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Anne-Laure Napoleone

Les maisons romanes de Toulouse (Haute-Garonne)


In: Archéologie du Midi médiéval. Tome 6, 1988. pp. 123-138.

Abstract
The medieval civil architecture has not been much studied, probably because its vestiges are just a few and often badly
preserved. Yet its study is not uninteresting ; it allows us to have an idea about the look of some dwellings at that time and more
indirectly, it gives us information on urbanism as well as on the history of private life in the Middle Ages, therefore completing
what the texts may provide. In Toulouse four civil romanesque buildings are known ; they present some architectural
particularities which make us see that a certain type of high class dwelling had a tower as its main characteristic.

Résumé
L'architecture civile médiévale a été peu étudiée, sans doute parce que ses vestiges sont peu nombreux et souvent mal
conservés. Pourtant son étude ne manque pas d'intérêt ; elle permet de nous donner une idée de l'apparence de certaines
demeures de cette époque, et, de façon moins directe, elle nous renseigne sur l'urbanisme et l'histoire de la vie privée au Moyen
Age, complétant ainsi ce que peuvent apporter les textes. A Toulouse, quatre édifices de l'époque romane sont connus ; ceux-ci
présentent quelques particularités architecturales et nous permettent d'ores et déjà d'entrevoir un type de demeure bourgeoise
dont la principale caractéristique est la présence d'une tour.

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Napoleone Anne-Laure. Les maisons romanes de Toulouse (Haute-Garonne). In: Archéologie du Midi médiéval. Tome 6, 1988.
pp. 123-138.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/amime_0758-7708_1988_num_6_1_1171
ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL - TOME VI- 1988.

LES MAISONS ROMANES DE TOULOUSE

Anne-Laure NAPO LEONE*

L'architecture civile médiévale a été peu étudiée, sans doute parce que ses vestiges sont peu nombreux et souvent
mal conservés. Pourtant son étude ne manque pas d'intérêt ; elle permet de nous donner une idée de l'apparence de
certaines demeures de cette époque, et, de façon moins directe, elle nous renseigne sur l'urbanisme et l'histoire de la vie
privée au Moyen Age, complétant ainsi ce que peuvent apporter les textes. A Toulouse, quatre édifices de l'époque
romane sont connus ; ceux-ci présentent quelques particularités architecturales et nous permettent d'ores et déjà
d'entrevoir un type de demeure bourgeoise dont la principale caractéristique est la présence d'une tour (1).
The médiéval civil architecture has not been much studied, probably because its vestiges arejust afew and often ba-
dly preserved. Yet its study is not uninteresting ; it allows us to hâve an idea about the look ofsome dwellings at that
time and more indirectly, it gives us information on urbanism as well as on the history ofprivate life in the Middle Ages,
therefore completing what the texts may provide. In Toulouse four civil romanesque buildings are known ; they présent
some architectural particularities which make us see that a certain type ofhigh class dwelling had a tower as its main
characteristic.
La ville de Toulouse a connu dès la fin du XIe s. un chapiteau et de sa base, récupérée par la Société
essor urbain considérable. Des monuments construits Archéologique du Midi de la France (fig. 2), et une vieille
durant les XIIe et XIIIe s., il ne nous reste photo représentant la baie géminée d'où provenaient ces
principalement aujourd'hui que des édifices religieux. éléments, conservée au Musée du Vieux Toulouse
L'architecture civile de cette époque est peu représentée ; seul (fig. 1). Mais il reste aussi quelques témoignages ; en
l'hôtel Maurand est encore debout. Cependant trois effet, la destruction de cet édifice n'a pas laissé
autres édifices, détruits au siècle dernier nous sont connus indifférents les archéologues du siècle dernier qui, par de
par des documents et des vestiges. Ces quatre édifices brèves descriptions, signalent ce qu'ils ont pu apercevoir au
ont été construits en brique et, en cela, ils sont peu cours des travaux.
représentatifs de l'ensemble des demeures médiévales
toulousaines. En effet, nous savons par les textes et les 1. Histoire de la famille des Ysalguier
importants travaux de Ph. Wolff (2), que la plupart des Les Ysalguier étaient une des plus riches familles
maisons de la ville étaient construites en bois et en toulousaines au Moyen Age ; Ph. Wolff a retracé
torchis ; il ne reste bien sûr aucun vestige de cette l'histoire de ses différentes branches jusqu'à la fin de
architecture de structure fragile, nécessitant un entretient l'époque médiévale (3). Il semblerait qu'il s'agisse de paysans
constant et exposée au moindre incendie, et l'histoire de originaires du Lauragais ou de la région de Grenade
Toulouse en a connu d'innombrables. Le plus venus s'installer à Toulouse, attirés par la prospérité
dévastateur fut celui de 1463 qui, en quinze jours, ravagea économique de la ville dans la seconde moitié du XIIIe s.,
toute la partie centrale de la ville. Seuls les textes et dans au lendemain de la guerre des Albigeois. La famille ne
une moindre mesure l'archéologie, pourraient nous tarda pas alors à faire fortune, puisque, en 1295,
renseigner sur ce genre d'habitations. L'architecture en Raymond Ysalguier, changeur, figure parmi les Capitouls
brique était donc réservée aux édifices religieux et aux de la ville. Ce personnage, le premier grand notable de
hôtels des riches bourgeois ; d'ailleurs, nous le verrons, la famille, fut renouvelé dans ses fonctions de Capitoul
certaines demeures, malgré leur défiguration, nous en 1315 et 1320 avant d'être anobli en 1328. Celui-ci
disent encore la puissance et la richesse de leurs premiers avait établi son hôtel dans le quartier du Pont-Neuf
habitants. C'est donc une architecture « de luxe », qu'il administrait au début du XIVe s., ce bâtiment
presque exceptionnelle dans le paysage urbain, que nous s'étendait alors sur la rue Peyrolières (4). La famille des
allons étudier. Ysalguier possédait à cette époque une des plus grandes
fortunes de la ville. Elle continua à jouer un grand rôle
L'HOTEL DES YSALGUIER à Toulouse jusqu'au début du XVIe s. où le nom d'Ysal-
La demeure que l'on attribue à la famille des Ysal- guier disparaît de la liste des Capitouls.
guier devait être, au siècle dernier, une des plus
anciennes maisons médiévales de Toulouse encore debout. 2. L'édifice
Celle-ci se situait au n° 1 8 de la rue Peyrolières et Au n° 1 8 de la rue Peyrolières et sur la rue
présentait une façade sur la rue Clémence Isaure. Détruite Clémence Isaure, on peut voir actuellement un grand bâtiment
dans la dernière décennie du XIXe s., il ne nous reste dont les murs sont entièrement recouverts d'un enduit
aujourd'hui d'elle qu'une colonnette décorée de son gris. Un large portail s'ouvre sur un petit couloir débou-

(*) 15, rue du Professeur Martin 3 1 500 Toulouse.


(1) Cette étude s'effectue dans le cadre d'une thèse portant sur les maisons médiévales dans le sud-ouest de la France et plus
particulièrement dans le haut Quercy, à l'Université de Toulouse-Le Mirail sous la direction de Madame Pradalier-Schlumberger et
Monsieur Yves Bruand.
Je tiens à remercier Madame Pradalier, Monsieur Cazes et Monsieur Villeval pour m'avoir donné de nombreux renseignements et
pour m'avoir conseillée lors de la rédaction de cet article, ainsi que l'Inventaire de Midi-Pyrénées.
(2) Cf. Ph. WOLFF (dir.), Histoire de Toulouse, Toulouse, Privât 1974. Commerces et marchands de Toulouse vers 1350-1450, Paris,
1954.
(3) Cf. Ph. WOLFF, Une famille du XIIIe s. au XVIe s.... Les Ysalguier de Toulouse, dans Annales, Economies, Sociétés et
Civilisations, n° 1, 1942, p. 7-31.
(4) Cf. Ph. WOLFF (dir.), Histoire de Toulouse, p. 200.
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Fig. 2 : Vieille photo, prise de la cour de l'hôtel avant sa


destruction, conservée au Musée du Vieux Toulouse.
de la construction médiévale lors de la démolition, au
siècle dernier, de l'hôtel d'Espagne qui occupait alors
les lieux. C'est dans les procès verbaux du bulletin de la
Société Archéologique du Midi de la France en 1891
que les archéologues toulousains signalèrent les travaux
effectués sur cette demeure (5) ; ceux-ci gardent surtout
le souvenir de la fenêtre située dans la cour de l'hôtel
décorée d'une colonnette et d'un chapiteau à entrelacs
(fig. 1) (6); il s'agissait sans doute du vestige le mieux
conservé. Mais d'autres traces d'ouvertures médiévales
sont signalées par J. de Malafosse en 1887,
probablement avant les travaux, qui nous apprend qu'« un
badigeon tout frais en cache quatre autres pareilles
dépouil ées de leurs chapiteaux, rue Clémence Isaure (...) » (7).
En 1894-96, pendant les travaux, ce même auteur nous
fait part d'autres remarques : « (...) sur la rue Clémence
Isaure on a pu voir, entre le grattage et le rétablissement
du badigeon, l'autre mur de cette maison ; il montrait
les traces d'un fenestrage de même type (que dans la
cour) enchevêtré dans des reprises d'époques diverses
Fig. 1 : Colonnette provenant de l'hôtel des Ysalguier (...) » (8). Le témoignage de J. de Malafosse montre donc
conservée à la Société Archéologique du Midi de la France qu'une partie seulement de l'hôtel a été détruite, celle
(hôtel d'Assézat). probablement qui donnait sur la rue Peyrolières, le mur
de la rue Clémence Isaure ayant été seul conservé. Cela
confirmerait le fait que l'on ait gardé sur la façade de
cette aile côté cour les fenêtres Renaissance. Il sera donc
chant sur une cour ; les façades donnant sur celle-ci sont possible, et intéressant, le jour où l'on ôtera à nouveau
recouvertes au sud et à l'est d'un enduit semblable à l'enduit du mur de la rue Clémence Isaure, d'observer à
celui de l'extérieur. A l'angle nord-ouest, une tour notre tour, les traces de la construction médiévale de la
octogonale percée d'ouvertures carrées en pierre renferme un demeure des Ysalguier.
escalier à vis. La façade nord, correspondant au corps Si Jules Chalande, repris par Robert Mesuret, a
de bâtiment donnant sur la rue Clémence Isaure, est voulu voir des traces antérieures au XVe s. sur la tour
percée de fenêtres à meneaux. d'escalier située dans la cour, nous restons, pour notre
Il ne reste donc aucun vestige médiéval visible si ce part, un peu sceptiques. S'il est vrai que les arcs de
n'est un montant de porte en pierre mouluré, situé au décharge situés au-dessus des petites ouvertures carrées
pied de la tour de l'escalier, accusant le XVe siècle. sont parfois décalés par rapport à celles-ci, il est difficile
Cette trace ainsi que les fenêtres à meneaux, montrent que d'en tirer des conclusions ; d'autre part cette tour
l'édifice subit de nombreuses transformations depuis le s'apparente bien aux nombreuses tours construites dès le
Moyen Age. Il ne devait donc rester que peu d'éléments début de la Renaissance à Toulouse (9).

(5) Scéance du 24 mars 1 89 1 , p. 48.


(6) Cf. Jules LAHONDES, Les monuments de Toulouse, Toulouse 1920, p. 352. Jules CHALANDE, Histoire des rues de Toulouse,
Toulouse, 1919, livre 1, p. 419. Robert MESURET, Evocation du Vieux Toulouse, Paris 1960, p. 404.
(7) Cf. J. de MALAFOSSE, Les anciennes maisons de Toulouse, dans Association Française pour l'avancement des sciences, 16e
session, Toulouse 1887, p. 119.
(8) Cf. J. de MALAFOSSE, Les anciennes maisons de Toulouse dans Les Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la
France, T. XV, 1894-96, p. 104.
(9) Cf. J. CHALANDE, op. cit., livre 1, p. 419.
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LES MAISONS ROMANES DE TOULOUSE.
3. Sculpture et datation cependant sous forme de traces sur les murs extérieurs
et, nous le verrons, de façon plus nette à l'intérieur. Les
Le seul élément qui puisse donc nous donner une Maurand, tout comme les Ysalguier, étaient une des
idée de l'époque à laquelle fut construit l'hôtel, est le grandes familles bourgeoises de Toulouse ; leur histoire
chapiteau recueilli par la Société Archéologique du est assez bien connue et, à travers elle, nous pourrons
Midi de la France (fig. 2) (10). Celui-ci décorait la suivre de façon ponctuelle le devenir de leur édifice.
fenêtre située dans la cour et recevait les sommiers des arcs
géminés en plein cintre de la baie. La corbeille, en 1. Histoire de la famille Maurand et de leur hôtel
forme de pyramide renversée, est décorée d'entrelacs à L'hôtel Maurand se situe à l'extérieur du rempart
trois brins, celui du centre étant sculpté d'une série de qui ceintrait le premier noyau de la ville médiévale de
têtes de clous. Ce décor d'entrelacs envahit les quatre Toulouse. Son édification est le témoignage du
faces, s'entrecroisant autour de nœuds semi-circulaires. développement d'un bourg dont le centre était l'abbaye de
Le tailloir épais, solidaire de la corbeille, est sculpté Saint-Sernin (12). La famille Maurand, dont nous avons
d'une série de losanges enchaînés les uns aux autres. les premières traces écrites vers le milieu du XIIe s.,
Enfin l'astragale, dont le profil dessine un boudin, repose était peut-être originaire de la haute vallée de la
sur la fine colonnette. La base élevée sur un petit Garonne où il existe un village Mauran non loin de Martres-
piédestal est moulurée de trois quarts de ronds et porte Tolosane (13). En 1141 et 1147 un certain Bonmacip
quatre petites griffes (11). Le décor d'entrelacs est peu Maurand était conseiller du comte de Toulouse (14).
utilisé à Toulouse à l'époque romane et si on le Mais le membre le plus célèbre de cette famille est
retrouve quelquefois, il sert de cadre à des scènes où des Pierre Maurand, riche changeur, qui embrassa la religion
personnages, animaux et feuillages contribuent à occuper cathare. Celui-ci fut une des premières victimes de la
l'espace. S'il ne fait aucun doute qu'un tel motif trouve répression organisée contre l'hérésie par la Mission
sa place à l'époque romane, la cohésion du tailloir avec Pontificale de 1 178 dirigée par le légat Pierre de Béné-
la corbeille nous interdit de proposer une date trop vent, cardinal de Saint Chrysogone (15). Pour ce grave
haute. Peut-être pourrait-on rapprocher cette œuvre d'un péché le bourgeois toulousain reçut diverses sanctions,
chapiteau du dernier atelier de la Daurade : « La chasse parmi celles-ci l'obligation de détruire les tours de ses
à l'ours » où les entrelacs décorés de perles permettent châteaux (16). C'est ainsi que la grande et belle tour de
d'individualiser les scènes représentées. D'autres son hôtel urbain dut être écrêtée. Mais Pierre Maurand
chapiteaux des deuxième et troisième ateliers possèdent un se releva bien vite puisque dès 1182-1183 il figure sur
tailloir décoré de motifs géométriques dont l'esprit peut les listes consulaires. A la fin du XIIIe s. Bonhom
rappeler celui que nous avons vu. C'est donc dans la Maurand, trafiquant d'armes, fournit les troupes de Philippe
deuxième moitié du XIIe s. que ce chapiteau a pu être Le Bel. Dans la deuxième moitié du XIVe s. les
sculpté, date à laquelle l'hôtel fut construit. Maurand doivent affronter de graves difficultés économiques
Si la famille des Ysalguier a effectivement occupé comme toutes les familles bourgeoises toulousaines ;
ainsi vers 1360, Azemar Maurand se débarrasse de son
cette demeure, il semble bien qu'elle ne soit pas à hôtel. Le bâtiment ainsi que les quatre demeures
l'origine de sa construction ; en effet, plus d'un demi-siècle voisines sont acquis par le Cardinal Hélie de Talleyrand
sépare l'édification de l'hôtel de l'arrivée des Ysalguier Périgord qui investit près de 200 livres tournois pour
à Toulouse. Quoiqu'il en soit, la demeure devait être fonder à cet emplacement le collège Saint-Front de Péri-
assez vaste pour recevoir une des plus riches familles de la gord(17).
ville ; celle-ci occupait d'ailleurs, au XVe s., presque Maurice Meusnier rassembla en 1951 quelques
tout un moulon, mais depuis le XIIe s. elle avait pu documents permettant de retracer les étapes de cette
subir de nombreuses transformations. De cette ancienne fondation (18). Retenons particulièrement le plan du
maison nous ne savons donc pas grand chose si ce n'est XVIIIe s. (fig. 3) où l'auteur a pu replacer, grâce aux
qu'elle présente une façade sur la rue Clémence Isaure indications des confronts des actes d'achats,
et qu'elle possédait un cour où une jolie fenêtre prenait l'emplacement approximatif des différents hôtels transformés
le jour. pour l'édification du collège. La demeure d' Azemar
Maurand avait, vers 1360, une façade sur la rue du
L'HOTEL MAURAND Taur, qui s'étendait jusqu'au mur nord-ouest de la
L'hôtel Maurand, connu surtout pour sa tour, était chapelle, et une longue façade sur la rue du Périgord. Un
certainement au Moyen Age un édifice exceptionnel par autre membre de la famille, Bonmacip Maurand,
ses proportions et son caractère fortifié. Aujourd'hui possédait un hôtel au nord de la demeure précédente. Les
cette vaste bâtisse aux façades modifiées se noie dans les principales destructions relevées par Maurice Meusnier
constructions modernes et plus rien ne la distingue des touchèrent surtout les hôtels Pechbonnieu, Jarrige et
autres demeures, pas même sa tour arrasée au niveau Bonmacip Maurand. L'unique transformation, semble-
des bâtiments voisins. L'architecture médiévale subsiste t-il, que la demeure d'Azemar Maurand aurait subi est

(10) Je remercie Monsieur COPPOLANI de m'avoir permis de le photographier.


(1 1) Les dimensions de cette colonnette sont : hauteur totale : 1,41 m ; hauteur de la colonne : 0,945 m. Chapiteau : largeur : 0,36 m ;
profondeur : 0,285 m ; hauteur : 0,3 1 m ; hauteur tailloir : 0,09 m ; base carrée : 0,245 m.
(12) Cf. Ph. WOLFF, Civitas et Burgus, dans Regards sur le Midi Médiéval, p. 202.
(13) Cf. Ph. WOLFF (dir.), Histoire de Toulouse, p. 76.
(14) Ibid.
(15) G. de CATEL, Mémoires de l'histoire de Languedoc, p. 1 36.
(16) Ibid., « Roger de Hoduen, en la seconde partie de son histoire de Henry second roi d'Angleterre raconte comme le cardinal de
Saint-Chrysogone étant entré dans Toulouse pour en chasser les hérétiques ; l'un d'iceux qu'était grandement riche, et qui avait
deux châteaux, l'un dans la ville et l'autre dehors se présenta à lui, lequel, non obstantfut condamné comme hérétique et fut
ordonné par le cardinal ut turres eius quas procerat et pulcherrimas habuit demolirentur. J'ai appris par une bulle du pape
Grégoire contenant confirmation faite par le cardinal Talairand de Toulouse du collège de Périgord, que ledit cardinal pour loger les
écoliers aurait acheté la maison Maurand qui était dans le bourg, en laquelle est cette grande et grosse tour que l'on nomme
Périgord».
( 1 7) Cf. Ph. WOLFF (dir.), Histoire de Toulouse, p. 2 1 3 .
(18) Cf. Maurice MEUSNIER, Le collège de Périgord à Toulouse, dans Les Annales du Midi, 1 95 1 , p. 2 1 1 -22 1 .
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LE COLLÈGE
DWPRKS LES N.WSDE
DU XVIII-PÉRIGORD
SIKCLE

Fig. 4 : Figuration de l'hôtel Maurand dans le plan Tavernier


(1631).
re. Ce sont là les seules ouvertures médiévales qui nous
sont parvenues intactes. Au premier étage, de part et
d'autre de la fenêtre moderne, des traces fragmentaires
d'arcs et d'arceaux en plein cintre et de leurs piédroits
(K et L) permettent de restituer de façon sûre deux baies
géminées regroupées chacune sous un arc de décharge.
Deux bandeaux de brique soulignaient l'architecture des
fenêtres ; ceux-ci ont été martelés mais on peut encore
Fig. 3 : Plan du collège publié dans l'article de Maurice Meus- voir leurs traces sur deux assises de briques sous l'appui
nier, conservé aux Arch. dép. de l'Hérault (C 544). des baies et au niveau des sommiers des arcs. Enfin, une
dernière ouverture (M), actuellement aveugle, dessine
l'établissement au nord-ouest de la tour d'une chapelle un petit arc en plein cintre au milieu de la tour dans les
vers 1363-1365. La construction d'un cloître, à partir de parties hautes du premier étage.
1367, dans la cour actuelle, a peut-être nécessité La façade de l'hôtel donnant sur la rue du Taur est
quelques modifications de la demeure médiévale, à moins plus complexe. L'existence d'une porte principale à la
que celui-ci n'ait pris tout simplement place dans une jonction du corps de bâtiment et de la tour ne fait aucun
cour préexistante. En 1372 les travaux du collège
étaient à peu près terminés. La famille Maurand, moins
riche qu'autrefois, continua cependant à participer à la
gestion de la ville de Toulouse. En 1453, on voit pour la
dernière fois le nom figurer sur les listes capitulaires
(19).
L'édifice servit de collège puis d'université jusqu'au
XXe siècle. Au XVIIe s., sur le plan Tavernier et le
tableau de Rivaltz, Clémence Isaure (cf. fig. 4) l'édifice est
figuré avec sa tour haute de quatre étages ; on peut se
demander alors si l'écrêtement du XIIe s. s'est limité à la
destruction des derniers étages de la tour ou si celle-ci
fut reconstruite ? Toujours est- il que les parties hautes
furent à nouveau abattues et ceci est peut-être à mettre
en relation avec une dernière campagne de travaux que
nous laissent deviner les grandes ouvertures modernes et
la reconstruction totale du corps de bâtiment donnant
sur la rue du Périgord. De ces modifications, nous
n'avons trouvé aucune trace écrite. Il existe bien un
devis effectué en vue de réparations sur le bâtiment, daté
de 1719, mais celui-ci vise plutôt à une remise en état
de l'intérieur du collège et il n'est nulle part question de
refaire des ouvertures (20). C'est très probablement vers
le début du XIXe s., au moment où furent détruits les
étages supérieurs, qu'eurent lieu ces remaniements (21).
Malgré ces bouleversements, il reste sur les murs
quelques traces nous permettant de proposer une
restitution approximative des façades de la tour et de celle
du corps de bâtiment de la rue du Taur (fig. 5, 6 et 7).
Description des bâtiments
Extérieur
Sur la rue du Périgord, la tour a conservé dans les #,'-*
parties hautes du rez-de-chaussée ses deux petites
fenêtres en plein cintre (C et D sur la restitution), longues et Fig. 5 : Façade de l'hôtel Maurand donnant sur la rue du Taur
étroites, dont l'assise est marquée par un bloc de calcai- (ch. Soula. © 198. Inventaire général/SPADEM).

(19) Cf. Ph. WOLFF (dir.), Histoire de Toulouse, p. 243.


(20) Archives Départementales de Haute-Garonne, ll-D-156.
(21) Cf. J. de MALAFOSSE, Les anciennes maisons de Toulouse, dans L'Association Française pour l'avancement des sciences, 16e
session, p. 121 à Toulouse 1887 : « ... le sommet (de la tour) a été abattu dans ce siècle-ci... ». La tour était déjà détruite vers
1 845, cf. la vue d'un ballon captif dans Toulouse d'après les plans anciens.
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LES MAISONS ROMANES DE TOULOUSE.

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Fig. 6 : Façade de l'hôtel Maurand donnant sur la rue du Péri-


gord.

doute, bien qu'il ne reste d'elle qu'une vague trace de


piédroit et trois claveaux de brique (A) ; cela est Intérieur
toutefois suffisant pour restituer une petite porte en plein
cintre assez étroite. Sur la gauche une masse de pierre Les murs médiévaux subsistent à l'intérieur mais ils
martelée incrustée dans la muraille marque sont en partie recouverts ; notre étude se concentrera
l'emplacement de la porte de la chapelle (B) qui s'ouvrait donc sur les caves et les pièces de la tour où les parois
autrefois par un grand arc brisé dont la clé, en pierre, portait ont été débarrassées de leur enduit ; il nous sera donc
les armes du cardinal Talleyrand-Périgord (22). Entre difficile d'aborder de façon approfondie la distribution
ces deux portes une petite fenêtre en plein cintre a été des pièces.
rendue aveugle (E) ; juste au-dessus de celle-ci, au Les caves indiquent en général le plan de la maison
premier étage, apparaissent quelques traces fragmentaires ou du moins la surface qu'elle occupe ; cela ne se vérifie
d'une ouverture (F) probablement de même type. Sur la qu'en partie pour l'hôtel Maurand puisque le sous-sol
tour, les traces de fenêtres (G et I) au-dessus de la porte n'occupe que la partie située sous la tour et sous le
et près de l'angle, bien que très fragmentaires et coupées corps de bâtiment donnant sur la rue du Périgord. Sur le
par les reprises modernes, nous permettent de restituer mur sud-ouest du sous-sol de la tour, aucune trace
deux baies géminées. Entre ces deux ouvertures, nous d'ouverture ne nous permet de supposer que les caves
pensons qu'il en existait une autre semblable (H) juste à s'étendaient également sous l'aile de la rue du Taur. On peut
l'emplacement de la baie moderne; celle-ci, comme voir actuellement que cette partie de l'édifice a été
toutes celles qui ont été percées au XIXe s. au premier remaniée.
étage de la tour, est surmontée d'un arc de décharge en Des reprises, du côté sud-est, sont à mettre en rap-
Croquis •- essai de restitution des façades
de l'hôtel Maurand
\

:0

!n

rue du Taur rue du Perigord


Fig. 7 : Croquis : en gras, traces encore visibles, en fin, restitutions sûres, en pointillés fins, restitutions hypothétiques, en pointillés
gras, traces non interprétées. Croquis de F. Dieulafait et de l'auteur.

(22) II en était encore ainsi au XVIIIe s., une description en est faite sur le devis estimatif de 1719 (cf. note 20). Notons aussi que la
petite porte en plein cintre située à la jonction du corps de bâtiment et de la tour était en service au XVIIe s. puisqu'elle figure sur le
plan Tavernier, par contre la porte de la chapelle n'a pas été représentée.
(23) Ceci a fait penser qu'il existait à cet endroit d'anciennes fenêtres percées dans une deuxième campagne de construction
médiévale. Cf. Roger CAMBOULIVES, En visitant la tour Maurand, remarques et hypothèses, dans VAuta,n° 302, 1961, p. 1 1 1. C'est en
effet une hypothèse, peut-être s'agit-il aussi de reprises modernes.
(24) A Périgueux, il s'agit de petites ouvertures en plein cintre étroites mais allongées situées de part et d'autre de quatre baies situées
au premier étage. A Laon, ces deux ouvertures sont situées au rez-de-chaussée de part et d'autre d'une cheminée. Cf. VERDIER
et CATTOIS, Architecture civile et domestique, Paris, 1855-57.
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port avec la reconstruction de l'aile Périgord. C'est aussi PLAN DES CAVES DE L'HOTEL MAURAND
probablement pendant cette campagne qu'une voûte fut
édifiée sur les murs médiévaux et que l'on agrandit le N.
bâtiment en profondeur aux dépens de la cour (fig. 8).
La petite pièce située sous la tour fut moins touchée par
les modifications modernes ; signalons qu'elle n'est
couverte que par un simple plancher assis sur un retrait du
mur, et qu'aucune trace d'arrachement de voûte
n'apparaît. L'accès vers l'aile Périgord se fait selon un système
d'ouverture double : une large porte en plein cintre est
accolée à une autre plus étroite et plus basse au tracé
segmentaire (fig. 9) ; cette disposition que l'on
retrouvera au rez-de-chaussée permet de pratiquer une
ouverture élégante dans un mur considérablement épais. Sans
cela la porte n'aurait été qu'une sorte de couloir de 2,55
m de long ! Les murs de l'aile Périgord sont beaucoup
moins épais ; l'escalier moderne permettant d'accéder à
la cave a été percé dans la muraille médiévale : à cet
endroit elle mesure 1,20 m et se compose de deux
parements de brique entre lesquels on a disposé un blocage
de mortier et de galets régulièrement interrompu par
deux assises de brique (25). On peut apercevoir enfin
dans cette partie du sous-sol des traces de niches dans
les murs.
La salle du rez-de-chaussée est la partie qui a été la
plus admirée, celle-ci est remarquable par son état de
conservation, ses murs n'ayant pratiquement pas été
touchés par les reprises modernes. Si l'on exclue la
grande fenêtre donnant sur la rue du Taur et la petite
porte reliant la chapelle à la salle qui servait alors de
sacristie, il semble que tout le reste soit médiéval. Sur le
mur nord-est une belle porte à double arc est toujours
en service ; à l'extérieur de la salle, son tracé en plein
cintre est repris par un deuxième rouleau de brique
(fig. 10). A l'intérieur, de part et d'autre de l'ouverture,
deux petites niches ont été ménagées dans l'épaisseur du
mur ; deux autres semblables apparaissent sur le mur
opposé mais elles ont été bouchées. Sur la paroi sud-est
deux longs ébrasements en arcs segmentaires,
correspondent aux petites fenêtres médiévales prenant le jour
sur la rue du Périgord (fig. 1 1 ). Enfin une sorte de
renfoncement occupe le centre du mur nord-ouest ; celui-ci
s'ouvre par un grand arc segmentaire ; c'est à l'intérieur
de cette cavité que l'on a percé la porte qui permet de Cour
rejoindre la chapelle. Mais c'est le couvrement de cette
pièce qui a surtout suscité l'admiration des archéologues
toulousains. Il s'agit d'une croisée d'ogives dont les
nervures, à section carrée, retombent dans les angles sur
des culots en pierre. Celle-ci, par sa faible hauteur et ses

rue du Taur
■ murs médiévaux 0
reprises modernes
Fig. 8 : Plan des Bâtiments de France à Toulouse, complété
par l'auteur.
grosses nervures a un caractère très lourd. Les ogives
saillantes reposent sur des culots sans pénétrer dans le
mur. Ces culots, en forme de pyramides renversées ont
Fig. 9 : Porte située dans les caves, entre la tour et le corps de reçu un décor dans leur partie supérieure, ce sont tantôt
bâtiment de la rue du Périgord. des tiges ondulées accompagnées de demi-palmettes,

(25) Les dimensions des briques sont : 0,34-0,35 m de longueur ; 0,23-0,26 m de largeur ; 0,04-0,045 m d'épaisseur. Le mortier gris se
caractérise par la présence de nombreux petits gravillons.
128
LES MAISONS ROM A NES DE TO ULO USE.
les salles capitulaires. Citons les clés de voûtes des
abbayes de Grandselve et de Belleperche (26), mais si
celles-ci annoncent déjà l'art gothique, celle de la tour
Maurand, par son caractère très stylisé, semble bien
antérieure. Cette salle du rez-de-chaussée renferme les
seuls indices susceptibles de nous fournir des indications
chronologiques pour dater l'édification de l'hôtel, sans
oublier le terminus antequem donné par l'arrasement de
la tour, en 1 178. Jusque-là c'est la croisée d'ogives qui a
constitué une piste pour la datation de l'édifice. Celle-ci
fut apparement une des premières construite dans la
région. La façon dont retombent les ogives l'apparente
peut-être aux plus anciennes croisées construites dans
les édifices cisterciens du midi vers la fin du XIIe s. (27).
Roger Camboulives proposa la date de 1140 pour la
construction de cette voûte (28). Mais cette date nous
paraît un peu haute si l'on tient compte de l'influence
cistercienne, les abbayes de cet ordre ne s'étant
Fig. 10 : Mur nord-est de la salle du rez-de-chaussée de la tour. développées que dans la seconde moitié du XIIe s. et la
première moitié du XIIIe s. dans le midi de la France et le nord
r.d.c de l'Espagne (29). C'est donc dans le troisième quart du
XIIe s. que l'hôtel Maurand a dû être construit.
Il faut emprunter des escaliers modernes situés dans
l'aile Périgord pour accéder à la salle du premier étage
de la tour. Celle-ci est beaucoup moins bien conservée
et certaines reprises ont été faites avec beaucoup
d'habileté. Parmi ces reconstructions modernes signalons la
porte du mur nord-est (fig. 14), le renfoncement et
l'ébrasement de la fenêtre ainsi que la niche du mur
sud-est (fig. 1 5), les deux ébrasements des grandes baies

rue du Tau r
Fig. 1 1 : Plan du rez-de-chaussée de la tour, extrait des plans
de l'Université des Bâtiments de France à Toulouse.
tantôt des entrelacs croisés comme des brins de vannerie
(fig. 12). Cette sculpture, en très faible relief, nous
semble suspecte ; s'il est peu probable que l'on ait rajouté
ou remplacé les pierres qui reçoivent les nervures de la
croisée, elles ont pu, par contre, être retaillées ou faire
l'objet d'un décor qui n'existait peut-être pas à l'origine.
Une autre pierre sculptée marque la clé de voûte
(fig. 13), il s'agit d'une rosace très stylisée inscrite dans
un disque entouré d'une torsade ; une multitude de
petits lobes rayonnent autour du cœur marqué d'un
simple trou dans la pierre. Ce motif et l'endroit qu'il
occupe ne sont pas sans rappeler les clés de voûte
cisterciennes ; la rosace traitée avec de plus en plus de
naturalisme au XIIIe s. se trouve dans de nombreux bâtiments Fig. 1 2 Culot recevant une nervure de la voûte de la salle du
monastiques de cet ordre et tout particulièrement dans rez-de-chaussée de la tour.
:

(26) Grandselve : clé de voûte conservée sur place chez M. Froidure. Belleperche : clés de voûte conservées au Musée Ingres de
Montauban. Cf. D. CAZES, L'abbaye de Grandselve, Mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le Mirail, sous la direction de M.
Durliat, 1973. Cf. A.-L. NAPOLEONE, Les réserves lapidaires médiévales du Musée Ingres de Montauban, Mémoire de
Maîtrise, sous la direction de Mme Pradalier et M. Bruand, à l'Université de Toulouse-Le Mirail, 1984. Cf. J.-L. BIGET, H. PRADA-
LIER et M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, L'art cistercien dans le midi toulousain, dans Cahiers de Fanjeaux, n°21,
p. 313-370.
(27) Ibid., p. 108-109.
(28) Cf. Roger CAMBOULIVES, En visitant la tour Maurand, remarques et hypothèses, dans l'Aula, n° 302, 1961, p. 109.
(29) Cf. M. DURLIAT, L'architecture gothique méridionale au XIIIe s., dans Ecole Antique de Nîmes, nos 8-9, 1973-74, p. 7 1 . Notons
que l'auteur signale l'existence d'une clé de voûte semblable à celle de la tour Maurand à Lézat. Cf. aussi R. REY, L'Art
gothique du Midi de la France, pour les premières croisées d'ogives de la région.
129
ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL - TOME VI- 1988.

Fig. 14 : Mur nord-est de la salle du premier étage de la tour.

Fig. 1 3 : Clé de voûte de la salle du rez-de-chaussée de la tour.


donnant sur la rue du Taur et la grande niche du mur Fig. 1 5 : Mur sud-est de la salle du premier étage de la tour.
nord-ouest. Ces modifications datent probablement de
l'époque où les grandes fenêtres furent percées dans la
tour. Mais il reste, de la construction du XIIe s., plus petit couloir voûté en berceau où s'ouvrent deux portes
d'éléments qu'on ne l'a dit jusqu'à présent. Si on peut en plein cintre : l'une au nord-ouest permet de passer
voir encore sur les murs quelques traces des dans l'aile de la rue du Taur, l'autre, au nord-est,
ébrasements correspondant aux fenêtres médiévales (cf. d'accéder à l'escalier menant à l'étage supérieur. Cette salle
fig. 15), c'est que ceux-ci n'ont pas été refaits au XIVe s. est également voûtée d'une croisée d'ogives retombant
(30). Seules datent peut-être de cette époque la sur des culots en pierre. Il semble cependant fort
cheminée (31) et la voûte. A part les traces d'ébrasement, trois probable que celle-ci ait été refaite, les nervures prismatiques
ouvertures semblent avoir fait partie de la première fines et élancées contrastant avec la lourdeur de celles
construction. Tout d'abord le grand arc segmentaire du du rez-de-chaussée ; malgré cela on s'est appliqué à
mur nord-est, bouché et cassé par la construction de la reproduire des culots de formes quasiment identique,
cheminée (fig. 14), qui devait correspondre à un décorés d'une sorte de rinceau très ondulé (fig. 1 7) ; de
renfoncement du mur comme celui que nous avons vu au rez- même, à la clé, une pierre sculptée d'un simple disque a
de-chaussée. La petite porte en plein cintre dans l'angle été disposée. Cette voûte a pu être construite au XIIIe s.,
nord du même mur (fig. 14), donnant dans un réduit au XIVe s. ou ... au XIXe s. Dans les parties hautes du
voûté d'un berceau surbaissé était sans doute, à mur apparaissent les ébrasements des deux petites
l'origine, l'accès permettant de passer de la tour à l'aile Péri- fenêtres donnant l'une sur la rue du Taur et l'autre sur la
gord (fig. 16) (32) ; la trace d'un arc segmentaire signale rue du Périgord ; ceux-ci ont peut-être été refaits en
l'existence d'une ancienne ouverture dans le mur du même temps que ceux des grandes fenêtres (33).
fond du réduit. Un tel système peut paraître bizarre, L'escalier droit permettant d'accéder au deuxième
pour passer d'une pièce à l'autre, mais il permet en fait étage est à deux volets. Il a été bâti dans l'épaisseur des
de décaler la porte donnant vers la tour qui sans cela murs nord-ouest et nord-est, couvert d'un berceau
aurait abouti dans la muraille de celle-ci dont rampant, il prenait le jour par une sorte de petite meurtrière
l'épaisseur est considérable. Enfin une dernière ouverture en située à l'angle nord. Cet escalier est sans aucun doute
arc segmentaire dans l'angle ouest nous conduit dans un médiéval ; il en existe un de conception identique à la

(30) Cf. J. LAHONDES, Les monuments de Toulouse, p. 353. R. MESURET, Evocation du Vieux Toulouse, p. 508. R. REY, L'Art
gothique du Midi de la France, Paris, 1934, p. 24.
(31) La cheminée construite dans l'épaisseur du mur s'ouvre par un arc segmentaire, on peut la rapprocher de celle située au premier
sous-sol de la tour Vinhas construite probablement au XIIIe ou au XIVe s.
(32) Le devis estimatif de 1719 signale cette ouverture : «... on en vient à la porte des archives... on entre dans un réduit pratiqué dans
l'épaisseur des murailles où on trouve une autre ouverture pareille grandeur, la fermeture est de sapin simple... ».
(33) Les reprises effectuées dans cette pièce, nous l'avons dit, sont très habiles. L'arc segmentaire est utilisé au rez-de-chaussée pour
les ébrasements des fenêtres médiévales et au premier étage pour ceux des fenêtres modernes. Pourtant il semble que l'arc
segmentaire médiéval soit plus bombé. C'est la raison qui nous fait penser que les ébrasements des fenêtres hautes du premier étage
ont été refaits à l'époque moderne.
130
LES MAISONS ROMANES DE TOULOUSE.

rue du Taur
—murs médiévaux
— reprises 5m -—restitutions
hypothétiques
Fig. 16 : essai
Plandeactuel
restitution
de la du
salleplan
du du
premier
premier
étage
étage
de médiéval.
la tour extrait des plans de l'Université des Bâtiments de France de Toulouse, et

plein cintre par où l'on rentre dans l'ancienne salle du


deuxième étage, servant actuellement de grenier. De
cet e pièce nous ne pouvons rien dire de son état d'origine,
les murs en ruine ont été ça et là renforcés pour recevoir
la toiture ; le sol défoncé laisse apparaître au sud-ouest
le revers de la voûte du premier étage. Le devis estimatif
de 1719 décrit les parties hautes de la tour comme étant
dans un état proche de la ruine ; c'est sans doute la
raison pour laquelle elles furent abattues. A quelle hauteur
s'élevait la tour au XIIe s. ?, à quel niveau fut-elle écrê-
tée ?, l'a-t-on relevée par la suite ? Il nous est
actuellement impossible de répondre à ces questions ; si l'on
peut se faire une idée de sa physionomie avant le XIXe
s. grâce aux documents graphiques, ceux-ci ne nous
apportent aucun élément pour résoudre ces problèmes.
Une coupe de la tour conservée aux archives
départementales de l'Hérault (35), exécutée avant sa
destruction, montre les deux étages supérieurs séparés d'un
simple plancher et percés de quelques fenêtres ;
l'extrémité de la tour s'achève par une rangée de créneaux
(fig. 18).
Que peut-t-on dire de la constitution de cette
demeure d'après les indices recueillis tout au long de cette
description ?
L'hôtel Maurand était une vaste bâtisse composée
Fig. 1 7 : Culot recevant une nervure de la voûte de la salle du de deux corps de bâtiments et d'une tour. Il est très
premier étage de la tour. probable qu'une grande cour s'ouvrait à l'arrière de ces
tour de Palmata à Gaillac (34). Sa construction dans constructions. Une porte à la jonction de l'aile de la rue
l'épaisseur du mur correspond à un souci d'économie de du Taur et de la tour permettait d'accéder à l'intérieur
place dans un cadre réduit comme celui d'une tour ; la du bâtiment. La pièce qui devint au XIVe s. la chapelle
muraille nous l'avons vu, très épaisse, s'adapte du collège ne comportait aucune ouverture la reliant
parfaitement à cette solution. En outre la présence d'un escalier avec la salle du rez-de-chaussée de la tour ; on ne
entre le premier et le deuxième étage nous indique qu'il pouvait l'atteindre que par l'aile Périgord ; c'est aussi par ce
n'était plus possible d'atteindre le second niveau à corps de bâtiment que l'on devait pouvoir se rendre à la
partir des corps de bâtiments ; ce qui nous permet de cave. Le rez-de-chaussée, d'après ce que nous avons pu
conclure que les deux ailes de la grande demeure ne se voir, n'était éclairé que par des petites fenêtres situées
composaient à l'origine que d'un rez-de-chaussée et en hauteur, ce qui témoigne peut-être, de la volonté de
d'un premier étage. Cet escalier aboutit à une porte en protéger les parties basses de l'édifice. Il ne reste par ail-

(34) L'escalier de la tour de Palmata se développe dans l'épaisseur de trois murs, il relie de la même façon la pièce du premier étage à
celle du second ; il est également couvert d'un berceau rampant et de petites meurtrières ont été percées pour l'éclairer. Cet
édifice date du XIIIe s.
(35) Celle-ci a été publiée dans l'article de M. MEUSNIER (cf. note 1 8).
131
ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL - TOME VI- 1988.
presque plus rien, dans son architecture, des édifices qui
l'ont précédé. Les textes montrent en effet qu'à cet
endroit, dès le XIIe s., plusieurs hôpitaux furent construits
pour accueillir les pèlerins de Saint- Jacques. Une charte
d'Alphonse Jourdain mentionne la fondation entre 1 130
et 1140 de l'hôpital Sainte-Marie (39) auquel on
pourrait attribuer le seul vestige médiéval conservé à l'hôtel-
Dieu. Il s'agit d'une baie géminée aux arcs en plein
cintre, aujourd'hui bouchée, surmontée d'un arc de
décharge de même tracé et dont le chapiteau et la colonnette
ont disparu (fig. 19). Cette ouverture est visible de la
cour située derrière la chapelle. Bien que ce vestige
n'appartienne pas à un édifice privé, il nous semblait
important de le signaler en raison de son bon état de
conservation. D'autre part son tracé est identique à
celui des fenêtres des hôtels Ysalguier et Maurand que
nous n'avons pas eu la chance de retrouver dans un tel
état.
LA FAÇADE DE LA MAISON DE LA RUE DU
CHATEAU
Cette façade fut démolie en 1 86 1 ; il ne nous reste
aujourd'hui d'elle que deux fenêtres sauvées par la
COUPE DELA Société Archéologique du Midi de la France et
TOUR MAURAND soigneusement remontées au jardin des plantes (40) (fig. 20), et un
fragment de chapiteau conservé au Musée des Augus-
Fig. 18 : Coupe de la tour Maurand exécutée au XVIIIe s., tins. Mais il nous reste aussi des relevés et dessins
publiée dans l'article de Maurice Meusnier, conservée effectués au siècle dernier :
aux Arch. dép. de l'Hérault (C 544). - des croquis de l'architecte Esquié (41), (fig. 21 et 22) ;
leurs, aucune trace d'un escalier qui aurait permis de
monter au premier étage. Il nous semble cependant peu
probable que l'on y accédait au moyen d'une échelle
que l'on pouvait retirer à tout moment (36) ; l'hôtel
étant assez vaste pour loger un escalier dans une de ses
ailes, ou plus certainement, dans la cour, prolongé par
des coursives le long des corps de bâtiments comme
dans les maisons de Cordes (37). Le premier étage de la
demeure était largement ouvert par de belles baies
géminées, sans doute décorées de chapiteaux sculptés. Il
s'agit sans aucun doute de l'étage noble où se trouvaient
les pièces d'habitation ; à ce niveau, on pouvait circuler
d'une aile à l'autre en passant par la tour. Il existait
enfin d'autres pièces aux étages supérieurs de celles-ci
dont la destination nous est inconnue.
L'hôtel Maurand est donc un édifice intéressant et
cela à plusieurs titres ; il est d'abord le témoignage d'un
type d'habitation particulier à l'élite sociale de la ville.
Ses dimensions et sa haute tour lui ont valu le
qualificatif de « château », mais il ne faut pas se méprendre car
si la demeure avait, au XIIe s. un caractère fortifié,
n'était-ce pas plus par symbole de puissance que par
nécessité ? N'est-ce pas d'ailleurs pour ce symbole que la
tour fut écrêtée en 1178? Cet édifice est aussi
remarquable par son architecture car il possède l'une des
premières croisée d'ogives construites dans le midi de la
France. C'est enfin un des rares exemples de demeures
médiévales qui nous soit parvenu pour lesquelles nous
connaissons l'histoire de ses premiers occupants.
LA FENETRE ROMANE DE L'HOTEL-DIEU
SAINT-JACQUES (38).
L'hôtel-Dieu-Saint-Jacques, aujourd'hui siège de
l'administration hospitalière de Toulouse, ne conserve Fig. 19 : Fentre romane de l'Hôtel-Dieu Saint- Jacques.

(36) Cette hypothèse a été avancée par Roger CAMBOULIVES, op. cit., p. 107.
(37) Cf. M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, Cordes, dans Le Congrès Archéologique de France en Albigeois, 1985, p. 237.
(38) Je remercie M. VILLEVAL de m'avoir signalé cette fenêtre.
(39) Cf. R. MESURET, Evocation du Vieux Toulouse, p. 550.
(40) Cf. registre de délibération de la Société Archéologique du Midi de la France, procès-verbaux des 23 avril, 30 avril et 28 mai
1861.
(41) Cf. ESQUIE, Recueil, à la Bibliothèque Municipale de Toulouse (Ms 1 167).
132
LES MAISONS ROMANES DE TOULOUSE.

elles nous plongent d'emblée dans un problème


d'identification du monument. Si toutes ces œuvres figurent la
même façade, elles ne portent pas toutes la même
légende : Chambaron et Clavel, Mazzoli et Esquié ont
intitulé leur reproduction:
- Ancien
Ruines du
Restes du
Château
Château
Château
Narbonnais.
Narbonnais
Narbonnais ; ;
Par contre, le dessin anonyme est légende : « Restes
d'un grenier du Château Narbonnais ». Jules Chalandes
reprend cette même appellation précisant : «... cette
construction servit de grenier au Moulin du Château du
XVe s. à la Révolution ». (43). Si l'on n'est pas toujours
certain de connaître l'emplacement exact de ce grand
édifice médiéval, il semblerait que, depuis le XIXe s., les
historiens aient abandonné l'idée d'attribuer cette
Fig. 20 : Deux fenêtres de la façade de la maison de la rue du façade au Château Narbonnais (44). L'appellation du
Château, remontées au Jardin des Plantes. Moulin du Château est attestée à partir du XVe s. (45),
d'autre part, ce moulin se situait en face de l'édifice (fig 27).
- une aquarelle de Mazzoli (1860), (fig. 23) ; Qu'en était-il avant le XVe s. ?
- une gravure sur bois de Chambaron et Clavel Quoi qu'il en soit, la série de fenêtres qui ouvre les
(fig. 24) ; parties hautes de cette façade semble indiquer qu'au
- un dessin anonyme paru dans la Revue des Pyrénées moins une partie de l'édifice constituait une demeure
(1896), (fig. 25); privée.
- une vieille photo (42), (fig. 26). Les représentations les plus détaillées et peut-être
Ces reproductions constituent l'essentiel de la les plus anciennes, sont les dessins de l'architecte Esquié
documentation dont nous disposons sur cet édifice. Mais (fig. 2 1 et 22). En effet ce sont les seuls a représenter les

Fig. 21 : Relevé de la façade de la maison de la rue du Château, par l'architecte Esquié, conservé à la Bibliothèque Municipale
(Msll67).

(42) L'aquarelle de Mazzoli, la gravure sur bois et la photo sont conservées au Musée du Vieux Toulouse, et m'ont été communiquées
par M. VILLEVAL.
(43) Cf. J. CHALANDE, Les fortifications romaines du Moyen Age, dans le Bulletin de la Société Archéologique du Midi de la
France, n° 42, 1912, p. 80 et J. CHALANDE, Histoire des rues de Toulouse, livre 1, p. 22.
(44) Cf. V. CASTAGNE, Le Château Narbonnais, Mémoire de Maîtrise à l'Université de Toulouse-Le Mirail, 1981 .
(45) Cf. cadastre de 1 478, et article de J. CHALANDE, op. cit., p. 80.
133
ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL - TOME VI- 1988.

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Fig 22 : Relevé des fenêtres par Esquié.


quatre baies géminées en façade. Si l'on exclue la l'intérieur des remparts (48). Les premières baies
gravure sur bois qui nous semble être une restitution (46), les médiévales s'ouvrent à un niveau d'entresol dans le rempart
autres œuvres (y compris la photo), exécutées peu de romain (49) et sont cantonnées à gauche de la façade ; il
temps avant la destruction de la façade, ne figurent plus s'agit d'une ouverture, dont le tracé reproduit un arc en
que trois fenêtres. Malgré cela, à l'époque où Esquié fit lancette, associée à une petite fenêtre en plein cintre.
son relevé, la partie droite de l'édifice était détruite ou Cette longue baie étroite, dont l'appui se situe à un
effondrée. En fait, ses dessins reproduisent des croquis niveau inférieur par rapport à 'celui de l'ouverture voisine,
exécutés par un certain Monsieur Dubois, comme ne pouvait-être qu'une porte dont l'accès se faisait au
l'indiquent quelques annotations portées sur l'esquisse moyen d'une échelle. Il faut noter que celle-ci dessine
préparatoire de la façade et les relevés des fenêtres. Il faut un arc brisé alors que toutes les autres ouvertures sont
noter enfin que ces œuvres sont des restitutions où les
ouvertures médiévales mutilées et bouchées, comme le en plein cintre. Cette porte a-t-elle été percée plus
montre l'aquarelle de Mazzoli, ont été figurées dans leur tardivement ? Nous ne le pensons pas ; la façon dont on a
état d'origine. Mais il semble malgré tout que ceux-ci réuni et associé ces deux ouvertures dans la partie
soient assez détaillés pour que l'on puisse s'y référer gauche de la façade semble indiquer qu'elles ont été
(47). construites en même temps. Il ne faut pas oublier d'autre
La particularité de cet édifice est que l'on a utilisé, part, que l'arc brisé est utilisé dans l'architecture civile
pour la construction de la façade, une partie du rempart dès le XIIe s. (50). Le reste de la muraille, à ce niveau
romain. Dans les parties basses de celui-ci, une porte d'entresol, est complètement aveugle. Cette disposition,
moderne fut percée. Par contre, aucune reproduction ne pour le moins bizarre, nous fait penser que cette partie
figure d'ouvertures médiévales donnant sur le rez-de- de l'édifice n'était pas destinée à l'habitation. C'est bien
chaussée. Mais nous savons, par le cadastre de 1478 que d'un grenier dont il s'agit et ses grandes
les greniers du moulin avaient, au XVe s., leur entrée dimensions nous laissent supposer qu'il dépendait du
rue du Castel (fig. 27) (actuelle rue de la Hache), à château, à moins que ce ne soit tout simplement un grenier
privé.

(46) Nous ne nous servirons pas de cette gravure car il nous semble que l'on ait voulu y reproduire une image idéale du Château Nar-
bonnais. Celle-ci ne doit pas être plus ancienne que le dessin d'Esquié puisqu'elle figure le parement de brique qui couvre les
parties basses de l'édifice, dont Esquié nous apprend qu'il fut mis peu de temps avant qu'il exécute son croquis.
(47) II faut citer l'étude faite sur cet architecte : O. FOUCAUD, J.-J. Esquié, 1817-1884, architecture publique, Mémoire de Maîtrise à
l'Université de Toulouse-Le Mirail, 1983.
(48) Cf. note 45.
(49) Si la topographie du site n'a pas trop changé depuis le Moyen Age, cet entre-sol s'ouvrant à plus de 2 m de hauteur sur la façade
de la rue du Château, devait correspondre au rez-de-chaussée à l'intérieur des murailles où le sol est beaucoup plus haut.
(50) Cf. les arcades brisées du rez-de-chaussée de l'hôtel de Ville de Saint-Antonin-Noble-Val.
134
LES MAISONS ROMANES DE TO ULO USE.

Fig. 23 : La maison de la rue du Château en 1860, aquarelle de


F. Mazzoli, conservée au Musée du Vieux Toulouse.

Le premier étage, largement ouvert, a été construit RESTES D'UN GKENIER DU MOULIN DU CHATEAU
sur la muraille romaine. Quatre baies géminées D'où un a extrait les tenctres rccdiliccs au Jardin-iles-Plantes.
disposées à 4,10 m les unes des autres ont été percées. Notons
la petite fenêtre en plein cintre identique à celle de Fig. 25 : Dessin anonyme paru dans La Revue des Pyrénées.
l'entresol. Nous pouvons ici, contrairement aux demeures
des familles Ysalguier et Maurand, observer de façon
détaillée, l'architecture des fenêtres jumelles. A
l'intérieur d'un arc de décharge en plein cintre, deux petits outrepassés, en retombant sur la colonnette,
arcs outrepassés reposent au centre sur une colonnette s'amenuisent jusqu'à atteindre des dimensions très réduites,
décorée d'un chapiteau et d'une base (51). La formant une ligne verticale au-dessus du tailloir. La
particularité de ces fenêtres est que les claveaux des deux arcs présence de ces claveaux minuscules peut surprendre à cet

Fig. 24 : Gravure sur bois signée Clavel et Chambaron, conservée au Musée du Vieux Toulouse.

(51) D'après les notes accompagnant les croquis d'Esquié, les dimensions des fenêtres sont : largeur de l'ouverture : 1,58 m ; hauteur
de l'ouverture : 1 ,70 m ; hauteur totale de la baie avec l'arc de décharge : 1 ,70 m + 0,80 m ; diamètre de l'arc outrepassé : 0,80 m ;
hauteur de la colonnette : 1,18m.
135
ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL- TOME VI- 1988.
ploi de la brique. Un tel système se retrouve à la fenêtre
de l'Hôtel-Dieu Saint-Jacques, à la maison dite « roma-
no-gothique» rue Croix-Baragnon à Toulouse et à la
tour de Palmata à Gaillac (Tarn). Par contre, dans la
vallée du Lot où la brique est aussi largement utilisée,
les maisons percées de baies géminées comportent un
bloc de pierre faisant office de double sommier
au-dessus de la colonnette (52).
La façade de la rue du Château, comme celle de
l'hôtel Maurand, était décorée de bandeaux de brique
en saillie qui soulignaient les fenêtres et les reliaient
entre elles au niveau des impostes. Les profils de ceux-ci
ont été relevés par Esquié. Le bandeau supérieur était
mouluré d'un petit cavet surmonté d'un bandeau, tandis
que celui situé sous l'appui des fenêtres, plus large,
présentait un quart de rond souligné d'une doucine droite,
sous un bandeau. Nous ne savons rien de l'intérieur de
l'édifice occupé actuellement par une école. La coupe
Fig. 26 : Photo prise avant la destruction de la maison, de la façade relevée par Esquié indique l'épaisseur
conservée au Musée du Vieux Toulouse. considérable de la muraille romaine (fig. 21). Celle-ci
présente sur sa face intérieure deux ressauts qui
correspondent peut-être à la division verticale moderne de
l'édifice ; une annotation de l'architecte précise
d'ailleurs que, de ce côté de la façade, le mur présente « un
parement de briques tranchées». Un de ces deux
ressauts a pu correspondre au niveau du plancher du
premier étage, mais l'autre, entaillé au niveau des
sommiers de la petite baie en plein cintre de l'entresol n'a
pu soutenir un plancher à l'époque où la maison fut
construite (53). Esquié a laissé un dernier détail sur
l'intérieur de cette maison : un dessin de l'ébrasement
d'une baie géminée ; celui-ci décrivait un grand arc seg-
mentaire haut de 4,60 m et large d'1,80 m. La
profondeur semblait variable comme l'épaisseur de la muraille
romaine où les fenêtres prenaient appui, selon les deux
coupes des fenêtres dessinées par l'architecte (fig. 22).
Observons enfin le chapiteau provenant de cet
édifice (54). Celui-ci fut étudié par Daniel Cazes à
l'occasion d'une exposition tenue au Musée des Augustins à
Toulouse en 1984 (55). Cette œuvre ne nous est pas
parvenue intacte (56). Malgré cela, on peu se faire une idée
du décor sculpté qui recouvrait la corbeille (fig. 28). Il
s'agit de monstres hybrides dont quatre oiseaux à queue
de serpent, et d'autres créatures recouvertes d'écaillés,
disposées sur les faces du chapiteau selon un schéma
bien roman. Sur un grand côté de la corbeille un écu à
été sculpté ; celui-ci était gravé d'un motif actuellement
illisible. Le tailloir, peu épais, est décoré d'une tige
ondulée et de demi-palmettes. Les caractères de cette
œuvre permettent de la rattacher au style roman tardif qui
se développe dans la région dès la fin du XIIe s. et dont
les survivances se prolongent jusqu'au début du XIVe s.
(57). C'est entre ces deux périodes que fut construite la
façade de la rue du Château. Mais l'utilisation de l'arc
Fig. 27 : Plan du quartier Saint-Michel dressé par Jules en plein cintre nous permet d'exclure le XIVe s. et peut-
Chalande, avec les fortifications romaines et du Moyen être même la fin du XIIIe s. Il existe enfin un édifice
Age, et l'emplacement de la maison (en noir). Extrait civil que nous avons déjà cité, dont les fenêtres,
de son Histoire des rues de Toulouse. construites en brique, ont un tracé identique à celles que nous
endroit porteur de la fenêtre, mais ceci semble avons vues : il s'agit de la tour de Palmata à Gaillac
caractériser une technique locale ou régionale tributaire de édifiée avant les années 1270 (58).
(52) Cf. la maison des Consuls à Luzech (Lot).
(53) Ce ressaut inférieur correspond très probablement à un niveau moderne, l'aquarelle de Mazzoli reproduisant la façade telle
qu'el e était en 1 860, montre la petite fenêtre en plein cintre bouchée et l'ouverture en lancette condamnée dans sa partie inférieure,
jusqu'à un niveau qui correspond à celui du ressaut.
(54) ESQUIÉ nous a laissé un croquis de ce chapiteau.
(55) Cf. exposition « Vingt ans d'acquisition », notice de D. CAZES dans le catalogue, p. 34-35.
(56) Ce chapiteau était déjà mutilé lorsqu'Esquié en fit le croquis.
(57) Cf. P. MESPLÉ, L'art roman du sud-ouest de la France, dans le Bulletin Monumental, T. CXV, 1957, p. 7-22.
(58) Cf. E. ROSSIGNOL, La tour de Palmata à Gaillac, dans les Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, T. VIII,
1865, p. 295-303. D. CAZES, Le vieux Gaillac dans le Congrès Archéologique de France en Albigeois, 1982, p. 260. A.-L. NA-
POLEONE, Les maisons gothiques du Tarn, D.E.A., sous la direction de Mme Pradalier et M. Bruand, à l'Université de Toulou-
se-Le Mirail, 1986. La tour de Palmata possède une salle décorée de peintures, celles-ci sont datées des années 1270, mais
l'édifice a pu être construit bien avant.
136
LES MAISONS R OMAN ES DE TOULO USE.

Fig. 28 : Chapiteau provenant d'une des fenêtres de la façade,


conservé au Musée des Augustins (n° 76-18-1). Fig. 29 : Dessin effectué à partir d'un ballon par A. Guesdon
vers 1845. La tour apparaît derrière la nef de Saint-
La façade de la maison de la rue du Château, par Sernin.
l'organisation étrange des ouvertures de son premier
niveau, ne se rattache à aucun type de façade connu dans
l'architecture civile médiévale méridionale. Ceci est
peut-être dû à son édification sur le rempart de la ville.
La proximité des moulins et du Château Narbonnais
ferait peut-être de cet édifice une dépendance (59).
LA TOUR DES TROIS RENARDS (60)
Cette tour, qui se situait dans la rue des Trois
Renards, presque en face de l'hôtel Maurand, n'existe plus
aujourd'hui. Elle fut probablement détruite dans la
deuxième moitié du XIXe s., peut-être lors de
l'aménagement de la Place Saint-Sernin. Nous connaissons son
existence grâce aux vues aériennes de A. Guesdon
effectuées à partir d'un ballon vers 1 845 (6 1 ), (fig. 29), et
surtout par un dessin de F. Mazzoli (62), (fig. 30). La
seule trace écrite sur cet édifice que nous ayons trouvée,
figure dans un procès verbal de la séance des 9, 16, 23 et
30 mai 1911 de la Société Archéologique du Midi de la
France où l'on apprend qu'« une maison de l'extrémité
de la rue du Taur conservait il y a trente ou quarante
ans une tour carrée décorée de façon semblable » à la
tour Maurand dont il était également question dans ce
compte-rendu (63).
Cette tour effectivement carrée, dominait largement
les constructions voisines au siècle dernier (fig. 29 et
30). Le premier niveau qui apparaît au-dessus des toits
(fig. 30) correspondait peut-être au deuxième étage (64).
Celui-ci était percé d'une fenêtre en arc brisé, petite et
étroite ; peut-être en était-il de même sur les autres faces
de la tour. Au-dessus, un dernier niveau est marqué par Fig. 30 : Dessin de la tour des Trois Renards effectué par
un bandeau en saillie ; ce bandeau ne reçoit pas l'appui F. Mazzoli.
de la baie géminée qui s'ouvre un peu plus haut. Celle-
ci comporte deux petits arcs en plein cintre et un arc de associés aux formes architecturales romanes dans les
décharge de même tracé. Mais un élément nouveau édifices civils (65) ; on les voit plutôt se développer avec
apparaît : l'occulus rond percé dans le tympan de la baie. les baies géminées en arcs brisés où ils contribuent à
Si le dessin de Mazzoli est exact, ce détail peut-être d'un évider le tympan des fenêtres gothiques (66).
grand intérêt dans la mesure où les occuli sont rarement Enfin le sommet de la tour est couronné d'une cor-

(59) Nous voulons rendre hommage à l'architecte Esquié grâce aux croquis duquel nous avons pu étudier cette façade en oubliant
presque qu'il n'en reste quasiment rien.
(60) Je remercie D. CAZES de m'avoir signalé l'existence de cette tour.
(6 1 ) Cf. C. RIVALS, R. CAMBOULIVES et G. ANGELY, Toulouse d'après les plans anciens.
(62) Ce dessin a été publié dans, Desazars, Saint-Charles et Lapierre, Le vieux Toulouse disparu, Toulouse, 1885, p. 85.
(63) Cf. Bulletin de la Société Archéologique du Midi de la France, 19 1 1 , p. 223-225.
(64) Si l'on prend comme référence la maison à la cheminée du premier plan qui ne semble avoir qu'un étage.
(65) Une des rares demeures que nous connaissons qui associe sur ses baies géminées l'occulus et les arcs en plein cintre est la maison
du Prévôt à Fréjus (Var).
(66) Par exemple les maisons gothiques de Cordes ; les plus anciennes ont des fenêtres dont le tympan est percé d'un petit occulus,
dans les plus récentes ce percement est l'occasion d'un remplage élégant. Cf. M. PRADALIER-SCHLUMBERGER, Cordes,
dans le Congrès Archéologique de France en Albigeois, 1982, p. 235-253.
137
ARCHEOLOGIE DU MIDI MEDIEVAL - TOME VI - 1988.
niche supportant le toit à quatre pentes. 1 I
Un chapiteau provenant de cet édifice fut trouvé en
1922 et déposé au Musée du Vieux Toulouse (67).
Parmi les œuvres conservées dans ce musée, une sculpture
pourrait correspondre à ce chapiteau (fig. 31); son décor
se compose de palmettes accrochées dans les angles de
la corbeille, à de grosses tiges cannelées. Sur le tailloir,
on retrouve la tige ondulée d'où naissent des demi-
palmettes. Il s'agit-là, comme à la maison de la rue du
château, d'un chapiteau de style roman tardif du XIIPs.
En raison de la fourchette chronologique très large
de ce style de sculpture nous préférons dater la tour par
l'architecture des fenêtres qui nous permet de placer la
construction de cet édifice entre celle de la façade de la
rue du Château et celle de la maison dite «romano-
gothique» de la rue Croix-Baragnon (68), c'est-à-dire
vers la seconde moitié du XIIIe s. Fig. 31 : Chapiteau provenant peut-être de la tour des Trois
Nous ne pouvons que regretter la disparition de Renards, conservé au Musée du Vieux Toulouse.
cette tour qui semblait-être remarquablement
conservée. défensif dans une ville déjà protégée par des remparts.
L'étude des vestiges de l'architecture civile romane Leur construction ne s'explique que pour l'apparence
à Toulouse, permet donc de dégager quelques traits extérieure et le symbole de puissance qu'elles offrent,
propres à une catégorie d'édifices privés, et d'entrevoir s'élevant fières et arrogantes au-dessus des demeures
quelques caractéristiques stylistiques locales. voisines et rivalisant peut-être avec les clochers des
Ces maisons, nous l'avons dit, ne donnent pas églises.
l'image de l'ensemble des demeures toulousaines Mais ces tours font aussi l'objet d'une architecture
médiévales, elles ne sont représentatives que d'un type soignée. Mis à part les belles baies géminées qui y sont
d'habitation occupé par les plus hautes classes de la société. percées, les salles qu'elles renferment, par leur plan plus
Parmi ces édifices, un modèle prestigieux se détache, ou moins carré, se prêtent à l'édification de voûtes. Il
celui dont la demeure s'enrichit d'une tour. Nous en faut rappeler la présence de cette croisée d'ogives extra-
connaissons deux à Toulouse pour cette époque ; une ordinairement précoce de la salle du rez-de-chausée de
troisième, la tour Vinhas, dont les vestiges sont encore la tour Maurand ! et c'est bien là le seul et unique trait
visibles, fut construite plus tardivement (69). Il devait d'avant-garde que nous avons relevé dans l'architecture
en exister bien d'autres. Nous connaissons par ailleurs civile médiévale toulousaine, qui nous a paru au
des tours conservées dans d'autres villes, la tour de Pal- contraire, très attachée aux formes romanes, jusque
mata à Gaillac par exemple que nous avons citée de dans la deuxième moitié du XIIIe s., tant dans
nombreuses fois. Or, ces tours, ne disposent à l'intérieur l'architecture que dans la sculpture. Cette sculpture nous
que d'un espace relativement réduit; elles n'ont donc permet en principe, de proposer une datation pour la
aucun avantage pratique au niveau de l'habitation, il construction de l'édifice, mais l'évolution des formes des
nous semble d'autre part exclu qu'elles aient eu un rôle ouvertures constitue aussi un repère chronologique.

(67) Cf. notice dans YAuta, septembre 1922, p. 219. Ce renseignement m'a été donné par D. CAZES.
(68) La maison dite « romano-gothique » possède des baies géminées en arc brisé dont le tympan est percé d'un occulus rond.
(69) Les maisons gothiques de Toulouse feront l'objet d'un second article.
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