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Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur – Nancy 2016

ETUDE GEOPHYSIQUE, GEOTECHNIQUE ET HISTORIQUE D’UNE


VOIE FERREE SUR SOL TOURBEUX

GEOPHYSICAL, GEOTECHNICAL AND HISTORICAL STUDY OF RAILWAY


BUILT ON PEAT

Joséphine Boisson-Gaboriau1, Amine Dhemaied1, Ibrahim Rahmania1,2, Ludovic Bodet2,


Sylvain Pasquet2, Ludovic Brand1, Nicolas Calon1, Jean Marc Terpereau1, Sirine Kahil1
1
SNCF Réseau - Ingénierie & Projets - LVE, St Denis, France
2
Sorbonne Universités, UPMC Univ Paris 06, UMR 7619, METIS, Paris, France

RÉSUMÉ – Une étude multi-méthodes a été menée pour mieux comprendre l’origine des
désordres affectant la voie ferrée construite sur sol tourbeux à proximité d’Abbeville. Afin
d’identifier la structure de la plateforme ferroviaire et de faire une caractérisation
mécanique des différentes couches sous-jacentes, des investigations géophysiques par
géoradar et sismique par ondes de surface ont été réalisées.

ABSTRACT – A multi-methods analysis had been carried out to better understand the
origin of instabilities detected along a railway built on peat, close to the city of Abbeville.
To identify subgrade structure and to characterize its different layers, ground penetrating
radar and surface-wave seismic investigations have been conducted.

1. Introduction

Dans le cadre de sa mission de gestionnaire d’infrastructure, SNCF Réseau


(Département Ligne Voie Environnement - Ingénierie & Projets) a notamment pour
mission d’expertiser, de surveiller voire de conforter si nécessaire, les ouvrages en terre
du Réseau Ferré National (RFN). C’est dans ce contexte général et afin de mieux
comprendre des phénomènes affectant la géométrie de la voie ferrée, qu’une étude a été
entreprise sur une zone nécessitant des efforts de maintenance accrus sur la ligne
Longueau - Boulogne, à proximité d’Abbeville. Il s’agit notamment de mieux comprendre
l’origine de certains désordres observés afin de définir des solutions de confortement
pertinentes et optimisées. Les causes de ces désordres peuvent être diverses et liées à la
nature du sous-sol, à une variation des structures de la plateforme ferroviaire ou bien à un
mauvais drainage …
Sur ce site, les défauts de géométrie de la voie observés semblent résulter d’une
sollicitation dynamique du sol support au passage des trains. Afin de caractériser ce
phénomène, d’autres moyens de reconnaissances que ceux classiquement utilisés, ont
été mis en œuvre avec le déploiement de méthodes non destructives. Dans un premier
temps, une auscultation géoradar de la plateforme et du sol support a été menée en vue
de détecter des variations latérales de structures pouvant expliquer la répartition des
désordres identifiés. Des mesures sismiques par ondes de surface ont ensuite été
menées dans le but de réaliser une caractérisation mécanique du sous-sol.
Ces investigations, complétées des recherches historiques, ont mis en évidence une
variation latérale de la structure de la plateforme ainsi que, localement, une diminution
significative des caractéristiques mécaniques du sol support de la plateforme.

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2. Présentation du site d’étude

2.1. Description du site

Le site d’étude se situe sur la ligne à double voies Longueau-Boulogne, à proximité


d’Abbeville. Il est établi en léger remblai d’une hauteur d’environ 1.50 m.

2.1.1. Caractéristiques ferroviaires du site


Dans cette zone, la vitesse maximale des trains est de 140 km/h. Les circulations sur
cette partie de la ligne sont constituées de trains voyageurs et marchandises. A noter que
le tonnage journalier (poids cumulé de l’ensemble des circulations sur une journée) sur la
voie 2 est supérieur de 66% à celui enregistré sur la voie 1 (élément entrant en compte
dans le diagnostic final).

2.1.2. Géologie du site


Selon la carte géologique au 1/50000 d’ABBEVILLE (figure 1), la plateforme ferroviaire
repose sur une couche alluvionnaire récente de la Somme, constituée de tourbe. Cette
dernière recouvre des limons sableux qui reposent eux même sur le tuf calcaire de
l’holocène.
La synthèse des données issues d’une étude menée en 1973/1974 par le LCPC
(Aubin, 1974) et d’essais pénétrométriques réalisés par le BRGM (base de données du
sous-sol - Infoterre) nous permet d’établir la succession lithologique du sol support : i) 1 à
2 m de terre végétale et limons divers, ii) environ 4 m de tourbe grossière hétérogène, iii)
environ 1 m de tourbe franche, iv) environ 3 m de limons sableux, v) 3 à 4 m d’alluvions
anciennes. La profondeur du toit du tuf calcaire varie entre 13.50 m et 16m.

Boulogne

Alluvions
anciennes

Limons

Tourbe

Tuf calcaire

Longueau

Figure 1. Extrait de la carte géologique 1/50000 - fond orthophotographique (BRGM/IGN)

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2.1.3. Environnement et Hydrologie


La ligne est établie dans le lit majeur de la Somme. La voie ferrée s’étire parallèlement à
cette rivière à 600 m environ au sud-ouest (figure 2). La zone présente un aléa fort
concernant le risque d’inondation par remontée de nappe.
L’environnement est constitué d’étangs et de quelques champs cultivés. Un système
de drainage par canaux est présent sur toute la zone (figure 2).

Km xx1.000
Boulogne

Somme

Km xx0.000

Km xx9.000

Longueau

Figure 2. Environnement du site d’étude (en rouge) sur la ligne Longueau/Boulogne

2.2. Données historiques

2.2.1. Archives antérieures aux années 1970


Les archives des années 1950 font déjà état de problèmes de déformation dynamique. A
partir de 1963, les phénomènes de déformation observés au passage de circulations
s’accentuent avec l’entrée sur le réseau ferré de trains de plus en plus lourds (comme le
train de la Flèche d’or reliant Paris Nord à Londres Victoria).
En 1969, afin de diminuer l’amplitude du mouvement au passage des trains lourds, une
couche de sable laitier fut mise en place sur les pistes de part et d’autre de la plateforme.
Cependant, cette solution ne fut pas pérenne car des fissures longitudinales et
transversales apparurent. A partir de 1970, lors de la mise en circulation des locomotives
encore plus lourdes (17.6 t / essieu), des affaissements de la voie de plusieurs
centimètres au passage de chaque essieu (Fig. 6) commencèrent à être observés. Une
mesure de ralentissement à 80 km/h fut alors prise, réduisant ainsi de 80% les
phénomènes dynamiques observés.

2.2.2. Etude menée dans les années 1970


Une étude menée par le laboratoire central des ponts et chaussées (Aubin, 1974 ;
rapports internes SNCF) a permis d’identifier les différents phénomènes participants à la
déformation de la voie (paramètres vitesse et poids). Les principaux résultats de cette
étude sont :
i) la vitesse des circulations n’est pas un facteur prépondérant dans le phénomène de
déflexion observé lors du passage du convoi (à noter tout de même que ce phénomène

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s’amplifie pour des vitesses supérieures à 120 km/h. Ainsi, le modèle montre que pour
une augmentation de vitesse de 120 à 140 km/h, l’accélération verticale que subit la
motrice passe de 400 m.s-2 à 700 m.s-2),
ii) le poids des circulations apparait comme le paramètre déterminant dans la déflexion.
Son influence peut être minimisée si la charge pesant sur la plateforme est plus répartie,
iii) les mesures de déformation de la voie sous charge statique (20 t / essieu) montrent
que la zone subissant le plus de déformation correspond à la zone où la hauteur de
remblai est la plus faible (voire nulle).

2.2.3. Travaux préconisés par l’étude LCPC


Les conclusions de l’étude (Aubin, 1974) ont permis de définir les travaux permettant de
diminuer les déformations observées, tout en évitant des interruptions prolongées de
circulation. Ils ont consisté à recharger la plateforme ferroviaire pour en augmenter sa
portance sur les 650 m les plus impactés par la déformation. La figure 3 présente la
coupe de la structure mise en place ainsi que la composition du sol support déduite des
nombreux sondages géotechniques réalisés lors de l’étude.

Figure 3. Principe des travaux entrepris sur 650 m linéaire de plateforme (coupe
construite à partir des informations contenues dans l’étude du LCPC (Aubin, 1974)

Des mesures après travaux sur le comportement dynamique de la plateforme ont


montré une diminution de 70 % de la déflexion sous charge dynamique et de 40 à 50%
sous charge statique. Par ailleurs, un tassement progressif de 1 à 2 cm / mois de
novembre 1974 à mai 1975 a été enregistré avant stabilisation. Ce phénomène est la
conséquence directe du rechargement de la plateforme ferroviaire.
La vitesse des circulations sur la ligne fut ensuite relevée à 120 km/h.
A noter qu’en 1988, lors d’une opération de renouvellement de ballast et traverses, il a
été décidé de remplacer les traverses en bois par des traverses biblocs (composées de
deux blochets de béton reliés par une entretoise métallique). Ces dernières présentent
une surface de répartition de la charge des circulations beaucoup plus faible.

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3. Problématique et investigations

3.1. Problématique actuelle

En 2014, à la suite de l’enregistrement de différents paramètres de la voie par un train de


mesures (Mauzin), un phénomène de sous-écartement des deux files de rail de la voie 2
est détecté principalement du Km xx9.700 au Km xx0.300, sur 600 mètres linéaires. Ce
phénomène s’explique par un cheminement des traverses le long des deux files de rail
générant des « défauts d’équerrage » (figure 4).
Suite à une visite sur site, il apparait nettement que la voie 2 est plus impactée par ces
défauts que la voie 1. Ceci peut s’expliquer principalement par le fait que le tonnage
journalier sur la voie 2 est nettement plus important (66% supérieur) que celui sur la voie
1 (les trains de marchandises circulent à vide sur la voie 1 vers les carrières du
boulonnais pour revenir très chargés par la voie 2).

Figure 4. Défauts d’équerrage observés au niveau du Km xx9.990 sur la voie 2

D’autres désordres tels que l’affaissement des deux files de rails de la voie 2 ou bien
une surépaisseur de la banquette de ballast (voir du fluage de ballast) ont été observés
lors de la visite.
En se référant aux archives (cf. § 2.2.3), la zone qui présente les désordres les plus
importants est située en limite aval de la zone qui fut reprise lors des travaux de 1974. A
noter que des documents de 1983 décrivent les mêmes types de déformations en limite
amont de la zone reprise en 1974.

3.2. Investigations géophysiques

Afin de mieux comprendre l’origine et la répartition des défauts observés sur la voie 2,
des investigations géophysiques ont été réalisés en mai 2015. Il est important de noter
que ces investigations ont été menées avant la découverte des archives relatives au site.
De ce fait, l’implantation des mesures n’a malheureusement pas été optimisée au regard
de ce nouvel éclairage.

3.2.1. Prospection sismique ondes de surface


Dans le but d’estimer in situ les caractéristiques mécaniques du sol support de la
plateforme ferroviaire étudiée, une prospection géophysique par ondes de surface a été
réalisée. L’estimation du module de cisaillement par cette technique non-destructive

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repose sur la caractérisation indirecte des vitesses de propagation des ondes de


cisaillement (Vs), par inversion de la dispersion des ondes de surface (Socco et al., 2010 ;
Ezersky et al., 2013).
Quatre profils sismiques de même longueur, réalisés au niveau des pistes voie 2
(profils A, B et C) et voie 1 (profils D), sont présentés ici (figure 5). Le même procédé
d’acquisition a été adopté pour tous les profils et la dispersion des ondes de Rayleigh
extraite à l’aplomb de chaque dispositif décrit un milieu inversement dispersif cohérent
avec les a priori géologiques (la plateforme ferroviaire est plus « rigide » que le sol
tourbeux sur lequel elle repose). La vitesse de phase mesurée dans la zone présentant
des défauts d’équerrage (A, B et C) est en outre clairement plus faible que celle extraite
au voisinage d’une zone « saine » en amont (D).

Figure 5. Implantation des profils sismiques et courbes de dispersion extraites à l’aplomb


du centre de chaque dispositif

Une inversion des courbes de dispersion devra été réalisée pour traduire ce contraste
en variations de vitesse de cisaillement

3.2.1. Investigation radar (réalisée par le bureau d’étude Sol Solution)


Cinq profils géoradar ont été réalisés en piste, en voies et entre voies et ce, du Km
xx9.650 au km xx0.700. L’objectif initial de cette auscultation était de détecter de
possibles variations de profondeur du toit de la tourbe. A l’issue du dépouillement des
archives sur les travaux de rechargement entrepris sur la plateforme, nous avons analysé
de nouveau les résultats radar :
i) L’analyse des cinq profils montre une couche supplémentaire du début des profils
jusqu’au Km xx0.000 (environ). Cette structure (Figure 6) correspond probablement à la
couche de tout venant 0/40 + grave 0/31.5 qui fut mis en place en 1974 jusqu’au Km
xx9.950-xx0.100 (comptes rendus de l’époque contradictoire sur l’étendue de la zone
traitée).
Sur la Figure 6, l’interface représentée par des pointillés verts (que nous interprétons
comme étant le toit de la tourbe) n’a été détectée qu’au-delà du Km xx0.170. Avant ce
Km, la profondeur de pénétration des ondes radar est inférieure à 2 m et n’atteint donc
pas cette interface.

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Structure mise en place lors des Tx de 1974 Approfondissement

Figure 7 - Altitude de chaque interface détectée sur le profil radar réalisé voie 2

3.4. Synthèse des investigations

Les résultats des investigations radar et sismique sont cohérents avec ce que nous avons
découvert récemment dans les archives sur ce site.
Les profils radar permettent ainsi de contrôler l’étendue de la zone qui a été traitée lors
des travaux de 1974.
L’analyse des données sismiques nous montrent que la dispersion des ondes de
surface met en évidence que les zones les plus affectées par les défauts de voie
correspondent à une diminution de la Vs et donc des caractéristiques mécaniques du sol
support. Ces dernières seront prochainement estimées par inversion pour être comparées
à des données géotechniques telles que des sondages pénétrométriques PANDA
effectués au niveau des différents profils sismiques.

4. Conclusion et perspective

En se basant sur les données historiques et les résultats des investigations


géophysiques, une variation longitudinale de la structure sous la plateforme ferroviaire a
été mise en évidence. Comme évoqué dans les archives, les défauts observés sont
probablement générés par les mouvements de déflexion que subit la plateforme au
passage des trains. Ces mouvements sont liés aux mauvaises caractéristiques
mécaniques de la tourbe sous-jacente comme le confirment les résultats des
investigations sismiques par ondes de surface. Ce phénomène est aggravé par les
charges des circulations plus importantes sur la voie 2, paramètre prépondérant par
rapport à l’augmentation de vitesse, comme démontré dans l’étude de 1974 du LCPC
(Aubin, 1974) et repris ultérieurement dans des rapports internes.
Cette étude était nécessaire pour définir une solution de renforcement de la
plateforme. Une campagne de sondages géotechniques est programmée pour compléter
cette étude.
La solution qui permet d’éviter une usure prématurée des différents éléments
constituant la voie tout en étant financièrement raisonnable consiste à augmenter la
surface de répartition des charges et à rigidifier le châssis de voie. Pour cela, il est
envisagé, lors des travaux de renouvellement des voies prévus en 2020 de remplacer les
traverses biblocs par des traverses monoblocs ou bois avec pose de rails raidisseurs.
Cette solution aura l’avantage de minimiser l’influence des circulations lourdes sur l’usure
prématurée de la voie.

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5. Références bibliographiques

Aubin J. (1974). Remblais sur sol tourbeux. Thèse de doctorat de l’école nationale des
ponts et chaussées.

Ezersky M., Bodet L., Akkawi E., Al-zoubi A., Camerlynck C., Dhemaied A., And Galibert
P-y. (2013). Seismic Surface-wave prospecting methods for sinkhole hazard
assessment along the Dead Sea shoreline. Journal of Environmental and Engineering
Geophysics, vol. 18, n°3.

Socco, L.V., Foti, S., and Boiero, D. (2010). Surface-wave analysis for building near-
surface velocity models — Established approaches and new perspectives. Geophysics,
vol. 75.

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