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Ecole Nationale d’Administration

Deuxième Année
Année scolaire : 2002-2003
Cours d’Economie Politique
Professeur : Moubarack LO
Eléments de cours

Chapitre 2 : Rôles de l’Etat et du secteur privé dans la conduite de la croissance et du


développement

Introduction :

Il n’y a plus, s’il y en avait d’ailleurs, une seule économie dans le monde où il existe
un laissez-faire total ou un dirigisme absolu.

On trouve toujours une situation mixte avec de la bureaucratie et de l’entreprise en


même temps. Ce qui diffère les pays étant justement le degré dans lequel ces deux éléments
interviennent respectivement dans le fonctionnement de l’économie.

Il est néanmoins admis, par la quasi-totalité des pays du monde, surtout depuis la chute
du Mur de Berlin en 1989, que les mécanismes du marché sont plus appropriés pour accélérer
la croissance et le développement. Même si l’Etat conserve une place importante, en tant que
complément du marché et correcteur de ses imperfections et insuffisances.

I. Le mécanisme du marché comme instrument du développement

I.1. Pourquoi le secteur privé doit être le moteur de la croissance et du


développement

Ce sont les mécanismes de marché, de préférence aux interventions tous azimuts de


l’Etat, qui permettent à la plupart des pays de répartir la majorité de biens, des services et des
facteurs de production.

Trois arguments plaident en faveur de l’économie de marché et au détriment d’une


économie dirigée :
 d’abord le marché peut diffuser parmi les consommateurs des milliers de produits
différents qui reflètent leurs préférences et, parmi les producteurs, des milliers d’intrants
productifs, en assurant, à partir des intrants disponibles, la production maximale. Prises en
charge par l’Etat, ces tâches complexes de répartition imposent aux pouvoirs publics une
responsabilité considérable et s’accompagnent de processus de décision et de régulation
extrêmement coûteux ;
 en second lieu, le marché fait souvent preuve d’une plus grande souplesse que l’Etat et
d’une meilleure capacité d’adaptation à de nouvelles conditions, en générant
automatiquement des incitations à la croissance, à l’innovation et à l’évolution structurelle
que les pouvoirs publics sont impuissants à gérer ou lents à susciter ;
 enfin, le recours au marché encourage l’activité économique privée, en élargissant le
champ de diffusion du pouvoir économique.

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I.2. Les imperfections du marché

En dépit d’avantages notables, le marché fait montre d’un fonctionnement médiocre


dans certaines circonstances.
Parmi ces insuffisances, on peut noter que :
- dans les pays en développement comme le Sénégal, il arrive que les économies
d’échelle (à savoir la baisse du coût unitaire due à l’augmentation de la production)
soient, par rapport à la taille du marché, d’une ampleur telle que certains secteurs
d’activité jouissent inévitablement d’un monopole ou d’un oligopole (c’est à dire
soient sous le contrôle de quelques producteurs ou vendeurs). Dans ce cas, il est
possible à une ou à quelques entreprises d’élever leurs prix et, par suite, leurs
profits en limitant la production ;
- la difficulté de facturer les avantages externes que créent certains investissements
lourds (par exemple un barrage ou une route) et l’ampleur des coûts de ces
infrastructures n’encouragent pas le secteur privé à les prendre en charge ;
- le marché ne fait pas toujours attention aux dégâts que son activité peut poser à la
préservation des ressources naturelles et de l’environnement (voir la pollution
causée par certaines usines);
- les marchés sont myopes, c’est à dire ne s’intéressent que difficilement au long
terme ;
- les règles de fonctionnement du marché peuvent contribuer à creuser les inégalités
ou à écarter certains citoyens du bénéfice des fruits du progrès (par exemple,
éducation, santé, fourniture d’électricité ou d’eau potable) ;
- la mauvaise circulation de l’information, surtout dans un pays en développement
(par exemple l’information concernant les opportunités sur les marchés
internationaux ou les avancées technologiques), peut conduire à réduire fortement
l’efficacité du marché et de l’allocation des ressources (cf. les analyses de Joseph
E. Stiglitz)..

Toutes ces insuffisances appellent peu ou prou une intervention de l’Etat pour les
corriger. Mais, les pouvoirs publics doivent veiller à utiliser des modalités adaptées pour
éviter d’empirer la situation plutôt que de l’améliorer.

II. La nouvelle place de l’Etat dans la sphère économique

L’Etat sénégalais de la période post-indépendance s’est voulu un Etat-providence qui


entendait occuper une large sphère de la vie économique et sociale : planifier en fixant des
objectifs de manière directive et en définissant les moyens de manière rigide ; fournir des
services à la population agricole en décidant du choix des spéculation ; intervenir dans les
activités commerciales, de l’import-export au commerce de détail ; orienter et encadrer le
crédit ; fixer les prix ; régir le mouvement des produits de base d’une région à l’autre ; fixer
des quotas d’importation et de commercialisation de certains produits ; étendre le secteur
parapublic à tous les secteurs de la vie économique ; prendre en charge les fournitures
scolaires, les médicaments, etc.
Ce schéma a pu difficilement survivre aux difficultés financières de l’Etat nées du
choc pétrolier du début des années 1970. Avec les politiques de stabilisation et d’ajustement
engagées respectivement en 1978/79et en 1983/84, le nouveau paradigme était celui de l’Etat
modeste (concept de « moins d’Etat, mieux d’Etat »).

Depuis, l’Etat n’a cessé de rétrécir son territoire dans l’économie.

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Mais il ne faut pas tomber dans la tentation de diaboliser l’Etat, en remplaçant
l’imperfection du marché par l’inévitable imperfection de l’Etat, et en suivant les
néoclassiques qui vont jusqu’à demander à l’Etat de se mettre carrément à l’écart de la
conduite de la croissance et du développement.
En vérité, l’Etat peut et doit conserver des missions qu’il est le seul à pouvoir remplir.
Nous les passerons en revue tout à l’heure.

Comme l’ont prouvé les pays asiatiques, il y a derrière tout succès économique, une
intervention efficace de l’Etat-stratège. L’enjeu est donc moins le poids de l’Etat dans
l’économie (la quantité) que la qualité, la pertinence et l’efficacité des actions qu’il mène. Les
questions à se poser donc sont : quel type d’intervention ? Que peut faire l’Etat de mieux ?
Nous allons y répondre dans les points qui suivent.

II.1. Développer une vision mobilisatrice et programmer le


développement à long terme

1. De l’utilité de la prospective : futur souhaitable

Les pouvoirs publics ont la responsabilité de bâtir une vision et un projet de société,
dessinant le futur souhaitable et capable de mobiliser l’énergie des citoyens. Pour un pays en
développement comme le Sénégal, l’urgence première, c’est de sortir de la pauvreté et
d’accélérer la croissance et le développement.

Certains pays ont réussi à bâtir avec succès une telle vision. Exemples (Malaisie :
Vision 2020 : être un pays pleinement développé à l’horizon 2020)
Le Sénégal doit faire de même. Par exemple, viser à atteindre le stade de pays
émergent en 2010, c’est à dire un pays à croissance forte (à deux chiffres), attractif pour les
investissements internationaux, pleinement intégré dans l’économie mondiale par ses
capacités d’exportations.
A plus long terme, définir des objectifs plus ambitieux dans le cadre de l’étude
prospective Sénégal 2025 en cours de préparation.

2. Les nouveaux habits de la planification

Auparavant, on avait une planification impérative, fondée sur la définition de projets


précis à réaliser. Maintenant, nous avons un plan indicatif, basé sur des orientations
stratégiques dans les différents secteurs de l’économie et de la société. Par exemple, IXième
Plan (1996-2001), neuf OS définies. Le Xième Plan est en cours de préparation.

II.2. Mettre sur pied un cadre macro-économique de qualité

Pour le Sénégal, critères convergence de l’UEMOA nous obligent à discipline absolue,


sous peine sanctions.
1. Finances publiques : fiscalité juste et efficace, choix
vertueux des dépenses , déficit budgétaire acceptable,
éviction secteur privé à éviter, gestion saine endettement.
Nous y reviendrons dans les prochains cours.

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2. Inflation maîtrisée : viser moins de 3 %. Agir par
l’instrument monétaire (politique prudente de crédit de la
Banque Centrale) et la maîtrise des coûts dans l’économie
3. Taux de change réaliste (préserver compétitivité) : la
dévaluation a été menée pour cause de perte de
compétitivité.
4. Balances extérieures soutenables.

Note : Les économistes divergent sur le comportement que l’Etat (et les autorités monétaires)
doivent adopter dans la gestion du cadre macro-économique.

1ère divergence : la politique macro-économique doit-elle être active ou passive?


Pour les tenants des politiques économiques actives, l’économie est soumise à des chocs
fréquents provoquant des fluctuations inefficaces de la production et de l’emploi en l’absence de
réaction des politiques monétaire et budgétaire. Ils croient qu’on peut réussir à stabiliser l’économie,
en utilisant certains instruments (taux d’intérêt, déficit budgétaire, fiscalité, taux de change, etc.).
Les tenants des politiques économiques passives (les néo-classiques) mettent l’accent sur les
délais longs et variables des politiques monétaire et budgétaire (par exemple , délais de vote des
mesures budgétaires par le parlement), en raison desquels les tentatives de stabiliser l’économie
s’avèrent souvent déstabilisatrices (changement des conditions économiques entre-temps). Ils croient
en outre que l’état de nos connaissances de l’économie sont insuffisantes (difficulté de prévoir le
futur) pour permettre de concevoir des politiques de stabilisation efficaces, et qu’en conséquence ces
dernières sont des sources fréquentes de fluctuations économiques.

2ième divergence : Faut-il mettre en place des règles ou mener une politique discrétionnaire ?
Les tenants des politiques discrétionnaires insistent sur la souplesse de réaction que celles-ci
offrent aux responsables politiques face à une série de situations imprévues.
Les tenants des politiques régies par la règle se méfient du processus politique. Ils sont
convaincus que les hommes politiques commettent de fréquentes erreurs dans la conduite des
politiques économiques et que de surcroît, ils utilisent souvent celles-ci pour poursuivre leurs propres
fins politiques (phénomène du « cycle électoral ») . Selon eux, la règle annoncée de politique
économique est seule capable de résoudre le problème de l’incohérence dans le temps (non respect des
engagements annoncés : ce qui pose le problème de la crédibilité des autorités politiques et
monétaires).

II.3. Promouvoir un environnement institutionnel et


réglementaire efficace

1. réformer l’administration publique pour le rendre efficace


(ré-engineering):
- Etat : être au service du secteur privé (complicité positive et
alliance ; concertation) (supprimer entraves et obstacles
administratifs) (Etat : être facilitateur, partenaire et
catalyseur du secteur privé et de la société civile)
- rendre l’administration compétente et motivée (promotion au
mérite, culture de l’excellence), intègre (lutte contre
corruption) et impartiale (fonctionnaires isolés des
influences politiques et partisanes ainsi que des lobbies)
- renforcer la décentralisation et la déconcentration

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2. Le cadre juridique et judiciaire :
- viser la célérité, la sécurité (applications décisions, respect
contrats et propriété privée) ainsi que la transparence : un
ambitieux programme de réforme juridique est en cours de
préparation à cet égard. D’ores et déjà, une loi sur l’arbitrage
a été adoptée en 1998 et un centre d’arbitrage mis en place à
la Chambre de Commerce de Dakar
- réduire les coûts des transactions : c’est ainsi qu’une loi
portant réduction des coûts de constitution des sociétés
(notamment des PME) a été adoptée en 1994.

3. La politique de déréglementation

Avant, économie fortement administrée : contrôles prix et activités (autorisations


préalables d’exercer ou d’importer), avantages exclusifs concédés à certaines entreprises
( fiscaux, douaniers et commerciaux), dans le cadre de conventions spéciales. Tout ceci a
contribué à créer des distorsions énormes dans l’économie (découragement investissement
privé, barrières à l’entrée, etc.). Ce type de politique discrétionnaire doit être évité, car elle est
de nature à encourager la recherche de rentes (licences et quotas) et la propagation de la
corruption. C’est pourquoi, avec le PASCO (Programme d’ajustement structurel du secteur
privé), mis en place en 1994-95, une forte libéralisation a été engagée. Par exemple, abandon
définitif de la politique des conventions spéciales et protocoles d’accord, au profit d’un droit
commun incitatif de l’incitation à l’investissement, ou encore flexibilité plus accrue de la
réglementation du travail et libéralisation des importations..

III.4. Renforcer les bases à long terme du développement

1. Le capital humain (éducation, santé, nutrition)

Les modèles économiques empiriques ont montré qu’il existe une forte corrélation
entre la croissance économique et le niveau de développement du capital humain. Ceci
explique l’importance accordée par les pouvoirs publics à la politique de développement des
ressources humaines.
Pour le Sénégal, les orientations stratégiques et les actions suivantes sont mises en
œuvre:
- Education : scolarisation universelle, alphabétisation des adultes, enseignement
technique et professionnel. Voir efforts chiffrés et indicateurs de progrès.
- - santé : priorité aux soins de santé primaires. Voir efforts chiffrés et indicateurs de
progrès.
- Nutrition : programme de nutrition communautaire destiné aux enfants en bas âge ;
programme « food for Work » du PAM.

2. La technologie
- développer la recherche nationale et le développement des
technologies appropriées
- organiser le transfert de technologie

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3. Les infrastructures
- eau, électricité, téléphone, routes, ports et aéroports: responsabilité
première de l’Etat, mais nouveaux modes de réalisation par le
secteur privé (BOT)
- en termes de méthode, noter que l’Etat fait une analyse coûts-
bénéfices sociaux, avant d’engager des investissements publics
- relever que les efforts importants effectués ces dernières années,
grâce à l’augmentation du Budget Consolidé d’Investissement et à
la signature d’importants programmes sectoriels avec la coopération
internationale (exemple transports : PST II)

4. L’environnement et les ressources naturelles


- Plan national d’action pour l’environnement

III.5. Appuyer le développement des secteurs productifs sans creuser les


distorsions entre activités économiques

Deux écoles s’opposent :


- pour les uns, l’Etat doit se borner à assainir l’environnement
économique et laisser les secteurs productifs se développer librement
- pour les autres, l’Etat doit appuyer plus ou moins activement ces
secteurs productifs et mettre en place par exemple des politiques
agricoles ou des politiques industrielles.

En réalité, il faut un peu des deux. Les pouvoirs publics doivent par
exemple :
- mettre sur pied des institutions d’appui aux secteurs productifs, pour
faciliter leur développement technique et leurs exportations (en leur
donnant notamment des informations stratégiques sur les marchés
extérieurs)
- veiller à l’existence de mécanismes adaptés de financement de leurs
activités
- réaliser les infrastructures d’attrait et d’accompagnement.

La question qui reste pendante est de savoir si l’Etat doit réserver une
discrimination positive à certaines grappes particulièrement porteuses
(par exemple les nouvelles technologies de l’information). A condition
que ces faveurs concernent toute la grappe, et non une entreprise
particulière (comme cela était le cas avec les conventions spéciales), la
réponse peut être positive.

III. La gestion des privatisations

Justifications des privatisations :


- les déséquilibres financiers causés par l’engagement de l’Etat dans les entreprises
publiques (mauvaise gestion, versement de subventions d’équilibres, faillites). Ex :
banques (BNDS,…), Sonacos, Senelec
- libérer des ressources publiques au profit d’activités stratégiques, que seules l’Etat
peut faire

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- la privatisation permet de promouvoir l’initiative individuelle et l’éclosion de
PME-PMI, de développer de nouvelles technologies et de nouveaux marchés,
grâce à l’arrivée dans le capital des entreprises de partenaires de référence.

L’expérience montre que le succès d’une privatisation dépend énormément de la façon


dont elle est gérée. Il est essentiel d’assurer la transparence du processus, de se concilier les
employés, d’encourager l’actionnariat populaire et de mettre en place le cadre réglementaire
approprié. Nous y reviendrons dans un prochain chapitre.

Conclusion :
En définitive, pour un pays pauvre comme le Sénégal où tout reste à mettre à niveau,
le bon Policy-mix doit forcément faire converger marché et Etat-stratège, liberté et
régulation, incitation et volontarisme
Ce qui est important, c’est de créer une synergie entre l’Etat et le secteur privé, avec
des pouvoirs publics qui mettent en place des règles et qui influencent positivement les
décisions du secteur privé dans le sens des intérêts stratégiques nationaux, en termes de
croissance et de développement.

Le succès de cette synergie suppose bien entendu :


- une consultation permanente entre l’Etat et le secteur privé ;
- une gestion de l’économie nationale isolée des groupes de pression et des intérêts
partisans ;
- un gouvernement apte à mettre sur pied un ensemble de mesures appropriées (on en a
parlé plus haut) pour promouvoir efficacement le secteur privé.

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