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Méthodologie du mémoire d’observation de classe

Dossier réflexif
CHAZAREIN-BÉA
Christophe
N° étudiant : 11817775

Enseignante : Catherine MULLER

UFR LLASIC
Département Sciences du langage et Didactique du FLE
Section Didactique du FLE

Master mention Didactique des langues, parcours FLES – 1re année


Année universitaire 2020-2021 – session 2
1re partie : « Réflexivité sur mon
expérience et choix d’une thématique »

1.1 À propos d’un souvenir d’enseignant


Comme point de départ de ma réflexion, je vais évoquer le souvenir de ma professeure d’alle-
mand de 6e et lui donner du sens à la lumière de mon expérience et de mes connaissances.

1.1.1  Récit de mon souvenir

À l’époque où j’étais en CM2, j’ai découvert par hasard dans la bibliothèque de mon père une
vieille méthode d’allemand. En la feuilletant, je m’étais pris d’une réelle fascination pour
cette langue – raison pour laquelle je l’ai choisie, au moment d’entrer au collège, comme pre-
mière langue vivante. J’étais impatient de commencer à apprendre l’allemand !

Les souvenirs que je garde de mon cours sont assez flous. Notre professeure était une femme
dans la quarantaine, à l’allure sérieuse mais qui savait se montrer bienveillante et encoura-
geante. Je ne me souviens pas de notre manuel, mais je me souviens qu’elle nous distribuait
des supports photocopiés. Nous étions au début des années 90 et ses pratiques de classe
étaient encore sous l’influence de la méthodologie SGAV. Nous étudiions d’abord une série de
vignettes représentant une situation de communication, puis nous écoutions le dialogue. Je ne
me souviens pas de nos activités en détail, mais la forme de travail dominante était le face-à-
face. Il n’y avait pas (ou peu) d’activités en sous-groupe.

Très vite, mon enthousiasme des débuts a cédé la place au désenchantement. Je découvrais la
réalité : apprendre une langue est difficile et exige des efforts constants. J’étais un enfant rê-
veur, manquant de confiance en soi, et ma motivation s’est mise à fondre comme neige au so-
leil. Mes résultats se sont vite détériorés, et bientôt j’étais en décrochage.

C’est alors que l’attitude de ma professeure commença à changer. Ayant constaté mon manque
d’engagement et mon incapacité à répondre de manière satisfaisante à ses sollicitations,
celles-ci se firent de plus en plus rares. Ce changement se manifesta également par des signes
non verbaux et proxémiques. Son regard se tournait de moins en moins vers moi, et quand elle
le faisait son visage était plus fermé et moins souriant. Elle se ne se tournait plus vers moi
pour m’inviter à prendre la parole, et je me sentais mis à l’écart du reste de la classe.
1.1.2  Quel regard je porte aujourd’hui sur ce souvenir ?

Je me souviens non seulement d’avoir souffert de ma situation d’échec en allemand, mais aus-
si de m’être senti abandonné par ma professeure. Paradoxalement, je ressentais également une
certaine culpabilité, car il me semblait qu’au fond cet abandon était mérité.

Trente ans plus tard, il ne s’agit pas pour moi de juger ma professeure. Je ne la rends nulle-
ment responsable de mon parcours désastreux en allemand : rien ne permet d’affirmer que
j’aurais échappé au décrochage si elle s’était comportée différemment. Pour être honnête, je
pense même que cela n’aurait pas changé grand-chose puisque les causes de mon échec
étaient plus profondes que ma relation pédagogique avec cette enseignante.

Ceci étant dit, j’estime que sa réaction face à mon décrochage n’a pas été adaptée. Elle n’a fait
qu’accentuer ma dévalorisation, n’aurait pu en aucun cas m’inciter à « mieux travailler », et ne
constituait au final qu’une inutile et injuste double peine.

1.1.3  Comment je l’analyse à la lumière de la didactique des langues ?

Cet épisode m’inspire deux réflexions en lien avec des notions que m’ont apportées mes cours
et mes lectures.

D’abord, il me semble emblématique de l’importance des affects dans l’apprentissage. Ici, je


renvoie aux travaux de Krashen et à son hypothèse des filtres affectifs selon laquelle la moti-
vation, la confiance en soi et l’anxiété jouent un rôle non causal mais facilitateur dans l’acqui-
sition d’une langue (Krashen, 1982, pp. 30-32).

Ensuite, je vois également s’y manifester les effets de ce que Bressoux et Pansu appellent le
« jugement scolaire » (Bressoux & Pansu, 2003). Le jugement scolaire est à distinguer de
l’évaluation, qui n’a pour objet que les performances d’un élève dans la résolution d’une
tâche. Il est un jugement social porté par l’enseignant sur la valeur scolaire même de l’élève :
est-il ou elle doué·e, travailleur·euse, motivé·e, etc. ? « Or, ces jugements peuvent avoir des
conséquences non négligeables sur les performances des élèves. Cela a été montré pour la pre-
mière fois dans la célèbre étude de Rosenthal et Jacobson (1968) » (Bressoux, 2013, p. 213).

L’étude à laquelle se réfère Bressoux est celle qui a mis en lumière le fameux effet Pygmalion.
Rosenthal et Jacobson ont montré que des attentes positives de la part de l’enseignant vont po-
sitivement influencer la réussite des élèves. L’effet inverse a également été démontré : les at-
tentes négatives des enseignants ont une influence négative sur les performances des élèves.
1.2 Les éléments essentiels d’un cours de langue
Je vais à présent prolonger cette réflexion en m’interrogeant sur les critères qui m’incitent à
considérer un cours comme « réussi ». Il me semble que lorsque on évalue la qualité d’un
cours on doit prendre en compte deux aspects distincts, à savoir : le processus et le résultat.

Le processus d’abord. L’apprentissage doit être une expérience agréable en soi, elle doit être
source de plaisir et de satisfaction pour les apprenants comme pour l’enseignant. Ceci im-
plique d’abord qu’il y ait une bonne dynamique relationnelle entre eux, et plus généralement
un bon climat socioaffectif. Ensuite, les supports pédagogiques et les activités doivent être
adaptés aux besoins des apprenants, intéressants et motivants. Les conditions matérielles ont
également leur importance (salle de classe, dispositif technique, etc).

Le résultat ensuite. Le cours doit permettre aux apprenants et à l’enseignant de satisfaire leurs
attentes*. Celles-ci peuvent être aussi bien des objectifs dans le sens strict du terme (par
exemple, réussir un examen à telle échéance ou passer au niveau supérieur), que des attentes
plus floues et subjectives (pour certains apprenants, le sentiment de progresser peut suffire).
Dans tous les cas, il me semble difficile de considérer un cours de langue comme réussi s’il ne
permet pas d’obtenir un minimum de résultats.

Plus généralement, le maintien d’un niveau de motivation élevé chez les apprenants est à mon
avis un bon indicateur global de la qualité d’un cours. Tout ce qui peut concourir à créer et
soutenir la motivation devrait être recherché.

1.3 Réflexions sur ma pratique d’enseignant


Je termine cette première partie du dossier en réfléchissant à ma pratique actuelle d’ensei-
gnant, et en exposant la thématique que je souhaite développer dans la deuxième partie.

1.3.1  Mon parcours

Mon parcours est quelque peu atypique. En 2006, j’ai commencé par enseigner l’espéranto en
tant que bénévole dans un cadre associatif. En 2010, cette activité est devenue semi-profes-
sionnelle sous statut d’auto-entrepreneur. En 2014, j’ai été recruté par un centre de formation
pour enseigner l’occitan. Et depuis 2018, j’enseigne le français, l’occitan et l’espéranto en in-
dépendant sur une plateforme collaborative en ligne.

* Je ne perds pas de vue le fait que les apprenants peuvent parfois avoir des attentes irréalistes – auquel cas il
incombe à l’enseignant de les aider à réajuster leurs objectifs.
Enseigner les langues m’a plu dès le début, mais j’ai commencé sans aucune formation et
j’étais très conscient des limites de mes compétences. J’ai donc commencé à m’autoformer,
en allant puiser dans des livres ou sur Internet des idées d’activités de classe, et en cherchant à
en comprendre par mes lectures les principes méthodologiques sous-jacents.

Le fait que je sois en grande partie autodidacte explique peut-être pourquoi je suis très
conscient de la nécessité d’une constante posture autoréflexive chez l’enseignant. J’aime la fi-
gure du « praticien réflexif » (Bishop, 2013). Il me semble essentiel de ne pas se contenter
d’appliquer des principes clé en main, mais d’exécuter un va-et-vient constant entre pratiques
et théories et de savoir faire preuve d’éclectisme (Puren, 2013).

Toutefois, plus j’avançais, plus je ressentais le besoin d’une vraie formation professionnelle et
de faire reconnaitre mon expérience par un diplôme. C’est pour cette raison que j’ai passé le
DAEFLE en 2017, et que je poursuis des études en master de didactique des langues.

1.3.2  Mes préoccupations actuelles

Comme je l’ai écrit, ma pratique professionnelle est assez variée. J’ai enseigné différentes
langues, à différents publics, sous différentes modalités et dans différents contextes. Mais de-
puis 2014, une part de plus en plus importante de ma pratique se situe sur le terrain du numé-
rique. J’ai eu plusieurs expériences de formations à distance, notamment des formations hy-
brides articulant présentiel et distanciel. Depuis trois ans, je donne également des cours parti-
culiers sur Skype ou Zoom.

Tout cela explique pourquoi beaucoup de mes préoccupations actuelles sont ancrées dans
l’usage des TICE et l’enseignement à distance. Le numérique est un environnement dans le-
quel je me sens à l’aise, et c’est à l’heure actuelle mon terrain professionnel. Je souhaite donc
continuer à développer ma pratique et ma réflexion dans cette direction.

Parallèlement, j’ai aussi un projet très personnel : je souhaite réaliser un manuel d’apprentis-
sage pour l’espéranto. Je m’intéresse donc beaucoup aux manuels, à leur conception, leurs
contenus et leur utilisation.

Voilà pourquoi j’ai choisi de développer, dans la deuxième partie de ce dossier, la thématique
des « techniques de classe et supports ». Plus précisément, et afin d’articuler les deux centres
d’intérêt que je viens de mentionner, je souhaite étudier l’usage des manuels dans le contexte
de la classe virtuelle. Bien entendu, j’ignore si je réussirai à trouver un contexte d’observation
favorable, mais au vu de l’évolution de la situation sanitaire… je suis plutôt optimiste.
2e partie : « Différentes perspectives
sur une thématique »
Le sujet que j’ai choisi me semble d’autant plus pertinent dans la crise que nous traversons
depuis mars 2020, alors que les systèmes éducatifs de très nombreux pays se sont tournés en
masse vers l’enseignement à distance. Cette situation inédite dans l’histoire de l’éducation
aura nécessairement des répercussions durables sur les pratiques éducatives (Peraya, 2020).

2.1 La classe virtuelle, espace numérique d’apprentissage


Je vais commencer par définir la classe virtuelle, et décrire sa place parmi les outils de la for-
mation à distance.

2.1.1  Qu’appelle-t-on « classe virtuelle » ?

La classe virtuelle (désormais CV) est « une modalité technico-pédagogique de formation à


distance qui permet à des personnes d’établir des échanges synchrones pouvant utiliser
l’image, le son et le texte » (Ferone & Lavenka, 2015, p. 2). Elle est basée sur la technologie
de la visioconférence, mise en œuvre par diverses applications telles que Skype, Zoom,
Microsoft Teams, Big Blue Button, etc. Outre les fonctions essentielles citées plus haut, et en
fonction de l’application utilisée, la CV intègre également une batterie plus ou moins riche de
fonctionnalités supplémentaires : partage d’écran, échange de fichiers, tableau blanc, possibi-
lité de créer des sous-groupes, de mettre en place des sondages, etc.

La CV doit son nom à l’analogie avec la salle de classe traditionnelle. Son nom peut toutefois
être trompeur et suggérer qu’elle n’est que la transposition à distance d’un cours présentiel,
alors qu’elle est en réalité « un espace de travail dans lequel l’intervention de l’enseignant doit
être pensée différemment » (Verquin & Daguet, 2016, p. 62).

Je précise que dans le cadre de ce dossier réflexif, j’entends par CV une situation pédagogique
réunissant un enseignant et plus de deux apprenants – comme ce qu’il est convenu d’appeler
« classe » dans le monde réel. En cela, la CV se distingue de ce que Develotte a appelé « visio-
conférence de poste-à-poste » (Develotte et al., 2008), qui ne met en relation qu’un enseignant
avec un (éventuellement deux) apprenant.
2.1.2  La classe virtuelle au sein des dispositifs de formation à distance

Avec la généralisation progressive de l’accès à Internet, la formation à distance est entrée, à


partir du milieu des années 90, dans l’ère de la formation en ligne (Glikman, 2014, p. 8).
Celle-ci fait désormais usage de la communication médiatisée par ordinateur, ensemble d’ou-
tils et de pratiques numériques qui regroupe le courrier électronique, les forums de discussion,
les blogs, les réseaux sociaux, la visioconférence, etc. Ces outils peuvent être classés en fonc-
tion de leur modalité (textuelle ou audiovisuelle) et de leur temporalité (synchrone ou asyn-
chrone) (Guichon, 2012, pp. 157-158). Les formations en ligne tendent à les combiner en rai-
son de la complémentarité de leurs avantages respectifs.

Ainsi, les modalités textuelles ou audiovisuelle permettent de mettre le focus sur le dévelop-
pement des compétences écrites ou orales. La communication asynchrone quant à elle facilite
le travail sur les compétences de compréhension (Roussel et al., 2008, p. 18), et sur la correc-
tion linguistique (Guichon, 2012, p. 159). Elle favorise aussi les dimensions cognitives et mé-
tacognitives de l’apprentissage (ibid., p. 160). Et de son côté la communication synchrone
semble plus adaptée au développement des compétences interactionnelles (Chun, 1994) et in-
terculturelles (Audras & Chanier, 2008). Elle favorise les dimensions socioaffectives de l’ap-
prentissage (Hrastinski, 2008, pp. 53-54), en particulier la motivation des apprenants (Deve-
lotte et al., 2008, p. 134). Elle permet enfin d’introduire de la « présence à distance » (voir in-
fra) afin de remédier à l’isolement des apprenants, une des causes principales d’abandon en
formation à distance (Glikman, 2002, p. 242).

C’est la raison pour laquelle les CV sont donc la plupart du temps intégrées à des dispositifs
de formation basés sur des plateformes d’apprentissage (en anglais, Learning Management
System) telles que Moodle, Canvas ou Apolearn.

2.2 Notions essentielles pour approcher la classe virtuelle


Je présente dans cette partie les notions que j’ai découvertes ou approfondies au travers de
mes lectures, et qui me semblent importantes quand on veut s’intéresser aux phénomènes qui
se jouent dans une CV.

2.2.1  Interactions en ligne et multimodalité

Dans l’ouvrage Décrire la conversation en ligne, un collectif de chercheurs a analysé un cor-


pus d’échanges en visioconférence afin de mettre en lumière leurs spécificités par rapport aux
échanges « dans la vie réelle ». Cet ouvrage se base sur un corpus d’échanges en dyades, ce
qui ne permet pas de mettre en lumière les phénomènes qui apparaissent dans une interaction
de groupe. Il n’en reste pas moins intéressant pour aborder les interactions en ligne.

Parmi les phénomènes observés, on note : des mimiques faciales en plus grand nombre et ac-
centuées afin de compenser le manque de visibilité des gestes (en raison du champ limité de la
caméra) ; des chevauchements plus fréquents, mais suivis de moins de réparations ; un débit
plus lent et un allongement des silences (Develotte et al., 2011).

Comme le souligne Kerbrat-Orecchioni dans le dernier chapitre de cet ouvrage, les interac-
tions en ligne sont multimodales, multicanales et plurisémiotiques (Develotte et al., 2011). La
multimodalité se définit « comme englobant, d’une part, les dimensions verbale, non verbale
et paraverbale (voix, débit, prosodie, gestes, mimiques, rires) et, d’autre part, la coprésence de
différents outils de communication avec la juxtaposition possible d’écriture, de parole,
d’image » (Develotte et al., 2008, p. 132). La CV est un espace de communication « fortement
multimodal » (Develotte et al., 2011) puisqu’il s’appuie sur l’utilisation conjointe et coordon-
née d’un canal vidéo, d’un canal audio, et d’un canal textuel (le clavardage).

C’est pourquoi de nombreux auteurs insistent sur l’importance d’adopter une « approche mul-
timodale » dans l’analyse des interactions en ligne, afin de comprendre comment enseignants
et apprenants choisissent de faire usage de telle ou telle ressource sémiotique en fonction de la
situation (Guichon & Wigham, 2016, introduction ; Guichon & Tellier, 2017, p. 19).

2.2.3  Médiation et médiatisation

Ces deux concepts sont très complexes et n’ont pas été définis de la même manière par tous
les auteurs, comme l’ont évoqué Charlier, Deschryver et Peraya (2006, pp. 475-476). Pour ma
part, je m’appuierai sur la définition qu’en donne Daguet en s’appuyant sur les travaux de
Peraya et Glikman (Daguet, 2015, 1).

Par « médiation » et « médiatisation » on entend deux processus, ainsi que leurs effets. La mé-
diation est une relation sociale et humaine. Dans le champ de la didactique elle désigne princi-
palement la relation pédagogique. La médiatisation quant à elle relève des médias technolo-
giques mis en place pour véhiculer les contenus d’apprentissage. Ces deux processus peuvent
être présents à des degrés d’intensité variable, selon la nature du dispositif pédagogique mis
en place (Glikman, citée par Mangenot, 2017, p. 37).

Dans la CV, la communication est médiatisée par des outils numériques. C’est pourquoi on
peut parler de médiation numérique, et se poser la question de ses effets sur les pratiques pé-
dagogiques des enseignants (Daguet, 2015).

2.2.4  Présence et distance

Les formations à distance ne doivent pas se contenter de proposer une solution à la distance
physique. Elles doivent également remédier à la distance sociale qui est, comme mentionné
plus haut, la principale cause des décrochages. Elles doivent donc créer et alimenter une « pré-
sence à distance » afin de favoriser l’apprentissage (Jézégou, 2010, p. 258).

Cette présence, entendue dans le sens psycho-affectif, résulte de la dynamique des interactions
entre l’enseignant et les apprenants d’une part, et les apprenants entre eux d’autre part (ibid.,
p. 261). C’est un des avantages majeurs de la CV qui le permet grâce à l’immédiateté des
échanges, à l’image et au son qui véhiculent le non-verbal et le paraverbal, ainsi qu’à la mise
en place d’activités collaboratives.

2.2.5  Affordances et compétence techno-sémiopédagogique

De nombreux auteurs se sont intéressés à la façon dont les utilisateurs d’un dispositif tech-
nique tel que la visioconférence exploitent ses fonctionnalités en vue d’atteindre leurs objec-
tifs. Ils analysent ces utilisations en termes « d’affordances », un concept emprunté à la psy-
chologue américaine Gibson. Par affordances, on entend toutes les actions permises par un
outil, avec les contraintes qu’elles impliquent (Guichon & Tellier, 2017, p. 13).

Parmi les affordances les plus étudiées, on trouve celles qui concernent l’utilisation de la ca-
méra (Develotte et al., 2010 ; Guichon & Cohen, 2014), et du chat ou clavardage (Develotte
et al., 2008, pp. 144-147 ; Guichon & Tellier, 2017, pp. 139-144).

Exploiter les affordances de la visioconférence pour collaborer efficacement en CV nécessite


un apprentissage de la part des apprenants et des enseignants. Pour ces derniers, qui doivent
gérer à la fois les activités de classe et les aspects techniques, Guichon a d’ailleurs proposé la
notion de « compétence techno-sémiopédagogique » (Guichon & Tellier, 2017, p. 14).

2.3 Perspectives de recherche
Il me reste maintenant à identifier des approches possibles pour l’observation de l’utilisation
du manuel en CV. Je pense qu’il serait ensuite intéressant d’étudier l’utilisation du manuel nu-
mérique sous deux angles : la complexité de son utilisation comme support pédagogique, et
les affordances mises en jeu dans cette utilisation. Au préalable, il faudra s’intéresser au ma-
nuel en tant que tel.

2.3.1  Questionnements autour du manuel

■ Les caractéristiques du manuel utilisé

Avant d’observer comment l’enseignant utilise son manuel, il me semble nécessaire de décrire
ses caractéristiques objectives. De quel manuel s’agit-il ? Quelle est sa méthodologie de réfé-
rence, c’est-à-dire « celle dont les auteurs se réclament, en particulier dans l’avant-propos du
manuel et du guide pédagogique » (Puren, 2015a) ? Quelle est sa méthodologie d’élaboration,
« celle qu’ils ont effectivement mise en œuvre » (ibid.) ? Quels types de contenus et d’activités
sont particulièrement mis en avant ?

En tant qu’objet numérique, le manuel peut appartenir à trois catégories. Il peut s’agir d’un
manuel numérisé, c’est-à-dire strictement identique à la version imprimée avec des fonctions
simples d’affichage et de navigation ; d’un manuel numérique enrichi, c’est-à-dire présentant
des ressources multimédias et fonctionnalités supplémentaires ; ou d’un manuel numérique
personnalisable, qui offre en plus la possibilité à l’enseignant de le recomposer en fonction de
ses besoins (Capul et al., 2008, p. 7).

Selon Capul, le manuel numérique « comporte des apports sur trois domaines : l’interactivité,
le multimédia, et l’ouverture à travers les hyperliens sur l’ensemble d’Internet ». Il faudra
donc examiner la présence de ces trois composantes et déterminer pendant l’observation com-
ment elles sont exploitées par l’enseignant.

■ Les critères de choix du manuel

Enfin, il faudra bien sûr s’intéresser aux raisons qui ont motivé le choix de ce manuel. Dans
bien des cas, l’enseignant n’a pas eu à choisir son manuel : c’est souvent le responsable péda-
gogique qui l’impose à l’ensemble de l’équipe enseignante. Dans tous les cas il faudra se de-
mander si ce choix a été spécifiquement fait pour un enseignement en CV ou s’il est dans la
continuité des cours présentiels.

2.3.2  Deux perspectives pour appréhender l’utilisation du manuel en classe virtuelle

■ Évaluer la complexité de son utilisation

Puren a proposé en 2015 une échelle en six niveaux qui décrit la compétence d’un enseignant
dans l’utilisation de son manuel (Puren, 2015b). Ces niveaux sont hiérarchisés en fonction de
leur complexité, chacun d’eux impliquant la maitrise des niveaux antérieurs.
Selon Puren, cette grille peut servir à l’évaluation de la compétence didactique d’un ensei-
gnant. Elle me semble être aussi un outil très pertinent pour analyser l’utilisation du manuel
en répondant à de nombreuses questions : l’enseignant utilise-t-il le manuel de façon linéaire,
ou dans un autre ordre ? Ignore-t-il certaines activités ? Utilise-t-il des ressources extérieures
au manuel ? Modifie-t-il les activités langagières et culturelles proposées dans le manuel ?
Modifie-t-il la méthodologie d’élaboration du manuel en s’inspirant d’autres méthodologies ?
Quelle est la méthodologie d’utilisation (selon Puren, 2015a) ?

En croisant ces observations avec des entretiens avec l’enseignant, il devrait être possible de
faire émerger ses discours et représentations quant à sa propre utilisation du manuel en CV, et
déterminer si cet environnement l’a conduit à modifier son utilisation du manuel par rapport à
la classe présentielle.

■ Identifier les affordances mise en jeu et leur interférence avec l’utilisation du manuel

Pour compléter cette analyse, il serait intéressant d’observer comment l’enseignant met à pro-
fit les fonctionnalités de la CV dans l’utilisation de son manuel. Chacune de ces fonctionnali-
tés ou outils (partage d’écran, zoom, annotations, clavardage, etc.) supporte de multiples
affordances – autrement dit, des possibilités d’action de la part de l’utilisateur.

Il serait intéressant d’identifier, grâce à l’observation, les affordances qui sont mises en jeu, et
d’autre part d’interroger l’enseignant sur sa perception de l’utilité et de la complexité des ou-
tils. Certaines affordances peuvent faciliter l’utilisation du manuel, mais leurs contraintes et li-
mites peuvent également interférer avec celle-ci.

Quelles affordances apportent une plus-value dans l’utilisation du manuel, par rapport à la
classe présentielle ? Incitent-elles l’enseignant à modifier l’utilisation de son manuel, et com-
ment ? Ont-elles une influence sur la complexité de l’utilisation du manuel (telle que définie
plus haut) ? Et enfin, plus généralement, quels usages des outils de la CV ont un impact sur la
manière d’enseigner ?

Je conclus mon travail sur ce dossier réflexif, que j’ai commencé non sans appréhension mais
que je termine avec optimisme. Il m’a d’abord aidé à développer mes compétences en re-
cherche bibliographique. Grâce à mes lectures, j’ai aussi pu découvrir ou affiner de nombreux
outils conceptuels, et enrichir mes connaissances à la fois théoriques et pratiques. Et surtout, il
m’a permis de gagner en confiance et d’envisager plus sereinement mon futur travail d’obser-
vation.
Références Bibliographiques

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