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Travaux dirigés de droit constitutionnel

Fascicule du premier semestre – Année universitaire 2023-2024


Cours du professeur Tanguy Pasquiet-Briand

Équipe pédagogique :
Madame Mathilde Abla Abalo, ATER
Monsieur Pierre-Alexandre Baubron, Doctorant contractuel
Monsieur Mohamed Ben-Achour, Doctorant contractuel
Monsieur Jonathan Bevis Laujin
Madame Leila Ferdjani
Monsieur Elysée Hator, ATER
Madame Nadiratou Mainassara
Monsieur Joseph Mandjafai
Madame Laurianne Suant
Madame Marie Laurence Yelouassi

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Séance 1 : Éléments de méthodologie et de bibliographie

I- La dissertation juridique

Classiquement, la présentation des principes de la dissertation juridique (A) précédera celle


d’une illustration d’un traitement d’un sujet de dissertation juridique (B).

A- Les principes

Pour l’essentiel, il s’agit de traiter une question juridique rationnellement et personnellement.


Quelle que soit la nature de l’énoncé, il faut être capable de formuler une problématique et d’y
répondre de manière articulée et démonstrative. Si le sujet revêt une forme interrogative, il faut
néanmoins être en mesure d’interroger la pertinence même de la question posée, en la
confrontant aux connaissances acquises lors des enseignements de la matière. Il faut d’emblée
comprendre que la dissertation juridique requiert de poser une question structurante qui
n’appelle qu’une seule réponse fondamentale, constituant la thèse centrale, devant
nécessairement être exprimée par une articulation en deux temps.

1- La détermination de la réponse

La première phase est tellement élémentaire qu’elle est trop souvent éludée : la réflexion autour
des termes du sujet, présupposant une lecture attentive du sujet. Il faut impérativement éviter
de plaquer un récital du cours, dès lors que le sujet proposé renvoie à un point précisément
enseigné. C’est pourquoi il faut, en premier lieu, déconstruire, c’est-à-dire isoler chaque terme
pour en épuiser totalement la signification. Dans cette perspective, il faut donc définir chacun
de ces termes en ne se limitant pas à la seule acception juridique du mot. Il est intéressant de
mobiliser d’autres sciences humaines pour enrichir ce travail de définition, qu’il s’agisse de
l’histoire, bien évidemment, mais également de la philosophie, de la sociologie et de la science
politique. Il faut, en second lieu, confronter ces termes entre eux, à la lumière des définitions
retenues. C’est là, au fond, que surgit la difficulté fondamentale de l’exercice : la problématique
doit procéder de cette confrontation des termes densément définis, dégageant une tension entre
ces termes, que celle-ci soit théorique, historico-pratique (principe/réalité et éventuel
détournement pratique du principe), ou proprement juridique.

Du reste, il ne s’agit pas, si le sujet associe deux termes (exemple classique : décentralisation
et déconcentration) de traiter chaque terme isolément, mais d’associer et d’opposer
continuellement les problèmes juridiques qu’ils suscitent. Pour un sujet énonciatif tel que « Le
Président de la République », il faut d’abord circonscrire la réflexion au cadre temporel actuel
(la Ve République), puis interroger le « pouvoir » présidentiel, en confrontant notamment
l’étendue de ses fonctions et de son statut aux évolutions politico-institutionnelles de la Ve
République.
Fondamentalement, la réponse argumentative constitue le socle de la démonstration. Elle
substantialise l’idée motrice qui tient sur une association, une atténuation, voire une

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contradiction. Ce peut être une distinction chronologique et thématisée pour un sujet purement
historique. La portée de cette idée porte en germes les développements qui suivront et sa
matérialisation apparaît dans le plan.

2- L’élaboration du plan

Le plan retranscrit donc cette idée générale autour de deux pôles qui se subdivisent. L’ensemble
ne doit pas être dilué : il doit y avoir un lien apparent qui peut toutefois fonctionner, on l’a
évoqué, sur le mode de la contradiction. Il n’en demeure pas moins qu’il est souvent utile de
reprendre les termes du sujet dans les titres du plan, de caractériser leur relation, ou de qualifier
leur évolution ou effectivité s’il s’agit notamment d’un principe ou d’une catégorie juridique.
Ce lien est alimenté de façon constante par l’annonce du plan et, plus particulièrement, par les
chapeaux ou transitions entre chaque partie (transition entre les deux parties, chapeaux
introductifs à la suite de la formulation du titre de chacune des deux parties). Les
développements doivent être quantitativement proches. Les titres doivent être cohérents au
regard du sujet proposé, mais aussi les uns par rapport aux autres. Ils doivent être qualifiés, car
la qualification emporte caractérisation et argumentation. Or, chaque sous-partie est, au fond,
un argument qui soutient chacune des deux parties.

3- La rédaction

L’introduction occupe une place prépondérante : elle constitue la première impression du


lecteur mais renferme surtout l’essentiel, à savoir, la justification du traitement du sujet proposé
par le rédacteur (d’où l’annonce finale du plan). Formellement, il est usuel de commencer par
une citation ou une phrase synthétisant l’ensemble de l’idée exposée. Il est essentiel – pour
définir au mieux les termes essentiels du sujet – de situer le cadre du propos général d’où un
recours possible à des matières connexes : l’histoire, la philosophie (etc.). Il faut donc préciser
l’objet de la démonstration, les éléments évacués en fonction de leur pertinence (la dissertation
comporte un choix) et le contexte venant justifier (à la suite de l’analyse minutieuse du sujet)
la façon dont cet objet est abordé et mis en perspective par le plan et les développements. Les
développements des parties doivent répondre aux titres, et ne pas consister en un catalogue de
connaissances, d’autant plus s’ils n’entrent pas dans le traitement de la question. A cet égard, il
faut préférer les connecteurs logiques et éviter les « tout d’abord », « ensuite », « enfin » : il ne
s’agit pas de raconter, narrer : il faut démontrer ! (« si », « or », « donc », « par conséquent »…)
Les transitions entre les parties doivent être fluides, elles permettent de constater la cohérence
d’ensemble. Enfin, à moins d’apporter une ouverture utile sur la question, la conclusion est
déconseillée : l’on évite ainsi les redites, l’on s’épargne un temps précieux car la durée de
l’examen – trois heures – est brève.

Très schématiquement, quelques repères utiles à la rédaction de l’introduction peuvent être


indiqués :
1- Phrase d’accroche (citation), détermination de l’intérêt principal du sujet.
2- Définition juridique des termes centraux du sujet.

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3- Détermination synthétique du contexte historique lié aux termes du sujet. Cette phase peut
faire appel à des notions de droit comparé et à d’autres sciences sociales. Elle se mêle à la phase
précédente.
4- Mention éventuelle des questions qui ne seront pas traitées, formulation d’un choix de
traitement.
5- Enonciation de la problématique, qui doit donc être retranscrite sous la forme d’une question.
6- Annonce du plan.

B- Une illustration

Sujet : La Constitution et la liberté

Lors d’un discours prononcé devant le Tribunat en 1800, le publiciste libéral Benjamin Constant
a affirmé que la Constitution est, « par elle-même un acte de défiance ». L’auteur a entendu
signifier que la Constitution est un texte solennel qui encadre et limite les pouvoirs dans
l’exercice de leurs fonctions, prémunissant ainsi de toute atteinte aux libertés individuelles. La
Constitution est l’expression volontariste d’une défiance à l’égard de toute utilisation arbitraire
du pouvoir. Elle attribue des fonctions du pouvoir aux institutions et les répartit de telle sorte
qu’aucune institution ne puisse s’arroger des fonctions qui ne lui sont pas expressément
dévolues. Dans cette perspective, la Constitution est indissociable de la liberté : la liberté
commande l’élaboration de la Constitution, la Constitution est l’instrument de protection
continue de la liberté.
Il reste que la notion de constitution n’est pas indissolublement liée à celle de liberté, tout au
moins dans son sens moderne. En effet, du point de vue politique, la Constitution incarne
d’abord le principe d’organisation de la cité, sans qu’il soit prioritairement question de prévoir
les compétences et rapports institutionnels. Sous la Grèce antique, la Constitution rassemble les
institutions de la cité telles qu’elles existent. Elle symbolise, selon un prisme organique, les
différentes composantes sociales et politiques de la cité. Autrement dit, elle n’est pas conçue
comme un écrit fondateur de l’ordre politique. Elle n’est pas davantage un texte précisant la
distribution des pouvoirs entre les institutions. Elle applique un principe politique qui est
porteur d’une organisation institutionnelle, selon la classification des régimes d’Aristote.
D’autre part, la Constitution n’est pas nécessairement écrite. La Constitution anglaise fournit
une exception d’ampleur dans le concert des constitutions écrites modernes, bien que la
ratification des textes de l’Union européenne et de la Convention européenne des Droits de
l’Homme, ainsi que l’adoption du Fixed-Term Parliament Act de 2011 nuancent la nature
coutumière de la Constitution d’Angleterre, par l’insertion de normes écrites de références dans
l’ordre juridique anglais supposées s’imposer au Parlement. Il n’en demeure pas moins que la
Constitution anglaise, d’essence libérale et non-écrite, a longtemps été un objet de fascination
tant elle représente un idéal de Constitution organique et adaptative. Elle présente le paradoxe
d’être la source historique du constitutionnalisme, dans la mesure où elle a initié la limitation
du pouvoir et par voie de conséquence, la conception libérale de la Constitution, et d’être
étrangère au constitutionnalisme moderne en l’absence de constitution écrite et de contrôle de
constitutionnalité.

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Or le constitutionnalisme moderne gouverne le fonctionnement des constitutions de la quasi-
totalité des démocraties occidentales. La vocation libérale du constitutionnalisme rejoint la
préoccupation de Constant. En effet, il s’agit essentiellement d’encadrer et de limiter l’usage
des pouvoirs afin de proscrire leur concentration. Pensé en réaction aux abus commis lors des
périodes d’absolutisme monarchique, le constitutionnalisme procède d’une philosophie
politique libérale soucieuse de diviser le pouvoir pour empêcher toute atteinte à la liberté des
individus : le pouvoir doit être morcelé, les institutions doivent se contrôler mutuellement pour
éviter toute mesure arbitraire. Il s’agit bien de sanctuariser la liberté individuelle, liberté des
Modernes pour évoquer de nouveau Benjamin Constant, qui s’entend de la liberté de se
mouvoir, de penser, que ce soit par la voie de l’expression ou de la croyance, et de jouir
paisiblement de sa propriété. La liberté ici considérée est donc celle de l’individu dont il est
admis qu’il doit pouvoir déployer toutes ses facultés sans nuire à autrui. Dans l’optique du
libéralisme classique depuis Locke, la limitation du pouvoir est le plus sûr moyen de la
protection de la liberté. C’est une liberté qui se conçoit négativement en ce sens qu’elle jaillit
de l’obstruction que la Constitution organise à l’encontre de l’exercice des pouvoirs, pour que
celui-ci ne soit jamais attentatoire aux libertés individuelles. Il importe également de
s’interroger sur le développement des libertés individuelles sous la forme de droits-créances,
c’est-à-dire des libertés acquises à la suite de revendications qui le plus souvent, sont actées par
l’organe de justice constitutionnelle voire par le pouvoir constituant dérivé.
Il apparaît donc que la Constitution et la liberté, au regard de la modernité politique,
entretiennent un lien de consubstantialité. Il est impossible, dans ce cadre, d’envisager la
Constitution dans ses dimensions historique et théorique, sans partir du postulat qu’elle est née,
dans le monde des démocraties occidentales, en réaction contre l’arbitraire du pouvoir et pour
la protection de la liberté.
La question qu’il semble possible de soulever à la suite de ces quelques considérations est la
suivante. Du point de vue de vue de la modernité politique libérale, les notions de constitution
et de liberté sont-elles dissociables ? Non seulement la Constitution ne peut être déliée de la
liberté en ce sens qu’elle est toute entière tendue vers la réalisation d’un ordre politique libéral
(I), mais la liberté n’a aucune réalité juridique et donc politique en l’absence d’une norme
constitutionnelle sanctionnée en tant que norme suprême de l’ordonnancement juridique (II).

I- La liberté, finalité substantielle de la Constitution moderne.


A- La portée libérale des droits fondamentaux.
1- Le fondement individualiste de la liberté moderne.
a) L’individu, sujet politique du libéralisme classique (en réaction à
l’absolutisme et notamment à ses mesures d’intolérance religieuse ou aux
atteintes à la propriété privée, la liberté s’entend de la faculté reconnue à
tout homme de penser et de croire selon ses convictions propres ; la
liberté est également constituée par la propriété individuelle, fruit du
travail et de ce qui singularise l’homme en tant qu’être individuel. Cf. la
philosophique politique de John Locke).
b) L’individu, sujet de droit du rationalisme philosophique (La
philosophie des droits de l’Homme veut créer un homme abstrait qui
n’est autre que l’individu qui, du fait de sa nature d’être rationnel
particulier dans le monde sensible, doit être pourvu de droits et de libertés

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pour déployer ses capacités propres, sans égard pour l’histoire, ses
origines sociales ou ses déterminations quelles qu’elles furent).
2- La sanctuarisation textuelle des libertés individuelles.
a) La Constitution, réceptacle symbolique de libertés historiques et
théoriques (La plupart des constitutions modernes contiennent des
déclarations de droits qui entendent rompre avec toute forme d’atteinte
aux libertés individuelles et promouvoir un ordre politique constitutif de
libertés).
b) La Constitution, texte opposable aux autorités politiques (La simple
existence d’un texte solennel posé par le pouvoir constituant originaire
détermine l’exercice du pouvoir par les pouvoirs constitués et les ramène
à son respect).
B- La visée libérale de la séparation des pouvoirs.
1- Une distribution limitative des fonctions du pouvoir.
a) La répartition fonctionnelle du pouvoir (A chaque institution une
fonction délimitée du pouvoir : législative, exécutive, judiciaire).
b) L’attribution mutuelle d’une capacité d’empêcher (neutralisation
réciproque, checks and balances).
2- Une distribution productrice d’une liberté négative.
a) L’impossible concentration des pouvoirs (les fonctions du pouvoir
sont réparties et morcellent la puissance ; les contrepouvoirs
prémunissent de toute velléité de s’emparer indument de « tous » les
pouvoirs)
b) L’impossible atteinte aux libertés individuelles (voir en ce sens
l’article 16 de la DDHC : la séparation des pouvoirs est bien une liberté
négative, une liberté qui naît de la limitation des pouvoirs).

II- La Constitution, condition normative de la liberté moderne.


A- La primauté de la Constitution, consécration de la liberté.
1- L’affirmation constituante de la suprématie de la norme constitutionnelle.
a) La soumission de la norme législative à la Constitution.
b) Le primat de la volonté constituante sur l’adoption de normes
internationales.
2- L’avènement de l’instrument de la suprématie normative de la Constitution :
le contrôle de constitutionnalité.
a) Le gardien des libertés individuelles posées par la Constitution.
b) L’interprète du sens des libertés individuelles posées par la
Constitution.
B- La garantie de la Constitution, protection de la liberté.
1- La préservation du contenu libéral de la Constitution par la rigidité
constitutionnelle.
a) Une procédure de révision significative de la nature solennelle du texte
constitutionnel : l’exemple de l’article 89 de la Constitution française.
b) Une limitation de la révision constitutionnelle marquant la supra-
constitutionnalité des libertés fondamentales (cf. Loi fondamentale
allemande de 1949).
2- Le développement du contenu libéral de la Constitution par le contrôle de
constitutionnalité.

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a) L’expansion des libertés individuelles par le juge constitutionnel.
b) La subjectivisation du droit constitutionnel par l’effet de la
jurisprudence constitutionnelle.

II- Le commentaire de texte

Semblablement à la dissertation juridique, la présentation d’une illustration de commentaire de


texte (B) succédera à l’étude des principes de cet exercice (B).

A- Les principes

1- Les lectures

Il faut lire le texte lentement, à plusieurs reprises, sans l’annoter dès la première lecture. Après
avoir élucidé le contexte (auteur, nature du document), il s’agit ensuite de déceler quelles sont
les idées principales que le texte contient. À cette occasion, il faut séparer les éléments du texte
qui entrent dans le champ de chacune des idées identifiées. Le plus souvent, mais pas
exclusivement, deux idées se dégagent : plusieurs informations sont en réalité synthétisables au
travers de deux tendances (un auteur émet sa thèse et se prémunit de la critique tout en
l’énonçant, une décision de jurisprudence renverse une décision antérieure ou l’adoucit, voire
l’infléchit). Il importe donc de consacrer un temps substantiel à la compréhension du texte et à
l’identification de la thèse de l’auteur. C’est là l’enjeu central, c’est là la difficulté principale.

2- L’identification des idées et l’élaboration du plan

Une fois établies les deux directions fondamentales du texte, il faut, en construisant le plan
autour de ces deux axes, hiérarchiser les éléments qui justifient, soutiennent dans le texte ces
deux idées afin de décliner les piliers du plan qui sont en réalité les arguments que l’auteur
utilise pour étayer ses vues. Ce processus est difficile : il s’agit de rendre compte du propos
émis synthétiquement (ce qui peut justifier que l’on évacue certains éléments peu influents
quant à la démonstration de l’auteur), ce qui nécessite de bien comprendre les enjeux du texte
et de ne pas passer à côté de l’intention de l’auteur. Il est également nécessaire d’avoir les
connaissances suffisantes pour comprendre ce dont il s’agit et ce à quoi le texte fait référence
pour pouvoir élaborer une éventuelle critique ou le situer face à des modifications ultérieures,
récentes (comparaison, mise en perspective). Pour l’essentiel, il est préférable, mais non
obligatoire, de proposer une analyse qui suit le cheminement du texte. Toutefois, tout dépend
de la nature du texte.

3- La rédaction du commentaire et sa difficulté principale

Une fois les deux directions déterminées, les éléments qui les soutiennent hiérarchisés dans le
plan, il faut être capable de jongler entre la restitution du propos et les observations personnelles
(mobilisées autour des connaissances sur les questions de droit dont il est question, sur l’auteur,
le contexte historique, doctrinal, sur une comparaison possible avec ce qui est en cours), chose

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difficile car la tentation est grande de s’écarter du texte si les connaissances sur le sujet abondent
(d’où la nécessité de citer, avec modération, pour ne pas « s’échapper du texte ») ou celle de la
paraphrase lorsque le thème du document n’est, au contraire, pas maîtrisé. C’est un jeu subtil
qui nécessite un entraînement. Ici, l’introduction est plus formelle car il n’est pas demandé de
justifier une position mais d’expliquer, après une description sommaire (nature du document,
auteur, date, contexte), quel est l’intérêt du document, sa portée, ce qui permettra ensuite de
produire des incises personnelles dans le corps du commentaire. Il reste que l’introduction doit
présenter, de manière synthétique, le contenu du document. L’annonce du plan se limite à
restituer les deux pôles identifiés. Le recours aux citations, sans être excessif, est une garantie
contre les écarts. Une reproduction ou une reformulation du texte est, quant à elle, une garantie
de mauvaise note… Le commentaire de texte est un exercice difficile qui impose, on l’a dit, un
jeu entre l’exposition du propos de l’auteur et de son intention (rhétorique ou théorique) et les
connaissances des notions qu’il mobilise, ce jeu devant aboutir à une véritable mise en
perspective de ce propos, à la lumière des enjeux de droit constitutionnel qui sont soulevés.

B- Une illustration

« Au fond de la scène, derrière cette toile que la Charte ne soulève pas, il y a le conseil, travail
préparatoire dont les résultats seuls tombent sous nos sens et nous atteignent. Là réside le Roi,
non pas comme corps inerte, uniquement destiné à remplir un vide, mais comme intelligence ;
car c’est à une intelligence qu’on s’adresse, quand on lui confie le soin de choisir ses ministres,
de contrôler cette majorité elle-même par l’opinion publique, de se décider en conséquence
pour la dissolution de la Chambre élective ou pour un changement de cabinet, c’est-à-dire de
remplir la tâche la plus difficile dans un pays libre, de discerner l’opinion vraie des opinions
qui usurpent sa ressemblance, et de juger tous les partis en se tenant au-dessus d’eux ; le régime
constitutionnel n’a pas de difficultés plus grandes, et l’on suppose nécessairement à celui que
l’on charge de les résoudre, un sens politique très perfectionné. »
[C.-G. Hello, Du régime constitutionnel dans ses rapports avec l’état actuel des sciences
sociale et politique, deux tomes, Paris, Auguste Durand, Librairie, 1848, t. 2, pp. 191-192.]

Proposition de commentaire de texte :

Indications liminaires
Sous des mots allusifs, voire lyriques, ce texte ne comportait pas de difficultés majeures. Il
invitait à une réflexion sur la monarchie limitée de 1814, plus précisément sur la fonction de
pouvoir neutre du monarque, pour reprendre la fameuse expression de Benjamin Constant.
L’auteur, commentateur de la Charte, retranscrit une opinion commune de l’époque qui
n’abonde pas dans le sens de la reconnaissance d’un véritable régime parlementaire où les
ministres seraient politiquement responsables devant la Chambre. Tout part du roi qui décide,
compte tenu de sa sagesse, du cabinet à mettre en place au regard des forces politiques du
moment et de l’existence d’une majorité à la Chambre représentative. C’est également à lui que
revient le choix de la dissolution lorsque le conflit entre la Chambre et le cabinet l’implique.
Ce texte est intéressant parce qu’il montre que la période reste ancrée dans la monarchie limitée.
Certaines considérations, particulièrement sur l’opinion publique et l’harmonie qui doit exister
entre la Chambre et le cabinet, présagent du parlementarisme. Il s’agissait donc, avant tout, de
saisir la fonction architectonique du roi dans le cadre de la monarchie limitée et de bien
comprendre qu’il est le seul habilité à formuler l’opinion du pays. Dès lors, il choisit ses

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ministres en fonction de ce qu’il estime être l’opinion publique et contrôle la Chambre basse en
fonction de cette même opinion qui pourra notamment le conduire à dissoudre s’il l’estime
nécessaire.
Le commentaire devait éviter le piège de développements centrés sur le régime parlementaire
que l’auteur n’envisage précisément pas. Le régime constitutionnel ici prôné lorgne davantage
du côté de l’absolutisme classique quoique l’existence des partis et des opinions librement
exprimées nuancent le tableau.

Eléments introductifs
Dans sa thèse sur les origines du régime parlementaire en France, Alain Laquièze estime
qu’« en tout état de cause, la Restauration n’a certainement pas connu le parlementarisme et a
plutôt oscillé entre ce que l’on pourrait appeler un système de monarchie limitée et un régime
de balance des pouvoirs à exécutif monarchique. » Le texte de Charles Guillaume Hello, député
et commentateur reconnu de la Charte de 1814, confirme cette vue prudente de la Restauration,
là où plusieurs ouvrages tendent à plaquer l’apparition du régime parlementaire lors de cette
même période, faisant l’économie de la complexité du processus de sa naissance. Or le roi
conserve, au moins jusqu’à la révolution de 1830, un rôle institutionnel primordial qu’atteste
une lecture d’ensemble de la Charte octroyée. Si le libéralisme politique est promu avec force
par Benjamin Constant et le groupe de Coppet, la liberté d’expression et l’existence d’une
opinion publique sont bien davantage concédées par un monarque, Louis XVIII, imprégné du
constitutionnalisme anglais, qu’officiellement reconnues par le droit positif de l’époque. Ainsi,
c’est bien du roi qu’émane le conseil des ministres. Les ministres ne font que matérialiser la
volonté du roi et ne sont responsables que devant lui, en dehors d’une possible mise en
accusation par la Chambre des députés. Cette dernière, élue au suffrage censitaire, ne peut que
supplier le monarque de prendre en considération quelques mesures dont il est le seul juge de
l’opportunité. Surtout, elle reste sous la menace de la prérogative royale de la dissolution, si le
roi, au-dessus des partis, considère que la majorité n’est plus représentative de l’opinion à
l’œuvre, ou plus prosaïquement, que cette majorité ne correspond plus à son vœu. Toutefois,
Louis XVIII ne fermera pas la porte à certaines concessions, particulièrement au parti des
constitutionnels, une fois la majorité monarchiste « introuvable » renversée. Charles X, quant à
lui, imposera ses souhaits, par son ministère (notablement Richelieu), à l’égard d’une Chambre
qui va progressivement se rebeller. Le cheminement parlementariste n’apparaît que
ponctuellement, par le développement de moyens de pression de la Chambre sur le ministère,
sans effet durable néanmoins, avant la monarchie de Juillet. C’est néanmoins dès la
Restauration que l’adresse, les pétitions des citoyens et la spécialisation budgétaire
(l’interpellation sera plus tardive) émergent sans pour autant constituer un arsenal suffisant pour
engager la responsabilité politique des ministres (qui n’est d’ailleurs pas totalement comprise
lors de cet épisode constitutionnel). Le texte de Hello reprend l’orthodoxie de la monarchie
limitée de 1814, mais le vocabulaire qu’il emploie, au regard d’un cadre institutionnel qui
reprend celui qui a cours en Angleterre, annonce le parlementarisme alors en gestation.
Le début de ce court passage de l’ouvrage de Hello insiste sur le rôle actif du monarque en son
conseil : il n’est pas « inerte », mais bien au contraire, c’est lui qui impose ses recommandations
aux ministres qu’il a choisis. L’auteur glorifie ensuite un monarque dont la sagesse doit le
conduire à saisir l’opinion publique, nommer un conseil qui répondra aux attentes de celle-ci et
contrôler, par la menace de la dissolution, une Chambre élective qui est également censée
retranscrire l’opinion du pays. Au-dessus des partis et des nombreuses voix qui s’expriment
librement, le roi, dans sa clairvoyance, identifie « l’opinion vraie » et ajuste les institutions en
fonction d’un « sens politique très perfectionné » qui lui a permis de percevoir l’ensemble de
la chose politique.

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Le roi source de justice, est ici source du politique : il nomme les ministres compétents et
susceptibles d’œuvrer de concert avec une Chambre politique dont il sait qu’elle manifeste
l’opinion du pays (sans quoi, il aurait recours à la dissolution). Il est surtout, dans ce cadre
institutionnel de type parlementariste, la source de la décision politique : c’est de sa sagesse que
provient la législation qu’il fait appliquer par ses ministres. C’est ici le propos de l’auteur. Le
roi constitue à lui seul la légitimité du pouvoir politique comme il contrôle le processus de
décision politique. Le cadre institutionnel semble porter en germes l’équilibre des pouvoirs, la
liberté d’expression est reconnue ; il n’empêche que c’est du roi que provient la faculté de
discerner l’opinion vraie et de traduire sa volonté par le truchement de la loi. L’intérêt de ce
texte est notamment de dégager une position aux allures paradoxalement absolutistes et
libérales. Hello s’évertue donc à ériger le monarque en arbitre actif du système institutionnel
du seul fait de sa sagesse.
Il est par conséquent envisageable, pour tenter de rendre compte du texte, d’interroger la
fonction institutionnelle du monarque, notamment expliquée par la charge symbolique dont il
continue d’être affublée. Ceci permettra d’élucider le régime constitutionnel que l’auteur
appelle de ses vœux. De manière évidente, Hello perçoit le monarque comme la source du
pouvoir politique par sa légitimité de droit divin (I), ce qui fait de lui, eu égard à la Charte
octroyée, l’acteur majeur du schéma institutionnel (II).

I- Un roi, source du politique.

A- Un roi détenteur de « l’opinion vraie ».


1- La reprise de l’intelligence royale d’Ancien Régime : le Roi, source de
justice.
a) La continuation de la figure royale d’Ancien Régime.
b) L’avènement du monarque arbitre doté « d’un sens politique très
perfectionné » (cf. théorie de Benjamin Constant).
2- Une sagesse éprouvée par la diffusion des opinions libres : le libéralisme
politique de la Restauration.
a) Un cadre intellectuel anglophile.
b) La promotion de la liberté d’expression (« pays libre », diffusion
« des opinions qui usurpent sa ressemblance »).

B- Un roi détenteur de la norme législative.


1- La maîtrise des fonctions législative et exécutive.
a) Le sens des dispositions de la Charte de 1814.
b) La participation au « travail préparatoire » du Conseil.
2- La possible sollicitation de « l’intelligence » royale par les Chambres.
a) Le sens de l’article 19 de la Charte.
b) La sollicitation du monarque, figure capable « de discerner l’opinion
vraie ».

II- Un roi, arbitre du politique.

A- Un roi « leader » de son conseil.


1- Des ministres placés sous la tutelle royale.
a) Un choix discrétionnaire.
b) La perpétuation du Conseil d’Ancien Régime.
2- Des ministres choisis en fonction de la majorité de la Chambre élective.

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a) L’hypothèse d’un « changement de cabinet » en fonction de
l’opinion : la prise en compte des partis.
b) Le silence sur la responsabilité ministérielle : l’ébauche d’une
responsabilité politique aux côtés d’une responsabilité pénale
évasive.

B- Un roi, contrôleur actif de la Chambre élective.


1- Une Chambre placée sous la menace de la dissolution royale.
a) L’instrument parlementaire de la prérogative de la dissolution :
l’influence anglaise.
b) L’instrument ultime du pouvoir neutre : la solution en cas de blocage
institutionnel.
2- Une Chambre, lieu d’expression libre des opinions.
a) Un germe contestataire.
b) Le développement subséquent d’usages parlementaires : adresse,
pétition, spécialité budgétaire…

III- Bibliographie indicative

- Francis Hamon et Michel Troper, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 40ème édition,
2019.
- Dominique Chagnollaud et Pierre de Montalivet, Droit constitutionnel contemporain
tome 1 : Théorie générale, régimes étrangers, histoire constitutionnelle, Paris, Dalloz,
10ème édition, 2019.
- Julien Boudon, Manuel de droit constitutionnel, tome 1 : théorie générale, histoire,
régimes étrangers, Paris, P.U.F., coll. « Droit fondamental », 2ème édition, 2019.
- Vlad Constantinesco et Stéphane Pierré-Caps, Droit constitutionnel, Paris, P.U.F., coll.
« Thémis », 7ème édition, 2016. Des mêmes auteurs : Droit constitutionnel français,
Paris, P.U.F., coll. « Licence », 2010.
- Marcel Morabito, Histoire constitutionnelle de la France de 1789 à nos jours, Paris,
L.G.D.J., 15ème édition, 2018.
- Jean-Jacques Chevallier, Histoire des régimes politiques de la France de 1789 à 1958,
Paris, Dalloz, 9ème édition, 2009.
- Elisabeth Zoller, Introduction au droit public, Paris, Dalloz, 2ème édition, 2013.
- Philippe Lauvaux et Armel le Divellec, Les Grandes démocraties contemporaines,
Paris, P.U.F., 4ème édition, 2015.
- Elizabeth Zoller, Droit constitutionnel, Paris, P.U.F., 2ème édition, 1999.
- Pauline Türk, Principes fondamentaux du droit constitutionnel, Paris, Guallino, 12ème
édition, 2019.
- Michel De Villiers et Armel Le Divellec, Dictionnaire de droit constitutionnel, Paris,
Sirey, 11ème édition, 2017.

11
Sujet de dissertation suggéré : État et souveraineté

Séance 2 : L’État moderne : apparition et conditions d’existence

I- Les théories du contrat social

Document n°1 : Thomas Hobbes, Léviathan ou Matière, forme et puissance de l’État civil
chrétien (1651), trad., Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, 2000 :
- Extrait du chapitre 13, p. 224-225, extrait du chapitre 14, p. 231-232, extrait du chapitre
17, p. 287-289.

Par cela il est manifeste que pendant ce temps où les humains vivent sans qu’une puissance
commune ne leur impose à tous un respect mêlé d’effroi, leur condition est ce qu’on appelle la
guerre ; et celle-ci est telle qu’elle est une guerre de chacun contre chacun. En effet, la GUERRE
ne consiste pas seulement dans la bataille ou dans l’acte de combattre, mais dans cet espace de
temps pendant lequel la volonté d’en découdre par un combat est suffisamment connue ; et
donc, la notion de temps doit être prise en compte dans la nature de la guerre, comme c’est le
cas dans la nature du temps qu’il fait. Car, de même que la nature du mauvais temps ne consiste
pas en une ou deux averses, mais en une tendance au mauvais temps, qui s’étale sur plusieurs
jours, de même, en ce qui concerne la nature de la guerre, celle-ci ne consiste pas en une bataille
effective, mais en la disposition reconnue au combat, pendant tout le temps qu’il n’y a pas
d’assurance du contraire. Tout autre tempes est la PAIX. […]
Parce que la condition humaine (…) est un état de guerre de tous contre tous, où chacun est
gouverné par sa propre raison, et parce qu’il n’y a rien dont on ne puisse faire usage contre ses
ennemis, qui ne soit de quelque secours pour se maintenir en vie, il s’ensuit que, au sein d’un
tel état, chacun a un droit sur toute chose, y compris le corps des autres. Et donc, aussi
longtemps que perdure ce droit naturel de chacun sur toute chose, il ne saurait y avoir de sécurité
permettant à quiconque (si fort et si avisé qu’il soit) de vivre tout le temps que la nature alloue
ordinairement pour la vie. Par conséquent, c’est un précepte et une règle générale de la raison
que chacun doit s’efforcer à la paix aussi longtemps qu’il a l’espoir de l’atteindre, et, quand il
ne peut l’atteindre, qu’il peut chercher et utiliser tous les secours et les avantages de la guerre.
La première partie de cette règle contient la première et fondamentale loi de nature, qui est :
chercher la paix et la maintenir ; la seconde, le résumé du droit de nature, qui est : nous
défendre nous-mêmes par tous les moyens. […]
Le seul moyen d’établir pareille puissance commune, capable de défendre les humains contre
les invasions des étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres et, ainsi, les protéger
de telle sorte que, par leur industrie propre et les fruits de la terre, ils puissent se suffire à eux-
mêmes et vivre satisfaits, est de rassembler (to conferre) toute leur puissance et toute leur force
sur un homme ou sur une assemblée d’hommes qui peut, à la majorité des voix, ramener toutes
leurs volontés à une seule volonté ; ce qui revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée
d’hommes, pour porter leur personne ; et chacun fait sienne et reconnaître être lui-même

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l’auteur de toute action accomplie ou causée par celui qui porte leur personne, et relevant de
ces choses qui concernent la paix commune et la sécurité ; par là même, tous et chacun
soumettent leurs volontés à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C’est plus que le
consentement ou la concorde ; il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne,
faite par convention de chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chaque
individu devait dire à tout individu : j’autorise cet homme ou cette assemblée d’hommes, et je
lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes
ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude, ainsi unie
en une personne une, est appelée un ETAT, en latin CIVITAS. Telle est la génération de ce grand
LEVIATHAN, ou plutôt (pour parler avec plus de déférence) de ce dieu mortel, auquel nous
devons, sous le dieu immortel, notre paix et notre défense. En effet, en vertu du pouvoir
[authority] conféré par chaque individu dans l’État, il dispose de tant de puissance et de force
assemblées en lui que, par la terreur qu’elles inspirent, il peut conformer la volonté de tous en
vue de la paix à l’intérieur et de l’entraide face aux ennemis de l’étranger. En lui réside l’essence
de l’État qui est (pour le définir) une personne une dont les actes ont pour auteur, à la suite de
conventions mutuelles passées entre eux-mêmes, chacun des membres d’une grande multitude,
afin que celui qui est personne puisse utiliser la force et les moyens de tous comme il l’estimera
convenir à leur paix et à leur défense commune.
Celui qui est dépositaire de cette personne est appelé SOUVERAIN et l’on dit qu’il a la puissance
souveraine ; en dehors de lui, tout un chacun est son SUJET.

Document n°2 : John Locke, Traité du gouvernement civil (1690), trad., Paris, Garnier-
Flammarion, 1992, p. 206 et s (extraits).

« Les hommes étant nés tous également, ainsi qu'il a été prouvé, dans une liberté parfaite, et
avec le droit de jouir paisiblement et sans contradiction, de tous les droits et de tous les
privilèges des lois de la nature; chacun a, par la nature, le pouvoir, non seulement de conserver
ses biens propres, c'est-à-dire, sa vie, sa liberté et ses richesses, contre toutes les entreprises,
toutes les injures et tous les attentats des autres; mais encore de juger et de punir ceux qui violent
les lois de la nature, selon qu'il croit que l'offense le mérite, de punir même de mort, lorsqu'il
s'agit de quelque crime énorme, qu'il pense mériter la mort. Or, parce qu'il ne peut y avoir de
société politique, et qu'une telle société ne peut subsister, si elle n'a en soi le pouvoir de
conserver ce qui lui appartient en propre, et, pour cela, de punir les fautes de ses membres; là
seulement se trouve une société politique, où chacun des membres s'est dépouillé de son
pouvoir naturel, et l'a remis entre les mains de la société, afin qu'elle en dispose dans toutes
sortes de causes, qui n'empêchent point d'appeler toujours aux lois établies par elle.
Par ce moyen, tout jugement des particuliers étant exclu, la société acquiert le droit de
souveraineté; et certaines lois étant établies, et certains hommes autorisés par la communauté
pour les faire exécuter, ils terminent tous les différends qui peuvent arriver entre les membres
de cette société-là, touchant quelque matière de droit, et punissent les fautes que quelque
membre aura commises contre la société en général, ou contre quelqu'un de son corps,
conformément aux peines marquées par les lois. Et par là, il est aisé de discerner ceux qui sont
ou qui ne sont pas ensemble en société politique. Ceux qui composent un seul et même corps,
qui ont des lois communes établies et des juges auxquels ils peuvent appeler, et qui ont l'autorité
de terminer les disputes et les procès, qui peuvent être parmi eux et de punir ceux qui font tort
aux autres et commettent quelque crime : ceux-là sont en société civile les uns avec les autres -

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mais ceux qui ne peuvent appeler de même à aucun tribunal sur la terre, ni à aucunes lois
positives, sont toujours dans l'état de nature ; chacun, où il n'y a point d'autre juge, étant juge
et exécuteur pour soi-même. (…)
Les hommes donc sortent de l'état de nature, et entrent dans une société politique, lorsqu'ils
créent et établissent des juges et des Souverains sur la terre, à qui ils communiquent l'autorité
de terminer tous les différends, et de punir toutes les injures qui peuvent être faites à quelqu'un
des membres de la société. (…)
[Le peuple] n'a pu se croire en sûreté, ni être en repos, ni se regarder comme étant en société
civile, jusqu'à ce que l'autorité législative ait été placée en un corps collectif de gens, qu'on
appellera Sénat, Parlement, ou de quelque autre manière qu'on voudra, et par le moyen duquel
chacun, sans excepter le premier et le principal de la société, devienne sujet à ces lois, que lui-
même, comme étant une partie de l'autorité législative, a établies (…) Personne, sans doute,
dans la société civile, ne peut être exempt d'en observer les Lois. (…)
Ainsi, chaque particulier convenant avec les autres de faire un corps politique, sous un certain
gouvernement, s'oblige envers chaque membre de cette société, de se soumettre à ce qui aura
été déterminé par le plus grand nombre, et d'y consentir : autrement cet accord original, par
lequel il s'est incorporé avec d'autres dans une société, ne signifierait rien; et il n'y aurait plus
de convention, s'il demeurait toujours libre, et n'avait pas des engagements différents de ceux
qu'il avait auparavant, dans l'état de nature. (…)
Chacun étant naturellement libre, ainsi qu'il a été montré, et rien n'étant capable de le mettre
sous la sujétion d'aucun autre pouvoir sur la terre, que son propre consentement, il faut
considérer en quoi consiste cette déclaration suffisante du consentement d'un homme, pour le
rendre sujet aux lois de quelque Gouvernement. On distingue communément entre un
consentement exprès et un consentement tacite, et cette distinction concerne notre sujet.
Personne ne doutera, je pense, que le consentement exprès de quelqu'un, qui entre dans une
société, ne le rende parfait membre de cette société-là, et sujet du gouvernement auquel il s'est
soumis. La difficulté est de savoir ce qui doit être regardé comme un consentement tacite, et
jusqu'où il oblige et lie, c'est-à-dire, jusqu'où quelqu'un peut être censé avoir consenti et s'être
soumis à un gouvernement, quoiqu'il n'ait pas proféré une seule parole sur ce sujet. Je dis que
tout homme qui a quelque possession, qui jouit de quelque terre et de quelque bien qui est de la
domination d'un gouvernement, donne par-là son consentement tacite, et est obligé d'obéir aux
lois de ce gouvernement, tant qu'il jouit des biens qui y sont renfermés, autant que puisse l'être
aucun de ceux qui s'y trouvent soumis. Si ce qu'il possède est une terre, qui lui appartienne et à
ses héritiers, ou une maison où il n'ait à loger qu'une semaine, ou s'il voyage simplement et
librement dans les grands chemins; en un mot, s'il est sur le territoire d'un gouvernement, il doit
être regardé comme ayant donné son consentement tacite, et comme s'étant soumis aux lois de
ce gouvernement-là. (…)
Si l'homme, dans l'état de nature, est aussi libre que j'ai dit, s'il est le seigneur absolu de sa
personne et de ses possessions, égal au plus grand et sujet à personne; pourquoi se dépouille-t-
il de sa liberté et de cet empire, pourquoi se soumet-il à la domination et à l'inspection de
quelque autre pouvoir? Il est aisé de répondre, qu'encore que, dans l'état de nature, l'homme ait
un droit, tel que nous avons posé, la jouissance de ce droit est pourtant fort incertaine et exposée
sans cesse à l'invasion d'autrui. Car, tous les hommes étant Rois, tous étant égaux et la plupart
peu exacts observateurs de l'équité et de la justice, la jouissance d'un bien propre, dans cet état,
est mal assurée, et ne peut guère être tranquille. C'est ce qui oblige les hommes de quitter cette
condition, laquelle, quelque libre qu'elle soit, est pleine de crainte, et exposée à de continuels

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dangers, et cela fait voir que ce n'est pas sans raison qu'ils recherchent la société, et qu'ils
souhaitent de se joindre avec d'autres qui sont déjà unis ou qui ont dessein de s'unir et de
composer un corps, pour la conservation mutuelle de leurs vies, de leurs libertés et de leurs
biens; choses que j'appelle, d'un nom général, propriétés.
C'est pourquoi, la plus grande et la principale fin que se proposent les hommes, lorsqu'ils
s'unissent en communauté et se soumettent à un gouvernement, c'est de conserver leurs
propriétés, pour la conservation desquelles bien des choses manquent dans l'état de nature.
Premièrement, il y manque des lois établies, connues, reçues et approuvées d'un commun
consentement, qui soient comme l'étendard du droit et du tort, de la justice et de l'injustice, et
comme une commune mesure capable de terminer les différents qui s'élèveraient. (…) En
second lieu, dans l'état de nature, il manque un juge reconnu, qui ne soit pas partial, et qui ait
l'autorité de terminer tous les différends, conformément aux lois établies. (…) En troisième lieu,
dans l'état de nature, il manque ordinairement un pouvoir qui soit capable d'appuyer et de
soutenir une sentence donnée, et de l'exécuter. »

Document n°3 : Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social (1762), texte original, extraits :
chapitres 6 et 7 (source : wikisource.org).

CHAPITRE VI : Du pacte social

Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation dans
l’état de nature, l’emportent par leur résistance sur les forces que chaque individu peut employer
pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus subsister, & le genre humain
périroit s’il ne changeoit sa maniere d’être.
Or comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir & diriger
celles qui existent, ils n’ont plus d’autre moyen pour se conserver, que de former par
aggrégation une somme de forces qui puisse l’emporter sur la résistance, de les mettre en jeu
par un seul mobile & de les faire agir de concert.
Cette somme de forces ne peut naitre que du concours de plusieurs : mais la force & la liberté
de chaque homme étant les premiers instrumens de sa conservation, comment les engagera-t-il
sans se nuire, & sans négliger les soins qu’il se doit ? Cette difficulté ramenée à mon sujet peut
s’énoncer en ces termes.
« Trouver une forme d’association qui défende & protege de toute la force commune la
personne & les biens de chaque associé, & par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse
pourtant qu’à lui-même & reste aussi libre qu’auparavant ? » Tel est le problême fondamental
dont le contract social donne la solution.
Les clauses de ce contract sont tellement déterminées par la nature de l’acte, que la moindre
modification les rendroit vaines & de nul effet ; en sorte que, bien qu’elles n’aient peut-être
jamais été formellement énoncées, elles sont par-tout les mêmes, par-tout tacitement admises
& reconnües ; jusqu’à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers
droits & reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y
renonça.
Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l’aliénation totale de chaque
associé avec tous ses droits à toute la communauté : Car premierement, chacun se donnant tout

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entier, la condition est égale pour tous, & la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de
la rendre onéreuse aux autres.
De plus, l’aliénation se faisant sans reserve, l’union est aussi parfaite qu’elle peut l’être & nul
associé n’a plus rien à réclamer : Car s’il restoit quelques droits aux particuliers, comme il n’y
auroit aucun supérieur commun qui put prononcer entre eux & le public, chacun étant en
quelque point son propre juge prétendroit bientôt l’être en tous, l’état de nature subsisteroit, &
l’association deviendroit nécessairement tyrannique ou vaine.
Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à personne, & comme il n’y a pas un associé sur
lequel on n’acquiere le même droit qu’on lui cede sur soi, on gagne l’équivalent de tout ce
qu’on perd, & plus de force pour conserver ce qu’on a.
Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on trouvera qu’il se réduit aux
termes suivans. Chacun de nous met en commun sa personne & toute sa puissance sous la
suprême direction de la volonté générale ; & nous recevons en corps chaque membre comme
partie indivisible du tout.
A l’instant, au lieu de la personne particuliere de chaque contractant, cet acte d’association
produit un corps moral & collectif composé d’autant de membres que l’assemblée a de voix,
lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie & sa volonté. Cette personne
publique qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres prenoit autrefois le nom de Cité, &
prend maintenant celui de République ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres
État quand il est passif, Souverain quand il est actif, Puissance en le comparant à ses semblables.
À l’égard des associés ils prennent collectivement le nom de peuple, & s’appellent en particulier
Citoyens comme participans à l’autorité souveraine, & Sujets comme soumis aux loix de l’Etat.
Mais ces termes se confondent souvent & se prennent l’un pour l’autre ; il suffit de les savoir
distinguer quand ils sont employés dans toute leur précision.

CHAPITRE VII : Du souverain

On voit par cette formule que l’acte d’association renferme un engagement réciproque du public
avec les particuliers, & que chaque individu, contractant, pour ainsi dire, avec lui-même, se
trouve engagé sous un double rapport ; savoir, comme membre du Souverain envers les
particuliers, & comme membre de l’Etat envers le Souverain. Mais on ne peut appliquer ici la
maxime du droit civil que nul n’est tenu aux engagemens pris avec lui-même ; car il y a bien
de la différence entre s’obliger envers soi, ou envers un tout dont on fait partie.
Il faut remarquer encore que la délibération publique, qui peut obliger tous les sujets envers le
Souverain, à cause des deux différens rapports sous lesquels chacun d’eux est envisagé, ne peut,
par la raison contraire, obliger le Souverain envers lui-même, & que, par conséquent, il est
contre la nature du corps politique que le Souverain s’impose une loi qu’il ne puisse enfreindre.
Ne pouvant se considérer que sous un seul & même rapport il est alors dans le cas d’un
particulier contractant avec soi-même : par où l’on voit qu’il n’y a ni ne peut y avoir nulle
espece de loi fondamentale obligatoire pour le corps du peuple, pas même le contract social. Ce
qui ne signifie pas que ce corps ne puisse fort bien s’engager envers autrui en ce qui ne déroge
point à ce contract ; car à l’égard de l’étranger, il devient un être simple, un individu.
Mais le corps politique ou le Souverain ne tirant son être que de la sainteté du contract ne peut
jamais s’obliger, même envers autrui, à rien qui déroge à cet acte primitif, comme d’aliéner

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quelque portion de lui-même ou de se soumettre à un autre Souverain. Violer l’acte par lequel
il existe seroit s’anéantir, & ce qui n’est rien ne produit rien.
Sitot que cette multitude est ainsi réunie en un corps, on ne peut offenser un des membres sans
attaquer le corps ; encore moins offenser le corps sans que les membres s’en ressentent. Ainsi
le devoir & l’intérêt obligent également les deux parties contractantes à s’entre-aider
mutuellement, & les mêmes hommes doivent chercher à réunir sous ce double rapport tous les
avantages qui en dépendent.
Or le Souverain n’étant formé que des particuliers qui le composent n’a ni ne peut avoir d’intérêt
contraire au leur ; par conséquent la puissance Souveraine n’a nul besoin de garant envers les
sujets, parce qu’il est impossible que le corps veuille nuire à tous ses membres, & nous verrons
ci-après qu’il ne peut nuire à aucun en particulier. Le Souverain, par cela seul qu’il est, est
toujours ce qu’il doit être.
Mais il n’en est pas ainsi des sujets envers le Souverain, auquel malgré l’intérêt commun, rien
ne répondroit de leurs engagemens s’il ne trouvoit des moyens de s’assurer de leur fidélité.
En effet chaque individu peut comme homme avoir une volonté particuliere contraire ou
dissemblable à la volonté générale qu’il a comme Citoyen. Son intérêt particulier peut lui parler
tout autrement que l’intérêt commun ; son existence absolue & naturellement indépendante peut
lui faire envisager ce qu’il doit à la cause commune comme une contribution gratuite, dont la
perte sera moins nuisible aux autres que le payement n’en sera onéreux pour lui, & regardant la
personne morale qui constitue l’Etat comme un être de raison parce que ce n’est pas un homme,
il jouiroit des droits du citoyen sans vouloir remplir les devoirs du sujet ; injustice dont le
progrès causeroit la ruine du corps politique.
Afin donc que ce pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet
engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d’obéir à la
volonté générale, y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu’on
le forcera d’être libre ; car telle est la condition qui donnant chaque Citoyen à la Patrie le garantit
de toute dépendance personnelle ; condition qui fait l’artifice & le jeu de la machine politique,
& qui seule rend légitimes les engagemens civils, lesquels, sans cela seroient absurdes,
tyranniques, & sujets aux plus énormes abus.

II- La souveraineté, critère de l’État moderne

Document n°4 : Olivier Beaud, La Puissance de l’État, Paris, P.U.F., coll. « Léviathan », 1994,
p. 42-44.

La souveraineté moderne est un pouvoir suprême de l’État sur les personnes qui entrent dans le
cercle de sa domination. Par-là, elle s’oppose presque symétriquement à la notion médiévale de
souveraineté. La souveraineté de l’État moderne rompt avec la « constitution » du Moyen Age
qui repose, dans sa structuration interne, sur le principe constitutionnaliste du consentement
entre le roi et les états pour ce qui concerne les décisions politiques essentielles, et dans sa
structuration externe, sur l’existence d’une République chrétienne témoignant de la domination
de l’Eglise sur les royaumes. Par conséquent, si on définit l’État comme « une unité de
domination effective de façon permanente et par ses propres moyens (…), dont les contours
sont, spatialement et personnellement, nettement dessinés », il n’existe pas encore au Moyen
Age. A cette époque, les royaumes ont, par opposition à l’État moderne, une puissance « limitée

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à l’intérieur, par les innombrables titulaires de pouvoir – fédéraux, estats et villes – et à
l’extérieur, par l’Eglise et l’Empereur ». Ils n’ont pas une souveraineté moderne qui réalise la
concentration de pouvoirs et la clôture des systèmes juridiques entre eux.
Au XVIe siècle, lorsque paraissent les Six Livres de la République, l’ancien ordre politique
européen – la République chrétienne – est sérieusement lézardé, tandis que l’œuvre de
centralisation du pouvoir royal est bien avancée dans la plupart des grandes monarchies
européennes (Angleterre, France, Espagne). S’il est généralement reconnu que le système
féodal s’acheva aux environs du XIIIe siècle pour laisser sa place à la royauté, la question
pertinente pour notre propos est de savoir comment et quand on passa de la notion de royaume
postféodal à celle d’État. Une grande partie des historiens invoque la précocité de la
centralisation royale et l’existence d’institutions typiquement étatiques (finances, armées) pour
soutenir que l’État moderne apparaît déjà dans cette royauté des XIVe-XVe siècles. Nous
pensons au contraire que si ce mouvement a évidemment permis la suppression de la structure
constitutionnelle médiévale et l’élaboration d’un droit public quasi moderne, il ne suffit pas à
engendrer la notion d’État. En effet, si l’on définit l’État modern comme une puissance d’action
libre de disposer du droit positif pour gouverner la société civile, l’entité politique qui apparaît
à la fin du Moyen Age ne peut encore être considérée comme un véritable État et devrait plutôt
être qualifié de royaume préétatique ou postféodal ou encore de « principat » (terme utilisé
quelquefois par Bodin). Certes, ce royaume s’est largement émancipé de la tutelle de l’Eglise ;
certes encore, il dispose de diverses autres prérogatives exclusives de création de droit (faire
des ordonnances, octroyer des privilèges), et jouit de la maîtrise de certaines matières de
souveraineté (guerre, finances). Mais malgré cela il ne dispose pas pour autant de la
souveraineté au sens « bodinien » du terme. Pour résumer cette transformation du royaume en
État, l’historien américain Gisey use d’une formule limpide : « The King as judge is medieval,
the king as legislatoris is modern ». Le Souverain moderne est d’abord et avant tout un Roi-
législateur ou un Roi normateur. La compréhension de cette rupture instaurée par l’invention
de Bodin, suppose que l’on se garde de l’illusion suscitée par la permanence de l’institution
royale, qui fait que, avant comme après l’État, ce sont toujours des Rois ou des Princes issus
des mêmes dynasties qui représentent l’autorité en Europe. Mais précisément, leur pouvoir
change de nature quand Bodin le définit par une prérogative scientifique (le pouvoir de
commandement législatif) que ne possédait pas le Roi du Moyen Age.

Document n°5 : Jean Bodin, Les six livres de la République (1576), version de 1583, Paris, Le
livre de poche, 1993, p. 74-75.

La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d'une République, que les Latins
appellent majestatem, les Grecs [en grec], et [en grec], et [en grec], les Italiens segnoria, duquel
mot ils usent aussi envers les particuliers, et envers ceux-là qui manient toutes les affaires d'état
d'une République : les Hébreux l'appellent [en hébreux], c'est-à-dire la plus grande puissance
de commander. Il est ici besoin de former la définition de souveraineté, parce qu'il n'y a ni
jurisconsulte, ni philosophe politique, qui l'ait définie, [bien] que c'est le point principal, et le
plus nécessaire d'être entendu au traité de la République.
Le fondement principal de toute République. Et d'autant que nous avons dit que République est
un droit Gouvernement de plusieurs familles, et de ce qui leur est commun, avec puissance
souveraine, il est besoin d'éclaircir [ce] que signifie puissance souveraine. J'ai dit que cette
puissance est perpétuelle, parce qu'il se peut faire qu'on donne puissance absolue à un ou

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plusieurs à certain temps, lequel expiré, ils ne sont plus rien que sujets ; et tant qu'ils sont en
puissance, ils ne se peuvent appeler Princes souverains, vu qu'ils ne sont que dépositaires, et
gardes de cette puissance, jusqu'à ce qu'il plaise au peuple ou au Prince la révoquer, qui en
demeure toujours saisi ; car tout ainsi que ceux qui accommodent autrui de leurs biens, en
demeurent toujours seigneurs, et possesseurs, ainsi est-il de ceux-là qui donnent puissance, et
autorité de juger, ou commander, soit à certain temps et limité, soit tant et si longtemps qu'il
leur plaira, ils demeurent néanmoins saisis de la puissance et juridiction, que les autres exercent
par forme de prêt ou de précaire. C'est pourquoi la loi dit que le gouverneur de pays, ou
Lieutenant du Prince, après son temps expiré, rend la puissance, comme dépositaire, et garde
de la puissance d'autrui. Et en cela il n'y a point de différence du grand officier au petit,
autrement, si la puissance absolue, octroyée au Lieutenant du Prince, s'appelait souveraineté, il
en pourrait user envers son Prince, qui ne serait plus qu'un chifre, et le sujet commanderait au
seigneur, le serviteur au maître, chose qui serait absurde, attendu que la personne du souverain
est toujours exceptée en termes de droit, quelque puissance et autorité qu'il donne à autrui. Et
n'en donne jamais tant, qu'il n'en retienne toujours davantage, et n'est jamais exclu de
commander, ou de connaître par prévention, ou concurrence, ou évocation, ou ainsi qu'il lui
plaira, des causes dont il a chargé son sujet, soit commissaire, ou officier, auxquels il peut ôter
la puissance qui leur est attribuée, en vertu de leur commission, ou institution, ou la tenir en
souffrance tant et si longuement qu'il lui plaira.

Document n°6 : Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État


(1920), rééd., Paris, Dalloz, 2004, p. 70.

Pris dans son acception précise, le mot souveraineté désigne, non pas une puissance, mais bien
une qualité, une certaine façon d’être, un certain degré de puissance. La souveraineté, c’est le
caractère suprême d’un pouvoir : suprême, en ce que ce pouvoir n’en admet aucun autre ni au-
dessus de lui, ni en concurrence avec lui. Quand donc on dit que l’Etat est souverain, il faut
entendre par là que, dans la sphère où son autorité est appelée à s’exercer, il détient une
puissance qui ne relève d’aucun autre pouvoir et qui ne peut être égalée par aucun autre pouvoir.
Ainsi entendue, la souveraineté de l’Etat est habituellement présentée comme double :
on la divise entre souveraineté externe et interne. La première se manifeste dans les rapports
internationaux des Etats. Elle implique pour l’Etat souverain l’exclusion de toute subordination,
de toute dépendance vis-à-vis des Etats étrangers. Grâce à la souveraineté externe, l’Etat a donc
une puissance suprême, en ce sens que sa puissance est dégagée de toute sujétion ou limitation
envers une puissance extérieure. Dire que les Etats sont souverains dans leurs relations
réciproques, cela signifie aussi qu’ils sont respectivement égaux les uns aux autres, sans
qu’aucun d’eux puisse prétendre juridiquement à une supériorité ou autorité quelconque sur
aucun autre Etat. Dans l’expression souveraineté externe, le mot souveraineté est donc au fond
synonyme d’indépendance : il n’a ainsi qu’une portée toute négative. Au contraire, dans
l’expression souveraineté interne, il semble prendre une signification positive. La souveraineté
interne implique en effet que l’Etat possède, soit dans ses rapports avec les individus qui sont
ses membres ou qui se trouvent sur son territoire, soit dans ses rapports avec tous autres
groupements publics ou privés formés au-dedans de lui, une autorité suprême en ce sens que sa
volonté prédomine sur toutes les volontés de ces individus ou groupes, celles-ci ne possédant
qu’une puissance inférieure à la sienne. Le mot de souveraineté sert donc ici à exprimer que la
puissance étatique est la plus haute puissance existant à l’intérieur de l’Etat, qu’elle est une

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summa potestas. Ainsi la souveraineté a deux faces. Et toutefois il ne faut pas voir dans la
souveraineté intérieure et extérieure deux souverainetés distinctes. L’une et l’autre se ramènent
à cette notion unique d’un pouvoir qui n’en connaît aucun autre au-dessus de lui. L’une et l’autre
signifient pareillement que l’Etat est maître chez lui. La souveraineté externe n’est pas autre
chose que l’expression, au regard des Etats étrangers, de la souveraineté intérieure d’un Etat.
Réciproquement la souveraineté interne n’est pas possible sans la souveraineté externe : un Etat
qui serait tenu de quelque sujétion envers un Etat étranger, ne posséderait pas non plus une
puissance souveraine à l’intérieur. Sans doute la notion de souveraineté s’analyse en
indépendance au dehors, en supériorité au-dedans de l’Etat : et par là cette notion semble
double. Mais en définitive, souveraineté interne et souveraineté externe ne sont que les deux
côtés d’une seule et même souveraineté. Et d’ailleurs l’une et l’autre n’ont à vrai dire qu’une
portée pareillement négative. Dire que la puissance étatique possède, en vertu de sa
souveraineté interne, le caractère d’une puissance s’exerçant à titre suprême par-dessus tous les
individus ou groupes situés dans l’Etat, ce n’est nullement déterminer le contenu positif de cette
puissance : mais cela revient simplement, au fond, à affirmer qu’elle exclut de leur part tout
obstacle ou limitation. Le mot souveraineté n’exprime donc jamais qu’une idée négative : la
souveraineté, c’est la négation de toute entrave ou subordination.

III- Les manifestations de l’État moderne

Document n°7 : Hans Kelsen, Théorie pure du droit, trad. Charles Eisenmann, Paris, L.G.D.J.,
coll. « Logiques Juridiques », 1999, chapitre 41, pp. 281-285

Pour une connaissance de l’Etat exempte de toute idéologie et qui écarte par conséquent toute
métaphysique et toute mystique, il n’y a qu’une seule façon d’appréhender l’essence de cette
formation sociale : c’est de la concevoir- ainsi qu’on a déjà fait dans les analyses précédentes-
comme un ordre de la conduite humaine. Il est courant de caractériser l’Etat comme une
organisation politique. Mais cela à le donner ou poser comme un ordre de contrainte. Car
l’élément spécifiquement « politique » de cette organisation consiste dans la contrainte que
certains individus exerceront contre d’autres individus et que cet ordre règle, ou, si l’on préfère,
il consiste dans les actes de contrainte que cet ordre institue. Ce sont précisément ces actes de
contrainte que l’ordre juridique attache aux conditions qu’il détermine. En tant qu’organisation
politique, l’Etat est un ordre juridique. Mais tout ordre juridique n’est pas un Etat : ni l’ordre
juridique pré-étatique des sociétés primitives, ni l’ordre juridique international, supra-étatique
ou inter-étatique, ne représentent un Etat. Pour être un Etat, il faut que l’ordre juridique ait le
caractère d’une organisation au sens plus étroit et plus spécifique de ce mot, c'est-à-dire qu’il
institue pour la création et l’application des normes qui le constituent des organes spécialisés ;
il faut qu’il présente un certain degré de centralisation. L’Etat est un ordre juridique
relativement centralisé.
Par ce trait, par sa centralisation, les ordres juridiques étatiques se distinguent et des ordres
juridiques primitifs pré-étatiques et de l’ordre juridique supra ou inter-étatique du droit
international général. D’après l’un comme d’après l’autre de ces deux groupes d’ordres
juridiques, leurs normes générales ne sont pas posées par un organe législatif central ; elles le
sont par voie de coutume : la procédure de la création des éléments généraux de l’ordre
juridique y est décentralisée. De même, ces ordres juridiques pré-étatiques ou internationaux
n’instituent pas de tribunaux qui soient compétents pour appliquer les normes générales aux cas

20
concrets, ce sont leurs sujets eux-mêmes qu’ils habilitent à accomplir cette fonction, et en
particulier à réaliser eux-mêmes leurs sanctions, c'est-à-dire à se faire justice à eux-mêmes.
Dans les droits primitifs, ce sont les membres de la famille de l’assassiné qui exercent la
vendetta contre le meurtrier et les membres de sa famille, c'est-à-dire qui sont habilités à
exécuter cette forme primitive de la peine ; de même, c’est le créancier lui-même qui est autorisé
à mettre la main sur le débiteur défaillant pour se procurer satisfaction en prenant une manière
de gage- forme primitive de l’action civile. D’après le droit international général, ce sont les
gouvernements des Etats qui sont habilités à recourir à la guerre ou à des représailles- ces
sanctions du droit international- contre l’Etat qui viole le droit, et ceci veut dire en réalité :
contre les sujets de l’Etat dont le gouvernement a violé le droit. Sans doute, aussi bien dans le
cas du droit pré-étatique que dans le cas du droit supra (ou inter) étatique, les individus qui
créent le droit par voie de coutume, ceux qui appliquent le droit, ceux qui exécutent les sanctions
instituées par lui, sont des organes du droit, et comme tels des organes de la collectivité
juridique. Mais ce ne sont pas des organes spécialisés, ce ne sont pas des organes centraux,
comme le sont le gouvernement, l’organe législatif ou les tribunaux institués par les ordres
juridiques, étatiques. L’ordre juridique des sociétés primitives et l’ordre juridique international
général sont des ordres de contrainte complètement décentralisés et, précisément pour cette
raison, ne sont pas des Etats.
Si l’on conçoit l’Etat comme une collectivité sociale, cette collectivité ne peut être fondée- on
l’a exposée précédemment- que par un ordre normatif. Etant donné que seul un tel ordre peut
fonder une collectivité (en réalité, elle se confond même avec cet ordre), l’ordre normatif qui
fonde l’Etat ne peut être que l’ordre de contrainte relativement centralisé que nous avons
reconnu être l’ordre étatique.
En tant que collectivité sociale, l’Etat se compose, d’après la théorie de l’Etat traditionnelle, de
trois éléments : le peuple, le territoire, et la puissance publique qui est exercée par un
gouvernement d’Etat indépendant. Ces trois éléments ne se laissent les uns comme les autres
définir que juridiquement ; autrement dit, on ne peut les concevoir que comme des données
concernant la validité et les domaines de validité d’un ordre juridique.
a) Le peuple de l’Etat (Staatsvolk) Ce sont les individus qui font partie de l’Etat.
Pourquoi un ensemble d’individus font partie d’un Etat déterminé ? On ne peut trouver qu’un
seul critérium pour donner la réponse : c’est le fait que cet ensemble d’individus, et chacun de
ses membres pris individuellement, sont soumis à un certain ordre de contrainte qui est
relativement centralisé. Toutes les tentatives pour trouver un autre lien qui fasse une unité
cohérente de ce grand nombre d’hommes, alors qu’ils peuvent différer par la langue, par la race,
par la religion ou les croyances, et être séparés par des antagonismes de classe et divers autres
conflits d’intérêts, toutes ces tentatives sont nécessairement vouées à l’échec. Il n’est en
particulier pas possible de faire apparaître aucune sorte d’interaction psychologique qui,
indépendamment de tous les liens juridiques, unirait tous les hommes qui font partie d’un Etat,
et permettrait de les distinguer des hommes qui font partie d’un autre Etat et qui, réunis de leur
côté par interaction analogue, constituerait un autre groupe. Il est indéniable qu’il n’existe
aucune interaction de cette sorte qui lie les uns aux autres et unisse tous les hommes
ressortissants d’un même Etat, et eux seuls ; et que, sur le terrain de l’interaction psychologique
réelle, souvent des hommes qui ressortissent d’Etats différents sont liés les uns aux autres de
façon beaucoup plus intense que des individus qui font partie d’un même Etat. Car ce n’est que
sur le plan du droit, juridiquement, qu’ils font partie de cet Etat. Assurément, ils sont parfois-
comme on dit habituellement- liés à leur Etat également dans leur âme, sentimentalement ; ils

21
l’aiment, même ils le divinisent, ils sont prêts à mourir pour lui. Mais même dans le cas
contraire, même s’ils haïssent leur Etat, voire même le trahissent, ou lorsqu’il leur est
complètement indifférent, ils en font partie. La question de savoir si un individu ressortit d’un
Etat n’est pas une question psychologique, une question de sentiments ; c’est une question de
droit. On ne peut pas trouver le principe d’unité des hommes qui forment le peuple d’un Etat
ailleurs que dans le fait qu’un seul et même ordre juridique est en vigueur pour tous ces
hommes, et règle leur conduite. Le peuple de l’Etat, c’est le domaine de validité personnel de
l’ordre juridique étatique.
b) Le territoire de l’Etat (Staatsgebeit) est un espace nettement délimité.
Ce n’est pas un morceau nettement délimité de la surface terrestre, mais un espace à trois
dimensions, dont font partie et le sous-sol qui se trouve au-dessous et l’espace aérien qui se
trouve au dessus du territoire compris à l’intérieur de ce qu’on appelle les frontières de l’Etat.
– Il est parfaitement évident que l’unité de cet espace n’est pas une unité naturelle géographique.
A un seul et même espace étatique peuvent appartenir des territoires qui sont séparés par la mer,
laquelle n’est pas le territoire d’un seul, d’un quelconque Etat, ou séparés par le territoire d’un
autre Etat. Ce n’est pas une connaissance relevant d’une science de la nature qui peut répondre
à la question de savoir d’après quoi se déterminent les limites de l’espace étatique, ce qui
constitue son unité : c’est seulement une connaissance d’ordre juridique. On ne peut définir ce
que l’on appelle le territoire de l’Etat que d’une seule façon : c’est le domaine de validité
territorial d’un ordre juridique étatique. – On se contentera de noter ici que les problèmes de la
centralisation et de la décentralisation constituent un point particulier de la question générale
du domaine de validité spatial des normes qui composent l’ordre juridique : c’est le problème
de la nature de ces formations juridiques qui résultent d’une organisation ou division territoriale
de l’Etat. Peuvent être conçus sous cet angle la décentralisation administrative, les corps
d’administration autonome, les provinces ou pays, les fragments d’Etat etc… ; mais également
toutes les unions d’Etats.
Par ailleurs, la théorie de l’Etat traditionnelle néglige le fait que l’Etat n’a pas seulement une
existence spatiale, mais a également une existence temporelle,- que, si l’espace doit être
considéré comme un élément de l’Etat, il en va de même du temps, - que comme elle l’est dans
l’espace, l’existence de l’Etat est limitée également dans le temps, puisque les Etats naissent et
disparaissent. Et, de même que l’existence de l’Etat dans l’espace est le domaine de validité
spatial de l’ordre juridique étatique, l’existence de l’Etat dans le temps est le domaine de validité
temporel de cet ordre. Et de même que la question des limites territoriales de l’Etat, la question
de ses limites temporelles, c'est-à-dire la question de savoir quand un Etat commence d’exister
et quand il cesse d’exister, est une question de droit, et non pas une question que l’on puisse
résoudre par la connaissance de quelque réalité naturelle. C’est le droit international général-
nous aurons à revenir sur ce point- qui détermine le domaine de validité spatial et temporel des
ordres juridiques étatiques, qui les délimite les uns par rapport aux autres et qui rend ainsi
juridiquement possible la coexistence des Etats dans l’espace, comme leur succession dans le
temps.
c) Il se comprend presque de soi-même que ce que l’on appelle la puissance de l’Etat, la
puissance publique (Staatsgewalt), et qui est exercée par le gouvernement- lato sensu- de
l’Etat sur le peuple de l’Etat à l’intérieur du territoire de l’Etat n’est pas simplement toute
puissance, tout pouvoir qu’un individu quelconque exerce effectivement sur un autre individu,
et qui consiste en ceci qu’il est capable d’amener cet autre individu à se conduire comme il le
désire. De tels rapports de puissance effectifs, il en existe beaucoup, sans que l’on songe à

22
considérer celui qui exerce une telle puissance sur quelque autre comme un Etat ou un organe
étatique. Ce par quoi le rapport que l’on appelle pouvoir d’Etat, puissance publique, se distingue
d’autres rapports de puissance, c’est le fait qu’il est juridiquement réglé, c'est-à-dire que les
individus qui exercent le pouvoir à titre de gouvernement- lato sensu- de l’Etat sont habilités
par un ordre juridique à exercer le pouvoir par la création et l’application de normes juridiques ;
autrement dit, c’est, en bref, le fait que pouvoir d’Etat a un caractère normatif. Ce qu’on appelle
la puissance publique est la validité d’un ordre juridique étatique effectif. On affirme que l’on
ne peut considérer un appareil d’organes exerçant la puissance publique comme un
gouvernement étatique – lato sensu- que s’il est indépendant ; il faut entendre par là qu’il faut
qu’il ne soit pas juridiquement lié par aucun autre ordre juridique étatique, et que si l’ordre
juridique étatique est subordonné à quelque autre ordre juridique, c’est uniquement et
exclusivement à l’ordre juridique international.
On est accoutumé de voir dans l’exercice de la puissance publique une expression de la force,
cette force que l’on tient pour un attribut si essentiel de l’Etat que l’on caractérise précisement
l’Etat comme une force, comme une puissance, et que l’on appelle les Etats des « puissances »,
même lorsqu’il ne s’agit pas d’une « grande puissance ». La « puissance » de l’Etat ne peut se
manifester que dans les moyens de puissance spécifiques qui sont à la disposition du
gouvernement : fortifications et prisons, canons et potences, hommes en uniforme de policiers
ou de soldats. Mais ces fortifications et ces prisons, ces canons et ces potences sont des objets
inanimés, des choses inertes ; ils ne deviennent des instruments de la puissance étatique que par
le fait qu’ils sont manipulés par des hommes conformément aux ordres qui leur sont donnés par
le gouvernement, donc si les policiers et les soldats obéissent aux normes qui règlent leur
conduite. La puissance de l’Etat n’est pas une force ou une instance mystique, qui serait
dissimulée derrière l’Etat ou derrière son droit ; elle n’est rien d’autre que l’efficacité de l’ordre
juridique étatique.
Ainsi, l’Etat dont les éléments essentiels sont le peuple, le territoire et le pouvoir se définit
comme un ordre juridique relativement centralisé, limité dans son domaine de validité spatial
et temporel, soumis immédiatement au droit international, et efficace dans l’ensemble et
généralement ».

Document n°8 : Olivier Beaud, La Puissance de l’État, Paris, P.U.F., coll. « Léviathan », 1994,
p. 124-125 et p. 129.

Bien que Kelsen ait pourtant montré, depuis plus de cinquante ans, que la population et le
territoire sont seulement les projections à la fois personnelle et spatiale de la notion de
souveraineté de l’État, les habitudes de penser sont si fortes chez les juristes qu’ils continuent
paresseusement à mettre sur le même plan ces trois « éléments » de l’État. Pourtant, déjà Bodin
avait su discerner dans ses Six Livres de la République que la population et le territoire ne sont
que des cadres d’application du pouvoir et de la souveraineté, et que seule la puissance publique
est juridiquement décisive pour la compréhension de l’État. […]
Ainsi, la lecture croisée de Bodin et de la théorie générale de l’État a montré que le territoire et
la population ne sont pas des notions autonomes et donc que leur existence procède de la
souveraineté. La République de Bodin comme l’État d’aujourd’hui est une notion de droit, non
pas indépendante, mais distincte des données géographiques ou humaines. On peut seulement
affirmer que le territoire localise la souveraineté, comme la population l’humanise.

23
Sujet de dissertation suggéré : L’unité de l’État

Séance 3 : Les formes de l’État

I- Quelques sources

Document n°1 : Extraits de textes constitutionnels en vigueur

Constitution des Etats-Unis d’Amérique

PREAMBULE
Nous, Peuple des Etats-Unis, en vue de former une Union plus parfaite, d'établir la justice, de
faire régner la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer le bien-être
général et d'assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous décrétons
et établissons cette Constitution pour les Etats-Unis d'Amérique (…).
Section 10. Aucun Etat ne pourra être partie à un traité ou une alliance ou à une Confédération;
accorder des lettres de marque et de représailles; battre monnaie; émettre du papier-monnaie,
donner cours légal, pour le paiement de dettes, à autre chose que la monnaie d'or ou d'argent;
promulguer aucun décret de confiscation, aucune loi rétroactive ou qui porterait atteinte aux
obligations résultant de contrats; ni conférer des titres de noblesse.
Aucun Etat ne pourra, sans le consentement du Congrès, lever des impôts ou des droits sur les
importations ou les exportations autres que ceux qui seront absolument nécessaires pour
l'exécution de ses lois d'inspection, et le produit net de tous les droits ou impôts levés par un
Etat sur les importations ou les exportations sera affecté à l'usage du Trésor des Etats-Unis; et
toutes ces lois seront soumises à la révision ou au contrôle du Congrès.
Aucun Etat ne pourra, sans le consentement du Congrès, lever des droits de tonnage, entretenir
des troupes ou des navires de guerre en temps de paix, conclure des accords ou des pactes avec
un autre Etat ou une puissance étrangère, ni entrer en guerre, à moins qu'il ne soit effectivement
envahi ou en danger trop imminent pour permettre le moindre délai.
Article IV
Section 3. De nouveaux Etats peuvent être admis par le Congrès dans l'Union; mais aucun
nouvel Etat ne sera formé ou érigé sur le territoire soumis à la juridiction d'un autre Etat, ni
aucun Etat formé; par la jonction de deux ou de plusieurs Etats, ou parties d'Etat, sans le
consentement des législatures des Etats intéressés, aussi bien que du Congrès.
Le Congrès aura le pouvoir de disposer du territoire ou de toute autre propriété appartenant aux
États-Unis, et de faire à leur égard toutes lois et tous règlements nécessaires; et aucune
disposition de la présente Constitution ne sera interprétée de manière à préjudicier aux
revendications des Etats-Unis ou d'un Etat particulier.
Article VI.
2. La présente Constitution, ainsi que les lois des États-Unis qui en découleront, et tous les
traités déjà conclus, ou qui le seront, sous l'autorité des États-Unis, seront la loi suprême du
24
pays ; et les juges dans chaque État seront liés par les susdits, nonobstant toute disposition
contraire de la Constitution ou des lois de l'un quelconque des États.
Article VII
La ratification des conventions de neuf Etats sera suffisante pour l'établissement de la présente
Constitution entre les Etats qui l'auront ainsi ratifiée (…).
AMENDEMENTS
Article 10
Les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux Etats-Unis par la Constitution, ni refusés par elle aux
Etats, sont conservés par les Etats respectivement ou par le peuple.

Constitution de la République italienne

PRINCIPES FONDAMENTAUX
Article 5
La République, une et indivisible, reconnaît et favorise les autonomies locales; réalise dans les
services qui dépendent de l'Etat la plus large décentralisation administrative; adapte les
principes et les méthodes de sa législation aux exigences de l'autonomie et de la
décentralisation.

DEUXIEME PARTIE
ORGANISATION DE LA REPUBLIQUE

TITRE V. Les Régions, les Départements, les Communes


Article 114
La République se compose des Communes, des Provinces, des Villes Métropolitaines, des
Régions et de l'État. Les Communes, les Provinces, les Villes Métropolitaines et les Régions
sont des entités autonomes ayant un statut, des pouvoirs et des fonctions propres, conformément
aux principes établis par la Constitution. Rome est la capitale de la République. Son statut est
réglé par la loi de l'État.
Article 123
Chaque Région a un statut qui, en harmonie avec la Constitution, en fixe la forme de
gouvernement et les principes fondamentaux d'organisation et de fonctionnement. Le statut
réglemente l'exercice du droit d'initiative et du référendum sur les lois et sur les mesures
administratives de la Région ainsi que la publication des lois et des règlements régionaux. Le
statut est adopté et modifié par le Conseil régional par une loi approuvée à la majorité absolue
de ses membres, au moyen de deux délibérations successives à un intervalle de deux mois au
moins. Cette loi ne requiert pas d'être visée par le Commissaire du Gouvernement. Le
Gouvernement de la République peut soulever la question de constitutionnalité sur les statuts
régionaux devant la Cour constitutionnelle, dans les trente jours suivant leur publication. Le
statut est soumis à référendum populaire si un cinquantième des électeurs de la Région ou un
cinquième des membres du Conseil régional en font demande, trois mois au plus après sa
publication. Le statut soumis à référendum populaire n'est promulgué que s'il est approuvé à la
majorité des voix valables. Dans chaque Région le statut règle le Conseil des autonomies locales
en tant qu'organe de consultation entre la Région et les collectivités locales.

25
Article 127
Lorsque le Gouvernement estime qu'une loi régionale excède la compétence de la Région il
peut saisir la Cour Constitutionnelle de la question de légitimité constitutionnelle dans les
soixante jours qui suivent sa publication. Lorsque la Région estime qu'une loi, ou bien un autre
acte ayant valeur de loi de l'Etat ou d'une autre Région, porte atteinte au domaine de sa
compétence, elle peut saisir la Cour Constitutionnelle de la question de légitimité
constitutionnelle dans les soixante jours qui suivent la publication de la loi ou de l'acte ayant
valeur de loi.

TITRE VI. GARANTIES CONSTITUTIONNELLES

Section II : Révision de la Constitution – Lois constitutionnelles


Article 138
Les lois de révision de la Constitution et les autres lois constitutionnelles sont adoptées par
chaque Chambre au moyen de deux délibérations successives à un intervalle de trois mois au
moins et elles sont approuvées, au second tour de scrutin, à la majorité absolue des membres de
chaque Chambre. Ces lois sont soumises à un référendum populaire lorsque, dans les trois mois
suivant leur publication, un cinquième des membres d'une Chambre ou cinq cent mille électeurs
ou cinq Conseils régionaux en font la demande. La loi soumise à un référendum n'est pas
promulguée si elle n'est pas approuvée à la majorité des suffrages valablement exprimés. Il n'y
a pas lieu de procéder à un référendum si la loi a été approuvée au second tour de scrutin par
chacune des deux Chambres à la majorité des deux tiers de ses membres.

Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne

Article 28 [Garantie fédérale relative aux constitutions des Länder, autonomie communale]
(1) L'ordre constitutionnel des Länder doit être conforme aux principes d'un Etat de droit
républicain, démocratique et social, au sens de la présente Loi fondamentale. Dans les Länder,
les arrondissements et les communes, le peuple doit avoir une représentation issue d'élections
au suffrage universel direct, libre, égal et secret. Pour les élections dans les arrondissements et
communes, les personnes possédant la nationalité d'un Etat membre de la Communauté
européenne sont également électrices et éligibles dans les conditions du droit de la Communauté
européenne. Dans les communes, l'assemblée des citoyens de la commune peut tenir lieu de
corps élu.
(2) Aux communes doit être garanti le droit de régler, sous leur propre responsabilité, toutes les
affaires de la communauté locale, dans le cadre des lois. Les groupements de communes ont
également le droit d'auto-administration dans le cadre de leurs attributions légales et dans les
conditions définies par la loi. La garantie de l'auto-administration englobe également les bases
de l'autonomie financière ; ces bases comprennent une ressource fiscale revenant aux
communes, qui est assise sur le potentiel économique et dont les communes peuvent fixer le
taux de perception.
(3) La Fédération garantit la conformité de l'ordre constitutionnel des Länder avec les droits
fondamentaux et avec les dispositions des alinéas 1 et 2.
Article 30 [Répartition des compétences entre la Fédération et les Länder]

26
L'exercice des pouvoirs étatiques et l'accomplissement des missions de l'Etat relèvent des
Länder, à moins que la présente Loi fondamentale n'en dispose autrement ou n'admette un autre
règlement.

Article 31 [Primauté du droit fédéral]


Le droit fédéral prime le droit de Land.
Article 32 [Relations extérieures]
(1) La charge des relations avec les Etats étrangers relève de la Fédération.
(2) Avant la conclusion d'un traité touchant la situation particulière d'un Land, ce Land devra
être entendu en temps utile.
(3) Dans la mesure de leur compétence législative, les Länder peuvent, avec l'approbation du
gouvernement fédéral, conclure des traités avec des Etats étrangers.
Article 70 [Répartitions des compétences législatives entre la Fédération et les Länder]
(1) Les Länder ont le droit de légiférer dans les cas où la présente Loi fondamentale ne confère
pas à la Fédération des pouvoirs de légiférer.
(2) La délimitation des compétences de la Fédération et des Länder s'effectue selon les
dispositions de la présente Loi fondamentale relatives aux compétences législatives exclusives
et concurrentes.
Article 71 [Compétence législative exclusive de la Fédération, notion]
Dans le domaine de la compétence législative exclusive de la Fédération, les Länder n'ont le
pouvoir de légiférer que si une loi fédérale les y autorise expressément et dans la mesure prévue
par cette loi.
Article 72 [Compétence législative concurrente de la Fédération, notion]
(1) Dans le domaine de la compétence législative concurrente, les Länder ont le pouvoir de
légiférer aussi longtemps et pour autant que la Fédération n'a pas fait par une loi usage de sa
compétence législative.
(2) Dans les domaines de l’article 74, al. 1 nos. 4, 7, 11, 13, 15, 19a, 20, 22, 25 et 26, la
Fédération a le droit de légiférer lorsque et pour autant que la réalisation de conditions de vie
équivalentes sur le territoire fédéral ou la sauvegarde de l'unité juridique ou économique dans
l'intérêt de l'ensemble de l'Etat rendent nécessaire une réglementation législative fédérale.
(3) Lorsque la Fédération a fait usage de sa compétence de législation, les Länder peuvent
adopter des dispositions législatives qui s'en écartent en matière de : (…)
Les lois fédérales dans ces domaines entrent en vigueur au plus tôt six mois après leur
promulgation, sauf s'il en est disposé autrement avec l'approbation du Bundesrat. Pour ce qui
concerne le rapport entre droit fédéral et droit de Land dans les matières de la première phrase,
la loi la plus récente l'emporte.
(4) Une loi fédérale peut décider qu'une réglementation législative fédérale pour laquelle il
n'existe plus de nécessité au sens de l'alinéa 2 peut être remplacée par du droit de Land.
Article 73 [Compétence législative exclusive de la Fédération, liste des matières]
(1) La Fédération a la compétence législative exclusive dans les matières ci-dessous:
1. affaires étrangères ainsi que défense, y compris la protection de la population civile;
2. nationalité dans la Fédération;

27
(…)
(2) Les lois prévues à l'alinéa 1er, no 9a, requièrent l'approbation du Bundesrat.
Article 74 [Compétence législative concurrente de la Fédération, liste des matières]
(1) La compétence législative concurrente s'étend aux domaines ci-dessous :
1. droit civil, droit pénal, organisation judiciaire, procédure judiciaire (sauf le droit de la
détention provisoire), barreau, notariat et activité de conseil juridique ;
2. état civil;
(…)
(2) Les lois prises en application de l'alinéa 1er, nos. 25 et 27 requièrent l'approbation du
Bundesrat.
(…)
Article 83 [Répartition des compétences entre la Fédération et les Länder]
Sauf disposition contraire prévue ou admise par la présente Loi fondamentale, les Länder
exécutent les lois fédérales à titre de compétence propre.
Article 84 [Exécution à titre de compétence propre des Länder, contrôle fédéral]
(1) Lorsque les Länder exécutent les lois fédérales à titre de compétence propre, ils règlent
l'organisation et la procédure de leurs administrations. Si des lois fédérales en disposent
autrement, les Länder peuvent prendre des dispositions y dérogeant (…)
(…)
Article 85 [Exécution par délégation de la Fédération]
(1) Lorsque les Länder exécutent les lois fédérales par délégation de la Fédération,
l'organisation des administrations reste de la compétence des Länder, à moins que des lois
fédérales n'en disposent autrement avec l'approbation du Bundesrat. La loi fédérale ne doit pas
transférer de tâches aux communes et groupements de communes.

Constitution de la République française

Article premier. La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle
assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion.
Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.
La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions
électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales (…).
Titre XII. DES COLLECTIVITES TERRITORIALES
Article 72. Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements,
les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article
74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d'une
ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa.
Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des
compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon.
Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils
élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences.
Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions
essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les

28
collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le
règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux
dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences.
Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque
l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi
peut autoriser l'une d'entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur
action commune.
Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, représentant de
chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle
administratif et du respect des lois (…).
Article 72-2. Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer
librement dans les conditions fixées par la loi (…).
Article 72-3. La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer,
dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité.
La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint Barthélemy, Saint-
Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis
par l'article 73 pour les départements et les régions d'outre-mer, et pour les collectivités
territoriales créées en application du dernier alinéa de l'article 73, et par l'article 74 pour les
autres collectivités.
Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII.
La loi détermine le régime législatif et l'organisation particulière des Terres australes et
antarctiques françaises et de Clipperton (…).
Article 73 [Entrée en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques
nécessaires à leur application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet
2008)]. Dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables
de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes
particulières de ces collectivités (…).
Article 74. Les collectivités d'outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient
compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République (…).

Constitution du Royaume d’Espagne

Titre Préliminaire
Article 2. La Constitution est fondée sur l'unité indissoluble de la nation espagnole, patrie
commune et indivisible de tous les Espagnols. Elle reconnaît et garantit le droit à l'autonomie
des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles (…).
Titre VIII. De l'organisation territoriale de l'État
Chapitre premier
Principes généraux
Article 137. L'État distribue son territoire entre les communes, les provinces et les
communautés autonomes qui se constituent. Toutes ces entités jouissent de l'autonomie pour
gérer leurs intérêts propres (…).
Chapitre III
Des communautés autonomes

29
Article 143.1. Dans l'exercice du droit à l'autonomie reconnu à l'article 2 de la Constitution, les
provinces limitrophes présentant des caractéristiques historiques, culturelles et économiques
communes, les territoires insulaires et les provinces constituant une entité régionale historique
pourront accéder à l'autogouvernement et se constituer en communautés autonomes
conformément aux dispositions du présent titre et de leurs statuts respectifs.
2. L'initiative du processus d'autonomie incombe à tous les conseils de province intéressés ou
à l'organe interinsulaire correspondant et aux deux tiers des communes dont la population
représente au moins la majorité du corps électoral de chaque province ou île. Ces conditions
doivent être accomplies dans un délai de six mois après le premier accord adopté à ce propos
par l'une des collectivités locales intéressées.
3. L'initiative, en cas d'échec, ne pourra être reprise qu'après un délai de cinq ans (…).
Article 146. Le projet de statut est élaboré par une assemblée composée des membres du conseil
provincial ou de l'organe interinsulaire des provinces concernées et par les députés et les
sénateurs élus dans leur ressort, et il sera transmis aux Cortès générales pour être examiné
comme une loi.
Article 147.1. Selon les termes de la présente Constitution, les statuts sont la norme
institutionnelle fondamentale de chaque communauté autonome et l'État les reconnaît et les
protège comme partie intégrante de son ordre juridique (…).
3. La révision des statuts se conforme aux procédures qu'ils établissent eux-mêmes et elle exige,
de toute manière, l'approbation des Cortès générales par une loi organique.
Article 148.1. Les communautés autonomes peuvent assumer des compétences dans les
matières suivantes :
1) l'organisation de leurs institutions d'autogouvernement ;
(…)
22) la surveillance et la protection de ses édifices et de ses installations. La coordination et les
autres tâches en relation avec les polices locales dans les termes établis par la loi organique.
2. Cinq ans plus tard, et par la révision de leurs statuts, les communautés autonomes pourront
augmenter successivement leurs compétences dans le cadre établi par l'article 149.
Article 149.1. L'État jouit d'une compétence exclusive pour les matières suivantes :
1) règlementation des conditions fondamentales qui garantissent l'égalité de tous les Espagnols
dans l'exercice des droits et l'exécution de leurs devoirs constitutionnels ;
(…)
32) autorisation pour la convocation de consultations populaires par voie de référendum.
(…)
3. Les matières qui ne sont pas attribuées expressément à l'État par la Constitution peuvent
appartenir aux communautés autonomes en vertu de leurs statuts respectifs. La compétence sur
les matières qui ne sont pas assumées par les communautés autonomes appartient à l'État, dont
les normes prévaudront en cas de conflit sur celles des communautés autonomes pour tout ce
qui ne relève pas de la compétence exclusive de celles-ci. Le droit étatique sera, en tout cas,
supplétif au droit des communautés autonomes (…).

Titre X. De la révision de la Constitution


Article 167. 1. Les projets de réforme de la Constitution doivent être adoptés à la majorité des
trois cinquièmes dans chaque chambre. À défaut d'accord entre les deux chambres, on tentera

30
d'y parvenir par la création d'une commission paritaire de députés et de sénateurs, qui présentera
un texte au vote du Congrès et du Sénat.
2. Si le texte n'est pas approuvé selon la procédure décrite au paragraphe précédent, et à
condition que le texte ait obtenu un vote favorable du Sénat à la majorité absolue, le Congrès
peut approuver la révision à la majorité des deux tiers.
3. La révision approuvée par les Cortès générales est soumise à ratification par référendum, à
la demande du dixième des membres de l'une des deux chambres, présentée dans les quinze
jours suivant son adoption (…).

II- L’État fédéral

Document n°2 : Georges Scelle, Cours de droit international public, Paris, Montchrestien,
1948, p. 256.

Les traits juridiques essentiels du fédéralisme.


Sans vouloir faire ici la théorie constitutionnelle du fédéralisme qui varie d’ailleurs avec
chacune des modalités de l'association, il est cependant un certain nombre de traits
caractéristiques du fédéralisme institutionnel qui doivent être soulignés parce qu'ils ont des
répercussions internationales. Parmi ces traits, nous noterons la "participation institutionnelle"
et "l’autonomie gouvernementale".
a) - Loi de participation ou de collaboration. - Nous savons que le fédéralisme implique
l’apparition d'un ordre juridique superposé à ceux des collectivités préexistantes pour répondre
à des phénomènes de solidarité communs. Pour la mise en œuvre de l'ordre juridique de
superposition, une ou plusieurs institutions publiques communes, ou "organes fédéraux" sont
instituées : corps législatif fédéral, juridictions fédérales, services publics fédéraux et,
notamment, services publics de relation, tels que la diplomatie, les consulats, les transports,
etc.; services publics de défense extérieure (armée, etc.) ou d'exécution interne (police, etc.).
Or, il n'y a vraiment fédéralisme que si les collectivités associées participent par leurs
représentants à la constitution de ces organes fédéraux et à l’élaboration de leurs décisions. A
défaut de cette participation - par exemple si les organes fédéraux ne sont l'émanation que d'un
seul des États ou collectivités associés – il y aurait "droit de subordination" et non "droit de
collaboration" et c'est la collaboration qui est la caractéristique du Droit fédéral, qui distingue
le fédéralisme de la vassalité, de la tutelle de la colonisation.
Cela ne signifie pas que cette participation doive être égale ou identique, quels que puissent être
l’importance ou le volume des collectivités (États) fédérées. Réintroduire ici le dogme de
l'égalité absolue des États parce qu’États, c’est retomber dans l'erreur de l'égalité fonctionnelle,
qui est en correspondance directe avec l'idée de souveraineté et incompatible avec toute
organisation effective.
b) - Loi d'autonomie. - La seconde caractéristique, c'est l'autonomie garantie des collectivités
associées Cette “décentralisation gouvernementale" est essentielle, sans quoi les collectivités
perdraient leur caractère étatique et l'organisation fédérale ne tarderait pas à évoluer vers l’État
unitaire. Le fédéralisme suppose non pas une fusion, mais une association de collectivités
distinctes conservant chacune sa législation, son système juridictionnel, administratif,
sanctionnateur, pour tout ce qui correspond à leurs domaines respectifs de solidarité
particulière. Tant qu'il ne se dégage pas un besoin d'unification correspondant à un intérêt

31
commun, les collectivités composantes restent individualisées. La compétence fédérale ne
s'applique qu'à la gestion des affaires d’intérêt commun, notion d'ailleurs évolutive.
C'est la raison fondamentale pour laquelle les collectivités politiques fédéralisées continuent à
être considérées comme des États, même dans le cas où leurs gouvernements ont abdiqué toute
compétence internationale. En réalité, il n'y a pas de critère essentiel de la décentralisation et
du fédéralisme, puisqu'en dernière analyse, la compétence des gouvernements ou agents
décentralisés ou fédéralisés dépend de l'ordre juridique étatique et peut être modifiée par lui. Il
n'y a entre l'un et l'autre système qu'une différence de degré; l'un et l'autre comportent pour les
autorités locales des pouvoirs autonomes de décision, mais il est un certain degré d'absorption
des compétences locales auquel on ne peut plus parler de fédéralisme. On n'en peut plus parler
non plus s'il n'y a pas participation des organismes locaux aux activités étatiques, ni garanties
constitutionnelles des compétences locales.
Ces deux conditions du fédéralisme, la participation et l'autonomie se réalisent de façons
diverses, selon le degré de fédéralisme adopté.

Document n°3 : Louis le Fur, État fédéral et Confédérations d’Etats (1896), réédition, Paris,
Editions Panthéon-Assas, 2000, p. 589 et s. (extraits).

I. Souveraineté de l’État fédéral


La première question qui se pose dans l’étude juridique de l’État fédéral, c’est de savoir qui, de
l’État fédéral ou de ses membres, possède la souveraineté. La réponse à cette question ne saurait
être douteuse. Il est incontestable que dans le véritable État fédéral, tel qu’il existe depuis la fin
du siècle dernier, la souveraineté appartient à l’État fédéral lui-même, et non à ses membres.
Ceci résulte d’une manière évidente des dispositions des diverses constitutions fédérales sur les
rapports entre le pouvoir central et les État particuliers.
L’on a vu que le criterium de la souveraineté était la faculté d’un être de déterminer librement
les limites du droit, sa propre compétence, ce que les auteurs allemands appellent la
« compétence de la compétence ». Or toutes les constitutions fédérales reconnaissent cette
faculté à l’État fédéral sans jamais l’accorder aux États particuliers. Cette faculté se manifeste
par le droit de l’État fédéral d’étendre indéfiniment le cercle des attributions fédérales, dût-il
pour cela modifier la constitution. La révision de la constitution dépend en effet de l’État
fédéral, et elle s’effectue d’ordinaire par la voie de la législation fédérale, ou tout au moins par
l’intermédiaire d’organes agissant au nom de l’État fédéral. Les État particuliers prennent en
général une part directe à la révision, et c’est même l’un des points où leur participation à la
formation de la volonté souveraine apparaît le plus nettement ; mais en votant sur la révision,
ils agissent comme organes de l’État fédéral, et de plus il est évident qu’une semblable
participation n’a aucun rapport avec le droit de déterminer librement sa propre compétence :
nul d’entre eux ne peut ni étendre sa compétence vis-à-vis de l’État fédéral, ni même à l’inverse
empêcher à lui seul le pouvoir central d’étendre sa compétence vis-à-vis de lui ; les limites de
sa compétence se trouvent donc dépendre non pas seulement de sa propre volonté, mais aussi
et surtout d’une volonté supérieure, celle de l’État fédéral. L’ëtat fédéral au contraire est
toujours à même de s’attribuer la compétence nécessaire dans tel cas particulier, et se trouve,
dans cette manifestation de son pouvoir, indépendant de chacun de ses membres considéré
comme tel ; c’est donc bien lui, et lui seul, qui possède la souveraineté.

32
Une conséquence nécessaire de la souveraineté de l’Etat fédéral est que la loi fédérale abroge
par le fait même de sa promulgation toute disposition des lois d’un État particulier qui lui est
contraire : Bundesrecht bricht Landesrecht, droit fédéral brise droit particulier. (…)
Une autre conséquence de la souveraineté de l’État fédéral, c’est qu’en cas de conflit entre l’État
fédéral et un État particulier, c’est toujours une autorité fédérale qui est appelée à trancher le
conflit. Si les États particuliers avaient conservé leur souveraineté, toute difficulté survenue
entre eux, ou entre eux et l’État fédéral, ne pourrait se régler que par la voie de l’arbitrage,
comme cela a lieu dans la confédération d’États. Or tel n’est pas le cas dans l’État fédéral. Les
conflits de compétence ou autres sont toujours tranchés par un organe fédéral, en dehors de
toute intervention des États particuliers. (…)

V. Définition de l’État fédéral


La définition de l’État fédéral forme à la fois la suite naturelle et la conclusion de cette étude
sur l’organisation de la puissance publique dans l’État fédéral et la participation des États
particuliers à la souveraineté fédérale.
Comme toute définition, la définition de l’État fédéral doit contenir la mention d’un élément
qui soit exclusivement propre à cette forme d’État, permettant ainsi de la distinguer des autres
formes qui présentent avec elle une certaine ressemblance. De tout ce qui précède, il résulte
qu’un seul caractère peut être considéré comme appartenant en propre à l’État fédéral, c’est
l’existence dans cette forme d’États, entre l’État lui-même et les citoyens, d’un nouveau facteur
coopérant comme ces derniers à la formation de la volonté souveraine. Ce nouveau facteur, ce
sont les États particuliers, qui participent à la souveraineté sous une double forme, tantôt
indirectement, par l’intermédiaire de leurs représentants, tantôt directement, surtout en matière
de révision constitutionnelle, grâce à l’existence d’un véritable referendum d’États, semblable
à celui qui existe au profit des citoyens dans les républiques démocratiques. Cette participation
de certaines collectivités publiques à la formation de la volonté souveraine existe, on l’a vu,
dans tout État fédéral ; et à l’inverse elle n’existe que là ; c’est donc bien qu’elle constitue le
trait caractéristique de cette forme d’État.
En dehors de cette idée de participation des membres de l’État fédéral à la souveraineté, il est
impossible d’établir une distinction juridique précise entre l’État fédéral et les autres formes
d’États qui présentent avec lui quelque analogie. L’on arrive forcément, ou bien à essayer de
faire disparaitre la difficulté en niant purement et simplement l’existence de l’État fédéral, ou
bien à rejeter la définition actuelle de l’État pour la remplacer par une nouvelle et inacceptable
définition. (…)
Quant à dire que l’État fédéral ne se distingue de l’État unitaire par aucune différence juridique
précise, mais seulement par un ensemble de nuances plus ou moins marquées, comme par
exemple un pouvoir central ne possédant que les attributions les plus importantes de la
puissance publique et abandonnant à ses membres, ainsi dotés d’une autonomie très complète,
l’exercice des autres attributions qui découlent de la souveraineté, c’est là une théorie
insoutenable en droit, et qui revient à nier en réalité (…) l’existence de l'État fédéral comme
forme distincte de l’État unitaire : car s’il n’existe entre ces deux formes d’États, nulle
différence qualitative, mais seulement une différence de degré, il faut les confondre sous la
même dénomination, comme on confond actuellement sous le nom d’État unitaire des États très
centralisés et des États qui au contraire ont accordé à leurs provinces ou à leurs colonies une
autonomie poussée aussi loin que possible, plus loin même parfois que dans certains États
fédéraux (…).

33
Pour avoir une idée exacte des membres de l’État fédéral, il faut, à leur caractère de
collectivités publiques autonomes, qui les rapproche de la province autonome de l’État unitaire,
ajouter le caractère de membres participant à la formation de la volonté de l’État, qui les
rapproche des citoyens d’une république. C’est précisément la réunion de ces deux caractères
de province autonome et d’électeur d’une espèce particulière, qui constitue le trait
caractéristique des membres de l’État fédéral, en même temps qu’elle distingue cette forme
d’État de l’État unitaire où il n’existe pas de collectivités publiques de ce genre.
De tout ce qui précède, il résulte que la définition de l’État fédéral peut être formulée en ces
termes : L’État fédéral est un État qui réunit en lui le double caractère d’État et de fédération
de collectivités publiques d’une nature particulière ; ces dernières tiennent à la fois de la nature
de la province autonome et de celle du citoyen d’une république ; elles se distinguent des autres
collectivités non souveraines en ce qu’elles sont appelées à prendre part à la formation de la
volonté de l’État, participant ainsi à la substance même de la souveraineté fédérale (…).

Document n°4 : Idriss Fassassi, « Illustration récente sur l’articulation des compétences de
l’État fédéral et des États fédérés en matière d’immigration », Chronique de droit
constitutionnel étranger, Etats-Unis, in R.F.D.C., 2014, p. 175 et s. (extraits).

« Outre la décision sur la constitutionnalité de la réforme de l’assurance-santé, la Cour s’est


prononcée sur l’étendue des compétences du pouvoir fédéral dans une autre affaire, qui portait
sur la répartition des compétences entre l’État fédéral et les entités fédérées en matière
d’immigration. Était en cause la loi S.B. 1070, adoptée par l’Arizona en 2010 afin de réduire le
nombre d’immigrés en situation irrégulière dans l’État. Cinq autres États du Sud avaient adopté
un dispositif législatif fondé, en grande partie, sur celui de l’Arizona. Avant même que la loi
n’entre en vigueur, l’administration Obama forma un recours, arguant que seul l’État fédéral
était compétent pour légiférer en matière d’immigration. Une Cour de district puis la Cour
d’appel pour le neuvième circuit donnèrent raison à l’administration Obama et bloquèrent
l’application de quatre dispositions de la loi (…).
La Cour [suprême] se prononça dans l’arrêt Arizona v. United States (…). Par cinq voix contre
trois (…), la Cour estima que les trois premières dispositions de la loi de l’Arizona sont
invalides car elles relèvent d’un domaine dans lequel seul le pouvoir fédéral est compétent. Elle
fait ici application de la doctrine dite de la préemption, qui impose le dessaisissement des États
au profit du pouvoir fédéral. En revanche, s’agissant de la section 2, la plus contestée, la Cour
rejette les arguments du Gouvernement et valide le dispositif, sans toutefois fermer la porte à
des recours futurs. Le juge Kennedy rappelle dans un premier temps que les pouvoirs de l’État
fédéral en matière d’immigration et de statut des étrangers sont vastes et bien établis, en vertu
même de la Constitution. Il souligne à ce titre qu’il est fondamental que les États étrangers
puissent, sur la question du statut de leurs ressortissants aux États-Unis, avoir un interlocuteur
unique, l’État fédéral, et non les cinquante États fédérés (…). En d’autres termes les États-Unis
doivent parler d’une seule voix sur ces questions. Il souligne néanmoins l’importance des
politiques migratoires pour les États, et l’étendue du problème auquel était confronté l’Arizona
en raison du nombre d’immigrés clandestins et des conséquences, notamment en matière de
criminalité, qui en résultaient. Dans un troisième temps, il rappelle les principes fondamentaux
du fédéralisme américain, et notamment la clause de suprématie de la Constitution (article VI),
à l’aune desquels il convient d’analyser chacune des dispositions contestées et d’articuler les
compétences de l’État fédéral et des États fédérés en matière d’immigration.

34
De la suprématie des lois fédérales sur les lois fédérées, la Cour fait depuis longtemps découler
la doctrine dite de préemption en vertu de laquelle le pouvoir fédéral peut empêcher les États
fédérés d’intervenir dans des domaines qu’il a entendus, explicitement ou implicitement,
occuper seul, et en vertu de laquelle les lois étatiques en conflit avec la loi fédérale sont
invalides. Cette doctrine définit ainsi des sphères de compétence relevant du seul pouvoir
fédéral et dans lesquelles les États ne peuvent intervenir, quand bien même la législation
fédérale serait lacunaire et quand bien même l’intervention de l’État fédéré viserait à combler
ce vide (…) ».

III- L’État régional

Document n°5 : L. M. DIEZ-PICAZO, « L’autonomie des nationalités et des régions en


Espagne », Constitutions, 2014, p. 143 et s. (extraits).

2. Les statuts d'autonomie

Dans la mesure où la décentralisation politique n'est pas expressément imposée par la


Constitution, l'instrument privilégié pour sa mise en œuvre fut le principe d'autonomie,
solennellement proclamé par l'article 2 du texte constitutionnel parmi les principes qui
définissent la forme de l'État et en tant que droit des nationalités et des régions. Le principe
d'autonomie prévoit la capacité effective d'auto-gouvernance et, ce faisant, non seulement
l'existence de pouvoirs législatif et exécutif autonomes, mais également et surtout la faculté
pour les régions de développer et de mener à bien - dans le cadre de leurs propres compétences
- des politiques publiques distinctes de celles du gouvernement central. À ce propos, il importe
de souligner que, si pour des raisons symboliques le terme « fédéralisme » a toujours été évité,
le véritable niveau d'auto-gouvernance que la Constitution autorise aux Communautés
autonomes est comparable, sur de nombreux points, à celui des États fédéraux. La
décentralisation politique ne concerne pas, toutefois, le pouvoir judiciaire qui demeure unitaire
et relève de la compétence exclusive de l'État en vertu des articles 117 et 149.1.5 de la
Constitution.

Pour accéder à l'autonomie, le territoire intéressé devait se constituer en Communauté


autonome. Il s'agit là d'une terminologie moderne, désignant un nouveau type de collectivité
locale, titulaire de l'autonomie politique. Les Communautés autonomes doivent être
nécessairement formées d'une ou plusieurs provinces, équivalentes, lato sensu, aux
départements français. Aussi la division provinciale déjà existante depuis le dix-neuvième
siècle fut-elle à la base de la création des Communautés autonomes. Peu importe à ce propos
qu'il s'agisse d'authentiques nationalités historiques ou de simples régions jouissant d'un degré
inférieur d'identité culturelle : dans les deux hypothèses, l'accès au rang de Communautés
autonomes est rendu possible moyennant l'élaboration et l'approbation du Statut d'autonomie
correspondant.

« Norme institutionnelle basique » de chaque Communauté autonome, le Statut d'autonomie a


pour objet la régulation des institutions politico-administratives et des compétences assumées
par la Communauté. D'un point de vue fonctionnel, le Statut d'autonomie est, dans une certaine
mesure, similaire à la constitution des entités fédérées (cantons, Länder, etc.) au sein des États

35
fédéraux. La principale différence réside dans le fait que les Statuts d'autonomie ne sont pas
l'expression d'un pouvoir constituant résiduel qui s'exerce librement dans le respect de ce que
la constitution fédérale autorise, mais présentent une nature contractuelle ou octroyée : tant leur
approbation initiale que leur révision postérieure exigent une volonté réciproque du territoire
intéressé et du législateur étatique auquel revient toujours la décision finale par le biais d’une
loi organique.
La véracité du propos se mesure pleinement si l'on prend en considération le fait que la
Constitution espagnole ne distribue pas directement les compétences entre l'État et les
Communautés autonomes : les compétences des Communautés autonomes sont effectivement
prévues par leurs Statuts et non pas par la Constitution. Il s'ensuit que le domaine de compétence
de l'État au sein de chaque Communauté autonome résulte de ce qui n'a pas été attribué à celle-
ci par le Statut d'autonomie. En toute hypothèse, il va sans dire que les Statuts d'autonomie se
trouvent hiérarchiquement subordonnés à la Constitution, de telle sorte qu'une norme statutaire
contraire à une norme constitutionnelle doit être réputée inconstitutionnelle et, par conséquent,
peut être invalidée par le Tribunal constitutionnel.

La Constitution prévoit diverses procédures d'élaboration des Statuts d'autonomie. La crainte


du constituant que le processus de décentralisation politique demeure soustrait à tout contrôle
se reflète clairement dans deux décisions : en premier lieu, subordonner le niveau initial de
compétences à la volonté réelle d'auto-gouvernance des populations intéressées ; en second lieu,
faciliter l'accès immédiat des nationalités historiques au niveau maximal d'auto-gouvernance
constitutionnellement autorisé. Il en résulte deux procédures basiques d'élaboration des Statuts
d'autonomie, respectivement prévues par ses articles 143 et 151. Se trouvent également prévues
trois règles spéciales : dans les territoires où un régime provisoire d'autonomie existe déjà,
l'initiative peut être prise, en lieu de place des Conseils municipaux et des Conseils de province,
par leurs organes gouvernementaux ; les territoires qui ont plébiscité un Statut d'autonomie dans
le passé - c'est-à-dire la Catalogne, le Pays basque et la Galice - se trouvent dispensés, s'ils le
souhaitent, de l'exigence de référendum d'initiative prévu par l'article 143 ; l'éventuelle
incorporation, particulièrement polémique, de la Navarre au Pays basque demeure soumise au
consentement de la première.

3. La répartition des compétences entre l'État et les Communautés autonomes

L'article 149 de la Constitution énumère certaines matières qui demeurent, en toute hypothèse,
de la compétence de l'État et, ce faisant, ne peuvent pas être attribuées aux Communautés
autonomes par leur Statut d'autonomie. Aux termes de cette disposition constitutionnelle, il
existe, d'une part, des matières intégralement réservées à l'État et, partant, qui relèvent de la
compétence exclusive de celui-ci (nationalité, immigration, asile, relations internationales,
défense, les poids et les mesures, etc.), d'autre part, des domaines vis-à-vis desquels l'État se
réserve seulement l'exercice de prérogatives déterminées : la législation, de telle manière que
les Communautés autonomes peuvent assumer le volet exécutif (relations de travail, pêche,
armes et explosifs, etc.) ; l'approbation des « bases », des « normes basiques » ou de la «
législation de base », de sorte que les Communautés autonomes peuvent aussi bien assumer la
législation non basique ou de développement que celle d'exécution (santé, environnement,
énergie, moyens de communication, etc.).

36
Les compétences législatives partagées - à savoir les matières dans lesquelles l'État se réserve
la faculté de promulguer la législation de base - sont d'une importance fondamentale dans la
pratique, tant en termes quantitatifs que qualitatifs. En ce sens que quasiment toutes les activités
importantes des pouvoirs publics, à l'exception de certaines facultés typiquement régaliennes,
relèvent d'une manière ou d'une autre de la législation de base. Il convient au surplus de garder
à l'esprit que l'article 149 de la Constitution reconnaît certains titres de compétences
transversales, par le biais desquelles l'État peut édicter la législation de base dans n'importe quel
secteur : telles sont les bases pour garantir l'égal exercice des droits et des devoirs
constitutionnellement déclarés, les bases de la planification économique et les bases du régime
juridique des administrations publiques. Même si rationae materiae l'État ne peut pas édicter
la législation de base, il peut toujours le faire dès lors que ces titres transversaux sont pertinents.
Il n'est pas surprenant, au regard de ce qui précède, que le concept de législation basique ait été
à l'origine de nombreux litiges et, ce faisant, qu'il existe une jurisprudence constitutionnelle
abondante à ce sujet.

Il importe, en premier lieu, de souligner que le Tribunal constitutionnel a toujours maintenu une
vision matérielle du basique : le basique n'est pas quelque chose que le législateur étatique peut
librement désigner comme tel, mais quelque chose de fondamental et de très important. Il ne
faut en aucun cas oublier que la finalité ultime des compétences législatives partagées est de
permettre l'existence d'un fond normatif minimum commun à l'ensemble du territoire national
afin que l'existence de régulations autonomiques sur une même matière n'empêche pas le correct
fonctionnement global du système. C'est pourquoi peuvent et doivent être entachées
d'inconstitutionnalité les normes dont la qualité de base est dépourvue de toute justification
objective.

En deuxième lieu, l'édiction d'une législation de base est une possibilité, non une nécessité. Le
législateur étatique est autorisé, dans les matières où la compétence législative est partagée, à
établir un minimum de règles communes à l'ensemble du pays s'il l'estime nécessaire. Mais il
n'est pas obligé de le faire. En outre, l'absence de législation de base n'empêche pas l'exercice
des compétences correspondantes pour les Communautés autonomes : celles-ci peuvent
légiférer sur ces matières quand bien même il n'existe pas de législation de base. À cet égard,
parler de « législation de développement » pour désigner la législation des Communautés
autonomes dans ces matières, ainsi qu'il l'est parfois fait, peut se révéler trompeur. Le législateur
des Communautés autonomes demeure limité ou restreint pas la législation étatique de base
mais ne développe pas, à proprement parler, les normes édictées par celui-ci.

En troisième lieu, le Tribunal constitutionnel, à partir des années quatre-vingt-dix, a introduit


une plus grande rigueur formelle dans la définition du basique : les normes basiques doivent
être expressément identifiées comme telles, afin qu'il ne soit pas possible, comme cela fut le
cas par le passé, de déduire, dans une matière donnée, le basique en fonction de ce qui est réputé
particulièrement important dans la régulation étatique ; les normes basiques doivent préciser en
vertu de quel titre concret de compétence elles sont édictées et, partant, doivent être contenues
dans une loi formelle, sans que la définition du basique ne soit rendue possible au moyen de
normes réglementaires. Cette dernière exigence admet, cependant, un certain relâchement en ce
qui concerne les compétences législatives partagées qui, de par leur nature propre, nécessitent
une intervention immédiate et adaptée à la situation. Cela peut, par exemple, être le cas

37
s'agissant des bases en matière de crédit, de banque et d'assurance.

En quatrième et dernier lieu, il convient de souligner que les normes basiques ne sont pas
uniquement les normes contraignantes pour les législateurs autonomiques ou les normes sur les
normes. Il s'agit également des normes directement applicables : les citoyens peuvent les
invoquer et les juges doivent les appliquer dans des situations juridiques concrètes, ce qui ne va
pas sans entraîner certains doutes au sujet de ce qu'il advient en cas de conflit entre une loi d'une
Communauté autonome et une norme basique. En principe, deux réponses sont envisageables :
soit l'on considère que le conflit se résout par le biais du principe de primauté du droit étatique
sur le droit de la Communauté autonome (art. 149.3 de la Constitution), soit l'on considère que
la législation de base fait partie de ce que l'on appelle le « bloc de constitutionnalité ». Ce
dernier, aux termes de l'article 27 de la Loi organique du Tribunal constitutionnel, est composé
des Statuts d'autonomie et par les autres lois « qui, au sein du cadre constitutionnel, avaient été
édictées pour délimiter les compétences de l'État et des différentes Communautés autonomes ».
Il s'agit, en substance, des lois, relativement peu utilisées, prévues par l'article 150 de la
Constitution : les lois cadres et les lois organiques de transfert qui permettent l'attribution, en
dehors des Statuts, de compétences aux Communautés autonomes. Contrairement à ce qui
prévaut avec le principe de primauté, le bloc de constitutionnalité implique la supériorité
hiérarchique, de sorte que la loi d'une Communauté autonome contraire à l'une de ses normes
doit être réputée inconstitutionnelle. Il convient à ce titre de mentionner que, si l'inapplication
au cas d'espèce en raison du principe de primauté peut être décidée par tout juge, le Tribunal
constitutionnel détient le monopole du procès d'inconstitutionnalité. Aussi est-il à ce jour de
jurisprudence constitutionnelle constante que la violation de la législation de base est un
problème d'inconstitutionnalité, non de primauté. Ceci présente l'avantage de garantir une
interprétation uniforme des normes basiques, mais implique, indépendamment de l'excessive
lenteur du Tribunal constitutionnel, l'inconvénient de rendre dépourvu de toute signification - à
tout le moins s'agissant des normes de valeur législative - le principe précité de primauté du
droit étatique sur le droit autonomique.

4. Les relations entre le droit étatique et le droit des Communautés autonomes

Pour véritablement comprendre ce qui vient d'être exposé et, plus généralement, les critères qui
régissent les relations entre le droit étatique et le droit des Communautés autonomes, il convient
d'avoir à l'esprit l'article 149.3 de la Constitution : « Les matières qui ne sont pas attribuées
expressément à l'État par la Constitution peuvent appartenir aux Communautés autonomes en
vertu de leurs statuts respectifs. La compétence sur les matières qui ne sont pas assumées par
les Communautés autonomes appartient à l'État, dont les normes prévaudront, en cas de conflit,
sur celles des Communautés autonomes pour tout ce qui ne relève pas de la compétence
exclusive de celles-ci. Le droit étatique sera, en tout cas, substitutif au droit des Communautés
autonomes ».

Par le biais de cette disposition complexe, au moins quatre principes distincts sont reconnus :
A) Ce sont les Communautés autonomes - et non pas l'État autonomique - qui jouissent de la
compétence d'attribution. On retrouve également ici de façon implicite le principe dispositif,
selon lequel les Communautés autonomes peuvent avoir des niveaux de compétences distincts.
L'unique limite est qu'elles ne peuvent en aucun cas empiéter sur les matières

38
constitutionnellement réservées à l'État. B) Parallèlement, tout ce qui n'a pas été pris en charge
par les Communautés autonomes demeure de la compétence étatique. La compétence résiduelle
joue, ainsi, en faveur de l'État. Observons que, précisément en raison de l'asymétrie des
compétences, il était possible - et, dans une certaine mesure, il continue de l'être - que l'État
maintienne sa compétence sur certaines matières dans quelques parties du territoire tandis qu'il
la perdait dans d'autres. C) En cas de contradiction entre une norme étatique et une norme d'une
Communauté autonome, la première prévaut toujours dès lors qu'il ne s'agit pas d'une matière
relevant de la compétence exclusive de l'autonomie. Dans cette dernière hypothèse, et bien que
la Constitution ne le dise pas expressément, la primauté revient à la norme de la Communauté
autonome. D) Le droit étatique a un caractère substitutif du droit autonomique. Cette clause de
substitution semble avoir une signification classique : les éventuelles lacunes des
ordonnancements juridiques des Communautés autonomes doivent être comblées de façon
adéquate par l'ordonnancement juridique étatique.

Ces critères directeurs des relations entre le droit étatique et le droit autonomique aident à
comprendre un problème crucial de l'ordonnancement juridique espagnol, relatif à l'extension
du pouvoir législatif de l'État : l'État peut-il légiférer sur n'importe quelle matière ? Durant très
longtemps, l'État a continué de légiférer sans se préoccuper de clarifier au préalable s'il avait
une quelconque habilitation pour ce faire. Il s'agissait là d'une conséquence de la propre
structure territoriale prévue par la Constitution, qui permet que chaque Communauté autonome
assume, parmi ce qui est constitutionnellement autorisé, certaines compétences qu'elle estime
appropriée. Ceci a conduit, durant une longue période, à l'asymétrie ou à la disparité des niveaux
de compétences entre les Communautés autonomes et explique, sans nul doute, que L'État ait
conservé de nombreux réflexes de l'ancien législateur unitaire. Le législateur étatique devait
seulement se préoccuper de trouver un fondement dans la Constitution lorsqu'il souhaitait que
ses normes revêtent la qualité de législation de base ; mais, dès lors qu'il ne s'agissait pas
d'approuver une législation de base, il était admis que le pouvoir législatif de l'État était un tout
compressif, bien qu'il le fût seulement en raison de la valeur substitutive du droit étatique vis-
à-vis des carences du droit des Communautés autonomes. Naturellement, distincte était la
question selon laquelle là où s'opère la compétence législative d'une Communauté autonome la
loi étatique s'en trouvait écartée et donc inappliquée.

Ce mode de fonction a radicalement changé à la suite d'une importante décision du Tribunal


constitutionnel rendu en matière d'urbanisme : la STC 61/1997. L'idée est que, si toutes les
Communautés autonomes ont une compétence exclusive dans une matière déterminée, l'État ne
peut légiférer sur cette même matière dans la mesure où il ne dispose d'aucune habilitation pour
ce faire : la seule façon de justifier une intervention législative de l'État serait le principe de
substitution du droit étatique, lequel - et ici réside la grande innovation jurisprudentielle de 1997
- ne peut être conçu comme un titre de compétence. En d'autres termes, l'État ne peut pas
légiférer dans le seul but de combler les éventuelles carences de la législation des Communautés
autonomes. Ce revirement de jurisprudence a fait l'objet d'une importante controverse
doctrinale, qui a principalement porté sur le fait de savoir s'il était raisonnable de dépouiller le
législateur étatique de toute possibilité d'intervention dans un secteur aussi important que celui
de l'urbanisme. Aussi n'est-il pas surprenant que, peu de temps après, les Cortès générales,
agissant dans le cadre de leur compétence à adopter une législation de base afin de garantir
l'égalité de tous les espagnols dans l'exercice des droits et l'exécution de leurs devoirs
constitutionnels (art. 149.1.1 de la Constitution), aient adopté une loi régulant, pour l'ensemble
39
du territoire national, les aspects de l'urbanisme affectant le plus directement le droit
fondamental de propriété.

Dans cet ordre d'idées, il convient de faire une dernière observation : lorsqu'il a redéfini le
principe de substitution du droit étatique, le Tribunal constitutionnel n'a rien dit sur le fait que
les villes de Ceuta et Melilla ne sont intégrées dans aucune Communauté autonome. Ce qui
signifie qu'il existe deux endroits du territoire national où l'unique législateur existant est le
législateur étatique. Ces deux villes, bien qu'elles disposent de leurs propres Statuts depuis
1995, jouissent d'une autonomie exclusivement administrative dans la mesure où l'ensemble
des normes de valeur législative qui leurs sont applicables émanent des Cortès générales.

IV- L’État unitaire décentralisé

Document n°6 : Olivier Gohin, « La nouvelle décentralisation et la réforme de l’État en


France », A.J.D.A., 2003, p. 522-528 (extraits).

L’affirmation du principe d’un nouvel Etat décentralisé dans la Constitution révisée ne s’inscrit
donc, en aucun cas, dans le contexte d’un prétendu fédéralisme, même asymétrique, qui serait
tout simplement suicidaire pour l’Etat-nation en France. Il suppose également, dans cet Etat
unitaire, d’écarter l’Etat régionalisé (…). Un Etat fédéral est régi par une Constitution qui
détermine un ordre juridique supérieur à celui des Etats fédérés la composant, régis eux-mêmes
par leur propre Constitution déterminant, chacune, un ordre juridique subordonné. Il est donc
un Etat pluriconstitutionnel, comme il est aussi plurilégislatif et plurijuridictionnel, une clause
de suprématie au profit de l’Etat fédéral permettant de faire prévaloir sa souveraineté sur les
souverainetés des Etats fédéré, si tant est qu’ils sont encore souverains, c'est-à-dire qu’ils sont
encore des Etats (toutefois, il s’agit, en toute hypothèse, d’entités politiques). Or, au sein de
l’Etat français, la révision de mars 2003 maintient les collectivités territoriales au niveau
exclusivement administratif, et donc, juridiquement subordonné, qui a toujours été le leur.
L’Etat français accède seul à l’ordre juridique constitutionnel et les collectivités territoriales ne
sauraient aucunement participer, d’une façon ou d’une autre, à l’exercice des pouvoirs
constitutionnels en France, à commencer par le pouvoir législatif (…).
Au-delà de la décentralisation administrative de l’Etat décentralisé dans laquelle les régions
sont une catégorie normale de collectivités territoriales, l’Etat régionalisé correspond à une
décentralisation politique dans laquelle les régions (…) sont, en revanche, une catégorie
privilégiée de collectivités territoriales, au bénéfice d’un statut d’autonomie de nature à les
rapprocher qualitativement d’entités fédérées. La régionalisation politique, comprise en ce sens,
peut être identifiée par la création de collectivités à autonomie politique, dotées de compétences
exclusives, constitutionnellement définies et garanties, et d’un pouvoir normatif qui, cependant,
pour être matériellement, n’est pas formellement législatif dans le cadre de ces compétences
(…) La nouvelle décentralisation, issue de la révision de mars 2003, s’inscrit principalement
dans le contexte de la décentralisation administrative et ne participe donc pas, dans cette
mesure, de la décentralisation politique. Elle se rapporte à une forme politique d’Etat
décentralisé cherchant ouvertement à se situer à mi-chemin entre Etat centralisé et Etat
régionalisé sans que ce point d’équilibre soit ainsi à trouver entre une thèse qui serait
« jacobine » en faveur d’un Etat concentré et une contre-thèse qui serait « girondine » en faveur
d’un Etat éclaté.

40
Document n°7 : M. VERPEAUX, « L’unité et la diversité dans la République », Nouveaux
cahiers du droit constitutionnel, 2014, n° 42, p. 7 et s.

L'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 proclame à la fois que la République est
indivisible et que « Son organisation est décentralisée ». Si la première affirmation est ancienne
et si elle remonte directement, dans les mêmes termes, à l'article 1er de la Constitution du
27 octobre 1946 (et, accessoirement, à l'article 40 du projet de Constitution du 19 avril 1946),
la seconde est beaucoup plus récente. Elle est due à la loi constitutionnelle no 2003-276 du
28 mars 2003 (JO du 29 mars 2003 p. 5568), précisément relative à « l'organisation
décentralisée de la République ». L'affirmation de l'indivisibilité de la République est très
ancienne dans l'histoire constitutionnelle et politique française comme en témoigne le décret de
la Convention nationale du 22 septembre 1792 qui abolit la royauté lors de sa première séance,
et qui proclama dès le 25 septembre 1792 à la fois l'unité et l'indivisibilité de la République
française 1 , afin de lutter contre les ennemis de la Révolution, accusés d'un fédéralisme qui
menaçait l'unité du nouveau pouvoir révolutionnaire. Malgré son caractère républicain, cette
affirmation n'est pas propre à la République, comme l'atteste l'article 1er du Titre II de la
Constitution du 3 septembre 1791 selon lequel « Le Royaume est un et indivisible », reprenant
les principes mêmes de la monarchie absolue. Sur ce point, l'Ancien régime et la Révolution
forment une continuité quasi parfaite. L'État unitaire français s'est construit autour du pouvoir
royal et par lui. La Révolution de 1789 n'a fait que parfaire ce mouvement, en effaçant toutes
les contraintes juridiques et économiques de l'Ancien Régime pour que cette unité se réalise.
Les décrets adoptés lors de la nuit du 4 août 1789 et relatifs à l'abolition des privilèges, aussi
bien ceux attachés aux personnes et aux ordres que les privilèges territoriaux au profit de villes
ou communautés d'habitants ou de provinces, ont ainsi favorisé l'unité de la nation française.
L'uniformité des règles et des territoires a permis le développement d'un pouvoir centralisé,
symbolisé par le régime napoléonien, présenté souvent comme l'apogée du centralisme alors
qu'il s'inscrit aussi à la suite des mesures prises par la Convention et sous le Directoire, et qui a
légué, par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), le préfet, institution qui incarne la
présence de l'État sur l'ensemble du territoire. Cette loi avait été précédée, quelques semaines
auparavant, de la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) dont
l'article 1er réaffirmait : « La République française est une et indivisible », en reprenant les
termes exacts de l'article 1er de la Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795) 2 .
C'est donc dans une longue perspective historique que s'inscrit l'affirmation de l'indivisibilité
de la République. Par rapport à ces proclamations anciennes et révolutionnaires 3 , la référence
à l'unité a cependant disparu des textes constitutionnels français plus récents. La République
doit s'accommoder en effet de la satisfaction d'intérêts locaux ou de considérations historiques
ou géographiques qui conduisent à la prise en compte de diversités qui sont toutes, plus ou
moins, en lien avec l'existence d'une ou plusieurs collectivités territoriales. Ce sont ces
dernières, dont le développement est devenu incontournable, qui accompagnent et justifient la
diversité, au sein de la République restée indivisible.

I – L'indivisibilité de la République
L'indivisibilité de la République signifie l'unité du pouvoir normatif, c'est-à-dire l'unité du
pouvoir politique, qui repose sur l'unicité du souverain qui ne peut être que le peuple français,
41
selon les termes des aliénas 1 et 2 de l'article 3 de la Constitution de 1958, tels qu'ils sont
interprétés par le juge constitutionnel. En cela, la République française est un État parfaitement
unitaire.
A - L'unicité de la souveraineté
L'État unitaire se caractérise par l'unité du pouvoir politique, qui se traduit, sur le plan juridique,
par l'existence d'une seule catégorie de lois, adoptées par des représentants de la souveraineté
ou directement par référendum, et qui ont vocation à s'appliquer sur l'ensemble du territoire.
Cette indivisibilité du pouvoir normatif implique qu'il n'existe qu'une seule catégorie de lois.
Si la loi peut tolérer l'édiction de règles de droit qui s'appliquent sur une portion du territoire,
comme peuvent l'être les actes des autorités déconcentrées ou même décentralisées, ces normes
locales ne peuvent cependant être édictées qu'en application et en conformité avec les normes
nationales préalables. Elles ne peuvent être créées que si la loi nationale détermine les matières
dans lesquelles elles peuvent intervenir. Ainsi, les autorités locales, c'est-à-dire les collectivités
locales, ne disposent d'un pouvoir normatif que dans le cadre de la loi, et en respectant cette loi,
comme l'affirme l'article 72 al 3 : c'est « dans les conditions prévues par la loi » que les
collectivités territoriales « s'administrent librement », ce que l'article 34 alinéa 13 proclame
aussi en confiant à la loi la compétence pour déterminer les principes fondamentaux de la libre
administration des collectivités territoriales. De même, si la loi constitutionnelle du 28 mars
2003 a également reconnu aux collectivités territoriales un pouvoir réglementaire, celui-ci est
limité à l'exercice de leurs compétences (art. 72 al. 3), et ne peut empiéter sur le pouvoir
réglementaire reconnu au Premier ministre et au président de la République (art. 21 et 13) : le
pouvoir réglementaire reconnu aux collectivités territoriales est donc secondaire et résiduel. Les
actes des autorités locales restent des actes administratifs soumis au contrôle du seul juge
administratif, notamment par l'intermédiaire du contrôle administratif confié au représentant de
l'État et n'ont aucune vocation à concurrencer ni la loi ni même les règlements nationaux (art. 72
al. 6).
Cette unicité du pouvoir politique exprimée par le principe d'indivisibilité ne se confond pas
avec la question de l'intégrité du territoire avec laquelle elle est parfois confondue, même si
cette souveraineté s'exerce nécessairement sur un territoire déterminé. Associé à l'existence d'un
pouvoir politique et à une population, le territoire est le troisième élément de définition d'un
État souverain. À la différence d'autres pays européens comme le Portugal par exemple (art. 5),
la Constitution de 1958 ne définit pas géographiquement, dans le sens d'une description à la
fois concrète et juridique, le territoire français. Le territoire est alors conçu, de manière abstraite,
comme étant celui sur lequel les autorités françaises avaient autorité en 1958. Celui-ci a connu
cependant des évolutions, sans que la Constitution soit toujours et totalement respectée. C'est
ainsi que les départements d'Algérie et du Sahara en 1962, le Territoire d'outre-mer des
Comores en 1975, puis les territoires de Côte française des Somalis en 1977, ont accédé à
l'indépendance dans des conditions non prévues par la Constitution, même s'il y a eu des
référendums d'autodétermination.
L'intégrité du territoire n'est pas absente de la Constitution qui organise surtout les conditions
de sa protection. Le texte constitutionnel fait du président de la République le garant de cette
intégrité (art. 5), et son ultime rempart en cas de crise grave (art. 16) et il interdit toute révision
« lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire » (art. 89).
Ces différentes protections du territoire n'empêchent pas l'article 53 al. 3 de la Constitution
d'organiser, à propos des traités, une possibilité de modification du territoire de la République.
Cette disposition signifie que le territoire n'est pas conçu comme une donnée intangible, fixée

42
au moment de la Constitution de 1958 et qui ne pourrait plus être modifiée sans changement de
la Constitution. À propos des Comores, le Conseil constitutionnel a même reconnu, sur ce
fondement, la possibilité pour un territoire de faire sécession « afin de constituer un État
indépendant ou y être attaché », en interprétant de manière extensive l'article 53 qui ne concerne
que la cession, ou l'adjonction de territoire dans le cadre d'un traité international (déc. no 75-
59 DC du 30 décembre 1975, Loi relative aux conséquences de l'autodétermination des îles des
Comores, Rec. p. 26). Cette interprétation était audacieuse car, dans le cas de la sécession,
aucun traité ne peut être conclu faute de partenaire ayant la capacité de conclure un tel traité.
C'est ainsi que les accords d'Évian du 18 mars 1962 mettant fin à la guerre d'Algérie n'ont pas
été conçus comme un traité. Pour autant, ce droit à sécession n'est pas inconditionné : l'article 53
al. 3 tel qu'il est interprété par le Conseil constitutionnel, exige que l'initiative de ce droit émane
des « autorités compétentes de la République », ce qui implique l'intervention d'une loi
nationale. La procédure doit comprendre la consultation des « populations intéressées ». C'est
d'ailleurs pour réagir contre cette jurisprudence que l'article 72-3 al. 2, introduit par la loi
constitutionnelle du 28 mars 2003, a énuméré les territoires des collectivités situées outre-mer,
quel que soit leur statut. Cet article peut être compris comme interdisant que ces « territoires »
qui sont aussi des collectivités territoriales, de cesser d'appartenir à la République française sans
une révision de la Constitution. Le territoire deviendrait alors « indivisible » sans modification
de la Constitution mais, paradoxalement, cette exigence ne pèserait que sur les collectivités
situées outre-mer.

B - L'unicité du peuple français


Cette unicité correspond à l'unité de la nation française et elle est affirmée notamment à
l'article 3 al. 1er de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple... ». La
révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a consacré, presque de manière incidente, l'unité du
peuple français à l'article 72-3. Deux décisions du Conseil constitutionnel ont cependant
précédé le Constituant et c'est au Conseil que l'on doit la consécration constitutionnelle du
peuple français.
Dans une première décision (no 91-290 DC du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité
territoriale de Corse, Rec. p. 50), le Conseil constitutionnel a censuré la référence à un « peuple
corse, composante du peuple français ». Il s'est fondé notamment sur l'article 1er de la
Constitution selon lequel « la France assure l'égalité de tous les citoyens sans distinction
d'origine, de race ou de religion », pour considérer que la Constitution ne connaissait que le
peuple français, du moins pour la métropole, et qu'il ne pouvait y avoir de distinction au sein
de ce peuple. L'unité est donc assimilée à l'égalité, la première permettant d'atteindre la seconde.
Sur le fondement des textes les plus solennels qui font référence au « peuple français » de la
Déclaration de 1789 (« les représentants du peuple français ») et des Préambules de 1946 (« au
lendemain [...] le peuple français réaffirme »), et de 1958 (« Le peuple français proclame
solennellement son attachement [...] »), le Conseil a estimé que « la référence faite au “peuple
français” figure d'ailleurs depuis deux siècles dans de nombreux textes constitutionnels ;
qu'ainsi le concept juridique de “peuple français” a valeur constitutionnelle » (cons. 12). Le
Conseil semble exprimer ici une sorte de référence indirecte à une continuité constitutionnelle
qui dépasserait un texte précis, par une sorte de coutume constitutionnelle ou de référence
historique. Cette forme de supra constitutionnalité dépasse les textes des différentes
Constitutions, mais le Conseil a pris la peine de n'invoquer que des textes dont la valeur
constitutionnelle positive est incontestable. La continuité constitutionnelle a été réaffirmée dans

43
la Charte de l'environnement de 2004 qui dispose que « Le peuple français [...] proclame ». Sur
le fondement de cette continuité constitutionnelle, le Conseil avait jugé que la loi ne pouvait
créer d'autres peuples, même en tant que composante du peuple français, à propos de la
reconnaissance, dans l'article 1er de la loi adoptée par le Parlement, de la « communauté
historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français »
(cons. 13). Il a ainsi censuré la totalité de cet article, en se fondant sur la mention du peuple
français dans la Déclaration des droits de 1789 et dans le préambule de 1958 qui distingue le
peuple français des peuples des territoires d'outre-mer.
Dans une seconde décision (déc. no 99-412 DC du 15 juin 1999, Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires,Rec. p. 71), le Conseil constitutionnel a confirmé sa position sur
l'unicité du peuple français, consacrée comme ayant valeur constitutionnelle (cons. 5). Cette
Charte, signée par la France en 1998 et initiée par le Conseil de l'Europe, a été déclarée contraire
à la Constitution, et sa ratification ne peut intervenir qu'après une révision de cette dernière, ce
qu'une absence d'accord politique a toujours empêché depuis 1999. Les critiques dirigées contre
ce qui était considéré comme une conception archaïque et dépassée de la nation française n'ont
pas manqué. Toutefois, cette analyse correspond à une vision historique de cette nation et à un
refus de s'engager dans un chemin, jugé dangereux, de la reconnaissance de groupes d'individus
liés entre eux par des intérêts divers, communautés ou ethnies. Elle permet de comprendre
pourquoi le Conseil constitutionnel a préféré utiliser le concept de peuple plutôt que celui de
langue de la République, pourtant consacré à l'article 2 de la Constitution et qui semblait au
cœur du texte qu'il examinait.
L'un des liens qui permet, en effet, de cimenter l'unicité du peuple peut être la langue parlée par
ce groupe, tant l'unité nationale peut être associée à l'unité linguistique. Cette dernière, qui
reflète l'unité du peuple, est aussi la conséquence de l'unité de la souveraineté nationale. C'est
tardivement, avec la révision du 25 juin 1992, que le français a été érigé comme langue de la
République, à l'article 2 al. 1er de la Constitution. Cette reconnaissance constitutionnelle a été
inspirée, notamment, par le contexte de construction européenne et de lutte contre la domination
de la langue anglaise. Le juge constitutionnel a fait application de cette disposition et il a
distingué la sphère privée, dans laquelle l'usage d'une autre langue que le français est possible
au nom du principe de la liberté de communication, inscrite à l'article 11 de la Déclaration des
droits de 1789, et la sphère publique pour laquelle le français est la langue officielle et donc la
seule à pouvoir être utilisée dans ce cadre (déc. no 94-345 DC du 29 juillet 1994, Loi relative à
l'emploi de la langue française, Rec.p. 106). Le français est ainsi devenu une langue publique,
officielle, qui peut être imposée à tout détenteur d'une parcelle de l'autorité publique et à ceux
qui sont en relation avec les administrations et juridictions. Les autres personnes peuvent
continuer néanmoins, à utiliser librement la langue qu'ils veulent dans les rapports privés, la
« liberté fondamentale de pensée et d'expression proclamée par l'article 11 de la Déclaration des
droits de l'homme » s'y opposant (cons. 9). C'est dans ce sens qu'il faut envisager l'ajout, par la
loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, d'un article 75-1 reconnaissant que « Les langues
régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Cette disposition ne remet pas en cause
le caractère officiel du français et son insertion au sein du Titre XII consacré aux collectivités
territoriales paraît limiter ces langues régionales au seul cadre de ces collectivités. Elle permet
seulement de considérer que l'unité linguistique de la République peut connaître des nuances.
Cette reconnaissance de la diversité n'est pas isolée.

44
II – La République dans sa diversité
De plus en plus, est apparue la nécessité de garantir la diversité des dispositions législatives
afin d'adapter ces dernières aux réalités locales. Cette multiplicité législative explique peut-être
que l'adjectif « une » qui figurait dans les textes révolutionnaires, ait disparu dans les
Constitutions du xxe siècle. L'existence de textes venant concurrencer la loi et la reconnaissance
de populations au sein du peuple français sont deux illustrations de la recherche d'une diversité
territoriale qu'il n'est pas possible d'ignorer.

A - La loi nationale et les autres


L'État, aussi unitaire que peut l'être la République française, peut supporter la reconnaissance
d'une diversité législative. Le plus troublant est que cette dernière ne date pas des lois de
décentralisation des années 1980. Alors que l'indivisibilité du pouvoir se caractérise par la
soumission de tous les citoyens aux mêmes lois, un droit d'Alsace-Moselle subsiste depuis la
loi du ler juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du
Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle qui conservaient un certain nombre d'éléments du
droit allemand. Son article 7 dressait ainsi la liste des lois locales qui devaient continuer à être
appliquées, et qui sont encore en vigueur dans les trois départements. Dans sa décision no 2011-
157 QPC du 5 août 2011, Société Somodia [Interdiction du travail le dimanche en Alsace-
Moselle], le Conseil constitutionnel a d'ailleurs reconnu au maintien « des dispositions
législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de
la Moselle » la valeur d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République ayant
valeur constitutionnelle. Pour ce faire, il s'est fondé notamment sur cette loi du 1er juin 1924.
Dans le cas de ce « droit local », c'est le législateur français qui est à l'origine de cette diversité
et qui l'organise, bénéficiant d'une reconnaissance constitutionnelle. Dans d'autres cas, ce sont
des parcelles du pouvoir législatif qui sont abandonnées à des autorités décentralisées, quand
bien même il a fallu, à chaque fois, l'autorisation du constituant.
De façon plus générale, et afin de surmonter une jurisprudence contraire du Conseil
constitutionnel (déc. 2001-454 DC du 17 janvier 2002, Loi relative à la Corse, Rec., p. 70,
cons. 19 et s.), la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, complétée par celle du 23 juillet
2008, a reconnu à l'alinéa 4 de l'article 72 la possibilité pour toute collectivité ainsi qu'à leurs
groupements, de déroger aux lois et règlements nationaux par le biais d'une expérimentation
législative encadrée par la loi organique no 2003-704 du 1er août 2003 (codifiée aux articles LO
1113-1 et s.) , mais dans des conditions très strictes et encadrées par une loi organique, et sans
pouvoir méconnaître une liberté publique ou un droit constitutionnellement garanti. Les
collectivités territoriales peuvent ainsi adopter des mesures qui dérogent à la loi et se substituent
à elle. Le bilan de cette expérimentation normative, qu'il faut distinguer de la possibilité,
reconnue à l'article 37-1, lui aussi introduit en 2003, donnée au législateur d'adopter des lois
ayant un caractère expérimental est cependant très faible, peu de lois ayant autorisé ces
collectivités à déroger, tant la méfiance du législateur semble grande.
Pour les départements et régions d'outre-mer, l'adaptation des normes législatives a été élargie,
alors même que l'article 73 de la Constitution, révisé le 28 mars 2003, dispose que « Dans les
départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit ».
La deuxième phrase de cet alinéa 1er prévoit en effet qu'« Ils peuvent faire l'objet d'adaptations
tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». Ce pouvoir
d'adaptation aux caractéristiques locales n'est cependant pas possible pour les matières

45
considérées comme régaliennes et qui ne peuvent être régies que par une loi nationale. La liste
de ces compétences, fixée à l'alinéa 4 de l'article 73, comprend les matières dont le constituant
a estimé qu'elles ne pouvaient échapper à la loi nationale : parmi elles figurent notamment la
nationalité, l'état-civil, les libertés publiques, le droit pénal et la monnaie. Pour toutes ces
matières, le principe de l'indivisibilité demeure. Au sein des collectivités d'outre-mer régies par
l'article 74, qui ont remplacé les anciens territoires d'outre-mer, cet article, lui aussi
profondément modifié en 2003, prévoit que « Les collectivités d'outre-mer régies par le présent
article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la
République. Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l'assemblée
délibérante, qui fixe : les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ».
Au principe d'assimilation législative, s'oppose alors celui de la spécialité législative qui signifie
que les lois nationales ne s'appliquent dans ces collectivités que si le législateur le prévoit au
cas par cas.
De manière encore plus significative, la loi constitutionnelle no 98-610 du 20 juillet 1998
relative à la Nouvelle-Calédonie (JO du 21 juillet 1998 p. 11143) a introduit, à l'article 77 de la
Constitution, une nouvelle catégorie d'actes pris par l'assemblée délibérante de Nouvelle-
Calédonie et susceptibles d'être soumis avant publication au Conseil constitutionnel. Ces actes
ont été qualifiés de « lois du pays » par la loi organique no 99-209 du 19 mars 1999 relative à la
Nouvelle-Calédonie. L'article 99 de cette loi, qui définit le régime de ces textes, prévoit que
« Les lois du pays interviennent dans les matières suivantes correspondant aux compétences
exercées par la Nouvelle-Calédonie ou à compter de la date de leur transfert par application de
la présente loi » et il énumère douze compétences législatives transférées aux autorités locales.
Pour que cette atteinte au caractère indivisible du pouvoir législatif qui identifie un État unitaire
soit possible, il a fallu rien de moins qu'une révision constitutionnelle qui a introduit ce que
certains auteurs ont qualifié de « fédéralisme asymétrique ». Ces lois du pays sont adoptées par
le Congrès de la Nouvelle-Calédonie et ne peuvent être contrôlées que par le seul Conseil
constitutionnel, poussant ainsi l'assimilation des lois du pays aux lois nationales. Ces lois
constituent une atteinte à l'unité du pouvoir normatif, car il y a bien un pouvoir législatif propre.
Il est vrai que la Nouvelle-Calédonie connaît un régime constitutionnel provisoire, destiné à
préparer son accession à la pleine souveraineté si les électeurs de cette collectivité en décident
ainsi lors de référendums qui doivent être organisés entre 2014 et 2019.

B - La reconnaissance des populations d'outre-mer


Le constituant, une fois encore en 2003, a été conduit à reconnaître l'existence de « populations
d'outre-mer » au sein du peuple français, sans doute pour lutter contre une conception ultra-
rigide de la notion de peuple qui avait été affirmée dans la jurisprudence précitée du Conseil
constitutionnel de 1991 et de 1999. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a en effet
permis d'insérer un alinéa 1er à l'article 72-3 qui proclame que « La République reconnaît, au
sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité
et de fraternité ». En faisant une distinction, dont les contours ne sont pas précisés, entre le
peuple et les populations, le constituant a voulu aussi réaffirmer l'unité du « peuple français »
mais en même temps reconnaître une certaine diversité historique, géographique et culturelle
des populations situées outre-mer.
Cette limitation aux seules « populations d'outre-mer » a, en même temps qu'elle reconnaissait
ces dernières, fermé la porte à la reconnaissance de populations situées sur le territoire
métropolitain. Cette notion de « populations d'outre-mer » est définie à la fois

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géographiquement puisque celles-ci sont « ultramarines », et juridiquement, car elles
correspondent aux territoires qui sont définis par l'alinéa 2 de ce même article, complété par la
loi constitutionnelle no 2008-724 du 23 juillet 2008, qui énumère les collectivités qui sont
situées outre-mer. Ainsi, ces collectivités sont aussi bien les départements et régions d'outre-
mer et les collectivités uniques régies par l'article 73 que les collectivités d'outre-mer régies par
l'article 74, (Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française, Saint-
Barthélemy et Saint-Martin). À cette liste, il faut ajouter les populations de Nouvelle-Calédonie
(al. 3 de ce même art. 72-3). La Corse, qui ne fait pas partie de cette liste, ne comprend donc
pas de populations ultramarines. La question de l'identification de ces populations d'outre-
mer reste posée : sont-elles définies par leur présence dans ces mêmes collectivités situées
outre-mer ? Une telle définition ne résout pas alors la place des populations d'origine
européenne vivant dans ces collectivités ni celle des nombreux Français venus des DOM et qui
vivent en métropole.
L'article 72-3 n'entraîne cependant pas de conséquences quant aux droits particuliers qui
pourraient être reconnus à ces populations d'outre-mer, notamment pas en matière électorale.
Au contraire, lorsqu'il est question de consulter les collectivités situées outre-mer sur leur avenir
statutaire ou sur leur évolution institutionnelle, le constituant prend soin de prévoir que seront
consultés les « électeurs de la collectivité » et non les populations concernées, qui auraient pu
être comprises à la fois de manière restrictive (seuls les membres de ces populations qui y ont
un intérêt « local » pourraient voter) ou de manière extensive (tous ceux qui se sentent concernés
par la question pourraient voter, même ceux n'habitant pas « sur place »). L'article 72-4 al. 2 de
la Constitution, lui aussi introduit en 2003, a prévu que les électeurs de ces collectivités ne
peuvent être que ceux inscrits sur place même s'ils ne semblent pas appartenir aux populations
d'outre-mer telles qu'elles sont conçues dans l'article 72-3. Ces dispositions ont fait l'objet de
plusieurs applications pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin, lors des consultations du
7 décembre 2003 en vue de leur transformation en collectivités d'outre-mer régies par
l'article 74 de la Constitution, à Mayotte le 29 mars 2009 à propos de la départementalisation
de cette île de l'Océan indien, et en Martinique et en Guyane les 10 et 24 janvier 2010 à propos
de la création d'une collectivité unique dans ces deux départements et régions d'outre-mer.
C'est pour échapper à cette définition objective des électeurs que l'accord de Nouméa signé le
5 mai 1998 et publié au Journal officiel du 27 mai 1998 sous l'égide de Lionel Jospin entre le
Gouvernement français et les principaux partis néo-calédoniens, a créé une citoyenneté de la
Nouvelle-Calédonie au sein de la nationalité française et qui est propre à la collectivité de
Nouvelle-Calédonie, particulière au sein de la nationalité française et propre à la collectivité de
Nouvelle-Calédonie. Est alors citoyen néo-calédonien tout citoyen français résidant de manière
principale sur le territoire depuis le 8 novembre 1998, date du référendum organisé en Nouvelle-
Calédonie visant à approuver l'accord de Nouméa, ou celles majeures après cette date dont au
moins l'un des deux parents est citoyen néo-calédonien. Cette citoyenneté locale, qui s'ajoute à
la citoyenneté française, permet à ses seuls titulaires de participer aux élections des Provinces
et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie et aux futures consultations sur l'avenir de la Nouvelle-
Calédonie. Cet accord a été introduit dans la Constitution française aux articles 76 et 77 par la
loi constitutionnelle précitée du 20 juillet 1998, l'article 77 ayant été modifié, dans le sens d'une
précision de sa signification par la loi constitutionnelle no 2007-237 du 23 février 2007 (JO du
24 février 2007 p. 3354).
La diversité au sein de la République est devenue une réalité constitutionnelle. Elle est l'une des
conséquences de l'organisation décentralisée de la République qui, au-delà d'une nouvelle

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consécration des collectivités territoriales après celle inscrite par le Titre XII de la Constitution,
peut conduire à une nouvelle conception des rapports entre l'unité et la diversité ».

Commentaire de texte suggéré : Document n°9 : Olivier Beaud, La Puissance de l’Etat, Paris,
P.U.F., coll. « Léviathan », 1994, p. 313 et s. [p. 56-57 de la séance 4].

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Séance 4 : La Constitution (I)

I- La notion de constitution dans l’histoire des idées politiques

Document n°1 : Aristote, La Politique, Livre III, chapitre IV, extrait :

§ 1. Ces points une fois fixés, la première question qui les suit, c’est celle-ci : Existe-t-il une ou
plusieurs constitutions politiques ? Et s’il y en a plusieurs, quels en sont la nature, le nombre et
les différences ? La constitution est ce qui détermine dans l’État l’organisation régulière de
toutes les magistratures, mais surtout de la magistrature souveraine ; et le souverain de la cité,
c’est en tous lieux le gouvernement. Le gouvernement est la constitution même. Je m’explique
: par exemple, dans les démocraties, c’est le peuple qui est souverain ; dans les oligarchies, au
contraire, c’est la minorité composée des riches ; aussi dit-on que les constitutions de la
démocratie et de l’oligarchie sont essentiellement différentes, et nous appliquerons les mêmes
distinctions à toutes les autres.
§ 2. Il faut d’abord rappeler ici quel est le but assigné par nous à l’État, et quelles sont les
diversités que nous avons reconnues dans les pouvoirs, tant ceux qui s’appliquent à l’individu
que ceux qui s’appliquent à la vie commune. Au début de ce traité, nous avons dit, en parlant
de l’administration domestique et de l’autorité du maître, que l’homme est par sa nature un être
sociable ; et j’entends parla que, même sans aucun besoin d’appui mutuel, les hommes désirent
invinciblement la vie sociale.
§ 3. Ceci n’empêche pas que chacun d’eux n’y soit aussi poussé par son utilité particulière, et
par le désir de trouver la part individuelle de bonheur qui lui doit revenir. C’est là certainement
le but de tous en masse et de chacun en particulier ; mais les hommes se réunissent aussi, ne
fût-ce que pour le bonheur seul de vivre ; et cet amour de la vie est sans doute une des
perfections de l’humanité. On s’attache à l’association politique, même quand on n’y trouve
rien de plus que la vie, à moins que la somme des maux qu’elle cause ne vienne véritablement
la rendre intolérable. Voyez en effet quel degré de misère supportent la plupart des hommes par
le simple amour de la vie ; la nature semble y avoir mis pour eux une jouissance et une douceur
inexprimables.
§ 4. Il est, du reste, bien facile de distinguer les divers genres de pouvoir dont nous voulons
parler ici ; nous en traitons à plusieurs reprises dans nos ouvrages exotériques. Bien que l’intérêt
du maître et l’intérêt de son esclave s’identifient, quand c’est le vœu réel de la nature qui assigne
au maître et à l’esclave le rang qu’ils occupent tous deux, le pouvoir du maître a cependant pour
objet direct l’avantage du maître, et pour objet accidentel, l’avantage de l’esclave, parce que,
l’esclave une fois détruit, le pouvoir du maître disparaît avec lui.
§ 5. Le pouvoir du père sur les enfants, sur la femme et la famille entière, pouvoir que nous
avons nommé domestique, a pour but l’intérêt des administres, ou tout au plus un intérêt
commun à eux et à celui qui les régit. Quoique ce pouvoir en lui-même soit fait surtout pour les
administrés, il peut, comme dans tant d’autres arts, la médecine., la gymnastique, tourner
secondairement à l’avantage de celui qui gouverne. Ainsi, le gymnaste peut fort bien se mêler
aux jeunes gens qu’il exerce, comme, à bord, le pilote est toujours un des passagers. Le but du
gymnaste, comme celui du pilote, c’est le bien de ceux qu’ils dirigent ; si l’un ou l’autre vient
se mêler à leurs subordonnés, ils ne prennent leur part de l’avantage commun

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qu’accidentellement, l’un comme simple matelot, l’autre comme élève, malgré sa qualité de
professeur.
§ 6. Dans les pouvoirs politiques, lorsque la parfaite égalité des citoyens, tous semblables, en
fait la base, chacun a droit d’exercer l’autorité à son tour. D’abord, chose toute naturelle, tous
regardent cette alternative comme parfaitement légitime, et ils accordent à un autre le droit de
décider par lui-même de leurs intérêts, comme ils ont eux-mêmes antérieurement décidé des
siens ; mais, plus tard, les avantages que procurent le pouvoir et l’administration des intérêts
généraux, inspirent à tous les hommes le désir de se perpétuer en charge ; et si la continuité du
commandement pouvait seule infailliblement guérir une maladie dont ils seraient atteints, ils ne
seraient certainement pas plus âpres à retenir l’autorité, une fois qu’ils en jouissent.
§ 7. Donc évidemment, toutes les constitutions qui ont en vue l’intérêt général sont pures, parce
qu’elles pratiquent rigoureusement la justice. Toutes celles qui n’ont en vue que l’intérêt
personnel des gouvernants, viciées dans leurs bases, ne sont que la corruption des bonnes
constitutions ; elles tiennent de fort près au pouvoir du maître sur l’esclave, tandis qu’au
contraire la cité n’est qu’une association d’hommes libres.
§ 8. Après les principes que nous venons de poser, nous pouvons examiner le nombre et la
nature des constitutions, et nous nous occuperons d’abord des constitutions pures ; une fois que
celles-là seront déterminées, on reconnaîtra sans peine les constitutions corrompues.

Document n°2 : Emmanuel Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers Etat ?, chapitre V, extrait :

« Il s'agit de savoir ce qu'on doit entendre par la constitution politique d'une société, et de
remarquer ses justes rapports avec la nation elle-même. Il est impossible de créer un corps pour
une fin, sans lui donner une organisation, des formes et des lois propres, à lui faire remplir des
fonctions auxquelles on a voulu le destiner. C'est ce qu'on appelle la constitution de ce corps. Il
est évident qu’il ne peut pas exister sans elle. Il l'est donc aussi, que tout gouvernement commis
doit avoir sa constitution : et ce qui est vrai du gouvernement général l'est aussi de toutes les
parties qui le composent. Ainsi le corps des représentants, à qui est confié le pouvoir législatif
ou exercice de la volonté commune, n'existe qu'avec la manière d'être que la nation a voulu lui
donner. Il n'est rien sans ses formes constitutives; il n'agit, il ne se dirige, il ne se commande
que par elles.
A cette nécessité d'organiser le corps du gouvernement, si on veut qu'il existe ou qu'il agisse, il
faut ajouter l'intérêt qu'a la Nation à ce que le pouvoir public délégué ne puisse jamais devenir
nuisible à ses commettants. De là, une multitude de précautions politiques qu'on a mêlées à la
constitution, et qui sont autant de règles essentielles au gouvernement, sans lesquelles l’exercice
du pouvoir deviendrait illégal. On sent donc la double nécessité de soumettre le gouvernement
à des formes certaines soit intérieures, soit extérieures, qui garantissent son aptitude à la fin
pour laquelle il est établi et son impuissance à s'en écarter.
Mais qu'on nous dise d'après quelles vues, d'après quel intérêt, on aurait pu donner une
constitution à la nation elle-même. La nation existe avant tout, elle est l'origine de tout. Sa
volonté est toujours légale, elle est la loi elle-même. Avant elle et au-dessus d'elle il n'y a que
le droit naturel. Si nous voulons nous former une idée juste de la suite des lois positives qui ne
peuvent émaner que de sa volonté, nous voyons en première ligne les lois constitutionnelles qui
se divisent en deux parties : les unes règlent l'organisation et les fonctions du corps législatif,
les autres déterminent l'organisation et les fonctions des différents corps actifs. Ces lois sont

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dites fondamentales, non pas en ce sens qu'elles puissent devenir indépendantes de la volonté
nationale, mais parce que les corps qui existent et agissent par elles ne peuvent point y toucher.
Dans chaque partie, la constitution n'est pas l'ouvrage du pouvoir constitué, mais du pouvoir
constituant. Aucune sorte de pouvoir délégué ne peut rien changer aux conditions de sa
délégation. C'est en ce sens que les lois constitutionnelles sont fondamentales. Les premières,
celles qui établissent la législature, sont fondées par la volonté nationale avant toute
constitution; elles en forment le premier degré. Les secondes doivent être établies par une
volonté représentative spéciale. Ainsi toutes les parties du gouvernement se répondent et
dépendent en dernière analyse, de la nation. Nous n'offrons ici qu'une idée fugitive, mais elle
est exacte.
On conçoit facilement ensuite comment les lois proprement dites, celles qui protègent les
citoyens et décident de l'intérêt commun, sont l'ouvrage du corps législatif formé et se mouvant
d'après ses conditions constitutives. Quoique nous ne présentions ces dernières lois qu'en
seconde ligne, elles sont néanmoins les plus importantes, elles sont la fin dont les lois
constitutionnelles ne sont que les moyens. On peut les diviser en deux parties : les lois
immédiates ou protectrices, et les lois médiates ou directrices. Ce n'est pas ici le lieu de donner
plus de développement à cette analyse ».

Document n°3 : Préambule de la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814

La divine Providence, en nous rappelant dans nos Etats après une longue absence, nous a
imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets : nous nous en
sommes occupés sans relâche ; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste de
l'Europe, est signée.

Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume, nous l'avons promise,
et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l'autorité tout entière résidât en France
dans la personne du roi, ses prédécesseurs n'avaient point hésité à en modifier l'exercice, suivant
la différence des temps ; que c'est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis
le Gros, la confirmation et l'extension de leurs droits à Saint Louis et à Philippe le Bel ; que
l'ordre judiciaire a été établi et développé par les lois de Louis XI, de Henri Il et de Charles IX
; enfin, que Louis XIV a réglé presque toutes les parties de l'administration publique par
différentes ordonnances dont rien encore n'avait surpassé la sagesse.

Nous avons dû, à l'exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les effets des progrès toujours
croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la
direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations qui en sont
résultées : nous avons reconnu que le voeu de nos sujets pour une Charte constitutionnelle était
l'expression d'un besoin réel ; mais en cédant à ce voeu, nous avons pris toutes les précautions
pour que cette Charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fiers de commander.
Des hommes sages, pris dans les premiers corps de l'Etat, se sont réunis à des commissions de
notre Conseil, pour travailler à cet important ouvrage.

En même temps que nous reconnaissions qu'une Constitution libre et monarchique devait
remplir l'attente de l'Europe éclairée, nous avons dû nous souvenir aussi que notre premier

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devoir envers nos peuples était de conserver, pour leur propre intérêt, les droits et les
prérogatives de notre couronne. Nous avons espéré qu'instruits par l'expérience, ils seraient
convaincus que l'autorité suprême peut seule donner aux institutions qu'elle établit, la force, la
permanence et la majesté dont elle est elle-même revêtue ; qu'ainsi lorsque la sagesse des rois
s'accorde librement avec le vœu des peuples, une Charte constitutionnelle peut être de longue
durée ; mais que quand la violence arrache des concessions à la faiblesse du gouvernement, la
liberté publique n'est pas moins en danger que le trône même.

Nous avons enfin cherché les principes de la Charte constitutionnelle dans le caractère français,
et dans les monuments vénérables des siècles passés. Ainsi, nous avons vu dans le
renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs
à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes.

Nous avons remplacé, par la Chambre des députés, ces anciennes Assemblées des Champs de
Mars et de Mai, et ces Chambres du tiers-état, qui ont si souvent donné tout à fois des preuves
de zèle pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l'autorité des rois. En cherchant
ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue, nous avons
effacé de notre souvenir, comme nous voudrions qu'on pût les effacer de l'histoire, tous les
maux qui ont affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au sein de la
grande famille, nous n'avons su répondre à l'amour dont nous recevons tant de témoignages,
qu'en prononçant des paroles de paix et de consolation. Le voeu le plus cher à notre coeur, c'est
que tous les Français vivent en frères, et que jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité
qui doit suivre l'acte solennel que nous leur accordons aujourd'hui.

Sûrs de nos intentions, forts de notre conscience, nous nous engageons, devant l'Assemblée qui
nous écoute, à être fidèles à cette Charte constitutionnelle, nous réservant d'en juger le maintien,
avec une nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même balance les rois
et les nations.

A CES CAUSES - NOUS AVONS volontairement, et par le libre exercice de notre autorité
royale, ACCORDÉ ET ACCORDONS. FAIT CONCESSION ET OCTROI à nos sujets, tant
pour nous que pour nos successeurs, et à toujours, de la Charte constitutionnelle qui suit […]

Document n°4 : Edouard Laboulaye, Essai sur la vie et la doctrine de Fréderic Charles de
Savigny, Paris, A. Durand, 1842, p. 48-49.

Quand, au lieu de considérer l’Etat comme une machine dont on peut à volonté changer les
rouages, on verra par une observation attentive qu’un peuple est un grand être, ayant, comme
un seul homme, une organisation, un esprit, une vitalité propre, alors on renverra dans le monde
des chimères toutes ces théories qui n’ont de réalité que dans le cerveau de leurs inventeurs.
[…]
Les idées politiques ont leur développement fatal comme les idées juridiques, comme les idées
littéraires ; et tout le corps social souffre et s’affaisse dès qu’une main maladroite contrarie leur
pente naturelle : avis à ces grands hommes du jour qui s’imaginent créer des lois et fonder des
institutions quand ils écrivent quelques lignes sur un papier oublié dès le lendemain, et qui

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désespèrent de la société, parce qu’elle résiste par l’énergie de sa vitalité, aux remèdes de
l’ignorance et du charlatanisme.
[…]
Les institutions d’un peuple croissent avec lui ; elles se modèlent par transition insensible sur
le fond lentement variable des idées, sentiments, besoins. Le droit s’engendre tout seul : le
législateur ne fait que le recevoir et le contresigner. Il ne doit pas le devancer, mais le suivre.

II- La typologie des constitutions

Document n°5 : Albert Venn Dicey, Introduction à l’étude du droit constitutionnel (1885),
trad. Fr., Paris, Giard & Brière, 1902, p. 20-28, extraits :

Le droit constitutionnel, dans le sens où ce terme est employé en Angleterre, semble embrasser
toutes les règles intéressant directement ou indirectement l'exercice de la puissance souveraine
dans l'Etat. Il comprend, par suite, entre autres choses, toutes les règles qui définissent les
organes du pouvoir souverain, toutes celles qui gouvernent leurs relations réciproques ou qui
déterminent la façon dont l'autorité suprême ou les membres de cette autorité exercent leur
pouvoir. Les règles du droit constitutionnel fixent l'ordre de la succession au trône, règlent les
prérogatives du magistrat suprême, déterminent la forme de la législature et son mode
d'élection. Elles concernent aussi les ministres, leur responsabilité, leur sphère d'action, limitent
le domaine sur lequel s'étend la souveraineté de l'Etat et déterminent quels sont les sujets et
quels sont les citoyens. Remarquez l'emploi intentionnel du mot règles et non du mot lois. Si je
l'emploie, c'est pour appeler l'attention sur ce fait que les règles composant le droit
constitutionnel, au sens anglais du terme, comprennent deux sortes de principes ou maximes,
d'un caractère entièrement différent.
Les premières de ces règles sont, au sens le plus strict, des lois ; ce sont, en effet, des règles qui
— écrites ou non écrites, édictées par statutes ou dérivées de la coutume générale, de la
tradition, des maximes faites par les juges, connues sous le nom de common law — sont
sanctionnées par les tribunaux ; ces règles constituent « le droit constitutionnel », dans le sens
propre de ce terme, et peuvent, pour faciliter la distinction d'avec les autres, être appelées
collectivement « le droit de la constitution ».
L'autre sorte de règles se compose de conventions, manières de voir, habitudes ou pratiques,
qui, quoique pouvant régler la conduite des différents organes du pouvoir souverain du
ministère, ou des autres fonctionnaires, ne sont pas, en réalité, des lois proprement dites, attendu
qu'elles ne sont pas sanctionnées par les tribunaux. Cette portion du droit constitutionnel peut,
pour faciliter la distinction, être appelée les « conventions de la constitution », ou la morale
constitutionnelle. Pour dire la même chose d'une façon quelque peu différente, le « droit
constitutionnel », tel que l’entendent en Angleterre le public et des auteurs autorisés, se
compose de deux éléments. Le premier, — ce que j'appelle ici la « loi de la constitution », —
comprend ce qui, indubitablement, est du droit ; l'autre élément, — appelé ici les « conventions
de la constitution », — se compose de maximes ou pratiques qui, quoique pouvant servir de
règle de conduite ordinaire á la couronne, aux ministres et autres personnes soumises á la
Constitution, ne sont pas strictement des lois. (…)
C'est la loi constitutionnelle proprement dite qui, seule, a, pour le jurisconsulte, un intérêt réel.
Sa fonction propre est de montrer quelles sont les règles légales, — c'est-à-dire les règles

53
reconnues par les tribunaux, — qui peuvent se trouver dans les différentes parties de la
Constitution, et découvrira aisément une quantité respectable de ces lois ou de ces règles. Les
règles déterminant la situation légale de la couronne, les droits légaux de ses ministres, la
constitution de la Chambre des lords, celle de la Chambre des communes, les lois régissant
l’Eglise établie, les lois qui déterminent la situation des Eglises non établies, celles qui régissent
l'armée, — toutes ces lois et une centaine d'autres lois font partie de la loi de la constitution,
elles font partie du véritable droit du pays, autant que les articles de la Constitution des Etats-
Unis font partie du droit de l’Union.

Document n°6 : James Bryce, Constitutions souples et constitutions rigides, 1884, en ligne :
http://juspoliticum.com/article/Constitutions-souples-et-constitutions-rigides-1884-831.html
extrait :

J’ai cherché dans de nombreux domaines afin de trouver des termes, des termes nécessairement
métaphoriques, qui conviendraient pour décrire ces deux types de Constitution. Elles pourraient
être qualifiées d’animée (Moving) et d’inanimée (Stationary) car les Constitutions primitives
ne sont jamais arrêtées (at rest), mais connaissent toujours une sorte d’évolution, bien que
légère, au cours de l’activité législative ordinaire, alors que celles modernes demeurent
immuables et inchangées. Les premières pourraient encore être vues comme fluides (Fluid) et
les autres comme solides (Solid) et cristallisées (Crystallized). Quand un homme souhaite
changer la composition d’un liquide, il verse dedans un autre liquide ou dissout un solide dans
le liquide et agite la solution pour la mélanger. En revanche, celui qui souhaite modifier la
composition d’un solide doit d’abord le dissoudre ou le faire fondre et, après l’avoir fait passer
à l’état liquide ou gazeux, doit ensuite le mélanger ou en extraire (selon le cas) l’autre substance.
L’analogie entre ces deux procédures et celles par lesquelles une constitution primitive et
moderne sont respectivement modifiées pourrait justifier ces appellations. Toutefois, il y a aussi
une autre métaphore plus simple qui, même si elle ne semble pas complètement parfaite, parait
plus préférable dans son ensemble. Les Constitutions primitives pourraient être qualifiées de
flexibles (Flexible), parce qu’elles ont une certaine élasticité, qu’elles peuvent être infléchies et
changées dans leur forme tout en gardant leurs principales caractéristiques. Les Constitutions
modernes ne le peuvent pas, car leurs dispositions sont fixes et figées. Par conséquent, elles
pourraient être qualifiées de constitutions rigides (Rigid constitutions) : je propose donc
d’utiliser ces deux appellations pour les besoins de cette étude. Et si les caractéristiques des
deux types n’ont pas encore suffisamment été clarifiées par ce qui a déjà été dit, elles le
deviendront probablement par la suite, grâce à un examen plus approfondi, auquel nous allons
à présent nous livrer.

Document n°7 : Louis Favoreu et al., Droit constitutionnel, Dalloz, 21ème édition, 2019, p. 83-
84 et p. 86-87.

On définit traditionnellement la constitution au sens matériel du terme comme un ensemble de


dispositions « organisant les pouvoirs publics, le fonctionnement des institutions et les libertés
des citoyens », certains ajoutent par ailleurs « l’organisation territoriale » ; d’autres
l’introduisent plus simplement en affirmant qu’il s’agit des « règles juridiques les plus
importantes de l’Etat ». Ces définitions ont certes le mérite de résumer les idées communément

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admises à ce sujet et même d’évoquer des données que l’on trouve en effet dans un grand
nombre de « constitutions », mais elles n’en présentent pas moins un triple inconvénient : elles
sont subjectives, circulaires et juridiquement insaisissables. Elles demeurent subjectives parce
que chaque lecteur peut interpréter à sa convenance ce qu’il juge important ou, plus
généralement, inclus dans la liste des objets proposés. Elles sont circulaires parce qu’elles
renvoient à des concepts qui sont à leur tour définis grâce la notion de constitution (par
exemple : « Les pouvoirs publics sont les organes institués par la constitution »). Elles sont
juridiquement insaisissables parce que « pouvoirs publics », « institutions » et même « libertés
des citoyens » n’ont pas fait préalablement l’objet d’une définition juridique précise ; ce sont
des notions qui renvoient à des intuitions vagues et subjectives. Or une nouvelle définition ne
peut opérer qu’avec des notions déjà explicitement introduites.
[…]
« § 2. La Constitution au sens formel […]
Une procédure spécifique – Dans la plupart des pays, il existe aujourd’hui un document intitulé
« Constitution ». Il sera donc besoin d’une définition qui permette de saisir sa spécificité
juridique. Dans certains Etats d’ailleurs, il existe des textes qui portent un autre nom, mais dont
on s’accorde pour les appeler des constitutions (c’est le cas de la Loi fondamentale allemande).
Il se pourrait également qu’un ordre juridique produise une « Constitution », mais que les
juristes conviennent de dénier à ce document une quelconque qualité constitutionnelle. Une
définition de la « constitution au sens formel » devra donc nous permettre d’identifier comme
constitutionnels des textes normatifs qui ne portent pas ce nom ou au contraire comme non-
constitutionnels des documents qui le portent. Une telle définition, si elle se veut formelle, ne
peut, par définition, faire intervenir que des critères de forme et exclure toute considération
relative au contenu de la norme en question.
Selon la théorie de la hiérarchie des normes, chaque procédure spécifique définit une forme
juridique ou une catégorie normative. Il existera donc une forme constitutionnelle s’il existe
une procédure spécifique déterminant des normes explicitement qualifiées de «
constitutionnelles ».
Dans tout système juridique, la production de normes générales et abstraites se fait selon une
certaine ou même selon plusieurs procédures. Pour qu’il y ait droit constitutionnel formel, il
faut et il suffit qu’il existe par ailleurs une autre procédure, renforcée par rapport à cette ou à
ces procédures « ordinaires », c'est-à-dire qu’il s’agira des normes produites selon la procédure
la plus renforcée.
[…] Le principe en est qu’une différenciation de procédure ne peut être qu’une différenciation
de formes ou catégories et une différenciation de formes n’est à son tour autre chose qu’une
différenciation hiérarchique.
Au sommet de la hiérarchie des normes se trouvent celles dont la production exige le respect
des étapes les plus compliquées. La forme constitutionnelle n’est autre chose que la catégorie
de normes dont les conditions de validité comportent d’autres éléments que ceux exigés pour
toutes les autres formes ».

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III- Le pouvoir constituant

Document n°8 : Carl Schmitt, Théorie de la Constitution, trad. L. DEROCHE, Paris, P.U.F.,
coll. “Leviathan”, 1993, p. 241, extrait :

Les limites du pouvoir de révision constitutionnelle découlent de la notion bien comprise de


révision constitutionnelle. Un pouvoir de « réviser la constitution » attribué par une normation
des lois constitutionnelles signifie qu’une ou plusieurs dispositions légisconstitutionnelles
peuvent être remplacées par d’autres, mais seulement à la condition que l’identité et la
continuité de la constitution dans son ensemble soient préservées. Le pouvoir de révision
constitutionnelle ne contient donc que le pouvoir d’apporter à des dispositions
légisconstitutionnelles des modifications, additions, compléments, suppressions, etc., mais pas
le pouvoir de donner une nouvelle constitution, et pas davantage le pouvoir de modifier le
fondement de sa propre compétence de révision constitutionnelle, de l’élargir ou de le remplacer
par un autre.
(…) Les instances compétentes pour édicter une loi de révision constitutionnelle ne deviennent
pas pour autant titulaires ou sujets du pouvoir constituant. Elles ne sont pas non plus chargées
de l'exercice durable de ce pouvoir constituant, elles ne constituent donc pas une assemblée
nationale constituante toujours présente à l'état latent, investie d'une dictature souveraine. Une
révision constitutionnelle qui transforme un État fondé sur le principe monarchique en un État
régi par le pouvoir constituant du peuple ne peut en aucun cas être conforme à la constitution.
(…) Si une disposition des lois constitutionnelles interdit expressément certaines révisions
constitutionnelles, il ne s'agit que d'une confirmation de cette distinction entre révision
constitutionnelle et abrogation de la constitution.
Exemple : art. 2 de la loi constitutionnelle française du 14 août 1884 : « La forme républicaine
du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision. »
C'est encore plus le cas lorsque l'on interdit expressément des modifications de la constitution
qui en contrediraient l'esprit ou les principes (…).

Document n°9 : Olivier Beaud, La Puissance de l’Etat, Paris, P.U.F., coll. « Léviathan », 1994,
p. 313 et s.

Depuis que Roger Bonnard a canonisé la distinction entre le pouvoir constituant et le pouvoir
de révision sous la double appellation de pouvoir constituant originaire et de pouvoir constituant
institué, cette distinction est devenue une sorte de lieu commun dans la doctrine
constitutionnelle française, à cette variante près qu’on parle davantage de pouvoir constituant
« dérivé » que de pouvoir constituant « institué ». Le premier désigne « un pouvoir existant en
dehors de toute habilitation constitutionnelle », et le second, un pouvoir qui existe « en vertu
d’une constitution et qui a été établi pour venir, le cas échéant ». Le pouvoir constituant
originaire désigne donc l’autorité (ou quelquefois la fonction, suivant une confusion fréquente
en droit public français) ayant le pouvoir d’édicter une constitution, tandis que le pouvoir
constituant « dérivé » dénomme l’autorité chargée de modifier ladite constitution ou de la
réviser. Apparemment, la différence est profonde entre ces deux pouvoirs : le pouvoir
constituant originaire est « inconditionné » tandis que le pouvoir constituant dérivé dépend de

56
la constitution qui « fixe elle-même les conditions, au moins les conditions de forme dans
lesquelles ce pouvoir constituant est exercé (...). Dans ce cas, le pouvoir constituant de révision
n’est plus inconditionné. C’est un pouvoir dérivé ».
Ainsi, le pouvoir constituant originaire n’est régi par aucune constitution tandis que le pouvoir
constituant dérivé est subordonné à la constitution en vigueur. Le premier serait donc un
pouvoir inconditionné et absolu, le second un pouvoir constitutionnel, c’est-à-dire habilité et
donc limité. Le premier relèverait de la politique, le second du droit et de la norme
constitutionnelle. Par sa référence à la légalité constitutionnelle, le pouvoir constituant dérivé
ou institué serait auréolé du sceau de la conformité au droit tandis que le pouvoir constituant
originaire évoque, au contraire, l’image sulfureuse d’un gouvernement de pur fait.
Cette distinction semble a priori tout à fait acceptable ; elle décrit parfaitement le droit positif.
Elle ne suffit pourtant pas, et de loin, à résoudre tous les problèmes. Le premier touche au
caractère juridique du pouvoir constituant originaire qui divise les auteurs. Si Roger Bonnard
soutenait « la juridicité de l’œuvre constitutionnelle du pouvoir constituant originaire », la
plupart des juristes qui reprennent sa distinction lui dénient un tel caractère. Mais, le plus
intéressant pour notre propos se situe dans le fait que la doctrine est infidèle à l’esprit de la
distinction qu’elle pose. En effet, elle est inconséquente en admettant, d’un côté, la nature
différente de ces deux pouvoirs (inconditionné et conditionné ou absolu et limité) et de l’autre,
en persistant à les englober dans la même catégorie constituante. Or, on ne peut pas à la fois
soutenir le caractère juridiquement inconditionné du pouvoir constituant originaire, celui
juridiquement habilité du pouvoir dérivé, et les qualifier tous deux de pouvoir constituant
comme s’ils étaient de nature identique. L’erreur de la doctrine — une faute de logique en fait
— est donc de ranger ces deux pouvoirs dans un genre unique, d’adopter une différenciation
relative (différence de degré), alors qu’elle devrait être absolue. L’opposition entre un pouvoir
absolu et un pouvoir non absolu constitue une différence de nature, comme nous l’enseigne la
notion de souveraineté. Pour éviter de tirer cette conclusion logique, la doctrine dominante soit
ajoute au pouvoir de révision le correctif de « dérivé », soit dissimule l’opposition des deux
pouvoirs en définissant le pouvoir constituant de manière syncrétique comme « le pouvoir
d’établir ou de modifier la Constitution ». Le « ou » permet évidemment de combler le fossé
qui sépare les deux notions. Mais ces artifices de langage n’éliminent pas le problème de la
définition des notions qui reste entier.
Notre hypothèse consiste donc à dire que l’acte constituant et l’acte de révision sont, ainsi que
les pouvoirs qui s’y rattachent, fondamentalement distincts et opposés. Il faut donc les
dénommer de manière différente : l’acte qui édicte la constitution s’appellera ici l’acte
constituant et l’acte qui révise la constitution s’appellera ici l’acte de révision, de même que
l’autorité qui prend le premier se nommera le « pouvoir constituant » tout court (à la place du
pouvoir constituant originaire) et le second le pouvoir de révision, ou le pouvoir de révision
constitutionnelle (à la place du pouvoir constituant dérivé).

Document n°10 : Alexandre Viala, « Limitation du pouvoir constituant, la vision du


constitutionnaliste », Civitas Europa, n°32, 2014/1, p. 81 et s., extrait :

Toute la difficulté que renferme, pour le constitutionnaliste, la question de la limitation du


pouvoir constituant, provient du statut normatif de son objet qu’est la Constitution. Aux yeux
d’un constitutionnaliste, juriste de droit interne, elle est la source ultime de l’ordre juridique et
ne tire sa validité d’aucune autre norme de droit positif, ni dans l’ordre juridique interne ni dans

57
le droit international. Selon la vision classique de ce dernier, aucune norme en son sein ne
saurait non plus fonder la validité d’une Constitution dans la mesure où le droit international,
aux termes de cette approche subjectiviste, est une création et non une source du pouvoir
constituant qui demeure le détenteur exclusif de la souveraineté.

Dès lors, la quête d’une limitation du pouvoir constituant nous conduit à un dilemme. La
première solution consisterait à la concevoir en termes d’hétéro-limitation au risque de se
heurter à une impasse métaphysique : penser l’hétéro-limitation du pouvoir créateur d’une
norme qui ne tire sa validité d’aucune autre norme de droit positif oblige à invoquer une norme
de droit naturel dont aucun juriste ne peut apporter, sous la bannière de la science du droit, une
définition objective. La seconde alternative serait de raisonner en termes d’autolimitation dont
la notion achoppe sur un problème de logique juridique : un organe qui n’est limité que par sa
propre volonté n’est pas limité. Cette solution, envisagée par les théories allemandes de l’Etat
de droit et relayée en France par Raymond Carré de Malberg, avait été fortement critiquée par
les juristes d’obédience objectiviste à l’instar de Duguit et Hauriou.

Il est néanmoins possible d’envisager la limitation du pouvoir constituant dans sa dimension


paradoxale de pouvoir institué ou dérivé. Depuis Roger Bonnard, une large partie de la doctrine
oppose en effet au pouvoir constituant originaire, ce qu’elle dénomme le pouvoir constituant
dérivé selon une expression qui n’est pas exempte de critique. Habilité à réviser la Constitution,
le pouvoir constituant ainsi dénommé « pouvoir constituant dérivé » peut être aisément
considéré comme limité par cela seul qu’il est habilité. Mais dans ce cas, certains ne regardent
pas le pouvoir constituant dérivé comme une manifestation du pouvoir constituant et préfèrent
le qualifier de législateur constitutionnel à moins, comme l’a fait la doctrine positiviste
dominante sous l’autorité de Georges Vedel, de le réputer comme inhérent au pouvoir
constituant tout en considérant sa limitation avec beaucoup de scepticisme.

Comme on le perçoit aisément, si la limitation du pouvoir constituant originaire revêt les traits
d’un défi impossible à surmonter (I), celle du pouvoir constituant dérivé demeure une hypothèse
fragile (II).
[…]

Document n°11 : Article 89 de la Constitution de la Ve République

L'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la


République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.

Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au
troisième alinéa de l'article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision
est définitive après avoir été approuvée par référendum.

Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la


République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet
de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages
exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l'Assemblée nationale.
58
Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à
l'intégrité du territoire.

La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision.

Document n°12 : Article 79 de la Loi Fondamentale allemande

(1) La Loi fondamentale ne peut être modifiée que par une loi qui en modifie ou en complète
expressément le texte. En ce qui concerne les traités internationaux ayant pour objet un
règlement de paix, la préparation d'un règlement de paix ou l'abolition d'un régime d'occupation,
ou qui sont destinés à servir la défense de la République fédérale, il suffit, pour mettre au clair
que les dispositions de la Loi fondamentale ne font pas obstacle à la conclusion et à la mise en
vigueur des traités, d'un supplément au texte de la Loi fondamentale qui se limite à cette
clarification.

(2) Une telle loi doit être approuvée par les deux tiers des membres du Bundestag et les deux
tiers des voix du Bundesrat.

(3) Toute modification de la présente Loi fondamentale qui toucherait à l'organisation de la


Fédération en Länder, au principe du concours des Länder à la législation ou aux principes
énoncés aux articles 1 et 20, est interdite.

Article premier - Dignité de l'être humain, caractère obligatoire des droits fondamentaux pour
la puissance publique
(1) La dignité de l'être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l'obligation de la
respecter et de la protéger.
(2) En conséquence, le peuple allemand reconnaît à l'être humain des droits inviolables et
inaliénables comme fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans
le monde.
(3) Les droits fondamentaux énoncés ci-après lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire
à titre de droit directement applicable.

Article 20 - [Fondements de l'ordre étatique, droit de résistance]


(1) La République fédérale d'Allemagne est un État fédéral démocratique et social.
(2) Tout pouvoir d'État émane du peuple. Le peuple l'exerce au moyen d'élections et de
votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
(3) Le pouvoir législatif est lié par l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire
sont liés par la loi et le droit.
(4) Tous les Allemands ont le droit de résister à quiconque entreprendrait de renverser cet ordre,
s'il n'y a pas d'autre remède possible.

Sujet de dissertation suggéré : Les fonctions de la Constitution.

59
Séance n°5 : La Constitution (II)
I- La séparation des pouvoirs
Document n°1 : Montesquieu, De l’esprit des lois (1748), chapitre VI, livre XI, Paris,
Gallimard, coll. « La Pléiade », p. 266 et s.

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Document n°2 : Fédéraliste n° 51, (Publius – Madison, 6 février 1788), texte traduit par David
Mongoin et publié en ligne sur le site Jus Politicum (n°8, septembre 2012) :
http://juspoliticum.com/article/Publius-Madison-Federaliste-n-51-6-fevrier-1788-541.html

Dès lors, à quel moyen allons-nous enfin recourir, afin de maintenir dans la pratique la
répartition nécessaire des pouvoirs entre les différents départements, telle qu’elle est prévue par
la Constitution? La seule réponse qui puisse être donnée, c'est que, tous les remèdes extérieurs
étant considérés comme inadéquats, le vice doit être extirpé en aménageant la structure
intérieure du gouvernement de telle sorte que ses diverses parties constitutives servent, par leurs
relations mutuelles, au maintien de chacune d’elles à leur place respective. Sans m’engager
dans un traitement exhaustif de cette idée importante, je vais risquer quelques observations
générales, qui la jetteront peut-être dans une lumière plus claire, afin de pouvoir former un
jugement plus juste des principes et de la structure du gouvernement prévue par la Convention.
Pour donner une base sérieuse à cette construction (exercise) de pouvoirs séparés et distincts,
qui, dans une certaine mesure, est admise par tous comme étant essentielle à la préservation de
la liberté, il est évident que chaque département doit avoir une volonté propre, et doit donc être
constitué de manière telle que les membres de chacun d’eux aient aussi peu de pouvoirs
possibles dans la désignation des membres des autres. L’observation rigoureuse de ce principe
conduirait à ce que les désignations des départements exécutif, législatif et judiciaire découlent
de cette même fontaine de l’autorité qu’est le peuple, par des canaux n’ayant aucune
communication les uns avec les autres. Peut-être qu’un tel plan de construction des différents
départements serait moins difficile à réaliser en pratique qu’il ne semble l’être en théorie.
Cependant, des difficultés et des dépenses supplémentaires découleraient de son exécution. En
conséquence, il convient d’admettre que le principe doit subir quelques inflexions. En
particulier dans la constitution de l’organe judiciaire, il serait inopportun de respecter
rigoureusement le principe : d'abord, parce qu’en raison des qualités particulières nécessaires à
ses membres, la considération primordiale doit être de retenir le mode de sélection qui assurera
le mieux ces qualités ; enfin, parce que le mode de nomination pour une durée permanente qui
a été retenu pour ce département, doit tôt faire de détruire tout sentiment de dépendance à
l'égard de l'autorité de nomination.
Il est également évident, que les membres de chaque département doivent être aussi peu
dépendants que possible de ceux des autres quant aux émoluments attachés à leurs fonctions.
Si le magistrat exécutif ou les juges n’étaient pas indépendants de la législature à cet égard,
leur indépendance dans tous les autres domaines serait purement nominale.
Mais la grande sécurité contre une concentration progressive de plusieurs pouvoirs dans le
même département, consiste à donner à ceux qui administrent chaque département les moyens
constitutionnels nécessaires et les motivations personnelles pour résister aux empiétements des
autres. Les moyens de défense doivent être, dans ce domaine, comme dans tous les autres,
proportionnés aux dangers d’une attaque. L’ambition doit arrêter l'ambition. L'intérêt de
l'homme doit être lié aux droits constitutionnels de l’office (place). C’est peut être une critique
de la nature humaine que de tels dispositifs soient nécessaires pour contrôler les abus du pouvoir
(government). Mais qu’est ce que le pouvoir lui-même, sinon le plus grand critique sur la nature
humaine ? Si les hommes étaient des anges, aucun gouvernement ne serait nécessaire. Si les
anges gouvernaient les hommes, ni les contrôles externes ni les contrôles internes sur le
gouvernement ne seraient nécessaires. Lors de l'élaboration d'un gouvernement qui doit être
exercé par des hommes sur des hommes, la grande difficulté réside en ceci : vous devez d'abord

66
permettre au gouvernement de contrôler les gouvernés, et ensuite le contraindre à se contrôler
lui-même. La dépendance à l’égard du peuple est, sans aucun doute, le premier contrôle sur le
gouvernement, mais l'expérience a enseigné à l'humanité la nécessité de précautions auxiliaires.
Ce système, consistant à suppléer par l’opposition et la rivalité des intérêts à l’absence de
meilleurs motifs, se retrouve dans le cours de toutes les affaires humaines, privées comme
publiques. On le retrouve particulièrement présent dans toutes les distributions subalternes du
pouvoir où la finalité constante est de diviser et de conformer les différents offices de telle sorte
que chacun soit un frein pour l’autre – que l’intérêt privé de chaque individu soit la sentinelle
des droits publics. Ces inventions de la prudence ne sont pas moins nécessaires dans la
distribution des pouvoirs suprêmes de l’État.
Mais il n'est pas possible de donner à chaque département un pouvoir d'auto-défense identique.
Dans un gouvernement républicain, l'autorité législative prédomine nécessairement. Le remède
à cet inconvénient consiste à diviser la législature en différentes branches, et de les rendre, par
des modes d'élection et des principes d'action différents, aussi peu reliées l’une à l’autre que la
nature de leurs fonctions communes et leur dépendance commune à la société l’admettront. Il
peut même être nécessaire de se prémunir contre le danger des empiétements par d’autres
précautions. Comme le poids de l'autorité législative exige qu'elle soit ainsi divisée, la faiblesse
de l'exécutif peut exiger, à l’inverse, qu'il soit fortifié. Un veto absolu sur la législature semble,
à première vue, être l’instrument de défense naturelle avec lequel le magistrat exécutif devrait
être armé. Mais cela ne serait peut-être ni tout à fait sûr ni suffisant. Dans les circonstances
ordinaires, il pourrait ne pas être exercé avec toute la fermeté requise, et dans les occasions
extraordinaires, il pourrait en être fait un usage abusif. L’absence d'un veto absolu peut-elle être
supplée par l’établissement, entre le département le plus faible et la branche la plus faible du
plus fort département, d’un certain lien grâce auquel ce dernier sera conduit à soutenir les droits
constitutionnels du premier, sans trop abandonner les droits de son propre département ?
Si les principes sur lesquels sont fondées ces observations sont justes, comme je le crois, et s’ils
sont appliqués comme critères aux Constitutions des différents États et de la Constitution
fédérale, on constatera que si cette dernière ne correspond pas parfaitement à eux, les premiers
sont infiniment moins capables de supporter une telle épreuve.

Il y a, en outre, deux considérations particulièrement applicables au système fédéral


d’Amérique, qui placent ce système sous un jour très intéressant.
Premièrement. – Dans une république simple, tout le pouvoir délégué par le peuple est soumis
à l'administration d'un seul gouvernement, et les usurpations sont protégées par une division
du gouvernement en départements distincts et séparés. Dans la république composée
d'Amérique (compound republic of America), le pouvoir délégué par le peuple est d'abord divisé
entre deux gouvernements distincts, puis la partie allouée à chacun est subdivisée entre des
départements distincts et séparés. De là découle une double sécurité pour les droits des
personnes. Les différents gouvernements se contrôlent les uns les autres, en même temps que
chacun se contrôle lui-même.
Secondement. – Il est de grande importance en république non seulement de protéger la société
contre l’oppression de ses gouvernants, mais aussi de protéger une partie de la société contre
l’injustice de l’autre partie. Des intérêts différents existent nécessairement dans les différentes
classes de citoyens. Si une majorité est unie par un intérêt commun, les droits de la minorité
seront en péril. Il n’y a que deux méthodes pour parer à ce mal : la première, c’est de créer une
volonté de la communauté indépendante de la majorité – c'est-à -dire de la société elle-même -

67
la seconde, c’est de faire entrer dans la société une multitude de citoyens aux identités distinctes
afin de rendre toute combinaison injuste de la majorité de la société très improbable, sinon
impossible. La première méthode prévaut dans tous les gouvernements possédant une autorité
héréditaire ou auto-désignée. Elle constitue, au mieux, une sécurité précaire, parce qu’un
pouvoir indépendant de la société peut aussi bien épouser les vues injustes de la majorité, que
les intérêts légitimes de la minorité, et peut même le cas échéant se retourner contre les deux.
La seconde méthode sera illustrée par la République fédérale des États-Unis. Alors que toute
l'autorité qu’elle possède sera dérivée et dépendante de la société, cette dernière elle-même sera
divisée en autant de parties, d’intérêts et de classes de citoyens, que les droits des individus, ou
de la minorité, seront dans une situation de moindre danger par rapport aux combinaisons
intéressées de la majorité. Dans un gouvernement libre, la protection des droits civils doit être
la même que celle des droits religieux. Elle consiste dans un cas dans la multiplicité des intérêts,
et dans l'autre dans la multiplicité des sectes. Dans les deux cas, le degré de protection reposera
sur le nombre d'intérêts et de sectes, et l’on peut présumer que cela dépend de l'étendue du pays
et du nombre d’individus compris sous le même gouvernement. Cette considération doit
recommander tout particulièrement un bon système fédéral à tous les amis sincères et
respectueux du gouvernement républicain, puisqu’elle démontre que si le territoire de l’Union
venait à former des confédérations plus petites, ou des États, des combinaisons oppressives de
la majorité se formeraient plus facilement ; que la meilleure protection pour les droits de toutes
les classes de citoyens, sous la forme républicaine, serait diminuée, et qu’en conséquence la
stabilité et l’indépendance de certains membres du gouvernement – la seule autre protection –
devraient être augmentées en proportion. La justice est la fin du gouvernement. C'est la fin de
la société civile. Elle a toujours été et sera toujours la fin poursuivie jusqu'à ce qu'elle soit
réalisée, ou jusqu'à ce que la liberté soit perdue à sa poursuite. Dans une société où la faction
la plus forte peut facilement s’unir et opprimer la plus faible, on peut vraiment dire que
l'anarchie règnera comme dans l’état de nature où l’individu le plus faible n'est pas protégé
contre la violence du plus fort, et que, dans cet état de nature, même les individus les plus forts
sont poussés, par l'incertitude de leur condition, à se soumettre à un gouvernement qui peut
protéger les faibles aussi bien qu'eux-mêmes. Ainsi, sous un gouvernement anarchique, les
factions ou les partis les plus puissants seront conduits progressivement, par un motif analogue,
à souhaiter un gouvernement permettant de tous les protéger, les plus faibles comme les plus
forts. On ne peut douter que si l'État de Rhode Island était séparé de la Fédération (Confederacy)
et livré à lui-même, l'insécurité des droits, sous ce gouvernement populaire restreint dans un si
petit espace, serait tellement exposée aux oppressions réitérées de majorités factieuses qu’un
pouvoir entièrement indépendant du peuple serait bientôt appelé au secours par la voix même
des factieux dont la mauvaise administration en aurait fait sentir la nécessité. Dans la république
étendue des États-Unis, et parmi la grande variété d’intérêts, de partis et de sectes qu'elle
contient, une coalition de la majorité de la société toute entière ne pourra que rarement se former
sur des principes autres que ceux de la justice et de l’intérêt général, et comme l’existence d’un
danger émanant de la volonté de la majorité sera moindre pour la minorité, il y aura moins de
prétexte aussi pour protéger la minorité en introduisant dans le gouvernement une volonté
indépendante de la majorité, ou, en d'autres termes, une volonté indépendante de la société elle-
même. Il est certain et non moins important, malgré les opinions contraires qui ont été
soutenues, que plus la société est étendue, pourvu que ce soit dans une sphère pratique, plus
elle sera capable de s’autogouverner. Et heureusement pour la cause républicaine, la sphère
pratique peut être portée à une très large étendue, par une modification et une combinaison
judicieuses du principe fédéral.
68
Document n°3 : Jean-Philippe Feldman, « La séparation des pouvoirs et le constitutionnalisme.
Mythes et réalités d’une doctrine et de ses critiques », Revue française de droit constitutionnel,
n°83, 2010/3, p. 483-496, p. 483, extrait :

Durant de longues décennies, la plupart des manuels et traités de droit constitutionnel français
ont consacré un chapitre à la question de la « séparation des pouvoirs » et ils l’ont présentée de
la manière suivante. Dans De l’esprit des lois, Montesquieu aurait le premier érigé une théorie
selon laquelle, au sein d’un État, et afin que tout despotisme soit écarté, devraient se trouver
trois « pouvoirs » confiés à des personnes ou à des corps distincts. Il s’agirait des « pouvoirs »
exécutif, législatif et judiciaire. Ces pouvoirs devraient être rigoureusement « séparés » afin que
la même personne ou le même corps qui fasse la loi ne puisse l’exécuter ou rendre la justice et
inversement. Avec sa doctrine de la « séparation des pouvoirs », Montesquieu serait le fondateur
du constitutionnalisme des Lumières et son influence aurait été prépondérante sur les
constituants à la fin du XVIIIe siècle. En effet, les Américains vont fortement s’inspirer de lui
pour ériger leur « régime présidentiel » et les révolutionnaires français, dès la Déclaration des
droits de l’homme de 1789, vont graver dans le marbre la nécessité de la « séparation des
pouvoirs ». Par la suite, les constitutionnalistes vont user de cette théorie pour jauger le degré
de liberté dans un pays et la nature de son régime. Certes, la « séparation des pouvoirs » se
retrouve dans tout État démocratique et libéral, mais sous deux formes principales. Le régime
dit parlementaire est un régime de « collaboration » ou encore de séparation souple des
pouvoirs, une sorte d’entrelacement des corps, tandis que le régime qualifié de présidentiel est
un régime de séparation rigide des pouvoirs. Tout écart par rapport à cette théorie témoigne des
faiblesses, voire des dangers, d’un régime, dès lors sujet au despotisme, ou pis, à partir des
années 1910, au totalitarisme. C’est effectivement une antienne qu’il ne saurait exister de
« séparation des pouvoirs » dans un régime autoritaire, a fortiori totalitaire, et que les marxistes
l’ont rejetée avec dédain. Voilà synthétisée en quelques mots la théorie classique de la
« séparation des pouvoirs » telle qu’elle est présentée dans la Vulgate.
Aux fondements de cette Vulgate se trouve une conception idéologique particulière. La
« séparation des pouvoirs » est traditionnellement considérée comme une arme de guerre contre
le pouvoir omnipotent, à commencer par la monarchie absolue au siècle des Lumières. Elle
représente le terreau de la pensée dite républicaine à la fin du XVIIIe siècle. Il suffit de prendre
deux exemples. D’abord, dans son opuscule Vers la paix perpétuelle, Kant divise les formes
d’un État en fonction des personnes qui détiennent le pouvoir suprême – autocratie, aristocratie
et démocratie –, puis suivant la manière dont le chef gouverne le peuple – républicanisme ou
despotisme. Les formes de gouvernement se distinguent suivant que l’État mette à exécution de
son propre chef les lois qu’il a lui-même faites – c’est le despotisme – ou qu’il existe un principe
politique : celui de la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif – c’est le
républicanisme. Surtout, la « séparation des pouvoirs » va devenir le fonds commun de la
pensée libérale. Les écrits de Faguet suffiront à illustrer ce propos. Dans Le libéralisme, celui-
ci écrit que la garantie des droits de l’homme se trouve dans la « séparation des pouvoirs », i.
e. dans l’indépendance du pouvoir législatif à l’égard du gouvernement et dans l’indépendance
du pouvoir judiciaire à l’égard tant du pouvoir législatif que du gouvernement. L’auteur expose
que la « séparation des pouvoirs » n’est réelle que si les trois pouvoirs ne sont pas élus par les
mêmes personnes, i. e. par les mêmes passions.
La théorie de la « séparation des pouvoirs » telle qu’elle a été exposée, se retrouve encore dans
de nombreux écrits de droit constitutionnel, même si son empire décroît. Quant à l’expression

69
même de « séparation des pouvoirs », elle est utilisée toujours aussi couramment par les juristes
et les hommes politiques. Il n’en demeure pas moins qu’une partie de plus en plus importante
de la doctrine remet en cause la doctrine classique et n’hésite pas à la qualifier de « mythe »,
plus précisément de « mythe libéral » (I). Elle a recherché un critère alternatif à la « séparation
des pouvoirs » qui permette de distinguer les différents régimes politiques, à commencer par le
régime dit parlementaire (II). Mais quoique ces critiques soient partiellement fondées, elles
n’apparaissent pas totalement convaincantes. Le rejet du « mythe de la séparation des
pouvoirs » a malheureusement tendance à faire l’impasse sur les fondements du
constitutionnalisme (III).

Document n°4 : Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique (1835), tome 1, Garnier


Flammarion, 1999, p. 169 et s., extraits :

Les Américains ont conservé au pouvoir judiciaire ces trois caractères distinctifs. Le juge
américain ne peut prononcer que lorsqu’il y a litige. Il ne s’occupe jamais que d’un cas
particulier ; et, pour agir, il doit toujours attendre qu’on l’ait saisi.
Le juge américain ressemble donc parfaitement aux magistrats des autres nations. Cependant,
il est revêtu d’un immense pouvoir politique.
D’où vient cela ? Il se met dans le même cercle et se sert des mêmes moyens que les autres ;
pourquoi possède-t-il une puissance que ces derniers n’ont pas ?
La cause en est dans ce seul fait : les Américains ont reconnu aux juges le droit de fonder leurs
arrêts sur la constitution plutôt que sur les lois. En d’autres termes, ils leur ont permis de ne
point appliquer les lois qui paraîtraient inconstitutionnelles.
Je sais qu’un droit semblable a été quelque fois réclamé par les tribunaux d’autres pays ; mais
il ne leur a jamais été concédé. En Amérique, il est reconnu par tous les pouvoirs ; on ne
rencontre ni un parti, ni même un homme qui le conteste.
L’explication de ceci doit se trouver dans le principe même des constitutions américaines. (…)
Une constitution américaine n’est point censée immuable comme en France ; elle ne saurait être
modifiée par les pouvoirs ordinaires de la société, comme en Angleterre. Elle forme une œuvre
à part, qui, représentant la volonté de tout le peuple, oblige les législateurs comme les simples
citoyens, mais qui peut être changée par la volonté du peuple, suivant des formes qu’on a
établies, et dans des cas qu’on a prévus. (…)
Aux États-Unis, la constitution domine les législateurs comme les simples citoyens. Elle est
donc la première des lois, et ne saurait être modifiée par une loi. Il est donc juste que les
tribunaux obéissent à la constitution, préférablement à toutes les lois. Ceci tient à l’essence
même du pouvoir judiciaire : choisir entre les dispositions légales celles qui l’enchaînent le plus
étroitement est, en quelque sorte, le droit naturel du magistrat. (…)
Lorsqu’on invoque, devant les tribunaux des États-Unis, une loi que le juge estime contraire à
la constitution, il peut donc refuser de l’appliquer. Ce pouvoir est le seul qui soit particulier au
magistrat américain, mais une grande influence politique en découle.
Il est, en effet, bien peu de lois qui soient de nature à échapper pendant longtemps à l’analyse
judiciaire, car il en est bien peu qui ne blessent un intérêt individuel, et que des plaideurs ne
puissent ou ne doivent invoquer devant les tribunaux.
Or, du jour où le juge refuse d’appliquer une loi dans un procès, elle perd à l’instant une partie
de sa force morale. Ceux qu’elle a lésés sont alors avertis qu’il existe un moyen de se soustraire

70
à l’obligation de lui obéir : les procès se multiplient, et elle tombe dans l’impuissance. Il arrive
alors l’une de ces deux choses : le peuple change sa constitution ou la législature rapporte sa
loi.
Les Américains ont donc confié à leurs tribunaux un immense pouvoir politique ; mais en les
obligeant à n’attaquer les lois que par des moyens judiciaires, ils ont beaucoup diminué les
dangers de ce pouvoir.
Si le juge avait pu attaquer les lois d’une façon théorique et générale ; s’il avait pu prendre
l’initiative et censurer le législateur, il fût entré avec éclat sur la scène politique ; devenu le
champion ou l’adversaire d’un parti, il eût appelé toutes les passions qui divisent le pays à
prendre part à la lutte. Mais quand le juge attaque une loi dans un débat obscur et sur une
application particulière, il dérobe en partie l’importance de l’attaque aux regards du public. Son
arrêt n’a pour but que de frapper un intérêt individuel ; la loi ne se trouve blessée que par hasard.
D’ailleurs, la loi ainsi censurée n’est pas détruite : sa force morale est diminuée, mais son effet
matériel n’est point suspendu. Ce n’est que peu à peu, et sous les coups répétés de la
jurisprudence, qu’enfin elle succombe.
De plus, on comprend sans peine qu’en chargeant l’intérêt particulier de provoquer la censure
des lois, en liant intimement le procès fait à la loi au procès fait à un homme, on s’assure que
la législation ne sera pas légèrement attaquée. Dans ce système, elle n’est plus exposée aux
agressions journalières des partis. En signalant les fautes du législateur, on obéit à un besoin
réel : on part d’un fait positif et appréciable, puisqu’il doit servir de base à un procès.
Je ne sais si cette manière d’agir des tribunaux américains, en même temps qu’elle est la plus
favorable à l’ordre public, n’est pas aussi la plus favorable à la liberté.
Si le juge ne pouvait attaquer les législateurs que de fronts, il y a des temps où il craindrait de
le faire ; il en est d’autres où l’esprit de parti le pousserait chaque jour à l’oser. Ainsi il arriverait
que les lois seraient attaquées quand le pouvoir dont elles émanent serait faible, et qu’on s’y
soumettrait sans murmurer quand il serait fort ; c’est-à-dire que souvent on attaquerait les lois
lorsqu’il serait le plus utile de les respecter, et qu’on les respecterait quand il deviendrait facile
d’opprimer en leur nom.
Mais le juge américain est amené malgré lui sur le terrain de la politique. Il ne juge la loi que
parce qu’il a à juger un procès, et il ne peut s’empêcher de juger le procès. La question politique
qu’il doit résoudre se rattache à l’intérêt des plaideurs, et il ne saurait refuser de la trancher sans
faire un déni de justice. C’est en remplissant les devoirs étroits imposés à la profession du
magistrat qu’il fait l’acte du citoyen. Il est vrai que, de cette manière, la censure judiciaire,
exercée par les tribunaux sur la législation, ne peut s’étendre sans distinction à toutes les lois,
car il en est qui ne peuvent jamais donner lieu à cette sorte de contestation nettement formulée
qu’on nomme procès. Et lorsqu’une pareille contestation est possible, on peut encore concevoir
qu’il ne se rencontre personne qui veuille en saisir les tribunaux.
Les Américains ont souvent senti cet inconvénient, mais ils ont laissé le remède incomplet, de
peur de lui donner, dans tous les cas, une efficacité dangereuse.
Resserré dans ses limites, le pouvoir accordé aux tribunaux américains de prononcer sur
l’inconstitutionnalité des lois forme encore une des plus puissantes barrières qu’on ait jamais
élevées contre la tyrannie des assemblées politiques. (…).

71
II- La hiérarchie des normes

Document n° 5 : Hans Kelsen, Théorie pure du droit, trad. Charles Eisenmann, Paris, L.G.D.J.,
1999, coll. « Logiques Juridiques », chapitre 34, p. 193-195 et chapitre 35, p. 224

34. Le fondement de la validité des ordres normatifs : la norme fondamentale


a) Le fondement de la validité : sens de la question
Si l’on conçoit le droit comme un ordre normatif, comme un système de normes qui règlent la
conduite d’êtres humains, une question se pose aussitôt : qu’est ce qui fonde l’unité d’une
pluralité de normes, pourquoi une norme donnée fait-elle partie d’un ordre déterminé ? Et cette
question est en connexion étroite avec cette autre : pourquoi une certaine norme est-elle valable,
quel est le fondement de sa validité (Geltunsgsgrund) ?
Dire qu’une norme se rapportant à la conduite d’êtres humains « est valable » (Gilt) c’est
affirmer qu’elle est obligatoire (Verbindlich), que ces individus doivent se conduire de la façon
qu’elle prévoit. […] De ce que quelque chose est, il ne peut pas s’ensuivre que quelque chose
doit être ; non plus que, de ce que quelque chose doit être, il ne peut s’ensuivre que quelque
chose est. La validité d’une norme ne peut avoir d’autre fondement que la validité d’une autre
norme. En termes figurés, on qualifie la norme qui constitue le fondement de la validité d’une
autre norme de norme supérieure par rapport à cette dernière, qui apparaît donc comme une
norme inférieure à elle.
[…] La norme qui constitue le fondement de validité d’une autre norme est par rapport à celle-
ci une norme supérieure. Mais il est impossible que la quête du fondement de la validité d’une
norme se poursuive à l’infini, comme la quête de la cause d’un effet. Elle doit nécessairement
prendre fin avec une norme que l’on supposera dernière et suprême. En tant que norme suprême,
il est impossible que cette norme soit posée, - elle ne pourrait être posée que par une autorité,
qui devrait tirer sa compétence d’une norme encore supérieure, elle cesserait donc d’apparaître
comme suprême. La norme suprême ne peut donc être que supposée. Sa validité ne peut plus
être déduite d’une norme supérieure ; le fondement de sa validité ne peut plus faire l’objet d’une
question. Nous appellerons une semblable norme, une norme supposée suprême : la norme
fondamentale (Grundnorm).
Toutes les normes dont la validité peut être rapportée à une seule et même norme fondamentale
forment un système de normes, un ordre normatif. La norme fondamentale est la source
commune de la validité de toutes les normes qui appartiennent à un seul et même ordre ; elle
est le fondement commun de leur validité. L’appartenance d’une norme à tel ou tel ordre a sa
source dans le fait que le fondement ultime de sa validité est la norme fondamentale de cet
ordre. C’est cette norme fondamentale qui fonde l’unité d’une pluralité de normes, par le fait
qu’elle représente le fondement de la validité de toutes les normes appartenant à cet ordre.

35. La pyramide de l’ordre juridique

a) La Constitution
Dans les développements précédents, on a déjà évoqué à maintes reprises cette particularité que
présente le droit de régler lui-même sa propre création. On peut distinguer deux modalités
différentes de ce règlement. Parfois, il porte uniquement sur la procédure : des normes
déterminent exclusivement la procédure selon laquelle d’autres normes doivent être créées.

72
Parfois, il va plus loin et porte également sur le fond : des normes déterminent - jusqu’à un
certain point- le contenu, le fond d’autres normes dont elles prévoient la création. On a déjà
analysé le rapport entre les normes qui réglementent la création d’autres normes et ces autres
normes : en accord avec le caractère dynamique de l’unité des ordres juridiques, une norme est
valable si et parce qu’elle a été créée d’une certaine façon, celle que détermine une autre norme ;
cette dernière constitue ainsi le fondement immédiat de la validité de la première. Pour exprimer
la relation en question, on peut utiliser l’image spatiale de la hiérarchie, du rapport de
supériorité-subordination. La norme qui règle la création est la norme supérieure, la norme
créée conformément à ses dispositions est la norme inférieure. L’ordre juridique n’est pas un
système de normes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages
superposés, une pyramide ou hiérarchie formée (pour ainsi dire) d’un certain nombre d’étages
ou couches de normes juridiques. Son unité résulte de la connexion entre éléments qui découle
du fait que la validité d’une norme qui est créée conformément à une autre norme repose sur
celle-ci ; qu’à son tour, la création de cette dernière a été elle aussi réglée par d’autres, qui
constituent à leur tour le fondement de sa validité ; et cette démarche régressive débouche
finalement sur la norme fondamentale, norme supposée. La norme fondamentale hypothétique-
en ce sens- est par conséquent le fondement de validité suprême, qui fonde et scelle l’unité de
ce système de création.
Commençons par raisonner uniquement sur les ordres juridiques étatiques. Si l’on s’en tient
aux seules normes positives, le degré suprême de ces ordres est formé par leur Constitution. Il
faut entendre ici ce terme en un sens matériel ; où il se définit : la norme positive ou les normes
positives qui règlent la création des normes juridiques générales. La Constitution ainsi entendue
peut être créée soit par voie de coutume, soit par un acte ayant cet objet et ayant pour auteurs
un individu ou plusieurs individus, autrement dit : par acte de législation. Dans le second cas,
elle est toujours consignée dans un document ; pour cette raison, on l’appelle une Constitution
« écrite » ; alors que la Constitution coutumière est une Constitution non-écrite. Il se peut aussi
qu’une Constitution au sens matériel se compose pour partie de normes légiférées et écrites,
pour partie de normes coutumières et non-écrites. Il est également possible que les normes
d’une Constitution créée coutumièrement soient codifiées à un moment donné ; si cette
codification est l’œuvre d’un organe de création du droit et a par suite un caractère obligatoire,
la Constitution née coutumière devient une Constitution écrite.
Le terme Constitution est pris aussi en un sens formel : la Constitution au sens formel est un
document qualifié de Constitution, qui- en tant que Constitution écrite- contient non seulement
des normes qui règlent la création des normes juridiques générales, c'est-à-dire la législation ;
mais également des normes qui se rapportent à d’autres objets politiquement importants, et, en
outre, des dispositions aux termes desquelles les normes contenues dans ce document ne
peuvent pas être abrogées ou modifiées de la même façon que les lois ordinaires, mais
seulement par une procédure particulière, à des conditions de difficulté accrue. Ces dispositions
représentent la forme constitutionnelle ; en tant que forme, cette forme constitutionnelle peut
recevoir n’importe quel contenu, et elle sert en première ligne à stabiliser les normes que l’on
a appelées la Constitution matérielle, et qui sont la base positive de l’ensemble de l’ordre
juridique étatique ».

73
Document n°6 : Article 54 de la Constitution de la Ve République

Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre,


par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a
déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution,
l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir
qu'après la révision de la Constitution.

Document n°7 : CE Ass., 30 octobre 1998, Sarran, Levacher et autres, extrait :

[…]
En ce qui concerne les moyens de légalité interne :
Quant aux moyens dirigés contre les articles 3 et 8 du décret attaqué :
Considérant que l'article 3 du décret du 20 août 1998 dispose que : "Conformément à l'article
76 de la Constitution et à l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988 (...) sont admis à participer à
la consultation du 8 novembre 1998 les électeurs inscrits à cette date sur les listes électorales
du territoire et qui ont leur domicile en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988" ; qu'il
est spécifié que : "Sont réputées avoir leur domicile en Nouvelle-Calédonie alors même qu'elles
accomplissent le service national ou poursuivent un cycle d'études ou de formation continue
hors du territoire, les personnes qui avaient antérieurement leur domicile dans le territoire" ;
que l'article 8 du décret précise dans son premier alinéa, que la commission administrative
chargée de l'établissement de la liste des personnes admises à participer à la consultation, inscrit
sur cette liste les électeurs remplissant à la date de la consultation la condition de domicile
exigée par l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988 ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le deuxième alinéa de l'article 76 de la Constitution
dispose que : "Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions
fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988" ; que ce dernier article exige que
les intéressés soient domiciliés en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988, sous réserve
des exceptions qu'il énumère dans son second alinéa et qui sont reprises par l'article 3 du décret
attaqué ; qu'ainsi, les articles 3 et 8 dudit décret, loin de méconnaître l'article 76 de la
Constitution en ont fait une exacte application ;

Considérant que l'article 76 de la Constitution ayant entendu déroger aux autres normes de
valeur constitutionnelle relatives au droit de suffrage, le moyen tiré de ce que les dispositions
contestées du décret attaqué seraient contraires aux articles 1er et 6 de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen, à laquelle renvoie le préambule de la Constitution ou à l'article 3 de
la Constitution ne peut qu'être écarté ;
Considérant que si l'article 55 de la Constitution dispose que "les traités ou accords
régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des
lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie", la
suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre
interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le décret
attaqué, en ce qu'il méconnaîtrait les stipulations d'engagements internationaux régulièrement

74
introduits dans l'ordre interne, serait par là même contraire à l'article 55 de la Constitution, ne
peut lui aussi qu'être écarté ;
Considérant que si les requérants invitent le Conseil d'Etat à faire prévaloir les stipulations des
articles 2, 25 et 26 du pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques, de l'article 14
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
et de l'article 3 du protocole additionnel n° 1 à cette convention, sur les dispositions de l'article
2 de la loi du 9 novembre 1988, un tel moyen ne peut qu'être écarté dès lors que par l'effet du
renvoi opéré par l'article 76 de la Constitution aux dispositions dudit article 2, ces dernières ont
elles-mêmes valeur constitutionnelle ;
Considérant enfin que, dans la mesure où les articles 3 et 8 du décret attaqué ont fait une exacte
application des dispositions constitutionnelles qu'il incombait à l'auteur de ce décret de mettre
en œuvre, ne sauraient être utilement invoquées à leur encontre ni une méconnaissance des
dispositions du code civil relatives aux effets de l'acquisition de la nationalité française et de la
majorité civile ni une violation des dispositions du code électoral relatives aux conditions
d'inscription d'un électeur sur une liste électorale dans une commune déterminée ; […]

III- Le contrôle de constitutionnalité

Document n°8 : Olivier Beaud, « Constitutionnalisme », in Joël Andriantsimbazovina (dir.)


Dictionnaire des droits de l’homme, Paris, P.U.F., coll. « Quadrige », 2008, p. 193, extraits :

« L'objet de la présente notice est de s'interroger sur le lien qui existe entre le
constitutionnalisme et les droits de l'homme. À première vue, les deux notions sont
intrinsèquement liées, comme l'atteste le célèbre article 16 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel « toute société, dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ». Le
constitutionnalisme, qui a partie liée avec l'idée de constitution (O. Beaud, « Constitution et
constitutionnalisme », in Ph. Raynaud & S. Rials (dir.), Dictionnaire de philosophie politique,
Paris, PUF, 1996), serait donc concrétisé par la notion de droits de l'homme, elle-même issue
d'une « laïcisation de la loi naturelle » (S. Rials, « Ouverture : généalogie des droits de l'homme
», Droits, n° 2, n° 3, 1988, p. 3-13). Toutefois, après examen plus approfondi, un tel lien entre
les deux notions se révèle plus problématique.

Du constitutionnalisme au constitutionnalisme libéral


L’expression de constitutionnalisme n'est pas univoque. Dans son acception la plus large (lato
sensu), il décrit la « technique consistant à établir et à maintenir des freins effectifs à l'action
politique et étatique » (C. J. Friedrich). Ainsi défini, le constitutionnalisme condenserait deux
idées essentielles et anciennes de la philosophie politique : d'abord, la promotion d'un
gouvernement limité et, ensuite, le gouvernement de la loi qui se serait substitué au
gouvernement des hommes. Ainsi permettrait-il de rendre compte de la limitation tant du
pouvoir de la Cité (« constitutionnalisme ancien ») que du pouvoir de la royauté par un droit
coutumier (« constitutionnalisme médiéval »). En revanche, dans son acception plus restreinte
(stricto sensu), le constitutionnalisme désigne certes l'idée de limitation du pouvoir politique,
mais ce pouvoir politique est uniquement l'État moderne. Le constitutionnalisme fait en effet
partie intégrante de la philosophie de la démocratie libérale qui présuppose une distinction entre

75
la sphère privée ou sociale et la sphère publique et politique, c'est-à-dire entre l'État et la société
civile, distinction inconnue des anciens modes de pensée constitutionnalistes. Enfin, à l'intérieur
de ce cadre moderne du constitutionnalisme, il existe une acception encore plus étroite servant
à « désigner les régimes politiques qui, grâce à l'établissement d'un contrôle de
constitutionnalité exercé par une instance politico-judiciaire "indépendante", rendent possible
la limitation du pouvoir législatif lui-même en veillant à la conformité des lois à la constitution
et à ses principes généraux, et non pas simplement à la légalité des actions du pouvoir exécutif
et de l'administration» (P. Raynaud, « Constitutionnalisme », in D. Alland et S. Rials (dir.),
Dictionnaire de culture juridique, PUF, 2003 p. 266). Autrement dit, la forme institutionnelle
que prendrait le constitutionnalisme serait ici le contrôle de constitutionnalité des lois, selon ses
deux variantes nord-américaine (judicial review) ou européenne (contrôle abstrait et concret
des normes).
Seule sera ici retenue l'acception moderne du constitutionnalisme qui postule l'existence d'un
ensemble de règles intangibles formant ce qu'on appelle la « constitution ». Il vise à limiter la
puissance de l'État au moyen de règles « intangibles » appelées « constitutionnelles » et qui sont
hors de portée des gouvernants. Plus précisément, la naissance de la constitution moderne
témoigne de l'effort visant à soustraire une partie du droit positif à la volonté des gouvernants
en faveur de la défense des droits des citoyens. Le constitutionnalisme est inséparable de l'idée
du trust - propre à Locke, son premier théoricien - selon laquelle le peuple (la « community »),
devenu souverain, investit des gouvernants de sa confiance et les contrôle afin que les droits
des citoyens soient respectés. Le pouvoir législatif se doit de respecter la sécurité et la propriété,
« les vies et (...) les biens du peuple » (Second traité du gouvernement civil, § 135), les deux
premiers droits fondamentaux, pour la conservation desquels les hommes ont décidé de passer
le contrat social. Depuis Locke, l'opposition cardinale en matière politique passe entre le
pouvoir absolu, qualifié d'arbitraire, et le pouvoir limité, qualifié de constitutionnel. Dans toute
entité politique, il y a nécessairement un pouvoir, mais le constitutionnalisme vise justement à
lui imposer des « limites juridiques » (legal limits). Parmi les moyens d'y parvenir figurent
notamment, à côté des droits de l'homme, le principe de responsabilité des gouvernants devant
les gouvernés et l'idée d'une constitution écrite qui sera censée lier les pouvoirs publics
constitués et leurs titulaires.

Le lien spécifique entre constitutionnalisme et droits de l’homme


Le lien entre constitutionnalisme et droits de l'homme est intrinsèque si l'on part de l'acception
classique, c'est-à-dire libérale, des deux termes. Vue sous cet angle, la question ne pose pas de
problème sérieux dans la mesure où l'on considère habituellement que la notion de droits de
l'homme, si elle est évidemment accompagnée d'une garantie juridique (garantie
juridictionnelle), réalise l'idée constitutionnaliste. Comme l'écrit Giovanni Sartori, « ce qui
préserve maintenant nos libertés, ce sont des "droits" et non les lois formelles sur lesquelles tant
de juristes semblent se reposer. Et nos droits sont l'institutionnalisation de l'absence de
contrainte, l'habillage juridique de la liberté conçue comme telle » (Démocratie, p. 252). Les
arguments qui sous-tendent cette thèse sont doubles. D’une part, l’idée d’une primauté des
droits provient de ce que « la liberté est engendrée par des droits » (H. Laski, A Grammar of
Politics, Londres, Allen & Unwin, 2nd éd., 1967, p. 142). La liberté de l'individu est désormais
pensée en termes de garantie judiciaire de ses droits ; on défend celle-là en plaidant sa cause
devant le juge, ce qui apparaît déjà en filigrane dans le chapitre que Montesquieu consacre à
« la liberté politique dans son rapport avec le citoyen» (EdL; liv. XII). D'autre part, une telle

76
thèse procède d'une sorte de désenchantement de la doctrine constitutionnelle à l'égard de la
primauté du législateur. La dégradation de la loi comme instrument juridique a fait comprendre
aux auteurs les plus lucides que la protection juridique des individus passait par un « système
de garanties constitutionnelles. (...). Nous ne sommes plus protégés par la primauté de la loi,
mais (...) par des procédés de "défense juridique" » (Sartori, p. 251). Or, ces procédés de défense
juridique sont, au premier chef, la protection des droits.
En, France, on a fait confiance pendant longtemps à la loi, et donc à celui qui fait la loi, le
Parlement, pour protéger en dernière instance, les droits de l'individu. Ce fait historique remonte
à la Révolution française et au légicentrisme qui domine l'esprit des rédacteurs de la Déclaration
des droits de l'homme. « La plupart des Constituants (...), écrit Stéphane Rials, ont la conviction
à la fois profonde et immédiate, que la loi garantira le droit comme le citoyen sauvegardera
l'homme » (Rials, La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Paris, Hachette p. 398).
Or, nos contemporains ne croient plus, pour diverses raisons, que la loi et la liberté ne sauraient
jamais être antinomiques.
Il en découle que les droits de l'homme sont désormais principalement garantis par le juge (quel
que soit le juge : judiciaire, administratif, voire constitutionnel). La promotion de la garantie
judiciaire des droits correspond à, celle de l'État de droit, devenu ainsi un État principalement
juridictionnel. Mais dans cette transformation, il est une composante qui affecte le lien entre
constitutionnalisme et droits de l'homme, à savoir le processus « d'internationalisation de la
protection des droits de l'homme » (P. Wachsmann, Les droits de l'homme, 4ème éd. Dalloz,
2002) par lequel le juge national (interne) est concurrencé par le juge international – en
particulier par la Cour européenne des droits de l'homme. Il en résulte que le
constitutionnalisme, qui doit être entendu comme la protection assurée par la « constitution »
de chaque pays – n'est plus le seul moyen de protection des droits de l'homme. Telle est la
première trace de rupture de l'équivalence entre constitutionnalisme et droits.
Une autre voie par laquelle par laquelle la notion de droits de l'homme se démarque du
[constitutionnalisme] est l'objet même de ceux-ci, de leur contenu. Depuis longtemps, le droit
positif cesse d'identifier les droits de l'homme aux seuls droits individuels, négatifs, permettant
de défendre l'individu contre l'État en interdisant à celui-ci de s'immiscer dans leur sphère
protégée. « My home is my castle » disent joliment les anglais pour résumer cette idée, libérale
et classique, d'un espace soustrait à l'action de l'État et qui dessine le cercle de leurs libertés
individuelles (à partir ici de l'exemple topique de l'inviolabilité du domicile privé). (…) Or, les
droits économiques et sociaux, jadis décrits par la doctrine comme étant des "droits-créances"
et désormais définis comme des "droits programmatoires", permettent aux individus de requérir
de l'État une action positive. Or, un tel renversement de la perspective même des droits de
l’homme qui, ce faisant changent véritablement de nature, met à l'épreuve l'équivalence entre
le constitutionnalisme libéral et les droits de l'homme ; en effet, puisque la, liberté de l'individu
ne dépend plus d'une abstention de l'État, mais au contraire de son intervention nécessaire pour
que l'effectuation de ces droits. La multiplication des droits et des types de droits de l'homme
n'est donc pas forcément synonyme d'une promotion libérale du droit comme le prouvent, par
exemple, les droits liés à l'intervention de la justice dont la dimension formelle (droit au recours,
droit à une justice impartiale, etc.) peut occulter une dimension libérale (…) ».

77
Document n°9 : Articles 61 et 61-1 de la Constitution de la Ve République

Article 61 :
Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l'article 11
avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées
parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel,
qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.

Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur
promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de
l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.

Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le
délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené
à huit jours.

Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation.

Article 61-1 :
Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une
disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil
constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article.

Document n°10 : Conseil constitutionnel, 16 juillet 1971, Liberté d’association

Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 1er juillet 1971 par le Président du Sénat, conformément aux dispositions de l'article 61
de la Constitution, du texte de la loi, délibérée par l'Assemblée nationale et le Sénat et adoptée
par l'Assemblée nationale, complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet
1901 relative au contrat d'association ;
Vu la Constitution et notamment son préambule ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,
notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, modifiée ;
Vu la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et milices privées ;

1. Considérant que la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel a été soumise au vote
des deux assemblées, dans le respect d'une des procédures prévues par la Constitution, au cours
de la session du Parlement ouverte le 2 avril 1971 ;

78
2. Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République
et solennellement réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe
de la liberté d'association ; que ce principe est à la base des dispositions générales de la loi du
1er juillet 1901 relative au contrat d'association ; qu'en vertu de ce principe les associations se
constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve du dépôt d'une
déclaration préalable ; qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de
catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles
paraîtraient entachées de nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa
validité à l'intervention préalable de l'autorité administrative ou même de l'autorité judiciaire ;
3. Considérant que, si rien n'est changé en ce qui concerne la constitution même des associations
non déclarées, les dispositions de l'article 3 de la loi dont le texte est, avant sa promulgation,
soumis au Conseil constitutionnel pour examen de sa conformité à la Constitution, ont pour
objet d'instituer une procédure d'après laquelle l'acquisition de la capacité juridique des
associations déclarées pourra être subordonnée à un contrôle préalable par l'autorité judiciaire
de leur conformité à la loi ;
4. Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les
dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant
l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901, ainsi, par voie de conséquence, que la disposition de la
dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 1er de la loi soumise au Conseil constitutionnel leur
faisant référence ;
5. Considérant qu'il ne résulte ni du texte dont il s'agit, tel qu'il a été rédigé et adopté, ni des
débats auxquels la discussion du projet de loi a donné lieu devant le Parlement, que les
dispositions précitées soient inséparables de l'ensemble du texte de la loi soumise au Conseil ;
6. Considérant, enfin, que les autres dispositions de ce texte ne sont contraires à aucune
disposition de la Constitution ;
Décide :
Article premier :
Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise
à l'examen du Conseil constitutionnel complétant les dispositions de l'article 7 de la loi du 1er
juillet 1901 ainsi que les dispositions de l'article 1er de la loi soumise au Conseil leur faisant
référence.
Article 2 :
Les autres dispositions dudit texte de loi sont déclarées conformes à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Commentaire de texte suggéré : Articles 1er, 2, 3 et 4 du Titre III de la Constitution du 3


septembre 1791 (séance 6, p. 85).

79
Séance 6 : La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et la Constitution de
1791

Document n°1 : La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

DÉCLARATION DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN DE 1789

Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée nationale, considérant que


l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs
publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration
solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette Déclaration,
constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits
et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif pouvant
être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés
; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et
incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, et au bonheur de tous. En
conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de
l’Être Suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.

Article premier
Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent
être fondées que sur l’utilité commune.

Article II
Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles
de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.

Article III
Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu
ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article IV
La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits
naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la
Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la
Loi.

Article V
La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas
défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne
pas.

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Article VI
La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir
personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous,
soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux, sont
également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans
autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Article VII
Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon
les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des
ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout Citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit
obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.

Article VIII
La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être
puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement
appliquée.

Article IX
Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé
indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa
personne, doit être sévèrement réprimée par la Loi.

Article X
Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne
trouble pas l’ordre public établi par la Loi.

Article XI
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus
de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi.

Article XII
La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est
donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle
est confiée.

Article XIII
Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution
commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison
de leurs facultés.

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Article XIV
Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la
nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en
déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Article XV
La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.

Article XVI
Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des
Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

Article XVII
La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la
nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste
et préalable indemnité.

Document n°2 : Quelques Repères chronologiques (1789-1791)

1789

5 mai : Séance royale d’ouverture des Etats généraux.


17 juin : Le Tiers-état qui a pris le nom de Communes s’intitule « Assemblée nationale ».
6 juillet : Nomination d’un comité de constitution.
9 juillet : L’Assemblée se déclare Assemblée nationale constituante.
4 août : Abolition des privilèges.
26 août : Vote de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Septembre : Le Comité de Constitution vote un certain nombre de textes qui équivalent à une
« constitution » embryonnaire : assemblée permanente élues pour deux ans, veto suspensif du
roi en matière législative, inviolabilité du roi, principe que tous les pouvoirs émanent de la
nation, etc…
15 septembre : Formation d’un nouveau comité de constitution (Le Chapelier, Sieyès,
Talleyrand restent ; Démeunier, Rabaut Saint-Etienne, Target, Thouret, Tronchet arrivent).
1er octobre : Décrets contenant les articles constitutionnels sur la nature du gouvernement, les
pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
5-6 octobre : Marche des femmes de Paris sur Versailles, Louis XVI est ramené à Paris.
L’Assemblée se déclare inséparable du roi.
8 octobre : Décret transformant la titulature royale de « roi de France et de Navarre » en « roi
des Français ».
12 octobre : Décret ordonnant la translation de l’Assemblée à Paris.
22 octobre : Début de la discussion sur le projet électoral réservant le droit de vote aux citoyens
actifs.

82
1790

23 septembre : Le Chapelier obtient du comité de constitution deux décrets destinés à hâter


l’achèvement de la Constitution. Sept membres nouveaux sont adjoints pour « concurremment
avec le comité, examiner tous les décrets rendus par l’Assemblée nationale, séparer ceux qui
forment proprement la constitution de ceux qui ne sont que législatifs ou réglementaires, faire
en conséquence un corps de lois constitutionnelles, réviser les articles afin de rectifier les
erreurs qui auraient pu s’y glisser.

1791

7 avril : L’Assemblée décrète qu’aucun de ses membres, ni des législatures suivantes, ne pourra
être promu au ministère.
16 mai : Vote de la non-rééligibilité des constituants à la prochaine législature.
20-21 juin : Fuite du roi et arrestation à Varennes.
6 juillet : Suspension du roi, en attendant la Constitution.
13-16 juillet : Débat sur la fuite du roi. Décrets du 16 sur sa réinstallation : suspension jusqu’à
ratification de la Constitution ; débats d’abdication.
5 août : Décret convoquant les assemblées électorales pour nommer les députés au Corps
législatif à compter du 25 août et jusqu’au 5 septembre.
8 août : Début de la discussion sur la révision de l’acte constitutionnel.
10 août : Confirmation de l’article relatif au cens des trois journées de travail.
29-31 août : Débat sur la révision.
Fin août – début septembre : Election du Corps législatif.
3 septembre : Fin du débat sur la Constitution et vote de la Constitution.
14 septembre : Louis XVI prête serment à la Constitution.

83
Document n°3 : Constitution du 3 vœux religieux, ni aucun autre engagement aux citoyens de s'assembler paisiblement et
septembre 1791 (extraits). qui serait contraire aux droits naturels ou à sans armes, en satisfaisant aux lois de police
la Constitution. ; - La liberté d'adresser aux autorités
Constitution du 3 septembre 1791 constituées des pétitions signées
TITRE PREMIER individuellement. Le Pouvoir législatif ne
pourra faire aucunes lois qui portent atteinte
L'Assemblée nationale voulant établir la
et mettent obstacle à l'exercice des droits
Constitution française sur les principes Dispositions fondamentales garanties par la
naturels et civils consignés dans le présent
qu'elle vient de reconnaître et de déclarer, Constitution
titre, et garantis par la Constitution ; mais
abolit irrévocablement les institutions qui
comme la liberté ne consiste qu'à pouvoir
blessaient la liberté et l'égalité des droits. - La Constitution garantit, comme droits faire tout ce qui ne nuit ni aux droits
Il n'y a plus ni noblesse, ni pairie, ni naturels et civils : 1° Que tous les citoyens d'autrui, ni à la sûreté publique, la loi peut
distinctions héréditaires, ni distinctions sont admissibles aux places et emplois, sans établir des peines contre les actes qui,
d'ordres, ni régime féodal, ni justices autre distinction que celle des vertus et des attaquant ou la sûreté publique ou les droits
patrimoniales, ni aucun des titres, talents ; 2° Que toutes les contributions d'autrui, seraient nuisibles à la société. La
dénominations et prérogatives qui en seront réparties entre tous les citoyens Constitution garantit l'inviolabilité des
dérivaient, ni aucun ordre de chevalerie, ni également en proportion de leurs facultés ; propriétés ou la juste et préalable indemnité
aucune des corporations ou décorations, 3° Que les mêmes délits seront punis des de celles dont la nécessité publique,
pour lesquelles on exigeait des preuves de mêmes peines, sans aucune distinction des légalement constatée, exigerait le sacrifice.
noblesse, ou qui supposaient des personnes. La Constitution garantit - Les biens destinés aux dépenses du culte et
distinctions de naissance, ni aucune autre pareillement, comme droits naturels et civils à tous services d'utilité publique,
supériorité, que celle des fonctionnaires : - La liberté à tout homme d'aller, de rester, appartiennent à la Nation, et sont dans tous
publics dans l'exercice de leurs fonctions. - de partir, sans pouvoir être arrêté, ni détenu, les temps à sa disposition. La Constitution
Il n'y a plus ni vénalité, ni hérédité d'aucun que selon les formes déterminées par la garantit les aliénations qui ont été ou qui
office public. - Il n'y a plus, pour aucune Constitution ; - La liberté à tout homme de seront faites suivant les formes établies par
partie de la Nation, ni pour aucun individu, parler, d'écrire, d'imprimer et publier ses la loi. Les citoyens ont le droit d'élire ou
aucun privilège, ni exception au droit pensées, sans que les écrits puissent être choisir les ministres de leurs cultes. Il sera
commun de tous les Français. - Il n'y a plus soumis à aucune censure ni inspection avant créé et organisé un établissement général de
ni jurandes, ni corporations de professions, leur publication, et d'exercer le culte Secours publics, pour élever les enfants
arts et métiers. - La loi ne reconnaît plus ni religieux auquel il est attaché ; - La liberté abandonnés, soulager les pauvres infirmes,

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et fournir du travail aux pauvres valides qui Elle appartient à la Nation ; aucune section DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
n'auraient pu s'en procurer. Il sera créé et du peuple, ni aucun individu, ne peut s'en LÉGISLATIVE
organisé une Instruction publique commune attribuer l'exercice.
à tous les citoyens, gratuite à l'égard des Article 1er. - L'Assemblée nationale
parties d'enseignement indispensables pour Article 2. - La Nation, de qui seule émanent formant le corps législatif est permanente, et
tous les hommes et dont les établissements tous les Pouvoirs, ne peut les exercer que n'est composée que d'une Chambre.
seront distribués graduellement, dans un par délégation. - La Constitution française
rapport combiné avec la division du est représentative : les représentants sont le Article 2. - Elle sera formée tous les deux
royaume. - Il sera établi des fêtes nationales Corps législatif et le roi. ans par de nouvelles élections. - Chaque
pour conserver le souvenir de la Révolution
période de deux années formera une
française, entretenir la fraternité entre les
Article 3. - Le Pouvoir législatif est délégué législature.
citoyens, et les attacher à la Constitution, à
à une Assemblée nationale composée de
la Patrie et aux lois. Il sera fait un Code de
représentants temporaires, librement élus Article 3. - Les dispositions de l'article
lois civiles communes à tout le Royaume.
par le peuple, pour être exercé par elle, avec précédent n'auront pas lieu à l'égard du
la sanction du roi, de la manière qui sera prochain Corps législatif, dont les pouvoirs
TITRE II - De la division du royaume, et de déterminée ci-après. cesseront le dernier jour d'avril 1793.
l'état des citoyens
Article 4. - Le Gouvernement est Article 4. - Le renouvellement du Corps
Article 1er. - Le Royaume est un et monarchique : le Pouvoir exécutif est législatif se fera de plein droit.
indivisible : son territoire est distribué en délégué au roi, pour être exercé sous son
quatre-vingt-trois départements, chaque autorité, par des ministres et autres agents
département en districts, chaque district en Article 5. - Le Corps législatif ne pourra être
responsables, de la manière qui sera
cantons. dissous par le roi.
déterminée ci-après.
(…)
Section première. - Nombre des
Article 5. - Le Pouvoir Judiciaire est
TITRE III - Des pouvoirs publics représentants. Bases de la représentation.
délégué à des juges élus à temps par le
peuple.
Article 1er. - La Souveraineté est une, Article 1er. Le nombre des représentants au
indivisible, inaliénable et imprescriptible. Corps législatif est de sept cent quarante-
CHAPITRE PREMIER -

85
cinq à raison des quatre-vingt-trois lieu quelconque du Royaume, une Article 6. - Les Assemblées primaires
départements dont le Royaume est composé contribution directe au moins égale à la nommeront des électeurs en proportion du
et indépendamment de ceux qui pourraient valeur de trois journées de travail, et en nombre des citoyens actifs domiciliés dans
être accordés aux Colonies. représenter la quittance ; - N'être pas dans la ville ou le canton. - Il sera nommé un
Article 2. - Les représentants seront un état de domesticité, c'est-à-dire de électeur à raison de cent citoyens actifs
distribués entre les quatre-vingt-trois serviteur à gages ; - Être inscrit dans la présents, ou non, à l'Assemblée. - Il en sera
départements, selon les trois proportions du municipalité de son domicile au rôle des nommé deux depuis cent cinquante et un
territoire, de la population, et de la gardes nationales ; - Avoir prêté le serment jusqu'à deux cent cinquante, et ainsi de
contribution directe. civique. suite.
(…)
Article 3. - Tous les six ans, le Corps Article 7. - Nul ne pourra être nommé
Section II. - Assemblées primaires. législatif fixera le minimum et le maximum électeur, s'il ne réunit aux conditions
Nomination des électeurs. de la valeur de la journée de travail, et les nécessaires pour être citoyen actif, savoir : -
administrateurs des départements en feront Dans les villes au-dessus de six mille âmes,
la détermination locale pour chaque district. celle d'être propriétaire ou usufruitier d'un
Article 1er. - Pour former l'Assemblée
bien évalué sur les rôles de contribution à un
nationale législative, les citoyens actifs se
Article 4. - Nul ne pourra exercer les droits revenu égal à la valeur locale de deux cents
réuniront tous les deux ans en Assemblées
de citoyen actif dans plus d'un endroit, ni se journées de travail, ou d'être locataire d'une
primaires dans les villes et dans les cantons.
faire représenter par un autre. habitation évaluée sur les mêmes rôles, à un
- Les Assemblées primaires se formeront de
revenu égal à la valeur de cent cinquante
plein droit le second dimanche de mars, si
journées de travail ; - Dans les villes au-
elles n'ont pas été convoquées plus tôt par Article 5. - Sont exclus de l'exercice des
dessous de six mille âmes, celle d'être
les fonctionnaires publics déterminés par la droits de citoyen actif : - Ceux qui sont en
propriétaire ou usufruitier d'un bien évalué
loi. état d'accusation ; - Ceux qui, après avoir été
sur les rôles de contribution à un revenu égal
constitués en état de faillite ou
à la valeur locale de cent cinquante journées
Article 2. - Pour être citoyen actif, il faut : - d'insolvabilité, prouvé par pièces
de travail, ou d'être locataire d'une
Être né ou devenu Français ; - Être âgé de authentiques, ne rapportent pas un acquit
habitation évaluée sur les mêmes rôles à un
vingt-cinq ans accomplis ; - Être domicilié général de leurs créanciers.
revenu égal à la valeur de cent journées de
dans la ville ou dans le canton depuis le travail ; - Et dans les campagnes, celle d'être
temps déterminé par la loi ; - Payer, dans un propriétaire ou usufruitier d'un bien évalué

86
sur les rôles de contribution à un revenu égal des suffrages, et ne pourront être choisis que remplacement de ses commissaires auprès
à la valeur locale de cent cinquante journées parmi les citoyens actifs du département. des tribunaux.
de travail, ou d'être fermier ou métayer de
biens évalués sur les mêmes rôles à la valeur Article 3. - Tous les citoyens actifs, quel que Article 6. - Les membres du Corps législatif
de quatre cents journées de travail ; - A soit leur état, profession ou contribution, pourront être réélus à la législature suivante,
l'égard de ceux qui seront en même temps pourront être élus représentants de la et ne pourront l'être ensuite qu'après
propriétaires ou usufruitiers d'une part, et Nation. l'intervalle d'une législature.
locataires, fermiers ou métayers de l'autre,
leurs facultés à ces divers titres seront
Article 4. - Seront néanmoins obligés Article 7. - Les représentants nommés dans
cumulées jusqu'au taux nécessaire pour
d'opter, les ministres et les autres agents du les départements, ne seront pas
établir leur éligibilité.
Pouvoir exécutif révocables à volonté, les représentants d'un département particulier,
commissaires de la Trésorerie nationale, les mais de la Nation entière, et il ne pourra leur
Section III. - Assemblées électorales. percepteurs et receveurs des contributions être donné aucun mandat.
Nomination des représentants. directes, les préposés à la perception et aux (…)
régies des contributions indirectes et des
Article 1er. - Les électeurs nommés en domaines nationaux, et ceux qui, sous Section V. - Réunion des représentants en
chaque département se réuniront pour élire quelque dénomination que ce soit, sont Assemblée nationale législative.
le nombre des représentants dont la attachés à des emplois de la maison militaire
(…)
nomination sera attribuée à leur et civile du roi. - Seront également tenus
département, et un nombre de suppléants d'opter les administrateurs, sous-
égal au tiers de celui des représentants. - Les administrateurs, officiers municipaux, et Article 7. - Les représentants de la Nation
Assemblées électorales se formeront de commandants des gardes nationales. sont inviolables : ils ne pourront être
plein droit le dernier dimanche de mars, si recherchés, accusés ni jugés en aucun temps
elles n'ont pas été convoquées plus tôt par pour ce qu'ils auront dit, écrit ou fait dans
Article 5. - L'exercice des fonctions
les fonctionnaires publics déterminés par la l'exercice de leurs fonctions de
judiciaires sera incompatible avec celles de
loi. représentants.
représentant de la Nation, pendant toute la
durée de la législature. - Les juges seront
Article 2. - Les représentants et les remplacés par leurs suppléants et le roi Article 8. - Ils pourront, pour faits criminels,
suppléants seront élus à la pluralité absolue pourvoira par des brevets de commission au être saisis en flagrant délit, ou en vertu d'un

87
mandat d'arrêt ; mais il en sera donné avis, Article 4. - Le roi, à son avènement au trône, serait faite par le Corps législatif, et dans le
sans délai, au Corps législatif ; et la ou dès qu'il aura atteint sa majorité, prêtera délai qui sera fixé par la proclamation,
poursuite ne pourra être continuée qu'après à la Nation, en présence du Corps législatif, lequel ne pourra être moindre de deux mois,
que le Corps législatif aura décidé qu'il y a le serment d'être fidèle à la Nation et à la loi, il serait censé avoir abdiqué la royauté. - Le
lieu à accusation. d'employer tout le pouvoir qui lui est délai commencera à courir du jour où la
délégué, à maintenir la Constitution proclamation du Corps législatif aura été
CHAPITRE II - décrétée par l'Assemblée nationale publiée dans le lieu de ses séances ; et les
constituante, aux années 1789, 1790 et ministres seront tenus, sous leur
DE LA ROYAUTÉ, DE LA RÉGENCE ET
1791, et à faire exécuter les lois. - Si le responsabilité, de faire tous les actes du
DES MINISTRES
Corps législatif n'est pas assemblée, le roi Pouvoir exécutif, dont l'exercice sera
Section première. - De la Royauté et du roi.
fera publier une proclamation, dans laquelle suspendu dans la main du roi absent.
seront exprimés ce serment et la promesse
Article 1er. - La Royauté est indivisible, et de la réitérer aussitôt que le Corps législatif Article 8. - Après l'abdication expresse ou
déléguée héréditairement à la race régnante sera réuni. légale, le roi sera dans la classe des citoyens,
de mâle en mâle, par ordre de
et pourra être accusé et jugé comme eux
primogéniture, à l'exclusion perpétuelle des
Article 5. - Si, un mois après l'invitation du pour les actes postérieurs à son abdication.
femmes et de leur descendance. - (Rien n'est
Corps législatif, le roi n'a pas prêté ce
préjugé sur l'effet des renonciations, dans la
serment, ou si, après l'avoir prêté, il le Article 9. - Les biens particuliers que le roi
race actuellement régnante.)
rétracte, il sera censé avoir abdiqué la possède à son avènement au trône, sont
royauté. réunis irrévocablement au domaine de la
Article 2. - La personne du roi est inviolable
Nation ; il a la disposition de ceux qu'il
et sacrée ; son seul titre est Roi des Français.
Article 6. - Si le roi se met à la tête d'une acquiert à titre singulier ; s'il n'en a pas
armée et en dirige les forces contre la disposé, ils sont pareillement réunis à la fin
Article 3. - Il n'y a point en France d'autorité Nation, ou s'il ne s'oppose pas par un acte du règne.
supérieure à celle de la loi. Le roi ne règne formel à une telle entreprise, qui
que par elle, et ce n'est qu'au nom de la loi s'exécuterait en son nom, il sera censé avoir Article 10. - La Nation pourvoit à la
qu'il peut exiger l'obéissance. abdiqué la royauté. splendeur du trône par une liste civile, dont
Article 7. - Si le roi, étant sorti du royaume, le Corps législatif déterminera la somme à
n'y rentrait pas après l'invitation qui lui en

88
chaque changement de règne pour toute la les citoyens qui ont fait depuis un an le Article 2. - Les membres de l'Assemblée
durée du règne. service de gardes nationales, pourvu qu'ils nationale actuelle et des législatures
soient résidents dans le royaume, et qu'ils suivantes, les membres du Tribunal de
Article 11. - Le roi nommera un aient précédemment prêté le serment cassation, et ceux qui serviront dans le haut-
administrateur de la liste civile, qui exercera civique. - La garde du roi ne pourra être juré, ne pourront être promus au ministère,
les actions judiciaires du roi, et contre lequel commandée ni requise pour aucun autre ni recevoir aucunes places, dons, pensions,
toutes les actions à la charge du roi seront service public. traitements, ou commissions du Pouvoir
dirigées et les jugements prononcés. Les exécutif ou de ses agents, pendant la durée
condamnations obtenues par les créanciers Section II. - De la Régence. de leurs fonctions, ni pendant deux ans
de la liste civile, seront exécutoires contre après en avoir cessé l'exercice. - Il en sera
l'administrateur personnellement et sur ses de même de ceux qui seront seulement
Article 1er. - Le roi est mineur jusqu'à l'âge
propres biens. inscrits sur la liste du haut-juré, pendant tout
de dix-huit ans accomplis ; - et pendant sa
le temps que durera leur inscription.
minorité, il y a un régent du royaume.
(…)
Article 12. - Le roi aura, indépendamment
de la garde d'honneur qui lui sera fournie par Article 4. - Aucun ordre du roi ne pourra
Article 2. - La régence appartient au parent
les citoyens gardes nationales du lieu de sa être exécuté, s'il n'est signé par lui et
du roi, le plus proche en degré, suivant
résidence, une garde payée sur les fonds de contresigné par le ministre ou l'ordonnateur
l'ordre de l'hérédité au trône, et âgé de vingt-
la liste civile ; elle ne pourra excéder le du département.
cinq ans accomplis, pourvu qu'il soit
nombre de douze cents hommes à pied et de Français et regnicole, qu'il ne soit pas
six cents hommes à cheval. - Les grades et héritier présomptif d'une autre couronne, et Article 5. - Les ministres sont responsables
les règles d'avancement y seront les mêmes qu'il ait précédemment prêté le serment de tous les délits par eux commis contre la
que dans les troupes de ligne ; mais ceux qui civique. - Les femmes sont exclues de la sûreté nationale et la Constitution ; - De tout
composeront la garde du roi rouleront pour régence. attentat à la propriété et à la liberté
tous les grades exclusivement sur eux- individuelle ; - De toute dissipation des
(…)
mêmes, et ne pourront en obtenir aucun deniers destinés aux dépenses de leur
dans l'armée de ligne. - Le roi ne pourra département.
choisir les hommes de sa garde que parmi Section IV. - Des ministres.
ceux qui sont actuellement en activité de
service dans les troupes de ligne, ou parmi Article 1er. - Au roi seul appartiennent le
choix et la révocation des ministres.
89
Article 6. - En aucun cas, l'ordre du roi, seulement inviter le Corps législatif à poursuivre devant la haute Cour nationale la
verbal ou par écrit, ne peut soustraire un prendre un objet en considération ; 2° De responsabilité des ministres et des agents
ministre à la responsabilité. fixer les dépenses publiques ; 3° D'établir principaux du Pouvoir exécutif ; - D'accuser
les contributions publiques, d'en déterminer et de poursuivre devant la même Cour, ceux
Article 7. - Les ministres sont tenus de la nature, la quotité, la durée et le mode de qui seront prévenus d'attentat et de complot
présenter chaque année au Corps législatif, perception ; 4° De faire la répartition de la contre la sûreté générale de l'État ou contre
à l'ouverture de la session, l'aperçu des contribution directe entre les départements la Constitution ; 11° D'établir les lois d'après
dépenses à faire dans leur département, de du royaume, de surveiller l'emploi de tous lesquelles les marques d'honneurs ou
rendre compte de l'emploi des sommes qui les revenus publics, et de s'en faire rendre décorations purement personnelles seront
y étaient destinées, et d'indiquer les abus qui compte ; 5° De décréter la création ou la accordées à ceux qui ont rendu des services
auraient pu s'introduire dans les différentes suppression des offices publics ; 6° De à l'État ; 12° Le Corps législatif a seul le
parties du gouvernement. déterminer le titre, le poids, l'empreinte et la droit de décerner les honneurs publics à la
dénomination des monnaies ; 7° De mémoire des grands hommes.
permettre ou de défendre l'introduction des
Article 8. - Aucun ministre en place, ou hors
troupes étrangères sur le territoire français, Article 2. - La guerre ne peut être décidée
de place, ne peut être poursuivi en matière
et des forces navales étrangères dans les que par un décret du Corps législatif, rendu
criminelle pour fait de son administration,
ports du royaume ; 8° De statuer sur la proposition formelle et nécessaire du
sans un décret du Corps législatif
annuellement, après la proposition du roi, roi, et sanctionné par lui. - Dans le cas
sur le nombre d'hommes et de vaisseaux d'hostilités imminentes ou commencées,
CHAPITRE III - dont les armées de terre et de mer seront d'un allié à soutenir, ou d'un droit à
DE L'EXERCICE DU POUVOIR composées ; sur la solde et le nombre conserver par la force des armes, le roi en
LÉGISLATIF d'individus de chaque grade ; sur les règles donnera, sans aucun délai, la notification au
d'admission et d'avancement, les formes de Corps législatif, et en fera connaître les
Section première. - Pouvoirs et fonctions de l'enrôlement et du dégagement, la formation motifs. Si le Corps législatif est en vacances,
l'Assemblée nationale législative. des équipages de mer ; sur l'admission des le roi le convoquera aussitôt. - Si le Corps
troupes ou des forces navales étrangères au législatif décide que la guerre ne doive pas
service de France, et sur le traitement des être faite, le roi prendra sur-le-champ des
Article 1er. - La Constitution délègue
troupes en cas de licenciement ; 9° De mesures pour faire cesser ou prévenir toutes
exclusivement au Corps législatif les
statuer sur l'administration, et d'ordonner hostilités, les ministres demeurant
pouvoirs et fonctions ci-après : 1° De
l'aliénation des domaines nationaux ; 10° De responsables des délais. - Si le Corps
proposer et décréter les lois : le roi peut
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législatif trouve que les hostilités Article 1er. - Les délibérations du Corps et distribué avant que la seconde lecture
commencées soient une agression coupable législatif seront publiques, et les procès- puisse en être faite.
de la part des ministres ou de quelque autre verbaux de ses séances seront imprimés.
agent du Pouvoir exécutif, l'auteur de Article 6. - Après la troisième lecture, le
l'agression sera poursuivi criminellement. - Article 2. - Le Corps législatif pourra président sera tenu de mettre en
Pendant tout le cours de la guerre, le Corps cependant, en toute occasion, se former en délibération, et le Corps législatif décidera
législatif peut requérir le roi de négocier la Comité général. - Cinquante membres s'il se trouve en état de rendre un décret
paix ; et le roi est tenu de déférer à cette auront le droit de l'exiger. - Pendant la durée définitif, ou s'il veut renvoyer la décision à
réquisition. - A l'instant où la guerre cessera, du Comité général, les assistants se un autre temps, pour recueillir de plus
le Corps législatif fixera le délai dans lequel retireront, le fauteuil du président sera amples éclaircissements.
les troupes élevées au-dessus du pied de vacant, l'ordre sera maintenu par le vice-
paix seront congédiées, et l'armée réduite à président. Article 7. - Le Corps législatif ne peut
son état ordinaire.
délibérer, si la séance n'est composée de
Article 3. - Aucun acte législatif ne pourra deux cents membres au moins, et aucun
Article 3. - Il appartient au Corps législatif être délibéré et décrété que dans la forme décret ne sera formé que par la pluralité
de ratifier les traités de paix, d'alliance et de suivante. absolue des suffrages.
commerce ; et aucun traité n'aura d'effet que Article 4. - Il sera fait trois lectures du projet
par cette ratification de décret, à trois intervalles, dont chacun ne Article 8. - Tout projet de loi qui, soumis à
pourra être moindre de huit jours. la discussion, aura été rejeté après la
Article 4. - Le Corps législatif a le droit de troisième lecture, ne pourra être représenté
déterminer le lieu de ses séances, de les dans la même session.
Article 5. - La discussion sera ouverte après
continuer autant qu'il le jugera nécessaire, et chaque lecture ; et néanmoins, après la (…)
de s'ajourner. Au commencement de chaque première ou seconde lecture, le Corps Article 10. - Le roi refusera sa sanction au
règne, s'il n'est pas réuni, il sera tenu de se législatif pourra déclarer qu'il y a lieu à décret dont le préambule n'attestera pas
rassembler sans délai. (…) l'ajournement ou qu'il n'y a pas lieu à l'observation des formes ci-dessus : si
délibérer ; dans ce dernier cas le projet de quelqu'un de ces décrets était sanctionné, les
Section deux - Tenue des séances et forme décret pourra être représenté dans la même ministres ne pourront le sceller ni le
de délibérer. session. - Tout projet de décret sera imprimé promulguer, et leur responsabilité à cet
égard durera six années.

91
(…) toutes les fois que l'intérêt de l'État lui
Section III. - De la sanction royale. Article 6. - Les décrets sanctionnés par le paraîtra l'exiger, ainsi que dans les cas qui
roi, et ceux qui lui auront été présentés par auront été prévus et déterminés par le Corps
trois législatures consécutives, ont force de législatif avant de s'ajourner.
Article 1er. - Les décrets du Corps législatif
sont présentés au roi, qui peut leur refuser loi, et portent le nom et l'intitulé de lois. (…)
son consentement. (…) Article 9. - Les actes de la correspondance
du roi avec le Corps législatif seront
Section IV. - Relations du Corps législatif toujours contre signés par un ministre.
Article 2. - Dans le cas où le roi refuse son
consentement, ce refus n'est que suspensif. - avec le roi.
Lorsque les deux législatures qui suivront Article 10. - Les ministres du roi auront
celle qui aura présenté le décret, auront Article 1er. - Lorsque le Corps législatif est entrée dans l'Assemblée nationale
successivement représenté le même décret définitivement constitué, il envoie au roi législative ; ils y auront une place marquée.
dans les mêmes termes, le roi sera censé une députation pour l'en instruire. Le roi - Ils seront entendus, toutes les fois qu'ils le
avoir donné la sanction. peut chaque année faire l'ouverture de la demanderont sur les objets relatifs à leur
session, et proposer les objets qu'il croit administration, ou lorsqu'ils seront requis de
devoir être pris en considération pendant le donner des éclaircissements. - Ils seront
Article 3. - Le consentement du roi est
cours de cette session, sans néanmoins que également entendus sur les objets étrangers
exprimé sur chaque décret par cette formule
cette formalité puisse être considérée à leur administration, quand l'Assemblée
signée du roi : Le roi consent et fera
comme nécessaire à l'activité du Corps nationale leur accordera la parole.
exécuter. - Le refus suspensif est exprimé
par celle-ci : Le roi examinera. législatif.
(…)
Article 4. - Le roi est tenu d'exprimer son Article 3. - Huitaine au moins avant la fin de CHAPITRE IV -
consentement ou son refus sur chaque chaque session, le Corps législatif envoie au DE L'EXERCICE DU POUVOIR
décret, dans les deux mois de la roi une députation, pour lui annoncer le jour EXÉCUTIF
présentation. où il se propose de terminer ses séances : le
roi peut venir faire la clôture de la session. Article 1er. - Le Pouvoir exécutif suprême
Article 5. - Tout décret auquel le roi a refusé (…) réside exclusivement dans la main du roi. -
son consentement, ne peut lui être présenté Article 5. - Le roi convoquera le Corps Le roi est le chef suprême de
par la même législature. législatif, dans l'intervalle de ses sessions, l'administration générale du royaume : le

92
soin de veiller au maintien de l'ordre et de la surveille la fabrication des monnaies, et Article 1er. - Le roi seul peut entretenir des
tranquillité publique lui est confiée. - Le roi nomme les officiers chargés d'exercer cette relations politiques au dehors, conduire les
est le chef suprême de l'armée de terre et de surveillance dans la commission générale et négociations, faire des préparatifs de guerre
l'armée navale. - Au roi est délégué le soin dans les hôtels des monnaies. - L'effigie du proportionnés à ceux des États voisins,
de veiller à la sûreté extérieure du royaume, roi est empreinte sur toutes les monnaies du distribuer les forces de terre et de mer ainsi
d'en maintenir les droits et les possessions. royaume. qu'il le jugera convenable, et en régler la
(…) direction en cas de guerre.
Article 2. - Le roi nomme les ambassadeurs, (…)
et les autres agents des négociations Section première. - De la promulgation des Article 3. - Il appartient au roi d'arrêter et de
politiques. - Il confère le commandement lois. signer avec toutes les puissances étrangères,
des armées et des flottes, et les grades de tous les traités de paix, d'alliance et de
maréchal de France et d'amiral. - Il nomme commerce, et autres conventions qu'il
Article 1er. - Le Pouvoir exécutif est chargé
les deux tiers des contre-amiraux, la moitié jugera nécessaire au bien de l'État, sauf la
de faire sceller les lois du sceau de l'État, et
des lieutenants-généraux, maréchaux de ratification du Corps législatif.
de les faire promulguer. - Il est chargé
camp, capitaines de vaisseau, et colonels de également de faire promulguer et exécuter
la gendarmerie nationale. - Il nomme le tiers CHAPITRE V
les actes du Corps législatif qui n'ont pas
des colonels et des lieutenants-colonels, et DU POUVOIR JUDICIAIRE
besoin de la sanction du roi.
le sixième des lieutenants de vaisseau : - Le
(…)
tout en se conformant aux lois sur
Article 6. - Le Pouvoir exécutif ne peut faire Article 1er. - Le Pouvoir judiciaire ne peut,
l'avancement. - Il nomme, dans
aucune loi, même provisoire, mais en aucun cas, être exercé par le Corps
l'administration civile de la marine, les
seulement des proclamations conformes aux législatif ni par le roi.
ordonnateurs, les contrôleurs, les trésoriers
des arsenaux, les chefs des travaux, sous- lois, pour en ordonner ou en rappeler
chefs des bâtiments civils, la moitié des l'exécution. Article 2. - La justice sera rendue
chefs d'administration et des sous-chefs de (…) gratuitement par des juges élus à temps par
constructions. - Il nomme les commissaires le peuple (…).
auprès des tribunaux. - Il nomme les Section III. - Des relations extérieures.
préposés en chef aux régies des Article 3. - Les tribunaux ne peuvent, ni
contributions indirectes, et à s'immiscer dans l'exercice du Pouvoir
l'administration des domaines nationaux. - Il législatif, ou suspendre l'exécution des lois,

93
ni entreprendre sur les fonctions agitée au tribunal de cassation sans avoir été jugement à exécution, à nos commissaires
administratives, ou citer devant eux les soumise au Corps législatif, qui portera un auprès des tribunaux, d'y tenir la main, et à
administrateurs pour raison de leurs décret déclaratoire de la loi, auquel le tous commandants et officiers de la force
fonctions. tribunal de cassation sera tenu de se publique, de prêter main-forte, lorsqu'ils en
(…) conformer. seront légalement requis. En foi de quoi, le
Article 19. - Il y aura pour tout le royaume (…) présent jugement a été signé par le président
un seul tribunal de cassation, établi auprès Article 23. - Une haute Cour nationale, du tribunal et par le greffier. » (…)
du Corps législatif. Il aura pour fonctions de formée des membres du tribunal de TITRE VII -
prononcer - Sur les demandes en cassation cassation et de hauts-jurés, connaîtra des
contre les jugements rendus en derniers délits des ministres et agents principaux du De la révision des décrets constitutionnels
ressort par les tribunaux ; - Sur les Pouvoir exécutif, et des crimes qui
demandes en renvoi d'un tribunal à un autre, attaqueront la sûreté générale de l'État, Article 1er. - L'Assemblée nationale
pour cause de suspicion légitime ; - Sur les lorsque le Corps législatif aura rendu un constituante déclare que la Nation a le droit
règlements de juges et les prises à partie décret d'accusation. - Elle ne se rassemblera imprescriptible de changer sa Constitution ;
contre un tribunal entier. que sur la proclamation du Corps législatif, et néanmoins, considérant qu'il est plus
et à une distance de trente mille toises au
conforme à l'intérêt national d'user
Article 20. - En matière de cassation, le moins du lieu où la législature tiendra ses seulement, par les moyens pris dans la
tribunal de cassation ne pourra jamais séances. Constitution même, du droit d'en réformer
connaître du fond des affaires ; mais après les articles dont l'expérience aurait fait
avoir cassé le jugement qui aura été rendu Article 24. - Les expéditions exécutoires des sentir les inconvénients, décrète qu'il y sera
sur une procédure dans laquelle les formes jugements des tribunaux seront conçues procédé par une Assemblée de révision en
auront été violées, ou qui contiendra une ainsi qu'il suit: - " N. (le nom du roi)) par la la forme suivante :
contravention expresse à la loi, il renverra le grâce de Dieu et par la loi constitutionnelle
fond du procès au tribunal qui doit en de l'État, roi des Français. A tous présents et Article 2. - Lorsque trois législatures
connaître. à venir, Salut. Le tribunal de... a rendu le consécutives auront émis un voeu uniforme
Article 21. - Lorsque après deux cassations jugement suivant : - (Ici sera copié le pour le changement de quelque article
le jugement du troisième tribunal sera jugement dans lequel il sera fait mention du constitutionnel, il y aura lieu à la révision
attaqué par les mêmes moyens que les deux nom des juges.) - Mandons et ordonnons à demandée.
premiers, la question ne pourra plus être tous huissiers sur ce requis, de mettre ledit

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Article 3. - La prochaine législature et la Article 6. - Les membres de la troisième
suivante ne pourront proposer la réforme Article 5. La quatrième législature, législature qui aura demandé le
d'aucun article constitutionnel. augmentée de deux cent quarante-neuf changement, ne pourront être élus à
Article 4. - Des trois législatures qui membres élus en chaque département, par l'Assemblée de révision.
pourront par la suite proposer quelques doublement du nombre ordinaire qu'il (…)
changements, les deux premières ne fournit pour sa population, formera Article 8. - L'Assemblée de révision sera
s'occuperont de cet objet que dans les deux l'Assemblée de révision. - Ces deux cent tenue de s'occuper ensuite, et sans délai, des
derniers mois de leur dernière session, et la quarante-neuf membres seront élus après objets qui auront été soumis à son examen :
troisième à la fin de sa première session que la nomination des représentants au aussitôt que son travail sera terminé, les
annuelle, ou au commencement de la Corps législatif aura été terminée, et il en deux cent quarante-neuf membres nommés
seconde. - Leurs délibérations sur cette sera fait un procès-verbal séparé. - en augmentation, se retireront sans pouvoir
matière seront soumises aux mêmes formes L'Assemblée de révision ne sera composée prendre part, en aucun cas, aux actes
que les actes législatifs ; mais les décrets par que d'une chambre. législatifs. (…).
lesquels elles auront émis leur vœu ne seront
pas sujets à la sanction du roi.

95
Document n°4 : Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, t. 1, édition du CNRS, 1920, pp. 246-283 (extraits).

« Le rapport de représentation, dans le droit public d’avant 1789, notamment, ne lui concéderont les subsides financiers qu’elle
s’analyse nettement en un rapport de mandat, de délégation, de demande que moyennant que des promesses de réformes. Dans tout
commission. C’est là un trait caractéristique, non seulement de la cela, l’idée de représentation est bien nette : la façon des Etats
primitive représentation féodale, mais encore du régime représentatif généraux représentent les divers éléments de la nation devant le roi,
postérieur, dans lequel le député est le représentant d’un baillage et de rappelle, dans une certaine mesure, la façon dont un agent
l’ordre spécial qui l’a élu. Ce député ne représente donc pas la nation diplomatique représente son pays auprès d’un souverain étranger. Et
entière, mais un groupe particulier : il est l’émissaire et le fondé de s’il faut bien remarquer que cette idée de représentation ne peut
pouvoir de ce groupe ; c’est un député au sens littéral du mot. Par s’appliquer, à cette époque, qu’aux Etats généraux : elle n’aurait plus
suite, il n’a point de pouvoir propre, mais il n’a d’autres pouvoirs que de raison d’être quant au roi. Le roi, c’est suivant la prétention de la
ceux qui lui ont été confiés par ses commettants. C’est un monarchie absolue, l’Etat lui-même. Il n’est pas un représentant de
représentant, dans l’acception précise qu’a ce mot en droit civil et en l’Etat, il est l’organe direct de l’Etat.
matière de mandat. Mandataire, il arrive à l’assemblée, porteur des
instructions et cahiers que lui ont remis ses électeurs : il est tenu de 353.- Le système représentatif qui vient d’être exposé, est
s’y conformer et ne peut accorder à la royauté que ce à quoi il a été encore celui qui a présidé à la convocation et à la formation des Etats
autorisé par ses mandants. généraux de 1789. Mais, à peine réunis, ceux-ci se transformèrent en
Mandataire, le député est responsable envers ses commettants Assemblée nationale ; et cette assemblée, à son tour, transforme,
de l’exécution de sa mission : il est tenu de leur rendre compte de ses complètement et à tous égards, l’institution de la représentation en
actes ; les électeurs peuvent le désavouer et même les révoquer. droit public. Dans la Constitution de 1791, il ne reste plus rien des
Ce caractère représentatif des députés aux Etats généraux s’accuse à traditions et des principes représentatifs de l’ancien régime. Entre ces
un second point de vue, non moins important. A la différence du principes et ceux du nouveau système de représentation, on relève
Parlement anglais, dont la puissance, à partir du XVe siècle, va sans trois différences principales et radicales.
cesse croissant, les Etats généraux n’ont jamais participé directement A. En premier lieu, le député n’est plus le représentant du
à la souveraineté. groupe spécial qui l’a élu, mais il devient le représentant de la nation
Ce sont des ambassadeurs, adressés à la royauté pour lui faire toute entière. (…)
entendre la voix de la nation, - des plénipotentiaires, qui, à défaut d’un Cette conception était conforme aux idées de Rousseau, qui
pouvoir de décision impérative, vont négocier avec la royauté, et qui, avait dit dans son Contrat social (liv. I, ch. VII) : « Le souverain n’est

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formé que des particuliers qui le composent. » Sieyès, dans son livre Constitution de 1791, et il en résultera que le droit à la représentation
Qu’est-ce que le Tiers-Etat, pose nettement les nouveaux principes : réside, non pas individuellement ou divisément dans chacun des
il définit la nation « un corps d’associés, vivant sous une loi commune citoyens qui composent la nation, mais indivisiblement dans leur
et représentés par la même Législature » (ch. I) ; et, par suite, la collectivité locale. Ainsi, le principe de l’unité nationale vient corriger
volonté nationale n’est, pour lui, que « le résultat des volontés ce qu’il y avait d’excessif dans la conception individualiste de la
individuelles, comme la nation est l’assemblage des individus » (ch. nation. (…)
VI). Ainsi, entre l’Etat et l’individu, il n’y a plus désormais 357.- B. La seconde modification capitale apportée par
d’intermédiaire, c’est-à-dire d’ordres, ni de corporations. C’est, l’Assemblée nationale de 1789 à l’ancien régime représentatif a trait
comme on l’a dit, la théorie individualiste et atomistique de l’Etat à l’étendue des pouvoirs du député, dans les rapports de celui-ci avec
(Saripolos, op. cit. t. I, p. 151 et s.). ses électeurs.
Cette théorie entraîne logiquement, à sa suite, une conception Dans l’ancienne France, le député aux Etats, délégué de son
individualiste de la représentation. Une fois les groupes supprimés, le groupe, était soumis aux instructions qu’il avait reçues de ce groupe,
seul élément représentable, dans l’Etat, ce sera l’individu, en tant que vis-à-vis de qui il se comportait comme le fait un mandataire vis-à-vis
partie composante de la nation. (…) de son mandant. Dans le système représentatif fondé par la
355.- Toutefois, cette première conception, avec les Constituante, l’idée de représentation s’oppose à celle de mandat, elle
conséquences qui viennent d’en être déduites, n’a pas, en définitive, l’exclut, elle est incompatible avec elle. Le député est l’élu d’un
été complètement admise par l’Assemblée nationale de 1789. Sans collège de citoyens, il n’est pas leur fondé de pouvoir : il demeure,
doute, l’œuvre de la Constituante, en matière de représentation, est pendant toute la législature, indépendants d’eux.
demeurée fondée sur l’idée que la nation n’est formée que d’individus, C’est là une règle qui découle déjà du principe que le député
égaux les uns les autres. Mais à cette notion individualiste, qui avait représente la nation. Car, si l’élu ne représente point spécialement son
d’abord été accueillie sans réserve, est venu se mêler un second groupe électoral, à plus forte raison ne saurait-il être considéré comme
courant d’idées, qui a fini par l’emporter dans la Constitution de 1791. le procureur ou le porte-parole de celui-ci. Donc aussi, il ne peut être
A côté ou plutôt au-dessus de la théorie initiale qui fait du citoyen la soumis aux instructions, aux ordres de ses électeurs : il échappe à tout
cellule composante de la nation, la Constituante dégage l’idée d’unité mandat impératif. Telle est la notion que formule la Constitution de
organique de la nation, qui devait trouver son expression si nette et si 1791 (tit. III, ch. I, sect. 3, art. 7). Ce texte, après avoir posé en
forte dans l’art. 1er du tit. III de la Constitution de 1791, et qui principe que les députés de chaque département représentent la nation
impliquait essentiellement aussi l’idée d’unité de volonté et de entière ajoute aussitôt : « Il ne pourra leur être donné aucun mandat.
représentation nationales. » (…)
Qu’on ajoute à cela le principe de l’indivisibilité de la
souveraineté nationale, proclamé par l’art. 1er du tit. III de la
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360.- En somme, cette première discussion laissait indécise la démocratie. Le concours médiat désigne le gouvernement
question de savoir si, dans ses rapports avec les électeurs, le député représentatif. La différence entre ces deux systèmes politiques est
doit être considéré comme un mandataire. Mais cette question devait énorme. » Voilà donc deux régimes nettement définis dans leur
être bientôt reprise : elle fit l’objet d’un débat capital en septembre antinomie : lequel convient-il de donner à la France ?
1789, au cours de l’élaboration de la Constitution ; et cette fois, elle Sieyès répond : « Le choix entre ces deux méthodes de faire la
fut placée sur son véritable terrain. Le problème posé devant loi n’est pas douteux parmi nous. » En voici la raison : « La très grande
l’Assemblée ne fut plus seulement celui des droits de la majorité : à pluralité de nos concitoyens n’a, ni assez d’instruction, ni assez de
cet égard, il n’y avait pas de doute possible. Mais la discussion loisirs, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent
s’engagea directement sur le point suivant : Quelle doit être, dans le gouverner la France ; leur avis est donc de se nommer des
futur régime constitutionnel, la nature des liens qui s’établissent entre représentants. Et puisque c’est l’avis du plus grand nombre, les
les collèges d’élection et leurs élus ? dans quelle mesure appartient-il hommes éclairés doivent s’y soumettre comme les autres. »
aux citoyens-électeurs d’influer sur les volontés qui seront exprimées, Une fois ce choix opéré, il reste à en déduire les conséquences
au sein de l’Assemblée, par les représentants ? C’était au fond, la ; et ici, Sieyès va dégager la portée précise du régime représentatif.
question même de la nature du gouvernement représentatif qui se L’essence de ce régime, c’est que « le peuple ou la nation ne peut
trouvait ainsi posée. (…) avoir qu’une voix, celle de la Législature nationale ». Plus
361.- Mais le principal argument développé par Sieyès contre exactement, « les commettants ne peuvent se faire entendre que par
le mandat impératif se déduit de la nature même du régime les députés nationaux… Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est
représentatif. C’est, en effet, à l’occasion de la question des mandats pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut
impératifs que les orateurs de la Constituante, et spécialement Sieyès, parler, ne peut agir, que par ses représentants. » Ainsi, le trait
exposent leur conception représentative ; et pour cela, Sieyès établit caractéristique et le but même de la représentation, c’est que le
une opposition essentielle entre deux formes de gouvernement qu’il représentant décide pour le compte du peuple et possède, seul, le
désigne, selon le langage de l’époque, l’une sous le nom de « pouvoir de décider pour lui. (…)
démocratie », l’autre sous celui de « gouvernement représentatif ». Et (…) En d’autres termes, le motif capital pour lequel les
voici comment il définit chacune d’elles : « Les citoyens peuvent mandats impératifs doivent être exclus, non seulement au regard de
donner leur confiance à quelques-uns d’entre eux. C’est pour l’utilité l’assemblée, mais encore dans les rapports des citoyens avec leurs
commune qu’ils se nomment des représentants bien plus capables élus, c’est que, dans le régime représentatif tel que l’entendait Sieyès,
qu’eux-mêmes de connaître l’intérêt général et d’interpréter, à cet et aussi Barère, les citoyens n’ont aucune participation à la puissance
égard, leur propre volonté. L’autre manière d’exercer son droit à la législative : l’opposition entre ce régime et la démocratie consiste
formation de la loi est de concourir soi-même immédiatement à la essentiellement en ce que, dans celle-ci, le citoyen est législateur, dans
faire. Ce concours immédiat est ce qui caractérise la véritable celui-là, il n’est qu’électeur ; il a toute puissance, quant au choix des
98
personnes qui représenteront la nation ; mais, quant à admettre qu’il action appréciable sur le gouvernement de la nation, par le libre choix
puisse diriger la volonté législative de son député, c’est impossible, qu’ils s’étaient habilités à faire de ses représentant ; mais, pour le
car on retomberait ainsi dans une forme de gouvernement qui est tout surplus, ils étaient dépouillés du pouvoir d’agir directement sur leurs
juste l’opposé du système représentatif. Telle est la conclusion du élus.
discours de Sieyès : on remarquera que ce discours définit le Il y a loin de là un système de souveraineté du peuple, tel que
gouvernement représentatif, dès le début de l’ère nouvelle du droit l’avait exposé Rousseau. D’après le Contrat social, le peuple est
public, avec une sûreté et une précision qui n’ont pas été dépassées souverain, en ce sens qu’il exerce sa souveraineté par lui-même,
depuis lors. (…) notamment en tant que chaque citoyen concourt en personne à la
362.- Enfin, tout ce mouvement hostile au mandat impératif de confection des lois. Dans le régime institué par la Constituante, le
l’ancien régime vient aboutir dans la Constitution de 1791, à la corps des citoyens est bien souverain, en ce sens qu’il est reconnu, en
prohibition de l’art. 7, tit. III, ch. I, sect. 3 : « Il ne pourra être donné son universalité indivisible, titulaire de la souveraineté ; mais l
aux représentants aucun mandat. » Par ce texte, l’Assemblée Constitution ne lui reconnaît la souveraineté que pour dénier aussitôt
constituante entendait, en réalité, consacrer l’opposition fondamentale à ses membres toute possibilité de l’exercer par eux-mêmes ; du
qui s’établit, dans le droit public modern, entre le régime représentatif moins, elle ne leur permet d’en user que dans la mesure de l’électorat.
et la démocratie directe ou proprement dite (…) : elle dégageait, à la (…)
fois, la nature nouvelle du droit de députation, qui n’est qu’un pouvoir 363.- C. Voici, enfin, un troisième trait caractéristique du
de nomination, et le caractère essentiel du député, qui n’est plus le régime représentatif, tel qu’il a été conçu et organisé par la
porte-parole de ses électeurs, mais qui devient membre d’une Constituante. A la différence des anciens Etats généraux, qui
assemblée appelée à représenter librement la nation , c’est-à-dire à n’avaient point de pouvoir de décision souveraine et ne faisaient que
décider souverainement dans l’intérêt général. A vrai dire, la solliciter du roi des réformes, l’assemblée des députés, dans le droit
disposition de cet art. 7 n’était que le développement et la public issu de la Révolution, exprime, directement et souverainement,
conséquence du principe formulé par le préambule du tit. III, art. 2 : « la volonté de la nation. A cet égard, la nature de l’assemblée des
La nation, de qui seule émane tous les pouvoirs, ne peut les exercer représentants s’est trouvée complètement transformée, du jour même
que par délégation. » Ce texte excluait déjà tout système de où les Etats généraux de 1789 se sont changés en Assemblée
gouvernement direct : il impliquait que la collectivité nationale des nationale. De simples négociateurs qu’ils étaient auprès de la royauté,
citoyens gouverne, non par ses propres membres, ayant chacun le droit les députés sont devenus un corps souverain, délibérant et décrétant
de concourir à la formation de décisions souveraines, mais par des pour le compte de la nation : l’assemblée des députés s’est, dans une
représentants. Sans soute, dans le régime fondé en 1789-1791, les large mesure, mise à la place du roi, quant à l’exercice de la
citoyens, ou du moins ceux à qui la Constitution accordait la qualité souveraineté. Dès lors, la nation de représentation va, elle aussi, se
de citoyens actifs, ne pouvaient manquer d’exercer indirectement une transformer. Le mot représentation ne désignera plus seulement,

99
comme autrefois, un certain rapport entre le député et ses délégants : indépendantes. Mais la Constitution de 1791, développant les
il exprime l’idée d’un pouvoir consistant chez le représentant à vouloir conséquences de l’idée de représentation telle que l’avait dégagée
et à décider pour la nation. L’assemblée des députés représente la Barnave, attribuait encore la qualité de représentant à un autre titulaire
nation, en tant qu’elle a le pouvoir de vouloir pour elle. (…) du pouvoir national : « Les représentants – disait l’art. 2 du préambule
364.-(…) Sans aller jusqu’à prétendre que le représentant soit du tit. III – sont le Corps législatif et le roi. » Ainsi, sous le rapport
le souverain effectif, ce qui serait en contradiction avec le principe de représentatif, le roi était placé sur la même ligne que l’assemblée des
la souveraineté nationale, on peut dire, du moins, qu’il apporte une députés. C’est là une disposition remarquable de la Constitution de
volonté maîtresse dans l’usage qu’il fait, en les limites de sa 1791 (…).
compétence, de la puissance d’Etat. Le simple fonctionnaire, au 369.- (…) On voit ainsi quels ont été, en définitive, dans la
contraire, bien qu’exerçant pareillement une partie du pouvoir pensée des constituants de 1791, le fondement et l’essence du régime
national, et même bien que possédant, lui aussi, une certaine puissance représentatif. La représentation ne repose pas sur un fait électoral,
de vouloir sous sa propre appréciation, n’atteint plus au même degré mais sur une concession constitutionnelle de puissance portée à un
d’initiative, de libre volonté, personnelle et d’indépendance. Il n’a certain degré. Elle n’est pas une qualité subjective (…), mais un
plus le pouvoir de vouloir, d’une façon initiale, pour la nation ; mais pouvoir objectif. Il y a représentation, dès qu’il y a pouvoir
il ne peut, pour les affaires de sa compétence, énoncer qu’une volonté représentatif, c’est-à-dire pouvoir, en vertu de la Constitution, de
subordonnée à celle qui a été dégagée au-dessus de lui par des vouloir librement pour la nation, pouvoir qui ne se réduise pas à
représentants nationaux. Ou bien, en effet, il se borne à amener à l’exécution d’une volonté antérieure. Ainsi, le régime représentatif
exécution la volonté nationale, telle qu’elle a été précédemment n’est pas, en principe, c’est-à-dire, nécessairement, un régime
formulée par ces représentants ; ou, tout au moins, il ne peut émettre électoral. La pure notion de représentation s’établit en dehors de toute
de décisions reposant sur son initiative personnelle qu’en vertu condition d’élection. Et alors la question de savoir si les représentants
d’habilitations qui lui aient été concédées par les autorités doivent être élus par le peuple, n’est plus une question de
représentatives qui le dominent. Il n’a donc plus une puissance représentation proprement dite, mais – ce qui est bien différent – une
primordiale, mais conditionnée et secondaire : non seulement il est lié question de nomination des représentants. (…)
par des règles légales qui ont pour lui la valeur de prescriptions 370.- (…) En second lieu, le rapport de représentation, qui,
impératives, mais encore il reçoit toutes ses impulsions d’une volonté avant 1789, apparaissait très clairement entre le député est ses
supérieure à la sienne. (…) commettants, ne se conçoit plus dans le régime créé par la
365.- (…) Que le caractère représentatif du Corps législatif ait Constituante, parce que l’on n’arrive plus à trouver dans l’élu les
été reconnu sans contestation de l’Assemblée nationale de 1789, on caractères essentiels d’un représentant de ses électeurs. Le Corps
ne saurait s’en étonner : car, le Corps législatif fait les lois librement, législatif n’est plus, en effet, une réunion de mandataires se faisant les
spontanément, avec un pouvoir d’initiative et de décision interprètes des volontés explicites ou implicites de leurs collèges

100
d’élection : mais l’essence même de la prétendue représentation sa compétence, le corps des députés « incarne la volonté, toute la
moderne, c’est que le député est entièrement indépendant de ses volonté, de l’être collectif » (v. Michoud). (…). »
électeurs, ceux-ci étant systématiquement exclus de toute
participation effective à la puissance législative. C’est bien en ce sens
que les constituants de 1791 ont opposé le régime qu’ils appelaient
représentatif, au gouvernement direct. D’après leur témoignage
même, la différence précise et capitale entre ces deux régimes consiste
en ce que, dans la démocratie directe, la puissance législative
appartient aux citoyens eux-mêmes, et par suite, les volontés
législatives exprimées par l’assemblée des députés ne vaudront
qu’autant qu’elles sont conformes à la volonté populaire ; au contraire,
dans le système constitutionnel établi par la Constituante, la puissance
législative ne commence que dans l’assemblée des députés, une fois
celle-ci élus et formée : elle ne réside donc, à aucun degré, dans les
collèges d’élection. Ces collèges ne sont plus, comme jadis, des
assemblées délibérantes, mais uniquement des assemblées électorales
; et pareillement, les citoyens qui la composent ne sont pas, comme
dans la démocratie, des citoyens-législateurs, mais seulement des
citoyens-électeurs (v. Saripolos). Ces citoyens n’ont qu’un pur
pouvoir électoral : ils ne sont pas appelés, dans l’élection, à donner
leur avis sur les lois à faire, mais simplement à choisir les personnes
qui feront ces lois ; leur intervention électorale s’analyse
exclusivement en un acte de nomination des législateurs. Dans ces
conditions, il n’est pas possible d’admettre que les citoyens légifèrent
par représentation ; et l’on ne peut pas dire non plus que le député
représente la volonté législative de ses électeurs. Car, il ne saurait être
question de représenter une volonté qui n’existe pas, ou – ce qui
revient au même juridiquement – qui est traitée par la Constitution
comme inexistante. On a pu dire, à cet égard, que, dans les limites de

101
Document n°5 : Motion de M. le Comte de contrôle plus important que toute autre (…)
Mirabeau concernant l’entrée des ministres responsabilité. 3°. Que les ministres de Sa Majesté
dans l’Assemblée, discutée les 6 et 7 Il n’y a pas un membre de seront invités à venir prendre dans
novembre 1789 à l’Assemblée nationale in l’Assemblée qui ne puisse les interroger. Le l’Assemblée voix consultative, jusqu’à ce
Archives parlementaires de 1789 à 1860, T. ministre ne peut pas éviter de répondre. On que la Constitution ait fixé les règles qui
IX, 1ère série 16 septembre 1789 – 11 lui parle tour à tour ; toute question est seront suivies à leur égard. »
novembre 1789, Paris, 1877, pp. 705-716 officielle, elle a toute l’Assemblée pour
(extraits). témoin ; les évasions, les équivoques sont Séance du 7 novembre 1789
jugées à l’instant par un grand nombre
Séance du 6 novembre 1789 d’hommes, qui ont le droit de provoquer des
M. Lanjuinais :
réponses plus exactes ; et si le ministre trahit
la vérité, il ne peut éviter de se voir
M. le comte de Mirabeau :
poursuivi sur les mots mêmes dont il s’est « …Je ne puis… adopter la
servi dans ses réponses. proposition de M. de Mirabeau. Nos
« Tous les bons citoyens soupirent principes me le défendent encore ; nous
(…)
après le rétablissement de la force publique avons voulu séparer les pouvoirs, et nous
Les premiers agents du pouvoir
; et quelle force parviendrons-nous à établir, réunirions dans les ministres le pouvoir
exécutif sont nécessaires tans toute
si le pouvoir exécutif et la puissance législatif au pouvoir exécutif, en leur
assemblée législative ; ils composent une
législative se regardant comme ennemis, donnant la voix consultative, qui, sans
partie des organes de son intelligence. Les
craignent en commun sur la chose publique contredit, tient de bien près à la voix
lois discutées avec eux deviendront plus
? délibérative ; nous les exposerions à être le
faciles, leur sanction sera plus assurée, et
(…) jouet des hommes ambitieux, s’il s’en
leur exécution plus entière. Leur présence
Jamais, depuis que le parlement trouvait dans cette Assemblée. »
préviendra les incidents, assurera notre
anglais existe, il ne s’est élevé une motion marche, mettra plus de concert entre les
qui tendit à en exclure les ministres du Roi. deux pouvoirs auxquels le sort de l’Empire M. Lanjuinais propose une motion
Au contraire, la nation considère leur est confié. contraire à celle de M. de Mirabeau.
présence non-seulement comme
(…)
absolument nécessaire, mais comme un de
Je propose donc… que l’Assemblée M. le comte de Mirabeau :
ses grands privilèges. Elle exerce ainsi sur
décrète :
tous les actes du pouvoir exécutif un

102
« Je ne puis croire que l’auteur de la Article 1er – Au Roi seul (…)
motion veuille sérieusement faire décider appartiennent le choix et la révocation des Article 15 – Il y aura un Conseil-
que l’élite de la nation ne peut pas renfermer ministres. d’Etat, composé du roi et des ministres.
un bon ministre ;
Que la confiance accordée par la Article 2 – Il appartient au pouvoir Article 16 – Il sera traité, dans ce
nation à un citoyen doit être un titre législatif de statuer sur le nombre, la conseil, de l’exercice de la puissance royale,
d’exclusion à la confiance du monarque ; division et la démarcation des départements donnant son consentement, ou exprimant le
(…) et du ministère. refus suspensif sur les décrets du Corps-
Que l’Assemblée nationale et le Législatif, sans qu’à cet égard le contre-
ministère doivent être tellement divisés, Article 3 – Nul ne pourra exercer les seing de l’acte entraîne aucune
tellement opposés l’un à l’autre, qu’il faille fonctions de ministre, s’il ne réunit pas les responsabilité.
écarter tous les moyens qui pourraient conditions nécessaires à la qualité de (…)
établir plus d’intimité, plus de confiance, citoyen actif. Article 24 - Aucun ordre du Roi,
plus d’unité dans les desseins et dans les aucune délibération du conseil, ne pourront
démarches. »
Article 4 – Les ministres exerceront, être exécutées, s’ils ne sont pas contre-
sous les ordres du Roi, les fonctions signés par le ministre chargé de la division
Document n°6 : Décret de l’Assemblée déterminées ci-après, et seront au nombre de à laquelle appartiendra la nature de l’affaire.
nationale des 27 avril et 25 mai 1791 relatif six, savoir : le ministre de la justice… de
à l’organisation du ministère in J.B. l’intérieur… des contributions et revenus Article 25 – En aucun cas, l’ordre du
Duvergier, Collection complète des lois, publics… de la guerre, … de la marine et Roi non plus que les délibérations du
décrets, ordonnances, règlements, avis du celui des affaires étrangères. conseil, ne pourront soustraire un ministre à
Conseil d’Etat, T. II, 1834, p. 334 et s. (…) la responsabilité.
Article 13 – Tous les ministres
seront membres du conseil du Roi, et il n’y Article 26 – Au commencement de
« L’Assemblée nationale décrète ce aura point de premier ministre. l’année, chaque ministre sera tenu e dresser
qui suit : un état de distribution par mois des fonds
Article 14 – Les ministres feront destinés à son département, et de
arrêter au conseil les proclamations communiquer cet état au comité de
relatives à leur départemens respectif. trésorerie, qui le présentera au Corps-

103
Législatif, avec ses observations. Cet état dissipations de deniers publics qu’ils Sujet de dissertation suggéré : Comparer la
sera arrêté par le Corps-Législatif, avec ses auraient faites ou favorisées. Charte constitutionnelle de 1814 et la
observations. Cet état sera arrêté par le Charte constitutionnelle de 1830
Corps-Législatif et il ne pourra plus y être Article 30 – Les délits des ministres,
fait de changement qu’en vertu d’un décret. les réparations et les peines qui pourront être
prononcées contre les ministres coupables,
Article 27 – Les ministres seront seront déterminées dans le code pénal.
tenus de rendre compte, en ce qui concerne
l’administration, tant de leur conduite que Article 31 – Aucun ministre en place
de l’état des dépenses et affaires, toutes les ou hors de place, ne pourra, pour faits de son
fois qu’ils en seront requis par le Corps- administration, être traduit en justice en
Législatif. matière criminelle, qu’après un décret du
Corps-Législatif, prononçant qu’il y a lieu à
Article 28 – Le Corps-Législatif accusation.
pourra présenter au Roi telles observations Tout ministre contre lequel il sera
qu’il jugera convenables sur la conduite des intervenu un décret du Corps-Législatif,
ministres, et même lui déclarer qu’ils ont déclarant qu’il y a lieu à accusation, pourra
perdu la confiance de la nation. être poursuivi en dommages et intérêts par
les citoyens qui éprouveront une lésion
Article 29 – Les ministres sont résultant des faits qui auront donné lieu au
responsables : décret du Corps-Législatif.
1° De tous les délits par eux commis contre (…)
la sûreté nationale et la constitution du Article 33 – Le décret du Corps-
royaume ; Législatif prononçant qu’il y a lieu à
2° De tout attentat à la liberté et à la accusation contre un ministre suspendra
propriété individuelle ; celui-ci de ses fonctions.

3° De tout emploi de fonds publics sans un


décret du Corps-Législatif, et de toutes

104
l'exemple des rois nos prédécesseurs, durée ; mais que quand la violence arrache
Séance 7 : La monarchie constitutionnelle apprécier les effets des progrès toujours des concessions à la faiblesse du
(1814-1848) croissants des lumières, les rapports gouvernement, la liberté publique n'est pas
nouveaux que ces progrès ont introduits moins en danger que le trône même. Nous
dans la société, la direction imprimée aux avons enfin cherché les principes de la
Document n°1 : Charte constitutionnelle esprits depuis un demi-siècle, et les graves Charte constitutionnelle dans le caractère
du 4 juin 1814. altérations qui en sont résultées : nous avons français, et dans les monuments vénérables
reconnu que le vœu de nos sujets pour une des siècles passés. Ainsi, nous avons vu
La divine Providence, en nous rappelant Charte constitutionnelle était l'expression dans le renouvellement de la pairie une
dans nos États après une longue absence, d'un besoin réel ; mais en cédant à ce vœu, institution vraiment nationale, et qui doit
nous a imposé de grandes obligations. La nous avons pris toutes les précautions pour lier tous les souvenirs à toutes les
paix était le premier besoin de nos sujets : que cette Charte fût digne de nous et du espérances, en réunissant les temps anciens
nous nous en sommes occupés sans relâche peuple auquel nous sommes fiers de et les temps modernes. Nous avons
; et cette paix si nécessaire à la France commander. Des hommes sages, pris dans remplacé, par la Chambre des députés, ces
comme au reste de l'Europe, est signée. Une les premiers corps de l'État, se sont réunis à anciennes Assemblées des Champs de Mars
Charte constitutionnelle était sollicitée par des commissions de notre Conseil, pour et de Mai, et ces Chambres du tiers-état, qui
l'état actuel du royaume, nous l'avons travailler à cet important ouvrage. En même ont si souvent donné tout à fois des preuves
promise, et nous la publions. Nous avons temps que nous reconnaissions qu'une de zèle pour les intérêts du peuple, de
considéré que, bien que l'autorité tout Constitution libre et monarchique devait fidélité et de respect pour l'autorité des rois.
entière résidât en France dans la personne remplir l'attente de l'Europe éclairée, nous En cherchant ainsi à renouer la chaîne des
du roi, ses prédécesseurs n'avaient point avons dû nous souvenir aussi que notre temps, que de funestes écarts avaient
hésité à en modifier l'exercice, suivant la premier devoir envers nos peuples était de interrompue, nous avons effacé de notre
différence des temps ; que c'est ainsi que les conserver, pour leur propre intérêt, les droits souvenir, comme nous voudrions qu'on pût
communes ont dû leur affranchissement à et les prérogatives de notre couronne. Nous les effacer de l'histoire, tous les maux qui
Louis le Gros, la confirmation et l'extension avons espéré qu'instruits par l'expérience, ont affligé la patrie durant notre absence.
de leurs droits à Saint Louis et à Philippe le ils seraient convaincus que l'autorité Heureux de nous retrouver au sein de la
Bel ; que l'ordre judiciaire a été établi et suprême peut seule donner aux institutions grande famille, nous n'avons su répondre à
développé par les lois de Louis XI, de Henri qu'elle établit, la force, la permanence et la l'amour dont nous recevons tant de
Il et de Charles IX ; enfin, que Louis XIV a majesté dont elle est elle-même revêtue ; témoignages, qu'en prononçant des paroles
réglé presque toutes les parties de qu'ainsi lorsque la sagesse des rois s'accorde de paix et de consolation. Le vœu le plus
l'administration publique par différentes librement avec le vœu des peuples, une cher à notre cœur, c'est que tous les Français
ordonnances dont rien encore n'avait Charte constitutionnelle peut être de longue vivent en frères, et que jamais aucun
surpassé la sagesse. Nous avons dû, à
105
souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit Article 4. - Leur liberté individuelle est légalement constaté, mais avec une
suivre l'acte solennel que nous leur également garantie, personne ne pouvant indemnité préalable.
accordons aujourd'hui. Sûrs de nos être poursuivi ni arrêté que dans les cas
intentions, forts de notre conscience, nous prévus par la loi, et dans la forme qu'elle Article 11. - Toutes recherches des opinions
nous engageons, devant l'Assemblée qui prescrit. et votes émis jusqu'à la restauration sont
nous écoute, à être fidèles à cette Charte interdites. Le même oubli est commandé
constitutionnelle, nous réservant d'en juger Article 5. - Chacun professe sa religion avec aux tribunaux et aux citoyens.
le maintien, avec une nouvelle solennité, une égale liberté, et obtient pour son culte la
devant les autels de celui qui pèse dans la même protection. Article 12. - La conscription est abolie. Le
même balance les rois et les nations. A CES mode de recrutement de l'armée de terre et
CAUSES - NOUS AVONS volontairement, Article 6. - Cependant la religion de mer est déterminé par une loi.
et par le libre exercice de notre autorité catholique, apostolique et romaine est la
royale, ACCORDÉ ET ACCORDONS. religion de l'État. Formes du gouvernement du roi
FAIT CONCESSION ET OCTROI à nos
sujets, tant pour nous que pour nos Article 7. - Les ministres de la religion Article 13. - La personne du roi est
successeurs, et à toujours, de la Charte catholique, apostolique et romaine, et ceux inviolable et sacrée. Ses ministres sont
constitutionnelle qui suit : des autres cultes chrétiens, reçoivent seuls responsables. Au roi seul appartient la
des traitements du Trésor royal. puissance exécutive.
Droit public des Français
Article 8. - Les Français ont le droit de Article 14. - Le roi est le chef suprême de
Article premier. - Les Français sont égaux publier et de faire imprimer leurs opinions, l'État, il commande les forces de terre et de
devant la loi, quels que soient d'ailleurs en se conformant aux lois qui doivent mer, déclare la guerre, fait les traités de
leurs titres et leurs rangs. réprimer les abus de cette liberté. paix, d'alliance et de commerce, nomme à
tous les emplois d'administration publique,
Article 2. - Ils contribuent indistinctement, Article 9. - Toutes les propriétés sont et fait les règlements et ordonnances
dans la proportion de leur fortune, aux inviolables, sans aucune exception de celles nécessaires pour l'exécution des lois et la
charges de l'État. qu'on appelle nationales, la loi ne mettant sûreté de l'État.
aucune différence entre elles.
Article 3. - Ils sont tous également Article 15. - La puissance législative
admissibles aux emplois civils et militaires. Article 10. - L'État peut exiger le sacrifice s'exerce collectivement par le roi, la
d'une propriété, pour cause d'intérêt public Chambre des pairs, et la Chambre des
députés des départements.

106
Article 28. - Les pairs ont entrée dans la
Article 16. - Le roi propose la loi. Article 23. - La liste civile est fixée pour Chambre à vingt-cinq ans, et voix
Article 17 - La proposition de la loi est toute la durée du règne, par la première délibérative à trente ans seulement.
portée, au gré du roi, à la Chambre des pairs législature assemblée depuis l'avènement du Article 29. - La Chambre des pairs est
ou à celle des députés, excepté la loi de roi. présidée par le chancelier de France, et, en
l'impôt, qui doit être adressée d'abord à la son absence, par un pair nommé par le roi.
Chambre des députés. De la Chambre des pairs
Article 30. - Les membres de la famille
Article 18. - Toute la loi doit être discutée et Article 24. - La Chambre des pairs est une royale et les princes du sang sont pairs par
votée librement par la majorité de chacune portion essentielle de la puissance le droit de leur naissance. Ils siègent
des deux chambres. législative. immédiatement après le président ; mais ils
n'ont voix délibérative qu'à vingt-cinq ans.
Article 19. - Les chambres ont la faculté de Article 25. - Elle est convoquée par le roi en
supplier le roi de proposer une loi sur même temps que la Chambre des députés Article 31. - Les princes ne peuvent prendre
quelque objet que ce soit, et d'indiquer ce des départements. La session de l'une séance à la Chambre que de l'ordre du roi,
qu'il leur paraît convenable que la loi commence et finit en même temps que celle exprimé pour chaque session par un
contienne. de l'autre. message, à peine de nullité de tout ce qui
aurait été fait en leur présence.
Article 20. - Cette demande pourra être faite Article 26. - Toute assemblée de la Chambre
par chacune des deux chambres, mais après des pairs qui serait tenue hors du temps de Article 32. - Toutes les délibérations de la
avoir été discutée en comité secret : elle ne la session de la Chambre des députés, ou qui Chambre des pairs sont secrètes.
sera envoyée à l'autre Chambre par celle qui ne serait pas ordonnée par le roi, est illicite
l'aura proposée, qu'après un délai de dix et nulle de plein droit. Article 33. - La Chambre des pairs connaît
jours. des crimes de haute trahison et des attentats
Article 27. - La nomination des pairs de à la sûreté de l'État qui seront définis par la
Article 21. - Si la proposition est adoptée par France appartient au roi. Leur nombre est loi.
l'autre Chambre, elle sera mise sous les yeux illimité ; il peut en varier les dignités, les
du roi ; si elle est rejetée, elle ne pourra être nommer à vie ou les rendre héréditaires, Article 34. - Aucun pair ne peut être arrêté
représentée dans la même session. selon sa volonté. que de l'autorité de la Chambre, et jugé que
par elle en matière criminelle.
Article 22. - Le roi seul sanctionne et
promulgue les lois.

107
De la Chambre des députés des droit de suffrage s'ils ne paient une admises, qu'elles peuvent être portées à la
départements contribution directe de trois cent francs, et Chambre des pairs.
s'ils ont moins de trente ans.
Article 35. - La Chambre des députés sera Article 41. - Les présidents des collèges Article 48. - Aucun impôt ne peut être établi
composée des députés par les collèges électoraux seront nommés par le roi et de ni perçu, s'il n'a été consenti par les deux
électoraux dont l'organisation sera droit membres du collège. Chambres et sanctionné par le roi.
déterminée par des lois.
Article 42. - La moitié au moins des députés Article 49. - L'impôt foncier n'est consenti
Article 36. - Chaque département aura le sera choisie parmi les éligibles qui ont leur que pour un an. Les impositions indirectes
même nombre de députés qu'il a eu jusqu'à domicile politique dans le département. peuvent l'être pour plusieurs années.
présent.
Article 43. - Le président de la Chambre des Article 50. - Le roi convoque chaque année
Article 37. - Les députés seront élus pour députés est nommé par le roi, sur une liste les deux Chambres ; il les proroge, et peut
cinq ans, et de manière que la Chambre soit de cinq membres présentée par la Chambre. dissoudre celle des députés des
renouvelée chaque année par cinquième. départements ; mais, dans ce cas, il doit en
Article 44. - Les séances de la Chambre sont convoquer une nouvelle dans le délai de
Article 38. - Aucun député ne peut être publiques ; mais la demande de cinq trois mois.
admis dans la Chambre, s'il n'est âgé de membres suffit pour qu'elle se forme en
quarante ans, et s'il ne paie une contribution comité secret. Article 51. - Aucune contrainte par corps ne
directe de mille francs. peut être exercée contre un membre de la
Article 45. - La Chambre se partage en deux Chambre, durant la session, et dans les six
Article 39. - Si néanmoins il ne se trouvait bureaux pour discuter les projets qui lui ont semaines qui l'auront précédée ou suivie.
pas dans le département cinquante été présentés de la part du roi.
personnes de l'âge indiqué, payant au moins Article 52. - Aucun membre de la Chambre
mille francs de contributions directes, leur Article 46. - Aucun amendement ne peut ne peut, pendant la durée de la session, être
nombre sera complété par les plus imposés être fait à une loi, s'il n'a été proposé ou poursuivi ni arrêté en matière criminelle,
au-dessous de mille francs, et ceux-ci consenti par le roi, et s'il n'a été renvoyé et sauf le cas de flagrant délit, qu'après que la
pourront être élus concurremment avec les discuté dans les bureaux. Chambre a permis sa poursuite.
premiers.
Article 47. - La Chambre des députés reçoit Article 53. - Toute pétition à l'une ou l'autre
Article 40. - Les électeurs qui concourent à toutes les propositions d'impôts ; ce n'est des Chambres ne peut être faite et présentée
la nomination des députés, ne peuvent avoir qu'après que ces propositions ont été

108
que par écrit. La loi interdit d'en apporter en Article 59. - Les cours et tribunaux Article 66. - La peine de la confiscation des
personne et à la barre. ordinaires actuellement existants sont biens est abolie, et ne pourra pas être
maintenus. Il n'y sera rien changé qu'en rétablie.
Des ministres vertu d'une loi. Article 60. - L'institution
actuelle des juges de commerce est Article 67. - Le roi a le droit de faire grâce,
Article 54. - Les ministres peuvent être conservée. et celui de commuer les peines.
membres de la Chambre des pairs ou de la
Chambre des députés. Ils ont en outre leur Article 61. - La justice de paix est également Article 68. - Le Code civil et les lois
entrée dans l'une ou l'autre Chambre, et conservée. Les juges de paix, quoique actuellement existantes qui ne sont pas
doivent être entendus quand ils le nommés par le roi, ne sont point contraires à la présente Charte, restent en
demandent. inamovibles. vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement
dérogé. Droits particuliers garantis par l'État
Article 55. - La Chambre des députés a le Article 62. - Nul ne pourra être distrait de
droit d'accuser les ministres, et de les ses juges naturels. Article 69. - Les militaires en activité de
traduire devant la Chambre des pairs qui service, les officiers et soldats en retraite, les
seule a celui de les juger. Article 63. - Il ne pourra en conséquence veuves, les officiers et soldats pensionnés,
être créé de commissions et tribunaux conserveront leurs grades, honneurs et
Article 56. Ils ne peuvent être accusés que extraordinaires. Ne sont pas comprises sous pensions.
pour fait de trahison ou de concussion. Des cette dénomination les juridictions
lois particulières spécifieront cette nature de prévôtales, si leur rétablissement est jugé Article 70. - La dette publique est garantie.
délits, et en détermineront la poursuite. nécessaire. Toute espèce d'engagement pris par l'État
avec ses créanciers est inviolable.
De l'ordre judiciaire Article 64. - Les débats seront publics en
matière criminelle, à moins que cette Article 71. - La noblesse ancienne reprend
Article 57. - Toute justice émane du roi. Elle publicité ne soit dangereuse pour l'ordre et ses titres. La nouvelle conserve les siens. Le
s'administre en son nom par des juges qu'il les mœurs ; et, dans ce cas, le tribunal le roi fait des nobles à volonté ; mais il ne leur
nomme et qu'il institue. déclare par un jugement. accorde que des rangs et des honneurs, sans
aucune exemption des charges et des
Article 58. - Les juges nommés par le roi Article 65. - L'institution des jurés est devoirs de la société.
sont inamovibles. conservée. Les changements qu'une plus
longue expérience ferait juger nécessaires,
ne peuvent être effectués que par une loi.

109
Article 72. - La Légion d'honneur est
maintenue. Le roi déterminera les
règlements intérieurs et la décoration.

Article 73. - Les colonies sont régies par des


lois et des règlements particuliers.

Article 74. - Le roi et ses successeurs


jureront, dans la solennité de leur sacre,
d'observer fidèlement la présente Charte
constitutionnelle.

Articles transitoires

Article 75. - Les députés des départements


de France qui siégeaient au Corps législatif
lors du dernier ajournement, continueront
de siéger à la Chambre des députés jusqu'à
remplacement.

Article 76. - Le premier renouvellement


d'un cinquième de la Chambre des députés
aura lieu au plus tard en l'année 1816,
suivant l'ordre établi entre les séries.

110
être poursuivi ni arrêté que dans les cas sont interdites : le même oubli est
prévus par la loi et dans la forme qu'elle commandé aux tribunaux et aux citoyens.
prescrit.
Article 11. - La conscription est abolie. Le
Article 5. - Chacun professe sa religion avec mode de recrutement de l'armée de terre et
Document n°2 : Charte constitutionnelle une égale liberté, et obtient pour son culte la de mer est déterminé par une loi. Formes du
du 14 août 1830. même protection. gouvernement du roi.

LOUIS-PHILIPPE, ROI DES FRANÇAIS, Article 6. - Les ministres de la religion Article 12. - La personne du roi est
à tous présents et à venir, SALUT. NOUS catholique, apostolique et romaine, inviolable et sacrée. Ses ministres sont
AVONS ORDONNÉ ET ORDONNONS professée par la majorité des Français, et responsables. Au roi seul appartient la
que la Charte constitutionnelle de 1814, ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent puissance exécutive.
telle qu'elle a été amendée par les deux des traitements du Trésor public. Article 13. - Le roi est le chef suprême de
Chambres le 7 août et acceptée par nous le l'État ; il commande les forces de terre et de
9, sera de nouveau publiée dans les termes Article 7. - Les Français ont le droit de mer, déclare la guerre, fait les traités de
suivants : publier et de faire imprimer leurs opinions paix, d'alliance et de commerce, nomme à
en se conformant aux lois. - La censure ne tous les emplois d'administration publique,
Droit public des Français pourra jamais être rétablie. et fait les règlements et ordonnances
nécessaires pour l'exécution des lois, sans
Article premier. - Les Français sont égaux Article 8. - Toutes les propriétés sont pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-
devant la loi, quels que soient d'ailleurs inviolables, sans aucune exception de celles mêmes ni dispenser de leur exécution. -
leurs titres et leurs rangs. qu'on appelle nationales, la loi ne mettant Toutefois aucune troupe étrangère ne pourra
aucune différence entre elles. être admise au service de l'État qu'en vertu
Article 2. - Ils contribuent indistinctement, d'une loi.
dans la proportion de leur fortune, aux Article 9. - L'État peut exiger le sacrifice
charges de l'État. d'une propriété pour cause d'intérêt public Article 14. - La puissance législative
légalement constaté, mais avec une s'exerce collectivement par le roi, la
Article 3. - Ils sont tous également indemnité préalable. Chambre des pairs et la Chambre des
admissibles aux emplois civils et militaires. députés.
Article 10. - Toutes recherches des opinions
Article 4. - Leur liberté individuelle est et des votes émis jusqu'à la Restauration Article 15. - La proposition des lois
également garantie, personne ne pouvant appartient au roi, à la Chambre des pairs et

111
à la Chambre des députés. - Néanmoins Article 22. - Toute assemblée de la Chambre à la sûreté de l'État, qui seront définis par la
toute loi d'impôt doit être d'abord votée par des pairs qui serait tenue hors du temps de loi. Article 29. - Aucun pair ne peut être
la Chambre des députés. la session de la Chambre des députés, est arrêté que de l'autorité de la Chambre et jugé
Article 16. - Toute loi doit être discutée et illicite et nulle de plein droit, sauf le seul cas que par elle en matière criminelle.
votée librement par la majorité de chacune où elle est réunie comme cour de justice, et De la Chambre des députés
des deux Chambres. alors elle ne peut exercer que des fonctions
judiciaires. Article 30. - La Chambre des députés sera
Article 17. - Si une proposition de loi a été composée des députés élus par les collèges
rejetée par l'un des trois pouvoirs, elle ne Article 23. - La nomination des pairs de électoraux dont l'organisation sera
pourra être représentée dans la même France appartient au roi. Leur nombre est déterminée par des lois.
session. illimité : il peut en varier les dignités, les
nommer à vie ou les rendre héréditaires, Article 31. - Les députés sont élus pour cinq
Article 18. - Le roi seul sanctionne et selon sa volonté. ans.
promulgue les lois.
Article 24. - Les pairs ont entrée dans la Article 32. - Aucun député ne peut être
Article 19. - La liste civile est fixée pour Chambre à vingt-cinq ans, et voix admis dans la Chambre, s'il n'est âgé de
toute la durée du règne par la première délibérative à trente ans seulement. trente ans et s'il ne réunit les autres
législature assemblée depuis l'avènement du conditions déterminées par la loi.
roi. Article 25. - La Chambre des pairs est
présidée par le chancelier de France, et, en Article 33. - Si néanmoins il ne se trouvait
De la Chambre des pairs son absence, par un pair nommé par le roi. pas dans le département cinquante
personnes de l'âge indiqué payant le cens
Article 20. - La Chambre des pairs est une Article 26. - Les princes du sang sont pairs d'éligibilité déterminé par la loi, leur
portion essentielle de la puissance par droit de naissance : ils siègent nombre sera complété par les plus imposés
législative. immédiatement après le président. au-dessous du taux de ce cens, et ceux-ci
pourront être élus concurremment avec les
Article 21. - Elle est convoquée par le roi en Article 27. - Les séances de la Chambre des premiers.
même temps que la Chambre des députés. pairs sont publiques, comme celles de la
La session de l'une commence et finit en Chambre des députés. Article 34. - Nul n'est électeur, s'il a moins
même temps que celle de l'autre. de vingt-cinq ans, et s'il ne réunit les autres
Article 28. - La Chambre des pairs connaît conditions déterminées par la loi.
des crimes de haute trahison et des attentats

112
Article 35. - Les présidents des collèges cas, il doit en convoquer une nouvelle dans
électoraux sont nommés par les électeurs. le délai de trois mois. De l'Ordre judiciaire

Article 36. - La moitié au moins des députés Article 43. - Aucune contrainte par corps ne Article 48. - Toute justice émane du roi ; elle
sera choisie parmi les éligibles qui ont leur peut être exercée contre un membre de la s'administre en son nom par des juges qu'il
domicile dans le département. Chambre durant la session et dans les six nomme et qu'il institue.
semaines qui l'auront précédée ou suivie.
Article 37. - Le président de la Chambre des Article 49. - Les juges nommés par le roi
députés est élu par elle à l'ouverture de Article 44. - Aucun membre de la Chambre sont inamovibles.
chaque session. ne peut, pendant la durée de la session, être
poursuivi ni arrêté en matière criminelle, Article 50. - Les cours et tribunaux
Article 38. - Les séances de la Chambre sont sauf le cas de flagrant délit, qu'après que la ordinaires actuellement existants sont
publiques mais la demande de cinq Chambre a permis sa poursuite. maintenus. Il n'y sera rien changé qu'en
membres suffit pour qu'elle se forme en vertu d'une loi.
Comité secret. Article 45. - Toute pétition à l'une ou à
l'autre des Chambres ne peut être faite et Article 51. - L'institution actuelle des juges
Article 39. - La Chambre se partage en présentée que par écrit : la loi interdit d'en de commerce est conservée.
bureaux pour discuter les projets qui lui ont apporter en personne et à la barre.
été présentés de la part du roi. Article 52. - La justice de paix est également
Des ministres conservée. Les juges de paix, quoique
Article 40. - Aucun impôt ne peut être établi nommés par le roi, ne sont point
ni perçu, s'il n'a été consenti par les deux Article 46. - Les ministres peuvent être inamovibles.
Chambres et sanctionné par le roi. membres de la Chambre des pairs ou de la
Chambre des députés. - Ils ont en outre leur Article 53. - Nul ne pourra être distrait de
Article 41. - L'impôt foncier n'est consenti entrée dans l'une ou l'autre Chambre et ses juges naturels.
que pour un an. Les impositions indirectes doivent être entendus quand ils le
peuvent l'être pour plusieurs années. demandent. Article 54. - Il ne pourra en conséquence
être créé de commissions et de tribunaux
Article 42. - Le roi convoque chaque année Article 47. - La Chambre des députés a le extraordinaires, à quelque titre et sous
les deux Chambres : il les proroge et peut droit d'accuser les ministres et de les quelque dénomination que ce puisse être.
dissoudre celle des députés ; mais, dans ce traduire devant la Chambre des pairs qui
seule a celui de les juger.

113
Article 55. - Les débats seront publics en Article 61. - La dette publique est garantie.
matière criminelle, à moins que cette Toute espèce d'engagement pris par l'État Article 68. - Toutes les nominations et
publicité ne soit dangereuse pour l'ordre et avec ses créanciers est inviolable. créations nouvelles de pairs faites sous le
les mœurs ; et, dans ce cas, le tribunal le règne du roi Charles X sont déclarées nulles
déclare par un jugement. Article 62. - La noblesse ancienne reprend et non avenues. - L'article 23 de la charte
ses titres, la nouvelle conserve les siens. Le sera soumis à un nouvel examen dans la
Article 56. - L'institution des jurés est roi fait des nobles à volonté ; mais il ne leur session de 1831.
conservée. Les changements qu'une plus accorde que des rangs et des honneurs, sans
longue expérience ferait juger nécessaires, aucune exemption des charges et des Article 69. - Il sera pourvu successivement
ne peuvent être effectués que par une loi. devoirs de la société. par des lois séparées et dans le plus court
délai possible aux objets qui suivent : 1°
Article 57. - La peine de la confiscation des Article 63. - La Légion d'honneur est L'application du jury aux délits de la presse
biens est abolie et ne pourra pas être maintenue. Le roi déterminera les et aux délits politiques ; 2° La responsabilité
rétablie. règlements intérieurs et la décoration. des ministres et des autres agents du pouvoir
; 3° La réélection des députés promus à des
Article 58. - Le roi a le droit de faire grâce Article 64. - Les colonies sont régies par des fonctions publiques salariées ; 4° Le vote
et celui de commuer les peines. lois particulières. annuel du contingent de l'armée ; 5°
Article 59. - Le Code civil et les lois L'organisation de la garde nationale, avec
actuellement existantes qui ne sont pas Article 65. - Le roi et ses successeurs intervention des gardes nationaux dans le
contraires à la présente charte restent en jureront à leur avènement, en présence des choix de leurs officiers ; 6° Des dispositions
vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement Chambres réunies, d'observer fidèlement la qui assurent d'une manière légale l'état des
dérogé. Charte constitutionnelle. officiers de tout grade de terre et de mer ; 7°
Des institutions départementales et
Droits particuliers garantis par l'État Article 66. - La présente Charte et tous les municipales fondées sur un système électif ;
droits qu'elle consacre demeurent confiés au 8° L'instruction publique et la liberté de
Article 60. - Les militaires en activité de patriotisme et au courage des gardes l'enseignements ; 9° L'abolition du double
service, les officiers et soldats en retraite, les nationales et de tous les citoyens français. vote et la fixation des conditions électorales
veuves, les officiers, et soldats pensionnés, et d'éligibilité.
conserveront leurs grades, honneurs et Article 67. - La France reprend ses couleurs.
pensions. A l'avenir, il ne sera plus porté d'autre Article 70. - Toutes les lois et ordonnances,
cocarde que la cocarde tricolore. en ce qu'elles ont de contraire aux
DISPOSITIONS PARTICULIÈRES dispositions adoptées pour la réforme de la

114
Charte, sont dès à présent et demeurent
annulées et abrogées.

115
Document n°3 : Adresse des 221 du 18 mars 1830.

« Sire,
C’est avec une vive reconnaissance que vos fidèles sujets les députés des départements, réunis, autour
de votre trône, ont entendu de votre bouche auguste le témoignage flatteur de la confiance que vous leur
accordez. Heureux de vous inspirer ce sentiment, Sire, ils le justifient par l’inviolable fidélité dont ils
viennent vous renouveler le respectueux hommage ; ils sauront le justifier encore par le loyal
accomplissement de leurs devoirs. […]
Accourus à votre voix de tous les points de votre royaume, nous vous apportons de toutes parts, Sire,
l’hommage d’un peuple fidèle, encore ému de vous avoir vu le plus bienfaisant de tous au milieu de la
bienfaisance universelle, et qui révère en vous le modèle accompli des plus touchantes vertus. Sire, ce
peuple chérit et respecte votre autorité ; quinze ans de paix et de liberté qu’il doit à votre auguste frère
et à vous ont profondément enraciné dans son cœur la reconnaissance qui l’attache à votre royale famille
; sa raison mûrie par l’expérience et par la liberté des discussions, lui dit que c’est surtout en matière
d’autorité que l’antiquité de la possession est le plus saint de tous les titres, et que c’est pour son bonheur
autant que pour votre gloire que les siècles ont placé votre trône dans une région inaccessible aux orages.
Sa conviction s’accorde donc avec son devoir pour lui présenter les droits sacrés de votre couronne
comme la plus sûre garantie de ses libertés, et l’intégrité de vos prérogatives, comme nécessaires à la
conservation de ses droits.
Cependant, Sire, au milieu des sentiments unanimes de respect et d'affection dont votre peuple vous
entoure, il se manifeste dans les esprits une vive inquiétude qui trouble la sécurité dont la France avait
commencé à jouir, altère les sources de sa prospérité, et pourrait, si elle se prolongeait, devenir funeste
à son repos. Notre conscience, notre honneur, la fidélité que nous vous avons jurée, et que nous vous
garderons toujours, nous imposent le devoir de vous en dévoiler la cause.
Sire, la Charte que nous devons à votre auguste prédécesseur, et dont Votre Majesté a la ferme
résolution de consolider le bienfait, consacre, comme un droit, l'intervention du pays dans la délibération
des intérêts publics. Cette intervention devait être, elle est en effet indirecte, largement mesurée,
circonscrite dans des limites exactement tracées, et que nous ne souffrirons jamais que l'on ose tenter de
franchir ; mais elle est positive dans son résultat, car elle fait du concours permanent des vues politiques
de votre gouvernement avec les vœux de votre peuple la condition indispensable de la marche régulière
des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement, nous condamnent à vous dire que ce
concours n’existe pas. Une défiance injuste des sentiments et de la raison de la France est aujourd'hui la
pensée fondamentale de l'administration ; votre peuple s'en afflige, parce qu'elle est injurieuse pour lui
; il s'en inquiète, parce qu'elle est menaçante pour ses libertés.
Cette défiance ne saurait approcher de votre noble cœur. Non, Sire la France ne veut pas plus de
l’anarchie que vous ne voulez du despotisme ; elle est digne que vous ayez foi dans sa loyauté, comme
elle a foi dans vos promesses.
Entre ceux qui méconnaissent une nation si calme, si fidèle, et nous qui, avec une conviction profonde,
venons déposer dans votre sein les douleurs de tout un peuple jaloux de l'estime et de la confiance de
son roi, que la haute sagesse de Votre Majesté prononce ! Ses royales prérogatives ont placé dans ses
mains les moyens d'assurer entre les pouvoirs de l'État cette harmonie constitutionnelle, première et
nécessaire condition de la force du trône et de la grandeur de la France. »

Le Roi a répondu :

« Monsieur, j’ai entendu l’adresse que vous me présentez au nom de la Chambre des députés. J’avais
droit de compter sur le concours des deux chambres pour accomplir tout le bien que je méditais ; mon
cœur s’afflige de voir les députés des départements déclarer que, de leur part, ce concours n’existe pas.
Messieurs, j’ai annoncé mes résolutions dans mon discours d’ouverture de la session. Ces résolutions
sont immuables ; l’intérêt de mon peuple me défend de m’en écarter. Mes ministres vous feront connaître
mes intentions. »

116
Document n°4 : Comte Martial de Guernon-Ranville, cité par Prosper Duvergier de Hauranne,
in Marcel Prélot, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1969, p. 350.

« A la Chambre, l’adresse des deux cent vingt et un députés d’opposition présente la


pure thèse parlementaire : « La Charte fait du concours permanent des vues politiques de votre
gouvernement avec les vœux de votre peuple la condition indispensable de la marche régulière
des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement nous condamnent à vous dire que
ce concours n’existe pas ».
Au cours du débat, Guernon-Ranville, ministre de l’Instruction publique, soutient la
doctrine de la souveraineté royale et de la monarchie simplement limitée : « le roi était la charte
vivante et la première de toutes les libertés. On pouvait, sans violer la charte, critiquer les
ministres qu’il avait choisis mais non les empêcher de gouverner, et le refus du budget n’était
rien moins qu’un acte de rébellion. Il n’était pas vrai que le Gouvernement de la France fût un
gouvernement de majorité comme aux Etats-Unis ou un gouvernement de parti comme en
Angleterre, les Chambres en France n’étaient souveraines ni de nom, ni en fait. Le roi était
souverain et la majorité nationale résidait en lui seul » (résumé du Moniteur du 30 septembre
1829, par Duvergier de Hauranne : Histoire du gouvernement parlementaire en France, Paris
1869, T. X, p. 350). Montbel, ministre de l’Intérieur, reprend à son compte la formule de Royer-
Collard (qui maintenant est dans l’opposition) : « le jour où il sera établi de fait que la Chambre
peut repousser les ministres du roi, ce jour-là nous sommes en République ». »

Document n°5 : M. le Vicomte de Chateaubriand, De la monarchie selon la Charte, Bruxelles,


Auguste Wahlen, 1816, p. 16-18.

« Notre Chambre des députés serait parfaitement constituée si les lois sur les élections et sur la
responsabilité des ministres étaient faites, mais il manque encore à cette Chambre la
connaissance de quelques-uns de ses pouvoirs, de quelques-unes de ces vérités filles de
l’expérience.
Il faut d’abord qu’elle sache se faire respecter. Elle ne doit pas souffrir que les ministres
établissent en principe qu’ils sont indépendants des chambres ; qu’ils peuvent refuser de venir
lorsqu’elles désireraient leur présence. En Angleterre, non seulement les ministres sont
interrogés sur des bills, mais encore sur des actes administratifs, sur des nominations, et même
sur des nouvelles de gazette.
Si on laisse passer cette grande phrase que les ministres du roi ne doivent compte qu’au
roi de leur administration ; on entendra bientôt par administration tout ce qu’on voudra : des
ministres incapables pourront la France à leur aise ; et les chambres, devenues leurs esclaves,
tomberont dans l’avilissement.
Quel moyen ont-elles de se faire écouter ? Si les ministres refusent de répondre, elles en
seront pour leur interpellation, compromettront leur dignité, et paraîtront ridicules, comme on
l’est en France, quand on a fait une fausse démarche.
La Chambre des députés a plusieurs moyens de maintenir ses droits : elle tirera ces
moyens du temps et des circonstances.
Posons donc les principes :
Les Chambres ont le droit de demander tout ce qu’elles veulent aux ministres
Les ministres doivent toujours répondre, toujours venir, quand les chambres paraissent
le souhaiter.
Les ministres ne sont pas toujours obligés de donner les explications qu’on leur
demande ; ils peuvent les refuser, mais en motivant ce refus sur des raisons d’Etat, dont les
chambres seront instruites, quand il sera temps. Les chambres traitées avec cet égard n’iront
pas plus loin. Lorsqu’un ministre a désiré d’obtenir un crédit de six millions de rentes sur le

117
grand livre, il a donné sa parole d’honneur, et les députés n’ont pas donné d’autres
éclaircissements. Foi de gentilhomme est un vieux gage sur lequel les Français trouveront
toujours à emprunter.
D’ailleurs les chambres ne se mêleront jamais d’administration, ne feront jamais de
demandes inquiétantes, elles n’exposeront jamais les ministres à se compromettre, si les
ministres sont ce qu’ils doivent être, c’est-à-dire maîtres des chambres par le fond, et leurs
serviteurs par la forme.
Quel moyen conduit à cet heureux résultat ? le moyen le plus simple du monde : le
ministère doit disposer de la majorité, et marcher avec elle ; sans cela point de gouvernement.
Je sais bien que cette espèce d’autorité que les Chambres exercent sur le ministère
pendant les sessions, rappelle à l’esprit les envahissements de l’Assemblée constituante : mais,
encore une fois, toute comparaison de ce qui est aujourd’hui à ce qui fut alors est boiteuse.
L’expérience de nos temps de malheurs n’autorise point à dire que la monarchie représentative
ne peut pas s’établir en France. »

Document n°6 : Michel Troper, La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle


française, Paris, L.G.D.J., 1980, p. 95-97 (les notes de bas de page ne sont pas reproduites).

Quel devait être, dans une monarchie représentative, le rôle respectif du Roi et de la
Chambre des députés ? Qui devait, en cas de conflit, avoir le dernier mot ? Tel était l’objet de
cette querelle, entamée dès 1815 par les ultras.
Le caractère le plus significatif de ce débat est qu’il n’eut jamais un caractère juridique.
Sur le plan du Droit, en effet, les règles positives étaient claires : les Chartes n’avaient pas
accordé à la Chambre des députés le droit de révoquer les ministres. L’article 13 de la Charte
de 1814 déclare, certes, les ministres responsables mais il ne fait en cela qu’annoncer les articles
55 et 56, concernant les modalités de mise en œuvre de la procédure pénale. De même, l’article
12 de la Charte de 1830 annonce seulement l’article 47.
Le second point, sur lequel existait un large accord, concernait la possibilité pour la
Chambre des députés de refuser son concours au ministère, en rejetant projets de lois et
demandes de crédit. Personne ne contestait non plus que l’usage de cette faculté puisse aboutir
pour les ministres à l’impossibilité de rester au pouvoir.
C’est, par conséquent, sur le droit « moral » de la Chambre de faire usage de ces facultés,
que portait le débat. Pour les partisans de la suprématie de la Chambre, l’argument essentiel
tenait à l’impuissance du Roi à rien faire sans ses ministres et à l’obligation matérielle pour
ceux-ci de démissionner devant l’hostilité de la Chambre manifestée par le refus de concours.
Si la Chambre avait ce pouvoir, il était légitime pour elle d’en user. Le Roi serait donc obligé
de choisir ses ministres dans la majorité et même d’accepter les chefs de cette majorité. Dans
une version extrême de cette doctrine, les ministres se donnent un chef et délibèrent hors de la
présence du Roi, qui « règne et ne gouverne pas ». Seul le point de départ du raisonnement était
juridique : la Chambre des députés, comme organe partiel de la législation, avait la possibilité
de bloquer l’édiction des règles de Droit nécessaires au fonctionnement de l’Etat. Mais, pour le
reste, on imaginait un système qui résultait d’un pur rapport de forces et jamais on ne s’efforçait
de montrer, par une quelconque exégèse juridique, que la Chambre avait reçu de la Charte le
droit de révoquer les ministres.
De leur côté, les partisans de la prérogative royale ne contestaient en aucune manière la
supériorité de la Chambre. Ils se bornaient, en général, à lui dénier le droit « moral » d’user de
cette force pour contraindre les ministres à la démission. C’est ainsi que Fonfrède, par exemple,
posait le problème : si la Chambre avait le droit de refuser son concours, « à ce compte, la
puissance serait la mesure de la justice ». Mais, pour le reste leurs arguments portaient sur les
faits et les rapports de force, tantôt insistant sur l’idée que le Roi pouvait, lui aussi, refuser son

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concours, tantôt doutant que l’hypothèse de base, l’existence à la Chambre d’une majorité
stable, soit réalisée, sans jamais nier pourtant que si cette hypothèse était réalisée, la Chambre
pourrait imposer sa volonté.
Tous s’accordaient donc à reconnaître que le problème de la responsabilité n’était pas
un problème juridique, mais une question de pur fait. Le vocabulaire politique de l’époque
témoigne parfaitement de cet accord. On distingue la responsabilité « légale » ou « juridique »
de la responsabilité « morale » ou « générale ». »

Document n°7 : Prince Jules de Polignac, Réponses à mes adversaires, Paris, Dentu, 1845, p.
56-59.

« La grande erreur de nos prétendus hommes d’Etat est de n’avoir vu, en 1830, qu’une
question de majorité et non une question sociale à résoudre. Là cependant n’était pas la
difficulté : autrement elle eût été facilement levée. Il eût suffi de dire à la Chambre : formulez
votre demande et la couronne y obtempèrera ; mais ne fallait-il pas voir au-delà de cette majorité
acquise, en lui rendant les armes ? une fois maîtresse du terrain, qu’eût-elle exigé ?
(…)
Je crois avoir déjà démontré qu’aucune combinaison ministérielle, amie du trône, n’était
possible en juillet 1830 : fallait-il donc alors livrer la direction des affaires aux hommes de
l’opposition qui seuls avaient la majorité, bien qu’on connût leurs funestes projets ? 89 n’avait-
il pas, autrefois, conduit à 93, malgré la volonté de la plupart de ceux-là même qui saluèrent de
leurs vœux l’arrivée du premier de ces chiffres ? Disons-le donc, ce serait mal comprendre la
position des choses que de ne voir, dans les débats qui s’élevèrent en 1830, entre la Chambre
élective et le Trône, qu’une simple question de majorité parlementaire; cette question une fois
résolue, la question sociale restait encore tout entière. »

Document n°8 : Prince Jules de Polignac, Etudes historiques, politiques et morales sur l’état
de la société, Bruxelles, Wahlen, t. 3, 1845, p. 29-30.

« Quant à moi, je déclare que, si je n’eusse partagé la croyance qu’un péril imminent
menaçât le trône en 1830, si d’un autre côté je n’eusse pas été convaincu que des exemples
précédents avaient couvert de leur sanction les mesures conseillées à la couronne, aucune
influence, quelque élevée qu’elle eût été, aucune considération politique ne m’eût arraché un
concours que mon devoir m’aurait commandé de refuser.
J’ai donc agi par conviction. Les ordonnances de juillet m’ont paru constitutionnelles ; elles
sont telles encore à mes yeux. Il n’y eut pas alors violation de la Charte, mais bien action
conformément à la Charte. »

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