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Abstract
The medieval civil architecture has not been much studied, probably because its vestiges are just a few and often badly
preserved. Yet its study is not uninteresting ; it allows us to have an idea about the look of some dwellings at that time and more
indirectly, it gives us information on urbanism as well as on the history of private life in the Middle Ages, therefore completing
what the texts may provide. In Toulouse four civil romanesque buildings are known ; they present some architectural
particularities which make us see that a certain type of high class dwelling had a tower as its main characteristic.
Résumé
L'architecture civile médiévale a été peu étudiée, sans doute parce que ses vestiges sont peu nombreux et souvent mal
conservés. Pourtant son étude ne manque pas d'intérêt ; elle permet de nous donner une idée de l'apparence de certaines
demeures de cette époque, et, de façon moins directe, elle nous renseigne sur l'urbanisme et l'histoire de la vie privée au Moyen
Age, complétant ainsi ce que peuvent apporter les textes. A Toulouse, quatre édifices de l'époque romane sont connus ; ceux-ci
présentent quelques particularités architecturales et nous permettent d'ores et déjà d'entrevoir un type de demeure bourgeoise
dont la principale caractéristique est la présence d'une tour.
Napoleone Anne-Laure. Les maisons romanes de Toulouse (Haute-Garonne). In: Archéologie du Midi médiéval. Tome 6, 1988.
pp. 123-138.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/amime_0758-7708_1988_num_6_1_1171
ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL - TOME VI- 1988.
L'architecture civile médiévale a été peu étudiée, sans doute parce que ses vestiges sont peu nombreux et souvent
mal conservés. Pourtant son étude ne manque pas d'intérêt ; elle permet de nous donner une idée de l'apparence de
certaines demeures de cette époque, et, de façon moins directe, elle nous renseigne sur l'urbanisme et l'histoire de la vie
privée au Moyen Age, complétant ainsi ce que peuvent apporter les textes. A Toulouse, quatre édifices de l'époque
romane sont connus ; ceux-ci présentent quelques particularités architecturales et nous permettent d'ores et déjà
d'entrevoir un type de demeure bourgeoise dont la principale caractéristique est la présence d'une tour (1).
The médiéval civil architecture has not been much studied, probably because its vestiges arejust afew and often ba-
dly preserved. Yet its study is not uninteresting ; it allows us to hâve an idea about the look ofsome dwellings at that
time and more indirectly, it gives us information on urbanism as well as on the history ofprivate life in the Middle Ages,
therefore completing what the texts may provide. In Toulouse four civil romanesque buildings are known ; they présent
some architectural particularities which make us see that a certain type ofhigh class dwelling had a tower as its main
characteristic.
La ville de Toulouse a connu dès la fin du XIe s. un chapiteau et de sa base, récupérée par la Société
essor urbain considérable. Des monuments construits Archéologique du Midi de la France (fig. 2), et une vieille
durant les XIIe et XIIIe s., il ne nous reste photo représentant la baie géminée d'où provenaient ces
principalement aujourd'hui que des édifices religieux. éléments, conservée au Musée du Vieux Toulouse
L'architecture civile de cette époque est peu représentée ; seul (fig. 1). Mais il reste aussi quelques témoignages ; en
l'hôtel Maurand est encore debout. Cependant trois effet, la destruction de cet édifice n'a pas laissé
autres édifices, détruits au siècle dernier nous sont connus indifférents les archéologues du siècle dernier qui, par de
par des documents et des vestiges. Ces quatre édifices brèves descriptions, signalent ce qu'ils ont pu apercevoir au
ont été construits en brique et, en cela, ils sont peu cours des travaux.
représentatifs de l'ensemble des demeures médiévales
toulousaines. En effet, nous savons par les textes et les 1. Histoire de la famille des Ysalguier
importants travaux de Ph. Wolff (2), que la plupart des Les Ysalguier étaient une des plus riches familles
maisons de la ville étaient construites en bois et en toulousaines au Moyen Age ; Ph. Wolff a retracé
torchis ; il ne reste bien sûr aucun vestige de cette l'histoire de ses différentes branches jusqu'à la fin de
architecture de structure fragile, nécessitant un entretient l'époque médiévale (3). Il semblerait qu'il s'agisse de paysans
constant et exposée au moindre incendie, et l'histoire de originaires du Lauragais ou de la région de Grenade
Toulouse en a connu d'innombrables. Le plus venus s'installer à Toulouse, attirés par la prospérité
dévastateur fut celui de 1463 qui, en quinze jours, ravagea économique de la ville dans la seconde moitié du XIIIe s.,
toute la partie centrale de la ville. Seuls les textes et dans au lendemain de la guerre des Albigeois. La famille ne
une moindre mesure l'archéologie, pourraient nous tarda pas alors à faire fortune, puisque, en 1295,
renseigner sur ce genre d'habitations. L'architecture en Raymond Ysalguier, changeur, figure parmi les Capitouls
brique était donc réservée aux édifices religieux et aux de la ville. Ce personnage, le premier grand notable de
hôtels des riches bourgeois ; d'ailleurs, nous le verrons, la famille, fut renouvelé dans ses fonctions de Capitoul
certaines demeures, malgré leur défiguration, nous en 1315 et 1320 avant d'être anobli en 1328. Celui-ci
disent encore la puissance et la richesse de leurs premiers avait établi son hôtel dans le quartier du Pont-Neuf
habitants. C'est donc une architecture « de luxe », qu'il administrait au début du XIVe s., ce bâtiment
presque exceptionnelle dans le paysage urbain, que nous s'étendait alors sur la rue Peyrolières (4). La famille des
allons étudier. Ysalguier possédait à cette époque une des plus grandes
fortunes de la ville. Elle continua à jouer un grand rôle
L'HOTEL DES YSALGUIER à Toulouse jusqu'au début du XVIe s. où le nom d'Ysal-
La demeure que l'on attribue à la famille des Ysal- guier disparaît de la liste des Capitouls.
guier devait être, au siècle dernier, une des plus
anciennes maisons médiévales de Toulouse encore debout. 2. L'édifice
Celle-ci se situait au n° 1 8 de la rue Peyrolières et Au n° 1 8 de la rue Peyrolières et sur la rue
présentait une façade sur la rue Clémence Isaure. Détruite Clémence Isaure, on peut voir actuellement un grand bâtiment
dans la dernière décennie du XIXe s., il ne nous reste dont les murs sont entièrement recouverts d'un enduit
aujourd'hui d'elle qu'une colonnette décorée de son gris. Un large portail s'ouvre sur un petit couloir débou-
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(22) II en était encore ainsi au XVIIIe s., une description en est faite sur le devis estimatif de 1719 (cf. note 20). Notons aussi que la
petite porte en plein cintre située à la jonction du corps de bâtiment et de la tour était en service au XVIIe s. puisqu'elle figure sur le
plan Tavernier, par contre la porte de la chapelle n'a pas été représentée.
(23) Ceci a fait penser qu'il existait à cet endroit d'anciennes fenêtres percées dans une deuxième campagne de construction
médiévale. Cf. Roger CAMBOULIVES, En visitant la tour Maurand, remarques et hypothèses, dans VAuta,n° 302, 1961, p. 1 1 1. C'est en
effet une hypothèse, peut-être s'agit-il aussi de reprises modernes.
(24) A Périgueux, il s'agit de petites ouvertures en plein cintre étroites mais allongées situées de part et d'autre de quatre baies situées
au premier étage. A Laon, ces deux ouvertures sont situées au rez-de-chaussée de part et d'autre d'une cheminée. Cf. VERDIER
et CATTOIS, Architecture civile et domestique, Paris, 1855-57.
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ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL - TOME VI- 1988.
port avec la reconstruction de l'aile Périgord. C'est aussi PLAN DES CAVES DE L'HOTEL MAURAND
probablement pendant cette campagne qu'une voûte fut
édifiée sur les murs médiévaux et que l'on agrandit le N.
bâtiment en profondeur aux dépens de la cour (fig. 8).
La petite pièce située sous la tour fut moins touchée par
les modifications modernes ; signalons qu'elle n'est
couverte que par un simple plancher assis sur un retrait du
mur, et qu'aucune trace d'arrachement de voûte
n'apparaît. L'accès vers l'aile Périgord se fait selon un système
d'ouverture double : une large porte en plein cintre est
accolée à une autre plus étroite et plus basse au tracé
segmentaire (fig. 9) ; cette disposition que l'on
retrouvera au rez-de-chaussée permet de pratiquer une
ouverture élégante dans un mur considérablement épais. Sans
cela la porte n'aurait été qu'une sorte de couloir de 2,55
m de long ! Les murs de l'aile Périgord sont beaucoup
moins épais ; l'escalier moderne permettant d'accéder à
la cave a été percé dans la muraille médiévale : à cet
endroit elle mesure 1,20 m et se compose de deux
parements de brique entre lesquels on a disposé un blocage
de mortier et de galets régulièrement interrompu par
deux assises de brique (25). On peut apercevoir enfin
dans cette partie du sous-sol des traces de niches dans
les murs.
La salle du rez-de-chaussée est la partie qui a été la
plus admirée, celle-ci est remarquable par son état de
conservation, ses murs n'ayant pratiquement pas été
touchés par les reprises modernes. Si l'on exclue la
grande fenêtre donnant sur la rue du Taur et la petite
porte reliant la chapelle à la salle qui servait alors de
sacristie, il semble que tout le reste soit médiéval. Sur le
mur nord-est une belle porte à double arc est toujours
en service ; à l'extérieur de la salle, son tracé en plein
cintre est repris par un deuxième rouleau de brique
(fig. 10). A l'intérieur, de part et d'autre de l'ouverture,
deux petites niches ont été ménagées dans l'épaisseur du
mur ; deux autres semblables apparaissent sur le mur
opposé mais elles ont été bouchées. Sur la paroi sud-est
deux longs ébrasements en arcs segmentaires,
correspondent aux petites fenêtres médiévales prenant le jour
sur la rue du Périgord (fig. 1 1 ). Enfin une sorte de
renfoncement occupe le centre du mur nord-ouest ; celui-ci
s'ouvre par un grand arc segmentaire ; c'est à l'intérieur
de cette cavité que l'on a percé la porte qui permet de Cour
rejoindre la chapelle. Mais c'est le couvrement de cette
pièce qui a surtout suscité l'admiration des archéologues
toulousains. Il s'agit d'une croisée d'ogives dont les
nervures, à section carrée, retombent dans les angles sur
des culots en pierre. Celle-ci, par sa faible hauteur et ses
rue du Taur
■ murs médiévaux 0
reprises modernes
Fig. 8 : Plan des Bâtiments de France à Toulouse, complété
par l'auteur.
grosses nervures a un caractère très lourd. Les ogives
saillantes reposent sur des culots sans pénétrer dans le
mur. Ces culots, en forme de pyramides renversées ont
Fig. 9 : Porte située dans les caves, entre la tour et le corps de reçu un décor dans leur partie supérieure, ce sont tantôt
bâtiment de la rue du Périgord. des tiges ondulées accompagnées de demi-palmettes,
(25) Les dimensions des briques sont : 0,34-0,35 m de longueur ; 0,23-0,26 m de largeur ; 0,04-0,045 m d'épaisseur. Le mortier gris se
caractérise par la présence de nombreux petits gravillons.
128
LES MAISONS ROM A NES DE TO ULO USE.
les salles capitulaires. Citons les clés de voûtes des
abbayes de Grandselve et de Belleperche (26), mais si
celles-ci annoncent déjà l'art gothique, celle de la tour
Maurand, par son caractère très stylisé, semble bien
antérieure. Cette salle du rez-de-chaussée renferme les
seuls indices susceptibles de nous fournir des indications
chronologiques pour dater l'édification de l'hôtel, sans
oublier le terminus antequem donné par l'arrasement de
la tour, en 1 178. Jusque-là c'est la croisée d'ogives qui a
constitué une piste pour la datation de l'édifice. Celle-ci
fut apparement une des premières construite dans la
région. La façon dont retombent les ogives l'apparente
peut-être aux plus anciennes croisées construites dans
les édifices cisterciens du midi vers la fin du XIIe s. (27).
Roger Camboulives proposa la date de 1140 pour la
construction de cette voûte (28). Mais cette date nous
paraît un peu haute si l'on tient compte de l'influence
cistercienne, les abbayes de cet ordre ne s'étant
Fig. 10 : Mur nord-est de la salle du rez-de-chaussée de la tour. développées que dans la seconde moitié du XIIe s. et la
première moitié du XIIIe s. dans le midi de la France et le nord
r.d.c de l'Espagne (29). C'est donc dans le troisième quart du
XIIe s. que l'hôtel Maurand a dû être construit.
Il faut emprunter des escaliers modernes situés dans
l'aile Périgord pour accéder à la salle du premier étage
de la tour. Celle-ci est beaucoup moins bien conservée
et certaines reprises ont été faites avec beaucoup
d'habileté. Parmi ces reconstructions modernes signalons la
porte du mur nord-est (fig. 14), le renfoncement et
l'ébrasement de la fenêtre ainsi que la niche du mur
sud-est (fig. 1 5), les deux ébrasements des grandes baies
rue du Tau r
Fig. 1 1 : Plan du rez-de-chaussée de la tour, extrait des plans
de l'Université des Bâtiments de France à Toulouse.
tantôt des entrelacs croisés comme des brins de vannerie
(fig. 12). Cette sculpture, en très faible relief, nous
semble suspecte ; s'il est peu probable que l'on ait rajouté
ou remplacé les pierres qui reçoivent les nervures de la
croisée, elles ont pu, par contre, être retaillées ou faire
l'objet d'un décor qui n'existait peut-être pas à l'origine.
Une autre pierre sculptée marque la clé de voûte
(fig. 13), il s'agit d'une rosace très stylisée inscrite dans
un disque entouré d'une torsade ; une multitude de
petits lobes rayonnent autour du cœur marqué d'un
simple trou dans la pierre. Ce motif et l'endroit qu'il
occupe ne sont pas sans rappeler les clés de voûte
cisterciennes ; la rosace traitée avec de plus en plus de
naturalisme au XIIIe s. se trouve dans de nombreux bâtiments Fig. 1 2 Culot recevant une nervure de la voûte de la salle du
monastiques de cet ordre et tout particulièrement dans rez-de-chaussée de la tour.
:
(26) Grandselve : clé de voûte conservée sur place chez M. Froidure. Belleperche : clés de voûte conservées au Musée Ingres de
Montauban. Cf. D. CAZES, L'abbaye de Grandselve, Mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le Mirail, sous la direction de M.
Durliat, 1973. Cf. A.-L. NAPOLEONE, Les réserves lapidaires médiévales du Musée Ingres de Montauban, Mémoire de
Maîtrise, sous la direction de Mme Pradalier et M. Bruand, à l'Université de Toulouse-Le Mirail, 1984. Cf. J.-L. BIGET, H. PRADA-
LIER et M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, L'art cistercien dans le midi toulousain, dans Cahiers de Fanjeaux, n°21,
p. 313-370.
(27) Ibid., p. 108-109.
(28) Cf. Roger CAMBOULIVES, En visitant la tour Maurand, remarques et hypothèses, dans l'Aula, n° 302, 1961, p. 109.
(29) Cf. M. DURLIAT, L'architecture gothique méridionale au XIIIe s., dans Ecole Antique de Nîmes, nos 8-9, 1973-74, p. 7 1 . Notons
que l'auteur signale l'existence d'une clé de voûte semblable à celle de la tour Maurand à Lézat. Cf. aussi R. REY, L'Art
gothique du Midi de la France, pour les premières croisées d'ogives de la région.
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ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL - TOME VI- 1988.
(30) Cf. J. LAHONDES, Les monuments de Toulouse, p. 353. R. MESURET, Evocation du Vieux Toulouse, p. 508. R. REY, L'Art
gothique du Midi de la France, Paris, 1934, p. 24.
(31) La cheminée construite dans l'épaisseur du mur s'ouvre par un arc segmentaire, on peut la rapprocher de celle située au premier
sous-sol de la tour Vinhas construite probablement au XIIIe ou au XIVe s.
(32) Le devis estimatif de 1719 signale cette ouverture : «... on en vient à la porte des archives... on entre dans un réduit pratiqué dans
l'épaisseur des murailles où on trouve une autre ouverture pareille grandeur, la fermeture est de sapin simple... ».
(33) Les reprises effectuées dans cette pièce, nous l'avons dit, sont très habiles. L'arc segmentaire est utilisé au rez-de-chaussée pour
les ébrasements des fenêtres médiévales et au premier étage pour ceux des fenêtres modernes. Pourtant il semble que l'arc
segmentaire médiéval soit plus bombé. C'est la raison qui nous fait penser que les ébrasements des fenêtres hautes du premier étage
ont été refaits à l'époque moderne.
130
LES MAISONS ROMANES DE TOULOUSE.
rue du Taur
—murs médiévaux
— reprises 5m -—restitutions
hypothétiques
Fig. 16 : essai
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restitution
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premier
étage
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de médiéval.
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(34) L'escalier de la tour de Palmata se développe dans l'épaisseur de trois murs, il relie de la même façon la pièce du premier étage à
celle du second ; il est également couvert d'un berceau rampant et de petites meurtrières ont été percées pour l'éclairer. Cet
édifice date du XIIIe s.
(35) Celle-ci a été publiée dans l'article de M. MEUSNIER (cf. note 1 8).
131
ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL - TOME VI- 1988.
presque plus rien, dans son architecture, des édifices qui
l'ont précédé. Les textes montrent en effet qu'à cet
endroit, dès le XIIe s., plusieurs hôpitaux furent construits
pour accueillir les pèlerins de Saint- Jacques. Une charte
d'Alphonse Jourdain mentionne la fondation entre 1 130
et 1140 de l'hôpital Sainte-Marie (39) auquel on
pourrait attribuer le seul vestige médiéval conservé à l'hôtel-
Dieu. Il s'agit d'une baie géminée aux arcs en plein
cintre, aujourd'hui bouchée, surmontée d'un arc de
décharge de même tracé et dont le chapiteau et la colonnette
ont disparu (fig. 19). Cette ouverture est visible de la
cour située derrière la chapelle. Bien que ce vestige
n'appartienne pas à un édifice privé, il nous semblait
important de le signaler en raison de son bon état de
conservation. D'autre part son tracé est identique à
celui des fenêtres des hôtels Ysalguier et Maurand que
nous n'avons pas eu la chance de retrouver dans un tel
état.
LA FAÇADE DE LA MAISON DE LA RUE DU
CHATEAU
Cette façade fut démolie en 1 86 1 ; il ne nous reste
aujourd'hui d'elle que deux fenêtres sauvées par la
COUPE DELA Société Archéologique du Midi de la France et
TOUR MAURAND soigneusement remontées au jardin des plantes (40) (fig. 20), et un
fragment de chapiteau conservé au Musée des Augus-
Fig. 18 : Coupe de la tour Maurand exécutée au XVIIIe s., tins. Mais il nous reste aussi des relevés et dessins
publiée dans l'article de Maurice Meusnier, conservée effectués au siècle dernier :
aux Arch. dép. de l'Hérault (C 544). - des croquis de l'architecte Esquié (41), (fig. 21 et 22) ;
leurs, aucune trace d'un escalier qui aurait permis de
monter au premier étage. Il nous semble cependant peu
probable que l'on y accédait au moyen d'une échelle
que l'on pouvait retirer à tout moment (36) ; l'hôtel
étant assez vaste pour loger un escalier dans une de ses
ailes, ou plus certainement, dans la cour, prolongé par
des coursives le long des corps de bâtiments comme
dans les maisons de Cordes (37). Le premier étage de la
demeure était largement ouvert par de belles baies
géminées, sans doute décorées de chapiteaux sculptés. Il
s'agit sans aucun doute de l'étage noble où se trouvaient
les pièces d'habitation ; à ce niveau, on pouvait circuler
d'une aile à l'autre en passant par la tour. Il existait
enfin d'autres pièces aux étages supérieurs de celles-ci
dont la destination nous est inconnue.
L'hôtel Maurand est donc un édifice intéressant et
cela à plusieurs titres ; il est d'abord le témoignage d'un
type d'habitation particulier à l'élite sociale de la ville.
Ses dimensions et sa haute tour lui ont valu le
qualificatif de « château », mais il ne faut pas se méprendre car
si la demeure avait, au XIIe s. un caractère fortifié,
n'était-ce pas plus par symbole de puissance que par
nécessité ? N'est-ce pas d'ailleurs pour ce symbole que la
tour fut écrêtée en 1178? Cet édifice est aussi
remarquable par son architecture car il possède l'une des
premières croisée d'ogives construites dans le midi de la
France. C'est enfin un des rares exemples de demeures
médiévales qui nous soit parvenu pour lesquelles nous
connaissons l'histoire de ses premiers occupants.
LA FENETRE ROMANE DE L'HOTEL-DIEU
SAINT-JACQUES (38).
L'hôtel-Dieu-Saint-Jacques, aujourd'hui siège de
l'administration hospitalière de Toulouse, ne conserve Fig. 19 : Fentre romane de l'Hôtel-Dieu Saint- Jacques.
(36) Cette hypothèse a été avancée par Roger CAMBOULIVES, op. cit., p. 107.
(37) Cf. M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, Cordes, dans Le Congrès Archéologique de France en Albigeois, 1985, p. 237.
(38) Je remercie M. VILLEVAL de m'avoir signalé cette fenêtre.
(39) Cf. R. MESURET, Evocation du Vieux Toulouse, p. 550.
(40) Cf. registre de délibération de la Société Archéologique du Midi de la France, procès-verbaux des 23 avril, 30 avril et 28 mai
1861.
(41) Cf. ESQUIE, Recueil, à la Bibliothèque Municipale de Toulouse (Ms 1 167).
132
LES MAISONS ROMANES DE TOULOUSE.
Fig. 21 : Relevé de la façade de la maison de la rue du Château, par l'architecte Esquié, conservé à la Bibliothèque Municipale
(Msll67).
(42) L'aquarelle de Mazzoli, la gravure sur bois et la photo sont conservées au Musée du Vieux Toulouse, et m'ont été communiquées
par M. VILLEVAL.
(43) Cf. J. CHALANDE, Les fortifications romaines du Moyen Age, dans le Bulletin de la Société Archéologique du Midi de la
France, n° 42, 1912, p. 80 et J. CHALANDE, Histoire des rues de Toulouse, livre 1, p. 22.
(44) Cf. V. CASTAGNE, Le Château Narbonnais, Mémoire de Maîtrise à l'Université de Toulouse-Le Mirail, 1981 .
(45) Cf. cadastre de 1 478, et article de J. CHALANDE, op. cit., p. 80.
133
ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL - TOME VI- 1988.
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(46) Nous ne nous servirons pas de cette gravure car il nous semble que l'on ait voulu y reproduire une image idéale du Château Nar-
bonnais. Celle-ci ne doit pas être plus ancienne que le dessin d'Esquié puisqu'elle figure le parement de brique qui couvre les
parties basses de l'édifice, dont Esquié nous apprend qu'il fut mis peu de temps avant qu'il exécute son croquis.
(47) II faut citer l'étude faite sur cet architecte : O. FOUCAUD, J.-J. Esquié, 1817-1884, architecture publique, Mémoire de Maîtrise à
l'Université de Toulouse-Le Mirail, 1983.
(48) Cf. note 45.
(49) Si la topographie du site n'a pas trop changé depuis le Moyen Age, cet entre-sol s'ouvrant à plus de 2 m de hauteur sur la façade
de la rue du Château, devait correspondre au rez-de-chaussée à l'intérieur des murailles où le sol est beaucoup plus haut.
(50) Cf. les arcades brisées du rez-de-chaussée de l'hôtel de Ville de Saint-Antonin-Noble-Val.
134
LES MAISONS ROMANES DE TO ULO USE.
Le premier étage, largement ouvert, a été construit RESTES D'UN GKENIER DU MOULIN DU CHATEAU
sur la muraille romaine. Quatre baies géminées D'où un a extrait les tenctres rccdiliccs au Jardin-iles-Plantes.
disposées à 4,10 m les unes des autres ont été percées. Notons
la petite fenêtre en plein cintre identique à celle de Fig. 25 : Dessin anonyme paru dans La Revue des Pyrénées.
l'entresol. Nous pouvons ici, contrairement aux demeures
des familles Ysalguier et Maurand, observer de façon
détaillée, l'architecture des fenêtres jumelles. A
l'intérieur d'un arc de décharge en plein cintre, deux petits outrepassés, en retombant sur la colonnette,
arcs outrepassés reposent au centre sur une colonnette s'amenuisent jusqu'à atteindre des dimensions très réduites,
décorée d'un chapiteau et d'une base (51). La formant une ligne verticale au-dessus du tailloir. La
particularité de ces fenêtres est que les claveaux des deux arcs présence de ces claveaux minuscules peut surprendre à cet
Fig. 24 : Gravure sur bois signée Clavel et Chambaron, conservée au Musée du Vieux Toulouse.
(51) D'après les notes accompagnant les croquis d'Esquié, les dimensions des fenêtres sont : largeur de l'ouverture : 1,58 m ; hauteur
de l'ouverture : 1 ,70 m ; hauteur totale de la baie avec l'arc de décharge : 1 ,70 m + 0,80 m ; diamètre de l'arc outrepassé : 0,80 m ;
hauteur de la colonnette : 1,18m.
135
ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL- TOME VI- 1988.
ploi de la brique. Un tel système se retrouve à la fenêtre
de l'Hôtel-Dieu Saint-Jacques, à la maison dite « roma-
no-gothique» rue Croix-Baragnon à Toulouse et à la
tour de Palmata à Gaillac (Tarn). Par contre, dans la
vallée du Lot où la brique est aussi largement utilisée,
les maisons percées de baies géminées comportent un
bloc de pierre faisant office de double sommier
au-dessus de la colonnette (52).
La façade de la rue du Château, comme celle de
l'hôtel Maurand, était décorée de bandeaux de brique
en saillie qui soulignaient les fenêtres et les reliaient
entre elles au niveau des impostes. Les profils de ceux-ci
ont été relevés par Esquié. Le bandeau supérieur était
mouluré d'un petit cavet surmonté d'un bandeau, tandis
que celui situé sous l'appui des fenêtres, plus large,
présentait un quart de rond souligné d'une doucine droite,
sous un bandeau. Nous ne savons rien de l'intérieur de
l'édifice occupé actuellement par une école. La coupe
Fig. 26 : Photo prise avant la destruction de la maison, de la façade relevée par Esquié indique l'épaisseur
conservée au Musée du Vieux Toulouse. considérable de la muraille romaine (fig. 21). Celle-ci
présente sur sa face intérieure deux ressauts qui
correspondent peut-être à la division verticale moderne de
l'édifice ; une annotation de l'architecte précise
d'ailleurs que, de ce côté de la façade, le mur présente « un
parement de briques tranchées». Un de ces deux
ressauts a pu correspondre au niveau du plancher du
premier étage, mais l'autre, entaillé au niveau des
sommiers de la petite baie en plein cintre de l'entresol n'a
pu soutenir un plancher à l'époque où la maison fut
construite (53). Esquié a laissé un dernier détail sur
l'intérieur de cette maison : un dessin de l'ébrasement
d'une baie géminée ; celui-ci décrivait un grand arc seg-
mentaire haut de 4,60 m et large d'1,80 m. La
profondeur semblait variable comme l'épaisseur de la muraille
romaine où les fenêtres prenaient appui, selon les deux
coupes des fenêtres dessinées par l'architecte (fig. 22).
Observons enfin le chapiteau provenant de cet
édifice (54). Celui-ci fut étudié par Daniel Cazes à
l'occasion d'une exposition tenue au Musée des Augustins à
Toulouse en 1984 (55). Cette œuvre ne nous est pas
parvenue intacte (56). Malgré cela, on peu se faire une idée
du décor sculpté qui recouvrait la corbeille (fig. 28). Il
s'agit de monstres hybrides dont quatre oiseaux à queue
de serpent, et d'autres créatures recouvertes d'écaillés,
disposées sur les faces du chapiteau selon un schéma
bien roman. Sur un grand côté de la corbeille un écu à
été sculpté ; celui-ci était gravé d'un motif actuellement
illisible. Le tailloir, peu épais, est décoré d'une tige
ondulée et de demi-palmettes. Les caractères de cette
œuvre permettent de la rattacher au style roman tardif qui
se développe dans la région dès la fin du XIIe s. et dont
les survivances se prolongent jusqu'au début du XIVe s.
(57). C'est entre ces deux périodes que fut construite la
façade de la rue du Château. Mais l'utilisation de l'arc
Fig. 27 : Plan du quartier Saint-Michel dressé par Jules en plein cintre nous permet d'exclure le XIVe s. et peut-
Chalande, avec les fortifications romaines et du Moyen être même la fin du XIIIe s. Il existe enfin un édifice
Age, et l'emplacement de la maison (en noir). Extrait civil que nous avons déjà cité, dont les fenêtres,
de son Histoire des rues de Toulouse. construites en brique, ont un tracé identique à celles que nous
endroit porteur de la fenêtre, mais ceci semble avons vues : il s'agit de la tour de Palmata à Gaillac
caractériser une technique locale ou régionale tributaire de édifiée avant les années 1270 (58).
(52) Cf. la maison des Consuls à Luzech (Lot).
(53) Ce ressaut inférieur correspond très probablement à un niveau moderne, l'aquarelle de Mazzoli reproduisant la façade telle
qu'el e était en 1 860, montre la petite fenêtre en plein cintre bouchée et l'ouverture en lancette condamnée dans sa partie inférieure,
jusqu'à un niveau qui correspond à celui du ressaut.
(54) ESQUIÉ nous a laissé un croquis de ce chapiteau.
(55) Cf. exposition « Vingt ans d'acquisition », notice de D. CAZES dans le catalogue, p. 34-35.
(56) Ce chapiteau était déjà mutilé lorsqu'Esquié en fit le croquis.
(57) Cf. P. MESPLÉ, L'art roman du sud-ouest de la France, dans le Bulletin Monumental, T. CXV, 1957, p. 7-22.
(58) Cf. E. ROSSIGNOL, La tour de Palmata à Gaillac, dans les Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, T. VIII,
1865, p. 295-303. D. CAZES, Le vieux Gaillac dans le Congrès Archéologique de France en Albigeois, 1982, p. 260. A.-L. NA-
POLEONE, Les maisons gothiques du Tarn, D.E.A., sous la direction de Mme Pradalier et M. Bruand, à l'Université de Toulou-
se-Le Mirail, 1986. La tour de Palmata possède une salle décorée de peintures, celles-ci sont datées des années 1270, mais
l'édifice a pu être construit bien avant.
136
LES MAISONS R OMAN ES DE TOULO USE.
(59) Nous voulons rendre hommage à l'architecte Esquié grâce aux croquis duquel nous avons pu étudier cette façade en oubliant
presque qu'il n'en reste quasiment rien.
(60) Je remercie D. CAZES de m'avoir signalé l'existence de cette tour.
(6 1 ) Cf. C. RIVALS, R. CAMBOULIVES et G. ANGELY, Toulouse d'après les plans anciens.
(62) Ce dessin a été publié dans, Desazars, Saint-Charles et Lapierre, Le vieux Toulouse disparu, Toulouse, 1885, p. 85.
(63) Cf. Bulletin de la Société Archéologique du Midi de la France, 19 1 1 , p. 223-225.
(64) Si l'on prend comme référence la maison à la cheminée du premier plan qui ne semble avoir qu'un étage.
(65) Une des rares demeures que nous connaissons qui associe sur ses baies géminées l'occulus et les arcs en plein cintre est la maison
du Prévôt à Fréjus (Var).
(66) Par exemple les maisons gothiques de Cordes ; les plus anciennes ont des fenêtres dont le tympan est percé d'un petit occulus,
dans les plus récentes ce percement est l'occasion d'un remplage élégant. Cf. M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, Cordes,
dans le Congrès Archéologique de France en Albigeois, 1982, p. 235-253.
137
ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL - TOME VI - 1988.
niche supportant le toit à quatre pentes. 1 I
Un chapiteau provenant de cet édifice fut trouvé en
1922 et déposé au Musée du Vieux Toulouse (67).
Parmi les œuvres conservées dans ce musée, une sculpture
pourrait correspondre à ce chapiteau (fig. 31); son décor
se compose de palmettes accrochées dans les angles de
la corbeille, à de grosses tiges cannelées. Sur le tailloir,
on retrouve la tige ondulée d'où naissent des demi-
palmettes. Il s'agit-là, comme à la maison de la rue du
château, d'un chapiteau de style roman tardif du XIIPs.
En raison de la fourchette chronologique très large
de ce style de sculpture nous préférons dater la tour par
l'architecture des fenêtres qui nous permet de placer la
construction de cet édifice entre celle de la façade de la
rue du Château et celle de la maison dite «romano-
gothique» de la rue Croix-Baragnon (68), c'est-à-dire
vers la seconde moitié du XIIIe s. Fig. 31 : Chapiteau provenant peut-être de la tour des Trois
Nous ne pouvons que regretter la disparition de Renards, conservé au Musée du Vieux Toulouse.
cette tour qui semblait-être remarquablement
conservée. défensif dans une ville déjà protégée par des remparts.
L'étude des vestiges de l'architecture civile romane Leur construction ne s'explique que pour l'apparence
à Toulouse, permet donc de dégager quelques traits extérieure et le symbole de puissance qu'elles offrent,
propres à une catégorie d'édifices privés, et d'entrevoir s'élevant fières et arrogantes au-dessus des demeures
quelques caractéristiques stylistiques locales. voisines et rivalisant peut-être avec les clochers des
Ces maisons, nous l'avons dit, ne donnent pas églises.
l'image de l'ensemble des demeures toulousaines Mais ces tours font aussi l'objet d'une architecture
médiévales, elles ne sont représentatives que d'un type soignée. Mis à part les belles baies géminées qui y sont
d'habitation occupé par les plus hautes classes de la société. percées, les salles qu'elles renferment, par leur plan plus
Parmi ces édifices, un modèle prestigieux se détache, ou moins carré, se prêtent à l'édification de voûtes. Il
celui dont la demeure s'enrichit d'une tour. Nous en faut rappeler la présence de cette croisée d'ogives extra-
connaissons deux à Toulouse pour cette époque ; une ordinairement précoce de la salle du rez-de-chausée de
troisième, la tour Vinhas, dont les vestiges sont encore la tour Maurand ! et c'est bien là le seul et unique trait
visibles, fut construite plus tardivement (69). Il devait d'avant-garde que nous avons relevé dans l'architecture
en exister bien d'autres. Nous connaissons par ailleurs civile médiévale toulousaine, qui nous a paru au
des tours conservées dans d'autres villes, la tour de Pal- contraire, très attachée aux formes romanes, jusque
mata à Gaillac par exemple que nous avons citée de dans la deuxième moitié du XIIIe s., tant dans
nombreuses fois. Or, ces tours, ne disposent à l'intérieur l'architecture que dans la sculpture. Cette sculpture nous
que d'un espace relativement réduit; elles n'ont donc permet en principe, de proposer une datation pour la
aucun avantage pratique au niveau de l'habitation, il construction de l'édifice, mais l'évolution des formes des
nous semble d'autre part exclu qu'elles aient eu un rôle ouvertures constitue aussi un repère chronologique.
(67) Cf. notice dans YAuta, septembre 1922, p. 219. Ce renseignement m'a été donné par D. CAZES.
(68) La maison dite « romano-gothique » possède des baies géminées en arc brisé dont le tympan est percé d'un occulus rond.
(69) Les maisons gothiques de Toulouse feront l'objet d'un second article.
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