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Questions du temps présent | 2020

Cachez ce territoire que je ne saurais voir : la


question du territoire au prisme des études sur la
société mapuche durant le XX° siècle
Hide this territory that I can not see:The question of territory through the prism
of studies on Mapuche society during the 20th century

Fabien Le Bonniec

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/nuevomundo/82962
DOI : 10.4000/nuevomundo.82962
ISSN : 1626-0252

Éditeur
Mondes Américains

Ce document vous est offert par Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Référence électronique
Fabien Le Bonniec, « Cachez ce territoire que je ne saurais voir : la question du territoire au prisme des
études sur la société mapuche durant le XX° siècle », Nuevo Mundo Mundos Nuevos [En ligne],
Questions du temps présent, mis en ligne le 15 décembre 2020, consulté le 05 septembre 2021. URL :
http://journals.openedition.org/nuevomundo/82962 ; DOI : https://doi.org/10.4000/nuevomundo.
82962

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Cachez ce territoire que je ne saurais voir : la question du territoire au pr... 1

Cachez ce territoire que je ne


saurais voir : la question du
territoire au prisme des études sur
la société mapuche durant le XX°
siècle
Hide this territory that I can not see:The question of territory through the prism
of studies on Mapuche society during the 20th century

Fabien Le Bonniec

Introduction
1 La question du territoire1 est aujourd’hui devenue centrale, autant dans les discours des
dirigeants Mapuche que des chercheurs étudiant l’histoire, la culture et la société
mapuche contemporaine. Même si les politiques publiques ont durant longtemps été
réfractaires à recourir à cette notion, les négociations et discussions entre autorités
politiques chiliennes et communautés et organisations indigènes afin de résoudre le
« conflit mapuche » ne peuvent en faire fi. La question de la territorialité mapuche est
ainsi devenue incontournable autant dans le discours des dirigeants tout comme dans
celui des autorités politiques qui prétendent mettre fin au conflit qui sévit dans le sud
du Pays. C’est ainsi que Francisco Huenchumilla, un homme politique reconnu, avait
formulé en 2015, alors qu’il était intendant de la région de l’Araucanie, une
« proposition relative à la situation de la région de l’Araucanie » 2 accordant une place
centrale à la question des terres et territoires indigènes. Son successeur quant à lui,
Andrés Jouannet, n’hésitera pas à affirmer un an plus tard que « Territoire c’est une
chose, terrain s’en est une autre. Je ne reconnais aucune revendication territoriale
[mapuche], pour aucun motif »3. Mais qu’est-ce que le territoire ou la territorialité
mapuche ? Dans un article antérieur, nous nous sommes même posé la question de

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façon provocatrice si le territoire mapuche existait réellement4. Ne serait-il pas comme


l’ont souvent affirmé les opposants aux revendications mapuche contemporaines, le
fruit de simples stratégies discursives déployées par les leaders Mapuche ou encore des
catégories analytiques toutes droites sorties de l’imagination d’anthropologues
indigénistes ? Ces questionnements nous invitent à nous interroger sur des notions, qui
pour beaucoup s’avèrent des allants de soi et qui pourtant sont le fruit d’une histoire
mouvementée à laquelle ont participé non seulement les Mapuche mais également une
diversité d’autres acteurs tels que des fonctionnaires des institutions indigénistes ou
encore des universitaires.
2 Il existe une abondante littérature, principalement en espagnol, dédiée à l’histoire et
l’étude socioculturelle du peuple mapuche. La bibliographie non exhaustive éditée en
1993 par le Centro de Estudios de La Araucanía et l’Universidad de La Frontera répertorie
alors plus de 1500 publications (livres, articles et manuscrits), en rapport avec la société
et la culture mapuche. Depuis cette date, force est de constater que les études sur ces
sujets se sont copieusement multipliées, d’une part du fait de la résurgence sur la scène
publique du « conflit mapuche » qui a suscité beaucoup d’intérêt et d’autre part avec
l’explosion d’Internet. Les deux bibliographies commentées et sélectives rédigées par le
géographe Bastien Sepúlveda en 2012 et 20205 rendent compte de cette profusion de
références relatives à la question territoriale mapuche et de cet intérêt renouvelé, en
particulier dans les domaines des conflits environnementaux, de la mémoire de la
spoliation et de la condition historique et actuelle des mapuche vivant en milieu
urbain.
3 L’étude de la « territorialité mapuche » est à la fois récente en tant que telle tout en
s’inscrivant dans une lignée de divers travaux qui l’ont abordée sans la nommer. En
effet, l’usage du terme « territorialité » est assez nouveau dans les études sur la société
mapuche, et sa généralisation est liée à divers contextes dépassant les cadres
universitaires et nationaux. Il répond à de nouvelles préoccupations pour les territoires
indigènes apparues dans les années 80, notamment au sein des instances
internationales telles que les Nations Unies. Les « dispositifs discursifs » auxquels ont
recours les dirigeants mapuche pour revendiquer une territorialité différenciée et
« propre » s’inscrivent ainsi dans différentes temporalités et champs sociopolitiques
régionaux, nationaux et internationaux.6
4 C’est une partie de cette histoire dont il est question dans le présent article, tâche
rendue nécessaire afin de rendre compte des différentes façons de traiter la question de
la territorialité mapuche qui s’est progressivement imposée au Chili dans les débats
publics, les politiques publiques, les études académiques et revendications autochtones.
C’est à partir d’une révision de nombreuses monographies et ouvrages théoriques qui
ont abordé cette question, ainsi que des réalités plurielles observées lors de recherches
ethnographiques que l’on prétend retracer cette épopée de la territorialité mapuche.
Aussi nous nous intéresserons plus particulièrement à une période où la question
territoriale mapuche n’était pas connue en tant que telle, puisque le terme
« territoire mapuche » était absent des écrits scientifiques sur la société mapuche ainsi
que du discours public mapuche7. Nous partirons des études anthropologiques
fondatrices montrant comment la question de la territorialité est présente dans la
foisonnante littérature sur la société mapuche sans pourtant être mentionnée ni
axiomatisée avant les années 80, pour ensuite nous pencher sur le tournant
sociopolitique de ces études à la fin des années 60 dans le contexte d’importantes

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transformations et tensions politiques au Chili et en Amérique latine. Ce moment


apparait comme une période charnière dans la fabrique de la territorialité mapuche,
elle marque les prémisses d’une émancipation du discours politique public mapuche
qui permettra de rendre visible une partie de leurs demandes anciennes, puisque
relatives à la question de la terre. Nous verrons enfin comment au début des années 90,
dans le cadre du retour à la démocratie et de la mise en place de politiques indigénistes
reconnaissant l’existence de ces conflits historiques affectant les communautés et
concernant la tenure des terres, permettra de traiter la question du territoire mapuche,
que l’on continuera à ne point nommer sous le nouvel angle des études foncières.

Etudes anthropologiques fondatrices


5 Durant longtemps, les récits, témoignages et foisonnantes descriptions collectées par
les premières monographies de Tomas Guevara et Ricardo Latcham, datant du début du
XXe siècle, ont été considérés comme des références incontournables, pour la plupart
des études traitant de la culture mapuche. Cependant, des travaux plus récents sur
l’histoire de l’anthropologie chilienne montrent bien que ces deux auteurs
s’inscrivaient dans un champ plus large des études « araucanistes » de la fin du XIX e et
du début du XXe siècle 8, celles-ci se focalisaient plus particulièrement sur les aspects
linguistiques, la littérature orale et les us et coutumes considérés en déperdition. Parmi
les premiers travaux anthropologiques où on peut déceler un intérêt quant à
l’organisation socioterritoriale des Mapuche à un niveau local, on peut considérer ceux
développés séparément, mais non sans provoquer certains débats, durant les décades
allant de 1950 à 1970 d’une part par l’anthropologue nord-américain Louis C. Faron 9, et
d’autre part l’ethnographe d’origine tchèque Milan Stuchlik10. Louis Faron, dont la
perspective est qualifiée de « synchronico-fonctionnelle-structurale » 11, a le mérite
d’être l’un des premiers auteurs du XXe siècle à rompre avec le mythe propagé de la
disparition progressive et irrémédiable de l’indien soumis à un processus de
déculturation, et à aborder ces transformations d’ordre identitaire en termes de
« changements sociaux » et surtout de restructurations12. Cette approche structuro-
fonctionnelle, incarnée à cette époque par Radcliffe-Brown, l’amène à porter beaucoup
d’importance à la moralité13 et au rituel comme moyen « structurant » d’intégration et
de reproduction des « patrons culturels » (patterns). Il considère que les
« changements » dont a fait l’objet la société mapuche depuis sa mise en « reducción » 14
sont compatibles avec ses « structures traditionnelles », refusant ainsi de recourir à la
dichotomie traditionnelle changement/permanence. Il ne voit donc pas le changement
– qu’il soit social ou culturel15 – en termes d’acculturation ou de perte comme le
faisaient la plupart de ses contemporains16, mais sous-entend que les « alternatives de
vie » se présentant aux Mapuche sont acceptées ou refusées, selon leur compatibilité
avec leur « système traditionnel de croyance et d’action »17. Il différencie ainsi deux
types de sociétés traditionnelles : celle dont le système social est « stable », qui s’adapte
donc difficilement aux changements « naturels et sociaux » et qui est soumise au
phénomène d’acculturation ; l’autre, telle celle des Mapuche, dont le système social est
plus flexible, permettant à ses institutions de s’adapter au changement. En ce sens,
selon Faron18, ce second modèle est l’antithèse de l’acculturation.
6 Tout comme la plupart de ses contemporains, Faron porte un grand intérêt à la parenté
notamment en mettant en évidence l’existence d’un réseau élargi regroupant les

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familles de plusieurs reducciones, dont l’une des formes est la « congrégation rituelle ».
Il centre son étude sur le système agnatique – ou patrilinéaire – qu’il considère comme
postcolonial. En effet, à l’instar de Mischa Titiev 19, Louis Faron qui se fonde notamment
sur les travaux pionniers de Ricardo Latcham20 a pour thèse contestée 21 que la société
mapuche à l’arrivée des Espagnols fonctionnait selon un système matrilatéral, ce n’est
qu’au début du XVIIe siècle qu’elle aurait pris sa configuration actuelle se caractérisant
par la prépondérance de la filiation patrilinéaire22. Il y distingue cinq niveaux23, et se
base dessus pour décrire et systématiser les modes de partage et transmission des
terres, l’agencement territorial des groupes patri-résidentiels et montrer ainsi en quoi
la terre constitue aujourd’hui un facteur essentiel dans les stratégies matrimoniales 24.
C’est notamment dans son chapitre sur les « composants de la communauté » 25 que
Faron montre comment la parenté met en relation les différents niveaux d’intégration
sociale (ruka, lof, trokinche, reducción), tout en offrant différentes données
ethnographiques quant à la façon dont les Mapuche ont de s’identifier à ces unités
sociales, dans leurs pratiques quotidiennes tout comme dans leurs discours. Les
conclusions de Faron sur la dispersion et la migration des membres issus des lignages
subordonnés au sein d’une communauté26 ainsi que sur la « congrégation rituelle », font
en quelque sorte sortir le Mapuche du cadre de la reducción en élargissant le champ de
ses relations et actions et en relativisant l’importance de cette entité sur la vie sociale.
Cette vision met en branle la catégorie d’indigène établie par l’État chilien à cette
époque à travers de différentes réglementations qui associaient la qualité d’indigène à
un titre de propriété collectif (Titulos de Merced) de la reducción.
7 Même si certaines de ses analyses sont contestables27, Faron est l’un des premiers à
identifier des acteurs tels que l’État, des processus, des connexions et des structures
dont la prise en compte est essentielle pour aborder la configuration sociale et ses
transformations de la société mapuche28. En effet, ils sont repris et discutés par Milan
Stuchlik qui lui aussi contribue à porter ce nouveau regard sur la société mapuche post-
reducción sans avoir d’a priori sur le caractère traditionnel de celle-ci. Il prend les
institutions sociales mapuche telles qu’elles sont dans leur contemporanéité
(communauté, mais également junta de vecinos, coopératives, groupes formés par les
différents types de relations de « collaboration économique » 29) dans les interactions
des différents agents et s’intéresse ainsi plus au « changement social » qu’aux
structures. Le modèle « transactionnaliste » revendiqué par Stuchlik, et qui sera plus
amplement théorisé dans l’ouvrage écrit avec Ladislav Holy, se donne pour objectif
d’aborder les transformations de la société et de la culture mapuche à partir de deux
domaines étroitement liés, celui de « l’action » qui est plus de l’ordre du contexte et
celui de la « notion » qui serait plus stable, et de ne pas chercher le « pourquoi » des
faits sociaux, mais plutôt le « comment ».
8 L’un des concepts phares de Stuchlik est en relation avec la question de la territorialité
mapuche, puisqu’il s’agit de la « zone vitale »30, qu’il pense pouvoir assimiler à la notion
mapuche de mapu31. C’est la zone dans laquelle va vivre et évoluer le Mapuche, et dont
les limites sont difficilement définissables, car considérant quatre types de
critères subjectifs et donc propres à chacun : la circulation des femmes ; la
connaissance personnelle de l’entourage ; l’élection d’associés économiques et les
relations économiques en général et la participation mutuelle aux fêtes et cérémonies.
Là encore, la pertinence de cette perspective est qu’elle fait sortir les Mapuche de leurs
réserves ainsi que du cadre fantasmatique de la dichotomie entre tradition et
modernité. En mettant en relation l’espace avec les dimensions économiques, politiques

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et sociales, il donne de la fluidité aux structures mises en évidence par Faron, en y


adaptant la perspective « transactionnaliste » évoquée précédemment. En effet, pour
Stuchlik, la structure sociale, en tant que modèle explicatif, ne permet pas d’expliquer à
elle seule les pratiques et les interactions : « la conduite réelle, c’est-à-dire les
interactions concrètes entre les individus, n’est pas organisée en termes de rôles
d’appartenance, mais en fonction de ses relations mutuelles spécifiques » 32. C’est à
travers ses relations, ses interactions que le Mapuche développe l’étendue de sa zone
vitale, d’un espace social que l’on peut en quelque sorte assimiler à un territoire dont
les limites ne sont plus celles des réserves déterminées matériellement et
juridiquement par l’État, mais celles mises en place par l’acteur mapuche au cours de sa
vie. Les situations et interactions caractérisant cette zone vitale constituent des
éléments fondamentaux à observer et à analyser pour comprendre les « mécanismes de
recrutements sociaux » qui se jouent sur des relations réelles. Une telle conception du
sujet mapuche et de sa territorialité a certainement pu influencer le nouveau cadre
juridique de la loi indigène n° 17.729 élaborée et édictée en 1972 durant l’Unité
Populaire de Salvador Allende et qui marquait pour la première fois dans la législation
chilienne une délimitation entre le sujet de droit, « les indigènes » et l’objet
d’application « les terres indigènes »33.

Le tournant sociopolitique des années 70 dans les


études sur la société mapuche
9 Comme le signalent Augusto Samaniego et Carlos Ruiz, à partir de 1970, les écrits
scientifiques sur la société mapuche vont prendre une nouvelle orientation,
notamment du fait du contexte politique chilien34. Ces travaux, dont on peut considérer
Faron et Stuchlik comme les précurseurs, ne s’intéressent plus aux Mapuche sous
l’angle de leur histoire, c'est-à-dire comme une société du passé. De fait les articles et
les ouvrages sur les Mapuche qui voient le jour au début des années 70, sont autant le
fait d’auteurs qui se revendiquent anthropologues que sociologues. Leurs
préoccupations ne portent plus sur l’origine des Mapuche ou sur l’agonie de ce groupe
que l’on croyait condamné à disparaître physiquement et culturellement, mais sur leur
intégration dans la société chilienne contemporaine. En effet, la marginalisation des
Mapuche n’est plus vue comme un problème considéré en terme ethnique ou culturel
(et où une certaine perte de leur culture serait nécessaire pour les assimiler), mais est
renvoyée à leurs conditions socio-économiques de paysans pauvres. Les chercheurs de
cette époque se posent alors la question de savoir comment améliorer les conditions
matérielles de ce groupe pour mieux l’intégrer dans une société chilienne en pleine
transformation.
10 Ces évolutions témoignent d’une plus grande sensibilité des chercheurs de cette époque
concernant « le problème mapuche » – notons que la terminologie « mapuche »
s’impose définitivement durant cette même période dans la littérature scientifique à
quelques exceptions près tels que des auteurs aussi différents que Hernán San Martin 35
ou Alejandro Lipschutz – qu’il soit analysé en termes de classe 36, de « sous-culture
nationale »37 ou de « minorité colonisée »38. Nombre de ces chercheurs étaient liés à des
partis d’extrême gauche, qui voyaient les Mapuche en termes de classe dominée, aussi
aspiraient-ils à contribuer à leur libération de l’oppression de la classe bourgeoise
agraire. Étudiants militants et chercheurs travaillant dans des institutions publiques

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ont mené, à la fin des années 60 début des années 70, des recherches dans les
communautés d’Arauco et de Malleco sur les conditions de vie de leurs habitants ;
communautés dont une grande partie participèrent durant cette même période aux
mobilisations collectives de la Reforma Agraire39.
11 Les chercheurs qui ont traité de cette question, notamment durant le gouvernement de
l’Unité Populaire, ont dû s’atteler à trouver des solutions. Alors qu’au début du siècle
les travaux produits sur la société mapuche (Latcham, Guevara) partaient d’une
monographie de la société mapuche ancienne pour ensuite traiter des mutations
récentes qu’elle avait subies et enfin conclure sur sa probable disparition imminente,
ceux écrits au début des années 70 mettent en exergue les multiples injustices dont ont
fait l’objet les Mapuche, à travers l’histoire, puis traitent de leur situation actuelle
avant de consacrer un dernier chapitre aux solutions proposées pour régler leur
situation40. La plupart de ces auteurs ont travaillé directement, en tant que
fonctionnaires, ou indirectement, à travers la rédaction de rapports, pour la DASIN.
Tous concordent dans la nécessité de faire une politique de restitution de terres
usurpées aux communautés, à travers la Réforme Agraire mais également d’autres
mécanismes. Les ultimes écrits d’Alejandro Lipschutz (1883-1980), un érudit d’origine
Lettone naturalisé Chilien41 qui dédia une grande partie de sa vie à réfléchir sur la
situation des indigènes en Amérique latine en utilisant principalement des analyses
marxistes, reflètent ce changement de perception des Mapuche où la modernité n’est
plus posée comme antagonique à la tradition, mais comme son support :
« Celui qui croit que la culture traditionnelle araucane disparait avec l’apparition de
la minijupe et des chaussures se trompe. Avec cela la culture traditionnelle
spirituelle et morale ne disparait pas. Au contraire, avec elle, avec la culture
internationale du livre, la culture araucane s’épure et s’approfondit. La renaissance
de la culture authentiquement indigène s’accélère car avec cela facilite les valeurs
culturelles araucanes en faisant monter le subconscient collectif vers la superficie
de la conscience culturelle de chacun de ces indigènes42. »
12 Aussi les travaux produits durant l’Unidad Popular d’Allende ont contribué à rendre
visible une société paysanne vivante et bien différenciée, celle des Mapuche. La plupart
des analyses de l’époque identifient les problèmes de terres et les injustices sociales et
historiques affectant une grande partie des communautés indigènes du pays comme
étant la cause principale de marginalisation de leurs habitants. Le mode d’intervention
adopté par certains chercheurs-fonctionnaires, influencés par l’éducation de Paulo
Freire, rendant la relation plus symétrique et collaborative avec les paysans chiliens et
mapuche, a certainement permis une meilleure connexion à la condition paysanne et
un rapprochement entre discours scientifiques et mobilisations sociales. La terre
communautaire va acquérir durant cette période une importance considérable non
seulement dans les discours publics indigènes, mais également dans les écrits des
chercheurs puis des législateurs.

Les études foncières


13 Un autre registre de recherche abordant la territorialité est constitué par les études
foncières (c'est-à-dire ce qui est relatif à la propriété, au partage, à la tenure et à la
transmission des terres) qui se sont développées vers la fin des années 1980, début des
années 1990. Elles sont directement liées à une tradition d’ouvrages et d’articles sur la
« constitution de la propriété australe » répertoriant les différentes politiques et lois

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édictées depuis plus d’un siècle dans le but de coloniser, définir, mais également
« protéger » les terres indigènes43, et dont certains analysent leurs applications44. Le
« retour à la démocratie », la mise en œuvre d’une politique indigène à travers la
constitution de la Comisión Especial de los Pueblos Indígenas (CEPI) 45, puis de la Corporación
Nacional de Desarrollo Indígena (CONADI) sur fond de résurgences de conflits fonciers qui
avaient été tus durant toute la dictature, marque le contexte dans lequel ces études de
cas fonciers ont été produites. Fait intéressant, certaines de ces études répondent à des
commandes publiques, notamment une série de publications publiée par la CONADI
dans la collection La propiedad indígena en Chile46 et un manuscrit47 qui furent financés et
commandés par la CEPI dans le cadre de la mise en place de la nouvelle politique
indigène. Politique qui allait donner naissance à la loi indigène (N o 19.253) dont
plusieurs articles reconnaissent l’existence de conflits fonciers tout en proposant d’y
remédier à travers différents mécanismes, dont le rachat de terres. La méthodologie de
ces travaux historico-légaux consiste en des recherches dans les archives
administratives et juridiques, associées à des entretiens individuels ou en groupe avec
les dirigeants, dont les résultats sont ensuite présentés sous la forme d’études de cas
correspondant à l’histoire foncière de chaque communauté. Généralement celles-ci
sont illustrées de cartes montrant clairement les limites légales de la réserve puis les
parcelles qui ont été « usurpées » au gré de l’histoire, ainsi que des copies des
sentences, titres de propriété et autres actes légaux témoignant des transformations de
la propriété foncière. Avec la résurgence des conflits territoriaux au cours des années
2000, les études foncières sont restées d’actualité. Elles constituent souvent un
préalable à toute étude d’un conflit, puisqu’il est censé en indiquer l’origine. Parmi les
recherches récentes témoignant de ce renouvellement des études foncières, on peut
signaler celle réalisée dans le cadre de la Comisión Verdad Histórica y Nuevo Trato
(Commission Vérité Historique et Nouveau Traitement - CVHNT) se basant sur l’examen
de 413 Títulos de Merced et comportant des statistiques, des analyses des mécanismes
d’usurpation ainsi qu’une carte détaillée pour chaque titre48 (CVHNT 2003b).
Cependant, les contextes d’émergence de conflits territoriaux sont multiples et ne
peuvent pas se limiter à la seule question foncière.

Conclusion
14 Finalement, cette émergence d’un champ spécialisé dans l’étude historico-juridique des
communautés mapuche a contribué au passage de la question de la terre à celle du
territoire, notamment en révélant la persistance d’une mémoire collective autour des
lieux et des espaces historiques des communautés. Et ce n’est qu’au cours des années
90, que le concept de territoire apparait plus amplement dans les études sur la société
mapuche sous l’impulsion d’un mouvement revendicatif qui l’avait déjà incorporé
depuis plusieurs années dans son répertoire discursif sur la scène internationale avant
de faire irruption sur la scène publique chilienne avec comme mots d’ordre « justice,
territoire et autonomie ». Dès lors la territorialité mapuche va clairement devenir un
objet, non seulement d’étude, sinon de luttes politiques à l’origine de débats
permanents, sans que l’on arrive à obtenir un consensus quant à sa définition et
compréhension. On peut ainsi se demander à l’instar de l’anthropologue Michel Marié
si le concept de territoire n'est pas « l’un de ces mots mana, l’une de ces boîtes noires dont la
richesse de sens, l’indéfinition même, aurait pour principale fonction de mettre un peu de
lubrifiant dans le compartimentage croissant des savoirs et des disciplines de l’esprit » 49, et au-

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deçà, des politiques de l’identité. Pourtant sans avoir à le nommer en tant que tel,
différentes études produites au cours du XXe siècle, principalement à partir
d’approches ethnographiques et documentaires, nous permettent de mieux en cerner
les aspects sociaux, culturels et fonciers tout en rendant visibles différents enjeux
quant à sa reconnaissance. Le territoire acquiert alors différents attributs, à travers les
relations sociales qui se tissent entre lignages et communautés, les modes de tenures
foncières et d’échanges de biens, formant un maillage politico-territorial discret qui se
superpose à celui imposé par l’État chilien. Bien que les préoccupations
contemporaines autour de la territorialité autochtone, tant au niveau scientifique que
politique, se sont plutôt focalisées sur ses aspects juridiques, mémoriels, écologiques et
« spirituels », la question de son organisation sociale, indissociable de la sphère
politique locale, reste centrale pour comprendre les dynamiques identitaires à l’œuvre
tant dans les communautés que les centres urbains. En ce sens, les enquêtes
ethnographiques et analyses de Faron et Stuchlik, plus d’un demi-siècle après leurs
premières publications, conservent une certaine vigueur, d’autant plus que très peu de
monographies faisant l’objet de publication ont tenté d’actualiser ces travaux 50. Quant
aux études foncières, elles ont eu une portée significative, au-delà du champ
scientifique, pour appréhender les conflits persistants dans le sud du pays et ainsi
mieux comprendre les fondements historiques et sociaux des revendications
territoriales actuelles des organisations et communautés mapuche. La question
territoriale mapuche reste pourtant un sujet polémique, elle s’inscrit dans un rapport
de force, où le travail de « reconstruction de la genèse » mené par les Mapuche avec le
soutien de ses études se confronte, non sans une certaine violence comme on peut
malheureusement l’observer régulièrement, à la vision monoculturelle et
homogénéisante d’un champ étatique chilien peu prompt à la reconnaissance d’autres
conceptions du territoire, et en particulier des souverainetés autochtones qui
pourraient y être associées.

NOTES
1. Le présent article est issu d’une thèse doctorale présentée en 2009, cependant il a
connu de nombreux changements et actualisations bibliographiques, certaines idées
ont même été revues avec le temps et grâce aux commentaires et encouragements de la
coordinatrice de ce dossier, Jimena Paz Obregón Iturra et aux précieuses indications
des evaluateur.rice.s que je remercie chaleureusement.
2. Huenchumilla, Francisco, « Propuesta al gobierno respecto de la situación de la
región de la Araucanía », In Pedro Cayuqueo, Huenchumilla. La historia del hombre de oro,
Santiago, Catalonia, 2015, p. 247-294.
3. « Intendente de La Araucanía: ‘yo no reconozco ninguna reivindicación territorial’ »,
Cooperativa.cl, [en ligne], mis en ligne le 30 mai 2016, https://www.cooperativa.cl/
noticias/pais/pueblos-originarios/mapuche/intendente-de-la-araucania-yo-no-

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reconozco-ninguna-reivindicacion/2016-05-30/165551.html, consulté le 10 novembre


2020.
4. Le Bonniec, Fabien, « Et si le territoire mapuche n’existait pas ? Imagination
constituante et territoires existentiels chez les Mapuche du sud Chili », in Dossier
Thématique - Dépasser les dichotomies : penser autrement les Amériques ?, Revue
Interdisciplinaire de Travaux sur les Amériques, N° 6, 2013a.
5. Sepúlveda, Bastien « Elementos bibliográficos para una geografía del territorio
mapuche. » Revista Geográfica del Sur, 2012, n° 3, p. 129-135; Sepúlveda, Bastien
« Dinámicas territoriales mapuches en el cono sur americano: una bibliografía
selectiva. » CUHSO, 2020, vol. 30-2.
6. Zuñiga, Gerardo, Modernité, tradition et politique : le processus de constitution des
territoires indigènes en Amérique latine (le cas des Mapuche au Chili), Université de Paris III
IHEAL, Mémoire de DEA, 1997 ; Zuñiga, Gerardo, « La dimensión simbólica de las luchas
étnicas y el discurso indígena en torno al territorio », 3° Congreso chileno de antropología.
Santiago, 2000 ; Barnier-Khawam, Pablo, Les Mapuche et la revendication d’une nation.
Paris, l’Harmattan, 2019.
7. Pour preuve le classique ouvrage de Rolf Foerster et Sonia Montecino sur les
organisations mapuche qui couvre la période 1900-1970 en de très rare occasion fait
référence au concept. Foerster, Rolf, et Montecino, Sonia, Organizaciones, líderes y
contiendas mapuches: (1900-1970). Santiago, CEM, 1988.Tandis que la compilation plus
récente de Claudio Alvarado Lincopi et Enrique Antileo Baeza qui réunit des journaux
mapuche publiés entre 1935 et 1996 ne laisse pas non plus transparaitre une
revendication claire de la territorialité mapuche, peut être parcequ’il s’agit comme
l’indique le sous-titre « d’écritures et pensée sous le colonialisme chilien ». Alvarado
Lincopi, Claudio et Antileo Baeza, Enrique (dir.), Diarios Mapuche 1935-1966. Escrituras y
pensamientos bajo el colonialismo chileno del siglo XX, Santiago, Ediciones Comunidad de
Historia Mapuche, 2019.
8. Mora Nawrath, Héctor et Samaniego Sastre, Mario (dir.), El pueblo mapuche en la pluma
de los araucanistas. Seis estudios sobre construcción de la alteridad, Santiago, Ocholibros,
2018 ; Pavez, Jorge, Laboratorios etnográficos. Los archivos de la antropología en Chile
1880-1980, Santiago de Chile, Ediciones Universidad Alberto Hurtado, 2015. Outre le fait
qu’ils font tous deux aujourd’hui référence, ces deux ouvrages ont en commun de
présenter les études araucanistes dans un cadre plus large, mettant l’accent sur les
premiers ethnographes que furent les missionnaires et voyageurs et sur l’influence
d’anthropologues européens.
9. Louis C. Faron (1923-2012) réalisera, en compagnie de son épouse, un séjour
de terrain d’un an et demi entre 1952 et 1954, principalement dans les communautés
de Roble Huacho (Padre de las Casas), Pelehue (Toltén) et Liumalla (Villarrica).
10. Milan Stuchlik (1932-1980) est certainement l’une des figures les plus importantes
des études mapuche réalisées durant les années 70, malgré le fait qu’il n’ait publié que
deux ouvrages sur le sujet (dont un apparaît plus comme une compilation d’articles).
D’origine tchèque, il arriva en 1968 au Chili où il enseigna à l’université de Concepción
puis de Temuco. Sous le gouvernement de Salvador Allende, Milan Stuchlik rédigea un
rapport sur « l’état actuel de la société mapuche et quelques suggestions pour la
solution des problèmes de développement intégral » pour le ministère de l’agriculture,
dans le cadre de la discussion d’une loi indigène. Puis en 1974, il quitta volontairement
le pays, « fatigué de fuir les dictatures », et alla enseigner à la Queen’s University de

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Belfast. Mora, Hector, « Descentrar las miradas. Institucionalización de la antropología


académica en la sede Temuco de la Pontificia Universidad Católica de Chile
(1970-1978) », Tabula Rasa, 2014, n° 21, p. 197-227. Mais ce qui lui vaut une
reconnaissance unanime pour son œuvre, encore aujourd’hui, est certainement son
travail ethnographique réalisé dans les communautés du secteur de Coipuco (Chol Chol)
et les analyses qu’il en a tiré et qui ont renouvelé l’étude de l’organisation sociale
contemporaine des Mapuche. C’est certainement cette expérience ethnographique en
communauté mapuche qui l’a inspiré pour écrire avec Ladislav Holy un ouvrage
d’anthropologie critique, notamment sur la distinction émique/etic : Holly, Ladislav et
Stuchlik, Milan, Actions, norms and representations: foundations of anthropological enquiry,
Cambridge, Cambridge University Press, 1983.
11. Prologue de Julian H. Steward à la première étude publiée de Faron intitulée
Mapuche Social Structure (1961).
12. Avec les premières études anthropologiques sur la société mapuche (Tomas
Guevara, Rodolfo Lenz, Ricardo Latcham) au tout début du XXe siècle apparaît la
conviction que celle-ci est condamnée à disparaître. Puis dans les décades qui suivirent,
cette croyance se transforma en l’idée que les Mapuche allaient de plus en plus être
intégrés au petit paysannat chilien (Titiev) pour perdre leurs spécificités ethniques.
13. Louis C. Faron, reprenant la perspective développée par Durkheim sur l’importance
de la moralité sur l’individu, insiste sur le fait que « les patrons de relations de parenté
sont des relations morales, dans ce sens, et l’interaction sociale entre les non-parents
est également conditionnée par l’ordre général des valeurs morales » Faron, Louis,
Antüpaiñamko, águilas del sol, Santiago de Chile, Ediciones San Pablo, 1997 [1964], p. 15.
14. La période de la mise en « reducción » correspond à la fondation des communautés
entre 1884 et 1929, sous la forme de remise de titres communautaires appelés «Títulos
de Merced ».
15. Cette distinction est faite par Faron Ibid., p. 179-190.
16. Titiev Mischa, Araucanian Culture in Transition. University of Michigan Press, 1951.
17. Louis Faron, Op. cit.. p. 180.
18. Faron Louis, Los mapuches: su estructura social. México, D.F., Instituto Indigenista
Interamericano, 1969 [1961]. p. xix.
19. Ibid.
20. Latcham, Ricardo, La organización social y las creencias religiosas de los antiguos
Araucanos, Santiago. Impr. Cervantes, 1924.
21. Concernant les auteurs et travaux qui se sont clairement opposés à cette
perspective on peut notamment consulter : Stuchlik, Milan, Niveles de Organización Social
de los Mapuches, Temuco, Ediciones Universitarias de la Frontera, 1970 ; Boccara,
Guillaume, Guerre et ethnogenèse mapuche dans le Chili colonial. L'invention du Soi. Paris, Ed.
L'Harmattan, 1998.
22. Louis Faron Op, cit. ; Faron, Louis, « Araucanian Patri-Organization and the Omaha
System », American Anthropologist, 1956, vol. 58-3, p. 435-456.
23. « Le lignage maximum comprend un groupe de parents liés par la voie masculine
qui ont leur descendance d’un même ancêtre (…). Il rassemble les êtres vivants et morts
(…) Le groupe de lignage est intégré par tous les membres vivants d’un lignage
maximum. (…) Le lignage localisé est composé par un groupe localisé d’hommes qui

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comprend le noyau du groupe résidentiel de parenté (…) Le sous-lignage est la


ramification du lignage maximum de la descendance à un niveau inférieur à celui des
enfants du fondateur (…) Le lignage minimum peut se définir comme un segment
bigénérationel de sous-lignages (père et enfants). En termes non-générationnels : le
sous-lignage est une branche d’un lignage localisé. » Faron, 1997, Op. cit. p. 88.
24. Faron, 1969, Op. Cit., p. 236
25. Ibid., p. 79-117
26. Ibid., p. 115-117
27. Notamment les points portant sur la parenté, ainsi que sur les figures et partages
des pouvoirs au sein de la communauté, établis par Faron.
28. Comme il l’est affirmé dans une des évaluations faites à ce présent article, il peut
être polémique d’assigner, dans un champ d’études tel que celui décrit ici, la primauté
de certains auteurs sur d’autres. Il est notamment fait mention des travaux antérieurs à
ceux de Faron, tels que ceux d’Alejandro Lipschutz. S’il est certain que ce dernier s’est
en effet préoccupé dès les années 50 de la relation des mapuche à l’Etat et de ses
implications tant au niveau de la tenure de la terre que d’une reconnaissance de la
« propriété territoriale communale », c’est d’un point de vue plus comparatif et
normatif, et non ethnographique et local, qu’il le fait. On pourra consulter sur ce sujet:
Martinez, Nelsón, « Tierra, Territorio y Territorialidad Mapuche: Producción de Espacio
y Formación de Subjetividades. » Revista Geográfica Del Sur, 2012, vol. 3-1, p. 37-62.
29. Stuchlik 1999 Op. Cit., p. 115-161.
30. Ibid., p. 36-42.
31. Le terme mapu est généralement traduit comme « terre », mais comme on peut le
constater dans les différents articles du dossier dans lequel se trouve cet article, il
continue à faire l’objet de débats, de réinterprétations et de transformations
syntaxiques, tant de la part de dirigeants et intellectuels mapuche que de chercheurs.
Payas, Gertrudis, Curivil, Ramón et Quidel, José, « La traduction de ‘parlamento’ et
‘tierra’, termes clés des négociations hispano-mapuche de la fin de la période
coloniale », In Ricardo Salas et Fabien Le Bonniec, (Dir.), Les Mapuche à la mode. Modes
d’existence et de résistance au Chili, en Argentine et au-delà, Paris, L’Harmattan, 2015,
p. 19-47.
32. Ibid., p.335. Toutes les traductions apparaissant dans ce texte sont de la
responsabilité de l’auteur.
33. Valenzuela, Mylene, La legislación mapuche y la política indígena del Estado chileno.
Santiago, Thèse de Licence en Sciences juridiques et sociales de l’Universidad de Chile,
Version revue et corrigée, 2002 [1992], p. 96.
34. Samaniego, Augusto et Ruiz, Carlos, Mentalidades y Políticas wingka: pueblo Mapuche
entre golpe y golpe (de Ibáñez a Pinochet), Madrid, Consejo Superior de Investigación
Científica, 2007, p. 84-85.
35. San Martín, Hernán, Los Araucanos, Santiago, Ed. Quimantú, Coll. Nosotros los
chilenos, 1972.
36. Saavedra, Alejenadro, La cuestión Mapuche, Santiago, ICIRA, 1971.; Berdichewsky,
Bernardo, The Araucanian Indian in Chile, IWGIA, Copenhagen, 1975 ; Berdichewsky,
Bernardo, “Etnicidad y Clase Social en los Mapuches”, Revista Araucaria de Chile, 1980,
No 9, p. 65-86.

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37. Jeannot, Bernard, El problema mapuche en Chile, Cuadernos de la Realidad Nacional,


N° 14, 1972, p. 3-14.
38. Cantoni, Wilson, « Relaciones del Mapuche con la Sociedad Nacional Chilena », Raza
y clase en la sociedad postcolonial : un estudio sobre las relaciones entre los grupos étnicos en el
Caribe de lengua inglesa, Bolivia, Chile y México, París, Unesco, 1978; Stuchlik, Milan, Rasgos
de la sociedad mapuche contemporánea. Santiago, Ediciones Nueva Universidad
Universidad Catolica de Chile Vicerrectoría de Comunicaciones, 1974.
39. Bastias, Julian, Memorias de la lucha campesina. Cristiano- Mestizo y Tomador de fundo.
Santiago de Chile, Editorial LOM, Colección Memorias, 2009 ; Le Bonniec, Fabien, La
participación de las comunidades mapuche-huilliche en el proceso de la Reforma Agraria en la
Provincia de Valdivia (1970-1973), Revista austral de ciencias sociales, n° 24, 2013, p. 27-49.
Jeannot Opcit. ; Stuchlik Op. cit.
40. Coronado, Luis, El problema mapuche, América Indígena, Nº 2, 1973, vol. XXXIII,
p. 495-524;
41. Pour plus de précisions sur Alejandro Lipschutz et l’importance de son œuvre, voir
l’article d’Arauco Chihuailaf dans le présent dossier.
42. Lipschutz, Alejandro, “La ley de la tribu en América Latina”, Rev. de la Universidad
Técnica del Estado, 1969, n° 1, p. 26-38.
43. Donoso, Ricardo, et Velasco, Fanor, Historia de la constitución de la propiedad Austral,
Santiago, Imprenta Cervantes, 1970 [1928]; Jara, Alvaro, Legislación indigenista en Chile.
México, Instituto Indigenista Interamericano, 1956 ; Labbé, Victor, División de la
comunidad Indígena, Seminario de Investigación sobre el desarrollo de la Provincia de
Cautín, Temuco, 1956; Bengoa, José, La división de las tierras Mapuche, Santiago, G.I.A.,
Serie Documentos de Trabajo N° 2, 1980; Bengoa, José, Breve historia de la legislación
indígena en Chile, México, Anuario Indigenista, 1990, vol. XXIX, p. 17-57.
44. Quezada Sid, Carlos, « Legislación indígena », Seminario de investigación sobre el
desarrollo de la provincia de Cautín, 1956, Temuco ; Ormeño, Hugo & Jorge Osses, « Nueva
legislación sobre indígenas en Chile ».Cuadernos de la Realidad Nacional, 1972, n° 14,
p. 15-45; González, Hector, « Propiedad Comunitaria o Individual. Las Leyes Indígenas y
el Pueblo Mapuche. », Nutram, 1986, vol. 2-3, p. 6-13; Boccara, Guillaume et Seguel
Ingrit-Boccara, Políticas indígenas en Chile (Siglos XIX y XX) de la asimilación al pluralismo (el
caso Mapuche), Revista de Indias, 1999, vol. LIX, N° 217, p. 741-774.
45. La CEPI est issue du « pacte de Nueva Imperial » (1989) conclu, en pleine période de
« transition démocratique » (c’est-à-dire de retour à la démocratie et de réforme de la
Constitution et des institutions), entre le candidat à la présidence de la République
chilienne Patricio Aylwin et les organisations indigènes. Créée en 1990, par le Président
Patricio Aylwin, cette commission composée d’experts et de représentants indigènes de
tout le pays avait pour objectif d’élaborer une loi indigène (la future loi 19.253),
notamment en collectant les différentes demandes, dont la question foncière, des
peuples indigènes au Chili. Pour remplacer celle qui avait été contestée et promulguée
sous la dictature (Loi Nº 2568), Instituto de Estudios Indígenas (IEI), Elaboración base de
datos del pueblo mapuche en la comuna de Temuco, XI región de la Araucanía, Rapport
préparé par l’Instituto de Estudios Indígenas de la Universidad de la Frontera pour la
Municipalité de Temuco, 2002.

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Pour une vision plus critique du travail de cette commission, on peut également
consulter Toledo, Victor, El Pueblo Mapuche, Derechos Colectivos y Territorio: Desafíos para la
Sustentabilidad Democrática, Santiago, Editorial Chile Sustentable, LOM, 2006, p. 96-97.
46. Molina, Raúl, et Correa, Martín, Territorio y comunidades pehuenches del Alto Bio Bio.
Santiago, Colección de la Propiedad Indígena en Chile. CONADI, 1998 ; Molina, Raúl, et
Correa, Martín, Las tierras huilliches de San Juan de la Costa. Santiago, Colección de la
Propiedad Indígena en Chile. CONADI, 1998. Molina, Raúl, et Correa, Martín, Territorios
huilliches de Chiloé. Santiago, Colección de la Propiedad Indígena en Chile, CONADI,
1996 ; Vergara, Jorge, Mascareño, Aldo et Foerster, Rolf, La propiedad huilliche en la
provincia de Valdivia. Santiago, Colección de la Propiedad Indígena en Chile, CONADI,
1996; González, Héctor et Gundermann Hans, Contribución a la historia de la propiedad
Aymará. Santiago, Colección de la Propiedad Indígena en Chile. CONADI, 1997; Rochna,
Susana, La propiedad de la tierra en Isla de Pascua. Santiago, Colección de la Propiedad
Indígena en Chile, CONADI, 1996.
47. Une anecdote circule au sujet de cette étude manuscrite traitant des conflits
fonciers dans la zone de Malleco selon laquelle l’un des hauts responsables de l’époque
au sein de la CONADI s’était opposé à sa publication la considérant comme une véritable
« bombe à retardement ». Aylwin, José, et Correa, Martin, Catastro de conflictos y
demandas de tierras mapuche en la provincia de Malleco, Corporación de Desarrollo
Indígena (CONADI). Informe y antecedentes recopilados por comunidad, 1995.
Finalement une grande partie des informations de cette étude a été utilisée pour
l’élaboration de l’ouvrage : Correa, Martin et Mella, Eduardo, Las razones de illkun / enojo:
Memoria, despojo y criminalización en el territorio mapuche de Malleco. Santiago, LOM
Ediciones, Observatorio de Derechos de los Pueblos Indígenas, 2010.
48. CVHNT, « Resultados del estudio relativo a la propiedad actual de las tierras
comprendidas en 413 títulos de merced de las provincias de Malleco y Cautín », Informe
de la Comisión Verdad Histórica y Nuevo Trato de los Pueblos Indígenas, vol. 2, Anexo, 2003.
49. Marié, Michel, « L'anthropologue et ses territoires. Qu'est-ce qu'un territoire
aujourd'hui? », Espaces et Sociétés, vol. 119-44, 2004, p. 179-198. p. 180.
50. On pourra quand même citer parmi ces rares études monographiques publiées qui
se sont inspirées des travaux de Stuchlik et Faron : Melville, Thomas R. La naturaleza del
poder social mapuche. Santiago, Pehuen Editores, 2016 [1979]; Di Giminiani, Piergiorgio.
Tierras ancestrales, disputas contemporáneas. Santiago, Ediciones Universidad Católica de
Chile, 2012. González Gálvez, Marcelo. Los mapuche y sus otros. Persona, alteridad y sociedad
en el sur de Chile. Santiago, Universitaria, 2016; Course, Magnus. Mapuche ñi mongen.
Persona y sociedad en la vida mapuche rural. Santiago, Pehuen Editores, 2017.

RÉSUMÉS
L’émergence des mouvements autochtones au début des années 90, sur les scènes nationales et
internationales, a été marquée par d’importantes transformations identitaires et territoriales en
Amérique latine. C’est ainsi qu’au Chili, durant cette même période la question du territoire est

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devenue centrale dans les revendications des Mapuche. Pourtant le concept même de territoire
reste assez récent dans la littérature scientifique les concernant. Aussi, est-il apparu important
de retracer l’histoire de ce concept à partir des études menées en terrain mapuche au cours du
XX° siècle et de voir comment celui-ci y est présent sans être prononcé, et ainsi mieux
comprendre la relation entre champ scientifique et politique. À travers une recherche
bibliographique portant sur les principaux travaux anthropologiques, sociologiques et
historiques réalisés durant cette période de maturation du discours territorial mapuche (XX e
siècle) nous verrons comment les études pionnières de Faron et Stuchlik ont donné une
dimension socioculturelle à la représentation des espaces communautaires, tandis que les études
sociologiques menées durant la Réforme agraire ont forgé la « question mapuche » d’un point de
vue social, économique et politique. Finalement, c’est dans le contexte du retour à la démocratie
que l’émergence des études foncières permettra de mettre en relation la question historique des
terres usurpées avec celle du territoire.

The emergence of indigenous movements in the early 1990s, on the national and international
arenas, was accompanied by important identity and territorial transformations in Latin America.
In Chile, during this same period, the question of territory became central to Mapuche demands.
However, the notion of territory remains fairly recent in the scientific literature concerning
them. Therefore, it seemed important to retrace the history of this concept from studies carried
out in Mapuche territory during the 20th century and to see how it is present without being
pronounced, and thus to better understand the relationship between the scientific and political
fields. Through a bibliographical research on the main anthropological, sociological and
historical works carried out during this period of maturation of the Mapuche territorial
discourse (20th century) we will see how the pioneering studies of Faron and Stuchlik gave a
socio-cultural dimension to the representation of community spaces, while the sociological
studies carried out during the Agrarian Reform forged the "Mapuche question" from a social,
economic and political point of view. Finally, it is in the context of the return to democracy that
the emergence of land studies will make it possible to link the historical question of usurped land
with that of territory.

INDEX
Mots-clés : Mapuche, territoire, histoire des idées, études foncières, anthropologie chilienne
Keywords : Mapuche, Territory, history of ideas, land studies, Chilean anthropology

AUTEUR
FABIEN LE BONNIEC
Enseignant-chercheurDepartamento de Antropología, Núcleo de Investigación en Estudios
Interétnicos e Interculturales, Universidad Católica de Temuco, UTC – ChiliChercheur Associé,
Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS)

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