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Recherche et pratiques

pédagogiques en langues
de spécialité
Cahiers de l'Apliut

Vol. 37 N°1 | 2018 :


Confiance, reliance et apprentissage des langues dans l’enseignement supérieur
Articles

Faciliter la prise de parole en


classe : supports, activités et
gestion de l’espace
Facilitating Classroom Speaking: Material, Activities and Space Management

ESTELLE RIQUOIS

Résumés
Français English
Dans l’enseignement-apprentissage des langues vivantes, il est rare de considérer les activités
sous l’angle du stress qu’elles peuvent occasionner pour l’apprenant. Pourtant, certaines sont
plus stressantes que d’autres. Il en va de même pour le support pédagogique utilisé et la
disposition de l’espace. Cela peut être à l’origine d’une réaction émotionnelle forte chez
l’apprenant dont on sait qu’elle est parfois susceptible de jouer un grand rôle dans la réussite
de son apprentissage. Il peut donc être utile de prendre en compte l’affect dans la classe, ce qui
nécessite d’être conscient des différents champs où il intervient.
Cet article vise ainsi à déterminer comment l’apprenant peut être mis en difficulté dans sa
prise de parole en classe, et comment faciliter cette prise de parole en prenant en compte trois
facteurs essentiels : le support d’apprentissage, l’activité demandée et la gestion de l’espace par
l’enseignant. Il sera également question de la formation des enseignants, car cette réflexion
peut permettre de concevoir un outil de formation simple à manipuler en classe.

In the teaching and learning of modern languages, pedagogical activities are rarely considered
as a possible stress factor. Yet it can induce an emotional reaction in the learner, which may
have a major role in the success of learning process. But in order to account for affect in the
classroom, it is important to be aware of the different fields in which it intervenes, in order to
measure how the reactions or actions of the pupil will be influenced.
This paper aims at highlighting the elements that can create difficulties for the learner when it
comes to speaking. It also aims at looking at ways to facilitate this speaking by taking into
account three decisive factors: the learning material, the activity requested and the
management of space by the teacher. It will also address the question of teacher training.

Entrées d’index
Mots-clés : classe de langue étrangère, climat de confiance, didactique des langues, gestion
émotionnelle de l’espace, lecture, support pédagogique
Keywords : didactics of languages and cultures, emotional management of space, foreign
language classroom, pedagogical material, reading

Texte intégral

Introduction
1 Dans l’enseignement-apprentissage des langues vivantes, l’aspect émotionnel est
assez peu mis en avant dans les publications didactiques. Pourtant, cela peut être un
élément essentiel pour la réussite de l’apprentissage.
2 Les émotions jouent effectivement un grand rôle dans la réussite ou l’échec de
l’apprenant car elles vont l’influencer de plusieurs manières. L’interaction est
aujourd’hui la modalité d’expression la plus valorisée dans l’apprentissage d’une langue
vivante, mais cela représente un premier facteur de stress car prendre la parole dans
une langue étrangère peut être déstabilisant. D’autres activités peuvent aussi être
angoissantes, tout comme certains supports pédagogiques qui paraissent parfois
difficiles d’accès. Les réactions émotionnelles ainsi provoquées vont entrer en relation
avec d’autres facteurs, sans doute moins visibles, comme les représentations que les
apprenants ont de la langue cible, de la situation d’apprentissage ou de ce que doit être
un bon élève. Ces éléments se trouvent alors associés et mis en interrelation, surtout si
on les observe sous l’angle émotionnel.
3 Pour l’enseignant, il est néanmoins complexe de gérer les émotions des apprenants
dans la classe. Attentif aux éventuelles difficultés des élèves, il identifie les moments
critiques et ceux qui, à l’inverse, facilitent la prise de parole. Mais il faut ensuite
disposer d’outils pour pouvoir organiser son enseignement non seulement en fonction
des besoins d’apprentissage mais également en fonction des caractéristiques
émotionnelles que nous venons d’évoquer. Et comment tenir compte de cet affect de
l’apprenant qui semble avoir tant d’influence ? Quelle définition retenir pour le
désigner et comment utiliser les émotions dans les classes pour que l’apprentissage et
l’enseignement se déroulent dans les meilleures conditions ?
4 Pour proposer une réponse à ces interrogations, nous considérerons une situation
d’apprentissage du français langue étrangère en France à l’université, et trois facteurs
qui peuvent la faire évoluer positivement ou négativement selon la manière dont les
apprenants les conçoivent. Nous observerons le support pédagogique, l’activité
proposée et la gestion de l’espace de la classe dans une situation difficile du point de
vue émotionnel pour une partie des apprenants : la lecture à voix haute face au groupe.
Certains types de document peuvent effectivement paraitre plus stressants que d’autres,
comme les supports audio face aux textes écrits, sans préjuger de leur difficulté réelle.
De même, la position spatiale de l’élève dans la classe peut entrainer des ressentis très
différents qu’exprime bien la question « est-ce que je dois me lever pour répondre ? »
ou « est-ce qu’il faut aller au tableau ? » sous-entendant évidemment que l’élève
préfèrerait rester à sa place !
5 Nous verrons donc dans un premier temps ce que recouvrent les appellations
« émotions » et « affect » dans la classe, puis nous aborderons la question de la gestion
de ces émotions. Enfin, nous présenterons une expérimentation menée en classe qui
nous a permis d’observer les difficultés que peut recéler l’activité de lecture à voix haute
si le support change ainsi que l’emplacement dans la classe.

1. L’irruption des émotions dans la


classe
6 La question des émotions en classe est peu traitée dans les recherches en didactique
en France. On pourrait se poser la question de la pertinence d’un tel sujet en regard de
ce silence scientifique, mais il est bien présent dans les travaux anglo-saxons. De
nombreux chercheurs américains, notamment, s’accordent aujourd’hui sur la nécessité
de tenir compte des aspects émotionnels dans la classe, et en particulier en langue
étrangère. Schumann, par exemple, montre la relation entre les émotions et la
cognition en insistant sur l’inclusion de l’affect dans la cognition :

Les cellules du cerveau, dans les aires limbiques et fronto-limbiques, qui


comprennent le système d’évaluation du stimulus, modulent l’acte de cognition
de telle façon que, dans le cerveau, l’émotion et la cognition soient bien
identifiées mais fonctionnent de manière inséparable. En conclusion, dans une
perspective neurologique, on peut en déduire que l’affect est partie intégrante
de l’acte cognitif1. (Schumann 232)

7 Bien que l’on en tienne peu compte en classe, affect et cognition sont donc
inséparables et la prise en compte de ce que ressent l’apprenant pendant
l’apprentissage pourra lui permettre de développer ses compétences dans un climat
apaisé et surtout de prendre confiance en lui, ce qui est primordial quand on apprend
une langue étrangère, comme le montrent les études de Smuk, Arnold ou Rubio.

1.1. Les émotions insaisissables


8 Si les termes « émotion » ou « affect » sont très utilisés dans les publications portant
sur le sujet (citons par exemple Atienza, Arnold, Capron Puozzo, Develotte, Kertesz-
Vial, Piccardo, Rémon), il semble néanmoins difficile d’établir une définition précise de
ce qu’ils recouvrent. Il est parfois également question d’ « affectivité », de
« sentiments », de « sensibilité » sans que cela n’éclaire réellement le propos. Or s’il y a
flottement terminologique, c’est sans doute lié à la difficulté de définir des notions
complexes qui relèvent de l’individualité de chacun, et qui sont utilisées par des champs
disciplinaires différents ne partageant pas nécessairement les mêmes définitions,
comme la psychologie et la didactique.
9 Pour Capron Puozzo, il faut distinguer émotion et sentiment, le second étant avant
tout stable et durable, contrairement à « l’émotion [qui] est temporaire, inattendue,
imprévue » (36). Or l’enseignant est confronté aux émotions, et doit composer avec
cette volatilité. Elles peuvent apparaitre à tout moment et sont potentiellement des
sources de troubles, difficiles à percevoir et à contrôler. Elles sont aussi temporaires et
disparaissent, mais pour laisser la place à d’autres plus ou moins rapidement. Ce sont
donc des réactions que l’on peut qualifier de psychologiques et psychiques, réactions à
une situation et à l’interprétation de la réalité. Elles seraient en lien avec ce qui entoure
l’individu, et suscitée par un événement.
10 En 1972, Ekman a distingué six émotions de base : la joie, la tristesse, le dégoût, la
peur, la colère, la surprise. Il les a ensuite classées en trois catégories : les émotions
positives, négatives et toxiques. Influençant nos actions quotidiennes, elles jouent selon
lui un rôle majeur dans nos réactions et sont plus ou moins bien acceptées. Si les
émotions positives (la joie, la surprise) sont considérées comme banales, les émotions
négatives (la colère, la tristesse, la peur) et toxiques (le dégoût) sont au contraire
proscrites car elles dérangent ou sont le signe d’une inadaptation (comme la peur).
11 La typologie d’Ekman, très simple, apparait comme un outil aisé à manier pour
l’enseignant. En utilisant des termes courants, il pourra inviter l’apprenant à exprimer
son ressenti pour pouvoir ensuite se concentrer sur la tâche à réaliser plutôt que sur ses
difficultés émotionnelles ou sur ce qu’il suppose dans le regard de ceux qui l’entoure.
12 Dans son livre L’intelligence émotionnelle, Goleman propose d’encourager la
verbalisation de ce que l’on ressent dans le but d’identifier ses émotions et d’agir en
conséquence, de renforcer l’estime de soi et la confiance en soi. On pourra alors veiller à
laisser des espaces de parole pour les élèves où ceux-ci auront la possibilité de
s’exprimer.

1.2. Enseigner avec les émotions…


13 Définir les émotions permettrait donc de mieux les comprendre et les repérer, mais
comment agir ensuite et réagir dans la salle de classe ?
14 Pour Arnold

(la) dimension affective atteint tous les aspects de notre existence et de manière
très directe ce qui se passe dans la salle de classe, y compris celle de langues
étrangères. (Arnold 408)

15 En classe, la prise de parole est une mise en danger, elle expose celui qui parle et le
soumet aux regards des participants, que ce soit les élèves ou l’enseignant. Les
situations où cette « dimension affective » se manifeste sont nombreuses et ne
permettent que rarement de les éviter. Mais, selon Arnold, c’est plus largement
l’identité de l’apprenant qui est engagée, incluant des éléments plus profonds de sa
personnalité dans une vision holistique de l’enseignement qui couvre alors « un large
domaine qui comprend les sentiments, les émotions, les croyances, les attitudes et qui
conditionne de manière significative notre comportement » (Arnold 407).
16 L’évolution méthodologique actuelle en didactique des langues va également dans ce
sens en considérant l’apprenant comme un acteur social qui doit apprendre à agir en
tant que tel dans la société. L’apprenant n’est plus seulement l’individu qui apprend
une langue étrangère :

L’activité de communication des utilisateurs /apprenants est non seulement


affectée par leurs connaissances, leur compréhension et leurs aptitudes mais
aussi par des facteurs personnels liés à leur personnalité propre et caractérisées
par les attitudes, les motivations, les valeurs, les croyances et les types de
personnalité qui constituent leur identité. (Conseil de l’Europe 84)

17 La question se pose ensuite des moyens à la disposition de l’enseignant qui


pourraient permettre de tenir compte de ces émotions et de leurs effets en classe.
Develotte affirme ainsi que

l’engagement émotionnel dans une activité d’apprentissage intensifie la


motivation à effectuer cette activité et en facilite par là même
l’accomplissement. (Develotte 13)

18 Solliciter les émotions positives de l’apprenant permet de susciter l’adhésion,


d’engager davantage le groupe dans l’apprentissage et aide à la mémorisation en reliant
les acquisitions et les situations positives. Selon Piccardo :

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