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Cours magistral : Doreid BECHERAOUI Master I

2022/2023
Travaux dirigés : Emilie EHRENGARTH

DROIT PENAL SPECIAL

TD 5. Les infractions à caractère sexuel

Documents
Doc 1. Cass.crim. 4 juin 1997, n° 96-85.802
Doc 2. Cass.crim. 11 janvier 2017, 15-86.680
Doc 3. Cass.crim. 21 février 2007, 06-89.543
Doc 4. Cass.crim. 15 juin 2022, n° 21-82.392
Doc 5. Yves Mayaud, « L'arrêt « Julie », une transition vers la loi du 21 avril 2021 », RSC 2021
p.346

Exercices
1. Faire les fiches d’arrêts des documents 1 à 4
2. Résoudre le cas pratique

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Cas pratique

Flore est une jeune étudiante inscrite à l’université de Strasbourg. Après le décès brutal de sa
mère lorsqu’elle avait à peine 12 ans, elle part vivre avec son père et la compagne de ce
dernier. Le père de Flore voyage beaucoup et la jeune fille se retrouve souvent seule de
longues semaines avec sa belle-mère Nicole.
Au bout de quelques mois, Flore est forcée de dormir avec Nicole dans le même lit. Après avoir
subi des attouchements au niveau de la poitrine, Nicole, qui souhaite initier la jeune fille à la
sexualité, lui introduit divers objets dans l’anus. Flore, attachée à cette nouvelle figure
maternelle, ne dit rien et ne manifeste jamais son désaccord. Aujourd’hui, traumatisée, elle
souhaite prendre conseil auprès d’un avocat et vient vous consulter.
Par ailleurs, Thierry (22 ans) a rencontré Flore (aujourd’hui âgée de 19 ans) sur le campus et
suite aux révélation de cette dernière, grâce au climat de confiance qui s’est instauré entre
eux, il y a plusieurs semaines, le jeune homme décide de se confier à sa nouvelle amie et
confidente.
Il y a plusieurs semaines, à l’occasion d’un entretien d’embauche pour un stage qu’il convoite
depuis longtemps, Thierry rencontre Bernard, PDG de l’entreprise. C’est un homme puissant
et charismatique qui tente des approches et commence à séduire ouvertement Thierry d’une
manière plus que déplacée. Bernard indique alors de manière indirecte au jeune homme que
s’il se montre docile, il obtiendra le poste tant convoité. Il s’approche alors de l’étudiant, lui
descend le pantalon et les sous-vêtements. Thierry, choqué, bondit et décline sa proposition.
Bernard, vexé, explique clairement à Thierry que s’il a l’outrecuidance de refuser son offre et
qu’il refuse de se laisser faire, il détruira son avenir professionnel et le blacklistera dans tout
le réseau. Thierry, sous le choc, reste figé. Bernard en profite alors pour introduire un doigt
dans la bouche du jeune étudiant en faisant des mouvements de va-et-vient. Il finit par lui
faire une fellation allant jusqu’à éjaculer sur Thierry qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Le
jeune homme, se sentant responsable de ce qui lui est arrivé, vient vous demander conseil.
De plus, les deux jeunes gens viennent vous consulter car ils sont inquiets. Hier soir, ils ont
reçu une convocation au commissariat. Le jeune couple, fou d’amour et empli de désespoir
suite aux révélations de l’un et l’autre, craignent que la convocation soit en lien avec le fait
qu’ils aient fait l’amour ensemble dans la rue, un soir, la semaine précédente. Ils vous
expliquent que, pris dans l’action, ils ont exprimé leur amour de façon très bruyante. Ils
veulent connaitre les risques encourus.

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Doc 1. Cass.crim. 4 juin 1997, n° 96-85.802
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
REJET du pourvoi formé par :
- X... René,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, 6e chambre, en date du 30 mai 1996, qui, pour
outrages publics à la pudeur, l'a condamné à 10 000 francs d'amende.
LA COUR,
Vu le mémoire personnel produit ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 103, 427, 429 et suivants du
Code de procédure pénale, méconnaissance des droits de la défense ;
Attendu que, selon l'arrêt infirmatif attaqué, il est reproché au prévenu d'avoir, les 20 et 21
janvier 1991, exhibé ses parties sexuelles à la vue de deux préposées au péage d'une
autoroute ;
Attendu que, s'il est vrai que ces préposées ont été entendues au cours de l'enquête par un
officier de police judiciaire, en qualité de témoin sous le sceau de l'anonymat, le demandeur
ne saurait se faire un grief de cette irrégularité, dès lors que la juridiction du second degré,
pour caractériser le délit reproché, énonce, notamment, que, lors de son interpellation par les
gendarmes, René X... se trouvait au volant de son véhicule, pantalon et slip descendus
jusqu'au bas des jambes ;
D'où il suit que le moyen est inopérant ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.

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Doc 2. Cass.crim. 11 janvier 2017, n°15-86.680

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Grégory X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 22
octobre 2015, qui, pour agression sexuelle aggravée, l'a condamné à quatre mois
d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 novembre 2016 où étaient
présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin,
président, M. Laurent, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire LAURENT, les observations de la société civile
professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocat en la Cour et les conclusions de M.
l'avocat général LE BAUT ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 222-22 du code pénal et 593
du code de procédure pénale ;
Attendu que, pour confirmer le jugement déclarant M. Grégory X... coupable d'agression
sexuelle commise en état d'ivresse, l'arrêt attaqué relève, notamment, qu'invité à une fête se
déroulant au domicile du compagnon de Mme Y..., le prévenu a, par trois fois, fait des avances
à celle-ci, qui les a clairement repoussées ; qu'il s'est ensuite introduit dans la chambre de son
hôte, où Mme Y..., elle-même alcoolisée, s'était retirée pour dormir ; qu'il a pratiqué sur sa
personne des baisers et caresses intimes que l'intéressée, dans un état de semi-conscience, a
cru être prodigués par son ami, avant de comprendre son erreur et de s'y opposer ; que les
juges ajoutent qu'en agissant ainsi, le prévenu a obtenu des faveurs sexuelles en abusant des
difficultés de compréhension rencontrées par la victime, laquelle a pu croire, à juste titre, à la
présence de son compagnon, venu la rejoindre ; que, dès lors, les faits ont été commis avec
surprise ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, et dès lors qu'en l'absence même de toute autre
manoeuvre, constitue le délit d'agression sexuelle commise par surprise, prévu par les articles
222-22 et 222-27 du code pénal, le fait de profiter, en connaissance de cause, de l'erreur

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d'identification commise par une personne pour pratiquer sur elle des gestes à caractère
sexuel comportant un contact corporel, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation, par les juges du
fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve
contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2.000 euros la somme que M. X... devra payer à Mme Y... en application de l'article 618-
1 du code de procédure pénale ;

Doc 3. Cass.crim. 21 février 2007, 06-89.543


RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de
Justice à PARIS, le vingt et un février deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller KOERING-JOULIN et les conclusions de M. l'avocat général
DI GUARDIA ;
CASSATION sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Poitiers,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 24 octobre
2006, qui a renvoyé Jean-Luc X... devant la cour d'assises de la Vienne sous l'accusation de
viols aggravés et délits connexes ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-4 et 222-23 du code
pénal :
Vu lesdits articles ;
Attendu que, selon le second de ces textes, pour constituer un viol, l'acte commis sur la
personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise doit consister en un acte de
pénétration sexuelle ;
Attendu que, pour renvoyer Jean-Luc X... devant la cour d'assises sous l'accusation de viols,
l'arrêt attaqué énonce que trois jeunes patientes de ce médecin généraliste ont été
contraintes, à l'occasion de consultations à son cabinet, d'introduire dans leur bouche un objet
de forme phallique recouvert d'un préservatif et de lui faire accomplir des mouvements de va-
et-vient ; que les juges ajoutent que "l'introduction sous la contrainte d'un objet dans un

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organe qui n'est pas sexuel par nature est constitutif d'un viol lorsque les faits ont été commis
dans un contexte sexuel et que l'auteur a exprimé la volonté d'accomplir un acte sexuel" ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que, pour être constitutive d'un viol, la fellation
implique une pénétration par l'organe sexuel masculin de l'auteur et non par un objet le
représentant, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus
rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de
la cour d'appel de Poitiers, en date du 24 octobre 2006 ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de
Bordeaux, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la
chambre de l'instruction de la cour d'appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de
l'arrêt annulé …

Doc 4. Cass.crim. 15 juin 2022, n° 21-82.392


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 JUIN 2022
Mme [Z] [K], Mme [N] [R] et Mme [L] [O] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour
d'appel de Paris, chambre 2-9, en date du 7 avril 2021, qui a condamné, les deux premières,
pour exhibition sexuelle, à un mois d'emprisonnement avec sursis, la dernière, pour exhibition
sexuelle, faux et usage, à deux mois d'emprisonnement avec sursis et a ordonné une mesure
de confiscation.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.
Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard,
Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mmes [Z] [K], [N] [R] et [L] [O], et les conclusions de M.
Petitprez, avocat général, l'avocat des demanderesses ayant eu la parole en dernier, après
débats en l'audience publique du 18 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M.
Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et
Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

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la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du
code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré
conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 11 novembre 2018, Mmes [Z] [K], [N] [R] et [L] [O], militantes du mouvement dit « Femen
», ont été interpellées après avoir franchi la barrière de sécurité disposée sur l'[Adresse 1], à
l'approche de la délégation de nombreux chefs d'Etat se rendant à la cérémonie de
commémoration du centenaire de l'armistice de la première guerre mondiale. Elles avaient
dénudé leurs poitrines, sur lesquelles étaient inscrits les slogans : « Hypocrisy party », «
Gangsta party » et « Fake peacemakers », et ont expliqué qu'elles entendaient ainsi manifester
leur opposition à l'invitation de ces chefs d'Etat au forum de Paris sur la Paix.
3. Elles ont fait l'objet de poursuites du chef d'exhibition sexuelle, Mme [O] faisant également
l'objet de poursuites du chef de prise du nom d'un tiers, faux et usage de faux, en raison des
circonstances de son interpellation.
4. Par jugement du 13 novembre 2019, le tribunal correctionnel les a notamment relaxées du
chef d'exhibition sexuelle et a ordonné une mesure de confiscation.
5. Le procureur de la République a relevé appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du
code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mmes [O], [K] et [R] coupables
d'exhibition sexuelle, en répression les a respectivement condamnées à la peine de deux mois
d'emprisonnement avec sursis, un mois d'emprisonnement avec sursis, et un mois
d'emprisonnement avec sursis et a confirmé la confiscation des scellés, alors :
« 1°/ que la déclaration d'inconstitutionnalité et l'abrogation de l'article 222-32 du code pénal
que ne manquera pas de prononcer le Conseil constitutionnel à la suite de la question
prioritaire de constitutionnalité soulevée dans un mémoire séparé et motivé entraînera
l'annulation de l'arrêt attaqué par application des articles 61-1 et 62 de la Constitution ;
2°/ que l'article 222-32 du code pénal, dans sa version applicable aux faits, punit l'exhibition
sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public d'un an
d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ; qu'en déclarant les prévenues coupables
sur le fondement de ce texte, qui ne définit pas clairement et précisément les actes

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susceptibles d'être poursuivis ainsi que l'élément moral, la cour d'appel a violé les articles 111-
3 du code pénal et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ que dans le cas du délit prévu à l'article 222-32 du code pénal, la culpabilité ne peut être
retenue si le comportement du prévenu ou de la prévenue s'inscrit dans une démarche de
protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de
l'agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la
liberté d'expression ; qu'en l'espèce, les prévenues ont participé à une action militante pour
protester contre l'invitation par le Président de la République de quatre-vingt chefs d'État et
de gouvernement à Paris afin de participer à la première édition du Forum de Paris sur la Paix
prévu les 11, 12 et 13 novembre 2018, qui coïncidait avec la cérémonie du centenaire de
l'armistice de la première guerre mondiale ; que les trois militantes, qui avaient le corps
recouvert de slogans, « Hypocrisy party », « Gangsta party » et « Fake peacemakers », inscrits
sur leurs torses nus et le logo Femen dans le dos, en rapport direct avec l'invitation des chefs
d'Etat et de gouvernement au Forum de la Paix, ont manifesté quelques instants sur l'[Adresse
1] lors du passage du cortège de la délégation américaine ; que la condamnation prononcée
du chef d'exhibition sexuelle, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en
cause, constitue une ingérence disproportionnée qui ne répond pas à un besoin social
impérieux, en violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme,
222-32 du code pénal, 591 à 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que dans le cas du délit prévu à l'article 222-32 du code pénal, la culpabilité ne peut être
retenue si le comportement du prévenu ou de la prévenue s'inscrit dans une démarche de
protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de
l'agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la
liberté d'expression ; qu'en l'espèce, pour justifier la déclaration de culpabilité des prévenues,
la cour d'appel a relevé que s'il n'est pas contestable que leur exhibition participait d'une
démarche politique destinée à alimenter le débat public l'action menée apparaît contrevenir
à un autre droit garanti par la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'elle
s'est déroulée le 11 novembre 2018, date à laquelle les chefs d'Etat participaient en ce même
lieu, à la cérémonie de commémoration du centenaire de l'armistice de 1918 remontant les
Champs-Elysées pour se recueillir sur la tombe du soldat inconnu à l'Arc de Triomphe, que le
devoir de mémoire postule l'obligation morale de se souvenir d'un événement historique
tragique et de ses victimes, afin de faire en sorte qu'un événement de ce type ne se reproduise
pas, qu'il a été promu aux lendemains de la première guerre mondiale par des associations de
victimes, puis par des collectivités territoriales et par des Etats et qu'il peut se rattacher au
droit à la vie ; que la cour en déduit que dans le cas d'espèce, l'atteinte à la pudeur résultant
de la demi-nudité s'étant produite non pas lors d'une manifestation culturelle mais à
l'occasion de la célébration d'un événement historique qui requérait une nécessaire dignité et
en présence de familles des défunts, ou de représentants d'associations de victimes de la
première guerre mondiale, d'officiel et de chefs d'Etat de la communauté internationale, les
poursuites diligentées du chef d'exhibition sexuelle ne constituent pas une atteinte
disproportionnée à leur liberté d'expression, le but légitime de protection de l'ordre public et
des personnes présentes sur la voie publique pour la commémoration confrontées à la nudité
d'autrui correspondant, en ce jour particulier de centenaire du 11 novembre 1918, à un besoin

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social impérieux ; qu'en se prononçant par de tels motifs ni pertinents, ni suffisants pour
justifier l'entrave à la liberté d'expression des manifestantes, la cour d'appel n'a pas
légalement justifié sa décision au regard des articles 10 de la Convention européenne des
droits de l'homme et 222-32 du code pénal, et ainsi violé les articles 591 à 593 du code de
procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
8. Par arrêt du 16 février 2022, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de transmettre au
Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 222-32
du code pénal. Il en résulte que le grief est devenu sans objet.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
9. Pour caractériser l'infraction d'exhibition sexuelle, la cour d'appel énonce que l'élément
matériel de l'infraction, même s'il est contesté par la défense, réside dans le dénudement des
seins.
10. Les juges ajoutent que la Cour de cassation a jugé que la nudité partielle peut caractériser
le délit d'exhibition sexuelle et que l'exposition des seuls seins nus d'une femme entre dans
les prévisions de l'article 222-32 du code pénal, l'infraction ne nécessitant pas une «
connotation sexuelle » particulière ou une intention sexuelle.
11. Ils en concluent que la contestation des prévenues quant à l'intention sexuelle de leur acte
est indifférente, dès lors que la seule réalisation volontaire de l'acte suffit à caractériser
l'élément intentionnel.
12. En l'état de ces motifs qui détaillent chacun des éléments constitutifs de l'infraction
poursuivie, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué.
Sur le moyen, pris en ses deux dernières branches
13. Pour écarter l'argumentation des prévenues relative à l'atteinte disproportionnée à leur
liberté d'expression que constitue leur condamnation, la cour d'appel énonce qu'il appartient
au juge national, juge de droit commun des droits et principes définis par la Convention
européenne des droits de l'homme, tels qu'interprétés par la Cour européenne des droits de
l'homme, de vérifier la conformité des normes internes à ces droits et principes en mettant
en balance les intérêts en présence sur la base d'une appréciation acceptable des faits
pertinents et, le cas échéant, d'en écarter l'application en cas d'incompatibilité.
14. Les juges ajoutent que la nudité en public peut être considérée comme une forme
d'expression relevant de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, et
que l'article 222-32 du code pénal, qui présente l'accessibilité, la clarté et la prévisibilité
requises par l'article 10 précité, constitue néanmoins une ingérence prévue par la loi dans
l'expression de cette liberté.
15. Ils précisent que, à l'occasion d'une précédente affaire concernant une militante « Femen
», la Cour de cassation n'a pas censuré un arrêt de relaxe, car il résultait des énonciations des

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juges du fond que le comportement de la prévenue s'inscrivait dans une démarche de
protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de
l'agissement en cause, aurait constitué une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la
liberté d'expression, et en déduisent qu'il reste donc la possibilité aux juges du fond
d'apprécier cette nature et ce contexte de l'agissement.
16. Ils relèvent qu'au cas présent, l'action des trois prévenues n'a duré qu'un bref instant, si
bien que le trouble à l'ordre public a très rapidement cessé, mais que cette brièveté est liée à
l'efficacité des gendarmes mobiles.
17. Ils ajoutent que les prévenues se sont concertées pour agir simultanément, l'une profitant
de ce que l'autre était interceptée par les gendarmes pour agir à son tour, et que malgré la
simultanéité de ces actions, qui étaient de nature à déstabiliser la sécurité assurée par les
services d'ordre, aucune n'a réussi à atteindre le cortège officiel.
18. Ils relèvent encore que leur exhibition participait d'une démarche politique destinée à
alimenter le débat public, mais que l'action menée apparaît contrevenir à un autre droit
garanti par la Convention européenne des droits de l'homme en ce qu'elle s'est déroulée le
11 novembre 2018, date à laquelle les chefs d'Etat participaient, en ce même lieu, à la
cérémonie de commémoration du centenaire de l'armistice de 1918, remontant les Champs-
Elysées pour se recueillir sur la tombe du soldat inconnu à l'Arc de Triomphe.
19. Ils observent que l'atteinte à la pudeur résultant de la demi-nudité s'est produite non pas
lors d'une manifestation culturelle mais à l'occasion de la célébration d'un événement
historique qui requérait une nécessaire dignité, et en présence de familles des défunts, ou de
représentants d'associations de victimes de la première guerre mondiale, de personnalités
officielles et de chefs d'Etat de la communauté internationale, et en concluent que dans le cas
d'espèce, la mesure contestée ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d'expression
des prévenues, indépendamment du but légitime poursuivi.
20. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance, la cour d'appel a justifié sa décision sans
encourir les griefs allégués, pour les motifs qui suivent.
21. En premier lieu, elle a constaté que le comportement des prévenues a causé un trouble à
l'ordre public en raison de leur irruption au cours d'une cérémonie patriotique devant se
dérouler dans le calme et la dignité.
22. En second lieu, elle a relevé que si ce trouble n'a duré que peu de temps, c'est uniquement
en raison de l'intervention rapide des forces de l'ordre, alors que les prévenues s'étaient
concertées pour échapper à cette intervention.
23. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
24. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation des scellés, alors «
que la cour d'appel doit énumérer les objets dont elle ordonne la confiscation et indiquer,

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pour chacun d'eux, s'ils constituent l'instrument, le produit ou l'objet de l'infraction, afin de
mettre la Cour de cassation en mesure de s'assurer de la légalité de sa décision, et d'apprécier,
le cas échéant, son caractère proportionné ; qu'en ordonnant la confiscation des scellés, sans
énumérer les objets concernés et sans indiquer, pour chacun d'eux, s'ils constituent
l'instrument, le produit ou l'objet de l'infraction, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa
décision au regard des articles 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme,
1er du premier Protocole additionnel à cette Convention, 131-21 et 132-1 du code pénal et a
violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
25. Selon le premier de ces textes, la peine complémentaire de la confiscation est encourue
dans les cas prévus par la loi ou le règlement. La confiscation porte alors sur les biens qui ont
servi à commettre l'infraction, ou étaient destinés à la commettre, et sur ceux qui sont l'objet
ou le produit de l'infraction, et ne peuvent être restitués. Si la loi qui réprime le crime ou le
délit le prévoit, la confiscation peut porter sur tout ou partie des biens appartenant au
condamné.
26. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la
décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
27. L'arrêt attaqué se borne, sans énoncer les motifs de cette peine complémentaire, à
confirmer la mesure de confiscation des scellés, ordonnée par le jugement, lui-même
dépourvu de motivation.
28. En prononçant ainsi, sans indiquer la nature et l'origine des objets placés sous scellés dont
elle a ordonné la confiscation, ni le fondement de cette peine, dont elle n'a pas davantage
précisé la nécessité, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ni mis la Cour de cassation en
mesure d'en contrôler la légalité.
29. Ainsi, la cassation est encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
30. La cassation sera limitée à la peine complémentaire de confiscation des scellés, dès lors
que les autres dispositions n'encourent pas la censure.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 7 avril 2021, mais en
sa seule disposition relative à la peine complémentaire de confiscation des scellés, toutes
autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi
prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce
désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

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ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour
d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le
quinze juin deux mille vingt-deux.

Doc 5. Yves Mayaud, L'arrêt « Julie », une transition vers la loi du 21 avril 2021, RSC 2021
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(Crim. 17 mars 2021, n° 20-86.318, publié au Bulletin)
Relatif à l'affaire dite « Julie », le présent arrêt (1) renvoie à toutes les subtilités du droit
relatives aux agressions sexuelles applicables aux mineurs de 15 ans. Nous savons combien la
matière se heurte à des appréciations difficiles, et qu'est malaisée la preuve de l'absence de
consentement ou de discernement de la victime, particulièrement en termes de surprise ou
de contrainte : l'immaturité ou la vulnérabilité d'un enfant ou d'un jeune adolescent plaide
volontiers pour le caractère « agressif » des atteintes sexuelles qu'ils subissent, voire pour une
solution permettant de ne pas avoir à l'établir formellement. Deux textes ont progressé en ce
sens, de nature interprétative pour le premier, à savoir la loi n° 2018-703 du 3 août 2018
renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, et de portée constitutive pour le
second, issu de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et
délits sexuels et de l'inceste. Un mouvement d'objectivation est en cause, désormais et depuis
peu abouti dans sa version la plus achevée, et l'affaire « Julie » en souligne toute la pertinence,
qui s'est soldée par une résolution radicalement opposée, et qui, à sa manière, en donne un
éclairage des plus utiles.
I - Le tournant du droit
La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 a modifié et complété l'article 222-22-1 du code pénal, afin
de préciser, d'abord, que la contrainte morale ou la surprise « peuvent résulter de la différence
d'âge existant entre la victime et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-
ci exerce (« a » depuis la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021) sur la victime, cette autorité de fait
pouvant être caractérisée par une différence d'âge significative entre la victime mineure et
l'auteur majeur », ensuite, que « lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de
quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisés par l'abus de vulnérabilité de
la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ». De portée
interprétative, ce que rappelle fort opportunément la Cour de cassation dans notre arrêt, ces
dispositions n'ont pas instauré une présomption d'absence de consentement du mineur de 15
ans, mais ont seulement eu pour objet « de désigner certaines circonstances de fait que le
juge doit prendre en compte pour apprécier si, dans le cas d'espèce, les agissements ont été
commis avec contrainte morale ou surprise ». C'est donc à un double relais d'application de la
contrainte et de la surprise que la loi a procédé, les illustrant par deux manifestations
correspondant à des situations dont la réalité et la fréquence sont bien établies, soit que
l'auteur de l'agression ait abusé d'une différence d'âge lui ayant donné une ascendance

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suffisante sur la victime, soit, indépendamment d'une telle différence, qu'il ait exploité son
manque de maturité.
Déjà, par cette réforme, la protection des mineurs a gagné en efficacité. Certes, la
démonstration d'un défaut de consentement à l'agression ne disparaît pas, mais elle relève
de modalités probatoires largement facilitées, pour emprunter à la pure évidence, tant ce qui
s'inscrit dans une différence d'âge ou dans un abus de vulnérabilité ne peut que déboucher
sur la conviction d'une telle preuve. Cette étape est aujourd'hui dépassée. La loi n° 2021-478
du 21 avril 2021 vient de consacrer ce qui n'a pas été couvert par celle du 3 août 2018, à savoir
une présomption d'absence de discernement du mineur de 15 ans victime de l'agression. Nous
l'avons fait valoir dans le commentaire précédent : le législateur érige en agression la simple
relation sexuelle entre un majeur et un mineur, sans qu'il soit besoin de le confirmer par des
éléments de preuve destinés à s'en convaincre au regard des faits. Cette relation est en soi
constitutive d'un défaut de consentement de la victime mineure, sans autre conviction que la
différence de statut tenant à la majorité du coupable. La rupture est très nette par rapport à
la loi de 2018 : alors que celle-ci se maintient sur le terrain de la preuve, tout en l'allégeant
par des indices d'appréciation destinés à la faciliter, la loi de 2021, pour sa part, rompt
radicalement avec tout relais probatoire, lui préférant une présomption absolue d'agression,
équivalente à une règle de fond, sous la seule réserve, en dehors de l'inceste, d'un écart d'âge
minimal entre les deux protagonistes, fixé à cinq ans, et sauf exceptions encadrées par la loi
elle-même (C. pén., art. 222-23-1 et 222-29-2 , réd. L. n° 2021-478 du 21 avr. 2021).
Le changement est total, et l'affaire « Julie » en témoigne, qui eût été résolue à l'opposé de la
solution qu'elle vient de connaître, à supposer que la loi du 21 avril 2021 fût applicable. Sans
rien rejeter de la dimension déroutante et peu ordinaire des faits, il est même possible de
l'exploiter comme un cas d'école, illustrant au mieux la différence entre les deux versions
successives retenues par le législateur, et ce d'autant plus qu'elle s'est soldée par le rejet des
qualifications de viol et d'agression sexuelle. C'est dire tout l'intérêt de la présenter, non dans
le détail d'un commentaire complet, mais sous les traits d'un régime désormais dépassé, en
faisant ressortir les profits attendus des nouveautés de la réforme.
II - L'éclairage de la transition
Le 31 août 2010, Julie - apparemment un pseudonyme - et sa mère se sont présentées au
commissariat de police de L'Haÿ-les-Roses (94) pour dénoncer des faits de viol commis par
plusieurs pompiers de la caserne de Bourg-la-Reine en novembre 2009. Une information
judiciaire fut ouverte contre certains d'entre eux au mois de mars 2011, pour viols et
agressions sexuelles sur mineure de 15 ans et sur personne vulnérable, ainsi que pour viols et
agressions sexuelles en réunion sur mineure de 15 ans et sur personne vulnérable. Par
réquisitoire supplétif du 24 septembre 2012, le juge d'instruction a vu sa saisine étendue à
d'autres suspects, pour omission de porter secours à personne en péril, tout comme furent
visés contre personne non dénommée les chefs de viols en réunion sur mineure de 15 ans et
de corruption de mineure de 15 ans par utilisation d'un réseau de communications
électroniques. Par une ordonnance du 19 juillet 2019, le magistrat instructeur a requalifié les
faits de viols et agressions sexuelles en atteinte sexuelle commise sans violence, contrainte,
menace, ni surprise, avec la circonstance aggravante d'avoir été réalisée par plusieurs

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personnes agissant en qualité d'auteurs ou de complices. Trois pompiers furent finalement
renvoyés de ce chef devant le tribunal correctionnel, et un non-lieu fut prononcé pour tous
les autres faits. Le résultat de l'instruction n'a donc pas été favorable aux attentes de la partie
civile, et on devine que les circonstances et leur appréciation ont lourdement pesé dans la
décision. Saisie à son tour, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, par un
arrêt du 12 novembre 2020, a confirmé l'ordonnance, retenant elle aussi une version des faits
dépouillée de toute « agression », et présentant la victime comme ayant consenti aux rapports
sexuels couverts par ses dénonciations, ce qui est très exceptionnel pour un mineur, mais
d'une exception ici doublement établie, avec ce qu'elle a emporté de parfaite convergence sur
une réalité d'apparence incontournable.
La motivation de la cour d'appel ne trompe pas, qui, par un considérant lourd de
conséquences pour l'adolescente, a conclu que « les initiatives prises par D... X... pour lier
connaissance avec des pompiers dont le métier la fascinait et pour avoir avec eux des rapports
sexuels, dans des lieux souvent publics choisis par elle et pour lesquels elle fournissait
fréquemment des préservatifs, son comportement entreprenant et provocateur, sa
participation active lors des ébats, notamment par la réalisation de fellations, la dissimulation
de son âge, sa morphologie établie par les photographies versées par sa mère à la procédure,
sa capacité à refuser certains actes, comme la pénétration anale et le cunnilingus, et à
repousser certains de ses partenaires, ne permettent pas de caractériser la violence, la
contrainte physique ou morale, la menace ou la surprise nécessaire à la constitution des
infractions de viols et d'agressions sexuelles visées à la procédure, et ce, nonobstant la
différence d'âge entre la plaignante et les mis en cause ». Le bilan est sévère pour une mineure
de 15 ans ! Et on peut comprendre qu'il n'ait pas été accepté par les spécialistes de l'enfance,
tant la minorité ne saurait renvoyer à un tel constat de vices et de perversité sans de lourdes
pathologies pour, sinon les justifier, du moins les expliquer...
La partie civile n'a d'ailleurs pas manqué de faire ressortir sa « fragilité psychique établie par
onze séjours en service de pédopsychiatrie entre 2008 et 2010, période des faits », ainsi que
« la médication continue dont elle faisait l'objet par la prise, pendant cette période, de
médicaments psychotropes », de sorte que « loin de caractériser une sexualité comprise,
consentie et assumée », la détermination dont elle avait fait preuve n'était qu'une apparence
trompeuse, en réalité révélatrice d'une « vulnérabilité établie », mieux encore « aggravée »
par le nombre et la récurrence des rapports sexuels et par le nombre de pompiers impliqués,
ce qui ne pouvait que placer ces derniers dans une situation d'abus manifestes. Mais ces
arguments se sont révélés sans portée, du moins sans une portée suffisante pour couvrir ce
qui, de l'appréciation des magistrats, tant du premier que du second degré, a eu pour effet de
les neutraliser.
Notre propos n'est pas d'en débattre, la souveraineté des juges du fond étant en cause. En
revanche, il est une affirmation qui mérite notre attention, à savoir qu'est exclusive de toute
interférence la différence d'âge entre la plaignante et ses partenaires. La cour d'appel renonce
à la qualification d'agression sexuelle, approuvée en cela par la Cour de cassation, « et ce,
nonobstant la différence d'âge entre la plaignante et les mis en cause ». Cette référence à
l'âge, aux écarts prononcés entre la partie civile et les prévenus, est une réponse évidente à

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ce qui était déjà au centre d'interrogations et de propositions sur la nécessité de revoir le droit
pénal des « atteintes sexuelles », afin d'objectiver la qualification d'« agression sexuelle » sur
le constat d'une relation entre un majeur et un mineur de 15 ans. Nous l'avons dit, c'est
précisément l'objet de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 : ce qui était indifférent, d'une
indifférence explicitement rappelée, est aujourd'hui de droit positif, avec pour principale
retombée de faire de notre arrêt une passerelle didactique vers la réforme opérée, sans
prétendre à la moindre rétroactivité, faute pour les nouvelles dispositions d'être
interprétatives ou déclaratives. Constitutive de changements substantiels, la rupture avec
l'état antérieur du droit est radicale.
Alors, il est possible d'apprécier à sa juste valeur, et dans ses justes raisons, l'intervention du
législateur. Un malaise certain a accompagné cette regrettable affaire « Julie », lié, moins à
l'appréciation des magistrats du fond, qu'aux données juridiques l'ayant permise, avec pour
résultat le rejet de toute « agression sexuelle », malgré le jeune âge de la « victime », et au-
delà des initiatives qu'elle a prises, voire de la suractivité dans laquelle elle s'est volontiers
installée. Ce type de débat n'est pas bon en soi, ceci pour deux raisons : une première liée à
la minorité de 15 ans, qui se concilie mal avec un jugement de valeur aussi poussé que celui
résultant des convergences judiciaires propres à notre espèce, tant, ainsi représentée, la
minorité ne peut que se doubler d'une pathologie rendant très hasardeuse la reconnaissance
d'un discernement consentant ; une seconde qui tient, quant à elle, à la majorité des auteurs
des atteintes sexuelles visées, surtout lorsqu'elle se double d'un statut orienté vers le civisme
et le service, et dont il est difficile d'admettre qu'elle puisse aller de pair avec, sinon une
absence de responsabilité pénale, du moins une responsabilité fortement atténuée, la
répression n'étant pas du tout la même de l'agression à la simple atteinte. Relativement à une
relation sexuelle entre un majeur et une mineure de 15 ans, parce qu'elle est le plus souvent
suspecte, il n'est donc pas de mauvaise politique de s'extraire de tout débat relatif au
discernement et au consentement, et de favoriser la qualification d'agression. La solution est
certes radicale, mais elle ne peut que gagner en prévention, en incitant les candidats à ce type
de rapports, soit à l'abandon, soit à la patience...
(1) D. actu. 1er avr. 2021, obs. M. Chollet ; JCP 2021. 351, obs. J. Gallois ; Gaz. Pal. mai 2021,
n° 17, p. 16, note L. Saenko.

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