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Post’U (2013) 189-196

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Physiopathologie des TFI


et implications thérapeutiques

Objectifs pédagogiques Les différentes pistes


physiopathologiques Philippe Ducrotté
– Connaître les bases physiopatholo-
giques des TFI
Les troubles de la motricité :
– Quelles sont les perspectives théra-
peutiques ?
premières anomalies identifiées [1]
clairement identifiée. Les troubles
Ils ont été décrits au niveau du côlon moteurs coliques s’observent surtout
et de l’intestin grêle conduisant à après la prise d’un repas : par rapport
Introduction renoncer à la terminologie « colopa- à un groupe contrôle, certains patients
thie fonctionnelle », impropre, et à atteints de SII, en particulier une nou-
Le syndrome de l’intestin irritable (SII) introduire le terme « syndrome de velle fois les malades diarrhéiques, ont
est le trouble fonctionnel intestinal le l’intestin irritable » (SII). une réponse motrice recto-sigmoï-
plus fréquent. Sa prévalence moyenne dienne à l’alimentation plus marquée
Les anomalies motrices les mieux
est de 10 % dans la population géné- et/ou anormalement prolongée.
caractérisées ont été décrites au niveau
rale. Il se caractérise par une douleur Inversement, les malades souffrant
de l’intestin grêle, surtout chez les
abdominale chronique, associée à des d’un SII avec constipation ont parfois
malades diarrhéiques. Elles concernent
troubles du transit (constipation, une réponse colique à l’alimentation
les deux profils moteurs grêliques,
diarrhée ou alternance des deux) se anormalement faible.
interdigestif et postprandial. Chez les
majorant lors des poussées doulou- Les perturbations de la motricité
malades diarrhéiques, les phases III
reuses. affectent le transit des gaz digestifs,
interdigestives sont plus nombreuses
Considéré initialement comme un et deux fois plus souvent propagées favorisant une rétention intestinale
trouble purement moteur, le SII est jusque dans l’iléon. Les autres phéno- des gaz à l’origine d’une sensation
devenu une affection multifactorielle. mènes moteurs grêliques sont une d’inconfort avec parfois ballonnement
L’accent est actuellement mis sur les hyperactivité motrice qui disparaît objectif [2]. Lors d’épreuves de perfu-
troubles de la sensibilité viscérale et habituellement la nuit pendant le sion gazeuse intestinale avec un
le dysfonctionnement des relations sommeil, de courtes salves de contrac- mélange gazeux composé d’azote, de
bi-directionnelles qui existent entre tions, rythmiques, survenant typique- gaz carbonique et d’oxygène dans des
le tube digestif et le cerveau. Le rôle ment toutes les minutes (rythme proportions comparables à celles cal-
d’anomalies du microbiote intesti- minute) et des contractions iléales de culées dans le sang veineux, la majo-
nal est aussi de plus en plus pro- grande amplitude propagées dans le rité des malades SII a été incapable
bable. caecum. Salves de contractions jéju- d’évacuer la totalité du gaz infusé et
nales et grandes contractions iléales la rétention gazeuse reproduisait la
La meilleure connaissance de la phy-
sont contemporaines dans plus de la sensation inconfortable de distension
siopathologie est importante pour la
moitié des cas de crampes abdomi- abdominale signalée spontanément.
prise en charge. Elle permet d’abord
nales. Avec l’alimentation, le stress est Pour un même volume de rétention
de donner aux malades des explica-
un second facteur déclenchant les gazeuse, la sensation de distension
tions sur l’origine de leurs symptômes
troubles moteurs grêliques. était beaucoup plus marquée chez les
lorsque la normalité des explorations
malades que chez les témoins. Cet
morphologiques ne les rassurent pas. Les perturbations motrices coliques
inconfort était partiellement amélioré
Parallèlement, les pistes thérapeu- sont moins nettes. Aucune anomalie
par l’administration de prokinétiques.
tiques se diversifient. de la motricité basale colique n’a été
Les perturbations motrices digestives
ne peuvent résumer la physiopatholo-
■ Ph. Ducrotté () Département d’hépato-gastroentérologie et de nutrition, UMR 1073, gie du SII car leur présence et leur
Hôpital Charles Nicolle, 76031 Rouen Cedex co-incidence avec les symptômes,

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notamment les douleurs abdominales, concerner la partie haute du tube d’un trouble de l’intégration cérébrale
sont inconstantes. De plus, si les médi- digestif expliquant pourquoi le SII est des influx sensitifs digestifs avec la
caments destinés à corriger ces troubles souvent associé à une dyspepsie dou- mise en jeu inhabituelle de certaines
moteurs améliorent les troubles du loureuse ou un pyrosis fonctionnel. régions cérébrales telles que la région
transit, ils ont habituellement une effi- L’hypersensibilité peut être extradiges- cingulaire antérieure dans le cortex
cacité moindre sur les douleurs abdo- tive, bronchique avec des manifesta- pré-frontal, et/ou une activation céré-
minales. Cependant, les anomalies tions asthmatiformes, vésicale où elle brale d’emblée maximale, quelle que
motrices digestives ne peuvent être provoque une pollakiurie et des soit l’intensité du stimulus [5]. De plus,
oubliées. tableaux de cystite sans infection uri- les patients avec SII présentent un
naire identifiable, musculaire et/ou phénomène d’anticipation de la
L’hypersensibilité viscérale : articulaire comme chez les patients SII réponse douloureuse qui les conduit à
un élément clé dans la survenue fibromyalgiques. rapporter une sensation douloureuse
des symptômes [3] pour des stimuli de moindre intensité
Hypersensibilité : pourquoi ? que les sujets normaux. Cette activa-
Globalement, au cours du SII, 50 à Plusieurs mécanismes, éventuellement tion est tout particulièrement marquée
60 % des malades souffriraient d’une associés, peuvent être envisagés à par- chez les femmes. Ceci est un argument
hypersensibilité digestive. Cette hyper- tir de l’anatomie des voies sensitives supplémentaire pour une prédisposi-
sensibilité a été démontrée dès 1973 digestives. Des arguments existent tion différente des 2 sexes à l’appari-
après la constatation qu’une disten- pour un mécanisme périphérique, avec tion d’un SII. Les données que nous
sion rectale ou sigmoïdienne par un une sensibilisation des neurones affé- possédons sur l’intégration centrale
ballonnet déclenchait une douleur rents primaires de la paroi digestive des stimuli d’origine digestive au cours
chez 55 % des patients souffrant d’un et/ou la mise en jeu de récepteurs du SII sont encore fragmentaires. Mais
SII alors que le même volume de dis- nociceptifs pariétaux normalement il est indiscutable que cette approche
tension n’était perçu douloureusement silencieux. Dans cette hypersensibilité par imagerie fonctionnelle offre des
que par 6 % des sujets contrôles. La périphérique, les neurones afférents possibilités nouvelles réelles pour pro-
topographie plus large et/ou inhabi- primaires seraient anormalement sti- gresser dans la compréhension de la
tuelle de la zone douloureuse lors des mulés par des médiateurs (sérotonine physiopathologie du SII.
distensions, par rapport à celle décrite ou certaines cytokines) libérés notam- L’hypersensibilité peut enfin résulter
par des témoins, a été un argument ment par les mastocytes situés au du dysfonctionnement du système des
supplémentaire en faveur d’un trouble contact des terminaisons sensitives et contrôles inhibiteurs diffus (CIDN) qui
sensitif. Il s’agit d’une hypersensibilité qui semblent jouer un rôle clé. Par le modulent aussi la douleur en exerçant
vraie puisque l’abaissement du seuil biais de ces médiateurs, les mastocytes une activité analgésique [6]. Dans les
douloureux s’observe en dehors de abaisseraient le seuil de sensibilité de conditions normales, les stimulations
toute modification des propriétés ces neurones afférents. Dans certains nociceptives activent en cascade un
mécaniques de la paroi digestive. Le cas, la sensibilisation neuronale péri- système descendant mettant en jeu la
trouble de la sensibilité concerne spé- phérique paraît liée à une inflamma- substance grise péri-aqueducale et
cifiquement la sensibilité viscérale. En tion de bas grade. péri-ventriculaire de l’hypothalamus,
effet, il n’existe pas d’hypersensibilité la région rostro-ventrale du bulbe et
somatique au cours du SII et les sti- L’hypersensibilité peut être également
centrale et découler d’une hyperexci- les cornes postérieures de la moelle
mulations électriques intraluminales pour finalement inhiber l’activité des
ou transcutanées sont perçues de tabilité neuronale dans la corne pos-
térieure de la moelle [4] amplifiant les neurones nociceptifs des cornes dor-
façon non différente entre SII et sales de la moelle. Ces CIDN pro-
contrôles. messages sensitifs d’origine digestive,
et/ou d’une perturbation de l’intégra- duisent une inhibition descendante
L’hypersensibilité s’observe surtout au tion de ces messages sensitifs dans le qui réduit l’activité des neurones noci-
cours du SII à forme diarrhéique au cerveau. En cas de sensibilisation ceptifs non-spécifiques, faisant ainsi
cours duquel plus de 80 % des malades médullaire, des influx sensitifs d’in- ressortir l’activité des neurones spéci-
seraient hypersensibles contre seule- tensité normale, non nociceptifs, sont fiques sollicités par la stimulation
ment 52 % des malades SII constipés. amplifiés et perçus de façon consciente nociceptive. Au cours du SII, le fonc-
Chez certains malades souffrant d’un et pénible alors que, dans les condi- tionnement de ces CIDN paraît per-
SII avec constipation, le seuil d’incon- tions normales, ces mêmes messages turbé, au moins chez certains malades.
fort à la distension serait même plus sont intégrés de façon inconsciente à Comme pour les troubles moteurs, il
élevé que dans une population témoin. un niveau sous-cortical. L’imagerie serait simpliste de n’envisager que les
L’hypersensibilité n’est pas constam- cérébrale fonctionnelle a montré que seuls troubles sensitifs pour interpréter
ment limitée au seul intestin. Elle peut l’hypersensibilité pourrait résulter la physiopathologie du SII, en oubliant

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les anomalies motrices. Des phases III et surtout le degré de dégranulation Des perturbations sanguines, plus dis-
jéjunales ou des salves de contractions des mastocytes sont beaucoup plus crètes, en faveur d’une activation
iléales peuvent occasionner une dou- élevés près des plexus et au niveau des immunitaire ont été également
leur ou un inconfort, par le biais de terminaisons nerveuses et qu’il existe décrites. Si les concentrations basales
l’hyperpression localisée qu’ils une étroite corrélation entre le nombre de cytokines sont normales en basal,
entraînent. Inversement, en raison des de mastocytes, leur degré de dégranu- les cellules mononuclées sanguines
boucles sensitivo-motrices qui coor- lation et la sévérité des symptômes. sécrètent, en revanche, en excès des
donnent le fonctionnement digestif, Cet infiltrat mastocytaire s’associe à cytokines pro-inflammatoires en
l’hyperexcitabilité des afférences sen- des taux élevés de tryptase dans la réponse à certaines stimulations anti-
sitives peut déclencher des réactions muqueuse. géniques. C’est le cas notamment pour
motrices anormales, inhibitrices ou Les données concernant les lympho- le TNF , l’IL-6 et l’IL-1 après un
excitatrices. Une sensibilité excessive cytes sont moins nettes. Chez plus de contact avec des lipopolysaccharides
aux lipides a ainsi été récemment 50 % des malades SII, un infiltrat cel- produites par E. Coli. Chez les malades
avancée pour expliquer la réponse lulaire T ou une densité accrue de diarrhéiques, un excès de médiateurs
motrice gastro-colique excessive dont lymphocytes intra-épithéliaux ont été libérés par les mastocytes (PGE2, leu-
souffrent certains patients avec SII. De rapportés, à des taux insuffisants pour cotriène B4) a été rapporté. Enfin, si
même, l’accélération du transit chez parler de lymphocytose épithéliale le nombre des lymphocytes CD4+,
certains malades diarrhéiques paraît (> 30 lymphocytes/100 entérocytes). CD25+ et CD8+ est normal, ces lym-
en rapport avec une hypersensibilité Certains types lymphocytaires pour- phocytes T expriment souvent l’inté-
iléale aux acides biliaires. raient être sureprésentés et un travail grine B7+, qui favorisent leur afflux
a rapporté une augmentation des lym- vers l’intestin.
Les nouvelles pistes pour expliquer
phocytes exprimant le CD25, appor-
l’hypersensibilité L’augmentation de la perméabilité
tant des arguments pour une activa-
L’activation immunitaire [6, 7] intestinale [9]
tion de ces populations lymphocytaires.
L’une des hypothèses actuellement Pour les lymphocytes B, les données Une perméabilité paracellulaire
avancée pour expliquer l’hypersensi- sont concordantes pour conclure à colique accrue est un élément favori-
bilité est un afflux dans la muqueuse l’absence d’infiltrat lymphocytaire B sant la pénétration d’antigènes ali-
de cellules immunocompétentes, mas- au cours du SII. mentaires et bactériens qui déclencher
tocytes et lymphocytes notamment, ou Si la démonstration d’un niveau accru une réponse inflammatoire locale avec
une activation accrue de ces cellules. d’expression des cytokines pro-inflam- afflux de cellules immunocompétentes
Elles sensibiliseraient les neurones matoires dans la muqueuse n’est pas et libération de médiateurs de l’inflam-
afférents primaires via la libération de établi, les travaux sont plus concor- mation, capables à leur tour de sensi-
leurs médiateurs en réponse à des dants pour conclure à une expression biliser les neurones afférents primaires.
modifications du microbiote, à une réduite des cytokines anti-inflamma- Plusieurs travaux ont montré sur des
surexpression des certains récepteurs toires, IL-10 et TGF au cours du SII. biopsies muqueuses grêliques ou
comme les toll-like (TLRs) (TLR 2 et 4 Des altérations génomiques pourraient coliques humaines une augmentation
notamment) reconnaissant les motifs favoriser le développement d’un SII de la perméabilité intestinale avec une
bactériens ou à d’autres facteurs qui puisque certains patients SII sécrètent corrélation entre cette augmentation
restent à identifier. Cette interaction peu d’IL10 et de TGF . de la perméabilité et l’existence d’une
entre terminaisons nerveuses et cel- La libération de sérotonine par les cel- hypersensibilité. L’augmentation de la
lules imunocompétentes serait facili- lules entéro-endocrines sous l’effet de perméabilité paracellulaire peut être
tée par un nombre accru de terminai- stimuli notamment alimentaires joue liée au rôle de certaines protéases bac-
sons nerveuses sensibles à la substance un rôle important dans la physiopa- tériennes qui activent un sous-type de
P et à la sérotonine. thologie du SII [8]. La densité de ces récepteurs aux protéases (PAR-2)
L’anomalie la plus constamment cellules entéro-chromaffines est nor- situés sur le pôle apical des colono-
observée est une augmentation du male dans le grêle. Par contre, plu- cytes. L’altération des jonctions serrées
nombre des mastocytes sur des prélè- sieurs travaux ont décrit leur densité peut être secondaire également à une
vements iléaux et coliques. Cette aug- accrue dans les muqueuses colique et dégradation accrue de la zonuline,
mentation est comparable pour les rectale, notamment après une gas- l’occludine ou la claudine par le pro-
différents sous-types de SII. Cette troentérite aiguë chez les malades qui téasome. Le stress joue également un
hyper-mastocytose n’est pas toujours développent un SII postinfectieux rôle via l’un de ses médiateurs, le CRF
détectée, en particulier lorsque les (SII-PI). Cette densité cellulaire plus (cortico-releasing-factor). Appliqué
biopsies sont rectales. Les biopsies élevée s’observe surtout chez des sur la face séreuse des cellules coliques
plus profondes révèlent que la densité patients déprimés. obtenues par biopsies, le stress aug-

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mente la perméabilité paracellulaire SII et peuvent succéder à une infection nale et déclenche des troubles moteurs
épithéliale par un effet impliquant bactérienne (salmonellose, shigellose, grêliques. Le gaz majoritairement pro-
probablement les mastocytes. Un gastroentérite à campylobacter) ou duit influencerait le profil symptoma-
régime riche en lipides pourrait être parasitaire (giardiase). Le risque relatif tique des malades avec une production
également un facteur de perméabilité de développer un SII est multiplié par accrue de méthane particulièrement
accrue. 5 après une infection intestinale. fréquente chez les patients décrivant
Plusieurs facteurs influencent ce un SII avec constipation chez qui une
Les autres pistes risque. Le plus important d’entre eux corrélation positive entre la quantité
physiopathologiques nouvelles est la durée de l’infection initiale avec de méthane produite et la sévérité du
une corrélation entre la durée de l’in- ralentissement du transit a été rappor-
Le rôle de perturbations fection initiale et l’importance du tée. Cette hypothèse d’une colonisa-
du microbiote [10] risque : la probabilité de voir appa- tion bactérienne s’est trouvée renfor-
Des données de plus en plus nom- raître un SII au décours d’une diarrhée cée par la démonstration d’une
breuses renforcent cette hypothèse aiguë est multipliée par 11 lorsque amélioration symptomatique signifi-
physiopathologique. Les arguments l’infection initiale dure plus de cative après un traitement de dix jours
pour envisager l’implication du micro- 3 semaines alors qu’elle est non diffé- par un antibiotique, essentiellement la
biote sont les suivants : rente de celle d’une population contrôle néomycine ou la rifaximine. La réduc-
a) les bactéries intestinales influencent pour une infection brève (moins de tion de l’inconfort abdominal et des
la physiologie digestive ; 7 jours). Les autres facteurs de risque troubles du transit concernait surtout
b) chez certains patients, l’histoire du de SII-PI sont liés au terrain : un âge les malades très méthano-producteurs
SII est celle d’un SII post-infectieux ; jeune lors l’infection, un terrain avant le traitement antibiotique.
c) des différences qualitatives et quan- anxieux et/ou dépressif sous-jacent.
Le SII-PI résulterait avant tout de la Cette théorie d’une pullulation bacté-
titatives dans la composition de la
persistance d’un état « inflammatoire » rienne endoluminale demeure très
flore colique et grêlique ont été
local après l’infection aiguë. L’analyse discutée car d’autres travaux ont rap-
observées entre patients SII et sujets
de biopsies muqueuses a montré que porté une prévalence soit non diffé-
contrôles. Elles s’associent parfois à
les patients qui développaient un rente de celle calculée dans une popu-
une activité métabolique différente
SII-PI étaient ceux qui conservaient lation témoin composée de sujets
de la flore.
un taux élevé d’interleukine 1 , cyto- asymptomatiques et voisine de 4 %.
La flore intestinale agit sur kine pro-inflammatoire, 3 mois après La discussion porte essentiellement sur
la sensibilité et la motricité digestive l’infection. La coexistence d’un infil- la sensibilité, la spécificité et les
Chez les animaux génétiquement trat cellulaire inflammatoire avec cette valeurs prédictives négative et positive
dépourvus de flore, une gastroparésie, production accrue d’interleukine 1 d’un test respiratoire à l’hydrogène
un transit dans le grêle significative- n’est pas constamment rapportée. Elle basé sur l’ingestion de glucose ou de
ment ralenti, une importante dilata- a été observée au niveau du rectum. lactulose pour affirmer l’existence
tion cæcale sont des constatations d’une pullulation bactérienne dans le
habituelles alors que la reconstitution Au cours du SII, l’écosystème grêle. La discussion porte notamment
d’une flore s’associe à la réapparition intestinal peut être quantitativement sur le critère qui doit être retenu pour
d’une motricité grêlique normalement et/ou qualitativement différent conclure que le test est anormal. Le
organisée. Les produits de l’activité de celui de sujets témoins débat n’est pas clos mais une méta-
bactérienne de fermentation colique, analyse récente, prenant en compte
Des modifications quantitatives ? [11]
gaz (H2 et/ou CH4) et acides gras à l’hétérogénéité des études publiées
chaînes courtes, modulent aussi la L’hypothèse d’une pullulation bacté- aboutit cependant à la conclusion que
motricité digestive, notamment au rienne dans le grêle est avancée, sur la probabilité de pullulation bacté-
niveau de la région iléo-colique, la base des résultats anormaux de tests rienne endoluminale au cours du SII
affectent le fonctionnement des cel- respiratoires démontrant une produc- est environ trois fois supérieure à celle
lules épithéliales et immunitaires tion importante et précoce d’hydro- d’une population contrôle. Il paraît
intestinales, et provoque parfois une gène après charge en lactulose ou en raisonnable de conclure qu’une pullu-
hypersensibilité. glucose. Cette production accrue d’hy- lation microbienne endoluminale est
drogène et de méthane s’explique par probable chez certains malades,
Le SII peut apparaître après l’extension de la zone de fermentation notamment chez ceux souffrant de
une infection intestinale initiale des résidus glucidiques au-delà du troubles de la motricité du grêle et
L’existence de SII postinfectieux côlon, dans l’iléon et même le jéjunum qu’elle peut contribuer au ballonne-
(SII-PI) est désormais admise. Les distal. Cette pullulation favorise l’ap- ment abdominal dont se plaignent les
SII-PI représenteraient 15 à 20 % des parition d’une inflammation intesti- patients SII.

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Les anomalies qualitatives duction d’hydrogène était significati- thèse d’acides biliaires par les hépato-
du microbiote [10] vement réduite chez les mêmes sujets cytes.
SII mais pas chez les contrôles. Cette Les anomalies du microbiote pour-
En l’absence de toute colonisation
réduction de la production entraînait raient également intervenir en limitant
bactérienne chronique du grêle, des
une amélioration des symptômes la transformation des acides biliaires
données font état, au cours du SII, de
déclenchés habituellement par la prise primaires (acides cholique et cheno-
modifications de la composition de la
alimentaire. Cette activité métabolique deoxycholique) en acides biliaires
flore endoluminale mais aussi de celle
(métabolomique) différente du micro- secondaires.
présente dans le biofilm au contact de
biote au cours du SII est une explica-
la muqueuse. L’abandon des tech-
tion à la fréquente mauvaise tolérance Le rôle des facteurs psychologiques
niques de mise en culture des selles
à une diète enrichie en fibres, notam- et du stress ne doit pas être oublié
(non satisfaisantes car 80 % des
ment insolubles. Un travail vient de
espèces bactériennes ne sont pas culti- [15]
confirmer cette hypothèse en démon-
vables) pour des techniques de séquen-
trant chez des malades SII constipés, Les aspects psychologiques du SII ne
çage des génomes bactériens et
par rapport à une population témoin, peuvent être oubliés même si la pré-
notamment la détection de la fraction
une production accrue en hydrogène valence des troubles psychiatriques au
16S ribosomale, permettent doréna-
et en sulfides et moindre en acides cours du SII reste débattue. Concernant
vant d’obtenir des données beaucoup
gras après consommation d’amidon, les troubles thymiques, il est parfois
plus fiables sur la composition du
en rapport avec une réduction de cer- difficile de trancher entre leur carac-
microbiote au cours du SII.
taines espèces bactériennes produisant tère primitif ou secondaire lié au
Un excès de firmicutes (Faecali- du butyrate [13]. Cette métabolomique retentissement de la chronicité de la
bacterium, Acetititomaculm…) est est également une explication possible symptomatologie sur la qualité de vie
l’anomalie la plus constamment rap- à la mauvaise tolérance à certains quotidienne.
portée, soit comme unique différence, oligo-, di- ou monosaccharides fer-
soit en association avec une réduction Le terrain psychologique et les troubles
mentables (« FODMAPS ») comme le
des bactéroïdètes (Bacteroides, de l’humeur conditionnent d’abord un
fructose, l’inuline, et peut-être le lac-
Alistipes). Une augmentation du rap- recours accru aux soins. Ils interfèrent
tose [14].
port Firmicutes/ Bactéroïdètes a été avec la perception et l’intégration des
Les arguments qui existent pour un informations sensitives d’origine
notamment décrite chez les malades
rôle de la flore sont encore actuelle- digestive, en entretenant notamment
souffrant d’un SII avec constipation,
ment essentiellement indirects. La un état d’hyper-vigilance à ces stimuli.
en association avec un état dépressif.
confirmation du rôle délétère du Par rapport à une population contrôle,
L’étude de la flore au contact de la
microbiote ne pourra être apportée existe au cours du SII un phénomène
muqueuse, menée avant tout chez les
que par des études interventionnelles d’anticipation de la réponse doulou-
malades souffrant d’un SII diarrhéique,
bien menées avec des probiotiques et/ reuse qui conduit les malades à rap-
a révélé une augmentation des bacté-
ou des prébotiques, ou des antibio- porter une sensation douloureuse pour
roïdes et des clostridia, associée à une
tiques, démontrant que modifier la des stimuli de moindre intensité.
réduction des bifidobactéries.
flore améliore les symptômes. Les communications bidirectionnelles
Ces anomalies du microbiote
entre le tube digestif et le système ner-
pourraient être une explication Un excès d’acides biliaires
veux central impliquent les voies du
à la fermentation colique excessive endoluminaux [6]
système nerveux autonome. Or, les
qui existe au cours du SII [12]
Cette piste physiopathologique est médiateurs de ce système autonome,
L’un des rôles de la flore colique est la d’exploration très récente. Une malab- notamment les catécholamines libé-
transformation des résidus gluci- sorption des acides biliaires explique- rées par l’activation du système sym-
diques. Cette fermentation aboutit à la rait l’accélération du transit chez au pathique, modulent le fonctionnement
production de gaz, principalement moins 30 % des patients souffrant gastro-intestinal, affectent la sensibi-
hydrogène et méthane. Lors d’une d’un SII diarrhéique. L’excès d’acides lité viscérale mais aussi l’immunité
diète standard, la production d’hydro- biliaires endoluminaux paraît égale- intestinale. Des altérations du fonction-
gène était deux fois plus élevée au ment la conséquence possible d’un nement de ce système nerveux auto-
cours du SII que dans une population excès de synthèse hépatique amenant nome ont déjà été rapportées au cours
contrôle avec une vitesse de produc- le dépassement des capacités d’ab- du SII. Les troubles psychologiques ou
tion de ce gaz beaucoup plus rapide sorption iléales. Une explication à cet les troubles de l’humeur, fréquents au
après un repas. Avec un régime excès de synthèse serait un déficit de cours du SII, peuvent être responsables
excluant les céréales autres que le riz sécrétion iléale de FGF19 qui exerce de perturbations de l’activité de ce
ainsi que les produits laitiers, la pro- un rétro-contrôle négatif sur la syn- système nerveux autonome.

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Tableau I. Options thérapeutiques possibles disponibles ou prochainement disponibles table. Gastroenterol Clin Biol 2009;33:
pour les différents mécanismes physiopathologiques identifiés au cours du SII S35-9.
Piste physiopathologique Options thérapeutiques possibles Niveau de preuve 2. Azpiroz F, Malagelada JR. Abdominal
Antispasmodiques A bloating. Gastroenterology 2005;129:
(avec essais positifs récents 1060-78.
avec la combinaison citrate 3. Azpiroz F, Bouin M, Camilleri M.
d’alvérine /simeticone et le
phloroglucinol) Mechanisms of hypersensitivity in IBS
and functional disorders. Neurogastro
Troubles de la motricité SII avec constipation
Enterol Motil 2007;19:62-88.
Agonistes 5-HT4 B*
4. Mayer EA, Naliboff BD, Craig AD.
Linaclotide A Neuroimaging of the brain-gut axis:
SII avec diarrhée from basic understanding to treatment
Antagonistes 5-HT3 A ** of functional GI disorders. Gastro-
enterology 2006;131:1925-42.
Antidépresseurs à faible dose A
5. Bonaz B, Sabate JM. Le dysfonction-
Hypersensibilité viscérale Antiépileptique à faible dose C
nement du brain-gut. Gastroenterol
Prégabaline B Clin Biol 2009;33:S49-58.
Stabilisateur des mastocytes B 6. Camilleri M. Peripheral mechanisms
Activation immunitaire (ketotifene, cromoglycate) in irritable bowel syndrome. N Engl J
Prednisolone C Med 2012;367:1626-35.
Perméabilité intestinale accrue Probiotiques C 7. Ohman L, Simren M. Pathogenesis of
Probiotiques B IBS: role of inflammation, immunity
Prébiotiques
and neuroimmune interactions. Nat
Dysbiose
Rev Gastroenterol Hepatol 2010;7:
Antibiotiques (Rifaximine) B 163-73.
Excès d’acides biliaires Colestyramine C 8. Talley NJ. Serotoninergic neuroenteric
endoluminaux Probiotiques C modulators. Lancet 2001;358:2061-8.
Alternatives non médicamenteuses A/B 9. Camilleri M, Madsen K, Spiller T, et al.
Troubles psychologiques
(hypnose, relaxation, Intestinal barrier function in health
et de l’humeur
sophrologie, psychothérapie…)
and gastrointestinal disease. Neuro-
* Agonistes 5-HT4: le tégaserod a été testé dans l’indication syndrome de l’intestin irritable avant que sa gastroenterol Motil 2012;24: 503-12.
prescription soit interrompue pour des raisons de sécurité d’utilisation (troubles du rythme cardiaque). Le
prucalopride, agoniste très sélectif des récepteurs 5HT4 (pas d’effet cardiaque) n’a pour l’instant pas 10. Simren M, Barbara G, Flint HJ, et al.
d’indication pour soulager la douleur abdominale du syndrome de l’intestin irritable.
Intestinal microbiota in functional
** L’option des antagonistes des récepteurs 5HT3 est pour l’instant mise de côté à cause de la survenue des
colites ischémiques observées avec l’alosétron. bowel disorders: a Rome foundation
report. Gut 2012 (sous presse).
11. Lin HC. Small intestinal bacterial over-
durée ? cette option est-elle sans growth: a framework for understan-
De la physiopathologie ding irritable bowel syndrome. JAMA
risque sur le long terme ?
à la prise en charge [16-21] 2004;292:852-8.
La situation idéale serait de pouvoir
12. King TS, Elia M, Hunter JO. Abnormal
La multiplication des pistes physiopa- disposer largement de tests simples et
colonic fermentation in Irritable
thologiques rend logique de traiter les peu invasifs pour approcher la phy- Bowel Syndrome. Lancet 1998;352:
malades souffrant d’un SII avec siopathologie des symptômes chez un 1187-9.
d’autres alternatives que les seuls anti- malade donné. Cette situation n’existe 13. Chassard C, Dapoigny M, Scott KP, et
spasmodiques quand ceux-ci, toujours pas actuellement. Le traitement dans al. Functional dysbiosis within the gut
prescrits en première intention, sont les formes qui ne sont qu’imparfaite- microbiota of patients with constipa-
inefficaces. ment améliorées par les antispasmo- ted-irritable bowel syndrome. Aliment
Le tableau ci-dessus résume les options diques repose donc sur un essai empi- Pharmacol Ther 2012;35:828-38.
thérapeutiques possibles avec leur rique de différentes alternatives 14. Shepherd SJ, Gibson PR. Fructose
niveau de preuve actuel [16]. éventuellement combinées. malabsorption and symptoms of irri-
table bowl syndrome: guidelines for
Les données actuelles suggèrent que the effective dietary management. J
les probiotiques peuvent être une option AM Diet Assoc 2006;106:1631-9.
thérapeutique. Il reste à répondre à Références
15. Wood JD. Neuropathophysiology of
plusieurs questions : quelles sont les 1. Ropert A. Troubles de la motricité functional gastrointestinal disorders.
souches utiles ? souche unique ou intestinale et hypersensibilité viscérale World J Gastroenterol 2007;13:1313-
association ? quelle dose et quelle dans le syndrome de l’intestin irri- 32.

194 • • • • • •
16. Ducrotté P. Options thérapeutiques ments for the management of irritable fied further analysis based on
médicamenteuses et diététiques bowel syndrome. Cochrane Database European Medicines Agency-specified
actuelles. Gastroenterol Clin Biol Syst Rev 2009;1:CD00642. endpoints. Aliment Pharmacol Ther
2009;33:S68-78. 19. Barbara G, Zecchi L, Barbaro R, et al. 2012 (sous presse) doi: 10.1111/
17. Ruepert L, Quatero AO, Van der Heiden Mucosal permeability and immune apt.12123
GJ, et al. Bulking agents, anti-spas- activation as potential therapeutic tar- 21. Klooker TK, Braak B, Koopman KE,
modics and antidepressants for the gets of probiotics in irritable bowel et al. The mast cell stabiliser keto-
treatment of irritable bowel syndrome. syndrome. J Clin Gastroenterol 2012; tifen decreases visceral hypersensi-
Cochrane Database Syst Rev 2011; 46:S52-5. tivity and improves intestinal
10(8):CD003460. 20. Quigley EM, Tack J, Chey WD, et al symptoms in patients with irritable
18. Zidenbos IL, de Wit NJ, Van der Randomised clinical trials: linaclotide bowel syndrome. Gut 2010;59:1213-
Heiden GJ, et al. Psychological treat- phase 3 studies in IBS-C - a prespeci- 21.

Les 5 points forts


➊ Le syndrome de l’intestin irritable est une maladie multifactorielle.
➋ L’hypersensibilité viscérale, qu’elle soit d’origine périphérique (sensibili-
sation des neurones afférents primaires intestinaux) et/ou centrale (ampli-
fication médullaire des influx sensitifs d’origine digestive, perturbation
de leur intégration cérébrale, altération des contrôles inhibiteurs diffus)
est un élément physiopathologique essentiel.
➌ Une perméabilité paracellulaire accrue est un élément important dans la
sensibilisation des terminaisons sensitives digestives.
➍ Le rôle délétère du microbiote est probable mais les arguments en faveur
de cette hypothèse physiopathologique ne sont encore qu’indirects.
➎ Les troubles psychologiques, les perturbations de l’humeur, l’exposition
à un stress chronique influencent l’intégration cérébrale des influx sen-
sitifs, ont un impact au niveau digestif (perméabilité intestinale accrue,
entretien d’une activation immunitaire et d’une éventuelle inflammation
de bas grade) et conditionnent l’importance du recours aux soins.

• • • • • • 195
Question à choix multiple

Question 1
Parmi les affirmations suivantes concernant la physiopathologie du syndrome de l’intestin irritable, quelles sont
celles qui sont exactes ?
❏ A. Les troubles de la motricité intestinale sont limités au côlon
❏ B. L’hypersensibilité viscérale est l’élément physiopathologique majeur de ce syndrome
❏ C. Une pullulation bactérienne endoluminale existe chez plus d’un malade sur deux
❏ D. La diminution des acides biliaires endoluminaux joue un rôle dans l’apparition des symptômes
❏ E. Une perméabilité paracellulaire intestinale accrue existe chez environ 40 % des malades

Question 2
Quelles sont les propositions exactes concernant l’hypersensibilité au cours du syndrome de l’intestin irritable ?
❏ A. Elle est observée surtout chez les malades souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable avec constipation
❏ B. Elle est favorisée par une augmentation de la perméabilité paracellulaire intestinale
❏ C. Elle est entretenue par une inflammation intestinale de bas grade
❏ D. Elle peut être d’origine centrale et secondaire à une perturbation de l’intégration centrale des messages
sensitifs d’origine digestive
❏ E. Les mastocytes pariétaux sont impliqués dans la genèse de l’hypersensibilité

Question 3
Parmi les propositions suivantes sur les relations entre microbiote et syndrome de l’intestin irritable, quelles sont
celles qui sont exactes ?
❏ A. L’existence d’une dysbiose est démontrée au moins dans un sous-groupe de malades souffrant d’un syndrome
de l’intestin irritable
❏ B. Les anomalies observées sont davantage un excès de bactéries endoluminales (pullulation bactérienne) que
des anomalies qualitatives d’une flore quantitativement normale
❏ C. Aucune étude n’a démontré l’intérêt d’un traitement antibiotique au cours du syndrome de l’intestin irritable
❏ D. La dysbiose joue un rôle dans la genèse de l’hypersensibilité viscérale
❏ E. La dysbiose est un facteur à prendre en compte dans les troubles de l’humeur décrits par les malades

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