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Sprue tropicale
R. Delpy, M. Guisset, D. Carré, J.-M. Debonne

La sprue tropicale (ST) est une affection intestinale touchant l’intestin grêle, à l’origine d’un syndrome de
malabsorption. Elle survient en région tropicale mais aussi au retour de la zone d’endémie. La
physiopathologie, imprécise, ferait intervenir des facteurs épidémiologiques environnementaux et
infectieux. Il s’agirait d’une pullulation bactérienne de l’intestin grêle consécutive à une infection digestive
aiguë suivie d’un ralentissement du transit majorant cette pullulation, à l’origine de lésions muqueuses
digestives. La ST se présente cliniquement comme une diarrhée chronique avec perte de poids, puis des
signes de malabsorption, biologiquement par une carence en folates et plus tardivement en vitamine B12
avec anémie mégaloblastique. Histologiquement, on retrouve dans la ST une atrophie villositaire ainsi
qu’un infiltrat inflammatoire de la lamina propria et de l’épithélium. Les principaux diagnostics
différentiels sont représentés par la maladie cœliaque et par les malabsorptions d’origine infectieuse ou les
lymphomes digestifs. Le traitement repose sur l’administration de folates et l’utilisation de cyclines pour
une durée minimale de 6 mois après correction des désordres hydroélectrolytiques. Les résultats sont
meilleurs chez les expatriés que chez les autochtones en zone d’endémie.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Sprue tropicale ; Malabsorption tropicale ; Anémie macrocytaire ; Diarrhée chronique ;
Atrophie villositaire

Plan caractérisée jusqu’à la fin des années 1960 par l’association


d’une diarrhée chronique avec malabsorption et d’une anémie
¶ Introduction 1 mégaloblastique par carence en folates, chez des sujets vivants
ou ayant résidé dans certaines zones tropicales délimitées, sans
¶ Épidémiologie 2 qu’aucune cause bactérienne, parasitaire ou virale ne soit
Distribution géographique 2 trouvée.
Répartition dans la population 2
En 1970, une nouvelle définition a été proposée par Klipstein
¶ Physiopathologie 2 et al. [2], intégrant la possibilité de formes sans anémie mégalo-
Rôle de l’infection 2 blastique, et précisant l’existence « d’une malabsorption d’au
Rôle de l’alimentation 2 moins deux substances distinctes, associée à des anomalies
¶ Manifestations cliniques 3 morphologiques jéjunales ».
¶ Examens complémentaires 3 Cependant de nombreux cas de malabsorption tropicale
Biologie 3 infraclinique (MTIC) [1] (ou entéropathie tropicale) étaient
Imagerie 3 englobés dans cette définition.
La définition de la ST comprend maintenant, en plus de ceux
¶ Anatomie pathologique 3
de Klipstein, des critères cliniques :
¶ Diagnostic 3 • présence fréquente d’une symptomatologie digestive ;
À la phase aiguë 3 • malabsorption suffisamment sévère pour entraîner un déficit
À la phase d’état 3 nutritionnel important (contrairement à la MTIC où ce déficit
¶ Traitement 4 n’apparaît que si le sujet est préalablement malnutri) ;
Mesures symptomatiques 4 • aggravation des lésions intestinales en l’absence de traitement
Mesures étiologiques 4 même après le départ de la zone d’endémie (contrairement à
¶ Conclusion 4 la MTIC sujette à des variations spontanées dans le temps et
disparaissant le plus souvent après un retour en zone tempé-
rée) ;
• réponse efficace à un traitement par acide folique et/ou
■ Introduction antibiotiques (contrairement à la MTIC où les effets des
traitements sont inconstants).
La sprue tropicale (ST) est une entité connue depuis la Cependant, en zone d’endémie, la distinction entre ces deux
seconde moitié du XVIIIe siècle [1]. Elle était communément entités peut être difficile.

Gastro-entérologie 1
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Figure 1. Répartition mondiale de la sprue


tropicale.

Régions d'endémie
Régions où l'endémie a été rarement rapportée

■ Épidémiologie la réponse aux antibiotiques. L’agression entraînerait des lésions


digestives. Une colonisation bactérienne de l’intestin grêle
proximal a été observée lors d’études effectuées à partir de
Distribution géographique (Fig. 1) cultures de liquide jéjunal et surtout à partir de cultures de
La ST évolue sur un mode endémique dans la majorité des biopsies. Les germes identifiés sont Klebsiella pneumoniae,
Grandes Antilles (Cuba, Haïti, la République dominicaine, Porto Escherichia coli, Enterobacter cloacae ou aerogenes [3, 6]. Si diverses
Rico), la partie nord de l’Amérique du Sud et de l’Amérique souches ont été mises en évidence, aucune n’a été retenue
centrale (Venezuela, Colombie, Honduras, Guatemala), l’Inde et comme étiologie de la ST, car elles ont aussi été isolées chez des
le Sri Lanka, et l’Asie du Sud-Est (Birmanie, Malaisie, Singapour, patients asymptomatiques [7-10]. L’origine de cette pullulation
Vietnam, Indonésie et Philippines). n’est pas clairement établie. Par ailleurs, les autres explorations
De façon surprenante, sa présence n’a été que rarement microbiologiques menées jusqu’à ce jour et ciblées sur la
rapportée dans certaines régions comme le Mexique, Madagas- recherche de virus ou de parasites n’ont pas été contributives.
car, l’Afrique centrale, l’Afrique du Sud, Hong Kong et les Petites Cook [11] a suggéré que le début des troubles était lié à une
Antilles. En outre, elle est absente de la Jamaïque. Enfin, seuls infection intestinale aiguë survenant dans l’intestin grêle et
quelques cas sporadiques ont été observés en Amérique du parfois dans le côlon. Celle-ci entraînerait des lésions non
Nord, en Europe et au Proche-Orient [1, 3]. spécifiques de la muqueuse avec une élévation du taux plasma-
tique d’entéroglucagon [12]. Ce dernier serait à l’origine d’un
Répartition dans la population ralentissement du transit ne permettant pas l’élimination de ces
bactéries. On note alors une aggravation des lésions muqueuses
La ST peut toucher les autochtones, les personnes vivant en et du ralentissement du transit avec pérennisation de l’affection.
zone d’endémie et les voyageurs. L’atteinte de ces derniers est Une étude récente a montré un allongement du temps de
plus rare en raison de la courte durée du séjour. En effet, un transit orocaecal chez les patients présentant une ST [13].
séjour d’au moins 1 an est le plus souvent nécessaire pour
contracter une ST, même si quelques cas ont été décrits après un Rôle de l’alimentation
séjour de moins d’une semaine [4]. La fréquence moins impor-
tante de la maladie chez les voyageurs peut s’expliquer par : Le rôle des graisses saturées, notamment des acides gras à
• les meilleures conditions d’hygiène dont ils bénéficient ; longues chaînes, a été suggéré dans le ralentissement du transit
• l’automédication fréquente par les antibiotiques en cas de intestinal et donc de la prolifération bactérienne. Il repose sur
turista [3] ; des arguments épidémiologiques et bactériologiques. Ainsi on
• la recrudescence saisonnière de la ST chez les autochtones et retrouve une incidence élevée de ST dans certaines régions où
les expatriés qui ne correspondent pas toujours aux périodes l’on consomme des aliments riches en graisses saturées comme
touristiques [1]. le porc (Cuba, Haïti, Porto Rico) contrairement à d’autres
La ST survient le plus souvent à l’occasion d’épidémies régions où prédomine l’utilisation d’huiles végétales riches en
saisonnières de diarrhée aiguë ; elle peut toucher plusieurs acides gras polyinsaturés (Jamaïque) [3, 14].
membres d’une même famille. Alors que la plupart des patients Au total, ce ralentissement de la motricité de l’intestin grêle
guérissent en quelques jours ou semaines, certains vont déve- lors d’une ST peut être en cause dans la survenue d’une
lopper une ST. Ce début aigu, actuellement observé, s’oppose pullulation bactérienne, ou être la conséquence d’une stéator-
aux débuts progressifs qui caractérisaient les premières descrip- rhée liée à la malabsorption, par l’action des graisses sur la
tions de la maladie. muqueuse digestive.
Cette hypothèse est intéressante mais n’est pas vérifiée dans
tous les cas. En effet, on ne retrouve pas, de façon constante,
■ Physiopathologie d’épisode aigu chez tous les patients. Des études anciennes
considéraient que la carence en folates pouvait être la cause de
Plusieurs hypothèses ont été avancées pour tenter d’expliquer cette affection du fait de la diminution des symptômes après
la physiopathologie [5] de la ST qui fait intervenir divers correction de cette carence. Elle entretiendrait les lésions
facteurs, conduisant à un moment donné à une diminution de intestinales mais son mécanisme reste inconnu [15, 16]. D’autres
la motricité de l’intestin grêle. facteurs auraient également été incriminés dans la pathogénie
de la ST, comme la malnutrition protéique (à l’origine d’une
Rôle de l’infection baisse de la réponse immunitaire intestinale) ou encore l’adhé-
Une participation infectieuse, vraisemblablement d’origine sion des bactéries à la paroi intestinale, mais cela reste
bactérienne (par mécanisme toxique) est très probable du fait de débattu [3].

2 Gastro-entérologie
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■ Manifestations cliniques
Deux formes cliniques sont possibles [1].
Une forme à début insidieux, pouvant survenir bien à distance
du séjour en zone d’endémie [1, 4], a été décrite notamment par
les anciens auteurs [17]. Cette forme semble beaucoup plus rare
actuellement.
Une forme à début aigu, plus fréquente, débute par une
diarrhée et évolue en deux phases bien décrites chez des
voyageurs en zone intertropicale [1, 18, 19] ou à leur retour [3, 19] :
• la première phase, dite de début, est le plus souvent marquée
par une diarrhée d’apparition brutale, avec selles nombreuses,
liquides et non sanglantes, associée, à des degrés variables [1], Figure 2. Aspect histologique de l’atrophie villositaire au cours de la
à une anorexie, des vomissements, des douleurs abdominales, sprue tropicale.
une asthénie, une fièvre et un amaigrissement rapide. Ces
symptômes s’atténuent dans un délai moyen d’une semaine,
avec une diarrhée moins sévère, devenant persistante ou importante des facteurs de coagulation vitamine K dépendants
d’évolution chronique. C’est durant cette période que les est rare, contrairement à la maladie cœliaque.
lésions de l’intestin grêle s’installent et entraînent une
malabsorption sévère ;
• la seconde phase, dite d’état, s’installe en quelques semai-
Imagerie
nes [1] ou mois [20] ; on observe alors le tableau typique de la Le transit du grêle peut montrer des anomalies aspécifiques :
ST, plus ou moins sévère [21], avec des signes de malabsorp- aspect épaissi avec transversalisation des plis, augmentation de
tion, une anémie mégaloblastique par carence en folates, et calibre des anses grêles [24].
ses conséquences cliniques (glossite, chéilite, lésions cutanées,
distension abdominale et brûlures rétrosternales [1, 17]). En
l’absence de traitement, on constate une amélioration des ■ Anatomie pathologique
symptômes, de l’appétit, voire une véritable voracité avec
prise de poids ; la diarrhée peut disparaître et céder sa place Les prélèvements sont effectués au cours d’une endoscopie
à une constipation. Enfin, on note une rechute de cette digestive haute par biopsies duodénojéjunales. Les lésions
diarrhée avec récidive de l’amaigrissement. Plusieurs cycles débutent et prédominent au niveau du jéjunum et progressent
peuvent ainsi se succéder. pour toucher, à un stade évolué, tout l’intestin grêle.
Ce tableau cyclique classique reste rare du fait d’un traite- L’examen à la loupe binoculaire montre des villosités courtes,
ment précoce dès la première phase. La présentation clinique agglutinées et épaissies avec aspect cérébriforme ou en
actuelle est donc souvent atypique car atténuée ou incomplète. « feuille » [25].
Sur le plan histologique, on observe une atrophie villositaire
■ Examens complémentaires (Fig. 2) le plus souvent partielle mais pouvant être subtotale
voire totale (moins de 2 % des cas). On note un épaississement
et un raccourcissement des villosités ainsi qu’un allongement
Biologie des cryptes. On observe également un infiltrat inflammatoire de
Il existe un syndrome biologique de malabsorption. Le test au la lamina propria et de l’épithélium (lymphocytes, plasmocytes,
D-xylose est perturbé dans près de 99 % des cas et le test de éosinophiles).
Schilling dans 50 à 100 % des cas [3]. Enfin une stéatorrhée est À un stade évolué, les entérocytes peuvent prendre un aspect
présente dans 90 % des cas. cuboïdal voire pseudostratifié par exocytose lymphoïde T. Une
L’évolution des signes biologiques au cours de la première coloration par oil red-O peut révéler la présence de gouttelettes
phase clinique a été bien décrite par Jones et al. [18] chez les lipidiques sous la couche d’entérocytes. Ceci est très évocateur
patients restant diarrhéiques après une atteinte aiguë initiale de de la ST mais non spécifique [24]. L’histologie, à ce stade, ne
caractère épidémique. Au cours de la première semaine, ces permet pas de différencier une ST d’une maladie cœliaque.
auteurs ont noté que 54 % des patients présentaient une
malabsorption du D-xylose et 23 % d’entre eux des biopsies
duodénojéjunales anormales. Ces pourcentages passent respec- ■ Diagnostic
tivement à 74 % et 75 % au cours de la deuxième semaine, et à
76 % et 100 % pendant ou après la troisième semaine. Le diagnostic de ST est en pratique un diagnostic d’élimina-
Par la suite on note fréquemment une anémie mégaloblasti- tion : les autres diagnostics de malabsorption en zone tropicale
que que l’on rattache essentiellement à une carence en folates doivent être écartés par la réalisation d’examens parasitologi-
(s’installant en 2 à 3 mois) mais également à une carence en ques des selles, par des prélèvements endoscopiques duodénaux
vitamine B12, à un stade évolué. Cette carence en vitamine B12 (aspirat ou biopsies), par le dosage d’anticorps spécifiques (anti-
aurait plusieurs mécanismes [3], et notamment une anomalie de endomysium, antigliadine ou antitransglutaminase), par la
fixation du complexe facteur intrinsèque-vitamine B12 pouvant réalisation d’une sérologie du virus de l’immunodéficience
être secondaire à la pullulation bactérienne de l’intestin grêle humaine (VIH) ou par la pratique d’examens immunohistochi-
(généralement réversible sous antibiothérapie). Dans les formes miques sur les biopsies duodénales.
chroniques, cette carence est liée à une diminution du débit Plusieurs diagnostics doivent être éliminés en fonction du
gastrique de facteur intrinsèque [22] et à l’existence d’une stade évolutif.
anomalie intraentérocytaire. Ces déficits en folates et en
vitamine B12 peuvent être combinés dans certaines régions
(Asie, Porto Rico) alors que dans d’autres régions (Haïti,
À la phase aiguë
République dominicaine), une carence isolée en vitamine B12 est Il faudra évoquer de principe des maladies infectieuses au
retrouvée dans 77 % des cas contre 14 % pour l’acide retour d’outre-mer (shigellose, salmonellose, amibiase,
folique [23]. bilharziose).
On observe également parfois des concentrations sériques
diminuées de carotène, de cholestérol, de vitamine A et E, de À la phase d’état
calcium, de magnésium et d’albumine.
L’hypocalcémie est présente mais rarement assez profonde On évoque les autres causes de diarrhée chronique regroupées
pour être à l’origine de tétanie ou d’ostéomalacie. La baisse sous le terme de « syndrome de malabsorption tropicale ».

Gastro-entérologie 3
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Malabsorption tropicale infraclinique points fondamentaux du traitement qui a permis de diminuer


de façon notable la mortalité de cette affection, notamment lors
C’est un autre syndrome de cause indéterminée, fréquem-
d’épidémies [5]. La supplémentation en fer et en acide folique
ment retrouvé chez les autochtones de pays en voie de dévelop-
peut se faire par voie orale alors que la vitamine B12 doit être
pement (Extrême et Proche-Orient, Afrique, Amérique centrale
administrée par voie parentérale : acide folique à 5 mg/j
et du Sud) et caractérisé par la présence d’anomalies morpholo-
pendant 6 mois, vitamine B12 par voie intramusculaire à la dose
giques et fonctionnelles du grêle, généralement mineures. Elle
de 0,1 mg par semaine jusqu’au rétablissement d’un taux
se définit comme une malabsorption, sans symptomatologie
sanguin normal. Ces différents apports entraînent, sur le plan
clinique, d’une ou plus rarement de deux substances (folates,
clinique, l’amélioration de la glossite et la restauration de
vitamine B 12 , hydrates de carbone ou protéines). Celle-ci
l’appétit avec reprise de poids et, sur le plan biologique, une
n’entraîne pas de déficit nutritionnel sauf chez les sujets
amélioration rapide de l’anémie mégaloblastique [5]. On peut
préalablement malnutris. De nombreux auteurs [1, 26, 27] ont
noter une amélioration histologique, sur les cryptes jéjunales,
noté une amélioration de ces lésions intestinales, morphologi-
en 3 à 6 jours lorsque les anomalies initiales sont importantes,
ques et fonctionnelles, après l’arrivée ou le retour en zone
mais souvent retardée à quelques semaines lorsque ces anoma-
tempérée. Cela confirmerait l’hypothèse d’une colonisation
lies sont modérées. L’efficacité du traitement par l’acide folique
bactérienne, transitoire mais répétée, de l’intestin grêle, à
semble dépendre de la chronicité des lésions intestinales : en
l’origine de la MTIC [1]. D’autres facteurs pourraient entrer en
effet, lorsque la maladie n’évolue que depuis quelques mois ce
jeu, notamment la malnutrition.
traitement seul permet d’obtenir une guérison alors que si
celle-ci évolue depuis plus longtemps, et notamment chez les
Causes infectieuses (responsables
autochtones de zones endémiques, ce seul traitement par acide
de malabsorption dans les pays tropicaux) folique est insuffisant. Les ralentisseurs du transit, comme le
Ce sont les protozooses dues à Giardia lamblia (ubiquitaire), lopéramide, sont souvent proposés à visée symptomatique.
Isospora belli (régions tropicales et subtropicales), Cyclospora Cependant ces produits peuvent favoriser la stase intestinale et
cayetanensis (régions tropicales et subtropicales), Cryptosporidium la colonisation bactérienne, qui joue un rôle important dans la
parvum chez le sujet immunocompétent, et Microsporidium spp. physiopathologie de cette affection, et donc être néfastes. Il est
chez le sujet porteur du VIH. Enfin, on peut également noter également important de réduire les facteurs de risque en
des helminthiases comme Strongyloides stercoralis et Capillaria améliorant les conditions d’hygiène.
philippinensis (en Asie du Sud-Est) [5].
Mesures étiologiques
Maladie cœliaque La place de l’antibiothérapie, ciblée sur les agents pathogènes
Elle est peu fréquente sous les tropiques (sauf chez les incriminés, reste controversée. Plusieurs études sont, en ce sens,
expatriés d’Europe ou d’Amérique du Nord), mais fréquente en contradictoires. Certaines études menées chez des voyageurs
Inde. Elle peut être difficile à différencier d’une ST (anomalies britanniques et des patients portoricains ont montré une bonne
muqueuses jéjunales plus importantes dans la maladie cœliaque réponse à un traitement par tétracyclines à la dose de 250 mg,
et réponse au régime sans gluten contrairement aux antibioti- 4 fois par jour pendant plusieurs mois [4, 5]. À l’inverse, une
ques) [5]. Le dosage des anticorps anti-endomysium, antitrans- seule autre étude contrôlée effectuée dans le sud de l’Inde a
glutaminase et antigliadine permet de porter le diagnostic. montré que l’adjonction d’un antibiotique à l’acide folique et à
la vitamine B12 n’améliorait pas le taux de guérison [5].
Lymphomes En pratique, le traitement antibiotique reste conseillé du fait
Les IPSID (immunoproliferative small intestinal disease) ou de son efficacité chez les voyageurs, avec une amélioration
lymphomes méditerranéens [5] sont fréquents en zone socio- clinique en quelques semaines [1, 8, 9, 28, 29].
économique défavorisée. Leur diagnostic repose sur l’analyse La durée de ce traitement n’est pas bien codifiée à l’heure
histologique et en particulier après une analyse immunohisto- actuelle. Elle pourrait être de quelques mois seulement chez un
chimique des biopsies de l’intestin grêle. patient ayant séjourné peu de temps en zone d’endémie avec
une ST évoluant depuis moins de 4 mois. Elle peut, cependant,
Autres causes être prolongée jusqu’à plus de 6 mois chez un malade vivant en
zone d’endémie et présentant une maladie évoluant depuis
On cite également la maladie de Whipple avec infiltration de longtemps. Ce traitement ne doit être arrêté qu’après guérison
la lamina propria par des macrophages PAS positifs, ou les complète, clinique, biologique et histologique [3].
maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, notamment la Finalement, la tétracycline (4 fois par jour pendant 6 mois)
maladie de Crohn [15]. Enfin, on peut évoquer le syndrome de reste la molécule de choix même si d’autres antibiotiques ont
colonisation bactérienne chronique du grêle similaire en tout été utilisés, comme les sulfamides ou certaines quinolones,
point à la maladie de Whipple, en dehors des germes responsa- notamment l’ofloxacine [3, 30]. La durée du traitement dépendra
bles (anaérobies pour la pullulation) et de l’existence de troubles de la durée du séjour en zone d’endémie et de l’évolution de la
moteurs de l’intestin grêle. maladie.
Le diagnostic repose donc sur un faisceau d’arguments : Le pronostic est excellent, avec une guérison complète [16]
épidémiologiques (avec la notion d’un séjour récent en zone chez les voyageurs au retour de zone d’endémie en zone
d’endémie), cliniques ou biologiques (signes de malabsorption), tempérée. Il est moins bon chez les autochtones, avec de
morphologiques (par un transit du grêle) et thérapeutiques par fréquentes rechutes à l’arrêt du traitement [31].
la réponse au traitement qui représente un des arguments
diagnostiques essentiels a posteriori [15].
■ Conclusion
■ Traitement Même si sa prévalence reste faible dans nos régions tempé-
rées, la ST représente une affection endémique dans de nom-
Le but du traitement est de restaurer l’intégrité de la breux pays. Sa physiopathologie fait intervenir des troubles du
muqueuse intestinale, de corriger la malabsorption et les transit de l’intestin grêle secondaires à une colonisation
carences, dont l’anémie mégaloblastique [7]. bactérienne finalement responsable d’atrophie muqueuse puis
Il repose schématiquement sur des mesures symptomatiques de malabsorption.
et des mesures étiologiques (antibiothérapie). Il faut y penser, surtout devant la multiplicité des séjours
touristiques, et en présence de signes cliniques aspécifiques
(diarrhée chronique, diarrhée aiguë, stigmates de
Mesures symptomatiques malabsorption).
Elles comprennent la rééquilibration hydroélectrolytique et la Le diagnostic repose ainsi sur un faisceau d’arguments
correction des carences dues à la malabsorption. C’est un des cliniques, biologiques, morphologiques et histologiques.

4 Gastro-entérologie
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R. Delpy, Assistant du service de santé des Armées (gastro@hia-laveran.fr).


M. Guisset, Spécialiste du service de santé des Armées.
D. Carré, Spécialiste du service de santé des Armées.
J.-M. Debonne, Professeur agrégé du service de santé des Armées, chef de service.
Service de pathologie digestive, hôpital d’instruction des Armées Laveran, 13013 Marseille, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Delpy R., Guisset M., Carré D., Debonne J.-M. Sprue tropicale. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris),
Gastro-entérologie, 9-053-A-30, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


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Gastro-entérologie 5

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