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ANNÉE UNIVERSITAIRE 2020-2021

ÉCONOMIE GÉNÉRALE
1ère année de LICENCE ECONOMIE-GESTION

Cours de Monsieur Christian SAAD


Chapitre 1
LES PRÉCURSEURS DE LA SCIENCE ÉCONOMIQUE

Depuis l'Antiquité jusqu’à la publication dc l’ouvrage de Smith, finition entre prévision Recherches
sur la nature et les causes de la richesse des nations, en 1776, la réflexion économique s’est inscrite
dans une période qualifiée de « préscientifique ».

A. L’économie chez les philosophes grecs


1. Xénophon (430-355 av. J.-C.)
Xénophon publie deux ouvrages dans les tels se dégage une réflexion économique, liée à la morale
pratique : L’Economique (du grec « loi de la maison ») et Le Revenu de l’Attitude.
Rétrospectivement, L’Economique est considéré comme le premier traité de microéconomie ; Le
Revenu comme le premier essai de macroéconomie.
Dans ses ouvrages, Xénophon examine comment assurer la richesse d’Athènes et comment
lutter contre la pauvreté. La richesse ne provient que de la production de biens utiles, au premier
rang desquels se trouvent les biens agricoles. L’épargne dépend de la consommation, conception que
développera Keynes (chapitre 8). Chez Xénophon, cette épargne n’est pas destinée à financer
l’investissement mais à aider les pauvres qui n’ont pas de ressources suffisantes pour consommer.

2. Platon (428-348 av. J.-C)


Platon propose dans La République un système communiste aristocratique. Communiste car
fondé sur l’appropriation collective des biens, des femmes, des enfants et des esclaves.
Aristocratique car s’appuyant sur 1’existence de classes sociales comprenant des magistrats,
des guerriers et des travailleurs. « La Cité idéale », pour Platon, est la Cité ou chacun est
bien à la place qui lui revient en fonction de ses aptitudes, de ses qualités morales, de ses
talents intellectuels ou physiques
Platon, dans Les Lois, conscient que la Cité idéale eu une approche idéaliste et déductive (chapitre
3, A, a), propose un système communiste praticable (ou la Cité possible) dans lequel les hommes
s’approprient seulement les biens de production et les esclaves.

3. Aristote (384-322 av. J.-C)


Elève de Platon, il développe dans Politique une conception opposée à celle de son maitre. Il récuse
le système communiste de Platon, qui ne tient pas compte, selon lui, de la nature humaine. Un tel
système conduirait à la misère du fait de l’irresponsabilité des hommes : « Ce qui appartient à tout le
monde n’appartient à personne. »
L’approche réaliste et inductive Ę chapitre 3, A, b) d’Aristote le conduit à justifier les principes de
l’économie de marché et de la propriété privé. C’est un philosophe libéral.
Toutefois, il rejoint Platon dans sa condamnation de la richesse pour la richesse. Selon lui, seul le
travail est productif. Aussi, il condamne le prêt à intérêt.
Aristote, dans Ethique à Nicomague, définit le premier, semble- t-il, les trois fonctions de la monnaie
: étalon, intermédiaire des échanges ou fonction de transaction, réserve de valeur. Il distingue les
biens selon leur valeur d’usage et leur valeur d’échange. Les biens utiles, qui ont une valeur
d’usage, peuvent ne pas avoir de valeur d’échange (l’air et l’eau sont utiles mais, dans les cas
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ordinaires, ils ne sont pas échangeables contre d’autres biens). En sens inverse, les biens ayant une
forte valeur d’échange peuvent ne pas avoir d’utilité• (l’or, si peu utile au regard de l’air et de l‘eau,
peut être échangé contre une grande quantité d’autres biens). Les néoclassiques expliqueront ce
paradoxe.
La philosophie libera le d’Aristote connaitra une éclipse de plusieurs siècles. La pensée romaine se
concentre sur des problèmes de gestion et d’économie agricole (Caton l’Ancien, Varron,
Columelle, Pline l’Ancien). La pensée aristotélicienne sera réhabilitée dans la philosophie musulmane
(VIIe--XVe siècle), notamment chez Ibn Khaldoun et El Makrizi, et dans la philosophie enseignée au
Moyen Age au sein de l’Université. Cette philosophie enseignée est dite scolastique (IXe-XIIIe siècle).

B. L'ECONOMIE CHEZ LES PHILOSOPHES DU MOYEN AGE

1. Saint Thomas d’Aquin (1225-1274)


Saint Thomas d’Aquin publie la Somme théologique, qui marque la période scolastique.
Il reprend les idées d’Aristote dans le domaine économique, mais en les intégrant dans une morale
théologique. Ainsi, il justifie « chrétiennement » la condamnation aristotélicienne de l’intérêt.
Le temps appartient à Dieu, il n’est pas possible de gagner de l’argent avec le temps de Dieu. Il défend
la propriété privée et l’économie de marché. II développe la notion de juste prix, c’est-à-dire d’un prix
juste du point de vue du demandeur et de l’offreur.

2. Nicole Oresme et Jean Buridan

Nicole Oresme (mort en 1382) rédige un Traité sur l’origine, la nature, le droit et les mutations
de la monnaie. Dans ce traité, il plaide en faveur de la stabilité monétaire. Jean Buridan (1295-1358),
dans Questions sur la Politique d’Aristote et Questions sur l'Ethique à Nicomaque d’Aristote,
aborde les problèmes monétaires et les questions de finance publique sous un angle théorique et
pratique. Il est considéré comme le premier à avoir formulé la loi de l’offre et de la demande : « Plus
le besoin sera grand, plus le prix sera élevé. » Ces deux auteurs proposent, dans le domaine monétaire
et des finances publiques, une réflexion économique qui s’émancipe de la morale religieuse. Ils
ouvrent la voie à la science économique moderne. Au moment où se forment les Etats-nations,
nouvelles entités politiques des Temps modernes (c’est-à-dire la Renaissance), ils s’interrogent sur
« Comment enrichir le prince sans appauvrir les sujets ? ». Cette interrogation sera au cœur de la
problématique des mercantilistes.

C. LES MERCANTILISTES

Les mercantilistes regroupent des auteurs espagnols, italiens, français et anglais qui, de 1500 à 1750,
élaborent des règles de politique économique. A la question : « Qu’est-ce qui fonde la
Puissance d’une nation ? », les mercantilistes répondent : sa richesse. Cette richesse est d’ordre
militaire ou d’ordre économique. Militaire, elle repose sur importance de la population d’une nation
(a). Economique, la richesse d’une nation dépend de son stock de métaux précieux. Cela justifie une
intervention de la puissance publique pour attirer et conserver sur le territoire national l’or et ’argent
(b). L’abondance de monnaie peut s’accompagner d’un risque inflationniste. Les rudiments d'une
théorie monétaire apparaissent avec les mercantilistes.

1. Le Populationnisme
Jean Bodin (1530-1596) soutient : « I] n’y a de richesse ni de force que d’hommes, ». Cette
expression résume la doctrine de la population du mercantilisme, Elle sera développée par
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Antoine de Montchrestien (1576-1621) qui, le premier, utilise expression « économie politique »,
(étymologiquement « administration du Patrimoine de la cité ») dans son Traité d’économie
politique, en 1615.
La justification du Populationnisme repose sur des arguments militaires, la possibilité de
mobiliser une armée nombreuse en hommes, mais aussi des arguments économiques.
Les ressources humaines ont un caractère productif. Pour Montchrestien, « Je bonheur des hommes
consiste Principalement en la richesse, et la richesse dans Je travail ». Une forte
Population représente également des débouchés importants pour le commerce.

2. L’interventionnisme
Pour accroître le stock de métaux précieux, fondement de la richesse et de la puissance d’une nation,
plusieurs instruments de politique économique ont étés proposés par les mercantilistes.
L’objectifs est d’obtenir une balance commerciale positive (c’est-à-dire un excédent des exportations
sur les importations de biens).
On distingue trois écoles mercantilistes.

•Le mercantilisme italo-ibérique ou bullionisme (bullion,«lingot » en anglais).


Le rôle de l’Etat est d’encourager les expéditions permettant d’aller chercher l’or et argent
directement aux Amériques, Ensuite, Etat doit mettre en place une politique protectionniste afin
d’empêcher entrée de marchandises importées payables en métal précieux.

•Le mercantilisme français, il prend deux formes. L’agrarianisme de Sully (ministre d’Henri XIV)
qui préconise de protéger l’agriculture, richesse fondamentale de la France : recommande de
protéger l'industrie nationale et de développer les exportations françaises. A cette fin, il met en
place une politique industrielle (création de manufactures royales) et une politique commerciale
(élévation des droits de douane).
Cette conception sera reprise par les caméralistes allemands partisans d’un Etat productiviste,
nationaliste et interventionniste.

•Le mercantilisme anglo-hollandais ou commercialisme. II est dominé par les commerçants qui
préconisent la valorisation du commerce et de la navigation pour se procurer des richesses.
Ainsi, Cromwell est à l’origine des « actes de navigation », en 1651, qui donnent 4 la marine anglaise
le monopole des échanges intéressant aussi bien l’Angleterre que ses colonies.

3. Le monétarisme des mercantilistes

L’expression «la monnaie est le nerf de la guerre » date d’Époque mercantiliste. Les mercantilistes
avaient observé une relation entre Évolution des prix et celle de la quantité de monnaie en
circulation dans une nation. Jean Bodin pose les bases d’une « théorie quantitative de la monnaie »
en expliquant
Accroissement des prix du xvi siècle par l’afflux d’or en provenance d’Amérique. Les mercantilistes
sont favorables à des taux d’intérêt bas, ce qui facilite investissement et décourage épargne, nuisible
aux débouchés des produits, donc au commerce et aux affaires.
Le mercantilisme apparait comme un courant de pensée cohérent mais partiel en ce qu’il ne donne
pas une vision d’ensemble du système économique. Cette vision est proposée par les physiocrates.

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D. LES PHYSIOCRATES
Les physiocrates appartiennent 4 une école, la physiocratie, (étymologiquement « le pouvoir de la
nature ») qui est exclusivement française. Cette école constitue une réaction libérale au
protectionnisme et à l’interventionnisme des mercantilistes.
Quesnay (1) et Turgot (2) en sont les représentants les plus éminents.

1. François Quesnay (1694-1774)


Médecin de Louis XV, Quesnay publie le Tableau économique (1758) dans lequel il décrit les
mécanismes de production, de circulation et d’utilisation de la richesse créée au sein d'une
économie. Rétrospectivement, il s’agit de la première analyse macroéconomique qui donne une
représentation chiffrée des mécanismes de la vie économique.
Dans son tableau, Quesnay considère trois classes de citoyens dans la nation : les agriculteurs
(ils constituent la seule classe productive), les propriétaires fonciers et Etat (la classe des
propriétaires) et les artisans, commerçants, artistes, fonctionnaires et soldats (« la classe stérile »).
Il montre comment la production de richesses nettes découle de la seule activité agricole, les
activités industrielles ou de services ne faisant que transformer les biens sans les multiplier, Puis il
décrit comment la richesse créée est répartie sous forme de revenus dans le circuit économique.
Enfin, il présente l’utilisation de ces revenus sous forme d’achats de biens de consommation.

2. Robert Turgot (1727-1781)


Ministre de Louis XVI, Turgot sera influencé par un disciple de Quesnay, Vincent de Gournay, père
de la formule : « Il faut laisser faire les hommes et laisser passer les marchandises, » Cette formule
est une réaction libérale aux thèses mercantilistes. Pour les physiocrates, il faut respecter « l’ordre
naturel » sans l’entraver par des interventions de l’Etat, Ainsi, Turgot proposera de supprimer les
douanes intérieures qui freinent la circulation des grains et voudra autoriser les importations. II
suggérera de supprimer les corporations en 1776 et tentera d’alléger le poids des règlements
colbertiens dans les domaines de l'industrie et du commerce. Cette politique rencontrera une grande
hostilité, cc qui le conduira 4 démissionner en 1776.
Si les mercantilistes ont élaboré une théorie du capitalisme commercial, les physiocrates ont
Proposé une théorie du capitalisme agraire. Les conceptions libérales des physiocrates, opposées
aux conceptions interventionnistes des mercantilistes, seront reprises et développées par l’école
classique anglaise et française dès la fin du XVIII siècle, Les physiocrates apparaissent ainsi comme
les précurseurs d’un ordre nouveau, un ordre libéral qui va s'épanouir avec la révolution
industrielle.

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Chapitre 2
LES FONDATEURS DE LA SCIENCE ECONOMIQUE
La publication de l’ouvrage de Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des
stations, en 1776, marque l’avènement de la science économique (A).
Cet ouvrage va susciter un courant de recherche important.
Ce courant qualifié de classique, comprend deux branches distinctes.
La branche anglaise, pessimiste, avec Malthus (B), Ricardo (C) et Mill (D). La branche française,
optimiste, avec Say (E).

A. ADAM SMITH (1723-1790)


Smith aborde de manière synthétique, dans son ouvrage, l’ensemble des problèmes de la science
économique moderne. L’originalité de son apport réside dans quatre idées principales : la source de
la richesse des nations est le travail (1), la mesure de la richesse des nations est la quantité de travail
(2), la division du travail améliore l'efficacité du travail, donc la richesse des nations (3).
Le marché concilie intérêt particulier et intérêt général grâce à une « main invisible » (4).

1. La richesse des nations


Pour Smith, la richesse d’une nation repose sur le travail. Il y a création de valeur, de richesse, dès
que du travail est mis en œuvre, aboutissant à la création de biens. Il récuse la conception des
mercantilistes pour qui la richesse d’une nation dépend uniquement de son stock de métaux
précieux et la conception des physiocrates pour qui la richesse découle de la seule agriculture. Si le
travail est à l’origine de la richesse, comment mesurer cette richesse ? Comment évaluer la valeur des
biens et des services produits avec du travail ? Smith répond : par la quantité de travail.

2. Le valeur des biens se mesure par la quantité de travail


Smith distingue deux cas.
• Dans une société primitive (quelque peu mythique), la valeur d’échange des biens s’explique par
les quantités de travail nécessaires pour acquérir ces biens. Smith donne l’exemple d’un peuple de
chasseurs : s’il faut habituellement deux lois plus de travail pour tuer un castor que pour tuer un
daim, naturellement un castor d’échange contre deux daims.

•Dans une société plus avancée, la valeur des biens tient compte de profit du capital et de la
rente foncière incorporés dans chaque produit. Le profit rémunère l’accumulation de capitaux
détenus par des capitalistes et la rente rémunère l’appropriation du sol par les propriétaires
fonciers. Le profit et la rente ne sont pas une rémunération du travail. En conséquence, dans une
société avancée, il n’y a plus de rapport précis entre les prix naturels des marchandises et leur
contenu en travail. En dépit de cela, Smith considère que le travail doit rester une unité de
mesure. Il propose d’exprimer la valeur des biens en termes de travail commandé : si une heure
de travail vaut 40 livres et si un service (par exemple, le ménage complet d’une maison) vaut 200
livres, payer ce service, c’est commander » cinq heures de travail (dont la pénibilité sera
épargnée à celui qui le commandera).

3. La division du travail

Pour Smith, la division du travail conduit à la spécialisation et augurent la productivité du


travail, c’est-à-dire le rapport entre la production et la quantité de travail nécessaire pour obtenir
cette production. Smith prend l’exemple d’une manufacture d’épingles. Un homme, isolé face aux

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différentes opérations nécessaires pour fabriquer une épingle (Smith en recense dix- huit), peut
difficilement fabriquer une épingle dans la journée. En revanche, dix travailleurs se répartissant les
tâches obtiennent quarante-huit mille épingles par jour. L’accroissement considérable de la
productivité du travail est dû à la division du travail, qui permet une spécialisation des travailleurs.
Cette spécialisation accroît l’habileté des hommes, permet des économies de temps (suppression de
gestes ou de déplacements inutiles), facilite l’emploi de machines. Ces machines, à leur tour,
améliorent la productivité du travail.

4. La « main invisible »
•Les individus, pour Smith, sont préoccupés avant tout par la recherche de leur intérêt personnel.
L’addition des intérêts individuels donne alors l’intérêt général.
•Le marché concilie les intérêts personnels avec l'intérêt général. Tout se passe, dit Smith, comme si
les individus étaient guidés par une « main invisible » qui les fait contribuer au bien- être général
tout en poursuivant leur intérêt personnel.
•L’État ne doit pas entraver le fonctionnement de la vie économique. En effet, si l’intérêt personnel
est le moteur de l’activité économique et que la recherche de cet intérêt conduit à l’intérêt général, il
faut laisser une liberté totale aux activités individuelles. Contre les mercantilistes Smith défend le
principe du laisser-faire ; il fait partie des fondateurs du libéralisme économique.

B. ROBERT MALTHUS (1766-1834)


Malthus publie Essai sur le principe de la population (1798). Dans cet ouvrage, il énonce la « loi de
la population » (1) et la « loi des rendements décroissants » (2). Il établit une relation entre
l’évolution de la démographie et celle du niveau de vie (3). Il expose la notion de cycles démo-
économiques (4).

1. La loi de la population
Pour Malthus, la population tend à s’accroître, comme les nombres 1-2-4-8-16..., en suivant une
progression géométrique, tandis que les ressources croissent, comme les nombres 1-2-3-4- 5..., en
raison arithmétique. Selon jette loi, la population double tous les quinze ans. Or, les ressources
alimentaires ne peuvent suivre ce rythme. Elles augmentent lentement. Pourquoi ? en vertu de la
deuxième loi.

2. La loi des rendements décroissants


Quand les terres les moins fertiles ne produisent plus assez pour répondre à la consommation accrue
du fait de l’augmentation de la population, les agriculteurs mettent en culture des terres de moins en
moins fertiles, dont les rendements tendent à être de plus en plus faibles. Même si les agriculteurs
doublent les quantités de capital et de travail, la production fera moins que doubler. Les rendements
sont donc décroissante. Cette l’explique en partie le pessimisme des • classiques • anglais. Ces
derniers pensent que la croissance économique tend vers une limite, désignée sous l’expression
d’état stationnaire ou encore de croissance zéro.

3. La loi de Malthus
A partir des deux lois précédentes Malthus énonce une loi dite « loi de Malthus • : la population
s’accroît plus vite que les ressources alimentaires. La misère est inéluctable, a moins de parvenir à
diminuer la croissance de la population.

4. Cycles démo-économiques
La famine et les épidémies, favorisées par la misère et l’avarice de la nature (on est loin de
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l’optimisme des physiocrates), contribuent à faire baisser la pression démographique. Pour éviter le
recours à de tels remèdes, Malthus prêche la contrainte morale (en clair, la chasteté pour la classe
pauvre). Il dénonce les « lois pour les pauvres », qui, en assurant des revenus aux plus démunis, loin
d’atténuer la misère, la favorisent. En effet, ces revenus permettent aux pauvres, qui n’en auraient
pas normalement les moyens, dc se marier et d’avoir des enfants ! L’accroissement de la population
qui en résulte suscite la misère, donc de nouveaux pauvres.

C. DAVID RICARDO (1772-1823)


Ricardo publie Principes de l’économie politique et de l’impôt (1817), ouvrage dans lequel il expose
ses théories de la valeur travail (1), de la valeur d’échange (2), de la rente différentielle (3) et de la
baisse du taux de profit (4).

1. La théorie de la Valeur travail


Ricardo critique la notion de travail commandé de Smith. Il lui préfère celle de travail « incorporé ».
Selon lui, la valeur des biens tient compte non seulement du travail immédiat appliqué à leur
production (travail direct), mais encore du travail consacré aux outils et aux machines qui servent à
fabriquer ces biens (travail indirect). La valeur d’échange est égale à la quantité de travail (direct et
indirect) incorporé dans les biens. Dans l’exemple du peuple de chasseurs, la valeur du castor et du
daim doit tenir compte du temps de chasse, mais aussi du temps nécessaire à la fabrication des armes
(piège ou arc) nécessaires pour chasser les animaux.

2. Valeur d’usage, valeur d’échange


Pour Ricardo comme pour Smith, le mot « valeur » (la valeur d’un bien) a deux significations
différentes.
•D’une part, la valeur exprime l’utilité du bien (l’air et l’eau ont une grande valeur pour les hommes,
car ils sont utiles, indispensables à leur existence).
• D’autre part, la valeur exprime la faculté qu’a un bien, pour celui qui le possède, d’acheter
d'autres biens (un lingot d’or peut être échangé contre une grande quantité d’autres biens).

Dans le premier cas, la valeur prend le nom de valeur d’usage, dans le second, elle prend le nom de
valeur d’échange. Un bien ayant une grande valeur d’usage (l’air, l’eau) peut ne pas avoir de valeur
d’échange. Inversement, un bien ayant une forte valeur d’échange (l’or) peut ne pas avoir de valeur
d’usage. A ce paradoxe, soulevé par Smith, Ricardo répond que l’utilité d’un bien ne suffit pas pour
fonder sa valeur. Il faut encore que ce bien soit rare et nécessite une quantité de travail pour l’obtenir.
C'est le cas de l’or, pas de l’air ni de l’eau. Les néoclassiques reviendront sur l’explication de ce
paradoxe (F chapitre 7, A, b).

3. La théorie de la rente différentielle


C’est l’un des apports essentiels de Ricardo. Cette théorie tient compte de la loi de la population et
des rendements décroissants de Malthus. Avec les rendements décroissants, les terres les moins
fertiles auront des coûts d’exploitation supérieurs aux coûts des terres les plus fertiles. Dans le cas
des terres à blé, le prix du blé est unique du fait de l’unicité du marché. Ce prix se fixe alors au
niveau du coût des terres les moins fertiles (schéma 1). Les propriétaires des terres à blé les plus
fertiles vont bénéficier d’une « rente » qui est égale à la différence entre le coût de production sur la
moins bonne terre (cout qui est égal au prix du blé) et le cout de production sur la meilleure terre
(inférieur au prix du blé). Avec l’analyse de la rente différentielle, Ricardo pose les fondements de ce
qui allait devenir, en 1870, la théorie marginaliste.

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4. la baisse du taux de profit et l’état stationnaire
Pour Ricardo, le profit (revenu du capitaliste) est la différence entre la valeur créée (mesurée, comme
on l’a vu, par le travail direct et indirect mis en œuvre), les salaires et les rentes foncières. La
population est supposée croître sans cesse sous l’effet dc l’instinct de vie. Cette croissance
démographique entraîne la mise en culture de nouvelles terres. Cela a deux conséquences.
•Une augmentation de la masse des salaires versés. En effet, il faut plus de bras pour mettre en
culture des terres nouvelles. Il y a augmentation de la population active donc augmentation de la
masse salariale versée. Notons que Ricardo définit la notion de salaire naturel. Il s’agit du salaire qui
correspond au minimum nécessaire à l’existence de l’ouvrier et de sa famille. Ferdinand Lassalle
évoquera, en 1863, la loi d’airain des salaires : « Le salaire moyen ne dépasse jamais ce qui est
indispensable pour entretenir l’existence des ouvriers ». (L’airain est l’équivalent du bronze, il donne
l’image de quelque chose de dur, d’impitoyable.)
•Une augmentation de la rente foncière versée. Cette augmentation découle de la mise en culture
des terres les moins fertiles. Comme le coût d’exploitation de des terres s’élève, le prix du blé
augmente. Or, les salaires de subsistance dépendent du prix du blé. Ils augmentent quand le prix du
blé augmente.
Si la rente foncière, la quantité et le niveau des salaires versés augmentent, le profit diminue puisqu’il
est calculé de façon résiduelle, comme la différence entre la valeur créée et les salaires et rentes
versés. Pour Ricardo, le profit tend naturellement à baisser, ce qui entraîne un ralentissement
puis un arrêt de l’investissement. C’est l’état stationnaire : l’économie va se reproduire indéfiniment,
au même rythme, sans jamais plus se développer. L’échéance, toutefois, peut être retardée grâce au
progrès technique et au libre-échange.

D. JOHN STUART MILL (1806-1873)

Mill publie Principes d’économie politique (l 848). Dans cet ouvrage, il consacre un chapitre à
l'état stationnaire (1). Il développe une doctrine sociale (2).

1. L’état stationnaire

Mill crée l’expression « état stationnaire ». Cet état traduit une situation où la production et la
population restent constantes et où le système économique se reproduit ä l’identique. Pour Mill, cet
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état n’est pas un mal en soi. C’est un stade de développement qui doit permettre aux hommes, d’une
part, de se consacrer à la culture des arts et au progrès moral, d’autre part, de se détacher des
valeurs exclusivement matérielles.

2. Une doctrine sociale


Le projet de Mail s’inscrit dans une philosophie utilitariste, l’homme recherche avant tout ce qui est
« utile • pour lui ; le bonheur collectif est la somme des bonheurs individuels. Selon Mill, il convient
alors d’assurer le bonheur du plus grand nombre par une répartition équitable des richesses. Mill
influent cela le mouvement d’idées socialistes.

E. JEAN-BAPTISTE SAY (1767-1832)

Say est célèbre pour son traité d’économie politique dans lequel il expose sa théorie de la valeur-
utilité (1), sa conception optimiste de la croissance économique (2), sa loi des débouchés (3).

1. La valeur utilité
Say se distingue de Ricardo pour qui l’utilité d'un bien ne suffit pas pour fonder sa valeur. Pour
Ricardo, un bien a de la valeur s’il est rare et incorpore du travail direct et indirect (c’est la valeur
travail du bien). Say anticipe sur les néoclassiques (chapitre Z) en considérant que la valeur
des biens est déterminée par leur utilité, c’est-à-dire par la capacité des biens à satisfaire les
besoins humains. Un bien produit avec du travail n’a pas forcément de la valeur s’il ne correspond
pas ä un besoin, s’il n’est pas demandé. Inversement, un bien peut avoir de la valeur alors qu’il n'a
pas nécessité de travail pour sa fabrication (une perle dans une huître, qui répond aux désirs de
parure des élégantes). Ainsi, le coût du travail ne suffit pas ä expliquer la valeur des biens.

2. L’élargissement des facteurs productifs


Dans le prolongement de la théorie de l’utilité, Say suggère d'élargir la notion de richesses.
L’industrie et les services sont des activités productives au même titre que l’agriculture. Ces
activités créent de l’utilité en offrant des biens et des services qui répondent aux besoins des
hommes, à leur demande. Say rompt avec les physiocrates, dépasse Smith qui négligeait les
services, récuse Malthus et Ricardo qui voyaient dans la loi des rendements agricoles décroissants
l’origine de l’état stationnaire.
Contrairement à cette conception pessimiste, Say voit dans l'industrie, les services et le progrès
technique les sources d’une croissance renouvelée, ce qui fonde son optimisme sur l’évolution du
système économique.

3. La loi des débouchés


Si l’offre est illimitée, n’y a-t-il pas un risque d’encombrement du marché faute de débouchés î Non,
répond Say. Il ne peut pas y avoir de crises générales de surproduction : quand l’offre de biens
et de services augmente, elle trouve automatiquement une demande correspondante. C'est la loi
des débouchés de Say : si la production augmente, cela génère des revenus supplémentaires
(salaires, profits, rentes) qui sont dépensés dans l’achat des biens et services nouvellement créés.
Dans cette ana- lyse, la monnaie n’est qu’un intermédiaire des échanges. Elle est l’huile qui facilite
le fonctionnement des engrenages. Quand le libraire vend ses livres, il ne reçoit pas de la monnaie
mais en fait du pain qu’il achète avec cette monnaie. D’où la formule de Say : les produits
s’échangent contre des produits ou encore tout produit sert de débouché à un autre produit.
Selon cette analyse, la monnaie n’est désirée que pour le produit qu’elle permet d’acheter. La
monnaie est neutre, l’analyse est conduite en termes réels. Cette conception de la neutralité de la
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monnaie ainsi que la loi des débouchés seront critiquées par Marx et plus tard par Keyn

Chapitre 3
LE MARXISME
Dans ce chapitre, le marxisme n’est pas abordé du point de vue de sa phosphine sociale rirais en
restant sur le terrain de la théorie économique.
Celle-ci est exposée dans deux ouvrages de référence de Karl Mars (1818-1883) : Fondements de la
critique de l’économie politique (1859) et Le Capital (dont le premier tome paraît en 1867, les deux
autres étant publiés par son ami Engels en 1885 et 1894.
La théorie économique marxiste repose sur une théorie de la plus-value (A) ct une théorie des crises
(B).

A. LA THEORIE DE LA PLUS-VALUE

Il convient de faire la distinction entre la valeur des biens vendus, qui repose sur la valeur du
travail incorporé) et la valeur de la force de travail des ouvriers - leur salaire - . La différence entre
les valeurs. Cette notion est distincte de la notion de profit § d), Ces deux notions per- mettent de
calculer un taux de plus-value, encore appelé taux d’exploitation des ouvriers, et un taux de profit.

1. La valeur du travail
Marx s’inspire de Ricardo en ce qui concerne la valeur travail des biens. Si les marchandises
s’échangent entre elles, c’est qu’elles ont un élément commun : le travail incorporé ou • cristallisé »
en elles. La valeur d’échange d’un bien est égale à la quantité moyenne de travail (ou travail social •)
généralement nécessaire pour le produire. SI la fabrication d’un bien nécessite dix heures de travail
et qu’une heure de travail vaut 15 euros, la valeur du bien vendu sera de 150 euros. Cette valeur
correspond à la valeur du travail incorporé dans le bien. Toutefois, en régime capitaliste, le travailleur
ne touchera pas cette somme. Il recevra un salaire qui correspond à la valeur de la force de travail.

2. La valeur de la force de travail


Les capitalistes considèrent le travail comme une marchandise. La valeur de cette marchandise » se
détermine comme celle de toute autre marchandise, par la quantité de travail nécessaire à sa
production. Sa valeur est donc déterminée par les coût temps d’entretien du travailleur ou encore
par la quantité de travail nécessaire à la subsistance et à la reproduction du travailleur. Dans notre
exemple, si le coût d’entretien du travailleur (coûts représentés par les dépenses en nourrir,
vêtements, chauffage, santé. ..), pour les dix heures de travail, correspondent à l’équivalent de huit
heures de travail, le travailleur recevra un salaire égal à huit heures de travail soit 120 euros.

3. La plus-value
La différence entre la valeur travail du bien (150 euros) et la valeur de la force de travail du
travailleur (120 euros) constitue la plus- value. Elle est égale, ici, à 30 euros. Le travailleur « offre »
gratuitement deux heures de travail. Il est spolié de deux heures, il est « exploité », selon Marx.

11
4. Le profit
Le profit est le revenu que le capitaliste tire de la propriété de son entreprise ou, d’une façon
générale, de la propriété de son « capital ».
Dans l’analyse marxiste, le capitaliste va utiliser son capital sous deux formes. La première
correspond à du capital constant : achats de bâtiments, d’installations, d’outillage, de matières
premières. La seconde correspond à du capital variable. Ce capital sert à acheter aux ouvriers leur
force de travail.
Dans cette analyse, la valeur des marchandises (M) est égale à la somme formée par le capital
constant (C), le capital variable (V) et la plus-value PI).

M=C+V+PI.

5. Le taux de plus-value
Il est égal au rapport de la plus-value sur le capital variable (c’est-à-dire la valeur de la force de
travail) : PI/V. Dans notre exemple, le taux de plus-value est égal à 200/800 = 25 %.
Ce taux mesure le degré d’« exploitation » des travailleurs. Ce taux peut s’accroître de plusieurs
façons.
•Par la prolongation de la journée de travail. Dans notre exemple, si cette durée passe à douze
heures, la plus-value devient : 180 euros — 120 euros = 60 euros. Le taux d’exploitation est alors
400/800 = 50 %.
•Par l’accélération des cadences.
•Par le progrès technique, qui permet de diminuer le temps de travail nécessaire pour produire les
biens qui assurent la subsistance des ouvriers (notamment dans le domaine
agricole).
Dans notre exemple, si les coûts d’entretien du travailleur pour les dix heures de travail passent
de huit heures de travail à six heures, le travailleur recevra un salaire équivalant à six heures
de travail soit 90 euros-. La plus-value sera : 150 euros — 90 euros soit 60 euros, soit un taux
d’exploitation de
400/800 = 50 %.
Le taux d’exploitation tend vers une limite constante : le temps de travail ne peut pas être égal
vingt-quatre heures. Le salaire ne peut pas être égal à zéro, il tend vers vu salaire minimal
correspondant au coût i de reproduction de la force de travail (le salaire naturel de Ricardo).

6. Le taux de profit
Pour le capitaliste, ce taux dépend de la plus-value réalisée et des capitaux investis (capital
constant + capital variable). Il est égal au rapport plus-value sur capitaux totaux engagés :
PI/(C+V). Ce taux de profit augmente si la plus-value progresse, le montant des capitaux
investis restant le même.

12
B) LA THEORIE DES CRISES

Dans l’analyse marxiste, les capitalistes sont « condamnés à investir ». La recherche infinie du
profit et la concurrence entre les entreprises les poussent à réinvestir ]a plus-value qu’ils ont
obtenue. Ils accumulent ainsi des moyens de production supplémentaires leur permettant
d’obtenir davantage de plus-value, laquelle est capitalisée à son tour : c’est la « loi
d’accumulation capitaliste » 9 a). Ce mouvement entraîne une montée du chômage (§ b) et une
baisse tendancielle du taux de profit ( p c). Il débouche sur des crises de surprotection (9 d).
Des lois tendancielles d’évolution du capitalisme se dessinent alors ( e).

1. La loi d’accumulation capitaliste


Marx distingue trois formes de capital.
• La forme argent, notée A. C’est le capital initial détenu par le capitaliste.
•La forme moyens de production, notée P. Avec son capital initial, le capitaliste achète des
moyens de production (bâtiments, outillages, mati ères premières, force de travail).
•La forme marchandise, notée V. Les moyens de production permettent de dégager une
plus-value. La vente des marchandises procure du capital argent, noté A* (avec A* > A).
La différence A* — A est égale à la plus-value qui, sous la forme argent, s’appelle le profit.
Le circuit du capital est donc A P M A.

Dans le schéma 2, le capitaliste engage du capital minimal. Ce capital est transformé en moyens de
production, qui génèrent de la plus-value. Cette plus-value est réinvestie dans des moyens de
production, qui dégagent de la plus-value et ainsi de suite. C’est la loi d’accumulation capitaliste.
Qu’est-ce qui pousse les capitalistes à agir de la sortie ? Deux raisons essentiellement.
• La recherche infinie du profit. Pour Marx, « le capitalisme est une machine à capitaliser de la plus-
value ». Cette quête du profit passe par l’introduction du progrès technique pour remplacer les
hommes (capital variable) par des machines (capital constant). Cette substitution capital-travail
permet d’accroître la productivité du travail et d’améliorer la compétitivité des entreprises, c’est-à-
dire leur capacité concurrentielle et donc leur possibilité de dégager de la plus-value.
13
• La concurrence entre les entreprises. Elle exige des efforts de productivité incessants pour faire
baisser les prix des marchandises. Cela condamne les capitalistes à réinvestir leur profit dans des
équipements toujours plus performants, dans une course sans fin à la productivité et à la
compétitivité.
La conséquence de ce comportement des capitalistes sera double : chômage et baisse de leur taux de
profit.

a. Le chômage
L’introduction du progrès technique et la substitution capital travail réduit la demande de travail.
L’accroissement du chômage est inéluctable. Ce chômage alimente, selon l’expression de Marx,
« l’armée de réserve industrielle ». Cette « armée » est disponible en cas d’expansion, sans que les
capitalistes soient obligés d’augmenter les salaires des ouvriers.

a. La baisse tendancielle du taux du profit


Le remplacement des hommes par des machines conduit à remplacer du capital variable (la force de
travail V) par du capital constant (les outillages C). Dans le processus d’accumulation (ou
d'investissements), V régresse et C progresse. Cette substitution capital-travail modifie ce que Mars
appelle « la composition organique du capital ». Celle-ci est égale au rapport du capital constant
sur le capital variable (C/V). Ce rapport tend à augmenter puisque le numérateur progresse et le
dénominateur négresse. Or nous avons vu que le taux de profit (noté z) est égal au rapport de la plus-
value sur les capitaux engagés :
𝜋 = Pl/ (C + V).
Si nous divisons le numérateur et le dénominateur par V, il vient :

Le numérateur Pl/V est le taux de plus-value ou taux d’exploitation. Nous avons dit que ce taux tend
vers une limite constante. Le dénominateur de 𝜋, en revanche, augmente avec C/V du fait de la
substitution capital-travail (C progresse, V régresse). Le taux de profit tend donc à baisser puisqu’il
est égal au rapport d’un numérateur constant a un dénominateur qui augmente.

b. Les crises de surproduction


Dans l’analyse marxiste, la crise du système capitaliste est à la fois une crise de l’offre et une crise
de la demande.
•L’offre. Pour compenser la baisse du taux de profit, les capitalistes tentent de se « rattraper » en
augmentant les quantités vendues. Comme tous les entrepreneurs agissent de la même façon, il en
résulte une crise de surproduction.
• La demande. La crise est d’abord alimentée par une crise au niveau de la consommation. Pour
compenser la baisse du taux de profit, les capitalistes cherchent à augmenter leur plus-value. Cette
augmentation passe par une exploitation plus grande des travailleurs dont les salaires perçus sont
déjà inférieurs à la valeur des biens produits. Il y a donc déséquilibre croissant entre les valeurs
apportées sur le marché (dans notre exemple, 150 euros) et les capacités d’absorption de ce marché
(d’abord égaux à 120 euros, les salaires passent à 90 euros du fait du progrès technique et de
l’exploitation croissante). Réduction du pouvoir d’achat et augmentation du chômage entraînent une
« sous-consommation ouvrière » donc une crise des débouchés.
La crise est ensuite alimentée par le blocage des investissements.
La baisse du taux de profit réduit les perspectives de profit des capitalistes. Ceux-ci réduisent puis
14
stoppent leurs investissements, ce qui bloque le cycle du capital. Surproduction d’un côté, sous-
consommation et blocage de l’investissement de l’autre, la crise est inéluctable. L’origine de cette
crise, pour Marx, se trouve dans le progrès technique et non, comme pour les « classiques », dans la
loi de la population et des rendements décroissants qui conduisent à l’éclat « stationnaire ».

c. Les lois tendancielles


Durant la crise, les entreprises les moins performantes disparaissent. Elles sont absorbées par de
grandes entreprises. Une loi se dessine, celle de la concentration du capital et de la concentration
des entreprises. Le capitalisme concurrentiel devient un capitalisme monopolistique.
A la suite de cette concentration des en reprises, les petits propriétaires viennent grossir les rangs
des chômeurs. La misère s’accroît doit il résulte une autre loi, celle de la prolétarisation et de la
paupérisation croissante des masses.
Ces deux lois, associées à celles de la modification de la composition organique du capital et de
la baisse tendancielle du taux de profit constituent, selon Mars, les lois tendancielles d’évolution
du capitalisme.

15
Chapitre 4
LES NEO-CLASSIQUES

Au début des années 1870, trois auteurs, qui ont travaillé séparément, découvrent à peu près en
même temps des outils nouveau d'analyse économique. Il s’agit du Britannique Stanley Jevons, du
Français Léon Walras et de l’Autrichien Carl Menger. Ces trois auteurs apparaissent comme les
fondateurs du courant néoclassique. Ce courant présente une unité de pensée (A). Mais, au- delà de
cette unité, une certaine diversité se dégage (B). En effet, trois écoles peuvent être distinguées :
l’école de Vienne, celle de Lausanne et celle de Cambridge. Les théories issues de ces écoles vont
constituer la base de la microéconomie contemporaine.

A. Les Néoclassiques : unité de pensée

Les éléments d'analyse communs aux néoclassiques sont une nouvelle théorie de la valeur des biens,
fondée sur l'utilité et la rareté (a), et l’introduction du raisonnement à la marge (le marginalisme)
(b). La préoccupation essentielle des néoclassiques est alors celle de l’affectation optimale des
ressources rares à des usages alternatifs. Leur raisonnement décrit une logique de maximisation de
la satisfaction des individus (c).

1. Une nouvelle théorie de la valeur


Rappelons que pour les • classiques », comme pour Marx, la valeur des biens est définie dc façon
objective en référence au travail. Cette valeur est égale à la quantité de travail commandé (Smith) ou
à la quantité de travail - direct et indirect - incorporé (Ricardo, Marx) dans les biens. Les
néoclassiques ont une optique différente. Pour eux, la valeur des biens est définie de façon subjective,
en référence au besoin que satisfait le bien.
Les « classiques • parlent de la valeur travail des biens, les néoclassiques évoquent la valeur utilité
des biens. L’utilité d’un bien est définie comme la satisfaction qu’un agent retire de la consommation
d’un bien ou d’un service. La satisfaction est de nature individuelle et subjective. La valeur d’un bien,
son prix, dépend, pour les néoclassiques, de la satisfaction qu'il procure. Toute référence au travail
et au coût de production est donc abandonnée. Par exemple, si la valeur d’une télévision haute
définition (1500 euros) représente 100 fois le prix d’une petite radio (15 euros), ce n’est pas parce
que le coût de production de la première est 100 fois supérieur à celui de la seconde. C’est parce que
les services rendus par la télévision sont estimés par le consommateur 100 fois supérieurs à ceux
rendus par la radio. Le consommateur est alors prêt payer un prix élevé pour disposer des services
de cette télévision. C’est la raison pour laquelle un fabricant prend ra l'initiative de la produire et de
la mettre sur le marché.

2. Le marginalisme
Comment évolue l’utilité d’un bien quand la consommation augmente d’une unité ?

Par exemple satisfaction d’un homme assoiffé au fur et à mesure qu’il consomme des verres d’eau ?
Pour répondre à ces questions, les néoclassiques vont conduire un raisonnement à la marge. Ils
s’intéressent à l’utilité marginale.
Celle-ci est définie comme la satisfaction procurée par la dernière unité de bien consommée ou
encore comme la variation de la satisfaction globale qu’un individu retire à la suite de la
consommation d’une unité supplémentaire d’un bien. Pour l’homme assoiffé, observons deux
16
phénomènes.

•l’intensité de son besoin de boire diminue au fur et à mesure qu’il consomme des verres d’eau. Il
a moins soif à partir du deuxième verre, encore moins soif à partir du troisième.
C’est le principe néoclassique de l’intensité décroissante des besoins.
Ce principe est encore appelé première loi de Gossen, du nom du psychologue allemand qui, en
1843, formula ce principe.

•La satisfaction éprouvée à la suite de chaque verre consommé diminue. Le troisième verre
d’eau procure moins de plaisir que le deuxième verre, et encore moins soif à partir du troisième.
C’est le principe néoclassique de l’utilité marginale décroissante, ou encore deuxième loi de Gossen.
Si 1’utilité marginale décroît cela ne veut pas dire que l'utilité totale diminue. Si l’individu continué à
boire, c’est qu’il éprouve encore du plaisir à le faire (utilité totale croissante) - même si son plaisir
diminue après chaque verre (utilité marginale décroissante).
A un moment donné, la consommation d’un verre supplémentaire n'apportera plus de satisfaction à
l’individu. Celui-ci aura atteint un point de satiété ou de saturation.
En ce point, l’utilité marginale est nulle et l’utilité totale (égale à la somme des utilités marginales)
atteint son maximum (schéma 3). Au-delà de ce point, l’utilité marginale devient négative et
l’utilité totale diminue (supplice médiéval de l’eau).
Les néoclassiques considèrent que l’individu rationnel ne poussera pas sa consommation au-delà du
point de satiété. Ils font l’hypothèse que l'utilité marginale est normalement décroissante mais
toujours positive. Par conséquent, l’utilité totale, somme des utilités marginales, croît avec la quantité
de biens consommés (plus je consomme, plus je suis satisfait).

La distinction entre l’utilité totale et l’utilité marginale permet de résoudre le paradoxe de l’eau et du
diamant et, de façon plus générale, la distinction entre la valeur d'échange des biens (leur prix
déterminé par le marché) et leur valeur d'usage (leur utilité). Ainsi, pourquoi l’eau, bien très utile, a-
t-elle un prix généralement très faible ? Pourquoi le diamant, bien moins utile que l’eau, a-t-il un prix
17
très élevé ? C’est le paradoxe sur lequel butait Smith.

En fait, l’eau a sans doute une nullité totale très forte (elle est indispensable à la vie des hommes),
mais son utilité marginale est faible parce qu’elle est abondante. Les hommes ne sont pas prêts à
consentir des sacrifices (un prix élevé) pour l’obtenir. En revanche, si le diamant a une utilité totale
plus faible que celle de l'eau, son utilité marginale est plus forte parce qu’il est très rare. Les hommes
sont prêts à consentir des sacrifices élevés pour l’obtenir. Le paradoxe de l’eau et du diamant est
levé si l’on prend l’utilité marginale comme fondement de la valeur des deux biens.
Dans l’exemple de l’homme assoiffé, quel est le prix des verres d’eau qu’il consentira à payer ?
Sans doute un prix élevé pour le premier verre qui lui apporte une très grande satisfaction. Puis
un prix moins élevé pour le second, car la satisfaction qu’il lui procure est moins grande. Un prix
encore moins élevé pour le troisième et ainsi de suite. Dans ces conditions, c’est le plaisir du dernier
verre d’eau consommé qui déterminera le prix de chacun des verres consommés.

3. La logique de maximisation
Du raisonnement à la marge, les néoclassiques passent naturellement à la recherche des conditions
de la maximisation de l’utilité des individus. Cette maximisation se fait sous contrainte. Ainsi, le
consommateur rationnel maximise son utilité (sa satisfaction) sons la contrainte de son revenu.
Le producteur maximise son profit en tenant compte des contraintes liées aux techniques de
production, aux prix de vente des produits, aux prix des facteurs de production (capital, travail, biens
intermédiaires, terre). Le gouvernement maximise le bien-être social de la nation sons la contrainte
qu’impose le budget de l’État.
La généralisation de l’analyse marginale et de la logique de maximisation conduit les néoclassiques
ă l’élaboration d’une théorie générale de la décision économique émanant d’un homo œconomicus
parfaitement rationnel. Nous avons déjà souligné les limites de cette analyse qui s’apparente à des «
robinsonnades » (chapitre 1).

B. Les Néoclassiques : Diversité des écoles

1. L’école de vienne et la théorie de l’utilité marginale

Carl Menger (1840-1921), économiste autrichien, est le fondateur de cette école. Il propose, en
1871, la théorie de l’utilité marginale qui est une conception subjective de la valeur. Cette théorie
s'oppose à celle des « classiques » pour qui la valeur d’un bien découle de ses caractéristiques
objectives. La spécificité de cette école réside dans l’importance qu’el1e accords à l’analyse
physiologique, le subjectivisme. Pour cette école, la science économique doit renoncer ă
l'abstraction (d’où son refus d’utiliser les mathématiques au-delà de l’arithmétique simple d’un
tableau de chiffres). L’économie doit étudier le comportement des individus en s’appuyant sur
la psychologie.
Les travaux de Menger seront développés par Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914), qui met en
avant le concept de productivité marginale du capital (chapitre 10, A, c) et par Friedrich von Wieser
(1851-1926), qui montre que la valeur des facteurs de production dépend de la valeur des biens
qu’ils contribuent à produire.
A partir de 1920, un courant néo-marginaliste se développe dans des directions différentes :
mathématique (théorie des jeux de von Neumann ct Morgenstern), monétariste (von Hayek),
18
praxéologique (von Mises), technologique et systémique (Schumpeter).

2. L’école de de Lausanne et la théorie de l’équilibre général

Son fondateur, Léon Walras (1834-1910), s’intéresse à la théorie de l’équilibre général. Le


successeur de Walras, l’italien Vilfredo Pareto (1848-1923), compète le modèle walrasien par la
théorie de l’optimum.
Walras analyse comment, dans un système complexe, c’est-à-dire un système qui prend en compte
tous les agents économiques, tous les facteurs de production et tous les marchés des biens, il peut y
avoir réalisation d’un équilibre simultané sur tous les marchés, En situation d’équilibre général
(équilibre simultané sur tons les marchés), ni les producteurs, ni les consommateurs n’ont intérêt à
modifier les quantités offertes et les quantités demandées sur les différents marches qui sont
interdépendants. Le cadre retenu est celui d’une économie de marché où règne sur tous les marches
« la concurrence pure et parfaite ». Celle-ci est définie par cinq caractéristiques.
•L’atomicité du marché. Les vendeurs et les acheteurs doivent être suffisamment nombreux
pour qu’aucun n’exerce une action sur le prix du Produit.

•La fluidité du marché. Chacun peut entrer ou sortir librement du marché, les barrières à l'entrée
et à la sortie du marché n’existent pas.

•L’homogénéité des produits sur leurs marchés respectifs. Deux produits présentant des
différences mineures ou majeures relèvent de deux marchés différents.

•La transparence des marchés. Tous les acteurs économiques sont parfaitement informés des prix.
En situation de concurrence pure et parfaite, il ne peut y avoir qu’un seul prix sur un marché.
Pour le démontrer, supposons qu'un même bien homogène soit vendu à deux prix différents. Le
consommateur parfaitement informé maximise son utilité en achetant le produit le moins cher. En
conséquence, le prix du marché ne peut être qu’unique.

•La mobilité des facteurs de production. A tout moment, les facteurs de production (travail,
capital) peuvent se déplacer du marché d’un produit vers un autre si celui-ci est plus profitable. Le
modèle de l'équilibre général se présente comme un système d’équations comportant autant
d’équations que d’inconnues. Selon Walras, un tel système ayant une solution unique, il existe une
situation d’équilibre unique et stable. La détermination du prix d’équilibre est obtenue par
« tâtonnements ». Ces tâtonnements supposent la présence d’un « commissaire-priseur » situé au-
dessus de tous les marchés. Sa fonction est de « crier » les prix, afin que l’offre et la demande sur les
différents marchés s'équilibrent. Ce commissaire-priseur joue le rôle de la « main invisible » dans
le système de Smith. , •
Pareto complète la théorie de l’équilibre général. Il démontre que la situation d’équilibre général est,
en plus, une situation optimum. L’optimum de Pareto est l’état de l’économie tel qu’il n’est plus
possible d’accroître la satisfaction d’un individu sans diminuer celle d’au moins un autre.

3. L’école de Cambridge et la théorie de l’équilibre partiel

Stanley Jevons (1835-1882) est le fondateur de cette école. Il considère que l’économie est par
nature une science aussi mathématique que la physique.
Il est l'un des inventeurs de la théorie de l’utilité marginale. Il la présente sous forme mathématique
: « Le rapport d’échange de deux marchandises est égal à l’univers du rapport de leurs utilités
marginales » (chapitre 9, D, d).
19
Le chef de file de cette école est cependant Alfred Marshall (1842-1924). Celui-ci s’intéresse aux
conditions d’équilibre partiel, c'est-ä-dire à la détermination du prix d’un produit particulier sur un
marché, en neutralisant ce qui se passe sur les autres marchés.
Il utilise pour cela l’expression marshallienne « toutes choses étant égales par ailleurs » ou •
« céteris Paribus ». Marshall considère que le coût de production et l’utilité ont un rôle conjoint dans
la détermination de la valeur d’un bien. Il réconcilie les conceptions objectives et subjectives de
la valeur des biens. Dans son ouvrage Principes d’économe politique (1890), Marshall utilise la
métaphore de de pair de ciseaux : « II serait tout aussi déraisonnable de discuter sur le point de savoir
si c’est la lame supérieure on la lame inférieur d’une paire de ciseaux qui coupe un morceau de papier
que de se demander si la valeur est déterminée par l’utilité ou par le coût de production. » Marshall
donne la formule de l’élasticité de la demande : c’est le rapport entre le pourcentage de la variation
des quantités demandées et le pourcentage de la variation des prix qui en sont la cause. Il fait la
distinction entre effets de courte période et de longue période en Economie. Par ses contributions
essentielles, Marshall a contribué à forger des instruments d’analyse importants qui sont encore
utilisés par la plupart des économistes.

20
Chapitre 5
LA THÉORIE KEYNÉSIENNE

John Maynard Keynes (1883-1946), dans son ouvrage fondamental paru en 1936 Théorie générale
de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, conteste la conception générale du fonctionne- ment de
l’économie proposée par les « classiques » (de Smith aux néoclassiques). Cette conception reposait
sur trois idée-force : tout chômage est de nature volontaire, les crises de surproduction sont
impossibles, les variables monétaires n’ont aucune incidence sur les variables réelles puisque la
monnaie est neutre.
Keynes considère au contraire qu’un chômage durable et involontaire peut exister. Ce chômage est
la conséquence d’une insuffisance de la demande effective (A). Des crises de surproduction peuvent
se manifester. Elles ont pour origine la préférence pour la liquidité des agents économiques (B). Cette
analyse remet en cause l'hypothèse de la neutralité de la monnaie. Elle justifie l’intervention de l’État
pour assurer le plein emploi et soutenir l'activité économique (C).

A. La demande effective
Nous définissons le concept de demande effective (a), puis nous montrons les liens entre cette
demande, le niveau d’emploi (b) et le niveau de chômage (c). Nous présentons les composantes de
cette demande (d), notamment la consommation des ménages (e) et les investissements des
entreprises (f).

1. Définition
La demande effective désigne la demande globale anticipée par les entrepreneurs. C’est une
prévision de demande globale que font les entrepreneurs.

2. Demande effective et emploi


Selon Keynes, les entrepreneurs ne produisent que ce qu'ils espèrent vendre. Ils fixent leur niveau
de production en fonction des commandes à venir et des prévisions de vente. Ils ajustent ensuite leur
politique d’emploi selon cette demande anticipée. Dans cette analyse, le niveau d’emploi est donc
déterminé par le niveau de production, qui dépend lui-même de la demande effective. Cette
analyse rompt avec le schéma classique. Dans ce schéma, le niveau d’emploi est déterminé de façon
directe par une confrontation de l’offre et de la demande de travail sur le marché du travail.

3. Demande effective et chômage

Pour les « classiques », il y a toujours un équilibre sur le marché du travail. Cet équilibre est
obtenu par l’égalisation du salaire réel entre les offreurs de travail (les ménages) et les demandeurs
de travail (les entreprises). C'est un équilibre de plein emploi. Le chômage ne peut être que
transitoire ou volontaire. Pour Keynes, il n’y a aucune raison pour que le nombre des emplois
demandés, qui dépend des anticipations des entre- preneurs, soit égal au nombre des emplois offerts
par les ménages, qui dépend de la population active. Un chômage permanent et involontaire est
21
susceptible d’apparaître.

4. Les composantes de la demande effective


La demande effective comprend la demande de consommation, la demande d’investissement, la
demande des administrations publiques et la demande étrangère. Dans sa Théorie générale,
Keynes raisonne en économie fermée. Il ne tient pas compte des exportations. Pour simplifier, il
considère, de plus, que les dépenses des administrations peuvent être réparties en consommation et
investissement.

5. Consommation et demandé effective


Pour Keynes, le niveau de la demande de consommation nationale (C) dépend du niveau du revenu
national (Y). La relation entre la consommation le revenu s’exprime par la propension a consommer.
Deux types de propension doivent être distinguées.
• La propension moyenne à consommer. Elle est égale au rapport de la consommation nationale
au revenu national soit : C/Y.

•La propension marginale à consommer.


Elle est égale au rapport de la variation de la consommation nationale C à la variation
correspondante du revenu national R, soit C/R. Elle est encore égale à la dérivée de la fonction
de consommation par rapport au revenu national = f (Y).

Pour Keynes, la relation qui associe consommation et revenu national obéit à une loi psychologique
fondamentale : la consommation augmente avec le revenu, mais à un rythme plus faible.
Autrement dit, la propension marginale à consommer est positive mais inférieure à 1(0 < C/R <
1),

Dans cette analyse, l’épargne (notée S) est considérée comme un réside, c’est-à-dire comme la partie
du revenu qui n’est pas consommée : S = Y — C.
Dans le modèle keynésien, l’épargne dépend du niveau du revenu, alors que dans la théorie
classique l’épargne dépend du taux d’intérêt.

6. Investissement et demande effective


Pour Keynes, la demande d’investissement des entreprises résulte de l’écart entre l’espérance de
profit, qu’il appelle efficacité marginale du capital, et le taux d’intérêt des emprunts. La demande
d’investissement se développe tant que l’espérance de profit est positive et supérieure au taux
d’intérêt. Les flux d’investissement sont d’autant plus élevés que l’espérance de profitest forte et que
le taux d’intérêt est faible. L’espérance de profit dépend elle-même de l’opinion que se font les
entrepreneurs sur le « climat des affaires ».
Pour les « classiques », il y a toujours un équilibre entre le montant de l’investissement et le
montant de l’épargne. Cet équilibre est assuré par le taux d’intérêt.
Pour Keynes, les décisions de consommation, et donc d’épargne, dépendent des décisions collectives
des ménages. Les décisions d’investissement dépendent des comportements collectifs des
entrepreneurs. Épargne et investissement relèvent donc de deux types de décisions distinctes prises
par des agents différents ayant des motivations indépendantes les unes des autres. Dans l’analyse
keynésienne, il n’y a donc aucune raison pour que l’épargne et l’investissement s’ajustent
22
spontanément. Keynes souligne, en particulier, que l’épargne ne sert pas automatiquement à
financer les investissements. Elle peut être « thésaurisée », c’est-à-dire retirée du circuit économique.
Cette thésaurisation traduit, de la part des ménages ou des entreprises, une préférence pour la
liquidité, c’est-à-dire une demande de monnaie. Une partie de l’épargne n’étant pas investie et étant
thésaurisée, la demande devient insuffisante par rapport à l’offre et une crise de surproduction peut
apparaître.

B. LA PRÉFÉRENCE POUR LA LIQUIDITÉ

Keynes conteste la loi des débouchés de Say (a). Pour Keynes, les acteurs économiques
peuvent détenir de la monnaie pour elle-même. Il évoque ainsi trois motifs de détention de la
monnaie (b). L’offre de monnaie ne dépend pas du taux d’intérêt, comme chez les « classiques », mais
du système bancaire (c). Une synthèse de ce qui oppose l’analyse keynésienne à l’analyse classique
est alors nécessaire (d).

1. Le rejet de la loi de Say

Pour les « classiques », en particulier Say, il ne peut pas y avoir de crises générales de surproduction
: « L’offre crée toujours sa propre demande, les produits s’échangent contre des produits. La
monnaie n’est qu’un intermédiaire des échanges. Elle est un lubrifiant qui facilite le fonctionnement
des engrenages. Selon cette analyse, la monnaie n’est désirée que pour le produit qu’elle permet
d’acheter (chapitre 5, E, c). Keynes rejette cette conception de la neutralité de la monnaie. Il
considère que la monnaie peut être demandée pour elle-même, et pas seulement pour acheter
d’autres biens. La question qui se pose est alors de savoir pourquoi les agents économiques
expriment une demande de monnaie. En d’autres termes, pourquoi ils détiennent une épargne
liquide (c’est-à-dire sous forme de monnaie) qui ne rapporte rien alors que ces liquidités leur
permettraient d’acheter des titres qui leur rapporteraient un intérêt.

2. Les motifs de détention de la monnaie

Keynes recense trois motifs de détention de la monnaie pat les acteurs économiques. ’
• Le motif de transaction. Les agents économiques gardent de la monnaie pour effectuer leurs
achats courants. Cette demande de monnaie est fonction du montant du revenu national.
• Le motif de précaution. Les agents économiques gardent de la monnaie pour faire face à des
dépenses imprévues. Cette demande de monnaie est également une fonction du niveau du revenu
national,
•Le motif de spéculation. Les agents économiques gardent de la monnaie pour espérer avoir dans
l’avenir de meilleures occasions de placement qu’aujourd’hui.
Cette demande de monnaie est fonction du taux d'intérêt. Prenons un exemple. Supposons qu’un
emprunt d’état émis à 100 F rapporte chaque année un intérêt de 10 F.
Dans ce cas, le taux d’intérêt est de 10 %. Si le cours de ce titre monte en Bourse à 200 F, le taux
d’intérêt tombe à 5 %. En effet, le nouvel acquéreur débourse 200 F et encaisse 10 F d’intérêt fixe (on
a bien 10/200 = 5 %). Si le cours baisse à 50 F, le taux d’intérêt sera de 10/50 = 20 %.
Il existe une relation inverse entre le cours des titres et le taux d’intérêt. Si les cours sont élevés (taux
d’intérêt bas), les agents économiques vont garder leur monnaie dans l’espoir d’une baisse des cours
(préférence pour la liquidité). Quand les cours sont bas, ils achètent des titres avec leur monnaie
(renoncement à la préférence pour la liquidité}.
23
Ils bénéficient alors de taux d’intérêt élevés sur les titres qu’ils ont achetés. Il est préférable d’acheter
des titres 50 F, qui rapportent 10 F d’intérêt (20 % de taux) que d’acheter des titres 200 F, qui
rapportent 10 F (5 % de taux). La demande de monnaie pour le motif de spéculation est donc bien
une fonction inverse du taux d’intérêt.

3. Offre de monnaie

Pour Keynes, l'offre de monnaie est la quantité de monnaie « offerte », c’est-à-dire mise en circulation
par le système bancaire (banque centrale et autres banques). Elle ne dépend pas du taux d’intérêt.

4. Synthèse

Le schéma 4 donne l’articulation des principales composantes de la théorie de Keynes, Cette théorie
s’oppose à celle des « classiques » sur les points suivants.

•Le niveau d’emploi ne dépend pas des salaires réels, comme dans la conception classique, mais
de la demande effective. Pour Keynes, il peut y avoir un équilibre économique de sous- emploi. Un
chômage durable, qui n’est pas un chômage volontaire, peut s’installer. »
•L’offre ne crée pas sa propre demande, c’est la demande effective, la demande attendue, qui
détermine l’offre des entrepreneurs. En ce sens, il peut exister des crises de surproduction dès lors
que la demande réelle est inférieure à la production mise en œuvre par les entrepreneurs.
• Il n’y a pas de neutralité de la monnaie. Le taux d'intérêt équilibre l’offre et la demande de
monnaie et relie l’économie réelle et l’économie monétaire. Celle-ci a une incidence sur les variables
économiques réelles, en particulier la demande d’investissement. Cette demande est liée à l’écart
entre l’espérance de profit (efficacité marginale du capital) et le taux d'intérêt.
•Il n’y a pas d’équilibre spontané sur les marchés du travail, des biens et de la monnaie conduisant
à une situation d’équilibre général. Keynes considère que les marchés ne fonctionnent pas à l’image
de la Bourse, où les offres et les demandes sont centralisées par un commissaire-priseur qui fixerait
instantanément les prix d’équilibre. Pour Keynes, les prix des biens ou les salaires ne sont pas
flexibles mais rigides à court terme. Aussi, en présence d’un chômage élevé sur le marché du travail,
d’une demande insuffisante sur le marché des biens, d’un taux d’intérêt élevé sur le marché
monétaire, une intervention de l’État peut se révéler nécessaire afin de rétablir le plein emploi et
soutenir l’activité économique

C. L’INTERVENTION DE L’ETAT

24
Pour assurer le plein emploi et assurer la croissance, Keynes préconise l’intervention de
L’État. Celle-ci peut être mise en œuvre dans le cadre d’une politique budgétaire (a) et d’une politique
monétaire (b).

1. La politique budgétaire

Pour Keynes, l’augmentation des dépenses publiques, sous forme de consommation ou


d’investissements publics, et la diminution des impôts des ménages, pour stimuler la consommation
privée, contribuent à rapprocher l’économie nationale d’une situation de plein emploi. Le budget de
l’État devient un instrument actif de la politique économique. II permet une croissance de la
demande effective. En relançant l’activité, il génère des effets d’entraînement positifs sur l’ensemble
de l’économie, effets que l’on qualifie de multiplicateurs. Dans le cas d’un surcroît d’investissement
public, le principe du multiplicateur est le suivant: cet investissement nouveau I (égal à 1 000, par
exemple) va générer des revenus nouveaux Y (égaux à 1 000) qui eux-mêmes vont générer des
dépenses nouvelles de consommation C (égales à 800 en donnant la valeur 0,8 à la propension
marginale à consommer, c). Ces dépenses sont à l’origine de revenus nouveaux (égaux à 800) qui
génèrent de nouvelles dépenses (égales à 640 soit : 0,8. 800) et ainsi de suite. Soit au total :

Y = I + cI + c2I +... = I (1 + c+c2+ ...) = I. 1/(1 - c).

Conventionnellement, on appelle k le multiplicateur d'investissement public k = 1/(1-c).


Si c = 0,8, k = 5. L'accroissement du revenu (Y) consécutif à l’accroissement de l’investissement (I)
sera de 5 fois celui-ci.
Soulignons qu’une politique de transferts en faveur des groupes sociaux qui ont une forte propension
à consommer (personnes malades, handicapées, âgées ou au chômage) s’inscrit à la fois dans le cadre
d’une conception sociale de l’intervention de l’État (l’État providence), mais aussi économique : elle
assure des débouchés pour la production et donc favorise l’emploi.

2. La politique monétaire
Pour Keynes, la politique monétaire, c’est-à-dire l’ensemble des mesures qui visent à ajuster la
quantité de monnaie en circulation à l’offre dc bien, peut contribuer à la croissance de la demande
effective. Ainsi, une augmentation de la masse monétaire provoque une baisse des taux d’intérêt, qui
stimule l’investissement et la consommation. Keynes considère que la politique monétaire, bien
25
qu’utile, n’a qu’un impact limité. Cela pour deux raisons.
•Si le taux d’intérêt est déjà très bas, toute injection supplémentaire de monnaie dans le circuit
économique ne peut le faire baisser sensiblement. Les investissements ne seront pas davantage
stimulés : l’économie tombe alors dans une trappe à monnaie.
•Si l’espérance de profit est très faible, en raison d’une perception pessimiste de l’avenir
économique, de la part des entre- preneurs, aucune baisse des taux ne sera suffisante pour inciter les
entrepreneurs à investir. La politique monétaire, dans ce cas, sera sans effet.

Chapitre 6
LES DEFINITIONS TRADITIONNELLES DE
L’ECONOMIE
L’introduction à la connaissance économique commence par une définition de la
notion d’économie (chapitre 1). Elle se poursuit par l’évocation des grands problèmes
économiques (chapitre 2). Elle se termine par la présentation des méthodes de l’économie
(chapitre 3). Cette introduction permet une meilleure compréhension des grands courants de
la pensée économique (chapitres 4 à 8). Elle invite à un approfondissement des éléments de
microéconomie (chapitres 9 à 11) et de comptabilité nationale (chapitres 12 à 13).
L’économie est une science sociale. Elle se situe entre les deux extrémités de la connaissance.
Celle-ci comprend, d’un côté, les sciences dures, comme la physique ou la chimie, de l’autre, la
poésie ou les arts. C’est une science récente. Sa définition a évolué au cours de l’histoire.
Considérée comme une science des richesses par les économistes « classiques » de la fin du XVIIIe
siècle (A), elle devient science de l’échange marchand chez les néoclassiques du XIXe siècle (B).
A U XXe siècle, elle apparait comme une science des choix efficaces (C). Aujourd’hui, une
synthèse de la notion d’économie est proposée. Elle tient compte des apports successifs des
différents économistes (D).

A. L’Économie comme sciences des richesses


1. La notion de richesses chez les « classiques »
Adam Smith, père fondateur de l’école classique, publie, en 1776, son ouvrage pionnier dont le
titre apparaît déjà comme une définition de l’économie : Recherches sur la nature et les causes de
la richesse des nations.
Robert Turgot fait paraître, en 1766, un essai sur la formation et la distribution des richesses
qui devance le célèbre traité de Smith.
Jean-Baptiste Say publie, en 1803, son Traité d ’économie politique dans lequel il cherche à
connaître « les lois qui président à la formation, à la distribution et à la consommation des
richesses ».
Selon la conception de l’école classique, l’économie serait la science qui a pour objet l’étude de la
richesse, comme la botanique est la science qui a pour objet l’étude des végétaux, l’astronomie
l’étude des corps célestes.
Si l’économie est la science des richesses, de quelles richesses s’agit-il ?
26
2. De quelles richesses s’agit-il ?
Les « classiques » ne considèrent que la richesse matérielle. Ils négligent les
services. Smith distingue le travail productif, qui ajoute de la valeur aux objets, et le travail
improductif, qui s’exerce dans le domaine des services.
Cette conception restrictive de la richesse sera reprise par Marx, notamment dans certaines
interprétations de la notion de travail improductif. Elle conduira le système de comptabilité
soviétique à ne retenir que la seule production de biens matériels comme création de richesses,
dans le cadre d’une comptabilité du « produit matériel net » (ce système de comptes a été
abandonné en 1993).
Devant la nécessité de prendre en compte les services dans l’activité économique, le champ de
l’économie s’est élargi. L’économie est devenue science des richesses matérielles et
immatérielles. Toutefois, à trop étendre la notion de richesses on risquait de lui retirer tout son
intérêt. D’où la démarche permettant de recentrer la richesse autour d’une conception simple : est
richesse tout ce qui satisfait un besoin, tout ce qui a une utilité. Mais comment mesure l’utilité ? Par
l’échange qui engendre un prix.

B. L’Économie : science de l’échange marchand

L’économie aurait pour but l’étude des fondements de d'échange, plus


précisément de l'échange marchand ou encore de l’échange onéreux.

1. La valeur des biens

Chez les économistes du XIXe siècle, qui appartiennent à l’école néoclassique, comme Walras
ou Marshall (chapitre 7), un bien ou un service n'a pas de valeur en soi, sa valeur se manifeste
seulement dans l'échange. Un bien ou un service a une valeur, une utilité, s’il satisfait un besoin.
C’est grâce aux marchés, où s‘opèrent les échanges, que l’on mesure la valeur des biens et services et
que l’on vérifie leur utilité.
De la confrontation de l’offre et de la demande sur les marchés résulte un prix. D’abord science des
richesses, l’économie devient science de l’échange, puis science des prix.

2. Une science des prix

Est économique tout ce qui peut se traduire par un prix. Ou encore, est économique
seulement ce qui peut se traduire par un prix.
A partir de cette conception de l’économie, la préoccupation des économistes va se porter
principalement sur la formation des prix et l'analyse théorique et empirique des différentes
catégories de marché.
Toutefois, cette conception de l’économie apparaît restrictive.

3. Les limites de cette définition

•D’une part, l’économie, science de l’échange ou des prix, ne s’intéresse aux activités humaines
que dans la mesure où ces activités s’inscrivent dans un rapport d’échange. Par exemple, la pratique
27
religieuse, si elle ne donne pas lieu à des échanges marchands, n’est pas considérée comme une
activité économique. Pourtant, cette pratique prend du temps qui peut être détourné d’une activité
de travail, donc d’une activité économique.
•D’autre part, les économies sans échange (sociétés primitives) ou les systèmes sans marché
(système d’économie planifiée) seraient hors du champ de l’économie. Or, ces sociétés comme ces
systèmes sont en butte à des difficultés de nature économique. Afin d’intégrer la notion de choix dans
l’analyse économique (choix entre temps de prière ou temps de travail, choix de l'affectation
optimale des ressources dans une économie planifiée), les économistes se sont penchée sur la notion
de choix efficaces.

C. L’Économie : science des choix efficaces


Lionel Robbins, dans son Essai sur la culture el la signification de la science économique (1947),
définit l’économie comme « la science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre
les fins et les moyens rares à usages alternatifs ».

1. Besoins illimités ressources rares


Cette conception s’appuie sur le fait que la rareté des ressources oblige à faire des choix.
L’homme a des besoins illimités, ses ressources ne N’étant pas, se pose un problème de choix.
C’est le cas, au niveau individuel (ou microéconomique), de l'étudiant qui doit choisir, dans le cadre
d’un budget limité, les ressources qu’il affecte aux différents postes de sa consommation (alimentation,
loisirs, culture...). C’est le cas d’un producteur qui, en fonction d’un budget restreint, doit choisir
quelles ressources il consacre aux dépenses de matières premières, de travail ou de capital (achat de
machines). C’est le cas, au niveau global (ou macroéconomique), d’un gouvernement qui s’interroge
sur l’affectation des dépenses du budget de l’Étai entre différents postes budgétaires (éducation,
défense, sécurité...).

2. Un problème d’optimisation
Le problème du choix suggère que l’étudiant, le producteur ou le gouvernement est
confronté à un problème de maximisation de sa satisfaction, de son profit ou du bien-être
social de la nation sous les contraintes qu’reposent, pour l'étudiant, son revenu ou le pouvoir
d’achat de son revenu, pour le producteur, ses ressources ou les contraintes technologiques de
son entre- prise, pour le gouvernement, le budget de l’État.
Selon cette conception, la démarche de l’économiste sera de rechercher ce que coûte la
disposition d’une unité supplémentaire d’un bien, d’un facteur de production ou d’une
dépense gouvernementale, compte tenu des ressources disponibles et du prix des biens ou des
facteurs de production considérés. Cette notion renvoie à la notion d’utilité marginale
(chapitre 7, A, a). Pour l’étudiant, une place de cinéma en plus, c'est une sortie au restaurant en
moins ; pour le producteur, l’embauche d’un salarié en plus, c’est une machine-outil en moins,
pour le gouvernement un sous-marin nucléaire en plus, ce sont des mètres carrés de locaux
universitaires en moins.

3. Une science de l’action humaine


La conception de l’économie comme science des choix est moins restrictive que celle
considérant l'économie comme science de l’échange marchand. Science des choix, elle conduit
28
à n’exclure aucun acte humain de l’activité économique.
Chaque individu adopte un comportement calculateur. Il com- pare ce qu'il gagne ä ce qu'il perd
pour chacune de ses activités. Selon cette conception, la pratique religieuse, pour reprendre cet
exemple, est une activité économique dans la mesure où l’individu compare ce qu’il gagne par
cette pratique à l’argent qu’il perd en participant au culte au lieu de travailler. La science
économique devient alors, selon l’économiste Ludwig von Mises.
(L’Action humaine, traduction française, PUF, 1985), une science de l’action humaine, ou encore une
science praxéologique (la praxéologie est la théorie générale de l’action humaine).

4. Les limites de cette définition


Cette conception, toutefois, ne permet pas de définir parfaitement ce qu’est l’économie.
•D’une part, le raisonnement qui vise à maximiser les moyens disponibles en vue de satisfaire des
objectifs n’est pas spécifique ä 1’économie. On retrouve ce raisonnement, par exemple, dans la
démarche d’un entraîneur d'une équipe sportive, qui, à l’occasion d’un match donné, va composer
l’équipe la plus performante compte tenu de son effectif disponible et de la forme de chacun de ses
joueurs.
•D’autre part, la démarche rationnelle qu’implique la science des choix s'appuie sur le
comportement d’un Homo œconomicus ce qui serait coupé de tout contexte spécial et historique.
Cette démarche rationnelle se contente, à la limite, de « robinsonnades », c’est-à-dire de l’étude de
l'activité économique d’un homme isolé sur une île (en référence à Robinson Crusoé, personnage du
livre de D. Defoe [1719]).
Afin de prendre en compte les différentes approches de l’économies qui ont contribué à l’élaboration
de la pensée économique, des définitions de synthèse de l’économie ont été proposées.

D. Définitions de synthèse

Les citations suivantes de R. Barre, P. Samuelson et E. Malinvaud, extraites de leurs manuels d’économie,
sont représentatives d’une approche synthétique de l’économie. Cette approche aborde tous les
éléments discutés précédemment : la rareté des ressources, la satisfaction des besoins, les actes
économiques fonda- mentaux (production, distribution et utilisation des biens et services produits).
Cette approche, en outre, abandonne les « robinsonnades » de la science des choix pour tenir compte
de la société et des institutions dans la définition de l’économie.

1. La définition de R. Barre
« La science économique est la science de l’administration des ressources rares. Elle étudie les
formes que prend le comportement humain dans l’aménagement de ces ressources, Elle analyse
et explique les modalités selon lesquelles un individu ou une société affecte des moyens limités à
la satisfaction des besoins nombreux et illimités » (Raymond Barre, économie politique, Paris, PUF,
coll. « Thémis », 1969, tome I).

2. La définition de P. Samuelson
« L’économie est l’étude de la façon dont l’homme et la société choisissent, avec ou sans recours à la
monnaie, d’employer des ressources productives rares qui sont susceptibles d’emplois alternatifs,
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pour produire divers biens, et les distribuer en voie de la consommation, présente ou future, des
différents individus et groupes qui constituent la société » (Paul A. Samuelson, L’Économique,
Paris, Armand Colin, coll. « U », 1972, tome I).

3. La définition d’E. Malinvaud


« L’économie est la science qui étudie comment les ressources rares sont employées pour la
satisfaction des besoins des hommes vivant en société ; elle s’intéresse, d’une part, aux opérations
essentielles que sont la production, la distribution et la consommation des biens et, d’autre part, aux
institutions et aux activités ayant pour objet de faciliter ces opérations » (Edmond Malinvaud,
Leçons de théorie microéconomique, Paris, Dunod, 1986).

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