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Publications de l'École française

de Rome

Volubilis et son territoire au Ier siècle de notre ère


Aomar Akerraz, Eliane Lenoir

Résumé
Aomar Akerraz et Éliane Lenoir, Volubilis et son territoire au Ier siècle de notre ère, p. 213-229.
Les fouilles récentes de Volubilis et les prospections effectuées dans la région environnante apportent de nouvelles
informations sur le développement de la cité ainsi que sur les limites et la densité de l'occupation du territoire qui l'entoure
au début de l'époque romaine.
L'étude de la maison «sans nom» à Volubilis confirme que l'extension de l'urbanisme en direction du nord-est commence
dès la seconde moitié du Ier siècle ap. J.-C. : la construction de la maison à péristyle primitive n'est pas postérieure au
dernier quart du Ier siècle ap. J.-C. Trois orientations coexistent dans l'urbanisme volubilitain à partir de l'époque flavienne,
et le schéma d'extension de la ville vers le nord-est est fixé dès la fin du Ier siècle ap. J.-C.
Les prospections systématiques effectuées dans la région de Volubilis ont fait apparaître les zones où, avant même la
création de la province romaine, la sédentarisation est déjà importante : dès l'époque augustéen- ne, des établissements
ruraux sont implantés dans les vallées des oueds, où ils s'échelonnent dans les méandres ou se groupent autour des
sources, ainsi que sur les plateaux qui entourent la cité, où ils sont régulièrement répartis sur les terres à vocation
agricole, tandis que dans les zones de collines, à vocation pastorale, les établissements agricoles sont rares. Au cours du
Ier siècle ap. J.-C, cette occupation rurale s'intensifie considérablement, sans toutefois déborder le cadre fixé au cours du
siècle précédent.

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Akerraz Aomar, Lenoir Eliane. Volubilis et son territoire au Ier siècle de notre ère. In: L'Afrique dans l'Occident romain (Ier
siècle av. J.-C. - IVe siècle ap. J.-C.) Actes du colloque de Rome (3-5 décembre 1987) Rome : École Française de
Rome, 1990. pp. 213-229. (Publications de l'École française de Rome, 134);

https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1990_act_134_1_3875

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AOMAR AKERRAZ ET ÉLIANE LENOIR

VOLUBILIS ET SON TERRITOIRE


AU Ier SIÈCLE DE NOTRE ÈRE

Les travaux menés depuis quelques années tant sur le site de


Volubilis, avec la reprise des fouilles de divers monuments, que sur la
région qui l'entoure, avec le programme maroco-français de
prospection de la vallée du Sebou-Ouerrha, ont apporté des données nouvelles
qui permettent d'unir dans un même thème de réflexion des
informations concernant le développement urbain de Volubilis et l'occupation
du territoire qui en dépend, pendant la période maurétanienne et au
début de l'époque romaine.
Nous avions présenté en 1985 à Montpellier1 les premiers résultats
des prospections effectuées dans la région de Volubilis : nous avions
alors constaté que la documentation concernant l'époque pré-claudien-
ne était assez pauvre sur les sites ruraux, tandis que les travaux menés
sur le centre urbain de Volubilis avaient fourni une documentation très
riche pour cette même époque. Inversement, bien que Volubilis ait
acquis le statut de municipe dès 44 ap. J.-C, les traces archéologiques
autres que les inscriptions restaient décevantes, particulièrement en ce
qui concerne le développement architectural de la cité, alors que
l'occupation civile et militaire du territoire environnant était bien attestée
dès le début de la période provinciale2.
Nous sommes à présent en mesure d'apporter de nouveaux
éléments de réflexion à propos du développement urbain de Volubilis et
de son territoire au Ier siècle ap. J.-C.

1 A. Akerraz, É. Lenoir, R. Rebuffat, Plaine et montagne en Tingitane méridionale,


dans Histoire et archéologie de l'Afrique du nord. IIIe Colloque international (Montpellier,
ler-5 avril 1985), Paris, 1986, p. 219-255.
2 R. Rebuffat, L'implantation militaire romaine en Mauritanie Tingitane, dans
L'Africa romana. Atti del IV convegno di studio, Sassari, 12-14 dicembre 1986, 1, Sassari, 1987,
p. 31-78. Id., Recherches sur le bassin du Sebou dans CRAI, 1986, p. 633-652.
214 AOMAR AKERRAZ ET ÉLIANE LENOIR

LE DEVELOPPEMENT URBAIN DE VOLUBILIS

L'histoire urbaine de Volubilis, d'après les travaux anciens, peut se


résumer en trois phases principales : la première couvre l'ensemble de
l'époque maurétanienne, jusqu'à la création de la province de Mauréta-
nie Tingitane, la seconde englobe les débuts de la colonisation romaine
et le second siècle, la troisième est celle des vastes programmes
d'urbanisme souvent attribués au IIIe siècle.
Depuis les hypothèses de J. Carcopino concernant l'occupation
préromaine de Volubilis3, les fouilles ont révélé de nombreux vestiges qui
peuvent être datés de cette époque4. Parmi les vestiges les mieux
connus - des monuments publics essentiellement -, il convient de citer
les temples jumelés G13/H135, les temples de Y area au nord du forum,
l'autel conservé dans l'enceinte du Capitole, quelques maisons fort
remaniées et une muraille6 (fig. 1). Toutefois, malgré la dispersion des
vestiges, il est possible de dégager, à l'intérieur des limites urbaines
préromaines, un urbanisme régulier, particulièrement dans le secteur
du centre monumental où l'on remarque plusieurs rues longeant des
monuments maurétaniens (fig. 1). Cette trame a d'ailleurs été suivie par
des bâtiments qui n'ont jamais été datés avec précision, mais qui sont,
sans doute, d'époque romaine7.
Les débuts de la colonisation romaine et le second siècle étaient
jusqu'alors peu documentés. Seuls quelques rares monuments, ayant
fait l'objet de notices succintes8, pouvaient être attribués à la seconde

3 J. Carcopino, Volubilis, résidence de Juba et des gouverneurs romains, dans Hesperis,


17, 1, p. 1-24.
4 A. Jodin, Volubilis, regia Iubae, contribution à l'étude des civilisations du Maroc
antique préclaudien, Paris, 1987.
5 En cours d'étude par N. El Khatib-Boujibar.
6 Cf. A. Jodin, op. cit., n. 4; il est à regretter que la chronologie relative des insulae
étudiées par l'auteur ne ressorte pas plus clairement dans cet ouvrage. Une étude
archéologique basée sur des sondages scientifiques des quartiers sud et est de Volubilis reste
souhaitable, pour mieux comprendre l'évolution urbaine pendant les périodes
préromaine et romaine.
7 La maison au Desultor, la maison au chien et les bâtiments situés à l'ouest de ces
maisons suivent cette orientation.
8 M. Euzennat, L'archéologie marocaine de 1955 à 1957, dans BAM, 2, 1957, p. 207-
211 ; L'archéologie marocaine de 1958 à 1960, dans BAM, 4, 1960, p. 557.
_i

23 Thenres du nord
Themes de la maison à la ci
4 Thermes du capitole
5 Temples de 1 area nord du fo:
6 Tenples G 13 / H 13

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Fig. 1 - Plan général de Volubilis.


216 AOMAR AKERRAZ ET ÉLIANE LENOIR

moitié du Ier siècle; le IIe siècle n'était représenté de manière certaine


que par l'enceinte urbaine, datée épigraphiquement de l'époque antoni-
ne
L'époque sévérienne, qui a connu de vastes programmes édilitaires
parfois datés par des inscriptions, est incontestablement la mieux
connue à Volubilis, avec le réaménagement du forum 10, la construction
de la basilique11, du Capitole de Macrin12 et de l'arc de triomphe13. À
cette époque et à celles qui lui succèdent jusque vers 285, date de
l'abandon de la ville par l'administration romaine, est également
attribuée la construction du quartier des maisons à péristyle au nord-est de
la cité14.
La reprise de l'étude de l'une des maisons du quartier nord-est
permet de montrer que l'extension de l'urbanisme vers le nord-est
commence dès la seconde moitié du Ier siècle ap. J.-C. Il s'agit de la maison
dite «sans nom», située à l'est des thermes du nord, sur la rive sud du
decumanus maximus (fig. 1).
Cette maison a été fouillée par R. Dauriac en 1942. Elle a fait
l'objet d'une première publication par R. Thouvenot 15 et a ensuite été
reprise par R. Etienne qui la date, comme toute l'insula dont elle fait partie,
du premier tiers du IIIe siècle16.
La maison est de plan rectangulaire et mesure 34,20 χ 32,50 m
dans son état primitif (fig. 2). Sa façade nord est occupée par six
boutiques de plan rectangulaire allongé et un vestibule qui sera transformé
en boutique lors de la construction de l'huilerie qui a entraîné le
déplacement de l'entrée vers l'ouest. Une seule petite porte permettait l'accès
à la maison à partir de la façade méridionale.

9 Ed. Frézouls, Inscriptions nouvelles de Volubilis. II, dans MEFR, 68, 1956, p. 95-
125.
10 M. Lenoir, A. Akerraz, É. Lenoir, Le forum de Volubilis. Éléments du dossier
archéologique, dans Los Foros romanos de las Provincias occidentales, Madrid, 1987,
p. 203-219.
11 A. Luquet, La basilique judiciaire de Volubilis, dans BAM, 5, 1967, p. 407-445.
12 L. Châtelain, dans BCTH, 1924, p. CCXXII et BCTH, 1925, p. CCXXIX.
13 Cl. Domergue, L'arc de triomphe de Caracolla à Volubilis, dans BCTH, (1963-64),
1966, p. 204-229.
14 R. Etienne, Le Quartier nord-est de Volubilis, Paris, 1960.
15 R. Thouvenot, Le Quartier nord-est, la rive droite du Decumanus Maximus, dans
PSAM, 8, 1948, p. 109-143.
16 R. Etienne, op. cit., n. 14, p. 149.
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Fig. 2 - Volubilis, la maison sans nom.


VOLUBILIS ET SON TERRITOIRE 21 7

L'organisation interne de la maison est difficile à percevoir du fait


du très mauvais état de conservation des structures. Toutefois, l'analyse
de celles-ci permet de dégager certains aspects du plan primitif de la
maison.
Dès le premier état, les boutiques étaient prévues. Le triclinium qui
se trouve, dans le dernier état de la maison, à l'ouest du péristyle,
devait initialement se trouver à l'est de celui-ci. Il est à remarquer que
cette disposition du triclinium dans les deux états n'est pas conforme à
la situation des triclinia des maisons de la rive sud du decumanus maxi-
mus qui sont, dans leur grande majorité, situés au sud des péristyles.
Par ailleurs, le premier triclinium est flanqué de deux petites pièces
moins profondes que celui-ci, ce qui fait de cette disposition un
exemple unique parmi les plans de triclinia de Volubilis.
La superficie totale du péristyle est l'une des plus importantes
parmi les autres péristyles du quartier avec 279 m2 dont 144 à ciel ouvert
et 135 couverts. Tel qu'il se présente actuellement, nous ne savons pas
si ce péristyle date du premier état de la demeure. Mais il est certain
que la cour située au centre de la maison fait partie du plan initial.
L'analyse des matériaux de construction du monument primitif
permet également d'affirmer que le calcaire gris du Zerhoun, très
employé dans les constructions d'époque romaine de la ville, n'a pas
été utilisé dans la construction du premier état de la maison17.
Afin de déterminer la date de construction de la maison primitive,
plusieurs sondages ont été effectués. Le premier, à l'angle sud-est du
bâtiment, a révélé, sous le sol refait pendant la seconde moitié du IIe
siècle, un mur de direction est-ouest, parallèle au mur de façade sud.
Ce mur n'est conservé que sur une seule assise et semble avoir
constitué la fondation d'une élévation de brique crue. Le matériel datable
correspondant à l'arasement de ce mur se compose d'éléments
résiduels en faible quantité (quatre fragments de céramique italique et
deux fragments d'amphore de type Dressel 18 18, et d'une très forte
proportion de céramiques à vernis rouge sud-gauloise et hispanique et

17 La même constatation en ce qui concerne les matériaux de construction a été faite


dans les thermes du nord, cf. É. Lenoir, Les Thermes du nord à Volubilis, recherches sur
l'époque flavienne au Maroc, thèse de doctorat dactylographiée, Paris-Sorbonne, 1986.
18 Deux autres sondages effectués contre les murs primitifs de la maison ont fourni
exactement les mêmes types de matériel.
218 AOMAR AKERRAZ ET ÉLIANE LENOIR

d'amphores de type Beitran IIB, Dressel 20 ancienne et Dressel 7-11.


Aucun tesson de sigillée claire n'a été recueilli.
Dans un deuxième sondage implanté contre la facade
septentrionale de la maison, les couches correspondant à la tranchée de fondation
présentent, dans les mêmes proportions, un matériel datant similaire.
Toutes les données de ces sondages permettent de conclure d'une
manière certaine que la maison primitive ne peut être postérieure au
dernier quart du Ier siècle ap. J.-C.
À l'ouest de la maison «sans nom», se trouvent les thermes du
nord, récemment étudiés par É. Lenoir19. Ces thermes, les plus
importants de la ville sont datés, dans leur premier état, de l'époque flavien-
ne. L'orientation nord-est - sud-ouest, qui est sensiblement différente
de l'orientation de la maison sans nom qui lui est contemporaine, est,
pensons-nous, une anomalie dictée par la présence de la colline du «tu-
mulus» qui a imposé aux thermes et ultérieurement à l'aqueduc la
direction que nous lui connaissons (fig. 1).
Parmi les autres monuments datés de facon sûre de la seconde
moitié du Ier siècle se trouvent les thermes du Capitole dans leur
premier état20, et les thermes de la maison à la citerne21 (fig. 1).
Cet ensemble de documents nous invite à conclure que le plan
d'expansion de la ville appartient au moins au dernier quart du Ier siècle
ap. J.-C. Ce plan prévoyait une extension vers le nord-est. Nous avons
démontré récemment qu'un certain nombre de maisons préexistaient à
la construction de l'enceinte en 168-169 et que l'aqueduc est postérieur
à toutes les maisons de la rive sud du decumanus maximus ainsi qu'aux
thermes du nord qu'il semble éviter22. Mais peut-on admettre que ces
thermes, les plus importants de la ville, aient longtemps fonctionné
sans l'aqueduc? La construction de ce dernier est probablement
survenue peu de temps après celle des thermes. Seule une datation sûre de la
construction de l'aqueduc permettra de retracer un tableau de l'évolu-

19 É. Lenoir, op. cit., n. 17.


20 A. Akerraz, Les thermes du Capitole à Volubilis, dans BAM, 16, 1985-1986, p. 101-
120.
21 H. Zehnacker et G. Hallier, Les premiers thermes de Volubilis et la maison à la
citerne, dans MEFR, 77, 1965, p. 231-240; R. Rebuffat, Le développement urbain de
Volubilis au IIe siècle de notre ère, dans BCTH, n.s., 1-2 (1965-1966), Paris, 1968, p. 231-240.
22 A. Akerraz, Nouvelles observations sur l'urbanisme du quartier nord-est de Volubilis,
dans L'Africa romana. Atti del IV convegno di studio, Sassari 12-14 dicembre 1986, Sassari,
1987, p. 445-457.
VOLUBILIS ET SON TERRITOIRE 2 19

tion de cette partie de la ville entre la deuxième moitié du Ier siècle,


date de la construction des premiers monuments du quartier, soit les
thermes du nord et la maison «sans nom», et 168-169, date de la
construction de l'enceinte urbaine.
Ainsi, dès le début de l'époque romaine à Volubilis, trois
orientations ont coexisté. La première orientation est attestée dès l'époque
préromaine; elle est de direction est-ouest. Cette orientation a continué à
servir au début de l'époque romaine, pour les thermes du Capitole, et
même aux IIe et IIIe siècles pour le réaménagement de l'ensemble
monumental constitué par le forum, la basilique et le Capitole.
La seconde orientation est celle qui fut suivie par le quartier situé
au nord de l'arc de triomphe et qui est représentée par les petits
thermes situés sous la maison à la citerne23.
Enfin, la troisième orientation est celle que suit l'ensemble du
quartier nord-est; elle ne peut plus être attribuée à un développement
de la ville qui s'effectuerait seulement à partir du IIIe siècle, comme on
le croyait à la suite de l'étude de R. Etienne. Des études récentes ont
montré que plusieurs maisons de ce quartier sont antérieures à la
construction de l'enceinte de Marc-Aurèle24.
Les résultats acquis par la reprise de l'étude de la maison «sans
nom» permettent de conclure de façon catégorique que le schéma
d'extension de la ville vers le nord-est est fixé dès la fin du Ier siècle ap.
J.-C.

AOMAR AKERRAZ

L'OCCUPATION DES CAMPAGNES

La connaissance du territoire de Volubilis a beaucoup progressé au


cours de ces dernières années, grâce aux travaux de prospection systé-

23 Cette orientation peut correspondre à un développement de la cité dans cette zone.


Les quatre maisons au Compas, à l'Éphèbe, aux Colonnes et au Cavalier remploient en
effet des pans de murs ou des pièces entières dont la technique de construction est
différente de celles du reste de la maison.
24 A. Akerraz, art. cité, n. 22.
220 AOMAR AKERRAZ ET ÉLIANE LENOIR

matique entrepris par l'équipe franco-marocaine à laquelle a été


confiée, dans la perspective d'un atlas archéologique du Maroc, la
reconnaissance du bassin du fleuve Sebou et de ses affluents25.
La prospection de la carte au 1/50 000e de Sidi Kacem, et plus
particulièrement de la région de Volubilis, est en cours d'achèvement. La
documentation recueillie présente un ensemble de données
suffisamment abondantes pour permettre une réflexion sur l'occupation du
territoire de Volubilis et son évolution entre la fin de l'époque royale et le
début de la colonisation romaine.
À l'issue de la campagne d'automne de 1987, nous connaissons 317
sites localisés sur la carte de Sidi Kacem, dont 12 sont islamiques, 1
seul préhistorique, et 304 antiques (fig. 3). Ces sites consistent la
plupart du temps en jonchées de céramique de dimensions variables, sur
lesquelles nous avons effectué des ramassages systématiques. Nous
avons également répertorié quelques vestiges de bâtiments, des
huileries, des fours de potiers, des carrières d'exploitation de pierre à bâtir,
des meules, ainsi que des éléments du dispositif militaire, en particulier
des tours de guet. L'exploitation de cet ensemble de données est
actuellement en cours, et notre propos n'est pas ici de présenter une étude
détaillée de cette documentation, mais de voir quelle interprétation
historique nous pouvons actuellement dégager de cette masse
d'informations.
L'étude des principaux fossiles directeurs, céramiques et amphores
en particulier, n'est pas totalement achevée dans le détail. Elle est
néanmoins suffisamment avancée pour que l'on puisse déterminer
différentes phases dans l'occupation du territoire volubilitain. Nous avons
ainsi pu isoler :
- les sites occupés avant la création de la province de Mauréta-
nie Tingitane, définis par la présence des céramiques campanienne et
italique, et des amphores de type punique, Dressel 1, Dressel 18, et
Haltern 70;
- les sites occupés à partir de la création de la province, qui sont
sûrement occupés avant la fin du Ier siècle de notre ère, et qui sont

25 La mission, dirigée par MM R. Rebuff at et A. Akerraz, travaille depuis 1982 sur ce


programme de prospection.
Cette communication a été préparée en collaboration avec A. Akerraz, V. Brouquier,
R. Rebuffat et F. Villedieu, qui assurent également l'étude du matériel archéologique.
VOLUBILIS ET SON TERRITOIRE 221

2 3 4 &„
E. LENOIR SEBOU 1987

Fig. 3 - Sites antiques, 1987.


222 AOMAR AKERRAZ ET ÉLIANE LENOIR

définis par la présence des céramiques sud-gauloises ou hispaniques, et


des amphores de type Dressel 7-1 126.
D'après les critères que nous venons de définir, nous avons pu
établir une cartographie en fonction de périodes qui se dessinent assez
nettement, et qui permettent de relier le développement du grand
centre urbain que représente Volubilis à celui du territoire qui en dépend.
Les différentes cartes ont été établies à partir d'un fond de carte
unique, sur lequel nous avons tenté de faire ressortir les traits
essentiels de la morphologie de la région : à l'extrémité nord-ouest de la
carte, la limite de la plaine alluviale est définie par la courbe d'altitude des
100 mètres. La zone comprise entre la courbe d'altitude des 100 mètres
et celle des 300 mètres met en évidence la région des collines
correspondant, sur le plan géologique, à des marnes miocènes, terres lourdes
peu propices à l'agriculture, et la zone des terrasses ou des vallées des
oueds, où les alluvions constituent des terres agricoles riches. Cette
zone occupe la majeure partie de la carte. Entre 300 et 450 mètres, se
situent les plateaux et les piémonts constitués par les dépôts
quaternaires anciens, où un cailloutis limoneux est recouvert par une croûte et
un sol argileux, donnant un sol très favorable à l'agriculture, et plus
particulièrement à la culture des céréales. Au-delà des 450 mètres, on
trouve les régions montagneuses, constituées par les rides prérifaines
(fig. 4)27.

La période préromaine

Sur l'ensemble de la carte (fig. 5), plusieurs zones d'occupation se


dessinent, que nous analyserons en fonction des différentes unités
géographiques qui constituent autant de micro-régions, pour lesquelles il
est intéressant de comparer la densité de l'occupation humaine.

26 Nous avons volontairement laissé de côté d'autres catégories de matériel,


notamment les céramiques communes, qui n'offrent pas le même intérêt immédiat pour notre
propos tant que l'étude n'en est pas achevée. Nous avons également conscience des
limites que présente un matériel de surface, qui n'offre pas les certitudes que pourrait
fournir un matériel de fouilles.
27 Pour l'étude géomorphologique de la région, on se reportera à J. Le Coz, Le Rharb.
Fellah et colons. Étude de géographie régionale, Paris, 1964, et en particulier à la figure 26,
p. 81, ici fig. 4.
VOLUBILIS ET SON TERRITOIRE 223

437

Κ £ Col du Zegotta
403

Croûte régréguienne Ν
Escarpement de
chevauchement
Crêt
— Crête aiguë
— Talus bordant le Régréguien
Douar
Ferme européenne
Ruines romaines
Source (aïn)
Puits (bir)

Fig. 4 - Le plateau d'El Gaada (d'après J. Le Coz, Le Rharb, Fellah et Colons, fig. 26).

La vallée de l'oued Rdom.

Cette vallée présente une occupation dense au sud, avec un


groupement de sites autour de Γ Aïn Kerma, une occupation plus lâche du
confluent de l'oued Rdom et de l'oued Kroumane, et, plus au nord, une
occupation du Djebel Bou Draa, localisée sur le versant sud-est de la
montagne, et qu'il est préférable de relier à l'occupation de la plaine du
Gharb, plus particulièrement de la région du site urbain de Sidi Said.
224 AOMAR AKERRAZ ET ÉLIANE LENOIR

E. LENOIR SEBOU 1987


Fig. 5 - Sites préromains.
VOLUBILIS ET SON TERRITOIRE 225

La vallée de l'oued Zegotta.

Cette vallée de l'oued Zegotta présente une occupation assez spora-


dique, mais étendue, avec quelques sites échelonnés sur les rives de
l'oued, dans une région jusqu'alors considérée comme un vide
archéologique.

La région de Volubilis.

Nous entendons par région de Volubilis la zone qui comprend la


vallée de l'oued Kroumane et la région des collines et des plateaux
limités à l'est par le massif du Zerhoun. Cette région, qui a pour pôle
Volubilis, présente des différences notables entre :
- des zones occupées sporadiquement, situées au nord, en
direction de l'oued Teslalet et du Djebel Tselfat, à l'est, avec un seul site
dans la région du Djebel Marcab, et au sud, sur le versant sud du
Zerhoun, où trois sites assurent la continuité de l'occupation avec la vallée
du Rdom et l'actuelle plaine de Meknès;
- une zone occupée de façon dense, sur les plateaux situés
immédiatement au nord, à l'ouest et au sud de Volubilis, dans un rayon
de 4 à 6 kilomètres, et qui comprend : la zone située au nord et au
nord-ouest de Volubilis, où les sites reflètent une occupation assez
régulière du plateau, localisée le long des thalwegs; la rive gauche de
l'oued Kroumane aux environs immédiats de Volubilis; une occupation
assez régulière de la plaine qui s'étend au sud-ouest de Volubilis, avec
des établissements tantôt groupés autour des sources et le long des
petits oueds, tantôt répartis sur le plateau formé par les dépôts
quaternaires anciens qui sont encore actuellement des terres de labours.

Éléments de chronologie.

Il nous est possible, d'après le faciès du matériel, de subdiviser la


période préromaine en deux phases :
- une phase dont la limite haute est déterminée par la présence
des amphores puniques du type Kouass III, qui, sur les sites urbains de
Tingitane, existent dans les niveaux antérieurs au Ier siècle av. J.-C.28, et

28 Cf. Fouilles de Dchar-Jdid, 1977-1980, dans BAM, 14, 1981-1982, A. Hesnard, La


céramique des niveaux préromains, p. 201-202.
226 AOMAR AKERRAZ ET ÉLIANE LENOIR

la limite basse est caractérisée par la présence de la céramique campa-


nienne tardive et des amphores de type Dressel 1, soit le millieu du Ier
siècle av. J.-C;
- une phase définie par la présence des amphores Dressel 18 et
Dressel IB associées à la céramique italique, qui ne va pas au-delà des
règnes de Juba II et de Ptolémée.

L'évolution de l'occupation du territoire entre ces deux phases est


encore difficile à saisir, elle sera certainement précisée lorsque seront
collationnées toutes les données chronologiques fournies par l'étude
des différents types de matériel. Toutefois, les premiers résultats
semblent bien démontrer que la majorité des sites appartient à la seconde
phase, et que c'est à partir des règnes de Juba et de Ptolémée que le
territoire est occupé de façon dense. Des populations rurales sont alors
fixées autour de Volubilis, et sont intégrées au système de relations
économiques de l'occident méditerranéen, auquel les sites urbains
participent depuis longtemps.

Le premier siècle de la colonisation romaine

Les 139 sites définis par la présence des amphores de type Dressel
7-11 et des céramiques sud-gauloises et hispaniques, et par l'absence de
la céramique sigillée claire et des amphores de type Beltran lib,
constituent une phase qui inclut les sites romains les plus anciens et qui va
jusqu'à la fin du Ier ou au début du IIe siècle de notre ère (fig. 6).
On constate que, pour l'ensemble de cette période, les grandes
lignes de l'occupation préromaine ne sont pas sensiblement modifiées.
La multiplication des sites ruraux, correspond vraisemblablement à
une intensification de l'occupation du territoire, à l'intérieur des limites
bien fixées par le dispositif militaire, qui est implanté dès le début de la
colonisation romaine, et qui ne variera plus au cours des deux siècles
suivants : les tours de guet sont toutes, à l'exception d'une seule, mises
en place, d'après l'analyse du matériel de surface, avant la fin du Ier
siècle de notre ère, ainsi que les camps de Tocolosida et d'Ain
Schkour29.

29 R. Rebuffat, L'implantation militaire romaine en Maurétanie Tingitane, dans


L'Africa romana, Atti del IV convegno di studio, Sassari, 12-14 dicembre 1986, Sassari, 1987,
p. 31-78.
VOLUBILIS ET SON TERRITOIRE 227

E LENOIR SEBOU 1987

Fig. 6 - Sites de la seconde moitié du Ier siècle ap. J.-C.


228 AOMAR AKERRAZ ET ÉLIANE LENOIR

Les sites sont assez régulièrement échelonnés tout au long de la


vallée du Rdom; la documentation reste lacunaire pour la vallée du
Kroumane, et l'on constate que c'est entre les pôles de Volubilis, Toco-
losida et Aïn Schkour que la concentration des sites est la plus forte. On
notera également que le piémont nord-est du Zerhoun, entre les crêtes
et l'oued Zegotta, est bien occupé, l'installation des établissements
ruraux se faisant autour des sources, et que les sites sont régulièrement
échelonnés le long des vallées des oueds, comme nous l'avions déjà
observé pour l'époque préromaine.
Dans la zone des plateaux accidentés au nord-nord-est, une
occupation sporadique apparaît. Cette région, qui devait avoir une vocation
essentiellement pastorale, ne sera d'ailleurs jamais occupée de façon
dense par la suite.
Le cadre dans lequel se développera l'occupation rurale semble se
mettre en place rapidement. La répartition des sites où ont été
recueil is exclusivement des fragments d'amphores de type Dressel 7-11
dessine bien les limites de la zone d'influence de Volubilis. Les sites sur
lesquels du matériel plus récent a été recueilli ne débordent pas de ce
cadre. Ces limites ne font que reprendre celles du territoire occupé dès
l'époque préromaine.

L'évolution de l'occupation rurale

Est-il possible, à partir des éléments dont nous disposons


actuellement, de tracer le schéma d'une évolution de l'occupation de ce
territoire entre les deux phases chronologiques que nous venons
d'analyser?
Sur 71 sites préromains, 29, soit 40%, ne sont plus occupés au
début de l'époque romaine. 42 sites, soit 60%, continuent à être occupés
au Ier siècle de notre ère. À l'époque romaine, 97 sites nouveaux
apparaissent, ce qui représente un accroissement d'environ 40% de
l'occupation rurale.
Quelle relation peut-on établir entre ces fluctuations de
l'occupation rurale et les événements qui ont marqué la transition entre le
règne de Ptolémée et la création de la Province de Tingitane? Nous
sommes réduits à émettre ici des hypothèses qu'il est bien difficile de
vérifier. Il est en effet possible que l'abandon de 40% des sites
préromains soit une conséquence des troubles suscités par l'assassinat de
Ptolémée. Le seul texte qui pourrait éclairer cette question est l'inscrip-
VOLUBILIS ET SON TERRITOIRE 229

tion de M. Valerius Severus, où il est fait allusion au problème de la


succession des bona vacantia après la révolte d'Aedemon. J. Gascou
pense que «pour que M. Valerius Severus ait sollicité la dévolution des
bona vacantia à Volubilis, il fallait qu'elle représentât un réel intérêt,
donc que le nombre de citoyens romains morts au cours de la guerre
d'Aedemon fût assez élevé.»30. Il n'est pas impossible que la population
des campagnes et les établissements ruraux aient été touchés par ces
événements; la paix revenue, le dynamisme que l'on observe dans le
développement urbain du municipe affecte également la campagne;
certaines fermes détruites ne sont pas reconstruites, d'autres sont
créées.
Quoiqu'il en soit, le déplacement des installations rurales à
l'intérieur des zones occupées ne remet pas en cause la continuité de
l'occupation de ce territoire entre l'époque préromaine et l'époque romaine.
La comparaison entre les données de la prospection et les résultats
des travaux récemment menés à Volubilis attestent, pour la campagne,
une sédentarisation ancienne que le développement urbain de la
Volubilis maurétanienne laissait soupçonner, et dont nous avons à présent
une attestation archéologique. La romanisation profonde de la cité à la
fin de l'époque royale est un fait bien établi, et il nous paraît nécessaire
de poursuivre l'enquête à propos de son territoire.
On assiste d'autre part à une extension rapide de la ville dès le
début de l'époque romaine, qu'il convient de mettre en parallèle avec
l'intensification de l'occupation rurale à la même époque. La vision que
l'on avait, jusqu'alors, d'une cité florissante seulement à partir de
l'époque antonine, voir même seulement sous les Sévères, doit être
totalement repensée : nous avons désormais la preuve que, dès le début de
l'époque provinciale, les bases du développement de la cité et de son
territoire sont jetées.

Éliane Lenoir

30 J. Gascou, La succession des bona vacantia et les tribus romaines de Volubilis, dans
Antiquités africaines, 12, 1978, p. 109-124.

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