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apprendre

avec le numérique
Mythes et réalités

Franck Amadieu
André Tricot

www.editions-retz.com
9 bis, rue Abel Hovelacque
75013 Paris

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Direction éditoriale : Sylvie Cuchin
Édition : Céline Lorcher
Correction : Gérard Tassi
Mise en page : Alexandre Fine

N° de projet : 10206410
Dépôt légal : septembre 2014
Achevé d’imprimer en septembre 2014 sur les presses
de la Nouvelle Imprimerie Laballery

© RETZ, 2014
ISBN : 978-2-7256-3320-6

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Sommaire

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Chapitre 1 : On est plus motivé .
quand on apprend avec le numérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Chapitre 2 : On apprend mieux .
en jouant grâce au numérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Chapitre 3 : Le numérique favorise l’autonomie .
des apprenants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Chapitre 4 : Le numérique permet .
un apprentissage plus actif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
Chapitre 5 : Les vidéos et informations .
dynamiques favorisent l’apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
Chapitre 6 : Le numérique permet .
d’adapter les enseignements aux élèves . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Chapitre 7 : Le numérique permet .
de s’adapter aux besoins particuliers des apprenants . . . . 61
Chapitre 8 : La lecture sur écran réduit les compétences .
de lecture et les capacités attentionnelles des jeunes . . . . 69
Chapitre 9 : Les élèves savent utiliser efficacement  .
le numérique car c’est de leur génération . . . . . . . . . . . . . . . . 78
Chapitre 10 : Ça va coûter moins cher . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Chapitre 11 : Le numérique va modifier le statut même .
des savoirs, des enseignants et des élèves . . . . . . . . . . . . . . 95

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

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Introduction

◗◗« Les livres seront bientôt obsolètes… »


Savez-vous qui a dit : « Les livres seront bientôt obsolètes
dans les écoles. Les élèves recevront un enseignement
visuel. Il est possible d’enseigner tous les domaines de
la connaissance humaine par le cinéma. Notre système
scolaire va complètement changer d’ici dix ans. Nous tra-
vaillons depuis un certain temps sur les films scolaires.
Nous avons étudié et reproduit la vie de la mouche, du
moustique, du ver à soie, de la mite brune, des papillons
et d’autres insectes, ainsi que la cristallisation chimique.
Nos travaux montrent de façon concluante la valeur des
films dans l’enseignement de la chimie, de la physique et
d’autres domaines, ce qui rend les connaissances scienti-
fiques, difficiles à comprendre dans les livres, claires et
simples pour les enfants. » ?
C’est Thomas Edison, en 1913, dans une interview
au New York Dramatic Mirror. Il répondait à la ques-
tion « Quel est votre avis sur la valeur pédagogique du
cinéma ? »
Cette citation donne le vertige : et si le numérique nous
refaisait le coup du cinéma ? Quand Thomas Edison disait
cela, il était parfaitement honnête et raisonnable. Il n’ima-
ginait peut-être pas à quel point le cinéma allait boulever-
ser le xxe siècle, notre rapport à la culture, il n’imaginait
peut-être pas qu’un art majeur était en train de naître.
Mais il n’imaginait pas non plus que le cinéma allait res-
ter en dehors des salles de classe. La valeur pédagogique
potentielle du cinéma est sans doute immense. Sa valeur
pédagogique réelle est très limitée.
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Apprendre avec le numérique

Depuis une trentaine d’années, la valeur pédagogique


du numérique est l’objet de beaucoup d’espoirs, de spé-
culations. À titre d’exemple, on citera les activités avec
le langage LOGO au sein des écoles françaises, dans le
cadre du fameux plan informatique pour tous des années
1980, sous l’impulsion du travail de Seymour Papert. Ces
espoirs sont la plupart du temps fondés sur de très bonnes
raisons, par des personnes compétentes, qui parlent en
toute bonne foi. Nous-mêmes, engagés dans la recherche
sur le numérique au service de l’apprentissage depuis de
longues années, passons nos journées à essayer d’identifier
les plus-values pédagogiques de différentes technologies.
Pourtant, quand nous lisons la littérature scientifique sur
ce sujet, quand nous conduisons des expériences, quand
nous observons ce qui se passe (ou ne se passe pas) dans
les classes, nous constatons une réalité bien plus nuancée
que notre imagination.

◗◗Des technologies pour l’apprentissage ?


La question de l’apport du numérique aux apprentissages
est d’autant plus importante aujourd’hui que les usages
des technologies se sont grandement développés dans notre
société. La considérable évolution des technologies et des
systèmes d’information a alimenté les attentes autour du
numérique pour l’apprentissage. L’incroyable développe-
ment d’Internet depuis une quinzaine d’années est en partie
responsable de l’engouement actuel autour des technologies
pour l’apprentissage. Son évolution, tant au niveau techno-
logique (rapidité d’accès aux informations, développement
des moteurs de recherche, augmentation des débits de don-
nées…) qu’au niveau des bases d’informations gigantesques
qui ne cessent de s’enrichir, suscite des attentes fortes. À
cela s’ajoute le développement des supports technologiques
vers la mobilité qui permettent des accès à l’information où
que l’on soit. La question de l’apprentissage mobile est par
exemple aujourd’hui un enjeu majeur dans le domaine de
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Introduction

l’éducation. Les supports mobiles tels que les téléphones


portables ou les tablettes tactiles associées à un accès illi-
mité à Internet encouragent l’apprentissage où que ce soit
(apprentissage ubiquitaire). L’utilisation par les étudiants
de ces outils de mobilité est en effet aujourd’hui très impor-
tante (Margaryan et al.., 2011).
Les dispositifs techniques deviennent également de
plus en plus conviviaux et permettent ainsi aux ensei-
gnants ou aux formateurs de construire des ressources
numériques dépassant la simple mise en ligne d’un docu-
ment pdf. Aujourd’hui il n’est plus nécessaire de connaître
les langages informatiques pour produire une ressource
pédagogique.
Tout ceci conduit à des attentes fortes aux niveaux poli-
tique, économique et pédagogique, en particulier autour de
certains dispositifs techniques et pédagogiques comme les
jeux sérieux, les MOOCs (massive open online course), les
cours multimédias ou encore l’apprentissage ubiquitaire.

◗◗Quelles plus-values pour l’apprenant ?


Derrière ces évolutions techniques et pédagogiques se pose
la question de leurs plus-values. Qu’est-ce que ces dispo-
sitifs sont supposés apporter à l’apprenant qui lui permet-
traient d’atteindre ses objectifs de formation ? Les discours
techno-centrés fournissent des réponses souvent hâtives à
ce type de question, propageant ce que nous avons appelé
des « mythes ». Dans cet ouvrage, nous nous centrons sur
l’apprenant et tentons de comprendre comment les tech-
nologies et les dispositifs impactent les apprentissages
tant d’un point de vue positif que négatif. Les recherches
qui sont mentionnées appartiennent principalement aux
champs de la psychologie et des sciences de l’éducation
et évitent de fait les approches trop techno-centrées qui
omettent souvent, par manque de modèle de l’apprenant,
la réalité de celui-ci et de ses processus d’apprentissage.

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Apprendre avec le numérique

◗◗11 mythes passés au crible


Dans ce petit ouvrage, nous allons passer en revue onze
des « mythes » les plus répandus à propos du numérique
pour l’apprentissage, comme : on est plus motivé quand on
apprend avec le numérique ; on apprend mieux en jouant
grâce au numérique ; le numérique  favorise l’autonomie
des apprenants ; le numérique permet un apprentissage
plus actif, etc. Les onze mythes sont analysés de la même
manière, en quatre temps :
1. Que dit le mythe et qui le dit ? pourquoi ? depuis
quand ?
2. Bilan des travaux scientifiques : quel est l’état des
connaissances à propos de ce mythe ?
3. Quelques exemples : des outils ou des recherches
relevant de ce mythe sont présentés.
4. Conclusion et pistes pour l’action.
Nous montrons que le numérique présente non pas
une mais des valeurs pédagogiques. Ses apports sont nom-
breux, mais le plus souvent spécifiques : telle application,
quand elle est conçue de façon rigoureuse, a un effet positif
sur tel apprentissage auprès de tels élèves, dans telles
conditions. Pour obtenir cet effet positif, l’enseignant a
un rôle précis à jouer, il n’est surtout pas en dehors de la
situation d’apprentissage.
Ce petit ouvrage défend un point de vue très simple :
les mythes liés au numérique ont fait beaucoup de mal
à la crédibilité des nouvelles technologies pour l’appren-
tissage. Il est beaucoup plus raisonnable de considérer
le numérique comme une immense famille d’outils, dont
nous devons apprendre à quoi ils servent avant de nous
en servir. Nous aurons ensuite le temps d’imaginer de
nouveaux usages.

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Chapitre 1

On est plus motivé


quand on apprend
avec le numérique

◗◗pour
Le mythe des technologies qui motivent
apprendre

Les technologies évoluent et deviennent de plus en plus


attractives dans nos vies car elles permettent de réaliser
de nouvelles tâches grâce à des fonctions innovantes et au
design des interfaces. Il suffit de se souvenir des premiers
sites web : ils présentaient des interfaces plutôt austères
ou au contraire totalement kitsch et des fonctions réduites
à l’utilisation d’hyperliens, de moteurs de recherche et de
bookmarks (signets). Depuis 20 ans, le web a évolué avec
les interfaces. Aujourd’hui, les sites sont mieux conçus,
les interfaces sont plus accueillantes et les fonctions sont
plus nombreuses et plus puissantes. Enfin, la richesse des
contenus a progressé de manière exponentielle.
Cet ensemble de progrès fait souvent croire que l’in-
tégration des technologies dans les situations d’appren-
tissage améliore la motivation des apprenants. Il serait
plus engageant de consulter une vidéo sur sa tablette, de
chercher une information dans Wikipédia ou encore de
lire un manuel interactif que de lire un texte, même illus-
tré. Les formats d’informations seraient attractifs parce
que dynamiques, multimédias (ex. : documents visuels et
sonores) et interactifs, tout comme les activités d’appren-
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Apprendre avec le numérique

tissage avec ces outils car plus innovantes, interactives,


voire ludiques. Mais cette plus grande motivation existe-t-
elle vraiment ? Et dans ce cas, l’accroissement de la moti-
vation contribue-t-il à l’amélioration des apprentissages ?
Une étude d’Ifenthaler et al. (2013), conduite à l’aide d’en-
tretiens auprès de 18 enseignants avant le déploiement de
tablettes dans leur classe, montre que l’utilité de cet outil
est attendue au plan de la motivation et de l’estime de soi
des élèves, mais pas au niveau des apprentissages. Les
technologies numériques seraient-elles surtout un outil
améliorant la motivation des apprenants ? Ou ont-elles
aussi un effet sur l’apprentissage ?

◗◗Bilan des travaux scientifiques


Les travaux sur la motivation dans les situations d’ap-
prentissage en général sont évidemment pléthoriques.
Concernant le numérique, de plus en plus de travaux s’in-
téressent à la question des motivations à la fois en tant que
facteur impactant l’usage des technologies et en tant que
résultante de l’usage des TICE.
La motivation renvoie à des comportements motivés
tels que l’investissement dans la tâche et la persévérance.
Elle implique également des facteurs psychologiques qui
expliquent ces comportements motivés, comme la valeur
accordée à la tâche et au résultat, le sentiment de contrôle
sur la situation d’apprentissage ou encore le sentiment chez
l’apprenant d’être compétent dans le domaine qu’il étudie.
Enfin, différents types de motivations existent sur la base
des buts poursuivis par les apprenants. Classiquement,
on distingue la motivation extrinsèque caractérisée par
la poursuite de but de performance et de comparaison
sociale, et la motivation intrinsèque caractérisée par la
poursuite d’un but de maîtrise du domaine et de plaisir
(Decy, Vallerand, Peletier & Ryan, 1991).
En outre, lorsqu’on parle de motivation, parle-t-on de la
motivation relative au dispositif d’apprentissage (ex. : le simu-
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Chapitre 1

lateur est attrayant pour l’apprenant), à la tâche d’appren-


tissage (réaliser les exercices, lire, produire…), au contexte
d’apprentissage (ex. : les exercices sur ordinateur ont rendu
les élèves plus coopératifs) ou au domaine de connaissances
(ex. : apprendre la géométrie avec une tablette suscite de
l’intérêt pour la géométrie) ? Il est donc difficile de faire un
bilan représentatif des travaux sur les motivations et les
TICE. Néanmoins, nous présentons ici quelques résultats de
recherche qui nous semblent pertinents pour illustrer l’hé-
térogénéité des résultats et remettre en question certaines
idées reçues.

L’exemple des jeux pour apprendre : et si la motivation


avait un rôle très secondaire ?
Prenons le cas des jeux sérieux (serious games) qui sont
abordés plus spécifiquement dans le chapitre 2 de l’ou-
vrage. Les jeux sérieux sont généralement développés dans
le but d’amener une dimension ludique et/ou amusante à
l’apprentissage, rendant ainsi l’activité d’apprentissage
plus acceptable par l’apprenant (meilleur investissement,
plus grande persévérance, plus d’intérêt…). Wouters,
Nimwegen, van Oostendorp & Van der Spek (2013) ont
conduit une méta-analyse (un examen des travaux empi-
riques) sur les effets des serious games dans les apprentis-
sages. Si les auteurs attestent d’un effet positif des serious
games sur les performances d’apprentissage comparative-
ment à des situations d’apprentissage plus traditionnelles,
ils ne confirment en revanche pas d’effet sur la motivation.
Les auteurs nous proposent une explication qui repose sur
l’idée que les jeux n’offrent pas à l’apprenant un contrôle
si important dans son apprentissage. Or, dans un contexte
d’apprentissage, ce sont les situations qui favorisent une
liberté dans les prises de décision qui améliorent la moti-
vation des apprenants.
Ce constat est important et il soulève deux points. D’une
part, le caractère interactif, immersif et de défi d’un jeu
sérieux n’est pas forcément une source de motivation. La
technologie et les situations d’apprentissage qu’elle offre
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Apprendre avec le numérique

ne sont donc pas en soi suffisantes pour améliorer la moti-


vation. D’autre part, la motivation n’est pas le médiateur
incontournable entre la technologie et un apprentissage
performant. Des tâches d’apprentissage avec des techno-
logies peuvent améliorer les performances d’apprentissage
sans pour autant améliorer la motivation des apprenants.
Mais, encore une fois, il n’est pas toujours évident de com-
prendre de quelle motivation il est question.

L’utilité et l’utilisabilité : deux facteurs de motivation


Une façon de concevoir la motivation des apprenants face
aux technologies est de tenir compte de leurs perceptions
des technologies ou des dispositifs. La question est de
savoir si les technologies sont bien perçues et jugées utiles
par les utilisateurs.
Tout un courant de recherche existe autour de la per-
ception de l’utilité et de l’utilisabilité chez les utilisateurs
de technologies en général (Davis, Bagozzi & Warshaw,
1989), mais aussi dans les situations d’apprentissage (ex. :
Moran, Hawkes & El-Gayar, 2010).
L’utilisabilité renvoie à la facilité d’utilisation de l’ou-
til pour l’apprenant (facilité pour apprendre à s’en servir,
facilité à trouver les fonctions et à réaliser les tâches que
l’on souhaite faire, facilité à se repérer dans l’outil, com-
préhension des erreurs d’utilisation…).
L’utilité renvoie quant à elle à la perception d’ap-
prendre grâce à l’outil et donc d’atteindre ses objectifs d’ap-
prenant (par exemple, l’outil permet de mieux comprendre
les contenus du cours ; il permet d’apprendre plus rapide-
ment ; il permet d’apprendre en faisant moins d’effort).
Ces représentations que l’apprenant a de l’outil par-
ticipent directement à l’intention d’usage de l’outil (cf.
figure 1). L’intention d’usage des technologies par les
apprenants est influencée d’abord par l’utilité perçue (ou
attente de performance) et par l’attitude plus ou moins
favorable à l’égard de cette technologie, et dans une
moindre mesure par la facilité perçue (ou attente d’effort)
(Sumak, Hericko & Pusnik, 2011).
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Chapitre 1

Figure 1 : Base du modèle de l’acceptabilité des technologies


(Davis, Bagozzi & Warshaw , 1989)

L’importance de la tâche
Les travaux conduits sur l’acceptation des technologies
nous apprennent l’importance des facteurs contextuels
et des tâches conduites avec les technologies sur la moti-
vation. Dans une étude d’Edmunds, Thorpe & Conole
(2012), 421 étudiants d’une université ouverte (à distance)
anglaise ont répondu à une enquête par questionnaire. Les
réponses indiquent que les technologies de l’information
et de la communication sont perçues comme plus utiles et
faciles à utiliser dans un contexte de travail que dans des
contextes de cours/étude ou de loisirs.
Ce résultat souligne donc l’importance de penser les
dispositifs technologiques selon les contextes d’utilisation
et donc des tâches réalisées dans ce contexte.
En effet, Pecoste (2014) a récemment mis en évidence
l’importance de la nature de la tâche d’apprentissage sur
l’intention à utiliser l’outil. L’étude a comparé deux tâches
à effectuer avec un même outil (une tablette tactile) : une
tâche de lecture-compréhension d’un document hypermé-
dia et une tâche de production-révision d’écrit.
Les résultats ont clairement montré que pour des utili-
sateurs novices dans l’utilisation de tablettes, réaliser une
tâche de lecture-compréhension améliore la perception de
l’utilité et l’intention d’usage des tablettes, alors qu’à l’in-
verse une tâche de production-révision les diminue.
Ainsi, l’adéquation des tâches à l’outil ou au dispositif
utilisé participe directement à la perception de l’utilité de
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Apprendre avec le numérique

l’outil et donc à la motivation de l’apprenant à utiliser l’ou-


til. Ces travaux nous apprennent que la motivation à uti-
liser une technologie pour apprendre dépend du contexte
d’utilisation et du type de tâche qui est réalisé avec cette
technologie.

◗◗Exemple : le cas des tablettes


Poursuivons avec l’exemple des tablettes tactiles qui
envahissent nos environnements technologiques et com-
mencent à prendre la place de l’ordinateur dans les foyers.

Des résultats généralement positifs…


S’il est difficile de dire aujourd’hui que l’attractivité des
tablettes se traduit par un engagement plus important
des apprenants dans les tâches (ex. : temps passé, straté-
gies d’apprentissage de haut niveau), des travaux récents
viennent corroborer l’idée d’attitudes positives envers les
tablettes et leur utilisation pour l’apprentissage chez les
élèves, mais aussi chez les enseignants (McCabe, 2011 ;
Morris et al., 2012).
Les utilisateurs perçoivent ces outils comme enga-
geants pour les tâches d’apprentissage ; ils contribueraient
à l’acquisition de compétences et de connaissances. Par
exemple, une étude récente de Campigotto, McEwen &
Demmans Epp (2013) montre qu’après trois mois d’utili-
sation, une application1 sur l’apprentissage de vocabulaire
a été bien accueillie par des élèves porteurs de handicap,
comme par leurs enseignants. Si l’outil ne semble pas
avoir favorisé une motivation plus profonde pour le cours,
il aurait en revanche aidé les élèves à prendre confiance
en eux dans l’utilisation des tablettes. Le caractère intuitif
et tactile facilitant son utilisation, ainsi que le caractère

1. Notons qu’il est difficile de dissocier les applications de l’outil tablette


et inversement car les caractéristiques des applications sont conçues sur la base
du mode d’interaction tactile avec la tablette.

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Chapitre 1

nouveau de l’outil ont contribué à l’intérêt des élèves pour


les tâches réalisées avec celui-ci.
Une étude de Ferrer, Belvis & Pamies (2011) corro-
bore également le constat d’une perception positive des
effets des tablettes sur l’apprentissage. Leur étude, menée
auprès d’élèves de 10-11 ans, indique que les tablettes uti-
lisées en classe et à la maison permettraient de réduire
certaines inégalités entre élèves. Ceux qui sont en diffi-
culté scolaire jugent que les tablettes contribuent à une
amélioration de leur niveau scolaire (meilleur apprentis-
sage) et de leur participation en classe.

… mais des résultats pas très fiables


Il est important de noter que ces premiers résultats sur
l’attitude positive vis-à-vis des tablettes restent criti-
quables et présentent plusieurs limites. Les méthodologies
employées dans ces études sont peu rigoureuses (absence
de mesures standardisées, manque de contrôle de certaines
variables…), elles ne présentent pas de cadre théorique et
restent très exploratoires. En outre, les performances attri-
buées à ces outils sont parfois surévaluées par les appre-
nants. Oviatt & Cohen (2010) ont montré qu’une tablette
graphique était moins performante en termes d’apprentis-
sage qu’un support papier ou qu’une « tablette stylet ». En
revanche, lorsqu’on évalue les représentations qu’ont les
apprenants de leur performance, les résultats indiquent
que les apprenants pensent davantage apprendre avec une
tablette graphique.
Ces résultats mettent en évidence un problème d’au-
to-évaluation par les apprenants de leur apprentissage. En
d’autres termes, les apprenants ne seraient pas toujours
perspicaces dans l’évaluation de l’utilité réelle d’un outil.

Le paradoxe préférence/performance
Des expériences menées sur les ordinateurs portables
ont révélé également qu’ils pouvaient n’apporter aucun
bénéfice pour l’apprentissage, alors que les enseignants
comme les élèves jugeaient l’introduction de ces PC por-
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Apprendre avec le numérique

tables dans la classe bénéfique pour l’apprentissage et la


réussite (Zucker & Light, 2009). Ainsi, même si les appre-
nants ont une expérience dans l’utilisation des ordina-
teurs, ils ne possèdent pas nécessairement un jugement
précis ou une conscience sur les façons plus efficaces d’uti-
liser ces supports d’apprentissage (Oviatt & Cohen, 2010).
On parle alors de paradoxe performance/préférence. Ce
paradoxe est très bien illustré par une étude de Sung &
Mayer (2013) dans laquelle ils comparent deux méthodes
pédagogiques également délivrées sur deux dispositifs
(iPad vs iMac). Le dispositif se révèle sans effet sur les
performances d’apprentissage. En revanche, les étudiants
se déclarent davantage prêts à poursuivre l’apprentis-
sage lors de l’utilisation de la tablette, quelle que soit la
méthode pédagogique.

◗◗etConclusion : technologie, motivation  


performance n’ont pas de lien évident

Au final, il n’est pas absurde de penser que les technolo-


gies puissent susciter davantage de motivations et d’inté-
rêt chez les apprenants, mais il faut relativiser ce point.
Comme nous l’avons vu, les serious games semblent avoir
un effet très limité voire nul sur les motivations des appre-
nants, alors que dans certaines situations ils améliore-
raient l’apprentissage. À l’inverse, les supports mobiles
et tactiles peuvent être perçus par les apprenants comme
plus utiles et plus efficaces sans pour autant apporter de
plus-value dans les apprentissages (paradoxe préférence/
performance). Les motivations et les performances liées
aux technologies peuvent donc n’avoir aucun lien.
Les recherches nous montrent également que la tech-
nologie n’est pas en soi suffisante pour impacter les moti-
vations. Le type de tâche réalisée avec les technologies
joue un rôle majeur dans la motivation des apprenants.
Une technologie innovante par rapport aux expériences
préalables et aux habitudes des apprenants peut apporter
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Chapitre 1

de la motivation à utiliser l’outil, comme on l’a vu avec le


cas des tablettes tactiles.
Cela nous amène au point le plus important de ce cha-
pitre. Lorsqu’on souhaite comprendre si un dispositif est
source de motivation auprès des apprenants, il est impor-
tant de considérer les activités d’apprentissage réalisées
avec ce dispositif. Une activité peut être très bien accueillie
tandis qu’une autre fera l’objet d’un faible investissement
pour un même dispositif.
On notera que les motivations ou intérêts observés
dans certaines études concernent plus souvent l’outil et
son usage que la tâche d’apprentissage à proprement par-
ler. Un outil peut être attractif par son caractère innovant,
son design ou encore par les interactions qu’il offre, mais
il ne motive pas forcément l’apprenant à passer du temps
à réaliser les exercices ou à lire un manuel scolaire. Le
risque ici est que l’apprenant joue plus avec l’outil qu’il ne
s’engage dans les tâches d’apprentissage.
Enfin, la motivation des apprenants, souvent évaluée
par des questionnaires plutôt que sur la base de comporte-
ments réels traduisant un investissement des apprenants
dans leurs apprentissages, n’implique pas forcément de
meilleures performances d’apprentissage.
On pourrait se dire que si un dispositif ne permet pas
d’apprendre d’avantage mais suscite plus de motivation,
alors cela reste un constat positif. Il faut rester prudent
avec ce type de conclusion et se rappeler que les techno-
logies, du moins les plus innovantes, bénéficient généra-
lement en début de leur usage d’un accueil très positif
chez les utilisateurs, cet enthousiasme s’estompant avec
la familiarisation.

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Chapitre 2

On apprend mieux en jouant


grâce au numérique

◗◗Le mythe de l’apprentissage ludique


Il n’a pas fallu attendre l’apparition de l’ordinateur pour
que les enseignants se demandent s’il serait possible que les
élèves apprennent en classe tout en s’amusant autant que
dans la cour de récréation. Permettre aux élèves d’apprendre
en jouant est le rêve de tous ceux qui en ont assez de voir
certains élèves souffrir en classe ou s’y ennuyer fermement.
Le jeu est un des principaux et plus puissants moteurs de
l’apprentissage naturel, avec l’exploration de l’environne-
ment ou des objets et les relations sociales (Geary, 2008).
Ce rêve d’enseignant a bien entendu été repris par les pion-
niers de l’informatique pédagogique dans les années 1980.
Puis certains éditeurs, dès le début des années 1990, ont
conçu et commercialisé des logiciels ludo-éducatifs comme
les célèbres Adibou, Lapin Malin, etc. Après une période
de creux, le jeu comme support de l’apprentissage avec
ordinateur est revenu en force au début des années 2000,
cette fois-ci en mettant en exergue les apprentissages chez
l’adulte : les serious games, ou jeux sérieux.
La promesse était la même : « Vous allez apprendre
sans vous ennuyer, vos élèves vont apprendre en jouant/en
s’amusant ». Les arguments suivants sont généralement
utilisés pour étayer cette promesse : en jouant, les élèves
sont plus motivés, plus actifs, ils reçoivent de nombreux
retours, immédiats ou différés, sur leurs actions, leurs
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Chapitre 1

résultats ; les jeux permettent de simuler des situations


réelles mais difficiles d’accès.

◗◗Bilan des travaux scientifiques


Des méta-analyses de la littérature empirique ont été
publiées assez tôt (par ex. Vogel et al., 2006). Ces synthèses
distinguent généralement, d’une part, les logiciels dévelop-
pés à des fins d’enseignement et incluant un aspect ludique
et, d’autre part, les jeux vidéo exploités en seconde intention
à des fins d’apprentissage. Le mot « ludique » est parfois
employé dans un sens fort, quand il s’agit d’un véritable
jeu2, ou dans un sens faible, désignant le fait que l’environ-
nement est amusant, ne se prend pas au sérieux. Parfois,
les types de jeux sont spécifiés, comme dans la méta-analyse
de Sitzmann (2011) qui porte sur les jeux de simulation.
Les travaux empiriques dans ce domaine sont particu-
lièrement difficiles à conduire, car pour pouvoir montrer
qu’un jeu sur ordinateur est pédagogiquement efficace, il
faut montrer que les élèves ont effectivement appris, c’est-
à-dire qu’ils savent mieux quelque chose après avoir joué
qu’avant, et qu’ils ont bien appris cela grâce au jeu et non
pas pour une autre raison. Concrètement, pour pouvoir
montrer l’efficacité d’un jeu, il est nécessaire, d’une part,
d’évaluer les connaissances des élèves avant et après l’uti-
lisation du jeu et, d’autre part, de constituer un groupe
d’élèves témoins qui sont évalués de la même manière et
qui, pendant ce temps, apprennent la même connaissance
mais d’une autre manière, sans le jeu.

Apprendre en jouant, c’est parfois efficace  


et pas toujours motivant
Pour Girard et coll. (2013), à peine 9 études sur 31 consa-
crées aux jeux sérieux et publiées entre 2007 et 2012 ont

2.  Le jeu est une activité de loisir dirigée par la recherche d’émotion ou de plaisir
qui consiste à atteindre des objectifs en respectant un ensemble de règles.
Il se caractérise souvent par la présence d’un défi par rapport à autrui ou à soi-même. 
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Apprendre avec le numérique

véritablement répondu à ces exigences méthodologiques.


Quand on ne s’intéresse qu’aux neuf études véritablement
rigoureuses donc, seulement trois montrent une plus grande
efficacité des jeux sérieux. Dans les six autres études, les
jeux sérieux ne permettaient pas aux élèves de faire plus de
progrès que les situations ou supports d’apprentissage qui
leur étaient comparés. Dans deux études, les élèves n’appre-
naient pas mieux, mais leur motivation était plus grande
(sans qu’il soit très clair que ce soit leur motivation pour
apprendre ou pour jouer qui était améliorée).
La méta-analyse de Wouters et al. (2013) a porté sur
39 études. Elle a utilisé quasiment les mêmes critères que
celle de Girard et coll., ne retenant que les recherches rigou-
reuses. Ils ont obtenu un effet positif sur l’apprentissage à
court (immédiatement après l’apprentissage) et long terme
(une à cinq semaines après), en particulier pour l’appren-
tissage de savoir-faire. En revanche, contrairement aux
deux études mises en exergue par Girard, ils n’ont pas
obtenu d’effet moyen positif sur la motivation. Wouters &
Van Oostendorp (2013), analysant les mêmes publications,
ajoutent que l’effet positif était plus important quand le jeu
sérieux impliquait une recherche active d’information.

L’importance d’un apprentissage actif


Une méta-analyse de Sitzmann (2011) a porté sur
55 études consacrées aux jeux de simulation et a utilisé
les mêmes critères de sélection stricts des articles. Elle
montre un avantage moyen en faveur des jeux sérieux
(comparativement aux groupes qui apprenaient sans
jouer) de 11 % quand les connaissances apprises sont des
concepts, et de 14 % quand les connaissances apprises sont
des savoir-faire. Avec les mesures à long terme, l’avan-
tage des jeux sérieux est moins important mais significatif
(9 %). Cependant, Sitzmann met en évidence un biais de
publication dans la recherche sur les jeux de simulation :
l’effet positif des jeux sérieux est obtenu quand le groupe
témoin est en situation d’apprentissage passif. Cet effet
disparaît chaque fois que les élèves du groupe témoin sont
19

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Chapitre 2

actifs dans leurs apprentissages. La synthèse de Sitzmann


montre aussi que bien des avantages liés à la simulation
ne sont pas spécifiques aux jeux sérieux : il y a d’autres
moyens que le jeu pour mettre les élèves en situation
quand le réel est inaccessible.
Les jeux sérieux constitueraient donc un moyen, parmi
d’autres, de rendre les apprenants actifs, ce qui est par-
ticulièrement important quand l’objectif est d’enseigner
des savoir-faire. Le fait que les jeux sérieux proposent des
retours fréquents à l’apprenant contribue probablement à
leur efficacité. En somme, quand on vise l’apprentissage de
savoir-faire, il est important que les apprenants « fassent »
effectivement, qu’ils « pratiquent » et qu’ils puissent rece-
voir des retours quand ils font des erreurs. Cela fait quand
même très longtemps qu’on sait cela. Les jeux sérieux sont
une solution intéressante, mais une parmi d’autres.

Le rôle central du scénario pédagogique


La modestie des résultats, quand on la rapporte au
nombre de publications consacrées aux jeux sérieux
(plus de 10 000 au 1 er mars 2014), peut paraître très
décevante. Il nous semble que le mythe « apprendre en
jouant » est tellement fascinant, tellement porteur (à
raison !) qu’il a peut-être caché la grande difficulté qu’il
y a à concevoir une situation où les élèves apprennent
en jouant. En effet, pour réussir cela, il est nécessaire
de concevoir d’abord un scénario pédagogique, comme
quand on enseigne de façon ordinaire : il s’agit de conce-
voir une situation cohérente qui contienne au moins un
objectif d’apprentissage de connaissances, des tâches,
une progression, des supports, un dispositif de régula-
tion et une évaluation ; puis ensuite un jeu, c’est-à-dire
un but du jeu, des règles, une opposition, une régula-
tion. Une fois que l’on a fait cela, il est nécessaire de
rendre ces deux conditions cohérentes entre elles, au
plan de l’objectif, des tâches, du déroulement, du temps,
etc. Enfin, il faut que les efforts de l’élève dévolus au jeu
ne soient pas trop importants afin que des ressources
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Apprendre avec le numérique

cognitives soient toujours disponibles pour apprendre.


En d’autres termes, la dimension ludique ne doit pas
détourner l’apprenant de l’apprentissage.

Jouer à un jeu permet d’apprendre… à jouer à ce jeu !


Les résultats décevants des jeux sérieux concernent aussi
la deuxième grande catégorie : celle où l’on utilise à des
fins pédagogiques un « vrai » jeu, initialement conçu pour
jouer et non pour apprendre quelque chose de particulier.
Il est peut-être possible d’expliquer ce résultat. Les jeux
sont des situations où l’on fait quelque chose, on réfléchit,
on se trompe, on essaie encore, on agit, on progresse. Il
y a toutes les raisons pour que l’on apprenne ! Et effec-
tivement on apprend en jouant. Tous les travaux qui ont
étudié cette question convergent malheureusement vers la
même conclusion : en jouant au jeu X on apprend à jouer
au jeu X, et c’est tout ! Par exemple, les joueurs de poker
ne développent pas une grande capacité de mémoire ; les
joueurs d’échecs apprennent à jouer aux échecs, et cet
apprentissage semble très spécifique : aucun transfert vers
d’autres domaines n’a jamais été attesté (voir la synthèse
de Gobet, 2008).
Là encore, les jeux sont porteurs d’apprentissage quand
un scénario pédagogique a été conçu pour qu’une utilisa-
tion « détournée » du jeu permette un apprentissage autre
que celui du jeu. La seule exception que nous connaissons,
et encore nous semble-t-elle discutable, concerne les tra-
vaux conduits avec SimCity, que nous présentons ci-après.

◗◗Quelques exemples de jeux sérieux


SimCity
Dans une étude consacrée à l’utilisation pédagogique de
SimCity, Tanes & Cemalcilar (2010) ont demandé à des
élèves de 5e (13 ans en moyenne, scolarisés en Turquie) de
jouer pendant 6 semaines. Ce jeu célèbre consiste à conce-
voir et à modifier une ville virtuelle. Le joueur est un maire
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Chapitre 2

à la tête d’un budget qui doit lui permettre d’aménager


un terrain pour créer puis gérer une ville. Les chercheurs
ont fait l’hypothèse que le fait de jouer à SimCity permet-
tait de développer des connaissances dans le domaine de
l’urbanisme.
Les 222 élèves du groupe SimCity jouaient sur leur
temps libre (15 heures par semaine en moyenne). Le
groupe témoin (196 élèves, issus d’autres établissements
scolaires, ce qui est critiquable) n’avait rien de spécifique
à faire pendant ce temps. Les connaissances des élèves à
propos d’urbanisme étaient évaluées avant et après les
6 semaines.
Les résultats montrent que sur la plupart des connais-
sances, les élèves du groupe SimCity ont plus progressé (de
3 % en moyenne) que les élèves du groupe témoin, encore
plus (6 %) quand la perception des lacunes de la politique
urbanistique de la propre ville des élèves était impor-
tante. Ce résultat montre que SimCity permet d’acquérir
des connaissances à propos de politique urbanistique. Il
ne montre pas que jouer à SimCity est plus efficace que
lire un livre ou regarder des documentaires sur l’urba-
nisme à la télévision. En outre, 6 semaines à 15 heures par
semaine, cela fait 90 heures : n’est-ce pas coûteux en temps
pour apprendre quelques notions d’urbanisme ?

Re-Mission
Dans une étude consacrée à un jeu sérieux spécifiquement
développé dans un but éducatif, Beale et coll. (2007) se
sont intéressés aux adolescents souffrant d’un cancer.
Les adolescents souffrant de maladies chroniques ont en
effet souvent des difficultés à gérer leur traitement. Un
jeu vidéo intitulé Re-Mission a été développé pour amélio-
rer l’implication de ces adolescents dans leur traitement.
Re-Mission fournit des connaissances sur le cancer et son
traitement.
Beale et coll. ont sollicité 375 adolescents et jeunes
adultes atteints d’un cancer. Les participants du groupe
contrôle recevaient un jeu vidéo ordinaire, sans lien avec
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Apprendre avec le numérique

le cancer. Les participants du groupe expérimental rece-


vaient le même jeu ordinaire plus le jeu Re-Mission. Les
participants devaient jouer une heure par semaine pen-
dant 3 mois. Leur connaissance à propos du cancer a été
évaluée avant le jeu, un mois après et trois mois après.
Les scores des deux groupes se sont améliorés de
manière significative, mais l’amélioration du groupe
Re-Mission a été plus importante. Là encore, les résultats
sont intéressants, mais on peut se demander pourquoi le
groupe contrôle n’a pas suivi une formation sur le cancer
et son traitement pendant cette période de trois mois… au
lieu de jouer à un jeu vidéo quelconque !
Ces deux études, pourtant rapportées dans la méta-ana-
lyse de Girard, à cause de leur choix d’un groupe témoin qui
n’a rien à apprendre, ne montrent pas de réelle plus-value
des jeux sérieux.

Apprendre l’anglais avec un jeu collaboratif


Comme nous l’indiquions plus haut, d’autres études (plus
rares) ont véritablement tenté d’évaluer la plus-value des
jeux sérieux. Par exemple, Suh et coll. (2010) ont voulu
évaluer la portée d’un jeu en ligne sur l’apprentissage de
l’anglais avec des élèves de CM2 et de 6e.
220 élèves issus d’écoles coréennes étaient partagés en
deux groupes : 118 qui jouaient en ligne et 102 témoins
qui avaient des séances d’enseignement d’anglais plus
classiques, en classe, avec de l’oral, de l’enseignement
« magistral » et des supports multimédia. Les deux groupes
consacraient deux séances de 40 minutes par semaine à
l’apprentissage de l’anglais pendant 2 mois. Pour passer
au niveau supérieur, chaque équipe de joueurs devait non
seulement tuer un certain nombre de monstres mais aussi
répondre à des énigmes en anglais (et donc échanger entre
élèves, rechercher des informations, rédiger la réponse). Si
la réponse était incorrecte, l’équipe devait recommencer.
Un ensemble d’énigmes correspondait à un chapitre du
manuel d’anglais.

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Chapitre 2

Les élèves du groupe « jeu » ont obtenu de meilleurs


résultats à l’évaluation que les élèves du groupe témoin
sur des mesures en compréhension et production orale, en
lecture et production écrite.
Ces trois études illustrent bien le fait qu’obtenir des
résultats en faveur des jeux sérieux n’est pas chose aisée.
Cependant la dernière étude montre que les jeux sérieux
constituent une voie, parmi d’autres, pour rendre les
élèves actifs. Quand cette activité se déroule au sein d’un
scénario pédagogique bien conçu, alors un apprentissage
efficace peut avoir lieu.

◗◗reste
Conclusion : le scénario pédagogique
l’élément central des apprentissages
scolaires

Les élèves peuvent apprendre en jouant, en classe ou sur


leur ordinateur. Même quand des connaissances scolaires
sont visées, le jeu sur ordinateur peut favoriser l’appren-
tissage, mais cela est particulièrement difficile. En effet, il
faut que ce jeu contienne aussi, ou soit compatible avec, un
scénario pédagogique. Ainsi, concevoir un jeu efficace pour
l’apprentissage nécessite pour l’enseignant ou le concep-
teur d’avoir en priorité conçu un scénario pédagogique.
Ensuite le jeu doit permettre la mise en œuvre de ce scéna-
rio pédagogique. Le scénario pédagogique reste l’élément
central des apprentissages scolaires.
Les jeux sérieux présentent aussi l’avantage, pour cer-
tains domaines, d’offrir des simulations quand la situation
réelle est difficile d’accès. Mais nous insistons sur le fait
que les jeux sont des dispositifs d’apprentissage parmi
d’autres et ne présentent pas une supériorité dans l’effica-
cité par rapport à d’autres dispositifs qui soutiennent un
apprentissage actif (voir chapitre 4).

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Chapitre 3

Le numérique favorise
l’autonomie des apprenants

◗◗grâce
Le mythe de l’élève autonome  
aux technologies

Parce que les TICE proposent des activités variées, très


imagées et dynamiques, et de nouvelles formes d’interac-
tions avec les contenus, les apprenants sont davantage
libres dans leur apprentissage. Ils peuvent déterminer
leurs buts, choisir leur parcours, leur progression et
réguler leur apprentissage grâce aux nombreuses possi-
bilités apportées par les logiciels. Ces situations d’autono-
mie pour l’apprenant se sont développées dès les années
2000. Ces dernières années, les MOOCs ont également
fait leur apparition, suscitant tout autant d’engouement
que le e-learning, et proposant eux aussi des situations
d’autonomie pour les apprenants. Les apprenants peuvent
bien sûr accéder à des ressources de contenus, mais aussi
à des classes virtuelles ou à des activités pédagogiques
conçues par des enseignants. L’avantage indéniable est de
permettre à l’apprenant d’accéder au savoir à tout moment
et depuis n’importe quel lieu (connecté).
Ces situations de formation à distance et/ou sollicitant la
gestion par l’apprenant de son propre apprentissage posent
la question de l’autonomie réelle de l’apprenant. L’autonomie
peut intervenir à deux niveaux : dans la construction du
parcours et dans le traitement des contenus.

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Chapitre 3

Construire son propre parcours ?


Construire son parcours, c’est établir des objectifs, pla-
nifier et réguler ses activités, mobiliser du temps pour
conduire sa formation. L’autonomie de l’apprenant est
donc centrale dans ce type de situation.
Parce que ces situations d’apprentissage avec les tech-
nologies placent l’apprenant au centre de son apprentis-
sage, on entend souvent qu’elles favorisent l’autonomie.
En distinction de situations d’apprentissage plus dirigées
dans lesquelles l’apprenant est davantage le réceptacle des
savoirs, les technologies solliciteraient davantage l’appre-
nant et contribueraient à ce qu’il développe des compé-
tences dans la gestion de son apprentissage.

Ou des parcours sur mesure pour tous ?


Derrière cette idée, il y a aussi celle de la flexibilité des
dispositifs aux divers profils des apprenants. Parce que
les dispositifs proposent des ressources multiples, des
modules de formation ou encore des scénarios de forma-
tions flexibles, ils sont censés répondre à la grande diver-
sité des apprenants. Chacun, selon ses objectifs, ses com-
pétences et ses moyens, devrait bénéficier de ces dispositifs
(c’est ce que nous abordons aux chapitres 6 et 7).
Cette question de l’autonomie dans les situations d’ap-
prentissage avec les technologies devient de plus en plus
importante, notamment avec le développement des appren-
tissages tout au long de la vie. Les formations peuvent être
formelles mais aussi informelles. Dans le second cas, les
enseignants, les tuteurs ont une place réduite voire sont
absents de ces formations. Les apprenants sont livrés en
grande partie à eux-mêmes et sont donc contraints de faire
preuve d’autonomie pour tirer avantage de ces formations.
La question que l’on doit se poser est donc de savoir si
les situations d’apprentissage avec des technologies par-
ticipent au développement de l’autonomie des apprenants
ou si, au contraire, elles nécessitent des compétences d’au-
tonomie chez l’apprenant.

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Apprendre avec le numérique

◗◗Bilan des travaux scientifiques


Les recherches menées sur cette question, ancienne,
se centrent sur ce que l’on appelle « l’apprentissage
autorégulé ».

L’apprentissage autorégulé
Ce terme signifie que l’apprenant va prendre des décisions
sur ses activités d’apprentissage et modifier celles-ci en
fonction de différents facteurs. Au sens large, un appren-
tissage autorégulé implique que l’apprenant décide quoi
étudier, quelles ressources consulter, quelles activités
mener, quand et comment. Les régulations apportées
par les enseignants sont alors faibles, voire inexistantes.
L’apprentissage autorégulé est un apprentissage actif et
constructif dans lequel les apprenants organisent leurs
buts d’apprentissage et tentent de superviser, de régu-
ler et de contrôler leur cognition, leur motivation et leurs
comportements en fonction de leurs buts et des caractéris-
tiques du contexte (Pintrich, 2000).
Un apprentissage autorégulé réussi implique générale-
ment différentes stratégies d’apprentissage chez un même
apprenant. Celui-ci gère son temps, son effort et les res-
sources à sa disposition pour optimiser ses performances.
Pour être autonome, il faut donc en avoir les moyens. Par
exemple, lorsque sa stratégie d’apprentissage est inadaptée,
l’apprenant doit être capable d’évaluer l’inefficacité de cette
stratégie afin de pouvoir en changer. Lorsque le contexte
change de manière importante, les apprenants capables de
s’autoréguler seront plus efficaces. Les compétences permet-
tant à l’apprenant de s’adapter et d’être autonome l’amènent
généralement à être plus performant que des apprenants
plus passifs (Zimmerman & Martinez-Pons, 1988).

Des stratégies motivationnelles, métacognitives  


et cognitives indispensables
Ainsi, pour être autonome, un apprenant doit faire appel à
différentes compétences et stratégies. Zimmerman (1990)
27

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Chapitre 3

parle de stratégies motivationnelles, métacognitives et


cognitives.
En ce qui concerne la motivation, les apprenants qui
sont performants dans l’autorégulation ont généralement
le sentiment d’être efficaces dans leurs activités d’appren-
tissage ; ils cherchent à maîtriser ce qu’ils étudient, ils
accordent de la valeur aux activités pédagogiques qui leur
sont données.
Les stratégies métacognitives reposent sur les connais-
sances et les compétences que les apprenants ont sur les
tâches d’apprentissage (par exemple, « réviser un examen
demande du temps »), sur un domaine (« dans cette disci-
pline, les connaissances scientifiques se renouvellent très
vite »), sur son propre fonctionnement d’apprenant (« il
vaut mieux que j’étudie régulièrement car j’ai du mal à
retenir les choses en situation d’urgence avant un exa-
men »). Les métacognitions permettent aux apprenants
de s’organiser, d’établir leurs propres buts d’apprentis-
sage, de s’auto-évaluer et de s’adapter en régulant leurs
comportements.
Les stratégies cognitives, quant à elles, sont multiples,
allant de stratégies peu élaborées (comme la relecture) à
des stratégies de haut niveau qui prédisent un meilleur
ancrage en mémoire des connaissances. C’est le cas des
stratégies d’élaboration où l’apprenant produit des infor-
mations à partir de contenus et en mobilisant ses propres
connaissances ; ou des stratégies d’organisation où l’appre-
nant extrait les idées importantes d’un cours et les orga-
nise, sous forme de fiche de lecture par exemple.

Le cas particulier de l’apprentissage  


avec les hypermédias
Dans le domaine des hypermédias – documents numériques
dans lesquels les apprenants construisent leur propre par-
cours –, les travaux d’Azevedo et coll. (2010) plaident clai-
rement pour la nécessité de compétences métacognitives.
L’ensemble de leurs travaux indique que les apprenants ont
besoin de contrôler leur compréhension et de modifier leur
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Apprendre avec le numérique

planification, leurs buts, leurs stratégies et leur effort en


fonction des conditions contextuelles (Azevedo & Cromley,
2004). Ce sont bien les métacognitions des apprenants qui
permettent la mise en œuvre de stratégies efficaces amé-
liorant leur apprentissage (Azevedo, Guthrie & Seibert,
2004). Moos & Azevedo (2008) ont également montré que
les apprenants qui planifiaient et régulaient le plus leur
apprentissage dans un hypermédia étaient les apprenants
qui avaient le plus de connaissances antérieures dans le
domaine étudié. Les connaissances antérieures sont donc
des ressources importantes qui contribuent à l’autonomie
des apprenants en les aidant à mettre en œuvre des stra-
tégies métacognitives.

Le cas du e-learning
Les travaux sur les cours en ligne aboutissent au même
type de constat. Un apprenant autonome qui apprend de
manière efficace dans un environnement de formation à
distance avec des technologies présente certaines carac-
téristiques. Yukselturk & Bulut (2007) ont examiné les
apprenants en réussite dans des cours en ligne. Ceux-ci
reconnaissent leur responsabilité, relisent leurs notes de
cours régulièrement, réalisent dans les temps les tâches
qui sont assignées, réfléchissent à leur processus d’appren-
tissage et participent aux discussions en ligne. En d’autres
termes, ils présentent un engagement important et super-
visent leur apprentissage.
À l’inverse, les apprenants en ligne qui rencontrent des
échecs sont ceux qui ne consacrent pas assez de temps aux
tâches à réaliser ou à la préparation aux évaluations. Ils
ont des difficultés à maintenir leur effort et leur motiva-
tion. Selon les auteurs, ces apprenants sous-estimeraient
le temps et l’effort nécessaire à un apprentissage réussi
dans les cours en ligne. En effet, les cours en ligne peuvent
s’avérer plus exigeants que les cours en présentiel dans
le sens où l’accompagnement y a une place plus faible.
Les apprenants pourraient alors être dans une illusion
de facilité du fait des technologies. D’ailleurs, les forma-
29

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Chapitre 3

teurs interviewés dans cette étude ont relevé des baisses


de motivation chez les étudiants en difficulté au cours de
leur apprentissage.
Cette étude montre que les apprenants qui sont per-
formants dans les apprentissages en ligne sont les mêmes
qui sont compétents dans les apprentissages autorégulés.
Réciproquement, ceux qui vivent des échecs dans ces envi-
ronnements d’apprentissage n’ont pas les compétences
nécessaires à l’autorégulation.
Les dispositifs de formation utilisant les technolo-
gies étant exigeants en autorégulation, il faut donc réflé-
chir à des moyens de réduire ces exigences en accompa-
gnant davantage les apprenants. C’est ce que proposent
Beishuizen & Steffens (2011). Selon ces auteurs, il faut
aider les apprenants à planifier leurs activités d’appren-
tissage. Les élèves doivent choisir par exemple des canaux
de communication, des contenus et estimer le temps qu’ils
vont devoir y consacrer. Il faut leur fournir un feedback
approprié, ce qui implique des communications avec l’en-
seignant mais aussi avec les pairs. Mais pour pouvoir pro-
poser un feedback approprié, il faut bénéficier des traces
des activités des apprenants, ce qui peut être difficile à
obtenir dans ce contexte. Il est donc important de donner
aux apprenants des critères qui les aident à évaluer leurs
propres performances d’apprentissage. Dans une situa-
tion d’apprentissage avec un hypermédia par exemple,
Azevedo, Cromley & Seibert (2004) ont montré qu’on pou-
vait aider les apprenants à mieux le réguler en leur don-
nant accès à un tuteur et à un ensemble de sous-buts afin
de guider leur apprentissage.

◗◗Quelques exemples
Les profils des étudiants qui utilisent  
une plateforme technologique
Une étude de Valentin et al. (2013) a été menée auprès
de 543 étudiants en licence de différentes disciplines dans
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Apprendre avec le numérique

une université espagnole. Plusieurs questionnaires ont été


utilisés afin de caractériser les motivations et les straté-
gies d’apprentissage des étudiants. Des tests d’acquisition
de connaissances ont permis également d’évaluer leurs
niveaux.
Les auteurs ont constaté une grande variabilité dans
l’utilisation de la plateforme pédagogique Moodle par les
étudiants, par exemple au niveau de l’utilisation des emails,
selon leurs profils. Les étudiants qui utilisent le plus la
plateforme sont ceux qui utilisent dans leur apprentissage
des stratégies de haut niveau (stratégies d’élaboration),
qui accordent de la valeur aux tâches académiques et qui
poursuivent des buts intrinsèques (comme vouloir maîtri-
ser une discipline) plutôt que de chercher à se comparer
aux autres. Notons que l’étude n’a pas validé d’effet positif
sur les performances académiques des étudiants.

Les outils de guidage proposés par les plateformes


d’apprentissage en ligne
Si ces environnements exigent des compétences pour un
apprentissage autorégulé, ils peuvent néanmoins proposer
des outils et systèmes d’accompagnement qui aident les
apprenants dans leur autorégulation. Une recherche de
Lehmann, Hähnlein & Ifenthaler (2014) offre un parfait
exemple de l’utilisation d’outils de guidage pour l’auto-
régulation dans un apprentissage en ligne. Les auteurs
ont étudié l’effet des prompts sur l’apprentissage. Les
prompts sont généralement des guides qui se présentent
sous forme de questions simples (« De quoi parle le texte
que vous venez de lire ? »), de phrases à compléter, de
consignes d’exécution (« Maintenant que vous avez résolu
le problème, trouvez une nouvelle façon de le résoudre. »)
ou encore de graphiques sur les temps de connexion, les
scores de réussite… de l’apprenant. Les prompts peuvent
guider les processus d’apprentissage autorégulés en aidant
à la mise en œuvre de stratégies métacognitives, de straté-
gies d’élaboration et de simulations mentales, mais aussi
en aidant aux motivations.
31

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Chapitre 3

Lehmann, Hähnlein & Ifenthaler (2014) ont évalué


l’efficacité des prompts auprès de 130 étudiants. Dans la
première étude, certains étudiants recevaient des prompts
(par exemple : « Prenez 10 minutes pour optimiser votre
apprentissage en pensant à la planification et votre pré-
paration ») soit en début, soit en fin d’apprentissage. Dans
la seconde étude, des étudiants recevaient des prompts
en début d’apprentissage tandis que les autres n’en rece-
vaient aucun.
Dans l’ensemble, les résultats indiquent que fournir
des prompts à des apprenants novices dans le domaine
améliore les gains de connaissances (écart de connais-
sances mesurées avant et après la tâche d’apprentissage)
et la production d’essais.
Les auteurs montrent également que, pour être effi-
caces, ces prompts doivent être fournis en début d’appren-
tissage afin d’aider l’apprenant à planifier et à organiser
son apprentissage. Selon les auteurs, les prompts placés
en début d’apprentissage aideraient à la mise en œuvre
de stratégies métacognitives, mais aussi à la motivation
des apprenants.
Enfin, les prompts très généraux (par exemple :
« Prenez quelques minutes pour réfléchir à la meilleure
façon de faire ») sont moins efficaces.

◗◗Conclusion : l’autonomie  
est une compétence prérequise

Selon nous, l’autonomie n’est pas la résultante d’un


apprentissage avec les technologies mais bien une compé-
tence nécessaire à la conduite d’apprentissages autorégu-
lés. En d’autres termes, les contextes d’apprentissage en
ligne exigent plus qu’elles n’en apportent des compétences
d’autorégulation chez les apprenants. Une autorégulation
réussie de son apprentissage repose sur plusieurs compé-
tences : les motivations, les compétences métacognitives,
les stratégies cognitives.
32

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Apprendre avec le numérique

Concrètement, l’utilisation pédagogique d’outils et de


ressources numériques peut soit se faire en tenant compte
des compétences des apprenants ciblés afin d’adapter
le niveau d’exigence d’autonomie à ceux-ci (notons qu’il
existe un outil de mesure de l’autorégulation dans les envi-
ronnements d’apprentissage en ligne, cf. Barnard, Lan, To,
Paton & Lai, 2009), soit en réduisant ces exigences d’au-
tonomie dans le cadre d’un accompagnement structurant
et régulateur avec des outils adaptés tels que les prompts.
Sur ce dernier point, la présence de l’enseignant ou du
formateur reste essentielle.
Au final, pour être autonome, il faut parfois être
plusieurs…

33

Pédagogie_numérique_001-120.indd 33 16/09/2014 12:47


Chapitre 4

Le numérique permet
un apprentissage plus actif

P arce que les TICE apportent de nouvelles interactions


avec les contenus, l’apprenant, en devenant plus actif,
est davantage au centre de son apprentissage. Il mani-
pule, interprète, crée, compare, élabore à partir de conte-
nus interactifs et présentant plusieurs formats d’informa-
tion (textes, images, sons). Ces activités d’interaction avec
les contenus favoriseraient un plus grand engagement de
l’apprenant et un apprentissage plus actif et donc plus
profond. Examinons ce présupposé.

◗◗Le mythe de l’élève actif


L’apprenant est actif lorsqu’il agit sur l’information
En plus des formats de présentation multiples, une des
caractéristiques clés du numérique est d’offrir des formes
variées d’interaction et de manipulation des contenus de
façon intégrée. Par exemple, il est possible, sur un même
document, de déplacer et de transformer des objets, d’ouvrir
certains contenus et pas d’autres, de réaliser des exercices,
de résoudre des problèmes, de créer, d’annoter et d’orga-
niser certains contenus. Toutes ces activités impliquant
une action de la part de l’apprenant peuvent être consi-
dérées comme étant à la base d’un apprentissage actif.
Dans cette perspective, lire et tourner une page seraient
considérés comme un apprentissage peu actif. Il y aurait
apprentissage actif à partir du moment où l’apprenant agit
sur l’information et n’est pas dans la posture « passive » de
34

Pédagogie_numérique_001-120.indd 34 16/09/2014 12:47


Apprendre avec le numérique

consultation de l’information. Ainsi, les activités pédago-


giques « La main à la pâte » illustrent parfaitement ce que
peut être un apprentissage actif. L’apprenant y manipule
des objets, élabore des hypothèses sur les conséquences de
ces manipulations, observe les réactions provoquées par
ces manipulations et ajuste ses représentations mentales
en fonction de ces observations.
À priori, le caractère très interactif de certains dispo-
sitifs pourrait donc contribuer à la mise en œuvre d’un
apprentissage actif en sollicitant un fort engagement
des apprenants et des traitements d’élaboration. Par
exemple, les hypertextes (documents présentant des liens
cliquables) offrent une certaine interaction en laissant la
possibilité à l’apprenant de construire son propre parcours
de consultation des contenus. L’apprenant n’est plus sou-
mis à une structure figée et linéaire de l’information, mais
peut désormais suivre un parcours défini par ses propres
interrogations et hypothèses.
Autre exemple, les contenus animés interactifs, tels
qu’une animation sur laquelle il est possible de cliquer afin
de contrôler le rythme, d’afficher certaines étapes, revenir
en arrière, etc.
Enfin, on mentionnera les environnements de simula-
tion permettant de modifier certains paramètres des objets
afin d’en explorer les effets.
Toutes ces situations d’interaction et d’implication de
l’apprenant peuvent paraître adaptées pour favoriser un
apprentissage plus actif.

Une supériorité des dispositifs d’apprentissage


multimédia sur les autres types de dispositifs ?
Dans le domaine des apprentissages multimédia, cette
idée d’un apprentissage rendu plus actif grâce à ces nou-
velles interactions avec les contenus semble bien admise.
Cependant, comme l’ont indiqué Clark & Feldon (2005), il
existe des croyances fortes en la supériorité des dispositifs
d’apprentissage multimédia sur les autres types de dispo-
sitifs. Ces croyances reposent sur l’idée que ces dispositifs
35

Pédagogie_numérique_001-120.indd 35 16/09/2014 12:47


Chapitre 4

favoriseraient l’engagement, la motivation et l’apprentis-


sage par découverte ; mais aussi que la multiplication des
formats et les contenus dynamiques et interactifs condui-
raient les apprenants vers un traitement plus profond des
informations. Sans la rejeter, l’examen des travaux scien-
tifiques nous amène à reconsidérer grandement cette idée.

◗◗Bilan des travaux scientifiques


Un apprentissage actif peut être mis en œuvre grâce à
des démarches qui augmentent la motivation et l’enga-
gement des apprenants (Grant & Dweck, 2003), grâce à
des situations d’apprentissages collaboratifs (Springer,
Stanne & Donovan, 1999) ou encore en sollicitant des
stratégies métacognitives telles que les auto-explications
qui conduisent l’apprenant à élaborer en se questionnant
(Larsen, Butler & Roediger, 2013).

Ce qui est efficace (1) : produire du contenu


En fait, l’apprentissage actif est permis grâce à des disposi-
tifs et des démarches pédagogiques qui favorisent un trai-
tement actif et profond des informations. Traiter l’informa-
tion à un niveau profond signifie que l’on traite la signi-
fication de l’information, en opposition à un traitement
de surface (Mayer, 2002). Typiquement, les apprenants
traitent les informations à un niveau profond lorsque ce
processus les conduit à faire des inférences, ce qui amé-
liorerait la compréhension et l’apprentissage (Wittrock,
1990). Ainsi, des tâches d’apprentissage avec des technolo-
gies qui sollicitent la génération de contenus (par exemple
l’apprenant produit des contenus à partir de différentes
ressources) peuvent être considérées comme utiles pour
une plus grande profondeur de traitement.

36

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Apprendre avec le numérique

Ce qui est efficace (2) : proposer plusieurs


représentations d’une même information
Une des caractéristiques des dispositifs multimédia est la
multitude de formats d’information offerts à l’apprenant.
Lorsque des informations sont traitées sous différentes
formes de codage, les apprenants peuvent produire dif-
férentes représentations d’une même information, ce qui
contribue à l’apprentissage (Mayer, 2009). Des travaux
récents ont montré que plus les apprenants conduisaient
des traitements intégratifs entre une image et un texte
(par exemple : un grand nombre d’allers et retours entre le
texte et l’image), meilleur était leur apprentissage (Mason,
Tornatora & Pluchino, 2013). Fournir des formats multi-
ples des informations semble donc utile dans la mesure
où les apprenants cherchent activement à réaliser des
connections entre les formats afin de les intégrer.

Les animations interactives : une réduction


des difficultés plutôt qu’un apprentissage actif
Les animations sont également un format de plus en plus
répandu dans les dispositifs numériques pour l’apprentis-
sage. Elles présentent des contenus dynamiques en affi-
chant des objets animés, en mouvement, et des informations
transitoires. Le chapitre 5 de cet ouvrage leur est dédié.
Les animations peuvent en effet avoir des effets posi-
tifs sur l’apprentissage (Urquiza-Fuentes & Velázquez-
Iturbide, 2013), mais peuvent aussi l’entraver (Höffler
& Leutner, 2007; Ploetzner & Lowe, 2012). Elles sont
supposées aider à l’apprentissage d’informations dyna-
miques pour lesquelles il est difficile de se construire une
représentation mentale à partir de textes et d’images
fixes. Cependant, en présentant des informations dyna-
miques et transitoires, les animations peuvent être très
exigeantes pour le système cognitif de l’apprenant. Il faut
maintenir en mémoire des informations qui ont disparu
de l’écran et savoir lesquelles doivent être retenues sans
toujours savoir combien de temps elles resteront dis-
ponibles à l’écran (de Koning, Tabbers, Rikers & Paas,
37

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Chapitre 4

2009 ; Singh, Marcus & Ayres, 2012 ; Wong, Leahy,


Marcus & Sweller, 2012).
Les travaux sur les animations montrent par ailleurs
que l’interactivité peut être un moyen de régulation et
de réduction des traitements imposés par les animations
plutôt qu’une activité favorisant une plus grande pro-
fondeur de traitement. Lorsque les apprenants ont un
contrôle sur une animation, c’est-à-dire lorsqu’ils peuvent
stopper, revenir en arrière, avancer dans la lecture de
l’animation, leur apprentissage est meilleur (Boucheix &
Schneider, 2009 ; Höffler & Schwartz, 2011). Cependant,
cette interactivité ne favorise pas un apprentissage plus
actif au sens d’un traitement plus profond des informa-
tions, mais permet plutôt de réduire des coûts imposés
par la lecture d’une animation. L’interactivité est alors
un outil de régulation. Le contrôle des apprenants sur les
animations permet de libérer des ressources en mémoire
en réduisant des traitements inappropriés pour l’appren-
tissage ou la quantité de traitements à un même moment.
Ainsi, fournir de l’interactivité dans un apprentissage
multimédia ne signifie pas obligatoirement un apprentis-
sage plus actif ni plus profond.

◗◗Quelques exemples
Les situations considérées comme des situations favo-
rables dans un apprentissage actif avec les TICE sont très
variées. Nous présentons ici deux cas qui illustrent la fra-
gilité de la relation entre interactivité des dispositifs et
apprentissage actif.

Il est parfois difficile d’apprendre avec une animation


Il s’avère parfois nécessaire pour l’apprenant d’apprendre
à lire et à traiter une animation. Kombartzky, Ploetzner,
Schlag & Metz (2010) ont par exemple clairement montré
la nécessité de guider les apprenants dans leurs straté-
gies d’apprentissage avec les animations. Savoir quelles
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Pédagogie_numérique_001-120.indd 38 16/09/2014 12:47


Apprendre avec le numérique

informations consulter à quel moment, par exemple, est


souvent loin d’être évident pour les apprenants, qui sont
engagés dans des processus d’extraction des informations
pertinentes mais aussi de structuration de ces informa-
tions en mémoire (Lowe & Boucheix, 2011).
Mason, Lowe & Tornatora (2013) ont conduit une étude
très originale. Ils ont travaillé avec trois groupes d’élèves.
Dans le premier groupe, les élèves devaient dessiner ce
qu’ils avaient compris d’une animation (d’un pendule de
Newton). Le deuxième groupe devait recopier un dessin
(une étape du pendule). Le troisième groupe n’avait rien
à dessiner. C’est le premier groupe qui a le mieux appris.
Ce résultat montre qu’une animation n’est pas forcément
suffisante pour déclencher un apprentissage actif. C’est la
tâche de dessin (qui n’est donc pas propre au multimédia !)
qui sert de tâche de génération et qui permet une meilleure
organisation et une meilleure mémorisation du contenu.

Organiser soi-même son cours :  


une exigence trop élevée
Le second cas est une étude sur l’apprentissage à partir
d’un document interactif (Amadieu et al., 2012). L’étude a
montré certaines limites de l’interactivité et des activités
d’élaboration par les apprenants.
Deux situations d’apprentissage d’un même cours
étaient comparées dans cette étude. Soit les apprenants,
lycéens en classes de 2de, étudiaient un cours composé d’un
ensemble de textes consultables à l’écran et dont la struc-
ture était imposée sous la forme d’une carte de concepts
du cours, soit ils avaient la possibilité d’organiser eux-
mêmes la structure du cours en générant une carte des
concepts du cours. La seconde offrait donc une situation
d’apprentissage actif en introduisant de l’interaction avec
les contenus et surtout en sollicitant des activités mentales
de génération et d’élaboration chez les apprenants.
Les résultats ont clairement montré que cette condi-
tion d’apprentissage actif amenait de moins bonnes per-
formances que la condition proposant un cours déjà orga-
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Chapitre 4

nisé. Exiger des apprenants qu’ils organisent eux-mêmes


le cours s’est révélé trop exigeant cognitivement, et ce
même pour les apprenants possédant de bonnes habiletés
en lecture et un bon niveau de connaissances initial dans
le domaine. D’autres études conduites par ces auteurs ont
confirmé ce constat.
Enfin, il est intéressant d’évoquer une étude dans le
domaine de l’apprentissage à partir de textes papier. On
peut aisément supposer qu’une tâche de lecture renvoie à
un apprentissage plus passif que le multimédia car l’ap-
prenant lit de manière plus ou moins linéaire des contenus
figés, organisés et non interactifs. Cependant, une étude
de McNamara et al. (1996) a montré un phénomène à
priori très surprenant. Deux groupes d’apprenants (avec
de bonnes connaissances du domaine ou non) devaient lire
une des deux versions d’un même texte : une version très
cohérente (avec beaucoup de connecteurs) ou une version
peu cohérente (sans ces connecteurs). Les apprenants trai-
taient en profondeur le texte peu cohérent, à condition
qu’ils aient assez de connaissances dans le domaine pour
engager des traitements profonds. Un texte plus cohérent
sollicite en revanche moins de traitements profonds, mais
facilite la compréhension lorsque les lecteurs ont peu de
connaissances sur le sujet.
Lire un « simple » texte peut donc engager un trai-
tement actif, notamment quand celui-ci est exigeant, ou
quand on se pose des questions, quand on fait des hypo-
thèses, etc. On n’a pas attendu le numérique pour cela !

◗◗est
Conclusion : l’interactivité des contenus  
insuffisante pour permettre  
un apprentissage actif efficace

Notre réponse à la question d’un apprentissage actif


favorisé par le numérique est nuancée. Certains travaux
indiquent que l’interactivité pourrait être bénéfique à
l’apprentissage, mais pas dans n’importe quelle situation.
40

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Apprendre avec le numérique

L’interactivité est utile lorsque le scénario pédagogique


implique la nécessité de produire des hypothèses ou de
faire des inférences. Un environnement de simulation est
par exemple tout à fait approprié dans un contexte péda-
gogique promouvant l’apprentissage par la découverte. En
revanche, le fait de rendre interactifs des contenus n’est
pas en soi suffisant pour permettre un apprentissage
actif efficace. La lecture d’un texte complexe peut s’avé-
rer plus favorable à l’apprentissage actif qu’un hypertexte
qui risque de détourner l’apprenant d’un apprentissage
profond.
Rendre l’apprenant actif doit avoir une fonction pour
l’apprentissage. Soit cela permet à l’apprenant de réguler
certaines exigences qui lui sont imposées dans son appren-
tissage (comme cela peut être le cas avec les animations),
soit cela oriente les traitements de l’apprenant vers cer-
taines informations et l’aide à faire des connections, à
élaborer des informations qui sont pertinentes pour son
apprentissage. L’interactivité doit être pensée en lien
avec les objectifs pédagogiques et les exigences qu’elles
imposent aux participants.
Certaines exigences ou difficultés peuvent être dési-
rables (Bjork, 2013) : elles réduisent la vitesse d’acqui-
sition mais améliorent l’intégration des connaissances
en mémoire. Une difficulté devient désirable lorsque les
apprenants ont les ressources cognitives nécessaires pour
conduire les traitements qui lèveront cette difficulté et que
ces traitements participent directement à l’apprentissage.
Manipuler des objets pour examiner leurs propriétés et
leurs actions sur d’autres objets peut être une difficulté
utile car cela mobilise des traitements pertinents pour
l’apprentissage. Ce n’est pas la difficulté en soi qui est
utile, c’est ce qu’elle implique.

41

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Chapitre 5

Les vidéos et informations


dynamiques favorisent
l’apprentissage

C omme nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent,


les technologies du numérique offrent un éventail de
formats d’information assez large. Un des intérêts des
technologies multimédias est de permettre une diffusion
d’informations dynamiques qui ne pourraient être pré-
sentées avec des supports papiers ou qui impliqueraient
l’utilisation d’objets réels. Les informations dynamiques
sont généralement difficilement transposables dans des
formats traditionnels fixes tels que des images ou des sché-
mas car présenter les mouvements à partir d’images fixes
nécessite un nombre d’états intermédiaires importants
afin de traduire l’évolution. Les animations ou encore les
vidéos apparaissent donc tout à fait adaptées pour dif-
fuser la dynamique d’un contenu car elles consistent en
des séquences d’images décrivant un mouvement d’objets
dessinés ou simulé (Mayer & Moreno, 2002).
Ces formats dynamiques incarnés par les vidéos et les
animations dans les apprentissages multimédias devraient
permettre une meilleure compréhension et un meilleur
apprentissage des savoirs qui étaient jusque-là difficiles
à représenter sous forme d’images statiques ou de textes
sur papier. Ces formats apporteraient donc plus d’infor-
mations à l’apprenant pour pouvoir bien comprendre un
système dynamique.

42

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Apprendre avec le numérique

◗◗Le mythe des informations dynamiques


L’arrivée des technologies numériques a fait une place
importante aux informations dynamiques grâce au déve-
loppement des animations et des vidéos. Il est courant
aujourd’hui de consulter des bases de données publiques
de vidéos comme YouTube ou Dailymotion. Il est de plus en
plus facile de trouver des tutoriels vidéo expliquant com-
ment changer les bougies de sa voiture ou des animations
expliquant les mécanismes synaptiques de nos neurones.
Pouvoir traduire le caractère évolutif et dynamique
d’un phénomène ou d’une procédure peut être attendu
comme une vraie avancée en matière de pédagogie. En
effet, il n’est pas toujours aisé de présenter la complexité
d’un phénomène à un apprenant à partir d’images fixes
qui ne traduisent pas bien les transformations ni les mou-
vements des objets présentés. C’est alors à l’apprenant de
construire mentalement la dynamique à partir des images
fixes. Il doit inférer et simuler mentalement les mouve-
ments et les transformations ainsi que leur évolution dans

Figure 1. Géricault : Course de chevaux à Epsom (Le Derby), 1821.


© BIS / Ph. H. Josse © Archives Larbor

43

Pédagogie_numérique_001-120.indd 43 16/09/2014 12:47


Chapitre 5

le temps (par exemple la vitesse ou l’accélération). Cela


peut s’avérer difficile et exiger un effort cognitif important.
Imaginez que vous ayez à faire comprendre le galop du
cheval à des élèves de 6e. Une ressource très riche est sans
doute un film qui montre un cheval qui galope. Ca tombe
bien, il en existe des milliers. Plus riche encore, on pour-
rait sortir de la classe et assister à une course de chevaux.
Cette situation la plus riche possible est bien celle qu’ont
vécue des peintres pendant des siècles : ils ont regardé la
situation réelle et essayé de la comprendre. Le résultat
est, comme vous le savez, extrêmement décevant… jusqu’à
la moitié du xixe siècle ! En regardant un cheval galoper
on ne comprend rien au galop du cheval, pour une raison
évidente : ça va trop vite et c’est trop complexe. Comme
on le voit sur ce tableau de Géricault datant de 1821, un
grand peintre peut passer sa vie à observer la réalité et n’y
rien comprendre…
C’est le photographe Eadweard Muybridge qui, en
1878, a réussi à prendre en photo le cheval au galop. La
succession de ces photos, immensément moins riche que la

Figure 2. Décomposition en images du galop du cheval, 1878.


« Muybridge’s photo of a cantering horse » © akg-images/SPL

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Pédagogie_numérique_001-120.indd 44 16/09/2014 12:47


Apprendre avec le numérique

réalité, moins sophistiquée qu’une vidéo, permet de com-


prendre le galop du cheval, en particulier la succession très
complexe des appuis.
Pour l’enseignant également, il peut s’avérer plus
intéressant de présenter les informations dynamiquement
et visuellement que de les décrire dans un texte ou verba-
lement. Par exemple, expliquer un bon geste est bien plus
compliqué que de montrer le geste. Bien sûr, les explica-
tions peuvent accompagner la démonstration.
Les travaux scientifiques examinent cette question des
apprentissages multimédias depuis une vingtaine d’an-
nées. Nous présentons dans la partie qui suit un bilan des
plus représentatifs.

◗◗Bilan des travaux scientifiques


Les premiers travaux sur les bénéfices des animations
pour l’apprentissage ont eu du mal à prouver que ce type
de format d’information pouvait apporter un plus compa-
rativement aux formats statiques traditionnels que sont
les textes et les images. Néanmoins, depuis une dizaine
d’années, les travaux sont plus encourageants et attestent
bien d’un bénéfice, mais sous certaines conditions. Après
avoir exposé les limites des animations, nous recensons
ici les principales conditions nécessaires à un traitement
efficace des informations dynamiques par les apprenants.

Les limites des animations


Certains travaux ont confirmé que les informations dyna-
miques fournies par les animations facilitent la com-
préhension du système dynamique étudié car elles com-
pensent certaines limites de notre système cognitif qui doit
simuler des mouvements ou des processus dynamiques à
partir d’information statiques.
Si certains travaux ont montré que les habiletés spatiales
– habiletés à se représenter mentalement les mouvements
dans l’espace – et de raisonnement mécanique des appre-
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Chapitre 5

nants pouvaient améliorer leur apprentissage avec une ani-


mation (Boucheix & Schneider, 2009), d’autres ont indiqué
que les animations pouvaient compenser un déficit d’ha-
bileté spatiale (Höffler & Leutner, 2011 ; Münzer, Seufert
& Brünken, 2009). D’une certaine manière, les animations
peuvent remplir le rôle d’une prothèse cognitive qui limite
les exigences de traitement des informations spatiales et
dynamiques tandis que des images statiques nécessitent des
traitements importants pour se représenter et comprendre la
dynamique soutenue par des habiletés spatiales.
D’autres études alertent sur les exigences cognitives
de ce type de format et mettent en lumière les opérations
mentales nécessaires à un traitement efficace des anima-
tions. Lorsqu’ils étudient une animation, les apprenants
doivent en effet sélectionner et organiser mentalement
les unités d’information qui composent l’animation. Les
travaux de Lowe & Boucheix (2011) indiquent bien qu’ap-
prendre à partir d’une animation implique différentes
activités mentales. Tout d’abord, les apprenants doivent
sélectionner les informations dynamiques. Or, lorsqu’il
y a beaucoup d’informations, savoir quelle information
est pertinente relativement aux autres est loin d’être
évident. Ensuite, les apprenants créent des associations
entre les informations proches et essaient de construire
une structure générale du système étudié (par exemple
la structure de la chaine causale des événements). Pour
sélectionner et organiser les unités d’informations entre
elles, les apprenants doivent disposer de ressources et
d’habilités cognitives importantes (de Koning, Tabbers,
Rikers & Paas, 2009).
En plus de cette difficulté à sélectionner les bonnes
informations et à créer les bonnes associations d’informa-
tions, une difficulté classiquement observée est le main-
tien en mémoire des informations transitoires. Dans une
animation, les informations s’affichent puis généralement
disparaissent ou se transforment pour laisser place à de
nouvelles informations. Cela a pour conséquence que les
apprenants oublient les informations précédentes et qui
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Apprendre avec le numérique

ne sont plus accessibles (Singh, Marcus & Ayres, 2012 ;


Wong, Leahy, Marcus & Sweller, 2012). Plus la quantité
d’informations est importante, plus l’effet sera amplifié.
Pour être utile à l’apprentissage, les animations et
les vidéos doivent être le moins exigeantes possible en
termes de sélection des informations et de maintien en
mémoire des informations transitoires. C’est pour cela
que de nombreuses études ont évalué les effets de diffé-
rents principes de guidage ou de propriétés qui facilitent
l’étude d’une animation.
Notre compréhension des effets des animations sur l’ap-
prentissage reste limitée et les recherches se poursuivent.
Il est toutefois possible à l’heure actuelle de préconiser
quelques principes à suivre pour créer et/ou utiliser des
animations adaptées à nos apprenants.

Ce qui est efficace (1) : présenter de façon animée


des informations elles-mêmes dynamiques
Une méta-analyse de Höffler & Leutner (2007) a examiné
26 études et conclu en faveur des animations tout en poin-
tant un ensemble de facteurs contribuant à l’efficacité des
animations. Plus récemment, dans une revue de questions
sur les animations, Ploetzner & Lowe (2012) ont extrait
plusieurs propriétés qu’il est important de considérer.
Tout d’abord, présenter des informations dynamiques
n’a véritablement d’intérêt que si les contenus possèdent
un caractère dynamique (Betrancourt & Tversky, 2000).
Ainsi, s’il n’est pas utile de présenter de manière dyna-
mique la structure d’un vélo, il sera en revanche opportun
de présenter de manière dynamique le système du dérail-
leur. L’utilisation d’animations sera donc pertinente pour
faire étudier des connaissances procédurales et motrices
plutôt que pour faire étudier des connaissances décla-
ratives ou des connaissances de résolution de problème
(Höffler & Leutner, 2007).

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Chapitre 5

Ce qui est efficace (2) :  


animer l’essentiel et non les détails
Les objets animés attirent l’œil, il est donc important de
savoir quoi animer et quoi mettre en avant dans une ani-
mation. Il faut éviter que l’attention de l’apprenant s’égare.
En effet, des informations perceptives saillantes (comme
des détails attrayants ou des mouvements non pertinents
pour comprendre le système) peuvent attirer l’attention de
l’apprenant et ainsi le détourner des informations concep-
tuelles pertinentes (Lowe, 2003). Des dispositifs de gui-
dage attentionnels ont donc été étudiés (Ayres & Paas,
2007 ; Bétrancourt, 2005).
Le principe, classique en pédagogie, est d’orienter l’at-
tention de l’apprenant vers les parties les plus pertinentes
de l’animation. Pour ce faire, des signaux visuels qui
mettent en avant ces informations à un temps t peuvent
être utilisés (de Koning, Tabbers, Rikers & Paas, 2007).
Les recherches examinant l’attention de l’apprenant (à
l’aide d’outil d’enregistrement des mouvements oculaires
par exemple) ont confirmé un effet des signaux sur l’in-
formation traitée par le regard (Boucheix, Lowe, Putri &
Groff, 2013).
La vitesse d’une animation impacte également l’at-
tention de l’apprenant. Plus la vitesse d’une animation
est importante, moins l’attention est portée aux détails
(Meyer, Rasch & Schnotz, 2010).

Ce qui est efficace (3) : limiter le nombre d’informations


à maintenir en mémoire pendant le visionnage
Un autre point important pour l’efficacité des animations
est le degré d’exigence de maintien en mémoire des infor-
mations. Le caractère transitoire des informations peut
rendre difficile leur intégration en mémoire et entraver
la compréhension du processus présenté par l’animation.
Récemment, des travaux ont été conduits sur un principe
de maintien à l’écran des informations pertinentes plu-
tôt que de les faire disparaître. Une thèse australienne
vient d’être menée sur la question et a clairement mis en
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Apprendre avec le numérique

évidence l’utilité de maintenir affichées certaines infor-


mations pertinentes afin d’augmenter l’efficacité de l’ani-
mation (Ng, Kalyuga & Sweller, 2013).

Ce qui est efficace (4) : segmenter les animations


Un autre guidage intéressant est la segmentation des
animations en parties interprétables qui structurent le
processus étudié. Spanjers, van Gog, Wouters & Van
Merriënboer (2012) ont mis en évidence l’importance de
cette segmentation sur l’apprentissage. Dans leur étude,
l’animation était segmentée par des pauses permettant
de structurer le processus à apprendre. Fractionner ainsi
l’animation aide l’apprenant à se représenter la structure
temporelle, c’est-à-dire les étapes qui composent le pro-
cessus et leur longueur. Ainsi, les associations des infor-
mations en mémoire se feront plus facilement. Arguel &
Jamet (2009) ont également montré les avantages à poin-
ter les étapes clés en présentant une image représentative
de chaque étape.

◗◗àUnfaire
exemple d’étude : apprendre  
des origamis avec des vidéos
ou avec des images séquentielles

Afin d’illustrer la plus-value des informations animées sous


certaines conditions, nous présentons à titre d’exemple
une étude conduite par des chercheurs australiens (Wong
et al., 2012). D’une part, cette étude donne des pistes pour
la conception d’animations efficaces pour l’apprentissage,
et, d’autre part, elle met en avant un effet important qui
ne concerne pas que le multimédia : l’effet des informa-
tions transitoires. Les auteurs de cette étude ont cherché
à comprendre les conditions d’efficacité des animations et
plus particulièrement l’effet du caractère transitoire des
informations.

49

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Chapitre 5

Dans une première expérimentation menée auprès


d’enfants de 10-11 ans, les auteurs ont comparé des anima-
tions à des graphiques statiques sur le thème de l’origami.
La version statique consistait en un ensemble de captures
d’écran des gestes de réalisation de l’origami. La succes-
sion des captures d’écran représentait les mouvements.
La version animée était une vidéo de ces mouvements de
réalisation de l’origami.
Les animations et les graphiques présentaient soit des
sections longues, soit des sections courtes. Les sections lon-
gues correspondaient à une vidéo de 250 secondes ou à un
défilement des images statiques d’une même durée. Pour
les sections courtes, la vidéo et le défilement des images
statiques étaient découpés en sous-sections.
Après le visionnage de la procédure de pliage, les
apprenants devaient reproduire un maximum de fois ce
pliage en 4 minutes.
Les résultats indiquent que la vidéo amène des pliages
plus complets que les images statiques, mais uniquement
lorsque la procédure est découpée en sections courtes.
Lorsque la section était longue, donc sans interruption,
aucune différence n’a été observée entre la vidéo et les
images statiques. En d’autres termes, l’animation aide à
se représenter la procédure de pliage à la condition que
la complexité de l’animation ne soit pas trop importante,
c’est-à-dire à condition qu’elle soit découpée en sous-par-
ties facilement assimilables.
L’interprétation donnée par les auteurs est que
lorsque la quantité d’informations transitoires est trop
importante, les animations sont trop exigeantes au sens
où elles saturent la mémoire des apprenants. À l’inverse,
lorsque les animations sont présentées sous forme de sec-
tions courtes, leur efficacité devient supérieure à celle des
formats statiques car elles ne saturent plus la mémoire.
Les apprenants ont la possibilité de traiter chaque section
dans les limites des capacités de la mémoire humaine.
Une seconde expérimentation conduite par les auteurs,
non sur les animations mais sur le format audio, montre
50

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Apprendre avec le numérique

le même phénomène relatif à l’information transitoire. Au


même titre que les informations animées, les informations
audio sont transitoires et découper le flot d’informations
en petites sections améliore l’apprentissage plutôt que de
laisser le flot en un seul bloc.

◗◗sont
Conclusion : animations et vidéos  
utiles pour acquérir des savoir-faire

Les animations peuvent aider les apprenants à mieux se


représenter un processus dynamique qu’il est difficile de
traduire sous forme d’images statiques. Les animations
joueraient le rôle d’une prothèse cognitive en évitant aux
apprenants de devoir construire par eux-mêmes la dyna-
mique d’un système ou son processus, ce qui réduirait le
coût mental pour l’apprenant.
Néanmoins, l’utilisation d’animations ou de vidéos
s’avère utile lorsque les objectifs sont de faire acquérir
des savoir-faire, c’est-à-dire des procédures, ou d’exposer
une dynamique dont la compréhension à partir d’un texte
ou d’images nécessiterait beaucoup trop d’efforts pour
l’apprenant.
En outre, proposer une animation pour améliorer l’ap-
prentissage des apprenants n’est pertinent que si certains
principes dans leur conception sont respectés. Apprendre
à partir d’une animation peut s’avérer difficile au vu des
capacités attentionnelles et de mémoire des individus. Il
est exigeant pour des apprenants de sélectionner visuelle-
ment les bonnes informations, de comprendre les étapes
du processus ou encore de se souvenir des informations
qui n’ont été affichées à l’écran que quelques secondes.
Attention également : les informations dynamiques captent
plus facilement l’attention des apprenants et risquent par
conséquent de détourner leur attention d’autres éléments
importants du cours.

51

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Chapitre 6

Le numérique
permeT d’adapter
les enseignements aux élèves

◗◗en
Le mythe de l’adaptation à l’apprentissage
cours

Dès les débuts de l’informatique pédagogique, dans les


années 1970-80, un mythe a vu le jour, porteur de très
grands espoirs : celui de l’adaptation aux élèves.
Nous allons aborder ce mythe dans deux chapitres
différents. Nous allons d’abord traiter dans ce chapitre 6
l’adaptation à l’apprentissage de l’élève, ou plus exacte-
ment l’adaptation à la dynamique intra-individuelle de
l’apprentissage, aux difficultés rencontrées par l’élève au
fur et à mesure que celui-ci apprend. Puis, dans le cha-
pitre 7, nous aborderons l’adaptation aux différences inte-
rindividuelles liées aux troubles et aux handicaps dont
souffrent certains élèves.
Le mythe de l’adaptation à l’apprentissage est fasci-
nant : grâce à l’informatique, qui est capable de traiter
les informations qui « entrent » dans un système, on va
pouvoir considérer les réponses, les activités, les réussites
et les échecs d’un élève comme des entrées et adapter la
suite du contenu, de la tâche, de l’interaction, bref, la suite
de l’apprentissage, à cette entrée.
Ce mythe était déjà présent dans l’enseignement pro-
grammé de Skinner, qui adressait à l’élève un feedback en
fonction du caractère correct ou incorrect d’une réponse,
52

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Apprendre avec le numérique

selon une approche béhavioriste. Le développement de l’in-


telligence artificielle dans les années 1970-80 allait don-
ner un élan extrêmement puissant à cette perspective :
un système informatique intelligent peut interpréter les
réponses d’un élève, la solution qu’il propose à un problème,
etc. En fonction de cette interprétation de l’état où en est
l’élève dans son apprentissage, le système pourra choisir
une seconde étape, adaptée. Par exemple, si un élève a
rencontré une difficulté de compréhension de l’énoncé, le
système lui proposera ensuite une activité différente de
ce qu’il proposerait suite à une erreur de calcul ou encore
à une erreur dans le choix de la démarche à mettre en
œuvre. Bref, on s’est mis à croire qu’on allait pouvoir véri-
tablement enseigner avec un ordinateur. Ce courant de
recherche est toujours d’actualité, avec une communauté
internationale, des colloques, des revues dans ce domaine
que l’on appelle les Tuteurs intelligents ou l’Intelligence
artificielle en éducation.
Très récemment, ce mythe est réapparu, sous une forme
assez différente, avec les MOOCs (Massive Open Online
Courses), les cours en ligne massifs et ouverts, souvent
soutenus par un discours sur la personnalisation de l’en-
seignement : chaque élève, étudiant, travailleur, curieux,
passionné, etc. va pouvoir trouver un enseignement qui
répond spécifiquement et précisément à son besoin. Mais
les MOOCs sont en réalité beaucoup plus proches d’un
autre mythe, celui de l’apprentissage en autonomie, qui
est traité au chapitre 3.

◗◗Bilan des travaux scientifiques


Cela fait maintenant quarante ans que des travaux scien-
tifiques sont conduits dans ce domaine. La déception est
arrivée relativement tôt. On peut sans doute affirmer que
la conviction que le mythe resterait bien dans le domaine
des rêves date du milieu des années 1990. Plus précisé-
ment, cela fait à peu près vingt ans que l’on a compris que
53

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Chapitre 6

les travaux en laboratoire étaient beaucoup trop difficiles,


longs et exigeants, avec des résultats souvent modestes,
pour espérer voir un jour les Tuteurs intelligents entrer
dans les salles de classe, ou plus généralement dans la
vraie vie.

Une concrétisation très complexe et coûteuse


Les raisons de ce demi-échec sont avant tout informa-
tiques. Les Tuteurs intelligents relèvent d’un domaine
de l’intelligence artificielle classique, celui des systèmes
experts. Pour fonctionner (c’est-à-dire pour interpréter
intelligemment ce que fait un élève), un tel système a
besoin d’un modèle de l’élève (une description informa-
tique exhaustive de la façon dont tous les élèves possibles
peuvent apprendre tel domaine), d’un modèle du domaine
(une description informatique exhaustive et structurée des
connaissances du domaine) et enfin d’un modèle de l’en-
seignement (une description informatique exhaustive de
la façon dont on enseigne ce domaine et dont on régule cet
enseignement en fonction de la façon dont tous les élèves
possibles apprennent). Ces trois modèles, déjà très diffi-
ciles à élaborer, ne serait-ce que par manque de théories,
doivent ensuite interagir entre eux et avec un élève réel.
La complexité de ce travail rend ce type de système non
pas impossible à concevoir, mais extrêmement difficile,
long et coûteux.

Des adaptations plus modestes


C’est finalement du côté des adaptations modestes, limi-
tées, que le mythe de la personnalisation va survivre. Cela
concerne deux domaines majeurs :
–– Celui de l’évaluation fermée et sommaire : on sait
aujourd’hui concevoir des systèmes qui proposent à l’élève
un retour sur sa réponse, mais à condition que la question
soit relativement fermée, que les réponses possibles soient
en nombre limité et identifiées à l’avance. Même s’il s’agit
là d’une évaluation très sommaire par rapport à ce que
peut proposer (en théorie) un Tuteur intelligent, cette éva-
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Apprendre avec le numérique

luation est quand même intéressante car elle est illimitée


en temps et en nombre (l’ordinateur ne se fatigue pas, on
peut concevoir un système qui répond à 1 élève comme à
100 000) et elle semble présenter l’avantage d’être perçue
comme plus neutre, moins « menaçante » pour les élèves
en fragilité.
–– Celui de la recherche d’aide : plutôt que de conce-
voir un système qui s’adapte à la dynamique de l’appren-
tissage d’un élève, on conçoit des aides à l’apprentissage
pour l’élève – à lui d’aller les chercher quand il en a besoin.
Mais, bien entendu, les recherches ont montré ce que
savent déjà des milliers d’enseignants et de concepteurs
d’environnements informatiques pour l’apprentissage : ce
sont les élèves qui en ont le plus besoin qui demandent le
moins d’aide et/ou qui en demandent de la façon la moins
pertinente. Depuis une quinzaine d’années, les efforts se
sont centrés sur des aides « adaptatives », proposées aux
élèves quand ils en ont besoin, parfois même avant qu’ils
aient conscience de ce besoin. Si ces travaux nécessitent
encore des approfondissements, on a là une voie très
intéressante.

Un environnement informatique… et des humains


La déception liée aux limites de la personnalisation étant
maintenant ancienne, de nombreux travaux ont été consa-
crés depuis vingt ans à la conception d’environnements
informatiques pour l’apprentissage où les humains sont
présents : les enseignants et les pairs de l’élève qui apprend.
C’est sans doute la raison pour laquelle cette voie, beau-
coup moins ambitieuse mais beaucoup plus raisonnable,
semble remporter un tel succès depuis des années : ce n’est
pas l’informatique qui porte l’adaptation mais les humains
(enseignant et élèves) qui s’en chargent.
Un exemple particulièrement intéressant de cette
autre voie nous semble résider dans les micromondes,
comme CabriGéomètre (Cabri : cahier de brouillon interac-
tif), qui ont un succès phénoménal. Les micromondes sont
des environnements informatiques qui, comme leur nom
55

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Chapitre 6

l’indique, constituent un « monde » complet, avec des objets


sur lesquels on peut agir, que l’on peut manipuler, dépla-
cer, mais aussi créer, transformer, etc. CabriGéomètre a
été créé par Jean-Marie Laborde et son équipe en 1986,
à Grenoble. Cette équipe travaillait dans le domaine de
la conception d’outils dynamiques pour l’apprentissage
des mathématiques. En 1995, Cabri II est intégré dans
les calculatrices graphiques TI-92 de Texas Instruments,
début d’un grand succès international. Cabri a toutes les
caractéristiques du micromonde. Mais Cabri a une toute
autre dimension : ce n’est pas qu’un cahier de brouillon,
c’est aussi une boîte à outil. Pour fonctionner, il faut
qu’un enseignant crée un scénario pédagogique, qui inclut
notamment une régulation des apprentissages des élèves.
En externalisant le scénario pédagogique, et notamment
la régulation, les outils numériques ont peut-être plus de
chance de réussir !

Faire varier le guidage


Si les Tuteurs intelligents ne sont pas efficaces, en par-
ticulier pour des apprentissages complexes, la variabilité
de l’apprenant au cours de son apprentissage peut néan-
moins être prise en compte à travers l’élaboration de scé-
narios pédagogiques à priori. Les travaux sur l’effet de
diminution du guidage (guidance fading effect) illustrent
parfaitement cette idée (Sweller, Ayres & Kalyuga, 2011).
En début d’une séquence d’apprentissage, les apprenants
peu familiers du domaine bénéficient de guidages (par
exemple : présentation de problèmes résolus avant de faire
travailler l’apprenant sur un même type de problème). Par
la suite, avec l’acquisition de connaissances, les appre-
nants bénéficient davantage de situations d’apprentissage
sans guidage.

56

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Apprendre avec le numérique

◗◗Quelques exemples
Practical Algebra Tutor
Practical Algebra Tutor est un célèbre système pour l’en-
seignement de l’algèbre développé par le psychologue
canadien John Anderson et son équipe, à Pittsburgh. Cette
équipe a développé d’autres Tuteurs intelligents (comme
Geometry tutor, Algebra I Tutor, etc.) et a constamment
eu le souci de « sortir du laboratoire » pour aller tester ses
systèmes dans des salles de classe.
Les Tuteurs intelligents développés par cette équipe
sont fondés sur un modèle de l’élève particulièrement
solide, à partir d’une architecture cognitive générale
nommée ACT. Cette architecture est capable de pré-
dire très précisément les conduites qui vont amener les
élèves vers des apprentissages réussis ou presque réus-
sis. Réciproquement, le système permet d’interpréter
toute activité d’un élève comme un écart à cette conduite
optimale. Ainsi, pour un apprentissage donné, le système
peut proposer un guidage ou une aide adaptée à « l’écart »
de l’élève.
De génération en génération, cette équipe a produit des
systèmes qui guident de moins en moins les élèves mais
qui sont prêts à répondre à une demande d’aide de façon
intelligente.
Dans une étude (Koedinger, Anderson, Hadley & Mark,
1997) conduite auprès de 470 élèves de 3e en 1993-94,
les chercheurs montrent que les élèves issus de milieux
défavorisés et travaillant avec ce système ont des perfor-
mances de 15 % supérieures à des élèves témoins, issus
de classes comparables. Toutefois, quand on compare ces
élèves avec ceux de classes sélectives, réservées aux élèves
performants en mathématiques, on constate que le sys-
tème ne permet pas de combler la différence liée au niveau
initial des élèves.

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Chapitre 6

Espace maths
Espace maths est un système pour l’enseignement des
mathématiques à l’école élémentaire, développé par la
société Lambda Educational Technologies. Nos collègues
Franck Martin et Agnès Morcillo ont pu tester un proto-
type en 2001-02. Bien que ce prototype fût à l’époque très
avancé et que l’évaluation ait été positive, il ne semble
pas qu’il existe aujourd’hui de version commerciale de ce
système.
Espace maths a de bonnes caractéristiques adapta-
tives : il propose aux élèves des exercices puis des cor-
rections adaptées aux erreurs spécifiques de chacun, une
aide adaptée à ses erreurs et des activités de rattrapage et
d’approfondissement, toujours en fonction de ses erreurs.
Il propose aussi, pour l’enseignant, des rapports d’activité
de chaque élève, avec une liste détaillée des activités réa-
lisées par enfant, des données statistiques au niveau de
la classe et au niveau de chaque élève, ainsi qu’un état
des problèmes graves rencontrés par élève et par thème.
Plus précisément, la dimension adaptative de ce système
consiste, quand l’élève rencontre une difficulté ou fait une
erreur, à lui proposer un message le guidant vers la solu-
tion. Si l’élève ne parvient pas à résoudre le problème mal-
gré cette aide, le système indique la solution. Le système
analyse alors vers quelle activité renvoyer l’élève pour que
ce dernier puisse surmonter sa difficulté.
73 élèves de cinq classes différentes ont participé pen-
dant un an à l’évaluation du système. Leurs performances
en mathématiques (évaluées sur 52 items regroupés en
19 exercices) étaient comparées à un groupe témoin de
49 élèves de quatre autres classes, au début et à la fin de
l’année. Les progrès faits au cours de l’année par les élèves
du groupe Espace maths sont supérieurs aux progrès faits
par les élèves du groupe témoin. De façon intéressante, le
poids du niveau en maths en septembre est moins prédic-
teur du niveau en juin chez les élèves du groupe expérimen-
tal que chez les élèves du groupe témoin : on trouve plus
d’élèves faibles qui ont progressé dans les classes Espace
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Apprendre avec le numérique

maths. Toutefois, même si ces résultats sont significatifs,


la différence entre les deux groupes n’est pas extrêmement
importante : + 58 % de progrès dans le groupe expérimen-
tal contre + 51 % dans le groupe témoin.
Lors de cette évaluation, les chercheurs ont demandé
leur avis aux enseignants : de façon surprenante, leur
jugement positif ne concerne pas le caractère adaptatif du
système mais la possibilité d’obtenir chaque semaine un
rapport d’activité de chaque élève, avec ses réussites, ses
échecs et les activités réalisées.

Aplusix
Aplusix est un système pour l’enseignement de l’arith-
métique et de l’algèbre développé par le laboratoire d’in-
formatique de Grenoble. Face à un problème, l’élève peut
essayer de trouver la solution et la saisir. S’il ne sait pas
quoi faire, il peut demander au système de suggérer une
action ou d’effectuer un pas de calcul. Aplusix vérifie les
calculs de l’élève et vérifie la fin de l’exercice. Plus précisé-
ment, le système permet les adaptations suivantes : vérifi-
cation de l’équivalence entre deux expressions, vérification
de la structure des expressions, indicateurs de l’état des
expressions algébriques au niveau syntaxique, indicateur
de terminaison des exercices en mode exercice et enfin aide
adaptée au contexte.
Là encore, des résultats positifs ont été obtenus dans
plusieurs études, conduites dans plusieurs pays, mais le
logiciel (pourtant peu cher) rentre assez peu dans les éta-
blissements scolaires.
Nous pourrions cumuler les exemples pour montrer
que les systèmes adaptatifs sont possibles à développer
et qu’ils peuvent être efficaces. Mais, comme le notent les
collègues de Pittsburgh, une difficulté persiste : répondre
aux besoins des enseignants et des élèves, aux exigences
précises des programmes scolaires. Nous pourrions ajou-
ter : tout en étant compatible avec l’organisation du temps,
de l’espace, avec les ressources disponibles. Réunir toutes
ces conditions alors que les coûts en développement sont
59

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Chapitre 6

exorbitants constitue peut-être la limite des TICE qui


s’adaptent aux apprentissages des élèves.
Le fait que les exemples que nous avons choisis, qui
montrent l’intérêt des systèmes qui s’adaptent à l’élève,
relèvent tous de l’enseignement des mathématiques n’est
peut-être pas un hasard. Dans cette discipline, il est sans
doute possible de formaliser très précisément ce que l’on
enseigne et ce que les élèves apprennent. Il n’est pas du
tout certain que cela soit possible avec ce niveau de pré-
cision dans d’autres disciplines. Ce dernier fait constitue
une limite de plus des Tuteurs intelligents.

◗◗pédagogiquement
Conclusion : les feedbacks immédiats,
puissants,  
sont encore à développer

Le mythe des systèmes qui s’adaptent à l’apprentissage


des élèves, au fur et à mesure, est fascinant. En soi, il est
porteur de grands espoirs. Mais les limites dans ce domaine
sont importantes et il ne semble pas possible pour l’instant
d’attendre des systèmes informatiques adaptatifs autre
chose que des retours relativement sommaires vers les
élèves, en fonction de leurs réponses à des questions rela-
tivement fermées (en clair des QCM, des réponses VRAI/
FAUX, des résultats numériques, une seule réponse pos-
sible), dans des domaines de connaissances qui s’y prêtent.
Cette restriction forte ne doit pas cacher le grand
intérêt des systèmes qui fournissent des retours informa-
tifs, même sommaires, aux élèves. Un retour immédiat
quand on apprend est un des plus puissants moteurs de
l’apprentissage.

60

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Chapitre 7

Le numérique permet
de s’adapter aux besoins
particuliers des apprenants

◗◗à besoins particuliers
Le mythe de l’adaptation aux élèves

Les élèves sourds, malvoyants, dyslexiques, dysphasiques,


à mobilité réduite, dyspraxiques ou porteurs de troubles
autistiques : voilà la population qui doit le plus bénéficier
du numérique pour l’apprentissage. Deux branches de l’in-
formatique se sont intéressées à cette question :
–– le domaine de l’interaction entre humain et machine,
plus spécialement centré sur les handicaps moteurs et sen-
soriels, où l’on essaie de concevoir des technologies qui
compensent ou contournent le handicap ;
–– le domaine de l’informatique pédagogique, plus spé-
cifiquement centré sur les troubles de l’apprentissage, où
l’on tente d’améliorer l’apprentissage ou de compenser le
trouble.
On peut résumer ce mythe de l’adaptation aux handi-
caps et troubles des élèves de la manière suivante :
–– la technologie permet de compenser : si l’enfant est
habituellement en situation de handicap, la technologie
va permettre d’alléger le handicap, parfois de façon impor-
tante, en donnant accès à ce qui ne l’est pas habituellement ;
–– la technologie permet de contourner : la technologie
donne accès à autre chose que ce qui ne l’est pas habi-
61

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Chapitre 7

tuellement, mais qui vient permettre l’apprentissage ou


la réalisation de la tâche scolaire ;
–– la technologie permet d’apprendre : la technologie
contribue à une stratégie plus globale de réduction ou de
« rééducation » du handicap ou du trouble de l’apprentis-
sage lui-même.
C’est certainement le mythe dans lequel nous avons le
plus envie de croire.

◗◗Bilan des travaux scientifiques


Le cas des handicaps sensoriels est sans doute celui où
les attentes sont les plus directes et les plus évidentes.
Le numérique permet en effet de générer assez aisément
des médias adaptés : passage de la parole à l’écrit ou à
la langue des signes pour les élèves malentendants ou
sourds ; passage de l’écrit à la parole pour les enfants
malvoyants ou aveugles. Par exemple, dans une synthèse
assez ancienne, Hasselbring & Glaser (2000) montraient
que les principales fonctionnalités utilisées par les élèves
malvoyants ou aveugles étaient :
– des stratégies de compensation : le grossissement des
caractères, la colorisation des lettres, le changement de
luminosité pour les élèves avec vision préservée ;
– des stratégies de contournement : les audio-descrip-
tions de vidéos ; les synthèses vocales, couplées ou pas avec
des logiciels de reconnaissance de caractères ; la généra-
tion de textes (ou autres contenus) en braille et la prise de
notes en braille.

Des études auprès d’enfants aveugles


Dans une étude conduite à Singapour auprès d’élèves
aveugles scolarisés et de leurs enseignants, Wong & Cohen
(2011) montrent que la connaissance limitée des ensei-
gnants sur les technologies d’assistance pour les élèves a
des résultats très négatifs. L’enseignement présente des
incohérences et des insuffisances. Les élèves eux-mêmes
62

Pédagogie_numérique_001-120.indd 62 16/09/2014 12:47


Apprendre avec le numérique

peuvent avoir une faible maîtrise de ces technologies. Pour


ces auteurs, la formation des enseignants aux technologies
d’assistance et la collaboration avec les personnes char-
gées de l’intégration (l’équivalent de nos AVS) constituent
une priorité. Une étude conduite en Malaisie montre que
ces technologies, quand elles sont bien maîtrisées par
leurs usagers, sont bien acceptées par eux parce qu’elles
sont utiles (Aziz, Roseli & Mutalib, 2011). En particulier,
les élèves plébiscitent le grossissement des caractères,
l’audio-description, les synthèses vocales et l’interaction
directe (écran tactile et souris).
Des travaux plus récents tentent de développer des
outils pour aider les élèves qui ne lisent pas le braille,
en générant automatiquement des documents verbaux
sonores à partir de documents écrits (à partir d’un langage
alphabétique ou non, Tang, 2013). Les résultats obtenus
sont extrêmement prometteurs.
Banf & Blanz (2013) ont développé un système qui per-
met de sonoriser des images. Ces dernières sont présen-
tées sur une tablette. La personne touche l’image. Selon
la partie de l’image qui est touchée, la personne reçoit une
information verbale assez rudimentaire (par exemple la
couleur, les bords, la rugosité) ou au contraire élaborée
(contenu de l’image).
De plus en plus de travaux sont consacrés à l’améliora-
tion de l’accès, pour les personnes aveugles et malvoyantes,
aux formations « en ligne » (Cooper, 2006), tandis que,
dans de nombreux pays, l’accès aux établissements sco-
laires ordinaires reste une priorité en termes de politique
éducative, les innombrables barrières techniques, sociales,
logistiques et culturelles étant loin d’être tombées partout
(voir par ex. Yusop et al., 2013).
Enfin, l’utilisation de la réalité augmentée peut aussi
représenter un potentiel très intéressant pour l’apprentis-
sage chez des personnes aveugles ou malvoyantes, qu’elles
soient adultes ou encore à l’école (Fitzgerald et al., 2012).
En effet, la réalité augmentée permet à un individu de se
mouvoir et d’agir dans un environnement où différents
63

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Chapitre 7

aspects sont augmentés d’informations (visuelles tradition-


nellement, auditives pour le cas présent) qui sont jugées
utiles. L’individu interagit ainsi avec un environnement
enrichi, où il peut apprendre bien plus que s’il interagissait
avec ce même environnement « naturel ».

Une étude auprès de personnes en situation  


de handicap moteur : adapter les claviers
L’équipe de Nadine Vigouroux à Toulouse travaille depuis
de nombreuses années au développement de technologies
pour les personnes en situation de handicap. Parmi les
solutions conçues, un ensemble concerne les claviers vir-
tuels pour les personnes handicapées motrices (nous avons
notamment travaillé avec eux sur un projet pour les per-
sonnes myopathes). En effet, la fatigue due à la saisie est
dépendante non seulement du clavier comme objet phy-
sique (inaccessible à certaines personnes), mais aussi de
la configuration AZERTY (conçue à l’époque des machines
à écrire pour éloigner les touches des lettres co-fréquentes)
qui est particulièrement fatigante. Ces auteurs ont montré
qu’une réduction de la fatigue est corrélée à la minimisa-
tion de la distance à parcourir par le curseur dans une
tâche de saisie de texte.
Cependant, dans l’exemple des claviers virtuels pour
personnes handicapées motrices comme dans celui des
technologies pour les élèves malvoyants, on observe sou-
vent le même phénomène : ce n’est pas parce que la techno-
logie existe et qu’elle est efficace qu’elle trouve réellement
sa place dans le quotidien de la classe. L’organisation du
temps, de l’espace, les ressources disponibles, la formation
des professionnels, les valeurs des usagers font parfois obs-
tacle à l’intégration de ces solutions.

Une technologie pour apprendre  


à reconnaître les émotions
Un exemple de stratégie où la technologie est utilisée pour
soutenir l’apprentissage peut être trouvé par exemple
dans l’entraînement à la reconnaissance des émotions, et
64

Pédagogie_numérique_001-120.indd 64 16/09/2014 12:47


Apprendre avec le numérique

plus généralement l’apprentissage, chez les enfants souf-


frant de troubles du spectre autistique (voir la synthèse de
Boucena et al., 2014).
Baron-Cohen, Golan & Ashwin (2009) ont été parmi
les premiers à développer un programme d’entraînement
sur ordinateur à la reconnaissance des émotions chez
les enfants autistes. Les participants étaient répartis
selon trois groupes : un d’enfants typiques, un d’enfants
autistes sans intervention et un d’enfants autistes avec
intervention. Le support d’apprentissage, un programme
d’ordinateur sur DVD, entraînait l’enfant à reconnaitre les
émotions. Ensuite, quatre tâches étaient utilisées afin de
mesurer l’effet de l’intervention. On demandait aux par-
ticipants d’apparier une situation émotionnelle suivant
plusieurs niveaux de difficulté.
Au début de l’expérimentation, les enfants atteints de
troubles du spectre autistique (TSA) avaient des perfor-
mances plus faibles que les enfants typiques. À la fin, les
enfants autistes ayant reçu l’entraînement rejoignaient
le niveau des enfants typiques alors que ceux qui n’en
avaient pas bénéficié ne progressaient pas.
D’autres études ont été menées (Bekele et al., 2014 ;
Hopkins et al., 2011), utilisant des vidéos ou des visages
« virtuels » (i.e. dont l’ensemble des caractéristiques peut
être manipulé), et produisent des résultats très encoura-
geants : non seulement un effet positif est obtenu avec le
groupe expérimental, mais une amélioration hors contexte
d’apprentissage est observée.

La technologie au service des élèves dyslexiques


Un autre exemple de stratégie où la technologie est uti-
lisée pour soutenir l’apprentissage est sans doute plus
connu : celui de l’apprentissage de la lecture par des élèves
dyslexiques. L’équipe d’Annie Magnan et Jean Ecalle à
Lyon travaille dans ce domaine depuis plus de dix ans et
a produit un ensemble de résultats très encourageants.
Leurs travaux ont notamment montré qu’un système qui
permet un entraînement audiovisuel à la reconnaissance
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Chapitre 7

et à la segmentation des sons et aux contrastes vocaux


pouvait améliorer la reconnaissance des mots écrits, c’est-
à-dire la lecture des mots.
Les travaux récents de cette équipe sont probablement
encore plus encourageants car les chercheurs commencent
aussi à aborder des tâches de compréhension. En outre, et
c’est très important, cette équipe conduit maintenant des
évaluations de l’effet de leurs outils sur le long terme (de
plusieurs mois à un an).

◗◗Quelques exemples
JeStiMulE
Le Centre Ressource Autisme PACA Nice a développé
un jeu sérieux intitulé JeStiMulE. Les jeux sérieux, par
rapport aux autres dispositifs d’apprentissage pilotés par
ordinateur, favoriseraient la motivation, rendraient l’ap-
prentissage plus actif, fourniraient de nombreux retours,
immédiats ou différés, sur les actions de l’apprenant (mais
voir les limites soulignées dans le chapitre 2).
JeStiMulE, pendant la phase d’apprentissage, est com-
posé d’une série de jeux de complexité croissante. Les par-
ticipants apprennent à reconnaître les émotions d’avatars
exprimées par un visage ou un geste. Au cours de la phase
d’expérimentation, l’enfant joue dans un environnement
virtuel et circule dans différents domaines de la vie cou-
rante : un square, un théâtre, un restaurant, un jardin et
un magasin. L’enfant doit reconnaître ou anticiper l’ex-
pression émotionnelle des avatars dans diverses situations
sociales grâce à l’apprentissage réalisé préalablement.
Le jeu est adaptable pour les personnes ayant un
fonctionnement cognitif fortement altéré ou non, de sorte
qu’il est possible de choisir une modalité de réponse adap-
tée aux capacités cognitives des enfants. Les modalités
incluent un mode utilisant des codes de couleur pour les
non-lecteurs, un mode utilisant des mots émotionnels pour

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Apprendre avec le numérique

les lecteurs ou des expressions idiomatiques pour les per-


sonnes atteintes du syndrome d’Asperger.
Pour chaque situation sociale, le joueur doit reconnaître
ou anticiper les émotions du personnage. Si la réponse est
correcte, le joueur gagne une pièce de puzzle.
JeStiMulE a été évalué auprès de 40 enfants et ado-
lescents atteints de TSA. L’intervention durait quatre
semaines, à raison de deux séances d’une heure par
semaine. La reconnaissance des émotions était évaluée
avant et après l’intervention, au niveau des visages, des
gestes en lien avec l’expression des émotions et lors de
situations sociales. Les résultats obtenus ont montré
l’amélioration significative de la reconnaissance des émo-
tions chez l’ensemble des participants ainsi que l’adaptabi-
lité du jeu sérieux pour des patients TSA à la fois de haut
et de bas niveau de fonctionnement (Serret et al., 2012).

Play-on
Play-on3, un des outils utilisé par Magnan et Ecalle,
consiste à piloter un apprentissage par ordinateur en met-
tant l’accent sur l’opposition sonore entre deux items pour
six paires de phonèmes: / p /-/ b / ; / t /-/ d / ; / k /-/ g / ; / f
/-/ v / ; / s /-/ z / et / ch /-/ j /. Trois types d’items sont utili-
sés : mono-, bi- et trisyllabiques. La position du phonème
est manipulée (initial vs final). Les participants écoutent
une syllabe consonne-voyelle (/ pa /) et doivent choisir
entre deux syllabes imprimées (pa ou ba), qui ne diffèrent
que par la sonorité de la consonne. Immédiatement après
avoir écouté la syllabe, les participants voient un ballon de
basket en haut de l’écran et l’enfant appuie sur une des
deux touches (gauche ou droite) pour placer la balle dans
le panier correspondant à pa ou ba.

3. L. Danon-Boileau & D. Barbier (2002). Play-on : un logiciel d’entraînement à la


lecture. Paris : Audivimédia.
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Chapitre 7

/rabo/
/rabo/ /rato/

© Audivimédia
Un exemple d’écran du logiciel Play-on : exercice de discrimination
phonétique.

◗◗Conclusion : des résultats encourageants


Le domaine des technologies adaptées aux particularités
des élèves, dans le domaine des handicaps et des troubles,
produit des résultats très encourageants. Des effets positifs
sont obtenus quelle que soit la stratégie utilisée : compen-
sation, contournement et rééducation. Le plus surprenant
dans le domaine est qu’il existe relativement peu d’outils
alors que la preuve de leur efficacité est souvent apportée.
Mais pour qu’il y ait plus-value, il faut que les acteurs
(enseignants et élèves) maîtrisent ces technologies et leurs
fonctions pédagogiques.
Nous sommes par ailleurs convaincus que ce domaine
en est à ses débuts et que d’ici quelques années on verra
l’aide aux apprentissages des élèves à besoins particuliers
comme relevant d’autre chose que de l’entraînement : ces
élèves sont capables, exactement comme les autres, d’ap-
prendre en comprenant, en conceptualisant, en explorant,
en découvrant, en prenant conscience, et pas uniquement
en s’entraînant, en répétant.
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Chapitre 8

La lecture sur écran réduit


les compétences de
lecture et les capacités
attentionnelles des jeunes

◗◗une
La lecture numérique :  
mauvaise lecture ?

La lecture sur écran (ordinateur, tablette, téléphone


mobile, liseuse) est aujourd’hui très fréquente dans notre
société, que ce soit pour le loisir, le travail ou la formation.
La richesse des documents numériques et la facilité d’accès
à l’information grâce à Internet et aux supports mobiles
participent directement à une modification de nos compor-
tements de lecture.
Wikipédia est le site web le plus consulté par les
apprenants. Selon Google, Wikipédia était le 6e site le
plus consulté au monde en 2014. On le constate dans les
pratiques des élèves et des étudiants qui ont développé le
réflexe de consulter Wikipédia pour préparer un examen,
un dossier ou un exposé. Ces documents sont évolutifs,
interconnectés par des liens hypertextes et généralement
riches. Dans un célèbre article de 2008 intitulé « Est-ce
que Google nous rend stupides ? », le journaliste américain
Nicholas Carr expliquait que ces documents numériques
en ligne modifieraient nos pratiques de lecture, particuliè-
rement celles des jeunes. Comparativement à une lecture
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Chapitre 8

plus traditionnelle, celle d’un manuel papier par exemple,


la lecture des jeunes deviendrait plus morcelée, elle serait
peu soutenue, les lecteurs liraient plus en surface et inves-
tiraient beaucoup moins d’efforts. En outre, la forte sollici-
tation des lecteurs par des informations peu ou non perti-
nentes dans ces documents (publicité, articles connexes…)
et la facilité d’accès à ces informations (un simple clic)
amèneraient les lecteurs à être plus facilement distraits
et détournés de leur tâche principale de lecture.
Ces nouvelles pratiques de lecture sur écran et en ligne
sont-elles en train de modifier les capacités de lecture
des apprenants et de réduire leurs compétences à lire de
manière soutenue et en profondeur des contenus ?

◗◗Bilan des travaux scientifiques


Les écrans rétro-éclairés fatiguent l’œil
Tout d’abord, d’un point de vue technique et physio-
logique, la lecture sur écran est moins efficiente que la
lecture sur papier (Baccino, 2004). La principale raison
est le rétro-éclairage des écrans qui fatigue l’œil. Il reste
difficile de lire un roman avec sa tablette tactile. Les
liseuses, qui utilisent de l’encre électronique, se sont déve-
loppées pour pallier cette limite en évitant le rétro-éclai-
rage. Néanmoins, les taux de contraste entre l’encre et le
fond de la page restent inférieurs à ceux du papier ; or un
bon contraste participe au confort de lecture. Passées ces
limites techniques et physiologiques, étudions à présent
les aspects cognitifs de la lecture numérique.

Trois stratégies de lecture… quel que soit le support


La question sous-jacente à ce chapitre est de savoir si les
comportements et stratégies de lecture sur un écran sont
identiques ou s’ils diffèrent de ceux en jeu dans la lecture
papier.
Tout d’abord, un document, même papier, peut être
lu selon différents modes ou stratégies de lecture. Dans
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Apprendre avec le numérique

la recherche dans ce domaine, on distingue généralement


trois modes de lecture : lecture linéaire, lecture en scan-
nant le texte et lecture en diagonale. Un mode de lec-
ture de type linéaire consiste à lire un texte ligne par
ligne. On associe généralement (à tort) la lecture papier
à une lecture strictement linéaire. Or, quel que soit le
support, un document sera potentiellement lu selon les
différents modes de lecture : le choix du mode de lecture
par l’apprenant dépendra de ses objectifs de traitement
du document.
Un document numérique tel qu’un manuel scolaire, par
exemple, n’implique pas en soi des stratégies de lecture
propres au numérique. En revanche, certaines caracté-
ristiques des documents numériques comme la richesse
des formats d’informations (animations, vidéos, images,
textes…), les fonctions de navigation et d’interaction dans
les documents (moteur de recherche, liens hypertextes…)
et l’étendue des informations (liens vers d’autres docu-
ments associés au texte initial par exemple) peuvent favo-
riser des modes de lecture en diagonale (skimming : le lec-
teur lit dans un premier temps les indices organisationnels
du document comme la table des matières, les titres, les
indices typographiques) ou de lecture par scan du texte
(scanning : le lecteur parcourt le document à la recherche
de mots clés ou d’informations précises).
La multiplicité des documents va en effet inciter l’ap-
prenant à en repérer les idées principales plutôt que de
réaliser une lecture approfondie de chaque document. En
outre, l’étendue des documents et la facilité d’accès à ces
documents (via des moteurs de recherche ou des liens
hypertextes) conduit de plus en plus les apprenants vers
des tâches de recherche d’informations. Contrairement à
un document papier unique sur lequel peut s’appuyer un
apprenant, dans le cas du numérique, et plus particulière-
ment du web, celui-ci doit conduire des recherches d’infor-
mations pour compiler et se construire une représentation
du thème qu’il étudie.

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Chapitre 8

Malgré les différences entre le papier et le numérique,


des travaux montrent que des compétences issues de la
lecture papier sont utiles et employées lors de la lecture
numérique. Par exemple, une étude qualitative menée sur
une dizaine d’étudiants (Akyel & Erçetin, 2009) a révélé
que pour l’étude d’un document hypermédia les appre-
nants pouvaient mettre en œuvre des stratégies d’étude
cognitives (centrées sur le traitement des contenus) et
métacognitives (centrées sur la gestion de l’activité de lec-
ture et d’apprentissage) équivalentes à celles employées
sur les documents papier.

De nouvelles compétences en lecture à acquérir


Néanmoins, ces nouvelles activités de lecture de docu-
ments sur le web et autres bases de données numériques
conduisent les apprenants à développer de nouvelles pra-
tiques de lecture et d’étude qui impliquent de nouvelles
compétences. Bien que le numérique offre des facilités
d’accès à l’information, ces nouvelles pratiques ne sont
pas pour autant aisées pour les apprenants. En effet, de
nouvelles compétences doivent être développées pour pou-
voir étudier et exploiter efficacement ces documents. Les
travaux de recherche menés sur la compréhension et l’ap-
prentissage à partir de documents numériques pointent
plusieurs exigences.
Par exemple, l’accès à une multitude de documents
interconnectés conduit les lecteurs à construire du sens
à partir de documents multiples. Les travaux de Jean-
François Rouet et de ses collaborateurs ont mis en évi-
dence la complexité et les exigences de la compréhension
de documents multiples (Britt & Rouet, 2012). Le lecteur
doit construire plusieurs représentations des documents
en mémoire ainsi qu’une représentation intertexte, c’est-à-
dire une représentation des relations entre les documents
et de la complexité des connaissances abordées. Il est
nécessaire aussi que le lecteur se construise une repré-
sentation de la tâche qu’il doit effectuer, ce qui inclut le
but de la tâche, les actions nécessaires à l’atteinte du but
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Apprendre avec le numérique

(sous-buts et procédure) et un ensemble de critères d’at-


teinte du but (Rouet, 2006).

De nouvelles exigences
D’autres travaux sur la non-linéarité des documents numé-
riques (accès libre à différentes parties d’un document à
partir de n’importe quelle autre partie de ce document) ont
montré les difficultés que pouvait imposer la construction
d’un parcours de lecture par l’apprenant. Une revue de lit-
térature d’Amadieu & Salmerón (2014) expose clairement
les exigences à deux niveaux.
D’une part, un parcours de lecture efficace pour l’ap-
prentissage d’un contenu passe par un maintien de la cohé-
rence entre les sous-parties du contenu. Pour comprendre,
un apprenant a besoin d’enrichir au fur et à mesure la
représentation qu’il a du contenu ; or maintenir cette
représentation en mémoire peut s’avérer difficile, en par-
ticulier si l’apprenant passe d’une information à une autre
qui n’a pas de lien direct avec la première. En d’autres
termes, les documents non linéaires comme les hyper-
textes présentent un risque pour l’apprenant de perdre le
fil de sa lecture. L’intérêt et le maintien de la cohérence
semble guider la sélection des liens et donc des parcours de
lecture des apprenants (Akyel & Erçetin, 2009 ; Salmeron,
Kintsch & Canas, 2006).
D’autre part, les travaux montrent qu’une exigence de
traitement des documents numériques est imposée par le
manque d’indices de leur organisation sémantique. Si on
regarde un manuel scolaire classique, on a généralement
un ensemble d’indices organisationnels : une table des
matières, des chapitres, des titres et des sous-titres, des
encarts… L’apprenant se base sur ces indices pour parcou-
rir le manuel, s’y repérer et construire une représentation
des contenus. Dans les documents numériques, et tout par-
ticulièrement sur le web, il existe de nombreuses inter-
connexions entre les contenus et par conséquent on change
régulièrement de page, de document, de site et donc d’orga-
nisation. Des représentations graphiques de l’organisation
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Chapitre 8

des documents, comme une carte de concepts par exemple,


limitent les difficultés de lecture et la désorientation de
l’apprenant dans le document (Amadieu, Tricot & Mariné,
2010). La présence d’une carte réduirait également la
nécessité d’utiliser des modes de lecture de type skimming
(Akyel & Erçetin, 2009).

Conclusion : une activité de lecture plus complexe


En somme, la lecture de documents numériques est une
tâche complexe qui exige des compétences et des res-
sources cognitives chez les apprenants. De nombreux tra-
vaux montrent que, pour pouvoir faire face aux exigences
de la lecture de documents numériques, les apprenants
ont besoin de ressources cognitives importantes comme
d’un niveau important de connaissances initiales dans le
domaine étudié, des habiletés spatiales ou encore des com-
pétences dans les apprentissages autorégulés (Amadieu &
Salmeron, 2014).
En ce qui concerne les nouvelles compétences associées
à la lecture des documents numériques (nouvelles littera-
cies), Leu et al. (2009) ont proposé cinq niveaux de com-
pétences qui soutiennent la lecture en ligne sur Internet.
Tout d’abord il s’agit d’identifier les questions impor-
tantes ; en effet, l’apprenant doit répondre à un besoin ou à
un problème informationnel qui peut être très spécifique ou
à l’inverse assez large. Par exemple, il cherche à clarifier un
point de cours ou à faire un état des connaissances sur un
phénomène. Ensuite, l’apprenant doit localiser les infor-
mations. Cela implique de savoir comment utiliser un
moteur de recherche, de savoir traiter les réponses fournies
par celui-ci, de lire une page web pour localiser l’information
recherchée, savoir faire des inférences sur la localisation
de l’information en sélectionnant un lien. Puis, l’apprenant
doit évaluer de manière critique l’information. Après avoir
localisé une information, il est important d’en évaluer la
pertinence, la précision et la fiabilité. Le traitement de la
source des documents joue un rôle important ici (Braasch,
Rouet, Vibert & Britt, 2012). Après cela, l’apprenant doit
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Apprendre avec le numérique

synthétiser l’information. Il doit construire mentale-


ment une représentation des informations et établir des
relations entre les informations ou textes traités et retenus.
Enfin, l’apprenant peut être amené à communiquer l’in-
formation. Les apprenants communiquent avec d’autres
pour répondre à une question, résoudre un problème et par-
tager une solution.

◗◗etExemple : les points communs  


les divergences entre lecture papier  
et lecture numérique

Une étude menée au États-Unis par Coiro & Dobler (2009)


sur des collégiens donne clairement une idée des conver-
gences et des différences entre la lecture papier et la lec-
ture numérique. Onze enfants ont été retenus pour l’étude
car ils avaient de bonnes compétences en lecture papier
et une expérience de la lecture sur Internet. Les enfants
devaient, à partir d’un site web sur les tigres, répondre à
des questions de compréhension littérale (la réponse était
explicitement écrite dans un texte du site) et inférentielle
(la réponse exige de faire une inférence afin d’extraire la
réponse à la question). Les apprenants devaient verbali-
ser, c’est-à-dire expliquer au fur et à mesure de leur lec-
ture ce qui leur passait par la tête en lien avec la tâche.
Dans une seconde session, les enfants devaient répondre à
des questions sur des thèmes du cursus en utilisant cette
fois-ci un moteur de recherche généraliste (Yahoo ! Kids).
Les résultats de cette étude ont montré à la fois que les
apprenants utilisaient des stratégies identiques à celles
employées dans la lecture papier et qu’ils mettaient éga-
lement en œuvre des stratégies plus complexes pour la
lecture de documents numériques en ligne. Les stratégies
employées communes à la lecture papier et au numérique
étaient tout d’abord des stratégies basées sur les connais-
sances antérieures liées au domaine, mais aussi des stra-
tégies basés sur le traitement de la structure des textes
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Chapitre 8

et des indices informationnels que l’on retrouve dans


les documents papier (ex. : recherche de titres et indices
typographiques). Ensuite ils utilisaient des stratégies de
raisonnement inférentiel leur permettant de traiter les
indices structuraux et de contexte afin d’extraire du sens
qui n’était pas explicitement donné dans le document.
Enfin, ils mettaient en œuvre des processus de lecture
autorégulée consistant à contrôler sa propre compréhen-
sion et à réparer des erreurs de compréhension.
En ce qui concerne les stratégies propres à la lecture
numérique, on retrouve les trois catégories évoquées plus
haut, mais aussi de nouvelles stratégies qualifiées de
« plus complexes » par les auteurs.
Pour les stratégies basées sur les connaissances, les
stratégies spécifiques aux documents numériques concer-
naient le traitement de la structure des sites web (par
exemple savoir reconnaitre des liens hypertextes hiérar-
chiques vs non linéaires) et les connaissances des moteurs
de recherche (savoir sélectionner un moteur de recherche
et produire des requêtes adaptées par exemple).
Pour les stratégies de raisonnement inférentiel, elles
concernaient des inférences prédictives (le lecteur cherche
à anticiper et à prédire l’information qui vient ensuite) et
le traitement de dimensions multiples qui caractérisent ce
type de documents (par exemple, le lecteur cherche à anti-
ciper l’information qui est pointée par un lien hypertexte
et son statut dans le document).
Enfin, pour la régulation de la lecture, les stratégies
spécifiques portaient sur des cycles rapides de recherche
d’information et de traitement de passages de texte.
En illustrant les recouvrements qui existent entre la lec-
ture de documents papier et la lecture de documents numé-
riques, cette étude permet donc de rejeter l’idée d’une lecture
numérique qui supplanterait la lecture papier en altérant
les compétences et stratégies propres à la lecture papier.

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Apprendre avec le numérique

◗◗Conclusion : enseigner la lecture numérique


Lire sur écran reste moins confortable que lire sur papier,
mais les technologies imitent de plus en plus l’apparence
du papier, réduisant ainsi ces inconvénients. Du point de
vue cognitif, on retiendra que la lecture numérique néces-
site des stratégies et des compétences issues de la lecture
papier. En cela, la lecture numérique n’est pas un dan-
ger pour les compétences de lecture « traditionnelles ». En
outre, il faut voir la lecture numérique et en ligne comme
un nouveau type de lecture qui implique de nouvelles com-
pétences (litteracies) propres aux traitements des docu-
ments et à la navigation dans ces espaces d’informations.
Les travaux montrent clairement que la lecture numé-
rique est généralement une tâche complexe car l’appre-
nant doit faire face à de multiples documents issus de
sources diverses ; il doit construire ses propres parcours
de lecture ; il doit se représenter la tâche à réaliser pour
pouvoir réguler sa lecture ; il doit pouvoir se repérer dans
les documents et organiser mentalement des informations
dispersées.
Du point de vue de l’enseignement, il est important
de considérer la lecture en ligne, qui occupe une place de
plus en plus grande dans les pratiques des apprenants du
primaire, du secondaire comme du supérieur. Au même
titre que la lecture papier « traditionnelle », les apprenants
doivent développer des compétences et mettre en œuvre
des modes de lecture adaptés à leurs objectifs. Ces compé-
tences sont de plus en plus présentes dans les programmes.
Il semble en outre nécessaire d’accompagner les appre-
nants dans leurs pratiques de lecture numérique et en
ligne. Par exemple, la question de l’évaluation de la fia-
bilité des sources sur Internet est devenue centrale pour
une exploitation pertinente des informations et docu-
ments issus du web. Il est encore surprenant de constater
que les étudiants éprouvent aujourd’hui des difficultés à
faire ce travail d’évaluation des sources dans un travail
académique.
77

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Chapitre 9

Les élèves savent utiliser


efficacement le numérique
car c’est de leur génération

◗◗Le mythe des « digital natives »


Les enfants qui grandissent en utilisant quotidiennement
des outils numériques sont différents des générations pré-
cédentes. Ces différences s’observent chez les enfants, puis
chez les adolescents et enfin chez les jeunes adultes. Marc
Prenski a émis cette idée en 2001. Il a repris à John Perry
Barlow le terme digital natives (les « natifs numériques »
en français), ainsi que celui de digital immigrants (ceux
qui ont découvert l’ordinateur à l’âge adulte) pour désigner
cette opposition de générations.
Les individus qui ont grandi avec le numérique auraient
des caractéristiques communes qui les différencieraient
des générations précédentes : ils communiquent aussi
bien via les technologies que directement ; ils considèrent
comme allant de soi l’utilisation des ordinateurs, d’Inter-
net, des téléphones mobiles, des jeux vidéo, des baladeurs
MP3 ; ils sont efficaces dans l’utilisation de ces outils.
Ces jeunes sont aussi différents dans la façon d’ap-
prendre, ont des préférences d’apprentissage différentes,
sont capables de faire plusieurs choses à la fois, comme
écouter de la musique, parler au téléphone et utiliser leur
ordinateur (Brown, 2000). Si bien que les systèmes éduca-
tifs conçus pour la génération précédente ne leur sont plus
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Apprendre avec le numérique

adaptés. Lors de leur arrivée dans le monde du travail,


ces nouveaux humains sont aussi très différents des pré-
cédents sur de nombreux aspects : leur relation à l’auto-
rité et au temps, leur sens des priorités (le travail en bas,
la vie en haut), leurs ambitions, la façon de travailler en
groupe, etc.
Le fait de grandir avec le numérique aurait donc un
impact profond sur de nombreux comportements. Il est dif-
ficile de distinguer dans ce concept de digital natives ce qui
relève de la relation causale (c’est parce qu’ils ont grandi
avec les ordinateurs qu’ils sont ainsi) de ce qui relève du
simple constat de génération (ils sont comme ça, les sui-
vants seront différents, pour des raisons qu’il serait vain
de vouloir lister ; les réactionnaires y voient une signe de
décadence, les progressistes un signe de progrès).

◗◗Un cruel manque de preuves


Nous allons tenter de nous focaliser sur les aspects stricte-
ment liés au numérique et à l’éducation : en quoi l’utilisa-
tion quotidienne du numérique a un effet sur l’utilisation
du numérique, notamment pour des tâches d’apprentis-
sage scolaire ?

La spirale de la complaisance
Les arguments en termes de génération nous semblent dif-
ficiles à étudier scientifiquement. Quand on analyse la lit-
térature dans le domaine, on trouve peu de travaux empi-
riques sérieux : la plupart sont des discours très tranchés
fondés sur l’anecdote, le cas particulier ou l’impression
générale. Quand des enquêtes sont conduites, c’est le plus
souvent auprès de petits échantillons d’étudiants. Quand
les études portent sur de gros échantillons représentatifs,
les résultats sont aussitôt très mitigés.
On peine beaucoup à trouver un cadre théorique sus-
ceptible d’expliquer cet effet de génération (à part bien
sûr les théories qui expliquent tout et son contraire). Pour
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Pédagogie_numérique_001-120.indd 79 16/09/2014 12:47


Chapitre 9

Bennett et coll. (2008), utiliser le concept de digital natives


pour caractériser un effet de génération relève peut-être
plus de la « panique morale » des intellectuels de la généra-
tion précédente, qui se sentent dépassés, que d’autre chose
(deux ans après, Bennett & Maton, 2010, iront plus loin et
qualifieront de « spirale de la complaisance » l’utilisation
du concept de digital natives). Bennett et coll. (2008) ont
repris point par point les assertions des tenants du concept
de digital natives et les ont vérifiées. Leur conclusion est
sévère : sur chacune de ces assertions, l’analyse de la lit-
térature montre que jamais une preuve n’a été apportée.
Voici donc le résultat de leur confrontation à la littérature
empirique des principaux arguments en faveur du concept
de digital natives :
–– « Les jeunes sont efficaces dans l’utilisation des
outils numériques. » Les études montrent que l’on peut
affirmer cela si et seulement si on s’intéresse à l’utilisation
relativement passive de ces outils. Les élèves d’aujourd’hui
savent collecter certaines informations et communiquer
avec leurs proches avec les outils numériques. L’utilisation
plus « active » de ces outils (comprendre en profondeur,
produire, créer, partager) est beaucoup plus limitée au
sein de la jeune génération, elle ne concerne qu’une par-
tie d’entre eux (entre 5 % et 20 % selon les études). Il y
a une grande hétérogénéité dans l’usage du numérique
des jeunes, dans la fréquence et l’intensité de ces usages
(Helsper & Eynon, 2009). Ces différences ont une forte
influence sur les compétences des jeunes, comme elles en
ont sur les moins jeunes.
–– « Les jeunes sont différents dans la façon d’apprendre
et ont des préférences d’apprentissage différentes. » Non, les
jeunes d’aujourd’hui ne sont pas dotés d’un système cognitif
différent du nôtre, qui est vraisemblablement le même que
celui d’Homo sapiens depuis au moins 10 000 ans. Notre sys-
tème cognitif ne nous permet pas de faire plusieurs choses
à la fois, sauf dans les domaines où nous sommes experts.
Comme la génération précédente, les jeunes d’aujourd’hui ne
peuvent pas écouter une chanson dans leur langue maternelle
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Apprendre avec le numérique

ou regarder la télévision et comprendre en même temps un


document scolaire écrit (Lieury, 2012). Les préférences d’ap-
prentissage, par définition, n’affectent pas tous les individus
mais permettent au contraire de les distinguer. Une préfé-
rence d’apprentissage ne peut pas concerner une génération
entière. Par ailleurs, l’effet des préférences d’apprentissage
sur la réussite scolaire est souvent très limité (Margaryan,
Littlejohn & Vojt, 2012).
–– « Les systèmes éducatifs ne sont plus adaptés aux
jeunes. » Pour Bennett, la plupart des enfants (des pays
riches) semblent au contraire se satisfaire du fait qu’à la
maison il y a beaucoup d’occasions de jouer avec le numé-
rique, d’avoir des loisirs numériques, tandis qu’à l’école
il y a généralement peu d’ordinateurs ou peu de temps
consacré à leur utilisation. Peut-être que les enfants
préfèrent jouer à la maison qu’apprendre à l’école, mais
cela ne veut pas dire que la faible place de l’ordinateur à
l’école les décourage d’apprendre. Un esprit mal tourné
pourrait même trouver que, l’activité professionnelle de
Marc Prenski étant de concevoir des logiciels et des jeux
éducatifs, il avait tout intérêt à argumenter à propos de
la ringardisation de l’école. Dans une série d’entretiens
approfondis conduits auprès de 25 collégiens et lycéens
israéliens, Ben-David Kolikant (2010) montre que ces
jeunes élèves ne pensent pas eux-mêmes être de meil-
leurs apprenants que ceux de la génération précédente.
Ils perçoivent les compétences et connaissances apprises
à l’école comme éloignées de leurs usages domestiques du
numérique. Ils admettent qu’Internet simplifie certaines
de leurs tâches scolaires : c’est là la raison principale de
leur perception d’eux-mêmes comme apprenants moins
performants que la génération précédente.

Trois générations pas si différentes ?


Pichault & Pleyers (2010) ont réalisé en 2008 une grande
enquête en Belgique auprès d’un échantillon de 851 per-
sonnes, âgées de 20 à 59 ans. Cela leur a permis de comparer
la génération des baby-boomers, rassemblant les individus
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Chapitre 9

nés entre 1949 et 1963 ; la génération X, correspondant


aux individus nés entre 1964 et 1979 ; et enfin la généra-
tion Y, regroupant des individus nés entre 1979 et 1994,
qui correspond donc aux digital natives. Les chercheurs
ont simplement repris les principales affirmations des
tenants du concept de digital natives, et ont demandé aux
personnes enquêtées de donner leur position à propos de
ces affirmations. Par exemple, la littérature sur les digital
natives prétend que ceux-ci recherchent du sens au travail,
qu’il est important d’expliciter la signification et l’impor-
tance des tâches à accomplir ainsi que la position occupée
pour la performance de l’entreprise (Eisner, 2005). Cette
affirmation est présentée avec plusieurs autres. Les per-
sonnes enquêtées doivent simplement choisir : « Quelles
sont, parmi les affirmations ci-dessous, celles qui vous res-
semblent le plus ? ».
Massivement, il n’y a pas de différence entre les trois
générations. En particulier pour cette affirmation maintes
fois mise en avant selon laquelle les digital natives
accordent plus d’importance à la vie qu’au travail. Eh bien
oui, c’est vrai, ils pensent ça… comme les générations pré-
cédentes. Et même, si on regarde de plus près, un peu
moins que les autres.
Les seules différences sont obtenues avec des affirma-
tions comme « J’ai besoin de changer d’environnement
régulièrement » et « Je cherche à développer mes compé-
tences », qui sont plus choisies par les jeunes que par les
autres. Plutôt qu’un effet de génération, n’y aurait-il pas
tout simplement un effet d’âge ?
Les digital natives se distinguent aussi des générations
précédentes parce qu’ils ont plus peur de ne pas trouver
un emploi ou de ne pas trouver un emploi qui leur plaît.
Là encore, cet effet s’explique bien assez par l’âge des
personnes qui ont répondu au sondage que par un effet
de génération. Dans l’échantillon utilisé, 29 % des digital
natives sont en situation d’emploi, contre 81 % des généra-
tions X, tandis que la majorité des baby-boomers entame
la dernière partie de leur carrière ou est déjà à la retraite.
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Apprendre avec le numérique

Il y aurait donc un sérieux problème de spécificité : les


digital natives ne sont pas très différents de leurs prédé-
cesseurs à leur âge… quelques années auparavant ! Les
adultes et les âgés d’aujourd’hui oublient les enfants et les
adolescents qu’ils étaient hier et qui entendaient eux aussi
des discours sur les effets de la télévision, de la bande
dessinée ou du rock’n’roll. Le décalage entre les connais-
sances enseignées à l’école et les pratiques culturelles
contemporaines a toujours existé. Selon Bennett & Maton
(2010), il manque une théorie, sociologique et historique,
qui serait capable de nous aider à comprendre les usages
du numérique par les jeunes générations, une théorie qui
pourrait conceptualiser les usages du numérique comme
pratiques sociales et les formes de connaissance des dif-
férents contextes dans lesquels les personnes s’engagent.
Nous allons maintenant présenter trois exemples de
recherches sur ces sujets, de façon plus détaillée.

◗◗Quelques exemples
Faire des projets et coopérer quand on est digital native ?
Margarida Romero s’est demandée pendant sa thèse com-
ment aider les étudiants dans la réalisation d’un projet
à distance et de façon coopérative. Parmi toutes les diffi-
cultés de cette tâche d’apprentissage, il y a celles liées à
la gestion individuelle et collective du temps. Surmonter
ces difficultés requiert de grandes compétences métacogni-
tives (planification, régulation) dans le domaine temporel
et de la visibilité sur le temps des autres et sur le sien.
Pour cela, elle a développé un système qui aide les étu-
diants à prendre conscience du temps dont ils disposent
pour réaliser le projet, à déclarer ce temps aux autres étu-
diants du groupe projet et à voir le temps disponible des
autres étudiants.
Les résultats montrent que ce système ne résout pas
le problème. Les étudiants ont tendance à surestimer leur
disponibilité et à sous-estimer le travail d’autrui. Leurs
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Chapitre 9

erreurs d’estimation sont encore plus grandes pour le


groupe. Ils reportent la tâche à plus tard. Même si les
étudiants s’améliorent au fur et à mesure du projet, le
constat est sans appel : les étudiants d’aujourd’hui, bien
qu’ils soient des usagers natifs du numérique, bien qu’on
leur fournisse des outils numériques de gestion du temps
d’un projet, sont comme les étudiants d’avant, ils font leur
travail au dernier moment.

Quand il devient difficile à un lycéen  


d’utiliser un lecteur MP3
Stéphanie Roussel a étudié l’utilisation de lecteurs MP3
en classe de langue vivante. Elle a analysé, seconde par
seconde, la façon dont plusieurs dizaines d’élèves écoutent
un document sonore en allemand. Elle a ensuite mis en
relation la façon d’écouter avec le degré de compréhension
du document.
Elle montre que les bénéfices généraux liés à l’uti-
lisation du lecteur MP3 comme support pour l’écoute
concernent la grande majorité des élèves, de niveau
« moyen » en allemand. Mais les élèves en difficulté en
allemand tirent un bénéfice très modeste de cet outil,
comparativement à une écoute imposée par le professeur.
Pour certains, c’est même l’écoute imposée qui semble la
plus efficace. L’utilisation de lecteurs MP3, pourtant très
familière pour ces élèves en dehors des salles de classe,
entraîne une activité qui se révèle coûteuse pour les élèves
les plus « faibles ». Le simple fait de décider où s’arrêter,
où revenir en arrière, combien de fois réécouter tel passage
ajoute une difficulté aux difficultés déjà présentes en alle-
mand.
 Utiliser un lecteur MP3 pour écouter de la musique
et pour écouter un discours lors de l’apprentissage d’une
langue vivante sont tout simplement deux activités très
différentes. Le fait d’avoir grandi avec un lecteur MP3 sur
les oreilles ne résout pas les problèmes d’apprentissage
d’une langue vivante.

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Apprendre avec le numérique

Qu’est-ce qu’on apprend en utilisant Google ?


Nicole Boubée a voulu comprendre la façon dont les élèves
construisent leur activité de recherche documentaire.
Quinze binômes d’élèves de la 6e à la terminale ont été
observés. Le dispositif d’observation consistait à filmer un
binôme travaillant sur un même thème de recherche. Puis,
une semaine après, des entretiens étaient effectués à par-
tir du visionnage du film.
Un premier résultat concerne l’utilisation de la
« Recherche d’images » de Google pour rechercher une page
web. Il semble que cela permet à certains élèves de réaliser
une phase majeure de la recherche documentaire : écar-
ter l’information non pertinente, repérée plus rapidement
avec une image qu’avec un texte.
Les collégiens et lycéens semblent accorder au copié-
collé plusieurs rôles dont une même fonction de filtrage de
l’information. Les élèves réalisent souvent une collecte, un
assemblage de parties de plusieurs documents copiées-col-
lées dans un fichier texte. Les extraits sont invariable-
ment collés les uns à la suite des autres. Chaque élément
prélevé paraît avoir à la fois une fonction et une place,
même si l’agencement des copiés-collés ressemble dans le
traitement de texte à un empilement. « Voilà... en intro-
duction » dit une lycéenne lors de sa cinquième collecte ;
quelques lignes sont copiées et collées en fin du document.
Les élèves semblent avoir une représentation mentale de
ce que doit être leur document. Dans ce cas, c’est la forme
classique d’un devoir qui est reconstituée. Le copié-collé
d’une image est révélateur des qualités attendues : « Bah,
les caricatures de toute façon, c’est facile à insérer, c’est
pas un truc où on doit réfléchir beaucoup, on peut l’insé-
rer, tu vois, c’est des petits trucs » dit un lycéen. Ainsi, le
fait d’avoir une place et une fonction dans ce document
en cours de construction constitue-t-il un critère de perti-
nence pour ces élèves. Enfin, la collecte paraît très ciblée.
En effet, les parties collectées sont courtes, une ou deux
phrases, un ou plusieurs paragraphes. Un lycéen dit : « On

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Chapitre 9

n’est pas obligé de prendre tout le paragraphe, peut-être...


un mot ! ».
Les deux résultats obtenus avec les élèves du secon-
daire montrent qu’ils semblent acquérir sans enseigne-
ment certaines compétences documentaires.

◗◗avec
Conclusion : ce qu’on fait à l’école  
un ordinateur est différent  
de ce qu’on fait chez soi

Sue Bennett, l’auteure en 2008 de la synthèse la plus réfé-


rencée et la plus critique à l’égard du concept de digital
natives, cite Proust (1919) en exergue de son article : « La
seule chose qui ne change pas est qu’il semble chaque fois
qu’il y ait quelque chose de changé. »
Donc oui, on peut affirmer que les enfants qui ont
grandi avec le numérique savent réaliser des tâches avec
le numérique. Cet apprentissage est même très important,
il leur permet non seulement de s’engager dans de nom-
breuses activités (de loisir, de communication, d’explora-
tion informationnelle et de relations sociales), mais aussi
d’être à l’aise quand on leur propose une activité sur sup-
port numérique. Ils n’ont pas peur de ces objets.
Mais apprendre à l’école repose sur des tâches spéci-
fiques, qui ne sont pas ou peu influencées par la maîtrise
des objets numériques. Parfois même, il semble nécessaire
de faire prendre conscience aux élèves, et plus tard aux
étudiants, que ce qu’on leur demande de faire à l’école avec
un ordinateur est différent de ce qu’ils font chez eux, et
nécessite d’autres compétences (voir par exemple Ng, 2012).
Les compétences acquises par la pratique domestique
du numérique pourraient, selon nous, être prises en
compte dans la conception de situations d’enseignement,
soit comme point de départ pour aller plus loin, soit comme
obstacle à dépasser. Elles ne peuvent pas être ignorées.

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Chapitre 10

Ça va coûter moins cher

◗◗etLe de
mythe de la baisse des coûts  
la gratuité

C’est sans doute dans le domaine de la formation pro-


fessionnelle que ce mythe a d’abord eu le plus d’impact.
Quand vous formez un pilote d’avion, la formation pra-
tique est extrêmement onéreuse : une heure de vol sur un
avion de ligne coûte approximativement 10 000 euros. Les
simulateurs de vol sont vite apparus comme une solution :
la formation pratique se déroule dans un environnement
numérique, avec un simple logiciel, quelques outils qui res-
semblent à ceux qui se trouvent dans un cockpit, parfois le
cockpit lui-même est entièrement reconstitué. L’économie
réalisée est immense !
Un second domaine, quelques années plus tard, a
renforcé le mythe et commencé à faire émerger l’idée de
gratuité : les communautés virtuelles d’enseignants. En
mathématiques par exemple, il existe de nombreux groupes
d’enseignants qui échangent entre eux des problèmes, des
difficultés, des idées, des solutions, des cours, des exer-
cices. Ces groupes sont très actifs, les échanges sont d’une
richesse incroyable. Ils incluent parfois des élèves. Ils
existent dans toutes les disciplines, pour tous les niveaux
d’enseignement. Accéder et participer à ces échanges
est entièrement gratuit. Certains de ces groupes récapi-
tulent leurs travaux et publient des ouvrages. Là encore,
c’est (généralement) gratuit. Si bien que des enseignants
se demandent à quoi bon acheter des manuels scolaires
quand on peut accéder à un contenu proche gratuitement.
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Chapitre 10

Plus récemment encore, les MOOCs (Massive Open


Online Courses ou « cours en ligne massifs et ouverts »,
déjà évoqués dans le chapitre 7) ont réactivé le mythe de
la gratuité : n’importe qui peut suivre gratuitement le
cours d’une prestigieuse université américaine alors que
les droits d’inscription à cette université sont exorbitants.

◗◗Bilan des travaux scientifiques


Le bilan des travaux à propos de ce mythe est contrasté
car il concerne des domaines extrêmement différents et
des enjeux divers.

Les bénéfices des simulateurs en formation


professionnelle
Faire baisser les coûts d’une formation quand la partie
pratique de celle-ci se déroule dans des environnements
trop onéreux est le plus souvent une bonne idée. Nous
avons cité le cas de l’utilisation des simulateurs de vol
dans la formation des pilotes : cela fait maintenant 80 ans
que cette utilisation existe, elle précède de loin l’inven-
tion même de l’informatique. Il n’est pas question de tota-
lement exclure l’apprentissage pratique sur avion, mais
de réduire sa part. On sait même depuis longtemps que
la combinaison simulateur + avion donne en moyenne
de meilleurs résultats que l’apprentissage sur avion seul
(Hays & Jacobs, 1992). Le simulateur permet en effet de
réaliser des tâches qu’on ne peut pas réaliser en vol, d’être
confronté à des situations très difficiles à obtenir en réel,
voire dangereuses. Le simulateur permet de refaire une
tâche autant de fois que nécessaire, il permet également
d’allonger la durée de la formation.
Cet effet positif n’est d’ailleurs pas exclusivement lié au
coût de la situation réelle : il peut être lié à sa dangerosité
(par exemple, dans les domaines chimique ou nucléaire) ou
à des problèmes d’acceptabilité sociale (par exemple, dans
la formation des étudiants en médecine, quand les patients
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Apprendre avec le numérique

acceptent de moins en moins d’être utilisés comme sup-


ports de formation).
Le problème avec cette baisse des coûts est qu’elle a fait
croire qu’elle était générale. Au milieu des années 1990,
avec le développement du web et du e-learning, beaucoup
d’entreprises ont cru qu’elles allaient réussir à faire les
mêmes économies avec la nouvelle génération d’outils
numériques.
Si ceux-ci présentaient effectivement une baisse des
coûts, avec par exemple la mise à distance de certaines
formations (économie des frais de déplacements, parfois
même du temps de travail, la formation à distance pouvant
être prise sur le temps personnel), l’efficacité n’était pas
toujours au rendez-vous, loin s’en faut. On a découvert
que remplacer un outil professionnel ou un dispositif de
formation par une ressource numérique, ce n’est pas du
tout la même chose. Il a fallu apprendre à concevoir des
environnements numériques de formation, avec une idée
précise de ce que l’on pouvait y faire, et ne pas y faire. Et
on s’est rendu compte que ce travail de conception, long,
minutieux, exigeant… revenait extrêmement cher.

La fausse gratuité
Le mythe de la gratuité est sans doute difficile à démas-
quer car il porte avec lui une évidence : quand une chose
est gratuite, elle ne coûte rien. Comparativement à une
chose qui coûte, c’est moins cher : difficile d’aller contre
ça ! Cet argument a quasiment tué les encyclopédies au
bénéfice de Wikipédia, par exemple.
Le problème de cet argument, c’est que la gratuité est
du côté de l’utilisateur, mais aussi du côté de l’auteur :
dans un modèle de gratuité, celui-ci n’est plus payé. Les
contributeurs de Wikipédia ne sont pas rémunérés. Les
auteurs de manuels scolaires communautaires gratuits ne
sont pas payés non plus, bien qu’ils aient fourni un travail
et produit une œuvre.
Ce nouveau modèle peut présenter un intérêt impor-
tant dans le domaine des loisirs : je peux faire partager ma
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Chapitre 10

passion pour le jeu d’échecs, ainsi que les connaissances


que j’ai acquises à son propos. Mais en tant qu’enseignant ?
Alors que je suis payé pour enseigner, j’offre une partie
de mon temps d’enseignement. Pourquoi faire cela ? pour
qui ? Si cette question regarde chacun de nous personnel-
lement, elle prend une tournure particulièrement critique
avec les MOOCs des universités. C’est ce que nous allons
voir ci-après.
L’autre fausse gratuité est du côté des utilisateurs :
plusieurs grands diffuseurs d’informations font payer les
utilisateurs avec le fameux « temps de cerveau disponible »
pour subir les publicités qui s’y trouvent. Et ces diffuseurs
sont bien entendu rémunérés par les annonceurs.

Les stratégies marketing des universités


Les grandes universités américaines ont très vite décidé
qu’elles avaient intérêt à développer des cours gratuits
en ligne, sous la forme de MOOCs. Aux États-Unis, s’ins-
crire à une université coûte très cher (plusieurs dizaines
de milliers de dollars), notamment dans les universités
prestigieuses. Les droits d’inscription constituent une part
importante du budget des universités et l’enseignement
supérieur constitue un véritable marché, régi par une
règle : attirer les meilleurs étudiants et leur faire payer
l’inscription. C’est avec cet argent (notamment) que l’on
paiera les enseignants. Dans ce cadre-là, les MOOCs sont
tout simplement un élément de la stratégie marketing des
universités : augmenter leur visibilité, montrer leur com-
pétence, pour donner envie. Mais que se passe-t-il pour
les enseignants ? Sont-ils payés pour réaliser ces cours en
ligne ? pour répondre aux questions des étudiants ? Que
se passe-t-il en France, où, comparativement, les droits
d’inscription sont beaucoup moins élevés ? Il semble que,
la plupart du temps, les enseignants qui réalisent des
MOOCs pour leur université le font gratuitement. Sans
que l’on comprenne tout à fait où est l’intérêt de faire cela,
pour l’enseignant et pour son université. On a l’impression
qu’aujourd’hui c’est surtout « pour voir », « pour essayer »,
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Apprendre avec le numérique

« pour s’amuser ». Mais il n’est pas certain que cela consti-


tue un modèle suffisant à long terme.
Ce que nous venons d’écrire ne concerne pas l’autre
modèle économique des MOOCs, celui où des particuliers,
des entreprises ou des institutions peuvent réaliser un
MOOC et être rémunérés, par exemple quand les appre-
nants paient leur certification (et non leur inscription,
toute la subtilité est là) ou qu’ils achètent un livre qui
leur permet d’approfondir leur formation, le MOOC étant
en quelque sorte l’entrée en matière du cours.

◗◗Quelques exemples
Les simulateurs en médecine
Le cas de la formation des étudiants en médecine est plus
récent et plus nuancé que celui de la formation des pilotes.
D’abord parce que le coût de la situation réelle n’est pas
que financier, il est d’abord humain, social et éthique. Les
patients acceptent de moins en moins, en tout cas dans cer-
tains pays, dans certains établissements de soins, de rece-
voir la visite du médecin accompagné de deux externes,
une interne et un étudiant infirmier. Les médecins et les
étudiants eux-mêmes se posent la question : en entrant
ainsi dans la chambre du patient, est-ce que nous le consi-
dérons comme un patient ou comme un support de forma-
tion ? Est-ce que nous le respectons ? Plus encore : quels
risques lui faisons-nous courir ?
L’avantage des simulateurs en formation médicale ne
réside pas que dans la baisse des coûts (humains). Ils per-
mettent de mieux planifier la formation et les objectifs,
la progression et les tâches. La progression, en particu-
lier, présente un intérêt majeur : avec un simulateur, on
peut commencer par ce qui est simple – voire simplifier la
situation – pour accéder ensuite à la complexité. Avec un
patient, la complexité est d’emblée présente.
Le grand problème des simulateurs réside dans le trans-
fert : ce que j’ai appris sur simulateur, serais-je capable de
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Chapitre 10

le réaliser avec un patient ? Dans une synthèse récente


sur ce sujet, notre collègue Kristin Fraser et son équipe
(Teteris, Fraser, Wright & McLaughlin, 2012) se mon-
traient particulièrement prudentes : les données actuelles
de la littérature montrent que se former sur simulateur
est plus efficace que ne pas se former. Rendre compte d’un
autre gain est beaucoup plus difficile. De manière plus
détaillée, leur étude montre :
–– Des gains quand l’objectif est d’apprendre à réaliser
des gestes techniques ; quand ils doivent réaliser le geste
pour la première fois sur un patient, les étudiants qui ont
appris sur simulateur sont plus rapides et font moins d’er-
reurs que les étudiants non formés.
–– Quand l’objectif est d’apprendre des procédures (par
exemple, la conduite à tenir face à un arrêt cardiaque), les
résultats sont moins nets. Ces procédures sont effective-
ment mieux réalisées quand les personnes ont été formées
sur simulateur, mais seulement dans certaines conditions
(comme la survenue de l’arrêt cardiaque à l’hôpital, où
les conditions sont assez proches de l’environnement de
formation).
–– Pour l’apprentissage de tâches relevant de connais-
sances et de raisonnements (faire un diagnostic par
exemple), les études sont rares, souvent peu rigoureuses et
les résultats modestes : on est encore dans l’attente d’une
étude probante.
Les auteurs remarquent enfin que les simulateurs les
plus rudimentaires posent généralement des problèmes de
transfert des compétences vers des situations réelles ; et
que les simulateurs les plus réalistes posent généralement
des problèmes de surcharge cognitive.
Cet exemple montre bien que les technologies numé-
riques parviennent parfois à faire baisser les coûts de for-
mation, parfois à améliorer les apprentissages, très rare-
ment les deux à la fois.

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Apprendre avec le numérique

Coûts et bénéfices d’une communauté de pratiques


Une recherche passionnante a été conduite au Canada,
dans le cadre de la Communauté d’apprentissages scien-
tifiques et mathématiques interactifs (CASMI). Cette
communauté réunit plusieurs dizaines de milliers de
membres, notamment des élèves et des enseignants, de
quarante pays. L’objectif principal est l’apprentissage des
mathématiques, des sciences et des jeux d’échecs, et parti-
culièrement la résolution de problèmes complexes. Chaque
semaine, douze problèmes de niveaux différents sont pro-
posés à des classes allant de la maternelle au secondaire.
Les élèves proposent leur solution. Des étudiants corrigent
les solutions proposées et envoient une évaluation forma-
tive aux élèves ayant participé. Cet environnement d’ap-
prentissage bénéficie d’une véritable ingénierie pédago-
gique, qui tient en sept principes :
1. principe de variété : les problèmes posés sont très
divers, chacun peut y avoir accès, quel que soit son âge ou
son niveau ;
2. principe de rapidité d’accès : chaque problème de la
semaine est accessible en deux clics ;
3. principe d’appartenance de la communauté : pour
participer, il faut s’inscrire ;
4. principe de confidentialité : les membres de la com-
munauté utilisent un pseudonyme ;
5. principe de double espace, privé et partagé : en
dehors de l’espace public ouvert à tous les membres,
chaque membre a son espace privé, non ouvert ;
6. principe de communication asynchrone : les échanges
ne sont pas en direct ;
7. principe de rétroaction formative : les retours sur
les solutions proposées par les élèves sont riches, ils sont
conçus pour leur permettre de progresser.
Une recherche a analysé les effets de la CASMI sur les
élèves (Manuel, Freiman & Bourque, 2012). Elle montre
que les problèmes complexes posés sur la CASMI donnent
lieu à une véritable recherche de solutions créatives, la
créativité des solutions étant bien liée à la complexité
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Chapitre 10

des problèmes. Alors que les défis de l’enseignement du


xxie siècle semblent converger vers la capacité à faire face
à des problèmes complexes, une communauté comme la
CASMI semble bien pouvoir constituer une voie à suivre.
Il ne fait donc aucun doute : de nouvelles solutions et
de nouveaux supports permettent aux élèves d’apprendre
de façon efficace et gratuite. Cela est possible au prix d’un
gros travail de conception et d’organisation de l’enseigne-
ment. Prétendre que ce travail est gratuit est faux, bien
qu’il ne soit parfois pas rémunéré.

◗◗àConclusion : un accès gratuit  


des contenus qui ont un coût

Le numérique permet aux apprenants d’accéder gratuite-


ment ou à peu de frais à des ressources qui leur permettent
d’apprendre des connaissances scolaires ou profession-
nelles. Ce type de solution présente un grand intérêt pour
la formation professionnelle dans certains domaines où il
est très difficile d’accéder aux outils réels : c’est la grande
plus-value des outils de simulation utilisés en formation.
Cependant, on ne peut pas généraliser : certaines solutions
qui permettent aux élèves d’apprendre gratuitement en
accédant à des supports libres ne sont pas gratuites pour
tout le monde. Elles représentent souvent un travail non
rémunéré. Il n’est pas certain qu’évoluer vers des formes
de travail non rémunéré ne présente que des avantages.

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Chapitre 11

Le numérique va modifier
le statut même des savoirs,
des enseignants et des élèves

◗◗Le mythe de la révolution numérique


Pour clore ce petit ouvrage, nous traitons du mythe le
plus fascinant, celui des effets de la révolution numérique
sur le statut des savoirs, des enseignants et des élèves.
La révolution numérique désigne simplement le fait que
l’informatique et Internet ont envahi notre quotidien de
citoyens de pays riches. Cette révolution est sans doute
aussi importante que l’invention de l’écriture et celle de
l’imprimerie. Comme ces deux précédentes inventions, l’in-
formatique modifie profondément la façon dont nous dif-
fusons, partageons et recherchons des informations, voire
des connaissances.
Comme ces précédentes inventions, elle suscite la
méfiance chez ceux qui y voient surtout une perte, comme
Socrate l’exprime dans Phèdre : « Elle [l’écriture] ne
peut produire dans les âmes, en effet, que l’oubli de ce
qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce
qu’ils auront foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par
des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du
fond d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se res-
souvenir. Tu as trouvé le moyen, non point d’enrichir la
mémoire, mais de conserver les souvenirs qu’elle a. Tu
donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science,
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Chapitre 11

non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beau-


coup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très
savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants
de commerce incommode, des savants imaginaires au lieu
de vrais savants. »
Aujourd’hui, si un enfant veut savoir quelque chose, il
lui suffit de chercher sur Internet : il trouvera la réponse
à sa question, il accédera à la connaissance qu’il cherche
et pourra se l’approprier.
Dans ces conditions, à quoi sert un enseignant ? À
quoi sert d’apprendre quelque chose à l’école ? À quoi sert
d’apprendre des connaissances qui ne sont pas immédiate-
ment utiles, des connaissances instituées, qui constituent
les programmes scolaires (les savoirs), mais dont on ne
voit pas toujours la pertinence ? Toutes les connaissances
sont là, disponibles, tout le temps et « gratuitement ».
Ces questions sont notamment abordées dans le livre de
Michel Serres, La Petite Poucette. Mais, alors que le philo-
sophe met en exergue les bouleversements en cours, nous
allons tenter de montrer que l’école constitue peut-être une
notable exception culturelle à la loi du numérique.

◗◗Bilan des travaux scientifiques 4

Une partie des personnes qui développent ces technologies


ou qui ont l’idée de les faire utiliser d’une certaine manière
pour l’enseignement ne savent tout simplement pas en
quoi consiste le métier d’enseignant.

Apprendre et enseigner, ce n’est pas la même chose


Ils ne le savent pas parce qu’ils ne font pas la différence
entre apprendre et enseigner. Puisqu’on enseigne pour
que les élèves apprennent, si un humain apprend dans
telle situation, alors cette situation peut relever de l’en-

4. Cette partie reprend plusieurs arguments présentés dans Tricot, A. (2014). « Peut-
on se passer des profs ? », Sciences humaines, n° 257, pp. 44-45.
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Apprendre avec le numérique

seignement. C’est un peu subtil, mais c’est là que se situe


le problème : ce raisonnement est faux. En effet, quand
un humain apprend dans une situation, c’est le plus sou-
vent pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’ensei-
gnement : on apprend parce qu’on est passionné par le
domaine ou parce que notre quotidien rend nécessaire cet
apprentissage.
Confondre l’apprentissage et l’enseignement est la
source majeure de l’illusion selon laquelle des ressources
pourront un jour remplacer les enseignants. Cette confu-
sion est probablement entretenue par l’incroyable puis-
sance de notre capacité d’apprentissage. Les humains sont
capables d’apprendre à peu près tout et n’importe quoi à
partir du moment où cela fait partie de leur environnement
et leur est utile quotidiennement. Ils peuvent comme cela
apprendre à parler une seconde langue, à faire du vélo, à
jouer aux échecs, à utiliser un logiciel de traitement de
texte… La liste est infinie. Cette capacité d’apprentissage
« adaptative » ou « par la pratique » est extraordinaire,
elle permet aux humains d’atteindre de très hauts niveaux
de performances. Déjà en 1894, dans une étude d’Alfred
Binet, des caissiers du Bon Marché (qui pratiquaient quo-
tidiennement le calcul mental depuis plus de dix ans) se
sont révélés aussi performants, voire plus, que des grands
calculateurs, des individus qui avaient manifestement un
don pour le calcul mental. Dans le cas d’une langue parlée,
cet apprentissage adaptatif est fascinant parce qu’il est
implicite, l’individu n’est même pas conscient des appren-
tissages qu’il réalise, il ne sait pas les décrire. Mais dans
les autres cas (calculer, jouer aux échecs, utiliser un traite-
ment de texte), cet apprentissage est tout à fait conscient,
explicite, il nécessite des efforts, du temps, une pratique
délibérée et quotidienne. Que ce processus d’apprentissage
soit implicite ou explicite ne change pas cette donnée fon-
damentale : les humains ont une capacité d’apprentissage
par adaptation absolument fabuleuse.

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Chapitre 11

La spécificité des apprentissages scolaires


L’enseignement existe pour pallier les limites de cet
apprentissage. Parce que cet apprentissage a une limite
importante, qui réside dans sa force même : l’adaptation.
Je peux devenir très performant en calcul mental si, pour
des raisons professionnelles, pour des raisons person-
nelles, par passion, par loisir (peu importe), je pratique le
calcul mental tous les jours ou presque. C’est là le moteur
de l’autodidaxie. Or de très nombreux enfants de 9 ans ne
pratiquent pas le calcul mental quotidiennement parce
qu’ils n’ont aucune raison de le faire, ni métier, ni passion
qui implique le calcul mental. Ah, si ! ils le pratiquent.
À l’école. Si l’école n’existait pas, il est probable qu’une
grande majorité d’enfants de 9 ans ne pratiquerait pas
le calcul mental, n’apprendrait pas à compter, ni à ortho-
graphier, ni probablement à lire, ni à étudier l’histoire de
leur pays, ni la géographie de l’Europe, etc. La liste est
longue. L’école sert à ce que tous les enfants apprennent
des connaissances qui ne correspondent ni leur à environ-
nement immédiat, ni à leur passion. Le cœur du métier des
enseignants réside dans cette capacité à faire apprendre
à tous les élèves des connaissances qui ne leur sont pas
immédiatement utiles, qui ne font pas partie de leur quo-
tidien, qui ne les passionnent pas particulièrement. Bien
sûr, certains parents peuvent enseigner à domicile ; mais
ils enseignent un programme, ils ne décident pas que leurs
enfants seront dispensés d’apprendre l’accord du participe
passé avec l’auxiliaire avoir, même s’ils sont intimement
convaincus que cette règle, empruntée à l’italien par
Clément Marot, est très bizarre.
Nous avons donc du mal à croire qu’on puisse un jour
se passer d’un contact humain direct, qu’on puisse se pas-
ser de salles de classe et de contraintes temporelles pour
assumer cette incroyable mission si on comprend que
cette mission s’adresse à tous les enfants et adolescents.
Nous avons même tendance à penser que le monde dans
lequel nous vivons étant de plus en plus complexe, riche,
divers, imprévisible, nos enfants auront toujours besoin
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Apprendre avec le numérique

de plus de connaissances « non immédiates », donc de


plus d’école.

Une illusion ancienne


Rappelons-nous que l’enseignement à la maison et la fasci-
nation pour les nouvelles ressources informationnelles ne
constituent pas les seules tentations de faire disparaître
les enseignants. Avant même la chanson Another Brick in
the Wall de Pink Floyd (et son fameux slogan : We don’t
need no education), l’idée d’une société sans école est déjà
présentée par Ivan Illich au début des années 1970. Chez
Illich, on trouve clairement la proposition, qui ressurgit
aujourd’hui, d’un réseau (web) d’individus qui peuvent
partager, échanger leurs connaissances. L’intention d’ap-
prendre comme l’intention d’enseigner relèvent de la
liberté de l’individu.
Une autre objection réside dans le fait que nous ne
sommes pas du tout certains que les enfants aient envie
de rechercher des connaissances qui leur manquent, en
dehors de ce qui leur est immédiatement utile. C’est un des
exemples que nous allons traiter maintenant.

◗◗Quelques exemples
Les enfants ne recherchent  
pas des connaissances scolaires
Nous avons déjà évoqué dans le chapitre 9 le fait que les
élèves qui utilisent tous les jours Google apprennent à s’en
servir efficacement. Ils développent des savoir-faire et des
stratégies originales, en dehors de ce que nous leur ensei-
gnons. Si ces apprentissages du « comment » on recherche
de l’information sont bien réels, nous avons vu aussi qu’ils
étaient limités et qu’il fallait dans ce domaine faire preuve
de beaucoup de prudence. Mais ce qui nous préoccupe ici
c’est « quelle information » les enfants recherchent.
Les travaux dans ce domaine (voir la synthèse de
Boubée & Tricot, 2011) montrent que les enfants sont sur
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Chapitre 11

ce point très semblables aux adultes : ils recherchent ce


dont ils ont besoin, dans des domaines où ils ont déjà des
connaissances. Ce besoin d’information est généralement
situé : on recherche ce dont on a besoin ici et maintenant
parce que la situation dans laquelle on se trouve est diffi-
cile à comprendre, ou parce qu’on ne parvient pas à y agir
efficacement. Plus précisément (Tricot, 2004), un besoin
d’information peut apparaître dans une situation où l’on a :
–– besoin d’une connaissance que l’on n’a pas ;
–– besoin de confirmer une connaissance que l’on a ;
–– besoin d’une connaissance plus complète que
celle qu’on a (un exemple, une illustration, un contre-
exemple, etc.) ;
–– besoin d’être conforme aux buts, aux contraintes,
aux attentes de la situation ;
–– besoin d’indications sur la forme de la connaissance
à utiliser dans la situation.
Ces différents besoins sont soumis à un même para-
doxe : pour prendre conscience qu’on a besoin d’informa-
tion, il faut éprouver une incertitude. Or c’est à condition
d’avoir beaucoup de connaissances sur la situation qu’on
éprouve de l’incertitude. Plus on est compétent dans un
domaine, moins on a de certitudes et plus nos besoins
d’information sont précis et pertinents. Réciproquement,
quand on ne sait rien d’un domaine, on n’éprouve pas d’in-
certitude, on ne se pose pas de questions.
Les enfants ne vont rechercher que ce qui leur est utile
dans des domaines qui les intéressent et où ils ont déjà des
connaissances. Comme nous, il leur est impossible de pen-
ser à rechercher dans un domaine inintéressant ou inconnu.
Par exemple, vous êtes-vous déjà demandé où était placé
l’accent tonique de mot dans la langue Kamilaroi, qui est
parlée au sud de l’Australie ? Il est probable que non. Seuls
les spécialistes des langues anciennes australiennes se
posent cette question. La réponse à cette question se trouve
pourtant en deux clics sur Wikipédia. Vous pensez sûre-
ment, à la lecture de cet exemple : et alors ? Cette connais-
sance ne me manque pas ! Prenons un autre exemple.
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Apprendre avec le numérique

Vous souvenez-vous du 21 avril 2002 ? Ce jour de pre-


mier tour d’élections présidentielles, Jean-Marie Le Pen
est arrivé devant Lionel Jospin, à la surprise générale.
Pourtant, toutes les connaissances dont nous avions besoin
pour prédire ce fait étaient disponibles : les intentions de
vote dix jours avant les élections étaient autour de 14 %
pour Le Pen et en hausse ; elles étaient autour de 18 % et
en baisse pour Jospin. Les techniques de sondage utilisées
génèrent une marge d’erreur de l’ordre de 3 % (plus impor-
tante encore pour les votes « extrêmes » où elles peuvent
aller jusqu’à 6 %). Il suffisait de se poser la question : est-ce
que 14 % est différent de 18 % ? La réponse était évidem-
ment non, et elle était accessible à tous. Mais là n’est pas
le problème. Le problème est plutôt : pourquoi si peu de
personnes se sont posé la question ? Parce que peu de per-
sonnes ont des connaissances statistiques, notamment sur
les marges d’erreur des techniques de sondage. C’est la
connaissance qui permet de se poser des questions, pas
l’ignorance.
C’est la raison profonde pour laquelle nous ne croyons
pas que le statut des connaissances ni celui des enseignants
soit en train de changer sous l’impulsion de Google ou de
Wikipédia : ce que les enfants y cherchent n’a rien à voir
avec ce qu’ils apprennent à l’école… sauf quand c’est un
enseignant qui leur demande de chercher ! Et, comme nous
l’avons souligné plusieurs fois dans cet ouvrage, quand ils
trouvent, il n’est pas sûr qu’ils comprennent le document
numérique trouvé.
La seule véritable question est : peut-on prétendre for-
mer des citoyens sans leur enseigner une connaissance
statistique qui leur permette de comprendre (notamment)
les sondages ?

Les autodidactes sont toujours aussi rares


Les autodidactes suscitent notre admiration car ils réus-
sissent à apprendre par eux-mêmes, parfois seuls, par-
fois accompagnés, ce que nous avons mis des années à
apprendre sur les bancs des écoles. Souvent, ces personnes
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Chapitre 11

atteignent des niveaux de performances qui dépassent lar-


gement les nôtres – c’est sans doute pour cela qu’on les
remarque. Ils apparaissent à toutes les époques de l’his-
toire, dans tous les domaines des arts, des sciences, de la
politique, etc. Ces personnes sont capables d’un double
effort : d’abord un effort motivationnel, qui les conduit à
décider d’apprendre et à persévérer alors qu’ils ont beau-
coup à apprendre ; ensuite un effort de méthode, qui
les conduit à trouver les ressources et à apprendre ces
connaissances sans l’aide d’un professeur.
Récemment, le développement des ressources numé-
riques, leur facilité d’accès et leur gratuité, mais aussi la
possibilité d’échanger avec de nombreuses personnes au
sein de réseaux sociaux ou de communautés virtuelles,
a fait apparaître un nouvel espoir : le développement de
nouvelles formes d’autodidactismes. Ces nouvelles formes
sont notamment soutenues par les tenants du courant
« connectiviste » en pédagogie : puisque la connaissance
est distribuée dans les réseaux, alors « apprendre consiste
à construire et à traverser ces réseaux » (Downes, 2007).
En me connectant avec les bonnes personnes et les bons
objets, je vais apprendre ce dont j’ai besoin.
Le fait que les ressources et les personnes soient plus
accessibles facilite évidemment une partie de l’appren-
tissage autodidacte. Mais il y a, selon nous, un risque
important à oublier les autres forces des autodidactes,
qui font d’eux des personnes peu communes : leur moti-
vation à apprendre, leur persévérance, leur démarche
et leur méthode. Nous avons souligné au chapitre 3 la
grande exigence des apprentissages en autonomie et la
faible contribution que leur apporte le numérique. Pour
ces raisons, il ne nous semble pas que les réseaux sociaux
puissent faire de l’autodidactisme une forme d’apprentis-
sage banale (en dehors des domaines de connaissance qui
nous passionnent ou nous sont immédiatement utiles).
Nous croyons au contraire que pendant longtemps encore
nous serons fascinés par ces personnes exceptionnelles que
sont les autodidactes.
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Apprendre avec le numérique

◗◗les
Conclusion : il ne suffit pas d’avoir toutes
ressources à portée de clic

L’ensemble des onze mythes dont nous avons parlé dans


ce livre contribue à ce grand mythe de la révolution numé-
rique. Pour autant, il semble aujourd’hui que le numérique
permette surtout de créer des ressources, utilisables pour
apprendre. Mais entre les ressources et l’apprentissage
par enseignement, il y a une personne importante – l’en-
seignant –, une institution importante – l’école – et des
connaissances très particulières – les savoirs scolaires.
L’école existe pour permettre aux enfants de comprendre
le monde dans lequel ils vivront demain, pour qu’ils y
soient libres et responsables, pour qu’ils s’y épanouissent,
notamment en exerçant un métier. Cet apprentissage est
incroyablement exigeant et pourtant, dans nos sociétés
démocratiques et de la massification scolaire, il doit être
réussi par tous.
Apprendre une connaissance immédiatement utile et
intéressante est à la portée de tous les humains, le plus
souvent sans avoir besoin d’aide. Apprendre une connais-
sance pour le futur, dont on ne voit pas nécessairement
l’utilité au moment où on l’apprend, est une autre histoire.
La plupart d’entre nous avons besoin d’école et d’ensei-
gnants pour réussir cela. Croire que rendre les connais-
sances disponibles suffit est une illusion dramatique et
dangereuse.

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conclusion

D ans ce petit ouvrage, nous avons examiné onze mythes


liés au numérique pour apprendre. Nous avons émis
des critiques et des réserves sur chacun de ces mythes :
1. On est plus motivé quand on apprend avec le numé-
rique : dans certains cas le numérique peut en effet amé-
liorer la motivation des apprenants, mais cette motiva-
tion peut être sans lien avec les performances réelles
d’apprentissage.
2. On apprend mieux en jouant grâce au numérique : oui,
mais cela est particulièrement difficile à concevoir car il
faut que ce jeu contienne aussi un scénario pédagogique.
3. Le numérique favorise l’autonomie des apprenants :
l’autonomie n’est pas la résultante d’un apprentissage
avec les technologies, mais une compétence à acquérir
pour apprendre avec certaines technologies impliquant un
apprentissage autorégulé.
4. Le numérique permet un apprentissage plus actif : oui,
lorsque le scénario pédagogique implique la production
d’hypothèses ou d’inférences, autrement dit lorsque l’inte-
ractivité est au service des objectifs pédagogiques.
5. Les vidéos et les informations dynamiques favorisent
la mémorisation : oui, quand elles aident à comprendre
un processus dynamique (ce qui est très exigeant en début
d’apprentissage) ou à acquérir des savoir-faire. En outre,
elles doivent respecter certains principes de conception.
6. Le numérique permet d’adapter les enseignements aux
élèves : oui, mais de façon sommaire, en fournissant des
retours simples vers les élèves (réponse correcte ou non),
pour des tâches bien définies, voire fermées.
7. Le numérique permet de s’adapter aux besoins particu-
liers des élèves : oui, mais c’est un domaine trop peu déve-
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Apprendre avec le numérique

loppé. Il faut en outre que les enseignants et les élèves maî-


trisent ces technologies et leurs fonctions pédagogiques.
8. La lecture sur écran réduit les compétences de lecture
et les capacités attentionnelles des jeunes : non, la lecture
numérique fait appel à des compétences partagées avec
la lecture papier et exige le développement de nouvelles
compétences propres au numérique.
9. Les élèves savent utiliser efficacement le numérique
car c’est de leur génération : oui, mais pour leurs usages
personnels. Apprendre à l’école repose sur des tâches spé-
cifiques, peu influencées par la maîtrise du numérique.
10. Ça va coûter moins cher : oui, en tout cas l’accès à cer-
taines ressources. Mais la création de ressources gratuites
représente souvent un travail non rémunéré.
11. Le numérique va modifier le statut même des savoirs,
des enseignants et des élèves : non, les connaissances sco-
laires sont plus nécessaires que jamais ; pour les apprendre
nous avons besoin d’écoles et d’enseignants.

Nous avons donc l’impression d’être au début de l’ap-


prentissage avec le numérique. Beaucoup de progrès
doivent encore être réalisés dans la conception d’outils
numériques pour l’école, dans l’identification des plus-va-
lues pédagogiques de chacun de ces outils et dans la recon-
naissance du strict statut d’outil. Les apprentissages sco-
laires sont d’abord fondés sur des savoirs scolaires, qui
préparent le futur de nos enfants ; sur des enseignants,
qui conçoivent des scénarios pédagogiques et mettent en
œuvre de façon professionnelle des relations de travail et
de confiance au sein de leur classe. Les outils ne sont que
des outils. Quand on leur assigne cette place, alors les
outils numériques ont un potentiel formidable, que nous
sommes en train de découvrir.
Ce que nous enseigne l’ensemble des travaux cités dans
cet ouvrage est que la technologie n’est pas en soi un dispo-
sitif pédagogique. Le numérique n’est qu’un outil au même
titre que le livre, le papier et le stylo. La question est bien
de savoir quelle tâche soutenant l’apprentissage peut être
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Conclusion

réalisée avec l’outil. Un livre peut être un manuel scolaire,


un document présentant des procédures d’utilisation d’un
objet, un essai ou encore un recueil de textes littéraires. Ce
sont autant d’objectifs de lecture et de tâches d’apprentis-
sage différents. Les outils numériques répondent à la même
réalité. Un document multimédia peut présenter une procé-
dure qui accompagne la manipulation d’une machine ou un
phénomène en science qui nécessite de construire une com-
préhension profonde. Il n’est pas possible d’aborder les tech-
nologies en s’abstrayant des tâches qui sont conçues pour
cette technologie. On doit même aller plus loin en tenant
compte des objectifs de ces tâches (quelle est la nature des
connaissances à apprendre), des moyens et des contraintes
imposées à l’apprenant (par exemple, un contexte d’utili-
sation incluant les ressources matérielles, les ressources
temporelles et les ressources humaines) et plus largement
du scénario pédagogique auquel participe la technologie. Il
faut donc poursuivre les études sur les apprentissages qui
s’appuient sur des technologies en examinant les tâches
d’apprentissage et les conditions de réussite des apprentis-
sages avec ces technologies. C’est en engrangeant ce type
de connaissances que nous pourrons rationaliser l’usage
des technologies numériques dans les apprentissages et les
rendre efficaces.
On est donc très loin du mythe de la disparition de l’en-
seignant au profit de la technologie. L’échec des Tuteurs
intelligents en informatique ainsi que les conclusions de
certains chapitres de cet ouvrage nous indiquent clairement
que l’enseignant aura toujours une place centrale dans les
apprentissages scolaires. Les chapitres sur l’autonomie
des apprenants et sur l’adaptation des dispositifs technolo-
giques aux apprenants illustrent bien la nécessité de s’ap-
puyer sur les enseignants. En revanche, les technologies
peuvent contribuer à des modifications des pratiques et des
démarches pédagogiques et donc participer à une évolution
du rôle de l’enseignant dans de nouveaux environnements.

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