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La multiplication

des virus
Henri AGUT

Les virus sont des micro-organismes dont l’usine de réplication est localisée
au cœur des cellules : ils déploient tout un arsenal moléculaire pour infiltrer,
puis asservir le système cellulaire, afin de garantir leur multiplication.

S
elon André Lwoff, un de pères Ce dernier opère un véritable détour- surface cellulaire, le récepteur, et une
fondateurs de la virologie qui nement des synthèses cellulaires grâce protéine de la surface externe de la parti-
fut lauréat du prix Nobel de à des interactions subtiles avec son hôte. cule virale, parfois appelée antirécepteur.

Stephen Sweet/Shutterstock
médecine en 1965, les virus La mainmise virale sur l’usine cellu- Récepteur et antirécepteur ont une grande
sont… des virus. Cette tauto- laire est universelle, qu’il s’agisse affinité l’un pour l’autre, et seules les
logie, surprenante à la première lecture, des virus des cellules eucaryotes, cellules qui possèdent le récepteur
ne soulignerait-elle pas la désarmante cellules pourvues d’un noyau, du virus ont la capacité à être
simplicité des virus ? L’architecture d’une ou des virus des bactéries, infectées. Au contraire, si le récep-
particule virale, encore appelée virion, encore appelés phages. teur est absent, la cellule est natu-
est constituée d’un acide nucléique En général, cela ne va pas rellement résistante à l’infection.
porteur de l’information génétique sans dommages pour la cellule Les récepteurs sont des
sous forme d’ADN ou, ce qui est parti- hôte, et au-delà, pour l’ensemble protéines ou des sucres présents
culier aux virus, d’ARN, entouré d’un de l’organisme infecté. Pour mieux sur la membrane cellulaire. Ils possè-
édifice protéique de forme régulière, la cerner leur pouvoir de nuisance, explo- dent un rôle spécifique dans le fonc-
capside. Dans le cas des virus enveloppés, rons les mécanismes de la multipli- tionnement de la cellule, par exemple,
il s’y ajoute une membrane lipidique cation intracellulaire des virus. la reconnaissance d’autres cellules ou
externe, l’enveloppe. de molécules du milieu extracellu-
Comment de telles structures, Un cheval de Troie laire. L’attachement des particules virales
d’une grande simplicité et à première résulte d’un détournement de cette acti-
vue inertes, peuvent-elles menacer des La multiplication intracellulaire des vité de reconnaissance.
organismes vivants et autrement plus virus est un processus cyclique qui L’étape suivante est la pénétration
complexes ? Sans doute parce que les permet l’amplification exponentielle dans la cellule de la particule virale, et,
virus ont impérativement besoin d’in- du nombre de particules virales et en fin de compte, du génome viral qui
fecter une cellule qui va leur fournir leur transmission en série à des cellules va piloter seul le cycle intracellulaire du
les systèmes de synthèse et les sources sensibles à l’infection. On distingue virus. La pénétration, contrairement à
d’énergie dont ils sont démunis. dans ce cycle, de façon arbitraire, six l’attachement qui est la rencontre passive
La multiplication au sein des cellules étapes successives (voir la figure 3) entre deux structures, est un processus
est un processus de réplication et dont les trois premières actif, qui nécessite un apport d’énergie.
non une division : la parti- conduisent à la pénétra- Dans le monde viral, tous les moyens
cule virale se décompose, puis tion et à la dissociation sont bons pour assurer cette pénétra-
est reconstruite en de des virions. tion (voir la figure 2).
multiples exemplaires par L’attachement du Certains phages introduisent leur
l’auto-assemblage des diffé- virion à la cellule acide nucléique dans la bactérie hôte
rents composants que la résulte d’une interac- par un système qui ressemble, toutes
cellule fabrique, sous le tion spécifique entre proportions gardées, à une seringue hypo-
contrôle du génome viral. une molécule de la dermique. Les virus des cellules euca-

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1. L A SURVIE DES VIRUS passe par leur vecteurs intracellulaires. Le sort de la
prolifération exponentielle dans l’organisme. cellule est pourtant scellé : la subver-
Le système immunitaire, lorsqu’il possède
les armes, mène une véritable guerre à ces
sion fonctionnelle que contient le
intrus. Une seule ingérence virale dans une message génétique viral s’exprimera
cellule produit des centaines, voire des progressivement pour aboutir à la
milliers, de virions. synthèse des molécules constitutives
des futurs virions.
ryotes suivent en général deux grandes La décapsidation est souvent intri-
voies. Certains virus enveloppés pénè- quée avec les mécanismes de pénétra- L’usine détournée
trent par fusion de leur enveloppe avec tion et de transport intracellulaire de la
la membrane cellulaire, ce qui libère la particule virale. À ce stade, le génome Le génome viral est pris en charge par
capside directement dans le cytoplasme. viral, jusque-là protégé par la capside, se les systèmes de transport intracellu-
D’autres virus enveloppés et les virus libère de sa protection et entre en contact laire, notamment les protéines du cytos-
nus pénètrent par endocytose, un des avec les facteurs cellulaires qui vont quelette qui constituent les microfila-
mécanismes physiologiques par lequel contribuer à l’expression de ses gènes et ments, microtubules et filaments
la cellule capte des macromolécules à sa réplication. La perte des protéines intermédiaires. Ces éléments l’ache-
externes indispensables à son fonction- de capside n’est souvent que partielle : minent de la périphérie de la cellule
nement. On assiste là encore à un détour- dans le cas des rotavirus, virus nus respon- vers le site central, cytoplasmique ou
nement de cette fonction. Le virion, fixé sables d’infections intestinales (voir nucléaire, de sa réplication. Ces voies
à la surface de la cellule, est internalisé Un vaccin contre le rotavirus, par Roger de transport seront utilisées en sens
dans une invagination de la membrane Glass, dans ce dossier), seule la partie la opposé pour la libération des particules
cytoplasmique qui va s’individualiser en plus externe de la capside est dissociée. virales en fin de cycle.
une vésicule intracytoplasmique. Une Dès lors, le virus a disparu en tant L’étape centrale du cycle de repro-
fois dans la place, le virion quitte la que virion, ce que traduit le terme clas- duction virale est la fabrication des
vésicule par fusion de son enveloppe avec sique d’éclipse virale : il n’est plus qu’un macromolécules, protéines et acides
la membrane vésiculaire ou par une inter- génome viral associé à des protéines. nucléiques, qui contribueront à l’édi-
action directe de celle-ci avec la capside L’enveloppe et la capside se sont désin- fication des nouvelles particules virales.
dans le cas des virus nus. tégrées après avoir joué leur rôle de Un seul virus va conduire à la formation

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de centaines, voire de milliers, de des enzymes spécifiques, habituelle- mènent à la synthèse des ARN messa-
virions identiques. ment absentes de la cellule et qui sont gers. Ainsi, quatre classes de virus à ARN
Dans une cellule saine, le génome codées par des gènes viraux. génomique ont été définies : ARN à
cellulaire est dupliqué sous l’action d’en- simple brin de polarité positive, ARN
zymes, les ADN polymérases ADN - Des outils dans les bagages à simple brin de polarité négative, ARN
dépendantes. D’autres enzymes, les ARN à double brin, et rétrovirus.
polymérases ADN-dépendantes inter- Les stratégies de fabrication des pro- Les ARN génomiques de polarité posi-
viennent également dans la synthèse téines virales et de réplication du génome tive sont traduits directement en protéines
des protéines en produisant des ARN viral diffèrent suivant la nature de l’acide par les ribosomes. Ils se comportent donc
messagers qui pourront sortir du noyau nucléique : ADN ou ARN, simple ou comme des ARN messagers pendant que
cellulaire. Ces ARN messagers sont double brin. Nous allons nous intéresser d’autres composants viraux censurent la
traduits en protéines par les ribosomes. dans un premier temps aux virus à ARN. traduction des ARN messagers qui
L’infection virale impose d’autres David Baltimore, célèbre virologue proviennent de la cellule.
modes de fonctionnement qui abou- américain qui reçut le prix Nobel en À l’opposé, les ARN génomiques de
tissent au détournement de la machi- 1975 pour ses travaux sur les rétrovirus, polarité négative sont transcrits en un
nerie cellulaire. Cette originalité se a proposé une classification des virus brin d’ARN complémentaire qui est
traduit en particulier par le recours à à ARN en fonction des étapes qui ensuite traduit par les ribosomes. Cette
transcription en un brin d’ARN de pola-
rité positive est effectuée par une ARN
polymérase ARN-dépendante, ou trans-
criptase, qui n’existe pas dans la cellule
normale. Cette dernière est apportée
par le virion en même temps que le
génome viral. Les ARN à double brin,
qui portent donc deux brins complé-
mentaires de polarité opposée, sont
également associés à une transcriptase
transportée par le virion.
L’ARN des rétrovirus est, avant toute
synthèse protéique, copié en un ADN
complémentaire à double brin par une
ADN polymérase ARN-dépendante, ou
transcriptase inverse, qui est elle aussi
contenue dans la particule virale. L’ADN
ainsi obtenu est inséré dans l’ADN des
chromosomes cellulaires grâce à l’action
d’une intégrase, enzyme spécifique du
virus et présente dans la particule virale
tout comme la transcriptase inverse.
Le génome des rétrovirus se comporte
alors comme un ensemble de gènes cellu-
laires. La synthèse des protéines s’ef-
fectue ensuite selon le schéma commun
aux cellules saines.
Qu’en est-il des virus à ADN ? Le
génome des virus à ADN est transcrit
en ARN messagers par des ARN poly-
mérases ADN-dépendantes qui sont,
selon les cas, virales ou cellulaires.
Lorsque les premières protéines virales
sont synthétisées, la réplication du
génome viral débute. Les mécanismes de
réplication sont eux aussi variables. Les
2. L’ART D’ENTRER DANS UNE CELLULE. Le mécanisme pour forcer la membrane des cellules ARN à simple brin de polarité positive ou
diffère selon la famille virale. Le système de pénétration des virus de bactéries, les phages, négative ainsi que les ARN à double
s’apparente à celui d’une injection (a). Le matériel génétique viral est alors seul à pénétrer
dans la cellule. Les virus des cellules eucaryotes procèdent selon deux méthodes. Soit l’en-
brin sont répliqués grâce à des ARN poly-
veloppe virale fusionne avec celle de la cellule et la capside est introduite directement (b), mérases ARN-dépendantes ou réplicases
soit le virus à enveloppe (c) pénètre par endocytose, un mécanisme cellulaire qui permet qui sont toujours des enzymes codées
d’absorber les macromolécules environnantes. Les virus nus (d) pénètrent par endocytose. par le génome viral. L’ARN des rétrovirus

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Nouvelle particule virale

1. Le virus 2. Le virus pénètre


se fixe à la cellule dans la cellule

ADN viral

Gènes viraux
6. Les nouvelles particules
virales s’échappent
Protéine virale pour aller infecter
3. Le virus libère d’autres cellules
son matériel génétique.
ARN viral Ribosome

Enzymes cellulaires 5. Les protéines virales


et l’ADN viral se recombinent
Noyau Protéine native pour former de nouvelles
particules virales.
4. Des enzymes de la cellule
transcrivent l’ADN viral en ARN
et copient également l’ADN viral.
Les ribosomes, dans le cytoplasme,
traduisent l’ARN en protéines virales.
Cellule hôte

3. CYCLE DE RÉPLICATION DANS UNE CELLULE EUCARYOTE. On a quatrième étape de ce cycle est différente. Les virus à bactéries,
représenté ici la réplication d’un virus dont le génome est un ADN les phages, sont directement transcrits dans le cytoplasme, car les
double brin. Lorsque le virus possède un génome à ARN, seule la bactéries ne possèdent pas de noyaux.

est obtenu lors de la transcription de Ainsi, pour de nombreux virus, les infectée, encore appelée lyse. Cette libé-
l’ADN cellulaire par l’ARN polymérase protéines structurales sont synthétisées ration est souvent précédée par leur
ADN-dépendante, normalement présente sous la forme de longs précurseurs stockage intracellulaire (voir la figure 4).
dans le noyau de la cellule. Rappelons protéiques qui sont ensuite découpés par La formation des virus enveloppés est
que la spécificité des rétrovirus est d’in- des enzymes protéolytiques, ou protéases, plus complexe. L’acquisition de l’en-
tégrer leur génome à celui des cellules. pour donner les protéines définitives veloppe se fait par un processus de bour-
Les génomes viraux à ADN sont répli- de la capside. Les protéases à l’œuvre geonnement : la capside qui entoure le
qués grâce à des ADN polymérases ADN- dans ce découpage sont, selon le cas, génome produit une évagination d’une
dépendantes qui, selon les virus, sont cellulaires ou produites lors de l’infec- membrane cellulaire à laquelle elle s’est
cellulaires ou spécifiquement virales. tion sous contrôle du génome viral. adossée. La croissance de ce bour-
Bien que nous ayons présenté les D’autres enzymes cellulaires permet- geon conduit à l’autonomisation d’une
deux processus séparément, la synthèse tent de modifier la structure des particule virale, complètement entourée
des protéines et la réplication du protéines en y ajoutant des groupements par la membrane qui devient ainsi l’en-
génome sont en fait étroitement intri- chimiques, par exemple des sucres. veloppe virale.
quées au cours du cycle viral. L’auto-assemblage est donc intimement Certains virus enveloppés acquiè-
associé à un processus de maturation, rent l’enveloppe à partir d’un compar-
Par ici la sortie ! fait de changements chimiques et de timent intracellulaire limité par une
changements de forme des protéines membrane lipidique : ils sont alors
La formation des virions résulte d’un structurales. Il dépend aussi de l’étape contenus dans une vacuole qui va les
auto-assemblage des protéines virales finale du cycle, la libération des virions. transporter jusqu’à la membrane plas-
nouvellement synthétisées qui vont La libération des virions commence mique et, lors de sa fusion avec celle-
former des capsides. Celles-ci incor- par leur transport intracellulaire, du site ci, les libérer dans le milieu exté-
porent ensuite une copie du génome de réplication de leurs composants vers rieur. D’autres acquièrent l’enveloppe
viral. Ce processus est fondé sur l’af- la périphérie de la cellule. Comme à partir de la membrane plasmique
finité élective qui existe entre les lors de la première partie du cycle, le et leur bourgeonnement coïncide avec
différents composants structuraux du cytosquelette intervient dans ce trans- leur libération.
virus. Interviennent également des port par les microtubules et les micro- Le cycle viral productif, encore
facteurs cellulaires, protéines de filaments qui se comportent comme les appelé lytique, permet ainsi la multi-
soutien et enzymes, qui contribuent tapis roulants d’une chaîne de montage. plication exponentielle des virions et
à conformer ces composants, au fur Les virus nus sont libérés lors de leur propagation en série des cellules
et à mesure de l’assemblage. la destruction finale de la cellule infectées aux cellules saines. D’autres

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formes d’infection cellulaire n’arrivent latente exprime peu de protéines virales : Au terme d’un cycle productif, la
pas à leur terme. l’infection est ainsi masquée et ne subit cellule meurt le plus souvent. Si la
Parfois, l’infection n’est pas initiée, pas l’action du système immunitaire. libération de certains virus nus s’ac-
faute du récepteur spécifique. Les compagne d’une lyse massive, le bour-
cellules sont alors naturellement résis- Du virus à la maladie geonnement plus progressif en appa-
tantes à ce type de virus, et les virions rence des virus enveloppés est tout aussi
concernés sont condamnés à rester dans Le détournement des synthèses cellu- délétère. Deux mécanismes de mort
le milieu extracellulaire. À terme, ils laires par le virus a en général des consé- cellulaire, souvent intriqués, sont à
sont détruits. quences néfastes pour le fonctionne- l’œuvre : la nécrose, généralement
Même quand la pénétration du virus ment de la cellule infectée. En outre, rapide, et l’apoptose, mort de la cellule
dans la cellule réussit, il est possible que certains composants du virus peuvent programmée suite à l’activation de
le message génétique ne soit pas induire un effet toxique direct, telles certains de ses gènes. Les gènes viraux
« compris » par la cellule hôte. La cellule les protéines des fibres présentes sur exercent un contrôle continu sur ces
est sensible à l’infection, mais non permis- la capside des adénovirus. L’évolution processus létaux : la mort cellulaire est
sive : l’infection s’interrompt en cours cellulaire est observable au microscope parfois inhibée pour une meilleure répli-
de cycle, elle est dite abortive. Si le optique : les cellules augmentent de cation virale ou au contraire provoquée
cycle est peu engagé, le génome viral finit volume et de brillance, s’arrondis- pour favoriser la libération des virions.
par disparaître suite à l’action d’enzymes sent, puis se rétractent et finissent par Rares sont les situations où la
intracellulaires. Au-delà d’un certain ne laisser que des débris amorphes. production de particules virales enve-
stade, le maintien du génome viral est La microscopie électronique permet loppées s’accompagne d’une survie
possible sur le long terme. Le génome de constater la désorganisation des orga- cellulaire. Cette dernière est évidem-
viral persiste alors sous une forme latente, nites intracellulaires révélée par la créa- ment beaucoup plus fréquente lors des
sans aucune production de virions. tion de compartiments cytoplasmiques, infections cellulaires incomplètes.
Certaines infections latentes ont la la déformation du noyau, ou l’altération Cependant, l’expression partielle des
possibilité de se « réveiller ». Cette stra- du cytosquelette. Elle permet aussi de génomes viraux entraîne tout de même
tégie est extrêmement efficace pour le visualiser l’accumulation parfois consi- des anomalies des fonctions et de la
maintien d’un virus dans une espèce dérable des composants viraux et des structure de la cellule hôte.
donnée. La cellule infectée de façon particules virales en cours de formation. Un des changements les plus spec-
taculaires est la transformation cellu-
laire, c’est-à-dire l’acquisition par la
cellule infectée de propriétés des cellules
cancéreuses : immortalité, prolifération
non contrôlée, etc. Dans le cas des virus
dits oncogènes, inducteurs de cancers,
certaines protéines virales ou des inser-
tions du génome viral dans les chro-
mosomes ont le pouvoir d’abolir les
mécanismes normaux de contrôle de
la division cellulaire.
Parfois les altérations fonctionnelles
de la cellule infectée sont en apparence
modestes, par exemple la diminution
de production d’une hormone, ou
d’une enzyme. Néanmoins, ces alté-
rations, si elles touchent des cellules
cruciales, sont susceptibles d’avoir le
plus grand retentissement sur le fonc-
tionnement de l’organisme infecté.
Pour interpréter la survenue d’une
maladie virale chez un organisme pluri-
cellulaire complexe, il est indispensable
de prendre en compte les caractères
spécifiques de l’organisme touché. En
particulier, la diversité des cellules et
4. L’ART DE SORTIR D’UNE CELLULE. Les virus se multiplient au sein d’une cellule et s’en des tissus, ainsi que le rôle majeur de
échappent pour infecter l’organisme. Les virus nus sont libérés lors de la lyse de la cellule
(a). Les futurs virus enveloppés procèdent selon deux schémas. La capside bourgeonne
l’immunité innée et acquise, partici-
dans un espace intracellulaire délimité par une membrane lipidique (b). Cet ensemble pent à la lutte contre l’infection.
fusionne alors avec la paroi externe et libère ainsi le virus enveloppé. La capside peut Chez l’homme, le virus entre dans
aussi s’adosser à la membrane et produire ainsi un bourgeonnement externe libératoire. l’organisme à travers une muqueuse

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digestive, respiratoire, oculaire, géni-
tale ou à travers une effraction cutanée.
Il se multiplie d’abord dans les cellules
sensibles et permissives d’un tissu situé
à proximité immédiate de la porte d’en-
trée, tissu qui constitue le site de multi-
plication primaire du virus.
Cette multiplication primaire, bien
qu’elle induise la plupart du temps la
lyse des cellules infectées, ne donne en
général aucun signe clinique. C’est
dans un deuxième temps, après une
période d’incubation plus ou moins
longue selon le virus, qu’apparaissent
les signes distinctifs de la maladie.
L’infection virale s’est amplifiée, a
diffusé à partir du site primaire et a
fini par atteindre l’organe cible, celui
dont l’atteinte se traduit effectivement
par les symptômes de la maladie. 5. L’ÉVOLUTION DES SIGNES CLINIQUES ne va pas forcément de pair avec l’activité virale.
Plusieurs cas de figures se présentent : le pire est évidemment le décès de l’organisme à
Ainsi, lors de la poliomyélite,
la suite des lésions virales (a). Mais les signes cliniques peuvent cesser alors que les virus
maladie caractérisée par des paralysies, continuent leur prolifération. Le VIH, par exemple, détruit les cellules immunitaires sans
le virus se multiplie activement dans signes cliniques pendant plusieurs années (b). Dans le cas d’infections latentes, les virus
le tube digestif avant de passer dans le restent inactifs au cœur des cellules avant de se réveiller de façon transitoire (c). Enfin,
sang et d’atteindre les neurones de la un virus peut être totalement éradiqué par les défenses de l’organisme (d).
moelle épinière dont la destruction est
à l’origine des paralysies. ils continuent à être activement répli- À l’opposé, le cycle viral fournit un
Dans les lésions de l’organe cible, qués et ils entraînent progressive- ensemble de cibles spécifiques pour le
interviennent la lyse induite par la multi- ment des lésions de plus en plus graves. développement de molécules inhibi-
plication virale, mais aussi la destruc- C’est le cas du VIH qui parvient à trices qui épargnent les cellules saines.
tion des cellules infectées par le système échapper à l’action de la réponse immu- Les enzymes virales, absentes des
immunitaire, qui vise à limiter la nitaire tout en détruisant l’ensemble cellules hôtes non infectées, en sont
production et la propagation du virus. des cellules qui participent à cette de bons exemples. C’est une des prin-
Ce type de mécanisme est à l’œuvre lors réponse. La perception clinique de cipales approches exploitées en chimio-
des hépatites et provoque une destruc- ces infections virales persistantes est thérapie antivirale, validée en parti-
tion des cellules du foie. souvent trompeuse. culier par l’efficacité des inhibiteurs
L’infection aiguë par un virus de transcriptase inverse et de protéase
évolue selon plusieurs voies possibles. Connaître pour lutter contre le VIH, des inhibiteurs d’ADN
L’une, défavorable, est la mort rapide polymérase contre les herpès virus.
de l’organisme. Les lésions de l’organe La multiplication virale est aussi le méca- La connaissance du cycle viral est
cible sont tellement importantes nisme principal qui induit la réponse également nécessaire pour envisager
qu’elles sont incompatibles avec la immune spécifique et permet, dans de d’utiliser les virus comme outils théra-
survie de l’individu (voir la figure 5). nombreux cas, la guérison. Mais des peutiques, que ce soit pour détruire
Il en va ainsi de certaines encéphalites, mécanismes d’échappement à la réponse des tumeurs par effet lytique, transporter
pneumonies ou hépatites fulminantes. immunitaire ont été sélectionnés chez des gènes à l’intérieur de cellules défi-
Plus fréquemment, la guérison les virus. L’un d’eux est la variabilité géné- cientes ou exprimer des protéines étran-
survient avec élimination complète du tique qui résulte directement de la répli- gères dans un but de vaccination.
virus sous l’action du système immu- cation des génomes et est particulière-
nitaire qui, de surcroît, protège défi- ment importante pour les virus à ARN.
nitivement l’organisme contre la réin- En effet, les enzymes qui catalysent Henri AGUT enseigne la virologie à l’Uni-
fection par le même virus. Une la réplication des génomes à ARN accu- versité Pierre et Marie Curie, dirige le
situation intermédiaire est celle où mulent les erreurs de copie : ces défauts Service de Virologie du Groupe hospitalier
Pitié-Salpêtrière et est rédacteur associé
les symptômes de la maladie dispa- conduisent à l’émergence de nombreux de la revue Virologie.
raissent, mais où le virus persiste mutants qui permettent au virus de
dans l’organisme malgré la réponse résister à la réponse immune ou aux S.J. FLINT et al., Principles of Virology, Second Edition,
immunitaire dirigée contre lui. traitements antiviraux. La transcrip- ASM Press, 918 pages, 2004.
Certains de ces virus donnent une tase inverse du VIH est un exemple J.-M. HURAUX et al., Traité de virologie médicale, ESTEM,
infection latente. D’autres donnent particulièrement frappant de ces 699 pages, 2003.
une infection persistante productive : enzymes infidèles. H. AGUT, Le Dictionnaire de virologie, Phase 5, 111 pages, 2002.

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