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Publié le 21/06/2023

La lutte contre le paludisme en 2023, entre avancées et incertitudes


Le paludisme est la première endémie parasitaire mondiale. La région
Afrique de l’OMS comprend à elle seule 94 % des cas ; les infections dues
à l’espèce Plasmodium falciparum, celle qui tue, y sont les plus
fréquentes et les plus graves, et 80 % des décès sont observés chez les
enfants de moins de 5 ans. Entre 2000 et 2015, l'incidence du paludisme
et sa mortalité ont diminué respectivement de 27 % et de 50 %. Cela était
lié principalement à l’effort financier international ciblant la lutte
antipaludique, à l’utilisation massive des moustiquaires imprégnées
d’insecticides (pyréthrinoïdes), et des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA) très efficaces.

 Après la stabilité observée entre 2015 et 2020 (environ 550 000 décès par an), une ré-augmentation inquiétante
de l'incidence et de la mortalité a été constatée, avec 241 millions de cas et 627 000 décès en 2021 [1]. Quelques
explications ont été données : la pandémie Covid-19, car elle a mobilisé les systèmes de santé relâchant les
activités de lutte antipaludique, l’émergence de souches de Plasmodium falciparum résistantes à l’artémisinine,
l’apparition de résistance des anophèles aux insecticides pyréthrinoïdes. La recherche pour mettre au point de
nouveaux outils est en plein essor et permettra d’envisager dans le futur un meilleur contrôle, voire l’éradication
du paludisme.

Un vaccin antipaludique recommandé par l’OMS en 2021 [2], unepremière avancée


Le RTS,S/AS01 est un vaccin pré-érythrocytaire qui cible les antigènes des sporozoïtes de P. falciparum inoculés
par le moustique dans le derme ; il cible aussi le stade hépatique. L’objectif est d’induire à la fois, la production
d’anticorps à haute affinité contre les antigènes de surface des sporozoïtes les empêchant ainsi d'atteindre le foie,
ainsi que des réponses cellulaires T effectrices nécessaires à la reconnaissance puis à la destruction des
hépatocytes infectés.

Les premiers essais cliniques de phase III se sont déroulés dans 7 pays africains d’endémie palustre, entre 2009
et 2014, avec une primo-vaccination en 3 doses à un mois d’intervalle, et une dose de rappel à 18 mois. La
protection contre les formes cliniques n’était, après 2 ans de suivi, que de 36 % chez les jeunes enfants et de 26 %
chez les nouveau-nés. Malgré ces résultats décevants, l’Agence européenne du médicament avait donné en 2015
un avis favorable sur ce vaccin RTS,S/AS01.

Bien que l’objectif fixé par l’OMS (75 % d’efficacité pour un vaccin antipaludique) n’ait pas été atteint, un
programme pilote a été lancé en 2019 avec ce vaccin au Ghana, au Kenya et au Malawi sur plus de 800 000
enfants. Les résultats et conclusions ont été les suivants : une diminution significative de l’incidence des cas
graves et mortels de 30 % - une stratégie vaccinale réalisable - un profil d’innocuité du vaccin favorable - aucun
impact négatif sur les autres mesures de prévention du paludisme - une vaccination rentable dans les zones de
transmission forte à modérée d’après les modélisations.

Devant ces résultats, l’OMS a recommandé en 2021 l’utilisation généralisée du vaccin antipaludique RTS,S/ AS01
chez les enfants de plus de 5 mois en Afrique subsaharienne et dans d’autres régions où la transmission du
paludisme à P. falciparum est modérée ou forte. En mars 2023, plus de 1,3 million d'enfants avaient reçu au
moins 1 dose de vaccin dans le cadre de ce programme. Vingt-neuf pays d'Afrique ont exprimé leur intérêt à
adopter ce vaccin dans le cadre des stratégies nationales de lutte contre le paludisme [1, 2].

Afin d’améliorer l’immunogénicité de ce vaccin, l’Institut Jenner d’Oxford a développé un vaccin RTS,S modifié,
le R21. Ce candidat vaccinal, testé en phase IIb sur 450 enfants de 5 à 17 mois au Burkina Faso, est parvenu à un 
taux de protection de 77 % (2 ans de suivi), ce qui atteint l’objectif de l’OMS de 75 % d’efficacité. L’étude de Phase
III est en cours.

Une nouvelle voie : bloquer la transmission de Plasmodium falciparum, de son hôte humain à l’anophèle femelle
vectrice [3]
Les globules rouges (GR) infectés par le plasmodium perdent en partie leur capacité de déformation. La rate
retient les GR devenus ainsi rigides et les élimine de la circulation. Dans le cas du paludisme, seuls les stades les
plus déformables, les jeunes trophozoïtes (stade asexué immature) et les gamétocytes de stade V, peuvent
échapper à cette élimination mécanique et persister dans la circulation ; or, seuls ces gamétocytes de stade V, les
stades sexuels matures du plasmodium, peuvent infecter l’anophèle femelle vectrice.

Dans une étude publiée en avril 2023, des chercheurs ont identifié des médicaments induisant une
« rigidification » de GR infectés par Pl. falciparum favorisant ainsi leur élimination lors de leur circulation dans
la rate. Leur approche in vitro a permis de cribler plusieurs milliers de produits en utilisant une méthode de
microfiltration mimétique de la rate qui quantifie la capacité des GR à se faufiler entre des microsphères. Deux
produits ont montré une efficacité : le « NITD609 », un inhibiteur de la PfATPase et le TD-6450, un inhibiteur
NS5A du virus de l'hépatite C ; ils ont permis la « rigidification » les GR porteurs de gamétocytes matures et ont
tué les stades asexués in vitro à des concentrations nanomolaires élevées. Une étude de phase 1 chez l'homme
avec un résultat primaire de sécurité et un résultat secondaire de pharmacocinétique n'a montré aucun
événement indésirable grave,(https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT02022306).

Les auteurs concluent que ces médicaments utilisés comme agents bloquant la transmission du paludisme
pourraient être rapidement testés dans le cadre d'essais cliniques, et que, si cette efficacité se confirmait in vivo,
l’ajout de ces médicaments sûrs à l'arsenal thérapeutique pourrait contribuer au contrôle durable du paludisme.

Une autre approche encore : empêcher la synchronisation du cycle intra-érythrocytaire du parasite avec le cycle
circadien de l’homme [4]         
Lors de l’infection paludéenne, les parasites plasmodiaux envahissent les GR, se multiplient, puis, après
éclatement à l’unisson des GR, sont libérés par millions dans le sang et envahissent de nouveaux GR ; ce cycle
mortel pour les GR se répète chez l’homme toutes les 24, 48 ou 72 heures, selon l'espèce plasmodiale ; il explique
les poussées de fièvre récurrentes.

Dans une étude publiée le 6 juin 2023 dans la revue « Proceedings of the National Academy of Sciences », des
chercheurs ont analysé l'activité des gènes régulant le cycle intra-érythrocytaire du parasite et le cycle circadien
de l'homme chez des patients impaludés. L’équipe de chercheurs avait émis l’hypothèse que les parasites
pourraient se coordonner avec les rythmes circadiens de 24 heures de leurs hôtes.                                                        

Pour étudier cette hypothèse, ils ont analysé l'ARN d’échantillons sanguins prélevés toutes les trois heures
pendant deux jours chez des personnes présentant un paludisme à Pl. vivax afin de déterminer quels gènes
étaient actifs lorsque les parasites se développaient à l'intérieur des GR. Les chercheurs ont pu identifier des
centaines de gènes qui suivent un rythme semblable à celui d'une horloge, plus actifs à certains moments de la
journée, moins et finalement à l’arrêt à d’autres moments. Selon eux, cet alignement suggère une adaptation
évolutive qui crée une synchronisation entre les parasites pendant la phase sanguine, ce qui pourrait être un
moyen d'échapper aux défenses de l'hôte ou d’optimiser l'utilisation des ressources de l'hôte qui sont contrôlées
par son horloge circadienne.

L'équipe de chercheurs concluait que leurs travaux ouvraient la voie à des stratégies chronothérapeutiques pour
traiter les infections paludéennes en désynchronisant l’horloge interne du paludisme de celle de son hôte.


L’apparition de résistance à l’artésimisine, le médicament clé pour le traitement du paludisme est source
d’inquiétude         
Les combinaisons thérapeutiques à base d’artésimisine (CTA) sont recommandées par l’OMS depuis 2006
comme première ligne de traitement du paludisme non compliqué, à la suite de l’apparition des résistances à la
chloroquine (1960-1970), à la sulfadoxine-pyriméthamine (années 1980), à la méfloquine (années 2000).
L’artésunate intra-veineux est quant à lui indiqué comme traitement du paludisme grave depuis 2010 [1].
                                                                       

Mais des résistances à l’artémisinine et ses dérivés, avec des échecs cliniques et parasitologiques, auraient émergé
dès 2001 en Asie du Sud-Est ; elles ont été confirmées en 2008. Cette résistance s’est étendue progressivement
vers d’autres zones d’endémie, notamment en Afrique subsaharienne et essentiellement dans l’est africain, sans
conséquence pour le moment sur l’efficacité des CTA grâce à la persistance d’activité des autres composants ; elle
n’y constitue donc pas encore un problème de santé publique [5].                                                                                    

Des études ont montré l’efficacité d’une trithérapie associant artemether-lumefantrine plus amodiaquine [6]. Il
faut aussi poursuivre la recherche de nouvelles molécules antipaludiques car l’extension de la résistance aux CTA
en Afrique sub saharienne serait une vraie catastrophe sanitaire.

Tout comme la résistance de l’anophèle aux insecticides                      


Les moustiquaires imprégnées d'insecticide (pyréthrinoïdes) constituent un moyen efficace de réduire la
transmission du paludisme et ont été déployées dans toute l'Afrique. Cependant, depuis plus de dix ans,
Anopheles gambiae, le principal vecteur du paludisme en Afrique, est devenu résistant à de nombreux
insecticides dont plus récemment les pyréthrinoÏdes.

 Pour surmonter cette résistance, il est possible d'ajouter à la moustiquaire un autre produit chimique, le
butoxyde de pipéronyle (PBO) ; ce n'est pas un insecticide, mais il bloque des enzymes métaboliques présentes
dans le moustique empêchant les pyréthrinoïdes d’agir [7].       

Selon l’OMS, une moustiquaire à base de pyréthrinoïdes et d'OPB devrait, en théorie, avoir un effet létal accru sur
les anophèles qui expriment de tels mécanismes de résistance. Toutefois, l'impact entomologique et
épidémiologique des moustiquaires à base de pyréthrinoïdes et de PBO peut varier en fonction de la
biodisponibilité et de la rétention du PBO dans la moustiquaire, ainsi que de la conception de la moustiquaire. A
ce jour, le système d'évaluation des pesticides de l'OMS (WHOPES) ne s’est pas encore prononcé sur la possibilité
d’utiliser ces moustiquaires doublement imprégnées dans le cadre de la lutte antivectorielle en santé publique ;
des études sur le terrain sont en cours, et si les résultats confirment leur efficacité, cela serait une grande avancée
dans la lutte anti vectorielle en particulier en Afrique sub-saharienne [7].

L’éternelle course de vitesse contre le paludisme n’est donc pas terminée. Développement de trithérapies
antipaludiques, mise en évidence de nouvelles cibles thérapeutiques, pistes prometteuses en matière de
prévention, avec l’amélioration de l’efficacité du vaccin RTS,S/AS01, avec aussi la recherche portant sur de
nouvelles cibles vaccinales (vaccins erythocytaires et en particulier anti gamétocytaire). De nombreux travaux
sont en cours portant sur l’utilisation d’anticorps monoclonaux dans la prévention [8].Enfin dans la lutte
antivectorielle, pouvoir remplacer la population d’anophèles qui transmettent le parasite par une population
incapable de le transmettre (contrôle génétique des populations de moustiques, stérilisation des moustiques
mâles) est aussi source de nombreux travaux [9].

Pr Dominique Baudon

RÉFÉRENCES
[1] OMS. World malaria report 2022. Organisation mondiale de la santé, Genève. 2022. 293 p. Licence : CC BY-
NC-SA 3.0 IGO. www.who.int/teams/global-malaria-programme/reports/world- malaria-report-2022

[2] Marie Mura. :Vaccination contre le paludisme. Actes du Colloque - Centenaire de la mort d’Alphonse Laveran.
24 novembre 2022, Paris. MÉDECINE TROPICALE ET SANTÉ INTERNATIONALE, publié 03/05/2023 - DOI :
10.48327/mtsi.v3i2.2023.325.
[3] Mario Carucci, et al. : Safe drugs with high potential to block malaria transmission revealed by a spleen-
mimetic screening. Nature Communications | 2023;14:1951. doi.org/10.1038/s41467-023-37359-2
[4] Motta FC, et al. : The parasite intraerythrocytic cycle and human circadian cycle are coupled during malaria
infection. Proc Natl Acad Sci USA. 2023;120(24):e2216522120. doi: 10.1073/pnas.2216522120
[5] Cécile Ficko, Pierre-Louis Conan. Le paludisme en 2022 : aspects cliniques et thérapeutiques. MÉDECINE
TROPICALE ET SANTÉ INTERNATIONALE. Publié le 05/06/2023 DOI : 10.48327/mtsi.v3i2.2023.378
[6] Peto TJ, et al. : Triple therapy with artemether-lumefantrine plus amodiaquine versus artemether-
lumefantrine alone for artemisinin-resistant, uncomplicated falciparum malaria: an open-label, randomised,
multicentre trial. Lancet Infect Dis. 2022 Jun;22(6):867-878. DOI: 10.1016/S1473-3099(21)00692-7. Erratum
in: Lancet Infect Dis. 2022 May;22(5):e128. [7] OMS Nouveaux types de moustiquaires imprégnées d'insecticide
2020-https://www.who.int/fr/news-room/questions-and-answers/item/new-types-of-insecticide-treated-nets
[8] Timothy Wells and Cristina Donini. Monoclonal antibodies for Malaria- N Engl J Med 2022; 387:462-465-
August 4, 2022 DOI: 10.1056/NEJMe2208131
[9] Lindsey Baden, et al. : Malaria - Interactive perspective Epidemiology, Treatment, and Prevention. N Engl J
Med - video February 2, 2023; 388:e9
DOI: 10.1056/NEJMp2216703
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