue et par conséquent dans l'impossiblité à réaliser
l'un des volets du programme: les élevages successifs et imbriqués. En dépit des résultats
positifs de l'année 1963, 1964 est marquée par un recul de la production et la Fondation
Olivier de Serres est obligée de renoncer à ses projets de plantation.
Les conséquences de cet échec seront désastreuses pour lafilaturede St Jean du Gard:
par manque de matière première, elle sera contrainte de cesser son activité.

La fin d'une histoire

L'année 1968 marque la disparition officielle de la production séricicole française. C'est


en effet à cette date que l'Etat, en cessant d'apporter un soutienfinancierà la sériciculture
sous forme de primes à la production, signe son arrêt de mort.

Une note datée de juin 68 établit un bilan de la production séricicole: en 1967, seulement
133 exploitations ont été concernées par cette activité. La sériciculture n'est plus alors
pratiquée que par des familles d'exploitants âgés, disposant d'un revenu agricole faible et
d'une main d'oeuvre sans occupation régulière. Le prix d'achat des cocons au producteur
(11,20 frs) ne compense pas même les frais de main d'oeuvre (15,75 frs par kilo). Seules
les aides du FORMA23 ont donc jusque là permis d'harmoniser le prix de vente des
cocons et le prix payé aux sériciculteurs. La conclusion du dossier est sans appel: "un
renouveau de l'élevage séricicole ne peut donc être conçu que si les agriculteurs peuvent
avoir la garantie d'un prix de vente supérieur au prix de revient, ce qui paraît douteux
dans les conditions actuelles"26.

25
Le FORMA est le Fonds d'Orientation et de Réorganisation des Marchés Agricoles.
Les aides qu'il distribue aux sériciculteurs se décomposent en aides directes (primes aux
cocons) et aides indirectes (achat de graine et incubation, subventions de
fonctionnement).
26
Note sur l'avenir de la production séricicole, juin 1968, p.6.
20

Au fond, la suppression des aides ne fait qu'entériner une évolution depuis longtemps
déjà amorcée et qu'aucune des mesures prises antérieurement pour soutenir ce secteur
d'activité n'était parvenue à enrayer. On peut en effet considérer que la fermeture en 1965
de la dernière filature en activité puis l'exportation des derniers cocons produits
localement vers des établissements italiens ont anéanti l'ultime espoir de voir la
sériciculture française se redresser. Son maintien sous perfusion au cours des trois années
suivantes n'a eu d'autre but que de permettre au groupe clairsemé des sériciculteurs
d'opérer, lorsque c'était possible, une reconversion en douceur, et, dans la plupart des
cas, d'aider les plus âgés à attendre le moment de faire valoir leur droit à la retraite. Les
actifs agricoles se sont alors tournés vers les rares alternatives qui s'offraient à eux:
l'élevage caprin et/ou l'apiculture.

On peut s'étonner du désengagement tardif de l'Etat, les économistes considérant depuis


près de vingt ans à la quasi unanimité qu'une reprise, dans les circonstances présentes,
était totalement inconcevable. Les conclusions de M. A. Carrón, dans son étude publiée
en 1946, étaient déjà peu encourageantes: selon elle, les efforts consentis par la
collectivité ne pouvaient avoir d'autre objectif qu'un maintien artificiel de cette activité
permettant au mieux d'éviter une décadence plus brutale encore des zones montagneuses
pauvres27.

Tout donnait à penser que cette activité, longtemps considérée comme l'une des
principales composantes de la civilisation cévenole au côté de l'arbre à pain28 et de la
Bible29, disparaissait de façon définitive. Certains paysans ont alors arraché leurs mûriers

27
Marie Antoinette Carrón, op. cit., pp. 77-78.
28
Le châtaignier.
29
" La Bible donne à la majorité des Cévenols leur culture, l'arbre à pain, le châtaignier,
facilite les fortes densités, l'arbre d'or, le mûrier, insère le pays dans la grande économie
et lui apporte la prospérité. C'est aussi cette trilogie qui fait l'unité cévenole" écrit
Philippe Joutard. Philippe Joutard, "Les Cévennes entrent dans l'histoire (fin XVo siècle
- 1685)", Les Cévennes de la montagne à l'homme, Toulouse: Privat, 1979, p. 97.
21

dont la silhouette vigoureuse, le feuillage luisant et d'un vert ardent leur rappelait
cruellement les temps révolus où la sériciculture était leur principale source (unique
parfois) de revenu monétaire; d'autres au contraire les ont entretenus précieusement,
s'appliquant chaque automne à en éliminer le bois mort, les taillant à la fin de l'hiver
comme si chaque printemps allait ramener dans la magnanerie une chambrée de vers à
soie. Les premiers voulaient en finir, tourner une page qu'ils pensaient définitive tandis
que les seconds se refusaient à perdre tout espoir, tant ils identifiaient le destin des
Cévennes à celui de la sériciculture: accepter sa disparition, c'est admettre celle d'un pays
dont elle était un peu l'âme. Les témoignages rendent compte de l'ambivalence des
sentiments qu'est susceptible d"éprouver un même individu: on clame son exécration de
la sériciculture ("un tue-monde", "je m'y suis ruinée la santé") et on prone l'arrachage
systématique du mûrier ("que voulez-vous, il faut vivre avec son temps et c'est plus celui
de la sériciculture!") et dans le même temps on avoue avoir gardé au fond de soi une
faible lueur d'espoir ("on pouvait pas s'empêcher d'espérer que ça allait repartir, on était
tous prêts à écouter ceux qui nous disaient que ça marcherait, pif!M").

Le travail de deuil sera douloureux, lent.


Jusqu'au milieu des années 70, la société cévenole se laissera aller à une forte pulsion de
pétrification: dans les villages, une fois apaisée la fièvre estivale, on ne croise plus que
des personnes âgées qui se hâtent en longeant des façades aux volets désespérément clos.
La vie s'est ralentie, souvent éteinte dans les hameaux dont la présence n'est plus signalée
par des volutes de fumée s'échappant au dessus de la masse sombre des châtaigniers.
Un véritable désenchantement s'exprime à travers les propos des Cévenols qui affirment
tout à la fois l'extinction de leur communauté ("des Cévenols, il y en aura bientôt plus"),
la déliquescence d'un environnement, produit d'un labeur séculaire ("ces montagnes, ça
22

vaut plus rien et d'ailleurs il en reste plus rien..."), et la perte de sens dont étaient
affectées leur économie et les valeurs qui les avaient forgés.
Le refus de "revenir en arrière" va de pair avec celui de croire en un avenir possible et de
s'attacher à le construire. Force est d'admettre que les Cévennes vivent alors un
processus d'"involution"30 à la fois technique -les pouvoirs publics n'ont fourni aucun
effort véritable pour soutenir une évolution du système de production agricole
traditionnel-, écologique -l'espace façonné par l'homme au fil des siècles ne cesse de
régresser au profit d'une végétation improductive-, sociale -la dévitalisation est telle qu'il
n'existe quasiment plus de reproduction sociale- et enfin culturelle - l'emprise idéologique
et culturelle du modèle dominant annihile tout sentiment identitaire susceptible de
s'affirmer positivement. "La scène est parsemée de figurants découragés": l'accablant
verdict d'un agent de développement qui exerce dans le Boischaut31 aurait parfaitement
pu s'appliquer aux Cévennes!

Le découragement de la population cévenole, à l'instar de l'ensemble de la société rurale


française, est par ailleurs relayé par un discours urbain qui se présente comme
"progressiste" et réduit les zones rurales à n'être, au mieux, que l'espace de rayonnement
des grandes villes. Le régionalisme des années 60-70 est, comme le souligne G. D.
Prémel, avant tout urbain et urbanisateur32.

Si la disparition de la sériciculture n'est pas le seul facteur qui permet d'interpréter le


désenchantement des Cévenols et s'il faut également tenir compte d'autres facteurs socio-
30
Clifford Geertz, "Two types of ecosystems", Environment and cultural behavior,
New York, 1969, pp. 3-25, cité par Solange Fassaris, "Un avenir pour les zones rurales
marginalisées en France? L'approche de l'écodéveloppement", Cahier de
l'écodéveloppement, n°14, 1980, p. 18.
31
Dominique Froidefond, "Le dérèglement ruai ou le désordre des champs" in: Paul
Bachelard, Les acteurs du développement local, Paris: L'Harmattan, 1993, p. 34.
32
Gérard D. Prémel, op. cit., p. 2.
23

économiques, c'est cependant à partir d'elle qu'il nous paraît possible d'appréhender
l'irréversibilité du déclin rural.
Pour nombre d'entre eux, la disparition de cette activité est la principale responsable des
changements observés: "En quelques années, les magnaneries ont été désaffectées, la
plupart desfilaturesqui animaient nos villages ont cessé leur activité et notre économie a
été ruinée: c'est là une des principales causes du départ de nos populations"33 déplore le
maire d'une bourgade cévenole en 1957. Au sein du groupe des agriculteurs, les plus
âgés associent également la "fin des Cévennes" et celle de la soie: "Au moment où les
filatures se sont arrêtées, ça a été un arrêt pour le pays" estime cette anciennefileuse."Si
vous aviez connu le pays d'avant et vous voyez celui de maintenant... Ca a changé du
tout au tout. Lafinde la soie, ça a été l'arrêt de mort" ajoute cette séricicultrice.

Les Cévennes se sont laissées glisser passivement vers un destin dont l'horizon est fermé
par la désertification croissante des villages et des hameaux, l'ensauvagement des terres
et le non renouvellement de la population. En contester le caractère inéluctable est perçu
comme un combat d'arrière-garde; l'issue est déjà programmée. Chaque année amène le
départ à la retraite d'un paysan et ceux qui ont résisté se trouvent confrontés au seul
secteur d'investissement qui connaisse un certain succès et les condamne pourtant à
disparaître: les plantations forestières de résineux qui empiettent sur les prairies et
obstruent les parcours des troupeaux.
Au cours des années 70, "la mort du village était leur seul projet d'avenir" n'hésitent pas à
affirmer N. Eizner et H. Lamarche à propos des habitants de Barre-des-Cévennes34.

33
Marceau Lapierre, "Filature française de soie des Cévennes", Causses et Cévennes,
n°4, 1957, p. 75.
34
Nicole Eizner et Hugues Lamarche, "Barre-des-Cévennes ou le sursaut d'une
société locale", Sociologie du travail, n°2, 1983, p. 184.

34
Gérard D. Prémel, op. cit., p. 2.
24

Constat qui vaut alors pour l'ensemble des communes cévenoles: quoi qu'on puisse
entreprendre, il n'y a plus d'avenir en Cévennes et chacun de pousser ses enfants vers les
villes où ils auront "plus de chance de s'en sortir".

Production matérielle, mais également élément de civilisation, la sériciculture, en


disparaissant de la scène agricole, semblait clore un chapitre de l'histoire économique et
culturelle des Cévennes.

34
Marceau Lapierre, "Filature française de soie des Cévennes", Causses et Cévennes,
n°4, 1957, p. 75.
34
Nicole Eizner et Hugues Lamarche, "Barre-des-Cévennes ou le sursaut d'une
société locale", Sociologie du travail, n°2, 1983, p. 184.
25

La relance

Genèse

"Les idées ne viennent pas toutes seules au monde: elles sont le produit d'une
circonstance, d'une rencontre, d'un événement qui permet à celui qui la formule la mise
en relation entre des faits jusqu'alors disparates"1. C'est ce faisceau de circonstance(s), de
rencontre(s) et d'événement(s) queje me propose d'explorer.

A Monoblet, petit village du Piémont cévenol situé au centre d'un triangle formé par les
bourgs d'Anduze, Lasalle et Saint Hippolyte du Fort, l'activité économique a ralenti en
même temps que déclinait la production de la soie. Des cinqfilaturesqui fonctionnaient
au début du siècle il n'en restait qu'une seule encore en activité à l'aube de la seconde
guerre mondiale. Après sa fermeture, en 1940, la baisse des effectifs démographiques
s'est poursuivie, en cela conforme à ce qui se passait à la même époque dans beaucoup
d'autres zones rurales marginalisées. Seule, une magnanerie coopérative fonctionnera
dans le village jusqu'en 1968.

Les 1500 habitants de 1875 ne sont plus que 450 un siècle plus tard. L'école, baromètre
de la vitalité rurale, reflète cette situation: au début des années 70 l'inspection
académique décide en effet de supprimer l'une des deux classes que compte
l'établissement parce qu'elle estime que les écoliers ne sont plus suffisamment nombreux.
La population monoblétoise et avec elle son maître d'école s'opposent vivement à une
administration qui est déjà en désaccord avec ses méthodes et le contenu de son
enseignement. En effet, le savoir inculqué sur les bancs de la classe va de pair avec une

1
Madeleine Akrich, "Comment les innovations réussissent", Recherche et Technologie,
n°4, 1987.
26

approche pédagogique qui privilégie la connaissance de la région. Pour le jeune


instituteur, adepte convaincu de la méthode Freinet, le rôle d'éducateur ne consiste pas à
désapprendre aux élèves leur culture d'origine sous prétexte qu'ils sont promis à quitter la
région, mais au contraire à les initier à sesrichessespour leur donner le désir de rester.
Une démarche qui va à contre-courant des directives académiques et que l'institution
condamne vivement: "J'avais un inspecteur avec qui je ne m'entendais pas du tout et qui à
chaque conférence pédagogique râlait contre la pédagogie Freinet2, râlait contre l'étude
du milieu local" se souvient l'instituteur, M. Costa. Dans son esprit, sa mission éducative
se situe exactement aux antipodes de cette philosophie de l'acculturation et ses
convictions en tant qu'enseignant prolongent des engagements plus personnels,
politiques. Il est en effet membre-fondateur de "Cévennes occitanes" et à ce titre
convaincu que l'école peut contribuer au maintien d'une vie locale en modifiant le regard
que la population pose sur son histoire et sa culture, en réhabilitant des modes de vie, des
savoirs et des savoir-faire qui, considérés par certains comme des handicaps, pourraient
en réalité se transformer en ressources.

En 1972, année où l'administration décrète le gel de l'une des classes, le jeune instituteur
propose à ses élèves de réaliser un élevage de ver à soie dans le cadre scolaire. Il s'agit
d'une tradition régionale, autrefois destinée à vulgariser les procédés séricicoles
considérés comme rationnels. Avec le déclin séricicole, l'habitude de ces travaux
pratiques est néanmoins demeurée vivace dans les établissements scolaires de la région
bien que sa signification ait évolué; en effet, il n'est plus question de former comme
autrefois de futurs sériciculteurs mais de faire comprendre aux écoliers le phénomème
complexe des métamorphoses de l'insecte. Le ver à soie offre la possibilité d'observer le
cycle complet de ses mutations, de la graine* au papillon, le tout en l'espace d'une
quarantaine de jours. Son élevage est par conséquent un excellent support pédagogique

2
Selon M. Costa, "C'était un prétexte à redécouvrir, puisqu'à l'école on faisait la
pédagogie Freinet qui s'appuyait beaucoup sur la découverte du milieu rural...
redécouvrir le milieu local, c'était le découvrir à travers son histoire, ses traditions".
27

aux "leçons de choses". A Monoblet, cet objectif pédagogique entre certes dans les
intentions de l'instituteur mais il n'est pas le seul. L'élevage scolaire est l'occasion
d'évoquer la place occupée par la production de la soie dans l'histoire sociale, culturelle
et économique des Cévennes en général et du village en particulier: "par son côté
scientifique et biologique, la chose avait aussi son importance mais elle était presque
secondaire pour moi, sur le plan de mon rôle pédagogique" plaide Michel C. en ajoutant:
"j'avais en effet un objectif qui a toujours été un des principes fondamentaux de mon
enseignement. Il s'agissait de donner une vision nouvelle du rapport ville-campagne.
Alors que mon inspecteur nous demandait d'orienter notre enseignement vers une
préparation de nos enfants à la vie urbaine car c'était leur avenir, moi j'ai essayé de les
enraciner au maximum dans leur pays car c'est là qu'ils avaient le plus de chances de
trouver leur bonheur".
Une motivation plus personnelle l'incite en outre à s'investir dans cette activité scolaire.
Pour cet enfant du pays, l'éducation* des vers à soie réveille des souvenirs d'enfance
auxquels il est profondément attaché car son père fut l'un des derniers éducateurs* de
Saint Hippolyte du Fort. Jusqu'à l'âge de treize ans Michel C. a participé aux élevages
familiaux: "J'en gardais un souvenir familial nostalgique. Quand tu es gamin, qu'il y a un
gros problème sur les vers à soie, qu'ils crèvent tous, tu le vis pas trop, ça... Tu ne le vis
pas comme un drame alors que c'est un drame pour les parents. J'ai l'image des cocons de
toutes les couleurs parce qu'à l'époque tu avais des cocons verts, des jaunes, des oranges,
des cocons en forme de coeur... On s'amusait à faire des collections! Pour un gamin, c'est
toujours fabuleux."

Le tout premier élevage scolaire sera de dimensions plus que modestes. La question
cruciale du débouché, pour une production qui ne trouve plus preneur au niveau
national, est résolue sans trop de difficultés: les cocons seront écoulés, partie aux
pêcheurs qui utilisent la chrysalide comme appât pour la pêche à la truite, partie aux
canuts de la Croix Rousse, à Lyon, qui en décorent des boites d'emballage.
28

Le succès de l'éducation et l'intérêt qu'elle suscite chez les élèves de la grande section
incitent à renouveler l'expérience l'année suivante mais à plus grande échelle; si tout
marche comme prévu, l'argent de la vente servira à payer le voyage des écoliers chez
leurs correspondants. La salle de classe n'offre cependant pas l'espace suffisant pour une
éducation grandeur nature et il faut trouver à proximité un local mieux adapté. C'est
finalement la magnanerie* d'une ancienne séricicultrice, située à deux kilomètres du
village, qui accueillera les vers à soie et leurs jeunes éducateurs*. Il s'agit d'une
magnanerie "moderne", entièrement équipée selon les normes des années 50. Les tables
sont toujours en place de même que les canis*; les trappes d'aération, les fourmis" en
brique pour le chauffage n'ont pas été détruits comme c'est généralement le cas:
l'ancienne éducatrice avait la nostalgie du temps où la sériciculture comptait comme l'une
des principales ressources du pays et elle attendait sans trop y croire le retour des
magnans*! Outre l'espace qu'elle met à leur disposition, elle apporte son savoir-faire,
indispensable aux sériciculteurs en herbe qui ne connaissent encore que les rudiments du
métier; la conduite d'une véritable éducation présente des difficultés qu'ils n'avaient pas
encore eu l'occasion de rencontrer dans le cadre de leur petit élevage scolaire: cueillette
et transport d'une grande quantité de feuille, délitage, contrôle de l'aération et de
l'humidité...

Au village, les réactions de la population sont mitigées. Pour les uns, il n'est pas
souhaitable de raviver le souvenir d'un passé douloureux car jalonné de crises et marqué
par un déclin jugé irréversible. Ils le ressentent comme coupé des réalités contemporaines
et l'expérience revêt à leurs yeux un caractère essentiellement folklorique, comme si l'on
feuilletait un livre d'images aux pages jaunies par le temps. Pour d'autres, au contraire,
elle permet de nouer un échange positif entre la jeune génération et celle de ses grands-
parents: "c'est de cette manière que le fil se renoue entre les générations et les enfants
29

retrouvent tout naturellement le regard de leurs grands-parents sur les prémices de la


récolte" estime Michel C.
Les parents d'élèves sont également partagés: certains désapprouvent l'initiative de
l'instituteur, estimant qu'il prend trop de libertés avec le programme et s'écarte de sa
mission en intervenant jusque dans leur vie extra-scolaire. Il est vrai que l'éducation d'une
once de graine* exige une disponibilité qui cadre difficilement avec les contraintes de
l'emploi du temps scolaire: "on allait ramasser la feuille et on y passait un sacré bout de
temps! On faisait ça aussi au lieu de faire nos devoirs, le week-end et puis le soir aussi..."
me rapporte l'une des ces écolières. D'autres, au contraire, jugent avec bienveillance
l'enseignement singulier délivré par Michel C. et approuvent sa façon de faire dialoguer
deux univers que le système scolaire généralement oppose: d'un côté l'école, ses règles et
ses rythmes, le contenu de son message à portée universalisante; de l'autre,
l'apprentissage de la vie et de ses contraintes, de savoirs (et de savoir-faire) fondés autant
sur l'expérience que sur la connaissance théorique. Ce point de vue est assez largement
représenté à Monoblet, l'un de ces villages qui, après les événements de mai 1968, ont vu
déferler une vague de jeunes immigrants qui rêvaient d'une école qui soit un lieu
d'ouverture sur la société et non un univers clos, protégé. Tout ce qui débordait du cadre
étroit des programmes scolaires était alors perçu comme une occasion d'enrichissement:
atelier de poterie, cours d'occitan... et pourquoi pas sériciculture?
L'élevage scolaire va donc favoriser le rapprochement de groupes sociaux qui se côtoient
sur le territoire communal sans qu'il y ait pour autant échanges véritables. Les néos-
ruraux, à travers leur participation active à la vie scolaire, jouent la carte de
l'intégration3 : dans leur esprit, celle-ci a des chances de se réaliser d'autant plus aisément

3
Selon Michel Chevallier, la population de souche ne s'est pas montrée accueillante
envers les néos-ruraux, en dépit de leurs efforts pour s'intégrer. Tout au plus ont-ils été
"acceptés" quand ils ont pu donner des preuves tangibles de leur ténacité. Le temps
constitue le principal facteur d'intégration. Michel Chevallier, "Les phénomènes néos-
ruraux", L'espace géographique, n°l, 1981, pp. 33-47. Une analyse pertinente à laquelle
les propos de l'instituteur de Monoblet, pourtant favorable aux nouveaux installés,
fournissent un écho:"Le critère d'intégration ne se situe pas dans le discours, ni dans ce
que tu veux faire, mais dans le temps. Celui qui reste et s'accroche vraiment à ce qu'il
30

que la voie aura été tracée par la jeune génération. Mais les néos-Cévenols ne sont pas
les seuls à s'intéresser à l'expérience menée par l'instituteur. Quelques jeunes originaires
du pays, sensibles aux revendications occitanistes, donnent à l'élevage scolaire une portée
symbolique: il marque le refus de l'emprise idéologique du modèle socio-culturel
dominant. Pour eux, élever des vers à soie est comme marcher sur les traces d'une
histoire collective et contribuer ainsi à sa réhabilitation. Un sentiment partagé par
quelques anciens sériciculteurs et séricicultrices qui ne manquent pas l'occasion qui leur
est fournie de se raconter à propos d'une activité qui a marqué intensément leur existence
et s'inscrit, pour la plupart d'entre eux, dans une tradition familiale: "Moi, je l'ai toujours
vu faire à la maison! Alors vous dire si je les connais, les vers à soie! Je ne connais que
ça!"

Avec l'once* de graine achetée à un ancien graineur* ardéchois, les éducateurs* de


Monoblet récoltent la première année 83 kilos de cocons jaunes; un rendement élevé qui
témoigne du succès de l'entreprise. Fin juin, un grand nombre de villageois, jeunes et
vieux, autochtones et "pièces rapportées" -mais principalement de sexe féminin- se
retrouve sous les mûriers de la place pour la séance collective de décoconage qui clôt
l'éducation: lesriresfusent, les doigts agiles libèrent les cocons que des filaments aériens
attachent à la bruyère, les jeunes enfants courent entre les chaises réunies en un vaste
demi-cercle et une complicité amusée rapproche les générations de femmes. Un de ces
moments privilégiés où la notion de communauté villageoise prend tout son sens.

Chaque printemps suivant, l'expérience est renouvelée avec les mêmes gages de réussite
et l'information circule de village en village. De Saint Hippolyte, de Lasalle, de
Soudorgues, "ceux qui élevaient encore quelques magnans sont venus voir si on ne

fait, s'intègre forcément un jour ou l'autre". Cité par Anne Valleys, "Monoblet: le retour
des vers à soie", Libération, 18 juillet 1977.
31

pouvait pas écouler aussi leurs cocons plutôt que de les jeter" se souvient Michel C.
Contre toute attente, certaines vieilles séricicultrices n'avaient pas totalement renoncé à
la sériciculture et, presque en secret, par pure nostalgie, sans en attendre le moindre
profit, éduquaient* encore une poignée de vers dans un recoin de la cuisine ou dans leur
chambre à coucher: "Il y avait toujours des gens qui élevaient des vers à soie mais ils le
faisaient, à ce moment là, uniquement par atavisme; ils faisaient des vers à soie puis
quand ils avaient les cocons, ils les jetaient!"

Devant l'intérêt croissant des habitants du village puis de ceux des communes voisines
qui lorsqu'ils entendent parler de ce qui se passe à l'école de Monoblet prennent contact,
l'instituteur s'interroge: la sériciculture, à travers l'expérience monoblétoise, prouve
qu'elle peut être une force de rassemblement, capable de transcender les clivages au sein
de la communauté villageoise et de générer des échanges sociaux. N'y a t-il pas là, par
conséquent, matière à tenter une relance de cette production? Dans son esprit, le
renouveau de la soie prendrait le contre-pied de la politique d'aménagement décidée par
les pouvoirs publics et qui tend à livrer cette zone qualifiée de "périphérique" à la
convoitise des "chasseurs de primes4" ou des spéculateurs fonciers qui voudraient la
"touristifier".
Pour comprendre comment l'idée d'une relance séricicole a pu voir le jour sur la seule
base d'un essai réussi d'élevage scolaire, il faut se replacer dans le contexte micro-local:
en 1973, les villages de Monoblet, Vabres et Saint Félix de Pallières, dont la population
totale s'élève à environ 700 habitants, font l'objet d'un ambitieux projet d'aménagement
touristique prévoyant la construction d'une zone de 465 résidences secondaires sur un
territoire de 233 hectares. Si quelques propriétaires fonciers voient dans ce programme la

4
A partir des années 70, les Communes ont vu arriver nombre de ces pseudo-agents de
reconversion économique qui disparaissent du jour au lendemain, non sans avoir au
préalable empoché les primes et réalisé des bénéfices grâce aux bas salaires acceptés par
la population locale.
32

possibilité de réaliser des opérationsfinancièrementjuteuses, d'autres habitants, dont


l'instituteur, en perçoivent immédiatement les dangers, en termes aussi bien écologiques
et économiques que culturels et sociaux. La renaissance de la sériciculture propose en
quelque sorte un contre-feu à ce projet: elle oppose au développement touristique initié
de l'extérieur une prise en main de l'avenir du pays par les acteurs locaux. Elle suggère:
inversons la logique, employons nous à promouvoir un développement fondé sur les
potentialités locales et ne nous laissons pas déposséder du bénéfice de l'exploitation de
nos ressources.
Au point de départ du projet, l'hypothèse avance que partir des racines locales est une
procédure efficace pour re-créer une activité économique dans la mesure où le projet,
bien inséré dans le tissu social, va redonner confiance à la population. "Se souvenir peut
être une voie pour stimuler l'imagination"5.

A ce stade de l'expérience, il importe de prendre garde à ne pas recourir à un concept


aujourd'hui d'usage courant et sur lequel nous serons amenés à revenir: celui de
patrimoine. En effet, ni les propos tenus alors, ni les écrits, n'ont recours à cette notion
dont on sait quel succès elle rencontre depuis le début des années 80. Au moment où
émerge le projet de relance séricicole, il se situe, dans l'esprit de son auteur, aux
antipodes de la tendance actuelle à la "patrimonialisation" des productions
"traditionnelles"; tendance dont on peut se demander si au fond elle ne vise pas à
soustraire les produits des circuits économiques habituels plutôt qu'à les inscrire dans la
réalité de ces échanges.
Le projet de relance séricicole incarne l'espoir d'une société traumatisée, menacée dans
son devenir et qui entend puiser dans ce qui l'a constituée les moyens de sa reproduction
et de son insertion dans des sphères socio-économiques dont elle s'est sentie exclue. Un
projet de développement local, certes, mais qui vise précisément à refuser cette forme de

3
Jacqueline Mengin, "La culture, pas le folklore", Autrement, n°47, fev. 1983, p. 136.
33

marginalisation que constitue la désignation des zones rurales défavorisées comme


espaces de récréation et de loisir et non comme espace de production. Le rejet de la
société de type pyramidal se conjugue à une volonté de décolonisation.

Les étapes du processus ou les jalons de la relance

La réappropriation des savoir-faire

Durant trois ans, l'enthousiasme ne faiblit pas et fait tache d'huile: parents d'élèves de
Monoblet et anciens sériciculteurs du village et des communes voisines sont chaque
année plus nombreux à manifester leur intérêt et leur curiosité. Les uns s'enquièrent de la
bonne marche des élevages et offrent la feuille de leurs vieux mûriers aux jeunes
sériciculteurs; les autres viennent visiter la magnanerie et en profitent généralement pour
donner quelques conseils pratiques: "dans le fond, ils ont tous la nostalgie, même s'ils en
ont bavé" s'émerveille Michel C.
Au fur et à mesure de l'élargissement du réseau, le projet mûrit, se précise. Michel C.
pressent que la partie est loin d'être gagnée car si un élan positif s'exprime, il existe bien
des résistances à vaincre pour faire avancer l'idée: les spécialistes du domaine doutent de
la possibilité d'une renaissance de la sériciculture dans les conditions actuelles du marché
et une frange conservatrice de la population cévenole, demeurée en état de choc après le
traumatisme lié à la désertification rurale, n'accepte pas de remettre en cause ses
certitudes. Or Michel C, en raison de ses liens étroits avec la mouvance marginale6, est
justement de ceux qui par leur choix d'existence remettent en cause les évidences
collectives.

6
A l'époque, il est un des permanents de Gourgas, une bâtisse acquise en 1967 par Félix
Guattari pour servir de lieu de base à des expériences psychiatriques et libertaires.
34

S'il veut que son idée fasse du chemin, il va devoir gagner la confiance des spécialistes et
du monde paysan. C'est ce qu'il vise en enrôlant deux personnalités emblématiques de la
soie: André S., gratifié du titre de "pape de la soie", que son action en faveur du maintien
puis du renouveau de la sériciculture ainsi que ses multiples responsabilités au sein des
organismes internationaux désignent comme un porte-parole auprès des services publics
et comme le garant le plus crédible du projet dans sa dimension techno-économique;
Rose S., une séricicultrice âgée, autrefois responsable d'une chambre d'incubation
collective et mariée à un inspecteur départemental des magnaneries, ce qui lui vaut
l'estime et la sympathie de ses concitoyens.
Tous deux s'allient immédiatement au projet. André S. attendait depuis toujours un
disciple prêt à faire avancer concrètement ses idées qui jusque là n'avaient pas rencontré
le succès escompté; quant à Rose S., profondément attachée à la mémoire d'un mari qui
fiit un proche collaborateur de André S., elle saisit l'occasion de poursuivre l'oeuvre de
son compagnon en faveur de la sériciculture et des Cévennes. L'appui de André S. va
permettre de formuler le projet en termes techniques et économiques tandis que le
soutien de Rose S. va lui donner son assise sociale locale, renforcer les liens déjà tissés
avec les Anciens dont l'appui confère au projet sa légitimité socio-culturelle.

Parmi les sériciculteurs de Monoblet, certains sont novices. Ce n'est pas en se plongeant
dans des ouvrages de vulgarisation technique qu'ils peuvent espérer parvenir à maîtriser
ces savoir-faire. Il s'agit de savoir-faire incorporés7 qui ne peuvent être intégralement
analysés et décomposés. L'acquisition d'un savoir théorique médiatisé par l'écrit ou le
discours ne remplace pas l'intériorisation des gestes et des comportements à laquelle
seules l'observation des différentes techniques et leur mise en pratique ouvrent la voie.

7
Yves Barel, "La ville avant la planification urbaine", Prendre la ville, Paris:
Anthropos, 1977, pp. 16-19.
35

La transmission des savoir-faire séricicoles se heurte à un obstacle majeur: l'absence de


producteurs. Il faudra donc dans un premier temps solliciter la mémoire technique,
mettre en oeuvre les savoirs encore présents dans les discours, les lieux, les outillages, les
corps et recréer les conditions sociales de cette transmission. Comme l'a montré R.
Cornu à propos des anciens riveurs, "les connaissances resurgissent comme mémoire et
comme discours logique lorsque sont rassemblés autour d'eux certains éléments au moins
de leur ancien travail"8. L'équipement matériel peut effectivement remplir une fonction
mnémonique; les savoir-faire incorporés qui étaient en état de veille sont réactivés
lorsque le regard se pose sur les claies chargées de vers ou que les mains s'emparent de la
feuille humide pour la brasser. Effectivement, les anciens sériciculteurs ne feront pas que
prêter leurs locaux ou donner la feuille inutilisée de leurs mûriers: ils participeront encore
activement à l'éducation, guidant les plus jeunes vers la maîtrise des façons de faire.
Rassoler*, aérer la feuille, la disposer en couche régulière sur les claies*, surveiller la
température à l'intérieur de la magnanerie*, ôter la litière* lourde de nervures
déchiquetées et d'excréments, échafauder les cabanes*, détacher délicatement les cocons
de la bruyère... autant de gestes qui ne s'écrivent pas, ne s'expliquent pas et peuvent
seulement être reproduits grâce à un frayage prolongé avec ceux qui les maîtrisent. Edith
H., à Monoblet, et Rose S., à Lasalle, remettront en marche leur magnanerie et dirigeront
le travail des nouveaux sériciculteurs; Jean H., l'un des derniers sériciculteurs de la
commune -il a dirigé la magnanerie coopérative de Monoblet jusqu'en 1968- ainsi que
Clotilde M. ne feront pas d'élevage à leur domicile mais aideront néanmoins les jeunes
sériciculteurs avec enthousiasme.
La réappropriation des savoir-faire "traditionnels" sera donc la première étape de la
relance. Celle-ci ne pouvait s'accomplir qu'en partant des ressources existantes héritées
d'un passé heureusement encore très vivant dans les mémoires. Dix ans plus tard,

8
Roger Cornu, "Comment accommoder les rivets de Port-de-Bouc", Technologie,
Idéologie, Pratique, 1980, 2, 3-4, pp. 63-80.
36

n'aurait-il pas été trop tard? Tout donne à penser qu'une fois les anciens disparus ou trop
âgés pour pouvoir s'impliquer dans l'aventure, ce travail d'anamnèse n'aurait pas pu
s'accomplir.

Un système raisonné de propositions d'innovations

Nous n'ignorons pas ce que peut avoir de paradoxal le fait de considérer la relance d'une
activité qui, dans cette région, relève d'une tradition séculaire, comme une innovation.
Cette objection a été émise suffisamment souvent par ses détracteurs pour que nous
prenions la peine de justifier l'emploi de ce terme. En effet, nombreux sont ceux qui ont
considéré et parfois considèrent encore que le remède contre l'appauvrissement des
Cévennes se trouve dans une rupture radicale avec leur ancienne économie. Leur
restructuration passerait nécessairement par l'élimination de tout ce qui demeure associé
à l'agro-système traditionnel. De là à voir une contradiction insurmontable entre les
notions qui gravitent autour de celle de tradition et celles qui se rattachent à l'idée de
progrès, il n'y a qu'un pas, rapidement franchi. En conséquence de quoi, des Cévenols de
souche ont protesté en entendant parler d'innovation et de progrès à propos de ce qui
leur paraissait n'être qu'un retour en arrière9. A fortiori, les représentations urbaines qui
voit une incompatibilité entre les notions d'efficacité économique et celle d'espace rural
excluent la possibilité qu'un secteur d'activité à la fois traditionnel et rural puisse être
crédité d'une telle potentialité.

Une analyse plus fine du mécanisme de l'innovation montre que cette dernière ne
s'oppose aucunement à la tradition et que son inscription dans une tradition peut même

9
A leur décharge, il faut reconnaître que le dictionnaire lui-même oppose la notion
d'innovation à celle de tradition. De manière générale, il existe une réelle difficulté à
appréhender la sphère des activités rurales comme lieu d'innovation. La presse
économique, lorsqu'elle traite de l'innovation, évoque les "secteurs de pointe", les
"technologies avancées"... et, fait significatif, les recherches menées par le laboratoire de
sociologie de l'innovation, à de rares exception près, ignorent le secteur rural.
37

être, dans certains cas, un gage de réussite. C'est en tout cas l'opinion de G. D. Prémel
qui dans une étude sur les "innovations techniques et sociales en Cévennes" montre que
leur succès est généralement lié à leur capacité à "être en phase avec la mémoire
collective du terroir10".

En quoi la relance séricicole constitue-t-elle une innovation?


Innover désigne "l'action d'introduire quelque chose de nouveau dans une chose
établie"". L'innovation est donc une notion contingente: on innove toujours par rapport
à un produit, un procédé, une organisation, un marché qu'on transforme ou qu'on
améliore. E. Rogers et F. Schoemaker vont plus loin encore lorsqu'ils affirment qu'il
importe peu que l'appréciation de "nouveauté "soit objective ou non, mesurée en terme
de délai par rapport à une découverte ou un premier usage. C'est la nouveauté telle
qu'elle est perçue par l'individu ou le groupe qui détermine son comportement. Si l'idée
semble nouvelle pour l'individu ou le groupe, c'est une innovation"12. Ainsi, toute
innovation serait, selon la formule de J.-P. Olivier de Sardan, "un métissage, une
hybridation, un syncrétisme"13.
Profondément inscrite dans les lieux et dans les mémoires, la production de la soie a fait
l'objet d'une proposition sociale dans une période où les schémas de développement
définis par les instances de décision se fondent sur le démantèlement de l'ancien système
d'exploitation du territoire. Après une dizaine d'années d'interruption, envisager de
produire à nouveau de la soie en Cévennes s'inscrit à contre-courant des schémas établis

10
Gérard D. Prémel, op. cit., p.6.
11
Définition empruntée à Paul Robert, Dictionnaire de la langue française, Paris:
Société du nouveau Littré, 1964.
12
E. Rogers et F. Schoemaker, Communication of innovations: a cross cultural
approach, New York: Free Press, 1971: p. 19.
13
Jean-Pierre Olivier de Sardan, Une anthropologie de l'innovation est-elle
possible?, Marseille: SHADYC (EHESS-CNRS), 1993, p. 18 (en cours de publication).
38

par les aménageurs de l'espace rural et à ce titre la relance peut donc bien être considérée
comme une proposition d'innovation.

Ceci étant, le caractère innovant de la relance séricicole va bien au delà de la proposition


alternative à un schéma de développement; espace d'innovation sociale, elle est
également le cadre de propositions d'innovations à la fois technique et organisationnelle.
"Il n'est pas question d'être sériciculteur... comme l'étaient nos grands-parents: ce n'est
pas avec des yeux mouillés de nostalgie qu'il faut aborder le problème!"14 déclaraient il y
a quelques années deux partenaires du projet. En effet, la démarche n'est pas
archéologique, elle ne se réduit pas à la sauvegarde d'un patrimoine séricicole condamné
à disparaître à brève échéance; à leurs yeux, la conservation découle d'une
réappropriation active des techniques15, dans le cadre d'une démarche de production.
Ainsi s'opposent deux conceptions de la culture: l'une,figée,qui voit dans les savoir-faire
et les techniques célébrés à travers l'acte de conservation les vestiges d'une activité
sacrifiée sur l'autel de la "modernisation" et l'autre, dynamique, qui considère la somme
de connaissances issue de plusieurs siècles de recherche et de pratique dans le domaine
séricicole et industriel comme un capital immatériel à partir duquel il devient possible
d'inventer des techniques et des savoir-faire adaptés aux contraintes contemporaines.
Pour reprendre les propos de Michel C, s'exprimant dans une revue locale: "il s'agit
d'essayer non pas seulement de sauvegarder une mémoire collective au risque de la
fossiliser à travers des initiatives passéistes mais de la ressusciter en reprenant toutes les
techniques encore valables de nos jours et d'en poursuivre le perfectionnement"16. Tous

14
"Cévennes: les nouveaux artisans de la soie", Sud, n° 72, 13-19 juin 1977.
15
Une technique, affirme F. Sigaut, "n'existe que lorsqu'elle est pratiquée, c'est à dire
lorsqu'elle passe par quelqu'un qui, l'ayant apprise ou inventée, la met en l'oeuvre de
façon efficace". François Sigaut, Postface de l'ouvrage Construire une science des
techniques, Limonest, L'interdisciplinaire, 1991.
16
Jacques Durand, "A Monoblet, plus de chacun pour soie, tous pour la soie",
Calades, n°37, mars 1983.
39

les discours tenus sur la relance insisteront sur ce dernier point" : adapter aux contraintes
et aux besoins d'aujourd'hui les façons de faire d'autrefois.

Reste que le développement d'une production obéit à certaines règles. Il est soit tributaire
d'un marché existant -ses chances de succès dépendent alors essentiellement de sa
capacité à se frayer une place au sein de celui-ci-, soit lié à la création d'un nouveau
marché, par exemple lorsqu'est mis au point un produit nouveau qui n'est pas confronté à
la concurrence puisqu'il n'en existe pas d'équivalent18 sur le marché. On ne sort pas de là:
la sanction ultime est celle du consommateur que le produit doit nécessairement
convaincre en étant aussi compétitif, à qualité égale, que ses concurrents ou en étant sans
rival.
Ce sont ces deux principes qui vont guider la réflexion de l'équipe dans la mise en forme
de son projet technique.

Première proposition: le kokuso 21

Au cours d'une mission qu'il effectue en 1956 au Japon, Mr D.,filateurà Saint Jean du
Gard, les services séricicoles lui font cadeau de quelques plants de mûriers. Il s'agit d'une
variété récemment mise au point: le kokuso. Il ne faut pas voir derrière ce geste le signe
que la science séricicole transcende les intérêts nationaux: les sériciculteurs japonais,
mécontents des résultats obtenus, avaient tout simplement rejeté le kokuso après les
essais d'adaptation!

D. Léger et B. Hervieu ont mis en évidence cette tension entre ce qu'ils qualifient de "
problématique de la restauration", c'est à dire la volonté en actes de faire "revivre la
Cévenne traditionnelle", de "renouer avec le passé" et celle de l'innovation. Daniele
Léger et Bertrand Hervieu, Des communautés pour les temps difficiles. Néos-ruraux
ou nouveaux moines, Paris: Le Centurion, 1983, p. 119.
18
C'est ce qui se produira à la fin des années 80, lorsqu'un fabricant de cosmétiques se
portera acquéreur de vers à soie au prix de 100frsle kilo.
40

La Station séricicole d'AIès, à laquelle Mr D. confie ses plants, entreprend de les


multiplier puis tente à son tour de les acclimater. Contrairement au climat du Japon, celui
des régions méditerranéennes semble réussir parfaitement au Kokuso. La variété Kokuso
21* est celle qui donne les meilleurs résultats; elle est donc sélectionnée par les
spécialistes de la Station et proposée aux rares sériciculteurs qui n'ont pas abandonné
cette activité. Sa diffusion est néanmoins un échec car ces derniers ne sont pas disposés à
planter des mûriers alors que la sériciculture est dans une situation extrêmement difficile.
Le premier essai de diffusion du Kokuso va donc tourner court.

Lorsqu'elle décide à son tour de planter des mûriers, l'équipe de Monoblet choisit le
kokuso 21 dont la supériorité sur les variétés traditionnelles a été largement démontrée
d'abord par les essais en laboratoire, puis aux Magnans et chez Mr. C. qui a créé près
d'AIès une unité d'élevage mécanisée. Un pépiniériste alésien, ancien collaborateur du
directeur de la Station séricicole d'AIès, en possède encore un stock et accepte d'en céder
4000 pieds à un tarif préférentiel (6,50 frs contre 13 frs habituellement).

Il s'agit d'un arbre présentant de nombreux rameaux, conduit en basse-tige et qui peut
être cultivé en prairie ou en verger; sa pousse est continue d'avril à octobre et la qualité
nutritive de ses feuilles, de grandes dimensions, demeure constante durant toute la
période végétative; ultime avantage, son débourrement* est relativement précoce.
Plusieurs avantages découlent de ces caractéristiques.
Grâce à sa culture en basse tige et en verger, avec une densité de 3000 à 5000 pieds à
l'hectare, on obtient un rendement très nettement supérieur à celui des variétés cultivées
en haute tige et la récolte de la feuille est facilitée puisque les branches se trouvent à
hauteur d'homme. Pour le sériciculteur, le gain en productivité s'accompagne d'une
réduction du temps de travail; la qualité nutritive de ses feuilles augmente larichesseen
soie des cocons; enfin son débourrement précoce et sa pousse continue permettent de
réaliser des élevages successifs et imbriqués.
41

Ce dernier point est fondamental: avec cette méthode, il devient possible d'utiliser de
façon intensive les locaux d'élevage pendant près de la moitié de l'année et d'assurer du
travail au sériciculteur pour la même durée.

L'abaissement du seuil de rentabilité, correspondant au prix d'achat du kilo de cocons au


producteur au-dessous duquel l'exploitation n'est pas viable, est l'un des tous premiers
objectifs poursuivis par l'équipe. De ce point de vue, l'adoption du kokuso 21 apparaît
comme un net progès: la multiplication du nombre d'élevages doit permettre d'amortir
plus rapidement les équipements séricicoles (magnanerie, tracteur ou motoculteur...) et
d'augmenter le revenu des éleveurs; la mécanisation de sa culture et la facilitation de la
cueillette induisent une économie de main d'oeuvre. La diffusion du kokuso 21 est donc
une "innovation induite" au sens où l'entend J. Hicks19; elle est en effet principalement
commandée par la nécessité d'économiser les facteurs de production onéreux: la terre
(culture en verger), les équipements et la main d'oeuvre.

Seconde proposition: lafilièreintégrée, "du sol au tissu "

Dès 1953, lors du Congrès international de la soie qui s'était tenu à Milan, l'idée avait
été lancée de développer la production de la soie, alors en grande difficulté, sous la
forme d'une filière intégrée allant "du sol au tissu"20, c'est à dire de la culture du mûrier
jusqu'au tissage. Les auteurs de cette formule l'envisageaient d'un point de vue technique
et scientifique: la chaîne opératoire est composée de séquences techniques imbriqués et
solidaires les unes des autres en sorte que la qualité du produit final dépend du niveau

19
J. Hicks, Theory of wages, Londres, 1932, cité par: Jacques Perrin, Comment
naissent les techniques. La production sociale des techniques. Paris: Publisud, 1988, p.
60.
20
André Schenk, "Evolution et situation actuelle de la sériciculture", Comptes rendus
des séances de l'académie d'agriculture de France, n°14, 1979, p. 1200.
42

des techniques et de la prise en compte d'une très grande variété de paramètres lors de
chacune de ces étapes. Cette prise en considération s'exprime, au niveau du grainage*, en
poids de cocons récoltés à partir d'une quantité donnée de vers à soie, en pourcentage et
en qualité de soie grège obtenue à partir de ces cocons... Au niveau séricicole, il se
traduit en poids de soie grège obtenue à partir d'une quantité donnée de graine*, en poids
de cocons produits par une surface déterminée de mûriers, en richesse soyeuse des
cocons21... Or chaque corps de spécialistes (sériciculteurs, filateurs, mouliniers,
tisseurs...) ne connaît pas suffisamment l'incidence des facteurs qui relèvent de son
champ propre de compétences sur la phase suivante et souvent même les ignore
délibérément s'il en va de ses intérêts économiques. Ainsi, comme on l'a vu plus haut, le
sériciculteur préférera les souches de vers à soie qui donnent des cocons petits car un
plus grand nombre de chrysalides augmente sensiblement le poids total de sa récolte, bien
qu'avec d'autres variétés le fil soit plus long et donne de meilleur résultat enfilature.Il
s'agissait donc de faire comprendre que la filière de production de la soie constitue un
espace technologique cohérent et qu'en développant une véritable stratégie defilièreon
pourrait optimiser les résultats à chaque stade de la production.

C'est ce même principe qui va être reformulé et mis en oeuvre dans le cadre de la relance
après avoir été élargi au plan économique car son application, avantageuse d'un point de
vue qualitatif, l'est aussi économiquement, en terme de productivité. La filière, si elle "est
une succession d'opérations entre lesquelles circulent les matières", est également "un
ensemble d'échanges commerciaux etfinanciers"22.Lafilièresoie, telle que la conçoivent
les pionniers de la relance séricicole, est donc ce que P. Garouste appelle une "filière de

21
Voir par exemple Seinosuke Omura, "Récents progrès dans les techniques
séricicoles", Revue du ver à soie, n°3-4, 1956, pp. 106-107. La Station séricicole d'Alès a
ainsi mené une étude sur l'application de recherches concernant l'hybridation des vers à
soie aux résultats de filature.
22
Voir Dominique Vinck et Michel Mignolet, Filières de production et ruptures
stratégiques, Louvain-La-Neuve: Colloque FOPES, 1988.
43

produit", c'est à dire "la somme de toutes les opérations de production et de


commercialisation qui ont été nécessaires pour passer d'une ou plusieurs matières
premières de base à un produit parvenu au stade final"23.

La formule "du sol au tissu" va constituer une innovation organisationnelle visant à


résoudre le problème majeur auquel se heurte la relance: le prix de la soie. En 1974, les
tisseurs lyonnais achetaient en effet la soie grège au prix moyen de 140frsle kilo; un prix
qui traduit la volonté de la Chine, fournisseur quasi exclusif de la France, d'offrir un
produit peu coûteux, lui assurant le monopole du marché. A titre de comparaison, la soie
des Cévennes est proposée par le CAT des Magnans au prix de 500 frs le kilo teinte, ce
qui équivaut à un prix de grège qui oscille entre 350 et 400 frs, soit près de 2 fois et demi
supérieur à celui de la soie chinoise. Or dans l'hypothèse la plus optimiste, en supposant
la mise en oeuvre d'innovations techniques destinées à abaisser davantage les coûts de
production, une production française de soie au cours mondial demeure impossible à
envisager.

Les pionniers de la relance se trouvent face à une alternative qui paraît sans issue puisque
maintenir un prix élevé signifie l'impossibilité de vendre la production mais qu'en
contrepartie leur projet risque d'avorter si le prix des cocons est jugé insuffisant par les
éleveurs. Puisqu'ils rejettent chacun des termes de l'alternative, il leur faut trouver une
troisième voie: ce sera lafilièreintégrée, formule inédite en Cévennes.
En intégrant les opérations de production, de transformation et de vente, elle permet de
rendre les produits concurrentiels tout en valorisant suffisamment le travail des éleveurs
de vers à soie. Le calcul effectué est le suivant: si l'on suit le cheminement de deux pièces

23
Pierre Garouste, Filières techniques et économie industrielle. L'exemple de la forge,
Lyon: Presses universitaires de France, 1984, pp. 51 et suivantes. B. Gille désigne
comme structure ce que nous nommons icifilière:"la structure est ce qui caractérise une
fabrication, une production. Le textile est un bon exemple de structure: de la production
de la matière à sa préparation, filature, tissage, apprêts..." Voir sur ce point Bertrand
Gille, "La notion de système technique", Milieux, n°61, juin-sept. 1981, p.9.
44

d'un mètre tissées l'une par un soyeux lyonnais qui a acheté la soie grège en Chine et
l'autre par l'équipe de Monoblet qui a assuré elle-même lafilature,on constate qu'après
avoir suivi le même itinéraire technique elles atteignent un prix de vente sensiblement
identique (moins de 20% de marge) alors que le prix d'achat de la soie grège importée
était trois fois et demi inférieur à celui de la soie grège cévenole. L'intérêt de l'intégration
de la filière est donc évident: elle impose une solidarité économique entre les maîtres
d'oeuvre de chaque séquence technique et supprime les innombrables frais commerciaux
prélevés par les intermédiaires, frais que les soyeux lyonnais doivent par contre faire
entrer dans le calcul de leur prix de vente.
Un autre argument joue en faveur de l'intégration; les Cévennes n'ont pas pardonné aux
soyeux lyonnais de les avoir délibérément sacrifiés à leurs intérêts corporatifs. Il y a donc
une leçon à tirer de l'histoire: éviter de retomber dans une dépendance qui a coûté la vie à
la sériciculture cévenole.
Enfin, dernier facteur justifiant la création de lafilièreintégrée: la soie produite dans des
conditions artisanales présente des irrégularités qui la rendent difficilement utilisable par
les tisseurs lyonnais, travaillant sur des métiers mécaniques très performants. Une
amélioration de la qualité24 du fil étant impossible à envisager tant que la filature
s'effectue avec le matériel vétusté récupéré dans un atelier désaffecté, il ne reste qu'à
réaliser sa transformation locale par des tisseurs à bras, les seuls à pouvoir travailler un fil
que l'industrie a définitivement abandonné.

24
Pour les tisseurs à bras, le discours technique codifié qui s'est imposé à l'échelle
planétaire comprend sous la notion de normes de qualité des critères liés au
développement technologique et qui n'ont pas nécessairement à voir avec la qualité d'un
fil telle que l'entend le tisseur. La classification de la soie grège qui vaut aujourd'hui
mondialement est en effet basée sur des critères relatifs à l'utilisation du fil par des
métiers mécaniques. Le fait qu'unfilne puisse passer sur un métier de ce type ne préjuge
en rien de sa qualité au sens où l'entend le tisseur qui se considère tout autant comme un
artiste que comme un technicien: "aussi paradoxal que cela puisse paraître, il y a des
défauts qui nuisent au produitfinimais il y a des défauts qui améliorent le produitfinien
ce sens qu'ils le démarquent de tout ce qui se fait... Alors qu'est ce qu'un défaut, qu'est ce
qu'une qualité?" s'interroge un tisseur à bras.
45

Cette innovation remet profondément en cause les schémas classiques de développement


et d'organisation de la production. Pour cette raison, elle embarrasse la plupart de ceux
qui militent en faveur d'une relance séricicole ou se posent en opérateurs du
développement local. Alors que les instigateurs du projet des Magnans se placent
résolument à l'intérieur d'un modèle de développement dont ils admettent les règles à
priori, les innovateurs de Monoblet s'en écartent et proposent au contraire de le
bouleverser en imaginant la formule inédite de lafilièreintégrée.
Dans cette optique, il s'agit, contrairement à la pratique courante, de déterminer le prix
de la soie en se basant non pas sur celui du marché mais sur un niveau de rémunération
minimum, acceptable par les producteurs. En d'autres termes, c'est au niveau de la
transformation où se réalise l'essentiel de la plus-value que les marges devront être
compressées afin de permettre une rétribution correcte des sériciculteurs25.
Renversement radical, donc: l'aval (de lafilatureau tissage) ne dicte plus sa loi à l'amont
comme c'était autrefois le cas mais c'est au contraire l'amont qui contraint l'aval à faire
preuve d'un altruisme dont il n'est pas coutumier, les tisseurs de soie ayant tendance à se
considérer comme T'aristocratie" du textile. Il s'agit donc de ne pas reproduire à l'échelle
d'une filière régionale la dépendance unilatérale qui liait par le passé les sériciculteurs
cévenols aux filateurs et indirectement à la Fabrique lyonnaise mais de créer les
conditions d'une véritable interdépendance, capable de garantir la viabilité de chacune des
étapes de la chaîne productive.

Voir le fascicule intitulé Pour une assistance technico-commerciale à la sériciculture


cévenole, 1982.
46

La mise en oeuvre de l'innovation

L'innovation "est perpétuellement en quête d'alliés. Elle doit s'intégrer dans un réseau
d'acteurs qui la reprennent, la soutiennent, la déplacent"26. L'étude de l'émergence et de
la diffusion des innovations permet de mettre en évidence l'importance des réseaux
relationnels qui vont la porter. Pour J.-P. Olivier de Sardan, T'innovation proposée, avec
ses 'porteurs sociaux' et ses 'courtiers', prend place dans une arène locale où se
confrontent divers 'groupes stratégiques"127.
L'exemple de la relance séricicole illustre de manière concluante le mécanisme complexe
de la "traduction". Selon M. Callón, elle consiste à "transformer un énoncé
problématique particulier dans le langage d'un autre énoncé particulier"28. Elle est le
mécanisme "par lequel un monde social et naturel se met progressivement en forme et se
stabilise pour aboutir, si elle réussit, à une situation dans laquelle certaines entités
arrachent à d'autres, qu'elles mettent en forme, des aveux qui demeurent vrais aussi
longtemps qu'ils demeurent incontestés"29.
Cependant, comme le suggère J.-B. Meyer, il faut prendre ce concept davantage comme
une grille d'analyse du processus d'innovation, un schéma opératoire de description que
comme un modèle30.

26
Roland Treillon, L'innovation technologique dans les pays du Sud, Paris: ACCT/
Wageningen: CTA/Paris: Karthala, 1992, p. 100.
27
Jean-Pierre Olivier de Sardan, op. cit., p. 19.
28
Michel Callón, "L'opération de traduction comme relation symbolique", Séminaire de
recherche MSH, Paris: Rapport CORDES-CNRS, 1978, p. 123.
29
Michel Callón, "Eléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des
coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc", L'année
sociologique, n°36, 1986, p. 205.
30
Voir à ce propos Jean-Baptiste Meyer, La dynamique de la demande dans
l'innovation, thèse de doctorat de socio-économie de l'innovation, Ecole des Mines,
Paris, 1992.
47

Les pionniers

Il est d'usage de distinguer plusieurs catégories d'adoptants d'une innovation: les


pionniers, les innovateurs, la majorité précoce, la majorité tardive et enfin les
retardataires31. Nous adopterons plutôt la définition de J. Maho qui ne distingue pas
aussi nettement que le font H. Mendras et M. Forsé les pionniers et les innovateurs; en
effet selon cet auteur, les innovateurs sont "ceux qui les premiers adoptent ou utilisent
une innovation"32.

En 1976, les pionniers de la relance forment à Monoblet un groupe soudé mais limité en
nombre. Qui sont-ils, ces innovateurs de la première heure qui n'hésitent pas à suivre
l'instituteur dans une aventure que de nombreux observateurs se représentent comme une
chimère? Constituent-ils un groupe homogène? Occupent-ils dans la collectivité une
place spécifique qui les prépare à tenir ce rôle?
Ce sont tous d'abord les compagnons de route de Michel C. qui militent avec lui au sein
du mouvement occitan; ce sont en second lieu quelques parents d'élèves appartenant au
groupe des néos-ruraux installés sur la commune depuis lafindes années 60-début 1970;
ce sont enfin d'anciens éducateurs de vers à soie, nostalgiques d'un "âge d'or" qu'ils
associent à la sériciculture et dont ils continuent secrètement à espérer le retour. Il s'agit
donc d'un groupe hétérogène au sein duquel se côtoient autochtones et allogènes,
individus préoccupés de l'avenir ou au contraire tournés vers le passé, qui aspirent à un
au-delà du capitalisme ou se plaignent d'avoir été abandonnés sur la grève du progrès. En
d'autres termes, presque autant de motivations qu'il y a d'individus! Ils vont faire du
projet d'innovation leur point de ralliement.

31
Henri Mendras et Michel Forsé, Le changement social, Paris: Armand Colin, 1987,
p. 77.
32
Jacques Maho, "La sociologie des innovations rurales: un bilan", Pour, n°40, p. 73.
48

A travers ses prises de positions éducatives et politiques, au moment où il effectue ses


premiers élevages scolaires, Michel C. émet une suite d'"énoncés problématiques"33 dont
la production va susciter une demande de la part des acteurs auxquels il s'est adressé.
Ces derniers ont un dénominateur commun: peu ou prou, ce sont des gens "en marge"34,
qui ne se reconnaissent pas dans le modèle de développement dominant et pour lesquels
la volonté de vivre au pays (celui où ils sont nés mais aussi celui qu'ils ont choisi) trouve
à s'exprimer dans la défense d'une identité locale qu'ils associent à l'activité séricicole35.
Rien ne pourrait mieux symboliser en effet ce pays, "mélange explosif de réalité vécue,
de rationalité et d'émotions"36 que les uns aspirent à perpétuer et que les autres rêvent de
s'approprier; que la soie, ce "pilier de la civilisation cévenole". Il y a ainsi une continuité
entre les formes de refus des occitanistes37, des néos-ruraux et de certains anciens

Un énoncé problématique "peut être considéré de deux façons différentes. 1) En tant


qu'affirmation d'un problème particulier et donc en tant que promesse de résolution de ce
problème, il peut être envisagé comme contribution potentielle à la résolution d'un autre
problème de nature différente ou voisine: il s'offre ainsi comme réponse à une demande
réelle ou virtuelle. 2) Ensuite, parce qu'il est problématique, l'énoncé appelle la recherche
d'une solution satisfaisante: en tant que tel il est demandeur et sa demande peut susciter
des offres visant à le satisfaire". Michel Callón, op. cit., 1978, pp. 121-122.
34
Jacques Maho rapproche également les "leaders d'opinion" des autres catégories
'd'originaux locaux': "notables", "déviants", "opposants", "marginaux", a-sociaux"...
Selon cet auteur, une collectivité groupée sur un territoire déterminé rassemble des
individus qui ne sont pas atomisés mais agrégés "en une série de groupes dont Gurvitch a
montré à la fois le foisonnement, l'origine et la difficulté de compréhension..." Jacques
Maho, op. cit., p. 78.
35
Sur ce point, voir Rémy Pech, "Identité du groupe des "Vignerons du Midi"; de la
défense corporative à l'affirmation régionale", Identités collectives et changements
sociaux, Toulouse: Privat; 1980, pp. 161-166.
36
Marie-Elizabeth Chassagne, "Du refus de la mort à l'auto-création", Autrement (Le
local en question), n°47, 1983, p. 31.
37
Nous avons évoqué l'engagement de Michel C. dans le mouvement occitan dans notre
rapport intermédiaire. Rappelons simplement qu'il est membre de Cévennes occitanes, un
groupe proche de la mouvance "Volem viure al pais". Voir Alain Touraine, François
Dubet, Le pays contre l'Etat. Luttes occitanes, Paris: Le Seuil, 1981.
49

sériciculteurs et paradoxalement, c'est à cause de cette convergence qu'en dépit de tout


ce qui a priori les sépare38, ils vontfinalementparvenir à composer une "communauté
hybride"39, soudée par une aventure collective. Dans Les Anthropo-logiques, G.
Balandier recense les conjonctures les plus propices à l'irruption de l'innovation. Il retient
en particulier celles à l'occasion desquelles "s'exprime, et se renforce l'opposition40 à
l'égard du pouvoir, de l'autorité et des groupes dominants". En ce cas, ajoute-t-il,
l'innovation, la contestation et l'opposition sont étroitement associées, les deux dernières
stimulant la première41.
L'habileté de Michel C. sera de réussir à rapprocher puis à transformer en force positive
des positions qui dévoilent en réalité de véritables difficultés à s'insérer dans le monde.
La relance séricicole s'inscrit à notre sens dans "une économie de la production
symbolique'"12 dont il convient d'analyser le mécanisme. En tant que projet de
développement économique, elle ne vaut que pour autant que lui fait écho un discours
sur les rapports entre économie et société. Dès lors qu'une stratégie de résistance de la
périphérie (les Cévennes) par rapport au centre se développe, elle s'accompagne en effet
d'une production symbolique sur la "spécificité du local"43.

Les occitanistes reprochent aux néos-ruraux leur manque de persévérance et aux


Cévenols non-militants leur immobilisme; ces derniers sont eux-mêmes ébranlés dans
leurs évidences morales par l'activisme des occitanistes et l'extravagance du mode de vie
des néos lesquels, pris au jeu de leurs propres contradictions, regardent parfois de haut la
population de souche. Pour l'analyse de ces relations conflictuelles, voir en particulier
Daniele Léger, "Les utopies du retour", Actes de la recherche en sciences sociales,
n°29, sept. 1979, pp. 46-63.
39
Jean-Baptiste Meyer, 1992, op. cit., p. 58.
40
En italique dans le texte.
41
Georges Balandier, Les Anthropo-logiques, Paris: Le Livre de Poche, 1985 (édition
revue, corrigée et augmentée), p. 273.
42
Michel Callón, "L'opération de traduction...", op. Cit., p. 122.
43
Pierre Boirai et Jean-Pierre Brouat, "L'émergence de l'idéologie localiste",
Sociologie du Sud-Est (spécial colloque identité locale, identité professionnelle), n°41-
44, juillet 1984-juin 1985, p. 39.
50

Il suffit alors de prêter attention à l'identité des acteurs qui se sont rapidement déclarés
concernés par ce projet pour s'apercevoir que les considérations techniques et
économiques ne sont pas seules à intervenir. Le renouveau séricicole s'ancre dans les
données géographiques, historiques, économiques et sociales qui ont forgé le territoire et
l'identité de ses habitants tout en tenant compte des transformations de l'espace rural. Il
incarne donc un projet de société tout autant qu'un programme de développement
économique: en se réalisant, la relance doit reproduire, à l'échelle de la communauté, la
micro-société fusionnelle qui s'est constituée à l'école du village, sous la houlette de
l'instituteur: "50% de marginaux, 50% de gens du coin: Il faudra qu'il y ait le maximum
de travail en commun... comme à l'école". Tel est l'objectif déclaré... et rêvé: une société
ouverte, comprehensive, coopérative. Dans cette perspective, l'économique est relégué à
l'arrière-plan et apparaît plus comme une condition du social que comme unefinen soi.

Examinons les "faits": du côté des spécialistes, l'efficience économique d'une relance
séricicole demeure improbable, même en tenant compte des acquis techniques qui
pourraient contribuer à abaisser dans des proportions significatives les coûts de
production. De plus, une enquête réalisée par la Compagnie nationale pour
l'aménagement de la région du Bas-Rhône et du Languedoc (C.A.B.R.L.) montre que le
ver à soie n'aurait plus "actuellement sa place dans les exploitations agricoles cévenoles
car la main d'oeuvre manque"44. Incontestablement, l'enthousiasme de la petite équipe est
loin d'être partagé. La plupart des spécialistes, on vient de le voir, sont sceptiques, qu'il
s'agisse des agronomes et des biologistes chargés par le Ministère de l'Agriculture d'en
évaluer l'opportunité ou du milieu professionnel qui, fort d'une longue expérience, doute
qu'un regain d'intérêt pour la sériciculture puisse se manifester. Pour tous ceux-là, une
page a été tournée et, bon gré mal gré, les Cévenols doivent admettre ce verdict.

44
Jean Claude Hugues, Etude des conditions de rentabilité et de l'intérêt d'une
production séricicole modernisée en France, Aies: Coopérative séricicole et lavandicole
d'Alès et des Cévennes, 1988, p.40.
51

"Relance de la sériciculture: un biologiste conclut à l'impossibilité de la tâche" peut-on


lire dans la presse régionale lors de la remise du rapport de la C.A.B.R.L.. La suite de
l'article est particulièrement édifiante:" Et parce que la poésie et le sentiment n'ont plus
cours en matière économique, on ne peut avoir qu'un seul espoir, c'est, comme le dit J.-
C. Hugues, dans 'la filière artisanale qui a quelque chance de se constituer*. Certes, il ne
faut pas voir là la renaissance de quelque chose mais ce peut être tout de même un 'pied
de nez' que la tradition fera au progrès! Maigre consolation"45. La relance? "Une mode
montée comme l'aïoli!" ironise pour sa part l'héritier d'une famille de graineurs très
connue sur la place alésienne au journaliste venu l'interroger46.
On pourrait se demander qui a raison, des experts qui s'appuient sur des données
techniques et économiques pour démontrer sa non-faisabilité ou des expérimentateurs de
Monoblet qui sont persuadés de parvenir à faire mentir toutes les prévisions. Poser le
problème en ces termes est en réalité sans grand intérêt pour l'ethnologue car il s'agit
d'une réduction économiciste qui se refuse à lier la logique de la production à la
dynamique du système social. La mesure des avantages et des coûts d'une innovation ne
suffit pas à expliquer pourquoi elle a vu le jour. C'est ainsi que la renaissance de la soie
prend naissance dans un système infiniment complexe de déterminations qui ne se
réduisent pas aux facteurs imposés par la logique linéaire du progrès.

La signification socio-politique que ses initiateurs inscrivent dans le projet de relance


séricicole n'est pas fortuite dans un contexte où précisément l'impératif de rationalité
économique permet de masquer la domination et l'exclusion dont sont victimes les
sociétés rurales marginalisées. Les arguments de non rentabilité, d'irrationalité
qu'avancent ses détracteurs, l'épithète de "combat d'arrière-garde" qui parfois la désigne,

45
Midi-Libre, 1977.
46
Jacques Espérandieu, "Cévennes: allez les vers!" L'Express, 28 juillet 1979.
52

expriment la "violence symbolique"47 exercée par les experts et les notables. Une
violence symbolique derrière laquelle on peut voir avant tout la défense d'une hiérarchie
sociale48 : que ce soit la "base" - "Monoblet: une expérience à la base"49 est le titre d'un
article sur la relance séricicole- qui prétende décider de son développement bouleverse en
effet les schémas habituels et ni les spécialistes du développement rural ni ceux de
l'industrie de la soie ne sont prêts à accepter d'être déboutés. La société des années 70
demeure de type "pyramidal"50.

Lors de la campagne séricicole de 1976, les éducateurs constatent que les mûriers haute-
tige qui ont résisté à la sénescence et à la reconversion des terres sont insuffisamment
productifs et ne parviendront bientôt plus à satisfaire les besoins croissants de la
magnanerie de Monoblet, auxquels s'ajoutent ceux des deux autres magnaneries qui
s'apprêtent à fonctionner dans le village. Sur les conseils de André S., Michel C. décide
de planter à son tour des mûriers de la variété Kokuso 21. Le défrichage des terres, la
préparation du sol et la plantation de 4000 pieds s'effectuent grâce à l'aide bénévole d'une
trentaine de personnes: anciens et nouveaux sériciculteurs mais aussi voisins et amis qui
manifestent ainsi leur soutien à l'initiative. Un petit groupe de passionnés s'est en effet
rangé à ses côtés, malgré l'avis réservé des experts51 mandatés pour évaluer la faisabilité
d'une relance séricicole, mais paradoxalement aussi à cause de celui-ci, leur jugement ne

47
Pierre Bourdieu, Le sens pratique, Paris: Ed. de Minuit, 1980, pp.215- 221.
48
"Le pouvoir ne consiste pas seulement à imposer des formes de travail mais d'abord et
avant tout un genre de vie, des conduites et des besoins": Alain Touraine, "le retour de
l'acteur", Cahiers internationaux de sociologie, LXXI, 1981, p.249.
49
"Monoblet: une expérience à la base", Causses et Cévennes, n°2, 1979, p. 15.
î0
"Entretien de Jacques Attali avec Joël de Rosnay", Le Monde, 18 janvier 1978.
51
A. Blanchemain, ingénieur chargé par le Ministère de l'Agriculture d'étudier les
conditions de possibilité d'une relance remet une conclusion prudente. Nous verrons
cependant que les personnes responsables de la relance ont eu parfois tendance à
déformer l'avis des experts. Pour quelles raisons? Nous y reviendrons.
53

faisant que renforcer la détermination des sériciculteurs: "Nous sommes hors-circuit, sans
subventions, ne comptant que sur notre solidarité... Incontrôlables et gênants, nous
prouverons que la soie cévenole n'a pas dit son dernier mot" déclare Michel C.52. C'est
finalement le conflit qui permet à une identité de groupe de prendre forme et
particulièrement lorsqu'il n'existe pas entre ses membres d'interactions permanentes et
spontanées53.

Arrêtons-nous un instant sur le groupe constitué par les pionniers de la relance. Il ne fait
pas aucun doute que leur association forme une combinaison inédite, modèle, à l'échelle
micro-régionale, d'une configuration sociale idéale dont nous avons dit plus haut que
l'école apparaissait comme la forme la plus accomplie. L'intéressement réussi d'acteurs
aussi différents que des néos-ruraux, des militants régionalistes et de vieux agriculteurs
ne signifie pas pour autant qu'ils composent une communauté homogène: la formulation
d'un objectif commun est dans tous les cas une construction sociale, le résultat fragile
d'un équilibre de forces. Tout processus de changement -et nous avons montré que la
relance séricicole en était un- est un "processus d'apprentissage collectif'54, impliquant
le développement de capacités relationnelles inattendues. Cette construction, montre E.
Reynaud, "ne se fait pas en sélectionnant ce qui, dans les enjeux ou les intérêts
individuels, est le plus largement commun ou diffusable mais ce qui, par la place qu'il
occupe dans la micro-culture, est le plus efficace. La cohésion sociale ainsi mise en place
est une cohésion par composition et non par communauté de caractéristiques"55. Ce sont

32
Jacques Maigne, "Cévennes, les nouveaux artisans de la soie", Sud, n°72, 13-19 juin
1977.
53
Nous développerons ultérieurement le rôle qu'ont tenu le conflit et l'accusation dans la
dynamique de la filière.
34
En italique dans le texte, Michel Crozier, Erhard Friedberg, L'acteur et le système,
Paris: Ed. du Seuil, 1992 (réédition), p. 35.
35
Emmanuelle Reynaud, "Identités collectives et changement social: les cultures
collectives comme dynamique d'action", Sociologie du travail, n°2, 1983, p. 167.
54

des facteurs passionnels et conjoncturels qui ont créé les conditions propices à la
formulation d'une communauté d'intérêts laquelle s'affirme donc davantage comme une
conséquence possible que comme une cause. Ainsi les plus jeunes sont-ils des actifs
économiques qui attendent de réelles retombées matérielles, ce qui n'est pas toujours le
cas des sériciculteurs à la retraite, particulièrement lorsque personne après eux n'envisage
de reprendre la ferme familiale.

En attendant que les kokusos récemment plantés entrent en production, les sériciculteurs
continuent à cueillir les anciens mûriers haute-tige des alentours et les élevages
connaissent toujours autant de réussite. L'augmentation de la production pose cependant
à nouveau la question des débouchés. Certes, il existe aux Magnans, autrement dit à
deux pas, unefilaturequi pourrait traiter les cocons de Monoblet. Pourtant, ces deux
initiatives, similaires dans leurs objectifs, ne parviennent pas à conjuguer leurs efforts et
les sériciculteurs monoblétois, au lieu de s'adresser aux Magnans pour faire filer leurs
cocons, vont décider de soutenir l'initiative d'un jeune Nîmois qui voudrait reconstituer
une filature artisanale.
On peut se demander pourquoi deuxfilaturestechnologiquement similaires ont vu le jour
de manière quasi simultanée.
Il existe en fait une profonde divergence de vue entre le projet de Monoblet et celui des
Magnans; divergence qui traduit un double problème de légitimité et de "philosophie" du
projet.
Question de légitimité: Edouard de C, le fondateur des Magnans, met en avant son
attachement à la défense des intérêts économiques des Cévennes et se présente
personnellement comme un Cévenol "d'origine56, d'âme et de coeur". Il appartient à cette
"poignée d'hommes farouchement attachés à leurs57 Cévennes58 " et circonspects face aux

î6
Souligné par nous.
37
idem.
55

initiatives prises par des Cévenols non estampillés et qui n'hésitent pas à se placer sur le
même terrain qu'eux. Michel C. est de ceux-là: fils d'immigrés espagnols et proche des
néos-ruraux, peut-il se réclamer d'une identité cévenole? Derrière ces initiatives jumelles
qui font l'une et l'autre référence à la sériciculture comme marqueur identitaire se dévoile
toute l'ambiguïté de cette revendication: l'appel à l'identité tel que le lance Edouard de C.
est avant tout, comme le montre A. Touraine, un "rappel à l'ordre" tandis que celui que
lui oppose Michel C. est "la revendication d'une capacité d'action et de changement"59.
La question de la légitimité de Michel C. à se poser en acteur du changement local sera
d'ailleurs toujours sous-jacente. Un article publié par Midi-Libre et qui présente Michel
C. comme "un homme profondément attaché à la terre cévenole qu'il ne connaissait pas il
y a encore 7 ans" va déclencher la colère de ses proches et ceux-ci vont accuser le
quotidien fautif, cible favorite de "Cévennes occitanes", d'avoir délibérément ignoré que
Michel C. est natif de Saint Hippolyte du Fort!

Question de "philosophie" également: Michel C. qui ne partage pas les vues du fondateur
des Magnans en matière de développement économique craint que l'alliance de leurs
deux réseaux parallèles l'oblige à des compromis. Le réseau notabiliaire qui soutient le
projet des Magnans pourrait par son influence altérer l'esprit de la relance monoblétoise
alors qu'elle tire sa force et sa capacité d'action de l'élan de solidarité qui fonctionne à
l'échelle de la communauté locale. A Monoblet, les instigateurs d'une renaissance
séricicole ne sont pas encore prêts à laisser "traduire" leur innovation par d'autres et
particulièrement quand ces autres, par les liens qu'ils entretiennent avec les sphères
décisionnelles, sont susceptibles de peser sur son devenir. L'alliance qui se met en place

Edouard de Cazalet, "Une tentative originale: la maison des Magnans", Causses et


Cévennes, 1979, p.8.
59
Alain Touraine, "Les deux faces de l'identité", Identités collectives et changements
sociaux, Toulouse: Privat, 1980, p.26.
56

autour du projet de Monoblet est donc également une alliance contre "les porteurs
d'autres avenirs possibles"60.
Tandis que pour les Magnans, la création d'une filature répond à un problème
d'écoulement de la production séricicole, pallie l'absence au plan national d'une structure
de transformation de la matière première, à Monoblet, elle rentre au contraire dans une
stratégie defilièreintégrée qui est à terme l'objectif poursuivi par l'équipe porteuse du
projet.
Les notions de stratège et tacticien que développe P. Flichy peuvent s'appliquer aux
porteurs des deux projets en compétition. En effet, alors que les premiers s'inscrivent
dans cadre de référence pré-existant et agissent au coup par coup, en fonction de ce
dernier, les seconds ont d'abord défini un projet et se sont ensuite donné les moyens de le
réaliser en délimitant un cadre de référence qui leur est propre61

Fort du soutien des sériciculteurs de Monoblet, le jeune filateur se met à la tâche et


entreprend de réparer le matériel de récupération, hors d'état de fonctionner.
En 1977, les pionniers de la relance séricicole ne forment encore qu'un réseau informel,
non structuré, dont le ciment n'est autre que l'enthousiasme. La plantation de kokusos
21, la multiplication des élevages, la création de la filature sont autant de facteurs qui
prouvent qu'une étape a été franchie dans le lent processus de l'innovation. Les faits sont
là et semblent démentir les rapports d'experts: il existe une réelle demande dont les
spécialistes n'ont pas su prendre l'exacte mesure.

La relance est à un tournant: elle est entrée dans une phase opératoire qui nécessite une
organisation. Comment passer du cercle étroit des pionniers à un réseau impliquant des

60
Bernard Eme, Isabelle Mahiou, Les Labyrinthes du local: réseaux, information,
développement, Paris: MSH, 1984.
61
Patrice Flichy, L'innovation technique, Paris: La Découverte, 1995, pp. 131-132.
57

innovateurs plus nombreux et qui n'appartiendraient pas à l'espace d'interconnaissance


initial? Comment également atteindre la sphère des décideurs qui contrôlent l'accès aux
aides publiques?

L'entrée en scène des porte-parole

1977 est une année riche en événements. Peu de temps avant le début de la campagne
séricicole, une autre campagne se déroule à Monoblet, politique celle-là. En effet, au
printemps, ont lieu les élections municipales.
Face à l'intérêt que suscite la relance séricicole, objet de débats passionnés entre partisans
et opposants, les candidats comprennent rapidement que cette expérience peut être un
argument polémique par rapport auquel la rhétorique électorale va pouvoir se déployer.
Parce qu'elle fonctionne comme marqueur identitaire et qu'elle se présente comme un
projet de développement local, la soie et sa renaissance vont devenir un des enjeux du
débat local, symbolisant l'opposition entre les forces conservatrices qu'incarne l'ancienne
municipalité et le "sang neuf des partisans d'un renouveau.

La stratégie va s'avérer payante: la liste du maire en exercice, d'obédience socialiste62,


peu favorable aux néos-ruraux et en conflit ouvert avec Michel C. qui ne manque pas de
l'épingler dès que l'occasion se présente, est battue à plates-coutures. La défaite est
cuisante. Elle témoigne de la redistribution des forces qui a eu lieu à l'échelon communal
sans que les édiles aient pris la peine d'y prêter suffisamment attention.
La liste qui sort victorieuse de la consultation populaire est menée par Jean M. qui se
réclame également de l'Union de la gauche. Elle s'intitule "Pour la prise en charge de leur
destin par les Cévenols eux-mêmes". Un programme qui fait implicitement référence au
mode de gestion de l'ancien maire, "un notable traditionnel régnant sur le déclin de sa

Il vient de l'ex SFIO.


58

commune", comme le dépeint G. D. Prémel63. L'équipe sortante ne manque pas de


diffuser la nouvelle partout à la ronde: de Saint Hippolyte à Lasalle, de Ganges à
Anduze, on ne parle plus que de la "prise de Monoblet" par les hippies et à la sous-
préfecture d'Alès on affirme que cette municipalité vient de basculer dans le gauchisme64.
C'est en partie grâce au vote des néos-ruraux que Jean M. a en effet réussi à conquérir la
mairie. A la différence de son adversaire malchanceux, il a su prendre la juste mesure de
la mutation sociale induite par leur installation sur le territoire communal. Aucune
démagogie cependant dans sa démarche, comme l'intitulé de sa liste en témoigne:
contrairement aux craintes formulées par ses opposants, il n'envisage pas de céder aux
néos-ruraux la gestion de la commune mais de les associer à son programme, au côté des
Cévenols de naissance. De fait, il s'est également attaché les voix d'une frange importante
de la population de souche qui désire enfiniravec l'inactivisme des anciens élus. Jean M.
a ainsi été dépassé par les événements: "quand nous nous sommes présentés, début 1977,
on n'avait pas envisagé très nettement d'avoir en charge seuls les affaires de la
commune... Mais le résultat des élections nous a mis en charge des affaires de la
commune puisque sur 11 postes notre liste en avait obtenu 10. Il a fallu faire face!"
Le maire, comme l'a dit M. Agulhon, est "un reflet social et anthropologique" de la
commune "au moins autant que politique". C'est cette dimension que Jean M. a
pressentie, ce qui va l'amener à défendre un programme ne cédant en rien à la tentation
consensuelle.

"La commune est condamnée à dépérir ou à ... innover" affirment les auteurs d'un
ouvrage sur les entrepreneurs ruraux65. Cela pourrait être la profession de foi du nouvel

63
Gérard D. Prémel, op. cit., p. 292.
64
Anne Valleys, "Monoblet: le retour des vers à soie", Libération, 18 juillet 1977.
63
Pierre Müller, Alain Faure, Françoise Gerbaux, Les entrepreneurs ruraux.
Agriculteurs, artisans, commerçants, élus locaux, Paris: L'Harmattan, 1989, p.l 11.
59

élu de Monoblet qui souhaite faire de l'innovation le fer de lance de la dynamique socio-
économique dont il a pris la tête. D'une certaine façon, le maire de Monoblet est
également un pionnier, un innovateur66. En ouvrant la voie à un autre mode de prise en
charge des affaires municipales, il annonce l'évolution de sa fonction qui sera entérinée
par la loi de décentralisation et se généralisera dans le courant des années 8067. La
composition de son conseil municipal mérite que l'on s'y arrête. L'instituteur du village,
par ailleurs leader de la relance séricicole, s'est également présenté à ses côtés; il lui
donne le titre de deuxième adjoint, montrant par ce choix stratégique la priorité qu'il
entend donner aux initiatives innovantes de redressement économique. On trouve
également sur sa liste un professeur retraité de l'enseignement supérieur, résident
secondaire à Monoblet.

Arrêtons nous un moment sur la dynamique de l'action municipale afin de montrer


comment la relance séricicole est connectée à un ensemble d'initiatives qui s'inscrivent
dans une véritable stratégie territoriale, démarche cohérente de revitalisation du tissu
social et économique qui s'ordonne en fonction de deux pôles d'action, l'un défensif,
l'autre offensif.
Un pôle défensif. Le Conseil municipal va rapidement prendre des mesures en matière de
gestion foncière afin d'empêcher la réalisation du programme immobilier que nous avons
évoqué plus haut. Selon le maire, "C'aurait été vouer la population de Monoblet à une

66
Toutes les initiatives innovantes issus du milieu rural ont des traits communs que l'on
retrouve dans le cas de Monoblet: il s'agit de régions marginalisées, caractérisées par une
économie précaire, peu modernisées et dont l'évolution démographique est
préoccupante; elles sont également marquées par l'émergence d'un sentiment
d'appartenance identitaire. Voir sur cette question Solange Passaris, "Un avenir pour les
zones marginalisées en France? L'approche de l'écodéveloppement", Cahiers de
l'écodéveloppement, n°14, 1980; p.41.
67
"La décentralisation doit briser les freins qui entravent les initiatives locales, permettre,
à un meilleur niveau, les décisions nécessaires à la promotion du développement
régional": Bernard Attali, "Le développement local, un enjeu essentiel pour l'équilibre
du territoire", Autrement, n°47, fev. 1983, p.233.
60

activité de serveurs, de plongeurs, de gardiens et de femmes de ménage"68. Afin de faire


obstacle à ce programme, la municipalité engage un véritable bras de fer avec la Société
Civile d'Investissement (SCI) en proposant la création d'une Zone d'Environnement
Protégé (ZEP) qui permettra de classer en "zone naturelle" la majeure partie des terres
concernées par le projet, les rendant de ce chef inconstructibles. On trouve dans un
supplément au bulletin municipal un plaidoyer éloquent en faveur de la ZEP, présentée
comme un outil au service des collectivités rurales. Admettant le caractère contraignant
de cette réglementation, l'équipe municipale rappelle que "L'intérêt collectif n'est jamais
la somme des intérêts individuels"69. Un autre exemple rapporté par G. D. Prémel illustre
la tactique défensive adoptée par les élus: lorsqu'en 1977 l'administration des PTT
menace de fermer le bureau de poste, l'équipe municipale parvient à convaincre en un
temps record une majorité d'habitants ainsi que les associations domiciliées sur la
commune d'ouvrir un Compte Chèque Postal et parvient à bloquer par cette ruse la
fermeture de l'établissement70 !
Un pôle offensif. La mairie travaille au coude à coude avec l'Association des Parents
d'Elèves; elle obtient ainsi un ramassage scolaire et soutient la relance de la fête votive
qui a lieu dans le courant du mois d'août; confrontée à la carence de logements alors que
les demandes affluent, elle participe à un syndicat intercommunal qui monte une
Opération Programmée d'Amélioration de l'Habitat (OPAH) laquelle aboutira à la
réhabilitation de logements locatifs. Mais ce qui nous retiendra surtout ici, c'est la place
que l'équipe municipale, maire et second adjoint en tête, entend faire au projet de relance
séricicole, situé à la croisée des patrimoines: foncier, socio-économique et culturel.

Gérard D. Prémel, op. cit., p.298.

Bulletin municipal, supplément au n°3/4, mars 1979, p.5.

Gérard D. Prémel, op. cit., p.300.


61

Revenons tout d'abord sur la période préélectorale.


La position respective du futur maire et de son second adjoint est révélatrice d'une
stratégie d'intéressement réciproque. En se réalisant, le projet de relance s'affermit, se
précise, prend de l'ampleur; des ambitions s'esquissent. Dès lors, une redistribution des
alliances apparaît comme nécessaire.
Michel C. pressent que la relance est condamnée à l'échec à plus ou moins brève
échéance si elle ne parvient pas à recruter des sériciculteurs chez les actifs agricoles et à
obtenir des aidesfinancières.Un projet de développement doit pouvoir compter sur les
forces vives d'une population, franchir les limites du territoire communal et se donner les
moyens de ses ambitions. Pour dépasser le stade du bricolage, convaincre d'autres
sériciculteurs et intéresser les organismes susceptibles definancerses projets, la relance a
besoin de porte-parole, de médiateurs qui soient en contact avec les décideurs.
Le soutien inconditionnel de André S. ne suffit pas à faire progresser le projet. Son
audience se limite à la sphère des spécialistes qu'il a d'ailleurs le plus grand mal à
mobiliser; pour les "séri-sceptiques", son entêtement à relancer la production de la soie
force davantage l'admiration qu'il n'emporte l'adhésion. Chacun sait en outre que le
maintien de la Station séricicole d'Alès, principal relais institutionnel de la relance, n'est
qu'une tolérance et qu'elle est destinée à disparaître à très brève échéance, avec le départ
à la retraite de son directeur71. La relance manque donc de représentants influents et
écoutés et Michel C, bien trop occupé à résoudre tous les problèmes techniques et
organisationnels, ne peut par dessus le marché assurer l'énorme travail de communication
auprès des décideurs. En outre, ses prises de position initiales ont laissé des traces: ce
n'est pas impunément que l'on conteste l'autorité des spécialistes et que l'on ignore les
réseaux notabilaires! "Innover c'est jouer des hommes contre d'autres hommes, c'est à

71
Ce qui se produira en 1978.
62

dire récuser certaines analyses et prévisions pour en accepter d'autres"72. Cela n'est pas
sans risque. C'est le sens de sa présence sur la liste conduite par Jean M.. De son côté, le
futur maire, en proposant à l'instituteur de le rejoindre dans l'équipe municipale, espère
élargir son électorat aux néos-ruraux dont les voix pourraient bien faire pencher la
balance en sa faveur. Comme nous l'avons vu, la suite des événements lui a donné raison.
En choisissant l'utopie73 contre le réalisme économique, en proclamant sa volonté
d'ignorer l'avis des experts74, Michel C. s'est attiré l'indifférence et parfois l'hostilité d'une
partie de ceux qui contrôlent l'accès aux finances publiques et n'entendent pas perdre de
temps avec des projets qu'ils jugent "fantaisistes". Erreur stratégique? Pas nécessairement
car c'est bien de cette façon qu'il a pu construire autour de son idée un premier réseau
d'alliés. E. Reynaud montre, exemples à l'appui, "le rôle fondateur et 'cristallisateur' du
conflit"75. On peut dire que l'image de l'innovateur que M. Callón76 qualifie de mythique
a ici parfaitement fonctionné. Etre en butte à l'incompréhension, poser les problèmes
autrement, faire preuve d'une obstination provocatrice... Tels sont les ingrédients qui ont
permis au projet de s'engager sur la voie incertaine de l'innovation en s'agrégeant ses
premiers alliés. En parlant d'un "mythe des origines", M. Callón ne confond-t-il pas la
genèse de l'innovation et sa diffusion? Dans la phase de diffusion, l'innovateur a toute les
chances de s'enliser s'il persiste à considérer le compromis comme une compromission;
on peut donc dire que le passage réussi à l'innovation signifie qu'il a quitté le terrain miné
de la contestation pour celui de la négociation. Si mythe il y a, c'est à ce niveau qu'il se

72
Madeleine Akrich, Michel Callón, Bruno Latour, A quoi tient le succès des
innovations", Annales des mines, n°ll, juin 1988, p.74.
73
Voir pp. 138-147.
74
Les choses ne sont cependant pas si simples et comme on le verra plus loin, Michel C.
sait habilement jouer "des hommes contre des hommes" si le conflit peut servir ses
objectifs!
75
Emmanuelle Reynaud, op. cit., p. 171.
76
Michel Callón, "L'innovation technologique et ses mythes", Gérer et comprendre,
n°34, mars 1994, pp.6-7.
63

situe: un innovateur dont l'innovation est couronnée de succès a effectivement depuis


longtemps cessé d'être à contre-courant!

Le choix du maire comme porte-parole de la relance est judicieux. Il possède une


connaissance très fine du pays et de sa population et ses compatriotes lui tendent une
oreille favorable. Jean M. a parfaitement pris la mesure du rôle de l'élu d'une petite
commune rurale dont les structures sociales et économiques sont détériorées. Il a
conscience qu'il ne suffit plus d'administrer des services et des biens publics mais qu'il
faut également "gouverner le local", c'est à dire le diriger en tenant compte des
ressources locales, des contraintes extérieures et des partenaires susceptibles de l'aider
dans son développement". S'il veut atteindre les racines du déclin de sa commune et pas
seulement lui maintenir la tête hors de l'eau, il doit se comporter comme un véritable
entrepreneur public, capable de prendre des risques socio-économiques mesurés en
encourageant les projets qui lui paraissent les plus novateurs.
Concernant Monoblet, l'inventaire des ressources qui offrent un potentiel d'innovation est
rapidement bouclé: la relance de la soie est incontestablement l'initiative la plus
dynamique, la plus "porteuse" en ce sens qu'elle atteint un haut degré de cohérence au
plan économique, social et symbolique.
C'est pourquoi, en décembre 1977, une réunion se tient dans les locaux de la mairie de
Monoblet, à l'initiative du maire et de son second adjoint. Les anciens et les nouveaux
sériciculteurs sont venus en nombre, les parents d'élève également, dont un tisseur à bras
installé sur la commune; deux élus sont présents au côté de Jean M.: le maire de
Soudorgues, par ailleurs conseiller général du canton et celui de Saint André de
Valborgne qui cumule également les deux mandats. Au total, une trentaine de personnes,
extrêmement motivées, qui appartiennent à la fois aux réseaux traditionnels fondés sur

77
Pierre MuIIer, Alain Faure, Françoise Gerbaux, op. cit., p. 121.
64

les relations de parenté et/ou de voisinage et au groupe des néos-Cévenols. A l'issue de la


réunion est créée l'Association pour le développement de la sériciculture en Cévennes
(ADSC) qui deviendra le fer de lance de la relance séricicole.
65

L'organisation de la relance

L'Association pour le Développement de la Sériciculture en Cévennes


(ADSC)

Le siège social de l'Association pour le Développement de la Sériciculture en Cévennes


est fixé à la mairie de Monoblet. Présidée par Michel C, elle se donne pour but de
"promouvoir le développement de la sériciculture, de la filature et du tissage de la soie
dans les Cévennes" et de programmer "toute action susceptible de permettre ou de
faciliter ce développement ainsi que toute action ou toute recherche susceptible
d'apporter de nouveaux débouchés économiques". Elle a enfin pour mission "de diffuser
toute connaissance et informations techniques, économiques et sociales touchant la
sériciculture" et s'engage à assurer "la formation des agriculteurs, éleveurs, et de toute
personne désirant investir dans cette activité"1.

Le choix de la formule associative pour structurer la relance séricicole participe d'un


itinéraire relativement classique2; c'est celui qu'ont adopté la plupart des innovateurs
cévenols3: entre le réseau informel et la structure véritablement opérationnelle vient
s'intercaler la formule souple de l'association qui fonctionne comme un "accumulateur

Statuts de l'Association pour le Développement de la Sériciculture en Cévennes


(ADSC).
2
Jean-Paul Fuchs, "La vie associative, moteur du développement micro-régional",
Pour, n°82, avril 1982, pp. 74 -75.
3
La plupart des innovateurs cévenols sont en effet issus de structures associatives qui
concrétisent des réseaux relationnels préexistants. L'association "La pensée sauvage" qui
réunissait des "nouveaux installés" a ainsi donné naissance à la SICA Biotope qui produit
et commercialise des plantes médicinales; T'association cévenole", réseau de notables
locaux, est également à l'origine de la SICA Pleurote.
66.

d'énergie". L'association est souvent au point de départ du processus de développement


local4.
Ce choix souligne au moins deux choses:
- que les acteurs de la relance ne se veulent pas (pour l'instant?) des opérateurs
économiques stricto sensu, comme le conçoit une définition étroitement économiciste du
développement et qu'ils préfèrent à cette dernière une interprétation qui intègre tous les
aspects, aussi bien sociaux, culturels qu'économiques5. La création de l'association est en
quelque sorte une première marche qui objective une demande sociale et culturelle. A ce
stade, son enjeu de fond doit s'analyser en ces termes: pour gagner sur le front
économique, elle doit en premier lieu fournir la preuve qu'elle est capable de mobiliser
des acteurs sociaux. La "rentablité" sociale et culturelle est un préalable à la rentabilité
économique.
- qu'ils souhaitent néanmoins disposer d'un pouvoir de représentation et de négociation
afin d'accéder à une réelle visibilité sociale. Tant que l'initiative demeure informelle et ne
donne aucune assurance quant à son pouvoir mobilisateur, les pouvoirs publics l'ignorent
et se refusent à intervenir.
Il y a donc une relative urgence à officialiser la démarche. D'autant que, vers la fin des
années 70, les responsables de la politique d'aménagement rural commencent à prêter
attention aux multiples initiatives expérimentales et s'interrogent sur leur capacité à
répondre aux besoins des régions économiquement sinistrées6. Le Ministère de

4
Alain de Romefort, "Les associations dans le processus de développement local",
Pour, n°87, janv-fev 1983, p.36.
5
L'intérêt économique du développement local réside probablement dans sa capacité à
traiter simultanément sur un territoire donné tous les aspects économiques, sociaux et
culturels du développement..." Bernard Attali, op. cit., p. 233.

6
" Nous sommes condamnés à avoir une agriculture plus économe et plus autonome.
Des solutions qui paraissent aujourd'hui originales, et, à la limite, non recevables, vont
faire l'objet, dans les quinze, vingt ans à venir, de recherches absolument nouvelles"
déclare en 1978 Jacques Poli, le nouveau directeur de l'INRA. Cité par Daniele Léger,
67

l'Agriculture, celui de l'Equipement, soutiennent parfois ces tentatives innovantes, moins


pour leur éventuelle réussite que parce qu'elles se situent dans le champ expérimental
qu'ils considèrent comme vital pour l'avenir des zones rurales. Les mécanismes classiques
de la création économique n'étant pas toujours adaptés, il faut trouver "des processus
quelquefois tout à fait surprenants qui bousculent les idées reçues, les hiérarchies du
pouvoir et des savoirs et qui, au niveau local, organisent des solidarités7 ". L'association
régie par la loi de 1901 est incontestablement l'un de ces processus auxquels les acteurs
du développement local ont eu massivement recours.
C'est ainsi que le Directeur départemental de l'Agriculture décide de participer dans le
plus strict anonymat à une réunion d'information organisée par les membres de
l'association. Intrigué, séduit par la passion et l'opiniâtreté des organisateurs de la
manifestation, il demande à un chargé de mission d'aller voir de plus près ce qui se trame
du côté de Monoblet. Ce dernier se laisse convaincre: "ce qui était le plus fort... C'est
cette donnée du capital de l'histoire et d'une tradition très forte qui au fond réapparaissait
dans les préoccupations d'un noyau de gens motivés par des raisons économiques (l'idée
de vivre au pays, comme ça se disait à l'époque): comment trouver des activités et des
ressources permettant de rester dans ces régions".
Sur avis favorable du chargé de mission, la Direction Départementale de l'Agriculture
décide de financer une étude pour s'assurer de la viabilité économique d'une filière
intégrée et se dit prête, en cas de réponse positive, à mettre en oeuvre un
"accompagnement technique etfinancier",le directeur jugeant que l'avenir des zones de
montagne dépend principalement de leur capacité à innover.

Bertrand Hervieu, Le retour à la nature. Au fond de la forêt... l'Etat, Paris: le Seuil,


1979, p. 206.
7
Alain de Romefort, op. cit., p. 37.
68.

L'association lance au printemps 1978 sa première campagne séricicole officielle. Dès le


mois de février, elle diffuse une affiche auprès de toutes les mairies cévenoles; les
sériciculteurs se voient proposer la fourniture gratuite de vers à soie polyhybrides*
sélectionnés que l'association se.charge de faire naître et qu'elle conduit en nourricerie*
jusqu'au deuxième âge, soit environ une dizaine de jours après la naissance. Elle s'engage
à acheter la récolte au prix de 43 frs8 le kilo de coconsfraisde premier choix afin que les
sériciculteurs soient assurés de percevoir une rémunération équivalente au SMIC pour le
temps de travail qu'ils consacrent à cette activité. 34 éducateurs des départements du
Gard, de la Lozère, de l'Ardèche, de l'Hérault et même de la Drome répondent à l'appel.
Ils produisent d'avril à juillet 1978 une tonne et demie de cocons qu'ils se sont engagés
contractuellement à remettre en totalité à ADSC.
La dimension des chambrées est variable: tandis que les anciens ne récoltent pas plus de
5 à 10 kilos chacun, les plus jeunes, qui espèrent en tirer un revenu complémentaire,
atteignent jusqu'à 60 kilos. Un résultat modeste mais encourageant si, comme les y
incitent l'association, ils adoptent par la suite le principe de l'imbrication des élevages au
cours d'une saison séricicole allant d'avril à octobre. Les sériciculteurs doivent livrer leur
récolte à Monoblet où l'association centralise les cocons; elle se charge ensuite de les
faire étouffer à la coopérative castanéicole de Lasalle, le chef-lieu de canton; elle les livre
enfin à Dominique B. qui, dans son atelier nîmois, assure leur transformation: filature,
moulinage et enfin teinture.

8
Ce prix d'achat est élevé puisqu'il porte le prix du kilo de soie grège aux environs de
350 frs soit plus du double du prix mondial (140 frs en 1978). Il s'agit en outre d'une soie
grossière qui devrait faire l'objet d'une décote par rapport à la soie chinoise d'un grade
supérieur. Rappelons que le prix du kilo de cocons est fixé non pas en fonction du prix
de la soie grège sur le marché international comme il serait logique de le faire, mais par
rapport à un niveau de revenu jugé correct pour le sériciculteur. En d'autres termes:
assurons nous d'abord les producteurs et nous étudierons seulement ensuite le marché!
69

Lafilièreintégrée est donc en bonne voie de concrétisation. ADS va déjà au-delà de ce


qui se faisait traditionnellement en Cévennes9 sur une base organisationnelle
radicalement différente: des éducateurs aufilateur,tous sont au même titre membres de
l'association qui supervise chaque étape de la chaîne opératoire. La structure associative
permet au sériciculteur de ne plus être en situation de dépendance à l'égard de l'acquéreur
de ses cocons qui, dans l'ancienne formule, établissait son prix en fonction du cours
international, sans tenir compte des coûts de production locaux.
Le prixfixépar l'association, en concertation avec les éleveurs, est cependant prohibitif si
on le compare à celui du marché et si on tient compte du fait qu'il doit trouver acquéreur
auprès de tisseurs indépendants qui peuvent difficilement payer la soie 3 à 4 fois plus
cher qu'ils ne le feraient à Lyon.

Mais Michel C. et André S. savent pertinemment qu'ils n'ont pas vraiment le choix. S'ils
veulent retenir les sériciculteurs actuels et même en recruter, qu'il s'agisse de nouveaux
ou d'anciens éleveurs, ils doivent les rassurer sur la rentabilité de la sériciculture. Avec
des nuances, selon leurs interlocuteurs. En effet, l'argument qui peut inciter de jeunes
agriculteurs à s'orienter vers cette activité est principalement d'ordre économique: la
sériciculture constitue à leurs yeux une possibilité de diversification propre à leur assurer
un complément de ressources appréciable, tandis que ceux qui ont déjà pratiqué cette
activité alors qu'ils étaient eux-mêmes jeunes agriculteurs, généralement dans les années
50-60, sont avant tout poussés par un désir de revanche: "Lesfilateurs,ils nous ont eu,
jusqu'à l'os! On se tuait au travail pour autant direrien!Alors moi, je trouve que c'est une
bonne chose, que le sériciculteur y trouve son compte". Proches de la retraite ou déjà

9
Les Cévennes étaient spécialisées dans l'élevage des vers à soie et la production de soie
grège (filature); les autres opérations étaient effectuées dans d'autres régions: en Ardèche
pour le moulinage, à Lyon pour la teinture et le tissage. Seules exceptions: la bonneterie
(les bas de soie, en particulier) et le tissage des déchets de soie, activitéflorissantedurant
tout l'Ancien Régime. Les cocons, cardés puis filés au fuseau, donnaient un fil appelle
filoselle avec lequel était tissée une soie du même nom. Avec les déchets defilature,on
obtenait une qualité particulière d'étoffe, la bourrette.
70.

retraités, souvent sans successeurs, ils sont à la fin des années 70 certainement moins
soucieux de résultats économiques que leurs cadets. Eduquer à nouveau des vers à soie,
c'est avant tout donner tort à tous ceux qui ont refusé d'envisager la possibilité d'un
redémarrage de cette activité. Leur motivation est essentiellement symbolique; il s'agit de
faire un pied de nez à l'histoire.
Ceci étant, cette situation ne peut être que transitoire car la relance risque de s'essouffler
rapidement. Dans la mesure où la politique de prix élevé qui donne son assise à l'amont
de lafilièreest maintenue, l'intégration de l'aval, c'est à dire du tissage, revêt un caractère
d'extrême urgence. Où trouver des clients pour une soie trois fois plus chère que celle qui
circule sur le marché?
C'est dans ce sens que va désormais travailler l'équipe, instruite par l'expérience des
"Magnans" qui avec une courte longueur d'avance ont tenté de résoudre ce délicat
problème.

ATISSOF: un label "soie des Cévennes"

"Les Magnans" sont en effet à l'origine des premiers essais de tissage contemporain à
partir d'un fil de soie cévenol. En 1976, ils proposent à Michel A., un tisseur installé à
Saint Jean du Gard, de tester le fil qu'ils ont mis au point. Fait de deux brins* de 75
deniers* chacun, il peut être utilisé indifféremment enfilde chaîne* ou de trame* par les
tisserands à bras. Michel A., plus connu sous le nom de G., est spécialisé dans le tissage
du lin depuis une vingtaine d'années; jamais encore il ne s'est aventuré dans le monde de
la soie. La proposition a cependant de quoi le séduire: dans son milieu professionnel,
cettefibreest parée d'un grand prestige et les canuts lyonnais forment l'élite du métier. Il
est en outre un "nouveau Cévenol" et son intérêt pour l'histoire sociale et culturelle de sa
terre d'élection trouve ainsi un moyen de s'exprimer. En dépit des difficultés inhérentes
au fait qu'il approche un matériau dont il ignore les caractéristiques, il parvient après
71

quelques tâtonnements à tisser le premier métrage de soie cévenole, renouant ainsi avec
une vieille tradition languedocienne: "un moment de grande émotion que la première
présentation de cette étoffe", se souvient Daniel T.10, ardent défenseur de la culture
cévenole et élu de Saint Jean du Gard, qui a apporté son soutien à l'expérience de G.. Au
dire de tous les spécialistes qui examinent ce taffetas, le résultat est effectivement
probant: le tissu est nerveux, d'une bonne tenue, d'un éclat vibrant. On est loin de la
filoselle ou de la bourrette d'autrefois, ces étoffes modestes, ternes, tissées dans le cadre
domestique à partir d'unfilobtenu par cardage des déchets de soie!
Ce succès encourage G. à poursuivre dans cette direction et à inciter à son tour d'autres
tisseurs à s'engager dans cette voie. Plusieurs d'entre eux se sont installés dans le Midi de
la France, emportés par le flux de 68; les métiers artisanaux sont alors à la mode et les
tisseurs à bras renouent avec une tradition technique qui s'était éteinte. Mais les
matériaux qu'ils utilisent sont généralement la laine ou le lin. Pas plus que G., ils ne
connaissent les spécificités de la soie et le passage à cettefibrenécessite un apprentissage
délicat et de longue haleine pour maîtriser les tours de main et adapter les métiers. Une
association des tisseurs en "soie de France" est fondée en 1978 sur l'initiative de G.. Elle
a pour objectif de promouvoir un tissage artisanal de qualité de la soie française et de
créer et gérer un label national pour les tissus produits11. Parmi ses membres, on trouve
des tisseurs expérimentés et de renom ainsi que plusieurs personnalités appartenant au
monde de la soierie lyonnaise: un canut de la Croix Rousse auprès duquel G. s'est initié
au tissage de la soie, un ingénieur textile, créateur pour une grande maison de soierie
lyonnaise, et un expert du Musée des tissus de Lyon. La naissance de cette association
marque donc un rapprochement avec le milieu lyonnais avec lequel les Cévennes
conservaient un contentieux que nous avons déjà évoqué.
10
Daniel Travier, "Métiers à bras et 'soie de France'", Causses et Cévennes, n° spécial,
1979, p. 26.
11
ATISSOF a créé et déposé la marque Sorose - Soie des Cévennes, caractérisée de la
façon suivante: un titre élevé, une origine exclusivement française, un tissage soigné.
72.

L'unique fournisseur des tisseurs est alors le CAT qui produit un fil teint et présenté en
bobines, au prix de 500 frs le kilo H. T.12. Un prix extrêmement élevé, dû au faible
niveau de production et de technicité. Dans ces conditions, les tisseurs qui l'emploient
ont bien des difficultés à honorer leur créance et le directeur de l'établissement leur
accorde, entre autres facilités de paiement, de régler la soie achetée au fur et à mesure
des ventes. Un espace de vente est même créé sur place afin d'accroître la capacité de
commercialisation.

Lorsque à son tour ADSC sort son premier fil de soie, André B., le président en exercice
d'ATISSOF, prend contact avec l'association qui accueille fraîchement les propositions
des tisseurs. Elle justifie cette réticence en invoquant l'insuffisance de la consommation
de soie des tisseurs à bras: est-il concevable d'asseoir une production séricicole sur un
marché qui se limite à une poignée d'artisans? Pour faire ce constat, Michel C. s'appuie
sur l'activité des "Magnans" et sur l'étude réalisée par un expert, à la demande du Parc
National des Cévennes. Sur les 163 tisserands contactés, seulement 23 se déclarent
intéressés par le tissage de la soie. Les quantités souhaitées, inférieures à 10 kilos par
tisseur, donnent à penser que le marché, dans l'hypothèse la plus optimiste, ne pourrait
pas dépasser 500 kilos par an. Pour Michel C, le tissage artisanal est un frein au
développement de l'activité séricicole qu'il considère comme prioritaire. Il constitue le
"goulet d'étranglement" de la chaîne "du sol au tissu".
11 existe cependant une contradiction entre les ambitions et ce qu'elle peut réellement
faire. En effet, la qualité de la soiefiléepar Dominique B. demeure artisanale. Irrégulière,
elle ne convient pas au tissage sur des métiers mécaniques qui seuls peuvent consommer
d'importantes quantités de fil en raison de leur rapidité de travail. Les premiers à utiliser
le fil d'ADSC seront donc également des tisseurs à bras: Marie L., une tisserande

12
Les Magnans peuvent se permettre ce prix de 500 frs parce qu'ils sont subventionnés
en tant que Centre d'Aide par le Travail. Ce n'est pas le cas d'ADS. Pour assurer au
sériciculteur un prix au kilo de cocons de 43 frs, elle devrait vendre lefil750 frs le kilo!
73

installée à Saint Jean du Gard ainsi que Dominique F., un parent d'élève de Monoblet,
membre actif d'ADSC.
On peut néanmoins s'étonner de la réticence manifestée par Michel C. à l'égard des
initiatives d'ATISSOF alors qu'ADSC n'est de toute façon pas en mesure de satisfaire le
marché qu'elle voudrait atteindre. Peut-être faut-il lire derrière les arguments avancés une
réserve dont les fondements sont à rechercher à la fois dans l'histoire de la soie cévenole
et dans l'aventure d'ADSC. Il y a en premier lieu la représentation importante du milieu
lyonnais au sein d'ATISSOF, or, comme nous l'avons évoqué à maintes reprises, les
Cévenols conservent une sourde rancoeur à son égard et Michel C, en digne dépositaire
d'une culture technique et d'une mémoire sociale, n'en est pas totalement affranchi13.
Comme G. le fait remarquer, "les tisseurs avaient le cul entre deux chaises: ils étaient
difficilement admis dans le milieu lyonnais et d'autre part considérés comme inféodés à
Lyon par les gens des Cévennes". En second lieu, il y a une divergence de vues: Michel
C. s'inscrit dans une démarche de développement local qui privilégie l'amont de la filière
(la sériciculture) sur l'aval14 tandis que G. met en évidence le rôle décisif des tisseurs qu'il
considère comme la clé de voûte de la filière puisque ce sont eux qui confèrent au
produit toute sa valeur ajoutée. Pour l'équipe de Monoblet, la phase séricicole était
prépondérante parce que non seulement elle était "celle qui au niveau création d'emplois
présentait le plus fort potentiel", mais elle traduisait aussi "l'attachement à la terre, avec
une symbolique plus forte que tout ce qui était transformation". Les tisseurs, en
revanche, ne prétendent pas perpétuer une tradition. Ils veulent plutôt que leur apport

13
"Nous sommes la zone de production de la matière première. Nous sommes par
conséquent 'le pays sous-développé' par rapport aux soyeux lyonnais qui depuis le début
du siècle ont précipité notre pays dans le gouffre" déclare Michel C. dans la revue Le
Règne, n°23, 29 novembre 1981.

14
H soutient que si on peut être tisseur n'importe où, la matière première pouvant se
transporter aisément, on ne peut être sériciculteur que dans un terroir où le mûrier et le
ver à soie se sont acclimatés.
74.

soit apprécié à sa juste valeur; valeur d'usage mais aussi valeur esthétique puisque c'est
ATISSOF qui a apporté la preuve qu'on pouvait faire du tissu haut de gamme avec le fil
de soie des Cévennes.
Malgré leurs divergences, l'ADSC et ATISSOF parviennent à un accord: chaque tisseur à
bras détermine avec l'association la quantité de soie qu'il pense consommer, le titrage et
les coloris qui l'intéressent et les délais de livraison du fil; en contre-partie, elle précise le
type d'article qu'elle souhaite obtenir (cravates, métrages...), la quantité d'articles dont la
valeur correspond à la valeur de la matière première qu'elle fournit ainsi que les délais de
livraison. Les articles commercialisés par ADSC sont griffés "Association des Tisseurs
en SOie de France" et l'association est autorisée à ajouter sa propre griffe15.
L'intérêt de ce contrat est qu'il évite aux tisseurs de faire l'avance de sommes importantes
pour l'achat dufilet qu'il garantit un débouché à la soie d'ADSC 16. La contractualisation
est une étape décisive sur la voie que s'étaitfixéel'association, à savoir la mise en oeuvre
de lafilièreintégrée.

L'atelier de Gréfeuilhe

ADSC renouvelle chaque année l'expérience des élevages et poursuit l'effort de


réappropriation et d'approfondissement des savoir-faire liés à la production et à la

13
Exemple d'un contrat conclu entre Dominique F. et ADSC en décembre 1979:
Dominique F. s'engage à acheter à ADSC 10 kgs de soie sous forme de fil, au prix de
750 frs H.T. soit 882 frs TTC. Le paiement s'effectuera comme suit:
- avant le 1 mars 1979, livraison de 14,70 m de tissu de soie, largeur 150 cm, utilisable
pour 2/3 en habillement et pour 1/3 en cravates,
- avant le 15 mars 1979, livraison de 22 cravates et 20 echarpes (10 en 130 x 25 cm et 10
en 150 x20 cm).
L'ADSC livrera 5 kgs de fil de soie 150 deniers, deux bouts, torsion 180 à 200 tours au
mètre, coloris au choix du tisseur avant le 15 janvier 1979 et le reste ultérieurement après
accord entre le tisseur et le filateur.
16
Les deux partenaires ont dû préalablement établir les équivalences entre la valeur du fil
et celle du métrage ou du produit fini.
75

transformation de la soie, se confrontant au marché national et international afin d'établir


les modalités d'une relance à plus grande échelle, dans des conditions techniques et
économiques optimales.
Elle expérimente ce que pourrait être un véritable développement séricicole et vérifie la
pertinence de ses hypothèses de départ quant aux conditions qui doivent être rassemblées
pour que la relance ait des chances de réussir:
- ne pas réitérer la dépendance antérieure à l'égard des soyeux lyonnais,
- mettre en place une filière intégrée. C'est à dire regrouper sous forme coopérative
toutes les étapes de la chaîne opératoire, "du sol au tissu",
- se donner les moyens d'affrontrer la concurrence internationale en s'en démarquant
grâce à des productions nettement caractérisées par leur originalité et leur qualité.

L'association explore ainsi diverses voies, hésitant entre le long terme qu'incarne l'option
industrielle et le court terme de la filière artisanale prônée par ATISSOF. La première,
ambitieuse, "utopiste", est incontestablement celle qui a la faveur de Michel C, compte
tenu des possibilités de développement limitées qu'offre la filière artisanale. La seconde
offre cependant l'avantage d'une mise en oeuvre plus rapide et surtout moins coûteuse
puisque les investissements ont été supportés par des individus dont les outils de
production, qu'il s'agisse de Dominique B., le filateur, ou des tisseurs, sont déjà
opérationnels.

Face aux responsables d'ADSC, ces derniers ne manquent pas d'arguments en faveur de
la filière artisanale, comme en témoigne le passage suivant extrait de la lettre envoyée par
un expert du Centre International d'Etude des Textiles Anciens (CIETA): " Sincèrement,
je pense que si l'on envisage de produire... une soie régulière, qui ressemblera comme
une soeur à la soie chinoise, tout en coûtant deux fois plus cher... on va tout simplement
76.

au sucide, car... qui l'achètera?!... Aurisquede me répéter, je vous dis: conservez à votre
soie un titre assez gros et un aspect irrégulier"17.
C'est ainsi que dans le but de satisfaire un marché potentiel représenté par les tisseurs sur
métiers à bras qui réclament un fil doupionné18 * original offrant selon eux une garantie
de commercialisation, l'équipe de Monoblet fera l'acquisition d'une bassine de filature
doupion*, matériel qu'elle devra faire venir à grands frais du Japon où se concentre alors
toute la technologie soyeuse. Mais les essais réalisés ne seront pas concluants: le prix de
revient du fil s'avère extrêmement élevé et les tisseurs se refusent à payer plus de 1000
frs le kilo pour un fil qui dans l'échelle de classification de la soie est considéré comme
d'un grade inférieur. Nous reviendrons sur cet échec et ses conséquences.

Le forfait de Dominique B. qui décide d'abandonner son activité defilateurva précipiter


le changement de cap auquel aspire ADSC. Convaincu, contre l'avis des tisseurs et des
experts, que c'est en fabriquant un fil moins artisanal qu'il pourra étendre la gamme de
produits et du même coup développer l'activité séricicole qui demeure son objectif
majeur, Michel C. décide alors de se tourner vers la fabrication d'un fil de qualité
industrielle en se dotant d'unefilaturesemi-automatique.

La municipalité va être le cadre idéal pour réaliser ce projet et accomplir cette


restructuration.
En sa qualité de deuxième adjoint, Michel C. est en situation de peser sur les orientations
de l'équipe municipale et de son côté le maire s'emploie à mettre en oeuvre une politique
de création d'activités afin de générer des emplois locaux, facteur de stabilisation d'une
jeunesse encore trop souvent tentée par l'émigration. Il s'agit de briser le cercle vicieux
17
Lettre du 7 juillet 1980.
18
II s'agit d'unfilde soie présentant des caractères d'irrégularité très marqués, obtenus à
partir de pelettes* ou doupions*, c'est à dire de la partie du cocon qui reste au fond de la
bassine aprèsfilatureou de cocons doubles.
77

dans lequel les zones en déclin sont enfermées: une région qui perd ses emplois perd sa
population et cette perte ne fait qu'aggraver en retour la situation de l'emploi19.
Ce tandem va fonctionner avec une grande efficacité, grâce à une distribution des rôles
particulièrement bien orchestrée. Michel C. se heurte au problème épineux de sa
reconnaissance par les instances publiques comme représentant du groupe dont il est le
porte-parole, au regard des investissements recherchés et de l'engagement
communautaire qu'ils nécessitent. Il ne lui suffit pas, en effet, d'être crédité de la
confiance de son entourage pour que sa légitimité soit également reconnue par les
instances extérieures. Comme le constate J.-J. Alain, "un leader... n'est pas seulement
celui en qui une population, s'identifie mais aussi celui qui est facilement identifié et
reconnu de l'extérieur"20. La question "qui parle au nom de qui?"21 pose le problème de
la représentativité du porte-parole, que l'on ne doit pas confondre avec celui de la
représentation. Il faudrait ajouter: "en direction de qui?" En effet, il s'agit moins de se
demander si Michel C. a bien qualité pour agir et parler au nom des agriculteurs tentés
par l'activité séricicole, que de s'interroger sur sa capacité à être admis comme
représentant par les sphères extérieures. Sa fonction d'enseignant et son statut de second
adjoint ne suffisent pas à le légitimer et les pouvoirs publics, excepté la Direction
Départementale de l'Agriculture qui a financé l'achat de la bassine doupion, sont encore
hésitants.
Dans un système social régi par une démocratie représentative, qui, mieux que le maire,
pourrait incarner ce pouvoir de représentation? Son fort "coefficient" de légitimité lui
permet en effet d'accéder directement aux plus hautes sphères décisionnelles. C'est donc

19
Louis Chauvel, "La désertification du territoire, 1954-1990", Revue de l'OCDE, n°5,
oct. 1994, n°5, pp. 89-122.
20
Jean-Joseph Alain, "La dynamique du développement rural. Le cas du Lochois" in:
Paul Bachelard, op. cit., p. 45.
21
Michel Callón, "Eléments pour une sociologie...", op. cit., p. 192.
78.

Jean M., le maire de Monoblet, qui va prendre en main, au regard des interlocuteurs
institutionnels et corrolairement bailleurs de fonds, le devenir de la filière séricicole.
Après Rose S. et André S., il devient le nouveau maillon de la chaîne des médiateurs,
"vecteurs de la traduction socio-technique" pour reprendre une expression de M.
Akrich22.
Comme le notent, P. Müller, A. Faure et F. Gerbaux, "La 'contrainte à l'innovation' du
rural s'accompagne presque automatiquement d'une 'contrainte au cadre collectif"23.
Cette double contrainte incite le maire à se comporter en entrepreneur, en manager de
l'activité socio-économique de sa commune, investi d'une mission qui revêt dans ces
circonstances un véritable caractère d'urgence: freiner le dépérissement en suscitant, en
encourageant, en accompagnant toute initiative créatrice d'emplois. Face au maire sortant
dont la légitimité était liée à son statut de notable, Jean M. a construit la sienne sur son
expérience d'enseignant agricole qui laisse présager une intelligence profonde des
problèmes de la profession ainsi que de réelles compétences à concrétiser les initiatives
émergeant au niveau local: "c'est à partir de la formation adulte que j'avais pris
conscience des problèmes de fonds qui se posaient à l'époque. Les problèmes fonciers,
les problèmes de cession de propriétés, d'installation des jeunes, de renouveau de cette
agriculture qui dans notre région n'était pas particulièrement brillante; c'est tout ça qui
m'a prédisposé à agir pour inverser le processus et à favoriser toutes les initiatives locales
qui se présentaient. Et l'initiative majeure, c'était la relance séricicole" témoigne Jean M.
Tandis que Michel C. se charge d'élaborer le projet, établit les dossiers et effectue un
voyage d'étude au Japon afin de choisir le matériel approprié, le maire prend son bâton

22
Madeleine Akrich, "Comment les innovations réussissent", Recherche et
technologie, n°4, 1987.
23
A propos de la défense du projet séricicole passant par la défense du foncier, voir ce
que disent des enjeux que représente la gestion foncière pour les maires des petites
communes rurales Pierre Müller, Alain Faure, Françoise Gerbaux, op. cit., p. 121-
124. Et Gérard D. Premel, op. cit., p. 77.
79

d'élu et fait le tour des partenaires institutionnels susceptibles d'accorder un appui


financier ou un soutien efficace au projet: Directions Départementales de l'Equipement et
de l'Agriculture, services du Conseil général et de la Préfecture...
Deux années seront nécessaires à la concrétisation du projet. A l'affût de toutes les
mesures que les pouvoirs publics, en cette période qui précède la décentralisation,
prennent en faveur des zones rurales en difficulté, le maire va dans un premier temps
profiter de la politique d'atelier-relais, initiée par le Ministère de l'Artisanat. C'est ainsi
qu'il parvient à faire financer l'achat, la restauration et l'aménagement d'une ancienne
magnanerie, un bâtiment rectangulaire de près de 40 m de long qui se dresse à 2 km du
village. Dans le projet initial, il est prévu que l'atelier de Gréfeuilhe abritera, outre la
filature, un atelier de ferronnerie et une imprimerie, permettant de créer, toutes structures
confondues, une dizaine d'emplois. Un chiffre qui prend toute sa valeur si on le resitue à
l'échelle communale et si on tient compte de son impact psychologique. On attend certes
de ces créations d'emplois qu'elles maintiennent sur place des actifs, mais aussi, et peut-
être surtout, qu'elles prouvent que l'émigration n'est pas une fatalité si on est capable de
faire preuve d'imagination et d'esprit d'entreprise.

Bien que sa tâche soit facilitée par l'approbation unanime du Conseil municipal, le maire
doit affronter les partisans de l'ancienne municipalité qui lui reprochent de négliger les
affaires courantes de la commune au profit d'une initiative marginale et incertaine. Le fait
est que la complexité du dossier dont il a la charge et son souci de réaliser une "opération
blanche", c'est à dire qui ne coûte rien à la commune, l'amène en effet à consacrer toute
son énergie à la création de l'atelier. Sa ténacité sera récompensée, comme en témoigne
le montage financier de l'opération. Les subventions représentent en effet 80% du
montant total de l'opération24 et les 20% restants sont couverts par les cotisations et un

24
Les subventions proviennent de l'Etablissement Public Régional ( 1TEPR, l'organisme
qui a précédé le Conseil régional), des Ministères de l'Environnement et de l'Artisanat, de
la Direction Départementale de l'Agriculture et du Fonds Interministériel pour le
Développement et l'Aménagement Rural (FIDAR).
80.

emprunt municipal auprès du Crédit Agricole. Les locataires de l'atelier de Gréfeuilhe


s'engagent à payer à la municipalité un loyer annuel correspondant au montant du
remboursement du prêt.

Les travaux de réhabilitation sont effectués en 1980-81 et les entreprises -qui à l'arrivée
ne sont plus que deux, l'imprimeur ayant renoncé entre temps- peuvent s'installer. Michel
C. obtient de l'Education nationale une autorisation de mise en disponibilité sans solde
pour l'année scolaire 1981-1982 afin de se consacrer entièrement au programme de
relance de l'activité soyeuse et à l'organisation de la production et de la
commercialisation.
Dès l'été 1981, il peut ainsi procéder à la mise en route de lafilature,secondé par Pierre
G., un néo-rural embauché par l'association comme technicien polyvalent, autrement dit
"homme à tout faire", comme il se désigne lui-même. Cependant, lafilaturene permet de
produire qu'un fil grège, c'est-à-dire un fil brut qui doit subir encore plusieurs opérations
avant de pouvoir être utilisé en tissage ou en bonneterie. Une seconde tranche
d'investissement est donc programmée pour acquérir les équipements complémentaires:
moulins, bancs de mise en flotte*, assembleuse-retordeuse, bacs de teinture et de
décreusage*, métiers à tisser et ourdissoir* ainsi qu'une armoire de deshydratation pour
les cocons, le tout représentant un investissement de près d'1 000 000 de francs.

Début 82, l'outil de production est en état de marche. Potentiellement, l'atelier est équipé
pour traiter 20 tonnes de cocons. Avec une production de cocons d'environ une tonne et
demie, on est encore loin du compte mais les conditions sont désormais remplies pour
que la sériciculture connaisse le développement souhaité puisqu'il faudrait atteindre le
nombre de deux cents sériciculteurs pour produire les 20 tonnes de cocons prévues. Les
cocons de l'année précédente donneront 250 à 300 kilos de soie grège, moulinée, en fil
81

de trame, à raison de 200 tours à la seconde et, en fil de chaîne, à raison de 400 tours/s.
La soie ouvrée est ensuite teinte dans une gamme de huit coloris.

Durant toute la phase de mise en oeuvre de lafilature,il devient clair que l'ADSC ne sera
bientôt plus un instrument juridique adapté pour gérer la relance séricicole. La création
d'unefilaturesemi-automatique exige en effet des moyensfinanciersqui ne sont pas à la
portée de l'association dont la capacité d'autofinancement est liée aux seules cotisations
de ses membres. Les sériciculteurs, paysans de souche ou néos-ruraux, ne sauraient
parvenir à rassembler le budget nécessaire à l'acquisition de la filature et à son
installation. Outre cette question déterminante des investissements, il faut également voir
dans la restructuration qui est envisagée le passage d'un projet social à un authentique
projet d'entreprise, avec tout ce que cela signifie (y compris le droit de partager les
bénéfices, ce qui est interdit dans le cadre associatif).

La SICA Soie-Cévennes

Comme nous le suggérions plus haut, le dessein économique qui prend forme dès 1979 et
intègre des activités agricoles, industrielles, commerciales etfinancièresva bien au-delà
de ce qu'une association régie par la loi du 1 juillet 1901 est effectivement habilitée à
gérer. C'est ainsi qu'une SICA voit officiellement le jour en octobre 1981, après un an et
demi de négociation avec les pouvoirs publics. La SICA Soie-Cévennes a plusieurs
fonctions. Une fonction agricole: regrouper les sériciculteurs, leur assurer un revenu
complémentaire provenant de la vente des cocons, diffuser les nouvelles méthodes
d'élevage et approvisionner les sériciculteurs en plants de Kokusos 21 multipliés par
bouturage. Une fonction semi-industrielle et artisanale: assurer les différentes étapes de
transformation des cocons, filature, moulinage, teinture, tissage. Une fonction
commerciale: écouler les produits de la filière. Leur liste illustre la capacité de ses
82.

dirigeants à s'adapter aux opportunités du marché et à diversifier au maximum son


activité, faisant ainsi preuve d'intuition et de coup d'oeil, qualités que J. Shumpeter
attribue à l'innovateur. L'adaptabilité, la flexibilité de la SICA est révélatrice de sa
"réactivité", c'est à dire sa capacité à saisir une opportunité de marché25.
Ainsi voit-on la SICA, dans ses premières années d'exercice, vendre ses productions
auprès d'une dizaine de clients différents. Des centres de recherche (Villejuif et l'INRA)
pour les chrysalides et vers à soie, deux sociétés parisiennes intéressées par l'huile de
chrysalides, les syndicats d'initiatives du Gard qui recherchent des cocons sur la bruyère
pour la clientèle touristique, la "Maison de la mouche" qui fournit aux pêcheurs à la
mouche du fil de soie grège, les tisseurs à bras, membres de la SICA, qui utilisent du fil
ouvré* et cardé*, un établissement de confection lyonnais qui s'approvisionne en étoffes
et enfin des clients "directs" auprès desquels elle écoule du fil à broder, des tissus et des
produits finis.
Initiée dès 1980, la SICA obtient cependant tardivement son agrément ministériel car la
chambre de commerce juge qu'un tel statut n'est pas compatible avec la vocation
industrielle de lafilière.Elle n'est enregistrée au Ministère de l'Agriculture que le premier
octobre 1981, lorsque cet obstacle est enfin levé grâce aux interventions concertées du
maire et de la direction départementale de l'agriculture. La SICA, constituée sous forme
de société civile, est autorisée à accueillir en son sein des membres non-producteurs de
cocons. Les parts A sont détenues par des agriculteurs et des éleveurs de vers à soie
(dont l'activité principale n'est pas nécessairement l'agriculture) tandis que les parts B
sont réservées aux tisseurs de soie et aux techniciens qui travaillent à l'atelier de
Gréfeuilhe.

Norbert Alter, "La lassitude de l'acteur de l'innovation", Sociologie du travail, n°4,


1993, p. 453.
83

Poursuivant sa stratégie d'enrôlement des acteurs sociaux et en particulier des politiques,


Michel C. fixe le siège de la SICA à Lasalle. Il s'agit pour lui d'élargir le réseau de ses
appuis politiques, Lasalle étant le chef lieu du Canton.

La création de la SICA et de l'atelier-relais marque une étape décisive dans le processus


de mise en oeuvre de la filière intégrée. Cette organisation originale constitue ce que
l'ensemble des acteurs de la relance séricicole considère comme la meilleure solution
possible26 : celle qui permet de concilier une stratégie d'intégration au marché de la soie,
obligeant à tenir compte de la concurrence chinoise, avec une démarche localiste qui tend
à valoriser au mieux la production séricicole cévenole. En d'autres termes, la SICA a
pour ambition de réaliser la quadrature du cercle puisqu'elle doit parvenir à rendre les
produits de lafilièreconcurrentiels en réduisant drastiquement l'ensemble des coûts de
production, de transformation et de vente tout en accordant aux sériciculteurs qui sont sa
raison d'être une rétribution qui excède largement ce que permet la concurrence. Ce
choix, périlleux sur le plan économique et de fait hautement improbable dans une logique
d'entreprise, ne peut trouver d'explication pleinement satisfaisante si on omet de faire état
d'une des dimensions fondamentales de la relance: elle constitue une réparation. Comme
nous l'avons en effet évoqué à plusieurs reprises, les Cévenols qui ont vécu
douloureusement la disparition de la sériciculture n'ont pas pardonné à la Fabrique
lyonnaise qu'ils accusent d'avoir sacrifié la production nationale à son intérêt propre en
faisant pression pour que les pouvoirs publics adoptent le régime des primes plutôt
qu'une politique protectionniste. Pour comprendre le raisonnement qui a conduit les
responsables de lafilièreà créer ce type de structure, il convient donc de bien mesurer
toutes ces implications.

26
Ce faisant, ils sacrifient à la "rationalité techniciste dominante du one best way",
insufflée par un positivisme qui s'exprimera à maintes reprises dans les choix effectués
ultérieurement. Michel Crozier, Erhard Friedberg, op. cit., p. 26.
84.

M. Crozier et E. Friedberg ont montré que tout "construit organisational" se fonde sur
des relations de pouvoir qui mettent aux prises des acteurs "dépendant les uns des autres
dans l'accomplissement d'un objectif commun qui conditionne leurs objectifs
personnels"27. Lafilièreintégrée n'échappe pas à cette logique. C'est ainsi que la position
des sériciculteurs au sein du dispositif est fonction du rapport de force qu'ils
entretiennent avec leurs clients, les tisseurs. Dans la mesure où l'explication donnée
localement à l'effondrement de la sériciculture -nous n'entrons pas ici dans le débat, nous
contentant de reproduirefidèlementle discours qui nous a été tenu- met principalement
en cause les Soyeux dont dépendaient la sériciculture et la filature, on comprend sans
peine que le fondement même de la relance consiste à s'affranchir de cette dépendance
grâce à la mise en place d'unefilièreintégrée au sein de laquelle le rapport de pouvoir
puisse être, si ce n'est inversé, du moins neutralisé. Il s'agit plus exactement de placer
structurellement sériciculteurs et tisseurs en situation de dépendance réciproque alors
qu'en réalité il y a dépendance unilatérale: les sériciculteurs n'ont qu'une clientèle, les
tisseurs, alors que ces derniers, disposant potentiellement de plusieurs sources
d'approvisionnement, sont toujours en position de faire jouer la concurrence.
L'intégration des différents acteurs techniques au sein d'une même structure qui fixe
rigoureusement les modalités de leurs échanges est donc le moyen d'amoindrir, voire de
supprimer, le déséquilibre des forces. C'est bien une volonté de réparation qui est à
l'oeuvre: trouver une solution qui empêche de reproduire l'inégalité antérieure, instituer
un mécanisme de contrôle social de la production qui parvienne à corriger cette inégalité.
Avec plus ou moins de clairvoyance en ce qui le concerne, Michel C. se sent investi de
cette mission. Son statut de fils d'immigré espagnol n'est pas étranger à sa volonté de
fournir des gages de son appartenance à la société cévenole.

27
Michel Crozier, Erhard Friedberg, op. cit., p. 66.
85

De la phase proprement séricicole au tissage à bras, chaque étape de production et de


transformation est contrôlée par la SICA qui fixe les modalités de participation de
chacun de ses membres. Toutefois, règlement oblige, les parts A, détenues par les
sériciculteurs, sont nécessairement majoritaires. C'est ainsi qu'à travers l'assemblée
générale qui a pouvoir de décision sur les actions entreprises par l'organisation, ce sont
les éleveurs qui, détenant le plus grand nombre de parts, en assurent de fait le contrôle.
Le choix d'une SICA comme mode d'organisation en dit long sur les intentions des
porteurs du projet de relance séricicole: il s'agit de créer une structure dont les règles de
fonctionnement limitent considérablement la marge de manoeuvre des tisseurs qui sont
"naturellement" en position dominante. Cette stratégie de nivellement des différences
montre donc que les responsables de la filière privilégient un objectif social plutôt
qu'économique.
La constitution de la SICA marque le passage, voulu par les instigateurs de la relance,
d'une dépendance verticale, hiérarchique, à une interdépendance quasi organique qui
s'inscrit dans une logique communautaire. N. Alter a montré que dans les situations
techniquement et socialement complexes, l'entraide et la coopération s'accompagnent
souvent de convivialité car ces difficultés supposent la manifestation de sympathie,
d'identité de sentiments afin d'être dépassées28. Mais la communauté ainsi créée est
fondamentalement précaire et il est fréquent, comme il le constate ensuite, après "les
quelques mois initiaux de fusion utopique", de voir se mettre en place des mécanismes de
rejet de l'"éthique égalitariste". C'est ce phénomène que l'on verra progressivement
apparaître au sein de la SICA, l'élan collectif se diluant dans le sentiment d'une
interdépendance oppressante.

Pendant deux années, avec l'aide de André S., l'instituteur étudie sans relâche la façon
d'améliorer les techniques séricicoles afin d'abaisser le prix de revient du kilo de cocons

28
Norbert Alter, op. cit., p. 455.
86.

tandis que le maire joue pleinement son rôle de porte-parole: de la préfecture de


département au Conseil général en passant par les Directions départementales de
l'Agriculture et de l'Equipement et la Chambre d'Agriculture, il tente de convaincre ses
interlocuteurs de soutenirfinancièrementl'association. A ce stade, le nerf de la guerre
n'est plus l'opiniâtreté et l'enthousiasme mais l'argent. Sans aidefinancière,l'association
atteint ses limites. Une enquête réalisée auprès des tisseurs à bras est à cet égard sans
ambiguïté: à 350 frs le kilo, la soie grège est trop chère pour eux et même avec la
meilleure volonté du monde, la solidarité présente certaines limites.
87

Les innovateurs

Dans une première partie, nous avons essayé de montrer la place qu'occupe l'innovation
dans le processus de relance de la sériciculture. Il s'est en effet fondé principalement sur
deux propositions d'innovation considérées comme des conditions nécessaires à son
accomplissement: la diffusion du mûrier kokuso et la mise en oeuvre du principe de
filière intégrée. Comme nous avons déjà eu l'occasion de l'affirmer, le développement à
l'échelle régionale d'une production séricicole, but ultime de tout le dispositif, était
tributaire de la réalisation de gains de productivité et de la diminution des coûts de
production.

Nous avons indiqué que les nouveaux sériciculteurs ont majoritairement adopté le
kokuso et que la filière intégrée a réussi à se concrétiser avec la création de la SICA.
Peut-on alors affirmer que la relance qui a ainsi réalisé les hypothèses sur lesquelles son
développement s'était fondé, est une innovation réussie?
Le soutenir nous semble discutable pour au moins deux raisons.
Bien que le taux de diffusion du kokuso 21 auprès des sériciculteurs soit relativement
élevé, le nombre des actifs (agriculteurs à temps complet, pluri-actifs et autres) qui se
sont "convertis" à la sériciciculture demeure en effet très faible. Il nous semble qu'il serait
en réalité plus juste de considérer que la validation de cette innovation ne peut venir que
de l'augmentation éventuelle du nombre des sériciculteurs au sein de la population rurale
et surtout à la pérennisation de leur activité. C'est d'abord en intéressant un cercle plus
large que celui des pionniers puis en se banalisant et en s'inscrivant dans la durée que
l'innovation se réalise. Le temps de la SICA n'est donc pas le temps de l'innovation et il
est selon nous nécessaire de disposer d'un recul suffisant pour être en mesure d'en juger.
88

Il en va de même pour lafilièreintégrée dont on ne peut estimer la réussite qu'en tenant


compte du facteur temps. Va-t-elle parvenir à se maintenir? Pour le savoir, il nous faudra
suivrefidèlement,presque au jour le jour, son évolution.

Contentons-nous pour l'instant de poser à nouveau la question de l'innovation dans le


processus de relance.
Depuis le début, Michel C, André S. et avec eux les experts qui soutiennent le projet
comme en particulier Philippe de M., chargé par la DDA de le piloter, ont conscience
que la filière intégrée n'est pas la solution miracle qui viendra à bout de tous les
obstacles. Il y a loin, en effet, du modèle à la réalité. Le raisonnement qui tend à
démontrer, chiffres à l'appui, que la maîtrise de l'ensemble des opérations de production
et de transformation par une seule organisation aboutit en bout de chaîne à un produit
compétitif ne prend pas en compte deux facteurs qui nous paraissent fondamentaux:
l'intérêt manifesté par la population à l'égard de cette activité et qui conditionne
fortement l'adoption des innovations et d'autre part les coûts liés à l'acquisition et à la
maîtrise de la technologie propre aux phases de transformation.

Qui sont les sériciculteurs?

Nous avons indiqué que le groupe des sériciculteurs-innovateurs, dont les intérêts et les
attentes varient en fonction de la classe d'âge, de l'origine géographique et de la catégorie
socio-professionnelle initiale, est bien loin de former une communauté homogène. Il
faudrait maintenant tenter de le cerner un peu plus précisément et voir comment il évolue
dans le temps mais aussi dans l'espace. Comment aussi il réagit face aux propositions
d'innovations qui lui sont soumises.
89

La relance1 a vu le jour à Monoblet et s'est développée tout d'abord dans les villages et
hameaux voisins. Toutefois, la mise en oeuvre d'une véritable dynamique d'incitation à la
sériciculture, à partir de 1979, a contribué à élargir le territoire de la relance. L'affichage
intensif dans les mairies a en effet permis de sensibiliser une trentaine d'éleveurs,
héraultais, gardois, lozériens et drômois. Michel C. et toute son équipe n'ont pas ménagé
leurs efforts pour intéresser de plus en plus de personnes à cette activité, multipliant les
réunions d'information tant en Cévennes que dans les départements voisins qui possèdent
une tradition séricicole et où une mémoire encore vivace ne demande qu'à être réveillée:
le Var, la Basse Ardèche et le Sud de la Drôme où des groupements d'éleveurs ne tardent
pas à se constituer. C'est à la suite d'une de ces réunions que Lixiane P. a décidé de
franchir le pas: "Il y avait sur la commune un gars qui faisait du ver à soie. On a organisé
une soirée avec Michel, des diapos sur le ver à soie et ça m'a plu". Bernard F. fait à peu
de choses près le même récit: "Au foyer rural, ils ont fait des conférences sur les métiers
anciens et on a su qu'il y avait un nommé Michel C. qui venait parler de la sériciculture.
Ma soeur y est allée en disant: 'je vais voir s'ils achètent les cocons de ma mère...' "
C'est surtout dans les cantons de Saint Hippolyte du Fort, Lasalle, Saint André de
Valborgne et Bessèges que l'on compte le plus grand nombre de sériciculteurs, anciens et
nouveaux éleveurs confondus, car la proximité est un facteur décisif dans l'adoption de
l'innovation, la tendance à l'imitation se combinant avec la possibilité de recevoir un
appui technique individualisé.

Une liste des éleveurs datée de 1982 fait état de 34 sériciculteurs, à part égale de sexe
masculin et féminin. A peine plus de la moitié d'entre eux sont recensés comme
agriculteurs, les autres sont employés, ouvriers, artisans, fonctionnaires et même
retraités. Les quantités de cocons produites se situent dans une fourchette très large qui

Nous ne tenons pas compte ici de l'expérience du CAT des Magnans qui reposait sur la
concentration de l'élevage dans un espace unique.
90

va de 3 à 166 kilos. Un tiers des sériciculteurs a produit moins de 10 kilos de cocons, un


second, de 10 à 29 kilos et le dernier tiers, de 30 à 166 kilos. Trois sériciculteurs
seulement ont dépassé les 100 kilos. Il s'agit de Sylvie H., la compagne de Michel C, et
d'un agriculteur varois qui livre ses cocons à ADSC. En fait, on retrouve dans cette liste
aussi bien ceux qui élèvent quelques grammes par nostalgie ou amitié que ceux qui
recherchent un complément de revenu. S'il est vrai que ce sont les petits ruisseaux qui
font les grandsrivières,il y a cependant fort à parier que la courbe de production d'une
poignée de retraités ne sera pas ascendante et que le temps se chargera d'éclaircir les
rangs, la nostalgie cédant le pas au handicap de l'âge. Pris individuellement, les
sériciculteurs sont donc loin d'être tous des innovateurs!
Il faut noter que cette liste officielle2 ne donne pas les mêmes chiffres que ceux qui ont
été communiqués à la presse par les responsables de la SICA. Le nombre réel des
éleveurs y est en effet inférieur d'un tiers à celui qu'ont publié les médias locaux sur la
base des informations qui leur ont été transmises! En fait, nous allons trouver à plusieurs
reprises des surévaluations de ce type qui visent à accréditer l'image d'un mouvement
plus ample qu'il n'a été en réalité.

Une enquête effectuée la même année auprès des sériciculteurs en activité mais aussi de
tous ceux qui pourraient envisager de le devenir, va nous aider à mieux appréhender les
modalités de diffusion de la sériciculture.
L'enquête, réalisée par la SICA, porte sur 100 personnes situées dans une fourchette
d'âge allant de 30 à 60 ans, toutes "susceptibles d'être intéressées par le développement
de l'activité séricicole". Ce critère d'intérêt est difficile à cerner. Il semble qu'il fasse
référence à deux types de rapports possibles à la sériciculture:
- un rapport direct: il s'agit d'anciens sériciculteurs ou enfants de sériciculteurs pour qui
la sériciculture constitue un épisode essentiel de l'histoire personnelle ou familiale,

2
C'est à partir de cette liste qu'est établi le montant des aides attribuées par le FORMA.
91

- un rapport indirect: il s'agit alors de personnes dont le profil est assez flou puisque sans
qu'elles aient de lien avec la sériciculture, on considère qu'elles pourraient être tentées
par cette activité en raison de leur profession et/ou de leur genre de vie.

59 personnes sur les 100 interrogées appartiennent à la catégorie des anciens éleveurs et
de leurs descendants. Près des deux tiers d'entre eux ne souhaitent pas refaire du ver à
soie, invoquant qui son âge et la pénibilité du travail, qui la conversion de son
exploitation, le démantèlement de l'outil de production et -ceci étant une conséquence de
cela- le montant trop élevé des investissements préalables (plantation de mûriers,
construction d'une magnanerie mieux adaptée...).
Une série d'entretiens que nous avons réalisés près d'une dizaine d'années plus tard en
nous référant à cette liste nous a ensuite permis d'affiner les réponses et de les mettre en
perspective.

Au cours des précédentes décennies, les agriculteurs implantés sur les secteurs proches
de Monoblet se sont massivement tournés vers la viticulture et ceux de la région de
Valleraugue vers la production fruitière (la pomme "reinette"). Il faudrait donc qu'ils
libèrent une superficie minimale de 1/2 à un hectare pour y planter des kokusos. Rares
sont ceux qui peuvent compter sur des plantations anciennes pour faire la soudure en
attendant que leur nouvelle plantation entre en production car ils ont généralement
arrachés les vieux mûriers, leur présence étant une gêne lors des travaux agricoles. La
viticulture et la culture fruitière sont en outre difficilement compatible avec une activité
séricicole effectuée de façon "moderne": les éducations de printemps et d'été ont lieu
alors que la charge de travail est la plus lourde et celles d'automne coïncident avec la
vendange et la cueillette des pommes. La plupart des magnaneries ont été transformées
pour les besoins familiaux ou en gîtes ruraux pour l'accueil touristique, souvent grâce à
une utilisation plus ou moins licite de T'Aide à l'amélioration des magnaneries". Quoi
qu'il en soit, la relance est encore à un stade expérimental et il est trop tôt pour envisager
92

de s'endetter afín de construire une magnanerie moderne et de planter des kokusos. Chez
les plus âgés, la sériciculture n'a pas laissé que de bons souvenirs; sentiments mêlés de
nostalgie et de refus d'un labeur jugé harassant et dont le corps garde encore la mémoire:
"Ils étaient raides, les escaliers de la magnanerie, on s'y est tué! Monter, descendre,
monter.... C'était tout le jour, on avait l'impression que çafiniraitjamais!" me dira cette
ancienne séricicultrice. Et puis il y a tous ceux, autour de la quarantaine, qui ne sont plus
tout à fait de "jeunes agriculteurs" et dont la situation familiale les incite à penser que
l'exploitation ne sera pas reprise lorsqu'ils arrêteront; ceux-là excluent tout
investissement à long terme: "Je nerisquaispas de me lancer, j'avais pas de suite derrière
moi!" déclarent-ils.

Ils sont cependant 24% à s'être lancés dans l'aventure de la relance et 13% envisageaient
en 1982 de s'y essayer à leur tour.
Au moment de l'enquête, ce sont les cantons de Lasalle et de Saint Hippolyte du Fort,
effet de proximité oblige, qui présentent la plus forte proportion d'anciens sériciculteurs
qui ont franchi le pas et c'est dans le département de l'Ardèche que se concentrent ceux
qui se disent prêts à recommencer. Sur le canton de Saint Jean du Gard on ne trouve
qu'une seule réponse positive émanant d'un ancien sériciculteur. Ce qui tendrait à
prouver, dans la mesure où on considère le panel des enquêtes comme représentatif, que
les agriculteurs de ce secteur sont nettement plus démoralisés que dans le Piémont
cévenol et méfiants à l'égard d'une relance qu'ils associent au mouvement de retour à la
terre. Plusieurs estiment que subventionner la sériciculture serait du gaspillage car ses
chances de redémarrer leur paraissent à peu près nulles.
Autour de Monoblet, ce sont les élevages scolaires qui ont eu un rôle incitatif auprès des
agriculteurs. Marc C, un parent d'élèves, viticulteur aux Montèzes, a planté 380 mûriers
kokusos 21 et élevé des vers à soie plusieurs années de suite dans son ancienne
magnanerie: "Je l'avais fait pour mon fils et aussi pour Michel... Moi, je suis pas contre
tout ça, au contraire, parce que vous voyez pas? Partout, la zone rurale, c'est tout
93

abourri..". Certains jeunes agriculteurs, anciens camarades de classe de Michel C, ont


été portés par la dynamique d'innovations qui s'est développée dans toute cette zone au
début des années 80. La relance séricicole relève de la même démarche que la culture des
plantes médicinales ou le renouveau de la châtaigneraie et ce sont souvent les mêmes
personnes qui s'investissent dans ces projets: Serge C, un agriculteur qui s'est également
lancé dans la culture des médicinales se déclare lors de l'enquête de 82 prêt à tenter
l'aventure de la sériciculture3. Il en va de même pour Michel J. "un gars du pays qui a
toujours habité ici, fait le paysan. Tout ce qui était innovateur, les plantes médicinales, il
en a fait un peu. Il a beaucoup de terrain et le jour où les kokusos se sont plantés, il s'est
dit Tourquoi pas?'... Un gars comme ça! Il a essayé de faire pousser du safran, il fait
essentiellement du châtaignier. Un des premiers gars à remettre en état les châtaigniers et
à replanter, à greffer...".

Parmi les personnes consultées, 41 n'ont en revanche aucun lien avec le milieu séricicole.
Il s'agit principalement de néos-ruraux originaires d'autres régions ou Cévenols d'origine
élevés dans les villes de la plaine languedocienne, Aies, Nîmes ou Montpellier. On
comprend aisément pourquoi: les Cévenols de souche qui sont "restés au pays" sont tous
liés à ce milieu car la sériciculture était pratiquée autrefois par l'ensemble de la
population rurale. Les personnes contactées font généralement partie de réseaux
transversaux4 qui tissent des liens au sein d'une population de néos-ruraux implantées
dans les départements méridionaux. ADSC peut elle-même être considérée comme un
réseau de ce type.

Son projet séricicole tournera court car il choisira finalement le maraîchage.


4
Parmi ces réseaux, certains se fondent sur des relations établies en fonction du lieu
d'origine (la vallée Borgne a ainsi accueilli plusieurs couples venant du nord-est de la
France), d'autres en fonction de la profession (les tisserands) d'autres encore en fonction
de pratiques de consommation (les personnes qui s'approvisionnent dans des
coopératives de produits bios)...
94

Plusieurs facteurs expliquent le manque d'intérêt de près des 2/3 de ceux qui n'ont pas de
lien historique avec la relance. Il faut noter en premier lieu la question foncière que
Michel C, à juste titre, avait dès le départ considérée comme décisive: "pour faire des
élevages de vers à soie, il faut un lopin de terre, des mûriers, des locaux... Parmi ces
marginaux qui s'installaient ici, il y en avait certains qui avaient un peu de terre souvent
en location, plus ou moins des arrangements, donc ils investissaient pas dans des
plantations à long terme, ils faisaient du court terme et donc de la chèvre. Une
production qu'on commercialise directement, facile à transporter..." Les éleveurs caprins
ou les apiculteurs n'ont pas besoin de posséder de la terre pour se lancer et c'est
seulement après plusieurs années d'exploitation de fait que se régularisent les
"arrangements" conclus avec les propriétaires. La situation est différente avec le mûrier
qui nécessite un investissement de départ relativement élevé. La non-propriété ou
l'absence de bail de fermage en bonne et due forme constitue alors un obstacle à
l'installation car le futur sériciculteur craint de ne pouvoir récolter la feuille des mûriers
qu'il a plantés s'il n'a pas de garanties à long terme concernant l'usage de la terre.
Et puis le ver à soie, soutient cet ancien sériciculteur, "c'est quelque chose qui attirait pas
le citadin! On y vient pas comme ça, il faut avoir baigné là-dedans". Le fait est que
l'intérêt de cet élevage échappe quelque peu à ceux qui n'ont pas été plongés dès leur
plus tendre enfance dans ce climat émotionnel si particulier qui caractérise l'éducation du
ver à soie. "Pour comprendre, il faut y être passé" affirme un ancien. A cet égard, les
parents d'élèves de Monoblet sont particulièrement bien placés puisqu'ils ont pu
bénéficier d'une première expérience à travers les élevages scolaires qui a éveillé leur
curiosité et touché en quelque sorte la "corde sensible" qui vibre si singulièrement chez la
plupart de ceux qui ont été amenés à "éduquer" cette chenille.

Il est frappant de constater que l'argument de non-rentabilité n'est pratiquement jamais


avancé dans l'enquête de 1982 et sur ce point la stratégie des responsables de la relance
est payée de succès: le prix du kilo de cocons apparaît aux sériciculteurs comme tout à
fait correct.
95

Parmi les sériciculteurs en activité et les futurs sériciculteurs, la plupart envisagent


l'accroissement de sa mûraie ou sa création (lorsqu'ils n'ont jusque là utilisé que des
anciens mûriers haute-tige) ainsi que la modernisation d'une ancienne magnanerie ou la
construction de locaux.
On peut délimiter deux principales zones de développement séricicole: Monoblet et les
communes gardoises qui l'entourent ainsi que le Sud de l'Ardèche. Plusieurs témoignages
montrent qu'un "habitus" technique encore vivant ou simplement moins altéré qu'ailleurs
incite à se lancer dans la sériciculture et aussi à persévérer, sans qu'il soit toujours
possible de démêler ce qui relève d'un réel maintien des savoir-faire et ce qui renvoie plus
largement à une culture technique, comme système collectif de symboles et de
représentations auquel on est rattaché ou auquel on voudrait l'être. Chez les néos-ruraux
qui forment le gros du bataillon des nouveaux sériciculteurs, la possibilité de s'appuyer
sur les conseils d'un voisinage qui a pratiqué la sériciculture jusqu'au début des années 60
contribue à une prise de décision positive. Deux séricicultrices, Hélène V. Et Lixiane P.,
reconnaissent qu'elles attachent une importance particulière à ce contexte humain. Si
Hélène V. s'est "accrochée", c'est aussi, au-delà du succès de ses éducations, parce que
ça lui a "beaucoup apporté vis à vis des gens du village... Quand j'ai décoconné*, il y a
Jean et Josette M. qui sont venus. C'était quelque chose d'impensable, pour moi! C'est
vraiment la vie du village, quoi, de décoconner". Lixiane P. évoque ce voisin âgé qui "a
pris plaisir à (me) conseiller sur l'aménagement du taulier*" et estime que "quand il s'agit
de gens qui ont travaillé et qui savent, il faut les laisser parler parce qu'on apprend autant
d'eux (sous entendu: que des publications spécialisées)".
C'est dire l'importance qu'ont la culture technique et la transmission des savoir-faire par
rapport à la décision que peut prendre un nouveau sériciculteur. Les commanditaires de
l'enquête en tirent une leçon allant dans ce sens: les perspectives de développement de la
sériciculture dans les cinq ans à venir sont liées à la capacité de la SICA à mener des
actions de vulgarisation, d'information et de formation qui complètent ou pallient les
96

insuffisances d'une "transmission spontanée" dans le cadre des relations privilégiées de


proximité.
Il ressort également de l'enquête que les pionniers de la relance séricicole feront d'autant
plus facilement des émules que des aidesfinancièreset des facilités d'installation seront
accordées aux candidats. Un tel redémarrage ne peut compter que dans des proportions
limitées sur des exploitants dont la moyenne d'âge est proche de celui de la retraite. Mais
les nouveaux producteurs doivent envisager des restructurations d'exploitation (terres
laissées en friches et bâtiments agricoles à rénover) quand ils ne sont pas contraints à des
acquisitions foncières que la pression touristique rend extrêmement coûteuses. Tandis
que les plus âgés, qui ont vécu l'effondrement de la sériciculture dans les années 50,
insistent sur la stabilité du prix du kilo de cocons parce qu'ils n'ont pas oublié les
variations d'autrefois, les plus jeunes réclament des aides et une reconnaissance de la
sériciculture comme activité agricole afin d'avoir droit, par exemple, à la dotation "jeune
agriculteur" car c'est là un obstacle majeur: la sériciculture est ignorée des instances
agricoles.

L'adoption des innovations

Laissons maintenant de côté l'enquête de 1982 et adoptons un point de vue moins


circonscrit dans le temps afin de ne pas réduire notre analyse de la diffusion de la relance
à une vision en coupe transversale.
Quelles sont les innovations qui ont été introduites par la SICA au niveau séricicole et
quel a été leur degré de diffusion? Nous verrons qu'il existe des niveaux d'adoption très
différents selon le type d'innovation. En effet, chaque innovation présente des propriétés
spécifiques qui ont une incidence sur sa diffusion. On retient généralement quatre
principaux facteurs permettant d'évaluer Tadoptabilité intrinsèque" d'une innovation"5 :

3
Jean-Pierre Olivier de Sardan, Une anthropologie de l'innovation est-elle possible?"
texte dactylographié, Marseille: SHADYC, déc. 1993, p.8.
97

sa compatibilité avec le système technique déjà en place, les avantages qu'elle apporte,
son degré de complexité et enfin la possibilité de la tester6. Concernant le premier
facteur mentionné, nous voudrions ajouter que nous entendons la notion de système
technique dans son sens le plus large, incluant sa part idéelle.
Les liens entre le technique, l'économique, le social et le symbolique seront ainsi mis en
évidence. La cohérence technique, aussi primordiale soit-elle, est néanmoins insuffisante
pour déclencher le mouvement d'adoption d'une innovation car la technique est toujours
incluse dans le corps social: dans sa façon de penser, d'imaginer et d'agir, dans ce qui
compose sa culture et son système de valeur. L'analyse des phénomènes d'adoption ou de
rejet de l'innovation nécessite donc de la replacer dans son cadre micro-sociétal, en
tenant compte en particulier des multiples enjeux économiques, sociaux, symboliques,
voire politiques qu'elle représente.

La diffusion du kokuso 21

L'une des grandes innovations préconisées dans le cadre de la relance séricicole est la
substitution du kokuso 21 aux variétés traditionnelles.
Sa diffusion, relativement au nombre des sériciculteurs, est à première vue un franc
succès. A l'exception de ceux qui avaient encore quelques mûriers traditionnels, ils ont
généralement bien reçu le message: le kokuso est indissociable du renouveau séricicole.
De réunions-débats en conférences, sans oublier les articles d'information et de
vulgarisation publiés dans la presse locale, André S. et Michel C ont en effet toujours lié
la rentabilité de la sériciculture à l'adoption de cet arbre et certainement aussi voulu
accréditer l'image d'une relance qui n'est pas la simple reproduction du passé. Ainsi le
kokuso occupe-t-il une place centrale dans ce qu'on pourrait appeler le récit fondateur de

6
Ce que Jean-Pierre Olivier de Sardan appelle son "essayabilité".
98

la relance. Son origine extrême-orientale, les conditions de son introduction, la manière


dont les Cévenols ont su le "révéler" renouvellent les récits légendaires qui relatent la
découverte de la soie et son cheminement jusqu'en Europe. Lorsqu'il est invité à retracer
l'histoire de cettefibreprestigieuse "des origines à nos jours", André S. fait pratiquement
figurer l'introduction du kokuso 21 en Cévennes au même rang que la perte du secret de
la soie par l'Empire céleste ou l'acheminement clandestin de la graine par les moines du
Mont Athos, enrichissant une histoire qui, aussi loin qu'on remonte, a toujours
inextricablement mêlé l'économie, la technique, le politique et la légende7. Si chaque
grande étape de la diffusion de la sériciculture a été marquée par un événement qui
appartient au registre du fabuleux, la relance se devait d'avoir le sien: ce sera
l'acclimatation d'un arbre que les Japonais avaient dédaigné et dont les Cévenols ont su
révéler les innombrables qualités!
Tous ceux qui souhaitent s'adonner à la sériciculture ont donc planté des kokusos 21,
acquittant ainsi une sorte de droit d'entrée dans la communauté des sériciculteurs.
L'adoption du kokuso correspond à un acte symbolique de participation au groupe
auquel l'individu cherche à se rattacher8. Cette plantation est le plus souvent
contemporaine du premier élevage, même lorsque le nouveau sériciculteur peut démarrer
son activité avec des mûriers traditionnels. La superficie cultivée est cependant assez
réduite: 20 ares en moyenne, soit moins de 600 pieds9. Sur 18 personnes interrogées lors
du sondage de 1982, 14 projetaient d'augmenter la surface cultivée dans un proche
avenir. "On verra ce que ça donne, puis on avisera!" commentent prudemment les
sériciculteurs. Une prudence qui s'exprime également dans le choix des parcelles qui sont

7
Voir les innombrables publications sur ce sujet. En particulier, Lucette Boulnois,
"Chevaux célestes et salive de dragon. Transferts de culture matérielle sur les routes de
la soie avant le XXo siècle", Diogène, n°167, juillet-septembre 1994, pp. 18-42.
8
Jean-Pierre Frémaux, "La dimension symbolique des attitudes paysannes devant
l'innovation technique", Sociología ruralis, n°4, 1978, p. 260.
9
Quelques chiffres: 300 pieds plantés chez Lixiane P., 300 également chez François S.,
500 chez Pierre G....
99

consacrées au kokuso: éloignées, difficilement accessibles, rarement irrigables.


L'insuffisance de terres labourables dans les Cévennes gardoises et ardéchoises explique
pour une large part le choix des sériciculteurs de ne planter tout d'abord le mûrier que
dans les friches afin de ne pasrisquerde gâcher une bonne terre au cas où ses résultats
de culture seraient décevants.
Qu'il soit un passage obligé ne dispense pas le kokuso 21 de faire ses preuves et c'est le
sens de ces plantations à petite échelle, ce qui, comme on vient de le voir à propos de la
qualité du terrain, limite également les risques.
A y regarder de près, le comportement des cultivateurs de kokusos peut sembler
incohérent: ils plantent tous des kokusos sans même s'être préalablement assurés qu'ils en
auront l'usage, mais dans le même temps ils temporisent en lui consacrant des sols
médiocres. Ce paradoxe s'éclaire, nous semble-t-il, si on tient compte de la place
emblématique qu'occupe le kokuso dans la construction symbolique de la relance.
Avec le recul des années, certains considèrent aujourd'hui avoir planté "parce que ça
allait de soi", "sans réfléchir". De même que les paysans étudiés par H. Mendras pensent
qu'il faut avoir un tracteur pour être un "vrai agriculteur", les nouveaux éleveurs de vers
à soie pensent qu'il faut avoir planté des kokusos pour être un "vrai" sériciculteur.

Les éleveurs inexpérimentés vont se déclarer satisfaits de ses résultats, d'autant qu'ils ne
peuvent personnellement comparer les performances nutritives du kokuso avec celles des
anciennes variétés. Les indices auxquels ils pensent pouvoir se référer plaident en sa
faveur: la feuille est "large comme une assiette", abondante, d'un vert luxuriant... Mais on
entend un autre son de cloche chez les anciens sériciculteurs qui tout en convenant qu'"il
faut bien vivre avec son temps" affichent un scepticisme étayé par des arguments fondés
sur leur expérience. Pour Henri G., le kokuso, "c'est pas merveilleux... Il y avait rien que
des mûres! Et puis un mûrier, quand vous en avez tiré une fois, c'est comme de tout,
comme une vache, si elle donne dix litres de lait, vous lui en tirerez pas vingt!" Un ancien
nous explique: "... avant, ils (les anciens) ne se trompaient pas: une feuille qui était bien
100

verte, noire, c'est qu'il y avait de l'azote dedans... onrisquaitplus qu'avec une feuille qui
était moins nourrie. De plus elle était grasse, de plus çarisquaitla fameuse maladie qu'on
appelle la grasserie!". Or la feuille du kokuso a justement toutes les apparences d'une
feuille trop bien nourrie, grasse! Ces sériciculteurs ne veulent en fait rien changer à leurs
habitudes et ils conduisent l'arbre comme ils le feraient d'un mûrier traditionnel: en haute
tige, en cordon, récolté une fois l'an. Le kokuso doit faire ses preuves dans des
conditions de culture identiques à celles des variétés locales, démontrer qu'il est capable
de s'adapter auxrigueursdu climat et de l'environnement. "Finalement, ce Japonais, c'est
pas mieux" affirme cet éleveur qui a sa façon résume assez bien l'état d'esprit général.
Une conception manichéenne qui n'est pas sans rappeler celle des agriculteurs béarnais à
propos du maïs hybride10 ! Il faut toutefois apprécier à sa juste valeur la portée de ces
jugements négatifs car les innovateurs se rencontrent davantage dans le camp des
débutants que dans celui des anciens, souvent contraints par l'âge à abandonner après
quelques années d'activité.

Pour autant, peut-on dire que les éleveurs débutants ont exploité au mieux les
potentialités du kokuso 21?
La plupart, prenant comme modèle les essais de M. C, ont planté les kokusos en
vergers, selon une densité moyenne de 3000 plants à l'hectare, plus ou moins selon
l'écartement entre les lignes. C'est le type de matériel agricole utilisé, tracteur ou
motoculteur, qui détermine la largeur de l'interligne. Cette densité correspond à une taille
basse11 qui facilite la cueillette puisqu'il n'est plus besoin de déplacer une échelle tout
autour de l'arbre afin d'accéder aux branches: le cueilleur rassoie et les feuilles tombent
directement sur un carré de toile déployé à même le sol12. Le mûrier basse-tige est

10
Henri Mendras, La fin des paysans, s.l.: Babel, 1992 (réédition), p. 178.
11
En haute-tige, le mûrier exige un espacement de 7 m en tous sens pour pouvoir
déployer ses branches et son feuillage.
101

évidemment d'un rendement par pied inférieur à celui du mûrier haute-tige: 50 kilos en
moyenne pour un mûrier blanc contre 8 kilos pour un kokuso. Ce rapport est en
revanche inversé lorsqu'on évalue le rendement à l'hectare: on passe alors de 10 tonnes à
25 tonnes car la taille basse permet une plus grande densité de culture. La taille basse est
donc une réelle innovation par rapport à la plantation en limite des champs telle que les
Cévenols la pratiquaient auparavant. C'est à H. Mendras que l'on doit d'avoir montré que
le mûrier s'est ajouté sur les marges des parcelles cultivées à partir du XVIIP siècle, de
sorte que la sériciculture perfectionnait le système technique "sans le modifier"13. Selon
cet auteur, l'exemple choisi illustre cette "loi fondamentale" de l'innovation. Le
comportement des sériciculteurs de la fin du XXo siècle la vérifie à son tour: les
plantations de mûriers ont été effectuées en priorité sur des terres incultes, soit qu'elles
aient été laissées enfrichedepuis un certain temps, soit qu'elle soient trop pauvres pour
être cultivées.

Des éducations imbriquées

Nous avons vu qu'une autre caractéristique du kokuso 21 est qu'il permet de réaliser des
élevages successifs et imbriqués car sa feuille conserve sa qualité nutritive durant toute la
saison végétative et pousse en continu de mai à octobre14. Les sériciculteurs qui ont

Pour le reste, les recommandations ne différent pas de manière significative, qu'il


s'agisse du mûrier blanc d'autrefois ou du kokuso. Le choix de l'emplacement revêt la
même importance: un arbre planté dans un sol bien drainé et fertile, éloigné des bordures
trop humides desrivières,sur une parcelle abritée, ensoleillée, orientée de préférence au
Sud à l'Est, produira des feuilles de meilleure qualité et en plus grande quantité que si ces
conditions ne sont pas remplies. Il en va de même avec l'entretien de l'arbre en
production: taille judicieuse et effectuée au moment propice, labours réguliers, apports
en fumier, compost et engrais organiques, désherbage soigneux et irrigation estivale
apportent une contribution décisive en terme de productivité de l'arbre.
13
Henri Mendras et Michel Forsé, Le changement social, Paris: Armand Colin, 1983,
p.33.
14
Dans le schéma élaboré par André S., il serait possible d'effectuer jusqu'à 10 élevages
successifs et imbriqués. Pour une première naissance le 5 mai, on pourrait ensuite
programmer la naissance de la seconde chambrée au 20 mai, les vers de la première étant
102

adopté le kokuso sans difficulté ont néanmoins hésité à réaliser plusieurs élevages
successifs15 alors que de l'avis de André S., le renouveau de la sériciculture passe en
priorité par ce qu'il a appelé "la 'décristallisation' des structures classiques séricicoles
européennes basées depuis des siècles sur l'élevage annuel unique"16.
Selon André S. et Michel C, l'intensification de la production associée avec des
méthodes d'élevage qui contribuent à économiser la main d'oeuvre devrait permettre de
produire du cocon à un prix si ce n'est compétitif, tout au moins acceptable dans le cadre
d'une économie soutenue par des aides européennes et d'une organisation de la filière
sous forme coopérative. Pour diminuer les coûts de production, il faut investir dans de
nouvelles installations qui simplifient le travail quotidien de l'éducateur et dans des
plantations de kokusos qui facilitent la cueillette. Pour amortir ces installations, il faut
produire davantage et faire une plus grande place à la sériciculture au sein de l'économie
générale de l'exploitation ou plus exactement du groupe domestique lorsqu'il est
composé, comme c'est souvent le cas, de pluriactifs. Dans ces conditions, la prise de
décision du sériciculteur n'est pas aisée. La relance suppose en effet une transformation
du système technique: une spéculation qui occupe le sériciculteur durant 5 mois de
l'année et implique des investissements nécessite une réorientation de l'exploitation qui
n'est pas toujours réalisable. Le viticulteur peut se rendre disponible en mai, juin et même
juillet alors qu'il n'aura plus un instant à lui lorsque approche la date des vendanges. Le
maraîcher peut éventuellement mener de front ses travaux de jardinage et deux
éducations printanières, mais il est dans l'incapacité de soutenir ce rythme durant cinq

alors à la fin du 3ème âge. La troisième chambrée débuterait lorsque les vers de la
seconde auraient atteints le troisième âge et ceux de la première feraient le cocon. Ainsi
de suite jusqu'au 23 octobre, date à laquelle s'achèverait le dernier élevage.
15
En réalité, seuls les Magnans ont essayé de mettre en pratique ce modèle inspiré des
travaux de P.L. Lombardi, responsable de la Station séricicole de Padoue, en Italie. Ils
ont réalisé 8 élevages au cours de l'année 1975, de mai à octobre, avec une période
d'interruption dans le courant de l'été.
16
Bulletin commun de la Société d'Agriculture d'Alès et des Cévennes et du Comité de
rénovation des Cévennes, 1961, p. 11.
103

mois! "Autrefois, ça allait parce qu'on ne faisait qu'un élevage!" me dit une ancienne
éducatrice "on touchait pas terre, la ferme en pâtissait. Jaurais pas pu en faire davantage!
Après, il y avait les foins, les châtaignes, le cochon..."
Aussi motivant que soit le fait de contribuer à la relance d'une production qui relève
d'une tradition locale, chacun y réfléchit à deux fois lorsqu'il est question de planter un
demi, voire un hectare de mûriers kokuso, de mettre en place un système d'irrigation afin
que les feuilles poussent en période sèche, d'installer une serre tunnel plastique ou
construire un bâtiment en dur. L'enthousiasme cède le pas à la réflexion lorsqu'il s'agit
d'opérer un choix qui implique des investissements aussi lourds!
La rentabilité doit alors être démontrée par l'exemple17 et les producteurs choisissent de
procéder en plusieurs étapes. En Cévennes, deux sériciculteurs seulement ont tenté, si ce
n'est d'appliquer à la lettre, tout au moins de se rapprocher du modèle élaboré par André
S. et Michel C: Sylvie H., la compagne de ce dernier qui s'est installée en 1981 comme
agricultrice et Gérard B. qui a opéré sa reconversion professionnelle en reprenant la
propriété de sa belle-famille.

Compte-tenu de l'implication de M. C. dans le processus de relance, sa compagne ne


pouvait faire autrement que mettre en pratique le modèle. Elle fera donc des élevages de
mai à octobre et s'occupera du bouturage des mûriers pendant le reste de l'année. Quant
à Gérard B., il ne démarrait pas seulement une activité séricicole mais abordait
simultanément le métier d'agriculteur auquel il n'avait pas été préparé: "au départ, quand
j'ai commencé, j'avais trois pôles de production: les champignons, les vers à soie et les
fruitiers, de façon à avoir un plein de main d'oeuvre toute l'année". L'un et l'autre
n'intègrent pas la sériciculture dans un système technique préexistant: ils le créent de
toutes pièces de façon à ce que leurs différents domaines d'activité soient

17
Bien que les Magnans soient les seuls à avoir réussi à effectuer 8 élevages successifs et
imbriqués, nous ne considérerons pas cet exemple comme significatif dans la mesure où il
s'agit d'un élevage intensif semi-industriel, où les équipements ont été financés sur des
crédits publics et où les coûts liés à l'utilisation de la force de travail ne peuvent être
calculés sur une base similaire dans la mesure où s'agit d'un organisme subventionné.
104

complémentaires. C'est pourquoi il leur sera possible, à la différence de la plupart des


nouveaux sériciculteurs, de réaliser des élevages successifs.
Tous deux adoptent le rythme de 4 élevages annuels, deux au printemps, deux à
l'automne. Sylvie H. ne peut en effectuer davantage car la feuille de printemps18
parvenue à maturité durant l'été est beaucoup trop dure pour les mandibules des vers à
soie des premiers âges tandis que celle d'automne n'est pas suffisamment développée car
ses plantations ne sont pas irrigables. Avec sa mûraie irriguée, Gérard B. suit le même
itinéraire car dans ces vallées méridionales écrasées par un soleil implacable persiste le
risque de ce que les anciens appelaient la touffe: une atmosphère étouffante, un manque
d'air qui pouvait entraîner la mort des vers par asphyxie. Et puis Gérard B. tient à être
fidèle à une éthique: "il faut limiter la production de façon à ne pas être esclave de votre
élevage... On ne produit pas pour produire: on est pire qu'une machine, sinon!"
Peu nombreux sont les sériciculteurs qui ont suivi la voie tracée par Gérard B. et Sylvie
H.. Là encore, on constate de la part des sériciculteurs un comportement qui s'apparente
à ce que M. Moscovici19 a qualifié de "modernisation symbolique": on accepte de
dépenser de l'argent pour acheter des plants de kokusos et de consacrer du temps à leur
plantation et cependant on persiste à utiliser ces mûriers comme on le ferait de variétés
traditionnelles.

Des magnaneries modernes

Le réaménagement des magnaneries traditionnelles, situées au niveau supérieur des


bâtiments d'habitation, a été un leitmotiv des campagnes de modernisation de la

18
On appelle feuille de printemps la feuille provenant de mûriers taillés au printemps
précédent. Les mûriers qui ont été taillés au mois de février fournissent leur feuille au
début septembre, au moment des élevages d'automne.
19
Marie Moscovici, "Le changement social en milieu rural et le rôle des femmes",
Revue française de sociologie, n°21, 1960, p. 72.
105

sériciculture au cours du XXo siècle. Les modifications proposées correspondaient alors


à ce que G. Loinger20 appelle l'"innovation-amélioration": une innovation qui ne
transforme pas fondamentalement les structures de production. Trappes d'aération, faux-
plafond... vont dans le sens d'une meilleure gestion thermique sans toutefois impliquer de
changement notable au niveau des fonctions et de la structure du bâti.
Compte tenu du caractère expérimental des élevages effectués de 1974 à 1981, ils ont
d'abord eu lieu dans des magnaneries traditionnelles qui avaient été tardivement
réaménagées. Les transformations réalisées ne modifient pas les conditions de travail du
sériciculteur qui doit comme autrefois emprunter les couloirs et les escaliers qui
desservent les pièces de l'habitation avec son chargement de feuilles de mûrier. Ces allées
et venues incessantes et le surcroît de fatigue qui en découle sont perçus comme un
inconvénient majeur par la plupart des sériciculteurs, qu'ils soient anciens ou nouveaux.
Cependant, du fait des incertitudes qui planent sur le développement de la sériciculture,
les nouveaux sériciculteurs ne sont pas prêts à construire une magnanerie moderne,
quand bien même il en résulterait une baisse conséquente de l'effort physique déployé.
La prudence est également de règle chez ceux qui ne disposent pas d'une magnanerie
traditionnelle. Pour leur premier élevage, ils préfèrent utiliser une pièce de leur logement
qu'ils aménagent provisoirement avec du matériel démonté dans des anciennes
magnaneries désaffectées: "les très grandes claies, les canisses qu'on avait récupéré, les
échelles, un poêle à bois pour chauffer le soir...", "On a démarré avec les moyens du
bord, ça nous ariencoûté..." affirment Hélène V. Et Chantal L..

La création de la SICA constitue à cet égard un tournant. Les sériciculteurs les plus
motivés décident en effet d'innover radicalement en construisant des équipements dont la

Gérard Loinger, La diffusion des innovations techniques, Paris: La Documentation


française, 1985, p. 8.
106

conception originale doit permettre un allégement significatif du temps de travail et une


amélioration des résultats.
En 1981, trois magnaneries modernes vont ainsi voir le jour.
Sylvie H. et Gérard B. font le choix d'une magnanerie en dur. Celle de Sylvie H. est
construite dès 1981, sur un terrain qu'elle a acheté afin de pouvoir bénéficier du statut
d'agricultrice. Faute d'avoir les capitaux suffisants pour acquérir de meilleures terres sur
lesquelles elle aurait pu jouxter le bâtiment d'élevage et la plantation de mûriers, elle a
finalement dû se satisfaire d'une parcelle pentue et couverte de chênes verts. Les aides
sollicitées au titre de la relance ayant été refusées, la magnanerie est bâtie en auto-
construction avec l'aide d'un groupe d'amis qui prête main forte au couple pendant la
période estivale: membres de l'association, marginaux des environs et compagnons du
Devoir. Ses plans ont été réalisés par un architecte local impliqué dans une réflexion
collective sur les énergies renouvelables. Il s'agit d'un bâtiment qui se veut de conception
novatrice puisqu'il prévoit l'utilisation de l'énergie solaire pour le chauffage des locaux
ainsi que des "murs capteurs"21 permettant d'accumuler la chaleur pour la restituer
pendant les heures nocturnes et assurant également l'isolation thermique des locaux. Il
s'agit, encore une fois, de trouver une solution technique qui permette de réduire au
minimum les coûts liés au temps de travail et aux frais d'élevage. La recherche d'une
diminution des coûts de production est un des mobiles avérés de l'innovation et la
magnanerie solaire va dans ce sens puisqu'elle est censée assurer une quasi autonomie
énergétique. Malheureusement, le projet n'est pas mené à son terme. Sans les
aménagements spécifiques imaginés par les techniciens de GEFOSAT22, la magnanerie
est une véritable glacière que Sylvie H. a toute la peine du monde à chauffer! Le lieu de
son implantation pose également problème: elle n'est pas située à proximité des
plantations. Comme elle s'occupe quasiment toute seule de ses élevages, l'éducatrice doit

21
II s'agit de murs en quérons remplis de sable.
22
GEFOSAT est un groupement de techniciens, ingénieurs et architectes.
107

faire plusieurs fois par jour la navette entre ses plantations de mûriers et le local
d'élevage! Ce bâtiment réalise cependant une partie des objectifs que s'étaient fixés ses
constructeurs: parce qu'il est de plain-pied, la feuille peut être déchargée devant la porte
d'entrée et stockée dans un ramier* adjacent. Il en résulte une économie de main
d'oeuvre qui permet d'augmenter la production.
Gérard B. a quant à lui l'avantage d'être déjà possesseur de terres: des bonnes terres, sans
fort dénivellement et irrigables. Il décide de construire une magnanerie "en dur", en
bordure de la mûraie d'un seul tenant, accessible en tracteur et en voiture, "... sur les
bases de ce qu'il y avait de mieux, après avoir vu M. C." précise t-il.
Son exploitation séricicole devient rapidement un modèle du genre. Les dirigeants de la
SICA lui adressent tous ceux qui cherchent à s'informer et la Direction départementale
de l'Agriculture qui suit de très près les activités de la filière s'appuie sur son exemple
pour juger de la reproductibilité du modèle.

Hélène V. Choisit pour sa part la formule de la serre car son coût de construction est
moins élevé que celui d'un bâtiment en dur. Le "noyau dur" de la relance habite
Monoblet, il sera donc facile de s'entraider pour son édification: "quand il y a eu des
grands chantiers, il y a toujours eu des copains pour aider. Alors quand on a monté la
serre pour les vers à soie, les copains sont venus."
La conception de la serre et le choix des matériaux sont le fruit de longues discussions au
sein du groupe professionnel local23. Il s'agit en effet d'adapter le principe de la serre aux
exigences propres à l'élevage des vers à soie, en particulier la question du contrôle de la
température. Les solutions qui ont été trouvées donnent toutes satisfactions à l'éducatrice
qui estime avoir eu "de très bons résultats et des facilités de travail". Une bâche épaisse

23
Nous employons ici la notion forgée par Jean-Pierre Darré qui postule que les
agriculteurs forment un groupe "producteur de façons de dire et de voir les choses
associées à un ensemble technique". Jean-Pierre Darré, La parole et la technique,
l'univers de pensée des éleveurs du Ternois, Paris: L'Harmattan, 1985, p. 32.
108

et doublée de laine de verre permet de maintenir un degré de température convenable,


sans qu'il y ait besoin de chauffer. Par temps de forte chaleur, le sol en terre battue peut
être arrosé de façon à perdre quelques degrés et à humidifier l'atmosphère, souvent très
sèche dans ce vallon abrité. Ce système de régulation des températures a toutefois ses
limites; lorsque surviennent les très fortes chaleurs, 1'"effet de serre" ne peut plus être
maîtrisé. Hélène V. doit donc prévoir que son second élevage de printemps s'achève vers
la mi-juin, lesrisquesde touffe étant à craindre dès que l'on franchit cette date.

L'élevage aux rameaux

Une autre innovation, appliquée depuis plusieurs décennies en Italie, a fini par être
adoptée par les sériciculteurs. Il s'agit du procédé d'élevage aux rameaux dont la Station
de recherches séricicoles d'Alès avait longtemps, mais en vain, encouragé la diffusion. Il
avait en effet fait l'objet d'une vive et durable controverse dans les milieux séricicoles24.

Rapidement, André S. en reprend l'idée et retient cette technique comme l'une des bases
de la relance. L'économie réalisée sur la main d'oeuvre est considérable: en effet il est
plus rapide de couper des rameaux que de cueillir des feuilles et le sériciculteur fait ainsi
d'une pierre deux coups puisqu'il taille en même temps ses mûriers. La distribution de la
feuille prend également beaucoup moins de temps, les feuilles n'étant plus données une à
une. Son efficacité est également prouvée au niveau du rendement: les vers se

Dans un bulletin technique séricicole entièrement consacré à l'élevage aux rameaux, C.


Secretain et A. Schenk réfutent les arguments des détracteurs de cette méthode et
établissent ses multiples avantages. On trouve de nombreuses références à ce procédé
dans une publication locale: l'Agriculteur des Cévennes. Mozziconacci, "A propos d'une
méthode économique d'élevage des vers à soie pratiquée en Anatolie", L'Agriculteur des
Cévennes, n°254-257, 1906, pp. 217-261. Mozziconacci, "La diminution de la main
d'oeuvre et l'élevage des vers à soie aux rameaux", L'Agriculteur des Cévennes, n°358,
1915, p. 6.
109

répartissent dans les rameaux, ils ne sont plus en contact direct avec la litière souillée et
humide, d'où une diminution durisquedes maladies liées à une mauvaise hygiène.
Pourtant, les instigateurs de la relance séricicole eux-mêmes boudent ce procédé. C'est
seulement à la suite d'une mission effectuée en Italie dans le courant des années 80 que
Gérard B., qui a fait partie du voyage, décide de tenter le premier élevage au sol et aux
rameaux, conformément à la pratique des sériciculteurs italiens. Ses excellents résultats
incitent alors plusieurs sériciculteurs à tenter à leur tour l'expérience. En Cévennes, mais
aussi en Ardèche et dans la Drôme, l'élevage aux rameaux se généralise chez ceux qui
attendent de cette activité qu'elle complète leurs revenus alors qu'il se diffuse plus
difficilement chez les anciens éleveurs revenus à cette activité, sans doute parce que leurs
motifs sont davantage d'ordre sentimental qu'économique.

Pourquoi les sériciculteurs se sont-ils montrés aussi réticents à adopter une technique qui
avait largement fait ses preuves et améliorait considérablement la rentabilité de l'élevage?
Pour quelle raison ce procédé n'était-il pas mis en avant lors des stages de formation
séricicole organisés par les responsables de lafilière?Selon un conseiller appartenant à la
Direction Départementale de l'Agriculture, ce serait "la crainte de faire différemment de
ce qui s'était fait en Cévennes" qui aurait inhibé le désir pourtant réel d'adopter ce
procédé. Comme s'il y avait "un prix à payer pour recommencer...", "un respect à l'égard
de la tradition des parents, des grands-parents qui ont fait ça par le passé..." M. Salmona
a montré que les avantages liés à l'adoption d'une nouvelle technique pouvaient être
considérés comme moins importants que le besoin de continuité dans le langage
technique, que la nécessité de conserver certains repères par rapport au passé23. Les
arguments en faveur de l'élevage aux rameaux, aussi rationnels et objectifs qu'ils soient,

Michèle Salmona, "Innovation et composantes affectives et cognitives du travail",


Pour, n°40; 1975, pp. 92-109.
110

ne font pas le poids face à la force de l'habitude et à l'attachement à des méthodes


considérées par l'ensemble des acteurs comme traditionnelles.
L'élevage aux rameaux, particulièrement lorsqu'il s'effectue à même le sol, bouscule les
représentations que se font les éducateurs du ver à soie. Tout changement technique, s'il
peut être analysé en terme de logique technique, doit également l'être sous la dimension
sociale de production de sens.
Ainsi la cueillette des feuilles, presque une à une, parfois leur hachage, puis leur
répartition minutieuse sur la litière, contribuent à forger l'image d'un insecte délicat que
l'on doit soigner avec beaucoup plus d'attention que les autres animaux domestiques.
L'importance du travail de préparation est l'indice d'un traitement spécifique, il prend
valeur de signe. Parce qu'il consomme une nourriture préparée, transformée par l'action
du sériciculteur, le ver à soie est en quelque sorte socialisé. En outre, ce mode de
nourrissage favorise le contact entre l'homme et l'animal alors que l'alimentation aux
rameaux, au contraire, le supprime. On dépose délicatement les feuilles sur les vers à
soie, on les effleure...La distribution des rameaux n'exige pas les mêmes précautions; le
geste est plus brutal.
Le fait de placer les vers au niveau du sol prend également une importance capitale dans
l'esprit des éducateurs "traditionnels" de vers à soie. Le ver est en quelque sorte rabaissé
-au sens propre comme aufiguré-,renvoyé à ce qu'il n'a jamais cessé d'être et que faisait
oublier l'extraordinaire travail de sublimation dont il est l'objet et qui contribue à forger
l'image d'un animal qui aurait en quelque sorte transcendé sa catégorie d'origine, à savoir
celle d'insecte rampant26. "On ne peut pas raconter qu'on fait des élevages au sol... Us
n'arrivent pas à imaginer parce que pour eux les magnaneries c'est tout en haut des
maisons, il fallait monter avec des sacs, il y avait des étages, c'était fait sur des claies...
Moi, si je raconte aujourd'hui à quelqu'un de Monoblet ou d'ailleurs qu'on fait des

26
Françoise Clavairolle, "L'éducation des vers à soie: savoirs, représentations,
techniques", L'Homme, n° 129, janvier-mars 1994, pp. 121-145.
Ill

élevages au sol, qu'on nourrit avec des rameaux... Pour eux, c'est pas l'élevage des vers à
soie!" me dit une jeune séricicultrice.

C'est là toute la difficulté d'une relance: elle prend appui sur un système de
représentations dont elle ne peut faire table rase. En effet toute technique remplit une
fonction pratique en tant qu'action sur la matière mais revêt également une dimension
symbolique, s'inscrit dans un ensemble de représentations qui structure l'"univers de
pensée" des acteurs. Les réactions à l'innovation, rejet ou adoption, ne peuvent se
comprendre qu'en tenant compte du tissu de pratiques et de représentations dans lequel
elles s'insèrent27. Un système technique correspond à une vision du monde. Ainsi que le
suggère R. Treillon, "L'homme produit à l'intérieur d'une culture et cette culture ordonne
le monde d'une manière qui lui est propre, et qui aboutit à inverser le sens traditionnel de
la relation nature-culture (...) Il en résulte que la technique ne doit pas seulement être
bonne à produire ou à consommer, elle doit être bonne à penser"28. Le changement
technique est également perçu comme une forme de détournement. Cette éducatrice en a
bien conscience lorsqu'elle nous dit: "je crois que c'est un truc qui leur appartient, qui fait
partie de leur passé et qui ne peut pas être l'avenir de quelqu'un d'autre. On leur vole
quelque chose. On recommence une autre histoire, toujours dans le ver à soie mais un
peu autrement et ça, ils n'arrivent pas à l'admettre!"

27
Michèle Salmona, op. cit. et Alice Barthez, "Les agriculteurs résistent-ils à
l'innovation? Ou à la domination?, Pour, n°4, 1975, pp. 110-117.
28
Roland Treillon, L'innovation technologique dans les pays du Sud, Paris: ACCT/
Wageninger: CTA/Paris: Karthala, 1992, p. 85.
112

Le hérisson plastique

La diffusion du "hérisson"29 n'a pas connu les mêmes difficultés.


Il vient en remplacement des cabanes* de bruyère ou de genêt que les sériciculteurs
dressaient entre les tables des magnaneries afin que les vers à soie, parvenus au terme de
leur croissance, viennent y fabriquer le cocon. En matière plastique, il est constitué d'un
axe central sur lequel sont disposées régulièrement des tiges d'une vingtaine de
centimètres de long, selon un angle de 180° environ. Lorsque les vers se préparent à
coconner, les hérissons sont simplement placés en travers de la litière à intervalles
réguliers.
Ses avantages sont évidents: il est réutilisable d'une année sur l'autre, il prend peu de
place au stockage, il est d'une grande simplicité d'utilisation et surtout il facilite
l'opération délicate du décoconage. Avec la bruyère, la bourre* qui entoure le cocon était
emprisonnée dans un entrelacs de brindilles sèches qui se brisaient lorsqu'on détachait les
cocons et le sériciculteur devait ôter ces résidus avant de remettre sa récolte à la filature.
Ce nettoyage minutieux est supprimé avec le hérisson ce qui représente un réel gain de
temps.
Bien qu'il y ait toujours quelques anciens sériciculteurs pour regretter la bruyère ou le
genêt auxquels ils attribuent la vertu d'attirer le ver à soie par leur odeur, la plupart ont
adopté le hérisson sans trop de difficulté, quitte parfois à se faire plaisir en rajoutant
quelques bruyères "parce que les cabanes, c'est plus joli qu'avec le plastique. Ca
ressemble à une vraie maison". La diffusion du hérisson vérifie l'hypothèse a contrario
selon laquelle une innovation est d'autant plus facilement adoptée qu'elle n'apporte qu'un
changement mineur dont l'incidence sur le système technique n'est pas notable. Le
passage d'un procédé à l'autre se fait en effet par simple substitution des hérissons aux
cabanes traditionnelles.

Son appellation lui vient de sa ressemblance avec l'animal du même nom.


113

Un bilan contrasté

L'analyse de l'objet technique met en relation ses caractéristiques et ses propriétés

intrinsèques avec le contexte social dans lequel il évolue, mais aussi avec l'univers

culturel dans lequel il s'inscrit, le système économique qui le reçoit. Ces aspects ne

relèvent pas d'une description séparée. L'analyse ne doit donc pas seulement se situer

dans "un entre-deux... où se mettent simultanément en forme la technique et le milieu

social qui lui correspond"30 comme le propose R. Treillon mais au coeur même de ce

lacis, de ce maillage serré où s'entremêlent le technique, le social, le culturel,

l'économique, le symbolique... Chaque innovation est donc passée à plusieurs cribles.

Ainsi nous avons vu que les raisons qui ont incité certaines personnes à se lancer dans la

sériciculture ou au contraire à refuser de s'y investir sont multiples. Parmi les facteurs qui

peuvent être pris en considération, on trouve la question de l'âge, de la succession, de la

comptabilité avec les autres activités, le coût, l'efficience technique, la conscience

identitaire, l'appartenance à certains réseaux, le statut agraire...Autant de variables qui se

combinent pour influencer la prise de décision de sorte qu'il est impossible de définir un

profil type de l'innovateur dans ce domaine. Parfois, l'absence d'un successeur fait

renoncer l'individu; parfois, au contraire, ce facteur n'est pas considéré comme décisoire

et une certaine conception du développement local l'emporte; le fait de ne pas être

propriétaire est tantôt une réelle entrave, tantôt une donnée accessoire... Les critères sont

suffisamment nombreux pour que leur combinaison produisent une multiplicité de cas de

figure, comme l'illustre l'enquête de 1983. L'incorporation de la sériciculture dans le

30
Roland Treillon, op. cit., p. 98.
114

système technique, quel qu'il soit, résulte d'un dosage original de chacune de ces

variables. Les innovateurs ne composent donc pas un milieu homogène qu'il serait

possible de caractériser, un groupe social présentant des traits communs. Pour J. Maho,

il n'est pas certain que de manière générale les innovateurs forment un "groupe réel",

fondé sur l'interconnaissance, une stratégie commune31... Les informations dont nous

disposons concernant la relance séricicole invitent à partager ce point de vue.

Face aux innovations proposées, comme le kokuso 21, les élevages imbriqués, la

magnanerie moderne, l'élevage aux rameaux ou encore l'encabanage avec des hérissons

en plastique, l'attitude des sériciculteurs est donc loin d'être homogène. Chacun gère,

assume lesrisquesliés à l'innovation, décide si tel procédé, telle nouvelle combinaison

des facteurs de production est appropriée à son actuel système technique32, mais il est

aussi porté, de façon plus ou moins consciente, par la valeur symbolique qu'il affecte aux

objets ou à leurs usages. Les sériciculteurs prennent, adaptent ou rejettent les

propositions d'innovation, "navigant sans arrêt en eaux troubles entre le social, le

technique, l'économique..."33.

31
Jacques Maho, "La sociologie des innovations rurales: un bilan", Pour, n°4°, 19 ,
pp. 73-74.

32
Voir la communication de Michel Dulciré au colloque organisé par le CIRAD, l'INRA
et l'ORSTOM, Montpellier, sept. 1993. Michel Dulciré, Innovation: l'élément moteur,
c'est le producteur.
33
Madeleine Akrich, "La construction d'un système socio-technique", Anthropologie et
Sociétés, n°2, 1989, p. 32.
115

De la coopérative au holding

Une organisation, affirment M. Crozier et E. Friedberg, "est le royaume des relations de

pouvoir, de l'influence, du marchandage et du calcul" 1 . La position favorable ou au

contraire défavorable que tous les protagonistes occupent au sein du procès de

production constitue la clé d'interprétation des relations qui vont se nouer- et peut-être

se dénouer...- entre eux.

On peut ainsi s'étonner de la facilité avec laquelle les tisseurs ont accepté la règle du jeu

imposée par la SICA alors qu'elle allait de toute évidence à rencontre de leurs intérêts

matériels mais aussi symboliques.

Comment en effet expliquer qu'en adhérant à la SICA ils aient consenti à payer le kilo de

fil de soie quatre à cinq fois plus cher qu'il ne valait alors sur le marché international?

Pourquoi se sont-ils plies aux décisions prises par les responsables de la SICA en faveur

des sériciculteurs et à leur propre détriment?

Il ne faut pas oublier que les tisseurs s'étaient "convertis" à la soie depuis peu et qu'ils ne

maîtrisaient pas encore parfaitement les savoir-faire liés à cettefibre.En leur donnant la

possibilité de faire leur apprentissage2, ADSC et les Magnans les faisaient en quelque

sorte entrer par la petite porte dans un milieu professionnel dont le moins qu'on puisse

dire est qu'il est connu pour son protectionnisme. La nouvelle génération des tisseurs de

soie sur métiers à bras doit donc faire ses preuves dans une profession d'autant moins

1 Michel Crozier, Erhard Friedberg, op. cit., p. 45.

2 Selon R. Sainsaulieu, l'apprentissage délimiterait un espace protégé des contraintes de


production et des rapports de pouvoir où se développeraient des ententes affectives
"dont l'avantage principal est de retirer le conflit des relations": R. Sainsaulieu,
L'identité au travail, Paris: Presses de la FNSP, 1977, p. 295.
116

accueillante qu'elle est en difficulté: à Lyon, on ne compte plus le nombre de maisons qui

ont cessé leur activité, se sont reconverties dans les fibres synthétiques ou ont été

rachetées par des concurrents italiens! Avec la soie des Cévennes, les tisseurs ont donc

fait leur premières armes, à l'abri des regards réprobateurs de leurs maîtres lyonnais3 .

Les nouveaux tisseurs voient dans le renouveau de la soie cévenole un pari original qui

conjugue la référence à une tradition et la mise en oeuvre d'une innovation.

Une tradition, incarnée par la longue durée des savoirs et savoir-faire liés à la fabrication

de la soie dans cette région, quoique davantage dans le domaine de la sériciculture et la

filature, le tissage n'ayant été dans cette région qu'une activité secondaire.

L'innovation,figuréepar la mise au point de tissages originaux qui se démarquaient de la

production de la fabrique lyonnaise en alliant les caractéristiques techniques propres aux

étoffes traditionnelles à la modernité des motifs et des harmonies colorées. Le fil des

Magnans et d'ADS n'intéressait pas la soierie lyonnaise qui craignait de se désavouer en

utilisant un fil d'un grade* assez bas alors que pour G., ces "défauts bonifient le produit

fini en ce sens qu'ils le démarquent". La Soierie lyonnaise était en fait prisonnière d'une

réputation et d'un savoir-faire qui, pour certaines maisons, remontait au XVIIP siècle.

On comprend qu'elle n'ait pu se départir aussi aisément des normes de qualité et des

modèles esthétiques qui avaient fondé sa notoriété internationale!

Grâce à leur participation à la relance séricicole cévenole, les tisseurs ont également

trouvé auprès des élus locaux cette reconnaissance que leur refusait le milieu

professionnel. Les instances publiques et les collectivités locales se sont montrées

particulièrement réceptives à leurs projets et les ont appuyés sans hésiter. C'est ainsi que

3 Néanmoins, c'est auprès d'un canut lyonnais que G. s'est formé au tissage de la soie!
117

sur proposition d'un adjoint au maire de Saint Jean du Gard, G. a été désigné comme

lauréat du prix régional de la Société d'Encouragement aux Métiers d'Arts; que le Préfet

de région, à la demande de ce dernier, a accepté d'apporter un soutien financier à la

création d'un établissement de formation des tisseurs de soie sur métiers à bras; que la

municipalité de Saint Jean du Gard a bien voulu mettre des locaux à disposition de cette

école. Un consensus des édiles auquel ont évidemment été sensibles ces néos-artisans en

quête de légitimité et qui explique pourquoi ils ont accepté de travailler pour la SICA.

Librement consenti alors qu'il est hautement improbable dans la logique économique

dominante, cet accord dépend pour son efficience du maintien des conditions qui ont

présidé à son instauration. Tant que chaque parti en présence trouve son intérêt dans

l'opération, que les avantages s'équilibrent et que les inconvénients se compensent de part

et d'autre, leur coopération a des chances de se prolonger. Dès lors que l'échange devient

inégal, les revendications se font jour et le fragile édifice se fissure.

De fait, l'idylle entre les sériciculteurs et les tisseurs a été de courte durée. Bientôt, ces

derniers, forts d'une notoriété qui ne cesse de croître, se persuadent qu'ils sont le pilier de

lafilièreet que sans eux l'organisation s'effondrerait: en effet, ils sont les seuls à accepter

de travailler la soie cévenole qui acquiert toute sa valeur en passant entre leurs mains et

pourtant ils n'en tirent aucun avantage matériel. Non seulement ils la payent au tarif

prohibitif que leur impose la SICA, mais ils doivent encore réduire leur marge afin que

leurs tissages soient vendus à un prix raisonnable. "C'est vrai que la soie des Cévennes

était à un prix qui est 4 à 5 fois le prix chinois! Donc une soie incommercialisable. Elle ne

le devenait que parce qu'il y avait une transformation qui lui rajoutait de la valeur, qui
118

faisait que sur le marché on pouvait la vendre un prix plus élevé. On pouvait dons

rémunérer le cocon relativement cher par rapport au prix de la soie." admet Michel C.

La solidarité a ses limites et les tisseurs protestent de plus en plus énergiquement: "ils

disaient (les tisseurs): 'C'est nous quifinalementvalorisons la soie des Cévennes par la

consommation et la valeur ajoutée qu'on lui apporte'". "Ils se sentaient un petit peu lassés

de dépendre d'une production que finalement eux aidaient à commercialiser" ajoute

encore Michel C.

De plus, l'engagement pris par les responsables de la filature d'abaisser à relativement

court terme le prix de la soie n'a pas été tenu. L'utilisation de la bassine doupion qui

devait permettre de diminuer le coût de production du kilo de soie aboutit au contraire à

son augmentation. Sa mise au rencard devient prétexte à une mise en accusation

réciproque, les tisseurs reprochant aux techniciens de la filature d'avoir été

techniquement incapables de la faire fonctionner correctement et ces derniers accusant

les tisseurs d'avoir fait marche arrière après les avoir fortement incités à acquérir cet

outil! Les reproches d'incompétence technique, d'irresponsabilité et de manque de

réalisme économique de plus en plus pressants lézardent l'alliance entre les partenaires de

la filière. Le principal porte-parole de la relance représente moins les intérêts de

l'ensemble des partenaires que ceux d'un groupe particulier, les sériciculteurs. Pour les

tisseurs, il n'est pas représentatif et c'est la raison pour laquelle sa parole est discutée, sa

personne contestée4.

4 Michel Callón écrit: "Nous nommons controverse toutes les manifestations par
lesquelles est remise en cause, discutée, négociée ou bafouée la représentativité des
porte-parole. Les controverses désignent donc l'ensemble des actions de dissidence".
Michel Callón, "Eléments pour une sociologie...", op. cit., p. 199.
119

Au fond, la SICA bafoue la logique élémentaire des rapports de force au sein d'une

organisation: on voit les sériciculteurs, par l'entremise de Michel C, agir en leaders alors

qu'ils sont pourtant en position d'infériorité. Les tisseurs peuvent en effet décider de

revenir à leur matière première d'origine ou choisir d'acheter leur soie chez d'autres

fournisseurs, à un prix correspondant à la réalité du marché. Le conflit latent entre

Famont" et l'"aval" laisse apercevoir ce qui pourrait bien être l'erreur majeure commise

par ceux qui sont à l'origine de la relance: ne pas avoir mesuré que l'intégration et la

persistance d'une organisation sont, comme l'écrit M. Crozier, constamment "menacées

par les tendances centrifuges introduites par l'action motivée de ses membres qui, dans la

poursuite de leurs stratégies personnelles toujours divergentes sinon contradictoires,

cherchent tout naturellement à protéger, voire à élargir leur propre zone de liberté en

réduisant leur dépendance à l'égard des autres, ou -dit autrement- en limitant et

restreignant l'interdépendance qui les lie aux autres parties en présence"5 . Telle qu'elle

fonctionne, la SICA est une organisation sociologiquement "bancale".

Au sein de la SICA, chaque acteur entend bien utiliser activement sa propre marge

d'autonomie en fonction de la perception qu'il a de sa position.

Les faits vont donner raison à l'analyse de M. Crozier. Ainsi les tisseurs, conscients que

leur statut ne reflète pas la réalité des rapports de production qui existent à l'intérieur de

la SICA, alertent ses responsables sur la nécessité de corriger rapidement ces

dysfonctionnements. Mais leur voix n'est pas entendue.

G. décide de dissoudre l'école de tissage après seulement deux années d'expérience,

parce qu'il se refuse à former "des chômeurs en puissance, voyant le coût de la soie".

Rapidement, il se "reconvertit" dans la soie d'anthéréa*. Parmi ses collègues, les uns

5 En italique dans le texte. Michel Crozier, Erhard Friedberg, op. cit., p. 94.
120

reviennent au lin ou à la laine tandis que d'autres se décident carrément à changer de

région parce qu'ailleurs, de l'avis même de Michel C, "il n'y avait pas cette production

dont ils dépendaient. Ils ont continué à produire à partir de soie chinoise et à valoriser un

produit avec uniquement leur propre image".

On peut se demander si l'échec de l'école et la dispersion des membres d'ATISSOF n'ont

finalement pas fait l'affaire du responsable de la SICA qui s'est toujours défié des tisseurs

à bras pour au moins deux raisons: leur faible capacité de consommation de la soie

cévenole que nous avons déjà mentionnée et leur esprit d'indépendance, facteur de conflit

à l'intérieur de lafilière:" il y avait des gens comme les tisseurs qui ne voulaient pas se

laisser intégrer, qui avaient l'esprit très individualiste, qui voulaient qu'il y ait des contrats

entre deux groupes d'individus, les producteurs et les consommateurs de fil, mais en

restant totalement indépendants". En quittant la SICA, les tisseurs donnent donc

indirectement raison à Michel C. qui depuis longtemps considérait que l'alliance avec les

tisseurs, imposée par les circonstances, n'était qu'une étape intermédiaire vers une

intégration qu'il voulait "de A à Z". Autrement dit, il s'agissait pour lui d'intégrer non plus

seulement les hommes, mais l'opération de tissage, à travers l'outil de production et les

savoir-faire.

D'ailleurs, Dominique F., le tisseur le plus actif au sein de la SICA et qui partage les vues

de Michel C quant à l'intégration du tissage et de la commercialisation, a déjà franchi le

pas puisqu'il a commencé à tisser sur les métiers mécaniques installés à Gréfeuilhe, les

métiers à bras ne servant plus désormais que pour la mise au point des modèles. Ainsi la

résolution du conflit se traduit-elle par la disparition de la majorité des tisseurs. Leur

zone de liberté étant incontestablement plus large que celle des sériciculteurs, ils ont la
121

possibilité à tout moment de décider de se retirer du jeu6 s'ils ne parviennent pas à

récupérer leurs mises.

Dans l'immédiat, cette crise au sein de la SICA semble profiter à l'amont de lafilièreet à

son leader qui parvient ainsi à ses fins: unefilièreentièrement intégrée puisque la SICA

contrôle elle-même les opérations de transformation, depuis lafilaturejusqu'au tissage.

Dans le nouvel organigramme, Michel C et Dominique F. se répartissent les tâches et les

responsabilités. Michel C, conformément à son ambition initiale qui était de servir un

développement local basé sur la relance des élevages séricicoles, engage un programme

visant à améliorer les rendements de la production séricicole par une meilleure maîtrise

des techniques de culture du mûrier et d'élevage des vers à soie, tandis que Dominique F.

se charge du tissage et la commercialisation.

Examinons rapidement quelle est la stratégie commerciale développé par la SICA à partir

du moment où elle doit trouver de nouveaux marchés, sa capacité de production étant en

quelque sorte libérée par le retrait des tisseurs à bras.

La SICA présente au printemps 1983 ses premières collections de tissus pour la

confection: un taffetas chaîne et trame filé, une toile chaîne filé et trame schappe*, une

toile chaîne et trame schappe*.

Avec son dossier d'échantillons, Dominique F. entreprend une opération de "porte à

porte" auprès des grandes maisons de couture parisiennes. L'accueil est relativement

favorable et le carnet de commandes se remplit de façon satisfaisante. Certains, comme

Ted Lapidus pour sa collection de prêt-à-porter, trouvent les produits de la SICA

6 Voir à ce propos, Jean-Louis Paucelle, "Théorie des jeux et sociologie des


organisations", Sociologie du travail, n°l, 1969.
122

"intéressants mais trop chers", d'autres, comme Nina Ricci, jugent les cravates "trop

'sport' par rapport au style de la maison", mais, en revanche, des maisons renommées

comme Pierre Cardin, Jacques Estérel ou encore Louis Féraud, commandent des

cravates ou des métrages pour effectuer des essais.

Le tisseur-commercial de la SICA démarche également auprès de grands groupes

industriels afin de voir s'il y a possibilité de trouver un débouché dans le cadeau

d'entreprise: Thomson, l'Aérospatiale, Airbus Industries, Electronique Serge Dassault,

Avions Marcel Dassault et Air France sont les principales sociétés contactées au cours de

cette prospection. La participation de la SICA à des salons internationaux permet enfin

d'approcher des fabricants de cravate susceptibles d'acheter du tissu et de recruter des

représentants multicartes pour la vente auprès de détaillants français.

Le bilan des deux premières années de commercialisation est cependant nuancé.

L'amortissement des frais de collections et les coûts de gestion du réseau commercial

s'avèrent difficilement supportables au regard du volume des ventes réalisées. L'absence

de griffe connue - La marque Michel C. est trop récente pour prétendre à constituer une

référence!-, une gamme d'articles restreinte et enfin leur prix relativement élevé s'ajoutent

à un facteur conjoncturel peu favorable auquel n'a pas pensé l'équipe dirigeante: la

cravate, symbole de l'élégance masculine, n'a plus le vent en poupe depuis mai 68! De

plus, la SICA ignore tout des pratiques de consommation dans le domaine de la mode.

Elle s'aperçoit trop tard que la cravate haut de gamme est inséparable de la chemise: le

client aisé, attentif à l'harmonie des coloris, des motifs et des matières, va plus volontiers

vers une marque qui propose l'assortiment: "tous ceux qui passaient devant notre stand
123

trouvaient ça très beau, fabuleux, mais le gars qui achète en face ses chemises, il avait la

cravate avec, assortie... On a eu quelques marchés, mais on s'est planté!"

Les responsables de la SICA ne se découragent pas pour autant et font le pari de

l'innovation textile afin de pouvoir prendre place sur des créneaux commerciaux

résolument nouveaux ou qui ne sont pas encore saturés. C'est ainsi qu'ils étudient la

possibilité de créer des fils cardés à partir des déchets de soie inutilisés. Pour la SICA,

cette activité renoue avec une tradition régionale que les filateurs français ont

progressivement abandonnée aux industriels italiens, suisse ou allemands alors qu'elle

constituait un desfleuronsde lafilaturecévenole jusque dans les années 1940. La France

et plus largement l'Europe connaissent en outre une augmentation de la consommation

de ces fibres naturelles, liée à l'engouement pour l'écologie. Enfin, dernier point qui joue

en faveur de cette orientation, le prix trop élevé du fil cévenol (en 1985, il est à 800 fis

contre 300 fis pour lefiléchinois) qui rend sa commercialisation impossible à ce stade et

très difficile après tissage. L'intérêt du fil de schappe tient à son originalité visuelle et

tactile (un aspect mat et "rustique") et à son extension moléculaire qui permet une

économie de matière première. La production de fil de schappe n'a pas pour but de

concurrencer l'Italie mais d'utiliser les déchets de la filière et de s'autosuffire dans la

mesure où ce fil est destiné à être tissé à l'atelier de Gréfeuilhe. Par ailleurs, un

programme d'étude, mené en collaboration avec l'Institut textile de France, a débouché

sur la mise au point de "mélanges intimes" à base de fil de schappe et de différentes

autresfibrestextiles: angora, laine, lin7 .

7 La SICA est particulièrement attentive à la provenance de sa matière première car il


s'agit de réaliser à l'échelon national ce qu'elle tente modestement à l'échelon local; ainsi
le lin vient-il du Nord de la France, le mérinos du pays d'Arles et le mohair des élevages
124

En dépit de son manque d'expérience, la filière fait donc preuve d'une réelle capacité à

rechercher des débouchés originaux et à s'adapter à un marché particulièrement

dynamique. C'est ainsi qu'au printemps 1985, Dominique F. peut présenter une nouvelle

collection de tissus destinés au prêt à porter, en mélanges soie-lin et soie-laine et dès

l'automne suivant la SICA dispose d'un réseau de représentants et d'agents commerciaux

en France et dans plusieurs pays étrangers, l'Angleterre, la Belgique, la Suisse et

particulièrement le Japon. Junko Shymada, Yamamoto, Kenzo, des couturiers franco-

japonais qui aiment tout particulièrement jouer avec de nouvelles matières et textures,

passent commandes à la SICA.

Parallèlement, celle-ci poursuit l'expérimentation d'un nouveau mode de

commercialisation engagé courant 1984: la vente estivale aux touristes. Depuis l'été

1982, le bouche à oreille conjugué à plusieurs articles élogieux dans la presse locale et

nationale avait eu pour effet de conduire quelques centaines d'estivants jusqu'à l'atelier de

Gréfeuilhe pour y voir "en vrai" le travail de la soie. Quelques objets présentés dans le

hall d'accueil de la filature, un document audio-visuel relatant l'aventure encore toute

neuve de la relance et la visite de l'atelier en activité avaient suffi pour séduire le touriste

qui ne repartait pas sans avoir acheté un souvenir. Faisant taire son hostilité à l'égard du

phénomène touristique qu'il avait considéré comme extrêmement prédateur au cours de

ses années de militantisme occitaniste, Michel C. se demande si le tourisme ne serait pas

un marché extrêmement porteur. Les ventes réalisées lors des visites de l'atelier

tendraient à la confirmer, d'autant que ce marché vafinalementdans le sens des objectifs

caprins des Cévennes, du Var, du Tarn et des Pyrénées. Elle préserve ainsi son image
d'entreprisefidèleà une éthique de valorisation des ressources locales.
125

que s'est fixée la relance: supprimer autant que possible les intermédiaires entre

producteurs et consommateurs.

A en croire la progression du chiffre d'affaire de la SICA, le pari de la relance semble en

bonne voie d'être gagné. Pourtant, une fois encore, la confiance affichée par la SICA va

s'avérer erronée.

En 1986, une nouvelle crise surgit au coeur même de la SICA alors que l'intégration du

tissage semblait avoir résolu les problèmes. C'est en effet le moment que choisissent le

tisseur-commercial et le créateur pour se séparer de la SICA, en reprenant à leur compte

les arguments avancés par les tisseurs moins de trois ans auparavant. Michel C. analyse le

conflit en ces termes: "Ils estimaient que la valeur ajoutée en création et en tissage

donnait toute la valorisation au produit et ils estimaient que si le produit pouvait bien se

vendre, c'était grâce au tissage et à la création. C'était pas tout à fait faux mais nous on

voulait pas dissocier de la partie amont sachant que si on le faisait, ce qui s'était passé

dans le passé entre les Lyonnais et les Cévennes, la partie aval, finirait par étrangler

complètement la partie amont. Ca a abouti à la scission".

Un divorce dont les conséquences sont graves pour la SICA, le groupe dissident

détenant lefichier-client,cet instrument capital sans lequel la commercialisation est en

panne. Le conflit qui met aux prises Michel C, défenseur de l'amont de lafilière,avec

Dominique F., artisan (et partisan...) de l'aval, prend une tournure personnelle, ce qui n'a

rien de surprenant dans une aventure où la passion joue un rôle essentiel. L'éthique

égalitariste à laquelle chacun avait voulu croire avec plus ou moins de sincérité vole en

éclat et les protagonistes parlent de trahison et d'infidélité. La rupture est à la mesure des
126

liens amicaux qui unissaient les deux protagonistes, désormais dans l'incapacité de

trouver un compromis sans fait appel à une intervention extérieure.

La Direction Départementale de l'Agriculture a suffisamment soutenu la relance pour ne

pas pouvoir accepter la disparition de la SICA, disparition qui constituerait un désaveu

de son action. Elle confie donc l'arbitrage du conflit à son chargé de mission. La

négociation aboutit à l'accord suivant: Dominique F. conserve le fonds commercial,

indemnise la SICA et s'engage à travailler avec elle pendant encore deux années. Au

terme du contrat, les deux structures cesseront toutes leurs activités communes, la SICA

ayant eu tout le temps nécessaire pour créer son propre réseau commercial et Dominique

F. pour monter son propre atelier de tissage et de confection. Mais au terme de ces deux

années de transition, la SICA se retrouve avec près de 500 000 frs d'impayés car ses

partenaires ont entre-temps déposé le bilan.

Heureusement, Michel C. et André S. avaient pressenti les difficultés à venir avec leurs

anciens collaborateurs et préparé le passage à une nouvelle organisation. Dans leur

esprit, cette restructuration était inéluctable à plus ou moins brève échéance dans la

mesure où le chiffre d'affaires lié à l'activité industrielle de la SICA ne pouvait pas être

légalement supérieur à celui provenant de l'activité agricole.

Le passage à la Société anonyme

En 1985, la SICA est au bord de la liquidation. Avec ses 500 000 frs d'impayés, elle ne

peut plus régler ses fournisseurs (sériciculteurs en tête), ses prestataires et son personnel.

Avant de déposer le bilan, les responsables de la SICA créent SÉRICA - Soieries des

Cévennes.
127

Il s'agit d'une société anonyme dont le capital de départ est constitué d'actions comprises

dans une fourchette allant de 10 000 frs à 50 000 frs afin d'éviter que des groupes ou des

individusfinancièrementpuissants puissent éventuellement prendre le contrôle de la

société8. Les fondateurs de SÉRICA tiennent à ce que l'entreprise "reste en pays

cévenol et qu'elle soit essentiellement l'affaire de ceux qui depuis plusieurs années déjà

ont soutenu l'action de relance séricicole"9. Les aléas des affaires économiques n'ont

semble-t-il pas écorné les résolutions initiales, l'éthique sur laquelle s'était fondée toute la

démarche. "SÉRICA s'est créée pour essayer de trouver un marché qui serait mis à la

disposition de la partie amont" affirme son président qui confirme ainsi que lafilière,en

dépit de ses difficultés, entend demeurer fidèle à sa ligne de conduite. Pour garantir le

transfert des principes fondateurs de la relance dans le cadre de SÉRICA, les agriculteurs

ont leurs propres représentants au sein du conseil d'administration de la nouvelle société.

Le démarrage de SÉRICA au cours du premier trimestre 1986 est difficile car elle doit

emprunter une somme importante au Crédit Agricole et ouvrir des prêts à compte

courant auprès de certains actionnaires pour pouvoir fonctionner et surtout racheter

l'outil de production qui appartenait à la SICA et qui est menacé de destruction du fait de

la faillite. Sa fragilité économique 10 lui interdit en outre de recruter le personnel

nécessaire; elle peut seulement assurer le poste d'un directeur technique chargé tout à la

8 On peut cependant se demander si ces craintes sont vraiment fondées car SÉRICA ría
pas le profil d'une entreprise susceptible d'intéresser les investisseurs! Nous serions plutôt
incités à voir derrière cette pétition de principe un appel du pied aux actionnaires
potentiels qu'il s'agit de rassurer sur la continuité d'une démarche dont le but ultime et
affirmé demeure le développement local.

9 Plaquette de présentation de SÉRICA.


10 En 1987, les fraisfinanciersatteignent le montant de 18% du chiffre d'affaires.
128

fois des approvisionnements en matière première, du suivi des façonniers 11, de la

gestion technique, de l'organisation de la production et enfin de la commercialisation.

Seul Michel C. est à même de remplir ces diverses fonctions techniques et économiques,

c'est donc lui que désigne pour tenir ce rôle la Direction départementale de l'Agriculture,

organisme de tutelle de la SICA qui tient en priorité à préserver l'activité séricicole

puisqu'elle relève de son domaine de compétence et de responsabilité.

La sériciculture est en effet étroitement solidaire, dépendante même de l'aval, c'est à dire

des phases ultimes de transformation et de commercialisation: si SÉRICA ne parvient pas

à reconstituer à la fois le réseau de clientèle et les savoir-faire "partis" avec le tisseur et le

styliste, elle hypothèque fortement les possibilités de relance de la sériciculture. C'est

ainsi que paradoxalement Michel C. va être contraint à suspendre ses activités liées à la

maîtrise des savoir-faire séricicoles pour s'investir dans la fabrication et la

commercialisation, désormais maillons faibles de la filière.

Afin de respecter les termes du contrat qui la liait pour deux ans avec la société fondée

par ses anciens techniciens, la SICA avait dû renoncer à exploiter la ligne de produits

conçue en collaboration avec ces derniers et s'était orientée vers la création de fil à

tricoter. SÉRICA choisit par conséquent d'orienter son activité vers l'exploitation des

procédés mis au point par la SICA. Mais un malheur n'arrivant jamais seul, c'est le

moment que choisit le marché du fil à tricoter pour s'effondrer, après une décennie de

prospérité. Des maisons spécialisées dans ce commerce sont contraintes au dépôt de

bilan car le pull-over "tricoté maison" est passé de mode. Ce renversement de tendance

entraîne une lourde perte qui pénalise encore davantage la filière soie dans cette phase

cruciale de sa réorganisation.

11 Le décreusage* et le cardage* sont effectués par des entreprises extérieures.


129

Cette évolution était-elle prévisible? Même si les signes d'un essoufflement de la

consommation defilà tricoter pouvaient être décelés depuis quelques temps déjà,rienne

laissait cependant prévoir un effondrement aussi soudain. Le client "est un être

imprévisible" affirment M. Akrich, M. Callón et B. Latourl2, ce qui dit bien l'incapacité

des études de marché à prévoir ses comportements futurs 13 . C'est tout le risque qu'il y a

à lancer des produits innovants: un marché dont tous les indicateurs étaient au vert peut

brusquement s'évanouir. Cerisqueest accru lorsque le facteur culturel et social (la mode)

prend le pas sur le facteur technique (les performances).

La multiplication des actes de dissidence de la part des partenaires techniques et des

clients en dit long sur la fragilité des alliances qui ont été conclues entre les différentes

entités: à tout moment, elles sont susceptibles de se démobiliser.

Ce nouvel avatar va conforter les dirigeants de SÉRICA dans leur conviction que la

filière doit non seulement prendre en charge les opérations de production et de

transformation mais également assurer la promotion et la vente de ses produits. Vendre:

telle est la raison d'être de toute entreprise. La question des débouchés est donc cruciale,

elle constitue l'ultime sanction de l'innovation.

Les abandons, les "trahisons", les circonstances contraires suscitent chez les "porteurs"

de la relance le désir de tout contrôler, au risque, comme on le verra plus tard, de la

mettre en danger. Pour J.-B. Meyer, ceux qui mettent en branle le mouvement de

12 Madeleine Akrich, Michel Callón et Bruno Latour, "L'art de l'intéressement..."


op. cit., p. 45.

13 Les sociologues ne sont sans doute pas aussi affirmatifs quant au caractère erratique
de la mode. Ce qui est imprévisible n'est pas tant la tendance que le moment où elle
s'actualisera. Il a ainsi fallu attendre près d'une dizaine d'années pour que les fils en
mélange intime créés par la SICA trouvent un marché.
130

l'innovation contrôlent peu ses développements ultérieurs. A trop vouloir la maîtriser, ils

la tuent et parfois se sucidentl4 .

Un réseau en perpétuelle évolution

Près de 10 ans après la création de l'ADSC, la relance a sensiblement changé de

physionomie. Les transformations que l'on a pu observer au niveau de l'organisation de la

production sont le reflet de l'évolution du réseau.

Faisons un bond en arrière, au moment où la SICA voit le jour.

Sa création n'est pas sans provoquer des transformations dans la composition du groupe

des sériciculteurs. La plupart des anciens éleveurs qui avaient participé à la relance dans

sa phase expérimentale déclare forfait quand il est question de passer au stade d'une

production "réelle", affranchie de la nostalgie et orientée vers la rentabilité et la

productivité. Les Cévenols de souche se refusent en effet à prendre des parts sociales

dans la SICA bien qu'ils acceptent de demeurer membres de l'ADSC qu'ils continuent à

soutenir.

La notion de réseau technico-économique, telle que l'a définie M. Callón, restitue la

complexité de T'ensemble coordonné d'acteurs hétérogènes" 15 qui soutend le processus

d'innovation.

14 Jean-Baptiste Meyer, op. cit., p. 420.


15 Michel Callón, "L'innovation technologique et ses mythes", Annales des Mines,
Gérer et Comprendre, mars 1994, p. 16.
131

Le réseau primitif s'est progressivement modifié. Les fidèles des débuts ont pris leurs

distances: les parents d'élèves se désintéressent de la relance à mesure que leurs enfants

grandissent et changent d'établissement scolaire; les anciens sériciculteurs vieillissant

renoncent à un élevage qui vu leur âge est trop astreignant; la population de Monoblet

reproche à l'équipe municipale de consacrer la totalité de son énergie et des ressources de

la commune à la relance séricicole et de négliger les affaires courantes... De manière

générale, on peut dire qu'au fur et à mesure que la filière se professionnalise et que

l'idéologie, "l'utopie", fait place au réalisme économique, de nouveaux acteurs s'intègrent

au réseau techno-économique tandis que s'effacent les partenaires de la première heure

qui ne se retrouvent plus dans le discours technique et économique qui s'est substitué à

l'élan du coeur et de la mémoire. En fait, la gestion de lafilièredevenant de plus en plus

technicienne tend à soustraire les orientations de celle-ci auxfinalitésinitialement fixées.

Plus elle est encadrée par les instances territoriales, plus elle se trouve soumise à des

normes qui progressivement conduisent à la mise sur la touche des partenaires

initiaux 16.

Les pouvoirs publics auxquels Michel C. a longtemps reproché un excès de méfiance à

l'égard de ses projetsl7 sont devenus, au fil du temps, plus qu'il ne l'admet, des

partenaires à part entière de la relance. L'administration, à travers la Direction

Départementale de l'Agriculture, apporte en particulier un soutien déterminant qui lui

16 Bernard Eme et Isabelle Mahiou ont analysé ce retournement dans une étude
intitulée Les labyrinthes du local, Paris: MSH, 1984.

17 Nous sommes réservés sur ce point. Les faits montrent qu'en réalité les pouvoirs
publics ont rapidement soutenu la relance: dès 1979, desfinancementsont en effet été
accordés pour la création de l'atelier de Gréfeuilhe.
132

confère une influence croissante. Cette dernière a ainsi financé des études de faisabilité

pour s'assurer de la plausibilité des prix de revient annoncés par les responsables de la

filière et mis à profit les compétences de ses techniciens pour le montage juridique de la

SICA; elle se charge enfin d'instruire des dossiers auprès du FIDAR18 , de la DATAR19

et des collectivités territoriales afin d'obtenir des crédits pour la plantation de mûriers et

l'aménagement des magnaneries. A cette occasion, la DDA prend l'initiative d'une

politique d'appui à la sériciculture dans tout le Sud de la France. Elle lance un

programme de plantation de kokusos 21 et d'aménagements des magnaneries, non

seulement dans le Gard mais également en Ardèche, dans la Drôme et les Pyrénées

orientales. Il faut cependant relativiser la mobilisation de la DDA en tant qu'indice d'une

implication de lTitat20 ; elle est davantage à mettre au crédit du Directeur départemental

de l'agriculture et de son équipe, à 1'affüt de toutes les innovations qui voient le jour dans

ce département gravement affecté par la déprise agricole.

Néanmoins, la création de l'atelier de Gréfeuilhe, avec un budget de plus d'un million de

francs, a déclenché le mécanisme des aides publiques. Par souci légitime de cohérence, la

DDA ne peut qu'appuyer le renforcement de l'amont de la filière, sachant qu'il ne suffit

pas de mettre en place unefilature,il faut également des cocons pour la faire tourner21 !

18 FID AR: Fonds Interministériel pour le Développement et l'Aménagement Rural.

19 DATAR: Direction de l'Aménagement du Territoire et de l'Action Régionale.

20 Des études montrent que les tenants de la logique productivité sont ailleurs
majoritaires et s'emploient par tous les moyens à décourager les innovateurs. Sur cette
question, voir en particulier Jean Nau, "Développement local et pouvoirs politiques dans
la région de Lacq" in: Paul Bachelard, op. cit., pp. 145-163.

21 Jean-Paul Courthéoux dénonce ce qu'il qualifie de "politique sans amont", c'est à dire
des actions entreprises afin de développer une activité jugée, à un moment donné,
prioritaire, mais en négligeant de s'assurer, en amont, du développement des industries de
133

La mise en oeuvre d'une politique d'appui à la sériciculture est indissociable de la création

de l'outil de transformation, dans la mesure où il s'agit d'une logique defilièreintégrée.

Les aides appellent généralement les aides. C'est le premier pas qui compte: à partir du

moment où les pouvoirs publics commencent à mettre de l'argent dans un projet, ils ont

tendance à reconduire leur soutienfinancierpar crainte qu'il ne fasse naufrage et qu'on

leur reproche ensuite d'avoir manqué de discernement et "jeté l'argent par les fenêtres".

Leur légitimité, leur crédit dépend de la réussite du projet. En d'autres termes, il s'agit

souvent d'un engrenage.

Grâce à son territoire partiellement montagneux et à ses difficultés économiques, le

département du Gard peut prétendre aux aides européennes et nationales allouées aux

zones de montagne défavorisées22 . Or la DDA, en s'immisçant dans le développement

de la filière, lui sert de relais auprès des organismes décideurs au sein desquels elle a

souvent voix consultative. Discrète dans ses interventions, elle n'en remplit pas moins un

rôle fondamental, tempérant certaines prises de risque inconsidérées, rappelant à l'ordre

les responsables lorsqu'ils ne tiennent pas suffisamment compte de l'interdépendance

entre l'amont et l'aval de la filière.

Rôle croissant de la DDA qui influence incontestablement la stratégie de la filière, mais

aussi emprise marquée des organismesfinanciersqui apportent une partie des capitaux

nécessaires à l'acquisition de l'outil de production et assurent le fonds de roulement de la

fournitures. Jean-Paul Courthéoux, "La participation au progrès. Erreurs en économie


et économie en erreur", intervention au colloque franco-roumain sur l'efficience
économique qui s'est tenu à Paris, Collège de France, en 1971.

22 Aides du type Fonds Européen de l'Economie Régionale (FEDER) ou instruites


conjointement par la Direction Régionale de l'Agriculture et de la Forêt (DRAF) et la
Direction Régionale du Travail et de l'Emploi (DRTE).
134

société SERICA23 . Parce qu'elle doit éponger l'ardoise laissée par le dépôt de bilan de

la SICA, la nouvelle société se donne comme objectif prioritaire l'augmentation de son

chiffre d'affaires. Ses résultats économiques sont en effet absorbés par le remboursement

de sa dette et de ses emprunts.

Lafilièreest prise entre deux feux: d'un côté elle est sommée de résoudre la question de

la commercialisation que chaque facture ou traite vient rappeler de façon pressante à ses

dirigeants, de l'autre elle doit continuer à assurer l'encadrement des sériciculteurs et

trouver des réponses techniques mieux adaptées aux exigences de productivité et de

rentabilité. Ces deux rôles font appel à des compétences qui ne sont pas de même nature

mais Michel C n'a pas le choix: ils doit faire face, changer de casquette selon son

interlocuteur du moment, être tout autant capable de répondre à l'éducateur dont les vers

pâtissent de la chaleur que de proposer une solution pour que l'eau des bassines de

teinture soit moins "dure" ou de négocier une commande de sous-vêtements! Il est

devenu un technicien polyvalent, une sorte d'"ingénieur hétérogène"24, associant et

cumulant des compétences extrêmement diverses dans tous les domaines, qu'ils soient

techniques ou commerciaux.

Le marché et la technique sont donc les deux pôles du réseau techno-économique. Il

aurait été plus logique de dire: la technique puis le marché, dans la mesure où on est

23 J. Schumpeter a mis en évidence deux éléments qu'il juge centraux dans le mécanisme
de l'innovation: la capacité à entreprendre et le crédit bancaire qui procure la maîtrise des
moyens de production indispensables.

24 La formule est de Jean-Baptiste Meyer, La dynamique de la demande..., op. cit., p.


62.
135

porté à considérer que le flux de l'innovation s'écoule du premier pôle vers le second25 .

Il s'agit plutôt d'un "processus itératif par lequel l'innovation se dote de ses propriétés...

en circulant entre ces pôles de façon répétée et pas forcément successive"26.

L'innovation se construit en effet dans un mouvement de va-et-vient permanent entre

l'offre technique et la constitution du marché. L'offre et la "demande" s'ajustent l'une à

l'autre, s'orientent mutuellement, se co-définissent dans une continuelle interaction.

Indissociablement liées, réciproquement déterminées, elles reflètent l'état du réseau à

l'intérieur duquel elles se déploient. Suivre le processus d'innovation revient donc à

rendre compte de la façon dont les acteurs-membres du réseau interviennent sur l'objet

technique.

Les responsables de la relance ont souhaité intéresser de nouveaux "groupes sociaux

pertinents" qui puissent les aider matériellement à parvenir à leurs fins mais, en

contrepartie, ils ont dû consentir à ce que ces derniers s'approprient le projet et

l'influencent. En échange des soutiens qu'ils sollicitent, les responsables de SÉRICA

doivent accepter de faire des concessions, trouver un compromis entre leurs aspirations

et les exigences parfois contradictoires de leurs partenaires. Ainsi l'évolution de la

relance, au milieu des années 80, est-elle le reflet des préoccupations des différents

25 Voir Jean-Baptiste Meyer, La maîtrise sociale de l'innovation. Introduction


bibliographique, document dactylographié pour le colloque organisé à Montpellier par le
CIRAD, l'INRA et l'ORSTOM, du 13 au 16 septembre 1993, p. 8. Dominique Vinck
écrit que "le processus d'innovation n'est pas linéaire (...) Au contraire, l'innovation est
un processus interactif et tourbillonnaire au sein duquel les innovateurs circulent du
laboratoire au marché, de la direction financière à la législation, et retournent au
laboratoire avant d'essayer de convaincre à nouveau l'unité de production". Dominique
Vinck, "Innover c'est aussi parier sur la société", Sociología Internationalis, n°2, 1990,
p. 185.

26 Jean-Baptiste Meyer, op. cit.


136

acteurs impliqués. Plus ces acteurs sont nombreux et hétérogènes, plus le travail de

traduction est délicat car les organisateurs du réseau doivent parvenir à unifier ces

attentes diverses, trouver une formulation qui conviennent à chacun, un "objet frontière

commun"27.

L'évolution du réseau rend compte du passage progressif d'une traduction unilatérale,

Michel C. et ses acolytes se refusant tout d'abord à prendre en considération le point de

vue des notables et des instances politico-administratives, à une traduction réciproque28

qui marque l'incorporation du point de vue de ces derniers, lequel va progressivement

jouer un rôle de plus en plus déterminant dans les orientations de la relance.

Dans le mesure où le réseau ne cesse de s'élargir à de nouveaux groupes sociaux, les

intérêts qu'il doit représenter sont de plus en plus complexes et mêlent des motivations

particulièrement hétéroclites. Sériciculteurs, filateurs, scientifiques, représentants

d'organismes d'Etat, élus et hommes politiques, consommateurs confrontent, opposent

parfois leurs visions et leurs attentes, obligeant le leader de la relance à des négociations

incessantes pour les faire tous tenir ensemble. Composer sans cesse avec les uns et les

autres, jongler avec les compromis pour n'en fâcher aucun et faire en sorte que tous s'y

retrouvent, telle est la tâche délicate que doit mener à bien Michel C. Continuellement

sur la corde raide, il se bat simultanément sur plusieurs fronts: le développement local, la

technique, l'expérimentation, l'économique, le devoir de mémoire... Peu à peu, il a su

intéresser à son projet unefractionnon négligeable de la population locale, montrer aux

élus que son initiative est une alternative possible au problème crucial du développement

27 Patrice Flichy, L'innovation technique, Paris: La Découverte, 1995, p. 134.

28 Michel Callón, "L'opération de traduction...", op. cit., pp. 20-21.


137

local, aux organismes gouvernementaux qu'elle constitue un outil de redéploiement d'une

zone économiquement marginalisée, aux politiques qu'elle donne d'eux une image

flatteuse, aux organismes de recherche qu'elle permet à leurs travaux sur le mûrier ou le

ver à soie de sortir du champ clos du laboratoire... En d'autres termes, que chacun est

susceptible de s'y retrouver, peu ou prou. Elle est ainsi devenue un point de ralliement.

Mais la somme de toutes ces complicités acquises grâce à une grande maîtrise de l'art de

convaincre et de négocier, art dans lequel le leader de la relance excelle

incontestablement, forme-t-elle pour autant un ensemble unifié? On peut en douter

lorsqu'on prête attention aux controverses qui surgissent au sein du réseau. On en avait

eu un aperçu avec celle qui avait opposé Michel C. et Edouard de C.29, puis une

confirmation lorsqu'éclata le conflit avec les tisseurs. Avec la démultiplication des

acteurs, ce phénomène s'accélère. Que Michel C. se consacre à l'appui technique aux

sériciculteurs et on ne manque pas de lui rappeler que la priorité est à la

commercialisation, qu'il se soucie de productivité et on le met en garde contre le danger

de sacrifier le qualitatif au quantitatif, qu'il tente de se rapprocher des centres de

recherche technique et scientifique et on le soupçonne d'être à son tour prêt à "se vendre

aux Lyonnais"! Le jeu des alliances auquel il se livre est donc un exercice risqué,

produisant un équilibre fragile, en permanence contesté et, de fait, modifié. Aiguisant

aussi sa capacité à user de subterfuges, exaltant son goût pour la stratégie et, finalement,

lui révélant la saveur du pouvoir.

29 Voir pp. 54-56.


138

De l'utopie au réalisme

Un article écrit en 1989 par Michel C. s'intitule: "Soie des Cévennes, du réalisme à

l'utopie". Un titre quelque peu provocant qui revendique, contre le discours

technocratique et les dérives de la "société de consommation en plein expansion"30 le

retour aux structures et aux valeurs d'une Cévenne traditionnelle dont la relance

séricicole serait le vecteur et le symbole. Les grands traits d'un discours utopique sont

effectivement présents: les pionniers de la relance construisent une nouvelle image de la

société cévenole à travers une lecture du présent et du passé qui rompt avec le discours

desdécideurs31 .

En 1989, après une quinzaine d'années d'expérience, ce propos résonne comme un

constat: le pari initial aurait été gagné. La relance aurait eu raison de ses détracteurs,

déjoué les obstacles, surmonté les embûches et finalement prouvé qu'il existe d'autres

voies possibles au développement que celles tracées et imposées par les sphères

dirigeantes. Victoire contre toute attente de la "base", de la société civile qui aurait ainsi

prouvé qu'elle est capable de prendre en main son devenir et démontré que l'"autonomie

du local" n'est pas illusoire. "Autonomie de local", l'expression est lâchée; on la retrouve

au cours de cette période dans la plupart des discours sur le développement local. Une

autonomie qui, dans la conception qu'en a Michel C, ne signifie pas pour autant une

séparation: "notre développement... ne peut se réaliser dans une bulle opaque" affirme-t-

30 Michel Costa, "Soie des Cévennes - du réalisme à l'utopie", Causses et Cévennes,


n°3, 1989, p. 339.

31 Henrique Urbano, "Identité et discours utopique", Identités collectives et


changements sociaux, Toulouse: Privat, 1980, p. 104.
139

il. En effet SÉRICA vend ses produits en Europe, achète des cocons sur le continent

africain, envisage d'exporter dans l'avenir ses savoir-faire... Une autonomie de choix et de

décision.

"La première cause de l'utopie, car c'est ainsi que beaucoup nommèrent l'expérience

(parfois par nostalgie, d'autrefois avec ironie) a donc été celle-ci: le refus d'une absurdité

relevant plus d'un principe philosophique ou idéologique que d'une analyse économique

rationnelle" estime Michel C. Proclamer que l'utopie s'est réalisée c'est, d'une certaine

façon, défier tous ceux qui pensent être du côté du bon sens et de la rationalité et se

présentent comme des orthodoxes du développement économique. Michel C. ne se prive

pas alors d'ironiser: "Où sont passés nos économistes?... Ils nagent encore et toujours en

pleine confusion". Aux thèses de ces derniers, il oppose la vision globale d'un ordre qui

est tout à la fois économique et social. Par là, il se situe sur un terrain résolument

politique, ce qui n'a rien d'étonnant compte tenu de son engagement dans le mouvement

occitan. Sa conception de la relance comme réalisation d'une utopie est le prolongement

de ses prises de position contre le modèle imposé de développement productiviste, avec

ses résonances technocratiques, capitalistes et bureaucratiques. Etablissant un parallèle

entre la disparité Nord / Sud et l'inégalité Cévenne "crève-misère"32 / territoire national

florissant, il juge que le "pays" est "...colonisé" et son économie "tiers-mondialisée". Ce

sont bien là des ingrédients de l'utopie qui se refuse à regarder la réalité actuelle comme

la seule possible et porte en elle les inquiétudes, les espérances et les quêtes d'une époque

et d'une société. Comme forme de discours, elle permet de donner libre cours aux

32 On pense au titre de l'ouvrage de Jean-Pierre Chabrol, Ze Crève-Cévenne, Paris:


Pion, 1972.
140

sentiments et aux attitudes de refus et de contestations 3 et est susceptible d'animer

l'action et la pensée politiques. Au fond, le leader de la relance adopte la formule de

Lamartine: "Les utopies ne sont souvent que des vérités prématurées"34 .

Doit-on prendre au pied de la lettre ce discours, le tenir pour transparent, considérer qu'il

n'exprimeriend'autre que ce qu'il dit?

Pour K. Mannheim, l'utopie s'oppose à l'idéologie dans la mesure où la première vise à

"changer l'ordre en vigueur en inspirant à une collectivité, ou à une partie importante

d'une collectivité, le désir de transcender sa situation", tandis que la seconde cherche à

"renforcer l'ordre social existant en faveur de la domination des classes au pouvoir"35 .

Un point de vue manichéen et réducteur à propos duquel nous partageons l'analyse de J.

Seguy qui lui reproche de figer la réalité dans laquelle l'utopie peut (...) devenir

idéologie"36.

L'histoire de la relance montre que le discours utopique est plus complexe qu'il n'y paraît

au premier abord: se proposant commefin,comme idéal, il fonctionne également comme

moyen pour provoquer le changement espéré. C'est ainsi qu'il est tout à la fois

constructif, stratégique et mystificateur.

33 Bronislaw Baczko, "Lumières et Utopie. Problèmes et recherches", Annales ESC,


n°2, mars-avril 1971, p. 382.

34 Bronislaw Baczko, op. cit., p. 355.

35 Karl Mannheim, Idéologie et utopie, Paris: Marcel Rivière, 1956, cité par Jean
Séguy, "Une sociologie des sociétés imaginées: monachisme et utopie", Annales ESC,
mars-avril 1971, p. 328.

36 Jean Séguy, op. cit., p. 329.


141

Constructif, on l'a vu, parce qu'il propose une alternative aux mécanismes socio-

économiques et politiques qui régissent la société.

Stratégique parce que, selon nous, il alimente un discours d'accusation dont le rôle est

essentiel dans le processus d'innovation. En se réclamant d'une vision utopique aussi bien

face à ceux qui tiennent la filière intégrée pour irréalisable que face aux partisans d'une

relance séricicole selon un schéma classique de l'organisation de la production (en

l'occurrence, les initiateurs du projet du CAT Les Magnans), le responsable d'ADSC crée

les conditions d'une opposition conflictuelle qui lui permet de s'affirmer en tant que

porteur d'un projet original. A la lecture de l'abondante littérature produite autour de la

relance, on constate un écart entre les accusations lancés par ses dirigeants à rencontre

des techniciens, des économistes, des notables locaux, des représentants de

l'administration, des élus... et la réalité de leurs propos et de leurs actes. Tout se passe

comme si l'équipe de Monoblet radicalisait les controverses, cherchait à exacerber les

différents, faisant de son modeste objectif, le renouveau de la sériciculture, une véritable

arène politique et sociale, le lieu d'affrontement de deux projets de société.

Quels sont les enjeux de ce discours?

- trouver des alliés car c'est le plus souvent un conflit qui permet à un groupe de se

constituer et qui donne à l'identité collective, selon E. Reynaud, "une visibilité sociale en

même temps qu'une position par rapport aux groupes déjà constitués"37 . De plus, il est

évident que, compte tenu de l'identité des personnes qui se sont ralliées les premières au

37 Emmanuelle Reynaud, op. cit., p. 171.


142

projet de relance, néos-ruraux, Cévenols de souche nostalgiques d'un passé où la

sériciculture occupait économiquement et culturellement une place majeure, le discours

utopique a des chances de trouver un écho favorable38 . C'est ainsi qu'en proposant de

restaurer un équilibre ancien, Michel C. entend faire oeuvre de pionnier. "C'est en ce sens

précis qu'on peut parler dTJtopie à propos de ces tentatives"39 estiment D. Léger et B.

Hervieu qui s'inspirent des mêmes personnages,

- intéresser les médias, volontiers friands de ce type de débats, ce qu'attestent les

innombrables articles publiés dans la presse régionale et nationale qui s'en font l'écho. On

parle de défi40, on reproduit les propos de Michel C. qui n'hésite pas à s'autodésigner

comme incontrôlable et gênant41, on se fait discret quand une étude publiée par la

C.N.A.B.R.L. estime "qu'une relance ne serait ni du domaine de l'utopie, ni du domaine

du folklore" mais on ne manque pas en revanche de rappeler que J.-C. Hugues a conclu à

son impossibilité42, on signale que les "utopistes" de Monoblet ont mené leur projet

"sous l'oeil sceptique des 'administratifs locaux'"43 ... Tout cela au grand dam, parfois,

des personnes visées qui considèrent ces accusations comme injustifiées. Ainsi un

38 Voir sur ce point Daniele Léger," Les utopies du retour", Actes de la recherche en
sciences sociales, n°29, septembre 1979, pp. 46-63.

39 Daniele Léger, Bertrand Hervieu, Des communautés pour les temps difficiles.
Néos-ruraux ou nouveaux moines, Paris: Le Centurion, 1983, p. 28.

40 "Défi dans les Cévennes: le ver à soie revivra", Femmes d'aujourd'hui, n°34, août
1981.

41 Jacques Maigne, "Cévennes: les nouveaux artisans de la soie", Sud, n°72, juin 1977.

42 Dans un entretien publié par Le petit Cévenol, Michel C. affirme que deux études
officielles "étaient venues renforcer la conviction qu'aucune relance n'était à présent
envisageable en France". "Soie cévenole: le grand retour", Le petit Cévenol, n°1769,
février 1982.

43 "Le retour du ver à soie. SÉRICA", Vivre et travailler autrement, décembre 1993.
143

ingénieur agronome mis en cause use de son droit de réponse auprès de la revue Sud. "A

lire Jacques M., les efforts de Michel. C. et de ses amis seraient d'autant plus nécessaires

et méritoires que, pour les gens chargés de l'étude au Ministère de l'Agriculture, 'la

relance est inconcevable'. Ainsi réduits et interprétés, les propos qu'on me prête

apparaissent choquants et peu argumentes..."44. Pour tracer son chemin, apparaître

comme celui qui ouvre de nouveaux horizons, le leader de la relance cherche à mettre

son image publique en conformité avec les stéréotypes qui fleurissent autour de

l'innovateur auquel on prête souvent une faculté de non-conformisme, de dissidence par

rapport aux cadres établis. Ainsi les médias sont-ils utilisés comme vecteurs d'une image

que M. Callón désigne comme "le mythe de l'improvisation romantique"45.

Particulièrement rompu à l'art de la médiatisation, Michel C. alimente par ses propos sa

propre image; celle d'un homme à la fois audacieux et fidèle à ses origines, dont

l'itinéraire personnel et professionnel exprime une grande liberté de pensée46. Un

portrait qui ne fait que refléter le point de vue de nombreux théoriciens de l'innovation.

44 Antoine Blanchemain, "Soie: seul le circuit artisanal est possible", Sud, n°77, juillet
1977.

45 Pour Michel Callón, "La saga de l'innovation met ainsi en scène des individus
généralement marginaux, en butte à l'incompréhension de leurs proches, capables de voir
autrement les problèmes et dotés d'une énergie hors du commun". Le mythe qu'il veut
déconstruire reposerait sur l'idée que l'innovation "s'oppose aux cadres établis, aux
structures organisationnelles rigides, aux bureaucraties stériles ou aux intérêts acquis".
Michel Callón, "L'innovation technologique et ses mythes", Gérer et comprendre, n°34,
mars 1994, pp. 5-17.

46 Le rapport entre la marginalité et l'innovation est complexe. Au lieu d'établir un lien


de causalité nécessaire entre l'une et l'autre, il serait possible de considérer qu'un individu
insatisfait du contexte social, politique, économique ou même technique dans lequel il vit
et qui se ressent plus ou moins consciemment comme en marge de sa propre société, est
susceptible de trouver dans l'innovation le moyen de dépasser sa marginalité et de se faire
reconnaître pour sa différence. Voir sur ce point François Passard, Autonomie au
quotidien, Lyon: Chronique sociale, 1984, p. 133.
144

Pour P. Rossel47, il estfréquentque l'innovation soit déviance, anti-conformisme, "voire

hérésie". Son caractère subversif est également mis en relief par J. Shumpeter qui voit en

elle une "destruction créatrice" se heurtant aux résistances des "exploitants" pour des

raisons à la fois "objectives" (les prévisions de production), "subjectives" (la capacité à

imaginer de nouvelles normes) et sociales (les relations avec les autres acteurs)48.

L'innovateur se justifierait et se construirait, à en croire F. Vidal, "à travers ses victoires

sur des 'contreforces' externes"49,

-créer un effet d'entraînement, stimuler les volontés, susciter des transformations réelles

en déboulonnants les modèles reconnus50. Elle s'apparente donc à la "subversion

hérétique" dont P. Bourdieu estime qu'"elle contribue pratiquement à la réalité de ce

qu'elle annonce par le fait de l'annoncer, de le pré-voir et de le faire pré-voir, de le rendre

concevable et surtout croyable et de créer ainsi la représentation et la volonté collectives

qui peuvent contribuer à le produire"51 .

Enfin le discours utopique est mystificateur en ce sens qu'il lui arrive aussi d'être un

déguisement52, un leurre. Pour C. Le Moenne, les managers d'entreprises seraient dans

47 Pierre Rössel, "Innover ou ne pas innover", Sociología Internationalis, n°2, 1990, p.


192.

48 J. Schumpeter, Théorie de l'évolution économique, Paris: Dalloz, 1935, in: Norbert


Alter, op. cit., p. 449.

49 Florence Vidal, Les sociétés insatisfaites. Dynamique du développement dans les


sociétés humaines, Paris: Marne, 1974, p. 145.

50 C'est l'un des aspects classiques de l'utopie auquel se rattachent les conceptions de
Platon ou T. More.

51 Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire, Paris: Fayard, 1982, p. 150.

52 C'est cette dimension que Gilles Lapouge dénonce avec une virulence particulière:
"L'utopie s'apparente à la grenouille, au bombyx du mûrier et au caméléon. C'est une
145

la nécessité d'apparaître comme des "visionnaires" et de "manifester des qualités

d'utopisme afin de mobiliser les ressources humaines de leurs entreprises"53 . Dans le cas

de lafilière,il s'agit de persuader les acteurs impliqués que la relance est l'affaire de tous.

Ainsi les valeurs communalistes que l'on peut rencontrer dans l'utopie sont également

présentes dans le discours sur la relance: l'aspiration à une communauté de partage et de

travail, la contestation des politiques étatiques par la société civile, la représentation d'un

âge d'or révolu...jusqu'à l'hostilité à l'égard des propriétaires, transposée ici dans la lutte

pour le foncier. Jusque là, rien qui puisse être jugé abusif, mystificateur. Mais ce discours

peut également servir d'écran à des pratiques plus discutables quoique bien ancrées dans

les moeurs de dirigeants d'entreprises actuels: certaines formes d'exploitation d'autant

plus efficaces qu'elles ne se disent pas ouvertement, se dissimulent sous le langage de la

participation. Au delà de toutes les explications qui se fondent sur la conjoncture, les

difficultés réelles rencontrées, on peut s'interroger sur le recours systématique aux

multiples facilités d'embauché consenties par les pouvoirs publics et le si fréquent

renouvellement du personnel! La filière n'est-elle pas au fond en train d'entretenir

l'illusion d'une fidélité à la démarche utopique des années 70 afin de désamorcer les

requêtes de ceux qui après des années de militantisme commencent à s'impatienter de ne

pas être payés de retour? Attitude ambivalente de la part des responsables qui passent en

permanence d'un registre à l'autre, hésitant entre le discours de mise en acceptabilité

rusée. De temps en temps, une patte lui pousse, un poumon remplace une branchie ou
bien des ailes chatoient un bref moment pour se farder de deuil à la suite. Cette manie du
masque lui permet de voir du pays et elle aime ça: l'utopie voyage, change de doctrine
comme de chemise...": Gilles Lapouge, Utopie et Civilisations, Paris: Albin Michel,
1990, p. 267.

53 Christian Le Moenne, "Utopies du troisième type. Communications managériales et


utopisme", Mots/Les langages du politique, n°35, juin 1993, p. 87.
146

idéologique et l'énoncé performatif qui persiste à vouloir faire advenir ce qu'il énonce

avec constance. Ce discours utopique cristallise en fait toutes les contradictions des

porteurs de la relance, contradictions issues de la confrontation entre le projet initial et

les contraintes du champ économique dans lesquels ils entendaient s'inscrire.

Nous rejoignons sur ce point les propos de D. Léger et B. Hervieu qui analysent les

contradictions sociales dans lesquelles sont pris la plupart des néos-ruraux sur plusieurs

plans: "celui de leurs relations avec les Cévenols de souche et de la nature de leur

solidarité avec la population locale; celui du rapport à l'Etat et du statut expérimental des

entreprises alternatives, oscillant entre la volonté radicale du non-compromis avec l'ordre

institutionnel dominant et l'envie de tirer parti d'une situation favorable" 54 .

On pourrait voir dans lafidélitéde la filière à la devise "du réalisme à l'utopie" un acte de

conjuration, voire de dénégation: en perpétuant un discours que les faits n'ont de cesse

de démentir, lafilièrese refuse tout simplement à admettre le caractère irréversible de

certaines traductions auxquelles elle a dû se soumettre. Notion extrêmement féconde que

nous empruntons à M. Callón, l'irréversibilité est une "caractéristique relationnelle qui ne

s'actualise que dans l'épreuve"55 et s'attache aux traductions les plus durables et

robustes. Les responsables de la relance, on l'a vu, ont été contraints à accepter de faire

des compromis, de négocier en permanence avec les acteurs qu'ils souhaitent impliquer

dans leur projet: l'administration qui instruit les dossiers, les banques qui financent les

investissements ou acceptent les découverts comptables, les élus qui votent les

subventions, les scientifiques qui épaulent les expérimentations techniques et cautionnent

54 Daniele Léger, Bertrand Hervieu, Des communautés..., op. cit., pp. 118-119.

55 Michel Callón, "Réseaux technico-économiques et irréversibilités", Les figures de


l'irréversibilité en économie, Paris: EHESS, 1991, pp. 218-222.
147

la démarche. Compte-tenu des choix effectués par les responsables de la filière qui les

placent devant la nécessité de trouver d'importants moyens financiers pour atteindre leurs

objectifs, on voit mal comment ils auraient pu maintenir leur autonomie par rapport à

ceux qui tiennent les cordons de la bourse! Ainsi la direction qui est prise est-elle

entièrement tributaire des interactions, des rapports de force entre les différents acteurs

qui ne pèsent évidemment pas tous du même poids.


148

Les derniers développements

La dernière décennie est fertile en rebondissements qui confirment le caractère

indécidable de l'innovation, prise dans l'entrelacs des relations qui se nouent et parfois

se défont entre les différents acteurs tout au long du passage, si difficile à négocier, de

la virtualité à la réalité. Comme l'écrit B. Latour, "Traduire, c'est trahir (...) C'est aussi

déplacer et opérer comme dit le géomètre, une translation.".

Trahison, déplacement, translation: trois termes qui permettent de décrire les épisodes

que nous voudrions maintenant évoquer avant de conclure provisoirement cette

chronique mouvementée.

Trahison et dissidence

Au moment de la création de SÉRICA, Michel C. avait été invité par les services du

Ministère de l'Agriculture à interrompre ses activités de formation auprès des éleveurs

de vers à soie pour se consacrer entièrement à la partie aval: transformation et

commercialisation. Une situation qui ne devait être que momentanée, le temps que

l'entreprise devienne viable et puisse recruter un personnel compétent pour remplir

chacune des fonctions requises. A l'époque, se souvient Michel C, "la question qui

s'est posée, c'est: 'comment recréer une filière', c'est à dire sa partie aval qui était

absolument indispensable parce que sans elle il n'était pas du tout question qu'il puisse

y avoir quelque chose en amont... Alors moi qui assurait la partie appui technique,

conseil et suivi des agriculteurs, j'ai glissé, à la demande en particulier de la DDA, de


149

l'amont à l'aval: 'on vous demande, peut-être deux, trois ans, d'abandonner la partie

amont parce que ça ne sert àriende continuer s'il n'y a pas defilièred'écoulement'".

Il n'en est pas moins vrai que l'augmentation recherchée du nombre des sériciculteurs

dépend en grande partie de la capacité de lafilièreà susciter de nouvelles vocations

par des actions de sensibilisation et à stabiliser le réseau existant en apportant un suivi

technique régulier qui a également le mérite de resserrer les liens entre des

producteurs dispersés sur plusieurs départements. L'absence de formation est en outre

un frein incontestable à la modernisation des méthodes d'élevage, à la diffusion des

innovations: sans autres conseils que ceux qu'ils obtiennent auprès des anciens

éleveurs, les nouveaux sériciculteurs tendent à reproduire des pratiques souvent

inadaptées aux conditions actuelles de la production. Lixiane P. admet que les conseils

de son voisin lui ont été précieux quand elle s'est lancée dans l'élevage des vers à soie

mais qu'il faut cependant "faire attention, parce qu'ils ont leurs conseils qui ne sont pas

forcément les bons. C'est ce qu'ils ont vécu, eux". Pour déclencher une relance

"réelle", qui ne serait pas seulement le fait de quelques éléments isolés, il apparaît

indispensable que des actions de vulgarisation, d'information et de formation soient

menées.

C'est ainsi que contraints à se débrouiller seuls, sans personne pour les guider,

plusieurs sériciculteurs se découragent etfinissentpar abandonner. Michel C. estime

que "les éleveurs qui étaient les plus fragiles ont décroché carrément, parce qu'eux,

dès que j'ai plus été derrière eux pour les appuyer, les encourager, les conseiller, ils

ont fait que des conneries... Ils ont perdu leurs mûriers parce qu'ils ne les ont pas
150

désherbés, ils ne les ont pas taillés comme il fallait et ça a été trois fois plus dur pour

les tailler après...". Même problème au niveau de l'élevage proprement dit: les

conditions d'hygiène sont insuffisantes, l'égalisation1 des vers laisse à désirer en raison

de la suppression de la nourricerie collective dont se chargeait Pierre G., et Michel C.

Les sériciculteurs sont obligés d'effectuer eux-mêmes l'incubation de la graine et les

naissances s'étalent dans le temps, entraînant une dégradation de la qualité2... Les

rendements s'en ressentent et les résultats économiques ne sont pas à la hauteur des

espérances car il en va de la sériciculture comme de toute autre activité: "on ne

s'improvise pas sériciculteur".

La filière cévenole encourage alors la création d'un syndicat national séricicole

réunissant les différentes associations pour le développement de la sériciculture3 qui

avaient vu le jour à la suite de l'ADSC. Elle pense que cet organisme pourrait prendre

en charge la formation qu'elle même n'est plus en mesure d'assurer.

Malheureusement, le Syndicat ne va pas jouer le rôle qu'on attendait de lui. Il

regroupe les demandes de graine ou de matériel (hérissons) et gère les achats, mais il

ne s'attelle pas au problème de la formation technique que réclament pourtant les

1
L'égalisation des vers est une opération de toute première importance. Comme les
vers naissent en trois levées, généralement à un jour de distance les unes des autres,
l'éducateur doit faire jeûner les premiers nés de façon à ce que tous les vers soient au
même stade de croissance au moment des mues et de la montée*.
2
Les cocons sont classés en trois catégories. En 1993, les cocons de premier choix
étaient payés 77 frs le kilo, ceux du deuxième choix, 50 frs et ceux du troisième choix,
38frs.
3
II s'agit de l'association pour le développement de la sériciculture en Vivarais
(ADSV), l'association Var-soie, l'association pour le développement de la soie dans la
Drôme.
151

éducateurs. N'était-il pas illusoire de s'attendre à ce que le syndicat joue un tel rôle?

De l'avis même d'un chargé de mission à la DDA, "personne n'est en mesure

aujourd'hui d'apporter cette aide puisqu'il n'existe pas dans les chambres d'agriculture

de conseiller spécialisé dans ce domaine et que finalement les rares personnes

compétentes sont mobilisées dans les activités de l'entreprise SÉRICA!".

Entre les sériciculteurs et le directeur de SÉRICA, les relations se durcissent et les

accusations fusent de part et d'autre. Face aux récriminations qui lui sont faites,

Michel C. contre-attaque: les sériciculteurs n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes! Il

leur reproche de ne rien faire pour trouver auprès de leurs organismes de tutelle les

aides financières qui permettraient de former et rétribuer un technicien.

Une tension qui rejaillit au sein même du groupe des éleveurs, divisé entre les

inconditionnels et les compréhensifs d'un côté et les contestataires de l'autre. Les

premiers reconnaissent à Michel C. une capacité de leader, une autorité et une

compétence qu'ils ne sont pas prêts à récuser. Ils lui vouent une confiance sans faille,

même si la tournure que prennent les événements est pour eux un sujet de

préoccupation: "Ah, Michel, moi, c'est quelqu'un que j'admire et je ne peux que le

louer. Tout autre, après ce qu'il a fait et qu'il a réussi, ça aurait pu lui monter un peu à

la tête. La gloire, il y tant d'hommes qui la recherchent! Lui, pas du tout" me dit l'un

de ses fervents admirateurs. Un autre, philosophe, ajoute: "Pour moi, quand on a une

orientation, ce qui est important c'est de la suivre. Mais quand il y a des circonstances

contraires, on accepte, pour pouvoir atteindre son but, des contraintes différentes. Et

même des choses anormales. Dans la vie, on ne fait pas ce qu'on veut, on fait ce qu'on
152

peut. Je vois que tous les gens qui ont eu de grandes idées, ils s'orientent d'abord en

fonction de leurs grandes idées puis un jour ou l'autre ils font ce qu'ils peuvent".

Les seconds suspectent SÉRICA de n'avoir soutenu la création du syndicat que "pour

se débarrasser des sériciculteurs". "La création du syndicat, ça voulait dire qu'ils

avaient plusrienà foutre des producteurs. Les producteurs, ils se démerdent: ils sont

grands, ils sont capables, qu'ils se débrouillent! A partir de là, la filière n'était plus

intégrée" nous dit l'un de ces éleveurs qui contestent aujourd'hui la légitimité de

Michel C. comme porte-parole de la relance. Ils se considèrent comme floués, se

disent trahis et abandonnés alors qu'ils ont le sentiment de s'être énormément investis

financièrement et humainement dans cette aventure et qu'ils espéraient en récolter

bientôt les fruits. A leurs yeux, il ne les représente plus et il est prêt à les sacrifier afin

que SÉRICA joue "dans la cour des grands". La création d'une société anonyme pour

gérer les activités de transformation en remplacement d'une société d'intérêt collectif

agricole est pour certains un indicateur de l'éclatement de la filière. Il est vrai qu'avec

cette nouvelle organisation les sériciculteurs ont été quelque peu écartés, même si on

leur a proposé d'acquérir des parts dans la société anonyme et si le syndicat séricicole

a ses représentants au sein du Conseil d'administration de SÉRICA. En principe, ils

peuvent exercer un contrôle, en pratique, ils n'ont pas vraiment voix au chapitre. Seul

le noyau central a en réalité le pouvoir de décider et de définir les orientations, en

concertation avec les pouvoirs publics qui chaperonnent et surtout financent. "Sur le

principe, la philosophie de départ reste la même dans ses grandes lignes" se défendent

les responsables, "mais simplement, effectivement, le réalisme par rapport au marché

et à l'environnement nous a obligé à adapter un système qui au départ était très lié à
153

une philosophie coopérative, d'égalité au niveau des responsabilités, à la transformer

en une structure beaucoup plus proche de celle du marché existant, libéral.".

A notre sens, la création de SÉRICA ne fait en réalité qu'entériner un mode de

fonctionnement qui existe depuis que le projet a commencé à prendre forme: la

relance a été véritablement portée à bout de bras par celui qui a été tout à la fois son

concepteur et sa cheville ouvrière. Le procès fait à Michel C. est tout autant celui d'un

système excessivement personnalisé du fait même des compétences irremplaçables

acquises par son leader que celui d'un individu dont tout le monde s'accorde par

ailleurs à reconnaître que "ce qu'il a fait, personne d'autre l'aurait fait".

Aufildu temps, le discours que tiennent les protagonistes de la relance séricicole s'est

sensiblement infléchi. Les propos concernant la priorité accordée aux intérêts des

sériciculteurs laissent la place à un point de vue plus prudent: "il ne peut pas y avoir

de solidarité déconnectée de la réalité économique, environnementale" estime Michel

C. Le fait est qu'en l'espace de quinze ans la situation a évolué. Lafilaturene dépend

plus, pour son fonctionnement, des cocons qu'elle achète aux sériciculteurs; les

quantités produites en France étant insuffisantes pour faire tourner l'atelier toute

l'année, Gréfeuilhe, dans un premier temps, complète ses achats de cocons en Côte

d'Ivoire et au Maroc à un prix évidemment inférieur à celui des cocons français.

L'atelier de confection installé par SÉRICA à Saint Hippolyte du Fort introduit des

soies importées de Chine car il doit faire face à la demande croissante de produits

finis. Ces importations doivent jouer un rôle de régulation entre l'offre et la demande

car l'entreprise ne veut pas perdre des marchés par manque de matière première à

transformer: il s'agit d'augmenter les achats quand la demande de produits finis


154

augmente et que la production nationale ne permet pas d'y répondre, de les diminuer

aussitôt que la demande fléchit car la priorité doit être accordée à la production

française, conformément à l'éthique même de la relance telle que la rappelait

récemment encore Michel C: "SÉRICA s'est créée pour essayer de trouver un marché

qui serait mis à la disposition de la partie amont. En fait, SÉRICA s'est spécialisée

dans la transformation et la commercialisation, mais avec comme principe de base de

rester totalement liée à la partie amont".

En dépit de cette pétition de principe, le changement estflagrant:les importations ne

devaient être qu'une solution d'attente, jusqu'à ce que la production française

parvienne à satisfaire totalement la demande alors qu'en 1993 l'objectif poursuivi est

de couvrir la moitié seulement des besoins avec la production locale. Moins de deux

ans plus tard, cet objectif n'est même plus d'actualité car "pour maintenir un minimum

les sériciculteurs", SÉRICA, à ses propres yeux, "paye le cocon trop cher". Ce qui

était présenté initialement comme un principe immarcescible est devenu un goulot

d'étranglement, une entrave au développement: "On est bien obligé4 d'avoir une

solidarité", ajoute Michel C, en précisant toutefois: "dans le cadre quand même de

prix et de coûts qui rendent la chose viable et possible". L'utopie affirmée et

revendiquée rencontre ici ses limites: les dirigeants de l'entreprise finissent par

admettre qu'ils sont nécessairement contraints par la logique et la rationalité propres

au mode de production dominant !

4
Souligné par nous.
155

Un malheureux concours de circonstances est en outre venu compliquer la situation.

Revenons en arrière, plus précisément à la fin des années 80: c'est le moment que

choisit l'un des éléments techniques pour lâcher prise. Deux années de suite, en 1986

et 1987, des sériciculteurs se plaignent d'un phénomène de non-filage des vers à soie.

La récolte 1986 accuse un déficit de 30% par rapport aux prévisions qui étaient de

l'ordre de 3,5 t. à 5t.. En Italie, le même phénomène se produit et on l'interprète

comme un effet du nuage radioactif consécutif à l'explosion de la centrale de

Chernobyl3, bien qu'un chercheur de VAssociazione nazionaie per la bachicoltura

(Italie) considère qu'il n'est pas possible d'établir un lien direct entre ces deux

phénomènes.

Les symptômes observés sont les suivants: le 5° âge* se poursuit au-delà de 20 jours

car les vers continuent à s'alimenter et à grossir et ils montrent une absence de "désir

de montée et de filage". Un vétérinaire stagiaire est délégué par l'Unité Nationale

Séricicole6 auprès de la filière cévenole pour étudier le problème7. Le suivi de 18

éleveurs du Gard, de l'Ardèche, de l'Hérault, du Var et de la Drôme ne fournit aucune

explication: après avoir écarté l'hypothèse d'une maladie contagieuse, il apparaît que le

5
Lettre mensuelle de l'Association Internationale de la Soie, n° 73, 1987.
6
Cet organisme, rattaché à l'INRA depuis 1987, est localisé à Lyon. Il a été créé en
1980 par le gouvernement dirigé par Raymond Barre dans des locaux appartenant au
Conseil général Rhône-Alpes. Il s'agissait de maintenir en France le siège de la
Commission séricicole intenationale dont la France assure le secrétariat général
permanent. LTJNS poursuit les activités de recherche menées par la station séricicole
d'Alès qui a fermé ses portes en 1978. Elle se charge en particulier du maintien des
souches européennes de vers à soie, de la production d'hybrides et entretient une
collection de mûriers destinée à la sauvegarde du patrimoine génétique.
7
Denise Renard, Rapport de stage effectué à l'UNS dans le cadre du DESS de
productions animales en zone tropicale, 1987.
156

phénomène se manifeste quel que soit le mode de nourriture des vers à soie (à la

feuille ou aux rameaux) et quel que soit le type de mûrier utilisé (anciens ou kokusos).

Des examens microscopiques sont réalisés à 1TJNS, des analyse microbiennes sont

effectuées à la Station de recherche de pathologie comparée de Saint Christol les

Aies, des cultures de germes isolés de vers à soie sont menées par le laboratoire

départemental des services vétérinaires du Rhône et des analyses de radioactivité sur

les feuilles de mûriers et les vers sont entreprises par un laboratoire de Montboucher

sur Jabron (Drôme): en vain. Les experts ne parviennent pas à se prononcer sur la

cause de ce non-filage, tout au plus peuvent-ils affirmer que ces symptômes sont

susceptibles d'être provoqués par un déséquilibre hormonal, lié au rôle majeur de

l'hormone juvénile et de l'ecdysone, l'hormone de mue.

Les chercheurs finissent par identifier un coupable: ce serait un produit catalogué

comme insecticide biologique ciblé, puisqu'il agit sur les Lépidoptères, donc sur les

papillons. Utilisé par les agriculteurs pour traiter les arbres fruitiers, il se diffuserait

sur les mûriers. Ce produit est efficace à doses moléculaires et il est très volatil

puisqu'on en trouve des traces jusqu'à 50 kms du lieu de traitement. Les mûriers des

sériciculteurs dont l'exploitation se situe dans une zone d'importante activité agricole

sont atteints au fur et à mesure que l'utilisation du produit se répand alors que ceux

qui sont plantés dans les zones affectées par la déprise agricole résistent mieux. Le

produit incriminé est un hormono-mimétique, proche dans sa composition des

hormones de jeunesse du papillon. Il bloque le développement des larves ce qui

explique le phénomène de non-filage. En 1993, le laboratoire qui le produit accepte de

participer à une expérimentation suivie par les Services de protection des végétaux.

Elle innocente partiellement celui-ci et montre que d'autres produits, des inhibiteurs de
157

bio-synthèse utilisés pour lutter contre les maladies cryptogamiques8 des plantes,

peuvent également être mis en cause. Comme ces traitements sont surtout utilisés au

printemps, les sériciculteurs n'ont qu'une parade: faire des élevages seulement à

l'automne, en attendant que les instances officielles prennent des mesures pour limiter,

voire interdire l'usage de ces produits ou bien que les chercheurs de l'INRA mettent au

point un antidote.

Tous les sériciculteurs n'ont pas le même avis quant à la façon dont les responsables

de la filière réagissent. Ceux qui leur font confiance sont fatalistes. Ceux qui se

méfient pensent au contraire que ces circonstances tombent à point nommé et sont

une véritable aubaine pour accélérer son démantèlement. Selon eux, SÉRICA se

trouve progressivement débarrassée des sériciculteurs dont elle est moralement

contrainte d'acheter la production alors qu'elle peut se fournir à moindre coût auprès

de pays comme la Côte d'Ivoire ou le Maroc. Ainsi, sans avoir à manquer

ouvertement à sa parole, en refusant simplement de s'ingérer dans le fonctionnement

du syndicat séricicole alors qu'elle seule possède les compétences pour mettre en place

une formation et en faisant preuve de passivité face au problème de la "maladie"9,

SÉRICA parviendrait à éliminer peu à peu des acteurs devenus encombrants dès lors

qu'elle a choisi de participer à la compétition internationale. La filière cévenole

8
II s'agit de fongicides utilisés aussi bien sur les plantes d'appartement que sur le blé
ou l'orge de printemps.
9
II ne s'agit pas d'une véritable maladie mais c'est ainsi que souvent les sériciculteurs
désignent le coupable et ainsi que nous le ferons nous-même ici dans la mesure où la
preuve formelle n'ayant pas été établie, il serait prématuré de nommer le coupable.
158

bénéficiefinalementde la complicité des vers à soie: chaque année des sériciculteurs

renoncent, découragés par leurs échecs répétés.

"Parler pour d'autres, c'est d'abord faire taire ceux au nom desquels on parle" écrit M.

Callón10. C'est bien ce que les sériciculteurs reprochent aux responsables de la filière:

les faire taire ou bien refuser de les écouter et de prendre en compte leurs intérêts, ce

qui revient au même. La représentativité de Michel C. est remise en cause, discutée

âprement au cours des réunions du syndicat. Le camp des fidèles et celui des

dissidents s'affrontent, certains critiquant vivement le comportement de la société qui

défend maintenant le principe d'une séparation ente les différentes structures

composant la filière intégrée. Les plus mécontents suggèrent de "tout reprendre à

zéro" et de reconstituer unefilièreintégrée qui renouerait avec les principes d'origine:

"on va recréer quelque chose comme ça... Il faut que ça vienne des producteurs". La

nature des rapports établis entre les dirigeants de la filière d'une part et les

sériciculteurs d'autre part est inhérente à ce que M. Crozier et E. Friedberg appellent

l'ampleur de la "zone d'incertitude" que chacun contrôle11. L'un des éducateurs met le

doigt sur le principal atout de SÉRICA: "de toute façon, le problème est qu'il n'y a

qu'une filature: celle de SÉRICA. Alors quand SÉRICA annonce qu'elle descend le

prix à 50 frs, on ne peut rien faire!" La marge de manoeuvre des sériciculteurs est par

conséquent pratiquement inexistante dans l'état actuel des choses: soit SÉRICA

Michel Callón, "Eléments pour une sociologie...", op. cit., p. 196.


11
Michel Crozier, Erhard Friedberg, L'acteur..., op. cit., p. 72.
159

achète leurs cocons, soit ils abandonnent la sériciculture12. Or, la filière, en tant

qu'organisation, est le théâtre de relations de pouvoir entre les différents protagonistes

de la relance. Un pouvoir qui précisément réside dans la marge de liberté dont dispose

chacun des partenaires engagés dans cette relation"13.

Les modalités de fonctionnement de la filière, son règlement intérieur, conditionnent

l'orientation et le contenu des stratégies respectives des acteurs. C'est pourquoi sa

réorganisation, d'abord sous la forme d'un ensemble de structures interdépendantes et

complémentaires, puis d'une holding, représente une carte maîtresse entre les mains

des responsables qui mettent en pratique le vieil adage, "séparer pour mieux régner":

"il fallait découper les secteurs pour que ce soit rentable, ils disaient: le syndicat, le

tissage, la confection... Quand on est arrivé là, c'est fini! Il n'y a plus de filière

intégrée!" analyse un éducateur.

M. Crozier et E. Friedberg distinguent quatre principales sources de pouvoir qui

correspondent aux différents types de zones d'incertitudes: "celles découlant de la

maîtrise d'une compétence particulière et de la spécialisation fonctionnelle; celles qui

sont liées aux relations entre une organisation et son ou, mieux, ses environnements;

celles qui naissent de la maîtrise de la communication et des informations; celles enfin

qui découlent de l'existence de règles organisationnelles générales"14. L'habileté du

12
Durant deux saisons, certaines sériciculteurs ont vendu leurs cocons à un fabriquant
de cosmétiques qui essayait de mettre au point des produits de beauté à partir de la
"glande soyeuse" des vers prélevée juste avant la montée.
13
Michel Crozier, Erhard Friedberg, op. cit., p. 69.
14
Michel Crozier, Erhard Friedberg, L'acteur..., op. cit., p. 83.
160

"noyau dur" de la relance est d'avoir capté à son avantage chacune de ces sources.

Nous l'avons dit, Michel C. est devenu irremplaçable en raison de ses connaissances,

de son expérience, de ses savoir-faire, de sa polyvalence. Figure emblématique de la

relance, il a acquis, en tant que son porte-parole, un capital de relations extrêmement

précieux: avec les éducateurs comme avec les directeurs d'usine de tricotage, les

représentants des services de l'Etat aussi bien que les banquiers, les élus tout autant

que les scientifiques. Il connaît bien les rouages des administrations et gère un large

réseau de communications. Par ses relations, il a un accès direct à l'information, autre

source de pouvoir à laquelle les auteurs cités font référence: toujours au courant de la

conjoncture internationale, qu'il s'agisse du prix du kilo de cocons, de la politique

commerciale des pays exportateurs ou de l'avancée des recherches menées à l'Unité

nationale séricicole, il a tendance à ne laisser filtrer que les informations utiles à sa

stratégie et qu'il peut organiser de façon à ce qu'elles établissent la rationalité de sa

démarche. Enfin, en tant que PDG de SÉRICA, il est celui qui édicté les règles, qui

arbitre, qui fixe les enjeux, s'abritant derrière le déterminisme de l'économie et de la

technique pour briser toute velléité de contestation.

Néanmoins, sa représentativité est entamée; de nouveaux porte-parole se détachent de

la communauté silencieuse des sériciculteurs et distillent le doute. Progressivement,

les acteurs les plus motivés, les plus fidèles, avouent leur désarroi, disent ne plus se

reconnaître dans ce qu'ils ressentent comme une dérive.


161

La patrimonialisation de la relance

Depuis qu'en 1982 lafilaturede Gréfeuilhe a ouvert ses portes aux visiteurs, ils sont

chaque année plus nombreux à s'y présenter.

L'attitude des acteurs de la relance à l'égard du tourisme s'est considérablement

assouplie en l'espace de 10 ans! Il est loin le temps où l'estivant était l'ennemi à

abattre, le "fossoyeur des Cévennes"15. Désormais, le tourisme est une réalité avec

laquelle il est plus habile de composer que de s'opposer. Nous avons dit également

plus haut que dans les années 70 les pionniers de la relance se refusaient à penser en

terme de patrimoine 16 . A leurs yeux, le patrimoine était un système d'objets associés

à des formes culturelles mortes, représentatifs d'un passé révolu et séparés de la réalité

de l'activité et de la vie sociale, alors que leur démarche visait au contraire à redonner

vie à ce qui, à leur sens, constituait l'identité des êtres: leurs savoirs et leurs savoir-

faire, leur rapport à la nature, leur mode d'existence matérielle et culturelle.

Mais la définition du patrimoine a considérablement évolué depuis cette époque17 et

avec le sens aigu de l'opportunité et de la médiatisation qui caractérise les leaders du

renouveau séricicole, ces derniers ont rapidement compris quel usage ils pouvaient

faire d'une qualification de la relance comme patrimoine. Nous ne nous engagerons

15
C'est en ces termes que les militants de Cévennes occitanes, groupuscule
appartenant au mouvement occitan, désignaient les touristes au début des années 70.
16
Voir page p.32.
17
Une décennie a suffi, estime Louis Assier-Andrieu, "pour convertir le thème
rustique et casanier du patrimoine en repère multiforme de l'action administrative,
outil et enjeu des politiques publiques délibérément orientées vers l'incorporation de
nouveaux objets au marché des biens et des services". Louis Assier-Andrieu, "La
mémoire et le marché", Les papiers, n°9, 1992.
162

pas ici dans une discussion concernant la patrimonialisation des techniques qui fait

l'objet d'un autre appel d'offre de la Mission du Patrimoine ethnologique. Nous

indiquerons seulement quelques unes des réflexions que nous a inspirées notre

participation, en tant qu'ethnologue et chargé de la mise en oeuvre des "Chemins de la

soie", à la construction de la production de la soie comme patrimoine culturel des

Cévennes.

Plantons préalablement le décor.

Aussitôt que démarre la saison estivale, les vacanciers affluent à la filature et le

personnel ne parvient pas toujours à concilier le travail et la disponibilité requise pour

répondre à leurs questions. Il est en outre gêné dans ses activités par les déplacements

des visiteurs qui circulent librement entre la bassine defilatureet les cuves de teinture,

voulant tout voir, tout toucher et tout savoir. L'accueil prend le pas sur la production

et introduit une discontinuité dans le travail qui perturbe son bon déroulement.

C'est dans ce contexte qu'ADSC décide de créer un musée de la soie. Il voit le jour en

même temps que SÉRICA. Le musée est jumelé avec un magasin de vente, dans le

cadre monumental des anciennes casernes des "enfants de troupe" de Saint Hippolyte

du Fort où SÉRICA installe son atelier de confection.

Dans les premiers temps de la relance, la réappropriation des pratiques et des savoirs

anciens avait été une nécessité, imposée par l'absence de références actualisées et

accessibles en matière de sériciculture. Ces pratiques, ces savoirs qui au fil des années

ont été transformés et adaptés aux nouvelles conditions de la production vont être

évoqués par une exposition permanente présentant les objets qu'ADSC a collectés.
163

Dans l'esprit des créateurs du musée, il s'agissait d'éviter l'écueil d'une muséalisation

qui dépouillerait les objets de leur sens premier et les embaumerait18. Le Musée n'est

pas un arrêt sur mémoire. Il ne cherche pas à sacraliser le passé mais à le faire vivre

comme partie intégrante du présent. Ses créateurs ont voulu interpeller les visiteurs,

leur faire prendre conscience que le passé ne s'oppose pas au présent mais que l'un et

l'autre se façonnent réciproquement. "Nous choisissons ce par quoi nous nous

déclarons déterminés, nous nous présentons comme les continuateurs de ceux dont

nous avons fait nos prédécesseurs": c'est en ces termes que J. Pouillon explicite le

concept de "rétro-projection" qu'il associe à la notion de tradition19. Une définition

qui pourrait s'appliquer à la situation que nous décrivons.

L'installation muséographique, quoique construite autour du renouveau contemporain

de la soie, rassemble en réalité tout ce que la population locale, les alliés et les fidèles

de Michel C ont eu à coeur de lui confier. Le renouveau est évoqué par le truchement

d'un micro-élevage qui fonctionne pendant toute la période végétative du mûrier, soit

En ce sens, il s'agit d'une démarche innovante. Le fait que le musée de la soie ait été
nommé écomusée par ses créateurs témoigne de la filiation dont ils se réclament. P.
Mairot écrit que la plus radicale et la plus difficile des innovations apportées par
l'écomusée serait la place qu'il s'assigne au sein de la société en revendiquant pour le
musée "une autre fonction que la délectation, le divertissement ou même
l'enseignement. Il veut être ce lieu central de la vie communautaire, forum et non plus
temple, lieu de dialogue avec l'altérité, de confrontation avec son passé où la société
peut décider de son développement en toute connaissance de ses déteminations
géographiques, historiques, sociales, culturelles et économiques". Philippe Mairot,
"L'objet de l'écomusée", Territoires de la mémoire, Thonon les Bains: L'Albaron,
1992, p.31.
19
Jean Pouillon, "Tradition: transmission ou reconstitution", in Jean Pouillon,
Fétiches sansfétichisme, Paris: Maspéro, pp. 155-173, cité par Gérard Lenclud, "La
tradition n'est plus ce qu'elle était..." Terrain, n °9, octobre 1987, p. 118.
164

de mai à octobre, ainsi que par une bassine en état de marche, celle-là même qui avait

été un objet de discorde entre les tisseurs et la SICA. Les vers à soie et les

démonstrations de filature sont le clou de la visite mais le musée est par ailleurs un

sympathique bric à brac où se trouvent, pêle-mêle, sans véritable logique de

présentation, divers objets et outils: des boites de graine* et des castelets* des

Cévennes, des collections de cocons provenant de différentes races de vers à soie, des

claies et des tables de magnaneries*, des bassines en terre, des métiers à tisser, à

bobiner, des métiers à bas, des écheveaux de fil, quelques vêtements des XVIII et

XLX° siècles, un grand nombre d'appareils de mesure et de pesée et, par ci par là, des

panneaux explicatifs. Un parcours technique succinct, une trame historique discutable,

mais, néanmoins, malgré quelques maladresses, une proximité et une convivialité qui

séduisent immédiatement. Tel qu'il est, le musée éveille la curiosité et enchante le

visiteur.

Mais il ne faudrait pas croire que seule une logique que l'on pourrait qualifier de

culturelle, voire d'identitaire, a présidé à la création du musée: les estivants constituent

un réservoir de clientèle vers lequel la filière, échaudée par les difficultés qu'elle

rencontre dans sa stratégie d'intégration au marché, cherche à se tourner. L'intérêt

symbolique est indissociable de l'intérêt économique. Leur rapport est complexe car,

comme l'écrit A. Caillé analysant la notion d'intérêt chez P. Bourdieu, "La

transformation, par le biais de l'affichage de la splendeur désintéressée, du capital

économique en capital symbolique permet, d'une part, de diversifier la structure du

patrimoine et de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier"20.

20
Alain Caillé, "la sociologie de l'intérêt est-elle intéressante?", Sociologie du
travail, n°3, 1981, p. 268.
165

Le musée est pensé comme un des maillons essentiels de la stratégie commerciale de

l'entreprise. Comme il n'y a qu'une porte à franchir pour pénétrer dans la boutique,

c'est tout naturellement, guidé par le plaisir de la découverte, que le visiteur achève

son parcours initiatique de la civilisation cévenole de la soie21 parmi les étoffes aux

couleurs chatoyantes, les sous-vêtements en satin ornés de dentelle et les foulards

peints qui viennent directement de l'atelier!

Comment vendre des produits en soie, ni mieux faits ni plus originaux qu'ailleurs, mais

en revanche trois à quatre fois plus chers, dans une région isolée comme le sont les

Cévennes?

D'ailleurs, la relance n'est pas totalement fidèle à la tradition cévenole puisque le

tissage, la confection n'ont jamais été que des activités résiduelles dans cette région,

spécialisée dans la sériciculture et lafilature;lafilièrea encore beaucoup d'efforts à

faire pour atteindre un niveau de qualité et de créativité équivalent à celui que l'on

trouve dans les grands centres soyeux. Autre handicap: le prix relativement élevé de la

soie cévenole, à un moment où le marché européen est envahi par les produits

fabriqués à moindre coût dans les pays du Sud-Est asiatique22.

21
Daniel Travier parle d'une civilisation de l'arbre d'or, le mûrier, qui aurait succédé à
la civilisation de l'arbre à pain, le châtaignier. Daniel Travier, "La soie dans la vie
traditionnelle de la Cévenne", Actes du V° Colloque sur le patrimoine industriel,
Paris: CILAC, 1984, p. 13.
22
La filière soie, quand elle a vu le jour en 1977, n'avait pu prévoir que quelques
années plus tard la Chine allait radicalement changer de politique commerciale. C'est
en 1989 que ce pays, unique fournisseur mondial, décide de réduire ses exportations
de matière première (fil) et d'augmenter celles de produits finis et semi-finis. Depuis,
le marché occidental est envahi par des articles fabriqués entièrement en Chine et
excessivement bon marché. Voir "Une pénurie historique de soie frappe l'Europe",
Journal du Textile, n°219, septembre 1988.
166

A la question posée, la filière répond astucieusement: en les désignant comme

produits patrimoniaux. C'est cette translation qui s'opère par l'intermédiaire du musée.

En quoi la valeur symbolique affectée aux objets patrimoniaux peut-elle être

productrice d'une valeur d'échange? Les éléments d'interprétation sont multiples et

particulièrement complexes.

La visite du musée déclenche généralement l'achat d'un article confectionné par

SÉRICA et griffé Soie des Cévennes23. L'estivant "vient acheter un produit parce que

c'est un produit régional, avec toute l'image culturelle qui est derrière" constate une

animatrice de la filière. Il a ainsi le sentiment d'emporter avec lui une parcelle de cette

terre cévenole. La marque est à elle seule tout un univers de sensations et d'images,

associées à cette période privilégiée que sont les congés annuels. Le produit est

également transfiguré par son ancrage culturel. Se contenter de dire, comme le fait K.

Pomian, que la constitution du patrimoine culturel est conditionnée par des ruptures et

que ces ruptures privent "certaines classes d'artefacts de leur fonction et provoque de

ce fait leur dégradation au rang de déchets, abandon, oubli"24 est, nous semble-t-il,

extrêmement réducteur. Cette analyse ne prend pas en considération le fait que cette

transformation peut parfois être créatrice de valeur. Etrange phénomène qui supprime

la valeur d'usage de l'objet et par là sa valeur marchande, mais pour mieux la

détourner et la réinjecter ailleurs. Le surcoût est absorbé par la valeur doublement

23
D'après les chiffres avancés dans l'étude réalisée par un consultant en
développement culturel et touristique, le montant moyen de la dépense est estimé à 50
frs par personne.
24
Krzysztof Pomian, "Musée et patrimoine", Vers une transition culturelle.
Sciences et techniques en diffusion. Patrimoines reconnus, cultures menacées,
Nancy: Presses Universitaires de Nancy, 1991, p. 106.
167

mémorielle de l'objet: mémoire individuelle du visiteur, mémoire collective d'une

communauté.

Le musée donne également une visibilité à la relance auquel le monde du textile ne

prête guère attention. En ce sens, il est un formidable instrument de promotion. Les

médias se font l'écho de la démarche qu'ils qualifient d'originale, innovante. Presse

d'information locale, régionale et nationale, presse touristique, économique et

technique, radios et télévisions... tous rendent compte de l'expérience, lui donnent un

auditoire qui dépasse lesfrontièresdu "pays".

L'innovation comme fin

Les années 80 sont marquées par une exacerbation du "désir d'innovation", suscitant

tout un ensemble de dispositifs appelés parcs ou technopôles et entraînant la création

d'innombrables départements R&D25 au sein des entreprises. L'innovation est devenue

le nouveau credo de ces dernières: "elle constitue l'une des conditions de leur

développement, sinon de leur survie"26.

La modernisation des techniques, l'innovation sont généralement conçues comme des

moyens destinés à améliorer la productivité, la qualité ou encore les conditions de

travail et de vie des producteurs. Le "progrès" que l'on attend d'une innovation est de

permettre à une activité de se maintenir, de se développer ou même de se créer.


Pour Recherche et Développement.
26
Courrier ANVAR, n°96, septembre-octobre 1994.
168

La concurrence de l'Extrême-Orient place actuellement bon nombre de secteurs de

l'économie européenne dans l'obligation d'innover. Cela paraît d'autant plus vrai dans

un domaine comme celui de la soie, historiquement marqué par cette concurrence.

L'innovation a été au coeur de la relance séricicole, comme une condition sine qua

non du renouveau de cette activité. Pour ses responsables, non seulement l'effort ne

doit pas se relâcher, mais il doit au contraire s'intensifier car il reste encore beaucoup

à faire pour réduire les écarts de prix entre la production cévenole et la production

orientale. Poursuivant une logique d'élargissement de son champ d'action, lafilièreest

stimulée par la faveur dont bénéficie l'innovation dans l'imaginaire entreprenarial des

années 80 ainsi que par les aides qu'apportent les pouvoirs publics aux entreprises qui

investissent dans ce secteur. Pour une petite société comme SÉRICA, les subsides

accordées par l'Etat pour des actions de R&D peuvent constituer un véritable fonds

de roulement.

Rares sont les PME qui initient de véritables programmes de recherche, par manque

de fonds propres le plus souvent. SÉRICA, non seulement ne voit pas dans son

absence de capital un obstacle, mais pense au contraire que la R&D est susceptible

d'aider à sa survie en attirant dans son escarcelle des aides publiques.

Ce n'est pas la seule motivation. Lorsqu'en 1988 la Chine a brutalement ralenti ses

exportations, Michel C. a eu l'intuition que cette nouvelle donne pouvait avoir une

incidence positive sur ses propres projets. Jusque là, les soyeux lyonnais ne

nourrissaient aucune inquiétude quant à leur dépendance vis à vis de la Chine, pays

qui fournit environ 93% des importations européennes. Cet événement a été l'occasion

d'une prise de conscience de la vulnérabilité de leur position. Dans la mesure où la

Chine envisage de donner la priorité aux exportations de produits finis, les


169

exportations de soie grège à destination de l'Europe menaçaient d'être limitées en

volume et plus coûteuses. Dans ce contexte, l'augmentation de la consommation

mondiale de soie ouvrait donc des perspectives de pénurie de matière première en

Europe.

Cette situation éclaire d'un jour nouveau la modeste entreprise cévenole que le milieu

des soyeux observait avec une réserve teintée de condescendance. Cette dernière

comprend que la conjoncture lui offre une chance à saisir, d'autant qu'après quinze ans

d'expérience elle doit bien admettre "que le marché auquel peut avoir accès la

production locale est limité". Mais SÉRICA a acquis au fil des ans un savoir-faire.

Pourquoi dans ces conditions ne pas développer des emplois dans la technologie,

"quand il y a une forte demande internationale d'export de technologie vu que le

marché, la consommation de la soie augmentent régulièrement et pas la production,

qui est monopolisée par la Chine"? L'innovation est devenue un nouveau marché, une

voie de diversification pour l'entreprise.

Allons plus loin encore. Comme le montre N. Alter, l'exercice du pouvoir est un effort

considérable pour les innovateurs. Cet auteur schématise son élaboration27 de la façon

suivante:

- le processus de production se caractérise par un phénomène d'obsolescence des

connaissances et des stratégies d'innovation,

- à cette occasion, "les innovateurs entrent en conflit avec les hiérarchies légalistes...",

27
Norbert Alter, op. cit., note 8 p. 462.
170

- "le conflit et la compétence permettent donc aux innovateurs d'accéder à l'influence

et à la reconnaissance sociale dans l'organisation; mais ces acquis sont en partie érodés

par l'institutionnalisation opérée par les directions",

- "pour recouvrer ces acquis ou pour en développer de nouveaux, les innovateurs sont

alors contraints d'innover en permanence... "28.

Pris au jeu et parfois au piège d'une quête permanente de légitimité, l'innovateur peut

être parfois aspiré par la spirale de l'innovation. Il devient alors un véritable

professionnel du changement, toujours sur la brèche, prêt à lancer de nouveaux défis.

C'est ce qui se produit lorsque pour son concepteur l'innovation cesse d'être un moyen

pour devenir une fin en soi29. Le leader de la relance est un de ces personnages qui,

au fil du temps, est devenu une sorte de généraliste de l'innovation: "les activités de

défrichage, c'est plutôt mon domaine... Je suis plus un défricheur qu'un spécialiste, un

généraliste qu'un spécialiste et ça me permet d'aller voir un peu partout, de courir

davantage derisque...le fait d'avoir suivi tout le cursus technique et d'avoir travaillé

sur tous les postes de la soie, d'avoir effectué des recherches dans tous les domaines,

c'est un avantage" estime-t-il aujourd'hui. Mais la soif de nouveaux horizons peut

avoir son revers quand elle commence à ressembler à une fuite en avant; le défricheur

oublie alors que l'innovation est un processus qui s'inscrit dans le temps, que

l'invention ne devient innovation que lorsqu'elle change de mains et qu'elle rencontre

28
Souligné par nous.
29
C'est ce dérapage que Pierre Rössel dénonce lorsqu'il propose de mettre en
perspective l'innovation, "afin que la toute-puissance des outils et de leurs servants les
plus qualifiés redevienne un moyen et non une fin en soi". Pierre Rössel, "innover ou
ne pas innover", Sociología internationalism n°2, 1990, p. 191.
171

ou crée une demande sociale. Certaines innovations sont alors davantage développées

pour exploiter une technologie que pour répondre à des besoms complètement

identifiés.

Ce n'est pas toujours le cas, particulièrement quand la recherche de l'innovation

devient une fin en soi, qu'elle soit destinée à être appliquée localement ou dans les

pays en voie de développement et ce indépendamment des preuves qu'elle peut donner

de son efficience. Le bien fondé d'une innovation n'est pas exclusivement lié à sa

rationalité et à ses qualités intrinsèques. Comme l'écrit R. Treillon, "c'est dans cet

entre-deux reliant un artefact technique et un environnement utilisateur que se

déploient les dimensions fondatrices du phénomène d'innovation"30. Les exemples ne

manquent pas d'investissements non rentabilisés, non coordonnés, d'impasses

technologiques non pas parce qu'elles seraient technologiquement et/ou

scientifiquement fausses, mais parce qu'elles ne répondent pas à un véritable besoin,

parce qu'elles ne sont pas appropriées au cadre dans lequel elles sont supposées devoir

être mises en oeuvre, parfois aussi parce que leurs auteurs les abandonnent à leur sort

pour se lancer dans d'autres défis alors qu'elles nécessitent un accompagnement.

A notre sens, la multiplication in vitro du mûrier, présentée comme fer de lance du

renouveau séricicole, est porteuse de ce type de dérives.

La production de mûriers s'est d'abord effectuée par la technique du greffage, puis

celle-ci a été remplacée par le bouturage. Au début des années 80, l'accroissement du

nombre des sériciculteurs va de pair avec l'augmentation de la demande de kokusos.

Roland Treillon, L'innovation technologique..., op. cit., p. 125.


172

Mais la technique du bouturage présente plusieurs inconvénients: il ne peut être

effectué que pendant une courte période, de février à mars; les plants sont

hétérogènes; la productivité est faible et ce d'autant plus que la reprise est difficile (50

à 60% de pertes); enfin il faut attendre environ quatre ans pour commencer à cueillir

la feuille. Il n'en faut pas plus pour que Michel C. s'empare du problème et se mette en

quête d'une solution technique.

Pour ce faire, il dispose d'une ressource: le réseau qui gravite autour de la relance.

L'histoire mérite d'être rapportée.

C'est par M. D. que le mûrier kokuso a été introduit en France. Ce filateur en avait

rapporté quelques plants du Japon et les avait confiés à André S., puis il avait réussi à

convaincre un ami proche, directeur du port autonome de Marseille, d'aider

financièrement la soie. Celui-ci s'était exécuté en achetant une propriété pour réaliser

une plantation expérimentale de Kokuso dont il avait fait don à l'INRA. Près de

trente ans plus tard, André S. invite un jour Michel C. à le retrouver dans les plus

brefs délais. André S. lui présente alors le neveu du généreux donateur qui dit vouloir

rendre hommage à la mémoire de son oncle et s'enquiert de ce qu'il pourrait faire, à

son tour, pour la soie. Michel C. retrace l'aventure de la relance, évoque ses projets et

mentionne la méthode de multiplication in vitro31. Quelques mois plus tard, le neveu

lui propose de le rejoindre à Nice. Il le conduit à Antibes, dans des locaux de l'INRA

où il lui présente Daniel B., un spécialiste de la reproduction in vitro du figuier, un

31
La culture in vitro correspond à la culture de cellules ou de tissus effectuée sur des
milieux nutritifs synthétiques et stériles, en tubes ou bocaux de verre. La
multiplication in vitro du mûrier consiste à partir de bourgeons ou de méristèmes. Le
prélèvement a lieu dans une enceinte stérile, puis les fragments sont placés dans un
tube sur un milieu de culture adéquat. Ils donneront des boutures identiques à la
plante d'origine et indemnes des maladies caractéristiques de l'espèce.
173

arbre de la même famille que le mûrier. Le contact entre les deux hommes est

immédiat. Le chercheur accepte immédiatement de s'investir: il est un amoureux des

Cévennes! Après avoir dégrossi le problème et mis au point un milieu nutritif adapté,

il est rejoint par une ancienne élève de Michel C. qui va travailler à ses côtés pendant

près de deux ans. Il s'agit de poursuivre la mise au point de milieux nutritifs32 et de

trouver un milieu d'enracinement. Après avoir produit les mille premiers mûriers in

vitro, l'équipe doit trouver une nouvelle structure d'accueil pour lancer la production

qui ne peut avoir lieu dans les locaux de l'INRA, réservés à la recherche. Ce sera le

Centre National Interprofessionnel d'Horticulture (CNIH) de Nice.

En 1989, nouvelle rencontre: Michel C. est contacté par un ressortissant suisse qui a

lu un article sur la relance et se déclare disposer à l'aider. Il lui répond sans trop y

croire mais une semaine plus tard l'homme est là. La tournure que prennent les

événements est surprenante: cet industriel qui a fait fortune dans le poisson congelé

renouvelle sa proposition. Michel C. évoque son projet de création d'un laboratoire de

multiplication in vitro destiné à développer industriellement, dans le cadre de la filière

cévenole, la technique mise au point à l'INRA. Quelques mois plus tard, grâce à la

générosité de cet industriel, il est en possession d'un bail emphytéotique et

hypothécaire de trente ans sur un vaste domaine situé à proximité de Sauve et destiné

à abriter le laboratoire de multiplication in vitro du mûrier. Il n'a plus qu'à se mettre à

la tâche.

Mais trouver des crédits pour créer un laboratoire équipé d'un matériel coûteux et

sophistiqué implique de tirer de nombreuses sonnettes. Un nouveau pari qui a de quoi

32
Le milieu nutritif est l'ensemble des éléments nutritifs qui vont permettre au
bourgeon de se développer et de former des plantules.
174

enthousiasmer le leader de la relance. Il se tourne vers les services du Ministère de

l'Agriculture, vers l'INRA qui n'a pas perçu l'intérêt du travail accompli, vers les

collectivités territoriales, vers l'ANVAR... Avec Chantal C, la technicienne, il

présente le projet à un concours lancé par la DATAR: "Créez votre entreprise à la

campagne". "Cévennes micro-plants", la société en cours de constitution, reçoit un

deuxième prix. Dans la foulée, des pépiniéristes de la région s'engagent à soutenir

cette action car la technique mise au point pour le mûrier séricicole peut être

développée avec le mûrier ornemental.

Ce parcours dévoile certaines des qualités dont doit faire preuve l'innovateur: une

intuition jamais en sommeil, un opportunisme à toute épreuve, une capacité de

négociation doublée d'un véritable pouvoir de persuasion... Mais est-ce suffisant? On

peut en douter quand on analyse la situation actuelle. Le laboratoire tourne au ralenti

et n'a pas créé autant d'emploi qu'il avait été annoncé. Les mûriers ornementaux se

vendent difficilement et les variétés séricicoles n'ont quasiment pas de marché.

Le nombre des sériciculteurs s'est considérablement réduit du fait de la "maladie" des

vers à soie et du retard dans le paiement des cocons. Tant que la situation durera, les

ventes de mûriers multipliés in vitro stagneront car leur prix est jugé trop élevé. Les

installations du laboratoire ont coûté fort cher et malgré le mécénat et les subventions,

"Cévennes micro-plants" doit rembourser ses emprunts. La société est sur la corde

raide. On peut se demander si le prestige que représente pour les responsables de

SÉRICA la participation à une recherche technologique de pointe et menée en

collaboration avec des organismes reconnus, n'a pas prévalu sur les besoins réels de la

filière. Produire des mûriers par dizaine de milliers constitue technologiquement un

progrès mais était-il bien nécessaire dans le cadre limité de la relance séricicole? On
175

peut sérieusement en douter même si on prend en compte les potentialités optimales

de développement séricicole. Cette recherche dont on ne saurait contester la

pertinence au sein d'un organisme dont c'est la vocation, apparaît quelque peu

inappropriée quand elle mobilise les ressources humaines et financières d'une

entreprise qui a des problèmes plus immédiats à résoudre et qui engagent sa survie.

On pourrait nous rétorquer que ce laboratoire est l'un des points forts

á'Eurochrysalide, la future vitrine technologique des savoir-faire européens dans le

domaine de la soie33. Sans doute, mais là encore faudrait-il s'assurer que cette

technologie coûteuse est appropriée aux pays qui souhaitent accroître leur capacité de

production séricicole. En effet, il s'agit souvent de régions tropicales qui se

caractérisent par des conditions extrêmement favorables à la croissance des végétaux

et dont la population rurale est généralement pauvre en liquidités mais riche en main

d'oeuvre. Dans ce contexte, la multiplication in vitro du mûrier trouve-t-elle sa place?

Seule la prise en compte du milieu physique, social, culturel, économique dans lequel

cette innovation est susceptible de se développer pourrait permettre de répondre.

33
Eurochrysalide est une société anonyme officiellement créée en février 1994 à
Lyon. Ses objectifs sont de mettre au point unefilièreeuropéenne séricicole de haut
niveau technologique avec le concours de partenaires scientifiques et technologiques,
de participer au développement international des productions de soie grège en
contribuant à l'élévation de leurs niveaux de qualité, de favoriser la diversification des
sources d'approvisionnement des soyeux européens ainsi que le développement local
dans des zones classées comme défavorisées. Ses actionnaires sont les principales
sociétés françaises transformatrices de soie, comme les maisons Perrin, Quenin,
Proverbio, Sérica et Cévennes micro plants ainsi que les structures professionnelles
concernées: Unitex et Inter Soie. Les partenaires scientifiques et techniques sont
1TJNS, Le Centre "Olivier de Serres", Sérica et l'ITF. Son directeur, mis à disposition
par l'administration, n'est autre que le chargé de mission de la DDA du Gard qui a
soutenu la relance depuis l'origine.
176

La multiplication in vitro du mûrier n'est pas la seule innovation dans laquelle se soit

engagé la filière depuis qu'elle a misé sur ce marché. Elle est seulement la plus

spectaculaire, celle qui est à l'origine de la nouvelle image de la relance cévenole et

celle aussi qui suscite le plus d'interrogations.

Examinons brièvement les autres expériences innovantes auxquelles se livre SÉRICA

et qui témoignent de sa capacité à tirer parti des ressources de son environnement.

Il y a eu la mise au point d'une soie tricotée. Le tricotage est une tradition locale,

particulièrement dans cette zone qui va de Saint Hippolyte du Fort au Vigan en

passant par Ganges et Sumène. Lorsque SÉRICA tente de retrouver les savoir-faire

liés à cette technique, ceux-ci sont en voie d'extinction: les derniers fabricants de bas

de soie ont cessé leur activité au début des années 60 et en l'espace de trente ans la

déperdition a été importante: "Avec nos premiers articles en bonneterie, on a eu des

déboires! On s'est presque fait traiter de fournisseurs de Tati, c'était un peu dur... ".

Un comble pour cette petite maison qui mise sur l'image d'une qualité rarement

associée à celle de l'entreprise parisienne! Après ces premiers essais, SÉRICA décide

de partir seule à la reconquête de ces savoir-faire, épaulée par le tisseur de Gréfeuilhe,

habile professionnel et redoutable bricoleur. Une reconquête qui prendra quatre

années car le tricotage de la soie nécessite des équipements spécifiques qui sont

devenus introuvables et repose sur des procédés particuliers: 'le décreusage de la soie

n'arienà voir avec le désuintage de la laine, les filières et les techniques de circulation

du fil sont différentes sur la soie et le coton, les techniques de teinture et d'apprêt

également... On a tout retrouvé localement, en faisant du tâtonnement expérimental

pour les choses qui n'étaient pas dites ou écrites".


177

Il y a aussi le travail mené en collaboration avec Dominique C, historienne au CNRS

et spécialiste des teintures végétales. A partir de "recettes" médiévales qu'elle a

reproduites à petite échelle dans son laboratoire personnel, elle a lancé avec SÉRICA

une expérimentation en grandeur réelle qui a abouti à la mise au point d'une gamme de

teintures végétales. Là aussi, il faut inventer, bricoler, car si les équipements de

teinture de la soie existent, ils ne sont pas adaptés à la teinture végétale mais

chimique.

Il y a encore la mise au point d'une déblazeuse* conçue avec les étudiants en

deuxième année du Bac de Technicien Supérieur (BTS) en mécanique et automatisme

industriel d'un lycée technique alésien. Il s'agit de mécaniser l'opération qui consiste à

ôter la blaze du cocon pour atteindre le fil de soie. Une tâche dont l'exécution

manuelle est longue et délicate. Encadrés par leurs professeurs et suivis de près par

l'équipe de SÉRICA, les étudiants construisent un prototype en deux années.

Un autre projet est à l'origine d'une collaboration avec l'Ecole des Mines d'Alès: la

mise au point d'une bassine defilatureélectronique qui devrait permettre de produire

industriellement un fil d'apparence artisanale. "J'avais l'idée d'une filature artisanale

avec un contrôle de type électronique et ils sont venus me voir en disant qu'on était les

seuls en France à faire de la filature et en nous demandant si on serait capable de

suivre un projet. Ca a démarré comme ça." nous raconte Michel C. La mode est aux

soies sauvages, dont l'aspect irrégulier donne un cachet de rusticité mais l'irrégularité

ne convient pas aux métiers à tisser qui équipent la plupart des ateliers de tissage.
178

L'aspect artisanal dufildevra donc être parfaitement contrôlé et les irrégularités "là où

on voudra qu'elles soient".

Dernier projet en date: l'application du micro-onde à l'étouffage des cocons. SÉRICA

a ainsi lancé en collaboration avec l'Institut Textile de France de Lyon un programme

technique. Au départ, un essai empirique: quelques cocons étouffés dans un four à

micro-onde de cuisine: "On s'est rendu compte que le micro-onde arrivait à tuer la

chrysalide en très peu de temps et qu'on arrivait à obtenir une déshydratation assez

remarquable du cocon dans des délais relativement courts". Les gens de SÉRICA

mesurent tout l'intérêt de ce procédé: il évite de porter le cocon à haute température

pendant trop longtemps ce qui devrait avoir pour conséquence de moins abîmer la

fibre. ITF met donc au point un séchoir à haute fréquence.

Quelle est la logique qui préside à toutes ces initiatives?

Initialement, il s'agissait de résoudre le handicap que représentait le surcoût de

fabrication. Mais comme le directeur de SÉRICA l'avoue: "Ca nous a surtout

positionné par rapport au contexte international comme une entreprise de pointe,

innovante". Une position dont on pourrait dire qu'elle est acquise à moindre coût par

l'entreprise puisque celle-ci faitfinanceren grande partie par les pouvoirs publics son

activité de recherche-développement. Avantage pour l'entreprise, mais également

bénéfice pour son directeur qui peaufine ainsi son image personnelle et accroît son

indice de notoriété. Pourtant, les faits le montrent, les équipements et les procédés

innovants procèdent tous d'un travail d'équipe. Comme pour Edison et Bernard Tapie,

exemples pris par M. Callón pour illustrer son propos sur le caractère collectif de
179

l'innovation , un grand nombre d'acteurs se sont rassemblés et ont coopéré pour

parvenir à ces résultats. Des acteurs formant un collectif élargi, qui excède nettement

les limites de l'entreprise puisqu'il parvient à réunir des organismes de recherche

(l'INRA, le CNRS), des organisations techniques (ITF), des établissements

d'enseignement secondaire et supérieur (un lycée technique, l'école des mines.)

Comment faut-il interpréter cette avidité d'innovation? Fuite en avant ou

positionnement stratégique? Les avis sont partagés selon que l'on défend le principe

de l'intégrité de la philosophie de la relance, orientée vers le développement séricicole

local, ou que l'on considère que la filière doit avant tout s'adapter aux circonstances,

tenir compte de ce qu'on nomme les "créneaux porteurs".

Conclusion

Le réseau d'innovation est donc extrêmement large et évolutif: des sériciculteurs

cévenols aux agronomeset aux biologistes de TINEA, sans oublier les élus, les

banquiers, les fonctionnaires ou encore les gestionnaires du patrimoine; de

l'association au holding en gestation via la coopérative, le syndicat et la S.A.; du

kokuso et de la magnanerie-serre à la multiplication in vitro du mûrier en passant par

l'étouffoir à haute-fréquence et la déblazeuse automatique... Les acteurs qui le

34
Michel Callón, L'innovation technologique et ses mythes... op. cit., p. 6.
180

composent ainsi que l'objet-innovation se sont transformés tout au long du processus,

interdéfinissant leurs qualifications respectives à travers de multiples traductions35.

Le modèle de la spirale développé par P. Mustar36 s'applique parfaitement à la

situation que nous avons décrite. La spirale s'évase au fur et à mesure que le réseau

lui-même s'élargit, entraînant dans son mouvement des acteurs dont la "pointure" est

elle-même croissante. Que de chemin parcouru, depuis les premiers élevages effectués

dans l'enceinte d'une école communale avec le soutien des seuls parents d'élèves

jusqu'aux missions d'expertise qui conduisent aujourd'hui Michel C. des rives du

Fleuve rouge sur les hauteurs du Pérou37! Entre temps, il lui aura fallu mener

d'incessantes négociations pour intéresser toujours davantage d'acteurs, affronter et

surmonter de multiples épreuves, concilier des exigences souvent contradictoires au

risque de laisser en chemin l'âme du projet, de céder devant une logique économique

dominante qui sait attirer dans ses rets, grâce aux armes du pouvoir et de l'argent, les

êtres qui se croient les moins vulnérables.

L'argent est le nerf de la guerre. C'est un des plus sûrs moyens dont disposent les

acteurs pour faire valoir leurs intérêts respectifs. Celui des sériciculteurs n'est pas le

même que celui de la DATAR ou de l'ANVAR, ou encore que celui des collectivités

35
Voir Jean-Baptiste Meyer, La maîtrise sociale..., op. cit., p. 8.
36
Philippe Mustar, "Du biscuit dans le micro-onde: le financement d'un réseau
scientifico-industriel", Ces réseaux que la raison ignore, Paris: L'Harmattan, 1992, p.
192.
37
Sur ce point, voir notre rapport intermédiaire qui évoque les actions d'appui
technique menées par Michel C. dans les pays producteurs de soie en voie de
développement et notamment au Vietnam, où il fait confectionner des vêtements de
soie et développe divers projets de joint-ventures.
181

territoriales et de la CEE. Tous sont porteurs de "projets politiques très divers" . Les

sériciculteurs, en prenant des parts sociales dans SÉRICA, réfléchissent en terme de

maintien de l'activité agricole; les élus pensent retombées économiques et médiatiques

pour leur commune ou leur canton; l'ANVAR qui contribue au financement des

projets R&D de SÉRICA a pour objectif l'accroissement du potentiel technologique

des entreprises françaises tandis que le CNRS se préoccupe de valorisation de la

recherche; les Soyeux mise sur SÉRICA parce qu'ils voudraient diversifier leurs

sources d'approvisionnement et ne plus être sous la coupe de la Chine; les

pépiniéristes voient dans le mûrier in vitro la possibilité de conquérir un nouveau

marché; la CEE défend le rayonnement des entreprises françaises à l'étranger...

Avec l'argent qu'ils injectent dans l'entreprise, ils apportent aussi leurs exigences et il

n'est pas possible de les contenter toutes. Il faut donc faire des choix, instaurer des

priorités et trouver à les justifier en les replaçant dans des stratégies à long terme.

C'est ainsi que la sériciculture cévenole -indépendamment des difficultés qu'elles

connaît actuellement et qui sont consécutives au problème du traitement nocif que

nous avons évoqué plus haut- ne serait mise en état de veille que pour mieux se

consacrer à la mise en place d'une filature automatique de 240 bouts impliquant un

développement ultérieur éventuel de la sériciculture locale; ce qui rend pour le moins

sceptiques la plupart des sériciculteurs qui estiment qu'en 1995 la relance est toujours

annoncée pour demain! Ils pensent en effet que cette nouvelle entreprise sera plus

dépendante encore du marché international et refusera de payer les cocons à un prix

qui couvre leurs investissements et leur travail.

Philippe Mustar, op. cit., p. 193.


182

Il n'est pas facile de concilier la maîtrise locale du développement et l'ouverture

internationale, particulièrement dans un domaine où l'ancrage local (la "tradition" de la

soie) fait écran à une mondialisation des échanges qui ne date pas d'aujourd'hui.

Peut-on parler de réussite ou d'échec de la relance? La réussite d'une innovation ou

son échec réside, a-t-on coutume de dire, dans le fait qu'elle est ou n'est pas rentable.

Cette question est particulièrement délicate à traiter car il faudrait s'entendre tout

d'abord sur le sens à donner à la notion de rentabilité. La rentabilité matérielle ne

saurait être une cause de la réussite ou de l'échec de l'innovation, elle en est plutôt une

conséquence, comme l'ont montré M. Akrich, M. Callón et B. Latour. Au départ

d'une innovation, on ne trouve que des principes, des schémas, des descriptions

abstraites, des hypothèses sur sa rentabilité. Elle ne devient rentable qu'après coup,

lorsqu'elle est parvenu à intéresser des acteurs. Mais l'intéressement lui-même ne

constitue pas un état stable: l'innovation est un processus qui s'inscrit dans la durée.

La relance a certes intéressé des personnes qui se sont lancées dans la sériciculture

mais la plupart ont actuellement décroché. Aujourd'hui, les Soyeux sont prêts à miser

sur la rentabilité future des innovations dans lesquelles s'est lancée l'entreprise parce

qu'ils voudraient bien diversifier leurs sources d'approvisionnement. Intéressés, ses

protagonistes l'ont évidemment été et leur intéressement a été couronné de succès: le

PDG de SÉRICA parcourt le monde pour vendre son savoir-faire, le maire de

Monoblet a vu son village gratifié d'une image positive qui a donné lieu à des

installations dans la commune, le chargé de mission de la DDA a pris en main la

destinée d'Eurochrysalide...
183

L'issue actuelle de la relance est l'aboutissement d'un processus qui a emprunté des

itinéraires que personne n'avait prévus. Mais peut-on analyser une innovation en

faisant l'impasse sur l'intentionnalité des acteurs? C'est le sens d'une objection que fait

P. Flichy au modèle proposé par l'école française de sociologie des sciences et des

techniques39.

L'impasse de ce modèle réside dans l'impossibilité de tenir un discours sur l'innovation

à partir du moment où on se refuse à postuler, ne serait-ce que tactiquement, pour

voir "comment ça fonctionne", l'identité du projet technique et de l'objet technique.

.Cette absence de référence à l'intentionnalité des porteurs du projet n'est-elle pas le

résultat d'une approche qui fait abstraction des êtres pour mieux dévoiler des

mécanismes, des déplacements...? Pourtant, la question de la réussite et de l'échec ne

cesse de revenir sous la plume de ceux qui pensent l'innovation. N'est-ce pas parce

que les processus d'innovation mettent en scène des êtres humains qui ne se réduisent

pas à des entités et à des artefacts qui se déplacent et/ou que l'on déplace en fonction

de circonstances, d'arbitrages et d'interactions? C'est pourquoi la question du sens ne

nous paraît pas être secondaire. La relance est l'histoire de détours improvisés,

d'applications inespérées mais aussi d'espérances déçues qui inscrivent l'innovation

dans ce qu'elle a de plus prosaïquement social et politique.

Patrice Flichy, op. cit., pp. 105-106.


184

GLOSSAIRE

âge: période qui s'écoule entre deux mues* du ver à soie.


Anthéréa : espèces appartenant à la famille des Saturnidés et qui produisent également
de la soie. On trouve l'Anthéréa pernyi (ver à soie Tasar de Chine) et l'Anthéréa assama
(le ver à soie mouga d'Inde). Il s'agit d'espèces dites sauvages.

arbre d'or: nom donné au mûrier.

bassine: récipient métallique contenant de l'eau chaude dans lequel baignent les cocons
afin de qu'ils puissent se dévider*.
battage: opération qui consiste à agiter les cocons, soit manuellement à l'aide d'une sorte
de balai de bruyère soit mécaniquement avec un système de balais rotatifs, pour saisir le
début de la bave*.

bave: sécrétion du ver à soie qui en séchant constitue lefilde soie.


blaze ou bourre: première bave du ver à soie dont on obtient par cardage un fil utilisé
pour tisser le tissu appelé bourrette.
Bombyx mori: nom latin du Bombyx du mûrier, c'est à dire de l'insecte dont la chenille
est appelée ver à soie.
bourrette: tissu fabriqué à partir d'un fil obtenu en cardant les différents déchets de
filature (frison*, bourre* ou blaze*...)

bout: on appelle bout chaque fil que surveille unefileuse.Selon qu'elle surveille 6, 8 ou
10 fils, on dit qu'elle file à 6, 8 ou 10 bouts. Par extension, on parle par exemple d'une
filature de 300 bouts pour désigner unefilaturepouvant produire simultanément 300 fils
de soie.

brin:filformé de plusieurs baves* réunies au sortir de la bassine.


bruyère: plante généralement utilisée comme support pour les vers à soie au moment de
la fabrication du cocon.

cabane: construction réalisée par l'éleveur (euse) avec des rameaux de bruyère dans
lequel le ver à soie monte* pourfilerson cocon.

cardage: opération qui consiste à peigner lesfilsde soie emmêlés qui ne peuvent pas être
filés.
Castelet des Cévennes: étuve pour l'incubation* des oeufs du ver à soie.
chaîne: ensemble desfilsqui sont disposés selon la longueur du tissu.
185

claies: Plateaux en osier, en lamelles de châtaignier tressés ou métalliques qui garnissent


les tables des magnaneries et sur lesquels sont posés les vers à soie.
cuisson: opération préalable au filage qui consiste à tremper les cocons dans de l'eau
chaude pour ramollir le grès qui entoure les baves*.

débourrement: littéralement, sortir de la "bourre". Eclore en parlant des bourgeons qui


s'ouvrent.

décoconage ou déramage: opération qui consiste à ôter les cocons de leurs supports.
décreusage: élimination du grès* par trempage de la soie grège* dans une solution d'eau
chaude et de savon.
délitage: opération qui consiste à ôter la litière des vers à soie, souillée par leurs
excréments.

denier: le titre* de la soie est exprimé en deniers. Le denier est le poids unitaire exprimé
en demi-décigramme d'un fil de 450 m de long. Le titre de 75 deniers, par exemple,
signifie que 450 m defilpèsent 75 x 0, 05 g = 3,75 g.

dévidage: transfert dufilen écheveaux sur les bobines utilisées pour le moulinage*.
dévidoir: support pour le dévidage.
doupion: cocon unique filé par deux chenilles. Par extension: tissu de soie réalisé avec
dufilprovenant de doupions.
éducateur (trice): l'homme ou la femme qui élève les vers à soie.
éducation: synonyme d'élevage des vers à soie.
encabanage: mise en place des supports sur lequel les vers à soie montent pour tisser
leurs cocons.
étouffoir: four qui permet de tuer et dessécher les chrysalides avant leur transformation
en papillon.
fantaisie: soie grège obtenue par cardage* etfilage*de déchets de soie.

fil doupionné: provenant de doupions*.

filage: transformation dufilqui constitue le cocon enfilà usage textile.


filature: établissement industriel où l'on procède au filage*.
filoselle: fil de soie fabriqué à partir de cocons percés dont le fil unique a été rompu par
la sortie du papillon.
flotte: écheveau de soie grège* ou ouvrée*.

fournel: terme occitan. Construction en briques servant à chauffer la magnanerie*.


186

frèze: appétit des vers à soie après chaque mue.


frison: = bourre*.
grainage: production de la graine.
grainage cellulaire: méthode mise au point par Pasteur afin d'obtenir de la graine* saine.
graine: oeufs fécondés de la femelle du Bombyx du mûrier* qui donnent naissance aux
vers à soie.
graineur: personnes qui produisent et/ou commercialisent la graine*.
grande frèze: 5ème âge* du ver à soie.
grès: gaine de séricine qui entoure lefilde soie et donne au cocon sa rigidité.

hérisson: support plastique, utilisé actuellement pour l'encabanage*.


incubation: exposition des oeufs à la chaleur afin d'accélérer le développement de
l'embryon contenu dans l'oeuf.
litière: la couche sur laquelle vivent les vers à soie, composée de débris de feuilles et
d'excréments.
Kokuso 21: variété de mûriers utilisée pour la relance séricicole.
magnan: chenille du papillon Bombyx du mûrier = ver à soie en occitan.
magnagnier(e): éleveur de magnans*.
magnanerie: local dans lequel on élève les magnans*.

moricole: qui a trait au mûrier.

moulinage: torsion dufilde soie afin d'augmenter sa résistance.


mue: changement de peau de la chenille.
mûrier: arbre dont la feuille constitue l'unique aliment du ver à soie.
nouet: sachet en tissu dans lequel est placée la graine* pour l'incubation*.

nourricerie: local où les vers de plusieurs éducateurs sont élevés collectivement jusqu'à
la troisième mue.
once: mesure utilisée pour la pesée des oeufs de ver à soie; équivaut à 25 ou 30
grammes.
ourdissage: réunion desfilsde chaîne* en nappe et tension avant le tissage.
187

organsin: fil torsadé deux fois en sens contraire et donc particulièrement résistant,
destiné à la confection de la chaîne.
ouvraison: = moulinage*.
pébrine: maladie des vers à soie.
pelette: ce qui reste du cocon quand le fil a été tiré: correspond à l'enveloppe interne du
cocon dans laquelle se trouve encore la chrysalide.

purger: rechercher le début du fil.

ramier: local où le sériciculteur stocke la feuille de mûrier.

rassoler: terme occitan qui désigne une manière de cueillir les feuilles de mûrier, en
saisissant le rameau à la base et en remontant d'un geste vif vers son extrémité pour
arracher les feuilles.

sériciculture: élevage de vers à soie pour la production de cocons.


schappe: produits textiles obtenus à partir des déchets de soie.
soie grège:filde soie tel qu'il est au sortir de la bassine, avant le décreusage*.
table: étagère de bois formée de planches juxtaposées sur lesquelles sont posés les
claies* qui supportent les vers à soie.

taffetas: nom donné à la toile de soie.


taulier: échafaudage de tables*.
titre: poids en deniers* que doit avoir unfild'une longueur donnée.
tour: = asple* ou guindre*; dévidoir* sur lequel s'enroule le fil de soie grège* au sortir
de la bassine*.
trame: ensemble desfilsdisposés selon la largeur du tissu.
188

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TABLE DES MATIERES

PROLOGUE; AUX ORIGINES DE LA RELANCE SERICICOLE 5

L E S CONDITIONS DE POSSIBILITÉ D'UN RENOUVEAU 5


SAUVER CE QUI PEUT L'ÊTRE 6
LES PREMIERES MESURES 9
VERS UNE "RENOVATION DES CEVENNES" 12
L A FIN D'UNE HISTOIRE 19

LA RELANCE 25

GENESE 25
L E S ÉTAPES DU PROCESSUS OU LES JALONS DE LA RELANCE 32
LA REAPPROPRIATION DES SAVOIR-FAIRE 33
U N SYSTÈME RAISONNE DE PROPOSITIONS D'INNOVATIONS 36
Première proposition: le kokuso 21 39
Seconde proposition: la filière intégrée, "du sol au tissu" 41
LA MISE EN OEUVRE DE L'INNOVATION 46
Les pionniers 47
L'entrée en scène des porte-parole 57

L'ORGANISATION DE LA RELANCE 65

L'ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE LA SERICICULTURE EN CEVENNES


(ADSC) 65
ATISSOF: UN LABEL "SOIE DES CEVENNES" 69
L'ATELIER DE GREFEUILHE 74
L A SICA SOIE-CEVENNES 81

LES INNOVATEURS 87

QUI SONT LES SERICICULTEURS? 88


L'ADOPTION DES INNOVATIONS 95
LA DIFFUSION DU KOKUSO 21 97
DES EDUCATIONS IMBRIQUEES 101
DES MAGNANERIES MODERNES 104
L'ELEVAGE AUX RAMEAUX 108
LE HERISSON PLASTIQUE 112

DE LA COOPERATIVE AU HOLDING [ H5

LE PASSAGE A LA SOCIETE ANONYME 126


UN RESEAU EN PERPETUELLE EVOLUTION 129
DE L'UTOPIE AU REALISME 138

LES DERNIERS DEVELOPPEMENTS 148

TRAHISON ET DISSIDENCE 148


LA PATRIMONIALISATION DE LA RELANCE 160
L'INNOVATION COMME FIN 167

CONCLUSION 122

GLOSSAERE !M

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES JM

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