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Sept tragédies d'Euripide /

texte grec, recension


nouvelle, avec un
commentaire critique et
explicatif, une introduction
[...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Euripide (0480-0406 av. J.-C.). Sept tragédies d'Euripide / texte
grec, recension nouvelle, avec un commentaire critique et
explicatif, une introduction et des notices, par Henri Weil,....
1868.

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:m:
IMPRIMERIE GÊNKRAI.F. DR Cil LA II UHF.
Biif de Fleuiut, 9, à Par»
SEPT TRAGÉDIES

AVEC UN COMMENTAIRECRITIQUE ET EXPLICATIF

USE 1NTROIHTCTIOX S.T l)FS NOTICES

PAR HENRI WEIL


Correspondu» d» l'Iniriiai
Piofenror i t* t'irulii 4*i lellrei <!• fk»«nçoo

INTRODUCTION

PARIS
LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET G"
BOULEVARD SAINT-GERMAIN. Ji° 77
i.om»rf.s, 18. ki\t. wii.mam stbfï.t, strami—i.rii/.m, 3, kof.mgs strasse

1868
3rffc
INTRODUCTION.

La vie d'Euripide, l'indication de ses ouvrages, soit conservés


soit perdus, la transmission de ses tragédies et l'histoire de leur
texte depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, enfin les méthodes
critiques propres à constituer et à épurer ce texte telles sont
.
les matières que nous nous proposons de traiter ici rapidement.
Quant à l'appréciation littéraire du théâtre d'Euripide, nous
renvoyons aux Tragiques grecs de M. Patin, ouvrage qui est
dans toutes les mains et dont nous n'avons pas besoin de faire
l'éloge.
Il en est de la vie d'Euripide comme de celle de la plupart
des poètes grecs: elle n'est que très-imparfaitement connue. Si
l'on retranche les anecdotes frivoles, les faits dénués d'intérêt
ou peu dignes de foi, il reste peu de chose. Parmi les biographes
anciens de notre poëte le plus considérable était, sans doute,
Philochorus, savant d'une érudition exacte et d'une critique
sûre1. Il contestait déjà des traditions mal établies, et il ré-
cusait le témoignage des poètes comiques, propagateurs ou au-
teurs de la chronique scandaleuse d'Athènes. Mais la plupart
des biographes n'étaient pas aussi scrupuleux. Il paraît qu'on
avait fait d'assez bonne heure un extrait des écrits de Philo-
chorus et des autres biographes de notre poète. De cet extrait

l. Philochurus aimait à s'appuyer sur juge aussi compétent que Boerkli (Abhtmil-
des documents authentiques. C. Millier lungen der Bertiner Akademie, IS32,p. iS
(Fragmenta historieorum gnecorum, I, sqq.) n'hésite p:is à déclarer que Philoclio-
p. i.xxxvi) l'appelle : «auclor diligenlïssi- ms lui semlile, en fait d'histoire, aussi in-
« mus acerrimoque pra'ditus judiciu. Uni faillible qu'un homme peut l'être.
A
ii IKÏUOUUCÏION.
ont été tirés à leur tour les maigres documents que nous possé-
dons aujourd'hui. C'est un chapitre d'Aulu-Gelle1, un article
du lexique de Suidas', et surtout une Vie qui se trouve plus
ou moins complète, et avec quelques variantes, dans un certain
nombre des manuscrits d'Euripide, et qui a été remaniée par
Thomas Magister'. Il faut ajouter à cela plusieurs renseigne-
ments épars chez divers auteurs et recueillis par l'érudition
moderne *.
Euripide, fils de Mnésarchus ou Mnésarchidès6, et de Glito,
naquit, d'après la tradition la plus répandue*, à Salamine,.le jour
même où se livrait, près de cette île, la fameuse bataille dans
la première année de la 75e olympiade, en 480 avant J.C
Eschyle, alors dans la force de l'âge, combattit parmi les défen-
seurs de la patrie. Mêlé depuis longtemps aux luttes dramati-
ques, il n'avait pas encore donné toute la mesure de son génie,
et il méditait encore ses Perses et ses autres chefs-d'oeuvre.
Sophocle, bel enfant de quinze ans, dansa autour du trophée,
la lyre à la main. On a souvent signalé ces coïncidences, qui ne
parlent pas seulement à l'imagination, mais qui disent quelque
chose à l'esprit. Il est vrai que l'année et, à plus forte raison, le
jour de la naissance de notre poëte ne sont pas établis d'une ma-

\. AuUi-Gelle, XV, 20. d'auteurs, anciens dans lesquels il est ques-


2. L'article de Suidas se trouve aussi tion d'Euripide. Barnes (1694) et Pnugk
dans quelques manuscrits d'Euripide. Dans (1830) ont aussi fait précéder leurs éditions
l'édition Aldine cet article est attribué à de reclierclies sur la vie de notre poète.
Manuel Moschopoulos. Parmi les autres travaux sur le même sujet,
3. Les diverses rédactions de celte Fie le plus remarquable est sans doute l'article
se trouvent réunies dans les Bioyfiçoi de que Bernhardy a consacré à Euripide dans
de Weslcrmannj p. 133 sqq., et en tète l'Encyclopédie d'Ersch et Gruber, sect. H,
des Scholies sur Euripide, publiées par vol. XXXIX, p. ^Î7 sqq., et qu'il a resumé
Dindorf. Dans les pages suivantes, nous dans son Grundriss der Criechischen Litc-
désignerons cette Fie par le nom de ratur,
Bio;, et nous citerons simplement « Aulu- 5. Cf. Suidas : E'jfuttôrjî Mvïiçipjr&u
Gelle » et ;t Suidas » quand nous aurons rt Mvr,oafx(oov. Les deux formes du nom
en vue les morceaux indiqués dans les se trouvent dans le Bto;, ainsi que dans
deux notes précédentes. deux inscriptions insérées dans le Corpus
4. Nous n'avons pas cru devoir rappeler inscriptionum grscarum aux numéros 6051
tous ces renseignements, en partie futiles. et C052.
Nous renvoyons auxpagessubstantîelles que 6. Cette tradition est rapportée dans le
Kauck a placées en tête de son texte d'Eu- Bto;, chez Thomas, chez Suidas, chez
ripide {édition Teubner, Leipzig, 1857). Diogène Laè'rce, II, 45, chez Plutarque,
On y trouve recueillis tous les passages Quxttt. sjmp, VIII, i, p. 7)7 C, chez
INTRODUCTION. pi
nicre certaine et incontestable. Nous remarquons que Pliilo-
chorus restait à ce sujet dans le doute1, et nous pensons que le
plus sage est d'imiter une réserve si prudente. Mais l'essen-
tiel, c'est qu'Euripide naquit à l'époque des guerres Médiqucs.
Or ces guerres et les victoires remportées sur les Barbares de
l'Asie ont été le point de départ, non-seulement de la gran-
deur politique d'Athènes, mais aussi de sa grandeur littéraire.
L'élan de la vaillante génération qui sauva la Grèce et l'Europe
se révèle directement dans les oeuvres d'Eschyle; mais l'en-
thousiasme de ces grandes journées ne s'éteignit pas aussitôt :
il se communiqua de proche en proche, et toutes les conquêtes
que les enfants d'Athènes ont faites dans le domaine de l'art
et de la pensée sont dues à la noble ardeur qui s'est allumée
à ce foyer.
Les poètes comiques ont jeté du ridicule sur les parents
d'Euripide. A les entendre, son père était cabarclier ou reven-
deur de comestibles, et sa mère vendait des légumes5. Il est
malaisé de savoir aujourd'hui ce qui a pu donner lieu à ces mé-
disances. Philochorus, qui disposait de documents que nous

Hesycliius Illustris dans les Fragmenta families des Athéniens lorsque l'année de
Jfisloricorum gracorum, IV, j>, JG3. Xeixès allait envahir l'Atlique (cf. Héro-
^. On lit d.ms le J{:o; : 'lïreXsvtrjffî, dote, YIII, 41). Quelque spécieuse qti'.'
oï, «5; er.ci «I".).6y_ofo;, vTÙp là loîo- soit cette combinaison, elle n'est cepen-
{irjy.oyia Ir/i ytYovù?, d>; Zï 'Esaîotf- dant pas sûre. Les parents d'Euripide
Oivriï, oî'. Or Euripide mourut en 400 pouvaient posséder des propriétés à Sala-
avant J. C. : c'est là un fait authentique, mine. Du moins Aulu-Gelle rapportc-t-il,
admis par tout le monde. S'il se trouvait'à d'après Pliilochortis, qu'Euripide aimait à
cette date dans sa soixante-quinzièmean- travailler dans une grotte Solitaire de cette
née, il naquit en 480. Le calcul d'Erato- ile. Quoi qu'il en Soit, le Marbre de Paras,
sthène s'accorde avec la tradition commune ligne G5, époqu.* 50 (cf. 1. 75, en. 60, et
sur la naissance du poète. Plitlocliorusétait I. 77, ép. 03) place la naissance d'Euri-
moins explicite : il se bornait à dire pide sous l'archonte Pliilocrate, c'est-à-
qu'Euripide vécut plus de soixante dix dire en 485/481 avant J. C.
• ans.
Nous ne croyons pas nous tromper •2, Le I5io; poite : EOptr.tôii; 6 Tio'.r;îr,:
en tirant de cette réserve la conclusion vlo; lyhzvi Mv^iapyiôo.» xi-r^oy /.as
que Philorhorus ne tenait pas pour bien 'K).eitoy; /.a/avoTtfà/.'.ô'j;. Cette dcnm-ic
établie la date de la naissance d'Euripide. asseition, qu'on retrouve chez plusieurs au-
Mais quelle était l'origine de I4 tradi- teurs anciens, remonte à Aristophane, qui
tion commune? On ne saurait faire à ce la répète à satiété. Cf. AchamUns, 47S :
sujet que des conjectures. Voici la nôtre. Xxivîr/.i i>0: cô:, p.r,îfo(uv osôiyiuvo:,
Euripide naquit à Salamîne. Les biogra- elpassîm. Où le biographe a-t-il pris que
phes combinèrent ce fait avec la circon- le père d'Euripide exerçait le métier de
stance que celte ile, ainsi que d'autres xinïi>.o;? Sans doute dans quelque comédie
lieux voisins, servit de lieu de refuge aux aujourd'hui perdue.
jv INTRODUCTION.
n'avons plus, crut pouvoir prouver qu'Euripide était de bonne
famille1. Quoi qu'il en soit, l'éducation du futur poète ne semble
pas avoir été négligée. Son père voulait d'abord faire de lui un
athlète : une prédiction mal interprétée avait, dit-on, fait conce-
voir à Mnésarque l'espérance que son fils obtiendrait un jour des
couronnes aux jeux publics'. On lit dans les tragédies d'Euri-
pide des paroles amères contre les atblètes. Le poëte méprise ces
colosses de ebair, esclaves de leur corps : il désapprouve les dis-
tinctions dont ils sont l'objet, et il condamne en général l'im-
portance excessive que les Hellènes donnaient aux exercices du
corps3. Ces exercices, qu'une erreur paternelle lui avait imposés
autrefois, lui auraient-ils laissé un souvenir ineffaçable, un dé-
goût persistant? Les biograpbes* rapportent aussi que le jeune
Euripide s'essaya dans l'art de la peinture. 11 serait difficile; je
crois, de retrouver dans les vers du poète une trace positive de
ces études. Un passage d'//ecw&e6, où il fait allusion à certain
procédé des peintres, est trop isolé. Cependant il aime et il pro-
digue les détails descriptifs, pittoresques, et il les pousse souvent

4. Cf. Suidas: Oûx àï.rfiïi £1 <!>; >.a/a- î'ûrrtv yàp âvopô; «Se Ytvva'-*v î.a/.wv
vô:;w).i; r,v ïj {t-for^ ft'itoO • xal y*P î<Sv ruvaixou.iu.tp ôianplnet; u.opjwy.ati. (Je
oçôôpa z\tfi\G}Vix\r(yjxvtv,io;àno5tiy.vv- refais le premier de ces vers d'après
ci «l>t).ô/0po;. Les manuscrits d'Euripide Platon, qui, modifiant les termes em-
dans lesquels l'article de Suidas se trouve ployés par le poète, dit dans le Gorgias,
tninscrît, ajoutent ovoa après êrjyyavtv. p. 485 E : «lnJsiv^vy.riî &5e Y£vva^*v
A tort, suivant nous : c'est &•/ qu'il faut <).ayùv> {itipaxtûSEï StaîtpÉrsEt; u.op-
sous-entendre,etttÛYyavtv doit être rap- Ç(0[J.a~t. Il me semble évident que le par-
poité à Euripide. Atbénée, X, p. 421 C, ticipe ).ay_6)V a été omis par la faute des
et le liio; racontent qu'Euripide exerçait copistes. Le mot Ywaiy.ou.(u.ti> est fourni
dans son enfance certains ministères reli- par Pliilostratc, Vita Jpoll. Tyatt, IV,
gieux qui semblent avoir été réserves aux 21 , passage d'abord signalé par Grotius.)
fils de famille. Nauck conjecture avec beau- Ampbion répondait : Tô ô' àsÔEVî'î u.ov
coup de sagacité que des faits de ce genre xai tô 6f,).'j cu)u.aî0; Kaxw; iu.£U.;Ûr,c*
mi virent à l'hiloclioi us pour réfuter les El y*P ty ÇpEvwv l/io, Kpîïfîcov io5'
médisances des poètes comiques. (àxi x»p-£p&ù ppayjovo; (Stobée, Antltol.'
2. Cf. Bio; et Aulu-Gellc. III, 12). Il ajoutait ; K*i u.f,v ônoi (itv
:j. Voir surtout le fragment considérable capxô; tî; eùeÇtav 'Aguvjgi piotov, f(v
de VAutoljcuSfcité par Atbénéc X, p. 413 <7ça).6)5i /p^u-ÂTtav, Kaxoi no).îïai* 3st
C sq. : Kaxwv y*P 6vxuv (ivpîwv za&' Yàp âvop' elGiçuiv&v 'Ax6).aatov rfloi
'i'Mtxoa Oiôàv xâxtév isxw àW.irjvûv Y»5tpô; £v
Tà'jtôj juvéiv.
Y'îvovîj Xî).« Cf. Electre, 38/ sqq., 802 4. Le Bto; porte : «I'aai II aùtèv Çw-
sqq., 880 sqq., avec la note. Dans l'^-fn- Ypâçov ytolotyii x»l ScîxvvaOxi aO:oj
tioj't aussi Euripide, semble avoir discuté îtivàxtx év MiY^pOt;. Suidas : i'ê^ove ôè
la valeur des cxciticcs du corjis et de ceux ti Tipûta ÇwYpâfO;.
de l'esprit. Zctbus y disait à son fiiie : 6. llécule, 807 5q. Cl. l/i/'jiol. tU/S,
INTRODUCTION*, v
à une exactitude minutieuse; c'est même là l'un des caractères
les plus saillants des récits qu'il prête à ses Messagers et d'un
grand nombre de ses choeurs.
D'autres études exercèrent sur le jeune homme une influence
plus sensible et plus décisive. Euripide fut initié à la philosophie
par Aiiaxagorc; il suivit les leçons de Prodicuset de Protagoras ; il
se lia avecSocrate1. Le disciple et l'ami des philosophes, le pen-
seur, l'homme de la méditation solitaire se reconnaissent dans sa
vie, comme dans ses ouvrages. Euripide vivait à l'écart : on ne le
voit pas, comme Sophocle, prendre une part active aux affaires
de son pays. Sans doute, ii observait les événements politiques,
comme il observait en général les hommes, leurs passions, leur
vie : de nombreuses allusions éparses dans ses tragédies font
foi de l'émotion avec laquelle il suivait ce qui se passait sur îa
grande scène du monde. Mais il assistait à la lutte des inté-
rêts et des ambitions en simple spectateur, sans entrer dans la
mêlée. Les sentiments qu'il attribue à un des personnages qu'il
a créés, à ce jeune Ion, élevé dans la paix du temple d'Apollon,
loin des orages de la vie active, ces sentiments sont bien ceux
du poëte lui-même2. Ailleurs1, il traçait du sage ce portrait
magnifique : « Heureux qui connaît la science! 11 ne cherche
pas à empiéter sur ses concitoyens, il ne inédite pas d'action
injuste. Contemplant la nature éternelle, son ordre inaltérable,

t. Cf. Suidas, Aulu-Gellc,et le «io;. Une p. lxsi). Il est donc possible que noire
rédaction «le ce dernier document nomme, poète ait rappelé cet événement dans une
le philosophe physicien Arcliélaiis parmi de ses tragédies, et nous n'avons pas le
les m.iîtrcs d'Euripide. Pour ce qui con- droit de contester, comme ont fait Clinton,
cerne Ana\agorc, les témoignages abon- Wagner, Xauck et d'autres, l'exactitude
dent. Quant à Protagoras, ajouter, auv au- de l'hilochorus. I! est vrai que les anciens
torités citées ci-dessus Diogène Laè'rce, IX, ont quelquefois imaginé de telles allusions
51 sq. Ce dernier auteur raconte, d'après eu dépit de l.i chronologie. De bonne
Philochorus, que Protagoras périt en mer heure on piétendait que. dans son l'itltl-
atee le vaisseau qui devait le transpoitcr utiile, Euripide avait indirectement repro-
en SiciL', et qu'Euripide fit allusion à cet ché aux Athéniens ta mort de Sociale.
é\cueillent dans son Ixion. La mort de Slais c'est précisément Philochoriit qui
Protagoras peut être placée, sinon avec releta l'anachronisme commit par les au-
certitude, du moins aU'c probabilité, tu teurs de cette anecdote (cf. Diogène de
-il) avant J» C. (Cf. Frey, Quxsliones La «te, (I, H).
Prvttigorea-, p. C*; Zcllcr, Die l'/iilo- 2. C]». ton, 5SJ sqq.
soj'hie der Gricchcn, I, p. 731 ; Mullach, 3, Cf. Ch'mcnld'Alcxaiidiie,Slronu, IV,
t'niginentd v/iitoso/ifivrum {•fircoiunt^ \\, xsv, 157, fragment 905 Wagner.
vi INTRODUCTION.
son origine et ses éléments, son âme n'est ternie d'aucun désir
honteux. »

Le personnage d'Amphion dans la tragédie tfyîntiopc répon-


dait à l'idéal conçu par Euripide, llien n'était plus célèbre dans
l'antiquité que la querelle de Zéthus et d'Amphion. L'un des
frères était un homme pratique : un corps robuste, une fortune
considérable, une grande position dans la cite, voilà le but de
ses enbrls. L'autre était poêle et, à la fois, philosophe; les
luttes de la place publique le rebutaient; il mettait son bonheur
à cultiver son esprit, il voulait être homme avant d'être citoyen!.
Euripide aimait à converser avec quelques amis et avec les li-
vres de ceux qu'il ne pouvait voir personnellement. Il possédait
une bibliothèque2, chose rare et nouvelle à une époque où la
poésie coulait à pleins bords, mais où le goût de la lecture était
peu répandu. Un de ses choeurs comptait parmi les bienfaits
de la paix, dont il demandait le retour, de pouvoir « dérouler
ces feuilles qui nous parlent et qui font la gloire des sages. »

Aristophane,qui n'aimait aucune nouveauté, reproche à Euripide


d'avoir « amaigri la tragédie, de l'avoir rendue lluctle et chétive
en la nourrissant de jus de niaiseries, extrait de livres subtils »*.

4. Voyez, sur VAnliope d'Ktnijiide Un Wagner), cités par Stobée, Anthol. LV,
Mémoire que nous :ivons publié dans le 4. Cf. Hipp. 461,
Journal général de l'instruction yulliijut, 4. Aristophane, Gren. 944 : 'Isyvavot
4817, U* 83 cl 81. jiiv îtfâhKïîGv av*r,v y.ai tô pipo;
2. Cf. Alliéuéc, I, ji. 3 A. àpsD.ùv.... Xu).ov ôiîoù; oiw|j.v>.udu«v
3. Voir les vers de I1Erecltthèc (frg. 352 irib (JiêXtwv &nr,Gûv. Cf. il. v. 4 4l)9.
INTRODUCTION. vu
La tradition nous montre Euripide retiré à Salamine dans une
grotte solitaire sur le bord de la mer : c'est là, dit-on, qu'il tra~
vaillait, qu'il méditait1. Cette singularité, son air triste et sévère,
son humeur morose contrastaient avec l'aimable gaieté de Sopho-
cle, ainsi qu'avec la douceur infinie de ses propres vers. Un poëte
érudit a dit de lui2 : « Le disciple du noble Anaxagore était d'un
commerce peu agréable : il ne riait guère, et ne savait pas même
plaisanter à table, mais tout ce qu'il a écrit n'est que miel et que
chant de Sirènes. » L'antiquité nous a transmis un beau buste
d'Euripide1. Ce portrait annonce des habitudes de méditation
et une vive sensibilité.
Le théâtre d'Euripide atteste, mieux encore que les asser-
tions des biographes, l'influence qu'exercèrent sur notre poëte
les penseurs avec lesquels il était en rapport. Protagoras disait
que l'homme était la mesure de toute chose*. On reconnaît cette
doctrine dans ce qu'alléguait un des héros d'Euripide afin de
justifier une passion incestueuse. « Aucun usage, s'écriait-il, n'est
honteux, s'il ne paraît tel à ceux qui le suivent5 ». C'est encore
conformément à unapophthegme de Protagoras qu'Euripide fai-
sait dire à un de ses choeurs : « Celui qui connaît l'art de la pa-
role, trouve en toute chose matière à des discours contradictoi-
res 6 ». Il faut convenir qu'Euripide a largement mis en oeuvre
cette proposition. Il affectionne les luttes oratoires, il plaide en
rhéteur le pour et le contre de chaque cause, très-ingénieux à

1. Cf. IKo;, et Pliilochorus chez Aulu- i. llâvtwv y#pr(jiâTwv [îitpov âvOpw-


Gclle. îto;. Voy. Diogène Laércc, IX, 51, Platon,
2. Alexandre l'Etolien cher. Aulu-Gellc : Théètctê,
p. 162 A.
'O o' 'Avafei'ôjov Tfoçijio; y.aiov GTpvi- 6. Fragment 2i Wagner, tiré de l'/;"o-
çvô; |ièv iiiotfÊ (?) ïifoiïÊiTTSÎv Kai lus d'Euripide, et cité par le scliuliastc
[j.i5&Y£'w* /-ft>' TwOâ^stv vjoi îî*p'oïvov d'Aristophane, Gréa. H"5 : Tî V aterypov
|/.t{jL40r(xc&;' 'A>.).' 6 \i yç-tyzi «Ot* âv r,v u7, TOÎst ypapivot; Zw.ry, Ce vers a
Hs)iio; xaî Eeipr,ywv êie'tcV/.si. Valckc- souvent été reproché à Euripide. Cf. PIu-
nacr (Diatribe in Euripitiis Jragineiiln, tarque, de tuid. j>oèt. p. 33 C; Stobér, V,
p. 2b) pense qu'Euripide, ainsi cjne l'éri- 82; Athénée, XIII, p. &S2 C.
clt'S, tenait de son maître Anaxagore cette 6. Fragment 213 Wagner, liié i!u VJn-
gravité <jui né se déridait jamais. Il cite tiope, et cité par Stobée, Anthol. LXXXll,
Klien, Uist. lrar. VIII, f3 : 'Av»Ç*Y^ 2 sl>. îtavto; àv tiç KfdyiXiT'y; ow«ûv
:
piv.... ça<:i p.rê fÙM-iti «vte ôjOr.vst ).oywv 'Avûva Oeît' âv, eI )éveiv v.r,
p.r,« [i£i5tûv-a àfy/jV.
Tr,v n'jyji,. Cp. Uiugùiv, I. c. : Upùîo; Éçr,
3. Voir Viscotiti, iconographie grecquet (ô IIpWTaYÔfa;) nEpt ttavtô; ^payi***'-';
pi. 6, et p. 2i. oOo ).ôy&vî Etvat àvîty.tviivo'j;àX)f().oi;.
,
vin INTRODUCTION,
trouver des arguments, mais souvent trop peu préoccupé de ce
qui convient au caractère et à la situation des personnages qu'il
met en scène. Voici des vers1 qu'on dirait écrits pour procurer des
disciples aux Gorgias et aux Anliplion : « Eh quoi! nous recher-
chons toutes les autres connaissances, nous faisons les efforts qu'il
faut pour les acquérir, et nous négligeons la Persuasion, qui est
la maîtresse souveraine du monde! nous ne payons pas de maître
pour apprendre à persuader ce que nous désirons et à l'obtenir ! »
L'amitié qui unissait Euripide à Socrate et l'affinité de ces
deux esprits frappaient tout le monde, au point de faire imaginer
par les auteurs comiques du temps que le philosophe était col-
laborateur du poète. Un de ces auteurs disait', en associant à
Socrate le beau-père d'Euripide : * Voici Mnésiloque qui prépare
un drame nouveau dans la cuisine d'Euripide, et Socrate met des
fagots sous la marmite ». Il en est de cette collaboration comme
de celle de Céphisophon, jeune esclave né dans la maison d'Eu-
ripide et mêlé par la chronique scandaleuse d'Athènes aux mal-
heurs domestiques comme aux travaux littéraires de son maître3.
Il n'est pas difficile de signaler dans Euripide une foule de sen-
tences que Socrate n'eut pas désavouées; mais, comme ce philo-
sophe cherch'ait plutôt qu'il n'affirmait, il n'est guère possible
de déterminer les idées que notre poète doit plus particulière-
ment au commerce de Socrate. J'oserais cependant attribuer à
cette influence certaines théories sur l'amour professées par Eu-
ripide en différents endroits'. À l'amour physique, l'amour rc-

l.
Voy. Hccube, 811 sqq. rco'.eïv avTÛ y.*t (i«).i3ta ta |iÉ).r,, Sv
1. Téléelide. Le Hio; 1 appui te de ce y.ïi G'jYihm 'r, ywu-At avroO xtofiw-
poète ces vers que nous donnons d'api es Covffiv. Les méiiiM bruits sont rapportés
les collections de Dindorf et de Meineke i dans le lito;. Um certain Timocratès d'Ar*
'O Mvr^i/o/o; V tr.civos'i çfjyu *i gos y est aussi nommé paimi les collabo-
cfàjia xaiviv EùptîiîSij, xat ïtoxpât/j; rateurs d'Euripide. D'après une seholie sur
îà çp'Syav' ûîiouOr.oiv. C|>. te passage le vers 410 de VAndiomaqm^ celle tra-
gravciiieut altéré de Diogène Lacrce. II, gédie fut d'abord jouée sous le nom de
18, où les poètes comiques Caillas et Aris- ])éiiiocratès. Bcrgk et Nauck pensent que
tophane sont cités à côté de Téléelide. Tiu.&/.f,iTr,;et Ar,u.oy.j>itrj; ne font qu'un,
3. Cf. Aristophane, Grenouilles, 1408, et que l'un de ces noms est altéré.
1452, cl surtout 914 : Eîï' àvétfsçov 4. Yojcr. MiJce, 814 sq et les pnssages
{smis-tiit. tr,v TfiywSiav) (ly.MÎiaiç que nous y avons cités en note. C|>. ce
KrjÇt'jOçûvxi. peyvv:, avec la scliolle i qu'Alcibiade dit de Socrate dans le //««'/«et
Mvôoy.st ô'vv/o; wv ô Kr^iç'/fwv çvu> de Platon, p. 2i 5 5<jq.
INTRODUCTION. ix
présenté par Vénus, le poëte oppose un autre amour : celui qui
est inspiré par les belles âmes, qui est une école de sagesse et qui
nous rend plus vertueux.
Mais c'est surtout Anaxagore de qui les exemples el les leçons
ont laissé des traces profondes dans l'esprit, comme dans les
vers d'Euripide'. Un de ses choeurs3 vante la fermeté d'un
vieillard qui supporta, sans se laisser abattre, la perte d'un fils
unique et digne de tous les regrets. Ce vieillard, que le poëte ne
nomme pas, est sans doule le philosophe qui dit, quand on lui
annonça la monde son fds : « Je n'ignorais pas que j'avais donné
le jour à un être mortel1 ». C'est au même Anaxagore qu'Euripide
faisait allusion dans un autre endroit, où un de ses héros assu-
rait avoir appris d'un sage à préparer son âme contre tous les
coups de la fortune, afin de n'être pris au dépourvu par aucun
des malheurs que la vie peut amener4. Ailleurs notre poëte parle
des dangers que l'ignorance et l'envie suscitent aux philosophes,
accusés d'un côté d'être des désoeuvrés, des membres inutiles de
la cité, et de l'autre, de posséder une science extraordinaire et
suspecte. Ces réflexions se trouvent dans 31cdée, tragédie qui fut
jouée quand se préparait le procès d'Anaxagore*, et l'on pense
avec raison qu'ici encore Euripide songeait à son maître vénéré5,
Les traits généraux du système d'Anaxagore sur la nature et
l'origine des choses sont exposés dans un morceau célèbre °, tiré
du Chrysippe d'Euripide. « Ce qui est né de la terre, retourne
a la terre; ce qui est sorti d'origine céleste, remonte à la voûte
éthérée. llien de ce qui naît ne meurt; mais, se séparant de ce

1. Cf. Vatctriucr, Diatribe, p. 25 sq<j. toùto r.ïj/à naïu'i ttvo; p.a9£>y,


'Hyùy 5'î
2, AUeste, H03 S'ji|. Kî; çpovitàa; vovv cjjiçopi; t' ëSï).)6-
:!. 'Itlôïtv Ov/,tôv •jtWîfaa,*. Voy.
Clnvsîpjic cher. Galicn, de Plat, et (/i{i- tari; Gavâtvj; t' âwpo-j; >ai xaxtTiv
jiocr. Jogm. IV, 7, et Cicéron, Tuscul. à).).-»; 6cvj;, Mv\ il it irâoyoïu.' tiv
III, XIV, 29. Nous ne saurions dire au È6ô;aÇov çjsve, Mr, \l'a viuips; xpoom-
juste tiuî a le premier signaté le rapport oôv jià))/jv <5i/.r,.
évident entre ces passages cl les tris de 6. Voy. Mcitée, "2'Jl si|q., avec la noie.
YALcste. C. Fragment 833 Wagner, cité par
4. Cf. Calie» et Cicérmi, IL ce. Ce der- Pliilon, De incoirupt. iminJi, H, Di
nier a mis ni l.iliu tes vers du Tiiitèe /mt/iilo, H, et, en partie, par d'antres.
d'Kiilipide cites par Malien et par l'Iu- Cf. Suflit. 531 s.j.j.; Hèttitt, (015 jq.;
l.irijue, Consol, ail Apollon, p. ii2 D : Oieste, «080 S(j.
x INTRODUCTION.
qui leur est étranger, les êtres apparaissent sous une autre
forme. »

Une des tragédies, aujourd'hui perdues, d'Euripide semble


avoir été écrite dans ie but de faire connaître au public le
système d'Anaxagore. La scène était changée en chaire de phi-
losophie, l'action tragique n'était plus qu'un prétexte, ou,
comme dit Denys d'Halicarnasse*, qu'une figure. Mélanippe
avait eu le bonheur, dangereux pour une mortelle, de plaire à
un dieu de l'Olympe. Devenue mère, elle donne le jour à deux
enfants, et, sur l'ordre de leur père, Neptune les expose au milieu
des troupeaux. Une vache les allaite, le taureau veille sur eux
avec des soins tout paternels. Etonnés d'un fait aussi merveil-
leux, les bergers en instruisent le roi Eolus, père de Mélanippe.
Le roi aussi s'émeut de ce prodige, et il ordonne que des enfants
humains nés, à ce qu'il croit, d'une vache et d'un taureau,
soient brûlés vifs. La malheureuse Mélanippe est chargée de
parer les victimes pour le sacrifice. Elle essaye d'abord de les
sauver sans révéler, si cela est possible, le secret de leur nais-
sance. Elle soutient donc qu'il ne peut jamais y avoir de prodige,
ni d'événement contraire aux lois de la nature; et pour en
convaincre son père, elle lui explique les principes de la philo-
sophie naturelle d'Anaxagore. Voici le commencement de cette
exposition*. «D'abord le ciel et la terre ne formaient qu'une

4. Cf. Anaxagore <?/W Simjitie, in sur le sujet de ]lfél<ttiip]>e sont complétés


Arislot. Phys. fol. 34 « : Tô lï YÎvEoOit jiar Grégoire de Corintlie, le commenta-
xat à7tà)>y5Ôai z'jy. ôp^w; voudjouciv et leur d'ilennogène, t. VII, p. 1313 des
'E).).rjVt;' t'jîèv y»P Xf'^11* Tfhe-at vjôï jtlielotfs de Walz, et par llygîn, Pat.
àni).)."jïatj à).).' àno iôvrwv yfr,u:â-o>v CIA XXVI.
a-J^loyttoii te y.al Stav-piviiat. 3. Cf, fragment 4S7 Wagner, cité par
2. Deiiy», IVtclor. Ylllj 10, et IX, H. Diodore de Sicile, I, 7, et par Kusèhc^
Les renseignements que cet auteur donne Pr;ep. evang. I, p. 90 D.
INTRODUCTION. xi
seule masse ; ensuite, quand ils se furent séparés l'un de l'autre,
ils engendrèrent toutes choses, et ils firent'naître à la lumière
les arbres, les oiseaux, les animaux, et les habitants de l'onde,
et la race des mortels. » Aussi l'héroïne de cetle tragédie fut-elle
appelée Me^aviïror, vj <;oyrh Mélanippe la Sage, ou plutôt la Philo-
sophe : car pour sage, elle ne l'était pas trop. Mais quelle appa-
rence qu'une jeune fdle ait fait des méditations si profondes sur
la nature des choses! Pour sauver cette invraisemblance, elle
prétendait avoir été instruite des mystères de la nature par sa
mère, la fdle du sage Centaure Chiron. « Ce discours ne vient
pas de moi, mais de ma mère », disait-elle*.

Ce vers, qui passa enproverbe, marque le tendre attachement


qu'Euripide avait pour !c maître dont il s'efforçait de répandre
les leçons.
Comme le commerce qu'il eut avec les philosophes de son
temps est, après ses travaux dramatiques, le fait le plus impor-
tant de la vie d'Euripide, insistons-y, et montrons par d'autres
exemples, ainsi que par le caractère général de son théâtre,
combien sa poésie s'est ressentie de cette intimité et des mé-
ditations qu'elle lui rendait familières. Des héros de la Fable
étaient transformés par notre poëte en libres penseurs : le cri-
minel Ixion, le mélancolique Bellérophon devinrent sous sa
main des esprits forts. Voici le langage hardi2 que tenait ce
dernier dans la tragédie qui portait son nom : « On dit qu'il y
a des dieux dans le ciel? Non, non, il n'y en a point. Que les
hommes qui le prétendent encore, cessent enfin de répéter stu-
pidement ce vieux conte. Examinez les choses, n'en croyez pas

\. Cf. Denys d'Haliearnassc, llhél. IX, est tiré, n'était peut-être pas de la ma!»
< I, et les auteurs eites par Yalekenaer, ail d'Kuiipide.
llipi'ûl. 352. — Le dieu d'Anaxngore est 2. Fragment 293 Wagner, cite par S'
t'ianté dans les vers cités par Clément Justin, De monnvch. p. tOS C : «l'r.iiv
d'Alexandrie, Strom. V, xiv, < 15: Là TÔv tt; eivai gt,ï' èv ovpav'jj Oevj;; OJ/.
autour,, tiv £v a'.Oîftw 'Pvu.6(o r.âvtiov tWl'i, oOx Et?'. Et Tt; àvQpû-tov (lise/. :
O'jgw i[>-T:)it,o.^V,"Ov mpi \Ltv çû; y.tl. El il »; PpOîôiy) Ylyu Mf, toi î;a).*iû>
Cependant le l'irill.iùs, d'où et- fragment
mi INTRODUCTION.
mes paroles. Je vous dis que les tyrans mettent les hommes à
mort, les privent de leurs biens, détruisent les cités en dépit de
la foi jurée, et, malgré tous ces crimes, sont plus heureux que
les hommes paisibles qui vivent pieusement tous les jours de
leur vie. Je sais de petits peuples qui honorent les dieux, et qui
obéissent à de grands peuples impies, subjugués qu'ils sont par
la force des armes. Essayez donc de prier ies dieux sans tra-
vailler vous-mêmes, vous verrez, ce me semble, [comme ils vous
nourriront. C'est l'ignorance *] et le malheur qui ont fait le
grand crédit des dieux. » Bellérophon tente de monter au ciel
sur son cheval ailé : il veut éclairer ses doules en explorant la
demeure de Jupiter, il veut voir par lui-même s'il y réside en
effet un dieu. Mais cette fois le Pégase ne lui obéit plus, et
l'impie est misérablement précipité à terre.
Qu'on ne s'imagine pas toutefois qu'Euripide voulût enseigner
l'athéisme. Ce reproche, contre lequel il eut déjà à se défendre
lui-même3, n'est pas fondé. Le poète ne fit que transporter
dans l'âge fabuleux les idées de son siècle, que donner un corps
aux doutes qui alors occupaient plus d'un esprit, troublaient
pins d'une âme. Il remuait des idées, il enseignait à réfléchir sur
les plus grands problèmes, comme sur les questions de tout
ordre et de toute espèce qu'agitait sans cesse son esprit éminem-
ment critique*. Il ne prétendait pas toujours donner des solu-
tions, et on se tromperait en prenant tout ce qu'il a écrit dans
ses drames pour l'expression de ses convictions. 11 fait soutenir
une thèse à tel de ses personnages, mais un autre personnage
soutiendra la thèse contraire; et si l'on rencontre chez lui des
idées hasardées, il est généralement facile de trouver soit dans
la même tragédie, soit dans une autre, de quoi corriger Euri-
pide par Euripide lui-même4. Le disciple d'Anaxagore, l'ami de
Sociale, était loin de combattre la croyance en Dieu : il s'élevait

1. Nous avons inséré ces laots par con- scène, >i voy. les belles pages de M. ltavel,
jecture, afin de combler une lacune. Origines du christianisme, dans là Revue
2. Cf. Sénique, fyist. H6( cl l'Iular- moderne, 18G7, XLI, 278 sqt|.
que, De ami. polt. p. 19 Iw 4. Cp. les notes sur 7///>//o/., 461 sqq.»
3. Sur Euripid», u le philosophe de la sur MfJéet 230 sqq., 1090 et pas sim.
INTRODUCTION. xiu
contre les idées grossières que le peuple se faisait de la divinité.
« Jo ne crois pas, dit-il*, que les dieux s'abandonnent à des
amours criminelles; ils ne s'enchaînent, ils ne se subjuguent
point les uns les autres : jamais je ne l'ai admis, et je ne le
croirai jamais. Dieu, s'il est vraiment dieu, est exempt de tout
besoin. Des poètes ont inventé ces tristes fables. » Et ailleurs1 :
«
Si les dieux commettent une action honteuse, ils ne sont pas
dieux. » Et ailleurs encore* : « Quelle maison construite par la
main d'un artisan, pourrait contenir dans ses murs l'être divin ? »
Il était difficile de faire accorder ces idées nouvelles avec des
fables qui s'étaient formées dans un autre âge, sous l'influence
des vieilles croyances populaires de la Grèce. Euripide ne fut
pas rebuté par cette difficulté. Si certaines fables attribuaient
aux dieux un rôle qui révoltait son intelligence éclairée, il
n'évitait pas de les mettre sur la scène; il les reprenait au con-
traire à son point de vue, tantôt en se bornant à les critiquer,
tantôt en les transformant. H essayait ainsi de leur donner une
vie nouvelle, mais il ne réussissait la plupart du temps qu'à
leur enlever leur vie propre. Eschyle et Sophocle n'avaient eu
qu'à développer les vieilles légendes pour en faire de belles
tragédies : l'esprit de ces poètes s'accordait avec l'esprit des
traditions. Moins heureusement placé, Euripide s'est souvent
trouvé en opposition avec les données qu'il mettait en oeuvre.
A la fois penseur et poëte, il proteste contre les fables qu'il fait
revivre; et ce qu'il crée d'une main, il le détruit de l'autre4.
Quand les Athéniens eurent trouvé dans l'île de Scyros des
ossements gigantesques, ils s'imaginèrent avoir découvert les
lestes de Thésée, et ils les ramenèrent en pompe dans Atbènes
avec de grands honneurs6. On se figurait les hommes de l'âge
béroïque beaucoup plus grands et plus robustes que ceux des
générations suivantes; et de même on les douait, par l'imagina-

it Hercule furieux, 1311 sqq. Cf. Iph, ment d'Alexandrie, Strom, V, xi, 76 :
Taur, 38& sqq. Hoïo; S' âv otxoî textôvwv lO.aofci; vtso
2, Fr. 300 Wagner, Stobéo, C, 4 : ÏX Aî'jii; tô fieïov ncpi6x).6t•cÂ/t<yi ntu/aï; ;
6eo( 6fô)5tv tAvfêhn, oOy. tteiv Ostri.
ti *. Voy. I,i Xoticesut Electre, \>. 6C6 sqq.
3. Fiagment 0C8 Wagner, cilc jnr Clé- &. Cf. riutaïquc, Thésée, XXXVI.
xiï INTRODUCTION.
tion, d'une vertu, d'une force de caractère en quelque sorte
surhumaines. Disciple des philosophes, Euripide, comme Thu-
cydide', ne partageait pas ces illusions. Il voyait le premier âge
de la Grèce d'un oeil plus sobre, sans cet éclat incomparable,
sans cette grandeur idéale que la poésie s'e'tait plu à lui prêter :
il pensait que les hommes avaient été les mêmes de tous les
temps. Il rapprocha donc de la vérité commune les héros de la
Fable, les couvrit souvent de guenilles, et ne les montra pas tou-
jours exempts de misères morales, de Tégoïsme et des petitesses
du coeur. Si l'on excepte un groupe d'êtres purs et nobles, la
plupart à peine sortis de l'enfance, jeunes hommes et jeunes
femmes que l'âge et l'expérience de la vie n'ont pas encore
flétris, les Ion, les Hippolyte, les Phrixus, les Ménécée, les
Polyxène, les Macarie, les Iphigénio2, on peut dire, avec So-
phocle3, qu'Euripide.peint les hommes tels qu'ils sont.
Ajoutons qu'il peint les hommes tels qu'ils étaient de son
temps, qu'il les fait raisonneurs cl critiques, rebelles à l'auto-
rité des principes consacrés, affranchis du frein de l'usage. La
grandeur du caractère, la sauvegarde des idées reçues, de la
morale traditionnelle, leur faisant ainsi défaut, que leur reste-l-il ?
La passion, la passion d'autant plus irrésistible qu'elle n'est plus
contenue par aucune de ces barrières. La peinture des passions,
des maladies de l'âme, analysées par le penseur, reproduites
par le poëtc, telle est en effet, on le sait, la grande nouveauté, la
partie vraiment originale du théâtre d'Euripide. Parmi ces ma-
ladies de l'âme, celle qui tient le premier rang, c'est l'amour.
Euripide a peint l'amour dans ses fureurs, dans ses égarements
les plus coupables, les plus monstrueux même4, et, comme ce
mal fait les plus grands ravages dans le coeur des fcJnmes, c'est
là qu'il l'a étudié particulièrement. Cette élude a mis à nu bien
des plaies : aussi Euripide fut-il, dès sou vivant, accusé d'être

<• Voir les vitigl premiers iliapitres du


livre 1 Je Tlmrydide. tï KÀ'AtblV.
2. Vojci. la JXotîcc sur fjiliigênie h Ait- 4.'Euripide ne recula pas même devant
Us, p, 808, la passion tic Pasiphaé. Sa tragédie des
3< Arislolc, Poétiques XXV : lo*,Gx).r,î Cretois routait sur te sujet.
INTRODUCTION. xv
renncmi des femmes1. Bien à tort, suivant nous. S'il faut en
croire une anecdote trop piquante pour ne pas soulever quelques
doutes, Sophocle aurait déjà dit qu'Euripide ne haïssait les belles
que dans ses tragédies*. Encore trouve-t-ou dans son théâtre
même des femmes qui offrent le modèle de toutes les vertus; et
si l'on objectait que ce sont là des exceptions, du moins fau-
drait-il accorder que les hommes non plus n'y sont générale-
ment pas peints en beau. Euripide n'était pas misogyne; il était
misanthrope.
Des malheurs domestiques-contribuèrent, dit-on, à nourrir
chez Euripide une certaine animosité contre les femmes. Il avait
épousé Ghoeriné ou Choerilé, fille de Mnésiloque. Le beau-père
cl le gendre vivaient, à ce qu'il paraît, dans la meilleure intelli-
gence1; mais le poète souffrait cruellement de la mauvaise con-
duite de sa femme, et il s'en vengeait, à oe qu'on prétend, en
dévoilant sur le théâtre les turpitudes des Phèdre, des Sthénébée
et d'autres héroïnes fameuses par leurs passions adultères4. Ou
dit qu'Euripide n'était pas plus heureux dans son union avec
Mélito, femme de moeurs dissolues, que les biographes donnent
soit comme la première, soit comme la seconde épouse de noire
poëte 8, Un de ces auteurs le gratifie môme île deux femmes à
la fois. Cette dernière assertion est inadmissible6. Des trois fds

1. tl suffit de citer tes Thesmophores pov 'InnôX'jtov, iv xr,-/ àvai<>xvvt(ay


ù>
d'Aristophane. Ûfi'îjiÊsijôi tùv yvyaw.ûv. Le verbe Opiajx.-
2. Voir Hiéronyme do Rhodes, cité [i;ir ëivu a ici, par néologisme, le sens de
Athénée, Xl[[, ji. 667 E : Eïîïôvro; Tlvôr « étaler, divulguer ». Cf. Photius : Of !»a-
.
5ti jjusoYVvrjçsaTtv IvJf.TuîTiî, év yj tiîç 6î'j<7a;" or,u.o<nsv<ja?.Suidas : 'EÇsçoCîa*
Tpaytoôsatç, Isr; o Eosv/./r,; ' inù Iv y£ èOpiàafiiyîv (il divulgua les mystères). —
t?j Y.lï/r, çO.oyûvr.î. Cf. Séréniis chez. Sto- Aristophane semble, au contraire, picsen-
h've,Jnl!wl. Vf, 30. ter les malheurs domestiques d'Euripide
3. Cela semble résulter du rôle qu'Aris- connue le châtiment de ses tragédies déver-
tophane a donné à Muésiloque dans l.i co- gondées. Dans le* (grenouilles, v. 1048,
médie des Thesmophotes, On a vu plus Bacclms dit à Euripide : 'A yif £; fi; à).-
haut que, suivant d'autre», Euripide se Xotpîïî èr.&îetç, a'jîi; to'jTO'.siv ên).r,ynî.
faisait aider par sou beau-père dans ses 5. La première version est celle du lîio;,
compositions dramatiques. la seconde est donnée par Suidas.
4. Le Bîo; porte : Asyouai Sa eùtov, G. Aulu-Gclle : a Mulicresfcreoiiincs in
yr,!i*vT<x Tr,v M%r,<5t).6y/>'J Ouyatlpa Xoi- a majorent modum ciosus fuisse diciltir,
pt).r(v (elle est appelée X^ip(v7j dans le « sive quod naturi abhotiuil a îuulictum
même Bio; plus haut, ainsi que dans l'ar- a coetu, sive quod du.is sixmil uiorct lia-
ticle du Suidas), y.ai vor^àv-ta t^v 4*0- it bueiat, ciitn id dccieto ab AtheniciuibiH
)âi{av aOîr.î, yfx<i»t êpâtia tôv nfôti- o facto jus esset, quaruiii Jiatrimoi>ii per-
xvi INTRODUCTION.
d'Euripide, le plus jeune, qui portait le même nom que son père,
est le seul qui nous intéresse. L'aîué, Mnésarchidès, se fit né-
gociant-marin (ejATK-foç) ; le second, Muésiloque, était acteur; le
jeune Euripide enfin était poète dramatique, et il fit jouer, après
la mort de son père, quelques tragédies laissées par ce dernier1.
Euripide donna, dit-on, sa première tragédie, les Vcliadcs, à
l'âge de vingt-cinq ans, dans la première année de la 81e Olym-
piade*, en 455 avant J. G. C'est dans celte mémo année que
mourut Eschyle. Euripide prit donc, en quelque sorte, la place
du vieux poète que la critique lui opposa dès lors, et qu'elle
n'a cessé depuis de comparer avec lui. Mais il n'eut pas seule-
ment à lutter contre le souvenir d'Eschyle, poëte toujours cher
au peuple, et dont les tragédies continuaient de paraître sur la
scène; des compétiteurs vivants, avant tous le grand et heureux
Sophocle, quelquefois même des poètes plus obscurs, tels qu'Eu-
phorion3, Xéuoclès 4, Nicomaque5, lui disputèrent le prix avec
succès. Durant une longue carrière dramatique (il donna, dit-
on, quatre-vingt-douze pièces au théâtre) il n'obtint que cinq fois
le premier prix : encore Tune de ces cinq victoires ne fut-elle
remportée qu'après sa mort par des ouvrages posthumes6. Il est
vrai que les poètes d'Athènes présentaient au concours trois tragé-
dies suivies d'un dramesatyrique : il faut donc comparer le chiffre
des cinq victoires, non avec les quatre-vingt douze pièces d'Eu-
ripide, mais avec les vingt-trois télralogics auxquelles répond ce
dernier chiffre. Toujours est-il que le nombre des victoires est

b. txdoliat. >' Cette prétendue loi est invo- 3. Cf. la didascalie de rilippolyte.
quée par d'autres, à propos du conte ab- 4. Cf. Klicn, Ulsl. var. II, 8.
surdede la bigamie de Soerale.Cf. I. Lurac, 5. Cf. Suidas, article NtX'Jjia/o;.
De ligamia Socratis, p. 61 sq<|. 6. Suidas : Nixa; ôï i£).eto e', xi; {Jlèv
h. Voyez le IJto; et notre Notice sur. TÊscapa; ïicptwv, if,v ôè u.{»v (i£tà ff(v
Il'higcnie h Aulis, p. 307 et p. 310. — îe^euttjV èstônÇaufvov aô opôéjia tov
D'après Suidas, Euripide le jeune était ne- âîc).f.5oO avToû Évptr.îoG'J. L'expression
Teu du grand poète. TÔ ôpâu.a est inexacte. Le cliiffre de cinq
2. Le IJto; porte : "Hf^aïO SèôiSscxeiv >ictoires est confirme par Varron clie/.
ira âp/ovto; xaià 'Outintàîa
Ka).).CoJ Aulu-Gelle. A la Cn d'une des rédactions
n%' Ixti a.'' ïtpûtov St ÊSioâÇato ta; du Uio:, on lit : Nix»; ôï t/ti te, leçon
Ile) tâ$a(, ou x»l îftîoç tY«'vlTO. Cepen- qui prowent évidemment de v(xa;5è êiry_ev
dant Àulu-Oelledit : ti Tragoediamstribcre (il faudrait l<f/t) i'. Celle trieur a été ré-
« nalus aùnos duodcvigihtiadoltustst. x- pétée par Thomas.
INTRODUCTION. xvn
peu considérable. Sophocle reçut vingt fois la première cou-
ronne, et ne fut jamais placé au troisième rang. Cependant, si la
majorité du public se montra peu favorable à notre poète, il
faut croire qu'il avait pour lui un parti nombreux, ardent, in-
fluent surtout par l'intelligence et le don de la parole. Les cri-
tiques incessantes d'Aristophane prouvent qu'Euripide jouissait
d'une grande réputation : on n'attaque avec tant de persis-
tance que ce qui est puissant. Euripide était penseur autant que
poclc, et par ses idées il se trouvait en avant de son siècle : là
est évidemment le secret et de sa grande influence sur les esprits
cultivés, et de ses nombreuses défaites au théâtre. Aussi la po-
pularité d'Euripide alla-t-elle en grandissant : ses partisans
s'accrurent avec l'avènement de nouvelles générations, qui par-
tagèrent de plus en plus ses idées. Il semble avoir été très-goùté
vers la fin de sa vie : les Grenouilles d'Aristophane ont pour
but de combattre l'Euripidomanie qui dominait alors, et que
Bacchus, le dieu des lètes théâtrales, représente dans cette co-
médie. Le goût du public pour Euripide se répand et s'accroît
après la mort du poète. Nous le voyons bientôt régner sur les
théâtres d'Athènes et de la Grèce, et plus tard sur ceux du
monde grec et romain. Les grands acteurs le préfèrent, les
poètes l'imitent, les écrivains le citent, tous ceux qui lisent le sa-
vent par coeur *.
Revenons à la vie d'Euripide. Il ne nous reste que peu de
mots à ajouter. Notre poète passa ses dernières années d'abord
à Magnésie, puis à la cour d'Archélaiis de Macédoines. C'est pour
plaire à ce prince qu'il composa une tragédie sur les aventures
d'Archélaiis, descendant d'Hercule et auteur de la race des rois
de Macédoine1. Parmi les tragédies que nous possédons encore,

1. Cp. Welcker, Die grUchischen Tra-


gédien, III, p. 889 sqq., 1239 sqq.
xviii INTRODUCTION.
les Bacchantes, jouées à Athènes après la mort du poète, sem-
blent avoir été écrites (plusieurs indices tendent à le prouver
pour le théâtre de Pella. Euripide mourut en Macédoine, plus
que septuagénaire, l'an 406 avant J. C.8. D'après une tradition
constante, le vieux poëte fut déchiré par des chiens de chasse;
mais les détails et les causes de cette mort extraordinaire sem-
blent n'avoir jamais été bien connus, et Ton peut croire que dès
l'abord une foule de versions différentes circulaient à ce sujet3.
Il est possible qu'Euripide ait été victime d'un accident malheu-
reux. Mais, d'un autre côté, il est sûr que la faveur du roi avait
attiré à l'Athénien, ainsi qu'au prince lui-même, des haines im-
placables'. Quoi qu'il en soit, Euripide fut enterré dans la vallée
d'Aréthuse6, et n'eut qu'un cénotaphe dans sa patrie. Sophocle
lui survécut peu de mois. Avec ces deux poètes la tragédie elle-
même semblait s'éteindre. Les Grenouilles d'Aristophane, jouées
en 405, sont en quelque sorte l'oraison funèbre de la tragédie
grecque.
Nous arrivons aux ouvrages d'Euiipide. Il n'y a pas lieu de
s'arrêter à l'ode qu'il composa, dit-on , pour la victoire olym-
pique d'Alcibiade6, ni à deux petites pièces en mètre élégia-
que7; sa gloire repose sur ses productions dramatiques. Lorsque

Ncuck révoque en doute le premier de ce» XIII, p. 598 D; Addoeus dans VAnthot.
deux renseignements, lequel n'a rien que Palat. VII, 61, et un autre poète, ib. 41;
de très-vraisemblable, et n'est point en Stephanus Byz. p. 176, 1; Diogènianus,
contradiction avec ce que rapporte Dio« VU, 68} Ovide, Ibis, 59b; Valère-Maxirae,
mède, p. 486 Putsche: « Tristitia namque IX, xu, ext. 4; Hygin, Fable 247.
« tragoedia: proprium, ideoque Euripidcs 4. Yoir Aristote,Politique, VI11 (V), 10 :
« petente Archelao rege ut de se tragcediain
Kai î?jÇ 'Apy.EÎ.âou ô' îîiiôî'sew; Âsxd-
«c
scriberct abnuit. » Quant au sujet de la p.vt/0; f(Y£u.ùv iyévETO.... Aïttov Se ttjî
tragédie à'Archèlaùs,cf. Hj-gin, Fable 219. ôfY^i» 8ti oùxàv £Ù5wxe jictoriYtôffat Eù-
I. Cf. Bacch., 660 sqq., 409 sqq., avec ft7t£S-Q t<3 nowjtî- • ô S' Evptîtt'èTjî èyjxlé-
les notes d'Eîmsley. îïaivEv tiïtôvTo; ti aùtoù el; Svawôtav
2. Cf. Bio;. Apollodore, chez Diodore tov <7îôu,axo;.
de Sicile, XIII, 403, place la mort d'Eu- 5. Amrnien Marcellin, XXVII, iv, 8 :
ripidedans la troisièmeannéedelà 93e olym- « Proxïma Arctliusa convallis et statio, in
piade; le Marbre de Paros la place dans « qua visitur Euripidis sepulcrum. » Cf.
la deuxième année de la même olympiade. Plutarque,Ljeurgue,31 ; VitruvèVIII, 3;
Les deux dates se rapportent à l'été de Pline, Hist. Kat., XXXI, 19.
l'an 406 avant J. C, et ne diffèrent au 6. Cf. Plutarque, Vie d'Alcibiade, H;
fond que d'un ou deux mois. Vie de Dimosthène, K.
3. Cf. Bïoîj Suidas; Aulu-Gelle; Dio- 7. Voir Bergk, Poëtx lj-rici grxcij
dore, 1. c. ; Hermésianav cliei Alliénée, 2e éd., p. 471 sq.
INTRODUCTION. xix
Callimaque rédigea le catalogue de la bibliothèque d'Alexandrie,
on avait connaissance de quatre-vingt-douze (ou quatre-vingt-
dix-huit) drames d'Euripide; toutefois on n'en trouva plus que
soixante-dix-huit, Encore sur ce nombre trois étaient contes-
tés1. Le Pirithoiis était attribué par quelques-uns àXhitias* ;
Rhadamanthe et Tenues passaient aussi pour apocryphes. Res-
taient donc soixante-quinze pièces : chiffre qui s'accorde assez
avec celui des drames dont les titres et, à peu d'exceptions
près, des fragments, sont arrivés jusqu'à nous. C'est qu'Euripide
est un des poètes le plus souvent cités pa? les auteurs grecs et
latins. Nous allons énumérer ses drames en les classant d'après
les cycles mythiques auxquels ils appartiennent par leur sujet.
Guerre de Troie. Alexandre. Les Scyriennes, Télcphe. Iphi-
génie à Aulis*. Paiamède. Rhésus*1. Phi/octète. Epéus. Les
Troyennes*. Hécube*. Dans ce nombre, le Rhésus seul est tire
<Ie YIliade; les cinq tragédies qui le précèdent sont tirées de
l'épopée des Cypriaques ou .s'y rapportent du moins par le sujet.
Les quatre dernières remontent à la Petite Iliade et au Sac de
Troie. Le Cyclope*, drame satyrique, roule sur un épisode de
Y Odyssée. Enfin Hélène* et Andromaque* font suite
aux récits
de la guerre de Troie.
Race des Péiopides. OEnomaiis. Les Cretoises. Plisthène,
Thyeste, Electre*. Oreste*. Iphigénie en Tauride*.
Race de Labdacus, Thébaïde et fables qui se rattachent à ce
cycle. Chrysipue. OEdipe. Hypsipyle. Les Phéniciennes*, An*
tigone. Alcmèon à Corinthe. Alcmèon à Psophis,
Origines de Thèbes. Les Bacchantes*. Cadmus. Antiope.

I. Le Bîo; porte : Ta nivra S' f(v xaxa |iiv Tiv»; oe', xaxà Si â).Xoy;
aùîû Spijiata çfl', ctoïstai Se or/* tov- èvev^xovra Sûo* câ\vmx\ Se oÇ'. Le
twv voJJjûîTai ?p{a, Tévvij; PaSâjiavfiu; nombre de soixante-quinze drames non
]l£'.f.î6oy;. Dans une autre réduction du contestés est confirmé ptr Varron cïiez.
Bîo; on lit : Ta ïtivta S' r,v aytcô ôpâ- Aulu-Gelle. Toutes ces données remontent,
[laia çr/. Ewïetat Se av-roû oc.iy.cfnx on ne saurait en douter, aux Hîvaxe; de
(inexact pour vçzyuiôiii) %(,', -/.tù y' Callimaque.
îtfôî toijToiî Ta àvti).îYÔii£vaj saxvpr/à 2. Cf. Atliénée, XI, p. 496 B.
Se r,'. ^vtc>.£Y£Tai Se xat toûtcov "ta a'. * L'astérisque marque les pièces que
Suidas est moins précis; mais ses indica- nous posscJons encore.
tions s'accordent assez avec celles que nous 3. Le Rhésus a été considéré par Calli-
venons de citer : Api(i.aTa Se aÙTGû maque et par d'autres critiques uncicu?
xx INTRODUCTION.
Fable d'Hercule. Alcmène. Sylée, drame satyrique. Les Mois-
sonneurs (0êft<jT«(), drame satyrique. Busiris, drame satyrique.
Eurysthée, drame satyrique. Jugé. Hercule furieux*.
Fables attiques. Ercchihée. Jon*. Sciron, drame satyrique.
Alope. Egçc. Thésée. Le premier Hippolyte. Le second Hippo-
lyte*. Les Suppliantes*. Les Héraclides*.
Fables postérieures au retour des Héraclides dans le Pélopon-
nèse. Licymnius. Téménus. Les Tcménides, Archèlaûs, Crcs-
phonte,
Voici maintenant", rangés par ordre alphabétique, les drames
relatifs à des sujets divers. JEole. Alcestc*. Andromède. Anto-
lyciiSy drame satyrique. Bellérophon. Les Cretois. Danaé. Dic-
tys. Jno. Jxion. Lamie. Médée''. Mélanippe philosophe. Mé-
nalippe prisonnière. Méléagre. OEnée. Pélèe. Les Péfiades.
Phaéton. Phénix. Phrixus, Polyïdus. Protésilas. Sisyohe,
drame satyrique. Sthénébée*.
Les titres que nous venons d'énumérer sont au nombre de
soixante-dix-sept. Tous ceux qui sont accompagnés de frag-
ments se rapportent évidemment à des drames connus des litté-
rateurs anciens et recueillis dans la bibliothèque d'Alexandrie.
Or il n'y en a que deux qui ne se trouvent pas dans ce cas : à sa-
voir Epéus et les Moissonneurs. Le titre d? Epéus est fourni par
un monument qui se voit au Louvre*. C'est une liste, malheu-
reusement mutilée, des drames d'Euripide, laquelle entoure
une statuette assise du poëte. Comme cette liste ne contient
d'ailleurs que des drames conservés dans les bibliothèques an-
tiques, il faut compter Epéus parmi ce nombre. Il n'en est pas
de même des Moissonneurs, drame satyrique que la didascalie
de Médée9 signale expressément comme perdu. En retranchant
ce dernier titre, il en reste soixante-seize, un de plus qu'il n'en

comme un ouvrage d'Euripide. C'est à ce pour Hippolyte, Petitfiée pour les îkic-
titre qu'il doit figurer dans cette liste, chanlcs, Cercyon pour Alope, etc.
quelque opinion qu'on puisse d'ailleurs 2. Ce monument a été d'abord publié
avoir sur son authenticité, par Winckelinauii, Monuménti inediti,
i. La critique a élimine certains titres pi. 168, p. 225.
qui font double emploi, tels que Phèdre 3. Voir plus bas, p, J00.
INTRODUCTION. xxr
faudrait : car les anciens, nous l'avons dit, n'avaient conservé que
soixante-quinze pièces de noire poëte. C'est là ce qui nous fait
penser, avec quelques critiques1, que le titre de Tèinéims et
celui de Tcmêmdes désignent une seule et même tragédie.

Parmi ces soixante-quinze drames, sept sont désignés comme


satyriques, toujours abstraction faite des Moissonneurs, lesquels
ne doivent pas entrer en ligne de compte. Or l'une des rédac-
tions du Bi'oî2 porte le nombre des drames satyriques d'Euripide
à huit. Il faut donc chercher parmi les titres qui nous ont été
transmis celui du huitième drame de ce genre. Nous sommes
disposé à croire que c'est celui de Lamïe (Aajxiot), nom d'un
monstre fabuleux dont on faisait peur aux enfants. Cependant
le chiffre de huit drames satyriques n'est pas en rapport avec
celui des nombreux concours auxquels Euripide prit part. Cette
disposition tient, ce semble, à deux causes. D'un côté, il est
probable que plusieurs drames satyriques s'étaient perdus de
bonne heure et qu'un grand nombre de pièces d'Euripide que
les anciens eux-mêmes n'avaient pas conservées étaient précisé-
ment des drames de celte espèce, Ehnsley' a d'abord émis
cette conjecture, en alléguant comme exemple les Moissonneurs,
La didascalie des Phéniciennes, trouvée depuis4, a fourni un
second exemple à l'appui des vues du critique anglais. D'un
autre côté, nous savons qu'Euripide a remplacé, au moins une
fois, le drame satyrique par une tragédie ou plutôt par une pièce
d'un caractère mixte. Son Aiceste* fut jouée à la suite de trois
tragédies, et tint le quatrième rang de la tétralogie que chaque
poëte devait présenter au concours. Euripide s'est-il souvent
permis celte dérogation à l'usage traditionnel ? S'il en a été ainsi,
le nombre de ses drames satyriques a dû être peu considérable.
Cependant parmi les pièces d'Euripide qui nous sont parvenues,

i. Musgrave et Wagner. lioff, a été d'abord publiée par ce savant


2. Voir page X[X, note t. dans une revue allemande, en 1853, et
3. Elmslev,dans son édition de Mé<lèe, ensuite dans son édiîioa d'Euripide.
p. 71. 5. Voir l'Argument grec de cette tra-
4. Cette didascalie, trouvée par Kircli- gédie.
xxii INTRODUCTION.
il n'y en a, suivant nous1, aucune autre qui se trouve dans e
même cas que YAlceste, Quant aux pièces connues seulement
par des fragments, il est difficile, sinon impossible, de se pro-
noncer à ce sujet.
Il serait intéressant de connaître l'ordre dans lequel furent
écrits et joues les drames d'Euripide, du moins ceux que nous
possédons encore. Mais on ne peut guère espérer d'en tracer
aujourd'hui un tableau chronologique complet et exact2. Ce-
pendant les anciens nous ont transmis un certain nombre de
dates, qui remontent aux monuments cominémoratifs des con-
cours dramatiques. Ces dates, dignes de toute confiance, forment
comme des jalons dont on peut se servir pour déterminer ap-
proximativement les autres, en tenant compte des allusions po-
litiques, de la facture des vers*, et de l'emploi de certains
mètres, tel que le grand vers trochaïque1. Voici d'abord les
tragédies dont l'époque est connue positivement, grâce aux no-
tices didascaliques6.

Alceste, Olympiade 8b', deuxième année, ou 438 avant J. C,


Médêe. Olympiade 87e, première année, ou 431 avant J. C.
Hippofyte. Olympiade 87e, troisième année, oxi 429 avant J. C.
Ttoyenncs. Olympiade 91e, première année, ou 415 avant J. C.
Hélène. Olympiade 91% quatrième année, ou 412 avant J. C.
Orcste. Olympiade 92e, quatrième année, ou 408 avant J. C.
Jphigénie h Julis et Bacchantes. Peu de temps après la mort du
poète, arrivée en 406 avant J. C.

Quant aux autres tragédies d'Euripide, nous pouvons, d'a-


près des indices assez sûrs, les diviser en deux séries, l'une an-

1. Quant à VOretle, voyez notre Notice 135; Efomcnta doctrinx metriese, p. 71,
sur cette tragédie. 83, 116, 119, 123; préface des Sup-
2. On a essayé de faire ce tableau. Voir pliantes, p. iv ; préface des Bacchantes,
Zirndorfer, De c/ironologia fabularum p. xxxix sqq.
Euripidearum, Marbourg, 1839. Hartung, 4. Cf. la note sur le vers 317 d'Iphigé-
Euripide* restitulut, Hambourg, 1843-44. nie h Aulis.
Fii, en tète de l'Euripide de la collec- 6. Voir les Arguments grecs iïAlcestt,
tion Didot, 1844. de MéJée, d'IIippol/le, et la scliolie sur
3. Cf. G. Hermann, Ojiuseula, I, p. le vers 301 à'Oreste. Quant à la date des
INTRODUCTION. xxm
térieure aux Troyenncs, c'est-à-dire à l'an A15, l'autre posté-
rieure à cette date, A la première série appartiennent, en premier
lieu, lîècube, tragédie qui fut probablement jouée en 424',
ensuite les Suppliantes, les HéraclU/cs, Andromaauc et Hercule
furieux, ouvrages intermédiaires, par leurs dates, entre Ilippo-
lyte et les Troyenncs, Dans la seconde série se placent, d'abord
Electre, tragédie que nous croyons de Tan 413a, puis Ion et
Iphigènie en Tauride, enfin les Phéniciennes, dont la date doit
être voisine de celle tVOresle, puisqu'un témoignage ancien* les
désigne comme une pièce jouée très-peu de temps avant la mort
du poëte.

Disons maintenant ce que l'on sait de l'histoire du texte d'Eu-


ripide. Au plus beau temps de la littérature grecque les soins
minutieux qui sont nécessaires pour maintenir la pureté des
textes étaient encore inconnus; les ouvrages dramatiques en par-
ticulier étaient plus ou moins livrés au caprice des acteurs.
Pour remédier à cet abus, l'orateur Lycurgue fit rendre une loi
qui mit les oeuvres des trois grands tragiques sous la garde de
l'Etat. Des copies des drames d'Eschyle, de Sophocle et d'Euri-
pide devaient être déposées dans les archives publiques, et les
acteurs devaient être obligés de collationner leurs rôles sur
l'exemplaire officiel4. Cette mesure fut prise du temps d'Ale-
xandre. Deux siècles plus tard, le septième des Ptolémées, Éver-
gète II, disciple d'Aristarque, et prince aussi connu par sa
bibliomanic que par sa cruauté, emprunta, dit-on, sur gage ce
précieux exemplaire, afin d'en faire prendre une copie pour sa
bibliothèque; mais, par un procédé qui semble lui avoir été
familier, il garda l'original et ne renvoya aux Athéniens que la

Trayennes, cf. Élicn, Hist. var, II, 8; i. Voir la Notice sur cette tragédie,
pour celle d'Hélène, le sclioliaste d'A- p. 209 sq.
ristophane au* vers 4012 et 4060 des 2. Voyez la Notice sur Electre, p. 568
Thesmophores; pour ce qui est enfin et suiv.
d'Tphigenij à Aulis et des Bacchantes, 3. La scliolie sur le vers 53 des Gre-
voir le mtme scholiaste au vers 07 des nouilles d'Aristophane.
Grenouilles. On trouve ces scholics ci- 4. Cf. Pseudo-Plutarquc, fie de Ly-
dessous, p. 319 et p. 568. eurgiie, dans les fies des dix orateurs.
xxiv INTRODUCTION,
copie, en leur abandonnant son gage*. Cependant le texte des
tragiques souleva plus d'une discussion parmi les philologues
alexandrins : les scholies en font foi. Évidemment ces savants
ne possédaient point d'exemplaire exempt de fautes et d'inter-
polations et à leur tour ils reprochaient aux acteurs (quelque»
,
fois à tort) d'avoir fait des changements arbitraires*.
Pendant cette période laborieuse, beaucoup de savants
consacrèrent des travaux au texte d'Euripide, soit pour en fixer
la leçon, soit pour en expliquer les difficultés. Les scholies qui
sont venues jusqu'à nous les mentionnent rarement. Voici ce-
pendant quelques noms qui s'y trouvent cités : Aristophane de
Jîyzance et Callistrale, son disciple, Cratès, Parméniscus, Apol-
lodore de Tarse et Apollodore de Cyrène. Les commentaires de
ces érudits et, sans doute, de plusieurs autres, furent résumés et
revisés, du temps de Jules César, par l'infatigable Didymus, le
prince des scholiastes, à qui d'immenses compilations, embras-
sant une grande partie de la vieille littérature grecque, valurent
le surnom de « l'homme' aux entrailles d'airain (ya).xevTepoç).
Plus tard, un certain Denys ' fit à son tour un extrait des an-
ciens commentaires sur Euripide. C'est de ces deux recueils,
celui dé Didymus et celui de Denys, qu'est tiré le vieux fonds,
la partie îa plus précieuse, des scholies que nous possédons au-
jourd'hui.
Ces vieilles scholies sont d'un grand secours, non-seulement
pour l'interprétation, mais aussi pour la critique du texte. Elles
se rapportent à une leçon plus ancienne et plus pure que celle
de nos manuscrits ; et elles fournissent assez souvent des indices
au moyen desquels il est possible de retrouver cette leçon et de
corriger des passages altérés par les copistes. En effet nos ma-
nuscrils ne remontent pas plus haut que le douzième siècle, et,

i. Cf. Galien, in Hippocratis Epi- vers 13CC A'Oreste, sur le vers 2C4 des
ttem. III, comtnentarius II, tome IX, Phéniciennes,
p;ige 239 sq.. de l'édition de René Cliar- 3. Voyez les souscriptions des scholies
lier, Paris, \ 6S9. «ur Oreste et sur Mt'-Jée dans le manuscrit
2. Cf. les scholies sur les vers 8S, M8, 2713 de la Bibliothèque impériale de Paris
2S8, SBC, 379 et 910 de Mûtét, sur !c et dans quelques ii«tr*î.
INTRODUCTION. xxv
il faut le tlire, les meilleurs d'entre eux présentent îles fautes
graves et nombreuses. Ils n'ont été classés méthodiquement que
depuis peu de temps, dans l'édition de Kirchhoff (1855). C'est
d'après les recherches de ce savant helléniste que nous signalons
ici les principaux manuscrits, ceux que l'on trouvera cités dans
nos notes critiques.

Les manuscrits d'Euripide se divisent en deux classes, les-


quelles se recommandent à des titres divers : l'une présente un
texte meilleur, l'autre donne un plus grand nombre de tragé-
dies.
Les manuscrits de la première classe dérivent d'un exem-
plaire qui offrait, outre le texte du poète, beaucoup de bonnes
scholies, et qui contenait les neuf pièces qu'on appelle les neuf
premières et qu'on énumère toujours dans l'ordre suivant :
JIécubet Orcste, les Phéniciennes, Médée, Hippolyte, Alccsie%
Andromaque, les Troyennes et Rhésus. Il faut placer en tète de
cette classe le Marcianus et le Vaticanus. Le Marcianus (n° 471
de la Bibliothèque de Saint-Marc à Venise), écrit au douzième
siècle, est sans contredit le meilleur de nos manuscrits, soit
pour le texte, soit pour les scholies qui l'accompagnent. Mais,
mutilé de moitié, il ne contient plus aujourd'hui ' que les trois
premières tragédies, suivies $Andromaque et d'I/ippo/yte : en-
core cette dernière pièce s'y arrète-t-ellc au vers 123-1. — Le
Vaticanus (n° 909 de la Bibliothèque du Vatican à Rome), ma-
nuscrit du douzième ou duK treizième siècle, renferme les neuf
tragédies, sauf plusieurs lacunes assez considérables*. La partie
la plus précieuse de ce manuscrit, ce sont les anciennes et
savantes scholies des Troyennes et de Rhésus.
Viennent ensuite quatre manuscrits du treizième siècle. Dans

\. Ce manuscrit renferme aussi le poème 2. Voici les morceaux rjui manquent


géographique, OixO'Ji/Évr,; r.efir,")T]'7i;, Je dans ce manuscrit : Itêcube, v. 2M-250,
Denys. Mais nous nous bornonsà l'indication et v. 7t4-IOfi8 (lacune imparfaitement
«les tragédie s d'Kuripide qui s'y trouvent ; comlilée par une main plus récente) ;
et nous en feronsautant pour les autres ma- Oreste, v, C200-1501; R/iésus, v. HU
nuscrits cités dans cette Introduction, 151, y. 55I-C3Q, et v. 899-990,
xxvi INTRODUCTION.
celui de Copenhague (n° 417 de la Bibliothèque Royale), les trois
premières tragédies sont tirées d'un exemplaire d'un ordre infé-
rieur ; le texte des suivantes se rapproche de celui du Vaticanus.
— Un manuscrit de la Bibliothèque Ambrosienne de Milan ne
donne que des fragments de XAndromaque (v. 1-102) et du
Rhésus (v. 856-884), publiés par Angelo Mai1. — Le manuscrit
2712 de la Bibliothèque Impériale de Paris renferme les trois
premières tragédies, ainsi qa'Andromaque, Ulédéeel Hippolyte*.
— Enfin un manuscritde Venise (le n° 468 de la Bibliothèque de
Saint-Marc), où ne se trouvent que les trois premières tragédies
et un fragment de Médée, a moins de valeur que ceux qui pré-
cèdent, le texte qu'il donne étant déjà plus altéré par de mau-
vaises corrections.
Dans nos Notes critiques nous appelons ces manuscrits les
bons manuscrits ou les manuscrits du premier ordre, et nous
désignons les quatre principaux par les noms de Marcianus, de
Vaticanus, demanuscritsde Paris et de Copenhague, sans ajouter
d'autre indication, quoique la Bibliothèque de Saint-Marc, ainsi
que les trois autres, renferme plusieurs manuscrits d'Euripide.
Il existe un certain nombre d'autres manuscrits qui appar-
tiennent à la même famille, mais qui ont passé par la main d'un
grammairien byzantin. Nous les appelons les manuscrits secon-
daires. Le plus important est celui de la Bibliothèque Impériale
de Paris qui porte le n° 2713*. Il contient les sept premières
tragédies, et il se distingue par des scholies abondantes et assez
anciennes.
Dans les derniers siècles du Bas-Empire, on ne lisait plus
guère que trois tragédies d'Euripide, ainsi que d'Eschyle et de
Sophocle. Voilà pourquoi les trois premières pièces du recueil

\. Cf. Buttmann, Scholia in Odysscamt dons désigner quand nous parlons dans
p. 582 sqq, notre commentaire critique du scholiaste
2. La leçon de ce manuscrit est moins de Paris. Mais lorsqu'il s'agit de variantes,
exactement connueque celle des manuscrits le terme de « manuscrit de Paris « se rap-
qui précèdent. Il faut excepter YAndro- porte, nous l'avons dit, au n" 2712. Nous
tnaque, que Lenting a collationnée avec craignons toutefois de n'avoir peut-être
soin pour son édition de cette tragédie. - pas toujours assez nettement distingué ces
3. C'est ce manuscrit que nous enten- deux manuscrits.
INTRODUCTION. xxvn
traditionnel, Hécube, Oreste et les Phéniciennes, ont été pro-
pagées clans un grand nombre de manuscrits récents, corrigés
par les Manuel Moschopoulos, les Thomas Magister, les Démé-
trius Triclinius, et accompagnés de leurs longs commentaires.
Tous ces manuscrits ont fort peu de valeur, et la critique mo-
derne les néglige avec raison. Toutefois ne soyons pas injustes :
Thomas a fait un certain nombre de bonnes observations, et
Triclinius a parfois émis des conjectures heureuses$ enfin ces
manuscrits récents ont pu conserver, très-rarement, il est vrai,
une leçon remarquable ou une vieille scbolie qu'on ne trouve
pas dans les bons manuscrits.
A côté de ces manuscrits, qui, à des titres et à des rangs
divers, rentrent tous dans la première classe, il en existe un
petit nombre d'autres, inférieurs pour le texte, presque dénués
de scholies, inappréciables cependant, parce que seuls ils ont
conservé dix drames d'Euripide qui ne se trouvent dans aucun
manuscrit de la première classe.
Cet éloge ne s'applique pas, il est vrai, au manuscrit qui se.
place d'ailleurs au premier rang de cette seconde classe, le Ilar-
leianus (n° 5743 du Musée Britannique à Londres). Il ne con-
tient qu'un fragment de XAlceste, le Rhésus et les Troyennes.
Encore doit-il être placé dans la première classe pour ce qui
concerne la fin de cette dernière pièce (v. 611 sqq.), laquelle
est écrite d'une autre main, et offre un texte qui se rapproche
de celui du manuscrit de Copenhague.
Le Palatinus (n° 287 de la bibliothèque du Vatican à Rome),
qui date, à ce qu'il paraît, du quatorzièmesiècle, contient six tra-
gédies de la première série, à savoir: Andromaque, lilcdée, Rhé-
sus, Hippolyte, Alcesle, les Troyennes, et de plus: les Supplian-
tes, Iony Jphigénieen Tauride, Iphigénie aAulis (suivie du début
apocrypbe de Danae), les Bacchantes^ le Cyclope et les liera-
clides.
Le Florentinus(n°'xxxii, 2 delà bibliothèque Laurentienne à
Florence), écrit au quatorzième siècle, ne donne pas seulement
toutes les tragédies de la première série, sauf les Troyennes,
xxvnt INTRODUCTION
mais encore ces dix autres: les Suppliantes, les Bacchantes (jus-
qu'au vers 755), le Cyclope, les Héracl'ules, Hercule furieux,
Hélène, Ion, les deux Jphigénie, et Electre1.
Quand il s'agit de constituer le texte des neuf premières tra-
gédies, l'autorité de ces manuscrits est faible ; et cependant on
ne saurait les négliger tout à fait : nous les désignons alors sous
le nom de « manuscrits du second ordre ». Quant aux dix der-
nières pièces, on voit que trois, Hercule furieux, Hélène et
Electre, ne nous ont été transmises.quepar le Florentinus, Pour
les sept autres nous avons aussi le Palatinus, dont la leçon,
particulièrement celle de la première main, est moins altérée que
celle du manuscrit de Florence.
Enfin un quatrième manuscrit de cette classe se trouvait entre
les mains de l'auteur de la Passion du Christ (XptcTÔç îîa<r/wv),
drame faussement attribué à Grégoire deNazianze*. Cet ouvrage
n'est, on le sait, qu'un centon composé avec des vers tirés de
VAlexandra de Lycophron, du Promèthée et de Ydgamemnon
d'Eschyle, et enfin de sept tragédies d'Euripide: Hécube, Oresle,
Méilée, Hippolyte, les Troyennes, Rhésus et les Bacchantes.
Gomme cet auteur n'y a guère mis du sien, les emprunts qu'il
fait pour composer sa marqueterie peuvent quelquefois fournir
un élément à la constitution du texte de noire pocte.
Voilà les matériaux dont dispose un éditeur d'Euripide. Ils
sont, comme on le voit, assez abondants pour les neuf pre-
mières tragédies du recueil traditionnel ; mais ils sont faibles
pour les dix autres, et particulièrement pour les trois dont le
texte ne repose que sur un seul manuscrit de médiocre autorité.

\, De Furia a fourni à l'édition de Mat- 2817, lequel porte les mêmes tragédies que
thias une collation du Florentinus faite le numéro 2887 c'est-à-dire le Rhésus et
,
avec• une extrême négligence. Mais la Bi- les dix dernières sauf Electre; c'est enfin
bliothèque de Paris possède plusieurs ma- le numéro 27M contenant, deux exem-
,
plaires d''M'ercule furieux et d'Electre,et
nuscrits dont le texte provient du Floren-
tinus (apographa Parisina), et dont la un exemplaire d'Oreste.
leçon a été relevée par Fix dans l'Euripide 2. !l faut consulterla.seule édition vrai-
de h collection Didot. Ce sont les numéros ment critique de ce drame, celle que le
2887 et 2888, deux tomes écrits de la regrettable Dûbner a donnée clans la Bi-
même main et renfermant tout ce qui se bliotheca grseca de Didot à la suite des
trouve dans le Florentinus; c'est le numéro fragments d'Euripide,
INTRODUCTION. xxix
Cependant ces matériaux n'ont été ni tous employés, ni tous
appréciés à leur juste valeur par tous les éditeurs d'Euripide.
Pendant longtemps on ne s'est servi que d'un petit nombre de
manuscrits mauvais et récents ; les meilleurs manuscrits et les
scholics les plus importantes n'ont été bien connus que depuis
peu d'années.

Vers la fin du quinzième siècle, probablement en 1496,


quatre tragédies (Médc'e, Hippolyte, Alceste et Andromaque)
furent publiées à Florence d'après un manuscrit de peu de va-
leur1. On croit que Jean Lascaris est l'auteur de cette édition,
aujourd'hui très-rare. Mais on doit regarder comme la véritable
édition princeps YAldinc, qui parut à Venise en 1503. Comme
celte édition a fourni pendant longtemps, et dans une certaine
mesure jusqu'à ces dernières années, le point de départ de tous
les textes, il importe de savoir d'où elle a été tirée. Or on a con-
staté que la plupart des tragédies y ont été données d'après le
Palatinus, Cependant les trois premières pièces, qui manquent
dans le Palatinus, ont été prises dans un de ces manuscrits,
récents et sans autorité, lesquels, nous l'avons dit, existent
en très-grand nombre. Hélène et Hercule furieux, qui ne
se trouvent pas non plus dans le Palatinus, et même /ow^Je
Cyclope et les Héraclides, quoiqu'ils s'y trouvent en tout ou en
partie, ont été empruntés à l'une des copies du Florenlinus*.
Enfin, pour les neuf premières tragédies aucun des bons ma-
nuscrits qui les contiennent n'a été consulté, et pour les dix au-
tres le Palatinus, qui en offre la meilleure leçon, n'a pas été
employé autant que cela aurait pu se faire, et sa première main
a été partout négligée. De plus le savant chargé de cette édition,
Marcus Musurus1, de l'île de Crète, y a introduit un grand
nombre de conjectures dont la plupart ne sont pas heureuses.
Cependant YAldinc ne donnait ni les scholies annoncées dans

\. Le n° 288S de la Bibliothèque impé- 2. Le n» 28J7 de la même Bibliothèque,


riale de Paris. Cp. la note t de la page a. Voje/ Kircbhoff, Prr/alio, p. jx et
precédeute. p. XI.
xxx INTRODUCTION,
le titre, ni la tragédie iï Electre. Cette dernière parut pour .a
première fois à Rome en 1545 par les soins de Petrus Victorius
(Vcttori), qui la découvrit dans le FlcrcntinusK Quelques années
auparavant, en 1534, un recueil de scholies avait été publié chez
Junte, à Venise, par Arsénius, archevêque de Monembasie. Ces
scholies, relatives aux sept premières tragédies, furent tirées de
divers manuscrits d'un ordre inférieur.
Ces trois publications, ÏAldine^ XElectre de Victorius et ce
premier recueil de scholies imprimées, furent à peu près les
seuls documents sur lesquels s'exerça la critique d'Euripide
durant le seizième et le dix-septième siècle. En 1568, Henri
Estienne donna ses observations (Jnnotationes) sur Sophocle
et Euripide. Parmi les éditions de cette période, citons celle
de Guillaume Canter (Anvers, 1571), bon helléniste et judi-
cieux critique celle de Paul Estienne (Genève, 1602), où se
*,

trouvent réimprimées les notes de Brodreus (Jean Brodeau),


de Stiblinus, de Canter et d'JEmilius Portus (fils du Candiote
Franciscus Portus); enfin celle que Josua Barnes publia en 1694
à Cambridge. Les tragiques grecs doivent beaucoup à la patrie
de Shakespeare : un grand nombre de savants anglais leur ont
consacré de fécondes études. Déjà alors Stanley avait donné
spnEscbyle (1663), très-supérieur à l'Euripide de Barnes. Caci-
que médiocre que soit ce dernier travail, il résuma toutefois
les travaux antérieurs, il fit connaître des remarques de Sca-
liger et de Miîton, et il jouit pendant quelque temps d'une
grande autorité. Ce sont les chiffres de Barnes qu'on voit à la
marge des vers dans notre édition, comme dans celles de L. et
de W. Dindorf, de Nauck, et dans plusieurs autres.
C'est seulement au milieu du dix-huitième siècle qu'une vive
et fe'condc impulsion fut donnée aux études sur les tragiques
grecs, et en particulier sur Euripide, par le grand philologue
hollandais Valckenaer. Ses Phéniciennes (1755), et son Hippo-
lyte (1768) sont des modèles de critique et d'exégèse, et susci-

Ajoutons que le début apocryphe de Danaé fut d'abord imprimé par Conimetinus,
Hcidelbcrg, 1697.
INTRODUCTION. xxxi
tèrcnt beaucoup d'autres travaux de ce genre; ses belles re-
cherches sur les fragments d'Euripide [Diatribe in Euripidis
pcrditoritm dramatum rcliquiast 1767) n'ont été dignement con-
tinuées que de nos jours1. Alors parurent les Ferisimilia de
Pierson (1752)', les conjectures de Reiskc [Ad Euripidem et
Aristophanem anirnadversiones, Leipzig, 1754), les observations
critiques (Noix scu lectioncs) de Hcath sur le texte des tragiques
grecs (Oxford, 1762) ; les Suppliantes et les deux Iphigênie de
Markland (Londres, 1763 et 1771); YAndrotnaque, YOreste, la
McdcC) Yllècnbe, les Phéniciennes^ YHippoljte, les Bacchantes de
13runck (Strasbourg, 1779 sq.); enfin une nouvelle e'dition com-
plète d'Euripide par Musgrave (Oxford, 1778)'. Ces remarquables
travaux ne se distinguent pas seulement par la sagacité et le goût
de leurs auteurs ; mais le texte y est enfin établi sur une base
critique plus large : l'édition Aldine est contrôlée et corrigée
au'nioyen des manuscrits de Paris, collationnés, il est vrai, avec
trop peu d'exactitude. Un peu plus tard, l'édition Variorum de
Beck (Leipzig, 1778-1788) réunit tout ce que l'érudition avait
jusque-là fait pour le texte d'Euripide.
Dans notre siècle l'Angleterre et l'Allemagne ont rivalisé de
zèle et de science pour rapprocher ce texte de son ancienne pu-
reté. Richard Porson, en Angleterre, et Gottfried Hermann, en
Allemagne, ont consacré une partie de leur vie aux tragiques
grecs, et marchent en tête d'un grand nombre d'hellénistes,
leurs disciples ou les continuateurs de leur oeuvre. Porson n'é-
dita, il est vrai, que quatre tragédies d'Euripide, Ilécube, Oreste,
les Phéniciennes et Médée (1797-1811), mais il fit voir ce que
peut une sagacité pénétrante, mise au service d'une méthode ri-
goureuse, et appuyée sur une étude exacte de la langue des tra-
I. Nous faisons allusion à l'ouvrage tlo 4 840), et celui d'Auguste ISauck (Leipzig,
Welcker: Die grUchischen Tragoedien, mit 1856).
Rûckskht au/ den epischen Cyclus geor- 3. Cette date est antérieure à celte des
dnet, trois volumes, Bonn, 1830-184). Ce Phéniciennes de Valekenaer; mais le jeune
beau travail a été suivi deYEuripides resti- Pierson était disciple de ce grand critique.
tutus de Hartung, Hambourg, deux vo- 3. C'est dans cette édition que l'on
lumes, 1843-{Si4, et de deux recueils des trouve les excellentesobservations critiques
Fragmenta tragicorum grsecorum, celui de de Tyrwhitt, ainsi que quelques conjectu-
F. W. Wagner (Breshu, 1844-52, et Paris; res de Jortin;
xxxii INTRODUCTION.
giques grecs et des mètres Je plus souvent employés par eux.
Après lui et dans le même esprit Elmsley publia les Hcraclidcs,
Médce et les Bacchantes (1813-1821). Monk, l'éditeur d7//y;-
polytc et d'A/ceste (1811-1830), ainsi que des deux Iphigcnic,
lesquelles parurent plus récemment (depuis 1840)
sans nom d'au-
teur1, appartient à la même e'colc. En 1821 les travaux déjà re-
cueillis par Beck et ceux qui s'étaient produits depuis furent
ras-
semblés dans le Variorwn de Glasgow.
En même temps Hermann, le grand pbilologue de Leipzig,
s'adonna avec ardeur à l'étude des mètres grecs. Possédant
au plus baut degré et la connaissance acquise et le sentiment de
la langue grecque, il unit aux procédés sévères d'une critique
pa-
tiente et sûre le don d'une divination, quelquefois hasardée,
souvent heureuse. De 1800 à 1841 il donna Hècube, Her-
cule furieux^ les Supvliantes, les Bacchantes, Ion, les deux Jphi-
génie, Hélène, Andromaque, le Cyclope, les Phéniciennes.et
Oreste. A côté de lui Seidler fit d'excellents travaux sur les
Troyennes, Electre et Iphigcnie en Tauride (1812-1813). En-
suite A. Matthias entreprit une grande édition de tout Euripide
(1813-1829 et 1837): ouvrage estimable, où l'on trouve des no-
tes instructives, mais peu nombreuses, beaucoup de scholies
inédiles, et surtout une foule de variantes, trésor un
peu confus
et d'une abondance trop souvent stérile, mais au milieu
duquel il faut distinguer la leçon du manuscrit de Copenhague.
,
L'Euripide de Wilhelm Dindorf (Oxford, 1832-1840) donne,
outre la collation du Vaiicanus pour Alceste, les Troyennes et
ll/tcstiSf un choix discret de notes tirées des commentaires anté-
rieurs et augmenté de précieuses observations du savant édi-
teur. L'Euripide de la Bibliothèque Didot (1844) a été enrichi
par Fix de la collation de plusieurs manuscrits de Paris1 et
d*un certain nombre de bonnes corrections. On trouve dans
l'édition de Hartung (texte grec, avec traduction et notes en

1. Dans les note* critiques sur ces Jeux Les quatre tragédies désignées ci-dessus
tragédies nous avons a«c* souvent cite ont été réimprimées sous ion nom à Cam-
«t l'éditeur de Cambridge ». Nous voyous bridge en 1857.
maintenant que cet éditeur est J. 11. Monk. 2. Vovez l>agc XxVili, note I.
INTRODUCTION. xxxm
allemand, Leipzig, 18Î3-1853), beaucoup de bouncs observa-
tions et de conjectures ingénieuses, mais aussi les écarts trop
nombreux d'une critique arbitraire et précipitée. Les éditions
Pflugk-Klotz (Gotba, 1829-1860) nous ont été utiles; mais
nous n'avons pas eu le commentaire anglais de Paley (Lon-
dres, 1857-1860). Signalons encore quelques éditions partielles,
dues à des savants hollandais et anglais : la Médéc et Y Andro-
maque de Lenting (Zïitphen, 1819 et 1829), les Phéniciennes de
Geel (Leyde, 18-16), Y Ion, Y Iphigénic en Tauride et Y Hélène de
réminent critique Badham (Londres, 1851-1856). D'autres tra-
vaux seront mentionnés dans notre commentaire.
L'année 1855 et l'édition d'Adolphe Kirchhoff marquent une
époque dans la critique d'Euripide. On a vu que le hasard avait
mis sous la main des premiers éditeurs de notre poète des maté-
riaux d'un ordre inférieur, et qu'ainsi s'était formée cette vulgatc
pour laquelle ceux-là seuls qui n'en connaissent pas l'origine
professent je ne sais quelle vénération superstitieuse. Depuis
longtemps combattue et corrigée par une saine critique, la vul-
gale avait cependant conservé une certaine influence sur la con-
stitution des textes. Kirchhoffrompit définitivement avec la mau-
vaise tradition, et y substitua l'autorité des manuscrits. Mais les
manuscrits eux-mêmes sont de valeur très-inégale. Kirchhoff les
soumit à un examen méthodique, et détermina mieux qu'on n'a-
vait fait auparavant leur filiation, leurs rapports mutuels, leur
importance relative. Les meilleurs manuscrits, le Marciunus et
le Vaiicanus pour la première série des tragédies, le Palatinus
pour la plupart des autres, n'étaient pas encore collationnés ou
ne l'étaient que partiellement et imparfaitement. Kirchhoff en
fit connaître les leçons, relevées avec un soin scrupuleux. Eu
comblant ces lacunes, il put, d'un autre côté, rejeter tout un
bagage de variantes inutiles qui embarrassaient les éditions anté-
rieures. C'est ainsi que, grâce à un classement raisonné, l'ordre
et la lumière succédèrent à la confusion, et que les matériaux
critiques se simplifièrent en même temps qu'ils étaient vérifiés
avec une exactitude plus rigoureuse.
c
xxxiv INTRODUCTION.
Ce que KirclihofF a fait pour le texte d'Euripide, Willhehn
Dindorf l'a fait pour les scholies (Oxford, 1863). C'est grâce à
cet éminent helléniste que nous en possédons enfin une édition
vraiment critique et dans laquelle se trouve réuni pour la pre-
mière fois tout ce qui reste aujourd'hui des plus anciens com-
mentaires sur notre poëte.
C'est donc seulement depuis ces dernières annéees que tous
les documents qui peuvent servir à la constitution du texte
d'Euripide ont été tirés du fond des bibliothèques où ils se trou-
vaient cachés. La critique s'appuie désormais sur une base plus
large et plus solide; cependant sa tâche n'en est pas plus facile :
elle peut arriver à des résultats plus sûrs, mais elle est toujours
obligée de chercher et de creuser. Il n'en est pas d'Euripide
comme d'Isocrate ou de Démosthène, comme de Virgile ou
d'Horace. Ceux qui veulent donner un bon texte des auteurs
que nous venons de citer font un choix intelligent entre les
leçons des meilleurs manuscrits, mais ils se trouvent très-rare-
ment dans le cas d'y substituer une conjecture. Pour Euripide,
au contraire, comme pour les deux autres tragiques grecs, on
est forcé de s'écarter sans cesse du texte offert par les manuscrits,
les meilleurs d'entre eux étant criblés de fautes et d'interpola-
tions. Une édition conforme aux manuscrits ne serait pas lisible,
et, par le fait, il n'en existe aucune dans laquelle on n'ait
admis un très-grand nombre de conjectures. Encore faut-il
assez souvent se borner à signaler l'altération du texte sans
pouvoir y remédier d'une manière évidente ou probable. Plus
souvent encore, on ne saurait en douter, les altérations nous
échappent, et nous ne nous apercevons même pas des change-
ments que la main du poêle a subis dans le cours des siècles.
Depuis les travaux de Kirchhoff, Auguste Nauck, qui déjà an-
térieuremçnt avait bien mérité de notre poète, s'est empresse de
profiter des ressources nouvelles offertes aux critiques. Sa se-
conde édition d'ËUripidc (1857, collection Teubner), quoiqu'elle
ne te compose que du texte et de quelques pages de très-
courtes observations ou plutôt d'indications, est importante,
INTRODUCTION. - xxxv
et elle est à juste titre devenue classique. Le même savant
a lu devant l'Académie de Saint-Pétersbourg et public en deux
cahiers (1859 et 1862) d'excellentes éludes critiques sur les neuf
premières tragédies.

Quelque nombreux et quelque méritoires que soient les tra-


vaux que nous venons d'énumérer, cependant la critique est
loin d'avoir dit son dernier mot sur le texte d'Euripide. Cela
tient à la nature même de ce texte, cela tient aussi à ce que
beaucoup de matériaux, et des plus importants, n'ont été publié*
que tout dernièrement. Nous avons donc pensé qu'il ne suffisait
pas de reviser les conjectures faites par nos devanciers, et nous
nous sommes efforcé de contribuer à notre tour à l'améliora-
tion du texte. Les corrections que nous y avons introduites,
ainsi que celles que nous avons seulement proposées, ont été
motivées dans les Notes critiques aussi brièvement que cela se
pouvait. Des discussions développées et complètes! auraient pris
trop de place. Force nous était de nous borner à quelques in-
dications, trop rapides, nous le prévoyons, pour éclairer tou-
jours, à plus forte raison, pour convaincre ceux de nos lec-
teurs qui pourraient n'être pas familiarisés avec les méthodes
critiques. Peut-être nous sauront-ils gré si nous essayons ici de
les orienter au moyen de quelques observations générales.
Quelles sont les ressources dont un éditeur dispose pour con-
stituer le texte d'un ouvrage ancien? Nous n'apprendrons rien à
personne en répondant qu'il y en a trois principales : les ma-
nuscrits, les scbolies et le bon sens. Disons mieux, c'est le bon
sens, aidé des manuscrits, ou le bon sens aidé des scholies, ou
le bon sens cherchant d'autres secours quand ceux-ci viennent
à lui manquer.
Souvent il a suffi de revenir à la leçon des bons manuscrits

I. Nous sommes entré dans plus <lc dé- tragédie dans le Rlteinische Muséum, XXII,
tails sur ijuelfjues passages de l'ili/'poljtc p. 316-301. KnGii, nous avons divuté plu-
dans !a Revue de l'instruction publique, sieurs passages de la Médée dans !cs iYeitc
I8C6, 14 juin. Nous avons traité d'un plus Juin bûcher Jïir Philologie, 1867, p. 376-
grand nuiiihic de passages de la même 384,
xxxvi INTRODUCTION,
pour corriger la vulgate établie, on l'a vu plus haut, sur des ma-
tériaux insuffisants et d'après une méthode défectueuse. Les
exemples abondent : nous en citerons un ou deux, qui nous ont
particulièrement frappé. Au vers 527 sq. de YHécube on lisait :

Celte leçon, nous l'avons fait voir dans notre commentaire, don-
nait à la fois un faux sens et une faute de grec. Kirchhofï, le
premier, a tiré* du Marcianus la vraie leçon aïfst. Mais, il faut
le dire, dans ce cas la critique n'avait pas fait son office : elle
aurait pu corriger ce texte sans attendre le dépouillement des
meilleurs manuscrits. — Dans le premier choeur iïlphigcnîe à
AitliSy le vers 261 (<]»uy.{So- 8'dwto ^Ûovoç) n'offre évidemment que
le commencement d'une phrase incomplète. On s'y est trompé,
parce que la strophe dont ce vers fait partie répond exactement
à son antistrophe. Nous y avons marqué la lacune indiquée
dans le Palatinus, et nous avons été ainsi amené à constater
que l'antistrophe aussi était mutilée.
Ailleurs les bons manuscrits, sans donner la vraie leçon, en
conservent cependant quelque trace. C'est ainsi qu'au vers 772
Ôl Hippolyte)
nous avons corrigé le contre-sens : Ax([«va Gtuyvôv
xaTatîecOetca d'après le Marcianus, lequel porte gtuyvôiv pour
cTuyvov. Les mots ont été mal séparés, et 8a([xova<ïtuyvSv
provient
de 8ai'[j.ova« t'tôvav. — Au vers 1333 de Mèdèe% la leçon vicieuse
des bons manuscrits ! Tov <?<Jv <&acrop' eiç ?[*' ^xr^xv Oeoi laisse en-
trevoir que co'v, marqué d'un accent aigu, était primitivement
suivi d'une enclitique. Cet indice nous a suggéré la correction :
Twv ffwv <s aXctïTop' eî« e}* Imt^/e* 0eo(. — Dans Oreste, vers 1003,
8

la vulgate est itfosocpjj^sao* jj:ovo7îw)«ov U &&• Mais les manuscrits


portent itfosafpoaat, quoique le sujet eptç demande la forme fé-
minine du participe. Nous en avons conclu que jxovonwXov était la
glose d'un adjectif commençant par une voyelle, et nous avons
rétabli le mètre en écrivant îtfosûcffA&ffaa' olôn«),ov I; îVw. — Aux
vers 1271 sq. de la même tragédie, on lisait ! m^plvcui O/jf*;
1 INTRODUCTION. xxxvn
?t^c£t; otÙTtV l/Ofotfftv cpavsT. La leçon du Marchmus : x£/.fujj.;/ïvxç
nous a mis sur la voie de la correction xexpluluév«; Qr'paç ^i^y'fsiç.
On trouvera dans ce volume beaucoup d'autres exemples de cor-
rections analogues.
Pour certains passages, nous pouvons en quelque sorte con-
sulter desmanuscrits plus anciens que ceux qui nous ont transmis
les tragédies d'Euripide. Notre poêle a été souvent cité par les
auteurs de l'antiquité, et ces citations servent tantôt à confirmer,
tantôt à rectifier le texte traditionnel. Aristotc a fourni la leçon
primitive du vers 727 ftlphigénie en Tauride; Plularque celle
des vers 253 et 7 87 de la même tragédie ; Stobée a conservé beau-
coup de variantes utiles. Il ne faut pas oublier cependant que les
auteurs anciens modifient quelquefois à leur gré les textes dont
ils font usage, et que souvent ils citent de mémoire et inexacte-
ment. Le vers 407 iVIphigénie à Aulis offre un exemple curieux
de ces négligences, qui ont parfois abusé les éditeurs. Kirchhoff
a recueilli ces citations avec beaucoup de soin. Conformément
au plan de notre édition, nous ne donnons que celles qui four-
nissent des variantes dignes d'intérêt, ou qui attestent l'antiquité
de certains morceaux suspectés par la critique moderne1.
Passons aux scholies. On peut dire des scholies beaucoup de
mal, on peut en dire beaucoup de bien, et l'on aura raison dans
l'un et l'autre cas. Elles renferment, en effet, du bon et du mau-
vais, de l'excellent et de l'absurde, mêlés ensemble de la façon
la plus singulière. C'est qu'une foule de mains de tous les âges
y ont travaillé : les commentaires ont fait la boule de neige.
Malheureusement le premier noyau, le vieux fonds a été plus
d'une fois endommagé et défiguré : les additions récentes qui
s'y sont attachées en route l'enveloppent, le pénètrent même,
s'étalent à ses dépens. Il est très-utile de distinguer la provenance
des scholies: ce que Dindorf a fait dans son édition avec un soin
scrupuleux. Toutefois, on a beau distinguer les manuscrits di-
vers, les scholies d'un même manuscrit ne présentent que trop

4. C'est par ce dernier motif ijuc ces tphigênie à Aulis plus soumit iptc dans
citation* et allusions oui été. indiquées dans les min»» tragédies.
xxxvin INTRODUCTION.
souvent un amas confus, un véritable fatras. Il faut s'en servir
avec circonspection, il faut les avoir pratiquées durant un cer-
tain temps pour avoir quelque chance d'en extraire les parcelles
précieuses. Nous avons déjà dit que les plus anciennes scholies re-
montaientà l'époque de l'érudition alexandrine,et primaient ainsi
par leur antiquité tous nos manuscrits. Là est leur importance
pour la critique. On trouve assez souvent à la marge d'un ma-
nuscrit une note qui ne se rapporte pas au texte de ce manuscrit.
Dans ce cas, on doit chercher, deviner quelle était la leçon
que le seholiaste avait sous les yeux. Quelquefois on retrouve
ainsi l'ancien, le vrai texte. Mais la chose n'est pas toujours facile.
On peut être induit en erreur par la subtilité des commentateurs
grecs qui, tout en n'ayant pas d'autre leçon que nous, prêtèrent
souvent à un texte gâté un sens qu'il ne saurait avoir. On peut
être trompé par l'amalgame qu'offrent les scholies et dans le-
quel les explications de leçons diverses se trouvent plus d'une
fois juxtaposées et même enchevêtrées les unes dans les autres.
Enfin, on ne voit pas toujours du premier coup d'oeil quel
texte re'pondait à une paraphrase vague ou à une glose concise.
Nous ne relèverons pas tous les passages qui ont été corrigés
à l'aide des scholies. Pour donner une idée du parti que l'on
peut tirer de ces débris des plus anciens commentaires, il suffira
de nous en tenir à la seule tragédie (Vllippolyfe. L'interpolation
du vers 1050 se prouve au moyen d'un renseignement donné
par le seholiaste de Paris. C'est sur des indices fournis par les
scholies que Bothe a transposé les mots au vers \A4, que Sca-
ligcr a rectifié le vers 302, que HartUng et Mtisgrave ont corrigé
les vers 328 sq. Un changement de ponctuation extrêmement
heureux, introduit par Nauck dans le vers 491, et la correc-
tion, due au même savant, d'une des fautes qui défiguraient le
vers 6/0, se confit ment par les scholies. Nous avons nous-mênle
rétabli le texte des vers 228, 364, 585-587, 715 sq., 1303, en
prenant pour point de départ les paraphrases des anciens com-
mentateurs.
A côté ;es scholies il faut placer les lexiques d'Hésychius et de
INTRODUCTION. xxxijc
,

quelques autres compilateurs, lesquels n'ont fait que recueillir et


ranger alphabétiquement un certain nombre de scbolies rela-
tives à divers auteurs. Ces glossaires fournissent des éléments
précieux pour la constitution des textes. Citons quelques exem-
ples. C'est en se fondant sur ces témoignages anciens que Her-
mann a, dans Ipkîgénie en Tauride, vers 1395, substitué mOu
ïiaXtjji7rpu{AVYj3o'v à la leçon vicieuse uOsc zaXtv 7rpu[Avr'<jt(a); que nous

avons changé tiv npo; (<rn/pav xeXsuGov oûpavou, leçon qui faussait
le sens du vers 1003 d'Oreste, en tàv îto'O' foïtepov xsXeuOov o&pavoîî;
que Nauck a rétabli la mesure du vers 1295 de la même tragé-
die, où les manuscrits offrent exemouca rama poiir gmthuovg àîtavrot.
Voilà les secours que les variantes des bons manuscrits et les
citations éparses chez les auteurs anciens, ainsi que les vieilles
scbolies et les glossaires, peuvent fournir pour la restitution des
textes.
Disons maintenant un mot de la méthode à suivre lorsque
ces deux auxiliaires font défaut. Une fois qu'on s'est assuré que
le texte a reçu quelque atteinte (c'est là le premier point, et
peut-être le point le plus important, à constater), il faut se de-
mander si c'est l'erreur d'un copiste ou l'introduction d'une
glose qui altéra la leçon primitive. Tout récemment un savant
professeur de Bonn, M. Heimsoeth, a fait avancer la méthode
critique en insistant sur cette distinction et en montrant com-
ment les notes explicatives écrites à la marge ou entre les lignes
du texte y pénétrèrent et le modifièrent de mille façons diverses
et beaucoup plus souvent qu'on n'avait pensé jusqu'ici. On peut
dire en général que, s'il y a non-sens ou faux sens, on doit en
accuser l'étourderie des copistes; mais qu'il faut soupçonner la
présence d'une glose, si la diction ou la versification laisse à
désirer. Cependant cette règle générale souffre de nombreuses
exceptions ! l'erreur d'un copiste peut encore donner un sens
quelconque; une glose peut produire un non-sens, si elle est
inepte, ou bien si elle a pris la place d'un autre mot que celui
qu'elle devait expliquer; enfin les deux causes d'altération peu-
vent avoir agi à la fois»
Xh INTRODUCTION.
On connaît assez les erreurs des copistes, et l'on sait d'où
elles peuvent provenir. Tantôt c'est la ressemblance des lettres
(comme A, A, A), tantôt c'est la ressemblance ou l'identité des
sons (comme I, Y, H, El, 01) qui les trompent. Les deux espèces
de faute se trouvent réunies dans *,&'«<;, leçon vicieuse pour
i'Xewî {Jph. Aul. 1596). Tantôt ils omettent des lettres, des

mots, des vers, tantôt ils les répètent, ou ils remplacent un mot
par le mot qui se trouve à la place correspondante de l'un des
vers voisins. Quant à ce dernier cas, voyez, par exemple, les
vers 670 sq. tfHippolyte, ou les vers 171 sq. iïlphigénie à Aulis.
Ils se laissent enfin aller à une foule de distractions qu'il est
inutile d'énumérer et facile de connaître : un peu d'habitude y
suffit. Ainsi, nous avons remarqué que certaines syncopes cton»
liaient les copistes et donnaient souvent lieu à des erreurs. La
faute est légère au vers 882 d'Electre, où le manuscrit porte
dvocSv^aTcc pour àv&^uiaTa, forme que le mètre exige et qu'un cri-
tique anglais a rétabli. Mais au vers 582 de la même tragédie
<x<7na<îMtAxi .... jîo).ov est un non-sens, que nous avons fait dispa-
raître en écrivant àvcîiaçwjjLKt. De même nous avons substitué
dans Iphigênieà Aulis, vers 1344, àvSucojxeôx à la leçon vicieuse
?jV Swtoueû*» et nous
avons proposé dans Jphigénic en Tauride,
vers 818 : dvSÉÇw (â àvêSe'çw) pour àvs&sSjw.
La difficulté, c'est de reconnaître dans chaque cas particulier
la nature de la faute et d'y appliquer le remède convenable.
Cette difficulté augmente lorsqu'une première erreur est doublée
et compliquée d'une fausse correction, ce qui arrive assez sou-
vent. Citons un exemple de ce dernier cas. Au vers 304 iYElectre
on lisait oïotç Iv tuïtXok «ù).i'Çoj/«t, locution bizarre, que plusieurs
critiques avaient remarquée sans trouver une correction pro-
bable. La leçon primitive était aôx(vo;/*tj la ressemblance des
lettres A et A ayant occasionné l'erreur auMvojwti, on voulut
mettre un mot grec à la place de ce non-sens, et on se hâta
trop d'écrire «u).(Ço[i.at.
Les erreurs des copistes ont cela de particulier, que les plus
légères sulîîseut quelquefois pour obscurcir le sens d'un passage
INTRODUCTION. xu
et le rendre tout à fait méconnaissable. Dans Electre^ vers 180,
le manuscrit porte xfousw w>Xsjj.ov pour xpousco îtd$' Ijtov, rétabli
par un savant du seizième siècle. Dans ffécube, Hermann a
e'clairé le vers 1000 en e'ciïvant èVc', to yikrfidç pour Ïgxm çi)>ïi-
Oh'ç. Pour ajouter quelques exemples de fautes de ce genre qui
n'ont été corrigées que dans notre édition, nous renvoyons aux
vers 151-154 de flîcdée, dont le sens avait été complètement
dénaturé par la substitution de TeXeutav à -rù-tutû) ou bien au
vers 826 de la même tragédie, où les copistes, en mettant â~o-
osf€ojji.sYot à la place de dmo, ^sfëo'jAêvoi, avaient foncièrement gâté

un des plus beaux morceaux de notre poëte; ou bien encore aux


vers 441 sq. de YHippolyte, rendus complètement inintelligibles
par suite d'une lettre omise et de quelques fautes minimes (oO
pour oO, eî pour rt)\ ou enfin aux vers 1380 sqq. à%Ip/a"gé/iie à
Aulis, dans lesquels une première erreur aussi légère que le
changement de ^v en avait entraîné le bouleversement de tout
(u.-rç

le passage. En règle générale, pour rétablir un passage altéré,


il ne faut point passer eu revue toutes les catégories des erreurs
possibles (cela serait puéril et fastidieux), mais étudier ce pas-
sage, ce qui précède, ce qui suit, et se faire une idée de ce que
l'auteur a dû dire.
Il reste encore à signaler l'influence exercée sur le texte par
les gloses et notes explicatives qui, de bonne heure, l'entou-
raient dans les manuscrits. M. Ileimsoeth a étudié cette in-
fluence dans plusieurs livres très-instructifs1, où se trouve
exposée pour la première fois cette partie de l'art critique. J'y
renvoie le lecteur curieux de s'instruire de ces choses, en l'aver-
tissant de ne pas se laisser rebuter par un certain nombre d'as-
serlions trop hasardées, d'erreurs en quelque sorte inévitables,
et qui n'ôtent rien à la valeur de la méthode. Ici je nie bornerai
à quelques indications rapides.

I. Voir F. Hcïtnsoctli « Die H'iederher- Kritische Studien zu den grk jiischen Tm-
stellitng der Dramen des jiïsctijltts, gikem, I, Bonn, ISC5. De dkersu diver-
Bonn, t8CI. Die indirecte VehetUe/ei-ung sorum menJottim emendiilione, troi* ûk~
des arsclijlisefirii Textes, Bonn, (8fi2, st'llillîonSj Bout), IS0C-I807,
xlii INTRODUCTION.
Au vers 432 HHippolyte, la variante xop(fcrat n'est qu'une
glose de x«piuÇ&Tai. Il en est de même de "kàw Sojaouç pour "ÀtSou
wjX«ç au vers 895 de la même tragédie et au vers 1234 de
Mcdce. La bonne leçon est fournie dans ce dernier passage par
tous les manuscrits du premier ordre ; dans l'autre, elle n'a été
conservée que par un seul manuscrit. Là peu s'en est fallu que
la glose n'envaliît tous les manuscrits; et ce qui a failli arriver
dans ce cas, est très-souvent arrivé en effet. Nauck a vu qu'au
vers 1451 à'Hipooljte les mots r)jv Toço'Sajxvov ftp-re^iv avaient pris
la place de t^v to^oSocjavov ^«pOÉvov, le nom propre ayant été subs-
titué au nom commun. De même nous avons corrigé la mesure
d'un vers (Orcste, 1535) en remplaçant la glose ILAotè/iv par
(j-O-ov. Ailleurs (Jph. Aul. 764 sq.) Hermann a rétabli le mètre

en écrivant <[>pY£ç pour Tpwsç et otXtov pour Ttovriov.


Mais les altérations occasionnées par des gloses ne sont pas
toujours si simples : elles se compliquent de vingt façons
diverses. Quelquefois la leçon a été gâtée à la fois par des gloses
et par des erreurs de copiste. Au vers 1180 à'Electre, la com-
paraison de la strophe avec l'antistrophe nous a fait reconnaître
que les mots Iv -/ûov\ m'j/eva ^ay? provenaient de /Oovta ^foxefjXEv'
é)Xa.ya. — Quelquefois la glose a été altérée à son tour. C'est
ainsi que àvraptGjAot, rétabli par Hermann au vers 1186 tfllécnbe,
avait été expliqué par îcaptOjxot, glose qui dans nos manuscrits
est devenue tU àftOjjiôv* — D'autres fois l'explication et le mot
primitif se sont mêlés d'une manière bizarre. Si dans Iphigénie
a sfuliSf vers 268, les manuscrits portent cùv ô' *\5p«<ïT0î pour <ruv
S' àîêXcpôî, cette faute semble s'être produite sous l'influence de
la glose $*f«<fToç. — D'autres fois encore, la glose a expulsé non-
seulement le mot auquel elle se rapportait, mais encore un mot
voisin. Exemples : rtpoTfÉzousa "(ou plutôt nêfiTfe'vïoyca) pour îtïv
exp/spouca (liippolyteH 715), ou-to Gavsî pour ofoto c oXeï [ib. 1045),
îVOxvafaç pour Oea? va(ous' {Jlécube, 467).-— Ailleurs la glose a pris
la place de mots autres que ceux qu'elle devait expliquer, de
manière à faire double emploi avec ces derniers et à causer
l'omission d'une idée nécessaire. Dans Jphigénie en TaurUley
INTRODUCTION. xuii.
au vers 36, le nom propre 'àftsjjLtç, glose de Osa, a expulsé le
verbe jrpw{*e<ïO(a). Au vers 120 de la même tragédie le sens s'est
complètement obscurci parce que toôjaov s'est changé en ?rô Osov
sous l'influence de la glose Osoïï, laquelle se rapporte au vers
suivant.
En d'autres endroits toute une paraphrase a pénétré dans le
texte : la prose d'un scholiaste s'est substituée à la poésie de
l'auteur. Cela est arrivé plus rarement dans les ïambes, dont le
mètre connu préserva le texte jusqu'à un certain point; plus
souvent dans les morceaux lyriques, et particulièrement dans
ceux dont on avait perdu de vue la structure antistrophique par
suite de l'éloiguement ou de l'entrelacement des strophes cor-
respondantes. Si le paraphraste s'est contenté de transposer les
mots de manière à les rapprocher de l'ordre de la prose ou de
ce que nous appelons la construction, il est assez facile de
rajuster les membres épars du poète ; la tâche devient plus diflî-
cile lorsque le changement ne porte pas seulement sur l'ordre
des mots, mais sur les mots mêmes. Cependant, là encore, la
connaissance des gloses les plus usuelles et la loi de l'accord an-
tistrophique peuvent souvent mettre sur la voie.
En effet la strophe et l'antistrophe s'accordaient plus rigou-
reusement que nos textes ne le font parfois supposer. Elles se
répondaient syllabe par syllabe : et cela se comprend, puis-
qu'elles étaient chantées sur un même air. Nous avouons qu'il
n'est pas toujours possible de rétablir aujourd'hui celte corres-
pondance parfaite : la critique doit se borner assez souvent à
constater une altération sans prétendre y remédier. Mais plus
nous étudions les textes, plus nous arrivons à cette conviction,
que non-seulement dans Eschyle, mais aussi dans Sophocle et
dans Euripide, l'accord le plus exact était la règle générale ' des
morceaux antithétiques.
Cet agencement identique de syllabes longues et brèves, les
\t II faut toutefois
cicepter les syllabes analogues que les inétiïeietis modernes
indifférentes des pieds irrationnels {îiiSîç appellent Jogaêdiques. Kxeinple : 'Kpw;
ot).OYrj0 'ju'0" trouve avant le dactyle des 'Epw;, ô xat'i|ipâTu>v,rîporu]anià'A).).(>);
vers glycouicjuesainsi que de tous les vers à>.).w; napi t' *A>.çt<j) {llijf. 525 et 535).
xuv INTRODUCTION.
poètes aimaient à le rendre plus saillant, lorsque l'occasion s'en
présentait, par d'autres symétries qui fournissent aussi d'utiles
indices à la critique. Les mêmes mots ou des mots semblables
ou des tournures a nalogues se reproduisent aux places corres-
pondantes des deux strophes jetées dans le même moule, et
constituent ce qu'on peut appeler des assonances ou rimes anti-
stropbiques. En voici quelques exemples : 1

Dans co dernier exemple une glose avait obscurci l'accord


nnlislrophique : nous l'avons fait reparaître en substituant xtuîiov
o;i.oy jîoa à XTtiïtov xa\ poav. On voit en vertu de quel principe nous
avons transposé les mots dans Ilceube, v. 941, dans Mcdce,
v. 986 sqq.» dans Hippofyte, V. 587, et ailleurs. Le dernier des
exemples que nous venons de citer prouve plus particulièrement
la justesse de ce principe : la transposition des mots n'y rétablit
pas seulement la symétrie de la strophe et de rantistrophe, elle
conduit, en facilitant une légère correction, à rétablir aussi le
sens du passage.
1. ////'/'. 650 *<]•]. et 6G0 sqq. Méitre, 149 et 163} 4GS et 97!» ; 1353 sq. et
0*7 tt 057; 1275 sij. et 1280 *q. On-sU, 1537 sq.
INTRODUCTION. xi.v
Aux gloses se rattachent enfin les interpolations. Outre des
mots isoles, un assez grand nombre de vers apocryphes se
trouvent insérés dans le texte d'Euripide. Quelques-uns avaient
été cités en marge et sont entrés par erreur dans le corps du
poème; d'autres ont été ajoutés de propos délibéré pour combler
une lacune apparente. Souvent les intcrpolateurs se sont servis
de vers authentiques d'Euripide, soit empruntés textuellement,
soit légèrement modifiés. Cependant il ne faut pas trop se hâter
de condamner un vers, parce qu'il se retrouve ailleurs chez,
notre poète. Il est constant que les tragiques athéniens, poêles si
féconds et toujours prêts à se présenter aux nombreux concours
ouverts par la cité, n'ont pas craint de répéter un vers heureux,
de même qu'ils n'ont pas hésité à reproduire plusieurs fois sur
la scène le même personnage ou la même situation dramatique.
Mais lorsque le même vers se trouve répété, non pas d'une pièce
à une autre, mais dans la même pièce, sans que cette répéti-
tion se justifie par des raisons particulières, il y a lieu de soup-
çonner une interpolation. Ce cas se présente dans Mcdèe plus
souvent que dans les autres tragédies. Dans notre édition aucun
des vers offerts par les manuscrits n'a été éliminé, ni rejeté en
bas de la page : nous nous sommes contenté de mettre entre
crochets1 les vers, ainsi que les mots, que nous regardons comme
interpolés.
Toutes les fois que la leçon admise dans le texte s'éloigne de
celle des manuscrits, ou seulement de celle des bons manuscrits,
nous avons indiqué cette dernière dans les notes critiques :
telle était du moins notre intention. Cependant nous nous som-
mes abstenu de relever toutes les minuties d'orthographe. Ainsi
nous ajoutons, sans avertir le lecteur, le N paragogique à lu fin
des vers (proprement dits); nous écrivons toujours Xva, Xuîï!,
etc.» et non Xvr,, Xuafl, etc. En fait de variantes1, nous n'avons

\, Les croclicts verticaux [] désignent 2. Dans les notes critiques les tenues
les interpolations qu'il faul retrancher. Ljs « variante » et « leçon » se rapportent
crochet» obliques < > servent.à distinguer, constamment aux manuscrits, jamais aux
les additions, peu nombreuses, <]uc nous éditions. L'eiprcssion a variante-conjec-
avons cru devoir ajouter au texte. ture », dont nous nous sommes servi
mai INTRODUCTION.
.
signalé que celles qui nous semblaient remarquables, ou qui ont
été pendant longtemps la leçon vulgate'. Quand nous adoptons
une correction, nous nommons toujours, autant que cela nous
est possible, le savant qui l'a proposée le premier, Nous ne citons
d'ailleurs qu'un eboix très-discretde conjectures, et nous distin-
guons, au moyen de lettres plus espacées, celles qui nous sem-
blent offrir un assez grand degré de probabilité.
Quanta l'interprétation, nous nous sommes efforcé de résou-
dre toutes les difficultés qui peuvent être résolues, mais nous
n'avons eu garde de vouloir tout expliquer à tout prix. 11 est des
commentateurs que rien n'effraye. Nous avons pensé que c'était
une grande aberration que de s'obstinera expliquer un texte en
dépit du bon sens, ou en torturant la signification des mots, ou
en faisant bon marché soit de la grammaire, soit de l'usage, soit
du génie de la langue grecque. Toutefois, dans ces cas, nous
n'abandonnons pas non plus le lecteur en gardant un silence
trop prudent; mais nous l'avertissons que la leçon est altérée, et
nous indiquons le moyen de la corriger quand nous en voyons
un qui nous semble plausible. C'est là surtout que ceux qui dé-
daignent la critique des textes pourront comprendre que, sous
peine de s'égarer à chaque instant, l'interprétation ne saurait se
passer du secours de la critique, et que, pour bien expliquer les
auteurs anciens, il est indispensable de s'enquérir de la consti-
tution de leur texte.
Quand il s'agissait de déterminer la valeur d'un mot ou d'une
locution, de rendre compte d'une particularité de syntaxe ou de
tout autre idiotisme, nous nous sommes adressé, pour expliquer
Euripide, d'abord à Euripide lui-même, ensuite aux auteurs de
son époque et particulièrement aux deux autres tragiques. En

quelquefois, désigne que la leçon d'un ma- dant nous croyons n'avoir rîeu omis de
nuscrit semble provenir de la conjecture ce qui est strictement nécessaire. Si notre
d'un grammairien- L'expression a Variante texte diffère de celui-d'une autre édition
{glose) » s'explique assez d'elle-même. que le lecteur pourrait avoir entre les maius,
I. Nous avons peut-être été un peu trop l'absence de notes critique! indique que la
avare de variantes pour les trois premières leçon que nous avons adoptée est celle des
pièces renfermées dans ce volume, Cepen- bons manuscrits.
INTRODUCTION. xiaii
dehors do ce cercle, les poèmes homériques sont les seuls mo-
numents que nous ayons du consulter sans cesse. Homère est
le père de la langue littéraire de la Grèce, et il serait bon de le
savoir par coeur, afin de bien comprendre tous les auteurs qui
ont écrit dans sa langue. A cette exception près, nous avons
eu rarement recours aux écrivains d'un autre âge pour e'claircir
le texte d'un poëtedu siècle de Périclès. De tels rapprochements
doivent être faits avec circonspection, si l'on ne veut pas s'ex-
poser à commettre des erreurs. La langue grecque a été parlée
et écrite durant tant de siècles, elle s'est répandue sur tant de
pays divers, s'est accommodée à des états de civilisation si diffé-
rents, que, tout en gardant un certain fond identique, elle a
subi des variations très-considérables, des modifications extrê-
mement profondes.
Quant aux rapprochements littéraires, il fallait relever dans les
auteurs antérieurs à Euripide les passages que ce poè'tc a imités,
ou dont il s'est inspiré, ou avec lesquels il a rivalisé. Il nous a
semblé moins nécessaire et moins instructifde recueillir toutes les
imitations qu'Euripide a provoquées à son tour chez les auteurs
venus après lui. Sauf celles qui se trouvent dans les fragments
des tragiques latins, des Ennius, des Pacuvius, des Attius, nous
n'en avons cité qu'un petit nombre, qui semblaient offrir un
intérêt particulier, lïllippolyte et Ylphigénie a Aulis prêtent à
des rapprochements continuels avec les tragédies dans lesquelles
Racine a rajeuni ces antiques sujets : nous nous sommes interdit
d'étendre notre commentaire outre mesure en citant des vers
que nos lecteurs savent par coeur ou qu'ils peuvent retrouver
facilement. En général, dans les notes explicatives comme dans
les notes critiques, nous avons visé à la concision. Nous nous
sommes efforcé de ne rien donner de superflu, mais aussi de ne
rien omettre de nécessaire ou d'utile.

Les vers ne sont pas numérotés de la même façon par toi^s


les éditeurs. Pour ne pas augmenter la confusion, nous avons
cru devoir conserver les chiffresqui figurent dans les éditions les
xlvui INTRODUCTION.
plus répandues', lors même que ces chiffres ne s'accordent pas
avec le nombre réel des vers tels qu'ils ont été divises dans
notre texte. Il en résulte tantôt que le vers 103 (pour nous ser-
vir d'un exemple), ou même le vers 102, se trouve suivi immé-
diatement du vers 105, tantôt que le vers 104 se trouve séparé
du vers 105 par un autre qu'il faut appeler 10-i'.
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