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INTRODUCTION
PARIS
LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET G"
BOULEVARD SAINT-GERMAIN. Ji° 77
i.om»rf.s, 18. ki\t. wii.mam stbfï.t, strami—i.rii/.m, 3, kof.mgs strasse
1868
3rffc
INTRODUCTION.
l. Philochurus aimait à s'appuyer sur juge aussi compétent que Boerkli (Abhtmil-
des documents authentiques. C. Millier lungen der Bertiner Akademie, IS32,p. iS
(Fragmenta historieorum gnecorum, I, sqq.) n'hésite p:is à déclarer que Philoclio-
p. i.xxxvi) l'appelle : «auclor diligenlïssi- ms lui semlile, en fait d'histoire, aussi in-
« mus acerrimoque pra'ditus judiciu. Uni faillible qu'un homme peut l'être.
A
ii IKÏUOUUCÏION.
ont été tirés à leur tour les maigres documents que nous possé-
dons aujourd'hui. C'est un chapitre d'Aulu-Gelle1, un article
du lexique de Suidas', et surtout une Vie qui se trouve plus
ou moins complète, et avec quelques variantes, dans un certain
nombre des manuscrits d'Euripide, et qui a été remaniée par
Thomas Magister'. Il faut ajouter à cela plusieurs renseigne-
ments épars chez divers auteurs et recueillis par l'érudition
moderne *.
Euripide, fils de Mnésarchus ou Mnésarchidès6, et de Glito,
naquit, d'après la tradition la plus répandue*, à Salamine,.le jour
même où se livrait, près de cette île, la fameuse bataille dans
la première année de la 75e olympiade, en 480 avant J.C
Eschyle, alors dans la force de l'âge, combattit parmi les défen-
seurs de la patrie. Mêlé depuis longtemps aux luttes dramati-
ques, il n'avait pas encore donné toute la mesure de son génie,
et il méditait encore ses Perses et ses autres chefs-d'oeuvre.
Sophocle, bel enfant de quinze ans, dansa autour du trophée,
la lyre à la main. On a souvent signalé ces coïncidences, qui ne
parlent pas seulement à l'imagination, mais qui disent quelque
chose à l'esprit. Il est vrai que l'année et, à plus forte raison, le
jour de la naissance de notre poëte ne sont pas établis d'une ma-
Hesycliius Illustris dans les Fragmenta families des Athéniens lorsque l'année de
Jfisloricorum gracorum, IV, j>, JG3. Xeixès allait envahir l'Atlique (cf. Héro-
^. On lit d.ms le J{:o; : 'lïreXsvtrjffî, dote, YIII, 41). Quelque spécieuse qti'.'
oï, «5; er.ci «I".).6y_ofo;, vTÙp là loîo- soit cette combinaison, elle n'est cepen-
{irjy.oyia Ir/i ytYovù?, d>; Zï 'Esaîotf- dant pas sûre. Les parents d'Euripide
Oivriï, oî'. Or Euripide mourut en 400 pouvaient posséder des propriétés à Sala-
avant J. C. : c'est là un fait authentique, mine. Du moins Aulu-Gelle rapportc-t-il,
admis par tout le monde. S'il se trouvait'à d'après Pliilochortis, qu'Euripide aimait à
cette date dans sa soixante-quinzièmean- travailler dans une grotte Solitaire de cette
née, il naquit en 480. Le calcul d'Erato- ile. Quoi qu'il en Soit, le Marbre de Paras,
sthène s'accorde avec la tradition commune ligne G5, époqu.* 50 (cf. 1. 75, en. 60, et
sur la naissance du poète. Plitlocliorusétait I. 77, ép. 03) place la naissance d'Euri-
moins explicite : il se bornait à dire pide sous l'archonte Pliilocrate, c'est-à-
qu'Euripide vécut plus de soixante dix dire en 485/481 avant J. C.
• ans.
Nous ne croyons pas nous tromper •2, Le I5io; poite : EOptr.tôii; 6 Tio'.r;îr,:
en tirant de cette réserve la conclusion vlo; lyhzvi Mv^iapyiôo.» xi-r^oy /.as
que Philorhorus ne tenait pas pour bien 'K).eitoy; /.a/avoTtfà/.'.ô'j;. Cette dcnm-ic
établie la date de la naissance d'Euripide. asseition, qu'on retrouve chez plusieurs au-
Mais quelle était l'origine de I4 tradi- teurs anciens, remonte à Aristophane, qui
tion commune? On ne saurait faire à ce la répète à satiété. Cf. AchamUns, 47S :
sujet que des conjectures. Voici la nôtre. Xxivîr/.i i>0: cô:, p.r,îfo(uv osôiyiuvo:,
Euripide naquit à Salamîne. Les biogra- elpassîm. Où le biographe a-t-il pris que
phes combinèrent ce fait avec la circon- le père d'Euripide exerçait le métier de
stance que celte ile, ainsi que d'autres xinïi>.o;? Sans doute dans quelque comédie
lieux voisins, servit de lieu de refuge aux aujourd'hui perdue.
jv INTRODUCTION.
n'avons plus, crut pouvoir prouver qu'Euripide était de bonne
famille1. Quoi qu'il en soit, l'éducation du futur poète ne semble
pas avoir été négligée. Son père voulait d'abord faire de lui un
athlète : une prédiction mal interprétée avait, dit-on, fait conce-
voir à Mnésarque l'espérance que son fils obtiendrait un jour des
couronnes aux jeux publics'. On lit dans les tragédies d'Euri-
pide des paroles amères contre les atblètes. Le poëte méprise ces
colosses de ebair, esclaves de leur corps : il désapprouve les dis-
tinctions dont ils sont l'objet, et il condamne en général l'im-
portance excessive que les Hellènes donnaient aux exercices du
corps3. Ces exercices, qu'une erreur paternelle lui avait imposés
autrefois, lui auraient-ils laissé un souvenir ineffaçable, un dé-
goût persistant? Les biograpbes* rapportent aussi que le jeune
Euripide s'essaya dans l'art de la peinture. 11 serait difficile; je
crois, de retrouver dans les vers du poète une trace positive de
ces études. Un passage d'//ecw&e6, où il fait allusion à certain
procédé des peintres, est trop isolé. Cependant il aime et il pro-
digue les détails descriptifs, pittoresques, et il les pousse souvent
4. Cf. Suidas: Oûx àï.rfiïi £1 <!>; >.a/a- î'ûrrtv yàp âvopô; «Se Ytvva'-*v î.a/.wv
vô:;w).i; r,v ïj {t-for^ ft'itoO • xal y*P î<Sv ruvaixou.iu.tp ôianplnet; u.opjwy.ati. (Je
oçôôpa z\tfi\G}Vix\r(yjxvtv,io;àno5tiy.vv- refais le premier de ces vers d'après
ci «l>t).ô/0po;. Les manuscrits d'Euripide Platon, qui, modifiant les termes em-
dans lesquels l'article de Suidas se trouve ployés par le poète, dit dans le Gorgias,
tninscrît, ajoutent ovoa après êrjyyavtv. p. 485 E : «lnJsiv^vy.riî &5e Y£vva^*v
A tort, suivant nous : c'est &•/ qu'il faut <).ayùv> {itipaxtûSEï StaîtpÉrsEt; u.op-
sous-entendre,etttÛYyavtv doit être rap- Ç(0[J.a~t. Il me semble évident que le par-
poité à Euripide. Atbénée, X, p. 421 C, ticipe ).ay_6)V a été omis par la faute des
et le liio; racontent qu'Euripide exerçait copistes. Le mot Ywaiy.ou.(u.ti> est fourni
dans son enfance certains ministères reli- par Pliilostratc, Vita Jpoll. Tyatt, IV,
gieux qui semblent avoir été réserves aux 21 , passage d'abord signalé par Grotius.)
fils de famille. Nauck conjecture avec beau- Ampbion répondait : Tô ô' àsÔEVî'î u.ov
coup de sagacité que des faits de ce genre xai tô 6f,).'j cu)u.aî0; Kaxw; iu.£U.;Ûr,c*
mi virent à l'hiloclioi us pour réfuter les El y*P ty ÇpEvwv l/io, Kpîïfîcov io5'
médisances des poètes comiques. (àxi x»p-£p&ù ppayjovo; (Stobée, Antltol.'
2. Cf. Bio; et Aulu-Gellc. III, 12). Il ajoutait ; K*i u.f,v ônoi (itv
:j. Voir surtout le fragment considérable capxô; tî; eùeÇtav 'Aguvjgi piotov, f(v
de VAutoljcuSfcité par Atbénéc X, p. 413 <7ça).6)5i /p^u-ÂTtav, Kaxoi no).îïai* 3st
C sq. : Kaxwv y*P 6vxuv (ivpîwv za&' Yàp âvop' elGiçuiv&v 'Ax6).aatov rfloi
'i'Mtxoa Oiôàv xâxtév isxw àW.irjvûv Y»5tpô; £v
Tà'jtôj juvéiv.
Y'îvovîj Xî).« Cf. Electre, 38/ sqq., 802 4. Le Bto; porte : «I'aai II aùtèv Çw-
sqq., 880 sqq., avec la note. Dans l'^-fn- Ypâçov ytolotyii x»l ScîxvvaOxi aO:oj
tioj't aussi Euripide, semble avoir discuté îtivàxtx év MiY^pOt;. Suidas : i'ê^ove ôè
la valeur des cxciticcs du corjis et de ceux ti Tipûta ÇwYpâfO;.
de l'esprit. Zctbus y disait à son fiiie : 6. llécule, 807 5q. Cl. l/i/'jiol. tU/S,
INTRODUCTION*, v
à une exactitude minutieuse; c'est même là l'un des caractères
les plus saillants des récits qu'il prête à ses Messagers et d'un
grand nombre de ses choeurs.
D'autres études exercèrent sur le jeune homme une influence
plus sensible et plus décisive. Euripide fut initié à la philosophie
par Aiiaxagorc; il suivit les leçons de Prodicuset de Protagoras ; il
se lia avecSocrate1. Le disciple et l'ami des philosophes, le pen-
seur, l'homme de la méditation solitaire se reconnaissent dans sa
vie, comme dans ses ouvrages. Euripide vivait à l'écart : on ne le
voit pas, comme Sophocle, prendre une part active aux affaires
de son pays. Sans doute, ii observait les événements politiques,
comme il observait en général les hommes, leurs passions, leur
vie : de nombreuses allusions éparses dans ses tragédies font
foi de l'émotion avec laquelle il suivait ce qui se passait sur îa
grande scène du monde. Mais il assistait à la lutte des inté-
rêts et des ambitions en simple spectateur, sans entrer dans la
mêlée. Les sentiments qu'il attribue à un des personnages qu'il
a créés, à ce jeune Ion, élevé dans la paix du temple d'Apollon,
loin des orages de la vie active, ces sentiments sont bien ceux
du poëte lui-même2. Ailleurs1, il traçait du sage ce portrait
magnifique : « Heureux qui connaît la science! 11 ne cherche
pas à empiéter sur ses concitoyens, il ne inédite pas d'action
injuste. Contemplant la nature éternelle, son ordre inaltérable,
t. Cf. Suidas, Aulu-Gellc,et le «io;. Une p. lxsi). Il est donc possible que noire
rédaction «le ce dernier document nomme, poète ait rappelé cet événement dans une
le philosophe physicien Arcliélaiis parmi de ses tragédies, et nous n'avons pas le
les m.iîtrcs d'Euripide. Pour ce qui con- droit de contester, comme ont fait Clinton,
cerne Ana\agorc, les témoignages abon- Wagner, Xauck et d'autres, l'exactitude
dent. Quant à Protagoras, ajouter, auv au- de l'hilochorus. I! est vrai que les anciens
torités citées ci-dessus Diogène Laè'rce, IX, ont quelquefois imaginé de telles allusions
51 sq. Ce dernier auteur raconte, d'après eu dépit de l.i chronologie. De bonne
Philochorus, que Protagoras périt en mer heure on piétendait que. dans son l'itltl-
atee le vaisseau qui devait le transpoitcr utiile, Euripide avait indirectement repro-
en SiciL', et qu'Euripide fit allusion à cet ché aux Athéniens ta mort de Sociale.
é\cueillent dans son Ixion. La mort de Slais c'est précisément Philochoriit qui
Protagoras peut être placée, sinon avec releta l'anachronisme commit par les au-
certitude, du moins aU'c probabilité, tu teurs de cette anecdote (cf. Diogène de
-il) avant J» C. (Cf. Frey, Quxsliones La «te, (I, H).
Prvttigorea-, p. C*; Zcllcr, Die l'/iilo- 2. C]». ton, 5SJ sqq.
soj'hie der Gricchcn, I, p. 731 ; Mullach, 3, Cf. Ch'mcnld'Alcxaiidiie,Slronu, IV,
t'niginentd v/iitoso/ifivrum {•fircoiunt^ \\, xsv, 157, fragment 905 Wagner.
vi INTRODUCTION.
son origine et ses éléments, son âme n'est ternie d'aucun désir
honteux. »
4. Voyez, sur VAnliope d'Ktnijiide Un Wagner), cités par Stobée, Anthol. LV,
Mémoire que nous :ivons publié dans le 4. Cf. Hipp. 461,
Journal général de l'instruction yulliijut, 4. Aristophane, Gren. 944 : 'Isyvavot
4817, U* 83 cl 81. jiiv îtfâhKïîGv av*r,v y.ai tô pipo;
2. Cf. Alliéuéc, I, ji. 3 A. àpsD.ùv.... Xu).ov ôiîoù; oiw|j.v>.udu«v
3. Voir les vers de I1Erecltthèc (frg. 352 irib (JiêXtwv &nr,Gûv. Cf. il. v. 4 4l)9.
INTRODUCTION. vu
La tradition nous montre Euripide retiré à Salamine dans une
grotte solitaire sur le bord de la mer : c'est là, dit-on, qu'il tra~
vaillait, qu'il méditait1. Cette singularité, son air triste et sévère,
son humeur morose contrastaient avec l'aimable gaieté de Sopho-
cle, ainsi qu'avec la douceur infinie de ses propres vers. Un poëte
érudit a dit de lui2 : « Le disciple du noble Anaxagore était d'un
commerce peu agréable : il ne riait guère, et ne savait pas même
plaisanter à table, mais tout ce qu'il a écrit n'est que miel et que
chant de Sirènes. » L'antiquité nous a transmis un beau buste
d'Euripide1. Ce portrait annonce des habitudes de méditation
et une vive sensibilité.
Le théâtre d'Euripide atteste, mieux encore que les asser-
tions des biographes, l'influence qu'exercèrent sur notre poëte
les penseurs avec lesquels il était en rapport. Protagoras disait
que l'homme était la mesure de toute chose*. On reconnaît cette
doctrine dans ce qu'alléguait un des héros d'Euripide afin de
justifier une passion incestueuse. « Aucun usage, s'écriait-il, n'est
honteux, s'il ne paraît tel à ceux qui le suivent5 ». C'est encore
conformément à unapophthegme de Protagoras qu'Euripide fai-
sait dire à un de ses choeurs : « Celui qui connaît l'art de la pa-
role, trouve en toute chose matière à des discours contradictoi-
res 6 ». Il faut convenir qu'Euripide a largement mis en oeuvre
cette proposition. Il affectionne les luttes oratoires, il plaide en
rhéteur le pour et le contre de chaque cause, très-ingénieux à
l.
Voy. Hccube, 811 sqq. rco'.eïv avTÛ y.*t (i«).i3ta ta |iÉ).r,, Sv
1. Téléelide. Le Hio; 1 appui te de ce y.ïi G'jYihm 'r, ywu-At avroO xtofiw-
poète ces vers que nous donnons d'api es Covffiv. Les méiiiM bruits sont rapportés
les collections de Dindorf et de Meineke i dans le lito;. Um certain Timocratès d'Ar*
'O Mvr^i/o/o; V tr.civos'i çfjyu *i gos y est aussi nommé paimi les collabo-
cfàjia xaiviv EùptîiîSij, xat ïtoxpât/j; rateurs d'Euripide. D'après une seholie sur
îà çp'Syav' ûîiouOr.oiv. C|>. te passage le vers 410 de VAndiomaqm^ celle tra-
gravciiieut altéré de Diogène Lacrce. II, gédie fut d'abord jouée sous le nom de
18, où les poètes comiques Caillas et Aris- ])éiiiocratès. Bcrgk et Nauck pensent que
tophane sont cités à côté de Téléelide. Tiu.&/.f,iTr,;et Ar,u.oy.j>itrj; ne font qu'un,
3. Cf. Aristophane, Grenouilles, 1408, et que l'un de ces noms est altéré.
1452, cl surtout 914 : Eîï' àvétfsçov 4. Yojcr. MiJce, 814 sq et les pnssages
{smis-tiit. tr,v TfiywSiav) (ly.MÎiaiç que nous y avons cités en note. C|>. ce
KrjÇt'jOçûvxi. peyvv:, avec la scliolle i qu'Alcibiade dit de Socrate dans le //««'/«et
Mvôoy.st ô'vv/o; wv ô Kr^iç'/fwv çvu> de Platon, p. 2i 5 5<jq.
INTRODUCTION. ix
présenté par Vénus, le poëte oppose un autre amour : celui qui
est inspiré par les belles âmes, qui est une école de sagesse et qui
nous rend plus vertueux.
Mais c'est surtout Anaxagore de qui les exemples el les leçons
ont laissé des traces profondes dans l'esprit, comme dans les
vers d'Euripide'. Un de ses choeurs3 vante la fermeté d'un
vieillard qui supporta, sans se laisser abattre, la perte d'un fils
unique et digne de tous les regrets. Ce vieillard, que le poëte ne
nomme pas, est sans doule le philosophe qui dit, quand on lui
annonça la monde son fds : « Je n'ignorais pas que j'avais donné
le jour à un être mortel1 ». C'est au même Anaxagore qu'Euripide
faisait allusion dans un autre endroit, où un de ses héros assu-
rait avoir appris d'un sage à préparer son âme contre tous les
coups de la fortune, afin de n'être pris au dépourvu par aucun
des malheurs que la vie peut amener4. Ailleurs notre poëte parle
des dangers que l'ignorance et l'envie suscitent aux philosophes,
accusés d'un côté d'être des désoeuvrés, des membres inutiles de
la cité, et de l'autre, de posséder une science extraordinaire et
suspecte. Ces réflexions se trouvent dans 31cdée, tragédie qui fut
jouée quand se préparait le procès d'Anaxagore*, et l'on pense
avec raison qu'ici encore Euripide songeait à son maître vénéré5,
Les traits généraux du système d'Anaxagore sur la nature et
l'origine des choses sont exposés dans un morceau célèbre °, tiré
du Chrysippe d'Euripide. « Ce qui est né de la terre, retourne
a la terre; ce qui est sorti d'origine céleste, remonte à la voûte
éthérée. llien de ce qui naît ne meurt; mais, se séparant de ce
\. Cf. Denys d'Haliearnassc, llhél. IX, est tiré, n'était peut-être pas de la ma!»
< I, et les auteurs eites par Yalekenaer, ail d'Kuiipide.
llipi'ûl. 352. — Le dieu d'Anaxngore est 2. Fragment 293 Wagner, cite par S'
t'ianté dans les vers cités par Clément Justin, De monnvch. p. tOS C : «l'r.iiv
d'Alexandrie, Strom. V, xiv, < 15: Là TÔv tt; eivai gt,ï' èv ovpav'jj Oevj;; OJ/.
autour,, tiv £v a'.Oîftw 'Pvu.6(o r.âvtiov tWl'i, oOx Et?'. Et Tt; àvQpû-tov (lise/. :
O'jgw i[>-T:)it,o.^V,"Ov mpi \Ltv çû; y.tl. El il »; PpOîôiy) Ylyu Mf, toi î;a).*iû>
Cependant le l'irill.iùs, d'où et- fragment
mi INTRODUCTION.
mes paroles. Je vous dis que les tyrans mettent les hommes à
mort, les privent de leurs biens, détruisent les cités en dépit de
la foi jurée, et, malgré tous ces crimes, sont plus heureux que
les hommes paisibles qui vivent pieusement tous les jours de
leur vie. Je sais de petits peuples qui honorent les dieux, et qui
obéissent à de grands peuples impies, subjugués qu'ils sont par
la force des armes. Essayez donc de prier ies dieux sans tra-
vailler vous-mêmes, vous verrez, ce me semble, [comme ils vous
nourriront. C'est l'ignorance *] et le malheur qui ont fait le
grand crédit des dieux. » Bellérophon tente de monter au ciel
sur son cheval ailé : il veut éclairer ses doules en explorant la
demeure de Jupiter, il veut voir par lui-même s'il y réside en
effet un dieu. Mais cette fois le Pégase ne lui obéit plus, et
l'impie est misérablement précipité à terre.
Qu'on ne s'imagine pas toutefois qu'Euripide voulût enseigner
l'athéisme. Ce reproche, contre lequel il eut déjà à se défendre
lui-même3, n'est pas fondé. Le poète ne fit que transporter
dans l'âge fabuleux les idées de son siècle, que donner un corps
aux doutes qui alors occupaient plus d'un esprit, troublaient
pins d'une âme. Il remuait des idées, il enseignait à réfléchir sur
les plus grands problèmes, comme sur les questions de tout
ordre et de toute espèce qu'agitait sans cesse son esprit éminem-
ment critique*. Il ne prétendait pas toujours donner des solu-
tions, et on se tromperait en prenant tout ce qu'il a écrit dans
ses drames pour l'expression de ses convictions. 11 fait soutenir
une thèse à tel de ses personnages, mais un autre personnage
soutiendra la thèse contraire; et si l'on rencontre chez lui des
idées hasardées, il est généralement facile de trouver soit dans
la même tragédie, soit dans une autre, de quoi corriger Euri-
pide par Euripide lui-même4. Le disciple d'Anaxagore, l'ami de
Sociale, était loin de combattre la croyance en Dieu : il s'élevait
1. Nous avons inséré ces laots par con- scène, >i voy. les belles pages de M. ltavel,
jecture, afin de combler une lacune. Origines du christianisme, dans là Revue
2. Cf. Sénique, fyist. H6( cl l'Iular- moderne, 18G7, XLI, 278 sqt|.
que, De ami. polt. p. 19 Iw 4. Cp. les notes sur 7///>//o/., 461 sqq.»
3. Sur Euripid», u le philosophe de la sur MfJéet 230 sqq., 1090 et pas sim.
INTRODUCTION. xiu
contre les idées grossières que le peuple se faisait de la divinité.
« Jo ne crois pas, dit-il*, que les dieux s'abandonnent à des
amours criminelles; ils ne s'enchaînent, ils ne se subjuguent
point les uns les autres : jamais je ne l'ai admis, et je ne le
croirai jamais. Dieu, s'il est vraiment dieu, est exempt de tout
besoin. Des poètes ont inventé ces tristes fables. » Et ailleurs1 :
«
Si les dieux commettent une action honteuse, ils ne sont pas
dieux. » Et ailleurs encore* : « Quelle maison construite par la
main d'un artisan, pourrait contenir dans ses murs l'être divin ? »
Il était difficile de faire accorder ces idées nouvelles avec des
fables qui s'étaient formées dans un autre âge, sous l'influence
des vieilles croyances populaires de la Grèce. Euripide ne fut
pas rebuté par cette difficulté. Si certaines fables attribuaient
aux dieux un rôle qui révoltait son intelligence éclairée, il
n'évitait pas de les mettre sur la scène; il les reprenait au con-
traire à son point de vue, tantôt en se bornant à les critiquer,
tantôt en les transformant. H essayait ainsi de leur donner une
vie nouvelle, mais il ne réussissait la plupart du temps qu'à
leur enlever leur vie propre. Eschyle et Sophocle n'avaient eu
qu'à développer les vieilles légendes pour en faire de belles
tragédies : l'esprit de ces poètes s'accordait avec l'esprit des
traditions. Moins heureusement placé, Euripide s'est souvent
trouvé en opposition avec les données qu'il mettait en oeuvre.
A la fois penseur et poëte, il proteste contre les fables qu'il fait
revivre; et ce qu'il crée d'une main, il le détruit de l'autre4.
Quand les Athéniens eurent trouvé dans l'île de Scyros des
ossements gigantesques, ils s'imaginèrent avoir découvert les
lestes de Thésée, et ils les ramenèrent en pompe dans Atbènes
avec de grands honneurs6. On se figurait les hommes de l'âge
béroïque beaucoup plus grands et plus robustes que ceux des
générations suivantes; et de même on les douait, par l'imagina-
it Hercule furieux, 1311 sqq. Cf. Iph, ment d'Alexandrie, Strom, V, xi, 76 :
Taur, 38& sqq. Hoïo; S' âv otxoî textôvwv lO.aofci; vtso
2, Fr. 300 Wagner, Stobéo, C, 4 : ÏX Aî'jii; tô fieïov ncpi6x).6t•cÂ/t<yi ntu/aï; ;
6eo( 6fô)5tv tAvfêhn, oOy. tteiv Ostri.
ti *. Voy. I,i Xoticesut Electre, \>. 6C6 sqq.
3. Fiagment 0C8 Wagner, cilc jnr Clé- &. Cf. riutaïquc, Thésée, XXXVI.
xiï INTRODUCTION.
tion, d'une vertu, d'une force de caractère en quelque sorte
surhumaines. Disciple des philosophes, Euripide, comme Thu-
cydide', ne partageait pas ces illusions. Il voyait le premier âge
de la Grèce d'un oeil plus sobre, sans cet éclat incomparable,
sans cette grandeur idéale que la poésie s'e'tait plu à lui prêter :
il pensait que les hommes avaient été les mêmes de tous les
temps. Il rapprocha donc de la vérité commune les héros de la
Fable, les couvrit souvent de guenilles, et ne les montra pas tou-
jours exempts de misères morales, de Tégoïsme et des petitesses
du coeur. Si l'on excepte un groupe d'êtres purs et nobles, la
plupart à peine sortis de l'enfance, jeunes hommes et jeunes
femmes que l'âge et l'expérience de la vie n'ont pas encore
flétris, les Ion, les Hippolyte, les Phrixus, les Ménécée, les
Polyxène, les Macarie, les Iphigénio2, on peut dire, avec So-
phocle3, qu'Euripide.peint les hommes tels qu'ils sont.
Ajoutons qu'il peint les hommes tels qu'ils étaient de son
temps, qu'il les fait raisonneurs cl critiques, rebelles à l'auto-
rité des principes consacrés, affranchis du frein de l'usage. La
grandeur du caractère, la sauvegarde des idées reçues, de la
morale traditionnelle, leur faisant ainsi défaut, que leur reste-l-il ?
La passion, la passion d'autant plus irrésistible qu'elle n'est plus
contenue par aucune de ces barrières. La peinture des passions,
des maladies de l'âme, analysées par le penseur, reproduites
par le poëtc, telle est en effet, on le sait, la grande nouveauté, la
partie vraiment originale du théâtre d'Euripide. Parmi ces ma-
ladies de l'âme, celle qui tient le premier rang, c'est l'amour.
Euripide a peint l'amour dans ses fureurs, dans ses égarements
les plus coupables, les plus monstrueux même4, et, comme ce
mal fait les plus grands ravages dans le coeur des fcJnmes, c'est
là qu'il l'a étudié particulièrement. Cette élude a mis à nu bien
des plaies : aussi Euripide fut-il, dès sou vivant, accusé d'être
b. txdoliat. >' Cette prétendue loi est invo- 3. Cf. la didascalie de rilippolyte.
quée par d'autres, à propos du conte ab- 4. Cf. Klicn, Ulsl. var. II, 8.
surdede la bigamie de Soerale.Cf. I. Lurac, 5. Cf. Suidas, article NtX'Jjia/o;.
De ligamia Socratis, p. 61 sq<|. 6. Suidas : Nixa; ôï i£).eto e', xi; {Jlèv
h. Voyez le IJto; et notre Notice sur. TÊscapa; ïicptwv, if,v ôè u.{»v (i£tà ff(v
Il'higcnie h Aulis, p. 307 et p. 310. — îe^euttjV èstônÇaufvov aô opôéjia tov
D'après Suidas, Euripide le jeune était ne- âîc).f.5oO avToû Évptr.îoG'J. L'expression
Teu du grand poète. TÔ ôpâu.a est inexacte. Le cliiffre de cinq
2. Le IJto; porte : "Hf^aïO SèôiSscxeiv >ictoires est confirme par Varron clie/.
ira âp/ovto; xaià 'Outintàîa
Ka).).CoJ Aulu-Gelle. A la Cn d'une des rédactions
n%' Ixti a.'' ïtpûtov St ÊSioâÇato ta; du Uio:, on lit : Nix»; ôï t/ti te, leçon
Ile) tâ$a(, ou x»l îftîoç tY«'vlTO. Cepen- qui prowent évidemment de v(xa;5è êiry_ev
dant Àulu-Oelledit : ti Tragoediamstribcre (il faudrait l<f/t) i'. Celle trieur a été ré-
« nalus aùnos duodcvigihtiadoltustst. x- pétée par Thomas.
INTRODUCTION. xvn
peu considérable. Sophocle reçut vingt fois la première cou-
ronne, et ne fut jamais placé au troisième rang. Cependant, si la
majorité du public se montra peu favorable à notre poète, il
faut croire qu'il avait pour lui un parti nombreux, ardent, in-
fluent surtout par l'intelligence et le don de la parole. Les cri-
tiques incessantes d'Aristophane prouvent qu'Euripide jouissait
d'une grande réputation : on n'attaque avec tant de persis-
tance que ce qui est puissant. Euripide était penseur autant que
poclc, et par ses idées il se trouvait en avant de son siècle : là
est évidemment le secret et de sa grande influence sur les esprits
cultivés, et de ses nombreuses défaites au théâtre. Aussi la po-
pularité d'Euripide alla-t-elle en grandissant : ses partisans
s'accrurent avec l'avènement de nouvelles générations, qui par-
tagèrent de plus en plus ses idées. Il semble avoir été très-goùté
vers la fin de sa vie : les Grenouilles d'Aristophane ont pour
but de combattre l'Euripidomanie qui dominait alors, et que
Bacchus, le dieu des lètes théâtrales, représente dans cette co-
médie. Le goût du public pour Euripide se répand et s'accroît
après la mort du poète. Nous le voyons bientôt régner sur les
théâtres d'Athènes et de la Grèce, et plus tard sur ceux du
monde grec et romain. Les grands acteurs le préfèrent, les
poètes l'imitent, les écrivains le citent, tous ceux qui lisent le sa-
vent par coeur *.
Revenons à la vie d'Euripide. Il ne nous reste que peu de
mots à ajouter. Notre poète passa ses dernières années d'abord
à Magnésie, puis à la cour d'Archélaiis de Macédoines. C'est pour
plaire à ce prince qu'il composa une tragédie sur les aventures
d'Archélaiis, descendant d'Hercule et auteur de la race des rois
de Macédoine1. Parmi les tragédies que nous possédons encore,
Ncuck révoque en doute le premier de ce» XIII, p. 598 D; Addoeus dans VAnthot.
deux renseignements, lequel n'a rien que Palat. VII, 61, et un autre poète, ib. 41;
de très-vraisemblable, et n'est point en Stephanus Byz. p. 176, 1; Diogènianus,
contradiction avec ce que rapporte Dio« VU, 68} Ovide, Ibis, 59b; Valère-Maxirae,
mède, p. 486 Putsche: « Tristitia namque IX, xu, ext. 4; Hygin, Fable 247.
« tragoedia: proprium, ideoque Euripidcs 4. Yoir Aristote,Politique, VI11 (V), 10 :
« petente Archelao rege ut de se tragcediain
Kai î?jÇ 'Apy.EÎ.âou ô' îîiiôî'sew; Âsxd-
«c
scriberct abnuit. » Quant au sujet de la p.vt/0; f(Y£u.ùv iyévETO.... Aïttov Se ttjî
tragédie à'Archèlaùs,cf. Hj-gin, Fable 219. ôfY^i» 8ti oùxàv £Ù5wxe jictoriYtôffat Eù-
I. Cf. Bacch., 660 sqq., 409 sqq., avec ft7t£S-Q t<3 nowjtî- • ô S' Evptîtt'èTjî èyjxlé-
les notes d'Eîmsley. îïaivEv tiïtôvTo; ti aùtoù el; Svawôtav
2. Cf. Bio;. Apollodore, chez Diodore tov <7îôu,axo;.
de Sicile, XIII, 403, place la mort d'Eu- 5. Amrnien Marcellin, XXVII, iv, 8 :
ripidedans la troisièmeannéedelà 93e olym- « Proxïma Arctliusa convallis et statio, in
piade; le Marbre de Paros la place dans « qua visitur Euripidis sepulcrum. » Cf.
la deuxième année de la même olympiade. Plutarque,Ljeurgue,31 ; VitruvèVIII, 3;
Les deux dates se rapportent à l'été de Pline, Hist. Kat., XXXI, 19.
l'an 406 avant J. C, et ne diffèrent au 6. Cf. Plutarque, Vie d'Alcibiade, H;
fond que d'un ou deux mois. Vie de Dimosthène, K.
3. Cf. Bïoîj Suidas; Aulu-Gelle; Dio- 7. Voir Bergk, Poëtx lj-rici grxcij
dore, 1. c. ; Hermésianav cliei Alliénée, 2e éd., p. 471 sq.
INTRODUCTION. xix
Callimaque rédigea le catalogue de la bibliothèque d'Alexandrie,
on avait connaissance de quatre-vingt-douze (ou quatre-vingt-
dix-huit) drames d'Euripide; toutefois on n'en trouva plus que
soixante-dix-huit, Encore sur ce nombre trois étaient contes-
tés1. Le Pirithoiis était attribué par quelques-uns àXhitias* ;
Rhadamanthe et Tenues passaient aussi pour apocryphes. Res-
taient donc soixante-quinze pièces : chiffre qui s'accorde assez
avec celui des drames dont les titres et, à peu d'exceptions
près, des fragments, sont arrivés jusqu'à nous. C'est qu'Euripide
est un des poètes le plus souvent cités pa? les auteurs grecs et
latins. Nous allons énumérer ses drames en les classant d'après
les cycles mythiques auxquels ils appartiennent par leur sujet.
Guerre de Troie. Alexandre. Les Scyriennes, Télcphe. Iphi-
génie à Aulis*. Paiamède. Rhésus*1. Phi/octète. Epéus. Les
Troyennes*. Hécube*. Dans ce nombre, le Rhésus seul est tire
<Ie YIliade; les cinq tragédies qui le précèdent sont tirées de
l'épopée des Cypriaques ou .s'y rapportent du moins par le sujet.
Les quatre dernières remontent à la Petite Iliade et au Sac de
Troie. Le Cyclope*, drame satyrique, roule sur un épisode de
Y Odyssée. Enfin Hélène* et Andromaque* font suite
aux récits
de la guerre de Troie.
Race des Péiopides. OEnomaiis. Les Cretoises. Plisthène,
Thyeste, Electre*. Oreste*. Iphigénie en Tauride*.
Race de Labdacus, Thébaïde et fables qui se rattachent à ce
cycle. Chrysipue. OEdipe. Hypsipyle. Les Phéniciennes*, An*
tigone. Alcmèon à Corinthe. Alcmèon à Psophis,
Origines de Thèbes. Les Bacchantes*. Cadmus. Antiope.
I. Le Bîo; porte : Ta nivra S' f(v xaxa |iiv Tiv»; oe', xaxà Si â).Xoy;
aùîû Spijiata çfl', ctoïstai Se or/* tov- èvev^xovra Sûo* câ\vmx\ Se oÇ'. Le
twv voJJjûîTai ?p{a, Tévvij; PaSâjiavfiu; nombre de soixante-quinze drames non
]l£'.f.î6oy;. Dans une autre réduction du contestés est confirmé ptr Varron cïiez.
Bîo; on lit : Ta ïtivta S' r,v aytcô ôpâ- Aulu-Gelle. Toutes ces données remontent,
[laia çr/. Ewïetat Se av-roû oc.iy.cfnx on ne saurait en douter, aux Hîvaxe; de
(inexact pour vçzyuiôiii) %(,', -/.tù y' Callimaque.
îtfôî toijToiî Ta àvti).îYÔii£vaj saxvpr/à 2. Cf. Atliénée, XI, p. 496 B.
Se r,'. ^vtc>.£Y£Tai Se xat toûtcov "ta a'. * L'astérisque marque les pièces que
Suidas est moins précis; mais ses indica- nous posscJons encore.
tions s'accordent assez avec celles que nous 3. Le Rhésus a été considéré par Calli-
venons de citer : Api(i.aTa Se aÙTGû maque et par d'autres critiques uncicu?
xx INTRODUCTION.
Fable d'Hercule. Alcmène. Sylée, drame satyrique. Les Mois-
sonneurs (0êft<jT«(), drame satyrique. Busiris, drame satyrique.
Eurysthée, drame satyrique. Jugé. Hercule furieux*.
Fables attiques. Ercchihée. Jon*. Sciron, drame satyrique.
Alope. Egçc. Thésée. Le premier Hippolyte. Le second Hippo-
lyte*. Les Suppliantes*. Les Héraclides*.
Fables postérieures au retour des Héraclides dans le Pélopon-
nèse. Licymnius. Téménus. Les Tcménides, Archèlaûs, Crcs-
phonte,
Voici maintenant", rangés par ordre alphabétique, les drames
relatifs à des sujets divers. JEole. Alcestc*. Andromède. Anto-
lyciiSy drame satyrique. Bellérophon. Les Cretois. Danaé. Dic-
tys. Jno. Jxion. Lamie. Médée''. Mélanippe philosophe. Mé-
nalippe prisonnière. Méléagre. OEnée. Pélèe. Les Péfiades.
Phaéton. Phénix. Phrixus, Polyïdus. Protésilas. Sisyohe,
drame satyrique. Sthénébée*.
Les titres que nous venons d'énumérer sont au nombre de
soixante-dix-sept. Tous ceux qui sont accompagnés de frag-
ments se rapportent évidemment à des drames connus des litté-
rateurs anciens et recueillis dans la bibliothèque d'Alexandrie.
Or il n'y en a que deux qui ne se trouvent pas dans ce cas : à sa-
voir Epéus et les Moissonneurs. Le titre d? Epéus est fourni par
un monument qui se voit au Louvre*. C'est une liste, malheu-
reusement mutilée, des drames d'Euripide, laquelle entoure
une statuette assise du poëte. Comme cette liste ne contient
d'ailleurs que des drames conservés dans les bibliothèques an-
tiques, il faut compter Epéus parmi ce nombre. Il n'en est pas
de même des Moissonneurs, drame satyrique que la didascalie
de Médée9 signale expressément comme perdu. En retranchant
ce dernier titre, il en reste soixante-seize, un de plus qu'il n'en
comme un ouvrage d'Euripide. C'est à ce pour Hippolyte, Petitfiée pour les îkic-
titre qu'il doit figurer dans cette liste, chanlcs, Cercyon pour Alope, etc.
quelque opinion qu'on puisse d'ailleurs 2. Ce monument a été d'abord publié
avoir sur son authenticité, par Winckelinauii, Monuménti inediti,
i. La critique a élimine certains titres pi. 168, p. 225.
qui font double emploi, tels que Phèdre 3. Voir plus bas, p, J00.
INTRODUCTION. xxr
faudrait : car les anciens, nous l'avons dit, n'avaient conservé que
soixante-quinze pièces de noire poëte. C'est là ce qui nous fait
penser, avec quelques critiques1, que le titre de Tèinéims et
celui de Tcmêmdes désignent une seule et même tragédie.
1. Quant à VOretle, voyez notre Notice 135; Efomcnta doctrinx metriese, p. 71,
sur cette tragédie. 83, 116, 119, 123; préface des Sup-
2. On a essayé de faire ce tableau. Voir pliantes, p. iv ; préface des Bacchantes,
Zirndorfer, De c/ironologia fabularum p. xxxix sqq.
Euripidearum, Marbourg, 1839. Hartung, 4. Cf. la note sur le vers 317 d'Iphigé-
Euripide* restitulut, Hambourg, 1843-44. nie h Aulis.
Fii, en tète de l'Euripide de la collec- 6. Voir les Arguments grecs iïAlcestt,
tion Didot, 1844. de MéJée, d'IIippol/le, et la scliolie sur
3. Cf. G. Hermann, Ojiuseula, I, p. le vers 301 à'Oreste. Quant à la date des
INTRODUCTION. xxm
térieure aux Troyenncs, c'est-à-dire à l'an A15, l'autre posté-
rieure à cette date, A la première série appartiennent, en premier
lieu, lîècube, tragédie qui fut probablement jouée en 424',
ensuite les Suppliantes, les HéraclU/cs, Andromaauc et Hercule
furieux, ouvrages intermédiaires, par leurs dates, entre Ilippo-
lyte et les Troyenncs, Dans la seconde série se placent, d'abord
Electre, tragédie que nous croyons de Tan 413a, puis Ion et
Iphigènie en Tauride, enfin les Phéniciennes, dont la date doit
être voisine de celle tVOresle, puisqu'un témoignage ancien* les
désigne comme une pièce jouée très-peu de temps avant la mort
du poëte.
Trayennes, cf. Élicn, Hist. var, II, 8; i. Voir la Notice sur cette tragédie,
pour celle d'Hélène, le sclioliaste d'A- p. 209 sq.
ristophane au* vers 4012 et 4060 des 2. Voyez la Notice sur Electre, p. 568
Thesmophores; pour ce qui est enfin et suiv.
d'Tphigenij à Aulis et des Bacchantes, 3. La scliolie sur le vers 53 des Gre-
voir le mtme scholiaste au vers 07 des nouilles d'Aristophane.
Grenouilles. On trouve ces scholics ci- 4. Cf. Pseudo-Plutarquc, fie de Ly-
dessous, p. 319 et p. 568. eurgiie, dans les fies des dix orateurs.
xxiv INTRODUCTION,
copie, en leur abandonnant son gage*. Cependant le texte des
tragiques souleva plus d'une discussion parmi les philologues
alexandrins : les scholies en font foi. Évidemment ces savants
ne possédaient point d'exemplaire exempt de fautes et d'inter-
polations et à leur tour ils reprochaient aux acteurs (quelque»
,
fois à tort) d'avoir fait des changements arbitraires*.
Pendant cette période laborieuse, beaucoup de savants
consacrèrent des travaux au texte d'Euripide, soit pour en fixer
la leçon, soit pour en expliquer les difficultés. Les scholies qui
sont venues jusqu'à nous les mentionnent rarement. Voici ce-
pendant quelques noms qui s'y trouvent cités : Aristophane de
Jîyzance et Callistrale, son disciple, Cratès, Parméniscus, Apol-
lodore de Tarse et Apollodore de Cyrène. Les commentaires de
ces érudits et, sans doute, de plusieurs autres, furent résumés et
revisés, du temps de Jules César, par l'infatigable Didymus, le
prince des scholiastes, à qui d'immenses compilations, embras-
sant une grande partie de la vieille littérature grecque, valurent
le surnom de « l'homme' aux entrailles d'airain (ya).xevTepoç).
Plus tard, un certain Denys ' fit à son tour un extrait des an-
ciens commentaires sur Euripide. C'est de ces deux recueils,
celui dé Didymus et celui de Denys, qu'est tiré le vieux fonds,
la partie îa plus précieuse, des scholies que nous possédons au-
jourd'hui.
Ces vieilles scholies sont d'un grand secours, non-seulement
pour l'interprétation, mais aussi pour la critique du texte. Elles
se rapportent à une leçon plus ancienne et plus pure que celle
de nos manuscrits ; et elles fournissent assez souvent des indices
au moyen desquels il est possible de retrouver cette leçon et de
corriger des passages altérés par les copistes. En effet nos ma-
nuscrils ne remontent pas plus haut que le douzième siècle, et,
i. Cf. Galien, in Hippocratis Epi- vers 13CC A'Oreste, sur le vers 2C4 des
ttem. III, comtnentarius II, tome IX, Phéniciennes,
p;ige 239 sq.. de l'édition de René Cliar- 3. Voyez les souscriptions des scholies
lier, Paris, \ 6S9. «ur Oreste et sur Mt'-Jée dans le manuscrit
2. Cf. les scholies sur les vers 8S, M8, 2713 de la Bibliothèque impériale de Paris
2S8, SBC, 379 et 910 de Mûtét, sur !c et dans quelques ii«tr*î.
INTRODUCTION. xxv
il faut le tlire, les meilleurs d'entre eux présentent îles fautes
graves et nombreuses. Ils n'ont été classés méthodiquement que
depuis peu de temps, dans l'édition de Kirchhoff (1855). C'est
d'après les recherches de ce savant helléniste que nous signalons
ici les principaux manuscrits, ceux que l'on trouvera cités dans
nos notes critiques.
\. Cf. Buttmann, Scholia in Odysscamt dons désigner quand nous parlons dans
p. 582 sqq, notre commentaire critique du scholiaste
2. La leçon de ce manuscrit est moins de Paris. Mais lorsqu'il s'agit de variantes,
exactement connueque celle des manuscrits le terme de « manuscrit de Paris « se rap-
qui précèdent. Il faut excepter YAndro- porte, nous l'avons dit, au n" 2712. Nous
tnaque, que Lenting a collationnée avec craignons toutefois de n'avoir peut-être
soin pour son édition de cette tragédie. - pas toujours assez nettement distingué ces
3. C'est ce manuscrit que nous enten- deux manuscrits.
INTRODUCTION. xxvn
traditionnel, Hécube, Oreste et les Phéniciennes, ont été pro-
pagées clans un grand nombre de manuscrits récents, corrigés
par les Manuel Moschopoulos, les Thomas Magister, les Démé-
trius Triclinius, et accompagnés de leurs longs commentaires.
Tous ces manuscrits ont fort peu de valeur, et la critique mo-
derne les néglige avec raison. Toutefois ne soyons pas injustes :
Thomas a fait un certain nombre de bonnes observations, et
Triclinius a parfois émis des conjectures heureuses$ enfin ces
manuscrits récents ont pu conserver, très-rarement, il est vrai,
une leçon remarquable ou une vieille scbolie qu'on ne trouve
pas dans les bons manuscrits.
A côté de ces manuscrits, qui, à des titres et à des rangs
divers, rentrent tous dans la première classe, il en existe un
petit nombre d'autres, inférieurs pour le texte, presque dénués
de scholies, inappréciables cependant, parce que seuls ils ont
conservé dix drames d'Euripide qui ne se trouvent dans aucun
manuscrit de la première classe.
Cet éloge ne s'applique pas, il est vrai, au manuscrit qui se.
place d'ailleurs au premier rang de cette seconde classe, le Ilar-
leianus (n° 5743 du Musée Britannique à Londres). Il ne con-
tient qu'un fragment de XAlceste, le Rhésus et les Troyennes.
Encore doit-il être placé dans la première classe pour ce qui
concerne la fin de cette dernière pièce (v. 611 sqq.), laquelle
est écrite d'une autre main, et offre un texte qui se rapproche
de celui du manuscrit de Copenhague.
Le Palatinus (n° 287 de la bibliothèque du Vatican à Rome),
qui date, à ce qu'il paraît, du quatorzièmesiècle, contient six tra-
gédies de la première série, à savoir: Andromaque, lilcdée, Rhé-
sus, Hippolyte, Alcesle, les Troyennes, et de plus: les Supplian-
tes, Iony Jphigénieen Tauride, Iphigénie aAulis (suivie du début
apocrypbe de Danae), les Bacchantes^ le Cyclope et les liera-
clides.
Le Florentinus(n°'xxxii, 2 delà bibliothèque Laurentienne à
Florence), écrit au quatorzième siècle, ne donne pas seulement
toutes les tragédies de la première série, sauf les Troyennes,
xxvnt INTRODUCTION
mais encore ces dix autres: les Suppliantes, les Bacchantes (jus-
qu'au vers 755), le Cyclope, les Héracl'ules, Hercule furieux,
Hélène, Ion, les deux Jphigénie, et Electre1.
Quand il s'agit de constituer le texte des neuf premières tra-
gédies, l'autorité de ces manuscrits est faible ; et cependant on
ne saurait les négliger tout à fait : nous les désignons alors sous
le nom de « manuscrits du second ordre ». Quant aux dix der-
nières pièces, on voit que trois, Hercule furieux, Hélène et
Electre, ne nous ont été transmises.quepar le Florentinus, Pour
les sept autres nous avons aussi le Palatinus, dont la leçon,
particulièrement celle de la première main, est moins altérée que
celle du manuscrit de Florence.
Enfin un quatrième manuscrit de cette classe se trouvait entre
les mains de l'auteur de la Passion du Christ (XptcTÔç îîa<r/wv),
drame faussement attribué à Grégoire deNazianze*. Cet ouvrage
n'est, on le sait, qu'un centon composé avec des vers tirés de
VAlexandra de Lycophron, du Promèthée et de Ydgamemnon
d'Eschyle, et enfin de sept tragédies d'Euripide: Hécube, Oresle,
Méilée, Hippolyte, les Troyennes, Rhésus et les Bacchantes.
Gomme cet auteur n'y a guère mis du sien, les emprunts qu'il
fait pour composer sa marqueterie peuvent quelquefois fournir
un élément à la constitution du texte de noire pocte.
Voilà les matériaux dont dispose un éditeur d'Euripide. Ils
sont, comme on le voit, assez abondants pour les neuf pre-
mières tragédies du recueil traditionnel ; mais ils sont faibles
pour les dix autres, et particulièrement pour les trois dont le
texte ne repose que sur un seul manuscrit de médiocre autorité.
\, De Furia a fourni à l'édition de Mat- 2817, lequel porte les mêmes tragédies que
thias une collation du Florentinus faite le numéro 2887 c'est-à-dire le Rhésus et
,
avec• une extrême négligence. Mais la Bi- les dix dernières sauf Electre; c'est enfin
bliothèque de Paris possède plusieurs ma- le numéro 27M contenant, deux exem-
,
plaires d''M'ercule furieux et d'Electre,et
nuscrits dont le texte provient du Floren-
tinus (apographa Parisina), et dont la un exemplaire d'Oreste.
leçon a été relevée par Fix dans l'Euripide 2. !l faut consulterla.seule édition vrai-
de h collection Didot. Ce sont les numéros ment critique de ce drame, celle que le
2887 et 2888, deux tomes écrits de la regrettable Dûbner a donnée clans la Bi-
même main et renfermant tout ce qui se bliotheca grseca de Didot à la suite des
trouve dans le Florentinus; c'est le numéro fragments d'Euripide,
INTRODUCTION. xxix
Cependant ces matériaux n'ont été ni tous employés, ni tous
appréciés à leur juste valeur par tous les éditeurs d'Euripide.
Pendant longtemps on ne s'est servi que d'un petit nombre de
manuscrits mauvais et récents ; les meilleurs manuscrits et les
scholics les plus importantes n'ont été bien connus que depuis
peu d'années.
Ajoutons que le début apocryphe de Danaé fut d'abord imprimé par Conimetinus,
Hcidelbcrg, 1697.
INTRODUCTION. xxxi
tèrcnt beaucoup d'autres travaux de ce genre; ses belles re-
cherches sur les fragments d'Euripide [Diatribe in Euripidis
pcrditoritm dramatum rcliquiast 1767) n'ont été dignement con-
tinuées que de nos jours1. Alors parurent les Ferisimilia de
Pierson (1752)', les conjectures de Reiskc [Ad Euripidem et
Aristophanem anirnadversiones, Leipzig, 1754), les observations
critiques (Noix scu lectioncs) de Hcath sur le texte des tragiques
grecs (Oxford, 1762) ; les Suppliantes et les deux Iphigênie de
Markland (Londres, 1763 et 1771); YAndrotnaque, YOreste, la
McdcC) Yllècnbe, les Phéniciennes^ YHippoljte, les Bacchantes de
13runck (Strasbourg, 1779 sq.); enfin une nouvelle e'dition com-
plète d'Euripide par Musgrave (Oxford, 1778)'. Ces remarquables
travaux ne se distinguent pas seulement par la sagacité et le goût
de leurs auteurs ; mais le texte y est enfin établi sur une base
critique plus large : l'édition Aldine est contrôlée et corrigée
au'nioyen des manuscrits de Paris, collationnés, il est vrai, avec
trop peu d'exactitude. Un peu plus tard, l'édition Variorum de
Beck (Leipzig, 1778-1788) réunit tout ce que l'érudition avait
jusque-là fait pour le texte d'Euripide.
Dans notre siècle l'Angleterre et l'Allemagne ont rivalisé de
zèle et de science pour rapprocher ce texte de son ancienne pu-
reté. Richard Porson, en Angleterre, et Gottfried Hermann, en
Allemagne, ont consacré une partie de leur vie aux tragiques
grecs, et marchent en tête d'un grand nombre d'hellénistes,
leurs disciples ou les continuateurs de leur oeuvre. Porson n'é-
dita, il est vrai, que quatre tragédies d'Euripide, Ilécube, Oreste,
les Phéniciennes et Médée (1797-1811), mais il fit voir ce que
peut une sagacité pénétrante, mise au service d'une méthode ri-
goureuse, et appuyée sur une étude exacte de la langue des tra-
I. Nous faisons allusion à l'ouvrage tlo 4 840), et celui d'Auguste ISauck (Leipzig,
Welcker: Die grUchischen Tragoedien, mit 1856).
Rûckskht au/ den epischen Cyclus geor- 3. Cette date est antérieure à celte des
dnet, trois volumes, Bonn, 1830-184). Ce Phéniciennes de Valekenaer; mais le jeune
beau travail a été suivi deYEuripides resti- Pierson était disciple de ce grand critique.
tutus de Hartung, Hambourg, deux vo- 3. C'est dans cette édition que l'on
lumes, 1843-{Si4, et de deux recueils des trouve les excellentesobservations critiques
Fragmenta tragicorum grsecorum, celui de de Tyrwhitt, ainsi que quelques conjectu-
F. W. Wagner (Breshu, 1844-52, et Paris; res de Jortin;
xxxii INTRODUCTION.
giques grecs et des mètres Je plus souvent employés par eux.
Après lui et dans le même esprit Elmsley publia les Hcraclidcs,
Médce et les Bacchantes (1813-1821). Monk, l'éditeur d7//y;-
polytc et d'A/ceste (1811-1830), ainsi que des deux Iphigcnic,
lesquelles parurent plus récemment (depuis 1840)
sans nom d'au-
teur1, appartient à la même e'colc. En 1821 les travaux déjà re-
cueillis par Beck et ceux qui s'étaient produits depuis furent
ras-
semblés dans le Variorwn de Glasgow.
En même temps Hermann, le grand pbilologue de Leipzig,
s'adonna avec ardeur à l'étude des mètres grecs. Possédant
au plus baut degré et la connaissance acquise et le sentiment de
la langue grecque, il unit aux procédés sévères d'une critique
pa-
tiente et sûre le don d'une divination, quelquefois hasardée,
souvent heureuse. De 1800 à 1841 il donna Hècube, Her-
cule furieux^ les Supvliantes, les Bacchantes, Ion, les deux Jphi-
génie, Hélène, Andromaque, le Cyclope, les Phéniciennes.et
Oreste. A côté de lui Seidler fit d'excellents travaux sur les
Troyennes, Electre et Iphigcnie en Tauride (1812-1813). En-
suite A. Matthias entreprit une grande édition de tout Euripide
(1813-1829 et 1837): ouvrage estimable, où l'on trouve des no-
tes instructives, mais peu nombreuses, beaucoup de scholies
inédiles, et surtout une foule de variantes, trésor un
peu confus
et d'une abondance trop souvent stérile, mais au milieu
duquel il faut distinguer la leçon du manuscrit de Copenhague.
,
L'Euripide de Wilhelm Dindorf (Oxford, 1832-1840) donne,
outre la collation du Vaiicanus pour Alceste, les Troyennes et
ll/tcstiSf un choix discret de notes tirées des commentaires anté-
rieurs et augmenté de précieuses observations du savant édi-
teur. L'Euripide de la Bibliothèque Didot (1844) a été enrichi
par Fix de la collation de plusieurs manuscrits de Paris1 et
d*un certain nombre de bonnes corrections. On trouve dans
l'édition de Hartung (texte grec, avec traduction et notes en
1. Dans les note* critiques sur ces Jeux Les quatre tragédies désignées ci-dessus
tragédies nous avons a«c* souvent cite ont été réimprimées sous ion nom à Cam-
«t l'éditeur de Cambridge ». Nous voyous bridge en 1857.
maintenant que cet éditeur est J. 11. Monk. 2. Vovez l>agc XxVili, note I.
INTRODUCTION. xxxm
allemand, Leipzig, 18Î3-1853), beaucoup de bouncs observa-
tions et de conjectures ingénieuses, mais aussi les écarts trop
nombreux d'une critique arbitraire et précipitée. Les éditions
Pflugk-Klotz (Gotba, 1829-1860) nous ont été utiles; mais
nous n'avons pas eu le commentaire anglais de Paley (Lon-
dres, 1857-1860). Signalons encore quelques éditions partielles,
dues à des savants hollandais et anglais : la Médéc et Y Andro-
maque de Lenting (Zïitphen, 1819 et 1829), les Phéniciennes de
Geel (Leyde, 18-16), Y Ion, Y Iphigénic en Tauride et Y Hélène de
réminent critique Badham (Londres, 1851-1856). D'autres tra-
vaux seront mentionnés dans notre commentaire.
L'année 1855 et l'édition d'Adolphe Kirchhoff marquent une
époque dans la critique d'Euripide. On a vu que le hasard avait
mis sous la main des premiers éditeurs de notre poète des maté-
riaux d'un ordre inférieur, et qu'ainsi s'était formée cette vulgatc
pour laquelle ceux-là seuls qui n'en connaissent pas l'origine
professent je ne sais quelle vénération superstitieuse. Depuis
longtemps combattue et corrigée par une saine critique, la vul-
gale avait cependant conservé une certaine influence sur la con-
stitution des textes. Kirchhoffrompit définitivement avec la mau-
vaise tradition, et y substitua l'autorité des manuscrits. Mais les
manuscrits eux-mêmes sont de valeur très-inégale. Kirchhoff les
soumit à un examen méthodique, et détermina mieux qu'on n'a-
vait fait auparavant leur filiation, leurs rapports mutuels, leur
importance relative. Les meilleurs manuscrits, le Marciunus et
le Vaiicanus pour la première série des tragédies, le Palatinus
pour la plupart des autres, n'étaient pas encore collationnés ou
ne l'étaient que partiellement et imparfaitement. Kirchhoff en
fit connaître les leçons, relevées avec un soin scrupuleux. Eu
comblant ces lacunes, il put, d'un autre côté, rejeter tout un
bagage de variantes inutiles qui embarrassaient les éditions anté-
rieures. C'est ainsi que, grâce à un classement raisonné, l'ordre
et la lumière succédèrent à la confusion, et que les matériaux
critiques se simplifièrent en même temps qu'ils étaient vérifiés
avec une exactitude plus rigoureuse.
c
xxxiv INTRODUCTION.
Ce que KirclihofF a fait pour le texte d'Euripide, Willhehn
Dindorf l'a fait pour les scholies (Oxford, 1863). C'est grâce à
cet éminent helléniste que nous en possédons enfin une édition
vraiment critique et dans laquelle se trouve réuni pour la pre-
mière fois tout ce qui reste aujourd'hui des plus anciens com-
mentaires sur notre poëte.
C'est donc seulement depuis ces dernières annéees que tous
les documents qui peuvent servir à la constitution du texte
d'Euripide ont été tirés du fond des bibliothèques où ils se trou-
vaient cachés. La critique s'appuie désormais sur une base plus
large et plus solide; cependant sa tâche n'en est pas plus facile :
elle peut arriver à des résultats plus sûrs, mais elle est toujours
obligée de chercher et de creuser. Il n'en est pas d'Euripide
comme d'Isocrate ou de Démosthène, comme de Virgile ou
d'Horace. Ceux qui veulent donner un bon texte des auteurs
que nous venons de citer font un choix intelligent entre les
leçons des meilleurs manuscrits, mais ils se trouvent très-rare-
ment dans le cas d'y substituer une conjecture. Pour Euripide,
au contraire, comme pour les deux autres tragiques grecs, on
est forcé de s'écarter sans cesse du texte offert par les manuscrits,
les meilleurs d'entre eux étant criblés de fautes et d'interpola-
tions. Une édition conforme aux manuscrits ne serait pas lisible,
et, par le fait, il n'en existe aucune dans laquelle on n'ait
admis un très-grand nombre de conjectures. Encore faut-il
assez souvent se borner à signaler l'altération du texte sans
pouvoir y remédier d'une manière évidente ou probable. Plus
souvent encore, on ne saurait en douter, les altérations nous
échappent, et nous ne nous apercevons même pas des change-
ments que la main du poêle a subis dans le cours des siècles.
Depuis les travaux de Kirchhoff, Auguste Nauck, qui déjà an-
térieuremçnt avait bien mérité de notre poète, s'est empresse de
profiter des ressources nouvelles offertes aux critiques. Sa se-
conde édition d'ËUripidc (1857, collection Teubner), quoiqu'elle
ne te compose que du texte et de quelques pages de très-
courtes observations ou plutôt d'indications, est importante,
INTRODUCTION. - xxxv
et elle est à juste titre devenue classique. Le même savant
a lu devant l'Académie de Saint-Pétersbourg et public en deux
cahiers (1859 et 1862) d'excellentes éludes critiques sur les neuf
premières tragédies.
I. Nous sommes entré dans plus <lc dé- tragédie dans le Rlteinische Muséum, XXII,
tails sur ijuelfjues passages de l'ili/'poljtc p. 316-301. KnGii, nous avons divuté plu-
dans !a Revue de l'instruction publique, sieurs passages de la Médée dans !cs iYeitc
I8C6, 14 juin. Nous avons traité d'un plus Juin bûcher Jïir Philologie, 1867, p. 376-
grand nuiiihic de passages de la même 384,
xxxvi INTRODUCTION,
pour corriger la vulgate établie, on l'a vu plus haut, sur des ma-
tériaux insuffisants et d'après une méthode défectueuse. Les
exemples abondent : nous en citerons un ou deux, qui nous ont
particulièrement frappé. Au vers 527 sq. de YHécube on lisait :
Celte leçon, nous l'avons fait voir dans notre commentaire, don-
nait à la fois un faux sens et une faute de grec. Kirchhofï, le
premier, a tiré* du Marcianus la vraie leçon aïfst. Mais, il faut
le dire, dans ce cas la critique n'avait pas fait son office : elle
aurait pu corriger ce texte sans attendre le dépouillement des
meilleurs manuscrits. — Dans le premier choeur iïlphigcnîe à
AitliSy le vers 261 (<]»uy.{So- 8'dwto ^Ûovoç) n'offre évidemment que
le commencement d'une phrase incomplète. On s'y est trompé,
parce que la strophe dont ce vers fait partie répond exactement
à son antistrophe. Nous y avons marqué la lacune indiquée
dans le Palatinus, et nous avons été ainsi amené à constater
que l'antistrophe aussi était mutilée.
Ailleurs les bons manuscrits, sans donner la vraie leçon, en
conservent cependant quelque trace. C'est ainsi qu'au vers 772
Ôl Hippolyte)
nous avons corrigé le contre-sens : Ax([«va Gtuyvôv
xaTatîecOetca d'après le Marcianus, lequel porte gtuyvôiv pour
cTuyvov. Les mots ont été mal séparés, et 8a([xova<ïtuyvSv
provient
de 8ai'[j.ova« t'tôvav. — Au vers 1333 de Mèdèe% la leçon vicieuse
des bons manuscrits ! Tov <?<Jv <&acrop' eiç ?[*' ^xr^xv Oeoi laisse en-
trevoir que co'v, marqué d'un accent aigu, était primitivement
suivi d'une enclitique. Cet indice nous a suggéré la correction :
Twv ffwv <s aXctïTop' eî« e}* Imt^/e* 0eo(. — Dans Oreste, vers 1003,
8
4. C'est par ce dernier motif ijuc ces tphigênie à Aulis plus soumit iptc dans
citation* et allusions oui été. indiquées dans les min»» tragédies.
xxxvin INTRODUCTION.
souvent un amas confus, un véritable fatras. Il faut s'en servir
avec circonspection, il faut les avoir pratiquées durant un cer-
tain temps pour avoir quelque chance d'en extraire les parcelles
précieuses. Nous avons déjà dit que les plus anciennes scholies re-
montaientà l'époque de l'érudition alexandrine,et primaient ainsi
par leur antiquité tous nos manuscrits. Là est leur importance
pour la critique. On trouve assez souvent à la marge d'un ma-
nuscrit une note qui ne se rapporte pas au texte de ce manuscrit.
Dans ce cas, on doit chercher, deviner quelle était la leçon
que le seholiaste avait sous les yeux. Quelquefois on retrouve
ainsi l'ancien, le vrai texte. Mais la chose n'est pas toujours facile.
On peut être induit en erreur par la subtilité des commentateurs
grecs qui, tout en n'ayant pas d'autre leçon que nous, prêtèrent
souvent à un texte gâté un sens qu'il ne saurait avoir. On peut
être trompé par l'amalgame qu'offrent les scholies et dans le-
quel les explications de leçons diverses se trouvent plus d'une
fois juxtaposées et même enchevêtrées les unes dans les autres.
Enfin, on ne voit pas toujours du premier coup d'oeil quel
texte re'pondait à une paraphrase vague ou à une glose concise.
Nous ne relèverons pas tous les passages qui ont été corrigés
à l'aide des scholies. Pour donner une idée du parti que l'on
peut tirer de ces débris des plus anciens commentaires, il suffira
de nous en tenir à la seule tragédie (Vllippolyfe. L'interpolation
du vers 1050 se prouve au moyen d'un renseignement donné
par le seholiaste de Paris. C'est sur des indices fournis par les
scholies que Bothe a transposé les mots au vers \A4, que Sca-
ligcr a rectifié le vers 302, que HartUng et Mtisgrave ont corrigé
les vers 328 sq. Un changement de ponctuation extrêmement
heureux, introduit par Nauck dans le vers 491, et la correc-
tion, due au même savant, d'une des fautes qui défiguraient le
vers 6/0, se confit ment par les scholies. Nous avons nous-mênle
rétabli le texte des vers 228, 364, 585-587, 715 sq., 1303, en
prenant pour point de départ les paraphrases des anciens com-
mentateurs.
A côté ;es scholies il faut placer les lexiques d'Hésychius et de
INTRODUCTION. xxxijc
,
avons changé tiv npo; (<rn/pav xeXsuGov oûpavou, leçon qui faussait
le sens du vers 1003 d'Oreste, en tàv îto'O' foïtepov xsXeuOov o&pavoîî;
que Nauck a rétabli la mesure du vers 1295 de la même tragé-
die, où les manuscrits offrent exemouca rama poiir gmthuovg àîtavrot.
Voilà les secours que les variantes des bons manuscrits et les
citations éparses chez les auteurs anciens, ainsi que les vieilles
scbolies et les glossaires, peuvent fournir pour la restitution des
textes.
Disons maintenant un mot de la méthode à suivre lorsque
ces deux auxiliaires font défaut. Une fois qu'on s'est assuré que
le texte a reçu quelque atteinte (c'est là le premier point, et
peut-être le point le plus important, à constater), il faut se de-
mander si c'est l'erreur d'un copiste ou l'introduction d'une
glose qui altéra la leçon primitive. Tout récemment un savant
professeur de Bonn, M. Heimsoeth, a fait avancer la méthode
critique en insistant sur cette distinction et en montrant com-
ment les notes explicatives écrites à la marge ou entre les lignes
du texte y pénétrèrent et le modifièrent de mille façons diverses
et beaucoup plus souvent qu'on n'avait pensé jusqu'ici. On peut
dire en général que, s'il y a non-sens ou faux sens, on doit en
accuser l'étourderie des copistes; mais qu'il faut soupçonner la
présence d'une glose, si la diction ou la versification laisse à
désirer. Cependant cette règle générale souffre de nombreuses
exceptions ! l'erreur d'un copiste peut encore donner un sens
quelconque; une glose peut produire un non-sens, si elle est
inepte, ou bien si elle a pris la place d'un autre mot que celui
qu'elle devait expliquer; enfin les deux causes d'altération peu-
vent avoir agi à la fois»
Xh INTRODUCTION.
On connaît assez les erreurs des copistes, et l'on sait d'où
elles peuvent provenir. Tantôt c'est la ressemblance des lettres
(comme A, A, A), tantôt c'est la ressemblance ou l'identité des
sons (comme I, Y, H, El, 01) qui les trompent. Les deux espèces
de faute se trouvent réunies dans *,&'«<;, leçon vicieuse pour
i'Xewî {Jph. Aul. 1596). Tantôt ils omettent des lettres, des
mots, des vers, tantôt ils les répètent, ou ils remplacent un mot
par le mot qui se trouve à la place correspondante de l'un des
vers voisins. Quant à ce dernier cas, voyez, par exemple, les
vers 670 sq. tfHippolyte, ou les vers 171 sq. iïlphigénie à Aulis.
Ils se laissent enfin aller à une foule de distractions qu'il est
inutile d'énumérer et facile de connaître : un peu d'habitude y
suffit. Ainsi, nous avons remarqué que certaines syncopes cton»
liaient les copistes et donnaient souvent lieu à des erreurs. La
faute est légère au vers 882 d'Electre, où le manuscrit porte
dvocSv^aTcc pour àv&^uiaTa, forme que le mètre exige et qu'un cri-
tique anglais a rétabli. Mais au vers 582 de la même tragédie
<x<7na<îMtAxi .... jîo).ov est un non-sens, que nous avons fait dispa-
raître en écrivant àvcîiaçwjjLKt. De même nous avons substitué
dans Iphigênieà Aulis, vers 1344, àvSucojxeôx à la leçon vicieuse
?jV Swtoueû*» et nous
avons proposé dans Jphigénic en Tauride,
vers 818 : dvSÉÇw (â àvêSe'çw) pour àvs&sSjw.
La difficulté, c'est de reconnaître dans chaque cas particulier
la nature de la faute et d'y appliquer le remède convenable.
Cette difficulté augmente lorsqu'une première erreur est doublée
et compliquée d'une fausse correction, ce qui arrive assez sou-
vent. Citons un exemple de ce dernier cas. Au vers 304 iYElectre
on lisait oïotç Iv tuïtXok «ù).i'Çoj/«t, locution bizarre, que plusieurs
critiques avaient remarquée sans trouver une correction pro-
bable. La leçon primitive était aôx(vo;/*tj la ressemblance des
lettres A et A ayant occasionné l'erreur auMvojwti, on voulut
mettre un mot grec à la place de ce non-sens, et on se hâta
trop d'écrire «u).(Ço[i.at.
Les erreurs des copistes ont cela de particulier, que les plus
légères sulîîseut quelquefois pour obscurcir le sens d'un passage
INTRODUCTION. xu
et le rendre tout à fait méconnaissable. Dans Electre^ vers 180,
le manuscrit porte xfousw w>Xsjj.ov pour xpousco îtd$' Ijtov, rétabli
par un savant du seizième siècle. Dans ffécube, Hermann a
e'clairé le vers 1000 en e'ciïvant èVc', to yikrfidç pour Ïgxm çi)>ïi-
Oh'ç. Pour ajouter quelques exemples de fautes de ce genre qui
n'ont été corrigées que dans notre édition, nous renvoyons aux
vers 151-154 de flîcdée, dont le sens avait été complètement
dénaturé par la substitution de TeXeutav à -rù-tutû) ou bien au
vers 826 de la même tragédie, où les copistes, en mettant â~o-
osf€ojji.sYot à la place de dmo, ^sfëo'jAêvoi, avaient foncièrement gâté
I. Voir F. Hcïtnsoctli « Die H'iederher- Kritische Studien zu den grk jiischen Tm-
stellitng der Dramen des jiïsctijltts, gikem, I, Bonn, ISC5. De dkersu diver-
Bonn, t8CI. Die indirecte VehetUe/ei-ung sorum menJottim emendiilione, troi* ûk~
des arsclijlisefirii Textes, Bonn, (8fi2, st'llillîonSj Bout), IS0C-I807,
xlii INTRODUCTION.
Au vers 432 HHippolyte, la variante xop(fcrat n'est qu'une
glose de x«piuÇ&Tai. Il en est de même de "kàw Sojaouç pour "ÀtSou
wjX«ç au vers 895 de la même tragédie et au vers 1234 de
Mcdce. La bonne leçon est fournie dans ce dernier passage par
tous les manuscrits du premier ordre ; dans l'autre, elle n'a été
conservée que par un seul manuscrit. Là peu s'en est fallu que
la glose n'envaliît tous les manuscrits; et ce qui a failli arriver
dans ce cas, est très-souvent arrivé en effet. Nauck a vu qu'au
vers 1451 à'Hipooljte les mots r)jv Toço'Sajxvov ftp-re^iv avaient pris
la place de t^v to^oSocjavov ^«pOÉvov, le nom propre ayant été subs-
titué au nom commun. De même nous avons corrigé la mesure
d'un vers (Orcste, 1535) en remplaçant la glose ILAotè/iv par
(j-O-ov. Ailleurs (Jph. Aul. 764 sq.) Hermann a rétabli le mètre
\, Les croclicts verticaux [] désignent 2. Dans les notes critiques les tenues
les interpolations qu'il faul retrancher. Ljs « variante » et « leçon » se rapportent
crochet» obliques < > servent.à distinguer, constamment aux manuscrits, jamais aux
les additions, peu nombreuses, <]uc nous éditions. L'eiprcssion a variante-conjec-
avons cru devoir ajouter au texte. ture », dont nous nous sommes servi
mai INTRODUCTION.
.
signalé que celles qui nous semblaient remarquables, ou qui ont
été pendant longtemps la leçon vulgate'. Quand nous adoptons
une correction, nous nommons toujours, autant que cela nous
est possible, le savant qui l'a proposée le premier, Nous ne citons
d'ailleurs qu'un eboix très-discretde conjectures, et nous distin-
guons, au moyen de lettres plus espacées, celles qui nous sem-
blent offrir un assez grand degré de probabilité.
Quanta l'interprétation, nous nous sommes efforcé de résou-
dre toutes les difficultés qui peuvent être résolues, mais nous
n'avons eu garde de vouloir tout expliquer à tout prix. 11 est des
commentateurs que rien n'effraye. Nous avons pensé que c'était
une grande aberration que de s'obstinera expliquer un texte en
dépit du bon sens, ou en torturant la signification des mots, ou
en faisant bon marché soit de la grammaire, soit de l'usage, soit
du génie de la langue grecque. Toutefois, dans ces cas, nous
n'abandonnons pas non plus le lecteur en gardant un silence
trop prudent; mais nous l'avertissons que la leçon est altérée, et
nous indiquons le moyen de la corriger quand nous en voyons
un qui nous semble plausible. C'est là surtout que ceux qui dé-
daignent la critique des textes pourront comprendre que, sous
peine de s'égarer à chaque instant, l'interprétation ne saurait se
passer du secours de la critique, et que, pour bien expliquer les
auteurs anciens, il est indispensable de s'enquérir de la consti-
tution de leur texte.
Quand il s'agissait de déterminer la valeur d'un mot ou d'une
locution, de rendre compte d'une particularité de syntaxe ou de
tout autre idiotisme, nous nous sommes adressé, pour expliquer
Euripide, d'abord à Euripide lui-même, ensuite aux auteurs de
son époque et particulièrement aux deux autres tragiques. En
quelquefois, désigne que la leçon d'un ma- dant nous croyons n'avoir rîeu omis de
nuscrit semble provenir de la conjecture ce qui est strictement nécessaire. Si notre
d'un grammairien- L'expression a Variante texte diffère de celui-d'une autre édition
{glose) » s'explique assez d'elle-même. que le lecteur pourrait avoir entre les maius,
I. Nous avons peut-être été un peu trop l'absence de notes critique! indique que la
avare de variantes pour les trois premières leçon que nous avons adoptée est celle des
pièces renfermées dans ce volume, Cepen- bons manuscrits.
INTRODUCTION. xiaii
dehors do ce cercle, les poèmes homériques sont les seuls mo-
numents que nous ayons du consulter sans cesse. Homère est
le père de la langue littéraire de la Grèce, et il serait bon de le
savoir par coeur, afin de bien comprendre tous les auteurs qui
ont écrit dans sa langue. A cette exception près, nous avons
eu rarement recours aux écrivains d'un autre âge pour e'claircir
le texte d'un poëtedu siècle de Périclès. De tels rapprochements
doivent être faits avec circonspection, si l'on ne veut pas s'ex-
poser à commettre des erreurs. La langue grecque a été parlée
et écrite durant tant de siècles, elle s'est répandue sur tant de
pays divers, s'est accommodée à des états de civilisation si diffé-
rents, que, tout en gardant un certain fond identique, elle a
subi des variations très-considérables, des modifications extrê-
mement profondes.
Quant aux rapprochements littéraires, il fallait relever dans les
auteurs antérieurs à Euripide les passages que ce poè'tc a imités,
ou dont il s'est inspiré, ou avec lesquels il a rivalisé. Il nous a
semblé moins nécessaire et moins instructifde recueillir toutes les
imitations qu'Euripide a provoquées à son tour chez les auteurs
venus après lui. Sauf celles qui se trouvent dans les fragments
des tragiques latins, des Ennius, des Pacuvius, des Attius, nous
n'en avons cité qu'un petit nombre, qui semblaient offrir un
intérêt particulier, lïllippolyte et Ylphigénie a Aulis prêtent à
des rapprochements continuels avec les tragédies dans lesquelles
Racine a rajeuni ces antiques sujets : nous nous sommes interdit
d'étendre notre commentaire outre mesure en citant des vers
que nos lecteurs savent par coeur ou qu'ils peuvent retrouver
facilement. En général, dans les notes explicatives comme dans
les notes critiques, nous avons visé à la concision. Nous nous
sommes efforcé de ne rien donner de superflu, mais aussi de ne
rien omettre de nécessaire ou d'utile.
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