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REVUE TRIMESTRIELLE
Les Études Classiques paraissent tous les trois mois en fascicules de 96 pages
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ôiocXXâÇn, Xîocv âirXcôç ëxei «quand on s'imagine que les autres sont
en mesure d'accomplir en commun quelque chose de bon avant qu'on
ait réconcilié leurs dirigeants, on est par trop naïf». Pour rétablir
dans la principale la négation désirée, Gildersleeve écrit (p. 469) :
« Xîocv àuXcôç ëxei = où 6eî oïeaSoa », sans reculer devant l'arbitraire
de cette mise en équation ni prendre garde que la temporelle est régie
par ôcmç oïetcci toùç dtXXouç... TtpâÇeiv... et n'entretient aucun rap
port direct avec la principale présumée négative Xîav âtiXôç ëxei5.
Il applique le même procédé à un passage d'Eschine (C. Timarque (I),
64) qui présente itpîv + indicatif aoriste à la suite d'une proposition
affirmative : ...ôte koù irpoaeiroXé^Ei 'ApLatoçôvu... iipiv ocùtcû...
iv tû &1ÎH9 fjTTEÎXnaev E-rTOcyyeXiav ETiayyeXEÎv... « ... tandis qu'il se
livrait à une polémique contre Aristophon, avant que celui-ci ne l'eût
menacé de lui intenter une action devant le peuple... » Gildersleeve
glose irpooE-iToXÉ^Ei "ApioTCKpûvTi au moyen de oùk èiraûaaTo irpoa-
ttoXeuôv A. (p. 480). Or s'il était légitime de rendre la valeur durative
de l'imparfait (irpooEiroXéuEi) par une expression telle que oùk è-rtocû-
acao, il ne le serait pas moins de transformer inversement oùk ettccû-
aorro... Tipîv + indicatif prétérit (cf. Thuc. II, 65, 3 : où... irpÔTEpov...
èTtaûoocvTO èv ôpyfj exovreç ccùtôv ixplv âÇnutcoaav xpiîuocaiv, Isocr.
Sur l'attelage (XVI), 8 : où... irpÔTepov èitacùaavTO, -ripiv tôv te Trocrép'
èK toû orpaTOTTé&ou uetettéuiJkxvto. .., etc.) en une formule affirmative
du type *5ietéXei... irpiv + indicatif prétérit, parfaitement non con
forme à la règle que, par esprit de système, on s'attache à vouloir
absolue. Le cas extrême où irptv + subjonctif suit une principale irré
médiablement affimative se présente dans le fr. I, 12 Bergk de Simo-
nide d'Amorgos : cpeâvei ôè tôv (ièv YnP0"; âÇnXov XocSôv | irplv Tépu'
ÏKnTai « la peu enviable vieillesse se hâte de le saisir avant qu'il n'ait
atteint le terme de ses jours » ; Gildersleeve voit ici en ÏKnTcct un
« lapsus de scribe » (p. 468), à corriger au bénéfice de l'infinitif atten
du. Il est évidemment plus simple et de meilleure méthode d'admettre
qu'on a érigé en règle une tendance de l'usage classique et qu'il faut
par conséquent reprendre sur nouveaux frais l'examen de la syntaxe
de -nptv.
plement une relation temporelle entre les deux propositions » (p. 82)
(les faits sont en réalité plus complexes), celui où, après principale
négative, irpîv + mode personnel constitue l'équivalent fonctionnel
d'une conditionnelle. On admet en effet que, par exemple, dans Platon,
Ion, 534 b : itoir)Tf|c; où itpÔTepov olôç te ttoieÎv, irpiv âv evGeoç yé-
vnTca, la relation entre principale et subordonnée est assez fortement
restrictive pour que la temporelle éventuelle équivaille en substance
à une conditionnelle éventuelle négative : « le poète n'est pas capable
de créer avant/à moins de (âàv uf)) recevoir l'inspiration. » Mais il
paraît impossible d'aligner pareillement irpîv + indicatif prétérit mar
quant un fait passé réel (tournure issue du irpiv y' ôte homérique par
allégement de l'articulation conjonctive) sur la tournure irréelle e'i
ur| + indicatif prétérit modal, en alléguant que « la subordonnée par
irptv, comme la subordonnée introduite par e'l ur| en pareilles circons
tances, montre que l'action, ou la non-action, de la principale aurait
continué indéfiniment si elle n'avait été ainsi limitée par la subor
donnée par irpiv, après quoi (c'est-à-dire actuellement) l'action de la
principale est inversée » (p. 86). Autrement dit, la phrase d'Isocrate
(Panath. (XII), 91) citée par C. Wooten : MEcanviouc;... iroXiopKoûv-
teç où itpÔTEpov ETTaiJoavTO Ttpiv âÇÉSaXov en Tfjç, x<i>po«; signifierait
« ils ne cessèrent pas d'assiéger les Messéniens et n'auraient jamais
cessé s'ils ne les avaient pas chassés de leur pays », et non « ils ne
cessèrent pas d'assiéger les Messéniens avant de les avoir chassés
de leur pays ». La gratuité de l'hypothèse est manifeste si l'on consi
dère que la langue aurait ainsi disposé d'un moyen très spécialisé
d'exprimer l'irréel et manqué de matériau correspondant à l'idée sim
ple d'antériorité par rapport à un fait passé réel.
10. Aussi J. de Romilly traduit-elle Thuc. V, 10, 9 : « ils ne cédèrent que lors
que... »
198 LES ÉTUDES CLASSIQUES
11. Cf. Hymne homérique à Apollon, 357 (= Suite pythique, 179) : "Oç tfj y'
dvuàoEiE, (pépeemé ^iv atai^ov f\pap | itpiv yé ol iàv èçfJKev... 'AitôXXgjv. De même,
Plnd. Olymp. IX, 57 ; XIII, 65.
12. Quelques références : Thuc. I, 51, 2 ; I, 118, 2 ; VII, 39, 2 ; VII, 71, 5 ; Eur.
Héc. 131 ; Méd. 1173 ; I.A. 489 ; Xén. An. II, 5, 33.
REMARQUES SUR LA SYNTAXE DE nPIN 199
Bien que l'usage favorise dans ce cas l'indicatif prétérit plutôt que
l'infinitif™, les deux modes sont employés parallèlement, chacun avec
sa valeur constante. Comparons Plat. Rép. III, 406 a : tocûtt| xrj vûv
tocTpiKrj Ttpô toD 'AoK\r|Tuàôai oùk èxpûvro... Ttpiv 'Hpô&iKov ye-
véaGca « les disciples d'Asclépios n'usaient pas de la thérapeutique
actuelle avant l'époque d'Hérodicos », et Hdt. I, 13 : Toùxou toû etteoc;
Au&ot te kocI oî |3aaiAÉ£<; aùxâv Xôyov oùôéva èTcoieûvTO, -rtpiv br\
ÈTreTeXÉaÔTi « Les Lydiens et leurs rois ne tinrent aucun compte de
cette prédiction avant le jour où bel et bien elle s'accomplit ». Ici,
tout concourt à souligner la réalité du procès B : le sémantisme ver
bal, la valeur modale, la particule d'insistance br] ; dans la phrase de
Platon, le procès B, encore que réel, est réduit à une donnée de l'in
tellect. Mais l'inverse n'est pas inconcevable : Platon pouvait écrire
*itplv 'HpôÔiKoç éyévETo s'il avait voulu marquer fortement que la
thérapeutique moderne était sortie du néant avec Hérodicos ; par
*TTpiv èmT£A.ea6fjvai = « avant sa réalisation », Hérodote aurait mis
l'accent sur l'incrédulité des Lydiens, se bornant à indiquer l'événe
ment qui les contraignit à changer d'attitude.
13. Chez Hérodote, par exemple, l'infinitif se rencontre une fois (I, 71), l'indi
catif prétérit huit fois (I, 13 ; VI, 45 ; 79 ; 110 ; VII, 137 ; 239 ; VIII, 8 ; IX, 22).
200 LES ÉTUDES CLASSIQUES
qui est l'endroit où ils (les Argiens) jugent les délits d'une campagne
avant d'entrer en ville », ou un fait unique dont la réalisation est
attendue dans des circonstances précises : Eur. Aie. 281 (Alceste à
Admète) : XéÇoa 9éXco ooi itpiv Gccveîv oc |3oû\ouai « Je désire, avant
de mourir, t'exposer mes volontés ».
Pas plus que la réalité effective d'un fait passé, la réalisation d'un
fait à venir attendue sans la moindre incertitude n'impose le recours
à un mode personnel. À itpiv fjuipoev eîvoci itâXiv... âafjyov de Thuc.
IV, 67, 3, déjà cité, correspond, dans le même ordre d'idées, -irpiv 0eoG
Sûvoci oéXaç, | ... | Tr\ab' e£,eXo:ûv£iv (Eur. Suppl. 469-471) «qu'on
expulse (Adraste) de ce pays, avant que décline la lumière du Ciel ».
Il faut que le locuteur ou l'écrivain veuille donner une consistance
particulière à l'image de la réalité attendue pour exprimer le procès B
au subjonctif. Parce qu'Isocrate estime essentielle la réconciliation
des chefs politiques grecs, il écrit au § 16 du Panégyrique (cf. supra)
ô'eme;... oletoci toùç ôrXXouç Koivrj xi irpd^eiv àyocGôv Tipiv âv xoùç
irpoEaTCOTOcç aùxûv 6iaX\â£r|, Xîav drrrXôç exei. Même (pGâvco, qui
paraît appeler un « complément de sens » sous la forme de -rtpLv +
infinitif14, se construit avec itptv et le subjonctif quand la perspective
de la réalisation du procès B a une importance « dramatique » parti
culière : Eur. Or. 1218-1220 (Oreste à Electre) : çûXocooe ô' f^v tiç,
-rrpiv TeXeuTn6rj tpàvoç, | ... | èXGcbv èç oïkouç cpGfj « Fais le guet pour
le cas où, avant que le meurtre ne soit consommé, quelqu'un nous
devancerait en entrant au palais ». C'est, à la limite, un motif psycho
logique discret qui distingue le subjonctif de l'infinitif dans deux
phrases de sens voisin et de structure analogue : Thuc. I, 78, 1 : ToG
ôè ttoXéuou tôv ircxpâXoyov ôaoç ècm, itpiv èv aîmô yevéaSoa, irpo-
ôiâyvcûxe « Quant à l'aléa de la guerre, mesurez-en bien toute l'im
portance avant d'y être engagés » ; Thuc. VI, 38, 2 : f)ueîç ôè kcckoî,
Ttplv àv tô TTOC0EÎV ô^iev, TtpcxpuXâÇaaôca « Nous sommes, nous, inha
biles à nous mettre sur nos gardes avant d'être en état de pâtir » :
ici, le chef syracusain Athénagoras fustige l'amour-propre de ses
concitoyens par l'image humiliante de leur soumission aux événe
ments.
15. Le traitement de la temporelle dans le tour où -na6Eo6ai ... itptv sera examiné
plus loin.
REMARQUES SUR LA SYNTAXE DE F1PIN 203
— Thuc. II, 84, 1 : irpoeipnTO &' ccùtoîç (ma (Dopuicovoç ur| èmxeipeîv
irplv àv ocùtôç OTjui'ivn « Phormion les avait avertis de ne pas s'en
gager avant qu'il eût donné lui-même le signal ».
— Isocr. Sur l'attelage, 6 : où/ f|YOÛvr' oùôèv oloî t" elvai kiveîv tôv
KOTEOTcbTGDv, itpiv èKitoôôv èKEÎvoç oojToîc; yévoixo (Les Quatre-
Cents) «ne s'estimaient pas en état de changer quelque chose aux
institutions avant qu'il (Alcibiade) les eût débarrassés de sa per
sonne ».
— Plat. Rép. VI, 501 a : toûtco &v eù9ùç tôv dXXcov oiEvéyKOiev, tô
^ir|TE I&icôtou ui*|TE tiôXegùç èSEXfjooci &v ôtyaoQai unôè ypàcpEiv vô-
16. Voir J. Humbert, Syntaxe grecque3, § 354. Les cas d'expression du souhait
et du regret dans la temporelle d'antériorité sont trop rares et trop particuliers
pour être significatifs.
204 LES ÉTUDES CLASSIQUES
— Eur. A le. 360-362 : ... u' o(39' ô nXoûravoc; kûcov | oû9'... ôcv X6>
pcov | eo/ov, irplv iç <j>ôç oôv KaTaaxfiaai fUov (« Si j'avais la voix
d'Orphée...») «ni le chien de Pluton, ni Charon ne m'arrêteraient
avant que je t'aie ramenée vivante à la lumière ».
II n'en va pas de même pour les types d'énoncé suivants qui éta
blissent entre procès principal et procès subordonné totalement dé
pourvu d'existence concrète des relations fort éloignées de la simple
antériorité.
— Plat. Théét. 202 d : ^Ap', & 0£aÎTnT£, vOv ouxco Tf]Ô£ xfj i^àpa
£ÎXr|(j)a(i£v ô iràXoa kocI iroXXoi tûv ocxpcôv Çr|ToOvTEç irpiv EÛpEÎv koct-
eyr|paaav ; « Serait-ce, ô Théétète, qu'à l'instant, — comme cela —,
nous aurions aujourd'hui mis la main sur ce que, depuis si longtemps,
tant de sages ont vieilli à chercher sans le pouvoir trouver ? » (trad.
A. Diès).
D'une manière générale, c'est l'infinitif et lui seul qui est usuel
dans notre type 3 en contexte de présent-futur. Quelques exemples :
— Eur. Héraclides, 501 : iyù> yàp ocùtt) itplv KeXEuaQfjvai « me voici,
de moi-même, sans en attendre l'ordre » (trad. L. Méridier, C.U.F.).
— Plat. Lysis, 205 d : itpiv vevikt]kevcxi ttoieu; te koc! aôeiç e'iç ooojtôv
èyKÔniov ; «avant (= sans attendre) d'être vainqueur, tu composes
des vers et des chants à ta louange ? »
L'infinitif note dans tous les cas de ce type une vue de l'esprit que
la logique des faits suscite naturellement, tandis que les circonstances
en démentent les possibilités de concrétisation.
C'est le type d'énoncé le plus abstrait dans lequel figure ttpîv, alors
constamment suivi de l'infinitif. Le rapport de cause (A) à effet (né
gatif) (B) est créé par la pensée active et sous-tendu par la volonté
du locuteur ou du sujet. Plpiv + infinitif se trouve ainsi proche de
cûote [ir\ + infinitif, la conséquence subjective étant elle-même limi
trophe de la finalité.
* *
trait vole tout droit, et ne s'arrête pas (ce qui entraîne) qu'avant (de
s'arrêter) il transperce la peau d'un homme... » Comme les énoncés
affirmatifs ne sont pas justiciables d'une pareille explication22, « ce
serait essentiellement après un énoncé négatif que se serait déve
loppé primitivement l'infinitif accompagné d'un adverbe qui, par sa
signification (on comparera l'histoire de plutôt en français...) revient
sur ce qui a été dit, l'évoque en quelque sorte positivement en en dé
crivant le développement dans ces conditions nouvelles. Pour repren
dre l'exemple de Y 99, on peut le gloser ainsi : « Le trait ne s'arrête
pas, ou plutôt c'est en perçant la peau d'un combattant (qu'il s'ar
rête). »
Entré en usage plus tôt que les constructions parallèles avec des
modes personnels, irpiv + infinitif s'y est aussi maintenu plus long
temps : il est seul attesté dans les papyri d'époque ptolémaïque26 et
prédomine largement chez les Évangélistes-7. Cette stabilité confirme
que c'est bien la structure de base, nécessaire et en principe suffi
sante, de la subordonnée temporelle d'antériorité. L'usage classique
du subjonctif et de l'indicatif prétérit consiste en un jeu de perspec
tives essentiellement stylistique, qui tend à mettre en relief l'éven
tualité ou la réalité du procès subordonné, notamment dans les cas
où la non-antériorité de la principale attire l'attention sur le procès
de la temporelle, effectivement prioritaire. Aussi la concurrence mo
dale dans la subordonnée introduite par irptv apparaît-elle comme un
des raffinements de la langue parvenue à son dtKur), une gamme de
nuances subtiles vouée à un brillant succès plutôt qu'à la pérennité.
Suzanne AMIGUES
Université Paul Valéry de Montpellier.
L'exposé des cas régis par les verbes grecs entraîne chez les gram
mairiens des justifications singulières dont le sens ne peut souvent
être perçu que moyennant un retour aux sources. La théorie relative
aux verbes de perception nous en fournit une illustration. Notre pro
pos est de démonter le mécanisme d'une explication pour mettre en
évidence les liens qui l'unissent à une véritable théorie linguistique.
Au passage, nous soulignerons que, faute d'être comprise dans le
cadre de cette théorie, l'explication fut parfois quelque peu malmenée.
Mais sans doute convient-il de présenter d'abord les textes sur les
quels nous fondons cette brève notice car peu d'entre eux sont de
lecture familière...
4. Cf. R. HOVEN, ibidem, p. 79, note 16. Nous avons, de notre côté, étudié
les sources du livre IV de cette grammaire, dans Théodore de Gaza, Introduction
à la grammaire, livre IV : A la recherche des sources byzantines, dans Byzan-
tion, XLIV (1979), p. 133-155 ; Théodore de Gaza et Apollonius Dyscole. Sur un
problème de sources, dans L'Antiquité classique, XLVIII (1979), p. 169-179. Du
point de vue de la problématique de la syntaxe dans cet ouvrage, cf. notre article
Théodore de Gaza. Introduction à la grammaire, livre IV : pour une lecture cri
tique, à paraître dans les Cahiers de l'Institut de Linguistique de Louvain, 1980.
5. Lessico sintattico Laurenziano, Università di Messina, Collana di Studi
Classici, I, Naples, 1961.
6. Anecdota graeca e codicibus manuscriptis Bibliothecae Regiae Parisiensis
descripsit L. BACHMANN, 2">« vol., Leipzig, 1828 ; rééd. anast., Hildesheim, Olms,
1964.
7. P. 82.
8. Que niâç ait le sens de tivoç, n'a pas de quoi étonner puisque telle est déjà
la tendance dans la Koivii.
PSYCHOLOGIE ET TRANSITIVITÉ CHEZ LES GRAMMAIRIENS GRECS 213
les verbes fondés sur la vision s'emploient avec le seul accusatif (...)
car si les autres sensations se réalisent suivant une introduction des
éléments extérieurs qu'elles amènent à elles, la vision par contre
s'opère par projection vers l'extérieur, comme en témoigne ce vers
d'Homère (Y 477) : et de ta tête, les deux yeux ne s'exorbitent pas
dans une vision d'une acuité totalement extraordinaire ; autrement
dit : tes yeux qui balaient un vaste champ ne peuvent pas sortir de ta
tête pour embrasser un immense espace ».
9. Cf. p. 215.
10. BACHMAN'N, t. II, p. 314.
11. § 89.
12. Pour des raisons pratiques, nous utilisons l'édition de Bâle, 1529, que pos
sède la bibliothèque de l'U.C.L., après avoir vérifié la concordance du texte avec
plusieurs éditions antérieures. Le passage en question figure au f. 133r.
214 LES ÉTUDES CLASSIQUES
C'est dans le livre III de son rkpi Zuvrâd,£coç (F, 162 à 171)
qu'Apollonius envisage la construction des verbes. D'emblée le pro
blème qui nous occupe est posé : l'action exprimée par les verbes de
perception paraîtra peut-être ne pas recevoir de traitement régulier
(cohérent) puisque le verbe aîa8âvEa9ai et ceux qui correspondent
à un secteur de cette perception, tels que ôckoôeiv, 6a(|>paiv£a0ai, yeû-
EaGai, ôbrxEa6ai, régissent le génitif, alors que |5Xétteiv et ses synony
mes ôpâu,ai, ÔEcôfiai, Xeûooco, ôépHo^ai, ôtcxeûcd, entraînent l'accu
satif14. Et Apollonius d'entreprendre la justification de cette diver
gence qui lui paraît légitime (xal ôokeî ^ioi xà xfjç auvxâÇecoç Ttâvu
ôeôvxcûç Ka9iaxaa6ai. ibidem).
ô' ôti Koci tô (JiiXeÎv toû èpâv ôioiaei kocGôtl f\ [iiv ek toO
èyyivouivn 5iâ9EOiç èvEpyeîaç; ôvoua or|(ia[v£i" ot yoûv <pi-
XoGvteç ■nm&EÙouaiv, TiâXiv xfjç ôiocSeoecoç Koivfjç toîç itpoKei^iÉvoic;
ait' a'iTiaTLKT]v auvTEivoûanc;' outcdç I)(el Kai tô ôi&âaKEiv Kai tô tteî-
Geiv" tô ys ^ir|v ipâv ôuoXoyEÎ tô TtpoaôiaT[0Ea9ai ûttô toG èpcojiévou.
Daniel DONNET,
U. C. L. (Louvain-la-Neuve).
Rue de la Batte, 9
B 6268 Aiseau.
19. I 90.
20. T 159.
21. T 168.
LATET ANGUIS IN HERBA
LES DÉVELOPPEMENTS
D'UN THÈME ÉPIGRAMMATIQUE
Aucun profane ne s'aventure dans le Culex sans crainte d'y lever des difficul
tés de tous ordres. Comme on sait, le poème appartient à VAppendix Vergiliana
qui n'a cessé de poser maints problèmes et a suscité une telle littérature qu'en
moins de cinquante ans, deux éminents spécialistes ont rédigé une mise au point
bibliographique et critique1. Sa lecture nous y a cependant fait découvrir
l'affleurement d'un thème peu étudié jusqu'ici, dont nous croyons pouvoir
esquisser l'histoire.
Nous ne pouvions songer ici à reprendre, après tant d'autres, l'examen com
plet de la structure de l'oeuvre. D'ailleurs, personne n'ignore qu'elle est particu
lièrement touffue. Dans une sorte de récit bucolique, le poète raconte comment
un berger est tiré de sa méridienne par la piqûre providentielle d'un moustique
qui, en l'éveillant, lui permet d'échapper à un dangereux serpent. La nuit sui
vante, l'ombre du cousin que le pâtre a écrasé par mégarde vient hanter ses rêves
et lui réclame une sépulture décente.
D'illustres philologues ont souligné avec bonheur maintes rencontres avec des
textes grecs. Ainsi, l'apparition de l'insecte rappelle celle de Patrocle dans le rêve
d'Achille. La comparaison des textes est éloquente. Dès qu'un sommeil plus
léger eut envahi son corps (se. celui du pâtre) et que ses membres alanguis eurent
pris leur repos dans une torpeur profonde, l'image du cousin descendit devant
lui et en raison de sa fin tragique, lui fit en un chant triste reproche de sa mort2.
À l'heure où le sommeil le prenait, délivrant les soucis de son cœur et répandant
la douceur — il avait tant peiné de ses membres brillants quand il chassait Hector
en direction d'Ilion battue par les vents —, arriva sur lui l'âme du malheureux
Patrocle, en tout pareille à lui pour la taille, les beaux yeux et la voix; et son
corps était vêtu des mêmes vêtements. Elle se dressa donc au-dessus de sa tête et
lui tint ce langage3.
D'autant moins que ce type d'apparition relève d'un genre bien connu, dont
les origines remontent haut. Ainsi, d'après Pausanias", ce fut à la suite d'un
rêve que Léandris, épouse du roi de Sparte Anaxandros, fit édifier un sanctuaire
en l'honneur de Thétis. À propos d'une loi proscrivant l'érection de lieux de
culte par des particuliers, Platon mettait déjà en garde contre ce genre de dévo
tion né de la peur, des visions et des rêves12. Les dédicaces de l'espèce continuè
rent néanmoins de se multiplier par la suite, comme en témoignent les inscrip
tions. Quelques exemples suffiront à le montrer. Ainsi, vers 200 avant notre ère,
un prêtre reçut de Sarapis, lassé de vivre en garni, l'ordre de lui construire une
maison qui lui appartînt en propre13. Ailleurs, on trouve les règles d'une maison
de prières communiquées par Zeus au cours d'un rêve14. À Patmos, on exhuma
une dédicace commandée pendant le sommeil par l'Artémis locale à une pieuse
15. S.I.G.3, 1152 (peu avant le milieu du IVe siècle de notre ère). On trouvera d'autres
références dans E.R. DODDS, o.L, p. 130, n. 31-32 à la p. 113.
16. DONAT, Vie de Virgile, p. 4-5 Brummer.
17. La maladresse figure bel et bien dans le texte du commentaire, qui renvoie implicite
ment au Culex, 185-186. Dans un style fort laborieux, le poète indique que le dard
s'enfonce dans la pupille, à la commissure des paupières.
18. Culex, 413-414.
19. J. HUBAUX, Les thèmes bucoliques dans la poésie latine, Bruxelles, 1930,
p. 105.
20. Anthologie, VI, 220 (DIOSCORIDE).
220 LES ÉTUDES CLASSIQUES
caisse, la bête plus hardie que tous les autres quadrupèdes s'enfuit plus vite que
les cerfs, ne pouvant supporter d'entendre ces bruits sourds. Le galle s'écria:
«Mère, sur les bords du fleuve Sangarios, je t'offre, en rançon de ma vie, une
chambre sacrée et cet instrument sonore qui fut cause de lafuite d'un monstre11.
Néanmoins, l'épisode du Culex fait jouer d'autres images. D'après des sources
paroemiographiques27, un riche berger de Cos, Kissamis, avait tué un serpent qui
21. Nous avouons ne pas comprendre pourquoi P. WALTZ, dans son édition de
VAnthologie grecque, \" partie, t. III, 2e édition, Paris, C.U.F., 1960, p. 4 et n. Il, écrit
que ce poème ne contient pas «la mention expresse d'une consécration».
22. Anthologie, VI, 217-219 et 221, respectivement de Simonide, Alcée, Antipater de
Sidon et Léonidas de Tarente. En fait, quoi qu'en dise P. WALTZ, /./., seule l'épigramme
d'Antipater omet toute mention d'une épigramme.
23. P. WALTZ, o.l., p. 22 et 113, n. 2.
24. WILAMOWITZ, Hellenistische Dichtung, t. II, Berlin, 1924, p. 292 n. 3; GOW-
PAGE, The Greek Anthology. Hellenistic Epigrams, t. II, Cambridge, 1965, p. 246.
25. VARRON, Satires,"Ovo<; Xùpaç.fr. XVII Bucheler = NONIUS MARCELLUS, De
compendiosa doctrina, VIII, p. 561, II, 14-16 Quicherat. Voir aussi, cependant, P.
WALTZ, o.l., p. 116 n. 2.
26. Anthologie, VI, 237. On ne peut le situer chronologiquement : P. WALTZ, o.l., p.
184 (index); GOW-PAGE, o.l., t. II, p. 145, n. 2.
27. ZENOBIOS, IV, 64 Leutsch-Schneidewinn : Ktoaocuiç kûoç- oOtoç ?jv toXo-
8pé[i(iaToC toûto cpocolv êyxE^uv êmipcuvcuiévriv koct' 6to<; tô KàXXicrrov râv npoêàtuv
àpmïÇEiv, Kai tôv K[aoa(nv àvEXeîv ocùti'iv (paivo(iévr|v ôè aùtô koct1 ôvap, keXeGooci
KOrta8<S[i)jai aùxi\v Tàv 6e [xr\ (ppovrCaocvra, itayyEveî âm>Xéo8ai.
Nous ne voyons pas le moyen d'établir pour l'anthroponyme une graphie certaine: voir
aussi HESYCHIOS, s.v. Kpioaniç; PHOTIOS, s.v. Kploatnc; et la Souda, K 2441, s.v.
LATET ANGUIS IN HERBA 221
venait chaque année prélever la plus belle bête de ses troupeaux. Hanté dans ses
rêves par l'ombre du reptile qui lui réclamait une sépulture, l'homme refusa
d'obtempérer. Par la suite, il périt avec toute sa famille. Le motif du rêve rap
proche le Culex du conte coaque mais s'inscrit aussi dans le cadre commun de la
religiosité populaire.
Kplaamç. Le nom propre K ptoamç est bien attesté à Cos. Il figurait notamment dans
la généalogie d'Hippocrate : voir Alf. LAUMONIER, Les cultes indigènes en Carie, Paris,
1958, p. 687. Le rapprochement avec cette anecdote n'est d'ailleurs pas nouveau: voir
SCHANZ-HOSIUS, Geschichte der rômischen Literatur, t. II, 1, 4e édition, Munich,
1935, p. 77 (VIII, 2 du Handbuch de Walter OTTO).
28. La dernière édition critique de ce texte est l'œuvre d'E. ABEL, Orphei Lithica acce-
dit DAMIGERON De lapidibus, Berlin, 1881 (repr. Hildesheim, 1971). Celle de MELY
dans Les Lapidaires de l'Antiquité et du Moyen Age, t. II, Les Lapidaires grecs, fasc. 1
(avec la collaboration d'E. RUELLE), Paris, 1898, p. 135-159 n'est qu'une copie, avec des
erreurs typographiques en plus, du beau travail de son prédécesseur. De notre côté, sous la
direction de M. R. Halleux, nous en préparons une nouvelle édition destinée à paraître aux
Belles Lettres dans un recueil des Lapidaires grecs.
29. Lithica, 91-164.
30. Lithica, 172-328.
31. Lithica, 418-761.
32. Culex, 214-384.
222 LES ÉTUDES CLASSIQUES
plan général du récit des Lithica pseudo-orphiques offre des ressemblances plus
marquantes. Ici encore, la narration se subdivise en quatre phases:
Cette structure était déjà celle qui caractérisait les épigrammes de YAntholo
gie. Pourtant, les Lithica aussi bien que le Culex ont le même cadre pastoral que
l'histoire de Kissamis. Dans les trois cas, c'est un reptile qui constitue le péril.
L'auteur du poème grec laisse dans l'ombre le sort du monstre : sans doute fut-il,
en définitive, le même que celui du pâtre coaque33. En revanche, la référence au
rêve est un trait propre au Culex et à l'histoire de Kissamis. En somme, la com
paraison fait ressortir qu'une des trois historiettes, le conte de Kissamis, a en
quelque sorte servi de matrice pour les deux autres. Telle est la démonstration
que nous allons tenter de faire maintenant. Nous tâcherons d'expliquer en même
temps les divergences entre le Culex et les Lithica, ainsi que leur portée.
Les analogies entre les deux poèmes sont patentes. De part et d'autre, le héros
affronte le serpent dans des conditions similaires : Alors il aperçut (se. le berger),
posant sur lui un regard menaçant, le serpent tout proche et, très vite, mort de
peur, il s'enfuit, à peine maître de lui et, de sa main droite, arracha à un arbre
une souche vigoureuse. Quel hasard lui avait prêté son aide ou quel vouloir
divin, on hésite à le dévoiler; il eut la force en tout cas d'abattre avec cette arme
l'horrible dos déroulant ses anneaux écailleux. À coups répétés sur la bête qui
luttait et lançait des attaques traîtresses, il lui brisa les os, là où les tempes se cou
ronnent de la crêteM.
Je n'avais pas jusque-là remarqué, s'élevant sur le sol, sa tête et son corps ter
rifiant: il désirait m'avaler sans attendre. Qui m'aurait alors vu battre en retraite
à toute allure n 'eût pas imaginé que j'étais sur la piste de perdrix aussi rapides
que l'ouragan... Que, dans ma peur, j'eusse aimé être un aigle à la vaste enver
gure ou le souffle du vent ! car c'était à mes pieds que le mal se trouvait. À main
tes reprises, il effleura de ses crocs le bout de mon vêtement. Et le monstre m'eût
sans doute englouti plus qu'à moitié, si je n'avais eu l'esprit de grimper preste
ment au-dessus d'un autel qu'avaient construit les Anciens pour honorer le
Flambeau des humains. Il y restait encore, desséchée par le feu, une fourche
d'olivier qu'avait laissée en mourant la braise dévorante. Pour lors, je m'en sai
sis, résolu à affronter le serpent de malheur, et je fis volte-face. Et l'hôte des
montagnes à l'âme terrible bondit du désir de combattre, me voyant animé d'une
envie identique. Il se mit à rouler son dos allongé en spires serrées et jolies: un
anneau sur l'autre alors se vint lover, et puis un autre encore. Par instant, ildres-
33. Les deux chiens qui ont soustrait le bambin aux assauts du reptile sont dits tueurs de
serpents (Lithica, 158).
34. Culex, 189-197.
LATET ANGUIS IN HERBA 223
sait la tête au-dessus de l'autel et son sifflement couvrait largement les éclats de
ma voix. Je frappais la tête invincible de l'hôte des montagnes, lorsque se brisa
net ma grêle baguette à la pointe enflammée35.
Après lecture de cette page, le lecteur a droit à quelques apaisements : pas plus
que le vieillard du Culex, son destin n'était (...) de périr dans l'assaut du fauve à
robe pourpre36. Pourtant, le bambin ne dut pas le salut à une lutte énergique,
mais à l'intervention providentielle de deux chiens. Mais, ce point excepté, les
ressemblances sont manifestes: surprise, émoi, choix de l'arme et combat
acharné contre le serpent caractérisent les deux œuvres.
On y trouve en outre une allusion à des sites consacrés. Dans le Culex, celle-ci
est toutefois amenée sur un ton ironique, où l'on a cru déceler un écho du scepti
cisme lucrétien37. Les deux poètes attachent d'ailleurs une grande importance à
la description du lieu saint. Auprès du bord de l'eau que cachent les vertes fron
daisons, il (se. le berger) se met avec ardeur à façonner un emplacement. Il lui
donne un dessin circulaire et, à son outil, remet un nouveau manche, pour creu
ser dans le gazon du sol et en tirer un autel verdoyant. Le souvenir dans son cœur
le pressa d'achever le travail entrepris et de mettre en un tas le matériel réuni. De
ce grand monceau de terre sortit un tertre qui prit en croissant la forme d'un cer
cle; il entoura l'autel de moellons de marbre poli, gardant en mémoire le souci de
le faire durer, en le munissant d'un rebord. C'est là que pousseront l'acanthe, la
rosé dont la honte empourpre le visage et des violettes de toutes sortes. (...) Tel
les furent les essences qu'il planta sur le tertre™. Le récit des Lithica se termine
également sur ces beaux vers de tonalité toute théocritéenne : qu 'elle est douce la
joie que l'on goûte à l'entour de l'autel de son maître. Vert y est le sol et moel
leuse la couche d'herbe ainsi que l'ombrage sous les ormes touffus. Tout près
jaillit d'un creux dans la roche tendre l'onde claire et bouillonnante d'une source
intarissable à l'accent mélodieux39. Cette symétrie dans la composition des épi
sodes suggère qu'une description de l'espèce était un élément obligé de ce type de
poème. Dans un cas cependant, le pâtre érige un autel nouveau sur un site
réservé d'abord à Diane40. Dans le poème grec, le jeune dévot contribue à main
tenir vivace un culte déjà constitué mais tombé en désuétude à la génération pré
cédente. Au point de vue du rite, innovation s'oppose à rénovation.
Il est plus malaisé de rendre compte des divergences dans la structure narra
tive. Quoique parfaitement intégrée au récit, la chasse aux perdrix, qui ouvre
l'aventure du bambin des Lithica, n'est pas indispensable. L'auteur doit en avoir
Dans le récit latin, le rôle attribué à une bestiole comme le cousin déséquilibre
l'œuvre à laquelle elle confère une étrange saveur. Toutefois, l'érection d'un
tombeau à un animal minuscule n'est pas une nouveauté : YAnthologie grecque a
recueilli maintes épigrammes destinées à des tombeaux, vrais ou imaginaires, de
sauterelles44, de cigales45 et de fourmis46. En l'occurrence cependant, c'est le
choix du poète qui étonne, à juste titre. De ses deux victimes, seule la plus insi
gnifiante a fait l'objet de sa sollicitude. Or, déjà chez Plaute, le nom du cousin
prenait valeur d'injure47. Pourtant, la tradition religieuse proposait à l'écrivain
un parti apparemment plus judicieux. En effet, en refusant au serpent les
honneurs funéraires, le pâtre pouvait craindre de connaître à son tour le sort
tragique de Kissamis de Cos. Pareille négligence était d'autant plus grave
que le reptile symbolisait souvent un héros48 et était lié à Asclépios49, voire à
cursales du dieu, Coccalé et Cynno s'acquittent d'un vœu à la suite d'une guérison
obtenue et, sur le point de sortir, l'une d'elles dépose un gâteau dans la gueule du ser
pent (HÉRONDAS, Mimes, 4, 90-91); si l'on en croit les inscriptions miraculeuses
d'Épidaure, c'était un reptile qui avait, durant son sommeil, guéri un consultant d'un
abcès à l'orteil (miracle 17 de R. HERZOG, Die Wunderheilungen von Epidauros,
Leipzig, 1931 = Philologus, Suppl.-Bd., XXII, 3) que traduit Éd. DES PLACES, La
religion grecque. Dieux, cultes, rites et sentiments religieux dans la Grèce antique,
Paris, 1969, p. 237. À son réveil, le malade déclara avoir vu un beau jeune homme lui
appliquer un pansement. L'animal était évidemment un substitut de la divinité (E. R.
DODDS, o.L, p. 119).
50. THÉOPHRASTE, Caractères, 16, 4.
51. Sur les légendes où Artémis est liée à des serpents, voir J. BONNET, Artémis
d'Éphèse et la légende des sept dormants, Paris, 1977, p. 33-35.
52. À ce propos, voir E. RHODE, o.L, p. 331 et Vexcursus 6 des p. 611-613.
53. Lithica, 105 et 157.
54. Ps.-ÉRATOSTHÈNE, Catastérismes, 24 p. 140 Robert = T 113 Kern. Pour
d'autres témoignages, voir A. NAUCK, Tragicorum graecorum fragmenta, 2e (repr. Hil-
desheim), 1964, p. 9-10.
55. Corpus Hermeticum, 13, 1 II, p. 200 Nock-Festugière.
56. JULIEN, 7 (Contre Heracleios), 22, 230 b-d. Pour d'autres références, voir la note
1 de A. D. NOCK et A.-J. FESTUGIERE, dans leur édition du Corpus hermeticum, t. II,
Paris, C.U.F., 1946, p. 200-203.
57. Nous avons traité ce sujet dans un article à paraître dans L'Antiquité Classique 50
(1981) sous le titre Entre Hermès et Zoroastre. Observations sur la datation traditionnelle
du Lapidaire orphique.
226 LES ÉTUDES CLASSIQUES
Lithica. Quand Hélios s'adresse pour la première fois au jeune prince, celui-ci
est toujours à flanc de montagne58. Le dieu précise: mais tu es jeune et non
initié59. En fait, ce n'est qu'au sommet que se fera la révélation suprême, sous la
forme d'une série de recommandations morales60. L'ascension dans les Lithica
correspond aussi, semble-t-il, à l'effort ascétique que requiert tout progrès vers
la connaissance61. En effet, Theiodamas profite de cette longue marche pour
prodiguer son enseignement. In extremis62, le poète ne manque pas de rappeler :
et durant notre marche vers le sommet herbu, ce récit a vraiment adouci pour
nos pas les rudesses du sentier.
Tout autre est le climat religieux du Culex, comme on le voit dès l'entrée du
poème63 : Nous avons joué, Octave, des accords inspirés par la frêle Thalie et
formé, comme l'aragne menue, une esquisse fragile. Ce fut pour nous un jeu.
Qu'on nomme ainsi nos chants, pourvu que l'œuvre garde, en traitant un sujet
enjoué, une ordonnance historique et rappelle l'accent de chefs bien connus.
Qu'importe l'envieux. Qui contre les badinages et la muse s'arme de critiques
leur devra des titres et un renom pesant moins qu 'un cousin. Il était malaisé
d'avouer plus clairement des intentions parodiques: l'idée de jeu est exprimée
aux v. 1, 2, 4; celle de dérision au v. 6. D'ailleurs, d'autres passages portent la
trace de l'humeur sceptique du poète : quel hasard lui avait prêté son aide ou
quel vouloir divin, on hésite à le dévoiler64. La substitution d'un culex minuscule
au serpent auquel le pâtre eût dû réserver sa dévotion nous paraît traduire la
même ironie à l'égard de la religion traditionnelle. D'ailleurs, dans le tissu même
du récit, les vers que nous venons de citer invitent à y prendre garde et indiquent
la véritable portée de l'épisode.
ture que nous avons décelées entre le Culex, les Lithica et les épigrammes déri
vées de Dioscoride, elles signifient seulement que le poème coaque devait être lui
aussi bâti sur un schéma à quatre phases. Rien de plus logique à vrai dire: cette
conformité dans les principes de composition n'autorise donc pas à induire que
l'épigramme coaque était postérieure à celle de Dioscoride.
Est-ce pure hypothèse? Rappelons d'abord que Cos fut, au tournant des IVe
et IIIe siècles, un centre poétique vivace, où maints poètes allèrent chercher
l'inspiration66. Philitas faisait figure de maître de cette école67 à laquelle avaient
appartenu notamment Théocrite et Aratos68. Pour les Lithica, le recours à des
sources coaques nous paraît être plus qu'une simple supposition. Dans l'épisode
que nous avons étudié, le poète a multiplié les références à Théocrite, et, plus
précisément, à cette seule pièce des Thalysies dont l'action se déroule à Cos69. La
rencontre entre le narrateur et Theiodamas évoque les circonstances qui ont mis
en présence Lykidas avec les trois personnages qui se rendent chez des amis pour
célébrer les Thalysies, Eucritos, Amyntas et Simichidas70. Des coïncidences aussi
nettes montrent que l'écrivain connaissait et avait utilisé non seulement Théo
crite mais aussi des poèmes perdus de l'école de Philitas.
fraîche et, sur un arbre, des oiseaux gazouillent. Une autre jolie notation : Et
tout tremblait à l'heure ardente dans le babil des cigales15 répond à celle des
Thalysies76 : près des branches ombreuses, les cigales brûlées du soleil babillaient
avec peine. Réunis dans l'épisode qui nous intéresse, ces traits proviennent de
deux Idylles de Théocrite, inspirées peu ou prou par le paysage de Cos77. Comme
celui des Lithica, l'auteur du Culex a dû avoir connaissance de poèmes issus de
l'école de Philitas. De tels remplois par des écrivains relativement tardifs78 ne
sauraient beaucoup surprendre: la plus ancienne collection de bucolica grecs
dont on puisse à peu près définir le contenu fut le fruit du travail d'Amaranthos,
au temps de Marc-Aurèle79 ; dans l'intervalle, maints textes disparus aujourd'hui
devaient encore être accessibles.
donne une idée des limites et des possibilités du genre : n 'avance pas pieds nus au
long d'un sentier boisé en Egypte; fuis les lieux infestés de serpents à robe grise,
agreste chercheur de roseaux; mais que sur la terre ferme, il se garde du venin,
celui qui court tirer un oiseau.
of Philip, t. II, Cambridge, 1968, p. 197 donneraient leur préférence à la seconde hypo
thèse. Si telle est la vérité, on ne doit pas s'étonner de trouver sous la plume d'un grammai
rien un poème composé de trois touches disparates, au moins en apparence, ni chercher, à
coup de conjectures, à lui donner une cohérence qu'il n'a probablement jamais eue. C'est
pourquoi les remarques de GOW-PAGE, o.L, p. 207 nous paraissent dépourvues d'inté
rêt.
83. J. HUBAUX, o.L, p. 72.
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BIOLOGIE
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Dans les années 1880-1890, l'ascendant d'Ernest Renan, sur les jeunes intellec
tuels et écrivains de la génération de Claudel et de Péguy, a été prestigieux. Hen
riette Psichari a montré dans son livre Renan d'après lui-même (Paris, Pion,
1937) à quel point il fascinait les esprits les plus divers. Pierre Louys n'est encore
que rhetoricien à Jeanson-de-Sailly qu'au nom de toute sa classe il écrit une lettre
enthousiaste au vieil académicien. À la même époque, Pierre Lasserre trahit la
même admiration. Maurice Barrés en est fanatique. Encore simple «novice» du
Cloître de la rue d'Ulm, Romain Rolland obtient de lui une longue entrevue au
Collège de France, le 26 décembre 1886, et il publie peu de temps après ses Paro
les de Renan à un adolescent. Le Journal de Jules Renard abonde en allusions ou
citations des œuvres de Renan, et il fait en 1903 l'acquisition de ses Morceaux
choisis. Évoquant Les dates et les œuvres, René Ghil met Renan au premier rang
des maîtres qui en 1885 le guident dans ses études sur le langage.
Bernanos appartient certes à une génération plus récente. Dans son milieu
familial et les établissements scolaires qu'il a fréquentés, l'auteur de la Vie de
Jésus n'était assurément pas en odeur de sainteté. Lecteur assidu de Péguy, au
moins occasionnel de Claudel, il a certainement connu les jugements de l'un et
de l'autre sur un homme passé à l'athéisme, sinon à l'anticléricalisme, historien
considérable, mais qui n'hésitait pas quelquefois à «solliciter» les textes pour les
adapter à ses hypothèses de travail, philosophe enfin dont la pensée évolution-
niste débouchait dans des rêves métaphysiques confus, où la personne humaine
se diluait au sein d'un panthéisme idéaliste évanescent. Sous réserve de
2. Dans son enquête sur Les attitudes politiques de G. Bernanos jusqu'en 1931 (Édi
tions Universitaires, Fribourg, Suisse, 1968), Joseph Jurt évoque le climat socio-politique
de l'Institut d'Action Française (p. 54-7), fait mention occasionnelle d'A. France et de
Renan, mais il ne traite pas le problème d'une possible influence philosophique de Renan
sur le jeune Camelot du Roi.
BERNANOS ET RENAN 233
Il faut pourtant rappeler que l'hellénisme de Renan avait été d'entrée de jeu
plus véridique et réaliste: il n'échappait pas au scepticisme du néophyte de
l'Acropole. La fameuse profession de foi en la Sagesse païenne et le rejet défini
tif de la «pambéotie» chrétienne amenaient un épilogue dépourvu de toute illu
sion. Aucune société, aucune philosophie, aucune religion ne peuvent se vanter
de posséder «la vérité absolue» (in Revue de deux mondes, 1er décembre 1876,
en vol. 1883, in OE. II, 759). Pallas Athéna est soumise elle-même à l'évolution
du Temps, au processus de l'Histoire : si «vraie, pure, parfaite» qu'elle soit pour
le Renan de 1865, en extase sur l'Acropole, il sait que la cella qui l'abrite crou
lera comme le temple de l'Hagia-Sophia à Byzance (id.). La péroraison de la
Prière renanienne est bien connue : Bernanos et le Saint-Marin = A. France qui
visite Lumbres, ne pouvaient l'ignorer:
«(...) Tout n'est ici-bas que symbole et que songe. Les dieux passent
comme les hommes, et il ne serait pas bon qu'ils fussent éternels. La foi
qu 'on a eue ne doit jamais être une chaîne. On est quitte envers elle quand
on l'a soigneusement roulée dans le linceul de pourpre où dorment les
dieux morts» (id. 759).
Le nom de Renan n'y est pas à l'inverse prononcé. La lecture des autres
romans de Bernanos semble pourtant indiquer que c'est l'auteur de la Vie de
Jésus qui a le plus habituellement hanté son imagination de romancier. La
seconde mention formelle de Renan se lit en effet dans L'Imposture, en liaison
avec les travaux d'histoire religieuse de l'abbé Cénabre et l'esprit dans lequel la
conçoit «l'auteur des Mystiques florentins». «L'art», remarque Bernanos à
propos des derniers livres de son personnage,
BERNANOS ET RENAN 235
rien. Cette pensée l'exaltait. (...) 'Entre le néant et moi', se disait-il, 'iln'y
a que cette vie hésitante, qu'un souffle peut abolir, la rupture d'un petit
vaisseau'. Le néant, (...) le plus souvent... (...) On l'accepte avec déses
poir, avec dégoût. Mais lui, il donnait vraiment au néant sa foi, sa force,
sa vie. » fOE, 443-4)
Bernanos ne nomme point, il ne donne aucun indice pour identifier ceux qui,
comme Cénabre, «ont su s'arracher aux douceurs d'un spiritualisme nuancé
pour atteindre aux rivages plus amers de l'agnosticisme». Peut-être pense-t-il à
certains des personnages qu'il a mis en scène dans la seconde partie du roman :
intellectuels et hommes politiques, aussi agnostiques que les «grands ancêtres»
Taine, Renan ou Berthelot, mais fort bien informés des doctrines et controverses
religieuses de leur époque. On a l'impression d'un livre à clef: Bernanos y
mélange des noms fictifs à ceux de figures historiques: Combes (id. 383), Loisy
(430). Les allusions à l'actualité sont manifestes: mais il est difficile de juger si
l'arrière-plan politico-religieux et toutes les intrigues auxquelles il est fait allu
sion ont leur cadre avant ou après la lre Guerre mondiale. Du reste, et malgré les
caractéristiques physiques que Bernanos donne à son M. Guérou, — au nom
assez renanien, malgré l'orthographe (v. E. Renan, Lettre à M. Guéroult, 1862,
OE. I, p. 674-9) —, et qui le font ressembler au Renan des dernières années et à
celui qu'il appellera bientôt M. Ouine, nous sommes loin de la période des
débuts de la 3e République, où Renan n'a joué qu'un rôle politique épisodique et
sans gloire.
Le trait est trop appuyé pour n'être pas voulu et parabolique. Il est, croyons-
nous, l'envers symbolique du vide intérieur, de la vacuité totale qui au plan
psychologique est le stigmate du personnage et prépare sa confession finale du
Néant. L'outre (id. 1552) doit être d'autant plus énorme qu'elle ne contient plus
rien. Le même symbolisme ressort de la tête et de la figurcLe visage de M. Ouine
est tellement «gonflé» que «les rides s'effacent» (id. 1528); sa «face bouffie,
paupières closes» a le même «gris livide» que ses mèches de cheveux (id. 1552).
C'est à Steeny que le phénomène apparaît le plus nettement dans son énigmati-
que signification. «Drôle de visage», pense l'adolescent,
«L'ossature en semble détruite, comme si la peau ne recouvrait plus
qu'une sorte de graisse molle. Les chairs affaissées font paraître le crâne
énorme. Les joues, que retient mal la saillie des pommettes pendant vers
le cou, font au niveau des mâchoires deux poches qui élargissent le bas de
la figure au point que le cou (...) a l'air d'être démesurément allongé: on
dirait qu'il fléchit sous le poids, ainsi que la tige d'une fleur monstrueuse.
(...) 'Il ressemble à Louis-Philippe', pense Steeny. » (id. 1540)
Les portraits ou photographies de Renan vieillard sont bien connus : ils révè
lent la même obésité, le même empâtement des traits du visage, l'affaissement
240 LES ÉTUDES CLASSIQUES
des bajoues, l'énormité du cou. Médecin, sensible à la tératologie des êtres, Léon
Daudet a dès longtemps moqué «sa large face d'éléphant sans trompe» (v. P.
Claudel, Journal, II, 1183). Claudel a poussé l'image jusqu'à la caricature de
mauvais goût: «énorme, vêtu de noir, tout petit» (Journal, II, 361), un «gros
bouffi» (P.C. interroge l'Apocalypse, OE, XXV, 75), un homme «en qui la
graisse et la matière avaient tout englouti» (Du sens figuré de l'Écriture Sainte,
OE, XXI, 25, n. 1). Bernanos n'a pas connu ce florilège claudélien. Mais il
n'avait pas besoin de dépouiller la basse littérature antirenanienne pour se faire
une idée d'un prototype éventuel de M. Ouine.
Au moral, certaines caractéristiques sont aussi communes. Au collège, alors
qu'il va être perverti par son professeur d'histoire, le petit Ouine faisait ses déli
ces des œuvres de Spinoza, dans un volume « volé à la chambre des maîtres »
(OE. 1472). Il a alors douze ans: sa précocité intellectuelle n'est pas telle qu'il
puisse arracher à ces «pages arides», à ces «formules abstraites, d'ailleurs pres
que toujours incompréhensibles» (id.), une doctrine cohérente, une vérité. Un
souvenir personnel de Bernanos n'est guère ici vraisemblable. À moins qu'il ne
s'inspire d'une expérience faite par un camarade, on sera porté à se rappeler que
le jeune Renan a été lui aussi un fervent lecteur de Spinoza. Avec son humour
particulier, il fera dire à l'Archange Gabriel, en conversation avec l'Éternel Le
jour de l'An 1886: «Vous rappelez-vous Alexandre Dumas, Balzac, Stendhal
que je vous ai autrefois lus durant des nuits entières, pour vous reposer de Spi
noza?» (OE. III, 700)
Le terme de cette involution mentale, peu familière sans doute aux manuels
de psychologie, ne peut être que le néant, l'acquiescement à une mort qui est
anéantissement pur et simple. «Il n'y a pas que la justice», remarque en effet
Steeny, «il y a la miséricorde, le pardon. Ou rien peut-être, absolument rien,
pourquoi pas?». Sur quoi, sans «indignation ni colère», M. Ouine porte le
jugement définitif:
242 LES ÉTUDES CLASSIQUES
«S'il n'y avait rien, je serais quelque chose, bonne ou mauvaise. C'est
moi qui ne suis rien. » (id. 1557)
Cette résorption totale de l'être est tout à fait dans la logique interne, négative
ment existentielle, du personnage, qui est d'une coulée exemplaire, la plus con
sommée sans doute de tous les «dévots du mal» bernanosiens. Mais ce n'est pas
amoindrir son originalité que de rappeler là encore le précédent renanien.
S'il n'est certes pas invraisemblable que Bernanos ait connu les articles de P.
Claudel, publiés dans Le Figaro, en 1937-8, il a été plus certainement encore un
lecteur de M. Barrés et c'est dans Mes Cahiers qu'il aura lu les dernières paroles
mises au compte de Renan. Dans son Renan d'après lui-même (Paris, Pion,
1937), Henriette Psichari a tenu à ne citer, sur les ultimes moments de son grand-
père, que des extraits du journal de sa femme Cornélie. En raison de son «carac
tère nettement romancé», elle écarte le récit d'un «témoin familial, présent
jusqu'à la dernière seconde», (o.c. 285). Sans nier la permanence, en la pensée
finale du moribond, de l'oscillation entre «le négativisme intégral et la croyance
à l'immortalité» (id. 286), H. Psichari souligne justement qu'on ne peut attacher
une importance décisive à des «phrases détachées», murmurées plus ou moins
dans la demi-conscience ou le coma (id. 289). L'impression dernière est problé
matique et suppose en Renan une attitude d'interrogation sans réponse. «Mieux
vaut la tristesse sombre de la mort chrétienne que le néant », avait dit le vieillard,
peu de temps avant d'entrer en agonie, « J'aime mieux la chance de l'enfer que le
néant.» Et citant Cornélie Renan, la biographe relate:
«Par/ois il lui prenait aussi comme une impatience de savoir ce qu'il y
avait au-delà de ce que nous appelons la mort. À cet égard, il pratiquait le
doute absolu, le doute honnête qui ne penche ni à droite ni à gauche, Use
Collection ROLAND
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Histoire
Géographie
1. Enseignement moyen et technique (cycle Inférieur) :
Atlas élémentaire
Format 25x32 cm, 32 pp., 100 cartes. Avec Index.
Atlas classique
Format 40x25 cm, 32 planches, 220 cartes. Relié. Avec Index
PLAIDOYER
À quoi bon? C'est peine perdue, dira-t-on. Le wallon n'a pas d'avenir. C'est
un dialecte en régression partout, grignoté comme il l'est peu à peu par le fran
çais. D'ailleurs, est-il bien utile de le ressusciter et de lui conférer un statut litté
raire? Notre pays, avec sa riche provende de poètes~francophones — pour ne
parler que de ceux-là — ne prouve-t-il pas que bien des littératures régionales
belges se sont épanouies par le truchement du français? Emile Verhaeren n'a-t-il
pas chanté, de façon inégalée par ses contemporains flamands, sa Flandre
natale? Et, en ce siècle, n'avons-nous pas Maurice Carême, le chantre du Bra-
bant wallon?
Au sein des grands ensembles dans lesquels ils ont été intégrés au cours de leur
histoire, les Belges en général, les Wallons en particulier, ont toujours cultivé
leur différence : ce qui est vrai des Flamands par opposition aux Hollandais l'est
tout autant des Wallons par rapport à leurs voisins du sud et de l'est. Ce qui s'est
avéré pour les coutumes — qu'on songe à nos «ducasses» (kermesses) à l'occa
sion desquelles les Belges firent jadis une révolution, secouant le joug — pour
tant léger — de la domination autrichienne, vaut également pour leurs dialectes
et les œuvres qu'ils produisirent.
Et, parlant de nos régions, il faut préciser. Il s'agit bien des communes qui
naquirent avec la bourgeoisie, à la fin de la période féodale, phénomène
246 LES ÉTUDES CLASSIQUES
qu'Henri Pirenne a retracé avec tant de compétence: «chaque ville, nous dit-il,
forme une petite patrie, repliée sur elle-même, jalouse de ses prérogatives et en
opposition avec toutes ses voisines»1.
C'est précisément dès cette époque qu'on peut dater la naissance de nos littéra
tures wallonnes, dans lesquelles Liège, Namur, Tournai, Mons s'illustrèrent très
tôt. Nos villes forment, en effet, un ensemble qui reflète bien les caractères propres
du tempérament wallon, qu'un profond connaisseur de nos populations et de quel
ques autres, le R. P. Roger Mois, a excellemment décrit, à l'article «wallon» de
l'Encyclopédie L'Europe et ses populations: «au premier rang, nous dit-il, on
mettra un individualisme foncier qui, chez des populations dont la sensibilité poli
tique a toujours été vive, s'enracine dans une longue expérience de la liberté...
Prompt à s'enthousiasmer, il n'en cultive pas moins la pudeur de ses émotions,
d'un autre côté son sens inné de la mesure le conduirait aisément au refus de la
grandeur» (p. 800). Il est bien vrai que cette littérature n'a pas produit de grandes
œuvres: plus proche de Rabelais et de Villon, elle s'est contentée de décrire la
nature humaine avec ses travers individuels ou sociaux, sans guère s'élever au genre
épique ou tragique où s'illustrèrent quelques grandes littératures d'Europe.
Elle est typiquement régionale, ce qui ne veut pas dire qu'elle ne puisse préten
dre à une certaine universalité.
Pour établir mon propos, on me permettra d'en faire ressortir la valeur singu
lière, à partir d'un point de vue très local, celui de la littérature namuroise,
puisqu'aussi bien, c'est elle qui m'est plus familière et accessible.
* *
Est-ce le fait de leur situation géographique ? Qui sait ? Il est sûr que, sise au
confluent de la Sambre et de la Meuse, le fameux Grognon, où la Sambre
incurve la Meuse vers Liège, Namur, au centre du pays wallon et même de la Bel
gique, enfouie dans une cuvette, entourée de collines harmonieuses (même sa
Citadelle), a conféré de tous temps à ses habitants un équilibre, une « mediocri-
tas» dont les autres Wallons se moquent mais que peut-être on lui envie. Qu'on
2. Combien c'est vrai ! Il manifeste peu son enthousiasme. J'ai pu encore le constater
aux dernières fêtes de la Wallonie. Quand les gentils « Bersaglieri» de Milan, après avoir
donné un aperçu de leur répertoire, eurent le geste touchant d'exécuter « Li bia bouquet »,
il y eut peu d'applaudissements pour cette preuve de la «gentillezza » italienne. Et pour
tant, je suis sûr qu'ils étaient émus, mes concitoyens, mais voilà, un peu comme les
Anglais, ils n'aiment pas à se donner en spectacle («they do'nt give themselves away»).
3. Article «Namurois» dans L'Europe et les populations, p. 501.
4. Anthologie de la Littérature wallonne, éd. Maurice PIRON, Liège, Mardaga, 1979,
p. 109.
5. Ils nous le renvoient bien. « Flamind » qui, pour tout Wallon, est un peu synonyme
de lourdaud ou de béotien, et «Waelekop» sont des aménités qu'on échange dans les
ménages les plus unis. C'est vrai au sens littéral du mot «ménage» puisque les mariages
entre Flamands et Wallons, qui, il y a peu, n'étaient pas si rares, sont généralement réus
sis, l'épouse flamande par exemple, apportant un peu de plomb dans la cervelle de sa tête
de linotte de mari !
6. L'Anthologie cite comme le plus parfait des poètes wallons Henri Simon (p. 259). À
tout seigneur, tout honneur (pays de Liège) : à en juger par les poèmes qu'on nous présente
(p. 260-275), on en conviendra volontiers avec l'éditeur.
248 LES ÉTUDES CLASSIQUES
Si l'on peut définir la poésie avec le Père V. Poucel «une extase achevée par
les mots»7, c'est dans l'expression de sa vision mystérieuse que le poète trouve à
la fois son tourment et, selon les cas, sa réussite. Comment ne pas évoquer ici
Paul Valéry? Or, c'est à propos de ce dernier que le P. Poucel fait remarquer au
sujet du langage poétique ce qui suit. Après avoir cité le vers fameux de Racine :
la fille de Minos et de Pasiphaé (dont la moitié est d'ailleurs empruntée au grec),
il poursuit: «ces êtres sonores, modelés par la bouche antique, à l'image de
l'esprit, ont pris, en s'exerçant d'âge en âge sur les lèvres françaises un tour, une
allure dont le secret est demeuré entre nous. Ni Anglais, ni Espagnols ni qui que
ce soit d'étranger ne jouira jamais de certaines articulations qui nous sont mer
veilleusement propres ou s'ils essayent de les mettre en branle, le bourdon sera
faux, au lieu du menuet vous aurez la danse de l'ours.8»
C'est très bien noté, mais nous pouvons sans crainte appliquer cette remarque
au wallon. S'il est vrai, comme en conviendront tous ceux qui pratiquent le dia
lecte wallon, que certaines choses ne peuvent bien s'exprimer que par des voca
bles du cru, cela s'avère aussi pour la langue poétique.
Qui peut être insensible à ce rythme qui imite si bien la pluie battante, lanci
nante (2e verset), le gargouillis de la pluie dans les gouttières qui se déversent (5e
verset), et puis, après un silence qui fait espérer la fin du déluge, ce nouvel assaut
de pluie (6e verset)? Mais on admirera surtout l'image qui, mieux que tout, évo
que la violence de la pluie : personne sur les chemins pont d'tchèt su V voûye po
s'mète a V rimoûye (comme on laisse essorer dans les jardins le linge lessivé) et
enfin le «finale» qui évoque la scène d'apocalypse de nuages comparés à des
coursiers échevelés.
Même art et même réussite lorsqu'il évoque la bise, dans son poème «Toû-
bion » :
Oyoz bin Ion H bîje qui r'beûle
Corne l'angonîye d'on vîy aveûle? ...
Une grande partie des poèmes de Jean Guillaume est la fixation de souvenirs
d'enfance, la source principale, avec le premier amour, de l'inspiration d'un
poète, disait Conventry Patmore.
Comme elles sont bien évoquées — avec une tendresse qui émeut — les « Vîyès
mèskènes» qui aiment d'aller à une messe matinale:
10. Djusqu'au Solia, p. 32-33. « Huit jours d'affilée qu'il en tombe à pleins seaux ! Sans
cesser, sans lâcher, sans fin, depuis le matin jusqu'au matin. Pas de chat sur la route pour
se faire sécher. On ne voit plus que l'eau giclant des égouts. N'entendez-vous pas comme
ça gargouille dans les corniches, dans les gouttières? Et de temps en temps, comme un
pourboire, quelques louches d'une pluie plus drue qui déchire. Il y a tant de bourbier que
le cœur vous serre... Et nous regardons filer d'hallucinants nuages à l'aventure, comme
des cavales ensorcelées. »
11. Id., p. 63. Tourbillon. « Entendez-vous bien loin la bise qui beugle comme l'agonie
d'un vieil aveugle?... Bondis, souffle, saute, fonce, chaque an plus jeune, chaque an plus
fort ! »
250 LES ÉTUDES CLASSIQUES
Sitôt oubliées :
Crapus, crawieûs,
Tortos grigneûs...
Riwaitîz Vporcèssion d'misère
Qui s'amwinne an rûtiant 'nepriyére.
12. Id., p. 54-56. Vieilles servantes. «Boitant, vacillant, trébuchant, il y a tant et tant
d'années qu'elles vont là etrenner leur journée avant de travailler jusqu'au soir... Demain,
personne ne se souviendra plus de vous ; vous n'avez pas eu de dernier-né... Vous n'aurez
jamais été qu'une voisine qu'on faisait trimer dans la cuisine II n'y aura, pour suivre
votre cercueil, rien qu'une pauvre file de blanches servantes en manteau noir ; il n'y pas de
parents aux enterrements de huit heures et demie. Pas de larmes et pas de regret, et c'est
encore hasard si on demandera avant de rentrer — et de tourner la page : elle était âgée ? »
13. Id., p. 66-67. Mendiants. «Ecoutez geindre les corps noueux, corps de molasses,
corps d'innocents. Ils tendent leurs mains vers les bonnes gens en râlant si fort qu'ils
feraient trembler la mort... Rien qu'une pauvre chemise pour faire la guerre au froid;
qu'est-ce qu'ils deviennent tous les mendiants qu'on voit cingler par temps de bise?»
PLAIDOYER POUR UNE LITTÉRATURE WALLONNE 251
Waire di djins,
Sacants vijins,
Po roter pa-drî V cwâr,
Et po r'dîre,
A d's-oûtes qu'ayîr:
« Ça fait qu ' Bâtisse est mwârt. »14
Le mort qu'on emmène au cimetière, c'est comme un poireau qu'on repique
en terre et les vieux de se redire entre eux à propos du défunt : il s'est pourtant
bien défendu, mais finalement il y est passé comme tout le monde. Ainsi va la vie
toute simple, chez nous, à la campagne.
À l'occasion de la veillée, c'est la fuite des jours qui est évoquée. Minuit sonne, il
est temps de partir :
La-wai, vos-oûtes, qu 7 sone méyegnût !
I faut râler, vèssu, dins V bije.
— L'efant sokîye, ni fianspont d' brut;
Ça passe si rade, en 'don, lès chîjes...
14. Id., p. 30. R.I.P. « L'enterrement passe tranquillement à travers la campagne, pour
aller, d'un pas fatigué, repiquer le vieux cousin en terre. Guère de gens, quelques voisins,
pour marcher derrière le corps, et pour redire, à d'autres qu'hier : « ça fait que Baptiste est
mort. »
252 LES ÉTUDES CLASSIQUES
On m'a dit que certains refusaient une adhésion sans réserve à Jean Guillaume
parce que, étant religieux, il manquait une corde à sa lyre. Ce préjugé fera sou
rire tous ceux qui se sont voués à Dieu dans la vie religieuse. Comme si le poète,
pour chanter l'amour, devait l'avoir connu charnellement! Ce manque a-t-il
empêché Marie Noël, vieille fille toute sa vie, de chanter l'amour conjugal — son
15. Id., p. 45-46. Il gèle. «Chez nous, les paysans veillent pour raconter des histoires,
pour causer avec Pierre ou Jean, ou faire parfois une partie de cartes. On a peiné dix heu
res au long en se réjouissant d'être au soir pour entendre les rires, les chansons qui réjouis
sent comme une flambée. Voilà-t-il pas qu'il sonne minuit ! Il faut retourner, hâves, dans
la bise. — L'enfant dort, ne faisons pas de bruit ; ça passe si vite, hein, les soirs... Ça passe
si vite, hein, les jours, hein qu'elle est partie, notre vie? Ça vient si vite, hein, les deuils,
hein que la petite était gentille ? »
16. Id., p. 57. Soirée. « Partons d'ici ! On entend souffler la bise qui remue des cendres
dans notre foyer. Mine de rien, devant le miroir pourquoi regardez-vous votre tête toute
grise ? »
17. Anthologie de la Littérature wallonne, p. 594-595, n° 252. L'heure. «Dire que cela
passe à travers nos poings et qu'on ne sait jamais la retrouver à son aise, comme un cor
beau qui mange dans la dépouille d'une brebis crevée. C'était pourtant cela, mon fils,
vivre; c'était laisser l'heure faire à son gré; c'était, en se détournant sur le côté, brouetter
son cœur dans celui des autres. »
PLAIDOYER POUR UNE LITTÉRATURE WALLONNE 253
C'est d'avoir élevé des enfants, d'avoir vu naître les petits-enfants et la grâce
d'avoir un fils prêtre:
Nosse boneûr, c'est qu' nos ratindans
Di r'çûre èchone dins sacant mwès,
Foû de l'poûve mwin di noste èfant,
Nosse frumint tourné à bon Diè.18
II y en a bien d'autres : faut-il rappeler cette touche si légère du poème : « I dis
cret» où l'époux s'émeut à l'approche de l'épouse vieillissante que les ans appe
santissent :
Corne vos-èstoz taurdeuwe audjoûrdu...
Qu'est-ce qui vos fait drâner? Lès deûs sayas plins ou lès-ans ?
Vos rapèloz dèl pitite blanke cinse catchîye dizos lès saus
Au d'dilong do ri?
18. Grègnes d'Awous', p. 10. Notre bonheur. «Notre bonheur, on n'a pas cherché à
l'étouffer dans les beaux mots. Les mièvreries, les «je t'aime bien», c'est pour ceux qui
ont du temps de trop... Notre bonheur, ce fut toute la ferme, les juments, les poules dans
la cuisine, le tombereau sous le noyer, les semences, Siméon qui fourche le fumier... Notre
bonheur, c'est que nous attendons de recevoir ensemble dans quelques mois, de la pauvre
main de notre enfant, notre froment changé en bon Dieu.»
19. Djusqu'au Solia, p. 47. La fin.
20. Id., p. 48. Elle.
254 LES ÉTUDES CLASSIQUES
21. Anthologie, p. 590, n° 245. « J'ai laissé tomber mon cœur d'enfant sur le pavé. Des
éclaboussures dans mes mains. Vingt ans. Un autel... Et j'ai tout fourré dans le creux
d'un vieux chêne: jeunesse, morceaux... Il faut bien qu'on marche sur ses peines. Il me
semble pourtant qu'il me plairait d'aller voir s'il ne coule pas quelques gouttes de mon
sang dans les feuilles.» (Poèmes wallons, 1948, p. 37).
22. «Que serons-nous quand nous nous reverrons? Quelqu'un, quelque chose peut-
être. On se tasse jusqu'à ce qu'on se réveille, tas de terre qui veut faire la taupe. Parce
qu'elles, du plus profond de la terre, quand c'est leur envie, elles viennent dehors, pour
vivre, vivre à satiété, avant de retourner chez les vers. Que vous avez été lente à venir et
plus vite partie que la jeunesse...»
PLAIDOYER POUR UNE LITTÉRATURE WALLONNE 255
Ce poème qui me fait songer à Francis Jammes «ce qui n'est plus cela que
nous avons été» (one saqwè quét'fîye), son image de la taupe et son final mysté
rieux se passe de tout commentaire.
Cet art des «correspondances» ou cette unité mystique entre tous les êtres
qu'un même destin réunit, J. Guillaume en use avec une familiarité, un sens de
l'authenticité qui fait de lui un vrai poète du terroir. La vision de J. Guillaume,
c'est cette découverte des réalités dernières dans le quotidien, le terre-à-terre. Il
nous les décrit et puis, tout à coup, c'est le coup d'archet du violoniste qui fait
vibrer la note transportant notre cœur dans le royaume de la poésie.
Qu'y a-t-il de commun entre une brouette et le don de soi? Mais le poète, fils
de fermier, a vu le rapport et la vie lui sera de « Bèrwèter s' cœur dins F cia dès-
oûtes». Que dire alors de cette comparaison audacieuse qui achève le beau
poème «Nosse boneûr»: cette transmutation du froment en eucharistie, comme
on tire le beurre ou le fromage du lait dans la baratte : « nosse frumint tourné
(qu'on note le terme) à bon Diè».
Pour moi, si Marie Noël s'est bien décrite elle-même comme «cette voix de
rossignol dans la nuit close», J. Guillaume évoque l'alouette de mai: comme
elle, il part du sol, du terre-à-terre et puis, d'un coup d'aile, le voilà dans les hau
teurs, joignant le quotidien aux réalités d'en haut. Par là, il rejoint ce que j'ose
rais appeler le regard de Dieu sur les choses qui voit, en elles, comme le poète,
selon Victor Hugo «tout ce qu'il y a d'intime dans tout». C'est bien pourquoi la
vraie poésie est religieuse.
Comme l'a bien dit un autre poète — jésuite et namurois lui aussi — le Père
Hanozin, à propos de Victor Hugo: «l'objet qu'il touche en cette minute
d'infini, c'est Dieu atteint à travers le sensible... après être entrée dans l'homme
sans y être invitée, la poésie le mène au point où transparaît Dieu »23.
Le dialecte wallon, lui non plus n'est pas un instrument inapte pour suggérer
ce lyrisme qui est le plus malaisé à exprimer en paroles. Il n'est que de citer les
derniers poèmes de «Djusqu'au Solia». Ce sont des poèines où l'orphelin
retrouve la tendresse d'une mère trop tôt disparue auprès d'un Dieu qui s'est fait
notre compagnon ici-bas : « Mi p'tit »
Mon Diè, nos vikerans
Onk astok di Voûte.
Dji sèrè l'èfant
Qui r'waite et qui chou te.
Vos sèroz /'bon Diè
Qui mostère si cœur
Et qu'adouve ses brès
Po qui m ' tièsse îd'meure.
Quand dj 'ènn 'ârè m ' soû
Dj'ènn'îrè qwai 'ne bauje,
23. «L'aventure poétique de Victor Hugo», dans Les Études Classiques, 1935, p. 600,
609.
256 LES ÉTUDES CLASSIQUES
«Djwè»
24. Djusqu'au Solia, p. 113. Mon petit. «Mon Dieu, nous vivrons l'un tout près de
l'autre. Je serai l'enfant qui regarde et qui écoute. Vous serez le bon Dieu qui montre son
cœur et qui ouvre les bras pour que ma tête y demeure. Quand je serai las, j'irai chercher
un baiser, m'étendre sur vos genoux pour sommeiller à l'aise. Et vous demanderez s'il est
difficile aux petits agneaux de supporter la vie... »
25. Id., p. 117. Première rencontre. « Et je serai devant vous, devant vos yeux, et vous
me regarderez au bout de mon sillon. Et tout me semblera si doux que je ne voudrais plus
qu'on recommence à jeter des semences pour de nouveaux jours. Et je ne ferai plus que
fermer les yeux pour mieux vous voir. »
26. Id., p. 118. Joie. « Je ne chanterai pas mais je joindrai les mains. Je ne vous verrai
pas, mais je sentirai votre main près de moi, contre moi. Et, tout au fond de moi, vous. »
27. Jean Lechanteur, «La poésie wallonne au XXe siècle», dans La Wallonie. Le pays
et les Hommes, tome III, 1979, p. 204.
PLAIDOYER POUR UNE LITTÉRATURE WALLONNE 257
on cherchera à découvrir son inspiration chez des modèles français qu'il connaît
bien, puisqu'il enseigne la littérature française depuis des années. On peut déce
ler l'influence du grand poète belge symboliste, le Charles van Lerberge des
« Entrevisions » (beau sujet de thèse), la candeur d'un Francis Jammes, le sens de
la nature d'un Henri de Régnier qui, lui aussi, sut «d'un petit roseau faire chan
ter toute la forêt», auquel on ajoutera paradoxalement le sens artistique d'un
Paul Valéry.
On n'a ici que faire de modèles. Jean Guillaume est un poète de chez nous, qui
a su chanter l'âme de notre peuple avec son tempérament propre, fait de réserve
et de cette tendresse discrète que lui ont donné les hasards de la naissance.
Sortent de presse
H. COLSON
Corrigé de l'ouvrage:
10 LEÇONS DE STÉNO
EN AUDIO-VISUEL
A. WANKENNE
COMMUNICATION
Sortent de presse
J. VANDERAUWERA
Docteur en Sciences Chimiques
CHIMIE
à l'usage de l'Enseignement Rénové
Avant-propos de
Ch. NEPPER
b) Dix manipulations
(3e série)
Déjà disponibles
CHIMIE
Cette recherche est rendue particulièrement difficile par la pauvreté des documents,
auxquels on ne peut souvent accéder que par citation interposée. À cela s'ajoute l'éternelle
difficulté de préciser quelle intention politique une œuvre historique peut poursuivre ; car,
dans la communication entre les deux subjectivités, celle de l'écrivain et celle du lecteur,
les parasites et les interférences ne sont pas rares. Passant en revue les historiens de cette
période, M. Rosen nous aide à comprendre leurs buts politiques, même s'ils sont bien dis
simulés.
La première élégie de Solon, qui s'ouvre par la prière aux Muses, pose un certain nom
bre de questions : le rôle de cette prière dans l'œuvre (simple formule épique ou davan
tage?), sa relation à la partie essentielle de l'élégie, l'intention profonde de Sophocle
(s'adresse-t-il à lui-même ou plutôt à ses concitoyens?), la signification politique de ce
texte. Car, conclura Fauteur, Solon a mis la forme poétique au service de ses visées politi
ques, et substitué le chant au discours; il a attiré les Muses dans son parti.
Diodotos, prenant la parole pour infléchir le destin des habitants de Mytilène, émet des
considérations sur l'imposture et le mensonge, nécessaires si l'orateur veut convaincre
l'assemblée. Cette position n'est pas uniquement celle de Diodotos ; c'est une vérité d'épo
que que Thucydide se plaît à souligner, pour la période qui suit la disparition de Périclès.
Alors que ce dernier pouvait tenir tête au peuple, les orateurs qui lui succèdent se voient
forcés de suivre le peuple dans ses inclinations. Aussi la duperie devient-elle l'arme indis
pensable de l'orateur qui veut conseiller des mesures impopulaires.
Quintilien (10, 1, 87) porte sur Lucrèce un jugement assez peu favorable. Mais il ne
s'agit pas, en l'occurrence, d'une condamnation globale et sans appel du poète. C'est sur
tout le pédagogue qui parle ; il pense aux conséquences possibles de la fréquentation de
Lucrèce, pour un jeune dont le style n'a pas encore atteint sa maturité.
262 LES ÉTUDES CLASSIQUES
Une anecdote sert souvent d'illustration de la dureté Spartiate. Une mère tend un bou
clier à son fils qui part à la guerre et elle lui dit : « Reviens avec lui ou sur lui. » M. Ham-
mond étudie les différentes versions de cet exemplum, pour en déterminer la portée exacte.
D'abord considéré comme une simple transition entre les aventures à Carthage et la des
cente aux Enfers, le Ve chant de VEnéide est plus que cela : il constitue une véritable char
nière entre le passé et le futur. Par de nombreux procédés, ici mis en évidence, le Ve chant
résume le chemin déjà parcouru par Énée et annonce le chemin à venir.
En composant ses tragédies, Sénèque le pédagogue n'obéissait pas seulement à des moti
vations littéraires. N'oublions pas le nom ni les goûts de son élève ; Néron aimait la poésie
et le drame. Le drame servira donc de véhicule à une instruction, qui, dans le cas de VHer
cules Furens, se voudra surtout politique : comment devenir un souverain bienveillant et
éclairé.
Nés dans le dernier quart du VIe siècle, ces deux poètes manifestent avec une netteté par
ticulière l'évolution du sentiment religieux en une période clef. La présente communica
tion vise à illustrer le double aspect, traditionaliste et novateur, de la religion, chez Pin
dare et chez Eschyle ; l'intérêt est centré sur deux points précis : la prière et l'influence des
grands courants contemporains sur les croyances traditionnelles.
François-Xavier DRUET
On pourrait penser que les tragédies de Sénèque, emphatiques et bizarres, n'ont rien à
voir avec les événements du temps. Et pourtant on reconnaît des personnalités impériales à
travers les scènes de ces drames. Tibère est aperçu dans la trame de Thyeste; Caligula à
partir d'OEdipe. L'Hercule furieux nous ramène à Tibère ; mais VHercule sur l'OEta
exprime un espoir, procuré par l'avènement de Néron. Pour les pièces dont il s'agit ici, il y
aurait même des éléments de datation qu'on découvrirait dans de telles allusions aux réali
tés de l'époque claudienne. — A. W.
Ces pages du professeur L. Havas éclairent les projets de Catilina ou de son adversaire
résolu, Cicéron. D'abord l'élection consulaire de 66 av. J.-C. : Catilina se proposa comme
candidat, mais il fut exclu des élections. Puis l'auteur examine le mécanisme du procès
contre Rabirius. Cicéron agit en personne, pour défendre la légalité du Senatus consultum
ultimum, qui datait déjà de 40 ans. On peut douter de l'intervention de César dans cette
affaire. La rogatio Servilia était un projet de loi agraire, émanant du tribun de la plèbe
Rullus (64 av. J.-C). Il aurait favorisé une évolution nécessaire de l'agriculture et des
grands domaines. Catilina le soutenait. Mais Cicéron, comme on s'y attend, se montrait
contraire à cette sorte de changement. Une fois de plus, on aperçoit la difficulté de juger
équitablement les idées politiques de Cicéron. Enfin des aspects particulièrement lugubres
de la conjuration fomentée par Catilina, des rites sanglants sont évoqués par Cicéron.
Sans admettre une immolation proprement dite, on serait amené à croire que certaines
pratiques inhumaines, héritées des Etrusques et des Celtes et apparentées au culte de Mâ-
Bellona, auraient servi la propagande des révoltés. — A. W.
Une nouvelle revue hongroise est née. Du beau nom d'Homonoia, Concorde, elle rap
pelle une autre revue de l'Est, Eirene de Prague, et s'attache aux trois grand «moments»
de la langue grecque: l'Antiquité, Byzance, l'époque moderne (une minorité de Hongrois
est de race grecque). Les articles sont rédigés en anglais, allemand, italien et grec et concer
nent aussi bien la littérature (les personnages dans VÉlectre d'Euripide) que l'histoire (le
roi Ladislaus et Byzance), l'art (représentation dionysiaque dans la peinture byzantine),
l'histoire des sciences... Des comptes rendus terminent le fascicule. — B. STENUIT
REVUE DES LIVRES
CULTURE GÉNÉRALE
John STEVENS, Music and Poetry in the Early Tudor Court (Cambridge Stu-
dies in Music), 496 p., Cambridge University Press, 1979, 5,95 £.
Ce livre a pour objet la vie musicale à la Cour d'Angleterre entre 1480 et 1530, ce qui
correspond à peu près aux règnes d'Henry VII et Henry VIII. Il nous reste de ce temps 3
manuscrits : à côté de ceux qui contiennent des mélodies d'origine et de style populaire, il
en est un qui appartint à Henry VIII et dont il composa ou compléta lui-même des poly
phonies en contrepoint à 3 voix. Mais on a en outre beaucoup de poèmes, dont la plupart
étaient peut-être mis en musique. Ce sont des cantiques religieux (Noëls, hymnes de la Pas
sion), mais surtout des airs joyeux à danser en rond (carols) ou des strophes courtoises
(lyrics). Quelle évocation vivante de cette noblesse, occupée à plaire et à séduire, prodi
guant danses et chansons, jusqu'à organiser des «cours d'amour» avec juges, avocats et
débats. Mêlés à tout ce monde, des professionnels, strictement hiérarchisés, qui savent
composer ou du moins lire, copier, chanter, jouer d'un instrument. Mais qu'on ne cherche
pas, entre le M.A. et les temps modernes, un rapport entre le chant et les paroles dont il
serait l'expression : les mots ne sont que remplissage ou point d'appui pour la musique ;
leur rôle expressif ne date, en musique sacrée, que de la Réforme, et c'est un anachronisme
de le chercher plus tôt. Un chapitre traite des ensembles instrumentaux qu'on entend à
l'occasion : cuivres surtout pour les solennités, défilés, tournois, banquets, mais encore
flûtes, hautbois et violes. L'auteur s'entend à merveille à faire vivre ces vieux manuscrits
en reconstituant patiemment leur décor et tout ce monde dont le chant fut, avec la danse et
les continuelles intrigues galantes ou politiques, le passe-temps favori et capiteux.
J. LEGRAND
MOZART, Don Juan (L'Avant-Scène-Opéra, n° 24), 218 p., avec ill. cou
leurs, Paris, 27 rue St-André-des-Arts, 1979, 38 FF.
Benvenuto Cellini est le premier opéra composé par Berlioz pour l'Opéra de Paris en
1838. Qu'on ne s'attende pas à trouver dans cette brochure un commentaire détaillé du
livret et de la partition. Un seul chapitre y est consacré, sous le titre : « Un opéra romanti
que» (91-118). Tout le reste s'ingénie à souligner le parallélisme entre les situations et les
caractères des 2 artistes: Benvenuto Cellini (1500-1571), à Florence et à Rome, en pleine
Renaissance, et Hector Berlioz (1803-1869), en France, en plein Romantisme. Orfèvre et
sculpteur, Cellini se révolte d'abord contre son père, puis contre sa patrie, comme le fera
Berlioz de son côté; et ce qui contribua à fixer le choix de ce dernier, c'est la conscience
266 LES ÉTUDES CLASSIQUES
qu'il prit de leur identification commune à un mythe universel, celui du génie incompris et
persécuté, sacrifiant tout plutôt que de trahir l'appel de son idéal, Cellini pour fondre son
Persée, Berlioz pour écrire et faire exécuter son opéra, en surmontant le manque de
moyens financiers et la médiocrité du public. Ces pages sont bien pensées et bien charpen
tées, et les rapprochements n'on rien de forcé: les «mémoires» que tous deux nous ont
laissés en font foi. Mais l'analyse musicale paraît un peu confuse au lecteur qui ne connaît
encore rien de l'intrigue, car le livret ne lui sera communiqué qu'en appendice, en petit
texte (141-173) ; cette action, d'ailleurs, compliquée d'une histoire d'amour, inventée pour
suivre la mode, manque de véritable mouvement ; mais l'étude de la partition a le grand
mérite de faire entrevoir clairement ce que la musique apporte en fait d'innovations génia
les, tant pour l'orchestration que pour la variété du rythme. — J. LEGRAND
D'un bout à l'autre, le contenu de ce fascicule est riche et captivant. La pièce centrale, à
savoir le commentaire littéraire et musical (24-58), suffirait à le recommander, car le style
vigoureux, imagé, vibrant, et le sens dramatique autant que lyrique de H. Barraud ne ces
sent d'émouvoir ou d'enchanter. Le texte comme la partition sont magistralement para
phrasés et soulignés. On regrette vraiment de se borner à une appréciation aussi som
maire : il faut lire cette étude pour en admirer l'allure superbe. Les réflexions de D. Cairns
et de P. Reliquet se rejoignent pour illustrer la conception psychologique et morale qui ins
pire le fond du chef-d'œuvre, plus intégralement pessimiste chez Berlioz que chez Goethe
lui-même: ce «mal d'isolement», l'enfer intérieur, qui est, jusqu'à la fin, par sa négation
radicale, au cœur du drame. Les problèmes de mise en scène sont clairement évoqués :
comment réaliser une transformation scénique unifiée qui relie, comme la musique, ces
tableaux successifs? Comment grouper — en tryptique (61) ou autrement? — sans réduire
l'ensemble à un poème symphonique par élimination du spectacle qu'il exige? Que de
réflexions judicieuses à ce sujet, et qui donnent à penser ! Ajoutons encore que, selon son
habitude, VAvant-Scène a multiplié ici les illustrations, tantôt charmeuses et d'une intense
poésie, tantôt saisissantes et d'une rudesse brutale. Cet art n'est-il pas d'un goût plus raf
finé que la réalisation actuelle du ballet de Béjart intitulé «notreFaust»? Voyez le com
mentaire qu'en fait Béjart lui-même en fin de livraison (90-105). — J. LEGRAND
À peu près au même moment, Bartok en Hongrie, Janacek en Bohême, Sibelius en Fin
lande, Vaughan Williams en Angleterre, et Falla en Espagne, ont été chacun pour leur
pays l'auteur d'une renaissance musicale. Pour l'Espagne il s'agissait de remonter à son
268 LES ÉTUDES CLASSIQUES
prestigieux XVIe siècle et à Victoria, et de faire la synthèse des deux régions qui font la
péninsule, Castille et Andalousie, et des traits dominants qui caractérisent l'Espagnol,
grandeur, fierté et passion, mais aussi nostalgie, mystère et gaieté humoristique. Telles
étaient d'ailleurs les composantes du caractère de Falla lui-même : ferme et sévère dans sa
foi comme dans son art, mais réprimant l'ardeur de ses sentiments, M. de Falla
(1876-1946) compose difficilement. D'autres sont plus séduisants, comme Albeniz et Gra-
nados, mais leur pittoresque donne prise à la vulgarisation facile. Sous les dehors cha
toyants qui aguichent le touriste et passent pour du folklore authentique, Falla recherche
le fond national là où il rejoint à sa façon l'universel. Faut-il rappeler qu'après un essai
prématuré d'opéra, La Vie brève, il composa VAmour sorcier, le Tricorne et les Nuits dans
les jardins d'Espagne, et plus tard l'opéra-miniature El Retablo de Maese Pedro, moins
coloré, mais où l'on voit à quel point il est précieux de bien parler sa langue pour la faire
bien chanter, et pour finir le Concerto pour clavecin. Rarement on trouvera, dans un
volume aussi modeste, une telle richesse de réflexion, qui fait penser et qui fait voir, en
multipliant les rapprochements et les variations sur certains thèmes essentiels.
J. LEGRAND
Eight Urban Musical Cultures. Tradition and Change. Ed. Bruno Nettl, VIII-
320 p., University of Illinois Press, 1978, rel., 10,50 $.
Anthologie originale, car elle peut être mise à profit en plusieurs sens ou à plusieurs
fins : ou bien au service du professeur de français, là où il ferait volontiers entendre un dis
que en rapport éventuel avec la page de littérature dont il parle ; ou bien c'est le professeur
de musique, inversement, qui, à propos d'une audition, voudrait citer un texte pour mon
trer p. ex. comment concevoir l'analyse littéraire d'une pièce musicale. Outre ces deux cas,
d'ailleurs, tout amateur peut trouver plaisir ou intérêt à en faire usage pour enrichir ses
connaissances. Toutes les citations ici reproduites sont rangées sous les 4 rubriques suivan
tes: «des textes de poètes et romanciers inspirés par la musique; des pages de théoriciens
de la musique, essayistes et critiques; des textes de musiciens, sur eux-mêmes et leurs
œuvres ; enfin des textes se rapportant aux problèmes de notre temps » (7), comme l'évolu
tion du langage musical, la musique électronique ou la musique concrète, jazz, «pop» et
« folk », musique enregistrée et musique de film. Rapide énumération qui dit assez l'utilité
et l'agrément de cette petite brochure. — J. LEGRAND
REVUE DES LIVRES 269
Une synthèse équilibrée de ce que devrait être la rhétorique judiciaire est présentée par
P. Maurice-Garçon. En quelques pages pleines d'humanité, J. Ramin montre les particu
larités de la rhétorique du P.D.G. La conclusion de M. Fumaroli, esquissant un résumé de
l'histoire de la rhétorique, compare celle-ci tour à tour à Protée et à Prométhée. La biblio
graphie établie par R. Chevallier aidera le lecteur désireux de développer un intérêt nou
veau et revivifié par le présent volume. — B. STENUIT
La Collection Bilingue de chez Aubier nous aide à connaître des œuvres ou des auteurs
moins souvent lus du grand public. Les quatre nouvelles de Lope de Vega, écrites au début
du XVIIe s., révèlent l'imagination débridée, le mélange étonnant de prose et de poésie, de
roman de chevalerie, de conte à l'italienne, de digression, de coq-à-Fâne de ce prolifique
écrivain.
Stifter fit paraître en 1842 «Die Narrenburg», qui raconte la visite fantastique des rui
nes de ce château par le jeune Heinrich et, à travers une histoire d'amour, dévoile le destin
du jeune homme.
«Zalacain el aventurero, paru en 1909, est l'histoire d'un contrebandier basque, depuis
son enfance jusqu'à sa mort dans la guerre carliste; les faits historiques sont mêlés à une
action romanesque, d'aventures et d'amour.
Irving, né à New York en 1783, est un des premiers écrivains américains reconnus. «Rip
Van Winkle » : un homme simple et paresseux, houspillé par sa femme ; Herman Melville y
voyait une parabole sur la place sociale de l'artiste, considéré comme un rêveur improduc
tif, un parasite. «L'aventure de l'étudiant allemand», comparable aux contes macabres
du romantisme allemand, est l'histoire d'une femme au collier noir, dont la tête se déta
che. « Le gouverneur des Sept Cités » raconte les aventures de Don Fernando dans l'île
mystérieuse qui donne son nom au titre. — B. STENUIT
Nous avons, dans les Études Classiques de juillet 1979, rendu hommage à madame
Françoise Lioure pour la conscience remarquable avec laquelle elle avait dépouillé et
annoté le premier tome de la correspondance Larbaud-Ray qui s'étendait de 1899 à 1909.
Le même éloge doit être redit pour le tome II qui couvre les années 1910-1920.
On voit mûrir l'amitié de ces deux jeunes Français qui, après vingt ans d'intimité intel
lectuelle, ne parviennent toujours pas à se tutoyer. Larbaud reste paralysé par le climat
familial bourgeois, spécialement par sa mère qui le couve et qui tantôt essaie de lui trouver
une fille bien dotée et tantôt entrave les velléités sentimentales de son fils. C'est seulement
à l'âge de 38 ans que Larbaud commencera à prendre ses distances vis-à-vis de cette mère
un peu abusive.
Mais l'intérêt de cette correspondance déborde le cadre de l'amitié Larbaud-Ray. On
appréciera spécialement les pages relatives à des amis communs qui débutaient alors dans
les lettres et étaient donc inconnus: Jean Giraudoux, à qui Ray promet, en 1911, un bel
avenir, et Saint-Léger-Léger, qui deviendra Saint-John-Perse et pour qui Valéry Larbaud
prévoit la gloire dans cent ans. C'est quelqu'un d'aussi grand et d'aussi prodigieux que
REVUE DES LIVRES 271
Rimbaud, écrit-il en 1911. Ces mêmes échanges de vues nous permettent de voir sous un
jour moins connu des écrivains comme Francis Jammes et Paul Claudel.
À travers les pérégrinations de Ray, ballotté d'un poste de professeur à un autre, nous
pénétrons dans le monde universitaire français d'avant 1914, avec ses grandeurs, mais
aussi ses misères et ses mesquineries. Cette correspondance nous permet également de tou
cher concrètement un phénomène historique bien connu : l'importance des revues littérai
res françaises pendant les premières décennies de notre siècle : chaque numéro de la Nou
velle Revue française, du Mercure de France et de la Phalange était attendu avec impa
tience et comme un événement. Depuis lors, les deux dernières ont sombré, corps et biens,
tandis que la première n'a pas gardé sa vocation. On ne peut que le regretter et souhaiter la
naissance prochaine d'un nouveau périodique qui prendrait, enfin, la place laissée vacante
depuis trop longtemps. — A. DULIÈRE.
GREC ET LATIN
Après Reading Greek (1978), manuel d'initiation à la langue, destiné aux «grands débu
tants» dont on a grand souci depuis quelques années, le J.A.C.T. (Joint Association of
Classical Teachers' Greek Course) propose dans le présent volume l'étude de trois auteurs,
Homère, Hérodote et Sophocle. Après une courte introduction, l'extrait, toujours long de
quelques pages, est situé dans son contexte ; un extrait supplémentaire (Target passage) est
donné. Les A. ont choisi les passages les plus beaux et les plus représentatifs : Achille et
Hector, la mort d'Hector, Hector et Andromaque; les coutumes des Perses, Xerxès à
Abydos, la bataille des Thermopyles; Œdipe-Roi (300-862 et 950-fin, passim). Le texte
grec est accompagné de son vocabulaire; il n'y a aucun commentaire. Les illustrations
sont particulièrement bien choisies. — B. STENUIT
M.L. WEST, Hesiod. Works and Days. Ed., with Proiegomena and Com-
mentary, XIII-399 p., Oxford, Clarendon Pr., 1978, 15 £.
La présentation de cet ouvrage est semblable à celle de la Théogonie (v. LEC, 1967, p.
199-200), à laquelle l'A. renvoie souvent, par exemple pour éviter les redites sur la langue,
le style et la métrique. L'A. n'a pas modifié sa conviction, exprimée dans le précédent
ouvrage, selon laquelle l'Iliade et l'Odyssée, dans leur forme actuelle, sont post-
hésiodiques. L'Introduction décrit le genre littéraire dont relèvent les Travaux dans les lit
tératures anciennes (« wisdom literature») avant de s'attacher à Hésiode lui-même ; la tra
dition manuscrite est minutieusement étudiée; le texte repose sur une connaissance de
presque tous les mss et papyrus; pour alléger un apparat critique, qui reste long, l'A. use
d'abréviations nouvelles, auxquelles il faut s'habituer. Le commentaire est très développé
et aborde le texte sous différents points de vue : établissement du texte, langue, interpréta
tion, etc. Les index complètent cet ouvrage de référence. — B. STENUIT
C'est avec plaisir que nous avons présenté il y a peu les quatre premiers volumes de tra
ductions portugaises de textes classiques (LEC, 1980, p. 84-85). Voici deux nouveaux
livres consacrés à l'Œdipe-Roi de Sophocle et à l'Hippolyte d'Euripide, bien dignes de
272 LES ÉTUDES CLASSIQUES
relancer l'étude des auteurs anciens en un pays dont le redressement paraît s'amorcer. Le
«Centre d'études classiques et humanistes» de l'Université de Coimbra exerce une action
éminemment positive en présentant au grand public des chefs-d'œuvre. On retrouve les
caractéristiques des livraisons précédentes: introduction plus ou moins longue, mais
vivante, tournée vers l'essentiel; traduction portugaise, sur base des meilleures éditions
critiques; notes et bibliographie. — B. STENUIT
La Collection «The Greek Tragedy in new translations» compte déjà plusieurs volumes
des trente-trois prévus et se signale par l'originalité de sa conception. Le travail a été con
fié à des poètes devenus traducteurs, parce qu'eux-mêmes étaient philologues classiques
ou qu'ils avaient collaboré avec un spécialiste — ce qui est déjà un tour de force quand on
songe à l'abîme qui peut séparer deux traducteurs ! C'est la réunion de deux compétences
très différentes, le désir de réaliser une traduction tout à la fois belle et fidèle ; à cet égard,
certains philologues ont viré au scepticisme le plus complet. Le directeur de cette collec
tion, W. ARROWSMITH, a veillé à son unité; chaque volume contient une introduction
d'une dizaine de pages, la traduction (accompagnée d'indications scéniques en italique)
etdes notes sur quelques passages. Puissent ces volumes, dignes d'un haut intérêt, susciter
des frères français, allemands, italiens... — B. STENUIT
The Bacchae of Euripides. Ed. G.S. Kirk, VII-141 p., 13,5 x 20,5, Cam
bridge University Press, 1979, 2.35 £.
De l'attachante petite localité sicilienne de Cefalù nous parviennent deux livres bien
intéressants. Si l'on considère l'unité idéale de la poésie, de la musique et de la danse dans
la tragédie, on doit admettre que notre étude du drame antique est bien incomplète ; nous
possédons le texte, mais que savons-nous de la danse et surtout de la musique? Certains
refusent dès lors de s'occuper d'autre chose que du texte. Or les musicographes anciens
fournissent des données générales, sur la structure mélodique et rythmique de la musique,
sa fonction éducative, son pouvoir émotif. Il faut ajouter des témoignages dispersés sur les
qualités musicales des grands auteurs tragiques et comiques. Certaines reconstructions
deviennent possibles ; elles paraissent obscures parce que cette musique obéit à d'autres
lois que celles de la musique actuelle. L'A. tâche ainsi de préciser ce qui était récité,
déclamé avec accompagnement de flûte et proprement chanté ; les instruments de musique ;
REVUE DES LIVRES 273
Polémon, troisième scholarque de l'Académie, n'avait pas encore d'édition de ses frag
ments ; d'ailleurs seuls quelques scholarques ont été édités : Speusippe et Xénocrate qui
précédèrent notre auteur, Carnéade. Il n'existe pas d'édition complète des textes de l'Aca
démie, de Scuola di Platone que semble projeter M. Gigante, comparable aux dix fascicu
les, contenant aussi un commentaire, de Die Schule des Aristoteles de F. WEHRLI (Bâle,
1944-1959). L'A. a écarté la distinction entre les fragments et les testimonia, jugée trop
ténue; il aboutit ainsi à 138 fragments. — B. STENUIT
Alors qu'aujourd'hui encore, la plupart des études sur Ennius traitent de l'établisse
ment du texte ou d'une œuvre particulière, l'ouvrage de Lenchantin de Gubernatis offrait
une synthèse sûre, bien au courant des recherches, prudente (trop, selon PIOVANO, dans
BFC, 24 [1917], p. 209-210); il ne négligeait pas les œuvres mineures, qu'on a tendance à
étudier à part. Bref, ce livre, que l'on cite toujours, méritait l'admirable réimpression qui
sort de presse. — B. STENUIT
274 LES ÉTUDES CLASSIQUES
L.A. HOLLAND, Lucretius and the Transpadanes, IX-158 p., 14,5 x 22,
Princeton Univ. Pr., 1979.
Ses collègues et amis ont choisi de rassembler en un volume des études sur Catulle, que
Zicàri étudia plus spécialement ; on trouve dix-huit articles sur la tradition du texte, son
établissement (l'A. émit des conjectures), l'exégèse, la prosodie et la métrique. Viennent
alors quelques comptes rendus. La présentation est parfaite et honore la mémoire du dis
paru. De rares additions ont été rédigées par les éditeurs. — B. STENUIT
Andrée THILL, Alter ab Mo. Recherches sur l'imitation dans la poésie per
sonnelle à l'époque Augustéenne (Coll. d'Ét. Anciennes), XII-546 p., Paris, Les
Belles Lettres, 1979, rel., 152 FF.
Sous un titre emprunté aux Bucoliques, l'auteur s'attache à un grand et vieux problème.
Elle le restreint cependant à l'époque augustéenne et à la poésie personnelle ou lyrique.
Nous allons donc à sa suite relire et commenter Virgile, Horace, Ovide, Properce et quel
ques epyllia. Mais l'Enéide intervient peu dans ces pages. Elles considèrent l'imitation
d'abord dans la foule des exemples, puis sous un aspect théorique.
Virgile, dans son premier poème, s'inspire de Théocrite. Horace se souvient d'Alcée et
de Sappho, de Pindare et de Callimaque. Properce imite Catulle et Ovide à son tour riva
lise avec Properce. L'imitation qui, chez les Latins s'appelle contaminatio, prend volon
tiers la forme d'un concours. J. Heurgon, cité par le présent volume, n'a-t-il pas écrit:
« Les littératures anciennes peuvent se considérer comme un grand chant amébée entre les
générations.»
Nous retirons maintes leçons de notre lecture. D'abord nous avons eu raison naguère
d'estimer les ouvrages d'A.-M. Guillemin et de M. Desport. Il en est fait ici grand cas.
Depuis lors, d'autres illustres Virgiliens se sont signalés aux amateurs de la littérature anti
que. Celle-ci trouve encore une clientèle fervente. Nous retenons aussi des comparaisons
précises et prolongées entre un modèle et sa génération. Les «Thalysies» de Théocrite
renaissent dans Virgile, mais de façon plutôt éparse. Certaine phrase souligne heureuse
ment le rôle de la civilisation romaine, qui a permis et créé le passage entre la Grèce et
l'Europe médiévale. Insistons enfin sur l'importance, voire la nécessité de l'imitation. De
276 LES ÉTUDES CLASSIQUES
nos jours, on tend à une spontanéité prématurée. On prétend apercevoir du génie dans les
dessins peu élaborés des enfants. Que de talents indubitables se sont formés longuement à
l'école des maîtres antérieurs ! Songeons à Virgile et à Homère, à Dante et à Virgile, à
Rubens et à son voyage en Italie. — A. WANKENNE
Il existe une longue tradition sur les rapports de Sénèque et des premiers chrétiens. Les
Pères de l'Église tendaient à fraterniser avec l'élite du paganisme. Edimus protectorem:
«nous revendiquons un protecteur», s'écriait Tertullien en parlant de Marc-Aurèle. On a
forgé semblablement une correspondance entre saint Paul et l'illustre stoïcien que fit périr
Néron. M. L. Herrmann, dans son dernier ouvrage de la collection Latomus, ne croit pas
à l'authenticité de ces lettres. Par contre, il attribue à Sénèque des connaissances assez pré
cises du christianisme naissant. Les sentiments du philosophe à l'égard de la religion nou
velle auraient varié, un peu d'après la façon dont les empereurs le traitaient lui-même.
Cependant, au temps de la persécution néronienne, il se serait montré miséricordieux
envers les victimes. Puis il aurait pris de nouveau ses distances. Jamais il ne cesse de culti
ver les idées du Portique.
Certes, quand Sénèque, dans son De ira, évoque un «chef», obligé à « étendre son corps
sur les branches d'une croix», on est frappé par une telle allusion. Mené pourtant en des
cheminements très érudits mais subtils, nous avouons quelque doute persistant. Quant à la
science quasi infinie de l'auteur, nous ne lui ménageons pas notre admiration.
A. WANKENNE
ARCHÉOLOGIE ET HISTOIRE
Les listes bibliographiques, lancées par R.L. Plancke, en sont à leur dix-huitième fasci
cule. Basées sur un choix de livres récents et sur le dépouillement de septante-cinq revues,
elles sont de nature à aider le professeur d'humanités avide d'entretenir et d'enrichir sa
connaissance de l'Antiquité classique. Voici les principales rubriques : ouvrages généraux,
études sur l'éducation, manuels d'apprentissage, histoire, archéologie et sciences auxiliai
res, religion, philosophie, langue, éditions, commentaires, traductions, études de littéra
ture (y compris le latin dans la civilisation européenne), index des œuvres, moyens audio
visuels. — B. STENUIT
Gisela WALBERG, The Kamares Style. Overall Effects (Boreas, 10), 23 p.,
10 pi., Uppsala, 1978.
L'A. a déjà longuement étudié ce genre de poterie (LEC, 1977, p. 84), tirant son nom
d'une grotte de la pente méridionale de l'Ida et que l'on rattache à la période du minoen
moyen; elle montrait l'évolution du genre et en fixait la chronologie relative. Le présent
volume approfondit la compréhension des effets dynamiques de la décoration et de la
forme — la couleur n'est pourtant pas oubliée — afin de dégager plus complètement que
jadis les «overall effects», au nombre de six: torsion; expansion «retenue»; rayonne
ment ; élévation ; contraction ; effets combinés. — B. STENUIT
REVUE DES LIVRES 277
Ce livre nous partage entre Sélinonte et Palerme. Car les sculptures dont il nous parle
proviennent de la ville aux multiples temples qu'on visite à l'ouest de la Sicile, alors que le
musée de Palerme réunit les métopes naguère dispersées dans les ruines du site antique. Et
cet ensemble nous révèle de façon vraiment exceptionnelle l'art grec archaïque.
Voici d'abord les métopes du temple C, qui se dressait sur l'acropole de Sélinonte. Elles
nous font ressentir les terreurs de la plus vieille mythologie. Le meurtre de la Gorgone et
les Cercopes emportés par Héraclès appartiennent à un monde de dieux que n'adoucit
aucune clémence. Le temple Y s'appelle encore « le petit temple aux petites métopes ». Le
rapt d'Europe paraît moins effrayant. «Les trois déesses» ont presque le sourire. Elles
nous préparent aux merveilleux visages de Zeus et d'Héra que nous réserve le temple E. Un
chapitre final s'incline d'ailleurs vers le Ve siècle.
Muni de croquis et d'abondantes photographies et fournissant des comparaisons entre
des œuvres de la même époque, le volume de Luca Giuliani nous redit les charmes francs
et spontanés des primitifs, auxquels nos contemporains se montrent souvent sensibles.
A. WANKENNE
Nous avions rapidement évoqué l'étude des briques signées à Ostie en recensant le petit
ouvrage intéressant qu'un des collaborateurs du Prof. SUOLAHTI, de l'Institut finlan
dais de Rome, T. Helen, avait consacré à ce sujet (LEC, 1976, p. 402-403 ; réédition dans
les Acta en 1977). Fruit d'un patient travail de toute une équipe, présenté et mis en forme
par M. STEINBY, les deux premiers volumes viennent de sortir de presse; les deux autres
contiendront les indices supplémentaires au CIL, XV et les commentaires (formes du
cachet, chronologie, etc.) L'Introduction retrace la découverte des briques signées et les
recherches sur les cachets, qui ont fait un bond décisif à partir de 1965, lorsque l'équipe du
Prof. Suolahti, alors directeur de l'Institut, les étudia sur place, principalement au Cas-
tello Giulio II et aux Horrea Epagathiana. Les membres de l'équipe se spécialisèrent dans
ce domaine en étudiant parallèlement un aspect bien délimité ; mentionnons une recherche
physique et géologique de H. Appelqvist, en préparation. Le catalogue, dont les principes
sont clairement définis, mentionne de façon uniforme 1.305 cachets; les commentaires,
sporadiques, se bornent à des questions de lecture, non d'interprétation ou d'identifica
tion. Voilà un précieux travail en bonne voie d'achèvement, auquel on se référera par
l'abréviation L.S.O., bien méritée. — B. STENUIT
MIÉ, organisateur de cette table ronde ; celles de la vallée du Rhône et de la Côte d'Azur
par Ch. LAGRAND, de la nécropole de Saint-Julien de Pézenas (Hérault) par A.
ROBERT, de la Liquière et de la Font-du-Coucou (Languedoc) par M. PY. On trouvera
en outre dans ce beau volume de nombreuses planches, des cartes et des schémas, ainsi
qu'un résumé des interventions suscitées par les communications. — B. STENUIT
Ces deux volumes présentent un intérêt capital. Le premier nous apporte une étude
d'ensemble, puis les commentaires sur chacun des objets considérés. Nous trouvons leur
image, reprise souvent en des aspects de détails, dans le second volume.
L'auteur montre une grande réserve quant aux datations. Elle peut recourir à des affir
mations plus nombreuses pour les provenances et la diffusion. Et cependant que de sta
tuettes, acquises sans information suffisante sur leur origine ! Un exemple notoire consiste
dans le Jupiter dit de Brée. Des centres de fabrication ont certainement existé dans notre
REVUE DES LIVRES 279
pays, puisqu'un atelier de bronzier fut exhumé à Blicquy. Quoi qu'il en soit, la moisson,
nécessairement incomplète, apparaît abondante et prouve que, chez nous, l'époque
romaine jouissait d'une assez large richesse. Les sujets prêtent à des conclusions instructi
ves. Presque tous indiquent une préoccupation religieuse, qui rehausse souvent une fonc
tion utilitaire. Quelles sont les dévotions ainsi démontrées? Certes des cultes celtiques per
sévèrent aux premiers temps. Ensuite les divinités classiques s'imposent: Jupiter, beau
coup moins que Mars ou Mercure. Pourtant Mars semble perdre sa valeur guerrière et se
muer en dieu sympathique, prometteur d'au-delà. Ces pages bientôt nous étonnent par la
révélation, jadis en nos contrées, des pratiques dionysiaques. La preuve est fournie par des
anses d'œnochoés ou des poteries. Certains témoignages se développent plus amplement.
Attis et Cybèle, Sabazios et Mithra attiraient également la vénération de nos ancêtres.
L'ouvrage de Mme G. Faider ne nous fournit pas seulement une description des bronzes
romains en Belgique. Il nous documente sur la religion de la patrie, au temps de Rome.
Une fois de plus, l'archéologie éclaire l'histoire, la grande histoire. — A. WANKENNE
A.B. NEDERLOF, Pyrrhus van Epirus. Zijn achtergronden, zijn tijd, zijn
leven (historié en légende), 329 p., 16 x 23, Amsterdam, Rodopi, 1978, ill.
Ayant soutenu à Leyde en 1940 une dissertation sur Plutarque, un commentaire histori
que de la Vie de Pyrrhus, l'A., un peu malgré lui, absorbé par des tâches de direction dans
l'Enseignement secondaire, dut mettre ses recherches en veilleuse; il ne les abandonna
heureusement jamais et cela lui permit, à l'âge de la pension, d'écrire une riche monogra
phie sur l'Épirote, destinée au grand public ; on retrouve le souci de bien analyser les sour
ces anciennes. Après avoir brossé le tableau du monde hellénistique et de l'Épire après la
mort d'Alexandre le Grand, l'A. retrace la vie de Pyrrhus, qui peut se ramener à trois
grandes périodes : de la naissance au départ en Italie (319-280) ; le séjour dans la Méditer
ranée occidentale (280-275) ; la dernière action militaire en Grèce et la mort à Argos (274-
272). Dès son vivant, la figure de Pyrrhus a joui de prestige. À 39 ans, il commence en Ita
lie sa grande aventure, qui ne durera que huit ans. L'A. interroge les auteurs anciens et
modernes. Une impression d'inachèvement se dégage de toutes les expéditions de Pyrrhus.
Voulait-il vraiment créer un empire dont le centre eût été l'Épire et qu'auraient baigné les
mers Adriatique et Ionienne? C'était un conquérant, au sens militaire. L'était-il dans le
domaine politique, comme P. LEVÊQUE l'a soutenu? L'A. penche pour la thèse con
traire: les pensées et les actions de Pyrrhus sont avant tout militaires. — B. STENUIT
En 366, le consulat est rétabli, un des consuls est plébéien, la préture et l'édilité curule
apparaissent. L'A. étudie la formation et l'évolution du cursus honorum, de 366 à 180, le
nombre d'années séparant deux magistratures ; les étapes ne sont pas scrupuleusement res
pectées ; ainsi a-t-on vu des patriciens accéder au consulat sans passer par l'édilité. On lit
ensuite une étude statistique, accompagnée de nombreux tableaux, sur des consulats et
prétures exercés par les grandes familles patriciennes et les plébéens, sur les liens de
parenté entre consuls d'une même année, la succession des générations dans cette même
charge et l'âge des magistrats. Certaines normes, nées de l'habitude, réglaient le cursus
honorum avant 180, année de la Lex Villia : circonstances, motivations et contenu de cette
loi sont étudiés. La révision du cursus par Sylla et les bouleversement opérés par César ter
minent cet ouvrage, utilisant largement les données prosopographiques. — B. STENUIT
280 LES ÉTUDES CLASSIQUES
La célèbre collection promue par Joseph Vogt s'enrichit d'un volume très intéressant.
Son auteur, Wolgang Hoben, s'attache à l'étude du vocabulaire des mouvements serviles
de l'époque républicaine. Selon lui, le soulèvement trouve son origine dans un complot
secret (coniuratio), puis est soumis à un processus de développement : la coniuratio peut
évoluer en latrocinium entraînant une répression pénale ou bien passer par la defectio qui
donne lieu à un bellum se terminant par une victoire ou une défaite.
Les deux versions semblent se retrouver dans les soulèvements serviles. C'est en fonction
de cette constatation que les parties de ce travail s'articulent. Après un rappel des concepts
fondamentaux signifiant une résistance organisée (coniuratio/auva^oala ; latrocinium/
Xri'm'ipiov \defectio/à-nùoTaoiq ; bellum/ •nôX.E^ot;,p. 7-27), l'auteur étudie la coniuratio
en tant que point de départ des mouvements serviles (p. 28-39), ensuite les mouvements
serviles comme délit au sens du droit pénal (latrocinium, p. 40-62), enfin les mouvements
serviles qui ont la prétention de créer des états autonomes (defectio qui mène au bellum,
p. 63-109). W. Hoben termine par un chapitre sur l'usage terminologique officiel et sa
transposition dans les œuvres littéraires (p. 110-136).
L'auteur de cet ouvrage a le grand mérite de ne pas s'être cantonné dans une attitude
purement philologique et statique. L'étude du vocabulaire conduit ici à une meilleure
compréhension des soulèvements serviles. Par ailleurs, on est toujours attentif à l'évolu
tion des concepts, bien sûr, mais aussi des institutions. Ainsi W. Hoben fait-il sans arrêt la
distinction entre la «frùhe und minière Republik» (Ve-IIIe s.) et celle du IIe-I" s. av. J.-C.
si différente car l'État romain a évolué, les sources doivent être utilisées différemment, les
esclaves ont changé (origine, nombre, etc.).
Bref, un livre très utile pour les spécialistes de l'esclavage antique, mais aussi pour tous
ceux qui, lors de l'étude de Cicéron, Salluste, Tite-Live, Diodore, Denys d'Halicarnasse
ou Plutarque, ne manquent pas d'être confrontés avec le problème des soulèvements servi
les. — J.A. STRAUS
Heureuse entreprise que celle de traduire Alien Wisdon d'A. Momigliano. Nous avons
recensé ici-même (1977, p. 88-89) ce livre retraçant de façon suggestive les échanges cultu
rels entre les Grecs d'une part, les Romains, les Celtes, les Juifs et les Perses d'autre part. Le
texte est resté substantiellement le même, deux pages et demi forment le supplément biblio
graphique. — B. STENUIT
Aufstieg und Niedergang der rômischen Welt. II. Principal, Bd. 6, Hrsg. Hil-
degard Temporini und Wolfgang Haase, X-1015, nombr. plans, cartes et pi. h.t.,
Berlin-New York, Walter de Gruyter, 1977, rel., 460 M.
Le présent volume traite des provinces latines couvrant le bassin du Danube et la pénin
sule balkanique, du Noricum aux rives du Pont Euxin. Au chapitre premier, F. VITTING-
HOFF, Cologne, conteste les critères usuels de datation du passage des agglomérations
danubiennes et balkaniques au statut de cités de droit romain ou de droit latin (p. 3-51).
S. DUSANIC, Belgrade, fait le point des recherches récentes sur les mines romaines en
Noricum, Pannonie, Dalmatie et Moesie Supérieure (p. 52-94). S. MROZEK, Gdansk,
ajoute à la contribution précédente un aperçu sur les mines d'or de la Dacie romaine (p. 95-
109). B. GEROV, Sofia, montre le rapport entre les dépôts de monnaies impériales décou
verts dans l'Est des Balkans et l'extension des invasions germaniques au cours du IIe et du
IIIe siècle (p. 110-181). Les cinq contributions suivantes ont pour objet le Noricum: une
étude d'ensemble sur les rapports de Rome avec cette région, du IIe siècle av. J.-C. au milieu
du IIIe apr. J.-C, par G. WINKLER, Linz(p. 183-262); puis des monographies sur les cités
les plus importantes : le centre urbain méridional le plus ancien, localisé au Magdalensberg,
par G. PICCOTTINI, Klagenfurt (p. 263-301); Virunum, par H. VETTERS, Vienne
(Autriche), (p. 302-354) ; Lauriacum (aujourd'hui Lorsch) par le même (p. 355-379) ; le
municipe Aguntum par W. ALZINGER, Vienne (p. 380-413); Flavia Solva par E.
HUDECZEK, Graz (p. 414-471). Après une étude consacrée à deux populations celtiques,
les Taurisques et les Latobisques, ceux-ci porteurs de la culture des champs d'urnes, venus
des parages de la forêt Hercynienne s'établir au Ier siècle av. J.-C. dans les Alpes Orientales
qui forment l'actuelle Slovénie (p. 473-499), P. PETRU, Ljubljana, expose les différents
aspects, les résultats et les problèmes de la recherche archéologique de son pays
(p. 500-541). Rejetant la date communément admise (13-9 av. J.-C.) de l'occupation mili
taire romaine permanente de toute la Pannonie, y compris le nord de la Drave jusqu'au
Danube, J. FITZ, Székesfehérvar, reporte les faits au règne de l'empereur Vespasien (p.
543-556). A MÔCSY, Budapest, rappelle que « le siècle qui s'écoule depuis la proclamation
de Septime Sévère comme empereur par les troupes de Pannonie jusqu'à la Tétrarchie fut
non seulement celui de la participation de cette province aux affaires politiques de
l'Empire, mais aussi celui de sa grandeur et de sa ruine » (p. 557). Reste à expliquer, pour
suit l'auteur, le parallélisme entre ces deux séries de phénomènes. C'est à quoi il s'applique
(p. 558-582). Trois savants de Vienne consacrent un long développement à Carnuntum
(proche de Vienne), la ville de Pannonie septentrionale aujourd'hui la mieux connue par
l'archéologie : H. STIGLITZ présente un tableau de l'agglomération civile (p. 585-625) ; M.
KANDLER, le camp militaire et ses annexes (p. 626-700) ; W. JOBST, les vestiges de la col
line voisine appelée mont Pfaffenberg (p. 701-720). Viennent ensuite deux chapitres sur la
Dalmatie romaine: la population, par J. WILKES, Londres (p. 732-766); l'économie par
M. ZANINOVIC, Zagreb (p. 767-809) ; puis deux exposés sur la Moesie Supérieure, le pre
mier sur les populations indigènes et les agglomérations romaines, par M. MIRKOVlC,
Belgrade ; le second sur le Limes de Dacie et la défense de la frontière danubienne, de Tra-
jan à Aurélien, par N. GUDEA, Clug-Napoca (p. 849-887). Les quatre derniers chapitres
ont trait à la Dacie. En voici les titres et les auteurs (de Cluj-Napoca). La Dacie et Rome à
l'époque du principat, par C. DAICOVICIU t (p. 889-918). Napoca, Histoire d'une ville
romaine en Dacie, par H. DAICOVICIU (p. 919-949). L'économie rurale en Dacie romaine
par I. GLODARIU (p. 950-989). L'état des recherches sur la persistance de la population
autochtone en Dacie romaine par D. PROTASE (p. 990-1015). Contre les
282 LES ÉTUDES CLASSIQUES
tenants de la thèse de l'extermination des Daces par Trajan, l'auteur démontre que, pen
dant les 165 ans de l'occupation romaine, les Daces ont conservé intactes bon nombre de
leurs traditions et se sont assimilé la culture romaine, plus ou moins complètement selon
les régions : ils sont ainsi à l'origine «d'une romanité au nord du Danube qui a contribué à
la formation du peuple roumain» (p. 1015).
Ce trop bref aperçu donne une idée de la richesse des contributions ici rassemblées. Il
faudrait encore signaler les bibliographies, les cartes géographiques, les nombreuses illus
trations qui font de ce volume comme des précédents un instrument de travail indispensa
ble pour les historiens de Rome. — W. DEROUAU
À son tour, la Révolution, dont nous parle M. L. Trénard, fait des victimes. L'histoire
contemporaine est étudiée par M. P. Pierrard. Au Gallicanisme succède l'Ultra-
Montanisme. Mais déjà se pose la question sociale, dont l'importance ne cessera de gran
dir. Quand le diocèse est scindé au profit de Lille, qui joue maintenant aussi le rôle de
capitale ecclésiastique, le sort des ouvriers dans le Nord industriel préoccupe constamment
les évêques de Lille et de Cambrai. L'Abbé Lemire est un protagoniste social. On n'est pas
près d'oublier les attitudes du Cardinal Liénard, très attentif aux besoins des travailleurs
manuels.
Peter BROWN, The making of Late Antiquity, 136 p., 14 x 22, Harvard
University Press, 1978, rel.
M. P. Brown a beaucoup écrit sur le Bas-Empire. Cette période méritait bien un autre
jugement que celui d'une tradition caricaturale, nous invitant à envisager les gens des der
niers siècles romains comme des mangeurs et des buveurs, incapables de faire reculer les
Barbares. Dans ces leçons de l'auteur à l'Université de Harvard, nous apercevons chez les
païens et les chrétiens de l'époque une recherche étonnante de spiritualité. Depuis Marc
Aurèle, on ne cessait de méditer sur la destinée, sur la nature humaine et sur la divine. Un
autre aspect, présenté dans une seconde série de pages, est la nette prédominance des aris
tocraties et de l'empereur lui-même. Dioclétien, Maximien et Constantin après eux se dres
saient quasi jusqu'au ciel, devant leurs sujets, avec des différences, à coup sûr, qui
devaient séparer les adorateurs de Rome et les adeptes de la foi nouvelle. M. Brown revient
ensuite au grand nombre des «amis de Dieu» que l'on compte parmi les habitants de
l'Empire depuis le III' siècle. Ici on les voit entretenir avec la divinité des rapports intimes.
Le vainqueur du Pont Milvius apprendra le succès qui l'attend par une vision surnaturelle.
Le livre s'achève en des évocations de la vie érémitique et cénobitique. Antoine et Pacôme
nous apparaissent fuyant le monde, mais avant tout structurant des personnalités. Les
moines d'Occident apprendront d'eux les convictions et les fortes attitudes qui séduiront
les Francs. Ce portrait de l'Antiquité Tardive nous semble correspondre à sa riche réalité.
A. WANKENNE
Cet ouvrage regroupe huit essais composés de 1965 à 1975. Ce n'est pas une synthèse sur
la mentalité populaire de la France au 16e siècle, mais, et c'est là sans doute son intérêt
majeur, une série d'études ponctuelles, qui permettront d'entreprendre des recherches plus
approfondies. Consacrés à une région ou au pays tout entier, à certains groupes profes
sionnels ou sociaux, les chapitres abordent des aspects de la vie culturelle des «paysans et
plus encore des artisans et du menu peuple des villes». Trois axes principaux ont guidé les
recherches de l'auteur : — la Réforme protestante et son impact sur certaines catégories de
personnes (les ouvriers imprimeurs de Lyon, les femmes qui choisissent d'embrasser le
Protestantisme ou de rester fidèles au Catholicisme, et, thème sans doute plus intéressant,
l'influence de cette Réforme sur l'organisation de l'assistance par les pouvoirs publics) ; —
les diverses formes de résistances au pouvoir (carnavals, charivaris, émeutes et violence) ;
— les rapports des cultures orale et écrite.
À noter la présence de notes abondantes en fin de chaque article, d'un index général et
de quelques illustrations. — B. JOASSART
capitaine dans l'armée pontificale, c'est dans la carrière politique et diplomatique qu'il
triomphera. Sans la moindre vocation, il s'élève dans la hiérarchie des honneurs ecclésias
tiques et met ses talents au service de la diplomatie du Saint-Siège, apprécié et redouté. En
1630, il rencontre Richelieu qui le remarque. La France l'attire. Nonce extraordinaire à
Paris en 1634, il s'établit définitivement en France en 1640, et, en 1641, sur les instances de
la Cour, il reçoit le chapeau de Cardinal. Désormais, il est «Français».
Durant la Fronde (1648-1653), dont l'A. retrace une vaste fresque, il donne toute la
mesure de son génie. Choisi par Anne d'Autriche comme «premier ministre», il continue
la politique de Richelieu : une France unie et puissante, une monarchie absolue. Mais les
circonstances sont différentes. La France connaît une de ces nombreuses régences, si sou
vent funestes pour le royaume, et elle éprouve de la lassitude après la période d'autorita
risme de Richelieu. Mazarin doit affronter la double révolte de la Robe et de la Noblesse.
«L'une avait été la première manifestation des forces de l'avenir, la seconde marquait un
réveil du passé» (p. 196). La Robe tenta, maladroitement, de faire de la France un État
«constitutionnel», et d'y occuper une place prépondérante, sans pour autant remettre en
cause le principe monarchique. La Noblesse aspira à reconquérir ses droits féodaux. En
fin de compte, le motif de la révolte fut la défense de privilèges, sans grande considération
des aspirations d'autres couches de la population. Malgré leur prestige, les chefs de la
Fronde n'avaient pas l'envergure de Mazarin, ni de ligne d'action strictement définie ni
d'unité. Peu à peu, avec pour seul soutien constant la régente, le Cardinal reprit le pouvoir
qui devint de plus en plus absolu, mettant en place les futurs grands commis de Louis XIV,
tel Colbert. La « rouerie italienne » triomphait.
Mazarin put alors songer à la paix avec l'Espagne. Il rompit avec la politique de Riche
lieu qui voulait une Espagne reléguée dans l'ombre, et il en fit une amie de la France.
Avec une égale habileté, Mazarin mêla la politique aux affaires : alliant ses nièces à de
grandes familles françaises et italiennes, accumulant les charges rentables, il devint l'un
des hommes les plus riches de son temps.
Sans s'attarder sur les petits côtés de l'histoire, l'A. retrace avec vivacité, et non sans
une certaine sympathie, l'une des carrières les plus prestigieuses qu'un étranger ait menée
en France. — B. JOASSART.
Ce volume contient environ 300 lettres écrites de Schiller entre janvier 1788 et février
1790, époque de son mariage avec Charlotte von Lengefeld. Les lettres sont adressées à 24
destinataires, la plupart à sa fiancée et aux éditeurs Crusius et Gôschen.
286 LES ÉTUDES CLASSIQUES
II n'est pas étonnant que beaucoup de ces lettres parlent surtout de la vie affective et des
problèmes personnels du poète. Le 18 décembre 1789, dans une lettre à sa future belle-
mère, il demande officiellement Charlotte en mariage : « Je mets le bonheur de toute ma
vie en vos mains. J'aime Lottchen. Combien de fois cet aveu a-t-il été sur mes lèvres? Il
m'est impossible que vous n'ayez rien remarqué. Depuis le moment où je suis entré dans
votre demeure (Schiller a fait la connaissance de Louise von Lengefeld en décembre 1787),
son être bien-aimé ne m'a plus quitté... Voulez-vous, chère mère — permettez-moi de vous
appeler par ce nom qui exprime les sentiments de mon cœur et mes espoirs — voulez-vous
confier ce que vous avez de plus précieux à mon amour ? »
À côté de cet amour intense, Schiller vit entre 1788 et 1790 une période de réflexion phi
losophique et artistique. Signalons encore que son jugement sur Goethe dont il deviendra
en 1794 un ami intime est plutôt défavorable : « Je serais malheureux, si je devais être sou
vent dans l'entourage de Goethe. Même vis-à-vis de ses amis les plus proches il ne s'épan
che jamais, il n'y a pas moyen de le saisir. Je crois, en effet, qu'il est d'un égoïsme
extrême. Il possède le talent de captiver les gens et de les rendre dépendants par des petites
et des grandes attentions; lui, par contre, parvient toujours à rester libre. Certes, il est
généreux, mais seulement comme un dieu, sans se donner lui-même. Ceci me semble être
une façon d'agir conséquente et voulue qui est centrée sur le plus haut plaisir d'amour-
propre. Pour cette raison, je le hais, même si j'aime et si j'admire son esprit... » (Lettre du
2 février 1789 à Kôrner).
On peut dire, sans conteste, que le présent volume est une source importante pour
l'étude des «années d'apprentissage» du jeune poète — M. PETERS
Cet ouvrage est à la fois une analyse et une histoire du libéralisme — doctrine de la
liberté (p. 3) — qui, bien que faisant figure d'accusé depuis les années trente, est associé
aux valeurs fondamentales de nos civilisations (p. 121) depuis deux siècles. Dans le pre
mier chapitre, l'A. étudie les composantes de cette doctrine, insistant sur la notion de
liberté et ses multiples sens, les aspects politiques et économiques du libéralisme, ainsi que
sur ses rapports — et ses «distances» — avec la démocratie occidentale et le capitalisme.
Les quatre dernières parties retracent l'évolution du concept de libéralisme, de ses applica
tions, de ses crises et remises en question, et sa résurgence sous forme de néo-libéralisme
après la seconde guerre mondiale. Sans faire profession de foi inconditionnelle au libéra
lisme, l'A. a su présenter son sujet avec sympathie, soulignant ses avantages, sans pour
autant négliger ni minimiser ses inconvénients et ses faiblesses. — J. B.
CASTERMAN
Une nouvelle collection pour les 10/15 ans d'aujourd'hui:
L'AMI DE POCHE
André Laude
JOE DAVILA, L'AIGLE 69 F
Erckmann-Chatrian
HUGUES-LE-LOUP 85 F
Mervyn Peake
LETTRES D'UN ONCLE PERDU 69 F
Les chevaliers de la table ronde
LES ENCHANTEMENTS DE MERLIN 85 F
Pouchkine
LA FILLE DU CAPITAINE 99 F
Yves Sandre
LE DEVORANT 99 F
Bruno Menais
LA VIGNE DE NANTERRE 69 F
Pierre Pelot
LA COULEUR DE DIEU 99 F
ORIENTATIONS E 3
Annie Birraux
LE PSYCHIATRE FACE À L'ÉCOLE
Une critique de la psychiatrisation (par le biais de psychologie) de l'échec scolaire.
345 F
Joseph Mazure
Henri Peyronie
Pédagogie Freinet
THEATRE
L'exemplaire: 15F. (Etranger 18F). Format 18x27. 1000
pièces publiées. Prix «Plaisir du Théâtre 1976». Chaque
numéro contient : une pièce en trois actes de l'actualité de
Paris ou de province, une pièce en un acte ou une fiche
technique et une chronique de l'actualité théâtrale. Nom
breuses photos.
CINEMA
L'exemplaire: 15 F. (Etranger 18 F) Format 18 x 27. 400
films publiés. « Lion de Saint Marc » au Festival de Venise en
1965 et 1967. Chaque numéro contient : un long métrage :
dialogues in extenso et découpage, plan à plan, un
supplément : « Cinémathèque » : courts métrages, dossiers,
archives, ou « Anthologie » : études consacrées aux
« Grands » du cinéma. Nombreuses photos.
OWfcÀ
L'exemplaire : 28 F. (Etranger 32 F.) Format 18 x 27. Chaque
numéro contient : le texte intégral bilingue d'un opéra avec
études, un commentaire musical et littéraire, l'œuvre à
l'affiche, discographie, bibliographie et iconographie très
complète. Nombreuses photos.
HANSE
cal, littéraire, chorégraphique, scénographique, historique.
Une discographie et une bibliographie de référence, une très
importante iconographie.
BpN DE COMMANDE
i Avant
7353.00 V (Tél. 325.52,29)
Nom
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VIENT DE PARAITRE
Collection Classiques-Geerebaert
L'ENÉIDE DE VIRGILE
Anima Vergiliana
Afin de faciliter la lecture des hexamètres, les auteurs n'ont pas seule
ment marqué les élisions, mais aussi les temps forts, pour autant que
ceux-ci ne coïncident pas avec les accents toniques. Les problèmes de
scansions s'en trouvent pratiquement résolus.
Premier degré
EXPERIENTIA
QUAESTIONES ROMANAE
Second degré
SCRIPTORES ROMANI
Recueil de textes groupés par centres d'intérêt
Tome 1 (1™ année) : César, Cicéron (lettres), Ovide, Catulle.
240 F
RES GRAMMATICAE