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I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique

"Les hommes font l'histoire, mais ils ne savent pas l'histoire qu'ils font"
Karl Marx (1818-1883)

I – Brève histoire de la pensée économique


1/ L’Antiquité :
Si on accepte la définition d’Alfred Marshall selon laquelle " l’économie n’est rien d’autre que l’étude de l’humanité dans
la conduite de sa vie quotidienne ", il est évidemment arbitraire de faire débuter l’histoire de l’économie à l’antiquité,
dans la mesure où les comportements de production, de consommation, d’échanges, et même d’innovation
(agriculture, travail des métaux, etc.) sont bien antérieurs à cette période. On peut facilement admettre que ces
comportements sont apparus, puis se sont progressivement développés à l’intérieur (puis diffusés à l’ex térieur) de ces
(micro)sociétés dès leur origine, et donc bien avant l’antiquité. En fait, le point de départ retenu ici pour définir
l'économie se justifie par le seul fait que le terme économie serait apparu pour la première fois dans la Grèce antique.
Etymologiquement, le terme économie vient en effet du grec « oikonomia », (oikos : maison, et nomos : ordre ou règle).
Les grecs utilisaient donc ce terme mais dans un sens très différent du nôtre, puisque l’économie était conçue
essentiellement comme la manière d’administrer (gérer) une maison ou un domaine. Cela s’explique par le fait que les
rapports marchands étaient à l’époque beaucoup moins développés, et que ces grands domaines étaient largement
autarciques.
Du point de vue des auteurs qui – les premiers - semblent s’être intéressés à l’économie, on peut évoquer un auteur
grec célèbre durant l’Antiquité, Xénophon (élève de Socrate, vers 428-355 avant JC). C’est sans doute le premier à avoir
développé quatre cents ans avant Jésus Christ une réflexion sur un sujet économique dans des écrits, en particulier dans
« l’Oeconomique » (il s’agissait justement de réflexions portant sur la gestion d'un domaine). Il faut dire que Xénophon,
philosophe, écrivain et guerrier émérite, était aussi un riche propriétaire terrien. Le texte de Xénophon reste une
exception car pendant l’antiquité, la réflexion économique n’est pas une discipline spécifique, elle n’est pas dissociée de
la politique, de l’éthique ou plus largement de la philosophie. Pour Aristote, la philosophie est en effet la science la plus
élevée, toutes les autres (donc l’économie) lui étant subordonnées.

Zoom : Les philosophes grecs


Platon (428-348 avant JC), dans « La République », est considéré comme le premier à promouvoir une forme de
communisme (en tant que système idéal) afin de favoriser l’unité de la cité, là où la propriété privée « la divise et en fait
plusieurs ». Cette cité idéale est cependant purement conceptuelle, aristocratique et élitiste (5040 citoyens).
Aristote (384-322 avant JC), élève de Platon, ne croit pas à l’idéal communiste de son maître : « Ce qui appartient à tout
le monde n’appartient à personne ». S’il condamne également la richesse pour la richesse, dans « Politique », il se fait le
défenseur de l’économie de marché et de la propriété privée. Ces idées seront en partie reprises par les philosophes
islamiques du 7ème siècle puis par Thomas d’Aquin au 13ème siècle. Aristote s’est également intéressé aux questions
monétaires. Il semble qu’il soit le premier à définir les 3 fonctions de la monnaie, ainsi que les concepts de valeur
d’usage et de valeur d’échange. Il est également à l’origine du terme de chrématistique : attitude (condamnée par
Aristote) qui consiste à accumuler de la monnaie (richesse) pour elle-même à seule fin de satisfaire son plaisir personnel.

Pour les sociétés gréco-romaines l’activité économique est donc relativement secondaire, pour ne pas dire méprisable.
Pour les élites, seules comptent les activités sociales (politique, droit) et de l’esprit (philosophie, poésie, musique), ainsi
que l’organisation militaire et l’art de la guerre. Les activités économiques proprement dites sont largement réservées
aux esclaves, de plus en plus nombreux en tant que prisonniers de guerre (environ 600.000 en Italie en 225 avant JC sur
une population totale estimée à 4 millions). Contrairement à la révolution néolithique (entre – 12000 et – 8000) qui a
donné naissance à l’agriculture, la métallurgie, le tissage, la céramique, etc. les technologies évoluent peu s ous
l’antiquité, et selon l’historien des techniques J. Mokyr, de – 500 à + 500, la vie économique aurait été assez pauvre. En
dépit de la réalisation de grands ouvrages (aqueducs), le modèle économique de l’antiquité est peu productiviste et peu
innovant, compte tenu d’un manque d’accumulation du capital (lié notamment aux guerres et à l’esclavage), et d’une
économie davantage orientée vers les échanges (c'est d’ailleurs pour les faciliter que l’on attribue généralement aux
Phéniciens l’invention de la monnaie au VIIe siècle avant J-C). A titre d’illustration, l'empereur romain Vespasien (de 69 à
79 après J-C) a annulé un contrat intégrant de nouvelles innovations pour la reconstruction du Capitole, afin de

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préserver les équilibres sociaux et limiter la montée du chômage : « Permettez que je nourrisse le pauvre peuple »
aurait-il dit pour justifier sa décision.

2/ Le Moyen-âge
Pendant le Moyen Âge, l'économie fait partie de la théologie et de la morale, et elle reste très largement subordonnée
à cette dernière, dans le sens où l’accumulation de richesses (or, argent) est mal considérée par l’idéologie chrétienne
alors dominante (religion du « veau d’or1 » proche de la chrématistique 2 d’Aristote) : interdiction du prêt à intérêt 3
contraire à la charité, méfiance du commerce et des commerçants (en particulier les juifs), etc. Cela fait qu’à cette
époque, il y a peu d’écrits et de doctrine purement économique et pas d’analyse scientifique en économie, car le lien à
la religion est trop prégnant.
Les choses vont commencer à évoluer un peu avec le mouvement scolastique 4 qui vise à rapprocher et à réconcilier la
philosophie antique et la théologie chrétienne. Ce mouvement est notamment initié par Thomas d'Aquin (v 1224-1274)
qui traite dans ses ouvrages de la question de la propriété, du commerce et de l'usure. Pour la première fois, un
mouvement cherche à expliquer les choses plutôt qu’à les moraliser. Thomas d’Aquin opère ainsi une séparation entre
la morale et la raison (il sépare le domaine des vérités de la raison du domaine des vérités de la foi). Cette tentative de
réconciliation est cependant soumise à la hiérarchie de la pensée chrétienne et de la foi : « Si vous ne croyez pas, vous
ne comprendrez pas » (St Thomas d’Aquin 5).
En accord avec Aristote, la propriété parait juste à Thomas d'Aquin : Puisque l’homme a été fait à l’image de Dieu, il est
logique et légitime qu’il puisse s’approprier les biens matériels, pourvu qu’il ne che rche pas à les altérer. Il légitime donc
la propriété privée, en invoquant les raisons suivantes :
1° Les biens ont été créés par Dieu pour être utiles à toute l’humanité. Le propriétaire n’est qu’un
administrateur pour le compte de la communauté ;
2° L'homme est plus attentif à ce qui lui appartient en propre qu'à ce qui est commun, la gestion d'un bien est
donc mieux assurée quand une personne s'en voit confier l'administration 6. La propriété stimule donc le travail ;
3° La propriété privée garantit la paix.
L'échange et le commerce apparaissent également légitimes à Thomas d’Aquin. Toutes les formes de commerce ne sont
pas à ses yeux nécessairement malhonnêtes (exemple : nourrir sa famille). Il élabore également une théorie du "juste
prix". La valeur doit inclure le coût du travail. Le gain recherché par le commerçant n’est donc pas à envisager comme
une fin en soi, mais comme la juste récompense du travail accompli (le salaire doit permettre à l’homme honnête - y
compris au commerçant - de vivre décemment).
Si pour Aristote le travail, et plus particulièrement le travail manuel, est indigne du citoyen (ce sont les esclaves qui s'e n
chargent), Thomas d'Aquin affirme au contraire (et conformément au message de l'Evangile) que le travail est une
activité naturelle de l'homme libre. Jésus, n’était-il pas menuisier, et entouré de douze disciples qui étaient également
des travailleurs manuels ? C'est l'esclavage qui est anormal et condamnable.
Enfin, concernant l'usure (taux d’intérêt considéré comme abusif) St Thomas ne rejette pas le prêt à intérêt, en séparant
toutefois morale et droit. C’est parce que les hommes sont imparfaits que les lois humaines ont prévu l’usure, afin de
réprimer les pêchés en appliquant des peines (distinction lois humaines – loi de Dieu). Il doit cependant rester
l’exception, car l’intérêt, selon St Thomas d’Aquin, peut être considéré comme le prix du temps, or le temps
n’appartient qu’à Dieu.

1 Condamnation de l’idolâtrie et de l’argent dans la bible. Adorer le veau d'or signifie avoir le culte de l'argent, des biens matériels
2 Selon Aristote, poursuite de l'accumulation de richesses (enrichissement) pour elle-même.
3 « Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour » : Saint Luc

4 La scolastique (du mot école = scola) est un mouvement philosophique et théologique du Moyen Âge qui s'efforçait d'utiliser l a
raison naturelle, en particulier la philosophie et la science d'Aristote, pour comprendre la dimension surnaturelle de la révélation
chrétienne.
5 Il sera canonisé en 1323
6 Cette idée sera reprise plus tard par Adam Smith

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3/ La Renaissance
A l’idéal de modération du moyen âge succède la recherche de la richesse pour la richesse. Dès le XV e siècle, de grandes
familles de banquiers (Médicis en Italie) participent activement au financement des entreprises et des expéditions des
princes et des marchands. Les grandes aventures maritimes, impulsées par les princes , ouvrent l’espace et débouchent
sur l’or du nouveau monde. De nouvelles innovations rendent désormais ces expéditions lointaines possibles :
astrolabe 7, gouvernail d’étambot, caravelle, etc. En 1487, le portugais Bartolomeo Diaz franchit le cap de bonne
espérance ; en 1492 Christophe Colomb, à la recherche des épices de l’Inde, découvre sans le savoir l’Amérique ; de
1519 à 1522, Magellan réalise le premier tour du monde, prouvant ainsi la rotondité de la terre, etc. De nouveaux
documents comptables et innovations financières font également leur apparition dans les Provinces-Unies (Amsterdam)
: lettre de change, comptabilité en partie double, instruments de couverture 8 , etc.

Zoom : Le pillage de l’Amérique latine


Potosi (aujourd'hui en Bolivie) est une ville fondée en 1545 pour exploiter la mine proche (Cerro Rico). Durant près d'un
siècle, l'Europe va énormément s'enrichir grâce aux richesses accumulées par l'État espagnol : l'argent extrait de la
montagne dans des quantités colossales alimente les caisses de la couronne espagnole qui le dilapidera à son tour en
faste et en dépenses de luxe au profit des artisans européens au détriment de la production locale. Paradoxalement
l'Espagne sortit ruinée des dépenses fastueuses de la monarchie des Habsbourg, tand is que les conditions dans le reste
de l'Europe furent propices au développement industriel. Colbert écrit à cette époque : « Plus un État fait de commerce
avec l'Espagne, plus il possède d'argent ».
Selon la légende, la quantité d'argent extraite des mines de Potosi aurait suffi à construire un pont au-dessus de
l'Atlantique pour relier Potosì à l'Espagne, mais les ossements de mineurs morts dans des accidents y auraient peut-être
également suffi (6 millions d'indiens y seraient morts pendant les 3 siècle s d'exploitation).

A partir du XVI e siècle, apparaîtront des écrits économiques de plus en plus nombreux qui seront rassemblés
ultérieurement et qualifiés (de manière péjorative) de mercantilistes9. L’économie en tant que telle devient un objet
d’étude, sur fond de compétition croissante entre les Etats (Portugal, Espagne, Italie, Provinces Unies, France 10 , etc.). La
richesse apparaît comme un moyen légitime de développer le pouvoir du Souverain, en rupture avec la pensée
dominante du Moyen-Age. L’économie devient politique.
L’économie est donc désormais au service du prince et doit favoriser son enrichissement. Selon Antoine de
Montchrétien (1576-1621), à qui l’on doit le terme d’économie politique : « Ceux qui sont appelés au gouvernement des
États doivent en avoir la gloire, l'augmentation et l'enrichissement pour leur principal but ». Dans son traité
d'Oeconomie11 politique, dédié à Louis XIII et à la reine mère, il ajoute que l'enrichissement est une fin en soi : « Le
bonheur des hommes consiste principalement en la richesse ».
Cette thèse était déjà en germe chez les premiers théoriciens du protestantisme, convaincus que la dignité du travail
découle du fait que le travail de l’homme s’inscrit dans le prolongement du travail que Dieu entreprend dans le m onde
pour l’entretien de ses « créatures ». Pour Luther (1483-1546) et Calvin (1509-1564), grâce à son travail, l’homme se fait
“collaborateur de Dieu”. Cette nouvelle doctrine influencera fortement le regard porté sur l’économie, et sera ensuite
largement reprise par les économistes classiques et libéraux anglais et français 12.

Zoom : L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme


En 1905, le sociologue allemand Max Weber (1864-1920) a montré, dans un essai célèbre, L'Éthique protestante et
l'esprit du capitalisme, que le capitalisme a pu naître et se développer en s'appuyant sur les vertus individuelles prônées
par Calvin et les protestants. Il explique le formidable développement du capitalisme à partir du milieu du XVIIIe siècle,
par le développement parallèle de l'ethos13 protestante et puritaine. En effet, Weber explique que la Réforme a permis
à ses adeptes de faire sauter le tabou du travail (considéré comme avilissant chez les catholiques), en invitant les

7 Instrument d'astronomie qui permet de mesurer la hauteur d'une étoile pour déterminer la latitude d'un lieu
8 Ce qui donnera lieu aux premières crises financières (bulle spéculative de la « tulipomania »)
9 En 1908, l’historien Auguste Dubois définit le mercantilisme comme « la théorie de l’enrichissement par l’accumulation de métaux

précieux »
10 Jacques Cartier prend possession du Canada en 1534 au nom de François 1 er
11 1 ère utilisation du terme économie (1615)

12 «Enrichissez-vous par le travail, par l'épargne et la probité» Guizot (1787-1874)


13 Manière d'être, caractère

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croyants à faire pénitence devant Dieu par le travail, en accumulant les richesses sans toutefois chercher à en jouir de
manière ostentatoire. L'angoisse du calviniste ("Suis-je digne du paradis ?") est dissipée par la réussite économique,
signe d'élection divine. Mais cette réussite ne peut résulter que d'actions morales, d'une vie ascétique et austère.
Autrement dit, les calvinistes sont incités à réussir, mais pas à consommer les fruits de leur labeur, ce qui est
(évidemment) favorable à l'accumulation.

4/ Le 18èmesiècle ou la naissance du libéralisme et de l’économie en tant que discipline


autonome
A la mort de Louis XIV en 1715, la France est un pays ruiné par les guerres e t les dépenses fastueuses du « Roi soleil », et
dans lequel le peuple vit misérablement. François Quesnay (1694-1774), à l’origine médecin du roi Louis XV, conscient
de cette réalité, inscrivit en tête de son célèbre tableau économique publié en 1758 : « Pauvres paysans, pauvre
royaume ! Pauvre royaume, pauvre Roi ! ». Il place ainsi l’économie et l’agriculture au centre de ses préoccupations et
de son tableau économique, qui peut être considéré comme la première véritable tentative de modél isation de
l’économie. Sous son influence, l’économie poursuit son processus de sécularisation entamé sous la renaissance, en
devenant une discipline autonome. Les lois économiques qui sous-tendent ce courant de pensée restent néanmoins
fondées sur l’équilibre et régies par des lois naturelles, qu’elles soient physiques ou morales. Disciple de Quesnay,
Dupont de Nemours 14 (1739-1817) définira la physiocratie 15 en 1768 comme « la science de l’ordre naturel », et l’ordre
naturel comme « la constitution physique que Dieu lui même a donnée à l’univers ». La sécularisation n’est donc pas
totale, et l’économie des physiocrates reste fortement imprégnée de religion. Cette vision cosmique de l’univers fondée
sur l’équilibre et la nature deviendra un des paradigmes centraux des économistes libéraux, et les physiocrates peuvent
être considérés à ce titre comme les précurseurs du libéralisme.

Zoom : Les physiocrates (XVIIIe siècle)


Selon les physiocrates, seule l'agriculture est productrice de richesses, les artisans et commerçants ne faisant que la
faire circuler. Ces auteurs contribuent cependant, avec François Quesnay, à constituer les questions économ iques en
un champ autonome. Ils suggèrent l'existence d'une dynamique économique spécifique.

Le premier à avoir adopté une démarche véritablement scientifique à l’étude des phénomènes économiques est Adam
Smith, dans son ouvrage fondateur de 1776, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Si Adam
Smith n’a évidemment pas inventé l’économie, il est considéré comme le père de l’économie moderne. Dans la
« Richesse des nations », Smith décrit et analyse la réalité, puis propose des généralisations susceptibles d’être vérifiées
ou infirmées.
A l’instar de ses amis écossais : James Watt et David Hume 16, et français : Voltaire, Quesnay et Turgot, Adam Smith a foi
dans le progrès et dans la liberté. Pour lui et l’école classique dont il se ra le fondateur, l’économie est indissociable du
libéralisme.

Zoom : Que signifie ce terme usuellement utilisé en économie de « libéralisme » ?


Il importe de dissocier les 2 sens du mot :
- Le libéralisme peut d’abord avoir un sens politique : Il s’agit alors d’une doctrine politique prônant la liberté
individuelle. Elle repose sur l’égalité civile entre citoyens, et revendique certaines libertés publiques (d’association, de
réunion, de religion, d’expression, etc.). Libéralisme ne signifie cependant pas anarchie : il nécessite une organisation de
la société et des règles susceptibles de garantir ces libertés individuelles (il repose en particulier sur 2 principes
fondamentaux : les principes de liberté et d’égalité consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du
26 août 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (art. 1er) et « La liberté consiste à pouvoir
faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4))
- Le libéralisme peut également avoir un sens plus économique : il s’agit alors d’une doctrine proposant une
organisation de la société fondée cette fois sur les libertés économiques (libre concurrence, liberté du travail, libre
circulation des biens et des capitaux, etc.), la propriété privée, et la régulation par le marché.

14 Il émigra avec sa famille aux Etats -Unis en 1799


15 physio=nature, cratie=pouvoir : Physiocratie = Gouvernement de la nature
16 Philosophe, économiste écossais (1711-1776)

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Remarque : Dans les faits, économie de marché et démocratie politique sont le plus souvent associées. Il y a cependant
des contrexemples, comme La Chine aujourd'hui.

Cette vision résolument optimiste et idéalisée de la société incarné e par la célèbre métaphore de la « main invisible »
va cependant buter sur la violence sociale de la révolution industrielle, ce qui va nourrir à partir de la seconde moitié du
XIXe siècle une pensée critique à l’opposé de celle de Smith, et que développer a en particulier Marx (1818-1883)
d'abord dans son manifeste du parti communiste 17 (1848), puis dans son œuvre majeure : Le Capital (à partir de 1867).

Zoom : Principaux auteurs classiques


Adam Smith : Témoin de la révolution industrielle, l'auteur de La richesse des nations (1776) s'emploie à mettre au
jour les causes de l'enrichissement (on dirait aujourd'hui la croissance), en n'hésitant pas à remonter jusqu'à
l'Antiquité. Il développe ses idées à partir d'exemples concrets, comme la fameuse fabrique d'épingles, et de rappels
historiques. Celui qu'on considère comme le père du "laisser-faire" en économie, était pourtant guidé en priorité par
des considérations morales, comme en témoigne son autre ouvrage majeur, mais oublié : la Théorie des sentiments
moraux (1759).
David Ricardo : Bien qu'elle soit considérée comme un pas vers l'abstraction, l’œuvre de ce financier anglais, partisan
du libre-échange, se veut une réponse aux perturbations de son temps : la guerre avec la France, qui déstabilise la
monnaie et rompt les échanges, la mécanisation accélérée, qui crée du chômage et tend à comprimer les salaires
après la fin de la guerre. Sa théorie de la compensation, suivant laquelle la main-d’œuvre libérée par la mécanisation
trouve à s'employer ailleurs, contribue à dissocier la dynamique économique liée au progrès technique de ses
conséquences sociales.

5/ La Révolution néoclassique de la fin du 19 ème siècle


Au milieu du 19ème siècle, les idées de Marx ont pénétré la société et l’économie , et imprégné les événements
révolutionnaires de 1848 et la commune de 1870 en France, en fournissant aux socialistes d’alors les outils politiques
d'une théorie économique fondée sur la lutte des classes. Pour les néoclassiques, il s’agit de rompre avec cette vison
idéologisée de l’économie, et d’affirmer la neutralité de l’économie. Il s'agit donc avant tout d'établir des lois, des
modèles même si ces derniers n’ont pas d’abord vocation à décrire le réel . A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème
ces néoclassiques18 reprennent et systématisent la démarche scientifique initiée par les classiques. Sous leur impulsion,
l’économie devient une discipline abstraite centrée sur l’individu (approche microéconomique), et calquée sur les
sciences exactes comme la physique de Newton, les derniers développements des mathématiques, les sciences de
l’ingénieur. La modélisation mathématique devient l’outil privilégié de la discipline, et veut démontrer qu’un équilibre
spontané est possible, afin de confirmer scientifiquement l’intuition d’Adam Smith. Comme les classiques, les
néoclassiques restent attachés à une conception « horlogère » du monde fondée sur l’équilibre et la conservation. Ainsi,
pour Walras, L’économie est comme l’astronomie, la mécanique, une science à la fois expérimentale et ration nelle.
L’économie politique s’efface, la science économique s’affirme avec les néoclassiques.

6/ La naissance de la macroéconomie au 20 ème siècle :


Cette évolution de l’économie vers une science exacte se poursuit tout au long du 20ème siècle. Les turbulences
économiques de l’entre deux guerres vont cependant faire naître des interrogations quant à la portée pratique de la
théorie néoclassique. La microéconomie se révèle alors incapable d’expliquer des phénomènes comme le chômage de
masse et elle ne peut proposer de remèdes à la crise économique et sociale de l’époque (crise de 1929). Contrairement
aux dires des libéraux, le système économique ne tend pas vers un équilibre spontanément, il peut même être menacé
de chaos, d’entropie. Il doit donc être régulé pour être conservé, c’est la révolution keynésienne.
En 1936, l’œuvre fondamentale de John Maynard Keynes : Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie
introduit de nouveaux paradigmes. Elle impose une nouvelle approche, la macroéconomie, qui va venir se superposer à
l’approche néoclassique. La macroéconomie, en s’attachant aux phénomènes économiques au niveau de la société, est
d’emblée plus opérationnelle. Elle ouvre la voie à la politique économique, c'est-à-dire à l’intervention « palliative » des
états dans l’économie, et à la comptabilité nationale 19 , qui fournira des agrégats utiles à la compréhension des
phénomènes globaux (ex : PIB).

17 Écrit en collaboration avec Friedrich Engels


18 L’expression est utilisée la première fois par l’économiste Thorstein Veblen (1857 – 1929)
19 Les premiers développements de la comptabilité nationale datent cependant des physiocrates

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Keynes ne s’oppose pas au capitalisme : « J’estime – écrit-il – que le capitalisme, à condition d’être sagement conduit,
est probablement capable d’être rendu plus efficace dans la poursuite d’objectifs économiques que tout autre système
actuellement en vue ». Mais il dit également dès 1924 : « J’introduis l‘Etat, j’abandonne le laissez-faire ». Cette position
n’allait pas de soi. Dans les années 30, Andrew Mellon, secrétaire du Trésor américain du président Hoover, pensait que
le gouvernement devait rester totalement à l’écart et laisser la crise économique faire son œuvre : « Liquider le travail,
liquider les actions, liquider les agriculteurs, liquider le secteur de l’immobilier ». M. Mellon insistait sur le fait que,
lorsque les gens sont intoxiqués par l’inflation, le seul moyen de les en guérir, c’est de la laisser s’effondrer. Il affirmait
que même une panique boursière n’était pas forcément une mauvaise chose : « Cela purgera la pourriture qui infecte le
système. Le coût de la vie trop élevé et le niveau de vie excessif baisseront. Les gens travailleront plus dur, ils mèneront
une vie plus morale. Les valeurs trouveront un niveau d’ajustement et les gens entreprenants ramasseront les débris
abandonnés par les moins compétents ». Cette philosophie n’était pas très éloignée de celle de la France à la même
époque (programme déflationniste de Laval, 1935), et était largement partagée en Europe.
C’est surtout au sortir de la guerre, et paradoxalement après la mort de Keynes en 1946, que le keynésianisme va voir
son influence renforcée au sein des pays occidentaux, et ce jusqu’à la crise des années 70. Cette dernière offre alors une
revanche aux économistes libéraux.

Zoom : John Maynard Keynes (1883-1946)


Keynes développe sa contestation de la construction idéologique des néoclassiques à partir d'une analyse de la crise
de 1929 et de ses conséquences, dont il fut témoin. Tout en s'inscrivant dans la tradition marshallienne (il fut élève
de Marshall), il démontre qu'il existe des équilibres macroéconomiques de sous-emploi et que, pour en sortir, il faut
un changement de comportement - moins d'épargne et davantage d’investissement et de consommation. Pour lui,
l'économie ne tend pas spontanément vers l’équilibre, mais est, au contraire, en permanence le lieu de déséquilibres
successifs.
Keynes n’en est pas moins un libéral (au sens politique du terme), il croit à l’individualisme, pour peu qu’il soit
débarrassé de ses excès et de ses défauts. Il est resté toute sa vie un opposant sans concession de Marx, qu’il a
toujours considéré comme un piètre penseur. En 1926, dans une lettre ouverte au ministre français des Finances de
l'époque, il estimait impossible que les prélèvements publics puissent dépasser 25 % du revenu national.

A la même époque, l’URSS développe un modèle économique alternatif, d’inspiration marxiste -léniniste, caractérisé
notamment par la mise en place de systèmes économiques centralisés ou planifiés. Au-delà même des pays
communistes, la planification s’impose comme un des outils de la politique économique, comme en France avec la
planification indicative créée en 1946 au sein du commissariat général au plan (et confiée à Jean Monnet).
Enfin, la décolonisation qui s’engage à partir des années 60 met en avant des problématiques nouvelles, celles du
développement qui deviennent naturellement un sujet de réflexion pour les économistes. Dans l’ombre de l’URSS, de
nombreux pays choisissent alors la voie socialisante (Algérie, Egypte, pays d’Afrique subsaharienne).

7/ De la fin des années 70 à aujourd’hui :


Sous l’influence des travaux de Hayek (prix « Nobel » d’économie 1974) et de Milton Friedman (prix « Nobel »
d’économie 1976), une nouvelle génération d'économistes libéraux ( NEC) entre en guerre, dès les années 60, contre
l'action de l'Etat dans l'économie (critique du « Welfare State »). Peu entendus au début (« Nous sommes tous
keynésiens » avait encore clamé Richard Nixon en 197120), la stagflation21 des années 70 réhabilite les thèses libérales.

Zoom : La fin de l’ère keynésienne


« En donnant indûment aux gouvernements le sentiment que, par l'investissement, ils avaient le moyen de procurer
l'expansion désirée et de bannir le chômage honni, la doctrine du plein-emploi a ouvert toutes grandes les vannes de
l'inflation et du chômage. Elle est en train de détruire sous nos yeux ce qui subsiste de la civilisation de l'Occident ».
Jacques Rueff (économiste libéral, 1896-1978) – Le Monde, février 1976

20 “En un sens, nous sommes tous keynésiens aujourd’hui ; en un autre sens, personne n’est plus keynésien.” Milton Friedman
(février 1966)
21 Contraction de stagnation (économique) et d’inflation

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La pensée économique orthodoxe (libérale) s’impose ainsi progressivement dans le monde à partir de la fin des années
7022. Ronald Reagan, élu président des USA élu en 1980 dira ainsi lors de son discours d'investiture : « Ne demandez pas
à l'Etat de résoudre votre problème, car votre problème c'est l'Etat ». Cette pensée libérale va depuis cette date non
seulement chercher à isoler le champ de l'économie des autres sciences sociales, mais à intégrer (dissoudre ?) le social
dans l’économie. Gary Becker (prix « Nobel » d’économie 1992) prétend ainsi utiliser l'analyse microéconomique pour
expliquer tous les comportements sociaux et psychologiques (école du public choice). Cette hégémonie de la pensée
« néolibérale » a culminé jusqu’à la fin de la « mondialisation heureuse » au début des années 2000.
La fin du 20ème siècle est en effet marquée par un processus croissant d’intégration des économies ( globalisation) tant
sur les plans productif (Chine = "Usine du monde") que financier, conduisant ainsi à une mondialisation des chaînes de
valeur (DIPP) et à un déplacement du cœur de l’économie monde vers l’Asie. De nouvelles problématiques émergent à
nouveau, comme celle d’une nouvelle gouvernance pour tenir compte de cette nouvelle complexité (Edgar Morin). Les
institutions internationales issues de la libération (FMI, banque mondiale, ONU, etc.) atteignent en effet aujourd’hui
leurs limites, et doivent repenser leurs missions. La financiarisation des marchés et la crise des subprimes à partir de
l’été 2007 déstabilisent également les pays les plus développés, les obligeant à rechercher de nouvelles régulations
(taxe GAFA, lutte contre la fraude fiscale). Le récent Brexit interroge également sur la nécessité (ou non) d’une
intégration plus poussée au niveau européen, et notamment au sein de la zone euro, le tout sur fond de crise
écologique et de réchauffement climatique et de tensions géopolitiques et commerciales.
La crise sanitaire qui sévit depuis le printemps ajoute encore à l’incerti tude : Nouvelle accélération du chômage (autour
de 11% en France aujourd’hui), forte chute de la croissance (- 10% cette année en France ?), explosion de l’endettement
public et privé (entreprises), etc. Pour endiguer la crise économique et sociale qui vie nt, l’Europe et le monde vivent
aujourd’hui un nouveau « moment keynésien ».

II – Les principaux courants de pensée


Comme cela a été dit précédemment, l’économie ne va véritablement commencer à conquérir son autonomie qu’à partir
de la renaissance, marquée dès son début par les grandes découvertes (1492). Celles-ci vont évidemment éclairer les
questions économiques d’un jour nouveau, et contribuer à faire émerger de nouveaux paradigmes.

A- Les mercantilistes 23 :
Le Mercantilisme est une doctrine des économistes des 16ème et 17ème siècles. Il repose sur un état fort et centralisé, dont
l’objectif prioritaire en matière de politique économique est la maximisation de la richesse de l'Etat (ou plutôt du
souverain).

Il existe cependant plusieurs écoles mercantilistes qui se différencient principalement par la façon d’obtenir cette
accumulation de richesses :
 Le mercantilisme espagnol : La course aux excédents extérieurs. On l'appelle aussi parfois le "Bullionisme" (de
l'anglais "bullion" = lingot). Pour ce mouvement, l'augmentation de la richesse se fait par accumulation d'or et
d'argent. Le protectionnisme est préconisé en matière de politique commerciale : Limitation des importations et
développement des exportations.
 Le mercantilisme français : L’état et la politique industrielle. Le mercantilisme français est représenté par des
hommes tels que Jean Bodin (1530-1596), Antoine de Montchretien (1575-1621) ou Jean Baptiste Colbert
(1619-1683). Il s'agit toujours d'enrichir l'Etat, mais par un développement industriel dirigiste de l’Etat (appelé
« colbertisme »). L'Etat doit donner l'exemple en créant de grandes activités comme par exemple des
manufactures royales. Colbert a d’ailleurs considérablement modernisé l’économie française en mettant en
place pour la première fois une véritable politique industrielle en France. Il va ainsi développer l'industrie en
créant des manufactures d'État (tapisseries de Beauvais, des Gobelins) ou privées (glaces de Saint -Gobain, draps
à Abbeville et Sedan, soieries de Lyon) dotées de privilèges à l'exportation. Ces nouvelles industries étaient
protégées de la concurrence étrangère grâce à des droits de douane très élevés.

22 "Trade but not aid" s’est imposé dans les dynamiques de développement vis-à-vis des PVD au début des années 80
23 Nom donné a posteriori dans un sens péjoratif par Adam Smith (le système mercantile = fondé sur le profit par le commerce)

Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 7


I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
Pour les mercantilistes français, la richesse trouve essentiellement sa source dans les profits des marchands et
des manufacturiers. Ces excédents sont au service de la puissance du pouvoir politique, afin de renforcer la
position du pays dans la hiérarchie des nations.
L’abondance de la main d’œuvre est une condition qui doit permettre à l’état d’être puissant militairement, et
de développer le commerce et l’industrie ("Il n'est de richesse ni force que d'hommes ". Jean Bodin). Les
mercantilistes sont donc populationnistes, c'est-à-dire favorables à l'augmentation de la population dans un
pays. Cela permet d'obtenir la main-d’œuvre nécessaire, ce qui favorise le développement de l'industrie et du
commerce, notamment des exportations. Un siècle plus tard, un auteur comme Malthus aura une position
beaucoup plus critique.
 Le mercantilisme anglais : Leurs auteurs font l'apologie de l'enrichissement par le commerce en général et le
commerce maritime en particulier. Ils se démarquent cependant déjà sur plusieurs aspects du mercantilisme
proprement dit, et on peut considérer qu’ils amorcent une transition vers le libéralisme (les mercantilistes
anglais considèrent comme bénéfique l'exportation de produits ouvrés et l'importation de matières premières).
A l’inverse, il faut selon eux restreindre et même prohiber l'importation de produits manufacturés et
l'exportation de matières premières.

Zoom : Le mercantilisme est loin d’avoir perdu toute actualité


- Dans les pays riches : la tentation protectionniste reste forte : volonté de limiter les importations, notion de
« patriotisme économique », dévaluations compétitives voire « guerre des monnaies », débat sur la
« démondialisation », retour du protectionnisme commercial (droits de douane, USA), etc. Parallèlement, l’innovation
est encouragée pour développer les exportations à fort contenu en valeur ajouté e (économie de la connaissance).
Pendant plusieurs décennies, la Chine a été un exemple emblématique de ce néo-mercantilisme : Forte présence de
l’état et de la politique industrielle, main d’œuvre abondante et encore relativement bon marché, protectionnisme,
monnaie administrée et sous-évaluée pour stimuler les exportations, espionnage industriel et non respect des droits de
propriété, accumulation d’excédents en $, etc. Les USA (et l’Union Européenne) semblent renouer aujourd’hui
également avec ces pratiques protectionnistes.

Transition : La thèse centrale du mercantilisme a été beaucoup attaquée (et même ridiculisée) par le courant classique
qui lui a succédé (et en particulier Adam Smith). La possession par l'Etat de l'or et de l'argent n'est en effet pas
nécessairement une garantie de développement. Le déclin économique de l'Espagne en dépit de ses richesses
immenses obtenues par le pillage de l'Amérique latine l’atteste. Cet exemple montre en effet qu'un accroissement de la
masse monétaire n'entraîne pas nécessairement le développement économique d'un pays, si les richesses ne sont pas
introduites dans le circuit économique (ce qui a été le cas de l'or espagnol). Elle a en revanche été source d’inflation.

B- Le courant libéral :
Le courant libéral est le fondateur de la théorie économique moderne. Il s’impose progressivement à partir de la seconde
partie du 18ème siècle (notamment en France) et domine le 19ème siècle. Même s’il a été contesté à partir de la seconde
moitié du 19ème siècle par l'émergence de la pensée marxiste, il reste néanmoins le courant dominant jusqu'à la crise de
29. Après la 2nde guerre mondiale, il perd de son influence, et ne retrouve une place dominante qu'à partir de la fin des
années 70, sous l’influence des monétaristes. Ce sera le néolibéralisme. Si ce dernier a dominé la théorie économique
jusqu’aux années 2000, et su rester influent après la crise financière des subprimes (2008-2009), il est aujourd’hui de plus
en plus contesté sur fond de crise systémique (économique, sanitaire, écologique et climatique..).
Le courant libéral est constitué de différentes écoles de pensée qui sont autant de strates accumulées depuis le milieu du
18ème siècle.

1/ Les physiocrates
Littéralement, "physiocratie" signifie "gouvernement" (du grec Kratos) par (ou de) la nature ("physio").
La physiocratie est l'un des plus importants courants d'idées du 18ème siècle et cela en dépit d'une durée de vie assez
brève (de 1750 à 1770), soit 20 ans. Le courant physiocrate apparaît en effet en 1758, avec la parution du Tableau
économique de Quesnay et s'efface après la parution de la Richesse des Nations d'Adam Smith en 1776.
Ce courant de pensée économique préclassique a, en France, pour représentants les plus illustres : Outre Quesnay,
Mirabeau, Dupont de Nemours, Turgot (ministre de Louis XVI). Il n’est pas faux de dire que les physiocrates français sont
de ce point de vue les précurseurs du libéralisme.
Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 8
I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
L'époque de la Physiocratie a servi de trait d'union entre le mercantilisme et l'économie politique moderne. Elle a
permis "une libération nécessaire de la pensée et de la réglementation étouffante du mercantilisme ".

Zoom : La libéralisation du commerce des grains


Elle fut décrétée par un édit de Turgot (ministre de Louis XVI) en 1774 sous l'influence des physiocrates. Elle fut de
courte durée, notamment en raison de la guerre des farines, une série d'émeutes qui conduisirent Turgot à rétablir le
contrôle des prix du grain, tandis que les classes populaires dénonçaient un « pacte de famine » passé entre le roi Louis
XVI et les spéculateurs ou autres « accapareurs ». Il s'agit là d’une des premières tentatives de libéralisation de
l'économie française et peut-être aussi des premiers soubresauts de la révolution de 1789 ….

C'est une doctrine économique qui peut être résumée à trois propositions :
- La première proposition est qu'il existe un ordre naturel gouverné par des lois. « Le monde est gouverné par des
lois physiques et morales qui sont immuables » (F. Quesnay). Le rôle des économistes est de comprendre, de révéler
les lois de la nature telles qu'elles opèrent dans la société et dans l'économie 24. Pour les physiocrates il y a des lois
économiques, au même titre qu'il y a des lois physiques ou biologiques.
- La seconde proposition est que le devoir des hommes, et en particulier des gouvernants, est de se soumettre à ces
lois en interférant aussi peu que possible dans l’économie. Après deux siècles de mercantilisme, marqués par un
interventionnisme fort de l’état, le mouvement physiocrate s’inscrit résolument dans un cadre libéral de
désengagement de l’état.
- La troisième proposition est que la physiocratie est un courant qui reflète une économie dominée par l'agriculture.
Pour les physiocrates, seule l'activité agricole est productive. « La terre est l'unique source des richesses, et c'est
l'agriculture qui les multiplie » F. Quesnay. Ce « paradigme agricole » s’explique par le fait qu’à cette époque, plus
des 3/4 du revenu national proviennent de l'agriculture, même si celle -ci connaît cependant les prémices d'un
déclin. La physiocratie apparaît donc comme une réaction contre ce déclin.

Zoom : Maximes générales du gouvernement économique d’un royaume agricole (extrait)


- Que la nation soit instruite des lois générales de l'ordre naturel qui constituent le gouvernement évidemment le
plus parfait.
- Que le souverain et la nation ne perdent jamais de vue que la terre est l'unique source des richesses, et que c'est
l'agriculture qui les multiplie.
François Quesnay – 1760 - Extrait

2/ Les classiques (1770-1850)


Ce courant de pensée est contemporain des Révolutions Industrielles (1782 – machine à vapeur de James Watt 25) et
accompagne l'essor du capitalisme. Les principaux représentants de ce courant sont Smith, Ricardo, Malthus, Say (en
France), etc.

L'analyse de l'école classique repose sur quelques propositions fondamen tales que l'on peut résumer ainsi :
1) La concurrence est à la base du fonctionnement efficace des économies.
2) Les décisions d'investissement et de production sont d'autant plus efficaces qu'elles sont prises par ceux qui les
financent, non seulement grâce à leur argent, mais aussi grâce à leur talent et leur travail. Autrement dit, les
décisions d'investissement et de production sont d'autant plus efficaces qu'elles sont prises par des entrepreneurs
privés, plutôt que par l'Etat, ou même (pourrait-on ajouter par référence au capitalisme managérial qui est apparu
seulement au 20ème siècle), par des cadres supérieurs salariés qui n'ont aucune part dans le résultat de l'entreprise.

« On ne peut pas attendre des régisseurs de l’argent d’autrui qu’ils apportent dans le maniement de leurs affaires,
autant de vigilance que s’ils employaient leur propre argent ! »
(Adam Smith - 1776, La richesse des nations)

24 Approche positive de l’économie


25 Adam Smith est un ami de James Watt
Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 9
I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
3) La propriété privée est donc la condition d'un fonctionnement efficace des marchés.
4) Il y a des activités productives et d'autres qui sont improductives. Les activités productives engendrent un surplus
net, c’est à dire que ces productions sont seules à l’origine de la création des richesses. Les activités improductives,
notamment celles qui sont organisées par l'Etat, ne peuvent être entretenues que grâce au surplus des activités
productives.
5) La croissance des économies dépend de sa capacité à réinvestir les surplus dégagés par les activités productives. Si
celles-ci sont absorbées (ou plus qu'absorbées) par les activités improductives, il ne restera rien pour
l'investissement, de sorte que le produit national sera condamné à la stagnation ou au déclin.
6) L'Etat doit intervenir le moins possible dans l'économie. Le rôle de l'Etat est réduit à la notion "d'Etat gendarme", il
doit se limiter à ses fonctions régaliennes.

L'économie politique classique est représentée par les économistes suivants :


 Adam Smith (Ecosse, 1723-1790) à qui l'on doit la fameuse "main invisible" (Chacun en poursuivant son intérêt
individuel contribue au bien être collectif). Pour Smith, lorsqu'un pays s'enrichit, tout le monde doit en profiter.
A travers la fabrique d’épingles, il pense que la prospérité des entreprises passe par une individualisation des
tâches (division du travail) en son sein (idée qui sera reprise ensuite par Taylor dans sa fameuse OST).

Zoom : La parabole du boucher


« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner,
mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ».
Adam Smith – La richesse des nations

Smith n’est cependant pas partisan d’un laisser-faire intégral, et considère que l’état a un rôle de régulateur à jouer
(ex : Smith reconnaissait que les employeurs disposaient d’un avantage sur les salariés en matière de conflits du
travail). Il se définissait lui-même comme un philosophe moral : l'idée qui prédomine chez Smith (en France chez
Guizot), est que la loi doit dicter les règles du jeu, car c'est ainsi que l'État peut encourager la responsabilité
individuelle et l'esprit d'entreprise.

Première théorie du commerce international : La loi des avantages absolus


Selon Adam Smith, chaque pays est plus efficace que les autres dans la production d'un bien au moins. Le pays en se
spécialisant dans la production de ce bien (ce qui signifie l'abandon de la production d’autres biens), approfondit la
division du travail et ainsi la liberté des échanges va accroître le bien-être de l'ensemble des pays. C'est l'avantage
absolu dans la production d'un bien qui détermine la spécialisation de chaque pays. En s'appuyant sur le concept de
coût d'opportunité 26, Smith démontre que le libre-échange conduit à la meilleure allocation des ressources
nationales et que, par conséquent, le protectionnisme, qui interfère avec cette allocation optimale, réduira
forcément le revenu national. De plus, la division du travail est contrainte par la taille du marché, et le libre-échange
permettra d'étendre le marché et d'approfondir la division (aujourd’hui internationale) du travail.

Zoom : Limite de l’analyse d’Adam Smith


Etant donné le fait que les agents économiques s'engagent dans des activités en fonction de leurs seuls intérêts
individuels, comment ces coordinations spontanées peuvent-elles permettre au système non seulement de survivre,
mais aussi se révéler plus efficace qu'un autre système régi ou régulé par l'État ? En d'autres termes, la somme des
intérêts individuels conduit-elle nécessairement à l'intérêt général ? A défaut de véritablement démontrer sa théorie,
Smith est plutôt un plaideur (de l’économie de marché), sinon un prêcheur (connotation religieuse).

 David Ricardo27 (Angleterre, 1772-1823) à qui l'on doit les théories de la valeur et de la rente, ainsi que la loi
des avantages comparatifs.
Ricardo (qui sera suivi par Marx) croit repérer dans la val eur d’une chose la quantité de travail employée à sa
fabrication. Lorsque les individus échangent des marchandises, ils échangeraient en réalité le travail "incorporé

26 Le coût d’opportunité est le manque à gagner potentiel entre deux investissements ou deux types de financement.
27 Agent de change puis riche propriétaire terrien, membre de la chambre des représentants

Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 10


I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
" dans ces marchandises. Il suffirait de compter ce travail, par exemple en heures d'ouvriers, pour déterminer le
prix " juste " (théorie de la valeur travail).
En matière de commerce international, selon Ricardo, ce n'est pas l'avantage absolu qui compte mais l'avantage
relatif (ou comparatif). Autrement dit un pays, qui est moins efficace que les autres pays dans la production de
tous les biens qui peuvent être échangés, sera relativement moins inefficace dans la production d'au moins un
bien. En exploitant cet avantage comparatif, c'est-à-dire en se spécialisant dans la production de ce bien, le
libre-échange se révélera préférable à l'autarcie. D'autres hypothèses fondent le modèle : concurrence pure et
parfaite, existence d'un seul facteur primaire par pays, coûts de production fixes (totalement indépendants de
l'échelle de production et des effets externes).

 Thomas Malthus (Angleterre, 1766-1834) et la loi de la population (elle croît à un rythme exponentiel alors que
la production agricole croît au mieux à un rythme arithmétique. Inexorablement, la famine revient (« Au grand
banquet de la nature, il n'y a point de couvert vacant pour lui »). Plutôt que ce soit la mort d’une partie de la
population qui régule le système, le puritain Malthus prône la modération sexuel le pour éviter cette calamité
(d’où le nom de malthusianisme à toute politique de limitation des naissances).

Population

Ecart croissant

Richesses

En matière de libre-échange, Malthus a une position nuancée. S’il s’est déclaré favorable au libre-échange, il
formula néanmoins deux arguments en faveur des restrictions au commerce du blé : tout en acceptant
l'argumentation ricardienne en faveur du libre-échange, il craignait tout d'abord qu'en cas de mauvaises
récoltes les pays exportateurs de blé ne restreignent leurs ventes, à un moment où l'Angleterre, trop
spécialisée, ne pourrait plus développer cette culture.

 Jean-Baptiste Say28 (France, 1767-1832), industriel et libéral, disciple et vulgarisateur des idées d’Adam Smith,
son maître à penser. Il est surtout connu pour la fameuse loi des débouchés : l'offre crée sa propre demande.
Plus l'entreprise produit, plus la redistribution vers les salariés et les actionnaires est importante, favorisant
ainsi une augmentation de la demande.

Zoom : La loi de Jean-Baptiste SAY


La problématique des classiques porte principalement sur la question de la formation des richesses. Leur analyse est
donc centrée sur l’offre, considérant que tout produit répond à un besoin.
Jean Baptiste Say pose en principe que tout produit crée des débouchés pour d’autres produits. Chaque fois qu’un
producteur augmente son activité, il crée en même temps de nouveaux débouchés pour ses fournisseurs, il rémunère
de nouveaux salariés et crée un surcroît d’activité pour ses distributeurs.
Cette « loi de Say » ne veut toutefois pas dire que tout produit trouve nécessairement une demande, ou comme l’a
interprété Keynes que « l'offre crée sa propre demande ». Il peut y avoir surproduction de tel ou tel bien, mais pas de
surproduction ou de crise généralisée et durable. Si un produit ne trouve pas preneur, ses producteurs cesseront de le
produire et réorienteront leurs ressources vers d’autres productions.

28 Penseur insipide et fade pour Marx


Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 11
I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
 John Stuart Mill (Philosophe et économiste anglais, 1806-1873) et l'utilitarisme
L'utilitarisme est un système de pensée qui établit la « maximisation de l’utilité » personnelle comme objectif
premier de l'action individuelle. Mill considère que ce qui est utile est bon et que l'utilité peut être déterminée
de manière rationnelle. L'utilitarisme est fondé sur le seul critère de l'optimisation du "plus grand bonheur
possible pour le plus grand nombre de personnes", postulant que le bien-être de tous est un bien pour
l'ensemble des hommes. La morale de Mill substitue à l'intérêt particulier de Smith l'intérêt général comme
critère de l'action éthique. Son principe directeur est la recherche du bonheur général, ainsi peuvent être
justifiés le dévouement à autrui et le sacrifice, susceptibles d'augmenter la somme totale de bonheur.
Sur le plan économique, John Stuart Mill fut un adepte du libéralisme (Principes d'économie politique, 1848).
Son œuvre s’inspire largement des travaux de Jeremy Bentham. Sur le plan politique, ce libéralisme est
cependant tempéré par le soutien que Stuart Mill apporte à la cause ouvrière, en pleine révolution industrielle.
Il appelle l’état à mettre en œuvre l’éducation universelle gratuite pour les familles les plus modestes, affirme
vouloir améliorer les conditions de travail et augmenter les salaires les plus bas. Certains voient ainsi en lui un
des fondateurs du social-libéralisme.

 Frédéric Bastiat (France, 1801-1850) ou l'apologie de l'économie de marché. Economiste, pamphlétaire et


polémiste, ardent défenseur de l'économie de marché et farouche opposant au protectionnisme et à l’état
« spoliateur ». Marx voyait en lui : « le représentant le plus plat de l’économie apologétique ». En opposition à
Ricardo mais en accord avec JB Say, Frédéric Bastiat défend la valeur utilité et se place d’abord du point de vue
du consommateur, et non du producteur. Au nom de ce libéralisme, il fut également un défenseur du droit
syndical, un opposant à l’esclavage et à la peine de mort.
"Détruire la concurrence, c'est tuer l'intelligence", "L'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde
s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde" (l’état est considéré comme un Léviathan, monstre froid et
dangereux évoqué dans la bible). Frédéric Bastiat postule que le libéralisme conduit à une société plus prospère,
plus progressiste, plus juste et plus heureuse.

A travers la célèbre pétition des fabricants de chandelles (1845), Frédéric Bastiat dénonce également de manière
ironique et humoristique toute forme de protectionnisme, à travers celui dérisoire des producteurs de chandelles :
« Nous subissons l'intolérable concurrence d'un rival étranger placé, à ce qu'il paraît, dans des conditions tellement
supérieures aux nôtres, pour la production de la lumière, qu'il en inonde notre marché national à un prix fabuleusement
réduit ; car, aussitôt qu'il se montre, notre vente cesse, tous les consommateurs s'adressent à lui, et une branche
d'industrie française, dont les ramifications sont innombrables, est tout à coup frappée de la stagnation la plus complète.
Ce rival, qui n'est autre que le soleil, nous fait une guerre (si) acharnée […] Nous demand ons qu'il vous plaise de faire une
loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, abat-jour, contrevents, volets, rideaux, vasistas, œils-de-bœuf,
stores, en un mot, de toutes ouvertures, trous, fentes et fissures par lesquelles la lumière du s oleil a coutume de pénétrer
dans les maisons, au préjudice des belles industries dont nous nous flattons d'avoir doté le pays, qui ne saurait sans
ingratitude nous abandonner aujourd'hui à une lutte si inégale. […] Et d'abord, si vous fermez, autant que po ssible tout
accès à la lumière naturelle, si vous créez ainsi le besoin de lumière artificielle, quelle est en France l'industrie qui, de
proche en proche, ne sera pas encouragée ? »

3/ La période néoclassique (1870-1929)


L'école néoclassique a renouvelé de façon profonde et durable l'analyse économique. C'est un nouveau paradigme qui se
met en place et qui fait encore autorité aujourd'hui puisque les « raffinements » mathématiques de l'analyse
néoclassique sont toujours enseignés. Cette influence est aussi valable pour la macroéconomie, qui au départ a
profondément subi l'influence keynésienne, mais qui par la suite est revenue en partie dans le "camp" néoclassique, tant
sous l'influence de la "nouvelle économie keynésienne" (NEK), qui ne renie pas certains concepts néoclassiques, que sous
l'influence de la "nouvelle économie classique" (NEC), qui fait un retour en force aux analyses néoclassiques.

Il existe plusieurs courants au sein du mouvement néoclassique, qui ont rayonné partout en Europe à la fin du 19ème
siècle, et qui ont, chacun à leur niveau, contribué à la mise en place du corpus théorique néoclassique. Ces différentes
écoles sont : l’école anglaise, l'école de Lausanne (qui compte notamment dans ses rangs le français Léon WALRAS -
1834-1910), l’école française, et enfin l'école autrichienne.

Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 12


I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
Pour les néoclassiques, la formation de la valeur se réalise à travers l'échange, remettant en cause la théorie de la
valeur fondée sur le travail (Ricardo, Marx). De façon un peu caricaturale, on a parfois tendance à réduire l'école
néoclassique de la valeur au croisement d’une courbe d'offre (croissante) et d’une courbe de demande (décroissante) .
On doit cette représentation géométrique à Alfred Marshall (croix de Marshall).

De façon plus précise, les traits suivants caractérisent une bonne part des analyses néoclassiques :
1. Une définition restrictive du champ de l'analyse économique : On se situe dans une perspective microéconomique
où les agents économiques sont en situation d’isolement (relation homme -chose), l’économie apparaît donc
« désencastrée » du social (critique de Karl Polanyi).
2. L'économie apparaît comme une science de l'allocation optimale des ressources par le marché : les ressources
étant fixées, l'analyse néoclassique se concentre sur leur allocation optimale, c'est-à-dire la répartition la meilleure
possible entre les agents économiques. Cette allocation optimale se fait à travers l'échange volontaire des ressources
entre les agents économiques, par l'intermédiaire d'un mécanisme de marché et la fixation de prix.

Zoom : Le cas particulier de l’ordolibéralisme allemand (1932)


Sans remettre en cause le marché, l’ordolibéralisme ne croit pas que la concurrence puisse être spontanément efficace,
il faut donc que l'Etat intervienne pour donner un cadre au système et organiser la concurrence. On doit ce courant de
pensée à l’école de Fribourg (1928), il s’est imposé après la période d’hyperinflation que l’Allemagne a connu dans les
années 20. Il est incarné aujourd’hui en Europe par Angela Merkel, à travers notamment l’indépendance de la BCE, la
règle d’or budgétaire.

Les néoclassiques aujourd'hui : L’économie expérimentale


La théorie économique néoclassique vit depuis la crise ses subprimes des jours plus difficiles. L’autorégulation des
marchés était admise du fait de la parfaite efficience des marchés (Eugène Fama, 1965), et de la rationalité sans faille
des agents. Or depuis la crise de 2008, cette théorie est contestée : Roger Guesnerie (professeur au Collège de France)
considère ainsi que les anticipations rationnelles des agents ne doivent plus être considérées comme un postulat mais
plus modestement comme une hypothèse.
Parallèlement, une nouvelle microéconomie s'affirme, grâce notamment à des approches plus empiriques (expériences)
et aux évolutions technologiques récentes en matière d'imagerie cérébrale : l’économie comportementale (Behavioral
economics). Cette école incorpore les enseignements de la psychologie comportementale. Pour ces nouveaux
microéconomistes, il faut développer de nouveaux outils complémentaires afin d'améliorer le cadre néoclassique, pour
mieux comprendre le comportement de l’homoeconomicus, en intégrant par exemple la psychologie ou la théorie des
jeux (J. Tirole, « Nobel » 2014). De même, la neuroéconomie permet grâce à l'imagerie cérébrale de repérer quelles
zones du cerveau sont activées lors de décisions économiques, et à quel type d'émotions positives ou négatives elles
correspondent. Une meilleure connaissance du rôle des émotions dans la décision économique conduit à l'émerge nce
de nouvelles techniques de promotion des ventes (neuromarketing).

Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 13


I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
4/ Les néolibéraux (Des années 70 à nos jours)
Ce courant s’est créé à l’origine en réaction à l’hégémonie du keynésianisme, il devient visible à partir des années 70. Les
principaux économistes de ce courant sont Von Hayek (école autrichienne), M. Friedman 29, R. Coase, Lucas, Becker,
Barro, Lucas (école de Chicago, monétaristes), etc.

Friedrich Von Hayek (1899-1992), économiste néoclassique « hétérodoxe »


Friedrich Hayek s'impose comme le principal théoricien de la nouvelle pensée libérale qui déferle à partir des années 70
(il obtiendra le prix « Nobel » en 1974). Si Keynes est le plus grand penseur de l'interventionnisme au 20ème siècle, Hayek
est sans conteste le plus grand théoricien du libéralisme.
Sa pensée doit cependant être différenciée de celle des courants néoclassiques de la fin du 19 ème siècle. Contrairement à
ces derniers, Hayek ne croit pas que les hommes seraient des homoeconomicus parfaitement rationnels. La force du
marché pour lui ne réside pas dans la recherche d’un équilibre, mais dans un processus qui permet aux agents
économiques d’apprendre de leur expérience, à force de tâtonnements et d’erreurs. Et le meilleur vecteur pour leur
donner l’information en vue d’agir est le marché, parce que le mécanisme des prix reflète les millions de décisions
individuelles. Il est donc porteur d’une information que jamais un pouvoir central ne pourra fournir. Là est pour Hayek la
supériorité incontestable du marché et du capitalisme : « Comment peut-on croire qu’un ordre planifié par un groupe
d’individus puisse être supérieur à un ordre spontané issu naturellement des centaines de décisions prises par des
milliards d’individus chaque jour ? ». C’est pourquoi Hayek s’est toujours refusé à la formalisation mathématique des
néoclassiques, estimant que cela enfermait la pensée dans un système clos et réducteur de la complexité.

Zoom : Création d’un « Think Tank » libéral : La Société du Mont-Pèlerin


La société du Mont Pèlerin est une société de pensée qui réunit des économistes, des juristes, des philosophes, des
historiens et des hommes politiques favorables aux thèses libérales, à l'économie de marché et aux valeurs politiques
d'une société ouverte. Elle a été fondée en 1947 par Friedrich Hayek dans un contexte où l’URSS s’affirme sur le plan
politique et où le keynésianisme s’impose sur le plan économique. C’est lors de la parution de « La Route de la
servitude » en 1944 que Hayek avait envisagé la création de cette société, dont la vocation est dès l’origine clairement
internationaliste :
«Le besoin d'une rencontre internationale [...] me semblait particulièrement grand en raison de la guerre qui, non
seulement a cassé les liens existants, mais également créé un cadre nationaliste incompatible a vec une approche
réellement libérale de nos problèmes » (Friedrich Hayek, Déclaration d'ouverture de la rencontre).
Depuis sa création, la société du mont pèlerin est un lieu de rencontre et de débats entre auteurs s'accordant sur les
fondements du libéralisme : liberté, responsabilité et propriété. Parmi les courants libéraux représentés, on trouve
notamment l’école de Chicago, le courant ordo-libéral et l’école autrichienne. Parmi les premiers participants, on trouve
les plus grands penseurs libéraux de l'époque : Maurice Allais, Milton Friedman, Jacques Rueff, Bertrand de Jouvenel,
Frank Knight, Karl Popper, Lionel Robbins, George Stigler, et bien sûr Ludwig von Mises, un des maîtres à penser
d’Hayek. Huit d’entre eux ont obtenu le prix Nobel d'économie : Milton Friedman, Friedrich Hayek, George Stigler,
James McGill Buchanan, Ronald Coase, Gary Becker, et Vernon Smith, Les économistes français sont représentés avec
notamment Pascal Salin et Florin Aftalion.

On peut pour résumer considérer que le mouvement néolibéral se caractérise par quelques grandes idées :
1. Ce mouvement se caractérise d’abord par sa volonté de réduire au maximum les interventions de l'Etat30. Pour
Hayek, le véritable libéral est celui qui est convaincu que la libre négociation entre les hommes est le meilleur moyen
d'arriver aux arrangements les plus satisfaisants et que les solutions imposées par une autorité centrale seront toujours
moins satisfaisantes que ces arrangements. Le véritable libéral est donc celui qui soutient qu'il ne faut confier au
gouvernement que le soin d'assurer la sécurité et la li berté de tous. Grâce à la sélection darwinienne du marché
(sélection naturelle), les institutions efficaces prendront forme spontanément, pour peu que la liberté et la sécurité des
individus soient assurées et qu'on ne mette pas d'entraves à ce processus.

29 " Est libérale une société où les dépenses publiques, toutes collectivités confondues, ne dépassent pas 10 à 15 % du produit
national. Nous en sommes très loin" (M. Friedman, été 2003)
30 « Ne demandez pas à l’Etat de résoudre votre problème, car votre problème c'est l'Etat » Discours inaugural du Président

américain Ronald Reagan (1980-1988)


Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 14
I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
Le budget de l'Etat doit donc être réduit, grâce à une baisse de la pression fiscale, et une diminution de la redistribution.
De plus, cette baisse des impôts et des taxes doit se focaliser sur les entreprises pour favoriser l'activité économique
(courbe de Laffer, « trop d’impôt tue l’impôt »).

T : Taux d’imposition
M : Recettes fiscales maximales
« Un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte » JB Say
Les libéraux considèrent que si on baisse les impôts et les taxes qui pèsent sur les entreprises, ces dernières vont être
incitées à innover et embaucher plus, ce qui entretient la demande et donc l’activité économiq ue. La logique de
subventions est donc très largement contestée par les libéraux car toute forme d'assistance doit être combattue.

2. La politique économique conduite par l’état est à la fois coûteuse et inefficace : Parce que les anticipations des
agents économiques sont rationnelles31 , les effets des politiques publiques sont toujours intégrés « rationnellement »
par ces derniers, (Ex : les agents économiques vont par exemple anticiper les conséquences inflationnistes d’une relance
de la consommation financée par déficit budgétaire, en augmentant leur épargne pour faire face à une probable
augmentation des impôts). L’effet obtenu risque finalement d’être opposé à l’effet recherché. Dans cette hypothèse,
plus les anticipations sont rationnelles, plus le fonctionnement naturel (par le marché) de l’économie est optimal, et
plus les politiques économiques de régulation sont inutiles.

Zoom : Les nouveaux classiques (ou nouvelle économie classique)


Née dans les années 1970 d'une réflexion sur les insuffisances des modèles keynésiens, la nouvelle école classique (NEC)
a pour objectif de fournir un cadre d'analyse à l'évolution de l'activité économique d'un pays. Elle est fondée sur une
vision optimiste du capitalisme de marché, celle que défendait Adam Smith dans la richesse des nations (1776), lorsqu'il
montrait que la poursuite des intérêts individuels n'est nullement contradictoire avec l'intérêt collectif.
La théorie des anticipations rationnelles a constitué une remise en cause profonde des résultats keynésiens : l’article
de Robert Lucas (1976) s’est attaché à montrer l’inefficacité des politiques monétaires et celui de Robert Barro (1974)
l’inefficacité des politiques budgétaires. L’hypothèse d’anticipations rationnelles, en pratique, équivaut à poser que la
capacité de calcul et de traitement de l’information des agents est sans limite, et qu’il est donc vain de brouiller les
signaux des marchés privés par des interventions publiques. L’ensemble de ces contributions cherche donc à invalider la
macroéconomie postkeynésienne, notamment celle basée sur le recours systématique dans les années 60-70 aux
politiques de stop and go.

3. Le monétarisme (école de Chicago) : Courant de pensée théorique, le monétarisme accorde à la monnaie un rôle
important dans les dérèglements économiques. Tombé pratiquement dans l'oubli devant la poussée keynésienne, le
courant monétariste a connu depuis les années 1970 un renouveau certain, dû au développement des tendances

31 Les anticipations sont des représentations individuelles, plus ou moins informées, d'événements futurs généralement aléatoire s.
Si on suppose que les agents utilisent de manière optimale toute l’information disponible pour prévoir l’avenir, on dit que leurs
anticipations sont rationnelles .
Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 15
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inflationnistes, avec des auteurs anglo-saxons et surtout américains (Milton Friedman). Ce courant a redonné vie à
l'ancienne théorie quantitative de la monnaie (TQM) 32, qui établissait une relation directe entre le niveau de la masse
monétaire, celui de l'offre de biens et de services et celui des prix.

Pour les monétaristes :


- L’inflation s’explique toujours par une augmentation excessive de la quantité de monnaie en circulation (« la
monnaie est le carburant qui alimente toujours l'inflation », Jacques Rueff - 1965).
- Le rôle de l’état en matière de politique monétaire doit donc se limiter à maintenir une quantité de monnaie
proportionnelle au volume de la production.
- Les politiques de relance sont inefficaces. Elles peuvent avoir des effets à court terme qui ne sont que
transitoires et qui s’avèrent nuisibles à long terme.
Pour M. Friedman, il faut donc revenir aux principes des économistes classiques :
• abandon des politiques budgétaires et limitation de la création de monnaie par l’Etat
• diminution des dépenses sociales de l’Etat providence
• privatisation des entreprises publiques et déréglementation
• flexibilité de l’emploi et des salaires

Si l’on excepte la création monétaire très importante depuis la crise financière de 2008 pour éviter la déflation
(Quantitative Easing de la Fed jusqu’en 2014, et de la BCE encore aujourd’hui), les autres préconisations de M. Friedman
restent encore fortement d’actualité. La récente loi Travail sur la flexibilité en France (2017) en est un exemple parmi
d’autres.

Zoom : Gary Becker et les choix rationnels


Sa théorie du choix rationnel s’appuie sur la mise en évidence des préférences individuelles. Là où sociologues,
psychologues et anthropologues voient généralement, de la morale, des normes et pressions sociales, des forces
culturelles, l’approche de G. Becker revient à tout ramener à des préférences individuelles. Selon Becker, il existe une
science reine, l’économie, ou plus précisément la microéconomie qui consiste à « révéler, mesurer et analyser les choix
et les fondements des choix individuels ».
Becker applique son approche à la criminalité. Celle-ci n’est pas le fait de personnalités déviantes, mais d’acteurs
rationnels qui arbitrent entre leurs obligations, opportunités et aspirations, en fonction des risques. Le criminel met
ainsi en balance l’espérance de gain d’un acte illégal et le risque de sanction. Gary Becker considère que délinquants et
criminels raisonnent tous de la sorte. Constatant que la criminalité a augmenté à mesure que les peines déclinaient,
Becker plaide pour l’alourdissement des sanctions, mais, surtout, pour la certitude de la punition. Le fond de l’affaire est
toujours un calcul de probabilités.
De même, le mariage se comprend comme un contrat permettant d’optimiser le capital humain des membres du foyer.
La femme s’engage à faire des enfants puis s’en occuper en échange de protection et d’assurance. Le foyer est une unité
de production de services domestiques (ménage, cuisine, relations sexuelles..), et tout ce qui le concerne (vie
quotidienne, mais aussi décisions radicales comme le divorce) peut être décrit par les mécanismes économiques
d’optimisation individuelle.
Becker a ainsi été pionnier avec cette application systématique de la démarche économique aux sujets sociaux. Il a été
consacré par l’obtention du « Prix Nobel » d’économie en 1992, pour « avoir étendu le domaine de l’analyse
microéconomique à un grand nombre de comportements et d’interactions humains, y compris le comportement non
marchand ».
D'après “Gary Becker – L’individu calculateur”, Sciences Humaines, Grand Dossier n° 30, 2013 (Extraits)
Gary Becker et le don d’organes : « […] Puisque l’altruisme seul se montre insuffisant pour régler le problème de la
pénurie d’organes, il devient nécessaire d’envisager d’autres pistes pour augmenter l’offre […].Dans leur étude «
Introducing Incentives in the Market for Live and Cadaveric Organ Donations », le Prix Nobel d’Économie Gary Becker et
Julio Jorge Elías estiment qu’une compensation économique de 15.000 dollars à un donneur vivant pourrait pallier la
pénurie de reins. Et cette compensation pourrait même être payée par l’État, qui y gagnerait en économisant sur les
interminables dialyses dans l’attente d’un organe […]
Contrepoints - 18 septembre 2010 dans Édito, Sujets de société

32 MV=PT (I. Fisher, 1912)


Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 16
I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
4. Les néolibéraux considèrent que le chômage est en grande partie lié à la rigidité sur le marché du travail. Sur un
marché du travail libéré de toute contrainte, il existerait un salaire d'équilibre permettant l’ajustement entre l'offre de
travail et la demande (qui correspond aux besoins des entreprises). A ce point d'équilibre, le chômage n'existerait plus
(hors chômage « volontaire » : les salariés refusent alors de travailler au prix du marché). Tous les salaires versés par les
entreprises au dessus de ce salaire d'équilibre seraient nuisibles aux embauches, et génèreraient du chômage selon les
néolibéraux. Dans sa forme extrême, cette vision peut conduire à la suppression du salaire minimum.
Complément : Néolibéralisme et mondialisation. Le capitalisme moderne tend à reprendre à son compte les thèses
libérales dans le cadre (nouveau) de la mondialisation.
Le néolibéralisme milite pour une plus grande liberté du commerce au sein de grandes institutions internationales
comme l’OMC, afin de favoriser l’intégration des marchés (qui ne se limitent plus désormais aux seules marchandises,
mais qui s'étend à d'autres domaines : services, culture….) et dynamiser la croissance. La déréglementation, prônée par
ces organismes, consiste en la suppression des barrières réglementaires nationales et la signature d’accords de libre
échange (CETA, Mercosur aujourd’hui). Les services, avec le développement des accords AGCS33 , mais également
l'ouverture à la concurrence de marchés comme la santé et l'éducation, autrefois réservés aux États, sont concernés (cf.
TAFTA).
Ainsi, le capitalisme tend non seulement à s'étendre à de nouveaux pays, mais aussi à de nouveaux domaines de la vie
humaine (notion de marchandisation, de marchéisation, de société de marché 34).
Pour ce faire, la version moderne du néolibéralisme insiste particulièrement sur le respect des contrats et des droits de
propriété, qui seul peut favoriser le développement des échanges et la circulation d’un capital de plus en plus financier
et dématérialisé (actions, droits à polluer) au niveau mondial.
L’économiste libéral français Pascal Salin (1939, ) considère ainsi qu’un libéralisme authentique repose sur 3
piliers : la liberté, les droits de propriété et la responsabilité.
La crise économique et sociale issue de la crise des subprimes à partir de l’été 2007 interroge à nouveau les préceptes
libéraux et monétaristes. Le Figaro (quotidien d’obédience libérale) a ainsi élu Keynes (mort en 1946) économiste de
l’année 2009. L’augmentation des droits de douane mise en œuvre aujourd’hui par D. Trump aux Etats -Unis peut être
vue également comme une critique (limite ?) de cette mondialisation libérale.
Des économistes pourtant libéraux comme Maurice Allais ont également formulé très tôt des critiques à l’encontre
d’une mondialisation non contrôlée.

Zoom : Maurice Allais (1911-2010, « Nobel » 1988)


Maurice Allais est un économiste français, né à Paris le 31 mai 1911 et mort le 9 octobre 2010 à Saint-Cloud. En 1988, il
est le second Français à recevoir le prix « Nobel d'économie » après Gérard Debreu en 1983. C'est un économiste à la
fois libéral et protectionniste : il est pour une économie de marché à l'intérieur de groupes d'états économiquement
homogènes formant une même zone d'échange mais contre l'ouverture douanière vis à vis de pays présentant de
fortes disparités économiques (niveau de développement, protection sociale, normes environnementales,...).
Ses travaux lui valent de nombreuses récompenses qui culminent avec l'attribution du prix de la Banque de Suède en
sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel en 1988. Cette reconnaissance internationale lui donne l'assise
médiatique pour se projeter dans le débat sur l'ouverture financière et la mondialisation. Il développe pour le grand
public des thèses qui sont celles de son enseignement depuis longtemps, mais qui contrev iennent à l'esprit général des
grandes réformes financières et douanières entreprises depuis 1973. Il dénonce les changes flottants, la
dérèglementation financière, et la suppression des protections douanières. Il annonce que toutes ces nouveautés
provoqueront en Europe le déclin de l'emploi et dans le monde le risque d'une nouvelle grande dépression. À l'occasion
de la crise dite « des pays émergents », en 1998, il annonce dans un article au journal Le Monde : « Ce qui doit arriver
arrive ! ». Ces positions, contraires aux grands consensus de l'époque, sont souvent exprimées de façon abrupte. La
plupart ne seront généralement pas accueillies favorablement. La crise économique sévère que connaît le monde
depuis 2007, et dont il s'était fait inlassablement l'augure dans de nombreux ouvrages successifs, a fait renaître le
débat autour de nombre de questions sur lesquelles Maurice Allais avait pris des positions marquées qu'il considérait
comme prémonitoires.
Source : d’après Wikipedia

33 Accord général sur le commerce et les services (OMC)


34 La question de la GPA illustre cette question des limites (éthiques) à la marchandisation du corps des femmes

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Transition : L'apport de la thermodynamique à l'économie
L'économiste du 18ème siècle est convaincu, sous l'influence de Descartes et Newton, que le monde est une horloge qui
fonctionne à l'équilibre, il construit donc une science à l'image de cette vision du monde.
Ce n'est pas un hasard si Adam Smith parle de l'équilibre gravitationnel des marchés. Le prix du marché tourne autour
d'un prix "naturel", celui qui correspond à la somme des prix de production. Il lui tourne auto ur comme une planète
autour de son étoile (Adam Smith était par ailleurs l'auteur d'un traité d'astronomie).
Lorsque le physicien français Sadi Carnot (1796-1832) fonde la thermodynamique (traité de 1824) avec ses deux lois de
conservation et de dégradation, cette conception horlogère de l'économie va progressivement être remise en cause.
L'explication des forces qui mènent le monde va ainsi se déplacer des lois de l'équilibre à celles de l'énergie.
Si Léon Walras (qui connaissait pourtant les principes de la thermodynamique) fournit une théorie de l'équilibre général
en 1874 conforme à la mécanique newtonienne, privilégiant ainsi la loi de conservation, il n'en sera pas de même - à la
même époque - dans l'œuvre de Marx. Pour Marx et les marxistes, les contradictions du capitalisme conduisent
inéluctablement à son entropie. C'est donc ici la loi de la dégradation qui l'emporte sur celle de la conservation. Keynes,
à travers son analyse de la crise des années 30, contestera également le principe d'un retour spontané à l'équilibre,
même s'il n'en tire pas les mêmes conclusions en matière de politique économique. Pour éviter que "la crise engendre la
crise" (loi de dégradation), le retour à l'équilibre (loi de conservation) n'est possible qu'avec le rôle contra cyclique de
l'état.
D'après René Passet (les grandes représentations du monde et de l'économie à travers l'histoire)

5. Le courant marxiste
Ce courant est apparu à partir de la seconde moitié du 19ème siècle, dans un contexte marqué par la révolution
industrielle et la misère ouvrière qui l’accompagne (Engels parlera à ce sujet « d’assassinat social »). Il est principalement
incarné par Marx (1818-1883), d’autres auteurs comme Engels, Rosa Luxemburg (cofondatrice du PC allemand),
Boukharine (Russie), etc. y ont également contribué.
Ce courant critique d’abord le système capitaliste, pour proposer ensuite une rupture avec ce dernier. A la différence des
autres théories économiques, le marxisme se prolonge dans l’action politique : « Chez Marx, l’intellectuel n’était que la
moitié de l’homme, c’était avant tout un révolutionnaire » (F. Engels)
1848 : Manifeste du parti communiste avec F. Engels. A partir de 1867, le capital (œuvre maîtresse et encore inachevée à
la mort de Marx en 1883).

a) La critique de l'économie de marché


Le marxisme va beaucoup s’inspirer de la théorie classique, mais cette fois en tant que critique radicale du capitalisme.
L’analyse marxiste ne se limite cependant pas à la seule sphère économique. Elle est également fondée sur une
approche historique et dialectique (en termes d’opposition). Pour Marx, les classes sociales sont inscrites dans la réalité
sociale, et leurs luttes déterminent le changement social de manière durable. « L'histoire de toutes les sociétés
humaines jusqu’à nos jours n’est que l’histoire de la lutte des classes ». L'antagonisme entre les classes est donc le
moteur de toute transformation qui affecte le fonctionnement de l'organisation sociale et modifie le cours de son
histoire : hommes libres-esclaves sous l’antiquité, seigneur-serf au moyen-âge, etc.
Marx voit donc dans l’opposition « capitaliste-prolétaire » une nouvelle forme de cette lutte des classes. Comme pour
les précédentes, Marx pense que la classe ouvrière triomphera de la bourgeoisie, car le mode de production capitaliste
porte en son sein les contradictions qui finiront par l’emporter (crises de surproduction, paupérisation croissante, baisse
tendancielle du taux de profit, aliénation, etc.).

L’extorsion de la plus-value (ou survaleur) :


Pour un temps de travail T, le salarié reçoit une rémunération de son travail correspondant à Tr, inférieure à T. La
différence constitue la plus-value extorquée par le capitaliste (ce qui équivaut pour le salarié à un travail non rémunéré).
Le salaire versé (Tr) lui permet juste de « reproduire sa force de travail » (notion proche de la loi d’airain du socialiste
allemand Lassalle).

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I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique

Le taux de plus value (T-Tr)/Tr traduit le degré d’exploitation du travailleur.


T

Tr Plus-value

T : Durée totale du travail (valeur d’usage)


Tr : Temps de travail rémunéré qui donne lieu à un salaire de subsistance permettant la reproduction de la force de
travail du salarié

Comment Marx pense t-il que les capitalistes vont faire pour enrayer la baisse tendancielle du taux de profit et tenter
de restaurer la profitabilité de leurs entreprises ?
1. Augmenter le degré d’exploitation des travailleurs en prolongeant la journée de travail sans augmenter les
salaires afin de permettre, par une intensification du travail, une augmentation de la productivité ;
2. Baisser le prix du capital, notamment à l’aide d’innovations technologiques, et d’une rationalisation de leur
usage par un allongement du « temps machine » (augmentation de la durée d'utilisation des équipements).
3. Favoriser l’accroissement du chômage en tant qu’armée de réserve. La constitution d’une surpopulation en
dehors du travail exerce une pression à la baisse des salaires réels (et donc du salaire de réserve) ;
4. Réduire la part des salaires dans la valeur ajoutée. On obtient cette dévalorisation en remplaçant le travail
vivant (salariés) par le travail mort (machines) : C’est la substitution capital-travail ;
5. Ouvrir l'économie en développant le commerce extérieur (exportations, investisseme nts à l’étranger),
permettant ainsi l’extension des débouchés et par voie de conséquence une meilleure absorption du coût fixe grâce aux
économies d’échelle réalisées aux niveaux de la production et de la distribution.
D’après Livre I du troisième volume du Capital

La loi de la baisse tendancielle du taux de profit :


Selon Marx, les entreprises sous l’effet de la concurrence et du progrès technique, ont donc tendance à accélérer la
substitution capital-travail. Or pour Marx, seul le facteur travail permet l’extorsion de la plus-value (seul le travail peut
créer de la valeur), l’augmentation de la productivité du travail conduit inéluctablement à la baisse de la plus -value,
donc du profit. « L'augmentation progressive du capital constant par rapport au capital variable doit nécessairement
avoir pour effet une baisse graduelle du taux de profit général, le taux de plus-value, ou degré d'exploitation du travail
par le capital, restant le même » (Karl Marx).

b) La rupture avec le système capitaliste


Pour les marxistes, ces mesures ne font que retarder l'échéance, le système capitaliste n'est donc pas viable à long
terme, du fait de ses propres contradictions : « Le développement de la grande industrie sape, sous les pieds de la
bourgeoisie, le terrain même sur lequel elle a établi son système de production et d’appropriation. Avant tout, la
bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables » (Karl Marx,
le manifeste communiste, 1848). Marx préconise donc une solution radicale pour remplacer ce système : la révolution
« l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».
Pour les marxistes, cette rupture nette avec le capitalisme doit ensuite laisser la place à un nouveau systè me,
caractérisé par 2 phases successives :
1. le socialisme : Phase transitoire (mais à la durée non déterminée par Marx) au cours de laquelle la propriété
privée est abolie (les moyens de production sont collectivisés). Le rôle de l'Etat devient central, tant sur le
plan économique (état planificateur) que politique (dictature du prolétariat).
« Arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie [...] Cela ne pourra naturellement se faire, au début,
que par une violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production, c'est-à-dire
par des mesures qui [...] au cours du mouvement, se dépassent elles-mêmes et sont indispensables comme
moyen de bouleverser le mode de production tout entier. » (K. Marx)
2. puis le communisme : Au niveau théorique, le communisme est une conception de société sans classe, sans
monnaie, une organisation sociale sans État, fondée sur la possession commune des moyens de production
(communauté des biens). De « à chacun selon ses moyens » (socialisme) on passe (rait) ainsi « à chacun

Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 19


I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
selon ses besoins ». A ce stade, l’homme a vaincu son aliénation (idéologique, politique, économique et
sociale). C’est la « fin de l’histoire ».
Marx et Engels sont cependant restés très évasifs sur leur représentation d’ une société communiste.

Analyse critique du marxisme :


La dictature : Dans les faits, le communisme en URSS s'est rapidement transformé en dictature du parti communiste et
s'est accompagné d’une forte régression des libertés individuelles. De ce fait, le communisme est devenu une idéologie
très controversée. La question est de savoir si le communisme est intrinsèquement totalitaire (comme le pense Hayek)
ou s’il a été progressivement dévoyé (en particulier sous le stalinisme). N'ayant jamais été réellement mise en place, la
société communiste telle que Marx et Engels l'avait imaginée reste un concept théorique.
La nomenklatura : Loin de tendre vers une société sans classe, le socialisme soviétique a paradoxalement engendré une
classe de privilégiés, détentrice du pouvoir : La nomenklatura (livre de Michael Voslensky – 1980). Contrairement au
système capitaliste où « la classe dominante a le pouvoir parce qu’elle a la richesse », la nomenklatura soviétique « a la
richesse parce qu’elle a le pouvoir ».
Paradoxe : Alors que la théorie marxiste repose sur le rôle moteur de la classe ouvrière (prolétariat) dans la révolution
socialiste, le premier régime d’inspiration marxiste (léniniste) s’installe en 1917 en Russie, dans un pays essentiellement
rural. Cette critique vaudra également pour la Chine lors de sa révolution en 1949.

6. La révolution keynésienne
C'est à partir des années 30 que l'économiste britannique J.M.Keynes (1883-1946) commence à exercer son influence sur
la pensée économique contemporaine. Ses thèses vont connaître une popularité croissante35 après la publication de
l’ouvrage majeur de Keynes : la théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) et plus encore après la
seconde guerre mondiale et la mort de Keynes (1946).
Cette pensée a fourni le cadre théorique d'une « pathologie » évidente des économies de marché lors de la grande crise
de 1929, et montré que la théorie standard (néoclassique) de l'époque se révélait incapable de comprendre et de
surmonter cette crise. Son influence a été grande jusqu'à la fin des années 70, sa pensée a été réactivée lors de la crise
financière de 2007-2008.

a) La pensée keynésienne
Chez Keynes, comme chez Marx, la critique porte de nouveau sur le libéralisme économique, sa contrepartie étant cette
fois, non pas le socialisme, mais un aménagement « raisonnable » du capitalisme. Keynes s’inscrit donc dans le cadre de
l'économie de marché, mais avec des réserves, dans la mesure où son projet est de démontrer que le laissez-faire peut
mener à des situations d'échec de marché, auxquelles l'intervention directe de l'État dans l'économie peut remédier
(Keynes, l’homme qui a fait mentir Marx ?).
Les principaux piliers de la pensée keynésienne :
- L'approche est macroéconomique. Keynes privilégie une analyse en termes de circuit et d’agré gats, et non pas de
comportements d’agents isolés sur le marché. Il raisonne cependant dans le cadre d’une économie fermée.
- L'incertitude est au cœur de l’analyse keynésienne. Il estime que la crise des années 30 est d’abord une crise des
débouchés qu’il explique par les anticipations négatives des entreprises, persuadées qu’elles n ‘écouleront pas leur
production. Ce faisant, elles diminuent leur offre et donc les investissements qu’elles réalisent, car elles craignent
l’avenir et son incertitude. Cela conduit alors à des comportements « malthusiens » qui vont produire des effets
systémiques : baisse des investissements, de la consommation, chômage, déflation… Pour Keynes, « la crise engendre la
crise », et il ne croit pas au mécanisme vertueux d’un retour automatique à l’équilibre. Cela justifie donc à ses yeux
l’intervention des pouvoirs publics.
Ex : En matière d’investissement, Keynes dit : « Le niveau des investissements dépend du caractère plus ou moins
sanguin36 des entrepreneurs », ce qui signifie qu’il faut réduire l’incertitude qui pèse sur l’avenir pour que les

35 En France, le front populaire élu au printemps 36 va très vite s’inspirer des recommandations de Keynes en matière de politiq ue
économique.Dès 1933 en Allemagne, Hitler se lance également dans une politique économique « de guerre » d’inspiration
keynésienne.
36 ou « animal spirits » (esprits animaux)

Culture économique – IAE / M1 – Jaunet Philippe – septembre 2020 20


I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
entrepreneurs (y compris les plus prudents) investissent davantage 37 . Il faut rappeler que pour Keynes, c’est d’abord
l’investissement (et non pas la consommation) qui peut être le vecteur d’une sortie de crise durable.
- Le chômage endémique des années 30 est au centre de ses préoccupations et de ses travaux. Contrairement aux
néoclassiques, Keynes estime qu’il n’est pas nécessairement lié au fait que les salaires seraient trop élevés, et qu’il ne
suffit pas de les baisser pour espérer retrouver un équilibre de plein emploi. Il s’oppose donc aux politiques
déflationnistes prônées alors par les économistes libéraux (comme Jacques Rueff en France 38 ). Pour Keynes, le chômage
est davantage dû au fait que les entreprises anticipent les faibles débouchés quand la consommation ralentit, il est donc
la conséquence d’une insuffisance de la demande. Pour lutter contre le chômage et sortir de cette rétroaction positive
et dépressive (le - entraîne le -), il faut stimuler la demande "effective" (en d’autres termes, encourager la
consommation de biens et services ainsi que l’investissement des entreprises). Pour cela, Keynes préconise une hausse
des dépenses publiques. La relance doit encourager la consommation et la reprise des investissements. Les dépenses de
l'Etat doivent enclencher un "effet multiplicateur", vertueux devant favoriser la croissance, et in fine l’emploi.
- Enfin, d'un point de vue monétaire et financier, Keynes préconise des injections mas sives de liquidités par la baisse des
taux d'intérêt (favorisant ainsi le crédit, l’investissement et donc la consommation des agents économiques). Pour
Keynes, à la limite, un certain niveau d'inflation (due notamment aux augmentations de salaires) est préférable à la
déflation, et l'économie doit accepter l'idée d'un déficit budgétaire, que la croissance future se chargera de résorber.

CRISE CRISE

Baisse de Baisse de
l’activité l’activité

Moins d’emplois Moins Moins d’emplois Moins


(chômage) d’investissement (chômage) d’investissement
s s

Baisse du prix du Baisse des taux Baisse du prix du Baisse des taux
travail d’intérêt travail d’intérêt

Reprise des Reprise de Baisse de la Anticipations


embauches l’investissement demande négatives

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l’équilibre de la crise

Résolution « libérale » de la crise Critique keynésienne


(système convergent) « La crise engendre la crise » (système divergent)

37 Ce point de vue sera plus tard contesté par la théorie des anticipations rationnelles de Lucas
38 L’économiste français J. Rueff (1925) considérait qu’en période de baisse des prix, les salaires devaient également baisser, et que
les allocations chômage étaient responsables du chômage (chômage volontaire)
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I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique

Zoom : Joseph Schumpeter (1883-1950)


Joseph Schumpeter a la particularité d’être né la même année que Keynes, qui est aussi l’année de la mo rt de Marx.
Economiste hétérodoxe, proche de l’école autrichienne à ses débuts, il est considéré comme l’un des plus grands
économistes du 20ème siècle, même s’il n’eut pas la même notoriété que Keynes. Il faut dire que ses travaux ne portent
pas directement sur les politiques de sortie de crise. Son horizon est plus large et plus global. Schumpeter s’est
davantage intéressé à la dynamique du capitalisme, à travers ses cycles et ses crises (en reprenant notamment les
cycles longs de Kondratiev) dont le déterminant est une grappe d’innovations majeures (pas uniquement techniques)
qui, par vagues successives, portent un temps la croissance. Pour Schumpeter, progrès technique et croissance sont
donc indissociables. Il met ainsi en évidence le principe de « destruction créatrice » et au centre de son analyse le rôle
irremplaçable de l’entrepreneur-innovateur. L’originalité de la pensée de Schumpeter est d’avoir montré la nécessité
d'avoir une analyse économique dynamique en relation avec l'histoire. Opposé aux né oclassiques (bien qu’admirateur
de Walras), il considérait qu'il était illusoire (et dangereux) de rechercher des lois économiques immuables.

b) Les successeurs de Keynes


Après la mort de Keynes en 1946, différents courants ont plus ou moins repris l'héritage keynésien, et peut-être d'autant
moins que l'on s'éloignait du contexte très particulier de la grande dépression des années 30.

1. Les postkeynésiens : Le postkeynésianisme est un courant de pensée économique apparu dès les années
1930 en Angleterre et aux États-Unis. Il a connu un certain renouveau depuis le milieu des années 70. Il se présente
comme le courant le plus proche des idées de Keynes. Les postkeynésiens reprennent ce qu'il y a de plus radical chez
Keynes, à savoir l'incertitude radicale, l'analyse circuitiste, l'endogénéité de la monnaie...
Les thèmes abordés par les postkeynésiens sont d'une grande diversité, mais ce qui unit ces économistes hétérodoxes
est le refus de l'interprétation de la pensée de Keynes qu'en font les keynésiens de la synthèse. Là où ces derniers ont
finalement cherché à faire du modèle keynésien un cas particulier d'un modèle néoclassique où la notion d'équilibre
reste centrale, les travaux des postkeynésiens rejettent de manière assez radicale l'approche néoclassique
traditionnelle. Joan Robinson en particulier s'est fortement opposée à des économistes comme R. Solow et P.
Samuelson, accusés selon elle de "dégénérer" le keynésianisme en recherchant la synthèse avec les néoclassiques
(controverse des 2 Cambridge 39 ). À l'instar de Keynes, les postkeynésiens croient que le capitalisme est un système
économique efficace, à la condition qu'il soit encadré beaucoup plus strictement que ne le suggère la pensée libérale. Ils
considèrent également que l'économie doit avant tout servir à comprendre le réel.

2. Les néokeynésiens (parfois appelés « économistes de la synthèse ») se sont quant à eux davantage
rapprochés de la microéconomie des néoclassiques, à partir des années 60, en ne centrant plus uniquement leurs
travaux sur la demande, mais aussi sur l’offre (entreprises). Ils développent donc les fondements microéconomiques
d’une interprétation néoclassique de Keynes. Exemple : Si l’équilibre économique n’est pas réalisé à court terme, les
causes sont à chercher à la fois dans les rigidités des prix et des salaires sur les marchés (approche plutôt libérale), et
dans l’existence d’une incertitude se traduisant par des asymétries d’informations (approche plutôt keynésienne).
Ce courant raisonne également de plus en plus dans le cadre d’une économie ouverte, alors que Keynes raisonnait
plutôt dans le cadre d’une économie fermée. En économie ouverte, les politiques d'intervention de l'Etat pour stimuler
l'économie butent sur la contrainte extérieure, car une partie des stimulations du pouvoir d'achat profite aux
importations (échec relatif des politiques de relance Chirac de 1975 et Mauroy de 1982).
Ce courant envisage également la possibilité d’une situation de résorption durable du chômage, et donc de tensions sur
le marché du travail, dans le cadre d'une économie en croissance, ce qui n'était évidemment pas envisageable pour
Keynes à son époque. De fait, l’Etat peut être amené à intervenir en période de « suremploi » pour éviter la surchauffe
de l'économie (policy mix) :
* Il peut ainsi freiner la demande en menant une politique budgétaire restrictive : Pour simplifier, cela consiste
par exemple à réduire les dépenses publiques et/ou à limiter le plus possible les baisses d’impôts pour éviter la
surchauffe de l’économie et en particulier l’inflation (courbe de Phillips, 1958).

39 Cambridge en Angleterre et Cambridge aux États -Unis. Le débat était alimenté principalement par les économistes Joan Robinson
et Piero Sraffa de l'université de Cambridge en Angleterre et les économistes Paul Samuelson et Robert Solow du Massachusetts
Institute of Technology aux États -Unis.

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I - Petite histoire et grands auteurs de la pensée économique
* Il peut également freiner la demande en utilisant la politique monétaire : Les autorités monétaires favorisent
alors une hausse des taux d'intérêt dans le but de ralentir les investissements, favoriser l'ép argne, et diminuer la
consommation.
Le courant néokeynésien est ainsi rattaché à ce que l'on a appelé le « keynésianisme hydraulique » pratiqué par les
gouvernements avec succès dans les années 60. Le circuit économique est vu comme une grande machine dont l'Etat
est le pilote. Il peut agir par un réglage fin de l'économie ( fine tuning) en manipulant certains leviers (politiques
budgétaire ou monétaire) pour relancer la machine quand elle est en baisse de régime, et inversement .

3. Les nouveaux keynésiens : On peut les considérer comme les héritiers des néokeynésiens. Ils sont
aujourd’hui l’expression dominante du keynésianisme, même si les postkeynésiens, plus radicaux, leur contestent ce
leadership. La « nouvelle économie keynésienne » (NEK) peut être présentée comme une réaction keynésienne à la
nouvelle économie classique (NEC), et le choix du terme « nouvelle » sert d’ailleurs à désigner ces adversaires.
Les nouveaux keynésiens conservent de Keynes deux principes majeurs : l'imperfection du marché et la nécessité de
l'intervention de l'Etat. Ils construisent un nouveau keynésianisme qui intègre en partie les apports des néoclassiques.
Ils reconnaissent ainsi la nécessité de prendre en compte les politiques d’offre, et considèrent que la politique
conjoncturelle ne doit pas être la seule façon pour l’Etat d’intervenir. Ils sont ainsi critiques envers les prescriptions de
politique économique des keynésiens « orthodoxes » (déficit budgétaire et taux d'intérêts bas).
Les nouveaux keynésiens admettent que si un sous-emploi peut être lié à une insuffisance de la demande, le chômage
comporte également une composante offre, c'est-à-dire une rigidité du travail. Ils se sont en particulier intéressés à la
question de la rigidité des salaires (pouvoir des syndicats, coûts de licenciement). Une rigidité est réelle lorsqu’elle
empêche le salaire réel de varier afin de retrouver l’équilibre du marché du travail. Pour les NEK, les rigidités sur le
marché du travail sont à l’origine du chômage involontaire car les prix sont largement fixés par les individus eux-mêmes.
Dans ce cas, le salaire peut être supérieur au salaire d’équilibre, et le salaire réel d’équilibre différent du salaire qui
permet le plein-emploi. Les NEK vont introduire de nouveaux concepts : le salaire d'efficience (Shapiro, Stiglitz), les
insiders-outsiders. Un des derniers champs de recherche des économistes de la NEK concerne aujourd’hui la question
de l’accroissement des inégalités (Stiglitz).
Cette nouvelle génération de "néokeynésiens" est incarnée par les économistes : Grégory Mankiw (1958,), George
Akerlof (1940, prix Nobel d'économie en 2001), Olivier Blanchard (1948, France), Joseph Stiglitz (1943, prix Nobel
d'économie en 2001), Stanley Fischer (1943, actuel gouverneur de la Banque d'Israël), Lawrence Summers (ancien
secrétaire au trésor de Bill Clinton), Edmund Phelps (1933, prix Nobel d'économie en 2006), Janet Yellen (ex-présidente
de la Fed), etc.

Bibliographie indicative (pour aller plus loin)

- Comprendre les économistes (Alternatives économiques – HS N°31)


- L’histoire de la pensée économique (Alternatives économiques – HS N°73 – T3 2007)
- L’économie de marché (Alternatives économiques – HS N°77 – T3 2008)
- Le capitalisme (Alternatives économiques – HS N°65 – 2005)
- La grande aventure de l’économie (Alternatives économiques – HS N°67 – T1 2006)
- Les grandes représentations du monde et de l’économie à travers l’histoire (René Passet – Les liens qui libèrent -
2010)
- Vidéos sur Youtube : Les théoriciens de l’économie : Marx, Hayek, Keynes

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