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GRIBAUDI/RIOT-SARCEY, 1848 La Révolution oubliée, La

Découverte, 2008
BIOGRAPHIE
Maurizio Gribaudi est un historien et directeur d’études et du laboratoire de démographie historique
de l’EHESS. Il étudie le développement urbain et social de Paris, l’histoire des Parisiens populaires
et la classe ouvrière du XIXe siècle. A ses yeux, le sujet de l’histoire sociale parisienne n’est pas
reconnu à sa juste valeur.

Michelle Riot-Sarcey, née en 1943, est une professeure émérite d’histoire contemporaine et
d’histoire du genre à l’université Paris-VIII-Saint-Denis, spécialiste du féminisme, de la politique et
des révolutions du XIXe siècle. Elle est auteure de plusieurs ouvrages et articles sur l’histoire
politique du XIXe siècle, sur les utopies, le féminisme et la question du genre.

1848 La Révolution se concentre sur la révolution de 1848 qui a mis fin à la Monarchie de Juillet, et
la mise en place de la IIe République en France. Gribaudi et Riot-Sacrey s’attachent à retranscrire
précisément, à la manière d’une chronique, les chamboulements issus des insurrections populaires.
Les auteurs éclairent un évènement fondateur dans l’Histoire de la France, pourtant oublié. En
1848, le peuple français est porté par l’idée d’une République sociale, sans cesse tue par l’ordre
politique, qui finit par la condamner et la faire disparaître.

Cette chronique de 1848 s’appuie sur de nombreuses sources de contemporains, notamment des
auteurs comme Flaubert, Sand, Hippolyte Castille ou Lamartine (qui est aussi homme politique) ou
encore le magistrat, philosophe et homme politique Alexis de Tocqueville. 1848 La Révolution
oubliée est parsemée de citations de leurs ouvrages respectifs et de documents historiques.

RÉSUMÉ
I – Le temps des possibles
1. Prologue
En 1848, la France est gouvernée par Louis-Philippe, âgé de 75 ans et monté au trône après la
révolution de juillet de 1830. Il succède à Charles X, qui lui-même avait succédé à Louis XVIII.
Restauration et Monarchie de Juillet ont fait face à de nombreux mouvements d’opposition :
oppositions des libéraux, du peuple en général, mouvements ouvriers... L’extraordinaire profusion
d’idées nouvelles pendant la première moitié du XIX e siècle et la révolution industrielle ont
contribué aux bouleversements sociaux. En effet, les idées libérales modernes, républicaines,
socialistes et communistes voient le jour.

La révolution de 1848 se caractérise par son côté imprévisible et sa rapidité. Ses causes sont
nombreuses : émeute, suicide, révélation d’une corruption, chômage, crise agricole… La majorité
conservatrice pourtant ne se doutait pas le moins du monde qu’une telle révolution se lève à Paris.
François Guizot, chef du gouvernement, est convaincu de la solidité du régime. Soutenu par Louis-
Philippe, il croit inutile d’autoriser l’élargissement du suffrage, qui interdit classes populaires et
petite bourgeoisie.

Du 9 juillet 1847 au 22 février 1848, 50 banquets sont organisés dans 28 départements, réunissant
20 000 souscripteurs. C’est lors de ces rassemblements que les partisans de l’élargissement du
suffrage se retrouvent. Un banquet est organisé à Paris pour le 30 décembre 1847, or le
gouvernement s’y oppose. La date est repoussée au 22 février 1848. De nouveau, l’on interdit la
mise en place de ce banquet.

2. Paris s’embrase
Mardi 22 février, une foule inhabituelle anime les rues parisiennes, réunissant étudiants, femmes,
ouvriers, artisans, enfants… Les gens s’amassent sans cesse, mais la foule reste immobile, jusqu’à
ce que deux détachements de gardes municipaux traversent la place. Des centaines d’étudiants
chantent la Marseillaise et échangent des paroles de haine avec les ouvriers contre le gouvernement.
La foule est contrainte de quitter la place, la garde municipale est chargée de faire évacuer tout le
monde. Le ton monte et la garde donne des coups de sabre sur la foule qui commence à manifester
sa colère. Intimidés, les manifestants se replient, dressent des barricades. Le préfet refuse d’envoyer
la Garde nationale malgré l’agitation, considérant cette milice bourgeoise peu sûre. L’armée est plus
fiable.

Le lendemain matin, le silence règne. La mémoire de 1789 est prête à resurgir, tout le monde attend
que quelque chose se passe, dans les deux partis. La Garde nationale est finalement envoyée. Aucun
des gardes ne souhaite la révolution mais ils redoutent une guerre civile. Le peuple apprend le
remplacement de Guizot par Molé, ce qui se montre être une première victoire. Sans réellement
d’explications, un tir s’abat sur la foule. D’autres surgissent et engendrent plusieurs morts. Les
cadavres sont hissés sur un chariot et promenés dans Paris.

Molé démissionne. Thiers le remplace. Pendant ce temps, les insurgés contrôlent les points les plus
stratégiques. Alors que l’ordre politique vacille, la résistance s’ordonne. Elle est confrontée à la
Garde Nationale, l’émeute se transforme en révolution. Les gardes tentent de détruire toutes les
barricades, en vain. Elle est inefficace et certains membres rejoignent le peuple. Face à
l’impuissance des autorités, Louis-Philippe se voit contraint de reformer le ministère et dissoudre la
Chambre.

La foule s’empare de l’Hôtel de Ville et du Palais-Royal. Affolé, le roi annonce son abdication.
Cette décision résulte surtout de la prise du Château d’eau par le peuple, point ô combien
stratégique à Paris.

3. La France bascule
La Garde nationale rejoint les insurgés, l’armée est spectatrice du désastre. La famille royale essaie
de s’enfuir en voiture, avec pour projet de remplacer Louis-Philippe par son fils Louis-Philippe
d’Orléans. Le peuple parvient aisément à pénétrer dans le Palais des Tuileries, où se tenait la famille
royale quelques secondes plus tôt. Les insurgés la voient partir vers la Chambre. Ils décident de s’y
rendre pour empêcher la régence. Les autres qui restent dans le palais prennent plaisir à le saccager.
Ils s’approprient tout pour se venger et affirmer leur supériorité, leur victoire.

Le peuple reste respectueux de la propriété : la plupart des insurgés veulent protéger les biens du
palais. Le trône est brûlé, et symbolise la mort de la fonction du roi (non pas la mort de Louis-
Philippe). Dans la rue, plusieurs insurgés réclament la République. Les deux journaux La Réforme
et National s’apprêtent à constituer un gouvernement provisoire. Les membres du National
présentent au public une première liste, mélangeant républicains modérés et opposants à la
monarchie, dont François Arago, Garnier-Pagès… Louis Blanc demande l’ajout d’un ouvrier, car le
peuple n’était pas représenté, alors que c’est lui qui a fait la révolution.

Or, un gouvernement est déjà constitué dans la Chambre. Dans l’Assemblée, des débats prennent
lieu. En plein milieu surgit la duchesse et Louis-Philippe d’Orléans. Le peuple débarque peu de
temps après dans l’hémicycle, armé et bruyant. Avant de les laisser semer la terreur, Ledru-Rollin
prend la parole au nom du peuple et proclame la formation d’un gouvernement provisoire.
Lamartine prend la parole à son tour, tout le monde s’attendant à ce qu’il défende la régence. Or, il
n’en est rien. Il défend la constitution du gouvernement provisoire. L’Assemblée est évacuée.

Environ 600 personnes se dirigent vers l’Hôtel de Ville, dans un cortège organisé, Lamartine en
tête. Une foule impressionnante se forme, réclamant la République. Lamartine, Dupont et les autres
de la liste du gouvernement provisoire se barricadent dans l’Hôtel de Ville pour réfléchir à la
situation. Louis Blanc et Ferdinand Flocon s’incrustent, souhaitent entrer au gouvernement
provisoire comme l’ont voulu les assemblées populaires. Lamartine et les autres refusent. Blanc et
Flocon finissent par être nommés secrétaires du gouvernement.

Il faut maintenant réfléchir à quelle République mettre en place. Le gouvernement ne changera pas,
et gardera les anciens députés, qui représentent la bourgeoisie, songeant toujours à la régence et
subissant la révolution. Dans le gouvernement provisoire, Flocon et Ledru-Rollin représentent le
parti démocratique, Louis Blanc et Albert composent l’élément socialiste. Le parti populaire occupe
le ministère de l’Intérieur et la préfecture de police.

4. Quelle République ?
Les membres du Gouvernement provisoire n’ont pas acquis la confiance de la population et se
disputent entre eux. L’hétérogénéité des membres crée de la discorde. Les barricades sont
maintenues, le peuple garde ses armes. Le gouvernement légitime son autorité par une série de
décrets. Le peuple demande le droit au travail. Louis Blanc promet d’inscrire dans la loi ce droit, en
vain.

Le peuple exige une République sociale. Le 25 février, Lamartine décide de se rendre au devant de
la foule mécontente pour annoncer que jamais le drapeau rouge ne verra le jour. Il faut garder le
drapeau tricolore, signe de victoire et de prestige. Le peuple l’acclame, conquis par son discours, et
repart chez lui. Lamartine réussit à déjouer l’envie populaire du drapeau rouge : « Le drapeau
tricolore a fait le tour du Monde avec nos libertés et nos gloires tandis que le drapeau rouge n’a
fait que le tour du Champs de Mars, baigné dans le sang du peuple ».

Le peuple contrôle Paris, veille sur les biens publics et privés, commande et punit. Il n’y a plus de
soldat, de police, de Garde nationale. Les autres classes sont terrorisées. Le préfet Caussidière fait
paraître une ordonnance demandant le rétablissement de la circulation des grandes lignes. Le
lendemain, les barricades sont supprimées.

II – De mars au 15 mai : de la République sociale à l’impossible République


5. Les premiers pas de la République
Les républicains victorieux ont beaucoup à faire : rendre Paris circulable, satisfaire les
revendications ouvrières, apaiser les craintes… Le gouvernement provisoire cherche à réparer les
injustices. Dès le 24 février, les détenus politiques sont libérés. Le 25, la liberté d’association est
proclamée et le droit au travail garanti. Des revendications surgissent : diminution du temps de
travail, augmentation des salaires. Il faut mettre en place un « juste salaire », en fonction du temps
passé à travailler plutôt que du prix payé à la pièce.

Le 27 février, le gouvernement provisoire proclame la République nouvelle, en organisant une fête


officielle. Les armes laissent place aux chants et à l’euphorie collective. La cérémonie est
grandiose. La IIe République se met en scène en affichant un ensemble harmonieux où convergent
tous les intérêts de la société. Joie, fraternité et concorde s’installent. Le peuple se sent devenir
citoyen.

Les ouvriers se rassemblent au sein de leurs associations, réclamant une véritable organisation du
travail. Le droit à l’association enfin proclamé, les ouvriers se sentent libérés. Grâce à la liberté de
presse, la classe ouvrière est soutenue par les journaux. Ainsi est créée la Commission du
Luxembourg au printemps 1848, chargée de réfléchir et proposer une nouvelle organisation du
travail pour améliorer le sort des travailleurs, sous la présidence de Louis Blanc.

Les revendications les plus immédiates de la part des ouvriers sont l’augmentation des salaires et la
diminution du temps de travail. Le 1er mars, 200 ouvriers de différents corps d’État sont réunis au
palais du Luxembourg afin d’aider le gouvernement à résoudre la grande question du travail. Le 2
mars, la durée du travail est limitée à 10 heures à Paris et 11 heures en province, mais nombre
d’employeurs refusent d’appliquer la loi. Les ouvriers s’en remettent au gouvernement pour rendre
justice. Les ouvriers cherchent à anéantir toutes les inégalités via des pétitions, demandes, projets…
Il y a la volonté sérieuse et l’espoir de réformer la société.

Le 27 février 1848, les Ateliers Nationaux sont ouverts pour répondre à l’urgence et garantir le
travail pour tous, dans un contexte où le chômage est répandu. Dès le 15 mars, l’on recense 15 000
chômeurs à Paris, un chiffre conséquent, qui amène le gouvernement à avouer son impuissance pour
répondre à tous ces besoins : il n’y a pas assez de postes pour tout le monde. Le 10 avril 1848 sont
ouverts les Ateliers Nationaux féminins, résultat de nombreuses pétitions et réclamations. Les
femmes se révoltent, car ces ateliers sont menés par des hommes, et que le travail n’est pas
justement rétribué.

6. Attentes et affrontements
Le gouvernement provisoire organise les funérailles des insurgés morts sur les barricades, afin de
célébrer l’unité de la nation. Il faut prouver aux provinciaux sceptiques et aux autres Européens que
la République est unie. Tout Paris accourt aux funérailles dans une sympathie générale. Les sources
qui nous parviennent aujourd’hui soulignent l’unisson qui caractérisait le peuple français ce jour-ci.

Face à toutes les activités de la Commission du Luxembourg (réduction du temps de travail + droit
de manifestation et d’association…), les conservateurs craignent la propagation du communisme.
De plus, l’abolition des titres de noblesse et des titres distinctifs au sein de la Garde nationale
confondent la haute bourgeoisie avec le peuple. Le 16 mars, moins de 60 000 gardes nationaux
marchent sur l’Hôtel de Ville pour faire retirer cette dernière abolition et faire pression sur le
gouvernement. Celle-ci croît davantage après que Garnier-Pagès, ministre des Finances, fait paraître
le 16 mars le décret « des 45 centimes », qui augmente de 45 % les impôts.

Se forme dans les clubs politiques de gauche l’idée d’une grande manifestation populaire pour
soutenir le gouvernement et l’orienter dans une direction plus radicale et sociale. Selon Hippolyte
Castille et Proudhon, cette manifestation n’était qu’un prétexte pour épurer le gouvernement de ses
membres conservateurs. Le 17 mars, ce mouvement prend lieu aux Champs-Elysées et rassemble
plusieurs milliers de personnes. Le peuple se rend à l’Hôtel de Ville et demande aux membres du
gouvernement d’ajourner les élections de la Garde et de l’Assemblée nationale. Le gouvernement
accepte de reporter ces élections, ce qui entraîne une euphorie collective. Cette joie se traduit par la
plantation d’arbres de la liberté.

La liberté d’expression et de presse permettent la prolifération de journaux politiques (environ 739


selon Hippolyte Castille). Il y aurait 450 clubs officiellement ouverts à Paris, chacun voulant
gouverner la France. Ce foisonnement de paroles entraîne une cacophonie incontrôlable : les
contemporains se plaignent de ne plus rien comprendre. Parmi les clubs les plus populaires se
retrouvent le Club Blanqui, dont les membres s’amusent à critiquer et menacer les riches ; le Club
de la révolution, tenu par Armand Barbès, où l’on traite des questions politiques et sociales sans se
montrer hostile au gouvernement provisoire ; le Club des Amis du peuple, ouvert par Raspail, qui
rassemble environ 6000 personnes tous les soirs, et qui bascule dans des discussions communistes.
Ces clubs font croire que tout est possible, même les réformes les plus utopiques, comme l’égalité
des sexes.

Un vent de révolte se met à souffler sur l’Europe depuis les manifestations populaires du royaume
des Deux-Siciles en janvier 1848. Le peuples veulent se libérer des pouvoirs autoritaires et
multiplient leurs revendications. Une révolution éclate dans toute l’Europe : c’est le Printemps des
Peuples. Partout, l’insurrection est victorieuse. Les rois d’Europe écoutent les peuples et se plient à
leurs revendications, ce qui réjouit tous les courants républicains socialistes. Les exilés politiques
reviennent dans leurs pays, mais la population les soutient ou se montre hostile. Ils sont assimilés
aux travailleurs étrangers vivant en France. Les rixes se multiplient sur les lieux de travail,
l’hostilité est de plus en plus ostentatoire.

Les autorités, surtout le Ministère de l’Intérieur, aident donc les exilés installés en France à revenir
dans leurs pays. Or, leur position est ambiguë : cherchent-elles à aider les exilés ou à se débarrasser
de la main d’œuvre encombrante ? Le gouvernement provisoire se fissure de plus en plus, car ses
membres soutiennent les exilés pour différentes raisons. Pourtant, l’unanimité se ressent lorsque
l’abolition de l’esclave est promulguée le 27 avril 1848, une mesure attendue depuis très longtemps.

Les esclaves se rebellaient de plus en plus. Les violations de domicile, les incendies suspects et les
évasions dans les plantations se multipliaient. La République signifiant égalité, elle devait
s’appliquer logiquement dans les colonies. Les esclaves ne manquent pas de le faire savoir,
notamment par l’insurrection du 22 mai en Martinique, qui cause 35 morts. L’abolition de
l’esclavage devenait une urgence.

7. Les espoirs brisés


Dès mars 1848, le nombre de chômeurs s’accroît et les Ateliers Nationaux peinent de plus en plus à
y faire face. La récente démonstration de force du monde de travail inquiète conservateurs,
républicains et libéraux, d’autant plus que les élections arrivent bientôt. Le gouvernement est de
plus en plus fragile avec les dissensions entre les différents membres. Divers complots fissurent le
groupe, et les clubs en profitent pour accentuer cette déstabilisation. Les responsables des
principaux clubs socialistes fondent le Comité Central, pour infléchir la politique du gouvernement
en faveur du peuple.

Le 16 avril prend lieu une manifestation réunissant au moins 30 000 ouvriers sur le Champ-de-
Mars. S’ajoutent 100 000 autres hommes, issus des banlieues et de la Garde nationale. Le
regroupement se montre pacifique, et demande une organisation du travail. Or, les manifestants sont
encerclés par 5 colonnes de gardes nationaux armés, qui font cesser le mouvement. L’espoir de
changer le quotidien des prolétaires s’est progressivement effacé.

Des rumeurs circulent et affirment que les délégués du Luxembourg s’enrichissent, ce qui fait
monter la colère des ouvriers envers les républicains, d’autant plus que ceux-ci sont désespérés suite
à l’échec du 16 avril. Une hostilité envers le communisme se répand. Or, les communistes ne sont
qu’une minorité des socialistes. Les clubs deviennent conspirateurs. A Paris, tout le monde veut
emprisonner tout le monde : les maires pressent Marrast pour faire arrêter Louis Blanc, tandis que
l’on se rend dans les clubs de Blanqui et Cabet dans l’intention de mettre la main sur eux. La fête de
la fraternité du 20 mai apaise les conflits. Tout se passe dans le plus grand des bonheurs.

Malgré les efforts des républicains, les élections n’ont pu être retardées que jusqu’au mois d’avril.
Les femmes en profitent pour revendiquer le droit de vote pour un réel suffrage universel, en vain.

Les rumeurs antirépublicaines se sont répandues en province, ainsi que la menace de partage des
propriétés. Les ouvriers se soulèvent : à Lyon, les canuts attaquent les couvents ; à Limoges, les
ouvriers en grève attaquent les patrons… Des bureaux de poste sont détruits, des trains sont
détournés… Des actes xénophobes et antisémites sont observés partout. Dans les provinces, les
partis royalistes et libéraux se mobilisent en présentant des listes « républicaines » où dominent les
notables locaux, dont Alexis de Tocqueville. Ils sont écoutés et entendus par les campagnards. Les
socialistes sont devenus illégitimes, car leurs idées utopiques les rendent dangereux. Ce sont donc
majoritairement les notables qui remportent les élections du 23 avril.
Celles-ci sont vécues comme un succès sans précédent pour le peuple, qui se rassemble dans un
élan de fraternité. Sur les 9 000 000 inscrits, il y a presque 8 000 000 de votants, ce qui assure une
légitimité incontestable pour les élus. L’influence des notabilités est écrasante. Sur les 900 députés
de l’Assemblée constituante, il y a 450 sièges de républicains modérés, 200 républicains avancés,
200 orléanistes et 50 légitimistes. Les ouvriers cachent un temps leur déception, mais des révoltes
se produisent. Les ouvriers arrachent les bulletins de vote aux mains des scrutateurs, désarment la
Garde nationale, courent aux armes… La répression est sévère.

La nouvelle Assemblée est réunie le 4 mai et proclame la République. Une Commission du pouvoir
exécutif est constituée. Composée de cinq membres, elle désigne elle-même les ministres. Ces
membres sont Arago, Garnier-Pagès, Marie, Larmartine et Ledru-Rollin. La Commission du
Luxembourg est remplacée. Il y a beaucoup de tensions : la police épie les clubs, les chômeurs aux
Ateliers Nationaux grandissent et l’impôt des 45 centimes continue d’embraser le peuple.

La Prusse, avec l’accord de l’Autriche et de la Russie, vient de s’emparer d’une partie du territoire
polonais. Les paysans polonais qui se sont révoltés sont réprimés cruellement. Les Français sont
touchés et compatissent avec ce peuple opprimé. Le 15 mai, entre 40 000 et 10 000 personnes
s’engagent sur les boulevards parisiens pour demander l’intervention de la France en faveur de la
Pologne. Barbès cherche à faire cesser ce désordre en envoyant la Garde nationale, qui finit par
laisser le peuple manifester. Celui-ci force les portes de l’Assemblée nationale et envahit la salle.

Barbès se rallie aux manifestants. On proclame la dissolution de l’Assemblée. Les insurgés se


dirigent vers l’Hôtel de Ville et proclament un nouveau gouvernement. La Commission exécutive
s’installe au Luxembourg, tandis que les chefs des émeutiers (Barbès, Albert, Sobrier, Blanqui,
Raspail…) sont arrêtés. Il y a tout 400 arrestations. Pour faire cesser cette anarchie, la Commission
exécutive imagine célébrer la fête de la Concorde. Le jour de la célébration, la liberté, l’égalité et la
fraternité incarnent plus que jamais la France républicaine. Or, le peuple comprend grâce à cette
fête que la Commission ne sait plus manier l’art de gouverner. Les gens tournent cette célébration
en ridicule.

III – Juin 1848 : L’insoutenable émeute


8. L’insurrection du désespoir
L’idée de confier le pouvoir exécutif à un président élu se propage. En parallèle, les élections
partielles doivent être organisées les 4 et 5 juin. Les partis politiques sont de plus en plus belliqueux
et les ouvriers sans emplois se multiplient. Selon Lamartine, ils risquent de créer le désordre. Les
membres des clubs incitent les ouvriers à signer une pétition demandant la destitution du directeur
des Ateliers. Ceux-ci manifestent dans Paris et réclament le renversement du gouvernement. En
réaction, une loi est votée le 7 juin contre les attroupements. Les insurgés inspirent la peur. En
parallèle, les femmes se font entendre, notamment Eugénie Niboyet dans son journal La Voix des
femmes. Les femmes veulent devenir citoyennes, l’égalité des sexes et le rétablissement de la loi sur
le divorce. Or, aucun des partis politiques ne souhaite la liberté des femmes.

Les élections partielles du 4 et 5 juin voient la surprenante élection de Louis-Napoléon Bonaparte


dans 3 départements. Lamartine voit en cet homme un danger, et demande la confirmation de la loi
de proscription de la famille Bonaparte votée en 1832. Louis-Napoléon Bonaparte s’apprête à
revenir de son exil à Londres, mais Lamartine fait passer un décret interdisant ce retour. Napoléon
rejette habilement sa nomination.

Avant même que le décret ne soit pris, Falloux, nommé directeur de la commission parlementaire,
répand la nouvelle de la fermeture définitive des Ateliers nationaux. Ne sachant comment nourrir
les 130 000 chômeurs qui affluaient aux Ateliers, le ministres des Travaux public signe un arrêté
qui invite tous les citoyens entre 10 et 20 ans à prendre du service comme soldats, ou bien partir
vers les provinces. Le 21 juin, des groupes manifestent dans les rues de Paris. Le lendemain, la
capitale est sillonnée d’au moins 100 cortèges ouvriers. Tous les arrondissements populaires se
couvrent de barricades. Le peuple devient professionnel, il les construit avec la science d’un maître.

Au 23 juin, 8000 manifestants atteignent la Bastille et rendent hommage aux combattants de 1830 et
de Février. Cavaignac, nommé commandant en chef des armées, répond à ce regroupement en
envoyant une troupe de 23 000 hommes. La majorité de la Commission exécutive souhaite éviter les
combats, mais Cavaignac n’est pas d’accord. La lutte commence donc. Le soulèvement des insurgés
soulèvent des questions : pourquoi se soulèvent-ils ? Les républicains ne peuvent entendre qu’il
s’agit d’une révolte de la misère.

Les insurgés contrôlent la moitié de la ville. Cavaignac mène une répression sévère. Les jeunes
gardes mobiles, excités par le combat, sont les meilleurs alliés de la réaction et ont provoqué les
attaques les plus meurtrières. Pourtant, les ouvriers résistent.

9. « Vaincre ou périr »
Les ouvriers gagnent même du terrain et renforce le désespoir des gardes nationaux. Les
républicains considèrent les insurgés comme des « canailles », « voleurs » et « pilleurs », vision
partagée avec la population rurale. Les autorités cherchent à retirer le sens politique de la révolte.
Les membres de la Commission exécutive sont au plus mal, car ils sont contraints à la démission, et
car l’état de siège est voté. Immédiatement après leurs démissions, le général Cavaignac est élu chef
du pouvoir exécutif. Dès lors, une série de lois d’exception réglementent l’ordre public et musèlent
l’affichage politique.

Pour mettre fin aux combats, l’Assemblée nomme 60 commissaires chargés de sillonner la ville et
rendre compte des décisions du pouvoir, afin de raisonner les « bons » combattants. Le peuple est
comblé de joie en apprenant la fin de la Commission exécutive. Le combat ne se termine pas pour
autant : les insurgés se démarquent par leur ingéniosité : ils parviennent à construire un canon,
recycler les objets et les transformer en projectiles… Les pertes sont nombreuses mais les insurgés
maintiennent leurs positions.

Le camp de l’ordre finit par triompher dans une mare de sang et de violence. Beaucoup de
prisonniers sont abattus, les insurgés sans armes sont battus… Une atmosphère de folie meurtrière
se déverse sur la capitale. Des actes de cannibalisme et de vandalisme sont relevés ici et là. Les
journaux royalistes écrivent de nombreuses calomnies sur les ouvriers.

Le combat reprend le 25 juin : les insurgés cherchent vengeance. Cavaignac affiche une
proclamation où il laisse une dernière chance aux ouvriers de se rendre. Il interdit aussi les clubs et
les journaux les plus dangereux. Or, les ouvriers perçoivent la proclamation comme un piège et
reprennent encore plus violemment la lutte. Ils avaient juste, car les plus crédules d’entre eux qui se
sont rendus ont fini tués. La révolte engendre des pertes conséquentes chez les deux partis, si bien
que même le gardes sont découragés.

Les insurgés tuent le général Bréa, qui souhaitait discuter avec eux. Le général croit en une
négociation, mais son assassinat relève d’une violence gratuite. Il est le martyr de la conciliation,
tout comme Mgr Affre, partisan de la négociation. Il a la réputation d’être un homme bon à la
recherche de la conciliation. Lorsque l’archevêque s’avance Place de la Bastille, les tirs se
suspendent, mais il se prend une balle, qui l’achève quelques instants plus tard. L’on ne sait qui a
tiré, mais sa mort est vécu comme une véritable catastrophe des deux côtés.

Les autorités locales cherchent à comprendre l’insurrection via les citoyens ordinaires. Ceux-ci
répondent que les insurgés veulent une République démocratique et sociale. Les insurgés acceptent
de capituler sous certaines conditions, notamment le décret du droit au travail, la rédaction de la
Constitution par le peuple lui-même… Cavaignac refuse tout compromis, et exige une capitulation
totale, car l’armée ne pourrait supporter l’humiliation de ces concessions.

Au matin du 26 juin, l’armée attaque avec toutes les forces militaires dont elle dispose. Les insurgés
comprennent qu’ils ne peuvent plus tenir et abandonnent les combats. La répression est dure :
hommes, femmes et enfants sont fusillés.

10. Mort aux vaincus !


Malgré la maîtrise de l’insurrection, les vainqueurs s’acharnent à détruire les factieux encore
debout. Ceux qui ont fui sont recherchés. Avec la censure, aucun journal ne peut parler des atrocités
contre les insurgés. Les gardes nationaux se vengent des journaux, des clubs, des attroupements, des
doctrines… Les habitants des quartiers huppés manifestent enfin leur joie, tout comme l’armée et la
Garde nationale qui affichent leur triomphe. Les lynchages et exécutions sommaires persistent.

L’ampleur du massacre est impossible à estimer, car le nombre de victimes exécutées sans jugement
n’a pas été pris en compte. Les historiens estiment entre 7000 et 10000 morts. Il y a tellement de
prisonniers que les prisons sont pleines. Ainsi, les souterrains des bâtiments officiels (Hôtel de
Ville, Palais des Tuileries...) servent de cellules, mais les conditions sont misérables.

Cavaignac maintient ses lois d’exception. Il publie toute une série de décrets répressifs en tant que
« chef du pouvoir exécutif ». Il reçoit le 28 juin le titre de « président du Conseil des ministres ».
Au sein du cabinet de Cavignac sont rassemblées toutes les personnalités qui ont soutenu ses efforts
de « remise en ordre » de la société. Paris rend hommage aux soldats tombés au combat. La ville est
en deuil. Les funérailles publiques n’attire aucun membre du peuple. Les quartiers populaires ne
sont pas approchés par peur de ceux qui y habitent.

Cavaignac prépare les conseils de guerre pour juger les insurgés. Une distinction est établie entre
eux : certains sont passibles du conseil de guerre, d’autres sont transportés hors de France, d’autres
sont déportés, principalement en Algérie.

11. L’amnésie de la révolution


Aussitôt après la victoire du parti de l’ordre, la journée de travail est rétablie à 12 heures, les
journaux et les clubs qui troublent l’ordre public sont interdits. Louis-Napoléon Bonaparte est élu
président de la République le 10 décembre 1848 à la grande majorité des voies, transformant la
devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » en « Famille, Travaille, Propriété, Ordre
public ». Le droit de vote est rétréci. Le 2 décembre 1851, Napoléon fait un coup d’État et met fin à
la IIe République, le Second Empire étant promulgué un an plus tard. Ce régime dure 20, jusqu’à ce
que l’Empereur soit renversé le 4 septembre 1870 pour laisser place à la IIIe République.

L’idée de République sociale s’efface peu à peu. Celle-ci est considérée comme l’ennemie du
gouvernement républicain. La répression de juin 1848 a essayé d’éradiquer ceux qui se battaient
pour cette idée. Sous le Second Empire, les travaux Haussmanniens ont achevé le processus
d’effacement de la République sociale en embellissant et assainissant la capitale. La mémoire de la
révolte de 1848, endormie, se réveille en mars 1871 avec la Commune de Paris et ses espérances,
avant que la répression ne brise à nouveau l’expérience d’une République démocratique et sociale.

CONCLUSION
En bref, 1848 La Révolution oubliée est une œuvre qui retrace précisément l’histoire de la France
pendant et après l’installation subite de la IIe République, sans pour autant perdre la compréhension
du lecteur. Malgré une stricte progression chronologique, qui décrit les évènements heure par heure,
l’ouvrage se lit aisément et agréablement, probablement dû au fait que l’écriture est accessible et
que les nombreuses citations d’auteurs contemporains parsèment le texte.

Les propos sont structurés de façon cohérente, sous différentes parties et sous-parties. Nous suivons
un réel fil directeur qui suit les mouvements d’un peuple français porté par leurs idéaux et leurs
revendications de nouveaux droits. En creusant dans les détails de l’époque, Gribaudi et Riot-
Sarcey nous permettent de nous plonger pour un temps en arrière et comprendre comment s’est
déroulée cette révolution aujourd’hui « oubliée ».

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